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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 11 - Témoignages du 12 mars 2008


OTTAWA, le mercredi 12 mars 2008

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 h 10, pour examiner, afin d'en faire rapport, les obstacles au commerce interprovincial, et pour étudier la situation actuelle du régime financier canadien et international. Sujet : La loi sur la médiation en matière d'endettement agricole.

Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.

[Translation]

Le président : Honorables sénateurs, nous avons discuté brièvement avec quelques-uns d'entre vous du voyage à Washington. Nous avions prévu un voyage en mai dernier, mais, à la dernière minute, notre whip, le whip conservateur, l'a annulé en raison de notre nombre et de la possibilité d'une élection à venir. Nous avions versé de l'argent à un hôtel pour réserver nos chambres, et l'hôtel ne pouvait rembourser cet argent mais nous offrait de le réutiliser. En d'autres termes, nous avons un crédit dans un hôtel.

Nous en sommes venus, au comité, à convenir que nous ne pouvions rejeter tous les témoignages que nous avons entendus sur les fonds spéculatifs et la situation de l'économie. Ce que nous souhaitons, c'est retourner à Washington, comme prévu à l'origine, et organiser des rencontres intensives pour la dernière fois pendant deux jours avec des aînés de façon à pouvoir boucler notre étude et produire un rapport. J'ai l'impression que vous êtes tous, honorables sénateurs, d'accord avec cette idée générale.

Nous avons envisagé la possibilité d'y aller pendant la semaine de pause, en avril, mais il est difficile, pour les gens, de venir nous rencontrer au début de la semaine, et, pendant le reste de la semaine, il semble que plusieurs comités se soient passé le mot, puisque le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, celui de l'agriculture et des forêts, et un autre comité, s'y rendront cette semaine-là. L'ambassade est donc utilisée à pleine capacité. De plus, j'ai interrogé quelques membres du comité à part, et ils ne sont pas tous libres pour la semaine en entier.

Je propose de tenir ces rencontres pendant la première semaine de juin. Tous les partis s'entendent au Sénat, de même que les deux leaders. C'est plutôt de notre côté qu'il y a un problème, puisque nous ne pouvons nous absenter quand le Sénat siège en raison de notre nombre.

J'ai demandé à notre compétente greffière de préparer un budget pro formae qui n'exige pas que nous comparaissions devant le Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, mais qui demeure juste et raisonnable compte tenu de la nature de l'étude. J'ai demandé qu'il corresponde à peu près au budget qui avait été approuvé l'an dernier pour l'étude et qu'il tienne compte du fait que nous disposons d'un crédit de 6 000 $ à l'hôtel. Le budget total est de 72 900 $. Je vous l'ai distribué, et j'ai besoin d'une motion pour qu'il soit adopté.

Le sénateur Moore : Est-ce que l'hôtel honorera le crédit?

Le président : Nous obtiendrons une prolongation. Le crédit prend fin le 31 mai, mais nous pouvons obtenir une prolongation.

Le sénateur Tkachuk : Vous visez la première semaine de juin?

Le président : Oui, je préférerais que la date demeure en suspens et que nous ne donnions pas une semaine en particulier au Comité de la régie interne parce qu'il y a aussi une possibilité en mai. S'il n'y a pas d'élections, nous tenterons d'y aller avant la pause de l'été.

Le sénateur Moore : Nous voulons terminer le rapport.

Le sénateur Tkachuk : Avant juin.

Le président : Exactement. Tous ceux qui sont pour?

Des voix : D'accord.

Le président : Quelqu'un n'est pas d'accord? La motion est adoptée à l'unanimité. Merci.

Je souhaite maintenant la bienvenue à nos témoins à cette rencontre du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je suis le sénateur Angus, de Montréal, au Québec. Notre éminent vice-président, qui vient aussi de Montréal, au Québec, est le sénateur Goldstein. Il y a aussi le sénateur David Tkachuk, de la Saskatchewan et le sénateur Eyton, de Toronto, en Ontario. Immédiatement à ma gauche se trouve notre éminente greffière, Line Gravel. À sa gauche, il y a Mac Harb, du district d'Ottawa, en Ontario, le sénateur Ringuette, du Nouveau-Brunswick, le sénateur Moore, de Halifax, et le sénateur Massicotte, un ancien administrateur de la Banque du Canada.

Je crois que vous savez que la séance est télédiffusée sur le réseau CPAC et sur le Web. Je souhaite la bienvenue à tous nos auditeurs et à toutes les personnes présentes aujourd'hui, tandis que nous poursuivons notre examen des obstacles au commerce intérieur, au Canada.

Il s'agit de la dernière audience que nous tiendrons à ce sujet, sujet que nous avons commencé à étudier dans le cadre de l'une des trois tables rondes mises sur pied le 23 novembre 2004. Une table ronde portait sur la bombe à retardement démographique, une, sur la productivité, et la troisième, sur les obstacles au commerce intérieur.

Nous sommes honorés d'accueillir aujourd'hui deux hauts représentants de la banque centrale du Canada, la Banque du Canada; il s'agit de Paul Jenkins, premier sous-gouverneur, et de John Murray, sous-gouverneur.

C'est en grande partie grâce à l'influence du gouverneur, du sous-gouverneur et d'autres représentants de la Banque du Canada, exercée au fil des ans, qu'il a été recommandé que nous menions ces examens, particulièrement celui sur la productivité et celui sur les obstacles au commerce intérieur. Nous comprenons que le rôle de la banque consiste, sur le plan macroscopique, si vous me permettez l'expression, en plus de gérer la politique monétaire, à préserver le bien-être de notre économie et son taux de croissance, et à limiter ce qui nuit à cette croissance. Nous avons eu l'impression que la Banque du Canada avait l'impression que les obstacles au commerce intérieur qui existent au Canada, et ce, depuis de nombreuses années, nuisent, peut-être, à la croissance de l'économie du Canada, de sa productivité et de sa compétitivité économique. Conformément aux attentes, la productivité a connu un recul en général, peut-être. Nous avons terminé notre étude à ce sujet, et avons plus ou moins fourni nos conclusions.

Quand le Sénat s'est adressé à nous pour nous donner le mandat de mener cette étude particulière sur les obstacles au commerce interprovincial, il a employé les termes suivants :

Que le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce soit autorisé à se pencher et à faire un rapport sur les questions relatives aux obstacles interprovinciaux au commerce au Canada, plus particulièrement :

les obstacles d'ordre économique et commercial qui existent à l'heure actuelle entre les provinces;

la mesure dans laquelle de tels obstacles interprovinciaux nuisent à la croissance et à la rentabilité des secteurs visés de l'économie, ainsi que la capacité des entreprises des provinces visées, conjointement et avec les États pertinents des États-Unis, de former les régions économiques qui accroîtront la prospérité;

les mesures pouvant être prises par les gouvernements fédéral et provinciaux pour faciliter la réduction ou l'élimination des obstacles interprovinciaux afin de favoriser le commerce, développer une économie nationale et consolider l'union économique du Canada

C'est dans ce contexte que nous avons rencontré de nombreux témoins provenant de tous les secteurs de l'économie, y compris des représentants des gouvernements provinciaux, mais aussi, comme vous pouvez le supposer, des représentants d'organismes professionnels, de groupes de réflexion, du milieu universitaire, de l'Institut C.D. Howe, et d'autres organismes de ce type. Nous avons été étonnés du peu d'unanimité entre les témoins. C'est pourquoi nous étions particulièrement intéressés à entendre les témoins présents aujourd'hui, pour pouvoir boucler notre étude. Je suis sûr qu'ils ont sur le sujet un point de vue général. Nous voulons publier un rapport constructif, qui reflète les témoignages que nous avons entendus.

Nous avons vu apparaître, depuis le début de l'étude, des nouveaux faits et des signes encourageants. La Colombie- Britannique a conclu, avec l'Alberta, l'Accord sur le commerce, l'investissement et la mobilité de la main-d'œuvre (TILMA). Le Conseil de la fédération se préoccupe de la question de façon continue, et s'y attarde plus particulièrement depuis peu. De plus, le Québec et l'Ontario ont eu des discussions encourageantes.

Peut-être que quelqu'un entendra notre voix ténue et que, grâce à la télédiffusion de la présente rencontre et de la couverture des autres médias, notre message sera entendu.

Monsieur Jenkins, vous pouvez présenter le premier témoignage.

Paul Jenkins, premier sous-gouverneur, Banque du Canada : Merci de me donner l'occasion d'être ici aujourd'hui. Comment vous l'avez souligné, mon collègue de longue date, John Murray, nommé récemment sous-gouverneur de la Banque du Canada, m'accompagne aujourd'hui.

La question des obstacles au commerce intérieur est très importante, et je suis heureux, monsieur le président, que votre comité se penche sur la question. Nous avons examiné des déclarations qui vous ont été présentées par le passé, et vous constaterez que nous aborderons la question d'un angle légèrement différent. Plutôt que de mettre l'accent sur les détails de chacune des restrictions au commerce intérieur, nous mettrons l'accent sur les répercussions du commerce et des obstacles au commerce intérieur sur, comme vous l'avez dit, le rendement général de l'économie canadienne d'un point de vue macroscopique.

Dans ma déclaration préliminaire, j'aborderai deux questions importantes de ce point de vue : d'abord, le besoin de flexibilité, qui pourrait être comblé grâce à un rajustement en fonction de la situation économique; ensuite, le besoin d'adopter des politiques économiques qui favorisent la flexibilité au sein des marchés de biens et de services, et des marchés financiers et du travail.

Quand on parle de flexibilité économique, on renvoie à la capacité d'une économie de faire face à l'évolution de la situation. L'évolution de la conjoncture économique est souvent liée à la fluctuation des prix relatifs, ce qui envoie des signaux importants aux marchés. Une économie flexible réagit à ces signaux en effectuant des rajustements et retrouve son potentiel de production le plus rapidement possible, au coût le moins élevé possible. Au cours des dix dernières années, environ, le Canada, comme le reste du monde, a connu une expansion économique solide, malgré une série de perturbations majeures. Parmi ces perturbations, mentionnons la crise financière de 1997-1998 en Asie, qui s'est étendue jusqu'à la Russie et à l'Amérique latine; l'éclatement, à l'échelle mondiale, de la bulle spéculative de la haute technologie; les attaques terroristes du 11 septembre aux États-Unis, le syndrome respiratoire aigu sévère, le SRAS, et l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'ESB; la concurrence de plus en plus féroce en provenance de la Chine et de l'Inde; et, depuis 2003, une nette augmentation des prix des produits de base, ce qui a entraîné une nette augmentation de la valeur externe de notre monnaie.

Plus récemment, bien sûr, nous avons fait face à la chute du marché du crédit attribuable aux problèmes du marché des prêts hypothécaires à risque aux États-Unis et à une augmentation de l'utilisation des produits financiers structurés. Il convient toutefois de souligner que ces perturbations étaient toutes d'origine ou de dimension internationale.

La plupart de ces perturbations, notamment la crise en Asie et la hausse rapide des prix des produits de base, ont entraîné d'importantes fluctuations des prix relatifs de l'énergie et des autres biens, ainsi que des fluctuations importantes du taux de change du dollar canadien. Ces fluctuations ont déclenché, en retour, d'importants changements dans l'activité économique, de même que des réaffectations des ressources de production entre les secteurs et les régions du pays.

Tous ces changements font ressortir le fait que nous vivons à une époque où tout évolue rapidement, et que nous fonctionnons au sein d'un contexte mondial en constante évolution. L'incertitude, les risques et les fluctuations sont constamment présents dans l'économie. Au Canada, nous devons plus particulièrement tenir compte de cette réalité parce que notre économie est très ouverte au commerce international et aux mouvements de capitaux.

[English]

La meilleure stratégie pour faire face aux risques et aux changements soudain est de nous demander constamment quelles mesures nous pouvons prendre pour rendre notre économie et nos marchés intérieurs plus flexibles et donc mieux à même de s'adapter aux conditions changeantes. Il nous faut également être conscient qu'il s'agit d'une responsabilité commune des entreprises, des travailleurs et des décideurs publics.

Les entreprises et leurs travailleurs doivent être capables de réagir rapidement aux progrès technologiques et aux chocs qui requièrent des changements aux chapitres de leur méthode de gestion, des types de biens et de services qu'ils produisent et des marchés qu'ils souhaitent développer. Dans ce contexte, il est essentiel de pouvoir compter sur une économie de marché qui fonctionne bien et sur des indications claires en ce qui a trait à l'évolution des prix relatifs.

En même temps, les décideurs publics doivent se méfier des obstacles à l'ajustement tels les règlements qui empêchent les travailleurs de changer de type d'emploi, de régions ou de secteurs. Des politiques, qui favorisent les réformes structurelles, sont également nécessaires pour rendre l'économie plus souple et plus résistante aux chocs ainsi que pour en augmenter le potentiel de croissance. Au Canada, la réforme structurelle s'inscrit dans un champ très vaste, qui recouvre des priorités dans plusieurs provinces et territoires.

Le système financier, de par la contribution essentielle qu'il apporte à la bonne santé d'une économie moderne, a été et restera une priorité. Un système efficient et solide améliore la flexibilité générale de l'économie en aidant à réaffecter le capital et les ressources vers les fins les plus productives et avec le maximum d'efficience à la suite d'un choc.

L'élimination des barrières internes, qui font obstacle à la libre circulation des biens, des services et de la main- d'œuvre est une autre grande priorité. Elle suscite, à juste titre, un intérêt au Canada alors que la disparité des résultats économiques s'accroît d'une région à l'autre, que les pénuries de main-d'œuvre qualifiée s'accentuent et que les défis démographiques se font plus complexes.

