Aller au contenu
BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 16 - Témoignages du 16 avril 2008


OTTAWA, le mercredi 16 avril 2008

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, notamment en ce qui concerne les entités de placement étrangères et les fiducies non résidentes ainsi que l'expression bijuridique de certaines dispositions de cette loi, se réunit aujourd'hui à 16 h 10 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : J'aimerais d'abord souhaiter la bienvenue aux sénateurs et à nos invités, autant ceux qui sont présents dans la salle que ceux qui nous écoutent sur le web ou sur CPAC.

Nous poursuivons aujourd'hui notre examen du projet de loi C-10 et plus particulièrement de la disposition qu'il renferme concernant les crédits d'impôt et les autres aides accordées à la production de films et de vidéos au Canada. Le comité a déjà consacré au sujet plusieurs réunions et nous sommes ravis de poursuivre aujourd'hui notre examen de l'article 120 du projet de loi.

En vertu du nouveau paragraphe 125.4(7), le ministre du Patrimoine canadien serait tenu de publier des lignes directrices sur les circonstances dans lesquelles les conditions énoncées dans la définition de certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne au sens du paragraphe 125.4(1) sont remplies. La définition serait modifiée de façon à stipuler que le ministre du Patrimoine canadien doit aussi attester que le fait d'accorder à la production un soutien financier de l'État ne serait pas contraire à l'ordre public.

Un certain nombre des témoins que nous avons entendus prétendent que cette disposition limiterait la liberté d'expression et aurait des conséquences très négatives sur leur industrie et sur la capacité des artistes d'obtenir des fonds publics essentiels à leur activité.

D'autres encore disent que des dispositions de ce genre sont nécessaires afin que le gouvernement puisse dépenser de façon responsable les deniers publics.

Le rôle qui incombe au Sénat est de faire un examen réfléchi du projet de loi qui s'adonne à être un projet de loi omnibus. Cela signifie qu'il s'agit d'un projet de loi qui renferme des dispositions disparates qui modifient, clarifient ou amendent autrement la Loi de l'impôt sur le revenu et d'autres lois connexes. Par conséquent, il ne s'agit pas d'un projet de loi qui porte uniquement sur les crédits d'impôt accordés à la production cinématographique ou magnétoscopique, ni même un projet de loi qui porte uniquement sur les fiducies non résidentes. Le projet de loi englobe toute une série de mesures jugées nécessaires au fil des ans et présentées en même temps de sorte que c'est un projet de loi complexe et difficile à analyser pour les législateurs.

J'en veux pour preuve, et certains sénateurs l'ont signalé la semaine dernière, que la Chambre des communes l'a adopté très rapidement sans véritable débat ou examen. Cela démontre mieux que jamais l'importance du rôle que doit jouer le Sénat dans le processus législatif.

[Français]

Nous poursuivons notre étude sur le projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, notamment en ce qui concerne les entités de placement étrangères et les fiducies non résidentes ainsi que l'expression bijuridique de certaines dispositions de cette loi, et des lois connexes. Aujourd'hui, nous avons deux témoins; pour commencer, nous aurons deux sessions, premièrement d'ici 17 heures...

[Traduction]

Nous recevons, de la Coalition de l'action pour la famille au Canada, M. Charles McVety, président, et M. Brian Rushfeldt, directeur exécutif. Après avoir entendu ces messieurs, nous recevrons M. John Morgan Lewis, porte-parole de la International Alliance of Theatrical Stage Employees, Moving Picture Technicians, Artists and Allied Crafts of the United States, its Territories and Canada (IATSE).

Nous accueillons par ailleurs Mme Tina Hahn et M. John Christou de Documentaristes du Canada, et M. Jean- Pierre Lefebvre de l'Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec.

Brian Rushfeldt, directeur exécutif, Coalition de l'action pour la famille au Canada : Merci de nous avoir invités à vous faire part de nos commentaires sur le projet de loi C-10. J'ai deux minutes pour exposer deux arguments et je vais donc le faire rapidement et de façon concise.

Je veux vous présenter deux raisons pour lesquelles nous estimons que le Sénat devrait adopter l'article 120 du projet de loi C-10. Je ne suis pas là pour débattre de cette fausse notion voulant que le projet de loi C-10 concerne la censure ou la liberté d'expression, car nous ne croyons pas que ce soit le cas.

Tout d'abord, nous soutenons que les ministres du gouvernement doivent rendre compte des budgets considérables qui se retrouvent dans leurs comptes en banque. Pour bien faire comprendre cet argument, je pose la question suivante : y a-t-il un ministre quelconque du gouvernement qui n'ait pas la responsabilité ou l'autorité relative au budget de son ministère? L'exception serait peut-être la ministre du Patrimoine canadien, lorsqu'il s'agit de financer les arts.

Le président : C'est une question oratoire, bien sûr.

M. Rushfeldt : Oui.

Le président : C'est nous qui allons vous poser des questions.

M. Rushfeldt : Vous me demanderez peut-être pourquoi je pose la question. Cette semaine, le National Post a publié un article sur les 7,5 milliards de dollars que reçoit le secteur des arts. Je ne sais pas si le montant est exact, mais je demanderais si le comité des banques et du commerce sait en fait combien d'argent reçoit le secteur des arts, du cinéma, de la culture et de la télévision. Le Sénat voudrait sûrement que le gouvernement ait à rendre compte de ces milliards de dollars.

La vérificatrice générale a justement publié un rapport sur cette question il y a deux ans, et je crois que vous avez sans doute tous pris connaissance du rapport. La vérificatrice générale faisait état d'un manque de reddition de comptes, de l'insuffisance des rapports, de conflits d'intérêts et d'une foule d'autres questions, et elle formulait des recommandations. Nous n'avons pu trouver aucune réponse ni aucun document indiquant si les problèmes avaient été corrigés.

Si le secteur qui reçoit de l'argent des impôts peut établir lui-même les règles qui déterminent qui sont ceux entre lesquels l'argent est réparti, comment ils l'obtiennent et pourquoi, j'estime qu'il y a là un conflit d'intérêts manifeste. À notre avis, le projet de loi ne va peut-être pas assez loin. Il traite de crédits d'impôt plutôt que de subventions et d'incitatifs, mais ce n'est qu'un début.

L'absence de reddition de comptes et de contrôle de la part de la ministre du Patrimoine canadien pourrait conduire à un autre gâchis ou à un autre scandale des commandites totalisant des milliards de dollars; ou peut-être qu'il s'agira d'un cas de fraude de 7 milliards de dollars dans le secteur des arts, qui sait, si la ministre n'a ni l'autorité ni la responsabilité relativement à ces fonds.

Deuxièmement, la malhonnêteté intellectuelle qui entoure cette question déforme le débat. Les accusations de censure ne sont absolument pas fondées. Il s'agit d'assurer une bonne gestion financière et de savoir qui a l'autorité voulue à cet égard.

J'aimerais faire remarquer au comité qu'il y aurait peut-être lieu de faire enquête sur les films pour lesquels nous avons payé au cours des dernières années. Je ne m'attends pas à ce que vous remontiez 40 ans dans le temps, mais il faudrait certainement examiner ce qui s'est fait au moins au cours des trois ou quatre dernières années. Il faudrait voir quels films ont été financés et s'ils répondaient aux exigences et aux critères, si tant est qu'il y en avait.

Je suis d'accord avec certains des critiques du milieu des arts et des gens qui sont venus à cette table pour dire qu'on ne peut pas accorder des fonds et décider plus tard de les reprendre. Ce n'est ni une bonne politique budgétaire ni une saine gestion financière. Ce serait irresponsable que le gouvernement agisse ainsi. Je suis d'accord pour dire qu'il doit y avoir une méthode qui nous permette d'empêcher que des fonds soient accordés et qu'il faille ensuite les récupérer tout d'un coup.

Pour ce qui est de l'ordre public, je crois que nous sommes rendus à un stade dans la culture et l'histoire canadiennes, où nous devons nous doter d'une définition ou de paramètres acceptables quant à ce qui constitue l'ordre public. Si nous n'y arrivons pas, il y aura peut-être une solution qui rendra tout le monde heureux, et ce serait de cesser tout simplement de financer les arts et la culture. Ce n'est pas ce que je propose, mais si nous n'arrivons pas à nous entendre sur des normes, tout le monde en sera malheureux.

S'il n'y avait aucun financement, je suppose que tout le monde serait heureux. Les contribuables seraient heureux, puisque leur argent ne servirait pas à financer des choses auxquelles ils s'opposent et le milieu des arts ne se plaindrait pas de la censure puisqu'il aurait toute liberté de faire comme bon lui semble puisqu'il ne se servirait pas de l'argent des impôts pour ce faire.

Voilà rapidement les deux raisons pour lesquelles nous aimerions que le Sénat envisage d'adopter le projet de loi C- 10. Comme je l'ai expliqué, je ne suis pas sûr qu'il aille assez loin, mais c'est certainement un début.

Charles McVety, président, Coalition de l'action pour la famille au Canada : Merci, sénateurs, de m'accueillir ici aujourd'hui. Je remercie aussi M. Gravel pour tout le travail qu'il a fait pour m'aider à me préparer à témoigner ici.

Vous êtes un groupe de réflexion sereine et attentive, et nous sommes là pour vous aider à vous acquitter de ce devoir de réflexion. Nous espérons bien que votre réflexion sera celle qui convient et que vous tiendrez compte, non pas d'intérêts particuliers, mais bien des intérêts de ceux qui ont mis leur confiance en vous en tant que sénateurs.

Comme vous le savez tous, le Canada est un pays doté de normes. Nous adhérons tous à l'importance des normes. Nous ne vivons pas dans l'anarchie. Nous avons à cœur de protéger la liberté d'expression et de penser ainsi que la liberté d'enquête. Ce sont là des principes fondamentaux sur lesquels notre pays a été fondé. Il y a toutefois des limites à ces libertés. Toutes les institutions doivent se comporter de façon appropriée dans un monde civil et ne pas empiéter sur les droits d'autrui. Le Sénat a des normes qui le régissent.

Le crédit d'impôt est régi par des normes depuis qu'il a été institué en 1995, normes qui sont énoncées à la partie 5 des lignes directrices sur les crédits d'impôt. L'alinéa 5h) précise que le matériel pornographique ne peut pas bénéficier de crédits d'impôt. Le problème vient du fait qu'une fois qu'un producteur présente un projet de film et que le BCPAC, Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens, juge que le producteur peut recevoir des fonds, aucune restriction ne s'applique à ce qu'il peut produire comme matériel. Il peut produire un film qui ne respecte pas les normes existantes, qui sont là depuis le début.

Bien entendu, nous avons souligné le fait que certains films offensants ont été financés à même nos impôts, comme Young People F...ing. On ne peut même pas dire le mot ici parce qu'on a des normes, mais on s'attend à ce que le contribuable canadien paye pour quelque chose dont on ne peut même pas dire le titre.

Le nouveau film qui sera financé cette année s'appelle The Mastubators. Ce n'est pas là quelque chose que les contribuables canadiens devraient financer parce que cela va à l'encontre de la réglementation existante. Je demande aux sénateurs de faire un second examen objectif du projet de loi. Ce matin, COMPAS Public Opinion & Customer Research a publié les résultats d'un sondage qui posait trois questions aux Canadiens. Ils devaient notamment indiquer si ces films devraient recevoir des fonds publics, et 72 p. 100 des répondants ont dit non. À cela, il faut ajouter les 9 p. 100 qui ont dit que, si ces films étaient financés, les contribuables devraient pouvoir refuser que leurs impôts servent à financer des films offensants de ce genre. Au total, 81 p. 100 des Canadiens s'opposent au financement de ces films. Ce n'est pas là l'opinion de Charles McVety, mais bien la volonté des Canadiens reflétée dans un sondage COMPAS. Je crois que les sénateurs feront ce qu'il convient de faire et refléteront la volonté des Canadiens.

