Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 15 - Témoignages du 9 avril 2008
OTTAWA, le mercredi 9 avril 2008
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, notamment en ce qui concerne les entités de placement étrangères et les fiducies non-résidentes ainsi que l'expression bijuridique de certaines dispositions de cette loi, et des lois connexes, se réunit aujourd'hui à 16 h 10 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je suis le sénateur David Angus, du Québec, et je préside le comité. Sont parmi nous aujourd'hui mon distingué vice-président, le sénateur Yoine Goldstein, également du Québec; le sénateur George Baker, de Terre-Neuve; le sénateur Mac Harb, d'Ottawa; le sénateur Wilfred Moore, de Halifax; le sénateur Nancy Ruth, de Toronto; le sénateur Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick; et le sénateur Michel Biron, du Québec.
Je suis assisté aujourd'hui de notre éminent et efficient greffier, Mme Line Gravel, et d'un membre du personnel dont l'apport nous est inestimable : de la Bibliothèque du Parlement, June Dewetering.
Sans plus tarder, je souhaite à tous la bienvenue aux audiences que nous organisons, non seulement aux personnes ici présentes, dans la salle où nous nous trouvons, mais aussi à celles qui nous écoutent au réseau de télévision CPAC et aussi sur Internet. Je crois comprendre que le projet de loi particulier dont il est question suscite beaucoup d'intérêt.
[Français]
Nous poursuivons notre étude sur le projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, notamment en ce qui concerne les entités de placement étrangères et les fiducies non-résidentes ainsi que l'expression bijuridique de certaines dispositions de cette loi, et des lois connexes.
[Traduction]
C'est une façon détournée de dire qu'il s'agit d'un projet de loi omnibus qui renferme un grand nombre de modifications regroupées de la Loi de l'impôt sur le revenu, une série de dispositions sans lien les unes avec les autres, essentiellement, que l'on attend de présenter au Parlement au moment opportun.
Dans une vie antérieure, le projet de loi portait le nom de projet de loi C-33. C'était au cours de la première session de la présente législature. Il est mort au Feuilleton l'an dernier, puis a été présenté de nouveau sous le vocable projet de loi C-10, au début de la présente session de la législature. Notre comité l'a en main depuis le 4 décembre.
Le projet de loi comporte de nombreux aspects, mais nous nous attachons aujourd'hui à l'article 120, qui vise à modifier le paragraphe 125(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui fixe les règles applicables au calcul du crédit d'impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne. La modification en question en est venue à susciter toute une controverse. Voici notre deuxième audience sur la question. La semaine dernière, la ministre du Patrimoine canadien et de la Condition féminine, Mme Josée Verner, est venue témoigner pour expliquer le projet de loi, accompagnée de responsables de son ministère et du ministère des Finances.
Les adversaires du projet de loi se soucient du fait que cette disposition particulière, l'article 120, puisse mettre en péril la liberté d'expression, de même que l'assise financière sur laquelle l'industrie canadienne du film et de la télévision s'est édifiée.
À l'inverse, les tenants du projet de loi, notre gouvernement y compris, affirment que la disposition proposée ne limiterait d'aucune façon la liberté d'expression; elle permettrait simplement au gouvernement de s'assurer que l'argent du contribuable est dépensé de manière judicieuse et responsable, et d'aucune façon qui serait contraire à l'ordre public.
Le but de nos audiences est de permettre aux sénateurs d'écouter les arguments raisonnés de toutes les parties intéressées, quelle que soit leur opposition sur la question, pour que nous puissions en arriver à une réflexion sereine et indépendante sur le projet de loi.
Nous sommes accompagnés cet après-midi de deux groupes de témoins très distingués. Nous y serons jusqu'à peu près 18 heures; je vais donc demander à tout le monde d'être bref, non seulement pendant les exposés, mais aussi, et surtout, pendant la période de questions.
Je vois que d'autres sénateurs se sont joints à nous, et ce sont des personnes distinguées : le sénateur Tommy Banks, de l'Alberta; le sénateur Francis Fox, un autre collègue du Québec; et le sénateur Len Gustafson, de la Saskatchewan.
Le sénateur Fox : Vous avez dit que nous avons jusqu'à 18 heures. Je crois comprendre que le premier groupe retiendra notre attention de 16 à 17 heures.
Le président : Oui. Nous démarrons l'audience un peu en retard. Nous allons faire preuve de concision aujourd'hui, et demain aussi. Nous essayons de donner la parole à tous ceux qui ont manifesté la volonté de se faire entendre. Je souligne le fait que certains ne pourront prendre la parole si d'autres prennent trop de temps.
Notre premier groupe compte trois témoins : de REAL Women of Canada, Diane Watts; de Science for Peace, Rose Anne Dyson, qui nous vient du Media Working Group de l'organisme en question; et Eileen Shapero, du collectif Canadians Concerned about Violence in Entertainment.
Diane Watts, recherchiste, REAL Women of Canada : Merci de nous avoir invités à comparaître devant le comité.
En novembre 2005, la vérificatrice générale du Canada a produit un rapport sur l'examen qu'elle a fait de l'appui offert aux industries culturelles du Canada par le ministère du Patrimoine canadien. Il s'agit d'un programme dont les coûts s'élevaient à l'époque à 2,2 milliards de dollars; aujourd'hui, il coûte environ cinq milliards de dollars tous les ans. Les subventions dont il est question visent à favoriser la création d'un contenu canadien pour « aider au développement du sentiment d'appartenance des Canadiennes et des Canadiens et à la constitution de l'identité nationale du pays ». Ce sont là les objectifs du programme et des subventions en question.
Fait regrettable, les œuvres créées par l'industrie de la culture au Canada grâce à ces subventions permettent rarement d'atteindre l'objectif qui consiste à unir les Canadiens et Canadiennes. Les subventions ont plutôt produit l'effet inverse, c'est-à-dire qu'elles ont donné des œuvres qui rebutent et choquent un grand nombre de Canadiens. C'est que, souvent, les producteurs des œuvres en question représentent des points de vue que tiennent très peu de Canadiens.
En 2006, 4 p. 100 seulement des recettes des salles de cinéma au Canada pouvaient être attribuées à des productions canadiennes. Les films de Hollywood comptaient pour 88 p. 100, et les autres, pour 8 p. 100.
Il faut souligner une chose : si les programmes financés par le contribuable et les vues du grand public sont déphasées, cela s'explique peut-être en partie par le fait que le Bureau de certification des produits audiovisuel canadiens, ou BCPAC, exerce peu d'emprise sur l'attribution des subventions. Selon le rapport de la vérificatrice générale, le BCPAC est censé accorder les subventions uniquement à des citoyens canadiens ou à des résidents permanents du Canada. Cependant, le rapport en question fait voir que le BCPAC n'exige pas toujours que le personnel clé associé à un projet remette des documents attestant sa citoyenneté. De fait, tout le système de financement de la culture au Canada, dont l'administration relève du ministère du Patrimoine canadien, a été critiqué sévèrement dans le rapport de 2005 de la vérificatrice générale. Selon le rapport de 2005, « les mécanismes d'orientation stratégique, de mesure du rendement et de reddition de comptes que Patrimoine canadien a mis en place pour la gestion du soutien aux industries culturelles doivent être renforcés » si le ministère veut améliorer l'efficience et l'efficacité de ses programmes et ses opérations. Comme le ministère du Patrimoine n'a pas réussi à s'assurer que le financement s'applique comme il se doit à des mécanismes de reddition de comptes judicieux, il faut conclure que le programme de subventions a fait l'objet d'un recours tout à fait abusif.
Le Vancouver Queer Film Festival, tenu en 2006, en est un exemple. Il appert que le contenu présenté à ce festival est jugé offensant même par les personnes ayant un penchant homosexuel, car celles-ci ont boudé allègrement le festival. Ce sont des gens qui, habituellement, sont considérés comme étant progressifs et libéraux dans leur appréciation des arts; néanmoins, ils n'ont pas apprécié ce qui leur était présenté. Selon des informations obtenues grâce à une demande d'accès à l'information, le festival a coûté 530 000 $, dont 92 000 $ seulement ont été remis à ceux qui présentaient les films; la majeure partie de la somme est allée aux administrateurs du festival. C'est-à-dire que les administrateurs du festival s'en sont extrêmement bien tirés, mais que les artistes produisant des films projetés au festival n'ont pu faire de même. Il est à noter que les recettes au guichet ont couvert moins du dixième des coûts.
Les films projetés n'étaient visiblement pas attrayants aux yeux du public. Je ne saurais même en donner les titres en public. C'est très offensant. Même les titres sont offensants. Il n'y a rien d'étonnant à apprendre que la communauté homosexuelle, à laquelle le festival était destiné, n'a pas pris la peine de le fréquenter. Il est difficile d'affirmer que la sélection marginale des films présentés s'avérait relevée du point de vue culturel. Néanmoins, ce festival a reçu 23 000 $ du ministère du Patrimoine canadien, 44 000 $ du Conseil des arts du Canada et 53 000 $ du ministère des Ressources humaines et du Développement social du Canada. Selon nous, ces subventions représentent un usage clairement abusif de l'argent du contribuable et sont contraires à l'ordre public; par ailleurs, elles ne permettent pas d'appuyer la culture canadienne.
Nous appuyons la modification de la Loi de l'impôt sur le revenu. Certains se sont opposés à la modification, qui vise à appuyer financièrement certaines productions, mais à refuser de le faire là où la production est contraire à l'ordre public.
La disposition remonte à 2003, à l'époque où la ministre du Patrimoine canadien, Sheila Copps, s'en faisait le défenseur. Je crois que c'était au moment du film controversé qui a été produit à propos du meurtrier Paul Bernardo. Le gouvernement voulait se distancier du film en question. La ministre a mis au point des lignes directrices visant à empêcher que l'argent du contribuable serve à financer du contenu offensant de ce genre. Je crois que le projet de loi que nous avons devant les yeux en ce moment reprend le même vocabulaire.
Nous nous opposons à l'idée que l'industrie canadienne de production de films et d'émissions de télévision ait un trop grand mot à dire dans les lignes directrices proposées : cela nous paraît être un conflit d'intérêts évident.
Pour terminer, disons que les producteurs canadiens de films et d'émissions de télévision assimilent ces dispositions — qui associent le financement à l'ordre public — de graves attaques dirigées contre la créativité et la liberté d'expression; ils qualifient la mesure de censure de la part de l'État. Or, cela n'est tout simplement pas vrai. Aucun film n'est banni ni détruit sous le régime de cette disposition. Les producteurs de films peuvent présenter toutes les perspectives et actes de violence ou de sexualité qu'ils souhaitent présenter, dans la mesure où ce n'est pas contraire au Code criminel, mais ils ne peuvent le faire grâce à l'argent du contribuable.
Des artistes mécontents font falloir que le financement provenant du ministère du Patrimoine canadien est leur droit, quoi qu'il en soit du sujet qu'ils décident de dépeindre ou de la manière qu'ils décident de le faire dans les films et les émissions, si nuisibles que puissent être les films en question, par ailleurs, surtout du point de vue des femmes, des enfants et des adolescents. Nous donnons une liste des études scientifiques qui ont été réalisées et qui montrent l'effet nuisible sur les sociétés du contenu sexuellement explicite. Cela comprend la pornographie dite légère, qui caractérise bon nombre de ces films.
En effet, certains cinéastes veulent avoir carte blanche et utiliser les fonds de l'État pour faire comme bon leur semble, quelles que soient les conséquences pour la société. Les artistes devraient être tenus responsables du travail qu'ils produisent, au même titre que les plombiers, les avocats, les médecins et les menuisiers. D'autres industries doivent se plier à des exigences et des règles strictes pour obtenir des crédits d'impôt. Pourquoi pas celles qui ont un dessein artistique? Pourquoi les artistes pourraient-ils réclamer le droit d'évoluer librement grâce aux fonds du contribuable, mais en n'étant pas responsables du travail qu'ils produisent?
Pourquoi le contribuable appuierait-il les artistes dans la mesure où les œuvres de ces derniers nuisent à la société ou ne sont pas attrayantes aux yeux du public, compte tenu de leur sujet, par exemple la nécrophilie, surtout si les œuvres en question ne font que rebuter et choquer le public? Voilà qui va à l'encontre des principaux objectifs du programme : cultiver le sentiment d'appartenance des Canadiens et construire l'identité nationale du pays. Bon nombre d'événements en question ne font pas cela du tout. Ils ne font que choquer les Canadiens.
En bref, le gouvernement a une responsabilité financière envers le contribuable. Cette modification proposée du projet de loi C-10, celle de l'article 20, doit simplement lui permettre d'exercer cette importante responsabilité envers le contribuable et le citoyen.
Le président : Merci, madame Watts. C'était très intéressant. Nous avons pour principe d'entendre d'abord tous les témoins, puis de passer à la période de questions.
Rose Anne Dyson, présidente, Science for Peace (Media Working Group) (Université de Toronto), et vice-présidente des relations avec les médias, Council on Global Issues (Université Ryerson) : Merci de nous donner l'occasion de commenter le projet de loi C-10. Ma collègue, Mme Shapero, et moi sommes ici pour nous prononcer en sa faveur et pour faire valoir l'autre côté de la médaille en abordant quelques points soulevés par ses détracteurs.
Premièrement, la croyance selon laquelle le projet de loi trouve appui uniquement auprès de tribuns religieux est fausse. Depuis 30 ans, bien avant que Sheila Copps propose la mesure il y a de cela deux législatures, sous les libéraux, on a fait valoir la nécessité d'éliminer le soutien fiscal accordé aux films et aux productions qui vont à l'encontre de l'intérêt public; il y a belle lurette que cela devrait être fait.
C'est ce que recommandait la Commission royale d'enquête sur la violence dans le secteur des communications du gouvernement de l'Ontario, créée sous la direction de l'ex-premier ministre Bill Davis. La commission était présidée par feu Judy LaMarsh, avocate et communicatrice ayant fait partie du cabinet libéral du premier ministre Lester B. Pearson. Elle a publié en 1977 un rapport qui contenait plus de 87 recommandations. Elle y recommandait entre autres de cesser de financer avec les deniers publics les films ayant un contenu douteux et de laisser aux producteurs le soin de trouver leurs propres sources de financement. On considérait qu'en procédant de la sorte, on éviterait la question de la censure et on mettrait plutôt de l'avant le principe du financement discrétionnaire. Partout dans le monde, le rapport de la commission a été accueilli comme l'un des meilleurs rapports d'étude multidisciplinaire du genre, mais au Canada, personne pour ainsi dire n'en a fait de cas.
J'ai réitéré l'appel lancé en faveur du financement discrétionnaire des productions cinématographiques dans la thèse de doctorat que j'ai soutenue en 1995 à l'Université de Toronto, ainsi que dans mon livre Mind Abuse : Media Violence in an Information Age, publié en 2000 par Black Rose Books. Je vous en laisse un exemplaire. La cinquantaine de recommandations et plus que je formulais dans ma thèse de doctorat sont disséminées dans les derniers chapitres. Il y a entre autres la nécessité d'éliminer le financement de ce qui va à l'encontre de l'intérêt public.
Le président : Le livre sera remis à la greffière. Merci.
Mme Dyson : On le trouve dans la plupart des bibliothèques publiques et scolaires au pays, notamment celles des collèges communautaires et des universités. Les professeurs et les étudiants s'en servent fréquemment.
Mme Shapero et moi sommes toutes deux titulaires d'un diplôme en éducation et en psychologie. Nous représentons une vaste coalition d'enseignants, de professionnels de la santé, d'avocats, d'universitaires, de spécialistes des médias, de parents, de commissaires d'école, d'artistes, de chefs spirituels, de dirigeants d'entreprise et de membres du milieu des médias mêmes.
Nous sommes d'accord avec le journaliste John Ivison, qui a plaidé en faveur du projet de loi C-10 dans le National Post du 6 mars dernier. Selon lui, les critères sur lesquels on s'appuie pour refuser de financer certaines productions devraient en fait être élargis :
En tant que contribuable, je suis indigné. Téléfilm Canada a versé 158 millions de dollars l'an dernier à des productions comme Sperm et The Masturbators... Cette mission consiste à appuyer des productions qui reflètent la société canadienne, sa dualité linguistique et sa diversité culturelle.
Ni l'un ni l'autre des films en question ne s'inscrit dans cette mission. M. Ivison souligne que David Balcon, qui a été conseiller en politiques au CRTC durant les années 1970 et qui a aidé à élaborer les règles de financement de Téléfilm Canada, écarte les arguments selon lesquels les modifications qu'il est proposé d'apporter à la Loi de l'impôt sur le revenu portent sur la liberté d'expression. Nous sommes d'accord. Le Parlement a le droit de définir et de prescrire les limites des programmes qu'il met en œuvre. Déjà, certains secteurs des médias ne peuvent bénéficier de crédits d'impôt — les actualités, les sports et les émissions-débats. Le gouvernement ne devrait pas financer des films pornographiques ni encore des films et des jeux vidéo empreints de violence gratuite.
Cela m'a rappelé le cas du film American Psycho, inspiré du livre ayant le même titre et considéré comme un guide pratique par le tueur en série canadien Paul Bernardo, qui a reçu 120 000 $ en crédits d'impôt.
Vendredi dernier, le 4 avril, le Globe and Mail nous apprenait que la troisième édition annuelle des prix féministes pour la pornographie doit avoir lieu à Toronto. On y soulignera la qualité des œuvres produites dans des catégories comme « la meilleure interprétation d'une maîtresse d'école dévergondée » et « le prix de la chatte canadienne remis pour le contenu canadien ». Aujourd'hui, le même journal signale que, après avoir essuyé de nombreux refus, le producteur détenant des droits sur le scénario d'un film inspiré du massacre de Polytechnique, qui a eu lieu en 1989 à Montréal, se voit enfin remettre des fonds, après avoir fait quelques rajustements. Le projet est financé à raison de 3,1 millions de dollars. Cela nous paraît malheureux.
