Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 15 - Témoignages du 10 avril 2008
OTTAWA, le jeudi 10 avril 2008
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, notamment en ce qui concerne les entités de placement étrangères et les fiducies non-résidentes ainsi que l'expression bijuridique de certaines dispositions de cette loi, se réunit aujourd'hui à 10 h 45 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Avant de commencer, je demanderais aux membres des médias de bien vouloir se retirer. Merci beaucoup de votre intérêt à l'égard de cette question importante.
[Français]
Le comité poursuit aujourd'hui son étude sur le projet de loi C-10. Il s'agit d'un projet de loi très important.
[Traduction]
Je vais d'abord vous présenter les membres du comité. Je constate que plusieurs autres sénateurs sont parmi nous. J'en suis ravi.
Je suis le sénateur David Angus de Montréal, au Québec. Également du Québec, il y a le sénateur Goldstein. À ma droite se trouvent le sénateur Meighen de l'Ontario, le sénateur Banks, de l'Alberta, le sénateur Fox, de Montréal, un de nos merveilleux et estimés collègues, le sénateur Prud'homme de Montréal, le sénateur Johnson, du Manitoba et le sénateur Spivak, également du Manitoba. Ces sénateurs sont ici à titre d'invités, mais tous les sénateurs sont les bienvenus à toutes les audiences du comité sénatorial, en tout temps.
Le sénateur Spivak : Les estimés sénateurs.
Le président : Oui, tous les sénateurs sont estimés. Il y a le sénateur Tkachuk, un membre régulier du comité, de Saskatoon, en Saskatchewan. À ma gauche, je vois le sénateur Corbin. Je ne suis jamais sûr, monsieur, de votre province. Vous êtes un citoyen du monde.
Sont aussi présents le sénateur Baker, de Terre-Neuve, le sénateur Ringuette, du Nouveau-Brunswick, un membre régulier de notre comité, le sénateur Biron, du Québec, un autre membre régulier du comité. Il y a également le sénateur Dawson, du Québec, et le fier parrain du projet de loi, le sénateur Eyton, de l'Ontario. Je crois que c'est tout pour les sénateurs.
J'aimerais également vous présenter notre excellent et efficace greffier, Mme Line Gravel, ainsi que notre bibliothécaire parlementaire, conseillère et aide spirituelle, June Dewetering.
Nous accueillons aujourd'hui un grand nombre de témoins et, par conséquent, nous devrons faire preuve de beaucoup de discipline pour respecter le programme. Il est déjà 10 h 50. Nous avons jusqu'à 13 heures. Nous avons deux groupes de témoins.
Notre réunion sera diffusée sur la chaîne CPAC. Je crois que le réseau CBC la diffuse également en direct ce matin, soit en tout ou en partie, et nous sommes également sur le web.
À tous les gens ici présents et à tous ceux qui suivent nos travaux sur Internet ou à la télévision, nous vous souhaitons la bienvenue à notre audience.
D'entrée de jeu, j'aimerais faire quelques observations.
[Français]
Le projet de loi C-10 vise à modifier Loi de l'impôt sur le revenu, notamment en ce qui concerne les entités de placement étrangères et les fiducies non-résidentes ainsi que l'expression bijuridique de certaines dispositions de cette loi, et des lois connexes.
[Traduction]
Voilà un titre compliqué pour un projet de loi qui constitue un énorme recueil d'éléments essentiellement sans rapport. Leur dénominateur commun, c'est qu'il s'agit de modifications à la législation sur le cadre financier de notre pays, c'est-à-dire la Loi de l'impôt sur le revenu. Ces dispositions se sont accumulées depuis la fin des années 1990 et ont été incluses dans un seul projet de loi. Par conséquent, et ce n'est pas surprenant, cette approche a provoqué une certaine confusion. L'impôt sur le revenu, par sa nature, est très complexe, et même des avocats compétents ont du mal à localiser ces dispositions dans la Loi de l'impôt sur le revenu. Par moments, il y aura de la confusion au sujet de la loi, comme cela est déjà arrivé lors de nos audiences. Ne soyez donc pas surpris de cette confusion parce qu'elle est compréhensible.
Aujourd'hui, tout comme hier et la semaine passée, le thème central de nos audiences n'est pas le projet de loi lui- même, mais l'article 120 qui a soulevé une certaine controverse, ce qui n'est pas surprenant une fois de plus. Le gouvernement a déposé des modifications, et les gouvernements successifs ont présenté au Parlement — c'est la première fois qu'on atteint cette étape au Sénat — des dispositions conçues pour donner au ministre un moyen de déterminer s'il convient de fournir de l'aide gouvernementale à la production de films et de vidéos.
On a invoqué des arguments convaincants selon lesquels ces dispositions pourraient restreindre la liberté d'expression et violer des normes fondamentales qui nous tiennent tous à cœur.
Par ailleurs, il est allégué que l'intention du gouvernement n'est pas de violer des normes fondamentales mais plutôt de trouver un outil raisonnable pour les fonctionnaires et le ministre, en particulier, afin de s'assurer que l'argent des contribuables est dépensé de façon adéquate.
Nous accueillons plusieurs témoins ce matin. Le premier groupe comprend Brigitte Doucet et Vincent Leduc, de l'Association des producteurs de films et de télévision du Québec, Guy Mayson et Sandra Cunningham, de l'Association canadienne de production de films et de télévision, ainsi que Sarah Ker-Hornell et John Weber, de FilmOntario.
Bienvenue à tous.
Guy Mayson, président-directeur général, Association canadienne de production de films et de télévision (ACPFT) : Merci, monsieur le président et sénateurs, de nous donner l'occasion de prendre la parole devant vous aujourd'hui. Les deux associations de producteurs ont regroupé leurs observations, que nous allons présenter dans chacun de nos exposés.
Je suis accompagné aujourd'hui de la présidente du Conseil de l'ACPFT, Sandra Cunningham. Mme Cunningham est également présidente de Strata Films, dont le siège social se trouve à Toronto. Elle a produit le film Mondes possibles de Robert Lepage, et coproduit d'autres longs métrages canadiens comme Exposé, Adorable Julia, La vérité nue et, plus récemment, La mémoire en fuite.
[Français]
L'ACPFT est le porte-parole d'environ 400 sociétés de production indépendante participant à la création et à la distribution d'émissions de télévision et de longs métrages destinés aux salles de langue anglaise dans toutes les régions du pays. Nos membres assument les risques financiers et artistiques associés au développement d'œuvres nouvelles pour les auditoires canadiens et étrangers et constituent d'importantes sources d'emploi des talents créateurs canadiens.
[Traduction]
Les producteurs indépendants développent des projets, trouvent le financement et embauchent des talents créateurs et des équipes de prise de vues pour aider à transformer les histoires en longs métrages ou en émissions de télévision. Nous contrôlons l'exportation des droits et nous livrons le produit fini.
Les producteurs indépendants offrent au public canadien une perspective canadienne sur notre pays, notre monde et la place que nous y occupons. Grâce au contenu que nous produisons, nous contribuons à favoriser des choix culturels canadiens et à illustrer la riche diversité de notre pays.
En outre, le secteur de la production contribue de façon significative à l'économie canadienne. Tous les ans, il génère une activité d'une valeur d'environ 5 milliards de dollars, dont 1,7 milliard en exportations. Il emploie directement et indirectement environ 127 000 personnes dans des postes de grande qualité. Il est également important de souligner que notre industrie est verte, car elle a peu d'impact sur l'environnement.
Sandra Cunningham, présidente du conseil, Association canadienne de production de films et de télévision : Nous soulignons, d'entrée de jeu, que nous appuyons les dispositions du projet de loi C-10 en ce qui concerne le crédit d'impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne, à une importante exception près. Nous avons travaillé pendant longtemps avec les gouvernements successifs pour élaborer certains de ces changements positifs, et nous sommes heureux de voir qu'ils seront peut-être mis en œuvre bientôt.
[Français]
Nous sommes reconnaissants à la ministre d'avoir exprimé le désir de continuer à travailler en étroite collaboration avec l'industrie pour trouver une solution véritable à la question précise qui nous préoccupe.
Ce crédit d'impôt n'est offert qu'aux producteurs canadiens. L'ACPFT et son pendant québécois, l'APFTQ, voient d'un très bon œil la possibilité de collaborer avec la ministre et, en fait, avec tous les parlementaires, à résoudre cette question.
[Traduction]
De plus, nous sommes reconnaissants de la relation positive et productive que nous avons établie au fil des ans, aussi bien avec le gouvernement qu'avec les fonctionnaires des ministères des Finances et du Patrimoine. Nous tenons beaucoup au maintien de cette bonne relation dans l'avenir.
La ministre nous a présenté la stratégie qu'elle propose et, comme vous le savez, elle a exhorté l'industrie à envisager sérieusement son approche. Toutefois, la stratégie proposée par la ministre ne répond pas directement à nos préoccupations. Voilà pourquoi, malheureusement, nous ne pouvons y souscrire.
La disposition précise qui nous pose problème dans le projet de loi C-10 est le paragraphe 120(12), à la page 350. Plus précisément, seule une partie de ce paragraphe nous pose problème.
Ce qui nous préoccupe sérieusement, c'est l'idée d'inclure dans la Loi de l'impôt sur le revenu une exigence selon laquelle le ministre publie des lignes directrices qui interpréteraient la disposition relative à l'ordre public prévue au paragraphe 120(3).
Dans sa forme actuelle, cette disposition fournirait effectivement, à l'avenir, au ministre de Patrimoine canadien le pouvoir légal de décider unilatéralement de la norme publique en matière de contenu.
Autrement dit, une production jugée contraire à l'ordre public, selon la norme décidée par le ministre, n'aurait donc pas droit au crédit d'impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne.
De plus, avec un tel pouvoir, le ministre pourrait éventuellement obliger un remboursement du soutien financier si une production, une fois terminée, était réputée ne pas être conforme à la norme. Une telle approche déstabiliserait le milieu du financement des productions en ajoutant un niveau d'examen subjectif et bureaucratique inutile pour passer au peigne fin les demandes de financement.
L'existence de telles dispositions crée une incertitude financière auprès des établissements de prêt et, au bout du compte, diminue l'avantage du programme de crédit d'impôt.
Il est important de se rappeler que le programme de crédit d'impôt a été conçu pour servir de mécanisme de soutien objectif. Son but est d'aider à bâtir une infrastructure commerciale dans le secteur de la production et à appuyer la création du contenu canadien en encourageant l'embauche d'une main-d'œuvre canadienne, tout comme le crédit d'impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne.
Le crédit d'impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne s'est avéré un programme précieux pour les producteurs et le contenu canadien, et a contribué à faire grandement croître l'industrie depuis son entrée en vigueur.
Si on l'adopte telle quelle, cette disposition pourrait être lourde de conséquences pour le secteur canadien de la production de films et d'émissions de télévision. Non seulement elle placerait le secteur dans une situation financière à risque, mais elle irait effectivement à l'encontre d'une politique gouvernementale de longue date qui veille à tenir les représentants élus à distance des décisions de financement liées au contenu.
M. Mayson : Dans la déclaration qu'elle a prononcée devant vous la semaine dernière, la ministre Verner a souligné qu'il existe du contenu considéré potentiellement illégal en vertu du Code criminel, tel que l'obscénité, la propagande haineuse et la pornographie juvénile, et qu'il n'existe actuellement aucune disposition dans la Loi de l'impôt sur le revenu ni dans le règlement qui vise à exclure ce contenu. Cette disposition du projet de loi C-10, a-t-elle dit, corrigerait cette faille.
Toutefois, plus loin dans son discours, elle a également affirmé que la stratégie qu'elle propose pour régler la question permettrait de réaffirmer le principe selon lequel certains types de contenu audiovisuel, quoique légaux, n'ont pas à être subventionnés par les contribuables.
Nous ne savons quoi faire de ces deux différents messages. Quoi qu'il en soit, cela renforce à nos yeux le besoin de circonscrire le pouvoir de la ministre en ce qui concerne la disposition liée à l'ordre public de manière à l'appliquer de façon objective, transparente et prévisible pour les producteurs et de maintenir fermement les politiques autonomes de longue date qui sont au centre de tous nos programmes de soutien dans le secteur audiovisuel.
Sans des garanties appropriées qui circonscrivent un tel pouvoir, nous en sommes réduits à nous demander si, dans l'avenir, d'autres productions dans la lignée de films comme La Bravoure et le Mépris sur la Seconde Guerre mondiale ou Les garçons de Saint-Vincent, qui critique l'Église catholique et l'abus sexuel d'enfants par des prêtres, seraient considérées dignes d'un soutien dans le cadre du programme de crédit d'impôt. En clair, nous n'avons pas d'objection à ce qu'il y ait une norme qui détermine quels types de productions sont admissibles au crédit d'impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne. En fait, nous sommes tous d'accord pour dire que des normes minimales doivent exister.
Toutefois, nous insistons sur le fait que depuis l'entrée en vigueur du crédit d'impôt en 1996, une norme a été incluse dans le règlement et qu'elle a donné de bons résultats. Cette norme exclut déjà une foule de types de productions, y compris la pornographie. Je déduis logiquement que la pornographie juvénile serait visée par les règles déjà en place. Nous mentionnons qu'il existe également une multitude d'autres normes publiques et de mécanismes d'application au Canada. Tout d'abord, il y a les systèmes de classification des films dans chaque province. Le Conseil canadien des normes de la radiotélévision est un organisme non gouvernemental indépendant qui administre les normes établies par ses membres et qui traite les plaintes liées à la programmation par le biais de comités d'arbitrage composés de représentants de l'industrie et du secteur public.
De plus, nous avons des sociétés fédérales autonomes comme Téléfilm Canada et le Fonds canadien de télévision qui assurent un niveau élevé de surveillance pour faire en sorte que les normes publiques soient respectées. Comme la ministre l'a souligné dans sa déclaration, nous avons le Code criminel du Canada.
Les producteurs qui sont admissibles au crédit d'impôt selon le projet qu'ils soumettent ne reçoivent toutefois pas les fonds immédiatement. De fait, ils ne reçoivent habituellement l'argent que 18 mois après avoir tourné le film, quand ils produisent leur déclaration de revenus. Ainsi, ils doivent obtenir un prêt bancaire garanti par le crédit d'impôt estimatif.
Si l'on ajoute des critères d'ordre public subjectifs au programme de crédit d'impôt, en particulier des critères susceptibles d'être appliqués après un tournage, cela pourrait nuire sérieusement à la capacité d'une banque d'évaluer le risque financier associé à de tels prêts. Comme nous le savons, les banques cherchent à réduire au maximum le risque financier et à augmenter au maximum le rendement. Sans prêt bancaire garanti par le crédit d'impôt, on ne peut généralement concrétiser un projet.
Il est impératif pour le secteur de la production que le crédit d'impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne demeure un programme de soutien public objectif et, nous le soulignons, prévisible. Tout critère subjectif d'ordre public qui ouvre la possibilité de retirer la certification d'une production canadienne, une fois celle-ci terminée, aurait des conséquences désastreuses pour le secteur et mettrait en danger tous les partenaires financiers qui s'unissent pour mener à bien un projet de production.
À ce titre, nous demandons au Sénat d'envisager de recommander des amendements aux dispositions du projet de loi C-10 liées à la mesure relative à l'ordre public du crédit d'impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne. Nous avons remis à la greffière des documents qui résument les modifications minimales que nous recommandons. Nous proposons que l'alinéa b) du paragraphe 120(3), à la page 346 du projet de loi, concernant le soutien financier de l'État, soit amendé comme suit :
b) que le fait d'accorder à la production un soutien financier de l'État ne serait pas contraire à l'ordre public. Il est entendu que l'expression « contraire à l'ordre public » désigne tout contenu illicite proscrit dans le Code criminel du Canada.
Grâce à un amendement minime ultérieur, on n'aurait plus besoin de faire allusion à la nécessité d'élaborer des lignes directrices dans ce domaine parce que c'est le Code criminel qui primerait.
Le sénateur Dawson : Avez-vous la version française de votre amendement? Pouvez-vous, vous ou quelqu'un d'autre, la lire pour que nous connaissions le libellé en français?
Avez-vous la version française de cet amendement? C'est important.
Le président : Sénateur Dawson, silence, s'il vous plaît. Nous vous l'aurions fournie, mais l'amendement n'a pas encore été traduit. Nous n'avons pas la version française.
Veuillez poursuivre, monsieur.
M. Mayson : C'était la conclusion de mon exposé.
Le président : Monsieur Mayson et madame Cunningham, il est toujours utile pour le comité d'avoir des recommandations concrètes. Merci.
Nous passons au deuxième groupe.
[Français]
Vincent Leduc, vice-président de Zone3, président du conseil d'administration, Association des producteurs de films et de télévision du Québec : Monsieur le président, je m'appelle Vincent Leduc, président du conseil d'administration de l'Association des producteurs de films et de télévision du Québec et vice-président de la maison de production Zone3. Je suis accompagné aujourd'hui de Mme Brigitte Doucet, directrice générale adjointe de l'APFTQ.