J'ai une collègue dont la petite-fille est atteinte d'autisme. Chaque semaine, j'entends des histoires. Dans une de ces histoires, la mère avait dû se couper les cheveux courts et porter un casque et des épaulières de football pour pouvoir entrer dans la chambre et s'occuper de sa fille. Pourtant, la mère ne peut rien obtenir en fait de fonds publics pour l'aider à s'occuper de son enfant autiste. C'est le cas de dizaines de milliers de familles au Canada. Cependant, nous avons réussi à trouver 22 milliards de dollars sur 12 ans pour financer 12 000 films et productions.

Nous ne demandons même pas de retrancher un dollar à ces 22 milliards de dollars. Tout ce que nous demandons, c'est qu'on suive les règles de la décence. Si les sénateurs, qui ont eu des carrières formidables, votent pour le maintien du financement, comment pourront-ils regarder leurs petits-enfants dans les yeux? Comment pouvez-vous dire à mes enfants et mes petits-enfants que vous avez voté pour que des films comme Young People F...ing et The Mastubators reçoivent des fonds fédéraux? Pouvez-vous faire cela? Je vous demande de faire un second examen objectif et de ne pas écouter Stéphane Dion. Il a voté pour cette mesure et il veut maintenant voter contre. Il a voté pour la mesure, mais son parti a ensuite publié un communiqué de presse pour demander aux sénateurs libéraux de la rejeter afin que ces fonds puissent continuer à être versés.

Je vous demande de faire un examen objectif et de penser, non pas aux groupes d'intérêts particuliers, mais aux Canadiens. Ces groupes ont déjà eu trop d'attention de la part du gouvernement. Nous vous demandons de réfléchir à l'intérêt supérieur de vos petits-enfants et de mes petits-enfants, afin que la bonne gouvernance règne chez nous. Si non, si des fonds publics continuent à servir à produire ces films offensants, je ne sais pas comment je pourrai regarder ma petite-fille de 10 ans dans les yeux.

Le président : L'étude qui se fait en comité est un second examen objectif. Comme vous pouvez le constater d'après les travaux de notre comité, nous étudions le projet de loi et nous donnons à chacun qui le souhaite la possibilité de faire connaître son point de vue sur le projet de loi.

Vous êtes pour le projet de loi tel qu'il est énoncé, c'est bien cela?

M. McVety : Oui, nous appuyons le projet de loi.

Le président : Il n'est que juste que les témoins sachent qui sont ceux qui leur poseront des questions. Permettez-moi donc de faire les présentations. Je suis David Angus, du Québec, et je suis président du comité des banques. À ma droite, vous voyez le sénateur Yoine Goldstein, du Québec, qui est vice-président du comité. Sont aussi des nôtres, le sénateur Tommy Banks, de l'Alberta; le sénateur Francis Fox, du Québec; le sénateur Paul Massicotte, du Québec; le sénateur Trevor Eyton, de l'Ontario; le sénateur David Tkachuk, de la Saskatchewan, le sénateur Mac Harb, de l'Ontario; le sénateur Wilfred Moore, de la Nouvelle-Écosse, la sénatrice Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick; la sénatrice Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique; et le sénateur Michel Biron, du Québec. Mme Line Gravel est la greffière du comité et Mme June Dewetering est la documentaliste de la Bibliothèque du Parlement.

Le sénateur Tkachuk : J'ai deux ou trois questions au sujet de ce que vous avez fait paraître dans le Globe and Mail et dans d'autres journaux en ce qui concerne le projet de loi. Pour plus de précisions, êtes-vous un lobbyiste enregistré?

M. McVety : Non. Je suis président bénévole de la Coalition de l'action pour la famille au Canada. Mon collègue, notre directeur exécutif, qui est un professionnel et qui est rémunéré par la Coalition de l'action pour la famille au Canada, est enregistré comme lobbyiste.

M. Rushfeldt : Je suis enregistré comme lobbyiste, et mes activités de lobbyiste représentent une bonne part de ce que je fais. Je ne vois pas trop la pertinence de la question, puisqu'il s'agit ici, non pas de savoir qui parle au nom de qui, mais bien de financement. Je suis enregistré.

Le sénateur Tkachuk : Si je pose cette question, ce n'est pas pour me dissocier de votre témoignage, puisque j'appuie le projet de loi tout comme vous, mais c'est pour apporter des éclaircissements sur certaines questions qui ont été soulevées dans le journal. Il y a un certain nombre de questions qui ont été posées pendant la période des questions au Sénat, alors je tiens à les répéter ici pour qu'elles soient consignées au compte rendu.

Avez-vous fait du lobbying sur cette question? Comme vous le savez, beaucoup d'entre nous ne savaient pas que la mesure était le moindrement controversée quand elle a été déposée et adoptée par tous les partis à la Chambre des communes. Depuis, elle a toutefois donné lieu à tout un débat.

Avez-vous rencontré des ministres?

M. McVety : Non, nous n'en avons pas rencontré et nous l'avons dit. Nous sommes insignifiants dans ce processus. Ce sont les Canadiens qui sont importants, les 41 000 membres de la Coalition de l'action pour la famille au Canada. On ne parle pas d'une quelconque pratique de lobbying; il s'agit d'œuvrer pour une bonne cause.

Nous n'avons pas fait de lobbying à ce sujet; nous n'avons pas mené une campagne ordinaire, mais une importante campagne pour faire passer l'âge de consentement sexuel de 14 à 16 ans. Nous avons recueilli 750 000 signatures sur une pétition. Nous n'avons pas fait ces choses. En fait, nous ne connaissions même pas l'existence de cette disposition dans le projet de loi C-10 avant qu'on en parle en première page du Globe and Mail.

Apparemment, la ministre de Patrimoine Canada avait lancé un processus de préparation d'un comité qui prendrait des décisions sur le traitement des films. Ce processus a attiré l'attention du Globe and Mail à ce sujet. On en a parlé à la première page de ce journal. C'est à ce moment que j'ai entendu parler pour la première fois de cette disposition, et c'était la première fois que M. Rushfeldt en entendait parler.

M. Rushfeldt : Je me suis opposé à ce film qui s'appelle Young People F—ing, dont je ne pouvais pas mentionner le titre à la radio parce qu'ils m'ont censuré; ils m'ont dit que ce n'était pas approprié.

Le président : Étiez-vous contre le titre ou contre le film?

M. Rushfeldt : À certains des extraits que nous avons vus également. Je présume que vous puissiez parler de lobbying, si vous le désirez, parce que j'ai envoyé un courriel à chaque député de chaque parti leur faisant part de mon opposition à ce film et au fait qu'il était répréhensible, lorsque nous avons appris qu'il allait être projeté au Festival international de films de Toronto.

Puis, nous avons fait des recherches et nous avons découvert qu'il avait reçu du financement. Cependant, je ne connaissais pas la disposition de ce projet de loi, probablement comme vous au Sénat pendant la première et deuxième lecture, jusqu'à ce qu'il en soit fait mention dans le Globe and Mail.

Le sénateur Tkachuk : Concernant l'article du 29 février du Globe and Mail, où vous avez dit, monsieur McVety, que vous vous attribuiez le mérite, le Globe and Mail parfois se trompe, donc je vous donne l'occasion d'éclaircir cet article en particulier.

M. McVety : Je vous remercie de cette occasion parce que je ne me suis absolument pas attribué ce mérite. En fait, j'ai dit maintes fois que nous n'avions pas mené une campagne à ce sujet. Ce n'est pas à cause de nous. En fait, le Parti libéral a rédigé ce projet de loi en 2002 ou 2003, il me semble, et l'a présenté.

La seule chose que nous avons faite au cours des années passées est de souligner le fait que le gouvernement prend de l'argent du budget des familles pour le donner à des producteurs de films répréhensibles. Ce n'est pas juste et nous savions qu'un bon gouvernement réglerait un jour la question. Nous n'avons pas eu à faire de lobby sur cette question; tout ce que nous avons eu à faire a été de braquer les feux de l'actualité sur elle. Nous comprenons que les choses prennent du temps, et nous savions que finalement un gouvernement en parlerait et mettrait fin à cette absurdité.

Le sénateur Moore : J'aimerais faire suite aux questions du sénateur Tkachuk. Moi aussi, je veux faire référence à l'article du Globe and Mail, la première page du 29 février.

On vous a demandé si vous aviez rencontré des ministres et vous avez dit non. L'article dit que vous avez discuté avec Stockwell Day, le ministre de la Sécurité publique, et Rob Nicholson, le ministre de la Justice, et que vous avez rencontré de nombreuses fois des représentants du bureau du premier ministre.

Avez-vous discuté avec le ministre Day?

M. McVety : Quand j'ai répondu non, c'était à la question concernant des rencontres à ce sujet avec qui que ce soit. Bien sûr, au cours des ans, nous avons eu...

Le sénateur Moore : En avez-vous discuté avec le ministre Day?

M. McVety : ... des conférences de presse; nous avons parlé à de nombreux députés du côté libéral, du côté du NPD...

Le sénateur Moore : Le ministre Day était-il l'un de ces députés?

M. McVety : Oui, nous avons certainement parlé à Stockwell Day et à de nombreux autres au fil des ans. Nous avons envoyé des courriels; nous avons eu d'autres discussions, mais nous n'avons jamais tenu une seule rencontre.

M. Rushfeldt : Sur ce sujet précis.

M. McVety : Oui. Je me demande pourquoi nous passons autant de temps à se demander s'il y a un complot quelconque et si peu de temps à débattre le fait qu'un film comme Young People F—ing reçoive du financement. Je pensais que c'était pour cette raison que nous étions ici, pour voter de continuer à le financer ou voter pour mettre fin au financement de ces films répréhensibles.

Le sénateur Moore : J'essaie simplement de comprendre votre rôle et le rôle de votre organisation. Vous avez discuté avec le ministre Day. Avez-vous discuté avec le ministre Nicholson, le ministre de la Justice dont le ministère a préparé ce projet de loi?

M. McVety : Nous avons communiqué, comme M. Rushfeldt l'a dit, avec tous les députés.

Le sénateur Moore : Vous l'avez fait vous-même?

M. McVety : Non, je n'ai pas discuté avec le ministre Nicholson.

Le sénateur Moore : L'avez-vous fait, monsieur Rushfeldt?

M. Rushfeldt : J'ai discuté avec le ministre Nicholson, mais pas précisément de ce sujet. En fait, je ne me souviens pas si nous avons même parlé de ce sujet. Probablement pas, parce que cela ne faisait pas partie du paysage à ce moment-là. Je ne suis pas certain.

Le président : Excusez-moi messieurs. On m'a souligné que tous seraient peut-être un peu plus à l'aise si on appelait ce film « YPF ». Je pense que tous se sentiraient mieux.

M. McVety : Voilà un bon développement, nous édictons des normes.

M. Rushfeldt : Vous n'aimez pas le titre du film qui a reçu un financement gouvernemental.

Le sénateur Moore : Lorsque vous avez eu ces discussions, monsieur McVety...

M. Rushfeldt : J'aimerais soulever un point. Je ne suis pas venu de Calgary pour assister à cette réunion afin de répondre à des questions concernant les personnes à qui j'ai parlé, parce que ce n'est pas le but.

Le président : Attendez un instant. Le sénateur Tkachuk vous a posé quelques questions et vous avez très bien répondu. Le sénateur Moore, je pense, a posé des questions très claires et pertinentes. Pourquoi n'essayez-vous tout simplement pas d'y répondre? C'est très simple. Le Globe and Mail a publié un article. S'il est faux, dites-le et passez à autre chose. Cela aidera votre cause.

M. McVety : Nous avons répondu; nous avons eu des discussions. Nous l'avons mentionné de nombreuses fois. Nous l'avons mentionné à de nombreux journalistes. Nous avons tenu des conférences de presse ici à l'édifice du Centre. J'en ai même discuté avec ma femme.