[Translation]

Un certain nombre d'initiatives visant à éliminer les obstacles intérieurs ont été entreprises au fil des ans, avec des résultats variés, mais généralement mineurs. Le programme du « Sceau rouge » a été mis sur pied il y a plus de 45 ans pour faciliter l'uniformisation et la reconnaissance des qualifications des travailleurs. L'Accord sur le commerce intérieur, conclu par les premiers ministres en 1994, visait à réduire les obstacles au transport des biens, au mouvement des services et des investissements, et à la migration de la main-d'œuvre. Un exemple récent important, vous l'avez dit monsieur le président, est l'Accord sur le commerce, l'investissement et la mobilité de la main-d'œuvre, le TILMA, conclu en avril 2006 par la Colombie-Britannique et l'Alberta afin de renforcer l'exécution de la loi et les modes de règlement des conflits, et d'harmoniser les normes et les règlements concernant le commerce et les qualifications de la main-d'œuvre d'ici le début de 2009.

Il reste encore beaucoup à faire pour améliorer la flexibilité et le fonctionnement de nos marchés intérieurs, d'un océan à l'autre. Les normes et les règlements commerciaux, y compris ceux qui touchent le secteur financier, doivent être harmonisés à l'échelle du Canada. Il faut aussi renforcer l'exécution de la loi et le règlement des conflits aux termes de l'Accord sur le commerce intérieur, et, si l'on veut rendre les marchés du travail plus flexibles, il faudrait permettre une reconnaissance des désignations des professions et des métiers à l'échelle du pays, et garantir leur pleine transférabilité. Une première étape importante consisterait à faire adopter l'accord entre la Colombie-Britannique et l'Alberta par les autres provinces et territoires.

La Banque du Canada aura aussi un grand rôle à jouer si elle veut aider l'économie à faire face aux changements économiques. La politique monétaire de la Banque vise à maintenir l'inflation à un bas niveau et à faire en sorte qu'elle soit stable et prévisible, ce qui aide les entreprises canadiennes à mieux comprendre les signaux de prix, à réagir promptement aux fluctuations des prix relatifs, et à affecter les ressources de production de façon plus efficiente.

Pour conclure, j'aimerais dire que l'incertitude, les risques et les fluctuations continueront de faire partie de l'économie de demain, comme par le passé. Nous avons tous intérêt à ce que l'économie du Canada se porte bien, et nous devons tous mettre la main à la pâte si nous voulons améliorer notre flexibilité et notre capacité d'adaptation. Si l'on tient compte de ce point de vue seulement, l'examen, par le comité, des enjeux relatifs aux obstacles au commerce intérieur est important et tombe à point.

Merci, monsieur le président. Nous serons heureux, M. Murray et moi, de répondre à vos questions et d'écouter vos commentaires.

Le président : Merci, monsieur Jenkins.

Le sénateur Segal vient d'arriver; il représente le sénateur Meighen, qui est à l'extérieur de la ville.

J'ai promis au sénateur Eyton que ce serait lui qui lancerait la discussion aujourd'hui parce qu'il s'assoit souvent très loin, à l'arrière, et que nous ne le voyons pas à partir d'ici.

Le sénateur Eyton : Vous n'avez probablement pas manqué grand-chose.

Je vous remercie d'être ici aujourd'hui et d'avoir présenté une déclaration préliminaire limpide. Comme vous le savez peut-être mieux que quiconque, nous traversons une période volatile, qui touche, en quelque sorte, le monde entier. Sur le plan national, le Canada semble s'en sortir mieux que d'autres pays, particulièrement que les États-Unis, mais même si nous nous comparons aux pays du G8 et à d'autres pays, nous faisons bonne figure.

Cependant, si on regarde les chiffres nationaux, on constate des écarts entre les régions, parfois importants. Sur le plan négatif, je pense, plus particulièrement, au Québec et à l'Ontario, ou au Canada central, qui semblent avoir été touchés plus durement, tandis que d'autres régions du pays s'en sortent plutôt bien.

Il est donc important, dans un tel contexte, que nous modifiions ou réduisions nos obstacles internationaux. Pensez- vous qu'il s'agit d'une urgence? Selon ce que vous avez dit, et ce que notre président a dit, à propos de l'évolution de la situation au fil des ans, je crois comprendre que les changements surviennent à un rythme lent. Pensez-vous qu'il devient de plus en plus urgent d'éliminer les obstacles intérieurs et de rendre notre régime plus souple et plus flexible?

M. Jenkins : Oui, sénateur, je crois que les difficultés auxquelles nous faisons face, en tant que pays, exigent que nous nous occupions de la question des obstacles intérieurs le plus rapidement possible. Comme je l'ai laissé entendre dans ma déclaration préliminaire, je crois qu'il s'agit d'une responsabilité partagée.

Les difficultés sont liées au type d'environnement dans lequel nous nous trouvons, aux types de fluctuations que nous avons connues au cours des dix dernières années. Nous avons toutes les raisons de croire que ces fluctuations économiques se poursuivront, et c'est pourquoi nous avons besoin d'une économie souple et adaptable.

De plus, quand nous avons abordé la question des défis démographiques avec des groupes au sein de la Banque, ils nous ont tous dit, quel que soit leur secteur, qu'il y avait un besoin de travailleurs qualifiés. Nous devons faire du Canada une union économique flexible, qui peut s'adapter et permettre de relever ces défis, qui se présentent à nous actuellement. Selon moi, je dirais que, oui, nous devons agir à ce sujet.

Le sénateur Eyton : Je comprends qu'il faut agir et apporter des changements, mais ma question visait à savoir s'il est urgent d'apporter des changements aux pouvoirs gouvernementaux et d'éliminer de façon générale ces obstacles en collaboration. Nous connaissons le problème; savons-nous comment agir?

M. Jenkins : Ce qui a été fait avec le TILMA, l'Accord entre l'Alberta et la Colombie-Britannique, constitue un exemple de ce que les autres provinces et territoires pourraient faire. Nous disposons maintenant d'un cadre. Selon moi, les autres pourraient s'inspirer de cet accord et prendre des mesures pour en adopter un semblable. Et je crois que le plus tôt sera le mieux.

Le sénateur Eyton : Que suggérez-vous à propos de l'Accord sur le commerce intérieur, l'ACI, qui a été approuvé initialement en 1995, ou qui est entré en vigueur cette année-là? Dans votre déclaration préliminaire, vous semblez préférer le TILMA à l'ACI. Pensez-vous que le TILMA est un meilleur modèle?

M. Jenkins : Je dois reconnaître que je ne connais pas en détail ces obstacles au commerce intérieur et tout ce qui les entoure, mais je sais qu'il y a des différences entre le TILMA et l'ACI. Par exemple, sur le plan de l'architecture, l'ACI exige que les parties signent et s'entendent, tandis que, dans le cas du TILMA, toutes les situations sont couvertes, sauf les exceptions. Je crois que, de ce point de vue, la philosophie derrière chaque accord est différente. Ils se distinguent sur le plan structurel.

Le sénateur Eyton : Connaissez-vous bien les dispositions du TILMA en matière de règlement des différends?

M. Jenkins : Encore une fois, je dois dire que je ne connais pas les détails de l'accord, mais il me semble que les mécanismes de règlement des différends prévus dans l'accord sur le commerce intérieur ne semblent pas avoir été utilisés ni mis en pratique de façon stricte au fil du temps. D'après ce que je sais du TILMA, il s'agit d'un meilleur modèle pour ce qui est du règlement des différends.

Le sénateur Eyton : Étant donné que des personnes de tous les horizons s'adressent à vous et vous présentent des exposés, quel serait, d'après vous, le plus important obstacle au commerce intérieur au Canada? Qu'est-ce que vous élimineriez dès aujourd'hui, si vous pouviez?

M. Jenkins : Nous analysons la question d'un point de vue macroscopique, ce qui signifie que nous constatons que l'économie doit pouvoir réagir aux fluctuations, à l'expansion et aux changements rapides. De ce point de vue, nous examinons la question en fonction de l'importance de garantir la flexibilité des marchés de la main-d'œuvre et des marchés des produits — des services autant que des biens.

Ce n'est toutefois pas cet aspect qui doit faire l'objet de mesures en priorité. Je crois tout de même que nous devons examiner la portée générale de ce qui est en place, et envisager des changements pouvant améliorer la flexibilité. Nous avons fait beaucoup de progrès en ce qui concerne la mobilité de la main-d'œuvre et la productivité sur le marché du travail, mais il reste beaucoup à faire du côté des produits, soit des biens et des services.

John Murray, sous-gouverneur, Banque du Canada : Vous m'avez devancé et avez abordé une question dont je souhaitais traiter. Je voulais revenir en arrière et établir un lien avec votre intervention.

D'abord, en ce qui concerne l'urgence d'agir, je comprends pourquoi vous avez posé la question. La situation est bonne; en quoi peut-il être urgent d'agir? D'une certaine façon, on a fait plus de progrès que ce que pensent certains si l'on compare la flexibilité dont l'économie canadienne a fait preuve au cours des dernières séries de fluctuations par rapport à ce qui s'était produit dans les années 1970.

Si vous aviez dit aux Canadiens, il y a 10 ans, quelle était la situation en matière de fluctuations, de mouvements et de prix des biens, et que vous leur aviez demandé de quelle façon évoluerait l'économie canadienne selon eux, je ne pense pas qu'ils auraient prévu ce qui s'est passé. L'urgence d'agir est attribuable à deux choses, au moins, dont les écarts entre les régions et les secteurs, qui sont un peu plus grands aujourd'hui. Nous ne savons pas s'ils s'atténueront ou s'ils s'élargiront.

L'autre aspect, c'est que, à mesure que les frontières sont de plus en plus ouvertes sur le plan international et les pays, de plus en plus reliés, nous pourrions penser que les distorsions que nous laissons s'installer à l'échelle nationale pourraient devenir plus graves et plus pernicieuses. C'est un peu comme si des forces mondiales nous attiraient dans une voie et que des agents inhibiteurs, à l'interne, nous empêchaient de lutter contre ces forces. À cause de ce conflit, il risque d'y avoir une distorsion de plus en plus grande de la situation, qui est pourtant plutôt paisible ou tranquille à l'échelle internationale.

Pour ce qui est des priorités, c'est difficile à dire. Je crois que M. Jenkins a renvoyé à une étude récente du Fonds monétaire international, le FMI, selon laquelle le Canada a fait des gains en ce qui concerne la flexibilité du marché du travail. Il serait possible d'améliorer encore plus la situation, mais l'étude mentionnait que la rigidité du marché des produits constituait un important obstacle. La preuve n'était pas uniquement de nature circonstancielle, elle était aussi empirique compte tenu de ce que j'appellerai la déconvenue de la productivité au Canada. Les preuves étaient liées au marché des produits.

Cela dit — sans être trop affirmatif, comme il sied à un économiste — bon nombre des travaux publiés par l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, révèlent que ce sont encore les marchés du travail dont il faut se préoccuper d'abord et avant tout.

Le sénateur Massicotte : M. Murray travaille à la Banque du Canada depuis longtemps. En fait, je l'ai connu quand il n'avait pas encore de cheveux gris, et cela remonte à loin. Il a été nommé sous-gouverneur il y a tout juste deux mois. Je voulais apporter cette précision.

Monsieur Jenkins, vous parlez, dans votre exposé, de transparence, de flexibilité, du besoin d'harmoniser les normes et les règlements, et cetera. Vous parlez du nombre de fluctuations que vous avez connues, et M. Murray a mentionné à quel point nous nous étions bien sortis de ces fluctuations.

Parlons maintenant de la fluctuation que nous vivons actuellement, celle associée à la turbulence des marchés de crédit. De toute évidence, la transparence, la flexibilité et l'harmonisation des règlements s'appliquent non seulement aux provinces, mais aussi à l'échelle internationale. Quand nous pensons à la menace qui plane actuellement sur le monde — personne ne sait à quel point les répercussions seront importantes, ni à quel moment elles se dissiperont — quelles sont les leçons que nous devrions tirer de ce qui se produit actuellement avec nos règlements, notre transparence et notre flexibilité? Aurions-nous dû agir pour éviter cette situation? Si c'est le cas, qu'est-ce que nous aurions dû faire?

M. Jenkins : C'est une bonne question, et il y a une quantité considérable de personnes qui tentent d'y répondre, tant au pays qu'à l'échelle internationale. Cependant, il est évident que la transparence constitue l'un des enjeux clés que vous avez mentionnés.

Les produits qui ont été structurés, les titres garantis par des créances, les TGC, les produits de titrisation et les produits adossés à des actifs, ont été regroupés de façon opaque. Les investisseurs ne se sont pas suffisamment souciés de ce que contenaient ces produits. On ne savait donc pas comment les évaluer. De ce point de vue, je pense qu'il est clair que l'une des leçons apprises, c'est qu'il faut plus de transparence en ce qui concerne ce que contiennent ces produits, de façon à ce que l'on puisse les évaluer.

Nous nous sommes occupés de ces questions du point de vue de ce que nous pensions pouvoir récupérer sous forme de garantie, au moment où nous entreprenons des opérations à partir de notre bilan. Encore une fois, quand nous entreprenons des opérations et que nous prenons des garanties, nous devons savoir précisément comment nous pouvons évaluer ces garanties, et les évaluer adéquatement. Nous devons savoir ce que contiennent ces produits. Je crois donc que l'une des grandes leçons, c'est la transparence.

Le sénateur Massicotte : Il y a environ un an et demi, le comité a entendu de nombreux gestionnaires de fonds spéculatifs. Les gestionnaires de risque des principales banques sont venus nous voir. Nous leur avons posé des questions précises concernant ces produits, et nous leur avons demandé si les gens savaient de quoi il était question. Ils ont répondu : « bien sûr ». Nous leur avons demandé s'ils disposaient de tous les types de tests de risque systématique au sein de leurs banques, et s'ils utilisaient ces tests. Ils ont répondu que oui, qu'ils n'étaient pas exposés aux risques.