Sur le plan intellectuel, on ne saurait soutenir honnêtement que le projet de loi comporte un élément de censure et qu'il menace la liberté artistique. Les productions axées sur le profit qui comportent des scènes de violence gratuite et d'exploitation sexuelle, qui représentent une part énorme et croissante de l'industrie du diversement, n'ont pas vraiment besoin de crédits d'impôt pour faire leur chemin, étant donné l'attrait facile et bon marché que le sexe et la violence ont toujours exercé. Protéger le financement public de ces productions pour sauvegarder l'expression créatrice, comme il a été suggéré, est une entorse à la logique. C'est un argument qui sert des buts individuels et qui vise à tuer tout débat dans l'œuf.
Qui exactement insiste ici sur la censure? Des spécialistes des médias et plus de 6 300 représentants de plus de 250 organismes établis un peu partout dans le monde ont soutenu que la censure était maintenant l'apanage de gros conglomérats de médias, qui décident de ce que nous et nos enfants devrons voir, lire et entendre.
Il faut mieux savoir distinguer la liberté des sociétés commerciales et la liberté d'expression individuelle car ce n'est pas la même chose. L'usage du terme « censure » par les groupes d'intérêts spéciaux de lobbyistes entretient la confusion dans la sphère publique et permet aux industries médiatiques de continuer à fonctionner de la même façon, quelles qu'en soient les conséquences. Aucune autre industrie n'a jamais joui d'une telle immunité; elle se soustrait à la responsabilité qui lui revient en tant qu'entreprise et à la responsabilité qu'elle a envers le public. Elle donne l'impression de vraiment croire qu'elle dispose d'un droit acquis en la matière, à une époque où nous discutons de taxes sur le carbone et en nous demandant qui y serait assujetti. Le moment est peut-être venu d'envisager d'appliquer une taxe de ce genre à ceux qui polluent l'environnement culturel.
Voici ce que pense du projet de loi mon collègue Gary Boyd, qui enseigne la technologie éducative à l'Université Concordia, à Montréal :
J'ai été enchanté de votre message sur la nécessité de mettre un terme au financement des films violents et socialement destructifs qui apportent beaucoup de sous et qui enseignent aux jeunes des comportements agressifs... Malheureusement, les bons arguments en faveur de la liberté de parole rationnelle et non dominatrice, essentielle à la démocratie, ont été grossièrement appliqués à la liberté d'expression pour que les partisans du publidivertissement répandent leurs modèles de comportement pathologique par trop esthétiques et tristement séduisants.
J'ai rencontré hier des membres du groupe qu'a mis sur pied l'été dernier le premier ministre de l'Ontario, Dalton McGuinty, pour examiner les racines de la violence chez les jeunes après le meurtre de l'étudiant Jordan Manners dans une école de Toronto. Ce groupe est coprésidé par Roy McMurtry, ex-juge en chef de l'Ontario; M. McMurtry a également été procureur général sous l'administration Davies et a contribué à la mise sur pied de la Commission LaMarsh, qui a publié son rapport en 1977. Comme tous les autres membres de la commission en question, il s'est dit profondément déçu de constater que si peu de choses ont été faites pour contrer l'escalade de problèmes engendrés par la violence dans les médias.
Dans les centres urbains de l'Amérique du Nord, les dirigeants municipaux, les travailleurs communautaires et les enseignants assistaient impuissants à l'intensification de la violence parmi des bandes de jeunes. Cela entraîne une culture de la peur, comme on l'a décrit le 10 janvier dernier à la une du Globe and Mail à la suite de la publication du rapport Falconer, commandé par le Toronto District Board of Education et portant sur la culture grandissante de la peur.
Entre-temps, même si des milliers d'études démontrent les effets préjudiciables de cette culture, la vague de divertissements violents, qui incluent la musique « gangsta rap », certains jeux vidéos et les films d'action stéréotypés, continue de déferler. Non seulement la production et la distribution sont-elles libres de toute entrave, mais elles sont en fait appuyées et financées par nos propres impôts.
L'automne dernier, une coalition internationale regroupant plus de 786 organismes de 120 pays, établie à Genève, en Suisse, a décrété le 19 novembre Journée mondiale pour la prévention des abus envers les enfants qui sont exposés à la violence dans les médias. J'ai participé à la 52e Commission de la condition de la femme aux Nations Unies à New York pour le compte de Canadian Voice of Women. À ce moment-là, le secrétaire général Ban Ki-moon a annoncé une initiative visant à contrer la violence grandissante à l'endroit des femmes dans le monde, signalant qu'une femme sur trois sera victime d'abus à un moment ou à un autre.
En 1984, C. Everett Koop, directeur de la santé publique aux États-Unis, a fait partie des nombreux chercheurs ayant pris la parole à un colloque organisé à l'Institut d'études pédagogiques de l'Ontario, à Toronto. Le colloque était coparrainé par C-CAVE, l'organisme que nous représentons aujourd'hui, Mme Shapero et moi. Il a affirmé que les retombées néfastes de la pornographie et de la violence dans les médias constituaient l'un des plus graves problèmes de santé mentale dans le monde. Depuis, la situation s'est peu à peu détériorée. Le gouvernement ne peut rester indifférent, se croiser les bras face à une épidémie de violence.
Il faut employer diverses stratégies pour contrer les tendances terribles relevées à cet égard. Tous les secteurs de la société doivent faire leur part : le gouvernement, l'industrie, le milieu de l'enseignement et les parents. L'adoption du projet de loi C-10 visant à éliminer les crédits d'impôt dans le cas des productions considérées comme allant à l'encontre de l'intérêt public serait un bon point de départ. Cela pourrait aider énormément à dissuader la recherche du seul profit et orienter la créativité dans le sens de l'intérêt public en général. Certes, les artistes y trouveraient leur compte.
Pendant le Festival international du film tenu à Toronto en septembre, le Toronto Star a signalé qu'une crise frappait l'industrie du cinéma et que la production était à la baisse. Le Los Angeles Times faisait valoir que le public se lasse de la vague de divertissements mettant en scène des tueurs détraqués, vampires assoiffés de sang et collégiennes courtement vêtues. Il faut une nouvelle stratégie qui n'est pas centrée sur l'investissement fait dans les mêmes vieux genres réinventés. Chacun pourrait y trouver son compte.
Nous applaudissons à la volonté du Sénat de faire en sorte que la politique culturelle épouse le principe de la liberté artistique. J'ai moi-même deux enfants devenus grands qui oeuvrent dans le milieu artistique. Néanmoins, il ne faut pas sacrifier la sécurité, la santé et l'éducation des plus jeunes et des plus vulnérables d'entre nous pour apaiser les craintes alarmistes, afin de maintenir la recherche effrénée du profit dans l'industrie du divertissement.
Le statu quo n'est plus possible. Le monde change. On ne peut continuer à polluer sans vergogne les milieux culturels et naturels. L'impôt perçu par les gouvernements que nous portons au pouvoir n'est pas illimité. Il doit être dépensé judicieusement. Il faut adopter de nouveaux règlements qui tiennent compte des nouvelles réalités, et le projet de loi C-10 en est un exemple.
Nous recommandons d'apporter les modifications suivantes au projet de loi actuel. Il faudra adopter des mesures pour s'assurer que le genre de production qui n'est pas admissible aux réductions d'impôt soit clairement indiqué et préciser que cela inclut les films et les jeux vidéo extrêmement violents et pornographiques. Une règle toute simple consisterait à refuser tout allégement fiscal à un scénario ou une production qu'il ne serait pas convenable de diffuser à la télévision publique, par exemple à Radio Canada ou à TVOntario. On pourrait également s'inspirer des critères élaborés par l'Association canadienne des radiodiffuseurs au début des années 1990 avec le concours du CRTC, de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants, de C-CAVE, pour l'administration du Conseil canadien des normes de la radiodiffusion.
Il conviendrait de prendre des mesures pour que les films auxquels les crédits d'impôt seraient vraisemblablement refusés en raison d'un contenu préjudiciable se voient également refuser des fonds comme ceux fournis par Téléfilm. Il serait ainsi possible d'uniformiser l'élaboration de la politique culturelle à tous les niveaux. Les provinces seraient encouragées à faire de même dans les cas où elles n'ont pas encore adopté une politique semblable pour refuser les crédits d'impôt aux productions jugées contraires à l'intérêt public. Hier, j'ai formulé cette recommandation au comité à Toronto, car nous avons appris récemment que la Société de développement de l'industrie des médias de l'Ontario finance des jeux vidéo extrêmement violents.
Sous d'autres aspects, le projet de loi permettrait d'assurer une plus grande transparence quant à la façon dont les scénarios et le personnel de création associé aux productions reçoivent des crédits d'impôt, pour éviter que ne se reproduisent les cas d'abus qui ont marqué le passé. De même, le fait d'élargir le programme de crédits d'impôt de manière à englober les tout premiers stades de la scénarisation éviterait que la production soit jugée inappropriée à mi- parcours. Certes, je comprends qu'il est parfois difficile de faire la différence entre les productions étrangères et les productions canadiennes, mais toutes les nouvelles règles devraient s'appliquer aux scénarios d'ici et d'ailleurs.
Merci de votre attention. Je vous invite à poser des questions. On a distribué une copie de mon exposé accompagné d'une bibliographie pour que vous ayez l'occasion d'en savoir plus sur les idées que j'ai soulevées aujourd'hui. Je peux vous laisser un exemplaire du dernier numéro du périodique dont je suis la rédactrice en chef à l'Association canadienne pour l'étude de l'éducation des adultes. J'y signe deux articles : « Shifting the paradigm toward a Greener Earth in media, business, and community » et « A New Strategic Plan for a Screen Based Industry in Hollywood North ».
Si le comité le veut bien, ma collègue pourrait ajouter une observation fondée sur les 30 années d'expérience qu'elle compte au Toronto District School Board.
Le président : Avez-vous présenté un exposé au nom de Mme Shapero aussi?
Mme Dyson : Oui.
Eileen Shapero, membre, Canadians Concerned about Violence in Entertainment : C'est un honneur pour moi d'être là aujourd'hui en compagnie de mon estimée collègue, auteure et spécialiste des médias, Mme Rose Dyson. Toutes les deux, nous nourrissons une profonde inquiétude à propos de la violence et de la pornographie dans les médias, qui saturent l'industrie à un taux sans précédent. Nous n'avons pas besoin d'une autre étude pour confirmer les effets de cela sur nos jeunes. L'inaction en ce sens continue de m'étonner au plus haut point. Pendant de nombreuses années, d'une administration à l'autre, la question s'est trouvée à l'avant-plan, mais qu'en est-il ressorti? Elle n'a jamais été réglée comme il faut.
Le projet de loi C-10 serait une façon modeste de progresser en ce sens. Il envoie un signal aux adultes responsables partout : nous n'admettons pas la présentation sans entrave d'actes sexuels et violents dans les médias sous prétexte qu'il en va de la liberté d'expression artistique. Nous connaissons les effets nuisibles que le phénomène a sur nos jeunes. Ce n'est pas un point incertain.
Depuis plus de 30 ans, j'enseigne dans le réseau des écoles publiques. J'ai enseigné à des centaines d'élèves. Je peux témoigner directement du déclin qu'il y a eu du point de vue du langage, du code vestimentaire et de la moralité. Cela ne fait aucun doute, les élèves se font l'écho de l'industrie sans se poser de questions. Pour les adolescents, les icônes médiatiques sont des modèles de comportement qu'il faut émuler, et il y a bel et bien émulation.
Fait paradoxal, depuis quelques années, nous avons repris les épreuves normalisées dans nos écoles. Maintenant, tout le monde connaît l'OQRE. En quoi cela ressort-il dans les médias, où les normes de qualité adoptées semblent briller par leur absence? C'est notre argent durement gagné qui appuie cela, rien de moins.
Si on procédait à un sondage, on constaterait que c'est une majorité écrasante de parents qui appuierait un retour au bon goût, à la dignité et à des valeurs saines dans la culture populaire. À titre de parents, de grands-parents, d'enseignants et de tuteurs, ne rien faire à ce sujet, selon moi, équivaut à abandonner nos jeunes. Or, ils méritent nettement mieux. Ils ont besoin que nous les préparions, que nous leur montrions le chemin, que notre exemple fasse voir comment mener une vie saine et productive. Cela ne saurait se faire comme dans le vide. Pour cela, il faut contrer ceux qui s'opposent à notre vision par une planification rigoureuse, une action concrète et un effort déterminé.
J'invite vivement le Sénat à adopter le projet de loi C-10. Ce serait assurément une victoire morale pour tous les Canadiens de bonne volonté. Après tout, ne sommes-nous pas les gardiens de la prochaine génération?
Le président : Madame Dyson, vous avez proposé de modifier le projet de loi pour qu'il indique clairement quel genre de productions ne serait pas admissible aux réductions d'impôt. Savez-vous que le projet de loi prévoit que le ministre puisse établir des lignes directrices à cet égard?
Mme Dyson : Oui.
Le président : Cela ne vous paraît pas suffisant?
Mme Dyson : Oui. Je m'attends à ce que les modifications fassent partie des lignes directrices.
Le président : Ce serait conforme à la recommandation.
Mme Dyson : Je crois bien, mais j'appuie aussi Mme Watts quand elle affirme qu'il faut faire attention à la mesure dans laquelle l'industrie elle-même participera à l'établissement des lignes directrices ou des critères. Ce n'est pas qu'il n'y ait pas un grand nombre de gens bien intentionnés dans le domaine — et il faut certes les consulter —, mais nous ne voulons pas nous retrouver dans une situation où c'est le renard qui finit par garder les poules. Nous devons nous assurer que tous les secteurs de la société sont représentés en ce qui concerne l'établissement des lignes directrices en question.
Le président : Trois sénateurs sont arrivés depuis que j'ai fait les présentations. À l'extrême gauche, vous voyez le sénateur Trevor Eyton, promoteur du projet de loi et Canadien inquiet. Il est originaire de l'Ontario. À mon extrême droite, il y a le sénateur David Tkachuk, de la Saskatchewan, et puis, directement de l'aéroport, de retour de Kandahar, le sénateur Michael Meighen, de l'Ontario.
Le sénateur Baker : Je remercie les témoins de nous avoir présenté d'excellents exposés. Chacune d'entre vous a couvert un vaste terrain et traité d'autres choses que le crédit d'impôt, qui, bien entendu, est l'objet du projet de loi en question.
Madame Dyson, je voulais vous corriger sur un point. Vous avez affirmé que le crédit d'impôt ne peut être accordé à un talk show ou une manifestation sportive, alors pourquoi l'accorderait-on à un film pornographique? Je veux simplement vous corriger sur ce point : le sous-alinéa 1106(1)b)(viii), à la rubrique portant sur les productions exclues, il est indiqué que la pornographie est exclue. La pornographie est assimilable à une production exclue sous le régime de la Loi, selon le règlement, tout comme, comme vous l'avez fait remarquer à juste titre, les talk shows, les manifestations sportives et autres trucs du genre.
Le président : Je ne veux pas interrompre la question très éloquente que vous êtes en train de poser, mais vous faites allusion au Règlement.
Le sénateur Baker : C'est sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Le président : C'est en vigueur en ce moment?
Le sénateur Baker : Oui.
Le président : Êtes-vous sûr?
Le sénateur Baker : J'ai ça devant moi, monsieur le président.
Le président : Vous allez peut-être constater que vous êtes dans l'erreur, mais, moyennant cette réserve-là, veuillez continuer. Nous croyons savoir que le règlement en question a été abrogé.
Le sénateur Baker : J'ai parlé au ministère hier. Vous dites que le règlement n'est pas en vigueur.
Le sénateur Harb : Pas ce projet de loi, mais le règlement de l'impôt sur le revenu, oui.
Le sénateur Baker : J'accepte la mise au point.
Le président : C'est une question extrêmement controversée. Nous voulons que cela soit bien indiqué dans le compte rendu et nous souhaitons être équilibrés.
Le sénateur Baker : J'accepte la mise au point à ce sujet. Je vous présente mes excuses; vous aviez raison et j'avais tort.
Mme Dyson : Vous aviez tort à propos de ce que j'ai dit aussi, mais j'y arriverai dans une minute.
Le sénateur Baker : J'imagine que c'est le cas. Madame Dyson, comme vous le savez, il existe des dispositions pénales relativement à l'obscénité au Canada. Il existe aussi des commissions de censure provinciales. Il y aura maintenant une commission pour ce qui est des crédits d'impôt. En quoi voyez-vous que cela compensera l'inefficacité de la Commission de contrôle cinématographique de l'Ontario, comme vous l'avez fait ressortir, par exemple?
Mme Dyson : Pour revenir à une de vos premières remarques, je dirais que j'ai dit que les talk shows et les actualités n'avaient pas droit aux crédits d'impôt. Je ne crois pas avoir dit : « Par conséquent, la pornographie et les scénarios violents ne devraient pas y avoir droit non plus. » J'invoquais cet exemple pour montrer qu'il existe d'autres secteurs dans les industries médiatiques qui n'ont pas droit aux crédits d'impôt; il ne faudrait donc pas conclure que tous les secteurs des industries médiatiques reçoivent d'office un crédit d'impôt. C'était le seul argument que je voulais faire valoir dans le contexte.
Vous dites que ça s'applique déjà. Je crois que nous avons entendu ici aujourd'hui de nombreux exemples d'abus en ce qui concerne le financement en question. Vous comptez peut-être sur des règles ou des dispositions législatives que je ne connais pas. Vous les maîtrisez mieux que moi. Vous dites qu'il y a un règlement selon lequel les scénarios pornographiques n'ont pas droit aux crédits d'impôt. Si c'est le cas, pourquoi les crédits d'impôt sont-ils accordés dans un tel cas? Pourquoi le règlement n'est-il pas appliqué? Il y a quelque chose qui cloche.