Le sénateur Moore : Vous n'avez pas fait de lobbying mais vous avez fait ces choses; est-ce exact?

M. McVety : Oui, quel que soit le nom que vous leur donniez.

Le sénateur Moore : Exactement. Vous avez aussi mentionné que vous avez eu de nombreuses rencontres avec des représentants du Bureau du premier ministre. Quels représentants?

M. McVety : C'est faux. On a déformé mes propos.

Le sénateur Moore : Bien. Lors de vos discussions avec les ministres Day et Nicholson, de quoi avez-vous discuté et est-ce qu'ils se sont engagés au sujet de ce projet de loi et de son contenu?

M. McVety : En réalité, nous n'avons obtenu aucune réponse. Nous leur avons seulement demandé s'ils se rendaient compte qu'ils finançaient YPF? » Est-ce le nom que l'on utilise? Que disons-nous pour The Masturbators?

Le président : The Big M. Le no 27.

M. McVety : The Big M est mon héros.

Le président : Nous avons peu de temps. Les questions que pose le sénateur Moore sont plutôt claires. Continuez, sénateur.

Le sénateur Moore : Ils n'ont pas répondu, mais vous avez pourtant dit : « Nous sommes heureux d'être finalement entendus ». Pourquoi avez-vous dit cela?

M. McVety : Nous sommes heureux que les libéraux nous aient écoutés lorsqu'ils l'ont rédigé. Nous sommes heureux que Stéphane Dion se soit levé à la Chambre et ait voté en faveur.

Le sénateur Moore : Cela a été dit pendant l'une de vos réunions, et vous avez mentionné que cela correspond aux valeurs conservatrices. Ne vous ont-ils donné aucune réponse, quelle qu'elle soit? J'ai de la difficulté à le croire.

M. McVety : Vous avez de la difficulté à croire que de bons libéraux voteraient en faveur de quelque chose comme ceci? Je ne comprends pas. Il y a de bonnes personnes dans tous les partis. En fait, dans ce cas-ci, les députés néo- démocrates et bloquistes ont également voté en faveur.

Le sénateur Moore : Il semble que depuis, ils ont changé d'idée. Je vais poursuivre avec une autre question.

L'article 120 du projet de loi est litigieux parce qu'il comprend une phrase portant sur l'établissement de lignes directrices par le ministre. On peut y lire ce qui suit : « Il est entendu que ces lignes directrices ne sont pas des textes réglementaires au sens de la Loi sur les textes réglementaires. » Cela signifie qu'elles ne peuvent pas faire l'objet d'un examen habituel par notre Comité mixte permanent d'examen de la réglementation, ni par la Chambre des communes ou le Sénat. Selon vous, cela est-il approprié?

M. McVety : Je pense que vous devriez poser cette question au ministre.

Le sénateur Moore : Prenons cela d'un autre point de vue...

M. McVety : Si vous voulez reformuler votre question, je vous répondrai que nous ne sommes ni des parlementaires, ni des avocats.

Le président : Si vous ne pouvez pas répondre à la question, dites-le.

M. McVety : D'accord.

Le sénateur Moore : Il faut aussi mentionner que ces lignes directrices peuvent être changées ou modifiées sans que vous ne soyez mis au courant, ni vous, ni le public.

Que se passe-t-il si ces lignes directrices portaient sur la religion? Quelle serait alors votre réaction?

M. McVety : Au pays, aucun consensus ne veut que la religion soit interdite. Au pays, aucun consensus n'indique que la religion a des effets négatifs sur la nation.

Le sénateur Moore : Et si des lignes directrices indiquaient que des films au sujet de certaines religions extrêmes ne pouvaient pas être financés? Que penseriez-vous alors?

M. McVety : Des règlements sont en vigueur depuis la création du crédit d'impôt, et je ne comprends pas pourquoi, tout à coup, les gens veulent éliminer tous les règlements, sans exception.

Le sénateur Moore : Je ne pense pas que ce soit le cas. Nous avons un Code criminel, et selon ce qu'ont dit de nombreux témoins, le système fonctionne bien tel quel. Je suis surpris de voir que vous ne trouvez pas que — je ne sais pas quel terme utiliser. Il s'agit d'un pouvoir inatteignable conféré à une seule personne au pays.

M. McVety : Non, il ne s'agit pas d'une seule personne.

Le sénateur Moore : Certainement, monsieur.

M. McVety : Nous ne vivons pas sous une dictature. Il s'agit d'une démocratie.

Le sénateur Moore : Cela ne va pas dans ce sens.

M. McVety : La ministre est élue et doit rendre des comptes aux Canadiens. Si elle agit de façon inappropriée, elle en paiera le prix aux prochaines élections. Son parti en paiera le prix. C'est le principe même d'un bon gouvernement.

Le sénateur Moore : Je pense que je n'ai plus de questions.

Le président : Je pense que M. Rushfeldt avait quelque chose à ajouter. Est-ce exact?

M. Rushfeldt : Oui. J'aimerais répondre au sénateur Moore, qui a dit que le Code criminel était le critère à adopter.

Au sujet du Code criminel qui constitue le critère, je me souviens que John Robin Sharpe, de Vancouver, a écrit, dessiné et parlé explicitement de ses escapades sexuelles avec des enfants. Cette affaire s'est retrouvée devant la Cour suprême et, en raison de la défense du bien public, cette œuvre d'art, si l'on peut dire, a fait l'objet d'un jugement selon lequel elle n'enfreignait pas le Code criminel. Eli Langer a peint des portraits d'enfants ayant des relations sexuelles avec d'autres enfants. Cette affaire a été rendue publique, parce que l'on a jugé que ces portraits n'allaient pas à l'encontre du Code criminel.

Je pense que le Code criminel n'est pas un bon critère ni un critère approprié, si l'on veut, parce que...

Le sénateur Moore : Je ne dis pas qu'il s'agit du seul critère. Les offices provinciaux du film ont tous des lignes directrices et des normes qu'il faut suivre.

M. Rushfeldt : Le film Nothing is Private, un film qui parle clairement de sodomie et d'abus sexuel chez les enfants, a été présenté au Festival international du film de Toronto. Il ne s'agit pas d'un film canadien. Je ne pense pas que nous ayons versé quelque argent que ce soit pour ce film. J'espère que non. Rien n'a été fait contre la présentation du film au Canada. Il n'enfreint manifestement pas le Code criminel suffisamment pour que des accusations soient déposées.

Je pense qu'il faut être prudent lorsque nous indiquons que le Code criminel est la seule mesure ou la seule norme à laquelle nous nous conformons.

Le sénateur Moore : Ce n'est pas ce que je dis. Je dis qu'il s'agit de l'un des outils utilisés.

Le sénateur Massicotte : Je pense que le sénateur Moore a mis le doigt sur le problème. Il y a des normes. Vous avez dit qu'il n'y en avait pas. La norme recommandée par certains, y compris le sénateur Moore, je présume, est le Code criminel. Vous avez indiqué que cette norme est trop large, pas suffisamment définie, et vous voulez que ce projet de loi soit adopté, alors que le ministre aurait le pouvoir, en fonction des conseils de l'industrie, d'établir différents types de normes.

M. McVety : La norme existe déjà...

Le sénateur Massicotte : Tentez-vous de répondre à une question que je n'ai pas encore posée?

Le président : Il met toujours un certain temps à formuler ses questions. Soyez assuré que ce sera une bonne question.

Le sénateur Massicotte : Autrement dit, il s'agit d'une question de normes, et il en existe une. Toutefois, vous vous préoccupez de la représentation démocratique. En d'autres termes, ne vous inquiétez pas; le ministre a été élu. Si le ministre perd la tête, il y aura des conséquences.

Vous savez que la Constitution et la Charte canadienne des droits et libertés vont au-delà des fantaisies des gouvernements au pouvoir. L'une prédit la liberté d'action et l'autre, la liberté de parole. Certains s'inquiètent du fait que le gouvernement pourrait imposer des normes qui vont au-delà de cela. Par conséquent, si le ministre a le pouvoir d'adopter des normes, cela pourrait être très menaçant; cela pourrait aller à l'encontre de la liberté d'expression et de culture, qui sont si importantes pour notre société.

Dites-moi ce que vous en pensez. Vous dites que vous n'êtes pas d'accord avec la norme, mais qu'en est-il du fait qu'elle pourrait faire l'objet d'abus ou de critique, ou se fondre à l'orientation de la culture de la décennie en cours?

M. McVety : Premièrement, ces normes ne sont pas nouvelles. Elles existent déjà. Elles sont entrées en vigueur en 1995, lors de la création du crédit d'impôt. Dans mes remarques préliminaires, j'ai parlé de la norme. Si vous lisez les lignes directrices qui portent sur les films qui devraient recevoir des crédits d'impôt, si vous jetez un coup d'œil à l'alinéa 5h), vous verrez l'une de ces normes, selon laquelle il n'y aura pas de financement pour la pornographie ni pour d'autres films comme des documentaires, des émissions-débats ou des émissions de télévérité. Il existe un certain nombre de règlements.

Je pense que personne, du moins j'espère que ni nous, ni le Sénat ne pensent que toutes ces normes doivent être abolies. Le problème, c'est qu'une fois que le producteur obtient un engagement du BCPAC, il n'y a aucune façon de veiller à ce que les normes qu'il s'est engagé à respecter le soient. C'est pourquoi le projet de loi est positif : tout ce qu'il fait, c'est de permettre au ministre d'appliquer les règlements existants.

En outre, je n'ai vu personne s'opposer aux quatre provinces dont la formule de financement comporte cette disposition. Je n'ai vu aucune catastrophe désastreuse s'abattre sur l'industrie du film dans ces quatre provinces. Ce système fonctionne très bien, et je suis certain que cela fonctionnera très bien au sein du gouvernement fédéral. Nous faisons suffisamment confiance à notre gouvernement pour penser qu'il ne prendra pas de décision allant à l'encontre de l'ordre public. Je pense que nous avons un bon gouvernement, et je pense qu'il peut prendre les bonnes décisions en fonction des normes existantes.

Le sénateur Massicotte : Les questions liées aux valeurs fondamentales et à la liberté d'expression devraient-elles être influencées par les fantaisies du gouvernement au pouvoir et la règle de la majorité?

M. McVety : Non; il y a de nombreux autres facteurs atténuants. Il y a, bien entendu, la merveilleuse Charte, qui prévoit qu'il ne peut pas y avoir de discrimination en fonction de certains éléments. Il y a une loi contre les crimes haineux. Notre société dispose de différentes normes.

Le ministre du Patrimoine canadien ne deviendra pas un dictateur et n'abusera pas des pouvoirs qui lui sont conférés. C'est pourquoi le Sénat et la Chambre des communes existent; il s'agit d'un système de freins et contrepoids. La ministre du Patrimoine canadien n'obtiendra pas de pouvoirs plus importants que ceux dont elle dispose déjà, sauf pour ce qui est d'appliquer les règlements existants.

Le sénateur Massicotte : Je croyais comprendre, et je pense que le sénateur Moore l'a dit clairement, que si la loi est adoptée, la ministre aura le droit, sans restriction de la loi, d'appliquer les lignes directrices sans qu'aucun représentant politique n'ait son mot à dire. C'est son droit et sa prérogative. Cela ne vous inquiète-t-il pas?

M. McVety : Elle dispose déjà de ce pouvoir. Il est prévu dans les lignes directrices du crédit d'impôt. Vous pouvez les lire vous-même. Le pouvoir existe. Croyez-moi, je n'invente pas les lignes directrices. Elles existent. Elle a déjà ce pouvoir, mais elle n'a pas le pouvoir d'appliquer les lignes directrices existantes. Les cinéastes peuvent s'écarter du projet qui avait été proposé et produire un film grossièrement insultant; nous devrons tout de même le financer. Ça ne va pas du tout.

