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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 7 - Témoignages du 6 février 2008


OTTAWA, le mercredi 6 février 2008

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 16 h 15 afin d'examiner la situation actuelle du régime financier canadien et international et d'en faire rapport. Sujet : faillite et insolvabilité.

Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : La séance est ouverte. Mesdames et messieurs, comme vous le savez, nous sommes au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je m'attends à ce que d'autres sénateurs arrivent sous peu. Permettez-moi de présenter les membres du comité. Je suis le sénateur Angus, de Montréal, au Québec. Je suis président du comité. Nous avons aussi le sénateur Goldstein, également de Montréal, qui est vice-président du comité; madame le sénateur Ringuette, du Nouveau-Brunswick; le sénateur Harb, d'Ottawa; le sénateur Moore, de Halifax, en Nouvelle-Écosse; et le sénateur Massicotte, du Québec.

Nous poursuivons notre étude de la loi-cadre sur la faillite et l'insolvabilité. Je crois que les témoins sont tous des experts du domaine. Je n'ai donc pas l'intention de présenter une entrée en matière complexe et détaillée. Toutefois, comme la séance est télévisée sur la chaîne parlementaire CPAC et diffusée sur Internet, il convient de préciser le contexte de cette étude.

[Français]

Le 13 décembre dernier, nous avons adopté le projet de loi C-12, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, la Loi sur le Programme de protection des salariés et le chapitre 47 des Lois du Canada de 2005. Le projet de loi C-12 était une réimpression du projet de loi C-62, proposé à la première session de la 39e législature et adopté en troisième lecture par la Chambre des communes le 14 juin dernier.

[Traduction]

Je vais vous présenter quelques faits pour situer le contexte de nos délibérations. En novembre 2003, après avoir terminé une étude détaillée du régime de faillite et d'insolvabilité du Canada, qui avait également fait l'objet d'un examen détaillé des intervenants, nous avons publié un rapport intitulé Les débiteurs et les créanciers doivent se partager le fardeau : Examen de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Nous y avons formulé 53 recommandations portant sur l'insolvabilité des particuliers et des entreprises ainsi que sur des questions administratives et procédurales.

L'aspect complexe auquel j'ai fait allusion est le suivant. Le 12 novembre 2005, nous avons été saisis du projet de loi C-55, dans lequel le gouvernement d'alors avait inclus des recommandations tirées de la longue étude réalisée par les intervenants ainsi que des recommandations de notre comité. Malheureusement, le projet de loi nous a été transmis un après-midi, à 16 heures, et on nous demandait de l'examiner et d'en faire rapport au Sénat le lendemain. Nous n'avons pas l'habitude de travailler ainsi. Nous sommes ici pour faire un second examen objectif et pour étudier des mesures législatives. Dans ce cas, il était clair pour nous, sur la base non seulement de ce que nous savions, mais aussi des renseignements que nous ont donnés les fonctionnaires, que beaucoup de modifications étaient nécessaires.

Toutefois, le gouvernement demandait que le projet de loi soit adopté immédiatement. Nous avons donc accepté un compromis : Nous adopterions le projet de loi, mais le gouvernement convenait de ne pas le proclamer avant que le comité n'en ait fait une étude exhaustive. Le projet de loi a donc été adopté, mais n'a pas été proclamé.

À partir de là, il y a eu une grande confusion quant à la façon de remédier au problème. Lorsqu'on a tenté de renvoyer une nouvelle fois le projet de loi au comité pour étude, il s'est avéré impossible de le faire puisqu'il avait déjà été adopté. Le projet de loi C-62 que j'ai mentionné a été déposé au cours de la dernière session, mais il est mort au Feuilleton. Cette session, le gouvernement a déposé le projet de loi C-12, qui proposait une longue série de modifications au projet de loi C-55 initial, devenu entre-temps le chapitre 47 des Lois révisées du Canada de 2005.

Quoi qu'il en soit, juste avant Noël, nous étions encore une fois confrontés à un dilemme : Le Parlement sera-t-il encore en session en février? Le projet de loi C-12 restera-t-il encore au Feuilleton? Dans l'ensemble, il contenait toutes les modifications que nous jugions nécessaires pour corriger le projet de loi C-55. Notre comité a donc décidé d'en faire rapport avec une longue série d'observations, pour qu'il puisse être adopté et recevoir la sanction royale en même temps que l'ancien projet de loi C-55.

Le comité avait cependant exigé, comme condition, qu'il soit autorisé à faire son étude du projet de loi C-12. Les ministères de l'Industrie, du Travail et des Ressources humaines avaient signalé qu'ils travaillaient sur des modifications destinées à tenir à jour cette loi-cadre. Les audiences que nous tenons actuellement ont pour but de connaître le point de vue des intervenants sur le projet de loi C-12. Nous procédons en fait à un examen après coup de cette mesure législative.

Sans plus tarder, je vais maintenant présenter nos témoins. Nous avons, de l'Institut d'insolvabilité du Canada, M. Pat McCarthy, avocat chez Borden Ladner Gervais, M. Philippe Bélanger, avocat chez McCarthy Tétrault de Montréal, Mme Susan Grundy, avocate chez Blake, Cassels & Graydon, et M. Andrew Kent, avocat chez McMillan Binch Mendelsohn de Toronto.

Je vous souhaite la bienvenue. Je sais que vous êtes au courant de ce qui s'est passé et que vous partagez probablement la frustration que nous, sénateurs, ressentons. Vous comprenez, j'en suis sûr, que le comité s'efforce d'établir un bon ensemble de règles juridiques dans cet important domaine du droit dont l'objet est de protéger les particuliers qui connaissent des difficultés financières et d'aider les entreprises qu'une restructuration peut sauver de la faillite.

Monsieur McCarthy, la parole est à vous.

Le sénateur Goldstein : Avant de poursuivre, je voudrais faire deux déclarations à consigner au compte rendu. Tout d'abord, je suis administrateur fondateur et membre émérite de l'Institut d'insolvabilité du Canada. Je ne crois pas cependant que cela influe d'une façon quelconque sur mon jugement à propos de ce que nous entendrons.

Ensuite, M. Andrew Kent est associé directeur du cabinet auquel je suis moi-même associé, pas d'une façon active en ce moment, mais associé quand même. Il compte aussi parmi mes bons amis personnels, de même que les trois autres témoins, mais je ne crois pas que cela m'empêche d'écouter objectivement ce qu'ils nous diront. J'aimerais que tout cela figure dans notre compte rendu.

Le président : Je suppose que vous déposerez auprès du greffier le formulaire habituel, n'est-ce pas?

Le sénateur Goldstein : Oui, je le ferai.

Patrick McCarthy, président de l'IIC et avocat chez Borden Ladner Gervais s.r.l., s.e.n.c.r.l., Institut d'insolvabilité du Canada : Sénateurs, je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant vous. Comme vous l'avez dit, c'est en un sens un examen du projet de loi C-12 ainsi que le commencement de l'étape suivante. Nous sommes heureux de participer à ces deux processus.

Je n'ai rien à apprendre au sénateur Goldstein au sujet de l'Institut d'insolvabilité du Canada ou IIC, mais pour ceux qui ne le connaissent pas, je dirais que l'Institut est une association à participation restreinte composée de 125 professionnels de l'insolvabilité. Les membres sont des chefs de file de leur domaine dans les cabinets d'avocats et de comptables pour lesquels ils travaillent et les collectivités où ils exercent. Même si quatre avocats comparaissent devant vous aujourd'hui, près de 40 p. 100 de nos membres sont des syndics de faillite. Nous avons également des représentants d'organismes de réglementation et des quatre grandes banques canadiennes.

Le président : Comptez-vous des juges parmi vos membres?

M. McCarthy : Il arrive souvent que des juges assistent à nos conférences, mais ils ne sont pas officiellement membres de l'Institut.

Le président : Le juge Farley et le juge Winkler ne sont pas membres honoraires. Je crois qu'il n'est plus juge.

M. McCarthy : Ce n'est pas ainsi que nous procédons ordinairement. Nous l'avions invité à se joindre à nous aussitôt que possible après avoir quitté la magistrature. Il était présent à notre congrès le plus récent.

Le président : A-t-il accepté?

M. McCarthy : Oui. C'est toujours un plaisir de l'avoir avec nous.

Le président : Le sénateur Biron, du Québec, vient d'arriver.

M. McCarthy : L'Institut d'insolvabilité du Canada s'intéresse principalement, mais non exclusivement, à la restructuration commerciale et des entreprises. Si vous avez suivi les développements survenus à Air Canada et à l'ancienne compagnie Canadien International, vous savez sans doute que nos membres dirigent généralement les restructurations de ce genre, à un titre ou un autre. Les témoins qui comparaissent aujourd'hui, moi compris, s'occupent exclusivement d'insolvabilité et de restructuration d'entreprises. Nous ne sommes donc pas en mesure de répondre à des questions sur les faillites personnelles. Nous ne sommes pas experts dans ce domaine, mais certains de nos membres s'en occupent.

Le président : Vous avez beaucoup de syndics parmi vos membres.

M. McCarthy : Beaucoup de ces syndics jouent le rôle de contrôleurs dans le cadre de la restructuration d'entreprises.

Le président : Ils agissent comme contrôleurs.

M. McCarthy : Oui. Ils sont souvent séquestres dans des affaires qui retiennent beaucoup l'attention. C'est ce qu'ils font. Ils jouent un rôle de premier plan dans notre domaine.

Nous avons commencé en 2000 par un examen interne des questions importantes qui, à notre avis, devaient être réglées dans la législation sur l'insolvabilité. En 2001, nous avons demandé à nos membres de voter, dans un processus démocratique, sur les questions les plus importantes à retenir. Nous avons continué à réduire leur nombre, puis avons présenté à Industrie Canada les mémoires qui vous ont été transmis et dont vous vous êtes servis pour produire votre excellent rapport de 2003. Des membres de l'Institut ont également comparu devant votre comité comme témoins à cette occasion.

Je dois insister sur le fait que l'Institut d'insolvabilité du Canada n'a pas d'opinion politique. Quel que soit le régime adopté, nous nous en servirons dans nos activités quotidiennes. L'objet de notre présence ici est de vous aider, au nom de nos membres, à élaborer un régime qui fonctionnera de la meilleure façon possible pour tous les intéressés.

L'IIC a été enchanté de l'intervention du Sénat au sujet du projet de loi C-55. C'est un excellent exemple de la façon dont le Sénat peut servir les Canadiens en procédant à un second examen objectif de mesures législatives devant être corrigées parce qu'elles avaient été adoptées à la hâte. Cela nous a permis de collaborer avec Industrie Canada. Nous avons été heureux de présenter des mémoires au ministère sur les aspects du projet de loi C-55 qui devaient, d'après nous, être corrigés. Nous croyons par conséquent que l'intervention du Sénat a produit des résultats remarquables, à partir d'une mesure que nous pouvions appuyer, mais qui causait beaucoup de problèmes pratiques auxquels il fallait remédier.

Le président : Êtes-vous au courant de quelques-unes des lacunes du projet de loi C-55?