Il semble donc que nous pouvons conclure que, quels que soient les règlements, la nature humaine fait en sorte que, tous les cinq ou dix ans, il y a un mouvement de masse en faveur de ces choses, puis, cinq ans plus tard, nous découvrons qu'elles sont un désastre.

Y a-t-il une solution à ce problème? Que pouvons-nous faire du point de vue des politiques ou des règlements pour éviter le problème? Ça semble être l'un des traits qui nous caractérise.

M. Jenkins : Nous devons rendre ces instruments plus transparents. Nous devons nous assurer que les investisseurs savent ce qu'ils contiennent. Même les agences de notation du crédit ont trop fait confiance à la notation d'un instrument en particulier. Évidemment, il ne s'agit là que d'un conseil superficiel, mais les investisseurs doivent aller plus en profondeur, et disposent de documentation claire et simple qui leur dit ce que contiennent ces produits. À l'heure actuelle, il n'y a pas de transparence.

Le sénateur Massicotte : En fait, le sénateur Eyton a posé la question la plus importante : comment peut-on les rendre plus transparents? Qu'est-ce qui pourrait inciter les hommes et les femmes politiques à agir en ce sens et favoriser l'élaboration de politiques en ce sens? L'aspect théorique semble clair et est facile à comprendre. Et pourtant, il n'y a pas d'incitation, en tant que telle, à se lancer et à entreprendre des travaux ardus qui seront difficiles à faire accepter sur le plan politique.

Certaines personnes — je pense que c'était l'économiste du Congrès du travail du Canada — sont venues nous dire : « Nous ne voyons pas les avantages ». L'économiste a invoqué toutes sortes d'exemples. Je crois que vous mentionnez les avantages, ou vous en donnez une liste. Il a tenté d'expliquer qu'il n'y avait pas d'avantages. Donc, évidemment, après qu'il a fait connaître son point de vue, les hommes et les femmes politiques avaient beaucoup moins envie d'assumer cette responsabilité.

Prenons, par exemple, le TILMA. Est-ce qu'il y a des études qui disent : « Voici les avantages que nous avons constatés et dont nous profiterons. Voici le pourcentage de croissance que nous connaîtrons.» Ces chiffres sont-ils plausibles?

M. Jenkins : Dans le cas du TILMA, je dois vous répondre qu'il est trop tôt pour le savoir. Sa mise en œuvre complète ne se fera qu'en 2009. Je crois donc qu'il est impossible de fournir des données concrètes dans ce contexte. Nous avons parlé de cette question avec certains de nos homologues, dans l'Ouest. Ils pensent que la mise en œuvre de l'accord a permis, jusqu'à maintenant, d'accomplir des progrès et qu'elle a eu des répercussions positives puisqu'elle a permis à des travailleurs de se déplacer d'une province à une autre.

Je reviens à ma déclaration préliminaire, parce qu'il y a un concept que j'aimerais souligner. Notre message se distingue un peu des autres messages que vous avez entendus. Il y a un problème avec l'élimination des obstacles au commerce et, dans le cas qui nous occupe, des obstacles au commerce intérieur. Je crois qu'une personne qui s'intéresserait, par exemple, au commerce international et à l'élimination des obstacles découvrirait de nombreuses preuves. Je vais tenter d'expliquer ce problème d'un point de vue conceptuel, et M. Murray pourra m'aider.

La plupart des exposés qui vous ont été présentés visaient à déterminer si l'élimination des obstacles au commerce intérieur permettrait au pays d'atteindre une plus grande productivité ou lui garantirait une plus grande stabilité. Par le passé, de nombreuses mesures se sont révélées moins efficaces que prévu. Je crois qu'il faut remettre ces mesures en question et mettre à jour ces études.

Le message que nous voulons transmettre est différent. Nous voulons dire que nous avons, au pays, un potentiel de production, une capacité de produire. Nous voulons que notre économie soit en mesure de réagir aux changements de façon à ce que nous conservions ce potentiel, le plus souvent possible. Nous savons qu'il y aura des chocs. Nous serons touchés par une correction du prix des maisons aux États-Unis, qui aura des répercussions sur notre secteur manufacturier en ce qui concerne les exportations de fenêtres, de portes, de bois d'œuvre, et cetera. Nous voulons toutefois que notre économie réagisse rapidement à ces changements et que les ressources puissent être réorientées d'un secteur à un autre de façon à ce que l'économie en général conserve son potentiel de production.

Je crois que ce message se distingue de ce que vous avez entendu jusqu'à maintenant. Plus nous réussirons à nous adapter à ce type de choc et à protéger l'économie de façon à garantir le plein emploi, plus nous serons en mesure d'offrir un niveau élevé de revenu et de bien-être au fil du temps. Notre économie sera plus forte qu'elle ne l'aurait été — plus forte que s'il avait fallu beaucoup de temps pour réagir au choc.

Je crois qu'on n'a pas assez tenu compte de l'importance de cet aspect du problème. Notre message concerne la stabilisation macroéconomique. Pensez aux types de chocs auxquels nous avons fait face au cours des dix à 15 dernières années. Nous avons une économie ouverte; nous devons être en mesure de nous adapter.

C'est le message que nous voulons transmettre. Il se distingue des autres, mais il est important, quel que soit notre point de vue.

Le sénateur Massicotte : Laissez-moi résumer. C'est intéressant. Vous dites que les études scientifiques révèlent que, à ce jour, ces rajustements ne semblent pas avoir une grande incidence sur le niveau de revenu, si vous voulez, ou sur le produit intérieur brut, le PIB. Vous dites aussi que l'élimination des obstacles n'entraîne pas toujours une augmentation du PIB. Cependant, l'élimination des obstacles au commerce permet de s'adapter plus rapidement aux chocs.

Est-ce que j'ai bien résumé?

M. Murray : La plupart des premiers documents rédigés à ce sujet, les études empiriques, révèlent que la libéralisation du commerce, à l'échelle nationale, intérieure ou internationale, a des effets positifs sur le bien-être, mais que ces effets ne sont pas très importants. L'expérience a permis de constater, de deux façons, que les constatations reflétaient davantage les lacunes de notre modèle qu'une mesure exacte des gains possibles.

Des travaux plus récents semblent révéler que ces trois types d'amélioration — et j'y reviendrai dans un instant — sont loin d'être négligeables. Notre propre expérience nous le prouve. Nous pensons, par exemple, à l'accord de libre échange avec les États-Unis. Je me souviens que nous avions tenté, à la Banque du Canada, de prévoir quelle serait l'influence de cet accord sur les comportements, sur les exportations et sur les importations. Nous avons tenté de prévoir l'incidence sur les mouvements.

Finalement, dans un délai remarquablement court, le volume des exportations et des importations, le mouvement dans les deux directions, a été plus de deux fois plus important que ce que nous avions prévu. Je ne peux pas généraliser et affirmer que le changement sera aussi phénoménal dans tous les cas, mais cet exemple révèle à quel point certains de ces modèles ont été sous-estimés.

Le libre-échange offre trois types d'avantages, comme l'a mentionné M. Jenkins. D'abord, le fait d'éliminer les contraintes en matière de comportement a permis de rajuster le niveau, et tout s'est mis à mieux fonctionner — peut- être pas instantanément, ni pour tout le monde. Ce type de gain est de nature statique. Généralement, la productivité augmente, le rendement aussi, le choix est plus vaste, et les coûts sont moins élevés.

Le libre-échange entraîne aussi un gain dynamique, soit l'augmentation de la croissance au fil du temps, qui constitue le principal avantage. Enfin, comme l'a expliqué M. Jenkins, il est possible, de pair avec cette amélioration de la croissance, de réduire les cycles économiques en rendant l'économie plus flexible de façon à s'assurer que nous nous approchons, peut-être pas en tout temps, mais la plupart du temps, du plein emploi et du plein rendement. Il y a trois façons dont nous pouvons profiter de l'élimination des obstacles au commerce. Je crois que notre expérience et les modèles que nous élaborons font ressortir l'importance de ces gains.

Même si le TILMA en est à ses tout débuts, on peut naturellement supposer qu'il sera utile. Je n'essaie pas de critiquer les personnes qui se sont présentées devant le Comité, mais, quand il est question de commerce, national ou international, tout changement aura des répercussions sur certains groupes. La situation actuelle présente des avantages pour ces groupes, qui sont habituellement plus unis et plus coordonnés que le grand nombre de personnes qui en tirent un petit avantage, mais qui, si nous regroupons tous ces petits avantages, réalisent un gain collectif énorme.

Vous ne pourriez réunir toutes ces personnes en même temps, et elles n'auraient pas d'incitatifs à le faire, si les avantages étaient peu importants. On entend souvent surtout les points de vue négatifs. Si vous me dites qu'un certain nombre de groupes et de témoins qui se sont adressés à vous ont dit que les gains étaient petits, ou même négatifs, c'est qu'on vous a peut-être fait part de ces points de vue négatifs.

Le président : Personne n'a mentionné le concept d'organisme de réglementation des valeurs mobilières au Canada.

Le sénateur Harb : Vous avez parlé des chocs économiques. Il y a quelques jours, la Réserve fédérale américaine annonçait un financement de 200 milliards de dollars pour stabiliser le marché. La Banque du Canada a annoncé environ deux milliards de dollars. Si on fait le calcul, le ratio est de 100:1. Est-ce que cela signifie que le problème est cent fois plus grave aux États-Unis qu'au Canada? De nombreuses personnes, au sein du marché, se demanderont pourquoi la Banque du Canada n'a injecté que deux milliards de dollars.

Le sénateur Moore : C'était quatre milliards de dollars.

M. Jenkins : Je vais commencer par expliquer le sens de cette mesure coordonnée, puisque la Réserve fédérale et la Banque du Canada n'ont pas été les seules à intervenir, et qu'il y a aussi eu la Banque centrale européenne, la Banque d'Angleterre et la Banque nationale suisse. Ces mesures visaient à offrir ce que nous appelons un « prêt à terme » aux marchés financiers. Le but est de donner aux institutions financières un accès aux prêts à terme — dans notre cas, il s'agit de prêts pour 28 jours — en lieu et place des prêts au jour le jour. Les institutions financières sont donc à peu près sûres d'obtenir ce type de prêts de la Banque du Canada et de tenter de faire face à ce que nous appelons les « pressions sur les liquidités » dans certains marchés de financement qu'elles voient en meilleure position sur la courbe de rendement, ce que les prêts au jour le jour ne leur permettraient pas de faire.

Les mesures coordonnées annoncées cette semaine étaient semblables à celles prises au début de décembre 2007, au moment où nous avons aussi annoncé que nous ferions comme la Réserve fédérale et offririons des prêts à terme.

Pour répondre à votre question, je ne crois pas que le calcul soit aussi simple. Les 200 milliards de dollars représentent un montant cumulatif offert par la Réserve fédérale. Vous avez toutefois raison quand vous dites que les pressions sur les liquidités sont plus fortes aux États-Unis qu'au Canada.

Le sénateur Segal : Je reviendrai à la question du commerce intérieur. J'aimerais avoir, plus particulièrement, votre avis sur le faible succès apparent de l'accord de commerce intérieur au fil du temps, l'accord entre la Colombie- Britannique et l'Alberta. Il y avait aussi un projet d'accord distinct entre le Québec et l'Ontario, qui s'appuierait sur un accord de principe que le premier ministre a conclu avec la France et qui permet le mouvement de professionnels autorisés entre la France et le Québec, qui permettrait peut-être la même chose entre l'Ontario et le Québec, et qui favoriserait, en quelque sorte, une mobilité de la main-d'œuvre.

Les gens de la Banque du Canada parlent toujours de la possibilité de nommer des organismes de réglementation des valeurs mobilières au Canada, et d'autres concepts qui ne font pas toujours partie du cadre de référence de notre Constitution actuelle. On n'a toutefois pas à être un fédéraliste radical pour conclure que le pouvoir de réglementation des échanges et du commerce est de nature fédérale, et qu'il serait avantageux que le gouvernement fédéral agisse de façon un peu plus dynamique, quelle que soit son affiliation, en ce qui concerne le commerce interprovincial et le mouvement de la main-d'œuvre, des biens et des services entre les provinces. Les personnes qui s'opposent à ce point de vue pourraient ensuite, dans un sens, poursuivre le gouvernement fédéral. Il y a la notion d'inversion du fardeau de la preuve.

Si je veux être juste, je dois dire que bon nombre de professions auto-réglementées ont fait des progrès en ce qui concerne le droit à la mobilité de leurs membres. Pourquoi un pharmacien muni d'une licence à Thunder Bay devrait-il prouver encore une fois qu'il possède les capacités requises pour être pharmacien au Manitoba? Dans certains cas, les groupes professionnels ont agi de façon à réduire certains des obstacles.

J'aimerais que la banque exprime, officiellement ou officieusement, son point de vue sur cette proposition, selon laquelle, pour rendre notre économie le plus efficiente possible, le gouvernement fédéral au pouvoir doit se montrer plus énergique en ce qui concerne la réglementation des échanges et du commerce. Il était fait mention, dans le plus récent discours du Trône, de l'importance de la réglementation des échanges et du commerce. Je ne fais pas partie du gouvernement, mais je le soutiens. Je ne sais pas ce qu'on voulait dire par cette mention; je suppose qu'elle renvoyait peut-être à une initiative à ce sujet.