Le sénateur Banks : Monsieur Rushfeldt, vous avez parlé de la comparaison économique entre le financement artistique et le financement fourni aux autres industries. Connaissez-vous le pourcentage de financement public accordé aux industries artistique et culturelle par rapport à ce que reçoivent les industries agricole, pétrolière et manufacturière? Savez-vous si la proportion de financement public accordé aux industries artistique et culturelle est plus élevée, plus basse, ou égale au niveau de financement public qui est accordé, sous différentes formes, aux autres secteurs industriels?

M. Rushfeldt : Non, en fait, je ne suis pas au courant. J'ai entendu ce témoignage lors des réunions à de nombreuses reprises. De nombreux chiffres ont été avancés. J'espère que votre comité se penchera sur cette question, afin de savoir exactement ce qui est accordé. C'est pour cette raison que j'ai avancé le chiffre de 7,5 milliards de dollars. À mes yeux, selon tout ce que j'avais entendu auparavant, ce chiffre semblait plutôt élevé.

Pour mettre les choses dans leur contexte, de nombreux secteurs ne reçoivent pas d'argent des contribuables, n'en réclament pas et n'y ont pas droit.

Le sénateur Banks : Desquels s'agit-il?

M. Rushfeldt : Je connais au moins 100 petites entreprises dans ce cas.

Le sénateur Banks : Je parlais des secteurs de l'industrie.

M. Rushfeldt : Les petites entreprises constituent un secteur en elles-mêmes. Elles ne reçoivent pas l'argent des contribuables.

Le sénateur Banks : Vous ne connaissez aucun programme qui permette aux petites et moyennes entreprises d'avoir droit à un financement public?

M. Rushfeldt : J'en connais, mais ce ne sont pas toutes les entreprises qui ont droit à ce financement, sénateur. Ma femme a écrit deux ouvrages primés au Canada au cours des dernières années, mais elle n'a pas eu droit à un financement public, et elle a réalisé un bénéfice sur leur vente.

Il faut mesurer soigneusement quel pourcentage du financement est versé aux arts plutôt qu'à l'agriculture. Quelles sont les retombées économiques? La semaine dernière, l'un de vos témoins a déclaré que le secteur des arts et de la culture rapporte 5 milliards de dollars et que c'est extraordinaire. Si cette industrie rapporte des milliards de dollars, pourquoi y investir encore d'autres milliards? On peut se poser également cette question. Que rapportent l'art et la culture à l'économie du Canada?

M. McVety : Nous ne préconisons pas une réduction du financement consenti aux arts. Nous estimons que les arts et la culture sont des secteurs bénéfiques et que le gouvernement canadien devrait y investir de l'argent.

Cette disposition ne réduira pas d'un sou ce financement. Elle ne fera que renforcer les règlements existants. Au lieu de tourner des films comme YPF ou The Big M, l'industrie finira par produire des œuvres que la population ira voir.

L'industrie cinématographique canadienne est en déroute. Même si elle produit 30 p. 100 des œuvres projetées en salle au Canada, elle ne représente que 1,7 p. 100 des recettes au pays, car qui veut aller voir YPF?

Le sénateur Banks : Cela reste à voir.

M. Rushfeldt : Permettez-moi de faire une observation sur la question de l'économie.

Je lis ce qu'a publié le National Post. Je crois ce que dit l'auteur. Il a probablement vérifié les faits. Robert Lantos a produit Where the Truth Lies, un film mettant en vedette Kevin Bacon et Colin Firth, dont l'action se déroule à Los Angeles.

Le tournage de ce film canadien a coûté 25 millions de dollars américains, mais il n'a recueilli qu'un million de dollars au guichet, en Amérique du Nord.

Dites aux contribuables qu'ils viennent de payer 25 millions de dollars, en tout ou en partie, pour tourner ce film, qui n'a rapporté qu'un million de dollars. C'est de la mauvaise gestion financière. Il faut que quelqu'un ait le pouvoir de déterminer où est distribué cet argent.

M. McVety : Nous ne préconisons pas que ce financement soit réduit d'un traître sou, je le répète.

Le sénateur Banks : Alors je vous ai mal compris, monsieur Rushfeldt. Je vous prie de m'en excuser.

Monsieur Rushfeldt, vous vous êtes dit d'accord avec l'idée présentée devant notre comité voulant que le rétroactif d'un financement, qu'il soit sous forme fiscale ou autre, constitue une mauvaise gestion financière.

M. Rushfeldt : Il est assez stupide de donner de l'argent à quelqu'un et de le lui retirer par la suite.

Le sénateur Banks : Vous convenez donc que les critères, quels qu'ils soient et quelle que soit la façon dont ils sont établis, doivent être énoncés dès le départ?

M. Rushfeldt : Tout à fait. On ne donne pas à un agriculteur de l'argent pour qu'il achète de l'équipement pour lui demander ensuite de rendre cet équipement. Je suis d'accord avec cela, effectivement.

M. McVety : Ce point de départ existe déjà. Si vous lisez les dispositions, les critères existent déjà.

Il faut que les cinéastes comprennent qu'ils ne peuvent pas revenir sur les engagements qu'ils ont pris pour recevoir leurs autorisations; ils doivent au moins tenir parole. La parole a-t-elle encore une certaine valeur de nos jours?

Le sénateur Banks : Monsieur McVety, vous avez parlé de pornographie.

M. McVety : Oui.

Le sénateur Banks : Tout est relatif. À votre connaissance, a-t-on déjà versé des fonds publics au Canada pour la production d'un film pornographique?

M. McVety : À mon avis, YPF est un film pornographique.

Le sénateur Banks : Dans ce cas, pourquoi ces auteurs ne sont-ils pas en prison?

M. McVety : C'est parce que la pornographie n'est pas illégale au Canada.

M. Rushfeldt : La pornographie juvénile est illégale.

M. McVety : C'est un film de pornographie, pas de pornographie juvénile. Cette œuvre n'est pas illégale, que je le sache.

Le sénateur Banks : Croyez-vous qu'elle devrait l'être?

M. McVety : D'après le sondage d'aujourd'hui, 30 p. 100 de femmes et 20 p. 100 d'hommes croient que la pornographie devrait être bannie. Ce n'est pas ce que nous réclamons. Ce que nous demandons, c'est que vous n'adoptiez pas une mesure qui continue d'obliger le gouvernement canadien à financer de telles œuvres et à obliger les Canadiens à en payer la facture. Quand nous payons nos impôts à l'Agence du revenu du Canada, nous ne voulons pas que cet argent serve en partie à produire des films pornographiques.

Le sénateur Banks : Croyez-vous que les contribuables devraient être autorisés à ne pas payer la part de leurs impôts qui pourraient servir à des choses avec lesquelles ils ne sont pas d'accord.

M. McVety : J'ai été très choqué par les résultats de ce sondage.

Le président : Vous parlez d'un sondage. Pourriez-vous en laisser un exemplaire au comité? C'est ce que l'on fait généralement.

M. McVety : Oui, j'en ai déjà remis un exemplaire. Ce sondage vient d'être publié aujourd'hui dans COMPAS. Nous n'avons pas eu l'occasion de le traduire en français.

Le président : Vous n'avez pas à le traduire. Ce n'est pas votre document.

M. McVety : J'en ai remis 20 exemplaires à votre comité.

Le président : Je n'en étais pas au courant, merci.

M. McVety : J'ai été étonné de voir que jusqu'à 30 p. 100 de femmes voudraient que ces œuvres soient bannies totalement, mais ce n'est pas ce que nous préconisons.

Le sénateur Banks : Monsieur Rushfeldt souhaite répondre à cette question.

M. Rushfeldt : Je vais prendre un instant pour répondre au sénateur Banks. En ce qui concerne la liberté d'expression ou la censure, il n'existe pas de limite à ce que les gens peuvent produire, sauf si les œuvres enfreignent le Code criminel. Si vous enfreignez le Code criminel, vous serez probablement poursuivi en justice, et on peut encore douter du résultat, compte tenu de certaines des dispositions que j'ai mentionnées au sujet du caractère artistique.

Il n'y a pas de limite à la liberté d'expression. Ce n'est pas de cela que nous parlons. Les gens peuvent produire des œuvres cinématographiques sur tous les sujets de leur choix, et je ne crois pas qu'il existe, du moins au Canada, de limite à cela. La question est de savoir qui finance la production de ces œuvres. Si nous demandons que des limites soient imposées, c'est pour que les contribuables ne soient pas obligés d'en faire les frais.

Le sénateur Ringuette : J'ai pris des notes pendant votre exposé, car nous n'avons pas copie de votre document. J'aimerais remettre les pendules à l'heure par rapport à ce qui a été dit.

Vous convenez avec nous, n'est-ce pas, que le Sénat est la chambre de second examen objectif. Toutefois, en ce qui a trait à ce dossier, il semble que nous soyons la chambre de premier examen. C'est la première fois que l'une ou l'autre chambre du Parlement tient des réunions publiques et invite des témoins à comparaître dans ce domaine. À l'autre endroit, tous les partis ont voté en faveur de la mesure. Malheureusement, trois de ces parties ont déclaré publiquement par la suite qu'ils étaient mal informés de ce sur quoi ils votaient. Voilà donc pour la démocratie et la Chambre des représentants élus.

M. Rushfeldt : Parlez-vous de ce gouvernement ou de gouvernements antérieurs? Cette mesure a déjà été présentée auparavant.

Le sénateur Ringuette : Non, c'est la première fois.

M. McVety : Me permettez-vous d'intervenir là-dessus?

Le sénateur Ringuette : Oui, allez-y.

M. McVety : Êtes-vous en train de dire que Stéphane Dion a renoncé à intervenir en tant que chef de la loyale opposition de Sa Majesté?

Le sénateur Ringuette : Je ne suis pas ici pour faire des déclarations partisanes, monsieur McVety. Si toutefois telle est votre intention, alors, là, oui, nous pouvons parler politique.

M. McVety : C'est lui qui a émis un communiqué de presse où il demande aux sénateurs de voter contre le projet de loi et de maintenir le financement de ces projets.

Le sénateur Ringuette : Monsieur McVety, le crédit d'impôt atteint au maximum 10 p. 100. Dans votre déclaration, vous avez affirmé que les dégrèvements dont bénéficie la pornographie sont alimentés par l'argent de votre famille. Or, selon ce que nous ont appris les experts entendus devant notre comité, y compris des hauts fonctionnaires, en vertu des règles actuelles, aucun film pornographique n'a reçu de ces crédits d'impôt.

Si j'en crois votre exposé, vous vous opposez vivement à ce qu'on utilise l'argent de votre famille. Que pensez-vous alors du fait que des cinéastes américains reçoivent des dégrèvements de 60 p. 100 de la part du Canada pourvu qu'ils aient eu recours aux services d'employés canadiens dans notre pays? Si ce projet de loi est adopté, il existera des règles s'appliquant aux cinéastes canadiens et d'autres très favorables aux compagnies américaines. Qu'en pensez-vous?

M. McVety : C'est plutôt ahurissant. Je ne comprends pas.

M. Rushfeldt : C'est pour cela qu'à mon avis, ce projet de loi ne va probablement pas assez loin. Je ne vois pas pourquoi nous prendrions deux séries de règlements, une pour les Américains et l'autre pour les Canadiens. Je suis donc tout à fait d'accord avec vous.

Le sénateur Ringuette : Avez-vous bien l'intention de renouveler vos pressions auprès des ministres Nicholson et Day sur cette question?

M. McVety : Pourquoi pas?

M. Rushfeldt : Et d'aller en voir d'autres aussi.

M. McVety : Je ne vois pas cela dans le texte, mais nous ne sommes pas des avocats. Pouvez-vous nous montrer l'article où il est dit que les Américains ne sont pas obligés de se conformer à certaines normes?