Pour ce qui est du droit pénal, je sais qu'il a été beaucoup question dans les journaux du fait que nous ayons déjà un Code criminel qui prévoit des sanctions pour les abus et excès en tous genres. Il me semble que c'est faire porter là un terrible fardeau au grand public : s'attendre que les tribunaux puissent prendre en charge les abus attribuables à une industrie qui devait être tenue responsable de ses productions dès les premiers stades et être tenue responsable envers le grand public avant de lancer son produit dans la société. De même, ce crédit d'impôt, si je ne m'abuse, dissuadera simplement la production d'œuvres qui pourraient être dans l'intérêt public. Il ne permettra pas de trancher.
Il existe deux fonctions distinctes que l'on peut exercer dans l'intérêt public, et il y a de la place pour les deux.
Pour ce qui est des commissions de contrôle cinématographique, le genre de campagne qui a été orchestrée pour contester ou faire disparaître ce projet de loi en particulier fait bien voir le problème que j'ai pu observer moi-même en 25 ans de travail consacré à de telles questions. L'industrie travaille en faveur d'un assouplissement des règles d'attribution des crédits pour les scénarios, dans le cas qui nous occupe. Quant à la Commission de contrôle cinématographique de l'Ontario, les normes appliquées et les possibilités d'action connaissent une érosion progressive depuis 10, 20 ou 30 ans. On ne peut plus frapper un film d'interdit, quel qu'il soit. S'il fallait oser proposer que les producteurs changent quelque chose, même pour dire que le film s'adresse à un public restreint, le plus souvent — selon les membres de mon organisme qui ont siégé à cette commission —, il y aura des pressions et une forme de harcèlement dirigées contre la Commission jusqu'à ce qu'une production, en vue d'être distribuée plus largement, bénéficie d'un autre classement, plus clément celui-là.
Le président : Vous avez exprimé clairement votre point de vue, mais, pour être juste, nous devons donner à chacun une véritable occasion de s'exprimer, pour que chacun ait ses cinq minutes. Le sénateur Baker a posé une question et pris pour cela les cinq minutes qui lui étaient allouées; je vais donc lui donner une autre minute.
Le sénateur Baker : Dans la Loi de l'impôt sur le revenu, il est prévu que le règlement prévoit les productions exclues de la possibilité de recevoir un crédit d'impôt, y compris, comme vous l'avez souligné, les émissions de sport, et puis il y a toute une section là-dessus. Il est question entre autres de la pornographie. Cependant, on me dit que le règlement en question n'est pas en vigueur; j'accepte donc la mise au point.
Vous n'avez pas été appelé à témoigner devant le comité de la Chambre des communes à propos de ce projet de loi particulier, n'est-ce pas?
Mme Dyson : Non.
Le sénateur Baker : Il n'y a pas eu d'audiences à la Chambre des communes à propos de cette partie précise du projet de loi. De fait, le terme « film » n'a jamais été prononcé dans quelque débat que ce soit à la Chambre des communes pendant les audiences du comité portant sur le projet de loi. Le mot « film » n'a jamais même été utilisé.
Deux partis politiques, nommément le Bloc québécois et le NPD, ont affirmé que s'ils avaient su que ça se trouvait dans le projet de loi, ils l'auraient examiné plus à fond et auraient proposé des modifications. Ils demandent au Sénat de le renvoyer à la Chambre des communes pour qu'ils puissent avoir leur mot à dire. Ils sont passés à côté des neufs pages, dans le projet de loi.
Ma question est la suivante : que pensez-vous du fait que la Chambre des communes n'ait pas vu cette partie du projet de loi, qu'elle ne s'y soit pas attachée et que certains demandent qu'on le lui renvoie pour pouvoir réexaminer cette partie?
Mme Dyson : Il est dommage que les gens n'aient pas fait leur travail la première fois. L'initiative n'est pas nouvelle. Notre organisme, Canadians Concerned about Violence in Entertainment, ou C-CAVE, appuyait déjà cette sorte de révision du crédit d'impôt il y a deux administrations libérales de cela, pour ainsi dire. Comme je l'ai dit dans ma déclaration, il serait malheureux que cela soit renvoyé à la Chambre. Nous bricolons et traficotons cette question depuis plus de 30 ans. Le moment est venu d'agir.
Le président : D'après le compte rendu, ce sont tous les partis qui l'ont appuyé, y compris le Bloc et le NPD.
Le sénateur Moore : Merci d'être venues comparaître, mesdames. J'aimerais obtenir une précision, madame Dyson. Êtes-vous toutes les deux, vous et votre collègue, Mme Shapero, membres de Canadians Concerned about Violence in Entertainment?
Mme Dyson : Oui.
Le sénateur Moore : Vous êtes membres ou dirigeants?
Mme Dyson : Je suis la présidente.
Le sénateur Moore : Et vous faites partie de l'exécutif, madame Shapero?
Mme Shapero : Je suis coprésidente.
Le sénateur Moore : Le président a signalé au début de la séance la partie du projet de loi qui est ici très importante et qui suscite le plus d'intérêt dans le milieu culturel. Je vais en faire la lecture :
Le ministre du Patrimoine canadien publie des lignes directrices sur les circonstances dans lesquelles les conditions énoncées aux alinéas a) et b) de la définition de « certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne » au paragraphe (1) sont remplies. Il est entendu que ces lignes directrices ne sont pas des textes réglementaires au sens de la Loi sur les textes réglementaires.
C'est la dernière phrase qui compte. Cela veut dire que le règlement peut être modifié en tout temps — c'est un pouvoir non limité — et qu'il n'est pas assujetti à l'examen du Parlement, de la Chambre des communes ou du Sénat du Canada. Croyez-vous que cela se justifie?
Mme Dyson : Je ne suis pas avocate. Je suis certaine qu'il existe de nombreux cas où le gouvernement doit procéder de bonne foi, d'une administration à l'autre. Je ne sais pas très bien quel point vous soulevez.
Le sénateur Moore : Cela ne se trouvait pas dans les versions antérieures. C'est un nouvel article. C'est une phrase nouvelle. C'est un article qui ratisse très large. Il est inattaquable. Je suppose qu'on pourrait le contester devant les tribunaux, mais, autrement, le Parlement n'a pas son mot à dire. Je croyais simplement que vous, en tant que Canadienne, auriez une position là-dessus.
Mme Dyson : Le Parlement n'a pas son mot à dire, mais le ministre, lui, l'a.
Le sénateur Moore : Seulement le ministre.
Mme Dyson : Le comité sous les ordres du ministre, établi par le ministre.
Le sénateur Moore : Non, il n'y a que le ministre qui ait ce pouvoir.
Le sénateur Tkachuk : Le ministre est responsable devant le Parlement.
Le sénateur Moore : Lisez le passage en question. Cela dit : « ces lignes directrices ne sont pas des textes réglementaires ». Nous pouvons proposer un amendement.
Le président : C'est sûr, la réponse s'impose aussi.
Le sénateur Moore : Avez-vous une opinion là-dessus?
Le président : C'est une question juridique.
Mme Dyson : J'espère que le Parlement et la ministre agiront de bonne foi et créeront un comité qui sera chargé d'élaborer les lignes directrices en question, comme elle l'a indiqué dans sa déclaration, dont j'ai fait la lecture. Quant aux mises au point juridiques qui s'imposent, je laisserai cela à la discrétion de la ministre et de son ministère.
Le sénateur Moore : Croyez-vous qu'il convienne qu'une seule personne soit investie de ce pouvoir?
Mme Dyson : Ce n'est pas une seule personne.
Le sénateur Moore : Il n'y a qu'un ministre.
Mme Dyson : Vous allez devoir discuter de cela avec vos avocats. Il semble y avoir une divergence d'opinions.
Le sénateur Moore : Je fais valoir que c'est une question qui relève des politiques gouvernementales. Ce n'est pas une question juridique.
Mme Dyson : Je suis d'avis qu'une seule personne ne devrait jamais être entièrement responsable d'une décision à prendre au sujet d'un scénario. Je serais étonnée que la ministre en place ou tout autre ministre du Patrimoine canadien ait le temps de scruter elle-même ou lui-même un scénario à la loupe.
Le sénateur Moore : Madame Watts, dans votre déclaration, vous avez dit qu'il y aurait conflit d'intérêts si l'apport de l'industrie du cinéma et de la télévision était trop grand. Pourriez-vous vous expliquer sur ce point?
Mme Watts : L'industrie du cinéma et de la télévision voudrait avoir la plus grande marge de manœuvre possible, pour faire comme bon lui semble, et obtenir en même temps tout le financement qu'elle souhaite obtenir, à tout moment, et être le plus extrême possible si ça lui apporte la célébrité et la notoriété. Il faudrait qu'un grand nombre de secteurs et de groupes de la société aient leur mot à dire. Il ne faudrait pas que ce soit seulement la soi-disant industrie culturelle. Il y a tout un pan de la culture canadienne qui progresse et qui se débrouille très bien. Souvent, ce sont des gens qui ne sont pas vraiment liés à l'industrie culturelle.
Il faudrait une vaste consultation sur l'établissement des lignes directrices. Cela ressemble trop à une situation où les membres de l'industrie culturelle établiraient leurs propres lignes directrices et seraient aussi extrêmes qu'ils souhaitent l'être. Voilà le problème : ils sont déconnectés du Canadien moyen. Souvent, ils ne font pas la promotion de valeurs que les Canadiens souhaitent voir de la part de leur gouvernement. De même, ils travaillent à l'inverse de ce que nous disent d'autres ministères. Statistique Canada nous dit que la famille traditionnelle représente le lieu le plus sûr, le plus sain et le plus sécuritaire pour les hommes, les femmes et les enfants. La rupture des familles tend à accroître la pauvreté. Nous avons présenté un exposé devant le Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes et fait valoir là que les émissions de télévision actuelles ne parviennent pas à dépeindre la réalité positive et saine de la structure familiale contemporaine. Cela, nous ne pouvons l'affirmer dans le cas de la prétendue industrie des arts et de la culture. Nous devrions encourager les gens à être plus créatifs autrement qu'en attirant l'attention par le recours à la pornographie légère, qui est nuisible pour la société. Nous ne voulons pas que ces gens, qui causent des divisions à l'intérieur de la société, produisent des œuvres qui choquent les Canadiens. Nous ne voulons pas que ce soit eux qui établissent les lignes directrices. Nous souhaitons que tous les Canadiens soient consultés.
Le sénateur Moore : J'apprécie vos observations. Je les trouve intéressantes, surtout lorsque vous dites que les gens de l'industrie vous paraissent excessifs ou extrêmes.
Mme Watts : J'ai parlé des films qui ont été projetés au festival du film à Vancouver.
Le sénateur Moore : J'ai entendu ce que vous avez dit tout à l'heure. Il y a un article intéressant dans l'édition du Globe and Mail d'aujourd'hui. La comédienne et scénariste Sarah Polley, qui a déjà été en nomination pour un Oscar, y est citée :
Ce projet de loi menace la liberté d'expression et l'assise financière sur laquelle l'industrie s'est construite. Si vous éliminez cela, nous serons nombreux à essayer de trouver une raison pour rester ici.
... Ce travail-là a été tout à fait bâclé. Bien entendu, nous ne devrions pas investir dans des films excessivement pornographiques ou haineux. Cette idée-là a du sens, et il y a des règles pour contrer la situation qui est crainte. Mais ce n'est pas mûrement réfléchi sous un grand nombre d'aspects.
J'imagine qu'elle voulait dire que le projet de loi n'a pas été mûrement réfléchi. Je dirais que c'est une dame qui a une certaine crédibilité.
Mme Watts : Oui. Le projet de loi ne nuit pas à la liberté d'expression. Il nuit à l'idée de recourir à l'argent du contribuable canadien pour produire des œuvres qui choquent les familles canadiennes.
Le sénateur Moore : Ce commentaire de la part d'une productrice et comédienne — qui a gagné des prix, qui est acclamée — ne cadre pas tout à fait avec la perception que vous avez des desseins d'un membre de l'industrie.
Mme Watts : Il y a bon nombre de points de vue que peuvent exprimer bon nombre de Canadiens, de même, je crois que c'est assez précaire de la part de l'industrie de prendre pour fondement les crédits d'impôt et les subventions de l'État. De nombreuses autres industries ne dépendent pas des subventions de l'État et des crédits d'impôt pour être florissantes au Canada. Selon moi, si les gens étaient assez créatifs et en appelaient au travail relevé que souhaitent voir les Canadiens de tous les âges, ils auraient du succès, sans devoir compter sur des crédits d'impôt et les cadeaux de l'État comme toujours.
Mme Dyson : Elle est Américaine. Sarah Polley n'est pas Canadienne, n'est-ce pas?
Le sénateur Moore : Elle est tout à fait Canadienne.
Le président : Nous allons l'accueillir demain. À ce moment-là, nous aurons l'occasion de l'entendre.
Le sénateur Harb : Comme le temps presse, je veux faire une déclaration et vous demander si vous êtes d'accord ou non. Nous avons affaire à une situation qui est semblable à celle d'un chien en laisse. La question est de savoir combien de liberté il faut laisser au chien.
Nous devons nous demander ce qui est contraire à l'ordre public au juste. D'après ce que vous avez dit, je suis certain que vous allez être d'accord pour dire qu'il y a une controverse dans le domaine public. En tant que sénateur, nous avons reçu des milliers de lettres de gens de tous les secteurs, y compris des producteurs de films, des éditeurs, des producteurs d'émissions de télévision, des reporters, des auteurs et d'autres encore. Cela ne fait aucun doute, il y a une controverse qui se prépare à propos de la définition de ce qui est contraire à l'ordre public.
Êtes-vous d'accord pour dire que, étant donné ce qui se passe en ce moment, étant donné que plus 50 000 personnes travaillent dans une industrie dont le chiffre d'affaires de presque 2,4 milliards de dollars profite aux Canadiens, il serait sage pour nous d'établir, de concert avec l'industrie et d'autres intervenants, les lignes directrices d'abord, puis le règlement, avant d'adopter le projet de loi?
Mme Dyson : Il faut savoir pour cela qui vous allez appeler à établir les lignes directrices de concert avec vous. Je répète ce que j'ai dit plus tôt et ce que ma collègue vient de dire : il ne faut pas laisser cela entièrement à l'industrie. Il n'y a pas que l'industrie qui a un intérêt dans la façon dont l'argent du contribuable est investi. Il faut inclure les enseignants, les professionnels de la santé, les psychologues et d'autres personnes qui savent quelque chose des effets des médias sur les jeunes, en particulier. C'est de cette façon que les normes du Conseil canadien des normes de la radiotélévision ont pris forme. Il est souvent arrivé que cela fonctionne mal, mais nous aurons cette discussion-là une autre fois. L'idée, c'est que ces lignes directrices ont été mises au point de concert avec de nombreux intervenants, et non pas seulement l'industrie.
Le sénateur Ringuette : Comme le temps presse, je vais poser une question brève et espérer recevoir une réponse qui sera brève aussi.
Madame Watts, vous représentez l'organisme REAL Women of Canada, qui est un lobby. C'est bien cela?
Mme Watts : Nous exerçons des pressions en faveur d'une loi qui profitera aux familles et qui offrira aux femmes davantage de possibilités de faire un vrai choix de carrière au sein de notre société, y compris celui de s'occuper de leur famille à temps plein.
Le sénateur Ringuette : Est-ce que vous ou une autre personne de votre organisation avez exercé des pressions auprès de ministres ou de fonctionnaires du gouvernement en place par rapport à la question que nous abordons aujourd'hui?
Mme Watts : Nous comparaissons devant le comité.
Le sénateur Ringuette : Avez-vous fait des démarches à cet égard auprès de ministres ou de fonctionnaires?
Mme Watts : Non, nous n'en avons pas fait. On nous a invités à comparaître devant le comité, et c'est par ce moyen que nous choisissons de nous faire entendre.
Le sénateur Ringuette : Je comprends. Madame Dyson, vous avez mentionné dans votre déclaration que vous êtes contre le fait d'accorder un crédit d'impôt de 120 000 $ pour la production d'un film sur la tuerie de l'École Polytechnique. Pour ma part, je pense qu'il s'agit d'une tragédie, mais que c'est néanmoins un événement qui fait partie de notre histoire. Je veux voir le film, si on le tourne. Je voudrais que ma fille le voie et que tous les Canadiens le voient, pour que nous gardions en tête ce que peuvent faire des gens violents et pour que nos jeunes soient prudents et conscients du fait que ce genre de situation peut se produire.
Pourquoi êtes-vous contre le fait d'accorder un crédit d'impôt pour la réalisation de ce film?
Mme Dyson : J'ai dit deux choses, et vous avez peut-être mêlé les deux. D'après ce que j'ai entendu dire, on a accordé un crédit d'impôt de 120 000 $ pour la production de American Psycho, film très controversé. Certaines personnes pensent que ce film pourrait être extrêmement traumatisant pour les proches des victimes de Paul Bernardo. Les citoyens de Burlington ont pris des mesures pour s'assurer que la bibliothèque de la ville n'achèterait pas le livre.
Je sais que cet argument est souvent utilisé par les personnes qui se servent de ce qu'on appelle parfois « l'argent du sang » pour rédiger leurs scripts et tourner leurs films. Beaucoup de films du genre sont très bien faits et ont reçu toutes sortes de prix au Canada et à Hollywood. On répète cependant toujours la même chose. Les mêmes arguments s'appliquent à la Seconde Guerre mondiale, à la guerre du Vietnam ou aux jeux vidéo qu'on trouve sur le marché, comme Manhunt 1, 2, 3 et 4. On dit qu'on veut que nos enfants jouent à ces jeux vidéo violents pour qu'ils apprennent à tirer. Si nous rendons les lois sur le contrôle des armes à feu moins strictes, ils seront peut-être capables de tirer avant de se faire tirer dessus.
La répétition à l'infini de ces thèmes dans l'environnement culturel donne lieu à une valorisation de certains modèles qui finit par poser problème. Nous l'avons vu dans le cas de Marc Lépine.
Le sénateur Ringuette : Qu'avez-vous dit au sujet de la tuerie de Polytechnique?
Mme Dyson : D'après ce que j'ai lu dans l'édition d'aujourd'hui du Globe and Mail, Téléfilm Canada a accordé 3,1 millions de dollars aux producteurs d'un film sur le sujet.