J'aimerais connaître vos points de vue, si vous êtes à l'aise de nous en faire part, concernant la mesure dans laquelle une position plus énergique pourrait être constructive, la mesure dans laquelle nous devons agir de façon plus rigoureuse concernant cette efficience qui est maintenant refusée aux Canadiens, et la mesure dans laquelle il est plus facile pour les Européens de se déplacer d'un pays à un autre pour le travail ou pour toute autre raison que ce l'est pour les Canadiens de se déplacer au sein même de leur pays. La difficulté de se déplacer constitue une source de frustration et a un coût pour notre productivité économique.

M. Jenkins : Je vais tenter de répondre à cette question de diverses façons. Nous avons une union économique qui s'appelle le Canada. Nous voulons que cette union économique soit le plus efficiente et productive possible, et c'est pourquoi nous devons envisager d'un point de vue national les éléments essentiels aux gains de productivité sur le marché des produits et le marché du travail — les choses que nous regroupons pour maintenir le niveau de vie. C'est de ce point de vue qu'il faut envisager les choses. Si nous abordons ces questions d'un point de vue davantage axé sur le commerce, je dirais que, ce que nous voulons, c'est certainement des approches multilatérales du commerce et l'élimination des obstacles au commerce, et non des accords bilatéraux. Je ne dis pas que les accords bilatéraux sont toujours mauvais, mais ils peuvent finir par détourner le commerce, plutôt que de faire du commerce un bien public profitable pour tous. Le point de vue macroscopique plus général — le point de vue multilatéral — est important.

Pour répondre à votre question sans aller dans les détails, je dirais, en tant qu'économiste, qu'il faut voir les choses de ce point de vue international et mondial.

M. Murray : Pour appuyer les dires de M. Jenkins, je dirais qu'une vaste expérience à l'échelle internationale peut nous apporter des solutions pour les problèmes avec lesquels nous sommes aux prises à l'échelle nationale. Comme l'a dit M. Jenkins, il existe une forte présomption selon laquelle les solutions multilatérales, harmonisées et unanimes sont préférables parce qu'elles réduisent les distorsions du commerce, que peut causer un ensemble disparate d'accords bilatéraux.

Cependant, l'autre aspect de la question, et nous l'avons vu au sujet du commerce international, c'est que si nous ne pouvons avancer grâce à des solutions multilatérales, pour quelque raison que ce soit — même si, comme vous l'avez souligné, au sein d'un État fédéral, on pourrait s'attendre à ce que ce type de solution fonctionne mieux — un accord bilatéral peut parfois constituer un bon départ. On peut espérer que les effets de distorsion du commerce associés à l'accord en ce qui concerne les relations avec les tiers ne sont pas trop graves, mais si les avantages qu'en retire une personne, même d'une façon bilatérale, sont suffisamment importants, ils en valent la peine, et cela peut devenir un exemple, un modèle, pour la solution davantage multilatérale.

Je crois que les économistes sont nombreux à espérer que le TILMA deviendra un tel modèle et une motivation, et que, à condition qu'il ne soit pas en vigueur trop longtemps et qu'il ne soit pas suivi par une série d'autres accords balkanisans, il pourrait favoriser la naissance d'une solution multilatérale.

Le sénateur Massicotte : Je ne comprends pas la réponse à la question du sénateur Segal. Je vais l'exprimer en des termes plus simples. Êtes-vous d'accord avec l'interprétation du sénateur Segal, et de bien d'autres personnes, selon laquelle la Constitution permet au gouvernement fédéral d'imposer le libre-échange?

M. Murray : Je ne pense pas que nous prétendions être des spécialistes de la Constitution. Nous nous exprimions à titre d'économistes, et il est difficile pour des économistes d'affirmer que les solutions multilatérales ne sont pas les meilleures.

Le sénateur Massicotte : Je présume que vous n'avez pas d'opinion. Cependant, si c'était possible, je pense que la question serait la suivante : « Seriez-vous d'accord pour que le gouvernement fédéral impose sa volonté?

Le sénateur Segal : En tant qu'économistes.

M. Jenkins : Je vais revenir à notre façon d'aborder la question. Si nous pensons à cette union économique, qui s'appelle le Canada, et qui est composée d'un certain nombre de provinces et de territoires différents, nous souhaitons une solution multilatérale. Nous souhaitons une solution qui permet d'harmoniser ces marchés d'un bout à l'autre du pays.

Le sénateur Segal : Ma prochaine question va dans le même sens. Je crois avoir compris que vous dites que, en ce qui concerne la politique monétaire, l'assertivité relativement à la réglementation des échanges et du commerce d'un point de vue multilatéral au sein de toutes les provinces et de tous les territoires du Canada ne susciterait pas de préoccupations négatives pour la Banque. Le rôle de la Banque est de donner des conseils relativement à la gestion de la politique monétaire et de se préoccuper de la valeur de la monnaie, de même que de la productivité et de la compétitivité de notre économie en général.

M. Jenkins : Je suis d'accord avec ces déclarations.

Le sénateur Segal : Ma prochaine question, concernant l'aspect multilatéral que vous avez souligné tous les deux, est celle de l'intégration à l'échelle de l'Amérique du Nord. Nous avons, visiblement, le TILMA à un bout du pays, et des liens nord-sud solides le long de l'axe Houston-Dallas-Los Angeles-Seattle-Vancouver-Calgary, pour des raisons économiques valables, convaincantes et légitimes. Nous avons aussi ce que le premier ministre Charest tente de faire avec l'Ontario et avec l'Europe — et il prétend, en passant, qu'un accord de libre-échange avec l'Europe serait avantageux pour le Canada en général. Ces deux initiatives nous poussent à nous interroger sur notre propre intégration à l'échelle de l'hémisphère à titre de préférence économique tout en tenant compte des contraintes de nature politique ou autre qui existent. Les pays d'Europe sont de tailles variables — il n'y a pas le même déséquilibre qu'ici, en Amérique du Nord — mais les Européens ont réussi, grâce à cette intégration et à une approche commune de la monnaie, à obtenir d'importants avantages et gains de productivité.

Pensez-vous que la Banque pourrait encourager ce type d'audace d'ici peu, ou pensez-vous adopter la position générale selon laquelle l'intégration de la politique monétaire ou une plus grande intégration en matière de commerce aurait plus de répercussions négatives que de répercussions positives? Je crois qu'il est juste d'affirmer que le gouverneur précédent se montrait prudent en ce qui concerne toute approche intégrative qui favoriserait une politique commune de quelque type que ce soit concernant la monnaie. Je ne veux cependant pas parler pour vous.

M. Jenkins : Laissez-moi répondre par une analyse coûts-avantages. Ce que je veux dire, c'est que si nous examinons cette question de l'intégration économique en Amérique du Nord — et dans notre cas, cela signifie plus particulièrement une monnaie commune — notre position, comme institution, c'est que notre cadre actuel, qui suppose des taux de change flexibles, constitue, pour la Banque du Canada, une façon efficace de diriger la politique monétaire en fonction de notre situation nationale.

Quand nous tentons de déterminer ce qu'il faut pour soutenir un bon rendement économique en élargissant la région géographique pour appliquer, dans le cas qui nous occupe, une monnaie commune à toute l'Amérique du Nord, il nous vient tout de suite à l'idée des questions comme le déplacement de la main-d'œuvre d'un pays à un autre. Il doit y avoir des mécanismes. Notre discussion, aujourd'hui, qui porte sur le commerce intérieur, est une sous-partie de cette question, et je crois que c'est ce à quoi vous voulez en venir, sénateur. Nous voulons disposer de mécanismes permettant à l'économie de s'adapter à la situation en évolution.

Dans le contexte d'une monnaie commune, ou dans un contexte semblable, il y aurait certaines conditions préalables, je dirais, pour que le Canada puisse continuer à connaître un bon rendement économique. L'une de ces conditions préalables serait la possibilité, pour la main-d'œuvre, de traverser la frontière.

Il existe des obstacles importants et évidents à ces déplacements. Nous devons penser à ce qu'il faudra mettre en place. Pour l'instant, dans la situation actuelle, la flexibilité du taux de changement nous a donné une capacité d'adaptation qui nous permet de diriger la politique monétaire dans l'intérêt supérieur du Canada.

Le sénateur Ringuette : Je ne prétends pas parler au nom de mes collègues, mais je crois que, après avoir entendu les témoins, nous sommes tous d'accord pour dire que l'élimination des obstacles est favorable à toute économie. Nous avons fait du chemin en ce qui concerne la reconnaissance de la main-d'œuvre et même les syndicats ont pris des mesures considérables à ce sujet. Je dirais même que, dans certains cas, les syndicats ont fait plus que certaines professions.

Cependant, l'un des plus importants obstacles au libre-échange entre les provinces canadiennes — et vous l'avez dit dans votre exposé — c'est l'augmentation de l'écart entre l'économie des régions. Si l'économie se porte bien et que l'infrastructure est solide, le risque que court la région de perdre un peu dans un secteur est relativement faible par rapport aux gains qu'elle pourrait réaliser dans un autre secteur.

Pour moi, le TILMA est un accord entre deux provinces qui entretenaient déjà des relations commerciales, qui ont des économies en croissance et qui ont une infrastructure solide. L'approvisionnement énergétique ne constitue pas un problème. Ils sont donc très bien placés pour conclure un tel accord. Cependant, la situation n'est pas toujours aussi parfaite dans les autres régions du pays. Un accord pourrait être conclu entre le Québec et l'Ontario.

Je viens du Canada atlantique. Je regarde la situation économique de ma région, et je constate que les écarts entre les politiques et entre les régions s'élargissent plutôt que de diminuer.

Comment pensez-vous vous y prendre, à la Banque du Canada, grâce à votre politique de maintien d'une inflation faible, stable et prévisible pour aider les entreprises canadiennes — et je sais qu'elle est limitée —, pour réduire les écarts économiques entre les régions afin d'atténuer les craintes et les facteurs de risque et de permettre une plus grande circulation des produits et des ressources humaines?

M. Jenkins : C'est une très bonne question. C'est important de tenir compte de la situation actuelle. À bien des égards, ce que nous vivons maintenant, c'est l'inverse de ce qu'a vécu le Canada à la suite des crises en Asie et en Amérique latine, et la cessation des paiements sur la dette par la Russie. De 1996 à 1998, l'économie mondiale était faible. Le prix des produits de base a connu une forte baisse, tout comme le taux de change. Nous avons traversé une période de redressement marquée et de réaffectation des ressources, dans ce cas, du secteur des ressources naturelles vers le secteur manufacturier. La production manufacturière et l'emploi manufacturier ont connu une forte augmentation pendant un certain nombre d'années.

Ce que nous vivons maintenant, c'est, à bien des égards, l'inverse de cette situation. Nous avons connu cinq ou six années de forte croissance mondiale, au cours desquelles le prix des produits de base était élevé. Le taux de change du Canada a augmenté, et cela a entraîné des difficultés pour certaines régions et certaines collectivités, c'est vrai. Nous en sommes conscients. Nous vivons actuellement un processus au cours duquel les ressources qui étaient consacrées au secteur manufacturier sont réaffectées dans d'autres secteurs de l'économie canadienne.

Je dirais que toutes les régions du Canada, y compris le Canada atlantique, en profitent, puisque l'économie canadienne est plus souple et peut s'adapter plus facilement.

Ce qui se passe actuellement au Canada — l'essor du secteur des ressources, si vous voulez, dans l'Ouest — entraîne une forte hausse des revenus pour le Canada. Un économiste a dit qu'il s'agissait d'une augmentation de l'indice des termes de l'échange. La valeur des produits que nous vendons à l'échelle internationale a augmenté, et tout le pays voit ses revenus augmenter. Nous sommes témoins des avantages de cette augmentation. Je crois que toutes les régions en profitent puisqu'elles disposent d'une plus grande flexibilité et d'une plus grande capacité d'adaptation face à la situation qui évolue.

En ce qui concerne ce que la Banque du Canada peut faire, elle peut faire deux choses. D'abord, le fait de disposer d'une politique qui vise une inflation faible et stable permet au milieu des affaires du Canada atlantique, de l'Ontario, du Québec et de l'Ouest d'avoir conscience de ce que nous appelons les signaux de prix : quels sont les événements, dans l'économie mondiale, auxquels nous devons réagir? Plus l'inflation est faible et stable, plus ces signaux du marché sont clairs et directs, et plus il est possible d'y réagir efficacement.

L'autre aspect consiste, en fait, à maintenir l'économie canadienne le plus près possible de son plein potentiel de production. Nous estimons qu'une inflation faible et stable favorise une économie performante et peut nous permettre de maintenir le plein potentiel de production de l'économie.

De plus, l'adaptation est plus facile si nous fonctionnons à plein rendement, ou presque. Nous examinons la situation d'un point de vue macroéconomique, mais la politique monétaire a tout de même un rôle important à jouer.

Le sénateur Ringuette : Je suis d'accord avec ce que vous avez dit à propos de l'importance de maintenir une faible inflation, parce qu'il s'agit d'une norme nationale. Nous avons établi une norme nationale pour le taux d'inflation, ou à tout le moins, nous essayons de le faire.

Il ne faut toutefois pas oublier que, quand une économie, qu'il s'agisse de l'économie d'une province ou d'un pays, connaît une diminution de ses activités, il est tentant d'ériger des obstacles pour se protéger — c'est une réaction de légitime défense. Nous constatons que les États-Unis ont réagi de cette façon depuis les deux dernières années. Leur économie connaît des difficultés, ce qui fait que tout ce qui concerne le libre-échange ou la libéralisation des échanges est perçu comme une menace.

M. Jenkins : C'est le sentiment protectionniste.

Le sénateur Ringuette : Ce sentiment protectionniste est attribuable à l'état d'une économie. La région de l'Atlantique vit une situation semblable en ce qui concerne la création d'obstacles au commerce. Il s'agit d'un mécanisme de légitime défense.