Le sénateur Ringuette : Oui. Ils sont admissibles aux dégrèvements pourvu qu'ils aient eu recours aux services de Canadiens dans le cours de leur production.

M. McVety : Est-ce qu'ils ne sont pas obligés de se conformer à certaines normes?

Le sénateur Ringuette : Non.

M. McVety : J'aimerais bien voir cette disposition, car je ne l'ai pas lue.

Le sénateur Ringuette : Pendant vos fréquentes visites au Bureau du premier ministre, on pourra vous la montrer.

M. Rushfeldt : J'ai en main un document provenant de l'American Film and Television Action Committee. Le 4 septembre 2007, ce groupe a fait du lobbying, en invoquant l'article 301 de l'Accord de libre-échange au sujet des subventions accordées aux films canadiens. L'organisme a prétendu que ces subventions constituant un avantage indu. Selon certains collègues américains, le gouvernement du Canada subventionne indûment nos productions cinématographiques, ce contre quoi ils protestent et demandent un redressement en vertu de l'ALENA, l'Accord de libre-échange nord-américain. La requête a toutefois été jugée irrecevable par le représentant américain au sein du groupe de règlement des différends.

Le sénateur Ringuette : Que pensez-vous de cela, monsieur Rushfeldt?

M. Rushfeldt : À mon avis, cela fait partie du processus. Je ne suis pas sûr que vous ayez dit que les Américains jouissent de cette liberté tout en prétendant en être privée du fait que le Canada subventionne à outrance sa propre industrie cinématographique.

Le sénateur Ringuette : Cet avantage leur vient quand même de votre argent en tant que contribuable, et vous fondez justement vos arguments sur les impôts que votre famille doit payer.

M. Rushfeldt : Si c'était à moi qu'il revenait de décider comment il faut dépenser les recettes fiscales provenant de ma famille, je préférerais de beaucoup qu'on appuie l'industrie cinématographique canadienne que l'américaine.

Le sénateur Ringuette : Je vous remercie.

M. McVety : Je suis d'accord, mais ce n'est pas ce que je vois ici. Personne ne m'a jamais parlé de cela, et, si tel est bien le cas, j'aimerais bien que vous me montriez le texte correspondant.

Le sénateur Ringuette : Je vous ai souvent vu parler de cette question à la télévision, monsieur McVety. Vous vous êtes attribué le mérite du projet de loi. Je vous ai entendu de mes propres oreilles. Tant mieux pour vous si c'est vrai.

M. McVety : Je ne m'en attribue pas le mérite.

Le sénateur Ringuette : Nous sommes saisis d'une question d'une très haute importance au Sénat, et notre comité fait preuve de la diligence qu'on attend de lui. Je vous remercie monsieur le président de m'avoir permis de poser ces questions.

Le président : Je vous remercie, sénateur Ringuette.

Le sénateur Harb : Vous avez dit quelque chose de très intéressant, à savoir que vous avez mis la question en pleine lumière, et c'est très vrai. Au cours de mes 16 ans comme député et de mes 4 ans au Sénat, je vous assure que je n'ai jamais vu l'industrie réagir de manière aussi vive que par rapport à ce projet de loi. Dans une grande mesure grâce à votre intervention, à vos pétitions, aux assemblées publiques et à d'autres moyens encore, vous avez monté la question en épingle et avez réussi à faire s'exprimer l'industrie de manière unanime sur cette question.

Si j'ai bien compris, lorsqu'il est question de l'intérêt public ou d'une politique, il faut d'abord qu'on établisse clairement ce dont il est question. S'agissant des lignes directrices que vous avez évoquées, comme d'ailleurs nombre de mes collègues et de témoins, de l'avis général, on semble penser qu'avant d'en terminer avec ce projet de loi, il faut d'abord qu'on comprenne la règle du jeu.

Estimez-vous justement que le comité et le Sénat devraient à cette fin demander au ministre et au gouvernement de réunir les intervenants? Vous comptez quelque 40 000 membres, ce qui est un nombre assez élevé, et je suppose que ces derniers verraient d'un bon œil la tenue d'une réunion à laquelle participeraient toutes les parties prenantes afin qu'elles s'entendent sur la règle du jeu. Après seulement, nous pourrions présenter des amendements à l'article dont nous sommes saisis aujourd'hui, tel que vous le proposez. Est-ce que vous vous opposez à cela, ou estimez-vous que ce serait une bonne chose?

M. McVety : À mon avis, ce n'est pas une bonne idée, et je vais vous expliquer pourquoi. Toutes ces discussions ne sont qu'une tempête dans un verre d'eau. En effet, les propositions contenues dans ce projet de loi n'affectent que quelques films. Cela a d'ailleurs été dit de la bouche même de la ministre Verner et a été répété maintes et maintes fois. La proposition ne jettera pas de douche froide sur tout le monde et n'entraînera pas de conséquences économiques pour l'industrie. D'ailleurs, une disposition semblable a déjà été adoptée par quatre provinces et elle n'a eu aucun effet. Il s'agit d'un projet de loi d'ordre administratif, ce qui n'est pas la fin du monde. Il ne sert qu'à mettre en œuvre les règlements actuels.

Ce qui importe toutefois, c'est que le gouvernement ne se voit pas donner les coudées franches pour imposer ses propres règlements et qu'à cause de cela, ce projet de loi d'ordre administratif ne puisse aller de l'avant. Le Sénat pourrait décider de continuer à financer ces films. Le dernier sénateur à prendre la parole a d'ailleurs dit qu'aucun film pornographique n'a jamais reçu de financement. Eh bien, YPF, qu'est-ce que c'est? Tenez-vous à ce qu'on se souvienne de vous pour avoir maintenu le soutien des contribuables canadiens à ce genre de film répréhensible?

Pour en venir à votre première remarque, 22 milliards de dollars, c'est beaucoup d'argent. Vous rendez-vous compte ce que cela représente? Une somme énorme. Si l'on entend dire que cela va être modifié, alors les gens concernés vont certainement se mobiliser pour être à la hauteur des circonstances. Ce qui est en jeu ici, ce n'est pas Charles McVety. D'ailleurs, qui suis-je? Personne. Je ne compte nullement dans tout ce processus, mais comme je fais partie des chrétiens évangéliques, on a jugé de bonne guerre de s'en prendre à moi, à cause de la religion à laquelle j'appartiens. Je m'oppose à cette attitude méprisante dont certains ont fait preuve à l'occasion de l'ensemble de ce processus.

Le sénateur Harb : Vous avez droit à votre opinion. Vous avez dit vous-même que nous vivons dans une démocratie, et tant et aussi longtemps que le débat demeure civilisé, il est extrêmement important de pouvoir s'exprimer. Je vous dis simplement que la ministre a elle-même déclaré qu'elle est disposée à articuler les lignes directrices en consultation avec l'industrie. Il s'agit désormais de savoir si on va faire cela avant ou après que le projet de loi entre en vigueur.

Vous êtes croyant, et vous croyez dans le gouvernement. Vous êtes d'avis que le gouvernement agit de bonne foi la plupart du temps, et si une erreur se produit, c'est simplement une erreur. Et je vous félicite de penser cela.

Cependant, nous nous retrouvons dans une situation où c'est l'industrie elle-même qui est venue nous dire qu'elle veut bien discuter de ces lignes directrices et les voir mises en place, mais elle veut comprendre en quoi elles consistent avant que le projet de loi soit adopté. J'imagine que ma question est encore la même, à savoir, ne croyez-vous pas qu'il serait sage de retarder l'adoption du projet de loi tant et aussi longtemps que nous n'aurons pas ces lignes directrices, qui seront établies en consultation avec l'industrie, compte tenu aussi des intérêts particuliers, généraux et publics?

M. McVety : Bien sûr. Ça fait 12 ans qu'on en parle.

Le sénateur Harb : Qu'est-ce qu'une année de plus?

M. Rushfeldt : Permettez, le règlement existe déjà essentiellement. La ministre a dit qu'elle ne peut pas le faire respecter ou s'assurer qu'il sera respecté. Nous avons besoin de ce projet de loi pour qu'elle puisse à tout le moins faire respecter le règlement qui existe déjà, mais je crois qu'il faut faire un pas de plus. Ce débat ayant éclaté, il est nécessaire de débattre beaucoup plus que nous ne l'avons fait. Je ne crois pas que nous retardions ce débat sur les nouvelles lignes directrices, et peu importe comment ça marche — qu'il s'agisse d'une approche multipartite ou plurielle les contribuables doivent dire leur mot ici, je pense. Cependant, nous avons un problème en ce moment-même parce que la ministre ne peut pas faire respecter le règlement existant, et on ne parle pas du prochain règlement.

M. McVety : La vérificatrice générale, dans son rapport de 2005, qui date de presque trois ans, a dit que ces changements devaient être mis en place pour que l'on puisse garantir aux Canadiens que l'on finance un contenu canadien et que l'on finance des films qui répondent aux critères existants. C'est exactement ce qu'elle dit à la page 44, paragraphe 5.121. Je sais que vous savez déjà cela parce que c'est votre très compétente greffière qui m'a envoyé copie de cela. Je sais que ça vous a été envoyé. Vous savez que ce texte existe, et je suis surpris de voir que vous n'avez pas entendu le témoignage de la vérificatrice générale, qui vous aurait communiqué cette information directement.

Voulez-vous retarder l'avènement de la transparence encore une année, ou attendre un autre gouvernement, ou voulez-vous être transparent dès maintenant? Nous vous demandons de voter pour que l'on cesse de financer ces films.

Le sénateur Moore : Monsieur McVety n'a jamais dit dans son rapport que ces lignes directrices avaient force de loi.

M. McVety : Elle dit ici précisément qu'on n'applique pas les contrôles avec assez de rigueur. Le rapport dit ceci :

En l'absence d'une approche plus systématique à la gestion des risques et à la consignation au dossier de leurs décisions, ces organisations ne peuvent avoir l'assurance que les exigences de contenu canadien sont respectées, que les projets sont choisis en conformité avec les critères de sélection [...]

C'est écrit noir sur blanc.

Le sénateur Moore : Je sais.

Le président : Le texte est explicite. Je pense que nous savons cela, et nous en avons tous une copie.

Le sénateur Moore : C'est seulement qu'il a vu une chose qui n'y est pas. Les opinions qu'il exprime ne me plaisent pas parce qu'il va trop loin.

M. McVety : J'ai seulement lu ce que ça dit; les critères sont là.

Le président : Je pense que c'est très clair, et c'était votre question supplémentaire. Le sénateur Eyton, le parrain du projet de loi, a la parole.

Le sénateur Eyton : Je vais seulement poser quelques questions pour clarifier les choses, du moins pour moi. Il se peut que vous me trouviez un peu lent.

Les dispositions du projet de loi C-10, ou qui en émanent, font l'objet d'un débat depuis des années, et nous avons entendu de nombreux témoignages à ce sujet. Ces dispositions nous ont été soumises pour la première fois en 1995, et plusieurs versions de ces dispositions ont circulé depuis. J'imagine que le problème dont il est question aujourd'hui aurait dû retenir notre attention il y a longtemps de cela, mais ce n'est que récemment qu'on en a fait état sur la place publique.

Je tiens à le dire pour mémoire : j'ai un peu de mal à comprendre ce que vous avez dit quant au rôle que vous auriez joué dans la sensibilisation du public. Ce que j'ai retenu, c'est que vous n'avez eu aucune discussion avec des membres du gouvernement relativement à ces dispositions avant que le projet de loi soit déposé au Parlement.

M. McVety : Puis-je clarifier cela?

Le sénateur Eyton : J'essaie d'être plus précis. Vous avez eu des discussions; vous avez dit : « J'ai parlé à un tel ou un tel, et ça fait des années que je fais ça. » Ce dont nous parlons, c'est de discussions avec des membres du gouvernement avant le dépôt de ce projet de loi.