Nous apprécions l'occasion qui nous est offerte aujourd'hui de vous présenter la position de l'APFTQ. Nous représentons 140 membres, soit la majorité des entreprises indépendantes québécoises de la production pour le cinéma et la télévision.
Avant de passer la parole à Mme Doucet, j'ajouterais que cette assemblée est très impressionnante et que nous allons tenter de faire le mieux que nous pouvons.
Le président : C'est impressionnant à cause de nos invités, des témoins de renom.
Brigitte Doucet, directrice générale adjointe, Association des producteurs de films et de télévision du Québec (APFTQ) : Monsieur le président, en ce qui concerne l'amendement touchant l'ordre public dans le projet de loi C-10, nous comprenons qu'il origine de préoccupations formulées par le gouvernement libéral au départ, et reprises par le gouvernement conservateur aujourd'hui.
Nous sommes sensibles au souhait du gouvernement actuel de distribuer les fonds publics de façon responsable et dans le respect de toutes les lois et du Code criminel. Cependant, le libellé du projet de loi nous fait craindre trois conséquences inquiétantes pour la production cinématographique et télévisuelle au Canada.
Notre première crainte : les lignes directrices seraient interprétées à la totale discrétion du titulaire du ministère du Patrimoine canadien, ce qui fait craindre à plusieurs une application sévère, perçue comme une forme de censure de l'État. Même si la ministre propose d'élaborer des lignes directrices de concert avec l'industrie, leur contenu pourrait être amendé par la suite au gré du titulaire du ministère du Patrimoine canadien, sans que l'industrie puisse intervenir.
Notre deuxième crainte : une incertitude quant à l'éventuelle obtention du crédit d'impôt fédéral pourrait nuire à la relative stabilité des entreprises de production et pourrait les fragiliser davantage; la crainte de perdre un financement promis dans un premier temps par le gouvernement pourrait amener certains producteurs à ne pas produire des œuvres valables dès qu'elles présentent un caractère controversé, et cela même si de telles scènes étaient justifiées par le scénario.
D'une part, un financement qui risque d'être retiré, une fois la production terminée, amènerait les banques à ne plus financer certaines productions ou à exiger des assurances supplémentaires coûteuses.
Notre troisième inquiétude : une certaine iniquité serait perçue par l'industrie dans le cas des producteurs étrangers qui tournent au Canada et qui recevraient les crédits d'impôt de service sans devoir se conformer à la notion d'ordre public. Après tout, ce sont les mêmes contribuables canadiens qui financeraient des films étrangers pouvant être considérés « contraires à l'ordre public » s'ils étaient canadiens.
M. Leduc : C'est pourquoi la proposition faite par l'ACPFT nous semble répondre à nos inquiétudes. Si le ministère du Patrimoine canadien croit qu'il est important, pour la bonne administration du crédit d'impôt fédéral, d'établir des critères qui vont au-delà du Code criminel, de concert avec tous les intervenants de l'industrie, il nous fera plaisir de participer à tout comité consultatif où de telles questions pourront être soulevées de façon à ce que l'introduction de ces critères ait fait l'objet du consensus souhaité par la ministre.
Nous vous remercions de votre attention et sommes ouverts, bien sûr, à discuter plus en détail toute question que vous pourriez avoir.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Leduc et madame Doucet.
Devons-nous comprendre que vous êtes totalement d'accord avec la présentation des témoins précédents?
M. Leduc : Oui, complètement d'accord.
Le président : Et c'est la même chose pour les amendements qu'ils ont recommandés?
M. Leduc : Oui, tout à fait.
Le président : Merci beaucoup.
[Traduction]
Merci d'avoir été brefs. Nous passons à notre troisième groupe.
Nous accueillons Mme Ker-Hornell, directrice générale de FilmOntario.
Sarah Ker-Hornell, directrice générale, FilmOntario : Merci de nous avoir invités à participer à cette séance. Je suis la directrice générale du consortium de l'industrie des images, FilmOntario. Je suis accompagnée aujourd'hui d'un membre de notre conseil d'administration, John Weber, qui est président de Dufferin Gate Productions et vice- président exécutif de Production for Peace Arch Entertainment Group.
FilmOntario est un consortium du secteur privé de 30 000 membres, au nombre desquels on compte des entreprises, des producteurs, des syndicats, des guildes, des banques, des cabinets d'avocats et des organisations dans le secteur des images de l'Ontario — à savoir les films, la télévision et les médias interactifs. Nous représentons une activité économique de plus de 1,5 milliard de dollars en dépenses directes par année.
Honorables sénateurs, nous avons consulté nos membres et nous sommes ici pour vous parler de certains aspects du projet de loi C-10. Ce qui nous intéresse particulièrement, c'est le sujet des crédits d'impôt pour la production cinématographique ou magnétoscopique canadienne, ou le contenu canadien. Le projet de loi C-10 propose de donner au ministre de Patrimoine canadien le pouvoir :
[Français]
...de refuser d'accorder un crédit d'impôt pour certaines productions pour lesquelles le financement public est jugé contraire à l'ordre public.
[Traduction]
Les productions sont refusées une fois que les projets sont financés, produits et distribués sur le marché.
Nous n'appuyons pas cette proposition. Elle soulève deux préoccupations pour nous et nos membres. La première, c'est la question de la censure et la seconde, le climat d'affaires calamiteux que cette censure potentielle créerait.
Il y a eu, et il y aura, beaucoup de discussions sur la question de la censure pour des raisons évidentes. Il est alarmant de voir que ce projet de loi vise à codifier, dans la Loi de l'impôt sur le revenu, le pouvoir du ministre de Patrimoine canadien de refuser rétroactivement la certification d'une émission de télévision ou d'un film pour lequel, de l'avis du ministre, le soutien financier de l'État serait contraire à l'ordre public.
Puisque la pornographie n'est déjà pas admissible au crédit d'impôt prévu dans le règlement de l'impôt sur le revenu, les lignes directrices du ministre couvriront vraisemblablement les productions « offensantes », qui ne sont pas considérées comme de la pornographie aux termes du Code criminel, mais qui sont néanmoins inacceptables pour le ministre. La décision rétroactive du ministre et des fonctionnaires reposera sur des lignes directrices encore inconnues qui ne sont pas un règlement. Par conséquent, elles n'ont pas besoin d'être déposées au Parlement et peuvent être changées en tout temps selon le bon vouloir du ministre en poste.
Cette situation dressera un obstacle impossible à surmonter pour les entreprises de création de contenu. Je vais maintenant examiner avec vous les conséquences terribles que le libellé actuel aurait pour les entreprises.
Lors de ces audiences, le gouvernement a garanti que les changements proposés auraient une incidence financière minimale sur l'industrie dans l'avenir. Le gouvernement admet être parvenu à cette conclusion, selon le sous-ministre adjoint des Affaires culturelles à Patrimoine canadien, M. Jean-Pierre Blais, après avoir parlé « avec certains intervenants de l'industrie seulement... le groupe à qui j'ai parlé était hésitant ».
La rétroactivité signifierait qu'un certain nombre de projets réalisés au cours des cinq ou six dernières années peuvent être touchés et qu'on pourrait réclamer le remboursement des crédits d'impôt. Dans la plupart des cas, ce remboursement est une impossibilité.
Par ailleurs, quand le sénateur Ringuette a demandé si une étude d'impact économique avait été effectuée, avant de proposer ce projet de loi, pour connaître la manière dont ces amendements proposés au projet de loi C-10 influeraient sur l'industrie et l'emploi, la réponse a été non.
S'il avait choisi l'une ou l'autre de ces avenues, le gouvernement aurait découvert que les producteurs doivent fournir une garantie raisonnable pour obtenir du financement pour leurs productions.
Il est essentiel d'avoir un certificat du Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens (BCPAC) pour obtenir diverses formes de financement nécessaires pour produire du contenu au pays, y compris une admissibilité à un cautionnement de bonne fin, des investissements bancaires, des coproductions et d'autres sources de financement comme le Fonds canadien de télévision et Téléfilm Canada. De toute évidence, les producteurs auront du mal à trouver des prêteurs et des investisseurs qui débloqueront des fonds pour financer le développement ou la production dans les cas où un film peut être jugé non admissible par le ministre une fois achevé et les fonds dépensés.
Nos membres nous disent haut et fort que le modèle de gestion s'effondrera sans la garantie d'intégrité de la certification pour crédit d'impôt du BCPAC.
La Banque Royale du Canada, qui est l'un de nos membres, nous a demandé d'inclure la déclaration suivante dans notre exposé d'aujourd'hui :
La Banque Royale est le principal fournisseur de services financiers de l'industrie du film canadien. RBC offre, au cas par cas, le préfinancement des crédits d'impôt, des permis de diffusion et d'autres programmes de financement liés au gouvernement comme le Fonds canadien de télévision et Téléfilm Canada. Il est absolument nécessaire de certifier que le contenu canadien pour toucher les crédits d'impôt et certains paiements de diffuseurs, du Fonds canadien de télévision et de Téléfilm. Si le postulat d'admissibilité actuellement sous-jacent à tous les prêts bancaires à cette industrie est compromis ou réduit par le projet de loi C-10, cela limitera effectivement la capacité de la Banque de continuer à financer les productions de contenu canadien.
Le président de Cinefinance, une entreprise de cautionnement de bonne fin qui s'occupe d'un grand nombre des activités canadiennes, a demandé que nous ajoutions ceci :
Nous offrons du cautionnement de bonne fin à des financiers et à des banques pour des projets qui comprennent souvent des tournages au Canada. Pour assurer une diligence raisonnable, nous veillons à ce que toute condition préalable au financement soit satisfaite avant de donner notre garantie. Toute condition subséquente, du genre de celle qu'on examine en ce moment, d'après ce que je crois comprendre, nous empêcherait d'octroyer notre cautionnement et aurait une incidence négative grave sur la capacité des banques et d'autres financiers à fournir du financement pour des films indépendants, puisqu'ils requièrent tous un cautionnement de bonne fin au préalable.
Comme vous pouvez le voir, la moindre incertitude concernant la fiabilité de la certification du BCPAC dissuadera les investisseurs et les prêteurs à financer des projets canadiens. Cet effet dissuasif étoufferait effectivement l'industrie.
Il convient de noter qu'un producteur canadien peut aussi demander le crédit d'impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne qui se trouve à l'article 125.5 de la Loi de l'impôt sur le revenu, tout comme peut le faire un producteur non canadien. En l'état actuel des choses, pour un projet du CRTC coproduit par un Canadien et un Américain, le Canadien présente toujours une demande de crédit de services puisque la production ne sera pas admissible au crédit pour le contenu canadien.
Si ce projet de loi est adopté sous sa forme actuelle, nous serons confrontés à l'étrange possibilité qu'un producteur canadien, dont le film est déclaré non admissible au crédit pour le contenu canadien parce qu'un ministère a déterminé qu'il était jugé contraire à l'ordre public, fasse peut-être une demande pour le crédit de services le plus bas pour la même production.
L'introduction de lignes directrices, en plus des dispositions du Code criminel, rendra le processus de certification pour crédit d'impôt inutilement complexe et subjectif, et nuira de façon permanente à cette industrie de plusieurs milliards de dollars par année.
Nous sommes persuadés que le comité sénatorial comprend l'importance de cette question pour l'industrie du cinéma et de la télévision et nous vous encourageons à amender le projet de loi C-10 pour ce qui est de la disposition relative à l'ordre public du BCPAC pour limiter la portée d'une telle disposition afin de veiller tout simplement à ce qu'elle soit conforme aux dispositions pertinentes en vertu du Code criminel du Canada.
Le président : Merci beaucoup. C'était un autre excellent exposé.
Chers collègues, nous avons entendu les témoins. Nous avons 17 sénateurs ici ce matin. Deux d'entre vous n'étaient pas présents quand j'ai présenté les membres du comité. Permettez-moi de vous présenter le sénateur Moore, de Halifax en Nouvelle-Écosse, et le sénateur Harb, de la région d'Ottawa.
Je crois comprendre que d'autres comités, en pareilles circonstances, permettent ordinairement aux sénateurs qui sont membres permanents du comité de poser d'abord leurs questions. Si personne n'y voit d'inconvénient, c'est ce que je vais faire.
La liste n'est pas longue pour l'instant. J'ai l'intention de commencer par le sénateur Tkachuk, suivi du sénateur Ringuette, qui a été mentionnée dans les dépêches ce matin.
Le sénateur Tkachuk : Merci pour vos exposés intéressants et pour avoir animé le débat sur le projet de loi C-10, qui a bien entendu une énorme incidence sur les entreprises et les affaires financières des Canadiens. Je suis persuadé que CBC Newsworld diffusera cette partie des audiences avec le même intérêt qu'elle diffuse ce passage.
Tout ce débat a été particulièrement passionnant de certains points de vue philosophiques, de même que sur le plan de la liberté d'expression. Ces points de vue sont aussi associés au fait que des fonds publics sont utilisés.
Depuis 2005, nous avons des lignes directrices relatives à l'ordre public qui sont presque les mêmes que dans l'amendement proposé. Depuis, le gouvernement du Canada utilise l'amendement de ce projet de loi comme un règlement. Il sert de règlement et de cette façon que le gouvernement administre ce programme depuis 2005.
Depuis 2002, quand il y a eu consultation avec votre industrie, le gouvernement du Canada a administré le programme comme si l'amendement relatif à l'ordre public était en vigueur. Rien n'a changé depuis 2005.
Par conséquent, je me demande pourquoi on se préoccupe soudainement d'une partie du projet de loi qui a été en vigueur peut-être pas de la même manière. En fait, la même procédure a été utilisée depuis 2005. Vous pouvez peut-être m'expliquer cet intérêt soudain.
M. Mayson : Le libellé de la disposition relative à l'ordre public existe depuis 1995 dans le règlement et le projet de règlement. En fin de compte, cette disposition est passée d'un règlement à l'autre, puis à la loi, mais elle n'a jamais vraiment été appliquée, au sens où, même s'il s'agit d'un projet de règlement et d'un projet de loi, elle a toujours été associée à cette disposition relative aux lignes directrices, qui a toujours fait l'objet de consultations avec le ministère. Donc, même si ce libellé était là, d'après ce que nous comprenons, il n'a jamais été utilisé dans les faits. Ces éléments ont été retirés d'autres dispositions et exclusions dans le règlement.
Pour ce qui est de cette disposition et de son rapport avec l'industrie, nous nous sommes toujours attendus à une vaste consultation sur les lignes directrices, qui ne s'est jamais concrétisée.
Le libellé de la disposition relative à l'ordre public existait, et nous l'avons appuyé depuis le début. Le problème, c'était la question des lignes directrices et leur application, et il n'a jamais été réglé.
Le sénateur Tkachuk : Excusez-moi, car j'ai dit 2005. En réalité, le règlement existe depuis 1995.
M. Mayson : C'est exact.
Le président : Il n'a pas été forcément appliqué, sénateur Tkachuk.
Le sénateur Tkachuk : Toutefois, d'après le ministère des Finances, il a été administré comme s'il avait été appliqué. C'est ce que j'essaie de faire valoir.
C'est la même chose depuis 2005 avec l'actuel amendement relatif à l'ordre public. C'est de cette façon qu'ils ont administré la loi, même si ce n'est pas la loi du pays. Ils l'ont utilisé comme moyen pour administrer les crédits d'impôt.
Vouliez-vous ajouter quelque chose?
Mme Ker-Hornell : Vous avez demandé pourquoi on y prête attention à l'heure actuelle. Ce que l'on demande dans ce projet de loi, c'est un chèque en blanc pour le ministre en poste pour qu'il puisse prendre à tout moment une décision rétroactive sur ce qui sera réputé acceptable ou non. C'est nouveau. Cela n'a jamais été présenté à qui que ce soit auparavant. C'est un concept effrayant.
En fait, toute la question de censure n'a plus lieu d'être. Ce ne serait qu'un remaniement superficiel. Puisque aucun modèle de financement ne pourrait soutenir cette loi, il n'y aurait rien à censurer.
Le sénateur Tkachuk : N'était-ce pas exactement le même amendement qui a été proposé en 2005?
Mme Ker-Hornell : Oui, et il a été rejeté.
Le sénateur Tkachuk : Il n'a pas été rejeté. Il n'a jamais reçu...
Mme Ker-Hornell : On n'y a jamais donné suite. Il a été rejeté. L'industrie a certainement...
Le sénateur Tkachuk : On n'a pas apporté cet amendement par suite d'une élection, mais il devait être intégré dans la loi. On vous a consultés.
Mme Ker-Hornell : Sauf votre respect, je ne suis pas d'accord.