Le sénateur Ringuette : Êtes-vous pour ou contre?
Mme Dyson : Je pense que ce n'est pas une bonne idée. Je crois que c'est quelque chose qui va être très difficile à vivre pour les proches des victimes. J'ai travaillé auprès de ces gens. Je serais surprise qu'ils soient d'accord avec cette idée.
Le président : Ce dont vous parlez n'a rien à voir avec la loi.
Le sénateur Ringuette : Nous parlons des crédits d'impôt, des lignes directrices et ainsi de suite. Ça a tout à fait rapport avec le projet de loi.
J'aimerais savoir si vous êtes d'accord avec l'idée que, d'après les dispositions du projet de loi C-10, les producteurs de films canadiens vont pouvoir obtenir des crédits d'impôt après avoir soumis leurs films à un certain contrôle de censure, tandis que les producteurs américains vont pouvoir profiter des mesures canadiennes sans se voir imposer ni lignes directrices ni quoi que ce soit d'autre. Que pensez-vous de cela?
Mme Dyson : Je ne suis pas très contente de cette situation, pas plus que les artistes ne le sont. Je pense qu'il ne devrait pas y avoir de crédit d'impôt ni pour les productions étrangères ni pour nos productions. Les mêmes lignes directrices et critères devraient s'appliquer dans les deux cas. D'après ce que je comprends, il est très difficile de savoir si une production est canadienne ou américaine. Il faut respecter les quotas quant au contenu canadien, les producteurs doivent faire preuve de créativité pour trouver une façon de les contourner. C'est ce que j'ai entendu dire et ce que j'ai lu, en tout cas.
Le sénateur Ringuette : Seriez-vous d'accord pour qu'on n'accorde pas de crédits pour les choses suivantes : la propagande haineuse, l'obscénité ou la pornographie juvénile, ou tout autre contenu illicite, selon le Code criminel?
Mme Dyson : Désolée, je veux être sûre de bien comprendre votre question. Pourriez-vous la répéter?
Le sénateur Ringuette : Oui. Nous examinons la question des productions canadiennes qui ne seraient pas admissibles aux crédits d'impôt. Nous avons ici une définition qui pourrait être utilisée, et il s'agit des films dont le contenu relève de la propagande haineuse, de l'obscénité ou de la pornographie juvénile ou encore de tout autre contenu illicite selon le Code criminel.
Mme Dyson : En d'autres termes, vous voulez savoir si je pense qu'il faudrait refuser d'accorder des crédits d'impôt pour tout ce que le Code criminel définit comme étant illicite?
Le sénateur Ringuette : En plus de la propagande, de la pornographie juvénile et ainsi de suite.
Mme Dyson : Assurément, tout ce qui ne répond pas aux critères définis dans le Code criminel ne devrait pas permettre d'obtenir des crédits d'impôt non plus. Je pense que les crédits d'impôt devraient s'arrêter ou ne pas être accordés assez longtemps avant qu'on en vienne à demander aux tribunaux de trancher la question.
Le sénateur Ringuette : Oui. Nous essayons de trouver une façon d'intégrer les normes à la définition.
Mme Dyson : Me demandez-vous si je pense que les critères des lignes directrices devraient être les mêmes?
Le sénateur Ringuette : Oui.
Mme Dyson : Pas vraiment. Les critères d'admissibilité aux crédits d'impôt devraient être plus stricts que ce qu'on trouve dans le Code criminel. En d'autres termes, la violence excessive et la pornographie dans les films ne devraient pas être financées ou encouragées à l'aide des deniers publics. Nous ne parlons que des crédits d'impôt, de Téléfilm et de ce genre de choses.
Il peut y avoir des films d'un goût douteux là dedans, par exemple le film sur la tuerie de l'École Polytechnique, à mon avis. Les gens qui produisent ce genre de film devraient être tenus de les financer eux-mêmes, même si le contenu n'en est pas illégal.
Le sénateur Ringuette : Je ne peux pas voir un film s'il y a du sang. Je ne vais pas voir ce genre de film. Je ne dis pas que ces films n'ont aucune valeur artistique, mais je ne peux tout simplement pas supporter ce genre de création.
Le sénateur Banks : J'ai deux petites questions à poser. La première s'adresse à Mme Watts. Vous avez dit que, selon vous, les producteurs de films devraient être autonomes comme toutes les autres industries du Canada. Pouvez-vous me donner un exemple de secteur qui ne bénéficie pas du soutien public au Canada?
Le sénateur Meighen : Les musiciens, par exemple?
Le sénateur Banks : Les musiciens obtiennent beaucoup d'aide. C'est la même chose du côté de l'industrie pétrolière et de l'industrie de la fabrication. Au Canada, tous les secteurs obtiennent un soutien public d'une façon ou d'une autre — les agriculteurs, les pêcheurs, tout le monde. Les secteurs d'activité de notre société reposent en grande partie sur l'existence du soutien public. Je me demande si vous pouvez citer une exception.
Mme Watts : Ce que j'ai dit, c'est que l'industrie cinématographique dépend entièrement de l'aide gouvernementale. C'est ça que j'ai dit. Ce secteur repose sur les crédits d'impôt et les subventions gouvernementales.
Il y aurait moins d'opposition si le but des subventions était atteint. Ce but, c'est de favoriser le contenu culturel canadien, afin de définir le sentiment d'appartenance au pays et de bâtir l'identité nationale. Malheureusement, une bonne partie de ces prétendus produits culturels, par exemple la pornographie légère, n'atteignent pas ce but.
Le sénateur Banks : C'est un point de vue subjectif. Madame Dyson, de façon générale, personne ne remettra en question la nécessité de prévoir des lignes directrices pour éviter que n'importe qui présente n'importe quoi. Êtes-vous d'accord avec l'idée qu'un ensemble clair de lignes directrices définitives et établies à l'avance, avant que nous ne commencions à investir de l'argent dans un film, serait une meilleure façon de faire les choses que lorsqu'une personne prend une décision arbitraire à un moment donné au cours de la production?
Mme Dyson : Bien sûr, et c'est ce que je pense. Le passage de la loi qu'on a lu tout à l'heure s'interprète autrement. D'après ce que j'ai lu des observations de la ministre, c'est exactement ça l'intention.
Le sénateur Tkachuk : Simplement pour préciser, le ministère des Finances a fait l'annonce des modifications qu'on proposait d'apporter à la Loi de l'impôt sur le revenu par rapport au crédit d'impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne dans un communiqué diffusé le 14 novembre 2003. Celui-ci se lit ainsi :
Le ministre du Patrimoine canadien publie des lignes directrices sur les circonstances dans lesquelles les conditions énoncées aux alinéas a) et b) de la définition de « certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne » au paragraphe (1) sont remplies. Il est entendu que ces lignes directrices ne sont pas des textes réglementaires au sens de la Loi sur les textes réglementaires.
On peut lire exactement la même chose dans le projet de loi. Il n'y a aucune différence entre les deux textes. Je voulais simplement préciser, parce que je pense que le sénateur Moore a laissé entendre qu'il y avait une différence entre les deux.
Par ailleurs, vous avez mentionné avoir lu le mémoire que la ministre a déposé devant le comité. Je pense qu'elle a dit qu'elle suspendrait cette disposition relative à l'ordre public pendant un an.
Le président : Elle a dit qu'elle en reporterait l'entrée en vigueur.
Le sénateur Tkachuk : Elle a dit qu'elle la reporterait ou qu'elle la suspendrait pour un an, et elle a demandé aux intervenants de l'industrie de l'aider à rédiger les lignes directrices pendant cette année. Nous n'avons pas encore entendu dire que les intervenants de l'industrie s'étaient précipités pour répondre à l'appel. D'après ce que vous avez dit tout à l'heure, pensez-vous que seuls les intervenants de l'industrie devraient participer à la rédaction des lignes directrices, ou pensez-vous que d'autres organisations devraient y participer aussi?
Mme Dyson : Je pense que ça ne devrait certainement pas être seulement l'industrie. Le milieu culturel compte beaucoup d'intervenants; les producteurs de films, d'émissions de télévision et de vidéo y contribuent énormément. Je pense que les lignes directrices en question devraient être rédigées par des gens du milieu de l'éducation. On pourrait tirer parti de l'expertise des chercheurs qui travaillent sur les médias, de psychologues, d'enseignants et de professeurs du domaine de la santé. Il faudrait inviter des représentants de beaucoup de milieux différents à participer au processus.
Le sénateur Tkachuk : Merci. Pour répondre à la question du sénateur Banks, mon père a été à la tête d'une petite entreprise pendant 20 ans, et il n'a jamais reçu de subventions ou de crédits d'impôt de sa vie. Je suis sûr qu'il y a des milliers de propriétaires de petites entreprises au pays qui sont dans la même situation. Si certains groupes privilégiés obtiennent, eux, des crédits d'impôt ou des crédits spéciaux que d'autres, comme mon père, n'obtiendront jamais, alors c'est peut-être une question de politique publique dont il faut s'occuper, sénateur Banks.
Le président : Sénateurs, nous allons recevoir un autre groupe de témoins. Avant de terminer avec celui-ci, le sénateur Goldstein, notre distingué vice-président, a signalé quelques anomalies intéressantes sur le plan de la langue.
Le sénateur Goldstein : Merci beaucoup d'être venue nous faire part de vos opinions, madame Dyson. Mme Watts n'est pas ici, mais je la remercie quand même, et je remercie aussi Mme Shapero.
Dans votre exposé et dans votre mémoire, vous avez utilisé l'expression « intérêt public ». Dans la loi, on trouve le terme « public policy » en anglais — politique publique — et le terme « ordre public » en français. Pensez-vous qu'il y a une distinction à faire entre les termes « public policy », « ordre public » et « intérêt public »?
Mme Dyson : Oui. Je pense que le terme « intérêt public » est un générique. Il y a probablement dans le terme « ordre public » l'idée de l'application de la loi. Les « politiques publiques » sont quelque chose dont le gouvernement surtout se préoccupe.
Le sénateur Goldstein : Votre approche, si je comprends bien, c'est que les lignes directrices devraient avoir pour objet la question plus générale de l'« intérêt public ».
Mme Dyson : Oui.
Le sénateur Goldstein : Diriez-vous que le fait d'offrir de l'aide pour la production de films dans lesquels il est question d'homosexualité serait contraire à l'intérêt public?
Mme Dyson : Pas nécessairement, je pense que l'homosexualité ou les relations entres personnes du même sexe empruntant quelque forme que ce soit pourrait très bien faire l'objet d'un script qui pourrait être approuvé ou pour lequel on pourrait obtenir des crédits d'impôt. Je ne pense pas que ce soit un domaine qu'il faille exclure d'office.
Ce qui me préoccupe davantage, c'est la violence gratuite et l'exploitation sexuelle, que cela ait trait aux relations entre personnes du même sexe ou à l'exploitation sexuelle des enfants, et surtout dans ce denier cas. C'est très fréquent.
Le sénateur Goldstein : Je suis d'accord. Je ne pense pas que quiconque ici soit en désaccord avec vous là-dessus.
Avez-vous vu le film J'ai serré la main du diable?
Mme Dyson : C'est le film du sénateur Roméo Dallaire. J'ai vu le film sur le Rwanda. Je tiens en très haute estime le travail du sénateur Dallaire. Je n'ai pas vu le film en question, mais j'ai le livre.
Le sénateur Goldstein : Êtes-vous d'accord pour dire, puisque vous connaissez le film, qu'il porte sur des événements d'une extraordinaire violence — des suicides et toutes sortes d'autres choses que personne d'entre nous ne veut voir? Pensez-vous que ce film n'aurait pas dû bénéficier de crédits d'impôt?
Mme Dyson : Je ne suis pas contre toute forme de violence. Il est possible de rédiger un bon script ou de faire un bon documentaire, et je présume que le film du sénateur Dallaire est un bon film, quoique, comme je le disais, je ne l'ai pas vu. Le réalisateur du film sur le Rwanda ne nous a pas épargnés, pour ce qui est des scènes de violence. Je pense qu'il est important que ce genre de film existe.
Ce dont je parle, c'est de la violence gratuite, de la violence superflue. Dans certains cas, c'est ce qui domine le script en entier. Nous pouvons hausser les épaules et dire : « on ne peut pas trancher, parce que ça dépend du point de vue du spectateur. » Il y a beaucoup de producteurs de films qui soutiennent qu'ils ont besoin de ces scènes de violence pour raconter leur histoire de façon efficace.
Je ne sais pas si nous avons le temps de parler de la désensibilisation graduelle de la société en général du fait qu'on baisse la barre de ce qui est acceptable et permis d'une année à l'autre et d'une décennie à l'autre.
Le sénateur Goldstein : Êtes-vous à l'aise avec l'idée que ce soit une seule personne qui fixe la hauteur de la barre?
Mme Dyson : Non, je pense que, en aucun cas, ça devrait être une seule personne qui détermine une telle chose.
Le sénateur Goldstein : C'est ce que la loi prévoit.
Mme Dyson : J'ai l'impression qu'il y a de la confusion parmi les gens ici présents quant à ce que le projet de loi prévoit, c'est-à-dire que ce soit une seule personne ou non. Je trouve qu'il est farfelu d'imaginer que la ministre du Patrimoine canadien ou qu'un autre ministre après elle consacre tout son temps à prendre ce genre de décision sans aide extérieure.
Le président : À cet égard, je pense que la majorité des personnes ici présentes savent que presque tous les textes législatifs désignent par l'expression « le ministre » le ministre responsable d'un domaine particulier, mais cette expression ne désigne pas le seul ministre.
J'aimerais remercier les sénateurs et les témoins qui ont participé à la première partie de la séance de ce soir. Je pense que nous avons tenu un débat très évolué et très intéressant. Vous y avez beaucoup contribué. Merci d'être venus.
J'ai le plaisir d'accueillir notre prochain groupe de témoins. Nous accueillons Noa Mendelsohn Aviv, directrice du projet de liberté d'expression de l'Association canadienne des libertés civiles, Alain Pineau, directeur général de la Conférence canadienne des arts et Keith Kelly, conseiller principal en matière de politiques. Nous recevons également Mark Young, représentant du Playwrights Guild of Canada et Franklin Carter, éditeur de livres, recherchiste et représentant du Comité de la liberté d'expression, tous deux du Book and Periodical Council.
Noa Mendelsohn Aviv, directrice, Projet de liberté d'expression, Association canadienne des libertés civiles : Bonsoir, honorables sénateurs. D'après la façon dont la séance s'est déroulée jusqu'à maintenant, et surtout d'après les questions que je viens d'entendre poser, il semble que les membres du comité connaissent très bien la question. Je vous remercie d'écouter mon témoignage, et j'espère que je vais apporter une contribution. Je ne dispose que de cinq minutes, alors, même si j'aimerais beaucoup vous parler de l'importance de cette liberté pour notre démarche, pour l'expression artistique et pour l'expression de soi et pour notre démocratie même, je ne vais pas me concentrer là- dessus. Ne vous y trompez pas, cependant, la disposition dont nous parlons est un problème concernant la liberté d'expression. Nous parlons d'une contrainte arbitraire et injustifiée à la liberté d'expression. Je serai heureuse de répondre aux questions tout à l'heure. Je vais cependant commencer par vous raconter une histoire du genre « que se passerait-il si? »
Que se passerait-il si je vous demandais de signer un chèque en blanc pour une bonne cause, et si je vous assurais que, même si vous n'inscrivez pas de montant, je ne vais pas prendre plus d'argent qu'il en faut. Vous auriez de très bonnes questions à me poser. Vous me demanderiez : « Que voulez-vous dire par une bonne cause? Quel est le montant exact que vous allez prendre? Qui répond aux questions, de toute façon? Pourquoi puis-je vous faire confiance ou faire confiance à vos collègues, pour ce qui est du fait que vous n'allez pas prendre plus d'argent que ce nous avons convenu ou que ce qu'il faut? »
Le projet de loi C-10 et la disposition dont nous parlons aujourd'hui sont ce chèque en blanc que le gouvernement vous demande de signer. Si le Sénat approuve le projet de loi dans son état actuel et que celui-ci est promulgué, le gouvernement aura le pouvoir de refuser des crédits d'impôt pour toute production contraire à l'ordre public, quel que soit le sens de cette expression. Ce projet de loi pourrait donner au gouvernement le pouvoir presque sans limite de décider quels films il juge que les Canadiens ne devraient pas voir, que ce soit des films que les représentants du gouvernement n'aiment pas ou même des films qui discréditent le gouvernement et les mesures qu'il prend, pour autant qu'il peut montrer que les films en question sont contraires à l'ordre public. Les tribunaux pourraient ne pas permettre cela, et même abroger l'article parce qu'il est trop vague, mais la question à laquelle les membres du comité doivent répondre est la suivante : dans quelle mesure êtes-vous prêts à accorder au gouvernement le pouvoir absolu de nous priver des libertés essentielles auxquelles nous tenons tant?
Le gouvernement nous a rassurés en nous disant, comme le projet de loi le précise, qu'il devrait y avoir des lignes directrices. Il a promis de consulter l'industrie et de limiter la portée de ce pouvoir à certaines catégories particulières. Même si nous faisons implicitement confiance au gouvernement actuel, comment pourrions-nous faire confiance aux prochains gouvernements? Le gouvernement va peut-être consulter l'industrie cinématographique, il consultera peut- être même la population et les groupes de libertés civiles, encore qu'il n'ait jamais dit qu'il le ferait. Il adoptera peut- être des lignes directrices limitées, mais il se peut aussi qu'il change d'avis ou qu'il modifie les lignes directrices, dès demain, s'il décide qu'il en sera ainsi. Voilà le problème fondamental que pose le projet de loi. Au sein d'une démocratie, « faites-nous confiance » n'est tout simplement pas une réponse satisfaisante.