M. McVety : Nous n'avons eu aucune discussion à propos de ce projet de loi, point. Nous ne savions même pas que ce projet de loi existait. Nous n'en savions rien jusqu'au jour où le Globe and Mail nous a téléphoné après avoir fait état de cette disposition en première page du journal. Nous ne savions absolument rien. Nous n'avons eu aucune rencontre qui aurait porté là-dessus.

Tout ce que nous avons fait au fil des ans, c'est d'énoncer le fait que notre gouvernement finance des films immoraux. Je l'ai dit moi-même à la télévision et à la radio. Nous avons eu des conversations informelles.

Le sénateur Eyton : Je pense que j'ai votre réponse. Avant le dépôt du projet de loi, vous n'avez eu aucune discussion avec des membres du gouvernement concernant ces dispositions.

M. McVety : Aucune.

Le sénateur Eyton : Merci. Je ne comprenais pas.

M. Rushfeldt : Je pense que certains médias ont déformé les faits à ce sujet.

Le sénateur Eyton : Clarification, vous avez mentionné le chiffre de 22 milliards de dollars. Ça m'a l'air d'être beaucoup d'argent, et je m'interroge sur votre source. Je n'arrive pas à croire que c'est exact.

M. McVety : La source, c'est la ministre lors de son témoignage devant votre comité. C'est elle qui a dit cela. En fait, nous n'en savons rien, parce que le gouvernement ne parle pas de cela publiquement. Le gouvernement ne dira pas aux Canadiens les sommes d'argent il a dépensées et pour quels films.

Le sénateur Eyton : La question est de savoir où vous avez obtenu ce chiffre.

M. McVety : Des audiences de votre comité.

M. Rushfeldt : C'est la ministre elle-même qui a donné ce chiffre lorsqu'elle était ici et qu'on l'interrogeait à propos de quelque chose. C'est dans le procès-verbal.

Le sénateur Eyton : Radio-Canada a 1 milliard de dollars. C'est 1 milliard de dollars.

Le sénateur Moore : Sur 12 ans.

M. McVety : Ce n'est pas moi la source.

Le président : Une personne à la fois, s'il vous plaît, sans quoi je mettrai fin à cet échange.

Le sénateur Eyton : Ce montant de 22 milliards m'apparaît fantaisiste.

M. McVety : Prenez-vous-en à la ministre, pas à moi.

Le sénateur Eyton : Je reste surpris.

J'ai une question pratique qui porte sur la procédure. La ministre a déclaré qu'elle tient à ce que le projet de loi soit adopté, mais elle s'est engagée à observer un hiatus de 12 mois. Au cours de cette période, elle va consulter l'industrie et d'autres intervenants concernant les lignes directrices à établir. Notre comité s'en est dit heureux.

Participeriez-vous à cette consultation publique?

M. McVety : Je crois qu'elle consulterait des représentants de diverses communautés au Canada, non seulement l'industrie, parce que la question touche d'autres intervenants à part ceux qui reçoivent des fonds. Cela comprend aussi le public canadien. C'est elle qui décidera comment elle entreprendra ces consultations et si nous serons consultés. Nous aimerions bien sûr avoir la possibilité de nous exprimer, mais là encore, ce n'est pas nous les principaux intéressés, c'est le public canadien.

M. Rushfeldt : Il y a conflit d'intérêts si c'est seulement ceux qui reçoivent des fonds qui sont consultés sur les règles, la réglementation et les politiques élaborées. C'est comme si moi je demandais des deniers publics au gouvernement et, que j'établissais les règles. Je ne crois pas que l'on devrait aller dans ce sens. Je crois qu'il devrait y avoir des discussions publiques de plus grande envergure quant à la décision de modifier ou non les règles.

Le sénateur Eyton : Aimeriez-vous pouvoir y participer?

M. Rushfeldt : Oui.

Le sénateur Massicotte : J'ai une question complémentaire. Vous avez dit plus tôt que vous n'avez pas eu de discussions avec aucun représentant du gouvernement avant la présentation du projet de loi. Vous avez dit que toutes vos discussions visaient essentiellement à aviser les ministres que les lignes directrices actuelles permettaient la production de films pornographiques. C'était bien l'essentiel de vos discussions?

M. McVety : L'essentiel ce n'était même pas les lignes directrices, parce que le processus d'octroi de fonds aux réalisateurs est très obscur. On ne nous le dit pas et nous n'avions aucun renseignement particulier à ce sujet. Tout ce que nous savions, c'était qu'il y a de nombreux films comme celui sur la nécrophilie, dans lequel une femme a des rapports sexuels avec des cadavres. Nous savions que le gouvernement n'aurait pas dû financer ce film, c'est tout ce que nous avons dit.

Le sénateur Massicotte : La réalisation de tels films est autorisée en vertu des lignes directrices fiscales actuelles, ce qui laisse entendre que vous proposez au gouvernement de changer les lignes directrices puisque le financement de tels films ne devrait pas être autorisé?

M. McVety : Non. Nous ne le savions même pas.

M. Rushfeldt : Je ne suis pas convaincu que ce soit autorisé en vertu des lignes directrices. Cette question doit encore être élucidée. Je ne suis pas convaincu que cela aurait été autorisé en vertu des lignes directrices, si elles avaient été appliquées.

Toutefois, la ministre a dit clairement ici qu'elle ne peut pas appliquer ces lignes directrices. Pour ce faire, elle a, entre autres, besoin du projet de loi C-10. Je ne crois pas que cela aurait été autorisé en vertu des lignes directrices, car la nécrophilie est un délit criminel au Canada, que je sache. Je crois que les lignes directrices existent depuis longtemps.

Le sénateur Massicotte : Vous faites références aux lignes directrices contenues dans la Loi de l'impôt sur le revenu. Dites-vous qu'elles ne sont pas appliquées dans la détermination du crédit?

M. Rushfeldt : Je crois que cela fait partie...

M. McVety : Nous nous opposons au fait que le gouvernement canadien subventionne ces films. Nous n'avons pas discuté de la façon dont le gouvernement les subventionne ni de la façon dont il veut rectifier la situation et, bien franchement, nous en savons très peu là-dessus.

Le sénateur Massicotte : Plus tôt, lorsque vous avez fait référence aux lignes directrices en vigueur, vous sembliez laisser entendre que ces lignes directrices ne vous posaient pas problème, mais ce n'est pas le cas. Il est évident que vous n'êtes pas d'accord avec les lignes directrices parce que vous avez dit que vous n'aimiez pas ce qui se passait, ce qui veut dire que vous voulez changer les lignes directrices.

M. McVety : Non. Les lignes directrices existent, mais elles ne sont pas appliquées convenablement. C'est ce que dit Mme Sheila Fraser et c'est ce qu'a dit le gouvernement libéral lorsqu'il a rédigé ce projet de loi. C'est la raison pour laquelle ils ont tous voté pour ce projet de loi, car il est simple. Il ne s'agit pas de modifier la politique. C'est une simple question d'ordre administratif.

Le sénateur Massicotte : Je vous comprends.

Le sénateur Goldstein : J'aimerais tirer quelque chose au clair. Tout d'abord, je remercie les deux témoins d'être venus comparaître et de nous avoir fait part de leurs observations. J'aimerais parler du sondage COMPAS que vous avez mentionné plus tôt.

Votre témoignage a laissé entendre que le sondage COMPAS demandait aux gens s'ils étaient d'accord ou non pour accorder au ministre la discrétion nécessaire à l'élaboration et à la modification de lignes directrices. Ai-je bien raison?

M. McVety : Non. Je m'excuse si c'est ce que vous avez compris, parce que ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. En ce qui concerne le sondage COMPAS, la manchette a été très claire : [trad.] « Sondage national : Opinion publique polarisée, une grande majorité dominée par les femmes s'opposant à la continuation des subventions ». Le sondage portait uniquement sur les subventions.

Le sénateur Goldstein : Monsieur McVety, vous n'avez certainement pas compris ma question. Je vais être plus précis.

N'est-il pas vrai que le sondage portait uniquement sur la pornographie et non sur les lignes directrices?

M. McVety : Oui, il portait sur la pornographie. La subvention du contenu pornographique.

Le sénateur Goldstein : Il porte uniquement sur la subvention des films pornographiques. Ai-je bien raison?

M. McVety : Oui, vous avez raison.

Le sénateur Goldstein : Avez-vous vu le sondage par Angus Reid Strategies qui porte sur les lignes directrices? Les résultats contredisent directement les résultats que vous dites dégager du sondage COMPAS...

M. McVety : Eh bien...

Le sénateur Goldstein : Pardon, mais je ne vous ai pas interrompu lorsque vous parliez. Je vous demanderais de bien vouloir faire de même lorsque je vous pose une question.

Je vous dirai que 48 p. 100 des Canadiens sont d'accord pour dire que le projet de loi C-10 ne devrait pas être adopté en raison des pouvoirs qu'il confère actuellement. Seulement 36 p. 100 des Canadiens sont d'accord avec l'adoption du projet de loi. Ai-je raison ou tort? Êtes-vous prêts à voir les choses en face?

M. McVety : Je ne sais pas si vous avez raison. Si c'est le cas, je propose que l'on pose une question toute simple aux Canadiens : le gouvernement devrait-il subventionner la pornographie? Au bout du compte, c'est ce que vous, les sénateurs, décidez.

Le sénateur Goldstein : Non, nous ne décidons pas, monsieur McVety, vous ne devriez pas, je suis désolé, monsieur...

M. McVety : Je ne vous ai pas interrompu, et je vous demanderais de m'accorder la même politesse.

Le sénateur Goldstein : Vous devez faire preuve de bonne foi dans vos propos.

M. McVety : Je suis de bonne foi.

Le sénateur Goldstein : Nous ne parlons pas seulement de pornographie. Vous le savez aussi bien que moi. Vous avez utilisé des termes comme « répréhensible » et « répugnant ». Il ne s'agit pas seulement de pornographie mais d'un tas de choses.

M. McVety : Si vous demandez à M. Tout le monde ce qu'est le projet de loi C-10, il ne saura vous répondre. Les gens n'en comprennent pas les subtilités, mais ils comprennent la question simple : devrait-on subventionner la pornographie?

Oui, la question comporte d'autres aspects et il y a d'autres lignes directrices. Peut-être devrait-on sonder les gens sur la subvention des jeux télévisés. Nous nous opposons uniquement à la pornographie.

Le sénateur Goldstein : Vous ne vous opposez pas uniquement à la pornographie. Êtes-vous d'accord que l'on subventionne et projette des films homosexuels? Non, vous ne l'êtes pas.

M. McVety : Non, Non. Nous sommes d'accord pour qu'ils le soient.

Le sénateur Goldstein : Vous êtes d'accord pour que l'on subventionne et projette ce genre de films?

M. McVety : Oui.

Le sénateur Goldstein : Oui, quoi?

M. McVety : Oui, on devrait subventionner ce genre de films. Cependant, ce que nous avons dit au journaliste, qui n'a pas été reporté avec exactitude, c'est que nous ne croyons pas que les films qui cherchent à convaincre les enfants de devenir homosexuels devraient être subventionnés par notre gouvernement.

Le sénateur Goldstein : Personne n'a suggéré cela. Ce n'est pas ce que vous avez dit.

M. McVety : Allez voir le film Breakfast with Scot, au sujet d'un joueur de hockey des Maple Leaf, un homosexuel qui élève un garçon de 11 ans dont il n'est pas le père pour en faire un homosexuel, et venez me dire le contraire.

Le sénateur Goldstein : Telle n'était pas ma question, monsieur. Ma question, c'était de savoir si...

Le président : Je vais déclarer vos propos à tous les deux déplacés si vous ne pouvez pas vous comporter poliment.

Le sénateur Goldstein : Il faudra alors demander au témoin d'attendre la question.