[Français]
M. Leduc : Je comprends l'expression « public policy », mais sincèrement nous ne sommes pas des législateurs et il y a beaucoup de choses que nous ne connaissons pas sur l'aspect technique des lois.
Par exemple, je ne sais pas si l'expression « public policy » en anglais a toujours été traduite par l'expression « ordre public » en français. Chez nous, au Québec, plusieurs questions ont été soulevées au sujet de la traduction de l'expression « public policy » par l'expression « ordre public ». Mais bon, mon diplôme de droit est un peu loin.
Le président : D'après vous, s'agit-il d'une grande différence entre les deux expressions, soit « public policy » et « public order »?
Mme Doucet : Si je ne m'abuse, le règlement utilisait l'expression « contre l'intérêt public » qui était la traduction de l'expression « public policy », alors qu'il est maintenant question d'utiliser l'expression « contre l'ordre public », et qui est toujours censément la traduction de l'expression « public policy ».
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : Quand la ministre a comparu devant nous, elle a dit qu'un an avant que cet aspect particulier du projet de loi entre en vigueur, elle avait offert de tenir une consultation sur les lignes directrices. Elle avait sollicité l'aide de l'industrie pour rédiger les lignes directrices, ce qui m'a paru être une demande raisonnable. Quelqu'un a-t-il accepté cette offre? Y a-t-il un problème avec celle-ci?
Mme Cunningham : Je veux intervenir brièvement au sujet de cette question. En fait, l'année qui a été mentionnée l'a été dans cette salle, je crois, pour la première fois. J'ai eu des entretiens avec la ministre, comme M. Mayson et d'autres de nos collègues, et nous sommes toujours ouverts à des consultations avec le ministère du Patrimoine canadien. À vrai dire, quand ce problème a éclaté au grand jour, nous avons été les premiers à appeler le sous-ministre.
Toutefois, on offrait la consultation seulement après qu'une loi serait adoptée et que cette ligne directrice d'ensemble serait accordée au ministre. Tel est notre problème, et non pas le fait que nous voudrions consulter le gouvernement au pouvoir sur n'importe quelle question qui pourrait concerner l'ordre public. Nous avons toujours été disposés à le faire.
Nos avons donné notre avis sur cette question en 1999 quand le ministère a commencé pour la première fois à élaborer des dispositions pour la loi. Nous avons toujours dit clairement à quel point cette disposition « contraire à l'ordre public » doit être clarifiée, transparente, comptable et prévisible. Notre position n'a pas changé. Cela n'a jamais fait l'objet d'une consultation ouverte et claire dans une tribune avant d'être présenté en tant que loi pour recevoir la sanction royale.
Le sénateur Tkachuk : Vous ne l'avez peut-être pas avec vous, mais pouvez-vous nous fournir cette lettre de 1999?
Mme Cunningham : Absolument.
Le sénateur Tkachuk : Vous pouvez peut-être la remettre à la greffière pour que nous puissions voir quelles étaient les lignes directrices ou les opinions à ce moment-là.
Mme Cunningham : Absolument.
Le sénateur Tkachuk : Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Ringuette : Merci à vous tous de vous être déplacés pour venir enrichir sur nos discussions concernant le projet de loi C-10 et le crédit d'impôt.
Hier, lors de notre dernière réunion, j'ai demandé à nos témoins s'ils étaient d'accord à ce que, dans la loi concernant le crédit d'impôt, nous nous limitions et faisions une distinction catégorique concernant le Code criminel.
Quelques-uns d'entre vous ont indiqué que c'était un amendement qu'ils souhaiteraient voir apporté au projet de loi. J'aimerais, si vous pouvez, vous voir renchérir sur mon point de vue et le vôtre concernant un amendement possible à ce projet de loi.
[Traduction]
M. Mayson : Je crois que c'est essentiellement ce que nous avons proposé. Nous essayons d'être utiles.
Le président : Vous l'êtes.
Le sénateur Tkachuk : Oui, en effet.
M. Mayson : C'est important pour nous. Nous voulons voir ce projet de loi adopté. Il comporte bien des choses importantes pour notre industrie. À notre avis, la façon simple de s'y prendre, c'est de clarifier le libellé de la disposition relative à l'ordre public en le renvoyant à des lois qui sont définies dans le Code criminel. C'est clair, définissable et compris par tout le milieu.
Comme Mme Ker-Hornell l'a indiqué, le manque de clarification suscite beaucoup d'incertitude. Nous pensons que les dispositions du Code criminel sont utiles pour faire adopter ce projet de loi et fournir des certitudes à l'industrie. C'était l'esprit et la raison d'être de l'amendement que nous avons souligné tout à l'heure.
Le sénateur Ringuette : J'imagine que l'un des problèmes porte aussi sur ces lignes directrices. Je veux que vous compreniez que nous, en tant que parlementaires, n'avons pas de pouvoir pour ce qui est des lignes directrices ou des règlements. Par conséquent, nous ne pouvons pas avoir de discussions comme celle de ce matin. La meilleure option, c'est le recours à la législation.
Je vous remercie d'avoir présenté la déclaration de la Banque Royale. De mon point de vue, au cours de la dernière décennie, nous avons vu beaucoup de bonnes productions et de bons artistes canadiens. Je ne voudrais pas que tous ces efforts s'effondrent à cause d'une partie d'une ligne directrice. Je vous remercie d'avoir rapporté les commentaires de la Banque Royale.
[Français]
M. Leduc : Je ne sais pas si c'est légitime de poser une question parce qu'il y a des choses que je ne comprends pas. Dans le projet de loi, est-ce courant que les directives soient déléguées?
Le président : Ce n'est pas encore une loi, nous sommes dans un processus parlementaire.
[Traduction]
M. Leduc : C'est comme à l'habitude.
[Français]
C'est normal que les lignes directrices soient décrites. Je ne sais pas.
[Traduction]
Le président : Je ne le sais pas non plus.
[Français]
Le sénateur Fox : Je tiens à remercier les témoins, ils ont ajouté beaucoup d'éléments très intéressants à ce projet de loi.
[Traduction]
Peu m'importe si cette mesure législative a vu le jour en 1995, 1996, 2003 ou 2005. Notre travail consiste à étudier le projet de loi que le gouvernement en poste a présenté et dont nous sommes saisis. Peu m'importe si la mesure législative laisse à désirer en ce moment et si elle a vu le jour en 1995 ou 1996. Si, à l'origine, elle avait été soumise au comité de leur part, nous aurions eu les mêmes audiences et les mêmes positions. Un mauvais projet de loi, c'est un mauvais projet de loi, un point c'est tout. Notre travail consiste à voir comment nous pouvons l'améliorer. Convenez-vous que nous devrions nous éloigner de cette notion?
[Français]
On a eu des témoignages très intéressants de la part de gens qui étudient la question des libertés civiles. Le professeur Pierre Trudel, de l'Université de Montréal, a parlé du projet de loi C-10 comme étant « une violation injustifiée de la liberté d'expression ». L'Association canadienne des libertés civiles a dit la même chose hier. Et aujourd'hui, les producteurs nous font connaître leur point de vue sur le risque de censure. Vous avez montré très clairement les risques sur tous les montages financiers de l'industrie du film.
[Traduction]
Si nous regardons la situation du point de vue de l'ordre public, du point de vue économique, nous convenons tous qu'il est important que des films américains continuent d'être faits au Canada. Ce n'est pas votre chasse gardée, mais c'est important sur le plan économique, y compris la formation d'un groupe de techniciens de renommée mondiale au Canada. Je n'en suis pas à mes premières armes et je m'attribue une part du mérite, en toute honnêteté, pour la création de Téléfilm Canada, qui était important pour l'industrie canadienne.
La lacune fondamentale sur le plan logique qui nuit à l'ensemble du projet de loi, c'est un point que vous avez soulevé concernant les productions américaines. Si on dit que les fonds publics ne devraient pas être utilisés pour des films qui vont à l'encontre de certains critères subjectifs, on doit alors appliquer ces mêmes critères pour les films américains, ce qui aurait aussi des conséquences économiques terribles pour les producteurs d'émissions canadiens car elles toucheraient toute l'industrie au Canada.
Voudriez-vous nous en dire un peu plus long à cet égard?
John Weber, membre du conseil d'administration de FilmOntario, président de Dufferin Gate Productions, vice- président exécutif de Production for Peace Arch Entertainment : Merci de votre question. Au cours des dix dernières années, notre entreprise a probablement participé à quelque 150 productions différentes — productions américaines, coproductions internationales et productions canadiennes. Une chose qui a toujours été notre force en tant qu'industrie canadienne, c'est que nous sommes capables d'aller voir nos partenaires partout dans le monde et de vendre le Canada comme un endroit où nous pouvons offrir des crédits d'impôt fiables, vérifiables et négociables en banque. Que nous ayons mis sur pied un programme aussi bon et aussi fiable qui est reconnu partout dans le monde constitue un témoignage éloquent pour notre pays et notre industrie.
Grâce à cette fiabilité, des producteurs et de l'argent en provenance de partout dans le monde ont été attirés au Canada, créant de l'emploi et de l'infrastructure. Je parle plus précisément de l'Ontario et de Toronto, parce que c'est là que se trouve notre entreprise. Nous avons bâti une industrie substantielle qui compte certains des meilleurs talents et certaines des meilleures équipes dans le monde, et nous sommes reconnus pour cette expertise.
Toute modification apportée à ce projet de loi qui créerait une incertitude quelconque aux yeux des producteurs aura pour effet de nous rendre moins attrayants. Il ne fait aucun doute, et je pense que tout le monde en a parlé un peu, qu'en bout de ligne, la capacité de financer des productions, qu'elles soient internationales ou canadiennes, est fondée sur la capacité de recevoir des crédits d'impôt et d'obtenir qu'une banque interviennent et accepte de prêter de l'argent en utilisant les crédits d'impôt comme garantie. Plusieurs banques différentes l'ont dit — je leur ai parlé directement — et elles ont toutes répondu la même chose : s'il y a une incertitude quelconque, elles ne financeront pas ces crédits d'impôt. Si nous ne pouvons pas offrir de crédits d'impôt en tant que producteurs canadiens, nous échouerons en tant que producteurs canadiens. Il y a également toute une série d'autres questions, dont celle de savoir comment ces crédits d'impôt peuvent influer sur notre capacité d'obtenir des licences de télédiffusion canadiennes et du financement de Téléfilm Canada et du Fonds canadien de télévision.
L'infrastructure existe. On doit simplement bâtir à partir de cette infrastructure, et j'ai lu beaucoup de scénarios au cours des derniers jours. Il ne semble pas y avoir ici quelque chose de suffisamment substantiel pour justifier de jouer avec une industrie qui est devenue aussi importante et qui connaît autant de succès.
Mme Cunningham : Vous avez raison et en tant que producteurs, nous estimons que c'est vrai. Nous prenons cette responsabilité de gardiens des derniers publics très au sérieux. Nous sommes dans une culture dominée par la production étrangère, alors notre capacité en tant que Canadiens de produire à l'intérieur du pays et d'attirer l'investissement international pour financer nos projets dépend de l'appui incroyable que ce gouvernement et le sénateur Fox, par le biais de Téléfilm Canada, ont créé. Cette responsabilité est énorme et il faut le savoir. Le crédit d'impôt est un mécanisme prévisible. Les films et les émissions de télévision sont difficiles à financer. Il y a beaucoup d'obstacles. Le crédit d'impôt est un outil incroyablement efficace et nous aimerions qu'il demeure intact.
Le sénateur Fox : Il fonctionne bien tant et aussi longtemps que les critères sont objectifs et non subjectifs. La partie subjective pose un sérieux problème.
Mme Cunningham : Encore une fois, en tant que gardiens et producteurs, nous recevons souvent directement l'argent des contribuables, et nous prenons cette responsabilité au sérieux. Les crédits d'impôt représentent une certaine partie du financement, certainement la partie la plus objective.
Toutefois, pour produire des émissions de télévision, nous avons besoin de télédiffuseurs. Dans le cas des films, nous avons des partenaires internationaux et nous avons des distributeurs. Tous les partenaires travaillent à partir de certains critères également. Nous avons les conseils d'évaluation d'écoute et les conseils de télédiffusion, alors, il y a plusieurs moyens pour protéger l'intérêt public dans cette industrie. Nous considérons cette protection comme notre responsabilité.
Nous ne voyons pas la nécessité, et nous ne l'avons pas vue dans les témoignages présentés devant vous au cours de la dernière semaine. Le crédit d'impôt fonctionne; ce que vous avez créé fonctionne. Il y a eu 12 000 productions au cours des dix dernières années, et je crois que quelques-unes ont été exclues par le règlement lui-même. Nous dirions, pour reprendre les paroles du sénateur Moore, qu'il s'agit d'une solution en quête d'un problème.
[Français]
Le sénateur Meighen : Merci à vous tous d'être venu. Je vous félicite de la qualité de vos présentations et de l'esprit de collaboration dont vous avez fait preuve. C'est vraiment apprécié.
[Traduction]
Dans cet esprit, laissez-moi explorer la solution ou, du moins, la solution partielle que vous avez mise de l'avant, telle que je la comprends, et qui serait de définir d'entrée de jeu ce qui n'est pas acceptable et de prendre la définition du Code criminel. Cela me semble acceptable, sauf que, d'après ce que je crois savoir — il y a longtemps que j'ai pratiqué le droit criminel — la seule définition que contient le Code criminel est celle qui concerne la pornographie. Qu'arrive-t- il de la notion de libelle diffamatoire, de haine et de tout le reste? Comment amener ces questions à l'avant-plan?
Mme Cunningham : Je pense qu'actuellement, on fait allusion à la haine dans le Code criminel.
Le sénateur Meighen : Je ne crois pas que les expressions « violence gratuite » et « libelle diffamatoire » se retrouvent dans le Code criminel dans ce contexte. Ou bien nous précisons chacun des éléments, comme le fait le Code criminel en ce qui concerne la pornographie, ou bien nous envisageons la possibilité d'accorder un pouvoir discrétionnaire à quelqu'un, et je crois que c'est la disposition que vous avez trouvée inacceptable.
À cet égard, que faites-vous au sujet de la situation des quatre ou cinq provinces qui ont des crédits d'impôt et où on utilise l'expression générale « contraire à l'ordre public ».
[Français]
Et au Québec, si je ne me trompe pas, l'expression est « contre la politique gouvernementale ».
[Traduction]
Si ces mots ne sont pas de nature à soulever des protestations, je demande ce qu'il faut. Comment abordez-vous cette question et a-t-elle posé des problèmes?
Mme Ker-Hornell : Je vais répondre à cette question au nom de l'Ontario. Dans une conversation avec le président- directeur général de la Société de développement de l'industrie des médias de l'Ontario, l'organisme gouvernemental qui administre et gère les crédits d'impôt en conjonction avec le ministère des Finances provincial, j'ai appris que cet organisme utilisait le Code criminel comme référence.
[Français]
Le sénateur Meighen : Et si c'est « contre la politique gouvernementale », qu'est-ce qu'ils font?
[Traduction]
Mme Ker-Hornell : Cela a été interprété comme étant uniquement lié aux définitions du Code criminel. L'organisme n'a jamais fait une interprétation différente d'une décision du BCPAC et a toujours donné une interprétation liée aux définitions du Code criminel. Vous avez raison de dire que la formulation utilisée ouvre la porte à un problème potentiel. Toutefois, historiquement, il n'y a pas eu un seul cas où l'organisme est passé outre à la définition que l'on retrouve dans le Code criminel, m'a-t-on chargé de vous dire.
Le sénateur Meighen : N'est-ce pas ce que la ministre a dit, d'une certaine façon? On vous a dit : faites-nous confiance, nous ne l'appliquons pas en dehors du Code criminel; et la ministre a dit, faites-nous confiance, je sais ce qu'est la politique publique.
Mme Ker-Hornell : Il y a un élément rétroactif dans le projet de loi.
Le sénateur Meighen : Jusqu'ici, l'expérience n'a pas été trop mauvaise au niveau provincial, alors pourquoi en serait-il autrement au niveau fédéral?
Mme Ker-Hornell : C'est la nature rétrospective, la façon dont c'est présenté dans ce projet de loi, de telle manière qu'une décision finale relative au financement est prise après que le projet est terminé et que l'argent a été dépensé. La certification du BCPAC pourrait être annulée. Cette possibilité vient déstabiliser le financement de l'industrie.
Le sénateur Meighen : Je comprends. S'il y a un comité qui devrait être en mesure de comprendre les répercussions de l'incertitude économique, c'est bien le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Nous savons cela. Vous avez bien défendu votre point et je suis parfaitement d'accord avec vous.
Cependant, je vais en rester là.