M. McCarthy : Oui.

Le président : Il semble que le gouvernement y a remédié dans le projet de loi d'exécution du budget de l'année dernière. Je crois qu'il s'agissait du projet de loi C-57. Il y avait des problèmes concernant les produits structurés et dérivés qui empêchaient les banques d'accorder le financement nécessaire, parce qu'elles ne pouvaient pas obtenir des avis juridiques du fait de ces lacunes. Savez-vous si ce problème particulier a été réglé ailleurs?

M. McCarthy : Je ne suis pas au courant. M. Kent connaît bien ce domaine.

Andrew Kent, membre, membre de l'IIC et avocat chez McMillan Binch Mendelsohn s.r.l., Institut d'insolvabilité du Canada : Nous sommes au courant des modifications législatives apportées dans le cadre du budget. Malheureusement, elles ne se fondaient pas sur l'avis d'experts en insolvabilité. Certains détails de la mise en œuvre de ces réformes ont donc suscité des préoccupations.

M. McCarthy peut vous parler des effets de ces modifications sur la capacité de restructuration des entreprises. Nous croyons qu'il y aura des problèmes parce que les réformes n'ont pas été conçues dans l'optique de l'insolvabilité. Elles répondaient aux préoccupations des fournisseurs de produits dérivés et des gens qui font des transactions portant sur de tels produits, mais ne tiennent pas pleinement compte des incidences pour les entreprises en restructuration.

M. McCarthy : Nous vous avons présenté un mémoire assez concis sur les principaux aspects du projet de loi C-12 que nous voulions faire corriger à ce moment. L'un d'entre eux, qui m'intéresse d'une façon particulière, concerne ce qu'on appelle le contrat financier admissible.

M. Bélanger vous présentera maintenant quelques observations pour compléter notre exposé préliminaire.

[Français]

Philippe Bélanger, membre de l'IIC et avocat chez McCarthy Tétrault s.r.l., Institut d'insolvabilité du Canada : Monsieur le président, de façon générale, l'Institut d'insolvabilité du Canada appuie avec grand plaisir les amendements apportés au projet de loi C-55. On a eu, effectivement, les mêmes préoccupations que le Sénat, si vous regardez l'ampleur des recommandations apportées au projet de loi C-55, et vous les comparez à l'ampleur des recommandations sur le projet de loi C-12.

De façon générale, il y a énormément de préoccupations qui ont été traitées entre les projets de loi C-55 et C-12. On considère que le projet de loi tel que rédigée dans le projet de loi C-12 est plus qu'acceptable et constitue une très grande amélioration d'un système qui était devenu désuet et qui méritait une réforme immédiate.

Vous avez peut-être entendu que les Américains ont tendance parfois à rire de notre système en disant, par exemple, que le projet de loi C-36 ou le « CCAA is Chapter 11 without rules ». On restructure chez nous, jusqu'à cette réforme, des entreprises comme Air Canada avec une loi qui n'a que 22 articles. Dans ce sens, la réforme globale était souhaitée depuis longtemps. Les amendements apportés au projet de loi C-12 sont extrêmement importants.

On appuie, dans un premier temps, une entrée en vigueur la plus rapide possible. Dans ce contexte, on appuie les mesures prises par le Sénat pour s'assurer que le contexte politique qui règne n'empêche pas la mise en vigueur éventuelle et rapide de cette loi. On sent déjà les faiblesses de l'économie canadienne, et pour le dire candidement, les praticiens de l'insolvabilité ont hâte d'avoir accès aux outils de restructuration codifiés et qui deviennent beaucoup plus clairs dans cette loi, que dans un contexte où cela est géré par les tribunaux.

Le deuxième commentaire que je ferai de façon introductive, c'est qu'on appuie une révision la plus rapide possible de cette loi lorsqu'elle sera entrée en vigueur. Traditionnellement, c'est une loi qui est soumise à une révision tous les cinq ans. Vous verrez dans notre présentation qu'on recommande une révision aussi tôt que trois ans. Compte tenu du fait qu'il n'y a pas véritablement eu de réforme depuis 1997, on appuie la révision la plus rapide possible après l'entrée en vigueur pour voir les lacunes que la pratique aura identifiées et qui devront être réglées rapidement. Là-dessus, on sait que l'on peut compter sur le Sénat, qui a toujours eu beaucoup d'attention et de préoccupations pour cette loi. Donc, beaucoup de préoccupations reflétées dans le rapport de 2003.

D'une perspective québécoise, si je peux me permettre, cette loi est également très bien accueillie à tout le moins à deux égards. Dans un premier temps, il faut comprendre que la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, le fameux CCAA, est une loi qui, à la base, n'est accessible qu'à une entreprise qui a un passif de cinq millions de dollars. Ce qui exclut, en terme d'éligibilité, un certain nombre d'entreprises de moyenne envergure, des PME. Or, au Québec, la vaste majorité des restructurations d'entreprises se font non pas en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, mais en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité par un processus qui est beaucoup plus simple, qui est celui du dépôt d'un avis d'intention et d'une proposition à l'intérieur des six mois. Or, jusqu'à cette codification, il y a un nombre important d'outils de restructuration qui n'était pas à proprement parler disponible dans la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Pour le dire de façon métaphorique, il y a des outils disponibles en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies qui ne sont pas historiquement disponibles en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Le « DIP financing » dont on va parler à titre d'exemple, la capacité de résilier des contrats. Ce sont donc des outils qui étaient non disponibles, en fait, qui ne sont pas disponibles en vertu de la Loi sur la faillite et il n'y a pas de rationalisation, de raison, pour lesquelles une grande entreprise aurait accès à ces outils et une moyenne entreprise n'y aurait pas accès. Il y, donc en ce sens, a une démocratisation des outils de restructuration.

Le Québec, historiquement, utilise entre 60 et 65 p. 100 des restructurations qui se font par avis d'intention. Je vous parle de ma perspective : on vient de m'acheter un nouveau coffre d'outils avec les outils généralement disponibles en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

Le second point qui peut être fait d'une perspective québécoise, c'est que dans la mesure où on est dans un système de droit civil, nos juges ont historiquement été moins larges dans ce qu'ils interprètent comme étant leur « inherent jurisdiction ». Le juge Farley, auquel vous avez a fait allusion, sénateur Angus, est un des grands avant-gardiste et précurseur de cette notion de « inherent juridiction », qui est beaucoup moins populaire, je dirais, dans une tradition civiliste comme la nôtre.

Le fait de codifier un certain nombre de pratiques, qui sont des pratiques de jurisprudence, le « DIP financing » est codifié aux États-Unis depuis plus de 30 ans, mais au Canada, il relève d'une pratique judiciaire qui découle de ce qu'on appelle le « inherent jurisdiction ». C'est non seulement problématique parce que cela ne donne pas beaucoup de certitude aux contribuables qui ne peuvent pas lire un texte de loi qui codifie la pratique, mais au Québec cela créait des difficultés parce que les juges n'étaient pas convaincus qu'ils avaient cette capacité d'utiliser une juridiction inhérente qu'on appelle parfois « baguette magique » pour créer des concepts aussi importants que le « DIP financing ».

À cet égard, on crée, à travers le pays, un niveau d'égalité. Non seulement les outils sont disponibles pour tous, mais on laisse moins de discrétion et on met moins d'emphase sur la juridiction inhérente des tribunaux et le législateur vient mieux encadrer ces pratiques qui deviennent beaucoup plus claires pour tous. Pour ces deux raisons, je dois dire que, d'une perspective québécoise, le projet de loi et la réforme globale sont très bien accueillis au Québec.

[Traduction]

Le président : Il est toujours agréable d'apprendre que le Québec est satisfait d'une mesure législative fédérale.

[Français]

Il est possible que je me sois trompé tout à l'heure, la greffière vient de me dire que le projet de loi C-12 et le chapitre 47 ne sont pas encore entrés en vigueur. Il faut vérifier cela.

[Traduction]

Le sénateur Goldstein : Oui, mais il y a une bonne raison.

Le président : J'ai dit, il y a un instant, qu'ils avaient été proclamés. Ce n'est pas le cas?

Le sénateur Goldstein : Ils sont proclamés, mais ne sont pas entrés en vigueur. Des formulaires et des règlements doivent être produits au préalable. Je crois savoir que le ministère travaille d'arrache-pied pour les terminer. Nous devrions pouvoir en disposer vers la fin du printemps.

Le président : Je voudrais dire aux fonctionnaires présents dans la salle — je sais qu'il y en a quelques-uns — que cette affaire est à la fois très importante et très urgente. Nous vous exhortons à agir le plus rapidement possible. Maintenant que nous avons terminé ce que nous avons entrepris le 19 décembre, il est temps de mettre en vigueur ces dispositions législatives.

Un autre de nos collègues vient d'arriver. Il s'agit du sénateur Tkachuk, de la Saskatchewan, qui s'intéresse beaucoup au sujet et qui est depuis longtemps membre de notre comité.

Nous en avons fini avec les exposés préliminaires, et le Québec est satisfait. À qui le tour maintenant?

M. McCarthy : Si vous le souhaitez, nous pourrions brièvement passer en revue les points que nous avons exposés, qui sont essentiellement techniques. Nous pourrions faire cela ou répondre à vos questions. À vous de décider.

Le sénateur Goldstein : Nous avons lu votre mémoire. Nous devrions passer aux questions.

Le président : Le sénateur Goldstein dit que nous avons tous des exemplaires de votre mémoire, qui est d'une grande technicité. Nous pouvons donc passer directement aux questions.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Je remercie nos témoins experts de nous aider dans cette démarche. Il y a une controverse concernant les conventions collectives. Prenons l'exemple d'une compagnie qui a des problèmes financiers, il y a alors un débat si une convention collective a préjudice sur la survie de la boîte. Il y a eu un débat il y a quelques années et il continue toujours.

Est-il raisonnable de penser qu'un mécanisme devrait être mis en place pour inciter les représentants du syndicat ainsi que le juge, de les inciter d'arriver à une entente et peut-être même avec le droit du juge sous réserve de satisfaire quelques conditions de remettre en cause l'application de la convention collective qui peut exister.

Vous savez que les Américains le permettent. Mais dans ce cas, les règles ne s'appliquent pas. La jurisprudence fait que les règles ne sont pas nécessairement suivies. Quelle est votre opinion à ce sujet?

M. Bélanger : Cette question a fait l'objet de beaucoup de controverses en jurisprudence. Il y a une décision de la Cour d'appel au Québec, dans l'affaire des mines Jeffrey, qui a conclu qu'on ne peut pas résilier une convention collective. Et vous verrez que c'est présenté de façon très brève et laconique dans nos soumissions. De façon générale, l'Institut d'insolvabilité n'appuie pas le mécanisme pratique qui a été mis en place pour le traitement des conventions collectives.

Je m'explique. Vous avez raison, le système américain permet, dans certains circonstances, la résiliation d'une convention collective, entre autres après avoir négocié de bonne foi et offert, à la partie du travail, une convention collective que la cour considère comme étant raisonnable.

En 2003, le Sénat et l'Institut d'insolvabilité du Canada appuyaient un système qui serait assez proche du système américain à cet égard. On ne peut pas traiter une convention collective comme n'importe quel autre contrat, tous sont d'accord là-dessus. Mais ce qui a déjà été fait dans la réforme, à notre avis, est déficient à deux égards.