Si le gouvernement entend restreindre la liberté d'expression, il faut que le projet de loi précise clairement et explicitement quels seront les critères, et il ne doit pas limiter nos libertés fondamentales plus qu'il n'est strictement nécessaire de le faire. Quels pourraient être ces critères? D'après le témoignage de la ministre Verner devant le comité, le projet de loi a pour objectif de supprimer l'échappatoire concernant les productions qui enfreignent le Code criminel, par exemple en présentant un contenu indécent, de la propagande haineuse ou de la pornographie infantile. Lorsqu'on a demandé à la ministre à quel autre genre de production elle pourrait être opposée, il n'est pas clair qu'elle a vraiment donné une réponse définitive.
On peut comprendre les motifs qui incitent le gouvernement à vouloir refuser d'accorder des crédits d'impôt à des productions qui enfreignent le Code criminel, mais, si c'est la seule contrainte qu'on veut imposer, il faut que le projet de loi le précise. Nul besoin d'accorder au gouvernement davantage de pouvoir de restrictions de la liberté d'expression.
Le projet de loi doit également préciser de qui relève la décision et de quelle façon elle est prise. La révocation d'un crédit d'impôt, qui peut être de dizaines ou de centaines de milliers de dollars, est une mesure rétroactive dure qui ne devrait pas relever de la ministre. Il faut que le projet de loi précise que, pour révoquer un crédit d'impôt, la ministre serait tenue de se présenter devant un tribunal et de prouver que, s'il faisait l'objet de poursuites judiciaires, le film serait jugé contraire au Code criminel en raison de son contenu, et, d'autre part, le tribunal doit confirmer que tel est bien le cas.
Outre l'infraction au Code criminel, qu'est-ce que la ministre suggère d'autre? Selon certaines déclarations du gouvernement, l'une des autres catégories exclues serait celle de la sexualité excessive ou du contenu sexuel important. Cela rappelle la scène du film Annie Hall dans laquelle le couple suit une thérapie. Le psychiatre demande à Annie : Avez-vous souvent des rapports sexuels? » Elle a répondu : « Constamment, environ trois fois par semaine. » Puis le psychiatre demande à Alvy : « Couchez-vous ensemble souvent? » Et celui-ci de répondre : « Presque jamais, peut-être trois fois par semaine. » Pour certaines personnes, tout contact sexuel à l'écran est excessif. C'est un peu ce que nous avons entendu dire au cours de la dernière séance, et, si nous repensons aux films de Hollywood d'une certaine époque, c'est ainsi que les gens pensaient. Pour d'autres personnes, il y a très peu de limites.
L'autre catégorie proposée par le gouvernement est celle de la violence gratuite ou excessive, qui suppose également des jugements de valeur. Si nous parlons, par exemple, d'un film sur la guerre, doit-on permettre que ce film illustre les horreurs de la guerre? Tout à l'heure, un témoin a parlé d'un film sur la Seconde Guerre mondiale ou sur la guerre du Vietnam. Que pensez-vous d'un documentaire sur Saddam Hussein? Le film devrait-il comporter une scène décrivant son exécution? Tout le monde l'a vue, parce que c'est dans YouTube. Compte tenu de toute la violence gratuite qu'il y a dans les Looney Tunes, voudrions-nous refuser un crédit d'impôt à une production du genre?
La troisième et dernière catégorie proposée est celle des propos haineux ou qui discréditent un autre groupe. Ici encore, il y a un manque de clarté. Beaucoup d'exemples viennent à l'esprit. Celui auquel je pense a été mentionné tout à l'heure, et c'est celui du film important de l'honorable sénateur Dallaire, J'ai serré la main du diable, qui porte sur le génocide du Rwanda. Ce film discrédite-il l'une ou l'autre des parties au conflit? Y a-t-il des groupes, par exemple des groupes racistes ou terroristes, qui méritent d'être discrédités? Les catégories sont très mal définies.
Qu'arriverait-il si un cinéaste voulait illustrer les événements historiques qui ont conduit le Canada à devenir l'un des premiers pays du monde à reconnaître les mariages des couples de même sexe, chose dont nous devons être très fiers? Le débat sur cette question au Parlement, au Sénat et dans les tribunaux a été passionné et chaud. Des choses très tranchées ont été dites. Un film illustrant les deux partis opposés dans le débat serait susceptible de choquer, et la question serait de savoir non pas qui il choquerait, mais bien qui il ne choquerait pas. Ces jugements de valeur pourraient grandement limiter le contenu des films que les cinéastes pourraient réaliser et que la population canadienne pourrait voir. La liberté d'expression pourrait en être profondément affectée des deux côtés.
Comment faire pour décider quelles catégories sont acceptables? Qui prendra la décision? Combien de films pourraient être exclus en l'absence de critères clairs? Je pense que j'ai montré que les suggestions qui ont été formulées ne sont en aucun cas claires. Combien de cinéastes oseraient moins par peur de se voir refuser un crédit d'impôt? La ministre a tenté de rassurer le comité en disant que le nombre de films exclus serait très petit et que, en fait, il ne s'agirait que d'une poignée de films sur les milliers qui sortent chaque année, et que certains de ces films sont de toute façon visés par le Code criminel. Vaut-il la peine, pour exclure ce très petit nombre de films, de prendre le risque que beaucoup de films importants ne soient jamais réalisés?
Nous avons déjà vu certains des films les plus importants à avoir été réalisés au Canada susciter la controverse et faire l'objet de la censure, notamment le classique pacifiste If You Love This Planet, film de l'ONF sur Billy Bishop et on a demandé dans certains cas de ne pas financer des films sur l'avortement et sur les jeunes homosexuels, des films également produits par l'Office national du film du Canada. Devrait-on supprimer également ces films en invoquant l'ordre public, et est-ce que c'est le gouvernement qui devrait prendre cette décision? Si nous donnons pleine liberté au gouvernement de sélectionner certains films et d'obliger les artistes à limiter leur liberté d'expression, combien de films novateurs sur des sujets controversés produira-t-on? Est-ce que ce ne serait pas une perte terrible?
Pour conclure, cette question a échappé totalement à l'attention de la Chambre des communes, comme les membres du comité le savent. Pendant l'examen du projet de loi à la Chambre, le sujet n'a pas reçu suffisamment d'attention ni fait l'objet d'un examen public adéquat. Le Sénat a maintenant la possibilité de corriger cette erreur et de renvoyer le projet de loi à la Chambre des communes pour que celle-ci l'examine attentivement et procède à des consultations exhaustives.
Compte tenu des dangers inhérents au projet de loi et de sa capacité de supprimer et de limiter l'une de nos libertés les plus prisées, l'Association canadienne des libertés civiles demande au comité de ne pas signer ce chèque en blanc.
[Français]
Alain Pineau, directeur général, Conférence canadienne des arts : Monsieur le président, je suis le directeur général de la Conférence canadienne des arts. À mes côtés, Keith Kelly, l'ancien directeur général de la CCA et notre actuel conseiller politique senior. Il a beaucoup d'expérience dans ces dossiers.
Nous tenons d'abord à remercier le comité de nous avoir invités aujourd'hui et transmettre des remerciements particuliers à la greffière du comité, Mme Gravel, qui nous a grandement assistés dans la préparation de notre présentation en nous fournissant des informations que nous avions de la difficulté à obtenir.
Monsieur le président, la CCA est la plus ancienne et la plus vaste organisation culturelle au pays qui se préoccupe de questions de politique culturelle. Nous avons des membres de tous les coins du pays, des groupes linguistiques, culturels et de toutes les disciplines. Ce n'est pas la première fois que la CCA comparaît devant un comité parlementaire pour débattre d'un projet de loi perçu généralement comme portant atteinte à la liberté d'expression des artistes, créateurs et professionnels des arts et de la culture. Il semble en effet que cela soit un thème récurrent, quel que soit le parti au pouvoir.
[Traduction]
En 1993, le gouvernement a présenté et adopté à une vitesse presque record une loi sur la pornographie juvénile dont beaucoup de gens pensaient qu'elle allait restreindre la liberté artistique et jeter un froid sur le milieu culturel. Le vice- premier ministre de l'époque, l'honorable Don Mazankowski, a garanti au milieu culturel que cette loi n'allait jamais être utilisée contre les artistes. La première personne ayant été poursuivie en justice dans le cadre de cette loi a été Eli Langer, artiste torontois, qui a été acquitté.
En 2002, lorsqu'on a apporté des modifications au Code criminel, cela a engendré des craintes semblables dans le milieu culturel. Est-ce que les manuscrits pas encore publiés et les autres œuvres d'art pas encore diffusées ou exposées allaient pouvoir faire l'objet de poursuites dans le cadre de la loi proposée? Le souvenir de l'affaire Eli Langer était encore vif dans l'esprit des artistes de toutes les disciplines, et cette affaire avait montré, si cela était nécessaire, que les gens qui appliquent les lois ne sont pas les mêmes que ceux qui les adoptent. Les modifications litigieuses qui figurent dans le projet de loi ont passé plusieurs années dans le moulin et vu passer différents gouvernements, et nous nous retrouvons aujourd'hui dans une situation assez familière, puisque nous parlons de modifications législatives qui sont susceptibles de soumettre le travail des artistes et des producteurs canadiens à des lignes directrices vagues et discrétionnaires et qu'il est possible que des politiciens et des fonctionnaires portent un jugement subjectif après coup sur les œuvres d'art qui vont être produites.
Il ressort clairement de l'examen du projet de loi C-10 que les intentions de la ministre et de ses fonctionnaires correspondent à l'engagement du gouvernement en place d'assurer une plus grande responsabilité et une plus grande transparence au chapitre de l'utilisation des deniers publics. La Conférence canadienne des arts, ou CCA, est tout à fait en faveur des objectifs gouvernementaux qui ont trait à l'utilisation prudente des fonds publics pour toutes fins. De même, la CCA félicite la ministre et ses fonctionnaires de l'ouverture d'esprit dont ils ont fait preuve lorsqu'ils ont répondu aux préoccupations soulevées quant à la portée trop vaste du paragraphe 125.4(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Cependant, comme la Canadian Library Association vous le faisait remarquer dans la lettre qu'elle vous a fait parvenir, il serait plus facile d'assurer une véritable transparence si la loi exigeait un règlement en vertu de la Loi sur les textes réglementaires, plutôt que de proposer un cadre moins transparent fondé sur des lignes directrices qui peuvent être modifiées du jour au lendemain. C'est peut-être une autre option qui s'offre au Parlement, mais la CCA ne peut appuyer une quelconque solution de rechange qui donne les mêmes résultats au bout du compte.
Les efforts déployés par le gouvernement peuvent sembler excessifs à certains, vu l'existence de nombreuses dispositions dans le Code criminel qui portent sur tous les types de comportements ou de représentations qui peuvent choquer. Il se peut que les mesures prises fassent double emploi avec les normes adoptées par l'industrie de la radiodiffusion et par d'autres organes sectoriels et qu'on retrouve à différentes étapes du processus de création de contenu audiovisuel.
On a en quelque sorte assuré à la CCA que ni la ministre ni ses fonctionnaires n'avaient l'intention de se dépêcher pour appliquer des lignes directrices qui n'ont pas encore fait l'objet de consultations significatives auprès des créateurs, des producteurs et des distributeurs qu'elles pourraient toucher. Néanmoins, la question demeure en suspens de savoir si des mesures supplémentaires sont nécessaires, et le cas échéant, de quelle nature elles devraient être. Un simple renvoi à la loi en vigueur pourrait suffire à préserver la distance appropriée entre les politiciens et les bureaucrates, d'un côté et le financement public du travail des artistes et de la culture, de l'autre.
La CCA n'est pas non plus rassurée par l'existence dans plusieurs programmes provinciaux de dispositions semblables aux modifications proposées au programme canadien d'accréditation des films et des vidéos. Sincèrement, je pense que le débat entourant le projet de loi C-10 a peut-être eu comme conséquence imprévue d'élargir le débat à l'échelle provinciale, et cela encouragera peut-être les artistes et les producteurs à contester les mesures de leurs gouvernements respectifs.
Certaines personnes disent que les modifications de portée trop grande de la Loi de l'impôt sur le revenu ne pourraient survivre à une contestation fondée sur la Charte. Cependant, le processus serait long et coûteux et pourrait obliger un gouvernement soucieux de l'utilisation qui est faite des fonds publics à faire des dépenses superflues. Peut- être le comité sénatorial pourrait-il renvoyer le paragraphe à la Cour suprême pour obtenir un avis préliminaire avant d'adopter le projet de loi C-10, ou encore, plutôt que de reporter l'adoption de cet énorme projet de loi, peut-être pourrait-il reporter la promulgation de ce paragraphe en particulier le temps d'obtenir une décision et peut-être aussi de publier une ébauche des lignes directrices aux fins d'examen et de consultations publiques. Il pourrait être ainsi possible de court-circuiter ce qui promet d'être un débat litigieux et animé, non seulement au Parlement, mais également au sein des conseils d'administration où les producteurs, les radiodiffuseurs et distributeurs prennent tous les jours des décisions qui ont une incidence sur le contenu. On a peur d'un froid, de la possibilité que les décideurs se fassent critiques, et, surtout, de l'autocensure. Il ne faut pas penser que c'est de la paranoïa lorsqu'on parle du financement public de l'expression culturelle.
Pour terminer, j'aimerais vous demander de garder en tête ce qui s'est passé dans le cas d'Eli Langer pendant l'examen du projet de loi.
Mark Leiren-Young, auteur, producteur, réalisateur de films, représentant du Playwrights Guild of Canada sur le Comité de liberté d'expression du Book and Periodical Council, Book and Periodical Council : Le Book and Periodical Council est l'organisation qui chapeaute les associations canadiennes dont les activités ont trait à la rédaction, à l'édition, à la publication, à la fabrication, à la distribution, à la vente et au prêt de livres et de périodiques au Canada. Les organisations membres du conseil représentent environ 6 000 personnes et 5 500 entreprises et établissements. Les membres associés du BPC représentent plusieurs milliers de personnes, d'entreprises et d'établissements.
Notre Comité de liberté d'expression suit les questions de censure au Canada, organise la Freedom to Read Week et publie chaque année une trousse d'information sur les questions relatives à la liberté intellectuelle. Il y a longtemps que le BPC travaille avec le gouvernement fédéral dans le but de préserver la liberté d'expression au Canada. Nous sommes fiers de travailler avec toutes les parties concernées à l'échelon fédéral, et nous sommes d'avis que la liberté d'expression est au-dessus de la politique.
Je représente le Comité de liberté d'expression du Playwrights Guild of Canada. Ce comité m'a demandé de le représenter ici aujourd'hui à la fois parce que j'en suis membre depuis longtemps et parce que j'ai écrit plus de 100 heures de scénarios pour des émissions de télévision. J'ai récemment terminé mon premier long métrage, intitulé The Green Chain, que j'ai écrit, réalisé et produit.
Je suis ici avec Franklin Carter pour exprimer les préoccupations de Book and Periodical Council au sujet des dispositions du projet de loi C-10 qui permettraient au ministère du Patrimoine canadien de refuser d'accorder les crédits d'impôt — qui sont accordés comme mesure d'incitation à l'embauche de Canadiens pour la production de films et d'émissions de télévision — dans le cas de films ou d'émission de télévision jugés contraires à l'ordre public.
Nous sommes d'avis que la promulgation du paragraphe 120(3) découragerait les gens d'investir dans la production d'émissions de télévision ou de films provocateurs. Surtout, cela encouragerait les réalisateurs, les producteurs et les scénaristes à s'autocensurer. Nous sommes d'avis que l'expression « contraire à l'ordre public » est subjective et vague et que, à ce titre, elle se prête aux mauvaises interprétations et aux interprétations abusives. Nous nous demandons si ce paragraphe, une fois le projet de loi adopté, pourrait être utilisé pour refuser d'accorder des crédits d'impôt à des séries de télévision comme « Trailer Park Boys » parce que les personnages boivent, fument et vendent de la drogue. Pourrait- on utiliser cette disposition pour refuser des films comme Les promesses de l'ombre de David Cronenberg parce qu'il contient des scènes de violence et de nudité?
Ce qui est peut-être encore plus préoccupant, c'est que les banquiers et les investisseurs se poseront peut-être les mêmes questions et seront peut-être réticents à financer des projets controversés par peur que les crédits d'impôt pour la main-d'œuvre ne soient pas accordés après la production du film ou de l'émission de télévision. Lorsqu'un film ou une émission de télévision est financé par Téléfilm Canada ou par le Fonds canadien de télévision, deux organisations qui ont leurs propres réglementations par rapport au contenu qui peut être diffusé, cela ne signifie-t-il pas que le projet a été approuvé par une organisation qui représente l'ordre public qui est en position d'évaluer le contenu d'une production et qui a le mandat et les compétences nécessaires pour le faire?
Les principes directeurs de Téléfilm Canada pour le financement de base précisent déjà que les projets admissibles au financement ne doivent contenir aucun élément de violence ou d'exploitation sexuelle grave ou gratuite, et n'être ni obscènes, indécents ou pornographiques selon la définition du Code criminel ou de nature diffamatoire ou autrement illégale. Téléfilm Canada et le Fonds canadien de télévision ont tous deux des règles en place pour permettre aux organismes de mettre fin au financement de tout projet qui enfreint le Code criminel ou le code d'éthique de l'Association canadienne des radiodiffuseurs.
Nous aimerions également dire que nous sommes préoccupés de ce que cette disposition controversée n'a jamais fait l'objet d'un débat à la Chambre des communes ni de discussions candides avec quiconque de l'industrie cinématographique ou de l'industrie de la télévision. Le gouvernement n'a pas consulté la population canadienne.
Si l'on doit établir des lignes directrices, qui va s'occuper de regarder tous les films et toutes les émissions de télévision pour déterminer lesquels sont contraires à l'ordre public? Si le ministère ne prévoit pas établir un système dans le cadre duquel des gens visionneront tous les films et toutes les émissions de télévision, comment les fonctionnaires sauront-ils lesquels sont « contraires à l'ordre public »? Les producteurs auraient-ils la possibilité d'interjeter appel de la décision de leur refuser des crédits d'impôt? Comment un système du genre fonctionnerait-il?