[Français]
Mme Doucet : J'aimerais ajouter à ce qui a été dit. Vous avez parlé de l'expression « contre la politique gouvernementale ». Dans ma compréhension, la différence réside dans le fait que les critères sont dans la loi. Donc le Parlement exerce un contrôle dans toutes les étapes qu'on connaît et il y a aussi un contrôle judiciaire. Lorsqu'on parle du Code criminel, il y a de la jurisprudence, il y a des tribunaux qui ont établi des critères et des balises tandis que lorsque c'est à l'intérieur de lignes directrices — un pouvoir complètement dévolu au ministère du Patrimoine canadien — il n'y a aucun contrôle. C'est une totale discrétion. On ne peut pas revenir devant le Parlement ou les tribunaux pour évaluer ou réviser une décision qui aurait été prise. Pour nous, c'est ce que je comprends de cette distinction majeure. Pour nous, on se dit que, oui, la ministre fait une offre et on lui fait confiance. Le problème est moins dans le rétroactif que dans le futur où il y aura d'autres ministres qui ne verront pas les choses de la même façon et qui auront une entière autorité et discrétion pour changer ces lignes directrices sans que personne ne puisse intervenir.
Le sénateur Meighen : Qu'est-ce que vous diriez si comme ministre je disais : on va mettre ces critères dans la législation et non pas dans les lignes directrices?
Mme Doucet : Pour moi, cela fait toute la différence.
Le sénateur Meighen : Comment juger si un film est contre l'ordre public si on ne le voit pas au complet?
[Traduction]
Le sénateur Harb : Vous voyez le scénario.
M. Mayson : Si vous permettez que j'ajoute un mot, le point de vue plus large, c'est qu'en termes de certification et de relation entre le crédit fédéral et le crédit provincial, de nombreuses provinces, malgré leurs politiques, se tournent généralement vers l'organisme de certification fédéral pour valider un grand nombre des éléments de certification. Ce projet de loi engendre beaucoup d'incertitude au niveau fédéral et cela ne tardera pas à se répercuter au niveau provincial. Nous devons régler ce problème rapidement. En ce qui concerne tout contenu illégal tel que défini dans le Code criminel, cette définition large peut constituer une manière facile autant pour les producteurs que pour les organismes de certification de continuer de faire les choses comme ils le font actuellement, le producteur s'engageant à faire en sorte que la production soit conforme. C'est de cette façon que le monde a fonctionné au cours des dix dernières années, et nous devons revenir à cette façon de faire, parce que ce monde a été détruit au cours des dernières semaines.
Le sénateur Harb : Vous avez proposé un amendement à la disposition actuelle et vous avez proposé de consulter l'industrie et d'autres intervenants sur les lignes directrices avant l'adoption du projet de loi, et la ministre a dit que nous devrions lui faire confiance et adopter le projet de loi après quoi le ministère élaborera les lignes directrices en consultation avec l'industrie. Voici la question : que pensez-vous d'une approche à deux volets en parallèle, par laquelle un amendement est proposé pour refléter votre suggestion, et des consultations commenceraient maintenant de sorte qu'il n'y ait pas de retard dans le règlement et dans l'entrée en vigueur du projet de loi après sa promulgation.
D'après les lettres que nous avons reçues, nous pouvons présumer qu'il y a un consensus général au sein de l'industrie, à savoir que les intervenants s'opposent à cette disposition de la loi. Est-ce là votre évaluation?
M. Mayson : Cette proposition est intéressante, sénateur. De toute évidence, ce programme est si important et nous avons une si bonne relation, depuis si longtemps, avec le ministère des Finances et avec le ministère du Patrimoine canadien que nous sommes ouverts à toute discussion à l'avenir. Toutefois, il est important qu'un amendement soit présenté parce que nous avons un sérieux problème d'incertitude à l'heure actuelle. Pour que l'industrie puisse continuer à avancer, nous avons besoin d'un genre de pierre de touche pour encadrer cette question d'ordre public. Nous serons toujours prêts à discuter avec le ministère, le ministre et le présent comité. Je ne pense pas me tromper.
Je ne pense pas me tromper non plus en disant qu'il y a beaucoup d'inquiétude concernant la proposition actuelle et que cette inquiétude a pris beaucoup d'ampleur au cours des dernières semaines. De prime abord, l'inquiétude semblait faible, mais maintenant, elle est grande. Nous devons faire quelque chose à propos de cette situation rapidement. Il y a beaucoup d'inquiétude au sein de notre industrie au sujet de ces prochaines étapes.
Mme Cunningham : Comme vous l'avez entendu, il n'y a jamais eu, du moins depuis que j'ai l'honneur de présider le conseil de l'ACPFT, un tel consensus au sein de l'industrie au sujet d'une question précise. Vous allez entendre le point de vue d'autres témoins, mais c'est l'impression que nous avons et ce que nous croyons.
Le sénateur Harb : Cela a touché un nerf sensible de l'industrie.
Mme Cunningham : Oui.
M. Leduc : Plus précisément, en réponse à votre question, l'approche à deux volets ne nous pose aucun problème.
Le sénateur Harb : Vraiment?
Mme Ker-Hornell : L'Ontario accepterait l'approche à deux volets à la condition qu'il n'y ait pas de rétroactivité attachée à un chèque en blanc. Nous pouvons travailler à élaborer des lignes directrices et le ministre du jour a toujours la possibilité de les modifier n'importe quand.
Le sénateur Ringuette : À titre de clarification, je comprends l'incertitude, mais vous devez comprendre que le projet de loi C-10 contient également d'autres questions fortement controversées et qui ne sont pas liées à votre industrie, mais aux fiducies. Nous n'avons pas encore réglé cette question, alors, je veux que vous compreniez qu'il s'agit d'un projet de loi qui est vaste.
M. Mayson : Nous le comprenons parfaitement. J'ai beaucoup de bons amis au ministère des Finances qui me demandent pourquoi je ralentis l'étude de ce projet de loi. Cette question est extrêmement importante et cela témoigne de son importance à l'heure actuelle.
[Français]
Le sénateur Dawson : Je veux préfacer ma question. Au Québec, on consomme 80 p. 100 de ce qu'on produit en termes cinématographiques et télévisuels. Donc, en ce qui concerne le Québec, c'est doublement important d'avoir du financement à long terme et un processus dans lequel les producteurs, qui ont un succès international, aient une assurance que le gouvernement ne viendra pas, après le fait, annuler des films.
Ma question s'adresse à M. Leduc. Vous savez que les crédits d'impôt ont été créés initialement par le gouvernement du Québec et le gouvernement libéral, dans sa gentillesse, en 1993, a inclus dans son programme électoral qu'on devrait avoir des crédits d'impôt canadiens. C'est un succès pancanadien qui a son origine au Québec. Je le répète, 80 p. 100 de ce qu'on produit est consommé par les Québécois.
En 15 ans, au Québec, est-ce déjà arrivé que le gouvernement ait annulé un crédit d'impôt après le fait?
M. Leduc : À ce que je sache, non. Par ailleurs, je crois que ce sont des informations d'ordre fiscal qui nécessitent une certaine confidentialité. Donc à ma connaissance non, avec cette qualification.
Le sénateur Dawson : Vous comprenez pourquoi je pose la question. Même si le gouvernement du Québec l'a eu théoriquement, s'ils ne l'ont jamais exercé après 15 ans : « If it is not broke, do not fix it ». On a une loi qui fonctionne bien, on a des partenaires dans le milieu culturel et des partenaires économiques. Ce ne sont pas seulement des gens du milieu culturel, mais des partenaires économiques du gouvernement canadien. On a eu un succès extraordinaire avec cette loi depuis que les crédits d'impôt existent. J'aimerais savoir de madame Cunningham.
[Traduction]
Si cela fonctionne, pourquoi essayons-nous de le réparer?
Mme Cunningham : Nous sommes parfaitement d'accord avec vous et Dieu merci pour le succès au Québec. Pourquoi réparer quelque chose qui fonctionne? Nous sommes d'accord avec cette évaluation.
Toutefois, nous reconnaissons ici une préoccupation exprimée par la ministre, à savoir qu'il pourrait y avoir une faille dans la loi qui permettrait à des productions illégales d'avoir accès à un crédit d'impôt même si elles contreviennent au Code criminel. Par conséquent, nous avons proposé cet amendement comme moyen pour tenter de corriger cette faille. En tant que producteurs, nous n'avons rien à gagner que des productions illégales reçoivent de l'argent des contribuables. Nous sommes une industrie qui fabrique des images; nous sommes très sensibles à la perception qu'ont les contribuables de cette industrie.
Le sénateur Dawson : Je serais heureux de voir la version française de vos amendements.
[Français]
Les mots sont importants. Ce qui est moralement acceptable au Québec, vous le savez, monsieur le président, étant Montréalais, n'est pas toujours moralement acceptable dans le reste du Canada. Dépendant des mots qui vont être inclus dans l'amendement, pas parce qu'on est plus moral ou moins moral, il y a une définition qui peut avoir des répercussions importantes sur l'industrie.
Le président : Vive l'ancienne alliance entre les Écossais et les Canadiens français.
M. Leduc : Hier, j'étais au CRTC et je ne sais pas si c'est le président ou quelqu'un d'autre qui a pris l'expression habituelle : « the devil is in the details ». Malheureusement, c'est une expression qui s'applique à beaucoup d'endroits.
Effectivement, il y a quelque chose d'important dans la notion générale du crédit d'impôt. Le crédit d'impôt du Québec, qui effectivement a été fondateur des autres crédits d'impôt au Canada, dont celui du gouvernement fédéral, n'est pas écrit de la même façon. Grosso modo, au fédéral, ce qui n'est pas interdit est permis, comme une loi de l'impôt et les exclusions sont mentionnées, pornographie, émissions sportives, notamment. Au Québec, pour les émissions de télévision, il faut se conformer à certains genres comme les magazines, entre autres.
[Traduction]
Le diable se cache dans les détails. C'est une de ses « fourches », malheureusement.
[Français]
Le sénateur Biron : Je vous remercie d'être venu. Combien de films environ sont produits et sujets au crédit d'impôt annuellement et cela crée combien d'activités économiques et représente combien en subventions?
Craignez-vous que des lignes directrices entraînent la création d'un organisme pour visionner les différents films afin de vérifier s'ils rencontrent lesdites lignes directrices et faire des recommandations appropriées au ministre pour l'émission de crédit d'impôt? De 18 mois en moyenne avant que ne soient accordés ces crédits, combien de mois seraient ajoutés par ce processus et quel en serait l'impact pour le financement?
[Traduction]
M. Mayson : Ce sont d'excellentes questions. Nous établissons un profil statistique de l'industrie chaque année. Nous pouvons vous donner une information précise sur les films destinés au cinéma.
La valeur de la production de films canadiens destinés au cinéma se situe habituellement entre 200 et 300 millions de dollars par année. À cette production s'ajoutent des films destinés au cinéma qui sont non canadiens en ce sens qu'ils sont produits au Canada, mais pour des studios étrangers. Habituellement, la valeur de cette production se situe entre 700 et 800 millions de dollars.
Dans le cas des productions pour lesquelles on réclame un crédit d'impôt pour services de production, le crédit canadien serait calculé à partir du budget total de ces films canadiens. L'an dernier, le chiffre s'élevait à environ 221 millions de dollars. L'année d'avant, il s'élevait à 311 millions de dollars. Nous faisons ce calcul et cela correspond à un pourcentage d'environ 10 à 12 p. 100 du budget des films, s'ils vont bien.
Il s'agit probablement de 20 à 30 millions de dollars pour les films destinés au cinéma du côté du contenu, selon l'année. Ils auraient un plus petit crédit pour un budget beaucoup plus important au titre du crédit d'impôt pour services de production. Il s'agit de valeurs estimées. Nous pourrions vous donner des chiffres plus précis à cet égard.
La deuxième question est extrêmement importante parce que l'une des grandes craintes de l'industrie à l'heure actuelle, c'est la création d'un autre organisme de surveillance, qui surveillerait le contenu dans un monde de crédits d'impôt relativement prévisibles, objectifs et transparents. Cette possibilité fait peur aux gens. Ils essaient de se montrer polis sur la question. Toutefois, un groupe de personnes anonymes dans un bureau gouvernemental quelque part qui examinerait leur film alors qu'il a déjà été examiné par d'autres organismes pour les besoins de la distribution, est quelque chose qui leur fait peur. Cela complique les choses du côté financier.
Le sénateur Moore : Lorsqu'un producteur fait une demande pour un film, à qui s'adresse-t-il? Qui examine cette demande?
M. Weber : Elle est examinée par le BCPAC et l'organisme provincial de crédit d'impôt si la production est passée par Téléfilm Canada ou le Fonds canadien de télévision. Les producteurs font une demande soit auprès de Téléfilm Canada soit auprès du Fonds canadien de télévision. Plus spécifiquement, les crédits d'impôt transiteraient par le BCPAC et l'organisme provincial de crédit d'impôt.
Le sénateur Moore : On a rapporté dans un article que les lignes directrices donneraient au ministre du Patrimoine canadien le pouvoir de refuser un crédit d'impôt à des projets jugés choquants par un comité. Vous avez peut-être lu cet article dans le Globe and Mail il y a quelques semaines. D'après cet article, ce comité comprend des membres du Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens et du ministère de la Justice. Quels sont ces responsables et quelles sont leurs compétences? Connaissez-vous l'existence de ce comité?
Mme Cunningham : Ce ne sont que des spéculations, que nous sachions, parce que nous n'avons jamais vu de lignes directrices ou de projet de lignes directrices. Toutefois, au cours des années, il y a toujours eu des discussions au sujet de différentes hypothèses et de ce que pourrait être la composition d'un comité d'examen. Je pense que ces spéculations viennent directement du ministère du Patrimoine canadien. Il n'y a jamais eu de discussions officielles sérieuses avec l'industrie concernant le recours à un comité, et encore moins sur sa composition. Par conséquent, je crois qu'il s'agit de spéculations.
Le sénateur Moore : Ce que je vais dire maintenant pourrait aider à éliminer la spéculation. L'automne dernier, Robert Soucy, directeur du BCPAC, a dit qu'Ottawa veut être plus sélectif concernant les produits culturels qu'il aide à financer.
Pouvez-vous commenter cette observation? Que ressentez-vous?
Mme Ker-Hornell : Un de nos membres, l'avocat en droit du divertissement, David Zitzerman, était présent lorsque Robert Soucy a parlé. Il s'est immédiatement fait poser des questions par les avocats en droit du divertissement présents dans la salle, à savoir quand cela serait rendu public ou s'il y aurait consultation de l'industrie et ce que cela pourrait signifier parce que cette observation était un nouveau ballon d'essai.
La réponse a été de ne pas s'inquiéter, qu'il y aurait des consultations publiques à un moment donné et que rien n'était prévu à l'heure actuelle. Et cela a été la fin de la conversation.
Le sénateur Moore : Quelqu'un d'autre voudrait-il faire des observations à cet égard, s'il vous plaît?
[Français]
M. Leduc : Je n'étais pas au courant de cette remarque de M. Soucy, qui est le directeur de BCPAC. Toutefois, il faut être prudent dans la notion culturelle dans l'application du crédit d'impôt. Téléfilm Canada ou le Fonds canadien de télévision, quand ils investissent dans une émission de télévision ou un film, ils ont des critères de nature culturelle qui sont définis dans les règles de ces organismes gouvernementaux ou semi-gouvernementaux qui sont à « arm's length » avec le gouvernement.
Dans le cas de BCPAC, je pense que cela a été mentionné très correctement dans la présentation du ACPTF, l'idée était d'avoir des règles objectives, non subjectives, qu'on pouvait prévoir « and that you could bank on ». Je ne sais pas comment M. Soucy est arrivé à cela. Je ne veux pas contrarier M. Soucy. Ce n'est pas de mes affaires, mais sincèrement, ce commentaire que vous soulignez me surprend un peu.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Je ne fais que le citer.
M. Mayson : Je n'attribue pas du tout ces propos à M. Soucy.
Il y a des choses qui ont été dites au cours des deux ou trois derniers mois et qui, en l'absence d'une consultation appropriée, ont fait en sorte que la situation a pris des proportions plus grandes. Il se prépare quelque chose de nouveau dans le cas du processus de révision du crédit d'impôt et du processus législatif, que nous connaissions tous assez bien, mais il n'y a pas eu de consultation.
Le sénateur Moore : Est-ce que le Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens, le BCPAC, est l'entité qui fait la recommandation finale au ministre à l'heure actuelle?
Mme Ker-Hornell : Oui.
Le sénateur Moore : Est-il indépendant du gouvernement?
M. Weber : Non.
Le sénateur Moore : Ce n'est pas le cas?
M. Mayson : Le BCPAC est un bureau au sein du ministère du Patrimoine canadien qui fait des recommandations au ministre concernant les certifications.
Le sénateur Moore : Il n'est pas indépendant.
Le président : Il fait partie du gouvernement fédéral.
M. Mayson : D'après ce que je crois savoir, tous ceux qui travaillent dans ce bureau sont des employés du gouvernement.
Le président : Est-ce que cela répond à votre question, sénateur Moore?