M. Jenkins : C'est exactement ce type de situation qui rend plus difficile l'adaptation et entraîne une importante perte d'emploi.

Le sénateur Ringuette : Il faut que le gouvernement fédéral fasse figure de chef de file.

Le sénateur Moore : J'aimerais vous interroger à propos de trois enjeux. À la troisième page de votre déclaration, monsieur Jenkins, vous mentionnez le besoin d'harmoniser les normes et la réglementation sur les activités commerciales, y compris sur le secteur financier.

Pourquoi ne pas mettre en place un organisme unique de réglementation des valeurs mobilières? Il me semble que le gouverneur précédent, David Dodge, appuyait une telle mesure, du moins personnellement. Quelle est la position de la Banque à l'égard de la mise sur pied d'un organisme de réglementation unique?

M. Jenkins : La Banque n'a pas déclaré qu'il fallait nécessairement créer un organisme de réglementation unique, mais nous devons harmoniser les règlements, et cette harmonisation peut se faire de différentes façons. Le ministre des Finances a parlé d'une réglementation commune — j'utiliserais aussi l'expression « réglementation uniforme » —, mais, en bref, il s'agit d'une harmonisation de la réglementation des valeurs mobilières. On peut y parvenir de plusieurs façons, mais il reste que la Banque a toujours été d'avis qu'une harmonisation, une réglementation uniforme ou commune des valeurs mobilières s'imposait.

Le sénateur Moore : Le sénateur Segal, ou peut-être est-ce le sénateur Massicotte, a abordé la question de la balkanisation de l'économie canadienne. Le Canada compte des provinces très prospères, comme l'Alberta et la Colombie-Britannique, et peut-être que certaines leur emboîteront le pas, comme le Québec et l'Ontario. Ce sont des blocs commerciaux puissants. Peut-être, monsieur Murray, que c'est ce que vous expliquiez.

Si on envisage cette possibilité dans le contexte des initiatives du gouvernement fédéral pour favoriser le commerce intérieur, les accords entre provinces n'empiètent-ils pas sur le pouvoir du gouvernement canadien? Est-ce une conséquence imprévue? Nous disons aux provinces de normaliser, de collaborer, d'éliminer les barrières, alors elles le font et forment de puissants blocs commerciaux, qui peuvent requérir ou non une participation du fédéral, ou, du moins, un engagement plus modeste de sa part. Qu'en est-il de cette conséquence? Entrevoyez-vous un quelconque problème au bout du compte? Ces ententes forment des blocs distincts. Ce n'est pas comme si tout le monde convenait d'éliminer une barrière commune. Ces entités passent à l'action, et, tout d'un coup, il se forme deux, trois ou quatre blocs commerciaux très imposants.

M. Murray : Comme je l'ai mentionné précédemment, de telles ententes pourraient offrir, à l'évidence, certains avantages pour les deux partenaires en cause; il peut s'agir, par exemple, d'une série d'ententes bilatérales. Toutefois, d'une façon plus générale, ces mesures peuvent entraîner des complications et des distorsions. Nous avons été témoins d'une foule de situations semblables sur la scène internationale, particulièrement en Asie, où les pays ont conclu une pléthore d'ententes bilatérales qui, finalement, ont embrouillé le commerce en raison de leur caractère hétéroclite. Cette pratique a un nom. On l'appelle le « problème du bol de nouilles », par analogie avec des nouilles emmêlées. Je mélange les métaphores, mais on pourrait dire que ces ententes s'apparentent à un nœud gordien. Mon intention n'est pas de laisser entendre que le Canada pourrait se retrouver dans une situation aussi complexe que celle-ci, mais, manifestement, les ententes bilatérales pourraient devenir encombrantes, même si elles donnent de la vigueur et de la puissance à l'économie des partenaires.

L'aspect positif dans tout ça, c'est que, si les partenaires deviennent assez forts et puissants, peut-être pourront-ils rallier les autres et tenter de trouver une solution qui conviendrait à chacun. S'ils pouvaient centraliser davantage l'entente en lui donnant un cadre multilatéral mieux coordonné, nous obtiendrions des résultats plus profitables.

Le sénateur Moore : Dans vos commentaires, vous avez dit qu'un système financier efficient et solide bonifie la flexibilité de l'économie dans son ensemble, aide à réaffecter le capital et ainsi de suite.

Le sénateur Massicotte a parlé de la récente débâcle des banques à charte, qui va certainement passer à l'histoire. Je crois qu'en novembre ou en décembre dernier, la Banque du Canada a offert un financement de 30 milliards de dollars, n'est-ce pas?

M. Jenkins : En décembre, la Banque a annoncé un prêt à terme qui ressemblait à celui que nous avons annoncé cette semaine. Le premier volet correspondait à deux milliards de dollars, tandis que le second équivalait à une somme d'au moins un milliard de dollars.

Le président : Avez-vous reçu un remboursement?

M. Jenkins : Oh, bien sûr, nous demandons des garanties, comme je l'ai précisé plus tôt.

Le sénateur Moore : Je l'aurais parié. J'aimerais avoir des précisions sur les garanties. En juin dernier, les banques nous ont fait savoir qu'elles ne s'occupaient que de 100 des 7 000 fonds spéculatifs qui existent dans le monde. Elles soutenaient qu'elles faisaient preuve de diligence raisonnable et que leurs investissements ou leurs instruments financiers ne leur causaient aucun ennui. Dix jours plus tard, le monde a commencé à s'écrouler. Les États-Unis se sont retrouvés à l'avant-scène. Puis, à mesure que l'automne avançait, les banques canadiennes reconnaissaient qu'elles accusaient des pertes s'élevant à des centaines de millions de dollars.

Pour ce qui est d'avoir au pays une économie qui présente une souplesse absolue, nous avons vu que les banques à charte se sont mises à consentir moins de prêts aux créditeurs commerciaux et personnels. Vous avez parlé de la transparence des instruments financiers. Imposez-vous des exigences à cet égard? Le montant que vous acceptez de prêter est-il établi selon ce que vous recevrez en retour?

Par exemple, comment attribuez-vous une valeur au papier commercial adossé à des actifs? Nous lisons dans la presse financière que les comptables cherchent à savoir comment évaluer ce type d'actif. Quelles sont les répercussions de cette situation sur le système financier dans son ensemble et sur sa flexibilité? Je crois que cette conjoncture a pour effet de restreindre la flexibilité de notre économie.

M. Jenkins : Je vais vous expliquer les mesures que nous avons adoptées pour régler cette question. Au cours des derniers jours, nous avons produit un document de consultation, qui est affiché sur notre site Web, dans l'intention de commencer à accepter certains types de papier commercial adossé à des actifs dans le cadre du mécanisme permanent d'octroi de liquidités en utilisant les soldes de règlement de la Banque du Canada.

Le sénateur Moore : Vous l'acceptez?

M. Jenkins : Nous allons commencer à accepter le papier commercial adossé à des actifs, mais nous tenons des consultations sur une liste de critères qui nous permettraient de juger s'il serait approprié pour nous d'accepter telle catégorie de papier commercial adossé à des actifs, afin que nous puissions l'évaluer.

Nous visons deux objectifs principaux. Laissons de côté pour le moment les produits structurés et les difficultés qui en découlent; le marché du papier commercial adossé à des actifs a connu une expansion rapide. Si on envisage la possibilité que la Banque puisse fournir des liquidités et prendre les actifs en garantie, nous devons examiner bien soigneusement le marché du papier commercial adossé à des actifs.

Nous voulons également mener ces opérations de manière à pouvoir évaluer ces actifs lorsque nous les prenons en garantie. En collaborant avec le milieu de la finance à la mise en place de documents normalisés, nous pourrions faire en sorte que soit indiqué clairement en quoi consistent ces papiers commerciaux, et nous pourrions donc les évaluer.

Actuellement, cet exercice suit son cours, et il se terminera d'ici la fin mars. Cette démarche nous permettra de commencer à accepter le papier commercial adossé à des actifs au même titre que d'autres transactions boursières, pourvu que ces produits répondent à certains critères.

Le sénateur Moore : Donc, sans réglementation, vous garantissez la transparence nécessaire.

M. Jenkins : Au moyen de cet exercice, nous essayons d'encourager la création d'une documentation plus uniforme et transparente sur ces produits.

Le sénateur Massicotte : Quelles sont les dates d'échéance des prêts?

M. Jenkins : Par le passé, lorsque nous avons conclu de telles conventions de rachat, c'était normalement pour offrir du financement à court terme. Nous envisageons la possibilité d'offrir ce type de financement à court terme de façon régulière. Là encore, dans les deux cas, si nous acceptons le papier commercial adossé à des actifs, nous devons savoir ce que vaut ce produit.

Le sénateur Massicotte : Le délai est-il de 24 heures ou de 30 jours, et le prêt est-il renouvelable?

M. Jenkins : Le délai est normalement d'un jour.

Le sénateur Massicotte : Le prêt est-il renouvelable?

M. Jenkins : Oui, les emprunteurs peuvent renouveler leur prêt le lendemain.

Le sénateur Massicotte : Ils peuvent le faire 365 fois dans une année?

M. Jenkins : Encore une fois, nous effectuons normalement cette transaction dans le but d'atteindre notre taux cible de financement à un jour. Nous effectuons ces opérations sur le marché libre au besoin, et nous pouvons les répéter le lendemain.

Le sénateur Massicotte : Combien d'argent prévoyez-vous y consacrer?

M. Jenkins : Ça peut varier.

Le sénateur Massicotte : Croyez-vous que cette initiative résoudra le problème de liquidité associé au papier commercial adossé à des actifs?

M. Jenkins : « Résoudre » est un terme qui me semble un peu fort à cette étape-ci, mais toutes ces mesures visent à améliorer le fonctionnement de ces marchés.

Le sénateur Eyton : Y a-t-il un quelconque marché organisé pour ces valeurs mobilières? J'ai l'impression que le marché est chaotique et que vos opérations se feraient presque nécessairement entre institutions. Ai-je bien compris?

M. Jenkins : Lorsque nous accordons des prêts, nous le faisons la plupart du temps à une institution en particulier, membre de ce que nous appelons le Système de transfert des paiements de grande valeur; des courtiers primaires, si vous préférez. Nous traitons avec les institutions auxquelles nous avons accordé une marge de crédit. Le but est d'être capable d'accepter un large éventail de garanties, en l'occurrence, le papier commercial adossé à des actifs, mais il faut savoir ce que contient ce produit.

Le sénateur Goldstein : Monsieur Jenkins, vos propos nous éclairent toujours.

Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Murray. Je suis persuadé que nous aurons l'occasion de vous entendre plus souvent dans l'avenir.

Nous nous sommes beaucoup éloignés de la question des obstacles au commerce. Mais puisque nous nous sommes écartés du sujet, j'aurais une dernière question.

Nous avons observé que des institutions financières au Canada, majoritairement des banques, ont chiffré leurs divers actifs qui étaient touchés et ont essayé de les mettre sur le marché. Parfois, elles ont réussi, parfois non, car il peut être difficile de jauger l'état du marché dans la conjoncture où nous nous sommes retrouvés.

Par conséquent, un certain nombre d'institutions ont continué d'indiquer dans leurs rapports trimestriels, et parfois à d'autres occasions, qu'elles procédaient à des réductions supplémentaires de la valeur des actifs, ce qui me semble un geste approprié et responsable.

Croyez-vous que le gros des réductions de la valeur des actifs qui s'imposaient est terminé, ou prévoyez-vous d'autres réductions considérables?

M. Jenkins : Je vais répondre à cette question dans une perspective mondiale, car il s'agit d'une affaire d'envergure internationale. En grande partie, la situation à laquelle nous faisons face découle de l'effondrement du marché américain des prêts hypothécaires à risque. De plus, ces produits font partie des produits structurés, les TGC et autres, ce qui nous ramène à la première question du sénateur Massicotte au sujet de la transparence.

La question des pertes et des moins-values continue encore de perturber le système financier à l'échelle internationale, et puis, il faut tenir compte de la nécessité de restructurer le capital de ces institutions. Dans une perspective mondiale, donc, il y a fort à parier qu'il y aura d'autres réductions. Le marché américain de l'habitation a, à lui seul, fait l'objet d'importantes corrections, et nous savons que ce n'est pas fini. Je ne ferai aucun commentaire sur une institution en particulier, mais dans une optique internationale, compte tenu de la nature et de l'origine de cette crise, je crois que ma réponse à votre question est juste et honnête.

Le président : Messieurs, nous vous sommes profondément reconnaissants d'avoir participé aujourd'hui à ce premier examen ponctuel du contexte dans lequel s'inscrit le commerce interprovincial. Nous prenons soigneusement note de vos témoignages en vue de la préparation de notre rapport.

Avant de vous laisser partir, je vais user de la prérogative de la présidence et pousser plus loin les dernières questions. Le gouverneur précédent, M. Dodge, se distinguait par son utilisation de l'adjectif « extraordinaire ». Nous sommes actuellement témoins de l'effondrement le plus extraordinaire de l'histoire des banques. On a laissé entendre que notre comité devrait tenir des audiences spéciales sur cette crise. D'autres pensent plutôt que, non, la stabilité du système entier est en jeu, et que, même si des ennuis pourraient se profiler à l'horizon, rien ne laisse présager qu'une banque canadienne serait sur le point de s'effondrer. Comment en sommes-nous arrivés là, et pourquoi une telle crise s'est produite? Devrions-nous examiner ces questions? Parce que nous accordons une grande valeur à la sagesse des dirigeants de la banque centrale ici présents, croyez-vous que, actuellement, nous pourrions étudier de manière profitable certaines des situations découlant du resserrement du crédit, ou est-il mieux d'attendre que la poussière retombe? Une étude serait-elle déstabilisante?