Si le gouvernement adopte des lignes directrices de façon à pouvoir refuser de financer les films qu'il juge inappropriés, est-ce qu'il y aura des lignes directrices semblables qui menaceront les domaines de la musique, des installations artistiques et du théâtre?
En 2007, le ministère du Patrimoine canadien a révisé les lignes directrices pour l'application de son programme d'aide au développement de l'industrie d'édition afin de pouvoir refuser de financer des publications au « contenu à caractère sexuel notable, contenant de la violence excessive ou gratuite ou ayant tout autre contenu offensant de nature semblable ». Le BPC s'inquiète de ce que ces lignes directrices sont également subjectives, vagues et propices aux mauvaises interprétations ou aux interprétations abusives.
Nous demandons au comité de renvoyer le paragraphe 120(3) du projet de loi C-10 à la Chambre des communes pour qu'il y ait un débat sur ce paragraphe. Nous espérons que les députés vont réviser le paragraphe 120(3) ou le supprimer du projet de loi C-10, pour ainsi éliminer cette menace pour la production cinématographique et télévisuelle.
Nous sommes d'avis que le projet de loi est superflu et qu'il pourrait avoir un effet de refroidissement sur l'expression artistique au Canada. Le système de financement de films et d'émissions de télévision du gouvernement du Canada devrait encourager l'expression artistique, et non l'étouffer. Nous remercions le gouvernement du Canada d'avoir constamment soutenu les arts au Canada, et nous affirmons en tout respect que le paragraphe 120(3), selon son libellé actuel, est contraire à cette tradition. Merci de nous avoir accordé du temps et de l'attention que vous prêtez à ce sujet important.
Le président : Merci, monsieur, de cet exposé intéressant et pertinent. Y a-t-il d'autres témoins qui vont présenter un exposé? Nous allons passer à la période de questions.
Le sénateur Baker : Je veux d'abord féliciter les témoins. Chacun des témoins qui ont présenté des exposés ont souligné le fait que, dans notre démocratie, au Canada, à la Chambre des communes, aucun des députés n'a fait mention du projet de loi au moment des allocutions prononcées à l'occasion de la deuxième lecture, de la troisième lecture, du dépôt du rapport ou des séances du comité. On n'a demandé à aucune des personnes visées par la loi de comparaître à titre de témoin, ce que suppose notre processus parlementaire démocratique. On n'a demandé à personne d'entre vous de comparaître.
C'est incroyable de voir qu'un projet de loi peut être adopté de cette façon. Si le paragraphe dont nous parlons est envoyé devant les tribunaux à un moment donné — cela va sans aucun doute se produire —, cette situation va poser problème. Votre organisation intervient dans pratiquement tous les dossiers qui ont trait à ce genre de chose. Je vous félicite du travail extraordinaire que vous avez fait. Il est incroyable que personne au Parlement ne savait que ce projet de loi était en train d'être adopté, et deux partis politiques demandent une seconde chance parce qu'ils ne savaient pas pourquoi ils votaient.
Compte tenu du fait que le NPD et le Bloc ont admis publiquement qu'ils ne savaient pas pourquoi ils votaient, pensez-vous qu'il faudrait renvoyer le projet de loi à la Chambre des communes?
M. Leiren-Young : Certainement.
Mme Mendelsohn Aviv : Pour cette raison et pour de nombreuses autres, le projet de loi devrait être renvoyé à la Chambre des communes.
Le sénateur Baker : Ma dernière question a trait à un sujet que j'ai abordé tout à l'heure. Je me demandais pourquoi il faudrait qu'il y ait un comité de censure au ministère du Patrimoine canadien pour s'occuper d'un certificat prévu par la Loi de l'impôt sur le revenu et son règlement afférent, en plus des organes de censure provinciale comme la Commission de contrôle cinématographique de l'Ontario, que vous avez changée récemment — la Loi sur les cinémas a été abrogée. À cela s'ajoutent nos lois fédérales. Pourquoi mettre sur pied cette nouvelle bureaucratie?
Il est impossible aujourd'hui d'obtenir des crédits d'impôt au Canada — et ça fait longtemps qu'il en est ainsi — pour produire de la pornographie. Ça fait partie du règlement. J'en ai parlé déjà, et le président et le coprésident ont mal compris ce que je disais. J'ai dû obtenir la jurisprudence et leur en faire part tout à l'heure pour prouver ce que j'avançais.
Il y a déjà trois niveaux : la réglementation pénale fédérale, les organes de censure provinciaux, et maintenant les règlements et les crédits d'impôt par rapport à la déclaration de la ministre selon laquelle la pornographie est l'aspect le plus important, et il est impossible d'obtenir un crédit d'impôt pour produire la pornographie. On est en train de mettre sur pied une nouvelle bureaucratie.
Pensez-vous que ce soit nécessaire, même si la condition existe déjà dans les règles relatives au crédit d'impôt et ailleurs aussi?
Mme Mendelsohn Aviv : C'est certain que je ne veux pas dire quel est l'objectif poursuivi à la place du gouvernement. Cependant, je vois beaucoup de choses dangereuses là-dedans, parce que la portée de la nouvelle disposition est incroyablement vaste.
M. Leiren-Young : Il est ressorti de votre discussion avec la ministre la semaine dernière que seulement deux films auraient été visés par le projet de loi au cours des six dernières années.
Le sénateur Fox : Il n'y en a pas eu d'autres auparavant. Vous pouvez remonter jusqu'à la Confédération, si vous voulez.
M. Leiren-Young : Deux films en six ans, ça ne semble pas être suffisant pour justifier la création d'un nouvel organe de censure.
Le sénateur Baker : La ministre a insisté sur la pornographie, que la loi actuelle exclut déjà des crédits d'impôt.
Le sénateur Eyton : Pour le compte rendu, je répète qu'il n'y a pas de nouvelles dispositions. Celles dont nous parlons existent, sous une forme ou une autre, depuis environ cinq ans. Il y a eu des débats publics et des communiqués qui portaient sur celles-ci, peut-être sous une forme légèrement différente, il y a trois ans de cela. En outre, on a adopté des dispositions semblables dans quatre provinces : l'Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve et la Colombie-Britannique.
Nous devons éviter de voir cela comme un nouveau dossier. La question a pris de l'importance et a reçu beaucoup d'attention dernièrement, mais ça fait longtemps qu'on en parle. Je pense que le gouvernement n'a pas l'intention d'apporter des changements spectaculaires. Il ne fait que s'occuper de ce qu'on a négligé pendant quatre ou cinq ans.
Vous devez savoir ça aussi. Vous deviez connaître l'existence de ces dispositions, peut-être sous une forme différente, dans le règlement puis après le dépôt du projet de loi, non?
M. Leiren-Young : Je pense que ce qui rend la question plus litigieuse maintenant, c'est que les crédits d'impôt pour la main-d'œuvre font partie intégrante du financement des films. Lorsqu'on présente un budget de film à Téléfilm Canada, il faut intégrer ces nombreux crédits d'impôt pour la main-d'œuvre. Si on met quelque chose dans le budget et qu'on peut dire au mieux qu'on est probablement admissible au crédit, ça fait peur aux banques et aux autres institutions financières. C'est peut-être ça qui rend la question plus litigieuse aujourd'hui.
Le sénateur Eyton : C'était une question supplémentaire, alors je vais revenir là-dessus tout à l'heure.
Mme Mendelsohn Aviv : Malgré le bon compliment que nous avons reçu parce que nous participons à toutes les interventions, nous n'avons pas connaissance de tous les dossiers relatifs à la liberté d'expression au Canada. Le fait que les dispositions en question existent sous une forme ou une autre, depuis un moment, et existent à l'échelon provincial me rappelle ce vieil adage selon lequel on ne guérit pas le mal par le mal. Le Sénat a la possibilité d'arranger les choses ou à tout le moins de renvoyer le projet de loi pour que nous puissions essayer de tout arranger. C'est ce que nous vous demandons de faire.
M. Pineau : Si vous me permettez, je vais répéter ce que nous avons dit tout à l'heure. Nous savons que les dispositions existent depuis longtemps. Notre organisation n'a pas les outils nécessaires pour démêler tout ça et affirmer que, non, nous n'avons jamais vu ces dispositions auparavant. Je sais que le débat qui a lieu là-dessus présente de nombreuses nuances politiques. Pour nous, ça n'a pas d'importance que ce soit tel ou tel gouvernement qui propose le projet de loi. Cela aurait été un mauvais projet de loi si c'était le gouvernement précédent qui l'avait présenté, et nous l'aurions comparé devant le comité pour les mêmes raisons qui font que nous sommes ici aujourd'hui. La proposition est inacceptable, peu importe la couleur du gouvernement, parce qu'elle fournit une arme très puissante pour résoudre un problème qui ne se pose même pas. Il existe toutes sortes de dispositions en amont et en aval du processus pour régler cela. D'après ce que nous savons, si, par malheur, une organisation de subvention, que ce soit Téléfilm, le Fonds canadien de télévision ou une autre organisation, avance de l'argent pour la production d'un film ou d'une émission de télévision qui finit par être condamnée dans le cadre du Code criminel, alors il y a dans le Code criminel des dispositions qui permettent de corriger la situation. Sous le titre « produits de la criminalité », il y a des dispositions qui permettent de réclamer le remboursement des sommes accordées ou de l'investissement dans le film qui a été effectué. Nous n'avons pas besoin de cette espèce de deuxième examen, qui pourrait être très néfaste sur le plan de la liberté d'expression.
Le sénateur Baker : Les notes explicatives du projet de loi à l'étude parlent d'une annonce faite le 14 novembre 2003 « visant à simplifier et à mieux cibler les incitatifs fiscaux applicables aux films canadiens portant visa ». Vous pouvez vérifier; à l'époque, c'était une modification proposée qu'on a fait circuler au sein de l'industrie cinématographique, et cela n'avait rien à voir avec le projet de loi.
N'est-il pas vrai que le certificat accordé par la ministre, dont on a besoin pour réclamer les crédits d'impôt, n'est accordé qu'à la fin du processus? Le producteur envoie sa déclaration d'impôt, et la loi prévoit deux conditions : il faut que ce soit une production canadienne et que le ministre ait vérifié le montant approximatif des dépenses liées à la production. Selon la loi même qui relève de la ministre du Patrimoine, tout cela est fait à la fin, après toute la production, et le producteur réclame ces crédits. Est-ce exact?
M. Leiren-Young : Oui. Pour de nombreux producteurs indépendants, c'est le premier chèque de paie qu'ils reçoivent, parce qu'ils doivent emprunter de l'argent à la banque pour financer leurs films. J'ai travaillé avec des gens qui ont attendu pendant deux ou trois ans de recevoir ce chèque de paie issu des crédits d'impôt, qui constitue le dernier élément de leur financement.
Mme Mendelsohn Aviv : Je ne suis pas spécialiste de l'aspect financier de l'industrie, mais, d'après ce que j'ai compris, il peut y avoir également un processus d'approbation à l'avance. Nous sommes préoccupés par la possibilité que la ministre ait le pouvoir d'annuler le financement après le tournage d'un film et après que des engagements ont été pris. C'est la raison pour laquelle je veux rappeler au comité que nous pensons qu'il est nécessaire que la ministre n'ait pas ce pouvoir. Il faudrait plutôt remettre la décision entre les mains d'un tribunal, qui la prendrait en fonction des éléments de la demande. Nous ne pouvons pas imposer une amende de 100 000 $ à quelqu'un sans que la question soit renvoyée à un tribunal, alors comment pourrions-nous prendre ce genre de somme sans qu'un tribunal tranche la question?
Le sénateur Tkachuk : Monsieur Leiren-Young, le crédit d'impôt pour la main-d'œuvre ne fait pas partie du projet de loi C-10. Ce crédit d'impôt est réservé aux films étrangers, et nous parlons de films et de vidéos canadiens, qui sont visés par le projet de loi C-10. Je veux que ce soit clair.
Quelqu'un a posé une question au sujet du fait que la disposition a été créée et proposée en 2003. Le directeur des communications de l'Association canadienne de production de film et télévision a publié un communiqué concernant l'annonce. Ce communiqué se lit comme suit :
Les producteurs de l'ensemble du pays sont très enthousiastes au sujet de l'annonce faite aujourd'hui à Ottawa d'une mesure qui va majorer un crédit d'impôt axé sur la main-d'œuvre pour l'industrie de la production de films et d'émissions de télévision. À l'issue de près de trois ans de négociations complexes, le ministère des Finances et le ministère du Patrimoine canadien dévoilent des ébauches de modification du crédit d'impôt pour productions cinématographiques ou magnétoscopiques canadiennes, qui touchent la production du contenu canadien.
Je peux vous donner une photocopie du texte du communiqué si vous ne l'avez pas déjà.
Lorsque cette proposition a été faite en 2003, il y a eu de vastes consultations auprès de l'industrie, et il n'y a pas eu de changement dans la loi. Qu'est-ce qui a changé, alors?
Franklin Carter, éditeur de livres, recherchiste, représentant du Comité de liberté d'expression du Book and Periodical Council, Book and Periodical Council : Le Book and Periodical Council n'a appris cela qu'en février. Notre organisation s'occupe surtout de livres et de périodiques. Les films ne sont pas tout à fait dans notre mandat. Certaines des organisations membres du BPC, notamment le Playwrights Guild of Canada, dont M. Leiren-Young est membre, pourraient être touchées par cela. Nous aimerions voir le document, si vous pouvez nous le fournir.
Le sénateur Tkachuk : Je l'ai ici. Je vais faire des photocopies du communiqué. Vous pourriez donner un coup de fil à l'Association canadienne de production de films et de télévision là-dessus.
M. Carter : Pour le compte rendu, cette organisation ne fait pas partie du Book and Periodical Council. C'est la première fois que j'en entends parler.
Le sénateur Tkachuk : Je veux éclaircir quelque chose. Vous dites qu'il n'y a pas eu de consultations. Pour ma part, j'affirme qu'il y en a eu, puisqu'on a diffusé un communiqué en 2003 qui parlait du processus complexe de négociation et de consultation sur la question. Soit vous parlez tous des lignes directrices soit vous parlez d'autres choses. Je suis confus. Dites-vous qu'il ne devrait pas y avoir de lignes directrices du tout et qu'il conviendrait de supprimer cette disposition d'intérêt public, ou devrait-on la conserver mais l'appliquer d'une autre façon? En d'autres termes, faudrait-il que ce soit quelqu'un d'autre que la ministre qui soit chargé de cette responsabilité?
M. Carter : Je crois que les lignes directrices interviennent probablement plus tôt, au moment où les cinéastes demandent de l'aide financière à un organisme comme Téléfilm Canada. N'est-ce pas? N'ont-ils pas des lignes directrices?
M. Leiren-Young : Oui, ils en ont.
Le président : C'est le rêve de tout président : les cinq lumières rouges se sont allumées en même temps. Nous entendrons d'abord M. Kelly, et nous verrons ensuite.
Keith Kelly, conseiller principal en matière de politiques, Conférence canadienne des arts : Les consultations précédant l'annonce de 2003 étaient étendues; c'est absolument vrai. Les consultations visaient à définir la manière de d'assouplir les critères du programme pour que les producteurs cinématographiques puissent obtenir l'accréditation de leur projet plus facilement. Je suis convaincu que toute l'attention était accordée aux mesures visant à assouplir l'approche inhérente au processus d'accréditation.
Le projet de loi C-10 est une lecture fascinante pendant environ une page et demie. Je compatis avec les membres du Parlement qui n'ont pas jugé nécessaire de lire chaque mot ou ceux qui ne pouvaient pas garder les yeux ouverts assez longtemps pour le faire.
Une fois qu'on s'est attaqué à la formule « contraire à l'ordre public », un souvenir désagréable a fait surface dans le milieu artistique au sujet de certaines des voies que nous avons déjà explorées. M. Pineau a mentionné l'affaire Eli Langer et les modifications du Code criminel qui ont suivi en 2003 concernant la pornographie infantile. Il était question de manuscrits et d'illustrations non diffusés ni publiés.
Je crois que les consultations qui ont mené à cette annonce de 2003 se sont principalement tenues auprès de l'industrie du film elle-même. Leur principale préoccupation était d'assouplir les dispositions du programme afin de leur donner accès au capital dont ils ont besoin pour produire des films dans un contexte où cette activité est désormais très coûteuse. L'Association canadienne de production de films et de télévision sera ici demain. Je crois qu'elle sera alors en mesure de parler de ce sujet beaucoup mieux que nous.
Le président : De son propre aveu, elle a participé à des discussions et a diffusé ses propres communiqués de presse.
M. Pineau : Je suis désavantagé, car je n'occupais pas mon poste actuel en 2003. Toutefois, je serais très étonné si les auteurs étaient en faveur de cette modification. Comme l'a mentionné mon collègue, ils appuyaient l'assouplissement du système et s'en félicitaient; ils n'ont probablement pas vu que ce sont les menus détails.
Mme Mendelsohn Aviv : J'aimerais répondre à votre deuxième question au sujet des lignes directrices, car je traite de cette question dans mon mémoire. Nous sommes d'avis que, si une loi permet au gouvernement de supprimer l'une de nos libertés fondamentales, elle doit le faire dans une mesure aussi limitée que possible, et la disposition doit être d'une clarté optimale, afin que nous sachions à quoi nous en tenir. Un règlement ne joue pas le même rôle que des lignes directrices. Ce sont des instruments qui servent à nous indiquer quels formulaires présenter, à quelle échéance, et cetera. Cependant, ce sont nos représentants élus qui devraient établir les principes généraux que doivent respecter le gouvernement et le public canadien — soit ce qu'ils peuvent et ce qu'ils ne peuvent pas faire.
Si la ministre insiste sur cette faille parce qu'elle l'oblige à accorder des crédits d'impôt à des projets en contravention du Code criminel, pourquoi alors la loi ne peut-elle pas le mentionner? Ce n'est pas une idée détaillée ni complexe. Ce n'est pas non plus une formule encombrante que nous voulons enchâsser dans la loi. Il s'agit d'une courte formule qu'elle a présentée au comité. Voilà le rôle d'une loi; voilà le rôle de nos représentants élus.