Le sénateur Moore : Devrait-il fonctionner de manière indépendante du gouvernement? Je suis préoccupé par l'indépendance des arts et de toute l'industrie.
Certaines personnes étaient un peu intimidées à l'idée de comparaître devant le présent comité parce qu'elles ne voulaient pas compromettre leurs chances d'avoir accès à du financement dans l'avenir.
Le sénateur Tkachuk : Avez-vous des preuves de cela?
Mme Cunningham : Cela veut-il dire que nous sommes dans le pétrin?
Le sénateur Moore : Je suis préoccupé par l'idée que ce soit le bureau et que ce soit l'attitude, et où tout cela nous mène-il?
Le président : Merci.
Honorables sénateurs, il est 12 h 6. Si nous continuons d'interroger ce groupe de témoins, il y aura moins de temps pour le groupe suivant.
Un certain nombre de sénateurs qui ne sont pas membres du comité ont levé la main. Évidemment, le parrain du projet de loi, le sénateur Eyton, est le dernier membre du comité que je vais reconnaître.
Je veux que tout le monde ait l'occasion de poser ses questions, mais j'ai besoin du consensus.
Le sénateur Eyton : Il est agréable d'avoir un peu d'agitation et de drame au Comité des banques. C'est quelque chose de nouveau pour le comité, étant donné que nous traitons habituellement de questions fiscales et d'établissements financiers.
Le sénateur Fox a dit que l'histoire n'était pas importante, mais elle est importante, du moins dans ce sens. L'histoire aide à calmer ce que j'appelle les émotions politiques entourant cette question. Je n'ai pas vu la réticence, à laquelle on a fait allusion, des gens à comparaître pour faire valoir leur point de vue. Au contraire, il y a eu une réponse exceptionnelle. Ces dispositions, ou des dispositions semblables, existent depuis un certain nombre d'années. Les mêmes dispositions ou des dispositions semblables existent dans d'autres provinces.
Toute cette agitation démontre clairement que les dispositions ne font pas partie d'un programme caché. Elles ne sont pas motivées politiquement de quelque façon que ce soit. Essentiellement, elles constituent une forme de statu quo et mettent en application des initiatives qui ont débuté il y a un certain nombre d'années. Le sénateur Fox a fait valoir le point qu'il importait peu quelle était l'histoire, que nous devions créer une bonne loi.
J'ai une douzaine de questions, mais je n'ai qu'une ou deux minutes. Je pense qu'il y a un dénominateur commun, à savoir qu'il doit y avoir des normes. Alors, quelles sont ces normes? Qui détermine ces normes? Quelle forme devraient- elles prendre?
Je ne veux pas laisser entendre que je vais poser des questions sur tous ces sujets, mais je vous demande à tous de nous dire quels sont les organismes appropriés pour définir ces normes et, peut-être, le processus qui pourrait avoir lieu pour les définir. Quelle devrait être l'ampleur des consultations? Qui devrait participer à l'élaboration des normes, au- delà de la suggestion liée au Code criminel.
Le Code criminel impose un comportement public minimal. Éviter la prison n'est pas nécessairement la seule norme. Il me semble qu'il devrait y avoir d'autres normes supérieures à celle-ci. La question est de savoir qui établit ces normes et comment on le fait.
Le président : Les témoins ont-ils tous l'intention de répondre à cette question? Si c'est le cas, je vous demande d'être brefs.
Mme Ker-Hornell : Si vous me le permettez, sénateur, une quatrième question doit être posée : Ces lignes directrices, peu importe comment et par qui elles sont définies, donnent-elles un chèque en blanc au ministre de l'heure ou exigeront-elles qu'il y ait un dialogue continu et suivi avec le gouvernement du Canada? Cet aspect est important.
Le sénateur Eyton : J'ai soulevé ce qui, selon moi, étaient les trois défis : quelles sont les normes; comment sont-elles définies; quelle forme auront-elles.
Pour être bref, je m'en suis tenu à la façon dont nous les définissons. J'ai dit qu'il faudrait aller au-delà du Code criminel.
Mme Cunningham : Brièvement, nous parlons aujourd'hui de la Loi de l'impôt sur le revenu et d'un crédit d'impôt, soit un outil qui devait encourager l'infrastructure générale. Ce crédit n'a jamais été conçu tout à fait comme instrument de contrôle du contenu. Il y a un sentiment d'inconfort quant à l'objectivité du mécanisme et il y a la question des lignes directrices. Notre proposition, qui est simple, claire et prévisible et qui consiste à introduire le Code criminel dans la loi, vise à maintenir cette clarté et à utiliser les normes que nous suivons tous dans nos vies et notre travail.
Si vous parlez d'autres formes de politiques publiques, d'investissement des deniers publics et des subventions versées par l'entremise du Fonds canadien de télévision et de Téléfilm Canada, il existe des lignes directrices qui définissent différentes normes qui dépassent le Code criminel. Il arrive parfois, dans des tribunes comme celle-ci, de confondre les deux. Ces normes sont déjà fixées par le gouvernement, souvent en consultation avec des conseils consultatifs de l'industrie, et nous sommes souvent mis à contribution à titre d'organisations.
En fait, il existe déjà un modèle pour ces normes et ces organismes consultatifs. Nous disons que des lignes directrices ne sont pas nécessaires dans cette loi précise. Si la ministre sent le besoin ou le désir de discuter des enjeux qui se présentent, nous serons ravis d'en parler et nous devrions être ouverts à cela.
Le sénateur Eyton : Est-ce que d'autres devraient participer à ces consultations également?
Mme Cunningham : Bien sûr. Cet aspect devrait faire partie de la discussion.
M. Mayson : Je suis d'accord avec Mme Cunningham, mais j'ajouterais que nous n'avons rien entendu. La norme actuelle, qui repose sur le Code criminel, a bien fonctionné au fil des ans. Pour dire franchement, le gouvernement, même si nous l'aimons bien, ne nous a pas dit qu'il y avait un problème. Il fait vaguement allusion à l'existence d'un problème. Nous n'avons pas été consultés à cet égard et le problème ne nous a pas été démontré. Nous serons toujours ouverts à cette discussion, évidemment. Nous n'avons pas encore été convaincus qu'il existe un problème majeur.
Le sénateur Eyton : La preuve a été faite qu'il y a un problème.
M. Mayson : Il y a un problème maintenant, oui.
[Français]
M. Leduc : C'est le point que je voulais souligner, monsieur le président. Effectivement, comme citoyen, j'espère qu'on tente tous de se comporter au-delà du Code criminel. Dans les faits, je comprends qu'il y a la confidentialité de la fiscalité, mais on n'a pas connu d'exemples où cela s'appliquerait. Dans les articles de journaux, je n'en sais pas plus, plusieurs exemples ont été mentionnés : Eastern Promises, Borderline, Tout est parfait, tantôt on a fait référence à The Valour and the Horror. Tout est parfait, tantôt il y avait une référence à d'autres. À chaque fois, tout le monde fait consensus que non, ce n'est pas à cela que cela s'applique.
Les films, heureusement que je ne connais pas où cela s'appliquerait, sont effectivement des trucs qui, pour le moment, semblent définis dans le Code criminel, par exemple, la littérature haineuse. Je présume que cela impliquerait la production haineuse et la pornographie. La pornographie juvénile j'imagine est enchâssée dans la pornographie. J'ai de la difficulté à comprendre que cela ne le soit pas. Je suis d'accord avec vous. S'il n'y a pas de problème, pourquoi tant de brouhaha.
[Traduction]
Le président : Sénateur Eyton, ça va?
Le sénateur Eyton : Je suis encore perplexe, mais je vais probablement en rester là.
Le président : Entre-temps, le vice-président aimerait faire une précision.
Le sénateur Goldstein : J'aimerais comprendre l'objectif de l'amendement que vous proposez. Il me paraît contradictoire à première vue.
D'une part, vous dites que vous accepteriez — et, du coup, vous croyez que les Canadiens devraient et pourraient accepter — une indication dans la loi et un amendement qui établiraient comme critère la non-violation des dispositions du Code criminel. Ce serait le critère qui pourrait être utilisé dans l'avenir, et en fait, il est peut-être déjà utilisé par divers organismes sans que cette loi existe.
D'autre part, vous dites que vous êtes prêt à collaborer avec la ministre pour l'élaboration de lignes directrices. J'en déduis que ces lignes directrices iraient nécessairement au-delà des dispositions du Code criminel.
Avec tout le respect que je vous dois, je crois qu'il y a une dichotomie dans cette position. J'aimerais comprendre ce que vous voulez dire.
M. Mayson : Je vous remercie de votre commentaire. Vous avez absolument raison.
En gros, nous proposons que ce qui est « contraire à l'ordre public » soit déterminé par les dispositions actuelles du Code criminel. Nous éliminerions la référence aux lignes directrices.
Il est essentiel d'éliminer cette référence si nous commençons à parler d'une approche à deux volets ou d'une chose semblable. C'est essentiel pour que ce projet de loi progresse. Nous n'essayons pas d'en faire un match politique, de ramener le débat à la Chambre des communes et ainsi de suite. À vrai dire, nous voulons l'adoption de ce projet de loi.
Si la ministre et ses collaborateurs souhaitent avoir une discussion convenable sur l'enrichissement de cette mesure, nous serons prêts à en parler. Nous n'avons pas eu la chance de le faire.
Le sénateur Goldstein : Ne laissez-vous pas entendre que vous voulez participer à l'élaboration des lignes directrices?
M. Mayson : À l'heure actuelle, non, absolument pas.
Le sénateur Goldstein : Vous êtes préoccupé par la question de la rétroactivité, et je comprends cette inquiétude. Ma deuxième question est la suivante : par quel autre moyen peut-on déterminer si une production, une fois complétée, a enfreint une disposition du Code criminel? Cela se fait nécessairement après que la production est terminée.
M. Mayson : Il y a deux éléments. Si les producteurs contreviennent au Code criminel, ils ne seraient pas surpris si quelqu'un intente une poursuite contre eux. À ma connaissance, cela n'est pas arrivé.
Il y a toujours la question de l'entrée en vigueur. Cela revient pratiquement à ce que le sénateur Tkachuk a dit : bien que l'on ait tenu ce langage et que le ministère des Finances tende à considérer le règlement et son ébauche comme s'il était en vigueur, cette question n'a jamais été réglée; les lignes directrices, et toute cette question, n'ont jamais été réglées. Elles doivent, d'une certaine façon, entrer en vigueur à un moment donné si c'est ce que l'on prévoit.
Mme Ker-Hornell : Sénateur Fox, je crois que le ministre a répondu à cette question mercredi de la semaine dernière lorsqu'il a dit que c'est un juge qui doit déterminer cela. Ce n'est pas un ministre.
Le président : Merci. Honorables sénateurs, nous avons des questions d'un certain nombre de sénateurs qui ne sont pas des membres en titre du comité : le sénateur Johnson, le sénateur Prud'homme et le sénateur Banks. J'espère que vous allez rester.
Le sénateur Banks : Je suis un membre du comité aujourd'hui.
Le président : On m'a dit que vous ne l'étiez pas. Si vous l'êtes, il y a eu un malentendu. Quoi qu'il en soit, je veux que vous soyez entendu. J'espère que vous resterez.
Je souhaite la bienvenue au deuxième groupe de témoins qui participeront ce matin à l'étude du projet de loi C-10 du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Il s'agit de membres reconnus du milieu du film, de la vidéo et des arts.
Nous accueillons Rebecca Schechter, présidente de la Writers Guild of Canada, et Maureen Parker, directrice exécutive du même organisme. Merci d'être ici, d'avoir présenté votre mémoire écrit et de participer à nos travaux. Vous nous avez aidés à comprendre et à saisir les enjeux que vous soulevez.
Nous recevons aussi des représentantes de l'Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists, l'ACTRA, soit Wendy Crewson et Sarah Polley, une vedette canadienne bien connue. Bienvenue à vous deux. Nous sommes ravis de vous avoir parmi nous.
Nous accueillons enfin deux porte-parole de la Guilde canadienne des réalisateurs : Monique Lafontaine, avocate générale et directrice aux affaires réglementaires, et Brian Anthony, directeur général et chef de la direction.
Maureen Parker, directrice exécutive, Writers Guild of Canada : C'est un honneur d'être ici. Je vous remercie de nous avoir invités. Nous allons vous présenter maintenant le point de vue des artistes sur ce projet de loi, et je crois que cela va vous intéresser.
La Writers Guild of Canada, WGC, est ravie de pouvoir s'entretenir avec vous au sujet du projet de loi C-10. La Writers Guild of Canada est une association nationale qui représente plus de 1 800 scénaristes professionnels d'expression anglaise œuvrant dans la production cinématographique, télévisuelle, radiophonique et numérique au Canada.
Les membres de la WGC sont les créateurs d'œuvres canadiennes uniques comme les séries télévisées vedettes « Da Vinci's Inquest » et « Slings and Arrows » et de longs métrages comme le film Away from Her, un film primé et écrit par Sarah Polley. Chacune de ces productions était tributaire du crédit d'impôt sur la production cinématographique et magnétoscopique canadienne pour boucler son financement.
Nous sommes très préoccupés par le libellé du projet de loi C-10 qui prévoit que des lignes directrices inconnues détermineront si une production cinématographique ou télévisuelle est « contraire à l'ordre public ».
Nous voulons mentionner clairement ici ce à quoi nous nous opposons.
Nous convenons que le gouvernement ne devrait pas financer de la pornographie ou des émissions qui promeuvent les crimes haineux et d'autres activités criminelles.
Cependant, si le gouvernement souhaite révoquer facilement un crédit d'impôt lorsqu'une production cinématographique, magnétoscopique ou télévisuelle enfreint le Code criminel, alors c'est ce que devrait dire la modification proposée à la Loi de l'impôt sur le revenu, et à cette fin, nous appuyons l'amendement des producteurs.
En tant qu'instrument non réglementaire, les lignes directrices proposées peuvent être révisées à tout moment sans que l'on fasse appel au Parlement. Les groupes d'intérêts spéciaux qui ont une vision différente sont ensuite libres de faire du lobbying afin que des changements soient apportés au libellé de ces lignes directrices ou à leur interprétation. Ce libellé aura alors une incidence sur toutes les productions cinématographiques et les émissions télévisuelles canadiennes financées par le crédit d'impôt. On ne peut accepter cela pour un mécanisme de financement objectif et basé sur la main-d'œuvre comme le crédit d'impôt.
Nous trouvons très curieux que cette modification ne touche que le crédit d'impôt « intérieur » et ne s'appliquera pas au crédit d'impôt sur les services de production. Les porte-parole du ministère du Patrimoine canadien ont déclaré devant le comité la semaine dernière qu'il n'était pas approprié d'appliquer ce critère au crédit d'impôt sur les services de production parce que c'est « un crédit pour encourager le travail au Canada. Ce n'est pas un crédit relié au contenu ».
Nous avons été surpris d'entendre ces propos car nous avons toujours cru que le crédit d'impôt intérieur était destiné à encourager le travail au Canada, mais sur des productions canadiennes, et qu'il n'était pas lié au contenu.
Dans leur structure, les deux crédits d'impôt sont administrés de la même façon, alors nous ne voyons pas pourquoi l'un serait un crédit basé sur la main-d'œuvre et l'autre, sur le contenu.
Avec l'adoption de cette mesure législative, il serait plus difficile de financer les productions canadiennes, mais pas les productions américaines dont le tournage se fait au Canada, avec l'argent des contribuables canadiens. Cette situation n'a tout simplement aucun sens.
Le crédit d'impôt canadien est basé sur la main-d'œuvre. Ce n'est pas un financement subjectif. Pour obtenir ce crédit, un producteur remplit un formulaire de demande et l'envoie avec d'autres documents pour confirmer la résidence au Canada du personnel clef, des contrats ainsi qu'un budget pour confirmer les dépenses en main-d'œuvre. Les dépenses sont examinées et le producteur reçoit une approbation provisoire de son plan.
Si le producteur utilise le budget conformément au plan soumis, il recevra alors le crédit d'impôt. Les producteurs n'envoient pas de scénario. Le contenu n'est pas examiné.
Les lignes directrices proposées modifieront tout ce processus.
La production cinématographique et télévisuelle coûte très cher. Le budget moyen d'un long métrage dépasse les 5 millions de dollars, et le budget moyen pour un épisode d'une heure d'un feuilleton atteint 1,4 million de dollars.
Les producteurs ont besoin du crédit d'impôt pour boucler leur financement après avoir recueilli autant d'argent que possible sur le marché, qui englobe les agences gouvernementales, les fonds indépendants, les radiodiffuseurs et les distributeurs.
Le crédit d'impôt fédéral, qui représente environ 10 p. 100 du budget, est un élément essentiel. Les producteurs présentent le certificat, qui vaut environ 10 p. 100, à la banque. Celle-ci avance généralement 80 p. 100 de la valeur du certificat au producteur. S'il y a le moindre risque que ce certificat soit révoqué, les banques jugeront que ce n'est pas une garantie acceptable.