Le président : Je demande au témoin d'attendre la question. C'est ce que j'essaie de faire. Je sais que vous saurez vous maîtriser et poser la question de façon polie.

Le sénateur Goldstein : J'aimerais savoir si vous considérez que la représentation d'une homosexualité active est répréhensible ou répugnante.

M. McVety : Ce n'est pas à cela que nous nous opposons. Je l'ai dit clairement deux fois.

Le sénateur Goldstein : Vous êtes d'accord pour que l'on subventionne ce type de film?

M. McVety : Oui, je suis d'accord, mais je vous dis que l'on ne devrait pas subventionner la promotion de l'homosexualité auprès des enfants.

Le sénateur Goldstein : Je le comprends. Mais ce n'était pas ma question.

Vous avez utilisé le terme « lignes directrices » constamment lorsque vous parliez des règles. Vous parliez bien des règles et non des lignes directrices?

M. McVety : Si vous vous rendez au site Web sur les crédits fiscaux, vous y trouverez un manuel de directives. Ce manuel contient des règles. La règle no 5 décrit ce qui est inadmissible et admissible au financement.

Le sénateur Goldstein : N'est-il pas vrai que seulement une partie de ces règles portent sur le contenu par opposition au type de film, telle que la pornographie? Voulez-vous consulter les règles? Vous les avez. Veuillez les consulter avant de répondre à la question.

M. McVety : Malheureusement, je n'en ai pas de copie avec moi, mais les règles portent notamment sur la pornographie et...

Le sénateur Goldstein : Pouvez-vous nous parler d'une autre règle qui porte sur le contenu par opposition à la forme?

M. McVety : Je suis désolé, je ne les ai pas apprises par cœur.

Le sénateur Goldstein : Merci. Ai-je bien raison de dire que la vérificatrice générale n'ait rien dit dans son rapport sur le contenu des films mais a seulement soulevé la question de l'application de ces règles?

M. McVety : Je ne suis pas d'accord, car elle dit, et je la cite : « les projets sont retenus conformément aux critères [...] ». À mon avis, les critères correspondent aux règles, y compris celles visant la pornographie.

Le sénateur Goldstein : Il n'y a qu'une seule règle qui porte sur le contenu, une seule. Croyez-moi.

M. McVety : D'accord.

Le sénateur Goldstein : Ai-je raison d'affirmer que la vérificatrice générale ne s'est penchée ni sur l'appellation pornographie ni sur le contenu? Ai-je raison?

M. McVety : Non. Elle a parlé de procédures, et elle a dit qu'il n'y a aucune façon d'appliquer les procédures. Elle a même indiqué que l'on ne peut pas faire respecter les critères en matière de contenu canadien, car une fois que le Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens délivre le certificat, le gouvernement ne peut plus vérifier que le produit fini correspond aux critères énoncés pour l'octroi du crédit fiscal.

Le sénateur Goldstein : Sommes-nous d'accord pour dire qu'elle n'a jamais parlé de contenu répréhensible ou répugnant?

Le président : Le document se passe de commentaires. C'est un document public. Je vous signale que nous avons d'autres témoins qui attendent leur tour. J'ai accepté de prolonger la séance jusqu'à 18 h 30.

Le sénateur Goldstein : J'ai une dernière question.

Le président : La dernière. Il y a le sénateur Jaffer qui attend et après, ce sera tout.

Le sénateur Goldstein : Savez-vous, monsieur McVety, que les quatre provinces où il existe des dispositions de politique gouvernementale ne les ont jamais fait respecter?

M. McVety : Des politiques...

Le président : Le savez-vous ou pas?

M. McVety : Non.

Le président : C'est tout ce qu'on vous demandait.

M. McVety : Je n'en suis pas surpris, car qui dit politiques dit enseignement. La loi enseigne.

Le sénateur Jaffer : On a parlé de beaucoup de choses aujourd'hui. Laissez-moi clarifier certaines choses, afin que nous nous comprenions bien.

Comment définissez-vous une norme?

M. McVety : Dans ce cas, vous pouvez lire la norme. Généralement, il y a norme là où il y a consensus au Canada.

Le sénateur Jaffer : Comment parvenons-nous à un consensus canadien sur ce qu'est une norme? Comment pensez- vous qu'on doive y parvenir?

M. McVety : C'est pour cela que nous avons un gouvernement varié représentant les quatre coins du pays. Nous nous réunissons au Parlement et élisons un ministre du Patrimoine canadien. C'est à elle que revient la tâche de parvenir à un consensus canadien.

Chaque institution gouvernementale en fait autant, et ce pratiquement chaque jour.

Le sénateur Jaffer : D'après ce que je comprends, monsieur, vous dites que c'est le ministre de Patrimoine canadien qui établit la norme canadienne.

M. McVety : Non, ce que je dis, c'est que la population canadienne établit la norme canadienne. Le Parlement, le Sénat inclus, joue un rôle majeur dans l'aide apportée au ministre pour parvenir à une norme acceptable pour la population canadienne.

Nous avons un sondage aujourd'hui qui indique que faire fi de cette norme et subventionner ces films n'est pas acceptable.

Le sénateur Banks : Ca l'est pour une majorité de gens.

M. McVety : Pour 72 p. 100 des gens. Pour 24 p. 100, ça l'est.

Le sénateur Jaffer : Croyez-vous que ce que la majorité décide devrait être la norme au pays?

M. McVety : Tant qu'on ne contrevient pas à la Charte des droits et des libertés, j'estime que nous devrions avoir des normes qui reflètent le consensus canadien, celui de la majorité des Canadiens.

Le président : Merci d'être venus, messieurs. Comme vous le constatez, les sénateurs ne sont pas tous endormis. Il leur reste du mordant. Nous apprécions votre contribution. Merci beaucoup.

Je veux présenter des excuses à notre prochain groupe de témoins. Je sais qu'on vous avait demandé d'être prêts à 5 heures. Et je sais que certains d'entre vous étaient dans la salle avec le groupe de témoins précédent. En fait, nous n'avons pas commencé à entendre des témoignages avant 5 h 20. Cela arrive parfois, dans ces audiences. Mais nous tenons à entendre ce que vous avez à dire et nous vous remercions de votre patience. Nous ne vous limiterons pas à un certain temps.

Laissez-moi vous présenter et vous souhaiter une chaleureuse bienvenue à nos discussions.

Nous avons deux représentants des Documentaristes du Canada, Mme Tina Hahn, trésorière de l'exécutif national, et M. John Christou, président du Comité de représentation politique. Le représentant de l'International Alliance of Theatrical Stage Employees, Moving Picture Technicians, Artists and Allied Crafts of the United States, its Territories and Canada, l'IATSE, est M. John Morgan Lewis, vice-président international et directeur des Affaires canadiennes. Enfin, le représentant de l'Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec est M. Jean-Pierre Lefebvre, président.

Tina Hahn, trésorière, Exécutif national, Documentaristes du Canada : Nous apprécions beaucoup l'occasion de témoigner devant vous. Laissez-moi préciser que M. Christou est en fait le président de notre comité d'intervention.

Les Documentaristes du Canada, DOC, est une association professionnelle artistique nationale bilingue à but non lucratif représentant des producteurs, réalisateurs, artisans et prestataires de services indépendants. Elle a été fondée en 1983, si bien que nous fêtons cette année notre 25e anniversaire, ce dont nous nous faisons une joie. Nous comptons plus de 700 membres, qui travaillent dans les deux langues officielles dans toutes les provinces et territoires du pays. Avec l'ajout cette année, d'un chapitre en Alberta, nous avons désormais huit chapitres locaux, dont la Colombie- Britannique, le Manitoba, Toronto, Ottawa-Gatineau, le Québec, l'Atlantique et Terre-Neuve.

Les membres de Documentaristes du Canada font partie, pour l'essentiel, de ce qu'on appelle l'industrie indépendante du documentaire au Canada et assurent la production d'une partie considérable des documentaires réalisés au Canada. Ainsi, nos membres réalisent des documentaires militants, des films sur des thèmes sociaux, des films à tonalité politique et des films sur un vaste éventail de sujets. Parmi les récents exemples de films faits par nos membres figurent J'ai serré la main du diable, L'Entreprise, Manufactured Landscapes et Sur le Yangzi.

John Christou, qui a produit Sur le Yangzi, est maintenant le cinéaste ayant enregistré les plus grosses recettes de l'histoire des premières projections de film au Canada la fin de semaine de son lancement cette année. C'est d'un documentaire qu'il s'agit.

Je vais m'écarter quelque peu du scénario que nous avons présenté à vos collaborateurs, parce que je voudrais réagir quelque peu à ce que le témoin précédent a dit, c'est-à-dire M. McVety. Il a fait allusion à un ami dont la petite-fille est autiste et qui reçoit très peu d'aide pour cette enfant. Il se trouve que je réalise des films qui parlent de personnes ayant des besoins spéciaux. C'est ce que je fais. En effet, j'ai réalisé un film qui parle d'un homme qui a le syndrome de Tourette, lequel film a été nommé au Prix Gemini et a remporté le prix du Festival de films de Yorkton ainsi qu'un prix à Bruxelles. J'ai également réalisé un film intitulé How Come You Walk Funny qui raconte l'histoire de la garderie merveilleusement intégrée de Bloorview Kids Rehab, à Toronto, un organisme pionnier. Je n'aurais pas pu réaliser ce film sans crédits d'impôt. Nous avons demandé du financement, et nous avons passé une année à essayer d'obtenir des fonds, et la seule chose qui m'a permis de réaliser ce film était le fait que je pouvais prouver que j'étais admissible à un crédit d'impôt fédéral et provincial au préalable. Sans cela, le film n'aurait pas été réalisé. Ce même film a remporté une mention honorable au Festival du film ReelHeART en 2006. Je l'ai fait pour la chaîne Discovery Health au Canada, mais quand j'ai essayé de le vendre à Discovery Health aux États-Unis, on m'a dit qu'il serait dangereux de le projeter aux États-Unis.

Je vais vous dire pourquoi. Le genre de programme offert par le Bloorview Kids Rehab n'existe pas aux États-Unis. Si le film était projeté aux États-Unis, les chaînes seraient assiégées par des parents leur demandant où ils pourraient obtenir de tels services pour leur famille. Le gouvernement serait alors obligé de répondre : « Désolé, mais pas aux États-Unis. » Les chaînes ont donc choisi de ne pas projeter mon film, parce que la politique gouvernementale là-bas n'appuie pas ce genre de programme.

Le sénateur Ringuette : On se croirait en Chine!

Mme Hahn : Oui. Tout cela pour dire que quand on parle de politique gouvernementale, il y a bien des façons de la définir. Je voulais attirer votre attention sur le travail particulier que je fais en réaction aux propos de M. McVety. Celui-ci a dit qu'il resterait pour écouter ma déclaration.

Par ailleurs, je voudrais préciser un autre point. M. McVety a dit que le gouvernement n'avait pas moyen de surveiller de ce qui advient de ces films. Cela étant dit, j'ai reçu des crédits d'impôt provincial et fédéral pour mon film et le responsable des crédits d'impôt à l'échelon fédéral m'a appelé une fois mon film réalisé et une fois que les autorités aient approuvé ces crédits d'impôt pour me remercier, car il avait vu tout mon film qui lui avait plu.

Les fonctionnaires chargés d'autoriser les crédits d'impôt une fois qu'une demande a été faite au BCPAC et que celle-ci a été approuvée, visionnent ces films. Je sais qu'ils ont vu mon film. Je voulais apporter cette précision pour le compte rendu, parce que les films sont visionnés.

Désolée d'injecter peu d'émotion dans mon propos, mais en réponse aux propos tenus par M. McVety plus tôt, j'aimerais préciser qu'il y a d'autres films qui sont réalisés au pays qui n'ont rien à voir avec la pornographie ou la violence. Ce sont des films très importants dont l'avenir dépend de notre capacité à obtenir des crédits d'impôt, surtout quand le sujet du film concerne des populations marginalisées, notamment les personnes handicapées.