M. Jenkins : Sauf tout le respect que je vous dois, monsieur le président, je crois qu'il faut se garder d'utiliser trop librement des expressions telles que « resserrement du crédit » et « effondrement des banques ». À l'évidence, les opérations de titrisation qui se déroulent depuis les trois ou quatre dernières années et le modèle distributif qui prévaut dans la titrisation des actifs hors bilan font que nous sommes engagés dans un processus. Assurément, il y a des enjeux qui gravitent autour de ce processus. Les répercussions de la réintermédiation se font sentir jusque sur le bilan des banques. La situation est complexe, mais je me ferai un plaisir d'y réfléchir et de faire savoir au comité ce qu'il pourrait faire. Il serait prématuré à l'heure actuelle de vous proposer d'étudier un aspect en particulier.

Le président : Il est intéressant de constater que, lorsque nous avons décidé d'examiner les fonds spéculatifs, M. Dodge estimait que ces fonds, même si certains milieux avaient une opinion défavorable à leur égard, constituaient un nouvel élément intéressant et valable pour les marchés financiers, et il nous avait encouragé à les examiner. Nous n'avons pas terminé cette étude, en raison d'un concours de circonstances.

Comme vous l'avez souligné, les dirigeants des banques centrales, les ministres des Finances et les comités des banques doivent utiliser certaines expressions incendiaires avec parcimonie lorsqu'ils traitent du système en général et de son intégrité. Je présume que les banques centrales n'avaient pas le choix de mettre en place les mesures que vous avez décrites, étant donné qu'il y avait un gel à court terme des crédits à un jour que se prêtent les banques entre elles. Je suppose qu'on a cessé d'accorder ce type de crédit parce que les acteurs financiers ne savaient pas à quoi s'en tenir, et ils se sont dégonflés, pour employer une expression populaire. Il y a donc eu un gel des crédits, et la situation ne peut se redresser que si vos institutions vont dans le même sens que vous et s'inspirent des protections que vous avez mises en place.

M. Jenkins : Le problème de la liquidité ne représente qu'une facette de la situation à laquelle nous faisons face à l'heure actuelle. Les fonds spéculatifs ne sont qu'un élément parmi un très large éventail de questions.

Le président : Nous reviendrons sur ce sujet.

M. Jenkins : Je serais très heureux de réfléchir à ce qui pourrait être bénéfique. Il faut comprendre comment assembler les pièces du casse-tête avant de décider quelles sont les modifications qui s'imposent.

Le sénateur Moore : Cet échange entre M. Jenkins et le président est captivant. En juin dernier, par téléconférence, nous avons entendu un témoin qui répond au nom de Warren Buffet, à l'occasion de notre étude sur les fonds spéculatifs. Son entreprise en détenait un, et il l'a éliminé. Cette décision lui a fait perdre beaucoup d'argent, mais il a cessé de s'adonner à ce genre d'activités parce qu'il lui semblait qu'il ne parvenait pas à avoir la mainmise sur l'évaluation du fonds et sur d'autres composantes. Nous lui avons demandé sur quoi nous devions nous attarder au Canada pour savoir si ces fonds poseraient problème. Il a répondu que nous devions surveiller nos banques à charte. Il avait raison.

Le président : Messieurs, je vous remercie beaucoup de votre visite. Nous attachons beaucoup d'importance à vos commentaires, et nous espérons que le comité aura l'occasion de poursuivre ses échanges avec la Banque du Canada.

Nous présentons nos excuses aux nouveaux témoins pour le retard. Pour un certain nombre de raisons, l'audience ne s'est pas déroulée comme prévu cet après-midi, et vous avez fait preuve de patience. J'espère que vous avez pris plaisir à écouter les propos des dirigeants de la Banque du Canada.

Quoi qu'il en soit, vous êtes ici pour commenter la loi en vigueur en ce qui concerne l'insolvabilité d'entreprises de l'industrie agricole. La Loi sur la médiation en matière d'endettement agricole nous a été expliquée la semaine dernière, et des fonctionnaires fédéraux ont fait un exposé sur cette loi devant le comité.

Nous entendrons aujourd'hui M. Ron Bonnett, deuxième vice-président de la Fédération canadienne de l'agriculture, et M. Glen Snoek, analyste des politiques agricoles. Je crois qu'ils ont suivi nos audiences et qu'ils savent où nous en sommes rendus dans notre étude. Je les vois acquiescer de la tête. J'espère ne pas me tromper, car cette étude a été un long parcours pour nous. Elle remonte à plusieurs années, mais nous tentons d'obtenir le plus de données possibles pour soumettre un rapport sur la loi-cadre portant sur la faillite, l'insolvabilité, la restructuration des activités et autres situations qui surviennent dans ce pays. L'étude tire à sa fin, et nous voulons en savoir davantage au sujet de votre industrie.

Ron Bonnett, deuxième vice-président, Fédération canadienne de l'agriculture : Merci de me donner l'occasion de témoigner. Je vous suis reconnaissant de l'invitation. D'entrée de jeu, j'aimerais préciser qu'il est toujours préférable pour un agriculteur d'être après un banquier que d'avoir un banquier après lui. Je tire cette remarque de ma propre expérience.

Pour mettre les choses dans leur contexte, M. Snoek est chercheur à la Fédération canadienne de l'agriculture. Je suis, pour ma part, agriculteur. J'ai une exploitation de naissage près de Sault Ste. Marie, en Ontario. Je veux vous expliquer un peu en quoi consiste la Fédération canadienne de l'agriculture. Je ne sais pas exactement combien de gens sont au courant de la composition de cette organisation. Nous représentons diverses associations de producteurs, de même que des associations agricoles générales de partout au pays. Nos membres représentent environ 200 000 agriculteurs. Nous tentons de parvenir à des consensus sur les politiques.

Avant de commencer, j'aimerais souligner que votre discussion avec le milieu bancaire au sujet des obstacles au commerce interprovincial était intéressante. Nous aimerions peut-être à un moment donné vous faire un exposé concernant certains de ces obstacles. Divers obstacles, surtout de nature réglementaire, nuisent à la compétitivité des activités agricoles, selon la situation géographique de l'exploitation qui les mènent. Je suis heureux de constater que vous vous penchez sur cette question.

Je voudrais vous parler du contexte dans lequel évolue le milieu agricole et d'où en est rendue l'industrie avant d'aborder la Loi sur la médiation en matière d'endettement agricole. En général, il faut reconnaître que les entreprises agricoles sont un peu différentes des autres entreprises, en ce sens qu'elles sont exposées à une multitude de risques. Il n'y a pas que les risques financiers : nous sommes également tributaires des conditions climatiques, du marché, des politiques et de la réglementation. Tous ces éléments peuvent avoir des répercussions importantes sur la rentabilité des exploitations agricoles. L'instabilité des marchés des marchandises est presque devenue la norme. Les fluctuations récentes du prix des marchandises reflètent cette instabilité.

De plus, les entreprises agricoles nécessitent beaucoup de capitaux fixes. Les variations soudaines des taux de financement, du prix de l'équipement et du prix de l'essence ont une incidence considérable sur la rentabilité.

Quand on parle des risques, l'un des exemples les plus récents se rapporte aux producteurs de bovins du Canada qui, jusqu'en 2003, faisaient de bonnes affaires. Puis, tout à coup, des cas d'encéphalopathie bovine spongiforme, l'EBS, ont provoqué la fermeture des marchés d'exportation que nous avions établis. Nous n'avions tout simplement plus accès à ces marchés.

Cela étant dit, je crois qu'il faut reconnaître que nous avons accompli un travail extraordinaire au cours des dernières années pour ce qui est d'accroître le rendement de la main-d'œuvre et de favoriser l'adoption de nouvelles technologies dans l'industrie agricole, de sorte que nous étions en mesure de concurrencer les entreprises agricoles à l'étranger lorsque d'autres facteurs n'entraient pas en ligne de compte.

Nous venons de traverser une période où le prix des marchandises était bas, particulièrement dans le secteur céréalier, ce qui a fait la vie dure aux exploitations agricoles. Le récent redressement de la situation est une bonne nouvelle pour les agriculteurs. L'une des choses qu'il faut reconnaître, c'est que, lorsque le prix des marchandises et les recettes des exploitations agricoles chutent, les répercussions ne se font pas seulement sentir chez les agriculteurs. En effet, la capacité des membres de cet important secteur primaire de payer leurs factures à temps a une incidence sur l'ensemble de la collectivité rurale, qu'il s'agisse des camionneurs qui approvisionnent les entreprises, du secteur des services ou des garages s'occupant de la réparation des machines.

À lire les journaux, on pourrait penser que tout va pour le mieux dans le domaine de l'agriculture actuellement. Le secteur des céréales et des graines oléagineuses s'est redressé. Ce redressement sera en partie tempéré par l'augmentation du coût de l'essence, des engrais et d'autres intrants, mais le revirement impressionnant qu'a connu le secteur des céréales et des graines oléagineuses repose sur divers facteurs. La politique américaine sur les biocarburants, qui a contribué à retirer du marché une grande quantité de graines, représente l'un des principaux facteurs.

Mais, d'un autre côté, des pressions s'exercent maintenant sur le secteur de l'élevage canadien, qui s'en tirait bien auparavant, en raison du bas prix des céréales et de la faiblesse du dollar canadien.

Ce secteur est mal en point en raison du coût élevé des aliments pour animaux et de la force de notre devise, qui ont entraîné la réduction de sa capacité d'exportation. La majeure partie de notre production porcine et bovine est destinée au marché américain, de sorte que, soudainement, la structure de coûts accuse un écart de 30 à 40 p. 100 à cause de l'appréciation du dollar canadien.

Nous devons composer avec de faibles marges et nous avons une très forte capitalisation. Nous avons parfois besoin d'un coussin pour tenir le coup pendant les périodes difficiles. Si les liquidités se tarissent pendant un certain temps, nous courons toujours le risque qu'un créancier devienne nerveux et décide d'exiger son dû.

Un certain nombre de prêteurs se sont montrés coopératifs lorsque des agriculteurs ont eu des difficultés à payer leurs factures, mais, dans certains cas, les prêteurs ont pris peur et ont décidé d'aller rapidement rendre visite à l'agriculteur. Ce qui explique pourquoi la Loi sur la médiation en matière d'endettement agricole a été créée en premier lieu.

Lorsque les gens paniquent et vendent leurs actifs, il arrive que l'on n'obtienne pas la valeur réelle des actifs. On assiste alors à une vente au rabais. Il est alors difficile de récupérer les capitaux propres.

La semaine dernière, vous avez entendu des représentants d'Agriculture Canada. Dans la transcription que nous avons consultée, on souligne à de nombreuses reprises l'importance du programme et son bon fonctionnement. Nous convenons du fait que le programme donne de bons résultats. On pourrait corriger quelques lacunes, mais tout programme comporte des failles. Je pense, entre autres, au processus en lui-même, qui est parfois rapide. Lorsqu'un agriculteur opte pour la médiation en matière d'endettement, il consacrera une journée à envisager des solutions pour remédier à sa situation. Parfois, je me demande si l'agriculteur dispose d'assez de temps pour évaluer à la fois ses besoins à court terme et ses besoins à long terme. Il y a eu des cas où des agriculteurs se sont engagés dans la médiation en matière d'endettement agricole, et les parties ont conclu un arrangement, puis, quelque temps après, ces mêmes agriculteurs ont tenté de renouveler leur marge de crédit, et la banque leur a dit : « Maintenant que nous savons que vous êtes exposé à un risque, nous ne voulons plus vous consentir cette marge de crédit. » Une telle situation provoque une autre crise. Il faut se pencher sur cette question dans l'avenir.

D'après les conversations que nous avons eues avec nos partenaires provinciaux, il semble que, parfois, les démarches que l'agriculteur a entreprises auprès du service provincial de médiation ne soient pas prises en compte par son pendant fédéral. En effet, certaines provinces ont leur propre programme de médiation. Elles reconnaissent divers types d'actifs. Elles peuvent donc engager une médiation et recueillir des renseignements, mais si le processus fédéral est enclenché par la suite, l'agriculteur doit repasser par les mêmes étapes. Il faudrait donc songer à coordonner les activités des services de médiation fédéral et provincial.

L'autre inconvénient, c'est que la loi fédérale prévoit une interdiction de deux ans. Si un agriculteur a recours aux services de médiation en matière d'endettement agricole et que les parties parviennent à un arrangement, il ne peut présenter une nouvelle demande dans les deux années suivantes. Par le passé, il est arrivé que des agriculteurs se sont tournés vers la médiation pour des motifs qui étaient peut-être d'ordre financier ou économique, mais, si dans les deux années qui ont suivi leur demande, leur récolte a été déficitaire, ces agriculteurs n'ont pu présenter une nouvelle demande. Certains programmes provinciaux ont la possibilité de tenir compte des circonstances atténuantes et de se pencher de nouveau sur un dossier pour déterminer si le problème peut être réglé.

Le service de médiation vise essentiellement à déterminer s'il est possible de stabiliser la situation financière de l'exploitation agricole pour qu'elle puisse poursuivre ses activités, payer ses fournisseurs et conserver ses employés.

On commence à dire que certaines banques ne seraient pas si enchantées par la médiation en matière d'endettement agricole. J'ai entendu parler d'un cas où la banque aurait tenté de court-circuiter la médiation et de recourir à la forclusion. L'agriculteur se retrouve alors au centre d'un litige et risque la forclusion, de sorte que la médiation en matière d'endettement agricole ne s'applique plus. Nous croyons qu'un agriculteur devrait toujours avoir l'occasion d'opter pour la médiation.