Dire que les producteurs peuvent trouver de l'argent dans le secteur privé pour financer des productions jugées inacceptables équivaut à dire qu'ils ne seront pas en mesure de faire ces productions. Il est rare que des investisseurs privés investissent dans la production cinématographique et télévisuelle, puisque les lois fiscales actuelles n'encouragent plus cette forme d'investissement, comme c'était le cas à la fin des années 1980. Susciter ce degré d'incertitude quant au financement n'est peut-être pas une censure en soi, mais c'est certainement une censure dans la pratique.
Rebecca Schechter, présidente, Writers Guild of Canada : Merci de nous recevoir aujourd'hui. À titre de scénariste depuis plus de 20 ans pour le cinéma et la télévision, j'aimerais vous expliquer pourquoi les lignes directrices proposées compliqueront encore davantage la tâche de créer des œuvres qui réussiront à trouver écho auprès des auditoires canadiens.
Beaucoup d'intervenants participent au financement de la création et de la production cinématographique et télévisuelle. Chacun de ces participants examine le contenu de chaque projet à chaque étape. Les diffuseurs examinent le contenu pour s'assurer qu'il ne contrevient pas au code volontaire pour la programmation du Conseil canadien des normes de la radiotélévision. Les distributeurs examinent le scénario des longs métrages pour s'assurer qu'ils seront en mesure de présenter le film dans les salles de cinéma. Les investisseurs, comme Téléfilm Canada ou le Fonds indépendant de production, examinent le contenu pour s'assurer que le projet est une initiative qu'ils souhaitent financer et sur laquelle ils veulent apposer leur logo.
Il importe de garder à l'esprit que toutes les parties — les producteurs, les distributeurs, les diffuseurs et Téléfilm — connaissent le domaine. Ils savent comment lire et évaluer un scénario. Il est inutile d'examiner davantage le contenu et en fait, ce serait porter préjudice au processus créatif.
Il est incroyablement difficile de faire un film au Canada. Il peut s'écouler des années entre l'idée originale de l'auteur et le début de la production d'un film. Il y a de nombreuses raisons à cela, qui ont trait à la création et à la dimension commerciale. Mais je peux vous assurer qu'une fois que vous avez rédigé un scénario qu'un producteur veut produire, qu'un réalisateur veut diriger et que des acteurs veulent jouer, vous avez accompli une tâche herculéenne.
Le fait d'ajouter un autre obstacle à ce travail difficile en demandant à l'auteur d'essayer de deviner, avant même de commencer à écrire, combien de violence pourrait être jugée excessive ou gratuite par le gouvernement de l'heure, ou si un bureaucrate, qui se trouve complètement à l'extérieur du processus de création, jugera que la sexualité dépeinte est assez éducative pour être acceptable, tout cela donne l'impression de recevoir le baiser de la mort.
Ce que l'auteur s'efforce de faire, c'est de puiser au plus profond de lui-même pour pondre une histoire humaine qui branchera l'auditoire, pour le faire rire, ou pleurer, l'enthousiasmer, l'horrifier, le rendre triste, ravi, furieux. Ajouter un autre niveau de contrôle sur le talent artistique que ce travail exige donne à l'auteur le goût d'abandonner complètement.
La création télévisuelle est différente de la création cinématographique. Avant même de commencer à émettre une idée pour un feuilleton télévisé, un scénariste intelligent essaiera de savoir quel genre de matériel recherchent les diffuseurs. Veulent-ils une émission avec des flics pour un créneau à 22 heures, un téléroman pour un créneau à 20 heures, des comédies ou des dramédies? À la télévision, les scénaristes commencent par façonner leur créativité autour des besoins et des exigences des télédiffuseurs. Ensuite, ils façonnent leur travail autour des besoins et des exigences des producteurs, des réalisateurs, des acteurs, des directeurs artistiques et des monteurs, tout en essayant de s'accrocher solidement à la vision créatrice qui les a d'abord inspirés.
Ajouter d'autres lignes directrices par-dessus cela est étouffant et totalement inutile. Les télédiffuseurs éliminent déjà ce que la plupart des gens considèrent comme de la violence gratuite ou excessive et de la sexualité explicite.
Les lignes directrices proposées donneront aux groupes d'intérêts spéciaux le pouvoir de dicter quels films et quelles émissions de télévision vous et moi pourrons regarder. Je n'ai pas la prétention de dire à quiconque quel genre de programme devrait être fait. Une fois qu'il est fait, si je ne l'aime pas, je ne le regarde pas. Je ne vois pas pourquoi les goûts de certains groupes d'intérêts auraient préséance sur les miens.
L'art est fait par des gens créatifs qui ont la liberté d'exprimer les choses qui les passionnent. Le gouvernement ne peut pas dicter ce qui est de l'art et ce qui ne l'est pas en se cachant derrière des mots comme « acceptable » ou « excessif ». L'histoire de la censure nous a appris qu'elle ne fonctionne pas. L'art se fait un chemin à travers l'oppression et finit par la faire éclater. Sans les crédits d'impôt, les projets ne seront pas réalisés et les voix créatrices des scénaristes du Canada seront réduites au silence.
Nous vous prions d'empêcher cela. Nous demandons aux sénateurs d'éliminer les dispositions du projet de loi C-10 qui permettent au gouvernement de refuser des crédits d'impôt aux projets jugés contraires à l'ordre public. Comme Mme Parker l'a dit, nous appuyons l'amendement au projet de loi C-10 proposé par les producteurs.
Le président : Merci, Mme Schechter et Mme Parker, pour vos exposés. Ils sont instructifs.
Sarah Polley, actrice, réalisatrice et auteure, Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists (ACTRA) : Je m'appelle Sarah Polley et je suis actrice et cinéaste. Je suis accompagnée aujourd'hui par Wendy Crewson, une actrice reconnue au Canada et aux États-Unis qui, comme moi, a décidé consciemment de vivre et de travailler au Canada. Nous sommes ici au nom de l'ACTRA, syndicat national représentant plus de 21 000 artistes de langue anglaise qui travaillent dans le domaine du cinéma, de la télévision, de la radio, de l'enregistrement sonore et des nouveaux médias.
Cet effort peu subtil qui vise à censurer notre travail révolte et inquiète les artistes canadiens. Cela fait des décennies qu'un enjeu provoque une réaction aussi vive et viscérale chez les membres de l'ACTRA partout au Canada. Nous sommes unanimes à dire que les dispositions du projet de loi C-10, qui permettent au ministre du Patrimoine canadien de refuser rétroactivement des crédits d'impôt à des productions jugées offensantes ou contraires à l'ordre public, sont dangereuses et inacceptables.
Le Sénat étant la Chambre du second examen objectif, nous faisons appel à vous et à tous les sénateurs pour éliminer les dispositions en cause de ce projet de loi.
Cet effort de censure nous inquiète pour un certain nombre de raisons. Premièrement, comme vous l'avez entendu, cette mesure jettera un froid sur la production sur le plan du financement. Avec l'incertitude ainsi créée, les banques hésiteront à fournir un financement pour couvrir les crédits d'impôt. Les banquiers éviteront toute œuvre osée ou sujette à controverse s'il y a un risque quelconque qu'il manque un élément clé de la structure globale de financement.
J'ai entendu à maintes reprises, par suite des critiques que nous avons faites à l'égard du projet de loi, que nous sommes libres de faire tous les films que nous voulons, mais avec l'argent des investisseurs privés. Malheureusement, cette suggestion ne tient aucunement compte de la réalité. Chaque émission télévisée et chaque production cinématographique canadienne à laquelle chacun d'entre nous a participé a bénéficié d'un financement public. Lorsque vous dites aux artistes d'utiliser des fonds privés, vous nous dites essentiellement de quitter le Canada si nous voulons faire une œuvre qui pourrait être jugée comme suscitant la controverse.
Wendy Crewson, actrice, Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists (ACTRA) : Selon nous, la liberté d'expression est au cœur de cette question. L'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies dit : « Tout individu a droit à la liberté (...) d'expression », ce qui implique le droit de chercher, de recevoir et de répandre des idées par quelque moyen d'expression que ce soit.
La Loi sur le statut de l'artiste du Canada précise que la politique du Canada sur le statut professionnel de l'artiste repose sur plusieurs droits, y compris « le droit des artistes et des producteurs de s'exprimer et de s'associer librement ».
Je suis certaine que le comité connaît bien ces paroles sans équivoque de la juge en chef Beverley McLachlin :
Au nombre des droits les plus fondamentaux que possèdent les Canadiens figure la liberté d'expression. Celle- ci rend possible notre liberté, notre créativité ainsi que notre démocratie, et ce, en protégeant non seulement l'expression qui est bonne et populaire, mais aussi celle qui est impopulaire, voire offensante. Le droit à la liberté d'expression repose sur la conviction que la libre circulation des idées et des images est la meilleure voie vers la vérité, l'épanouissement personnel et la coexistence pacifique dans une société hétérogène composée de personnes dont les croyances divergent et s'opposent. Si nous n'aimons pas une idée ou une image, nous sommes libres de nous y opposer ou simplement de nous en détourner. En l'absence de justification constitutionnelle suffisante toutefois, nous ne pouvons empêcher une personne de l'exprimer ou de la présenter, selon le cas.
Les Canadiens sont tolérants. Ils n'exigent pas la conformité ou l'uniformité. Au contraire, ils célèbrent leurs différences. Les artistes ont la profonde conviction que toute mesure qui restreint leur liberté d'expression, comme le fait le projet de loi C-10, est à la fois antidémocratique et intensément contraire à l'esprit canadien.
Nous estimons que les lois et règlements actuels sont suffisants. Les projets financés dans le cadre du programme de crédit d'impôt doivent respecter des codes appliqués par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision ainsi que divers articles du Code criminel relatifs à l'obscénité, à la pornographie juvénile et aux propos haineux.
La ministre du Patrimoine a promis de tenir des consultations au sujet des lignes directrices, mais cette promesse est loin de réconforter les artistes. Le projet de loi confère à la ministre actuelle et à ses successeurs, des pouvoirs subjectifs et, quelles que soient les promesses, ce sont eux qui les exerceront.
Mme Polley : Nos artistes les plus connus dans le secteur canadien du cinéma et de la télévision — David Cronenberg, Atom Egoyan, Anne Wheeler, par exemple — produisent des œuvres sombres et controversées. Tout le monde le sait. Le Canada est bien connu pour la production de ce genre d'oeuvres. En fait, c'est à ce genre de films qu'on doit notre réputation internationale dans l'industrie cinématographique.
C'est le propre de l'artiste de provoquer et de lancer des défis. Être artiste dans la société signifie qu'on est responsable, en partie, de créer des œuvres qui vont inspirer le dialogue, inciter les gens à remettre en question des valeurs de longue date, quitte effectivement à choquer parois. Il est vital que certains artistes repoussent les limites, provoquent et, parfois, nous mettre légèrement mal à l'aise. Ces moments de remise en question de nos valeurs bien ancrées et de nos codes moraux font partie de l'expérience humaine. C'est le travail essentiel de l'artiste.
Tout au long de l'histoire, les attitudes sociales ont changé parce que des artistes ont eu le courage de remettre en question les conventions et de nous demander de voir le monde autrement. Nous ignorons si les attitudes sociales changeront dans les années à venir. Toutefois, les artistes, s'ils sont libres de créer sans ingérence de l'État, seront à l'avant-garde de ce changement.
Mme Crewson : À vrai dire, le milieu de la création est fragile au Canada. Il faut se battre pour faire entendre sa voix noyée dans la vague de la culture pop américaine qui envahit l'écran, petit et grand, la librairie, la scène et les ondes radio.
Chaque année, nous perdons un peu plus de financement et de protection. Les artistes du Canada — les auteurs, réalisateurs, acteurs, danseurs, musiciens, peintres et poètes — ne sont ni riches, ni célèbres. Ce sont des gagne-petit. Toutefois, ils savent que leur travail est important, ils le font avec passion et conviction et ils sont capables de le faire grâce à leur liberté d'expression. Ils vous demandent de les aider à arranger le projet de loi à l'étude.
Brian Anthony, directeur général et chef de la direction, Guilde canadienne des réalisateurs : J'ai promis de ne pas parler trop longtemps et, étant donné le peu de temps dont nous disposons, je vais réduire de moitié ce que j'avais prévu de dire.
Le président : Vous êtes vraiment un Canadien magnifique!
M. Anthony : Je vais recevoir ma médaille de l'Ordre du Canada par le courrier? Je vous remercie.
[Français]
Monsieur le président, je vous remercie de cette occasion fort appréciée de comparaître devant vous dans le cadre de votre examen du projet de loi C-10.
[Traduction]
La Guilde canadienne des réalisateurs est une organisation syndicale nationale représentant plus de 3 800 professionnels clés des services artistiques et logistiques de l'industrie cinématographique, télévisuelle et des nouveaux médias du Canada. Son rôle est de protéger et de promouvoir les intérêts économiques et professionnels de ses membres, et elle s'efforce d'atteindre ses objectifs par le biais d'une variété de programmes.
[Français]
Les membres de la guilde jouent un rôle vital dans ce qui s'avère une industrie fort importante au Canada. En effet, en 2006-2007, la production cinématographique et télévisuelle a généré des retombées économiques frôlant 5 milliards de dollars ainsi que 126 900 emplois à plein temps. En tout, cette année, 9090 heures de programmation télévisuelle canadienne ont été produites en plus de 96 longs métrages destinés au grand écran.
[Traduction]
Le projet de loi C-10 comporte deux dispositions que nous accueillons favorablement, soit l'admissibilité au crédit d'impôt de certains frais liés au développement de scénarios, ainsi que la transparence qui découlera de la publication des détails concernant les bénéficiaires du programme de crédit d'impôt.
Cependant, nous sommes d'avis que le fait d'accorder, par voie législative, le droit au ministre du Patrimoine canadien de refuser à toute production jugée « contraire à l'ordre public » une certification aux fins d'admissibilité au crédit d'impôt s'avère tout à fait inacceptable. Nos préoccupations se situent à deux niveaux : D'abord, cela risque d'avoir un effet modérateur sur l'expression artistique; ensuite, chose peut-être encore plus importante, l'incertitude ainsi créée en viendra à décourager les investissements dans un secteur déjà sous-financé. Nous avons déjà entendu des commentaires à cet effet. C'est pourquoi, honorables sénateurs, nous recommandons vivement que cette disposition soit retranchée du projet de loi.
[Français]
C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : Je vous remercie de ces excellents exposés. Toutefois, il est question aujourd'hui de la Loi de l'impôt sur le revenu et de ses dispositions.
Le 9 mars 2001, Stephen Waddell, de l'ACTRA Performers Guild; Maureen Parker, qui est ici aujourd'hui, de même que Alan Goluboff, de la Guilde canadienne des réalisateurs, ont reçu une lettre de Leonard Farber et de Jean- François Bernier, de la Division de la législation de l'impôt. Voici ce que dit la lettre :
Comme vous le savez, dans le budget de février 2000, le gouvernement a annoncé qu'il projetait de simplifier les règles à l'égard du crédit d'impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne. À cet égard, vous trouverez ci-joint la proposition générale visant ces changements. Si vous souhaitez faire des observations, nous vous saurions gré de nous les communiquer avant la fin d'avril 2001. Vous pouvez les adresser au ministère des Finances, à l'adresse ci-après. Entre-temps, si vous avez des questions, n'hésitez pas à communiquer avec Robert Soucy, du ministère du Patrimoine canadien, ou Ed Short, du ministère fédéral des Finances...
La même lettre a été envoyée aux trois organismes. Dans les documents concernant la politique gouvernementale, à la page 12, sous autres modifications techniques, on pouvait lire :
Les critères existants de « politique gouvernementale » et de « part acceptable des revenus » aux fins du crédit d'impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne qui figurent actuellement dans le projet de règlement seront intégrés à la loi. Le ministère du Patrimoine canadien doit élaborer des lignes directrices concernant la façon dont ces critères seront appliqués.
Tous les organismes ont reçu ces documents. Y avez-vous répondu?
Mme Parker : Puisque je suis la seule présente aujourd'hui, je suppose que c'est à moi de répondre. Pour être tout à fait franche avec vous, je ne m'en souviens pas. Je reçois beaucoup de correspondance, tant du gouvernement que d'autres organismes.
Nous avons travaillé de concert avec le gouvernement à deux aspects du projet de loi dont vous a parlés mon collègue, Brian Anthony, soit la transparence pour ceux qui reçoivent le crédit d'impôt, un aspect crucial, et faire en sorte que la rédaction des scénarios est incluse dans le crédit.
Je n'ai jamais discuté avec des fonctionnaires de Patrimoine canadien ou du BCPAC de lignes directrices relatives au crédit d'impôt.