Si le projet de loi entre en vigueur tel quel, la formule « contraire à l'ordre public » pourrait permettre d'innombrables violations de la liberté d'expression. Par exemple, disons qu'un groupe — et nous serons bientôt confrontés à cette réalité — veut protester contre le sommet du G-8 ou la mondialisation pendant les Jeux olympiques. C'est une situation probable. Admettons qu'il veut produire un film au cours de la période qui précède les Jeux olympiques. Disons que le gouvernement est inquiet des manifestations qui peuvent survenir pendant les jeux. Ce sont tous des scénarios possibles dont nous serons témoins dans quelques années. Le gouvernement pourrait-il dire : « Nous sommes préoccupés par ces manifestations. Nous travaillons pour que les Jeux olympiques se déroulent dans un environnement pacifique. Nous ne voulons pas que les événements survenus durant la cérémonie du flambeau en Chine se répètent aujourd'hui. Cela va à l'encontre de l'ordre public. Nous voulons que les Jeux olympiques canadiens se déroulent sans heurts. Il en va de l'intérêt de l'industrie et de l'image du Canada », et appliquer la formule « contraire à l'ordre public » à ce scénario? Le gouvernement n'a sûrement pas le choix de décider ce qu'il juge contraire à l'ordre public.
Notre loi — et non les lignes directrices — devrait préciser très clairement ce qui est exclu et ce qui est accepté.
M. Leiren-Young : Je crois que la portée de ces témoignages témoigne de l'ampleur de l'inquiétude provoquée par une ligne directrice aussi vague que l'ordre public canadien. Plus de 38 000 personnes ont joint un groupe Facebook pour signifier leur mécontentement. Le nombre s'élevait à 38 250 lorsque j'ai vérifié ce matin. Pour donner une idée à quel point certains ratissent large, le film Extase, qui traite de la nécrophilie, a notamment été mentionné. En 1996, ce film a obtenu une nomination pour le prix Génie du meilleur film. Il a été présenté aux quatre coins du monde. Je crois qu'aucun festival de films ou pays au monde n'a déclaré le film pornographique. Pourtant, il est évident que certaines personnes croient qu'il s'agit de l'un des films qui ne devraient pas être admissibles aux crédits d'impôt.
Le sénateur Tkachuk : Est-ce possible, au Canada, qu'une personne exprime son opinion sans profiter d'une subvention ou d'un crédit d'impôt? Le milieu culturel peut-il y parvenir?
Mme Mendelsohn Aviv : Certainement. Toutefois, dans cette situation, le Parlement a décidé d'accorder ces crédits d'impôt. C'est une garantie implicite. Le Parlement ne devrait pas aujourd'hui avoir le pouvoir d'exclure les films qu'il n'aime pas, en l'absence de critères clairs, justes et non arbitraires, aussi limités que possible.
Le sénateur Tkachuk : Je veux y venir. Avant 2005, la disposition en question était dans les lignes directrices. Tous les films dont vous parlez ont été produits pendant que cette disposition était comprise dans le règlement. C'était un règlement qui conférait le même pouvoir discrétionnaire que la disposition comprise dans le projet de loi. Pourtant, nous n'étions pas aux prises avec des désastres apocalyptiques avant 2005.
Vous l'avez évidemment appuyé, car vous avez travaillé sous le régime de cette disposition pendant toutes ces années. Le gouvernement devrait peut-être reprendre la disposition antérieure à 2005 et l'enchâsser de nouveau dans le règlement. Nous rétablirions le statu quo, mais le contenu actuel de la loi demeurerait inchangé. Peut-on travailler dans ces conditions? Il semble que c'est dans ce contexte que vous avez tous travaillé pendant toutes ces années.
Mme Mendelsohn Aviv : Je ne suis pas cinéaste. Je suis membre d'une association qui milite pour la protection des droits et libertés. Je n'ai pas travaillé sous le régime de cette disposition et je ne l'appuie pas. C'est la première fois que j'en entends parler. Je saisis l'occasion pour vous demander, chers parlementaires, de renvoyer le projet de loi à la Chambre pour qu'on puisse l'arranger et l'améliorer.
Le sénateur Tkachuk : Cette disposition existait bien avant que tout le monde se réveille.
Le président : Il semble que le Sénat a un rôle important à jouer ici.
Le sénateur Tkachuk : De toute évidence, car nous participons ici à un grand débat qui est très intéressant. Merci.
Le président : J'ai remarqué l'heure. Il n'y aura pas d'autres comités qui se réuniront, alors je parcourrai la liste pour voir si tout le monde peut rester avec nous. Sénateur Ringuette, c'est à vous. Mais je crois que le parrain du projet de loi aimerait poser des questions.
Le sénateur Tkachuk : Je pars non pas parce que la question ne m'intéresse pas — bien au contraire —, mais parce que je siège à un autre comité et nous examinons un rapport. Il est important que nous soyons là.
Le président : Je comprends cela. Le fier parrain du projet de loi souhaitait-il poser des questions avant de partir? Je crois que le sénateur Ringuette accepterait de vous laisser la parole.
Le sénateur Eyton : Je veux reprendre les consultations. La ministre a proposé de rencontrer l'industrie et le grand public pour tenter de fixer les lignes directrices. Aimeriez-vous participer à cette activité? J'aimerais bien savoir comment vous envisageriez le processus de consultation avec, entre autres, l'industrie concernant des lignes directrices appropriées. Si l'occasion se présentait, la saisiriez-vous?
M. Kelly : Certainement, mais seulement pour apporter les arguments que nous présentons aujourd'hui. Il ne s'agit surtout pas d'une capitulation. Nous aimerions apprendre quelle était la motivation derrière cette disposition. Pourquoi était-elle passée d'un règlement à une ligne directrice? Comment interprétera-t-on ces lignes directrices? Nous serions heureux de participer à ce processus de consultation, mais notre attitude serait sceptique, nous ne nous résignerions pas à dire : « Oui, nous sommes d'accord, peu importe votre solution. »
M. Pineau : Pour toutes les raisons expliquées, nous nous opposons à l'application rétroactive des lignes directrices. Nous croyons que des lignes directrices sont appropriées au moment de la réclamation de subventions. Après cette étape, elles deviennent arbitraires. Elles peuvent être changées du jour au lendemain, en fonction de considérations qui n'ont rien à voir avec le but poursuivi, et elles risquent de faire obstacle à la créativité et à l'expression culturelle.
Malheureusement, les artistes ont le mandat de repousser les limites. Ils nagent souvent à contre-courant des grandes tendances de la société. Beaucoup d'œuvres aujourd'hui reconnues comme des chefs-d'œuvre, dans un genre comme dans l'autre, auraient été tuées dans l'œuf si elles avaient été assujetties à un tel processus.
Le sénateur Eyton : Ce n'était vraiment pas la question. S'il y avait consultation, seriez-vous présent? L'autre facette de la question était de savoir comment vous perceviez une telle consultation. Selon vous, quelle ampleur devrait prendre cette consultation auprès du grand public canadien? C'est l'argent des contribuables canadiens qui sert à financer les productions.
M. Kelly : Il serait très difficile pour un membre du public canadien d'examiner de façon responsable les critères qui sous-tendent le financement de l'accréditation de films ou de vidéos. Il s'agit d'une question très complexe, comme vous l'apprendrez demain.
Le sénateur Eyton : Les contribuables canadiens ont un intérêt à ce chapitre. N'êtes-vous pas concerné s'il s'agit, en partie, de votre argent? Ne voulez-vous pas qu'on la dépense de façon responsable?
M. Kelly : Ces dollars sont défendus par le vérificateur général et au moyen de la vérification régulière de tous ces organismes.
Le sénateur Eyton : Je ne parlais pas du processus. Je parlais d'un jugement.
M. Kelly : Vous parlez de protéger l'argent des contribuables canadiens. Or, nous avons déjà assez de protection grâce au Bureau du vérificateur général et aux autres instruments du Conseil du Trésor, comme le cadre de responsabilisation de gestion. Je ne crois pas que nous ayons besoin d'un autre critère pour garantir l'efficience. Nous avons également un nouveau directeur parlementaire du budget.
Le sénateur Eyton : J'imagine que vous parlez du processus. Je suis à la recherche d'une participation signifiante, qui ne se limiterait pas à la votre.
M. Pineau : Je ne crois pas qu'une chambre étoilée de personnes qui ont chacun leur propre opinion soit convenable ni nécessaire au moment actuel. Les processus sont en place.
Le sénateur Eyton : Vous tenterez de limiter les consultations à l'industrie et, peut-être, à quelques autres?
M. Pineau : Non. D'emblée, nous sommes totalement opposés aux lignes directrices. Vous pouvez consulter tout le monde jusqu'à la fin des temps.
Le sénateur Eyton : Oui, j'avais compris.
Le président : Nous devons déployer des efforts pour coopérer ici. Je veux que tous les sénateurs soient entendus.
Le sénateur Ringuette : Monsieur Pineau, vous avez déclaré que vous aimeriez que le comité du Sénat renvoie cette disposition à la Cour suprême. Si seulement nous le pouvions. Malheureusement, nous n'avons pas ce pouvoir. La seule entité qui peut soumettre une question à la Cour suprême du Canada est le gouvernement du Canada, c'est-à-dire le premier ministre. Ainsi, nous n'y pouvons rien.
J'ai apprécié les questions de mon collègue, le sénateur Eyton, concernant la consultation. J'ai certaines données historiques à vous présenter.
Le comité a reçu le projet de loi C-10 en décembre. À la fin de janvier ou à la première semaine de février, cette question a été soulevée dans les journaux. Les membres du comité étaient très intéressés, car ce projet de loi a été présenté au comité pour une autre raison, la question concernant les fiducies étrangères. Tout d'un coup, cette question fait surface. Nous avons commencé à recevoir des courriels. J'en ai reçu plus de 5 000. Il s'agit vraiment d'une question d'intérêt public.
Le 6 mars, avant les vacances de Pâques et avant que le comité ait repris ses séances à ce sujet, j'ai été conviée, en tant que membre du comité, à une séance d'information par le ministère et les représentants des ministres concernés. Le 6 mars, on m'a dit que l'industrie discutait depuis deux semaines avec la ministre et le ministère, et que la question serait probablement réglée avant que le comité reprenne ses travaux.
La semaine dernière, le 2 avril, la ministre vient témoigner devant notre comité et déclare : « Bienvenue à tous. Je veux tenir des consultations durant l'année à venir. »
Depuis le début de février, particulièrement depuis le 6 mars, puis le 2 avril, quelqu'un d'entre vous a-t-il été consulté? Quelqu'un d'entre vous n'a-t-il pas été consulté à ce jour, alors que les membres du comité ont été informés que l'industrie était en consultation il y a plus d'un mois?
[Français]
M. Pineau : Je vous dirai, cependant, que certains de nos membres qui vont comparaître ici ont été consultés et ils sont plus directement concernés par le sujet.
Le sénateur Ringuette : Donc vous êtes conscient qu'il y a certains membres plus concernés.
M. Pineau : Nous ne l'avons pas été mais certains de nos membres sont directement concernés.
Le sénateur Ringuette : Je me posais la question parce que le sénateur Eyton semblait vous dire que vous ne vouliez pas être consultés.
Le président : Il ne s'agit pas de l'industrie. Nous recevrons les gens de l'industrie demain.
M. Pineau : Notre position, comme je vous l'ai dit, et je ne prendrai pas plus de temps, c'est qu'on n'a pas besoin de ces lignes directrices.
Le sénateur Ringuette : J'ai suggéré aux témoins précédents une définition qui, selon moi, serait très réaliste et qui devrait être dans les statuts de façon claire et nette concernant les points qui ne donneraient pas droit au crédit de taxe.
[Traduction]
La propagande haineuse, l'obscénité, la pornographie infantile ou tout autre matériel illégal prévu au Code criminel — est-ce qu'une telle définition ce serait satisfaisante et définitive pour vous tous?
M. Kelly : Il y a deux dimanches, j'ai passé en revue l'article 5 du Code criminel. Je ne peux pas imaginer une activité qu'on pourrait juger condamnable qui ne soit pas mentionnée à cet endroit.
Le sénateur Meighen : Vous devriez venir à la Chambre des communes.
M. Kelly : Il y a même une disposition qui vise les productions théâtrales obscènes. J'estime qu'une telle approche est assez exhaustive et permettrait d'éviter les remises en question d'un mystérieux palier de décideurs.
Le sénateur Ringuette : Vous êtes conseiller en matière de politiques pour l'organisme cadre de l'industrie canadienne des arts, monsieur Kelly. Vous conviendrez qu'une telle mesure mettrait fin à tout cela et permettrait d'y voir clair. Monsieur Pineau, cela serait conforme à la Cour suprême.
Mme Mendelsohn Aviv : Nous ne sollicitons pas une telle disposition, mais nous pouvons comprendre pourquoi le gouvernement voit un intérêt à la mettre en place. Nous ne sommes pas non plus enthousiasmés par certaines dispositions du Code criminel, mais nous pouvons comprendre leur application dans le cadre d'un système de crédits d'impôts.
[Français]
Le sénateur Fox : Je dois dire que j'ai été très impressionné par vos présentations respectives. Cela me réconforte de penser que vous avez ces positions qui, en plusieurs points, sont conformes à mes propres instincts concernant ce secteur.
Je dois dire que j'ai été également impressionné par un article du professeur Pierre Trudel, de l'Université de Montréal, qui parlait, à propos du projet de loi C-10, d'une violation injustifiée de la liberté d'expression. Il en fait l'analyse pour conclure qu'un texte de loi permettrait d'indiquer : « ...ce qu'il faut entendre par la notion d'« ordre public » avec ce mécanisme joint : « Ce mécanisme constitue de la censure ».
La ministre nous a répondu, et je pense que M. Trudel a vu cette réponse, que ce n'était pas de la censure car, si on vous refuse l'accès à des fonds publics, en vertu des programmes de Téléfilm ou des programmes de crédits d'impôt, ce sont deux programmes différents. Il n'est pas vrai qui si vous allez à l'un vous allez nécessairement à l'autre, personne ne vous empêche de produire un film au Canada avec vos propres fonds.
J'aimerais connaître votre réaction à la réponse de la ministre. M. Trudel, pour sa part, dit que c'est comme prétendre que le refus de servir les gens d'une minorité visible au restaurant n'est pas une violation du droit à légalité puisque ceux-ci peuvent toujours aller manger ailleurs. Personnellement, la réponse de la ministre m'offusque, je pense que M. Trudel a parfaitement raison.
Est-ce que vous réagissez différemment à la réponse de la ministre, disant que ce n'est pas de la censure si les gens n'ont pas droit à des fonds publics et qu'ils n'ont qu'à aller se faire servir à un autre restaurant?
[Traduction]
M. Leiren-Young : L'une des préoccupations liée à la censure est que cette mesure aura créé un climat où les producteurs, les auteurs et les artistes devront s'autocensurer de peur de ne pas être admissibles aux crédits d'impôts. Si vous ne pouvez pas garantir que cette partie de financement très stable vous est accessible, vous devez aller à la banque et déclarer : « Eh bien, ma production est probablement conforme. Je vais probablement pouvoir produire Les promesses de l'ombre ou Extase. » J'imagine que les banques ne raffolent pas du mot « probablement ». Puisqu'elles ne raffolent pas de se faire dire « probablement », si vous êtes un producteur canadien, vous aurez peur de présenter Les promesses de l'ombre à Téléfilm si vous ne pouvez pas obtenir cette dernière partie de votre financement. Vous aurez peur de présenter Extase à la banque parce que vous ne pouvez pas garantir que vous obtiendrez cette dernière partie de financement.
Téléfilm Canada exige actuellement que vous intégriez les crédits d'impôt à votre structure de financement, et vous avancez que toute production qui comprend du matériel controversé doit trouver un financement à l'extérieur du système, car vous craignez de ne pas être admissibles à ces fonds. Voilà la crainte. C'est sur ce plan que joue la censure.
Mme Mendelsohn Aviv : Mon ami a mentionné l'effet paralysant sur les artistes, et j'aimerais ajouter ce qui suit au sujet de la liberté d'expression : premièrement, soutenir les arts, c'est promouvoir la liberté d'expression; deuxièmement, le gouvernement a décidé de créer une tribune publique pour l'expression en soutenant l'industrie cinématographique, et il a accordé une garantie implicite. Une fois qu'il a fait cela, le droit du gouvernement de choisir de façon arbitraire quel film ne lui plaît pas est certainement une question qui relève de la liberté d'expression, et lui conférer ce droit est impensable.
[Français]
Le sénateur Fox : Ma deuxième question porte sur les éléments subjectifs. Quand on a un système de crédit d'impôt où il y a des éléments objectifs, il peut être, il est vrai, difficile de décider si un scénario a été, oui ou non, écrit par un Canadien mais on finit par trouver une réponse objective à cette question.
Quand on entre dans le domaine des éléments subjectifs, vous avez répondu en disant que ce n'est sûrement pas un groupe de fonctionnaires, de quelque ministère que ce soit, qui devrait décider en fonction de l'élément subjectif, dicté par des lignes directrices qui peuvent être changées d'un jour à l'autre par un ministre, mais que cela devrait être traité par un organisme extérieur.
Si vous dites que les critères d'exclusion, à défaut d'un meilleur mot, devraient être libellés d'avance et refléter des éléments du Code criminel, qui devrait décider si, effectivement, il y a transgression de ces éléments du Code criminel par le film en question? Est-ce que c'est encore le groupe de fonctionnaires ou est-ce que, dans votre esprit, une fois les critères entrés dans les lignes directrices, c'est un regroupement extérieur, tel un tribunal qui devrait décider? Les tribunaux de droits communs sont habitués à décider si un acte criminel a été commis ou non. Je ne connais pas un fonctionnaire, si futé qu'il fut, qui puisse décider si, oui ou non, un acte criminel a été commis; ce n'est pas son rôle, ce n'est pas son travail.