Vous savez probablement que la réforme prévoit qu'on ne peut, en aucun cas, résilier une convention collective, et les pouvoirs de la cour sont limités à permettre l'envoi d'un avis de négociation. La première problématique qui se pose, à cet égard, c'est que le test qui est imposé pour forcer les parties à négocier nous semble trop onéreux dans ces circonstances. Il faut être en mesure de démontrer qu'il y a eu des négociations de bonne foi, que l'absence de négociations de la convention collective empêcherait un arrangement, et qu'il y aurait des préjudices irréparables qui seraient causés à l'entreprise.

Ce test était celui que recommandait le Sénat pour permettre la résiliation d'une convention collective.

Ici, tout ce qu'on permet, c'est l'envoi d'un avis de négociation, et d'un point de vue pratique, les parties n'ont pas l'obligation d'en arriver à un règlement.

Ce qui amène à la deuxième problématique : le système, tel que mis en place, n'a pas de finalité. Une fois que la cour a permis l'envoi d'un avis de négociation, si, après plusieurs mois, les parties n'en viennent pas à une entente, ils n'ont pas la capacité de retourner à la cour et de dire au juge qu'il doit arbitrer la situation afin d'en arriver à un compromis entre les employés et la partie patronale.

Ce n'est pas une position politique de la part de l'Institut d'insolvabilité du Canada. Ce qu'on rechercherait, c'était d'abord et avant tout une finalité à ce processus. Il doit y avoir une façon, ultimement, d'amener les parties à arriver à un règlement. Et dans une restructuration financière, les délais sont de rigueur. Si les négociations perdurent et qu'il n'y a pas un encadrement à ces négociations, comme cela s'est fait informellement dans des dossiers comme Air Canada, le processus risque de perdurer et d'empêcher la restructuration de se faire.

Parmi les suggestions pratiques faites par l'Institut d'insolvabilité du Canada à cet égard, on peut penser à un processus d'arbitrage final, où, après un certain temps, si les parties n'ont pas pu arriver à un règlement satisfaisant, ils retournent devant la cour ou devant un arbitre qui va déterminer et imposer une convention collective raisonnable.

Les employés sont les participants dans une restructuration; ils n'ont pas à subir tous les contrecoups de la restructuration, mais si un compromis leur est demandé, il faut pouvoir encadrer le contexte dans lequel se fait ce compromis.

Pour résumer, les deux problèmes qu'on évoque à cet égard, c'est un test trop onéreux pour l'envoi d'un avis de négociation et l'absence d'une finalité à ce processus.

Je ne sais pas si mes collègues aimeraient ajouter quelque chose à tout cela.

Le sénateur Massicotte : Êtes-vous tous d'accord avec cette position?

[Traduction]

M. Kent : Lorsque nous avons essayé, à l'institut, d'établir notre liste de questions à examiner en 2000-2001, j'avais personnellement recommandé de mettre de côté cette question particulière parce que les tentatives de réforme des années 1980 et 1990 avaient toutes échoué. Or nous étions impatients d'avoir des réformes dans d'autres domaines. Toutefois, lorsque nous avons tenu notre vote électronique — je présidais alors la réunion, en 2001 —, l'assemblée s'est prononcée en grande majorité en faveur d'une motion de la base qui proposait d'insister sur la réforme dont vous parlez.

Quand nous nous sommes présentés devant Industrie Canada en 2002, nous avons recommandé d'adopter des mesures semblables à celles des États-Unis. Nous avons été très heureux de constater que le Sénat avait formulé la même recommandation en 2003.

Il vaudrait la peine de poursuivre l'examen de cette question. J'ai lu avec intérêt les témoignages de nos amis syndicalistes. Nous n'avons rien contre les syndicats, mais nous savons d'expérience que, le plus souvent, les grandes sociétés syndiquées survivent de toute façon. Toutefois, nous avons aussi au Canada de nombreuses PME syndiquées. Beaucoup de gens pensent que ces entreprises sont peu susceptibles de se réorganiser aujourd'hui si elles ont des difficultés financières. Par suite de la réforme, elles ont beaucoup plus de chances d'être liquidées que d'être réorganisées.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Les représentants des syndicats importants étaient ici la semaine passée, et le premier point qui a été soulevé suite à cet argument, c'est que malgré la loi — ou le manque de clarté de la loi —, leurs intérêts sont mutuels : évidemment les employés veulent travailler et gagner un salaire pour se nourrir. L'intérêt pratique est tel qu'ils veulent trouver une solution, mais évidemment, trouver une solution est trop lié à l'intérêt ou aux motivations qui peuvent exister entre les deux parties.

L'ancienne loi n'était pas claire et peut-être que ce manque de clarté motivait le syndicat à en arriver à une solution. Est-ce que la nouvelle loi diminue les chances de règlement à l'amiable entre le syndicat et l'employeur ou le syndic comme tel?

[Traduction]

M. McCarthy : En Alberta, nous n'avons affaire qu'à peu de syndicats. Toutefois, cela nous arrive de temps en temps.

L'important, dans la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, c'est qu'il y a des groupes d'intervenants. L'objectif consiste toujours à créer entre eux une situation telle que chacun a suffisamment à gagner et suffisamment à perdre pour préférer régler les différends par négociation, avec un minimum d'intervention des tribunaux.

À mon sens, le tribunal exerce suffisamment de pressions pour que toutes les parties se sentent inconfortables, mais pas assez pour empêcher un règlement.

Comme M. Bélanger l'a clairement dit, la difficulté, maintenant, c'est que pour les syndicats, aucune solution ne peut être pire qu'un règlement négocié. Ils sont donc moins tentés de négocier. Il y a bien sûr un incitatif pour l'entreprise. Toutefois, en l'absence d'inconvénients, on court le risque qu'une situation pire ne se développe. Il est bien plus difficile d'être sûr qu'on aboutira un règlement. Il arrive, dans certains cas, que les gens n'arrivent pas à convenir d'une solution négociée et qu'il soit nécessaire d'en imposer une pour que tout le reste puisse avancer.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Monsieur le président, j'aurai peut-être d'autres questions à la fin, s'il reste du temps.

[Traduction]

Le président : Il y aura un deuxième tour de table.

Le sénateur Harb : Vous parlez des conventions collectives dans votre mémoire. Vous dites que vous continuez à avoir des réserves quant à l'aspect pratique des nouvelles règles proposées en matière de conventions collectives.

Pouvez-vous nous donner des détails à ce sujet?

Susan Grundy, membre de l'IIC et avocate chez Blake, Cassels & Graydon s.r.l., Institut d'insolvabilité du Canada : Je vais peut-être essayer de répondre à cette question.

Nous croyons qu'il est vraiment important d'en arriver à une solution aussi rapidement que possible dans le cadre d'une restructuration. Pour une entreprise, le fait d'être engagée dans un processus officiel d'insolvabilité n'est pas une bonne chose. Les clients ne veulent pas passer des commandes à une société s'ils ne sont pas sûrs qu'elle continuera d'exister. Les fournisseurs non plus ne sont pas intéressés à vendre à une entreprise qui risque de disparaître. Par conséquent, il est important que la restructuration se fasse rapidement parce que c'est ainsi que l'entreprise aura le plus de valeur. C'est une bonne chose pour les employés, pour les créanciers et, nous l'espérons, pour tout le monde.

Toutefois, le processus présenté dans le projet de loi C-12 peut faire obstacle à des négociations avec le syndicat. Il arrive que les difficultés d'une entreprise découlent en partie du fait que les propriétaires ont été plus généreux qu'ils ne pouvaient se le permettre envers leurs employés.

Ainsi, pour qu'il soit possible de vendre ou de restructurer l'entreprise, il faut qu'il y ait des négociations. Si toutes les conditions mentionnées par M. Bélanger doivent être satisfaites avant même que des négociations puissent être engagées, tout le processus est indûment retardé. Nous croyons qu'il est important que les pressions dont M. McCarthy a parlé soient présentes pour que le processus avance rondement et que les négociations aient lieu.

Notre organisation n'est pas hostile aux syndicats. En réalité, la plupart d'entre nous ont souvent traité avec eux. L'expérience que nous avons acquise ces dernières années nous permet de beaucoup mieux comprendre les problèmes et les préoccupations des syndicats et de leurs membres. Je dois dire, pour être juste, qu'ils connaissent bien la dynamique du processus d'insolvabilité, mais nous croyons qu'il est possible d'améliorer la situation.

Le sénateur Harb : Avez-vous formulé des recommandations sur la façon d'améliorer la situation? À votre avis, quels changements faut-il apporter aux modifications pour régler le problème?

Vous n'avez pas besoin de me répondre tout de suite. Si vous n'avez pas de réponse à donner, vous devriez peut-être y penser et présenter ensuite des recommandations au ministère, en nous en faisant parvenir une copie, pour expliquer comment on pourrait procéder.

M. Bélanger : La solution que nous préconisons consiste à prévoir une fin du processus. D'un point de vue pratique, ce serait une disposition en vertu de laquelle les parties pourraient se présenter à nouveau devant le tribunal pour lui demander de soumettre la question de la convention collective à un arbitrage obligatoire.

Au lieu de limiter le pouvoir du tribunal à l'envoi d'un simple avis de négociation, il faudrait permettre à l'entreprise de dire au tribunal qu'elle n'a pas réussi à négocier une convention collective satisfaisante avec le syndicat et qu'elle souhaite que la convention soit soumise à un juge ou à un arbitre ayant le pouvoir de trancher.

Si vous le permettez, je vais vous donner un exemple. Vous vous souviendrez peut-être que dans le cas d'Air Canada, le juge Farley avait dit aux parties que si elles n'arrivaient pas à s'entendre, il rendrait un jugement sur la question de savoir s'il était possible ou non de résilier une convention collective.

Cela me ramène encore à l'argument avancé par M. McCarthy. Si les parties savent qu'à défaut d'une entente entre elles, une solution sera imposée par un arbitre ou un juge, elles seront probablement plus tentées d'en arriver à un règlement à l'amiable que de se faire imposer une solution. Dans la situation actuelle, après l'envoi de l'avis de négociation, rien ne se passe vraiment en pratique.

Chose assez étrange, nous proposons indirectement que la loi soit conçue un peu comme l'avait dit le juge Farley : « Vous avez le choix : vous pouvez vous entendre et je vous renverrai au juge Winkler, ou bien je déciderai pour vous si, sur le plan juridique, une convention collective est résiliable. »

Bien entendu, dans ce cas, la convention collective ne peut pas être résiliée. Cela est clair, mais il faut quand même que le processus ait une fin.

Le sénateur Harb : Nous avons besoin de considérer un régime idéal... Mon collègue a mentionné le régime américain. De toute évidence, il y en a d'autres dans le monde. Les Européens ont beaucoup d'expérience dans ce domaine, de même que les Japonais et d'autres.

Pouvez-vous nous recommander d'examiner un régime particulier pouvant répondre tant aux besoins des actionnaires d'une société qu'à ceux de ses travailleurs? Avez-vous fait des recherches à ce sujet? Connaissez-vous un régime que vous jugez très bon et que nous pourrions adopter au Canada?

M. Kent : L'institut est d'avis que le régime américain, dans sa forme actuelle, constitue un bon modèle. Au départ, il était trop large, ce qui faisait craindre à certains qu'il ne prête à des abus. Il ne protégeait pas suffisamment les droits des travailleurs. Des pressions ont alors été exercées pour renforcer la position des syndicats et restreindre les pouvoirs des débiteurs.