Le sénateur Tkachuk : Ce document était important. Daté du 9 mai 2002, il décrivait les propositions visant à simplifier le crédit d'impôt faites par le ministère des Finances et le ministère du Patrimoine canadien. Il concernait directement vos membres.
Monique Lafontaine, avocate générale et directrice des affaires réglementaires, Guilde canadienne des réalisateurs : Pour reprendre les propos du sénateur Fox de tout à l'heure, nous sommes constamment préoccupés par la mesure législative qui est à l'étude aujourd'hui. L'essentiel est de savoir quel sera l'effet du projet de loi C-10 sur l'industrie.
Il y a eu un changement de la garde à la Guilde canadienne des réalisateurs, c'est-à-dire qu'elle a une nouvelle équipe de direction qui est extrêmement préoccupée, comme nous l'avons affirmé aujourd'hui et antérieurement, par les répercussions du projet de loi. Par conséquent, ce qui est survenu en 2002, 2001 et 1995 est de l'histoire ancienne pour nous. Il faut se concentrer sur ce que nous avons devant nous et penser en termes d'avenir.
Le sénateur Tkachuk : Je souscris à cette façon de voir et je comprends votre préoccupation. Je ne doute pas de votre sincérité. Vous avez tous parlé avec passion de liberté d'expression, de censure et de survie de l'industrie.
Pourtant, vous avez tous reçu cette lettre, de même que les propositions qui ont servi de fondement au projet de loi à l'étude aujourd'hui. Ces documents sont à la base des changements à l'étude. Nul n'y a répondu.
Mme Parker : Nous y travaillons de concert avec le BCPAC. Je tiens à être très claire au sujet de cette participation. J'ai eu des discussions au fil des ans avec M. Soucy au sujet des deux modifications déjà mentionnées et d'un document portant sur les lignes directrices relatives au contrôle des producteurs. M. Soucy n'a jamais même abordé avec moi la teneur de ces lignes directrices.
Vous pouvez me citer tous les documents que vous avez en main, mais je vous assure que je n'ai jamais eu de pareille conversation. Je vous dis que la personne payée par le ministère du Patrimoine canadien, à l'emploi du gouvernement, n'a jamais parlé avec nous de lignes directrices concernant le contenu.
Quoi qu'il en soit, et je tiens à faire miens les propos de ma collègue, Mme Lafontaine, il nous tout à fait indifférent de savoir qui a soulevé la question — quel parti politique, à quel moment et sur quelle tribune.
Je suis vos audiences depuis deux semaines, manifestement en tant que porte-parole de la Writers Guild of Canada, mais également en tant que contribuable, et il est troublant de voir qu'on ne parle que de politique. En réalité, le projet de loi que nous avons en main ne sera pas efficace et il nuira à une industrie qui contribue beaucoup d'emplois à notre économie, c'est-à-dire une industrie culturelle.
Il faut prendre du recul. Je ne souhaite pas me mêler de politique. Je tiens à dire que le projet de loi à l'étude nuira à notre industrie et qu'il faut examiner la loi à l'étude.
M. Anthony : Pour en revenir à ce qu'a dit le sénateur Tkachuk, ma collègue, Mme Lafontaine, travaille pour la guilde depuis deux ans alors que j'y suis depuis moins de six mois. Par conséquent, nous n'avons pas toute l'information dont vous parlez au bout des doigts. Toutefois, j'irai aux renseignements, j'examinerai tous nos dossiers et je verrai ce que nous avons répondu. Quoi qu'il en soit, c'est le présent qui nous préoccupe, plutôt que de savoir comment nous en sommes arrivés là.
Le sénateur Tkachuk : Il me préoccupe également, mais je tenais à souligner qu'une mesure aussi fondamentale pour vos membres n'a pas retenu l'attention, n'a pas été traitée et qu'on n'a pas répondu de manière professionnelle à ces lettres. Par là, j'entends qu'un représentant de vos membres aurait dû rédiger un document officiel et l'envoyer au gouvernement pour dire que cet aspect particulier du projet de loi vous préoccupait. Ce fut le silence total.
M. Anthony : Je n'en suis pas si sûr.
Le sénateur Tkachuk : Si vous avez les documents, je serais ravi que vous les déposiez auprès de notre greffière. Je tente de réunir le plus d'information possible au sujet de cette question, tout comme vous.
Comme je l'ai souligné tout à l'heure, le document était volumineux et intimidant. Le scandale m'a surpris tout autant que bon nombre d'autres membres de la classe politique présents dans la salle. Je suis content que vous ayez attiré notre attention sur la question — les audiences en sont d'autant plus intéressantes —, mais ce qu'il faut en retenir, c'est qu'il n'y a rien là de nouveau. Je tiens à ce qu'on me comprenne bien.
Sachant ce que nous savons au sujet du règlement en vigueur depuis 1995...
M. Anthony : Il n'est pas en vigueur.
Le sénateur Tkachuk : D'après le ministère des Finances, les crédits sont administrés en fonction de ces lignes directrices depuis 1995 et, depuis 2005, comme si la modification était vraiment en vigueur. De quelle façon le projet de loi à l'étude est-il différent, sur le plan de l'application, par rapport à ce qui s'est fait jusqu'ici? Cette information nous serait fort utile.
Mme Schechter : Durant toute cette période, le BCPAC a évalué les crédits d'impôt en fonction du coût de la main- d'œuvre, de l'emploi et du budget. Nul au BCPAC, au service de certification de l'audiovisuel, n'a jamais, que je sache, lu un de mes scénarios ou visionné un de mes films pour décider si j'avais droit au crédit d'impôt. On procède en fonction de chiffres et de mesures objectives.
Ce que nous réclamons en fait, c'est le maintien du statu quo — car nous prévoyons que cette façon de faire va changer. La mesure législative proposée, par conséquent, n'a jamais été appliquée.
M. Anthony : Je vais en parler brièvement, puis je vais demander à ma collègue, Mme Lafontaine, notre avocate générale, de vous parler de l'entrée en vigueur de cet article particulier du projet de loi.
Le sénateur Tkachuk affirme que la modification a été appliquée comme si elle était en vigueur. Toutefois, dans les faits — et je crois que le sénateur Moore a réussi à le faire dire aux fonctionnaires l'autre jour quand il essayait de cerner l'ampleur du problème —, ces fonctionnaires ont reconnu que seulement deux productions avaient posé problème durant tout ce temps, une en 2002 et une autre en 2007.
D'après ce que j'en sais — et vous devriez interroger la ministre et ses fonctionnaires à ce sujet quand ils reviendront —, ces productions ont été rejetées en raison de leur contenu pornographique, non pas à cause de cette vague disposition relative à la politique gouvernementale dont nul ne sait que faire.
En réalité, elle n'a pas été appliquée; elle dort sur une tablette. L'élément nouveau, c'est qu'on nous a promis, comme le sénateur Moore l'a dit tout à l'heure, lors d'un événement auquel ma collègue a assisté l'an dernier, qu'il y aurait une consultation préalable, en octobre je crois, avant l'entrée en vigueur de cette disposition, avant qu'elle fasse partie de la loi; voilà ce qui est différent.
Ce qui est également nouveau, c'est que la ministre du Patrimoine canadien nous avait indiqué à l'origine que cette disposition législative était de nature simplement administrative, qu'elle visait uniquement à arrimer la Loi de l'impôt sur le revenu, dans la mesure où elle concerne les productions cinématographiques et télévisuelles, au Code criminel. Cependant, lors de sa comparution, elle a déclaré qu'elle vise également d'autres genres de contenu pour lesquels un soutien de l'État est clairement inacceptable. Lorsqu'elle a été interrogée, tel que j'ai interprété ses propos, elle a affirmé que les mesures visent d'autres genres de contenu qui ne sont pas simplement illégaux, mais illicites et immoraux. C'est à ce moment que l'industrie a commencé à s'inquiéter.
Mme Lafontaine : Je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce que vient de dire M. Anthony, car j'estime qu'il résume assez bien la situation. Toutefois, le règlement n'a jamais été appliqué; il s'agissait uniquement d'un projet de règlement. Aucune disposition législative n'a jamais été adoptée pour dire que la ministre avait carte blanche pour décider des productions cinématographiques ou télévisuelles qui seraient financées par le BCPAC.
Il importe également que le comité se souvienne qu'il n'y a jamais eu adoption d'une disposition législative qui l'autorisait. Voilà qui nous a grandement préoccupés; la ministre disposera d'un tel pouvoir que, d'un simple coup de crayon, elle pourra interdire le financement d'une production sous le régime du BCPAC.
Pour reprendre ce qu'a dit mon collègue, M. Anthony, tout le processus nous laisse perplexes, et nous ne comprenons pas pourquoi il est si urgent de faire cette modification, alors qu'il n'y a jamais vraiment eu de problème quant au genre de productions financées depuis la création du BCPAC. Les deux productions problématiques étaient une exception. Nous ne comprenons donc pas pourquoi il faudrait conférer un aussi grand pouvoir à la ministre pour régler un problème en fait inexistant.
Le sénateur Johnson : Il est très utile de tous vous rencontrer aujourd'hui et d'avoir ce genre de discussion sur la vie culturelle canadienne.
Je ne crois pas que nous soyons ici pour discuter du passé ou de l'avenir; nous devrions nous consacrer, selon moi, au document à l'étude actuellement, et régler le problème. Le problème a fait vibrer une corde sensible au Canada — non seulement dans le milieu artistique, mais chez tous ceux qui soutiennent les arts ou qui organisent des festivals, comme je le fais dans le Manitoba rural, pour permettre aux Canadiens d'apprécier les arts et le cinéma canadiens.
Chers collègues du Comité des banques, le projet de loi à l'étude modifie peut-être la Loi de l'impôt sur le revenu, mais il nous incombe aussi, en tant que sénateurs et membres d'une chambre de seconde réflexion, d'examiner cette mesure législative perçue par la majorité comme étant mauvaise. Savoir si c'est le cas et ce qui s'est fait dans le passé, tout cela est sans rapport.
Je suis enchantée que cette question soit abordée et que nous puissions discuter ouvertement de ce qui se transformera en discussions de plus grande portée sur toute la situation des arts au Canada. Cela fait plusieurs années que j'essaie d'avoir cette discussion au Sénat, et je pense que cette question peut favoriser la situation, et même l'aider beaucoup. Je vous suis reconnaissante d'être venue, et mes collègues savent tous ce que j'en pense. Ce sont les arts qui mènent — les populations à venir ne feront pas de fouilles pour en sortir des ordinateurs. Elles feront des fouilles pour en sortir des peintures, des écrits et toutes les choses que les artistes de notre époque auront faites.
Cela dit, de nombreux sénateurs ici et moi-même appuyons les arts, et je sais que la ministre travaille très fort pour trouver une solution.
En quelques mots, que recommandez-vous à notre comité de faire?
Mme Parker : La Writers Guild of Canada appuie l'amendement présenté aujourd'hui par l'association des producteurs. C'est une solution rapide, franche, et nous l'appuyons. Elle supprime les lignes directrices et toute référence à ces dernières. Elle apporte simplement la nuance selon laquelle l'ordre public doit s'harmoniser au Code criminel.
Nous l'appuierions sans réserve.
Mme Polley : Pour être précise, votre comité peut recommander de modifier la partie 2 du projet de loi, l'article 120 : supprimer l'alinéa 120(3)b), le paragraphe 120(12) et le sous-alinéa 120(16)a)(ii).
Le sénateur Johnson : Parfait. C'est ce que je voulais entendre.
M. Anthony : Madame le sénateur, nous voulons prendre en délibéré la proposition de l'ACPFT de façon à ce que ma collègue avocate et moi-même puissions y jeter un coup d'œil. Nous sommes ici pour établir le point de principe suivant : que la ministre ne devrait pas jouir de pouvoirs subjectifs discrétionnaires absolus après le fait pour trancher des questions.
Les critères d'admissibilité doivent venir au début. Si cela veut dire qu'il faut mettre de la clarté dans le cadre réglementaire concernant le recours à la Loi de l'impôt sur le revenu aux fins des productions cinématographiques et télévisuelles, alors nous serions heureux de nous engager dans de telles discussions.
Le président : Monsieur Anthony, vous avez fait valoir ce point. Une fois que vous et votre collègue avocate aurez terminé votre prise en délibéré, allez-vous laisser le comité savoir si vous pouvez appuyer ces amendements? Ils sont passablement clairs, précis et utiles pour le comité.
M. Anthony : C'est ce que nous allons faire, monsieur.
Mme Schechter : Je suis d'accord avec Mme Parker.
Le sénateur Johnson : Madame Polly, pouvez-vous dire au comité pourquoi il y a un problème à amasser des fonds pour les films canadiens.
Mme Polley : Plus précisément, je parlais d'amasser des fonds de source privée pour des films canadiens.
Le sénateur Johnson : Je sais. Pourquoi est-ce que ce problème perdure? Vous connaissez tellement de succès.
Mme Polley : En toute franchise, je ne pense pas que la principale préoccupation de toutes les personnes ici aujourd'hui est qu'il n'y a pas davantage de fonds de source privée pour les films, quoique ce serait bien. Au contraire, nous nous estimons tous très, très chanceux et heureux de travailler dans un système qui dépend principalement de fonds publics. Une forme de liberté créatrice et d'organisme est rendue possible grâce aux fonds publics, ce qui n'est pas possible dans un régime privé. C'est la raison pour laquelle la plupart d'entre nous choisissent de travailler au Canada plutôt qu'aux États-Unis.
Voilà pourquoi ces dispositions constituent pour nous des menaces. Elles mettent en évidence la raison pour laquelle nous sommes si reconnaissants d'avoir les fonds publics. Cet argent nous permet de créer des œuvres qui sont controversées et qui sont provocantes, ce qui n'est pas possible lorsque les fonds proviennent d'une source privée.
Ce serait magnifique d'avoir une autre source de financement pour les films — ce serait fantastique — mais, en bout de ligne, mon choix serait toujours d'utiliser les fonds publics plutôt que les fonds privés, et c'est pour cette raison que pour la plupart, nous restons au Canada pour continuer notre travail.
Le sénateur Johnson : Merci.
Le président : Madame Crewson, et madame Polley, je ne sais pas si vous savez que nous avons notre propre vedette ici, au Sénat, qui est sensible à toutes ces questions et qui est créatrice.
Sénateur Banks, voici l'occasion pour vous de nous montrer ce dont vous êtes capable.
Le sénateur Banks : Merci, monsieur le président. C'était il y a bien longtemps.
Le président : Non, monsieur, je vous ai vu récemment à l'œuvre.
Le sénateur Banks : En guise de divulgation, je devrais dire que je suis un membre de l'ACTRA.
Le président : Je peux supposer que vous en êtes fier. Vos cotisations sont-elles payées?
Le sénateur Banks : Elles le sont. Je ne suis pas un membre émérite. Je suis également membre de l'Académie canadienne du cinéma et de la télévision. J'avoue que je suis du côté des arts qui offensent, comme on l'a dit plus tôt, parce que si l'art ne peut pas le faire du fait qu'il n'en a pas le droit, alors nous devrions tous nous en aller.
S'il y a un gorille de 900 livres dans la pièce, d'après un grand nombre de Canadiennes et Canadiens, il devrait y avoir de la place entre avoir carte blanche d'une part, et contrevenir au Code criminel, d'autre part. Un grand nombre de Canadiens, et nous en avons entendu quelques-uns hier, disent que le Code criminel comme tel ne devrait pas être la seule mesure pour déterminer si une production reçoit un soutien public, un financement public, des subventions, des crédits d'impôt ou peu importe.
De plus, de temps à autre, ils lisent et voient des choses sur des productions qui sont offensantes à leur goût et qui ont reçu le crédit d'impôt. Nous savons tous qu'il est impossible de légiférer le goût. Y a-t-il du jeu entre ne pas se retrouver en prison comme étant la marque d'un bon goût, et recevoir des fonds publics sous quelque forme que ce soit comme étant la marque de mauvais goût? Existe-t-il un tel jeu?
Vos observations jusqu'à maintenant indiquent qu'il n'y a pas un tel jeu parce que vous laissez entendre que les critères devraient être ce que l'on retrouve dans le Code criminel, une infraction à l'encontre de laquelle rien de ce qui précède serait pris en considération. Existe-t-il une autre mesure?
Mme Schechter : Si vous permettez que je commence, nous ne disons pas que le soutien public devrait être accordé à n'importe quoi. Il n'en demeure pas moins que le soutien public prend diverses formes pour notre industrie, et la plupart de ces formes comportent des mécanismes de contrôle du contenu qui y sont intégrés. Cependant, le crédit d'impôt est la seule forme qui ne comporte pas un tel mécanisme.
Le sénateur Banks : C'est la forme de financement qui survient à la fin de la production.