Est-ce que vous dites, même si c'est libellé d'avance, que cela devrait être jugé par une compétence extérieure?
Le président : Vous avez posé la question et vous y avez aussi répondu.
[Traduction]
M. Leiren-Young : Si j'ai bien compris, ce n'est pas le rôle du procureur général de décider qui a contrevenu au Code criminel?
Le sénateur Fox : Selon cette disposition, un groupe de bureaucrates du ministère de la Justice et du ministère du Patrimoine canadien sera chargé de décider s'il y a transgression de la prétendue directive. Nous avons traité de ce point lorsque vous avez fait vos remarques initiales.
M. Leiren-Young : J'imagine que, s'il y avait contravention du Code criminel, le ministre du Patrimoine renverrait le projet au...
Le sénateur Fox : J'aimerais maintenant savoir, puisque vous êtes allée jusqu'à dire que les critères devraient être établis à l'avance, qui est chargé de déterminer si le projet satisfait ou non aux critères. Si vous affirmez qu'un film ne devrait pas être financé au moyen de crédits d'impôt s'il comporte un élément qui transgresse le Code criminel, qui prend la décision? Les bureaucrates? Ou, comme le disait Mme Mendelsohn Aviv plus tôt, un organisme externe, habilité à trancher ce genre de question?
Mme Mendelsohn Aviv : Pour mettre les choses au clair, mon idée était non pas d'attribuer le pouvoir à n'importe quel organisme externe, mais bien à un tribunal.
Le sénateur Fox : Maintenez-vous toujours cette position?
Mme Mendelsohn Aviv : Certes, advenant un cas de révocation, le ministre devrait être tenu de présenter une demande devant un tribunal. Le tribunal ne se pencherait pas sur de quelconques accusations sous le régime du Code criminel : il aurait pour mandat de tirer des conclusions à l'égard du film lui-même, et il devrait incomber au ministre de prouver que le matériel aurait entraîné une condamnation au criminel. À défaut d'une telle démarche, on ne peut pas retirer quelque 100 000 $ des poches d'une personne.
Le sénateur Fox : On nous a dit que, depuis les origines du système de crédits d'impôt — depuis la naissance de la Confédération, j'imagine —, seulement deux films auraient transgressé ces éléments.
En lisant différents journaux, on apprend que l'affaire Bernardo était à l'origine de tout ce brouhaha. Quiconque a étudié le droit s'est fait dire et redire que les cas d'exception portent atteinte à la règle de droit. Se trouve-t-on dans une situation où un cas extraordinaire est à l'origine d'une mauvaise loi? N'y a-t-il pas une autre manière de réagir à l'affaire Bernardo? Si Bernardo devait réaliser des profits grâce à un livre ou à un film bénéficiant de crédits d'impôt, un gouvernement aurait-il des recours en vertu des dispositions sur le recyclage des produits de la criminalité pour rétablir la situation? Plutôt que de se tourner vers la censure, puisqu'il s'agit clairement de censure, on pourrait aller dans l'autre direction. Partagez-vous ce point de vue?
M. Leiren-Young : Plus tôt, on parlait de financer un film au sujet de la tuerie de Polytechnique. Deux ou trois excellents films ont été faits sur les événements du 11 septembre, et un film extraordinaire a été produit sur l'écrasement de l'avion de United. Vous voulez éliminer tous ces films? Ne peut-on pas parler des actualités? Je suis convaincu qu'un producteur de film traitant de la tuerie de Polytechnique cherche à explorer un problème social majeur et veut aller au cœur des événements, et non exploiter une tragédie.
Mme Mendelsohn Aviv : Peu importe les solutions de rechange, rien ne justifie ce qui nous est présenté.
Le sénateur Fox : Ce que je veux dire, c'est que si on peut effectivement régler un cas tel que l'affaire Bernardo grâce au recyclage des produits de la criminalité, je n'ai pas besoin de recourir à la disposition. Je n'aurai pas du tout besoin de cette disposition. La question est abordée quelque part, tout comme bien d'autres aspects inquiétants, dans le Code criminel, de sorte que le critère est appliqué à ce genre de question par un tribunal, et non par des bureaucrates qui ne se sont jamais penchés sur ce genre de questions par le passé. Nous finirons par changer les choses au fil des années, puisque deux cas par siècle échappent à ces critères et, par conséquent, ils ne surviennent qu'une fois au cours d'une carrière.
Ce serait beaucoup mieux de laisser un tribunal externe se charger de ces questions; laissons un tribunal décider de l'existence d'un caractère pornographique ou haineux ou déterminer s'il y a exploitation sexuelle ou exploitation d'enfants, et tout le reste. C'est l'argument que j'avance en soulevant cette question.
J'en reviens au fait que les cas d'exception portent atteinte à la règle de droit. Toute la législation s'articule autour du fait que Paul Bernardo aurait pu faire un film et gagner de l'argent. Regardez les solutions de rechange pour régler le cas de Bernardo. Il n'est pas nécessaire de mettre toute l'industrie cinématographique sens dessus dessous parce que Bernardo aurait pu gagner de l'argent. On peut punir Bernardo d'une autre façon. N'est-ce pas?
Le sénateur Meighen : Je ne crois pas qu'on va vous répondre par la négative.
Je dois vous demander des éclaircissements, car, malheureusement, je n'ai pas eu la chance d'entendre les témoins précédents. Vous êtes le premier que j'entends sur ce sujet.
J'aimerais circonscrire le débat dans mon esprit, si c'est possible. Outre le fait que nous avons affaire à des lignes directrices plutôt qu'à un règlement, quelle est la différence par rapport à la situation qui prévaut depuis 2003?
M. Kelly : Le passage du règlement aux lignes directrices.
Le sénateur Meighen : Selon ce que j'ai entendu, c'est la seule différence. Pouvez-vous me dire quoi d'autre a changé? Bien sûr, on peut tenir un débat pour déterminer si cette mesure se révèlera une bombe à retardement au chapitre des droits civils, comme l'a déclaré, je crois, Mme Mendelsohn Aviv — probablement avec raison — menace qui plane depuis on ne sait quand. Vous me dites que ce serait un débat intéressant, mais qu'est-ce qui a changé, outre le passage du règlement aux lignes directrices?
M. Leiren-Young : Je dirais que cet élément a échappé aux artistes, tout comme il a échappé au Parlement et à tout le monde.
Le sénateur Meighen : Je n'essaie pas de blâmer qui que ce soit pour ne pas l'avoir découvert avant.
M. Leiren-Young : Non. Je crois que le règlement de 2003 a suscité la même réaction.
Le sénateur Meighen : Vous travaillez en paix depuis 2003, sans problèmes. Beaucoup de films ou de livres n'ont pas été détruits, et beaucoup de subventions n'ont pas été coupées. Le seul changement dont j'ai entendu parler est que, maintenant, nous travaillons avec des lignes directrices, et ce que certaines personnes ont fait valoir — peut-être à juste titre — que cette mesure offre plus de latitude et peut être modifiée plus facilement qu'un règlement.
Je veux m'assurer que le ciel n'est pas tombé en 2003. Vous dites maintenant qu'il menace de tomber en 2007, et que ce risque est causé en partie par le fait que nous travaillons avec des lignes directrices plutôt qu'un règlement. Est-ce bien cela?
M. Leiren-Young : Le ciel pourrait tomber parce que le fait de signaler le problème amène les gens à prendre conscience de cette instabilité. Les directeurs de banque et les producteurs ont maintenant pris connaissance du signal d'alarme.
Le sénateur Meighen : Mais encore, il n'y a pas une très grande différence par rapport à la situation qui a régné sans grande difficulté depuis 2003, n'est-ce pas?
Mme Mendelsohn Aviv : J'ai deux idées à ce sujet. La première est le fait que mon équipe de recherche, très compétente, mais très petite, n'a pas trouvé de règlements qui imposaient ce genre de restrictions. Il existait seulement un règlement qui limitait la pornographie, et les deux affaires qui ont fait du bruit au cours des six dernières années auraient, d'une façon ou d'une autre, été touchées par ce règlement.
Au meilleur de ma connaissance, et j'espère ne pas me tromper, il n'y avait pas de règlement. Tout cela est nouveau. On a proposé ce genre de règlements, et on a peut-être présenté un document de discussion à ce sujet. Je ne suis pas certaine qu'il y ait eu un projet de loi, parce que nous avons fouillé partout pour trouver ce projet de loi lorsque la ministre l'a mentionné.
Ainsi, on propose un changement énorme en mettant de l'avant cette disposition et en affirmant que des choses comme la violence excessive ou la sexualité gratuite et le matériel choquant pourraient ne pas être admissibles aux crédits d'impôt, et que tout ce qui va à l'encontre de l'ordre public ne serait pas non plus admissible aux crédits d'impôt. Tout cela est nouveau. Même si ce n'était pas le cas, il faut arranger les choses.
Le sénateur Meighen : Ce n'est pas l'argument que je tentais de soumettre. Vous vous fondez sur le fait que le communiqué de presse qu'a mentionné le sénateur Tkachuk traitait non pas de la loi, mais seulement des discussions.
Le sénateur Baker : Peut-être que je pourrais clarifier la question en me reportant aux notes explicatives du projet de loi du 14 novembre 2003.
Le président : Vous les avez déjà lues. Nous les avons déjà entendues. Le compte rendu en fera état.
La désinformation est très présente. De toute façon, je vais accorder le dernier mot à M. Kelly, parce que la lumière de son micro s'est allumée à deux ou trois reprises, puis nous conclurons.
M. Kelly : Ce qui a changé, selon moi, c'est le fait que, à la suite de cette discussion, nous voyons un processus, qui n'était pas visible auparavant, et qui commence à être articulé par la ministre et ses fonctionnaires. On tiendra une sorte de table ronde pour prendre des décisions relatives aux productions qui sont conformes à l'ordre public ou contraires à celui-ci.
Je crois qu'une telle quantité de détails n'a jamais été accessible par le passé, et, selon moi, c'est ça, la différence. Nous savons maintenant que cette disposition est litigieuse, et nous savons que la ministre propose des façons de la mettre en vigueur. Si de telles mesures étaient appliquées par le passé — je suis dans le milieu depuis 30 ans —, je n'en ai jamais entendu parler.
Je crois que le plus gros changement est le fait que les discussions et le débat ont mis en lumière la façon dont cette disposition sera appliquée, et c'est ce qui a causé beaucoup d'inquiétude dans de nombreux secteurs.
Le sénateur Banks : Je veux m'assurer de bien comprendre ce que préféreraient les témoins.
Vous avez dit que vous préférez que le processus soit rétroactif et que vous considérez qu'il devrait relever d'un tribunal. Est-ce la position de tout le monde, ou quelqu'un croit-il que la disposition devrait être appliquée dorénavant plutôt que rétroactivement? Vous pouvez établir un jugement sur le produit fini. Voici ma production, voici ce que j'ai fait; et c'est de ce point que vous parliez, on doit pouvoir démontrer à un tribunal que le film terminé, s'il faisait l'objet d'accusations, enfreindrait le Code criminel.
Plus tôt, des témoins ont laissé entendre que des lignes directrices ou des règles, qui pourraient changer d'un gouvernement à l'autre, pourraient s'appliquer dès le départ, de façon à ce que les producteurs sachent que, s'ils se conforment à ces exigences ou s'ils échappent à ce règlement ou à ces lignes directrices, ils seront admissibles aux crédits d'impôt. Laquelle de ces mesures recommanderiez-vous ou préféreriez-vous?
Mme Mendelsohn Aviv : Je suis désolée si je vous ai induit en erreur. Je ne préfère certainement pas la révocation. Je parlais déjà de quelque chose dans le projet de loi. J'ai dit que si le gouvernement a le pouvoir de révoquer des crédits d'impôt, il doit passer par un tribunal. Toutefois, cette mesure n'est certainement pas préférable.
Je ne crois pas que les critères devraient prendre la forme de lignes directrices. Je crois qu'ils devraient être enchâssés dans la loi. Toutefois, l'existence d'une loi ou de lignes directrices qui déterminent quels films ne peuvent pas profiter d'un crédit d'impôt, qu'on appliquerait avant ou après la production, est une sorte de catégorie générale et abstraite.
La principale question pour l'industrie et pour les artistes sera de savoir comment ces lignes directrices ou les termes et les définitions de la loi s'appliqueront à chaque situation. Dans un cas comme dans l'autre, la langue doit être aussi claire que possible et limiter l'expression le moins possible, et il faut mettre en place un régime très strict régissant l'application de ces définitions.
Le sénateur Banks : Quelqu'un devra prendre une décision arbitraire, comme ils le font maintenant. Lorsque vous déposez une demande de financement auprès de Téléfilm Canada, il y a un nombre x de demandes et tant d'argent. Quelqu'un — on ne sait pas qui — prend une décision arbitraire fondée sur quelque chose — on ne sait pas quoi. Des décisions arbitraires sont déjà prises pour déterminer qui obtient l'argent, et elles ne s'appliquent pas aux crédits d'impôt.
Est-il possible de concevoir un ensemble de critères préliminaire qui permettront de fournir certaines garanties à une banque? Est-ce possible?
M. Leiren-Young : Les crédits d'impôt de Téléfilm Canada ne sont pas arbitraires. Leur attribution est déterminée par des gens qui étudient le contenu et le contexte des films chaque jour.
Le sénateur Banks : Tous ceux qui se conforment aux exigences n'obtiennent pas nécessairement d'argent.
M. Leiren-Young : Certainement pas, mais on juge leur œuvre.
Le sénateur Banks : À partir de quoi?
M. Leiren-Young : Il faudrait un représentant de Téléfilm Canada pour répondre à cette question.
Le sénateur Banks : Ce à quoi je veux en venir, c'est qu'il y a des choix arbitraires qui sont faits. C'est la nature même du processus. Ce que j'aimerais savoir, c'est si vous croyez qu'il est possible de mettre en place un crible qui permette de prime abord à un producteur de déclarer à une banque qu'il est admissible aux crédits d'impôt. Une telle chose existe-t- elle?
M. Leiren-Young : Une telle chose est actuellement en vigueur en fonction du contenu canadien.
Le sénateur Banks : Un ensemble de critères peut être conçu pour satisfaire à cette exigence?
M. Leiren-Young : Oui, c'est actuellement en place.
Mme Mendelsohn Aviv : À l'exception du règlement sur la pornographie, d'après ce que je comprends, aucun critère n'est actuellement en place pour évaluer le contenu des films, chose très difficile à juger par ailleurs. Téléfilm Canada donne peut-être des subventions, mais les crédits d'impôt constituent une garantie implicite, et les deux scénarios sont extrêmement différents l'un de l'autre. Personne aujourd'hui n'a besoin de douter de l'admissibilité du contenu de son film, outre l'aspect lié au contenu canadien. Si vous faites un film et embauchez un nombre suffisant de Canadiens, entre autres, vous êtes admissible au crédit d'impôt.
Le sénateur Banks : À moins que vous produisiez ce genre de film?
Mme Mendelsohn Aviv : À moins que vous produisiez de la pornographie.
Le sénateur Banks : Ou un bulletin de nouvelles ou une émission-débat.
Mme Mendelsohn Aviv : C'est bien cela.
Le sénateur Banks : Il y a donc des définitions en place.
Le sénateur Meighen : Et si vous produisez un film qui enfreint le Code criminel?
Mme Mendelsohn Aviv : D'après ce que je comprends, à l'heure actuelle, vous seriez toujours admissible au crédit d'impôt, ce qui explique pourquoi nous avons dit que, même si ce n'est pas ce que nous voulons, nous comprenons pourquoi le gouvernement souhaiterait fermer cette brèche, comme l'a fait valoir la ministre.
Le président : Notre discussion a été très fructueuse. Le comité sert de tribune pour qu'ait lieu ce débat.
Nous nous rencontrerons de nouveau demain à 10 h 45. Nous avons tant de témoins que nous devrons aller dans une salle beaucoup plus grande, de l'autre côté de la rue, à l'édifice du Centre.
De toute évidence, il règne encore beaucoup de confusion, ce qui n'est pas rare dans le cas d'un débat sur des questions d'ordre moral et philosophique tel que celui-ci. Qu'une chose soit claire : nous étions bien informés lorsque nous avons commencé ces audiences. Le comité directeur a été avisé du fait que, à l'époque du projet de film sur l'affaire Bernardo, la ministre Copps avait déclaré que nous devions instaurer un outil pour garantir que l'argent du gouvernement n'était pas attribué à des projets cinématographiques ignobles. C'est un jugement de valeur qu'elle a fait à ce moment-là. On a rédigé un règlement. Je crois que la loi habilitante était la Loi de l'impôt sur le revenu.
L'honorable Irwin Cotler, grand défenseur des droits fondamentaux, a eu vent de ce projet il y a quelques années. Il avait déclaré qu'on ne devrait pas résoudre la question au moyen d'un règlement, que la question était trop grave et importante, sur le plan moral et culturel, pour la société canadienne. Il a affirmé qu'on devait enchâsser une telle disposition dans la loi, et on a élaboré un projet de loi. Le projet de loi a été reproduit, et nous l'avons entre les mains et effectuons un second examen objectif, et j'avancerais que le processus fonctionne.
C'est la genèse du projet de loi. Toute ligne directrice est subjective. Le sénateur Banks a soulevé le problème que nous tentons tous de résoudre : comment élaborer un ensemble de lignes directrices qui fonctionnent, sont équitables, ne contreviennent pas aux droits et libertés et deviennent des principes bien admis dans la société?
C'est ce que la ministre a offert. Elle a demandé des outils, mais elle a précisé qu'elle ne s'en servira pas que lorsqu'on s'entendra sur ce qui fonctionnera. C'est là que nous avons terminé la semaine dernière, après avoir entendu la ministre.
Vos commentaires aujourd'hui sont très utiles. Nombre de fonctionnaires et de membres du personnel du bureau de la ministre sont présents et écoutent, comme nous le faisons tous. Merci beaucoup d'être venus.
La séance est levée.