Même si nous trouvons que c'est un bon régime, nous ne proposons pas que le Canada l'adopte tel quel. Je crois que votre comité a recommandé en 2003 une approche modifiée qui a été bien accueillie à l'institut. Si vous repreniez aujourd'hui les mêmes recommandations qu'en 2003, c'est-à-dire une adaptation du régime américain, elles seraient très bien accueillies.

Il y aurait des avantages pratiques à ce que le Canada ait un régime d'insolvabilité des entreprises qui soit compatible avec celui des États-Unis parce que beaucoup de nos sociétés ont des activités des deux côtés de la frontière. Nous pouvons être différents là où nous avons de bonnes raisons de l'être. En même temps, il peut être avantageux que les deux régimes aient des points communs.

Le président : Toutes les questions ont essentiellement porté sur l'opportunité de rouvrir les conventions collectives au même titre que tous les autres contrats en cas d'insolvabilité. Nous avons formulé des recommandations dans notre rapport de 2003, mais le gouvernement ne les a adoptées ni dans le projet de loi C-55 ni dans le projet de loi C-12.

Nous avons reçu des représentants des syndicats la semaine dernière. Vous dites que vous avez lu la transcription de leur témoignage. Vous savez donc qu'ils n'ont pas été très chauds à cet égard.

Si j'ai bien compris, vous envisagez peut-être un compromis que vous exposez dans votre document?

M. Bélanger : Le passage de notre mémoire concernant cette question est très bref. Les recommandations du comité au sujet du projet de loi C-55 sont beaucoup plus détaillées en ce qui concerne la solution proposée dont je parlais en réponse à la question du sénateur Harb.

Le sénateur Ringuette : Je voudrais revenir sur votre exemple d'Air Canada et de la position du juge Farley. Le cas d'Air Canada était très particulier parce que l'insolvabilité faisait suite au rachat d'une autre société. Il y avait donc deux séries de conventions collectives couvrant les pilotes, les équipes de maintenance, les gestionnaires, les agents, et cetera.

C'était donc une situation peu commune en matière d'insolvabilité. Vous connaissez probablement d'autres cas d'insolvabilité qui ont fait suite à une importante fusion. Pouvez-vous nous donner d'autres exemples qui confirment votre point de vue à ce sujet?

En ce qui concerne votre exemple d'Air Canada, il y avait une série de conventions collectives signées par le Canadien International avant la fusion et une autre série pour Air Canada elle-même. Les observations du juge découlaient de cette situation.

M. Kent : Madame le sénateur a raison. Air Canada était un cas assez spécial. Il était particulièrement compliqué à cause de la fusion qui avait eu lieu entre le Canadien International et Air Canada et de l'existence d'unités de négociation distinctes. Tous ces facteurs ont fait que la situation des employés était très difficile à régler.

Le cas d'Air Canada se distinguait aussi par son importance. Une grande partie de nos préoccupations au sujet des propositions faites découle, non du fait que le cas d'Air Canada était exceptionnel, mais de la situation de beaucoup d'autres entreprises qui ne sont pas aussi grandes et qui ne retiennent donc pas autant l'attention.

En Ontario, où il y a encore un certain nombre d'entreprises syndiquées dans le secteur manufacturier, les médias ont parlé très récemment de sociétés syndiquées qui ont été liquidées. On prétend, à tort ou à raison, que les occasions de négocier ont manqué, ce qui a entraîné l'échec du processus.

J'ai bien sûr eu à m'occuper de certaines situations. Il y a un cas qui s'est produit il y a assez longtemps pour que je puisse en parler. Il s'agissait de la société Alloy Wheels, qui était l'employeur privé le plus important de Barrie, en Ontario. Elle fabriquait des jantes pour l'industrie automobile. Auparavant, c'était une usine de montage Volkswagen.

L'entreprise avait été rachetée par des intérêts privés sud-africains. Elle a fonctionné pendant quelques années, puis a connu des difficultés financières. La direction a alors demandé des concessions à ses employés. Je crois que le syndicat a pensé, à ce moment, que la direction exagérait les difficultés de l'entreprise. Comme l'ont signalé les représentants syndicaux qui ont témoigné la semaine dernière, il arrive que la direction d'une entreprise exagère la gravité de la situation pendant qu'elle négocie avec le syndicat. Quoi qu'il en soit, les employés ont refusé d'accorder des concessions. La société a donc déposé son bilan sans essayer de se réorganiser et a été liquidée. La presse a fait état de quelques tristes histoires parce qu'il s'agissait de l'employeur le plus important de Barrie et qu'il n'y avait pas d'autres emplois à ce moment. Les journaux ont rapporté les propos de nombreux employés qui ont dit qu'ils auraient accepté de négocier s'ils avaient su que l'entreprise risquait de fermer ses portes. Le processus de négociation avait échoué. C'était en partie attribuable à la dynamique des syndicats, où ce sont les candidats qui se montrent les plus agressifs à l'endroit de la direction qui sont élus à la tête des sections locales. Il y a des organisations politiques efficaces qui sont établies pour bien négocier avec le patronat.

Les négociations impliquant de multiples parties constituent un problème en cas d'insolvabilité. Les fuseaux horaires et le rythme des négociations sont très différents. Beaucoup de syndicats ne mènent pas bien de telles négociations. C'est également le cas de nombreux créanciers aussi bien aujourd'hui que dans le passé. C'est un processus différent. Le problème, c'est qu'en l'absence d'un cadre défini, il arrive souvent que la négociation ne s'engage jamais.

Je me suis occupé, l'année dernière, du cas d'une société dont beaucoup de gens pensaient qu'elle serait liquidée. Le syndicat a rapidement convenu de convertir le régime de pension à cotisations déterminées en régime à prestations déterminées. L'entreprise a été réorganisée, mais quelques investisseurs ont refusé d'y laisser leur argent parce qu'ils ne croyaient pas que la réorganisation aurait vraiment lieu. Si le syndicat avait attendu une semaine ou deux de plus avant de donner son accord, l'entreprise aurait sûrement fermé ses portes.

Le sénateur Ringuette : Nous devons, à cet égard, considérer les aspects historiques. Nous devons également tenir compte de l'évolution des ressources humaines dans le monde. Vous conviendrez tous avec moi, je pense, que les produits fabriqués par la Chine et l'Inde ont eu des effets partout dans le monde et incitent fortement nos sociétés à réduire leurs coûts pour rester compétitives. Elles se voient donc dans l'obligation de baisser les salaires car c'est pour elles la seule façon de soutenir la concurrence. Pour moi, cela augure mal de l'avenir de l'insolvabilité. Nous pourrions en discuter pendant toute la nuit.

J'ai une autre question concernant le travail que fait le ministère sur la réglementation et les différents formulaires dont vous aurez à vous servir. Êtes-vous consultés à ce sujet? Nous avons parfois l'impression que les règlements sont aussi importants que les lois.

Mme Grundy : Oui, nous sommes consultés. Les responsables du ministère ont très bien collaboré.

Le sénateur Moore : Il y a quelques instants, le président a demandé si les questions restées en suspens au sujet du projet de loi C-55 ont été réglées dans le budget de l'année dernière. Monsieur Kent, vous avez dit que certains changements ont été faits, mais qu'ils n'étaient pas très éclairés et ne convenaient pas vraiment parce qu'ils ne correspondaient pas à ce que vous souhaitiez ou à ce qu'il aurait fallu faire. Pouvez-vous nous donner des détails et peut-être quelques exemples à ce sujet?

Le président : Disons, pour être clairs, que c'est un aspect très limité. Le projet de loi C-12 n'aborde pas toutes les questions qui se posaient au sujet du projet de loi C-55. Le gouvernement a cru bon d'agir rapidement dans un domaine précis. C'est une très bonne question.

M. Kent : Le gouvernement a essayé, dans le budget, de moderniser la législation sur l'insolvabilité en ce qui concerne les dérivés de crédit et d'autres types de transactions financières réciproques pour l'adapter dans une certaine mesure à l'évolution qui s'est produite dans ce domaine ailleurs dans le monde. Cette initiative découlait des pressions exercées par les gens qui s'occupent de ces produits. Elle était également importante du point de vue financier. Nous ne contestons pas la nécessité de ces changements. Une réforme s'imposait et, pour l'essentiel, ses objectifs étaient bons.

Il faut cependant se rendre compte que, chaque fois qu'un problème est réglé dans le monde de l'insolvabilité, la solution adoptée peut engendrer un autre problème. Les personnes qui apportaient une solution à un problème n'ont pas fait suffisamment attention aux nouvelles difficultés qu'ils suscitaient.

Le président : Ces problèmes subsistent encore dans le projet de loi C-12?

M. McCarthy : Oui. Nous avons présenté un mémoire à ce sujet, qui me tient particulièrement à cœur parce que je travaille surtout dans l'Ouest. Nous nous occupons beaucoup de contrats à terme et de dérivés de toutes sortes portant sur des produits de base, des contrats pouvant avoir une durée de 20 ans pour la livraison de gaz naturel, de pétrole ou d'électricité.

Le président : S'agit-il de marchés en contrepartie?

M. McCarthy : Certains sont en contrepartie, d'autres sont directs. Il y en a des deux genres. Ils sont pris dans cet enchevêtrement de dispositions sur les dérivés et sont classés, dans la législation sur l'insolvabilité, dans la catégorie des « contrats financiers admissibles ». La raison en est que ces contrats constituent un genre d'assurance contre la fluctuation des prix. Si vous avez signé un contrat avec une personne qui vous garantit un certain prix pendant une période donnée et que cette personne devienne insolvable et, partant, incapable de vous donner cette protection, il est juste de vous permettre de résilier immédiatement le contrat et de vous adresser à un autre fournisseur pour obtenir la protection dont vous avez besoin afin de stabiliser vos coûts futurs et de bien gérer votre entreprise.

Cela a été réalisé d'une façon très efficace dans le projet de loi C-12. C'est une amélioration par rapport au projet de loi C-55. La difficulté que je vois, cependant, c'est que des catégories de contrats qui ne peuvent pas être résiliés en vertu du projet de loi C-12 sont incluses dans les contrats financiers admissibles aux termes de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. J'ai pu moi-même constater cette situation dans un certain nombre de cas. Par exemple, un débiteur qui s'est engagé à vendre un produit à un certain prix peut, par suite de l'évolution du marché, se trouver dans l'obligation d'acheter ce produit à 12 $ pour le vendre à 6 $. Une telle situation entraîne souvent le dépôt d'une déclaration d'insolvabilité et une restructuration.

Si vous avez un contrat que vous ne pouvez plus gérer, vous avez la possibilité de le résilier, puis d'assumer les dommages-intérêts qui en découlent au même titre que les autres dettes que vous pouvez avoir. Toutefois, aux termes du projet de loi, dans sa forme actuelle, le débiteur ne peut pas résilier des contrats financiers admissibles. Si l'autre partie décide de les résilier, tout va bien; autrement, le débiteur doit assumer cette obligation toujours croissante sans avoir la possibilité d'y mettre un terme et d'ajouter l'autre partie à la liste de ses créanciers. De plus, l'obligation étant postérieure à la déclaration d'insolvabilité, elle pourrait ne pas être susceptible de faire l'objet d'un compromis. Il y a les obligations que le débiteur doit assumer, tout comme il paie le loyer de son bureau. À mon avis, il s'agit là d'un vice important, même s'il n'a qu'une portée restreinte.