Mme Schechter : Oui, mais il est également essentiel au début parce que la promesse d'obtenir un tel crédit permet aux producteurs d'obtenir leur dernière tranche de 10 p. 100 du financement.
Ils ne parviendront pas à la dernière tranche de 10 p. 100 sans passer par tout un contrôle et une évaluation du goût de la part de personnes qui sont les protecteurs du système et des fonds publics qui arrivent par le truchement d'autres mécanismes comme le Fonds canadien de télévision, la SRC, les radiodiffuseurs, Téléfilm et le Fonds indépendant de production.
Ce n'est pas nécessaire, c'est de l'obstruction, et cela va déstabiliser l'industrie dans la formule du crédit d'impôt. Nous ne disons pas qu'il faut carte blanche, car cela n'existe tout simplement pas.
M. Anthony : Le sénateur Tkachuk a dû quitter, mais il a soulevé un point important avant de partir. Il nous a rappelé que nous avons affaire à la Loi de l'impôt sur le revenu. Nous devons faire une distinction entre les deux formes de financement que le gouvernement fédéral offre : le financement direct, et des programmes de subventions et de contributions, qui sont très subjectifs dans le processus décisionnel. De plus, il y a un soutien indirect du fait du recours à un régime fiscal, en l'occurrence la Loi de l'impôt sur le revenu, qui doit être assortie de la plus grande objectivité et visibilité.
Nous sommes à la période des impôts. Nous présentons tous nos déclarations de revenus et, comme vous le savez, si les contribuables ont des reçus délivrés par des œuvres de bienfaisance enregistrées, alors ils sont en mesure de faire le calcul automatiquement de façon à inclure ces reçus à leur déclaration de revenus aux fins de l'impôt. Ils le font et ils reçoivent cela. La même chose se produit avec le programme de crédit d'impôt pour les productions cinématographiques et télévisuelles.
Si vous introduisez un niveau de subjectivité et d'incertitude après le fait, tout le système s'écroule. Il faut aussi se rappeler que ce crédit est un rabais au titre de la main-d'œuvre, aux chapitres des salaires et du traitement. Il n'a rien à voir avec le contenu. Il y a d'autres mécanismes en place pour s'occuper des aspects de contenu que le sénateur Banks a soulevés. J'espère, sénateur Banks, que cela répond en partie à votre question.
Mme Parker : Puis-je ajouter un dernier élément? Il est important de terminer en disant qu'au Canada, nous avons besoin de divers outils. Nous avons besoin d'investissements directs et d'investissements indirects. Vous pourriez vous demander pourquoi tout ce tapage au sujet d'outils qui ne procurent que 10 p. 100 du budget de production. Au Canada, nous avons besoin de cet outil pour réaliser des productions cinématographiques et télévisuelles dispendieuses. En passant, nos budgets ne sont qu'une fraction de ce que l'on trouve aux États-Unis.
Vous pourriez vous demander pourquoi nous présentons moins d'action sur nos écrans. C'est parce que cela coûte de l'argent, et nous ne l'avons pas.
Une heure de télévision correspond à 1,4 million de dollars. C'est la moyenne, un épisode vaut 1,4 million de dollars. Vous pouvez donc constater que 10 p. 100 c'est important. Il n'existe aucun autre mécanisme dans notre industrie pour cet élément essentiel. Voilà pourquoi cette tranche de 10 p. 100, tant le financement direct qu'indirect, est tellement essentielle pour nous.
Des changements à ce financement auraient une incidence vraiment catastrophique pour nous.
Le sénateur Banks : Je vais poser une question à Mme Polley. Hier, nous avons entendu des témoignages de personnes qui ont dit qu'il ne convient pas qu'une industrie dépende du financement public et existe principalement en raison de ce financement.
Vous avez dit aujourd'hui que cette industrie existe principalement en raison du financement public. Je voulais vous donner l'occasion de dire dans le compte rendu pourquoi il devrait en être ainsi. Pourquoi devrions-nous avoir quelque chose qui existe uniquement parce que des fonds publics sont donnés, et qui n'existeraient pas autrement.
Mme Polley : Nous sommes les voisins d'une superpuissance et nous sommes continuellement inondés d'images provenant d'un autre pays. Nous avons besoin de faire tout en notre possible pour investir dans notre propre culture de façon à avoir accès à nos propres voix et histoires, et nous sommes en mesure de nous engager dans un dialogue les uns avec les autres. Sans financement public, cette situation n'est pas possible. Je pense que le financement public fait partie de ce qui constitue le tissu de la nation canadienne. C'est essentiel à notre identité, et je pense que dès que nous commençons à perdre un sens de notre identité culturelle, nous perdons un sens de qui nous sommes.
Mme Lafontaine : J'aimerais ajouter quelque chose au sujet du financement, de façon générale, pour les productions canadiennes au Canada. Nous avons besoin du financement public en raison de la taille de notre marché. Le marché canadien est beaucoup trop petit pour pouvoir financer des productions avec des fonds du secteur privé. Aux États- Unis, une émission de télévision peut avoir un auditoire de 20 millions de téléspectateurs. Au Canada, nous sommes chanceux si nous en avons un million.
Tout revient à la question que posait le sénateur Johnson. Nous ne recevons pas de fonds du secteur privé dans notre industrie, parce que ce n'est pas rentable. Ce n'est pas une machine à fabriquer de l'argent. Notre industrie, c'est de créer de l'art canadien et d'avoir une expression culturelle canadienne sur nos ondes et dans nos cinémas. La seule façon d'y parvenir, c'est grâce au financement public. Nous devons décider si nous voulons un secteur de productions cinématographiques et télévisuelles canadiennes.
Le sénateur Baker : Premièrement, je remercie les témoins de leurs excellents exposés ce matin. Deuxièmement, si nous modifions ce projet de loi, il retourne à la Chambre des communes où il a été adopté, dans sa forme actuelle, à l'unanimité, chaque parti politique étant d'accord.
Nous devons procéder à un second examen objectif. Cependant, maintenant les députés disent qu'ils ne savaient pas ce qu'il y avait dans le projet de loi. Vous avez entendu les partis politiques dire qu'ils ne savaient pas ce qu'ils adoptaient. Je ne sais pas comment nous pouvons procéder à un second examen objectif s'il n'y a pas eu au départ un premier examen donné au projet de loi.
Le président : Ça ferait un bon film.
Le sénateur Baker : Ma première question porte sur les témoignages entendus ce matin qui prouvent que le crédit d'impôt n'est pas accordé aux productions pornographiques. Elles sont exclues. Par conséquent, étant donné que cette disposition visera d'autres types de productions, n'êtes-vous pas d'accord qu'elle s'attaquerait aux « Trailer Park Boys » — à Bubbles, Ricky, M. Lahey, à qui l'on voudrait faire boire du thé, et à son adjoint, qu'on veut habiller d'une chemise?
J'ai une deuxième question. La Chambre des communes ne connaissait pas le contenu du projet de loi. Deux partis politiques ont déclaré que s'ils avaient su, ils auraient voté différemment. Les mots « film », « écriture » ou « communauté artistique » n'ont jamais été mentionnés au cours des trois lectures à la Chambre des communes, ni en comité. Vous n'avez pas été convoqués à témoigner, alors que c'est normalement le cas des principaux intéressés qu'un projet de loi touche directement. Même le ministre n'a pas expliqué à la Chambre le contenu de ce projet de loi.
Alors, ne pensez-vous pas qu'il est de notre devoir de modifier les articles contestés de ce projet de loi qui portent sur la censure et de renvoyer celui-ci à la Chambre des communes pour qu'elle l'étudie de nouveau, puisqu'elle ne l'a pas bien fait la première fois?
Des voix : Bravo!
Le président : Je considère cette question tout à fait recevable et je vous invite à y répondre brièvement.
M. Anthony : La plupart d'entre nous pensent que si ce projet de loi était renvoyé à la Chambre, il ferait l'objet du débat qui aurait dû avoir lieu dès le début, et on lui accorderait l'attention nécessaire.
Mme Schechter : Je suis d'accord avec vous, il s'agit d'une attaque directe contre les « Trailer Park Boys ». Toutefois, j'aimerais souligner qu'il y a quelques mois, le Fonds canadien de télévision a organisé une activité à laquelle les « Boys » ont participé et où des représentants de tous les partis ont voulu se faire prendre en photo en leur compagnie.
Le sénateur Spivak : Je n'ai pas de questions, seulement quelques déclarations.
Le président : Nous n'acceptons que les questions.
Le sénateur Johnson : Vous devez en poser une.
Le sénateur Spivak : D'abord, sachez qu'aucun projet de loi ne peut être adopté sans le consentement du Sénat, quoi qu'en pense la Chambre des communes. Quand le projet de loi nous revient, nous pouvons très bien le rejeter.
J'ai deux choses à ajouter. D'abord, heureusement pour le Canada, nous sommes à l'abri des tentatives de plus en plus nombreuses pour faire taire les contestations. Il ne faut jamais altérer le fragile équilibre qui permet la liberté d'expression dans notre merveilleux pays.
Ensuite, on a dit que les contribuables ne devraient pas financer des productions qui, malheureusement, les offensent. Qu'en est-il des sables bitumineux? Et des producteurs de tabac? Je ne suis pas de leur côté, mais nous sommes dans le même pays et nous les appuyons.
Alors faisons fi de l'argument concernant les contribuables. Merci d'être venus.
Le sénateur Corbin : Je prends des notes pour un prochain discours.
Le sénateur Moore : Madame Polley, j'ai cité hier vos propos tels que rapportés par le Globe and Mail récemment. J'aimerais les répéter et vous demander votre avis.
Vous auriez déclaré :
Ce projet de loi menace la liberté d'expression et les fondements financiers de cette industrie. S'il se concrétise, bon nombre d'entre nous auront de la difficulté à trouver des raisons de rester.
En ce qui concerne le projet de loi, vous avez continué en disant :
Il est complètement bancal. Nous ne devrions évidemment pas financer des films excessivement pornographiques ou haineux. C'est logique, et il existe des règles... pour éviter que ça se produise. Cependant, de nombreux éléments n'ont pas fait l'objet d'une étude rigoureuse.
Auriez-vous quelque chose à ajouter?
Le président : Tout d'abord, vous voulez savoir si le Globe and Mail l'a citée fidèlement.
Mme Polley : À la question de savoir s'il devrait y avoir un seuil à partir duquel on serait passible d'emprisonnement, je crois que la réponse est malheureusement et simplement non. C'est là le propre de la liberté d'expression : on peut dire ce qu'on veut, tant ce n'est pas illégal. C'est cela vivre dans une société libre qui permet l'expression artistique.
Si vous avez déjà essayé de trouver du financement pour un film dans ce pays, vous savez que ce n'est pas facile. Nous sommes pris à partie et durement critiqués sur les plans artistique, moral, et créatif. Par conséquent, ce que l'on ne veut pas voir ne se concrétise généralement pas. Je n'ai pas d'exemple de productions qui nous dérangent à ce point. On nous a parlé de deux films, sans les nommer. Par conséquent, nous ne pouvons pas débattre de leur valeur artistique.
Au bout du compte, c'est le prix à payer pour avoir la liberté d'expression. Il y aura toujours des films que nous n'aimerons pas; je ne les apprécie pas tous. Je vois des choses qui me choquent sur les plans politique et moral. Cependant, je préfère en débattre et engager un dialogue, ou bien en faire abstraction, plutôt que de dire que ça ne devrait jamais exister. Je ne donnerais certainement pas au ministre le pouvoir de prendre des décisions à ce sujet.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Moore : J'aimerais vous poser à tous une question que j'ai lancée aux témoins précédents. Robert Soucy, directeur du BCPAC, aurait dit à l'automne dernier qu'Ottawa voulait se montrer plus sélectif dans le financement des produits culturels.
Qu'en pensez-vous?
M. Anthony : Ma collègue a assisté à l'activité en question et serait probablement mieux placée pour vous répondre.
Mme Lafontaine : Oui, j'y étais. Je crois que toutes les positions prises par la Guilde canadienne des réalisateurs à l'égard de ce projet de loi reflètent bien notre point de vue.
Nous nous inquiétons des vastes pouvoirs qui seraient conférés au ministre et qui lui permettraient de refuser que soient financés certains films pourtant légaux. C'est exactement ce que Mme Polley a fait valoir il y a quelques instants. L'idée que le ministre aurait le pouvoir un jour de cibler une production canadienne parce qu'elle pourrait offenser certains nous fait froid dans le dos.
Le sénateur Moore : Pour en revenir à cette déclaration, on a également proposé de mettre sur un pied un comité dont ferait partie le BCPAC. Tout cela me porte à croire qu'on essaie de restreindre la liberté d'expression à laquelle nous tenons tant.
Ça me préoccupe.
Mme Parker : C'est en effet malheureux et je suis convaincue que nous ferons notre possible pour que cela ne produise jamais.
Je suis à tout à fait d'accord avec Mme Polley. Ce n'est pas à nous de déterminer où se trouve la ligne de démarcation entre ce qui est criminel et ce qui est tout simplement dérangeant. C'est pourquoi nous avons le pouvoir de choisir ce que nous voulons voir, à la télévision ou au cinéma.
Le sénateur Moore : Exactement. Hier, nous avons parlé de la participation à l'établissement de lignes directrices. On a dit qu'une trop grande contribution de votre part pourrait être dangereuse. On considère votre perspective comme extrémiste. Je me demande quelle personne ouverte d'esprit pourrait dire une chose pareille.
L'art est ce qui nous différencie des primates. Voudriez-vous nous parler des « dangers » de votre participation? Vous avez probablement lu les témoignages d'hier. J'aimerais vraiment avoir votre opinion là-dessus.
M. Anthony : J'allais justement dire, monsieur le président, que nous sommes des gens dangereux. Certains considèrent en effet les idées créatives comme une menace.
Ce qui est vraiment alarmant ici — et je ne crois pas qu'on comprenne encore vraiment la gravité de la situation —, c'est que le ministre établira des lignes directrices, avec ou sans la participation de l'industrie du film et de la télévision.
Si j'ai bien compris les fonctionnaires, que ce projet de loi soit adopté ou non, des lignes directrices s'appliqueront bel et bien à toutes les subventions et contributions du ministère du Patrimoine canadien. Cette situation aura de profondes répercussions. Le sénateur Fox se souviendra, puisqu'il a déjà été ministre de ce qui est maintenant Patrimoine Canada, alors que j'étais un jeune débutant à son service, qu'il s'agit d'un énorme portefeuille. Si on invoque l'argument de l'intérêt public pour tous les programmes de subventions et de contributions du ministère — et ils sont nombreux —, cela ne touchera pas seulement la communauté culturelle en général, mais également tous les groupes minoritaires de langues officielles, de même que d'autres programmes s'adressant aux minorités. Si on travaille dans cette optique, en appliquant un filtre, on pourrait rencontrer de graves problèmes.
Le président : Le Sénat siégera dans trois minutes. Le sénateur Biron a demandé la parole et j'aimerais lui laisser le temps de s'exprimer. Nous avons donc trois minutes pour écouter sa question et la réponse.
[Français]
Le sénateur Biron : L'activité économique de l'industrie du film est de plusieurs milliards de dollars annuellement et c'est un élément important du produit national brut. L'impact de la création éventuelle d'un organisme de vérification des films suivant des lignes directrices contraires à l'ordre public retardera l'émission de crédits d'impôt et créera un climat d'incertitude économique inacceptable.
L'amendement proposé par l'Association canadienne de production de films et de télévision (ACPFT) permettra-t-il aux organismes tels que les REAL Women of Canada et aux Canadiens qui s'inquiètent des divertissements à caractère violent ou de tout autre organisme de porter plainte s'ils jugent que ces films sont contraires à l'ordre public ou contraires à leur valeur morale?
Mme Lafontaine : Je ne suis pas tout à fait certaine d'avoir compris la question. Est-ce que vous demandez si l'amendement que propose le CRTC permettrait aux organismes...
Le sénateur Biron : ...aux organismes qui jugent que ces films sont contraires à l'ordre public pourraient porter plainte et demander à ce que cela aille devant les juges.
Mme Lafontaine : Pour répondre, comme l'a dit mon collègue plus tôt, on veut évaluer cette proposition pour voir quels seraient les effets sur les productions. Il faudrait évaluer la proposition à la lumière de votre question. Si la loi dit qu'une production, qui va à l'encontre du Code criminel ne devrait pas être financée, ce serait à voir si la production en tant que telle aille à l'encontre du Code criminel. Je pense donc que ce serait plus un enjeu avec le producteur. Mais il faudrait évaluer plus longuement le dossier pour répondre plus précisément à votre question.
[Traduction]
Le président : Je remercie les honorables sénateurs et les témoins des deux groupes. Je crois que nous avons eu encore une fois une discussion et un débat très intéressants. J'espère que vous convenez que le Sénat accorde l'importance qu'il se doit à cette question primordiale. Je vous suis reconnaissant de vous être déplacés.
La séance est levée.