On a même entendu parler de situations où des banques ont demandé à des agriculteurs de signer une renonciation selon laquelle ils ne recevraient leur prêt que s'ils s'engageaient à ne pas recourir à la médiation en matière d'endettement agricole.

Ces situations nous préoccupent.

Le président : Les forclusions s'appliquent-elles lorsqu'il y a eu financement de l'équipement plutôt que des terres et des installations?

M. Bonnett : Parfois, c'est le cheptel qui a également été financé.

Le président : Toutefois, le financement ne concerne pas la maison et la section, c'est bien cela?

M. Bonnett : Dans les cas dont j'ai entendu parler, le financement visait le cheptel, pendant la crise de l'EBS. La banque voulait couper au plus court et mettre la main sur ce qui restait avant que d'autres n'interviennent. Elles ont essayé d'intervenir avant d'être engagées dans la médiation.

Le président : Ce que vous dites, c'est que, lorsque ces gens ont agi prématurément ou qu'ils ont fait fi de la Loi sur la médiation en matière d'endettement, certains agriculteurs se sont parfois prévalus de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité?

M. Bonnett : Il en effet possible d'y avoir recours. La possibilité de recourir à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité demeure. Il est arrivé que des banques ont préféré se lancer dans cette voie plutôt que d'opter pour la médiation. Toutefois, nous essayons de mettre en évidence que la médiation et la collaboration entre les parties permettent de trouver une solution sans qu'on doive dilapider tout son argent dans les frais juridiques. Trop souvent, nous voyons des agriculteurs aux prises avec des difficultés financières, mais on parvient à sauver l'exploitation grâce à un plan de redressement. Toutefois, tout le monde décide d'embaucher des juristes, de sorte qu'on finit par engloutir tous ses actifs pour remédier à la situation plutôt que d'envisager une solution et de la mettre en place.

Voilà l'une des raisons pour lesquelles nous croyons que ce programme est important.

Remontons au début. Le service de médiation est apparu au cours des années 1980, lorsque les taux d'intérêt ont bondi. Moi-même, comme agriculteur, je payais jusqu'à 24 p. 100 d'intérêt à un moment donné. Un certain nombre d'agriculteurs ont eu recours à la médiation en matière d'endettement agricole à cette époque. On a adopté diverses mesures qui les ont aidés à tenir le coup. Certaines personnes pourraient avancer que, en raison de l'augmentation des prix des marchandises et des changements apportés aux programmes de soutien, la médiation ne nous est peut-être plus d'aucune utilité, mais je soutiens que, actuellement, elle est probablement plus utile que jamais. Le taux d'endettement agricole au Canada n'a jamais été aussi élevé. Il est plus élevé que celui aux États-Unis. Si les taux d'intérêt montaient de 1 ou de 2 p. 100, le secteur agricole se retrouverait soudainement en crise. Nous avons besoin d'un outil semblable advenant ce genre de crise.

Au cours de nos discussions avec nos partenaires provinciaux, il est ressorti que le programme est une telle réussite que d'autres petites entreprises voudront peut-être s'en inspirer. Il est facile de s'en remettre à la procédure juridique et aux avocats et de tenter de résoudre l'affaire de cette façon. Comme je l'ai dit plus tôt, en choisissant cette avenue, l'agriculteur finira par dilapider ses actifs et n'arrangera en rien les choses. Il est donc important de conserver un programme pour s'occuper de telles situations.

Il vaudrait peut-être la peine d'inviter des gens qui ont participé directement à la médiation, comme les médiateurs et les agriculteurs qui y ont eu recours, et de leur demander s'ils auraient des suggestions particulières pour améliorer le programme.

Dans nos notes, nous mentionnons que nous ne considérons pas la médiation comme une façon d'éliminer les dettes. Nous voyons plutôt la médiation comme un moyen de gérer ces dettes et de sauver une exploitation avant qu'elle ne s'écroule, comme c'est trop souvent le cas. Il s'agit d'une intervention de sauvetage plutôt que d'un moyen d'effacer les dettes, ce que nous ne cherchons pas.

Pour résumer les principaux points, nous croyons que la collaboration fédérale-provinciale dans la médiation est essentielle. Par ailleurs, il est important de sensibiliser les secteurs agricole et bancaire au fonctionnement du programme et aux avantages réels que représentent, tant pour l'agriculteur que pour le banquier, le maintien de la valeur des actifs et, dans de nombreux cas, le redressement de la situation des entreprises agricoles pour qu'elles deviennent rentables dans l'avenir.

Nous devons faire en sorte que la médiation continue d'être un outil accessible, car, s'il y a une augmentation des taux d'intérêt, nous pourrions assister à une crise semblable à celle que nous avons vue dans les années 1980, vu le taux d'endettement élevé des agriculteurs à l'heure actuelle.

Ces points résument l'essentiel de mes commentaires. Je suis disposé à répondre à vos questions.

Le président : Merci. Vos propos sont encourageants. Si je comprends bien, la médiation est un outil que vous et les membres de la fédération appréciez grandement.

M. Bonnett : En effet.

Le président : Le mieux est l'ennemi du bien. D'un autre côté, nous ne sommes pas ici pour rien. Si de petites mises au point s'imposent, c'est l'occasion pour vous de nous soumettre vos recommandations pour que nous les intégrions au rapport.

M. Bonnett : S'il était question d'une machine, je dirais qu'un coup de pinceau lui ferait le plus grand bien. Toutefois, c'est encore un outil efficace.

Le sénateur Massicotte : Bref, vous êtes satisfait de ce qui se passe et vous avez quelques recommandations, mais, dans l'ensemble, vous considérez que la médiation est un bon instrument.

Si je comprends bien, d'après ce que j'ai lu, la médiation est simplement un processus temporaire. Personne ne peut forcer qui que ce soit à conclure une entente. Un tiers intervient et vous amène à discuter avec vos créanciers pour parvenir à une solution raisonnable. Vous êtes satisfait de ce processus. Il semble bien fonctionner et, en d'autres termes, il a de l'importance.

M. Bonnett : La médiation fonctionne à court terme parce qu'il y a la présence d'un tiers. Dans de telles situations, lorsque l'agriculteur a besoin d'un médiateur, il arrive que l'agriculteur et le banquier ne se parlent plus. Ce processus met en évidence les principales difficultés et les solutions possibles. Je crois que la seule chose à laquelle nous devrions réfléchir, c'est que, une fois que les parties ont trouvé une solution à court terme, il faudrait savoir ce qu'il faut faire pour qu'elles s'entendent sur un plan à long terme. Les parties ne veulent pas adopter une solution pour que, deux ans plus tard, l'agriculteur se voit privé de sa marge de crédit et se retrouve de nouveau en difficulté.

Le sénateur Massicotte : Vous avez dit plus tôt que nous devons faire savoir aux banques que ce programme existe et qu'il fonctionne bien. Insinuez-vous par là que les banques ignorent l'existence de la médiation ou que le programme ne leur plaît pas vraiment?

M. Bonnett : Maintenant, l'agriculture représente une part de plus en plus mince du portefeuille d'un certain nombre de banques, ce qui nous complique la tâche. Il n'y a plus autant de directeurs locaux qui comprennent le milieu agricole. Souvent, l'agriculteur entretient des relations avec le directeur de la banque locale, mais cette personne n'est pas nécessairement un expert de l'agriculture. Elle ne comprend peut-être pas certains des outils susceptibles d'aider les agriculteurs à reprendre le dessus avant que leur situation ne s'aggrave.

Le sénateur Massicotte : Les banques prêtent-elles assez d'argent au secteur agricole?

M. Bonnett : On ne peut pas dire que la situation soit si préoccupante ces temps-ci. À ce titre, je dois féliciter Financement agricole Canada. Si vous m'aviez demandé mon avis sur Financement agricole Canada il y a 25 ans, mes propos n'auraient sûrement pas été tendres. Toutefois, un revirement s'est opéré au sein de l'organisation et, aujourd'hui, elle est beaucoup plus ouverte aux besoins des agriculteurs. Elle a comblé certains des écarts.

En fait, la volonté des banques de consentir des prêts à l'agriculture varie selon l'endroit où on se trouve dans le pays. Par exemple, dans les provinces de l'Ouest, où les collectivités agricoles sont très actives, les banques sont mieux disposées. En revanche, dans les provinces de l'Est ou dans le Nord de l'Ontario, le secteur agricole n'est pas aussi bien représenté dans les banques qu'il pourrait l'être.

Pour revenir à la question de savoir si les banques prêtent suffisamment d'argent, je dirais que dans certaines régions, oui, tandis que dans d'autres, non. Financement agricole Canada est intervenu et a comblé cet écart. Cela nous ramène à l'importance de faire en sorte que les employés de première ligne dans les milieux bancaires sachent quels sont les outils à la disposition des agriculteurs, car ce sont ces employés qui sont en relation avec le secteur agricole.

Le sénateur Massicotte : Vous avez soutenu de façon convaincante que les agriculteurs ont besoin de cette loi. Toutefois, comme vous le savez très bien, les autres acteurs de la collectivité — les entreprises et les particuliers — n'ont pas accès à la médiation.

D'après vous, pourquoi est-il important, du point de vue des politiques gouvernementales, que le secteur agricole soit traité différemment par rapport à 99 p. 100 des entreprises au Canada? Pourquoi devrait-il bénéficier d'un traitement distinct?

M. Bonnett : Comme je l'ai dit plus tôt dans mon exposé, la médiation est une si bonne chose que les petites entreprises voudront peut-être s'en inspirer. La crise des taux d'intérêt des années 1980 a donné naissance à ce service. À cette époque, les exploitations agricoles sortaient tout juste d'une période d'investissements massifs qui s'était déroulée de la fin des années 1970 au début des années 1980 — les agriculteurs adoptaient de nouvelles technologies, construisaient de nouvelles installations, élargissaient leurs activités et profitaient des marchés d'exportation. Les entreprises agricoles étaient hautement capitalisées. Par conséquent, lorsque les taux d'intérêt ont bondi, les répercussions ont été beaucoup plus graves pour les exploitations agricoles que pour les autres types d'entreprises.

C'est cette situation qui a entraîné la mise en place de la médiation. Toutefois, c'est un outil qui fonctionne si bien que les autres petites entreprises voudront peut-être l'examiner. Si nous prenons en considération les coûts pour l'économie, à long terme, la médiation coûte moins cher qu'une procédure juridique.

Le sénateur Massicotte : Vous avez dit que le taux élevé de l'endettement demeure une question préoccupante. Le taux n'augmentera-t-il pas? Le prix du blé et du maïs a augmenté considérablement. À l'évidence, la valeur des terres agricoles augmentera. J'ai même l'impression que la situation sera plus difficile pour les prochaines générations d'agriculteurs.

M. Bonnett : Le prix élevé des céréales pourrait en effet provoquer une augmentation de la valeur des terres agricoles. Le milieu agricole vous a fait savoir que nos voisins du Sud étaient grandement subventionnés depuis ces dernières années. Les agriculteurs américains reçoivent par la poste de gros chèques leur permettant de maintenir leurs activités agricoles.

Pour notre part, pour garder nos exploitations agricoles en activité, nous devions nous tourner vers des établissements prêteurs et obtenir des capitaux. En raison de cette capitalisation, nous nous sommes endettés. L'endettement agricole auquel nous faisons face est tout aussi attribuable à l'écart entre les niveaux de subvention pratiqués par les deux pays qu'à d'autres facteurs. Si l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, rendait une décision que tous approuveraient, cet écart pourrait être chose du passé.

La capitalisation pourrait s'accroître, mais cette augmentation se fera grâce à l'obtention d'un prix rentable pour les céréales. Cette situation est différente de celle où la capitalisation vise à concurrencer les autres pays sur le plan des subventions.

Le sénateur Massicotte : Si la conjoncture économique est favorable, moins de terres seront réservées au bétail et plus de terres seront consacrées à la culture de céréales hautement rentables.

M. Bonnett : Ma femme et moi discutions justement de cela.

Le sénateur Harb : Vous avez soulevé trois aspects dont j'aimerais vous entretenir.

D'abord, dans certaines situations, les agriculteurs doivent signer des renonciations lorsqu'ils veulent emprunter de l'argent à la banque. Croyez-vous que nous devrions peut-être apporter une modification à la loi pour interdire aux agriculteurs ou aux banques de réclamer une telle renonciation?

M. Bonnett : Nous serions d'accord pour qu'il y ait certains changements. Nous ne sommes pas d'accord avec l'idée qu'ils puissent signer des renonciations, car cela permettrait de contourner tout à fait la loi. De cette façon, l'agriculteur ne jouirait pas des protections dont il a peut-être besoin.

Le sénateur Harb : Deuxièmement, êtes-vous en train de dire que le comité devrait peut-être ajouter une disposition? Vous avez dit que, dans la mesure où un agriculteur invoque la loi sur la médiation, il lui est interdit de le faire de nouveau pendant deux ans. Vous avez proposé que nous ajoutions une disposition prévoyant des circonstances extraordinaires, pour que l'agriculteur en question puisse se tourner de nouveau vers la médiation. Proposez-vous aussi qu'une telle disposition prenne la forme d'une modification?

M. Bonnett : Je veux ajouter le cas des circonstances atténuantes. Nous ne souhaitons d'aucune façon que cela devienne l'instrument de l'agriculteur qui, n'ayant pas fait ce qu'il avait à faire, invoque la loi de nouveau. Nous ne demandons pas une telle modification. Nous demandons que, dans la mesure où l'agriculteur doit invoquer la loi de nouveau avant l'expiration du délai de deux ans en raison de circonstances qui échappent à sa volonté ou de motifs valables, il devrait exister un mécanisme qui lui permet de le faire.