Le sénateur Moore : En prenant votre exemple de garantie du prix d'un certain produit, supposons qu'un débiteur s'engage à payer 12 $, qu'il ait des difficultés financières par suite de l'évolution du marché et qu'il ne puisse plus payer que 6 $.

M. McCarthy : Je vais vous donner un exemple plus simple. Supposons que je me sois engagé à vous vendre de l'électricité à 2 $ le gigajoule. Tout à coup, le prix monte et je ne peux moi-même acheter cette électricité qu'à 6 $ le gigajoule. Si j'ai signé un contrat de 20 ans, il est évident que je ne peux plus continuer à vous approvisionner. Je suis en difficulté et je sais que je n'ai pas les moyens de vous fournir cette électricité. Je devrais donc avoir la possibilité de résilier le contrat.

Le sénateur Moore : En vertu de la loi actuelle, vous ne pouvez pas le résilier.

M. McCarthy : Je ne peux pas le résilier dans le cadre d'une restructuration.

Le sénateur Moore : Je reçois cette électricité à 2 $, puis vous me parlez du changement qui s'est produit. Il me semble que je serais malvenu d'insister sur le maintien de ce prix si je sais que vous devez vous-même l'acheter à 6 $. À quoi cela peut-il aboutir?

M. McCarthy : Le montant augmente constamment. C'est le problème.

Le sénateur Moore : Oui.

M. McCarthy : Nous devons trouver un moyen de permettre au débiteur de dire : « C'est assez. »

Le sénateur Moore : Le débiteur ou la personne qui utilise cette électricité est probablement au courant de l'évolution du marché.

N'est-il pas possible pour les deux parties de s'entendre? Le client va-t-il vraiment dire : « C'est bien dommage, mais je vais continuer à vous payer 2 $ pendant 20 ans. Je me fiche de ce qui peut arriver à votre entreprise ou à vos employés »? Est-ce là l'attitude courante? Le client ne tient-il pas compte de la situation financière difficile du débiteur?

M. McCarthy : Il y a deux possibilités dans un cas de ce genre.

Lorsque vous avez affaire à quelqu'un, vous devez tenir compte de tous les facteurs en jeu. Le client veut en général trouver une solution pour que son fournisseur survive et continue à le ravitailler. Toutefois, le secteur particulier des produits dérivés et des contrats à terme compte beaucoup de gens dont les objectifs sont strictement financiers et qui ne s'intéressent qu'au profit. Si la situation les place en position de force, ils vont essayer d'en profiter au maximum.

Le sénateur Moore : N'y a-t-il aucun moyen pour les fournisseurs d'un débiteur d'échapper à cette situation en vertu de la loi actuelle? Devraient-ils disposer d'un tel moyen? Je comprends pourquoi ils peuvent souhaiter avoir un moyen de s'en sortir. C'est assez évident.

M. McCarthy : Ils finissent par se dire : « J'ai six créanciers que je ne peux pas payer. Je devrais en avoir un septième, celui envers qui j'ai une obligation dont je ne peux pas m'acquitter. Je devrais pouvoir résilier ce contrat, déterminer les dommages qui en découlent et les ajouter à la dette que je dois à tous les autres. » Ainsi, tout le monde serait traité d'une façon équitable.

L'insolvabilité a un aspect étrange. Bien qu'elle fasse partie intégrante du darwinisme et du capitalisme, elle constitue en même temps un processus essentiellement collectif, un processus dans lequel chacun devrait être traité de la même façon. Nous devrions viser un régime dans lequel tous les titulaires de créances ordinaires non garanties devraient être traités exactement de la même façon. En un sens, la loi actuelle place certains créanciers dans une position de force. Vous avez parlé d'équilibre. Or les dispositions actuelles accordent à certains un avantage que ne possède aucun autre créancier ordinaire.

Le président : C'est un aspect très important. Comment pouvons-nous y remédier? Proposez-vous des dispositions précises dans votre mémoire?

M. McCarthy : Non, mais il existe une solution simple. Je peux vous donner le numéro des articles en cause.

Le président : Je vous serais reconnaissant de nous transmettre une note à ce sujet. Nous avons 28 témoins à entendre. Nous allons cependant produire un rapport.

Le sénateur Tkachuk : Si le fournisseur ne peut pas livrer le produit, que se passe-t-il en fin de compte?

M. McCarthy : Permettez-moi de vous donner un exemple simple. Je me suis engagé à vous vendre une voiture pour 1 000 $. Je vous dis ensuite que je ne peux plus le faire. Vous me répondez qu'une voiture comparable vous coûtera 5 000 $. Après avoir acheté cette voiture, vous pouvez me réclamer la différence. Votre réclamation de 4 000 $ s'ajoutera alors aux dettes dont j'aurai à m'occuper dans le cadre de ma restructuration.

Le sénateur Tkachuk : C'est ce que vous aimeriez voir dans la loi actuelle.

M. McCarthy : C'est ce qui figure dans la loi actuelle.

Le sénateur Tkachuk : C'est déjà prévu dans la loi actuelle?

M. McCarthy : C'est ainsi que les choses se font actuellement. Le principe, c'est que tous ceux qui n'ont pas été payés — pour des marchandises livrées la semaine dernière ou pour autre chose — devraient être traités de la même façon et obtenir le même montant, relativement parlant.

Le sénateur Massicotte : D'une façon générale, ceux qui élaborent les lois agissent dans l'intérêt des Canadiens. Nous avons des bureaucrates compétents, des fonctionnaires honnêtes et travailleurs. Je comprends votre point de vue, mais ces gens doivent avoir une bonne raison pour laquelle ils n'ont pas choisi votre solution. Telle que vous l'avez décrite, elle semble tellement évidente que je me sens obligé de réviser mon opinion quant à la compétence des fonctionnaires. Pourtant, je suis persuadé qu'ils ne sont pas incompétents. Pourquoi ont-ils agi comme ils l'ont fait?

M. McCarthy : J'ai l'impression qu'il s'agit d'un oubli. Je sais qu'il y a eu des pressions de la part des gens qui s'occupent de ces instruments financiers et qui veulent tout simplement que les choses soient faites à leur façon. Il est certain que des pressions ont été exercées. Je crois néanmoins que les responsables n'ont simplement pas tenu compte de certaines incidences.

Le sénateur Massicotte : Ainsi, si nous soulevons cette question, vous seriez prêt à parier qu'ils voudront immédiatement corriger la situation?

M. McCarthy : Il y aura quelques plaintes, mais j'espère bien que ce sera le cas.

M. Kent : C'est une bonne question parce qu'elle met en cause un aspect fondamental de l'insolvabilité. Nous vivons dans un monde de spécialistes, des experts en produits dérivés, et cetera. En situation d'insolvabilité, il est nécessaire d'avoir une vue d'ensemble et des connaissances assez générales. Nous sommes témoins des tensions qui existent entre spécialistes et généralistes.

J'ai appris l'expression « expert en la matière » chez AT&T dans son temps de gloire. La société avait des centaines voire des milliers d'experts en la matière. Ses dirigeants disaient que c'était trop parce qu'ils ne pouvaient plus rien faire sans obtenir l'accord de ces experts. Chacun d'entre eux était le seigneur et maître de son petit domaine et ne se souciait de rien d'autre. Les experts ne se préoccupaient pas du tout de l'ensemble.

En cas d'insolvabilité, nous devons considérer l'ensemble, mais nous sommes obligés, dans beaucoup de domaines, d'affronter des experts en la matière qui s'occupent fort bien de leurs propres problèmes, mais qui les règlent d'une façon qui cadre souvent mal avec l'ensemble. Nous avons ici un exemple de cette situation.

[Français]

Le sénateur Massicotte : La semaine passée, on a beaucoup parlé de faillite et d'abus avec des représentants syndicaux. Le public a souvent l'impression que les lois actuelles ou futures permettent les abus de la part de propriétaires d'entreprises, de présidents de compagnie manipulateurs ou rusés et que, conséquemment, la loi existe pour leur bénéfice à eux seuls.

Quelle est la réalité? Quand on sert cet argument, on dit qu'on ne laisse pas la discrétion aux juges, qu'ils ne connaissent pas bien l'entreprise et que cela peut donner lieu à de l'exagération. Y a-t-il beaucoup de fraudes? Doit-on faire quelque chose pour éviter la fraude? Y a-t-il un problème majeur à cet égard dans notre société?

[Traduction]

Mme Grundy : Je ne le crois pas. Dans la plupart des procédures d'insolvabilité, la faillite n'est qu'un dernier recours. D'après ma propre expérience, les entreprises travaillent très fort pour résoudre leurs problèmes par tous les moyens avant de recourir à l'insolvabilité. Bien sûr, la fraude existe. Nous en sommes parfois témoins, mais ce n'est pas très courant.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Pourquoi a-t-on souvent l'impression que, quand l'entreprise connaît des difficultés, il y a également beaucoup de perdants tels les petits créanciers, les banquiers ou les employés? Pour bien des gens, c'est le propriétaire qui bénéficie de la situation et qui continue à faire la belle vie avec sa grande maison et ses biens, malgré le fait que plusieurs aient subi une perte sur leur investissement. Est-ce que cette perception est fausse?

[Traduction]

Mme Grundy : Il arrive souvent que les travailleurs perdent leur emploi et ne reçoivent pas l'argent qui leur est dû comme indemnité de fin de service. Ils sont alors malheureux, ce qui les amène à nourrir des soupçons au sujet de ce qui s'est vraiment passé auparavant. Je ne crois cependant pas que les cas de fraude soient très nombreux.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Il arrive souvent aujourd'hui que des fonds de pension se retrouvent déficitaires. Cette situation est causée par le marché boursier, entre autres. Devrait-il y avoir des éléments particuliers pour compenser les pertes encourues par les futurs pensionnaires du fait que les entreprises manquent de fonds? Pensez-vous que les fonds de pension devraient être comblés prioritairement dans de telles situations?

M. Bélanger : Le projet de loi C-12 change de façon draconienne le projet de loi antérieur, C-281, qui suggérait une super-priorité pour les déficits actuariels des fonds de pension. Du point de vue de l'Institut d'insolvabilité du Canada, c'est une solution qui était non viable et qui aurait entraîné des conséquences sérieuses pour l'économie canadienne. À titre d'exemple, le déficit du fonds de pension de Stelco, à une certaine époque, était de l'ordre de 1,2 milliard de dollars. Si on créé une super-priorité pour une somme de 1,2 milliard de dollars pour une entreprise, cela enraye toute possibilité de financement dans notre pays. La solution proposée ici est beaucoup plus réaliste. Elle est relative à la non-remise aux fonds de pension. La création d'une super-priorité à cet égard ne règle pas le problème au complet. Mais parmi les représentations qu'on a déjà faites, les pays qui ont essayé de créer des super-priorités pour des déficits actuariels de fonds de pension, des pays sud-américains ont essayé, se sont cassé les dents. Ce fut un échec monumental.

La solution retenue est, évidemment, une dilution du projet de loi antérieur, qui est beaucoup plus réaliste. La problématique qui est liée, d'un point de vue plus technique à la super-priorité qui est créée, et vous le verrez dans nos représentations, c'est qu'il est probablement malheureux que la super-priorité couvre tous les éléments d'actifs d'une entreprise et qu'il n'y ait pas de montant maximal de cette super-priorité. Cela va créer une certaine incertitude sur le plan des prêteurs et, à certains égards, cela va limiter l'accès au crédit. On ne recommande pas d'enrayer cette super- priorité, mais il serait recommandable, entre autres, de limiter à des éléments d'actifs à court terme, soit les inventaires et les comptes à recevoir; d'exclure, à titre d'exemple, les dépôts bancaires et les sommes en espèce, et également de considérer de mettre un plafond maximal à la super-priorité pour créer un peu plus de certitude sur l'ampleur de ce montant.

Évidemment, les institutions financières vont modifier leurs règles de prêts en conséquence. Elles ne vont pas arrêter de prêter, elles vont simplement modifier leurs règles de prêts en conséquence. La création de cette super-priorité sur l'ensemble des éléments d'actifs, alors que la super-priorité pour les employés ne porte que sur les actifs à court terme, va amener plusieurs types de prêteurs à gérer leurs risques en conséquence alors qu'ils seraient plus efficaces qu'un seul groupe de prêteurs assument ce risque. Les prêteurs à long terme n'auraient pas à prendre en considération le risque lié à une super-priorité pour les fonds de pension.

De façon générale, on appuie cette idée, mais on pourrait améliorer la façon dont s'applique la super-priorité créée pour les fonds de pension à la façon de le faire.

[Traduction]

Le sénateur Goldstein : La loi prévoit un examen tous les cinq ans. Vous recommandez de ramener cette période à trois ans. Pensez-vous que l'examen devrait également s'étendre à la Loi sur la médiation en matière d'endettement agricole et à la Loi sur les liquidations et les restructurations?

M. Kent : Comme vous le savez, certains croient que la Loi sur les liquidations et les restructurations devrait faire l'objet d'un examen d'une forme ou d'une autre. Plusieurs mémoires de l'Institut appuient cette proposition. Comme vous le dites, il devrait y avoir un examen de toute la législation sur l'insolvabilité. Ce serait utile.

Le président : Y a-t-il des liens entre ces lois?

Le sénateur Goldstein : Elles traitent toutes de faillite.

L'institut a en fait réalisé une étude concernant la Loi sur les liquidations et les restructurations. Si je m'en souviens bien, c'était une très bonne étude qui a donné lieu à quelques recommandations. Pouvez-vous nous transmettre ces recommandations?

M. Kent : Nous ne les avons pas ici, mais nous pouvons certainement vous les faire parvenir.

Le président : Je vous remercie d'avoir comparu devant le comité.

Nous avons le plaisir d'accueillir notre témoin suivant, M. Mahesh Uttamchandani. Vous avez la parole.

Mahesh Uttamchandani, conseiller juridique principal et chef d'équipe de l'Initiative mondiale sur l'insolvabilité de la Banque mondiale, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Permettez-moi tout d'abord de dire à tous les membres du comité que je suis très honoré de comparaître aujourd'hui.

Le sénateur Goldstein : Monsieur le président, j'ai une autre déclaration à faire avant que nous allions plus loin. Il me revient que j'ai participé, dans le passé, à plusieurs études de la Banque mondiale, qui a publié certains de mes textes. Je travaille actuellement sur une autre de ces études, de concert avec un associé de mon bureau, sauf que je le fais à titre bénévole. Je ne crois pas que cela influe d'une façon quelconque sur mon évaluation du témoignage que nous allons entendre.

Je tenais à faire cette déclaration.

Le président : Merci, sénateur. Nous avons pris note de votre déclaration. Vous déciderez vous-même de l'opportunité de déposer un formulaire.

Le sénateur Goldstein : Oui, monsieur.

M. Uttamchandani : Je dois dire que même si je remplis actuellement les fonctions de chef de l'Initiative mondiale sur l'insolvabilité de la Banque mondiale, qui conseille les gouvernements nationaux sur les régimes d'insolvabilité, les questions afférentes et les droits des créanciers, je comparais aujourd'hui devant le comité à titre strictement personnel, comme avocat canadien ayant exercé au Canada pendant plusieurs années et comme expert ayant acquis des connaissances étendues sur les régimes d'insolvabilité de différents pays du monde.

Par conséquent, les propos que je tiendrai devant le comité aujourd'hui ne reflètent pas nécessairement le point de vue de la Banque mondiale, de ses directeurs exécutifs ou des pays actionnaires.

Le président : J'ai toujours cru que la Banque mondiale avait son siège à Washington. Vous êtes un avocat canadien spécialisé dans les faillites. Travaillez-vous à Washington?

M. Uttamchandani : Oui, monsieur le président. J'ai travaillé pour un cabinet d'avocats torontois pendant quelques années. J'ai été auxiliaire juridique au Rôle commercial de Toronto lorsque j'étais étudiant. Par la suite, j'ai dirigé le bureau d'insolvabilité de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement à Londres. Je me suis établi à Washington il y a deux ans pour assumer mes fonctions actuelles à la Banque mondiale.

À titre d'expatrié, je suis très heureux de rentrer dans mon pays et d'avoir l'occasion de comparaître devant votre comité. Je tiens également à remercier le sénateur d'avoir correctement prononcé mon nom dès la première fois. Je vous en suis très reconnaissant.

J'espère pouvoir présenter au comité quelques renseignements sur les développements qui se sont produits dans le monde en matière de législation sur l'insolvabilité, dans la mesure où ils se rattachent aux questions que le comité examine. Je vous ai fourni des exemplaires, dans les deux langues officielles, du document de la Banque mondiale intitulé Principes régissant le traitement de l'insolvabilité et la protection des droits des créanciers. Ce document, ainsi qu'un autre intitulé Loi type de la CNUDCI sur l'insolvabilité internationale et Guide pour son incorporation, constituent les deux principaux instruments normatifs pour l'élaboration des lois nationales sur l'insolvabilité.

Depuis la dernière révision importante de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (LFI) et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) en 1997, la communauté internationale a uni ses efforts pour mettre au point des principes généraux de conception des régimes d'insolvabilité. Ce travail, qui a commencé en 1999, a fait suite aux crises financières qui ont secoué l'Asie dans cette décennie. Il a entraîné la création du Forum sur la stabilité financière et du programme d'Architecture financière internationale, initiatives spéciales du G8, dont le Canada fait évidemment partie.

Ces initiatives se fondaient sur la conviction que de bons régimes d'insolvabilité non seulement favorisent l'investissement et la croissance, mais constituent aussi une soupape de sécurité pour les entreprises en cas de grandes difficultés et permettent d'éviter des crises systémiques généralisées. Les principes de la Banque mondiale ont été élaborés dans le cadre d'un effort conjoint avec des organisations partenaires comprenant la Banque asiatique de développement, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, le Fonds monétaire international et l'Organisation pour la coopération et le développement économiques. Le Canada est représenté dans toutes ces organisations.

Même si les principes, comme vous pourrez le constater, vont au-delà de la lettre de la loi et s'étendent à de nombreuses questions pratiques de mise en œuvre, je suis heureux de noter qu'à mon avis, le chapitre 47 des Lois révisées du Canada de 2005 est généralement compatible avec les normes et les pratiques exemplaires internationales. Cela étant dit, quelques aspects de la législation canadienne devraient faire l'objet d'un examen plus avancé, comme l'ont noté les orateurs précédents.

Le président : Excusez-moi de vous interrompre, monsieur. Nous aimerions bien comprendre votre point de vue sur le chapitre 47, c'est-à-dire le projet de loi C-55, que nous avons reçu après son approbation de principe, à titre de première tentative du gouvernement de régler le problème de l'insolvabilité. Avez-vous bien dit que le cadre général et les principes du projet de loi sont bons et que les problèmes que nous y avons trouvés par la suite et que nous avons exposés dans le projet de loi C-12 sont de nature technique et ne touchent pas au fond de cette mesure? Est-ce bien là à ce que vous essayez de nous dire? J'ai immédiatement dressé l'oreille quand je vous ai entendu déclarer que le gouvernement n'avait pas manqué son coup dans le projet de loi C-55.

M. Uttamchandani : J'ai l'impression que le chapitre 47, tel que modifié par le projet de loi C-12 — ce qui représente la situation actuelle —, est généralement compatible avec les pratiques exemplaires. Si je dis « généralement compatible », c'est parce que nous avons essayé, dans les principes de la Banque mondiale, de déterminer les fonctions que la loi doit remplir, mais non la façon de procéder pour le faire. Dans le cadre de ces fonctions, le gouvernement fédéral a d'innombrables choix à faire pour favoriser tel objectif ou tel autre. Quand il s'agit de donner officiellement des conseils, nous sommes d'avis que, tant que le régime d'insolvabilité peut atteindre ces grands objectifs, la législation peut être considérée comme compatible avec les pratiques exemplaires, même s'il reste d'importantes questions à régler. Je reviendrai sur ce point.

Le président : Malgré cela, la législation existante ne permet pas de rouvrir des conventions collectives dans le cadre d'une restructuration. L'orientation canadienne est-elle compatible avec les pratiques exemplaires même si elle s'écarte du régime américain?

M. Uttamchandani : Sur cette question précise, je crois que l'orientation adoptée, qui peut être discutable, n'a pas des effets tels qu'on puisse la déclarer incompatible avec les normes internationales.

Le gouvernement a choisi cette orientation, dont on peut discuter. Je ne prétends pas du tout qu'il faille clore cette discussion. Je dis simplement que, d'une façon générale, l'orientation est compatible avec les pratiques exemplaires. Dans son témoignage de tout à l'heure, M. McCarthy a parlé de l'étape suivante ou de l'étape qui se poursuit actuellement. Il vaut certainement la peine d'examiner certains aspects.

Même si ce sont des mesures législatives intérieures à appliquer au Canada, l'environnement mondial a tellement évolué depuis les dernières grandes modifications de la LFI et de la LACC que les lois nationales sont examinées de près par diverses organisations internationales et différents intervenants, y compris des investisseurs, des agences de notation et des organismes d'analyse comparative. Beaucoup de ces groupes ont adopté une approche binaire simpliste dans leur classification des régimes d'insolvabilité, particulièrement en ce qui concerne le paiement des créanciers garantis ou l'existence d'un rang inférieur à la priorité absolue en cas de faillite, le traitement des conventions collectives et la capacité du tribunal chargé de superviser une restructuration de résilier des ententes.

Les intervenants internationaux observent ce que fait le Canada. Je le dis, non pour suggérer que le Parlement devrait être influencé par la présence de ces intervenants, mais simplement pour souligner que les orientations que nous choisissons ne passent pas inaperçues et peuvent donner lieu à des réactions. Il y a certainement des gens qui portent des jugements sur les décisions que nous prenons. Et ces jugements peuvent être fondés sur des critères que nous pourrions trouver plutôt simplistes.

Un examen objectif de la loi fait ressortir deux grands thèmes. Premièrement, la loi cherche à établir un certain équilibre entre les risques et les fardeaux de l'insolvabilité, qui ont fait l'objet de longues discussions et sont mis en évidence par les aspects de la loi traitant des réclamations des employés, de la cession des contrats et de toutes sortes d'autres réclamations. Deuxièmement, la loi reflète une dizaine d'années de jurisprudence et de pratique, au cours desquelles le domaine de l'insolvabilité a sensiblement évolué au Canada, notamment dans les dispositions portant sur le séquestre intérimaire, le financement du débiteur-exploitant ou financement DIP et même le pouvoir qu'a le tribunal de destituer des administrateurs dans le cadre d'une restructuration.