Le sénateur Harb : Troisièmement, vous avez donné l'impression que, dans les cas où il y a médiation, dans certaines situations, tout le monde semble pressé. Les gens s'y lancent avec empressement, la médiation fonctionne ou elle ne fonctionne pas, auquel cas ils se retirent. Êtes-vous d'avis qu'il faudrait préciser un délai raisonnable, pour que nous en arrivions à un règlement qui définit ce qui constitue un délai raisonnable?

M. Bonnett : J'affirme que c'est une question dont il faut discuter en étudiant les modifications du règlement qui accompagne la loi. Les gens ne veulent pas que la médiation se fasse rapidement, au point où, s'ils avaient pris quelques jours de plus, pensent-ils, ils en seraient peut-être arrivés à une meilleure solution.

Le sénateur Harb : Les bureaucrates qui sont venus témoigner nous ont dit que, de leur point de vue, le système fonctionne. Le budget s'élève à trois milliards de dollars, et ils ne sont pas en mesure d'affirmer qu'il nous faudrait y injecter plus d'argent pour accroître la bureaucratie. Ils ne nous diraient pas une telle chose.

Vous êtes peut-être mieux placés pour nous dire si, de votre point de vue, le système fonctionne. Est-ce qu'il nous faut y affecter davantage de ressources, par exemple?

M. Bonnett : À propos des ressources, vous devez reconnaître le fait que ce processus sera fondé sur la demande. Nous allons peut-être traverser une période où les prix augmentent et où la demande ne sera pas si grande, surtout dans le cas des récoltes commerciales. La demande sera peut-être plus grande du côté du bétail. Si nous voyons qu'il y a une évolution des taux d'intérêt, à ce moment-là, je crois qu'il faudra des fonds spéciaux, étant donné la demande.

À ce moment — et M. Snoek peut confirmer ou infirmer cela d'un signe de tête —, nos membres n'ont pas soulevé la question du financement du programme. Cela dit, je crois que nous devons tous reconnaître que, dans la mesure où, subitement, il y a une modification importante des frais d'intérêt, alors il faudrait affecter davantage de ressources au système.

Le sénateur Harb : Statistiquement, savez-vous combien de personnes ont recouru au processus et quel est leur degré de satisfaction? Avez-vous eu droit à des échos dont vous pourriez nous faire part?

Glen Snoek, analyste des politiques agricoles, Fédération canadienne de l'agriculture : Pour avoir les échos en question, nous avons posé la question à nos membres au moment où vous nous avez invités à comparaître. Les gens n'ont pas répondu qu'il faudrait changer le programme. Ils apprécient le programme tel qu'il est. Ils espèrent que vous n'essaierez pas de vous en débarrasser. Les échos sont bons. Nous n'avons pas de statistiques précises là-dessus; nous ne savons pas combien de personnes ont recouru avec succès au processus. Je ne crois pas qu'Agriculture Canada établisse des statistiques à ce sujet non plus. C'est probablement une chose importante sur laquelle vous allez vouloir vous pencher à l'avenir.

Le président : C'est l'homme qui dirige le programme qui tenait les statistiques.

M. Snoek : De même, pour ce qui est des frais, ce qu'on nous a laissé entrevoir, c'est qu'il y avait un dédoublement des services entre certaines des lois provinciales et des processus provinciaux de médiation. Parfois, l'agriculteur met des jours, des semaines ou des mois à travailler auprès d'un médiateur provincial, mais dès que le programme fédéral s'enclenche, tout le travail ainsi fait ne compte plus, il doit repartir à neuf et refaire le processus. Il y a probablement aussi des synergies — je n'arrive pas à trouver un meilleur terme — qui sont telles qu'on pourrait réduire les coûts dans ce domaine et tirer parti de ce qui a été fait auparavant.

Le sénateur Ringuette : Je suis d'accord avec vous quand vous dites que la Société du crédit agricole, depuis qu'elle existe, a connu des progrès extraordinaires et fait un bon travail auprès du milieu agricole, d'après mon expérience à moi. J'ai deux questions à poser.

Quelle est la situation au Québec en ce qui concerne l'état des coopératives agricoles et la Loi sur la médiation en matière d'endettement agricole? Les coopératives agricoles n'auraient-elles pas une façon particulière d'aborder la chose, par rapport aux autres entités?

Quant à ce que vous avez dit au sujet des renonciations, je sais que les agriculteurs se retrouvent parfois dans un mauvais pas. S'ils ne signent pas la renonciation, ils ne reçoivent pas le prêt ou la marge de crédit. La question est la suivante : comment légiférer pour qu'une banque soit obligée d'accorder une marge de crédit à une exploitation agricole? Nous ne pouvons légiférer de telle sorte que la banque élimine la renonciation qui est associée au prêt ou à la marge de crédit, car elle dira qu'elle n'accordera pas le prêt à ce moment-là. C'est comme l'œuf et la poule.

Peut-être que j'interprète mal. Il y a peut-être autre chose que vous pourriez nous expliquer.

M. Bonnett : L'exemple de la renonciation touche une banque en particulier que je ne nommerai pas forcément aujourd'hui.

Le sénateur Ringuette : Vous devriez peut-être le faire.

M. Bonnett : Je devrais peut-être. Je veux vérifier avant de le dire.

À mes yeux, l'adoption de mesures législatives au sujet de la question des renonciations n'équivaut pas à dicter à la banque ses politiques de prêt et de garantie. Si la personne correspond au profil retenu dans les politiques de garantie et les politiques de prêt de la banque, cette dernière ne devrait pas ajouter une renonciation pour contourner un instrument qui a été conçu non seulement par le milieu agricole, mais aussi par les banques elles-mêmes au moment des discussions sur le processus durant les années 1980. L'instrument en question a été conçu pour servir. C'est presque comme si ça allait entièrement à l'encontre de l'esprit de la loi. Peut-être que des pressions exercées sur les banques ou même une discussion sur l'idée de mettre fin aux renonciations par voie législative permettraient d'atteindre le but.

Le sénateur Ringuette : Parfois, ça aide à concevoir une politique.

M. Bonnett : Oui, il est étonnant de savoir ce que ça peut débloquer. Tout de même, je voulais faire valoir que c'est là un problème parce qu'il n'est pas simple aujourd'hui pour l'exploitation agricole de changer de banque : cela suppose toutes sortes de choses, depuis les liens à nouer avec l'agent de prêt, l'établissement d'antécédents auprès de la banque et quelque chose d'aussi simple que la prestation d'états financiers sous la forme que souhaitent diverses banques. Le processus de changement de banque est compliqué, bien que je l'aie fait à quelques reprises, mais pour d'autres raisons. Parfois, c'est aussi une question de personnalité.

Je dirais que l'idée de mettre fin aux renonciations est peut-être une chose qu'il faudrait soumettre à la discussion, pour voir quelle serait la réaction du milieu bancaire.

En réponse à la question que vous avez posée au sujet des coopératives, je ne suis pas sûr, mais nous pouvons faire des recherches et vous faire part des résultats.

Le sénateur Ringuette : Cela m'intéresserait de savoir comment cela fonctionne.

M. Bonnett : À la Fédération canadienne de l'agriculture, nous préconisons maintenant l'idée des coopératives, en regardant les crédits d'impôt à l'investissement et ainsi de suite comme instrument pour stimuler l'investissement fait dans les coopératives. Nous assistons à l'éclosion de plusieurs marchés nouveaux pour les produits agricoles, qu'il s'agisse de créneaux dans le cas des spécialités alimentaires ou de la mise au point de biocarburant ou de biofibre. Il existe un certain nombre de produits qui permettraient aux agriculteurs de s'engager davantage dans des coopératives. J'apprécierais également tout ce que vous pouvez faire pour prôner l'évolution des politiques en faveur des coopératives.

Le sénateur Ringuette : J'ai toujours appuyé vivement les coopératives agricoles parce qu'elles permettent de réaliser des gains en efficience sur les créneaux de marchés, étant donné qu'il faut un volume critique pour pénétrer un marché et qu'il faut partager matériel et installations.

Le sénateur Eyton : Je dois admettre que, jusqu'à la semaine dernière, je ne savais pas qu'il y avait la Loi sur la médiation en matière d'endettement agricole, de sorte que c'est pour moi une révélation. Les témoignages que nous avons entendus ont été encourageants et complémentaires par rapport au processus en général. D'après vos remarques, je conclus que vous êtes du même avis.

Je suis donc curieux... je m'intéresse au processus de médiation et à la façon dont il fonctionne. J'aime comprendre le fonctionnement des choses. J'ai trois questions qui portent sur la médiation.

Où allez-vous trouver les médiateurs impartiaux dont il est question? Il me semble qu'ils représentent un élément vital du succès d'une médiation. Où les trouvez-vous et comment sont-ils nommés?

Quelle a été l'expérience des créanciers garantis en rapport avec la médiation? Je présume que la garantie reste intacte et qu'elle fait partie de la médiation. Tout de même, arrive-t-il parfois qu'une partie de la dette garantie tombe pour qu'on en arrive à un compromis chez les créanciers garantis et non garantis?

Je pose la question suivante surtout parce que je suis curieux : les quotas sont-ils généralement comptés parmi les éléments d'actifs de certaines exploitations agricoles et font-ils l'objet aussi du processus de médiation?

M. Bonnett : En réponse à la première question au sujet de la nomination des médiateurs, disons que, souvent, c'est un processus qui a servi à choisir des agriculteurs qui ont l'expérience et la formation voulues pour agir à titre de médiateurs, pour avoir géré leur propre entreprise. C'est un processus de nomination. Je crois que c'est le ministre qui nomme les médiateurs. Les noms des personnes pouvant siéger aux comités de médiation en question lui sont soumis.

Le sénateur Eyton : Qui retient les noms?

M. Bonnett : Ce sont des nominations ministérielles, je crois. À propos des quotas, ils font toujours partie de l'actif; c'est un élément d'actif pour l'entreprise.

Le sénateur Eyton : Peuvent-ils être cédés?

M. Bonnett : Les quotas peuvent être cédés ou vendus. Souvent, on constate que les gens hésitent à déplacer les quotas, car dès qu'un quota n'est plus rattaché à une propriété agricole, la capacité de générer des revenus y est minée. Souvent, c'est un élément d'actif précieux que les gens souhaitent protéger.

Dans le cas du producteur laitier qui ne remplit peut-être pas le quota, un des éléments qui figureraient dans le processus de médiation, c'est de savoir s'il y a des problèmes touchant l'alimentation du bétail et qui font qu'on n'arrive pas à la production voulue. Y a-t-il quelque chose qu'il faudrait mettre en place pour s'assurer des rentrées de fonds? Les quotas figurent parmi les éléments d'actif étudiés, mais c'est un élément d'actif central qui a une grande valeur parce qu'il permet de générer des recettes.

Le sénateur Eyton : Quelle est l'expérience des créanciers garantis?

M. Bonnett : La solution résulte de la négociation. Tous les créanciers sont présents autour de la table au moment de la négociation; c'est l'art du compromis qui entre en jeu.

S'il y a des compromis qui sont faits, c'est que les créanciers garantis ne veulent pas qu'un créancier ordinaire qui lance le processus fasse en sorte que leurs pertes soient plus grandes qu'ils ne le voudraient. Les créanciers ordinaires savent que leurs moyens de négociation sont plus faibles que ceux d'un créancier garanti, de sorte qu'un règlement négocié représente vraisemblablement pour eux une meilleure solution. Toute l'idée est là; il s'agit d'essayer d'en arriver à un règlement heureux et de négocier en ce sens.

Le sénateur Goldstein : Merci, messieurs, d'être venus nous faire part de votre sagesse et de votre expertise. Vous avez soulevé deux questions qui pourraient se révéler importantes en ce qui concerne une modification possible de la loi. La première touche le moment choisi; les gens règlent un problème, puis, peu après, se retrouvent avec un autre problème. La deuxième question que vous avez soulevée est celle des renonciations.

Pour ce qui est de la question du moment choisi, cela réglerait-il le problème si la loi était modifiée pour dire que, dans des circonstances exceptionnelles, le délai de deux ans peut être raccourci? Dans la mesure où cette question est en cause.

Quant à la question des renonciations, je peux comprendre que l'agriculteur individuel n'est pas bien placé pour négocier avec le banquier qui dit : signez la renonciation, sinon vous n'aurez pas de prêt. Tout de même, nous pouvons sûrement régler la situation en ajoutant une disposition — je l'ai déjà ajoutée dans mon exemplaire — selon laquelle toute renonciation relative à l'une quelconque des dispositions de la présente loi est jugée inopérante, point à la ligne. Voilà qui est réglé.

Aucun agriculteur individuel ne dit alors : je ne veux pas signer; et aucune banque individuelle ne peut alors dire : signez la renonciation. Si elle le fait, c'est inopérant, alors on n'a pas à s'en soucier.

Est-ce que cette formulation réglerait votre problème?

M. Bonnett : Je crois que c'est là une solution simple qui permettrait de régler les deux problèmes.

Le président : Messieurs, avez-vous des observations à formuler pour terminer? Nous vous sommes reconnaissants de votre comparution.

M. Bonnett : Non, je dirais seulement que nous apprécions l'occasion qui nous est donnée de discuter de la question avec vous. Comme nous l'avons dit, grosso modo, le processus a fonctionné jusqu'à maintenant; nous y voyons un instrument auquel il faut pouvoir recourir. Ça fait partie des choses qui deviennent utiles quand tout va mal.

Le président : La question est apparue l'autre jour : qui sont les médiateurs? D'où viennent-ils? Je présume que ce ne sont pas des agriculteurs.

M. Bonnett : Certains médiateurs sont agriculteurs, oui.

Le président : Merci à tous.

La séance est levée.


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