À titre de stagiaire en droit dans l'un des plus importants tribunaux commerciaux du Canada, où j'ai surtout travaillé pour les juges Farley et Blair, j'ai eu l'occasion de constater la haute qualité du processus judiciaire canadien. L'impression que je me suis faite dans mes premières années d'exercice du droit n'a fait que se renforcer lorsque j'ai eu l'occasion de travailler dans de nombreux pays qui cherchent à donner à leur appareil judiciaire une place égale à celle de l'exécutif et du législatif.

Quoi qu'il en soit, le fait que ces éclaircissements soient fournis indépendamment de la discussion de leur valeur intrinsèque constitue, à mon avis, une amélioration très opportune du cadre législatif canadien.

On a beaucoup parlé de la substance des deux thèmes que j'ai mentionnés, aussi bien devant votre comité que dans le domaine public. Je ne m'appesantirai pas sur les points de vue exprimés, mais je voudrais noter que, même dans la courte période qui s'est écoulée depuis l'adoption du projet de loi C-55, plusieurs questions importantes se sont posées sur la scène internationale dans le contexte de l'insolvabilité et de la conception des régimes d'insolvabilité. Je crois qu'il est important pour le Canada de rester à l'avant-garde au sujet de ces questions. Je voudrais parler de ces tendances dans l'optique de l'examen actuel.

La première tendance est l'énorme croissance de l'utilisation des dérivés de crédit. Nous avons malheureusement dû nous familiariser avec le concept des titres de dette garantis et leurs effets systémiques par suite de la crise qui se manifeste aux États-Unis dans le domaine des hypothèques à risque. L'utilisation très répandue des swaps sur défaillance pourrait cependant créer des problèmes d'une gravité égale sinon supérieure.

Aujourd'hui, les investisseurs acquièrent des intérêts dans une société en ciblant des couches simples ou multiples de dette. Il est difficile de prévoir les mesures qu'ils vont prendre en fonction de leur intérêt, surtout s'ils détiennent aussi des swaps sur défaillance. Selon leur position, ils pourraient bien trouver avantageux de favoriser une défaillance. Le problème est aggravé par le fait que les créanciers n'ont pas à divulguer leur position en matière de dérivés. Il est ainsi beaucoup plus difficile de discerner leurs vraies intentions.

Une étude récente de Henry Hu et Bernard Black, professeurs à l'Université du Texas — que je serais heureux de transmettre au comité —, aboutit à la conclusion qu'en séparant les droits contractuels et les droits relatifs à la faillite de la propriété économique, on court le risque de provoquer d'importantes crises systémiques, tant pour les débiteurs et les créanciers individuels que pour l'ensemble du système financier.

Certains créanciers peuvent avoir intérêt à ce qu'une société soit liquidée ou qu'elle négocie un arrangement de faillite ou autre. Les créanciers ne peuvent pas toujours comprendre les intérêts et les motivations d'autres créanciers. Les juges siégeant en faillite sont dans la même situation car ils ne peuvent pas toujours déterminer où réside l'intérêt de chacun.

La plupart sinon la totalité des régimes juridiques actuels se fondent sur l'hypothèse que les créanciers ont intérêt, en cas d'insolvabilité, à exercer leurs droits de façon à réduire les coûts des difficultés financières. Sur le plan des politiques, il devient critique de mieux comprendre comment et à quel moment se produit la séparation entre l'intérêt économique et les droits juridiques pour déterminer les mesures à prendre. Celles-ci peuvent comprendre une forme ou une autre d'obligation de divulgation dans le cadre d'une restructuration. Il pourrait être prématuré de proposer des mesures concrètes de ce genre, mais il est certain que cette question prendra beaucoup d'importance dans quelque temps.

La deuxième tendance a trait au traitement des groupes de sociétés. Au Canada comme ailleurs dans le monde, la forme dominante d'organisation commerciale, dans la catégorie des moyennes et grandes entreprises, consiste en deux ou plusieurs entités formant un groupe. Les sociétés s'organisent cette façon pour différentes raisons liées au régime fiscal ou au commerce transfrontalier.

Pourtant, la plupart des régimes nationaux d'insolvabilité sont conçus en fonction d'un débiteur indépendant et ne prévoient pas les situations très particulières qui se présentent lorsqu'un groupe de sociétés est en cause dans une affaire d'insolvabilité.

La Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, ou CNUDCI, dont le Canada est membre, a récemment commencé à examiner cette question en vue de formuler des recommandations sur la façon dont les lois nationales devraient prévoir le regroupement des successions insolvables soit sur le plan de la procédure soit sur le plan du fond. Il s'agit donc de déterminer dans quelles circonstances il convient de regrouper l'actif et le passif de successions insolvables liées.

Entre-temps, le gouvernement australien a déposé un projet de loi traitant de cette question dans le contexte étroit des faillites et des liquidations et prévoyant des lignes directrices destinées à aider les juges chargés de telles affaires à déterminer les conditions dans lesquelles il y a lieu de regrouper ces successions.

Encore une fois, c'est un domaine dont les tribunaux canadiens se sont occupés d'une façon que beaucoup de gens ont trouvé satisfaisante, comme vous le diront les experts. Des directives législatives deviendront néanmoins importantes à cet égard parce qu'il conviendra d'intégrer dans la législation actuelle la jurisprudence établie aux cours des dix dernières années.

La troisième tendance qui se manifeste concerne la croissance des produits financiers islamiques. C'est l'un des domaines qui se développent le plus rapidement dans le secteur financier mondial. Maintenant que le prix du baril de pétrole se situe aux alentours de 100 $, les pays riches en pétrole ont énormément d'argent à investir et beaucoup d'entre eux cherchent des investissements conformes à la loi islamique.

Le président : Est-ce que cela correspond à ce qu'on appelle les fonds souverains ou bien est-ce différent?

M. Uttamchandani : Il peut s'agir de fonds souverains, mais ce n'est pas toujours le cas. Il y a souvent des investisseurs privés qui placent leurs fonds dans le cadre de souscriptions privées ou même de fonds spéculatifs.

Le président : Sont-ils assujettis à cette loi?

M. Uttamchandani : C'est une question d'offre et de demande. Beaucoup d'investisseurs recherchent ces produits. À l'heure actuelle, la demande connaît une croissance exponentielle.

Les banques commerciales du Royaume-Uni et des États-Unis ont commencé à offrir des produits de financement conformes à la loi islamique tant à des particuliers qu'à des PME.

En 2006, une émission d'obligations islamiques de 165 millions de dollars — c'est ce qu'on appelle Sukuk dans la loi islamique — a eu lieu aux États-Unis. Les vannes ont commencé à s'ouvrir : la croissance de ces produits est vraiment exponentielle.

Au Canada, la demande augmente, ce qui a amené la plupart des grandes banques commerciales à s'intéresser à ce domaine. Dans les six derniers mois, beaucoup de fonds de petite envergure ont été établis au Canada pour investir d'une façon considérée conforme à la loi islamique.

Il est difficile de déterminer à ce stade quels genres de problèmes surgiront lorsqu'il faudra appliquer la législation occidentale sur l'insolvabilité à des produits financiers islamiques, surtout parce que ceux-ci ont tendance à confondre les notions traditionnelles de dette et de capitaux propres. Ils peuvent par exemple permettre à un prêteur d'assumer un rôle de gestion par rapport à l'emprunteur. Notre législation actuelle n'est pas très favorable à de telles situations du point de vue de la subordination ou du préjudice porté à d'autres créanciers.

On pourrait ainsi soutenir que si une banque assume un rôle de gestion dans une entreprise qu'elle mène à la faillite au détriment d'autres créanciers, elle devrait assumer une part de responsabilité.

Je ne dis pas que nos lois doivent nécessairement couvrir ces produits très particuliers, mais il faudrait reconnaître qu'ils augmentent très rapidement et qu'il y aura à un moment donné interaction entre ces produits et notre régime d'insolvabilité.

Enfin, la dernière tendance, si je peux l'appeler ainsi, est la coopération internationale. Bien entendu, le projet de loi C-55 en tient compte. En fait, je ne crois pas que ces éléments aient changé dans le contexte de l'adoption d'une certaine forme de la Loi type de la CNUDCI sur l'insolvabilité internationale. Le Canada se joint à 13 autres pays, dont le Royaume-Uni, les États-Unis et le Japon, qui ont aussi adopté une forme de cette loi type.

Il existe de nombreux documents sur les distinctions entre la Loi type de la CNUDCI et la version adoptée par le Canada. Je n'en parlerai pas ici. Je crois personnellement qu'on leur a accordé trop d'importance. Il est cependant important de considérer ce qui s'est produit dans le domaine de la coopération internationale depuis le dépôt initial du projet de loi C-55.

Nous avons de nombreux exemples à examiner, tant parce que 13 autres pays ont adopté une forme de la loi type que parce que les 27 États membres de l'Union européenne sont régis par une directive sur l'insolvabilité internationale dont les principaux aspects correspondent à ce qui figure dans le projet de loi C-55 et le chapitre 47.

Notre législation actuelle — de même que le chapitre 15 des États-Unis, la directive de l'UE et la Loi type de la CNUDCI — traite du concept de « centre des intérêts principaux ». Au cours d'une procédure d'insolvabilité, le tribunal doit déterminer où se situe le centre des intérêts principaux de l'entreprise en cause. La décision prise à cet égard dicte dans une grande mesure s'il faut appliquer les lois américaines ou canadiennes pour régler différents aspects de la restructuration.

La réglementation de l'UE a été adoptée dans le but de réduire les recherches visant à trouver le régime national le plus favorable et de permettre aux intéressés de s'adresser au tribunal du pays le plus commode pour eux en sachant que les tribunaux des autres pays respecteront dans une certaine mesure ses décisions.

En pratique, c'est le contraire qui s'est produit parce que différents tribunaux européens ont rendu un certain nombre de décisions irréconciliables. Par exemple, un tribunal néerlandais a statué que la présomption selon laquelle le centre des intérêts principaux correspond à l'emplacement du siège social ne peut être réfutée que si l'entreprise n'a absolument aucune activité dans le pays en cause. La présomption est donc extrêmement difficile à réfuter. Pour leur part, les tribunaux britanniques considèrent que ce n'est là qu'un des nombreux facteurs à prendre en compte, comme l'endroit où ont lieu les activités bancaires, le lieu où les factures sont établies, et cetera.

La longue histoire des cas transfrontaliers entre les États-Unis et le Canada est probablement la plus riche du monde. D'une façon générale, l'expérience à cet égard a été très satisfaisante. L'adoption du chapitre 15 aux États-Unis et les modifications apportées au Canada à la LFI et à la LACC ne devraient pas nécessairement nuire à cette situation. Toutefois, comme en Europe, ces nouvelles dispositions mettront probablement en évidence les différences de base qui existent entre les régimes d'insolvabilité des deux pays. Comme la détermination du centre des intérêts principaux dicte le choix des lois qui s'appliquent, la portée des décisions prises à cet égard prendra de plus en plus d'importance à mesure que l'écart entre les deux régimes se creusera.

Je vais m'arrêter là. Je serais maintenant heureux de répondre à toute question. J'ai voulu aborder tous ces points devant le comité pour qu'il s'en serve soit dans un proche avenir soit dans le cadre de son étude à long terme de cette législation.

Le président : Je voudrais vous remercier de nous avoir présenté ces arguments et commentaires pleins d'érudition sur les aspects généraux de la législation sur la faillite et l'insolvabilité.

J'ai l'impression que votre organisation s'efforce d'assurer la plus grande uniformité possible entre les différents pays qui ont une législation sur la faillite et l'insolvabilité. Vous avez évoqué les questions importantes qui se posent actuellement à l'échelle internationale.

Si j'ai bien compris, vous êtes venu au comité non pour recommander des changements précis à apporter au projet de loi C-12, dans le cadre de l'examen législatif plutôt banal que nous avons entrepris, mais plutôt pour nous amener à un autre niveau. Est-ce bien le cas?

M. Uttamchandani : Sénateur, j'aimerais préciser un ou deux points.

Pour ce qui est l'uniformité, l'institution pour laquelle je travaille et moi-même croyons au contraire que chaque pays doit trouver le régime d'insolvabilité qui lui convient pour atteindre certains objectifs — par exemple, faciliter la restructuration ou assurer la transparence au cours d'une liquidation — et qui cadre bien avec sa propre culture juridique. Les solutions possibles sont très nombreuses.

Comme je le signale souvent à mes collègues américains, la restructuration et le recours au chapitre 11 sont deux choses différentes. Les pays procèdent de différentes façons et beaucoup prennent le régime canadien comme modèle. Par conséquent, nous ne cherchons pas vraiment à faire l'uniformité.

Le président : J'aurais peut-être dû parler d'une série de pratiques exemplaires fondées sur certains principes.

M. Uttamchandani : Absolument.

Personnellement, je partage beaucoup des préoccupations exprimées par les témoins précédents. Comme vous l'avez signalé, mon exposé est axé sur les mesures que le comité ou le gouvernement voudront prendre à l'avenir.

Certaines des nouvelles questions importantes qui se posent, et surtout le traitement des groupes de sociétés et l'utilisation des produits dérivés, concernent le court terme plutôt que le moyen terme, si je peux m'exprimer ainsi. S'il y avait un moyen de maintenir tous les avantages de la législation actuelle tout en poursuivant immédiatement l'étude des réformes possibles, je recommanderais sans doute de l'adopter.

Je soupçonne que ce n'est pas très réaliste, mais je suis persuadé que ces questions devront être réglées à brève échéance.

Le sénateur Massicotte : Je sais que vous vous intéressez aux concepts généraux, mais étant un expert de ce domaine, vous avez certainement connu ce genre de situation dans d'autres pays. Je suis persuadé que le processus ou l'objectif est partout le même : Une société qui n'a pas suffisamment de fonds pour honorer ses obligations essaie de déterminer la répartition la plus équitable de ce qui lui reste entre les créanciers qui doivent subir les conséquences de l'insuffisance des fonds disponibles ou de la faillite.

Dans le contexte de cet objectif d'équité, pouvez-vous me dire comment les autres pays ont réglé le problème des conventions collectives? Nous savons comment les Américains ont procédé, mais j'aimerais que vous abordiez la question sur le plan des principes. De toute évidence, les employés ne devraient pas être traités comme des créanciers ordinaires. Comme leur gagne-pain dépend du succès de l'entreprise, les risques qu'ils courent ne sont pas diversifiés. Dites-moi ce que vous en pensez. Comment pouvons-nous agir différemment et pourquoi?

M. Uttamchandani : Il faut comprendre que l'accès au financement est le premier facteur qui amène la plupart des pays du monde à aborder cette question dans leur législation. L'accès au financement est, pour de nombreux pays, le facteur essentiel à considérer en situation d'insolvabilité. Ils essaient donc de faire en sorte que le régime d'insolvabilité facilite dans une certaine mesure l'accès au financement ou, du moins, qu'il n'y fasse pas obstacle.

Dans beaucoup de pays, cela se traduit par une priorité absolue des droits des créanciers garantis. C'est peut-être une fiction, mais en théorie, chacun négocie en connaissant ses droits. Cela étant, le résultat devrait être équitable. Nous savons tous en fait que, dans les relations commerciales, les pouvoirs de négociation ne sont pas égaux. N'empêche, dans la plupart des pays, c'est le premier facteur qui joue.

Le modèle américain est sans précédent, le chapitre 11 étant plutôt unique en son genre. Il est cependant probable qu'il se rapproche le plus de notre régime. Le projet de loi actuellement à l'étude en Australie est dans une grande mesure modelé sur le système américain.

Les pays dits avancés, dont le régime est le plus semblable au nôtre, estiment qu'il vaut mieux laisser aux tribunaux la plus grande marge de manœuvre possible. Comme je l'ai déjà dit, nous avons la chance d'avoir un appareil judiciaire manifestement exemplaire. J'ai pu constater que c'est plutôt l'exception que la règle ailleurs dans le monde. On estime donc que si ces outils sont mis à la disposition d'intervenants compétents, les résultats seront généralement satisfaisants.

Je partage le point de vue des témoins précédents : la solution ne peut pas consister à dire simplement que les conventions collectives peuvent être résiliées. Il faudrait plutôt prévoir un moyen de faire aboutir le processus de façon à assurer un certain équilibre.

Le sénateur Massicotte : Vous venez de dire que le facteur essentiel, en matière de régimes d'insolvabilité, est l'accès au financement. Il s'agit bien de l'accès initial, au moment où la société en a besoin, n'est-ce pas?

M. Uttamchandani : Oui, c'est exact.

Le sénateur Massicotte : Les États-Unis et le Canada considèrent qu'il est important de chercher à assurer la survie de la société en cas de difficultés financières. L'objectif est donc d'augmenter les emplois, de favoriser la croissance, et cetera.

Vous avez dit que, dans l'optique du premier objectif, c'est-à-dire l'accès au financement, il faut veiller à ce que les règles soient très claires et à ce que chacun connaisse les risques et sache à quoi s'en tenir en cas de difficultés. Permettez-moi d'examiner ce critère.

On pourrait répondre à cet objectif en disant : « Ne touchons pas aux conventions collectives. » En fait, c'est ce que prévoit notre législation actuelle. On peut soutenir que ce fait est très clair. Est-ce que cela peut nuire à l'accès au financement? De toute évidence, les créanciers garantis s'opposent à cette disposition qui peut réduire le montant qu'ils seront en mesure de récupérer, mais la disposition est très claire. Va-t-elle à l'encontre de leurs intérêts économiques? Peut-elle nuire au pays lui-même? Cela semble contredire ce que vous avez dit au sujet de l'Australie.

M. Uttamchandani : L'accès au financement a deux composantes : la clarté et le caractère absolu de ce que les règles prévoient ou ne prévoient pas. Pour de nombreux pays, plus le risque pris par les créanciers garantis est important, plus il sera difficile pour l'entreprise d'obtenir du financement. Les prêteurs attribuent un prix au risque, un prix qui pourrait mettre le financement hors de la portée de la plupart des petites entreprises.

Le sénateur Massicotte : Le Canada et les États-Unis sont avancés en matière de financement. Je sais qu'il est difficile d'obtenir du financement dans beaucoup de pays en développement. Ils doivent par conséquent prévoir une protection ou des encouragements au départ pour le faciliter. Les titres fonciers et l'enregistrement des garanties ne sont évidemment pas très clairs.

Croyez-vous que les dispositions législatives proposées au Canada nuiront au financement des nouvelles et des jeunes entreprises?

M. Uttamchandani : Je crois que ces dispositions se répercuteront le plus sur le choix du Canada comme destination d'investissements. Si la préservation des conventions collectives devient le facteur dominant de la restructuration aux termes de la loi, le Canada pourrait devenir moins attrayant pour les investisseurs. Je ne crois pas du tout qu'il faille imposer aux employés un fardeau indu puisqu'ils sont déjà touchés par le processus. Pour moi, c'est plus une question de forme que de fond. S'il n'y a pas un moyen de faire aboutir le processus, il court à l'échec, comme l'a dit M. Kent. L'orientation choisie est parfaitement légitime, mais il faudrait peut-être développer davantage le processus.

Le sénateur Massicotte : Il faudrait, d'une façon ou d'une autre, inciter davantage les parties à parvenir à un règlement.

M. Uttamchandani : C'est exact.

Le sénateur Goldstein : La publication de la Banque Royale du Canada sur les affaires, à laquelle j'ai contribué dans le passé, continue à insister sur l'impunité relative ou absolue des créanciers garantis et sur l'importance qu'il y a à ne pas restreindre leur capacité d'exercer leurs droits.

Personne n'a évoqué cette question, mais nous avons commencé à affaiblir quelque peu cette position en accordant une super-priorité à certains éléments d'actif à court terme, qui empiéterait nécessairement sur une banque ou une autre institution financière, pas toujours, mais dans beaucoup de cas. À votre avis, cela peut-il resserrer le crédit ou nuire aux investissements faits au Canada par des tiers ou par des étrangers?

M. Uttamchandani : Je ne le crois pas. J'ai pu constater, à l'époque où je représentais des institutions financières à titre privé, que les banques canadiennes surveillent d'une façon extrêmement efficace leurs emprunteurs. Ces dispositions pourraient légèrement accroître le coût de cette surveillance, si les banques doivent veiller à ce que les emprunteurs honorent tous leurs engagements. Nous avons déjà pu le constater dans le cas de la TPS et d'autres obligations super-prioritaires. C'est le résultat le plus probable.

L'insistance sur la priorité absolue des créanciers garantis est caractéristique d'une économie très sous-développée, qui cherche à augmenter l'accès au financement, plutôt que d'économies comme la nôtre qui doivent tenir compte de multiples facteurs complexes.

Le sénateur Goldstein : Vous savez probablement que Bruce Leonard, de l'Institut international d'insolvabilité, viendra nous parler de la Loi type de la CNUDCI sur l'insolvabilité internationale, que nous avons effectivement adoptée à deux exceptions près.

Je voulais donc vous demander, avant qu'il vienne, si vous êtes préoccupé par le fait que le Canada s'est écarté de la loi type et du chapitre 15 des États-Unis en insistant sur la réciprocité et sur la protection de différents créanciers intérieurs.

M. Uttamchandani : Ces deux aspects ne me préoccupent pas. J'ai cependant l'impression qu'il y a une omission en ce qui concerne l'article 28 de la loi type concernant la possibilité d'ouvrir deux procédures principales. Cela pourrait causer une certaine confusion.

Le sénateur Goldstein : Cette omission n'est pas accidentelle, mais nous examinerons cette question lorsque M. Leonard viendra témoigner.

Le président : Auriez-vous l'obligeance de nous éclairer à ce sujet?

Le sénateur Goldstein : Je ne suis pas un témoin.

Le président : Il est maintenant consigné au compte rendu que nous avons cette omission. Vous dites qu'elle n'est pas accidentelle.

Le sénateur Goldstein : Elle ne l'est pas.

Le président : Je remercie les témoins d'être venus au comité cet après-midi.

La séance est levée.


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