Je vais revenir à mon texte. Même lorsque tout va pour le mieux, il est difficile d'être un documentariste indépendant au Canada; et tout ne va pas pour le mieux actuellement. Depuis que nous avons pris connaissance du projet de loi C- 10 il y a quelques semaines, nos membres craignent qu'il soit bientôt encore plus difficile de produire des documentaires au Canada.

Nous sommes ici aujourd'hui pour clairement faire connaître notre position. Les Documentaristes du Canada sont catégoriquement contre l'article 120 du projet de loi C-10 qui vise à amender le paragraphe 125(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Bien que nos membres reconnaissent l'importance pour le gouvernement de rendre des comptes quant à la façon dont il dépense son argent et les projets dans lesquels il investit, tenter d'y arriver de cette façon est redondant, nuisible au cadre économique de notre industrie et pourrait nous entraîner sur une pente glissante, soit la mise en œuvre subjective du système de crédits d'impôt.

John Christou, président, Comité de représentation politique, Documentaristes du Canada : Les crédits d'impôt pour la réalisation de films et la production télévisuelle ont d'abord été accordés comme mécanisme de soutien pour aider les petites et moyennes entreprises de production à survivre au long développement nécessaire pour réaliser des films. Le crédit d'impôt n'a pas été créé pour investir dans la structure financière de films, mais plutôt pour aider les entreprises après le tournage d'un film, avant l'enclenchement du prochain projet, afin que les petites entreprises ne fassent pas faillite pendant les mois qui s'écoulent entre les divers projets.

Malheureusement, depuis la mise en œuvre du crédit d'impôt, les réalités économiques de l'industrie et les pressions incessantes exercées par les diffuseurs et les organismes fédéraux et provinciaux de financement ont fait en sorte qu'aujourd'hui, aucune réalisation de film au Canada ne puisse se passer de crédits d'impôt investis dans la structure financière des réalisations.

Puisque les crédits d'impôt ne sont pas versés aux entreprises avant la fin de la production — et n'oubliez pas que la raison d'être des crédits était de soutenir les entreprises entre les cycles de production — nous devons nous en remettre aux banques pour financer les crédits d'impôt afin que l'argent soit à notre disposition durant la production. En moyenne, les crédits d'impôt représentent approximativement 11 p. 100 du budget de nos films.

Si l'article 120 de ce projet de loi va de l'avant, aucune banque ne financera nos crédits d'impôt, et cela mènerait à la disparition de ces 11 p. 100 de financement actuellement disponibles dans l'ensemble du système. Dans ce cas, la production de documentaires serait paralysée au pays, et des emplois seraient perdus. Mettons les choses en perspective : en 2005-2006, l'industrie du documentaire représentait 440 millions de dollars en production et 15 300 emplois.

J'aimerais ajouter que, comme les crédits d'impôt sont fondés sur les salaires payés dans la production de films, le gouvernement récupère son investissement par le biais des impôts sur le revenu payés par les gens embauchés dans l'industrie.

Comme nous le savons tous, les règlements régissant cet amendement n'ont pas été rédigés, mais les Documentaristes du Canada s'inquiètent de l'intention qui a inspirée l'article 120 et des cas d'abus potentiels qui pourraient en découler. Oui, nous sommes tous d'accord pour dire que le gouvernement canadien ne devrait pas financer le sexe et la violence gratuits. Il existe des règlements dans le Code criminel, OBCTAC et au Conseil canadien des normes de la radiotélévision.

Je suis reconnaissant que l'industrie ait été invitée à participer à la rédaction des lignes directrices régissant cet amendement, mais je ne suis pas à l'aise pour définir ce qui est ou non dans l'intérêt public. Parle-t-on de particuliers ou du Canada dans son ensemble? Je ne suis pas à l'aise de me prononcer là-dessus. À titre de membre de l'industrie, si j'étais invité, je ne me sentirais pas à ma place.

Qu'en est-il de productions canadiennes telles que J'ai serré la main du diable de Peter Raymont, œuvre qui a été couronnée d'un prix Emmy? Est-ce qu'on lui refuserait des crédits d'impôt parce qu'elle traite de violence extrême, c'est-à-dire de génocide? Est-ce qu'on refuserait aussi cela à un film primé comme le documentaire The Corporation parce qu'il critique les grandes sociétés? Ou peut-être encore que ma propre production intitulée Sur le Yangzi ne serait pas jugée admissible parce qu'elle risquerait d'offenser le gouvernement chinois. Entre parenthèses, nous n'avons pas encore reçu notre crédit d'impôt. Si le projet de loi allait de l'avant dès aujourd'hui, que se passerait-il?

Je le répète, nous convenons tous que la pornographie et la violence gratuite ne devraient pas être financées par les deniers publics sous forme de crédits d'impôt. Cela dit, le gouvernement ne devrait pas se mêler de porter des jugements subjectifs. Ce n'est pas dans l'intérêt public.

Mme Hahn : J'aimerais encore une fois m'écarter un peu du sujet pour parler de la manière dont les films sont réalisés et financés. Il m'a fallu un an pour obtenir le financement de mon film, un an pour le tourner et un an pour faire la postproduction. Cela donne un processus de trois ans. En outre, j'ai dû attendre deux ans pour que mon crédit d'impôt soit approuvé.

Nous croyons savoir que la ministre veut tenir des consultations publiques d'un an et tient à nous rencontrer pour discuter de la question avec nous, mais j'aimerais savoir quels films seront touchés pendant cette période. Est-ce qu'il s'agira de tous les films en cours de production, de postproduction ou d'élaboration? Nous ne le savons pas vraiment, et c'est ce qui nous préoccupe dans la proposition de la ministre.

En dernier lieu, nous aimerions souligner le fait que ce projet de loi soumet les productions canadiennes à un système à deux poids deux mesures. Si on estime que l'argent des contribuables ne devrait pas servir à financer certains films, pourquoi est-ce qu'on ne refuserait pas la même chose aux productions américaines tournées au Canada comme quelqu'un l'a dit plus tôt?

Beaucoup de deniers publics sont investis dans des productions américaines tournées au Canada — à raison de millions de dollars par an. La conclusion à tirer de cela est claire, comme on l'a déjà signalé au cours de cette réunion.

Nous aimerions appuyer la proposition de rechange à l'article 120 mise de l'avant pas l'Association canadienne de production de films et de télévision voulant que le libellé de la disposition soit lié au Code criminel. De cette manière, on se trouve à inscrire dans la loi ce qui existe déjà dans la réalité. À mon avis, tous les Canadiens s'opposent à ce que de simples particuliers décident de ce qui est dans l'intérêt public et estiment que la loi est un moyen de protection équitable et mesuré, conçu dans ce but même.

Nous sommes très reconnaissants de l'occasion que vous nous avez donnée de prendre la parole devant vous et vous en remercions.

John Morgan Lewis, vice-président international et directeur des Affaires canadiennes, International Alliance of Theatrical Stage Employees, Moving Picture Technicians, Artists and Allied Crafts of the United States, its Territories and Canada (IATSE) : L'IATSE a été fondée en 1893, et en 1898 au Canada. L'alliance compte plus de 110 000 membres, dont 16 000 vivent au Canada, ce qui en fait le syndicat le plus nombreux de l'industrie du spectacle.

L'IATSE représente des travailleurs exerçant divers métiers et dont la majorité travaillent dans les milieux du cinéma et de la télévision. Le travail de nos membres fait partie intégrante de la production, de la distribution, de la projection et de la diffusion de films et d'émissions de télévision.

Nous représentons des travailleurs, non des artistes, des producteurs ou des réalisateurs. Il s'agit d'hommes et de femmes qui gagnent leur vie dans l'industrie du cinéma et de la télévision. Ils et elles participent à des productions américaines à budget élevé et tournées à l'étranger, ainsi X-Men, tournée à Vancouver et Mummy 3, réalisée à Montréal, ainsi qu'à des productions canadiennes telles que Trailer Park Boys réalisée à Halifax et Corner Gas réalisée à Regina.

J'ai eu l'occasion de relire les transcriptions des témoignages des participants qui ont comparu devant le comité. J'ai été impressionné par le contenu des témoignages ainsi que par la pertinence des questions et commentaires des sénateurs. Je suis honoré d'être ici aujourd'hui et de participer un peu au processus démocratique.

Sauf erreur, le projet de loi C-10 comprend une disposition qui permettrait à la ministre du Patrimoine canadien de refuser l'octroi d'un crédit d'impôt à certaines productions cinématographiques et télévisées dont le contenu serait considéré contraire à la politique gouvernementale. La ministre devra également définir des lignes directrices pour clarifier les types de productions qui tomberaient dans cette catégorie.

Lors de son témoignage devant le comité, la ministre Verner a déclaré :

Il existe du contenu considéré potentiellement illégal selon les termes du Code criminel, telle que l'obscénité, la propagande haineuse et la pornographie juvénile. Actuellement, il n'existe pas de dispositions dans la Loi de l'impôt sur le revenu ou les règlements qui visent à exclure ce contenu. Le projet de loi C-10 vise notamment à résoudre cette faille.

Jusqu'à maintenant, je crois que l'ensemble de l'industrie est d'accord pour dire qu'il doit y avoir des restrictions sur le financement public par les crédits d'impôt pour toute production contrevenant au Code criminel. À cet effet, l'IATSE appuierait la proposition d'amendement du projet de loi C-10 tel que mis de l'avant par l'Association canadienne des producteurs de films et de télévision, l'ACPFT.

La difficulté qu'ont plusieurs intervenants de l'industrie avec le projet de loi C-10 est que celui-ci dépasse le contenu déjà établi par le Code criminel et amène un processus décisionnel subjectif et non transparent qui créerait des problèmes au niveau du financement.

Comme la ministre Verner elle-même l'a mentionné devant votre comité :

Ces lignes directrices porteront sur le type de contenu considéré comme susceptible d'être illégal aux termes du Code criminel et sur les autres types de contenu pour lesquels l'aide gouvernementale serait clairement inacceptable.

Nous sommes reconnaissants à la ministre d'avoir offert de consulter les intervenants de l'industrie avant de rédiger ces directives. Cependant, celles-ci étant un instrument non statutaire, elles pourraient être révisées en tout temps, sans consultation publique et sans le consentement du Parlement. Ceci crée un climat d'incertitude qui pourrait nuire à l'industrie du film et de la télévision du Canada.

Cette industrie est sous-capitalisée. Les producteurs doivent trouver du financement de sources publiques et privées. Les crédits d'impôt, qui peuvent représenter jusqu'à 10 p. 100 du budget, sont une part essentielle du modèle de financement traditionnel. Les institutions financières avancent jusqu'à 80 p. 100 de la valeur des crédits d'impôt à un producteur. Les banques refuseront une telle avance sachant qu'il y a une possibilité que les crédits d'impôt soient refusés suite à une décision prise une fois la production terminée.

J'ai lu avec beaucoup de préoccupation la déclaration faite par la Banque Royale du Canada dans le cadre du dépôt de Film Ontario, qui disait :

Si le projet de loi C-10 réduit ou compromet la présomption d'admissibilité sous-jacente actuellement à tous les prêts bancaires accordés à cette industrie, la capacité de la banque à continuer de financer les productions de contenu canadien s'en trouvera effectivement limitée.

Cette déclaration devrait préoccuper chaque individu travaillant dans cette industrie.

[Français]

Jean Pierre Lefebvre, président, Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec : Monsieur le président, je suis président de l'Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec qui a été fondée en 1973 et dont le mandat est défendre et de promouvoir les droits et les intérêts professionnels de ses 570 membres qui œuvrent aussi bien dans le domaine du cinéma que de la télévision.

L'Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec est incorporée en vertu de la Loi des syndicats professionnels du Québec et elle a la reconnaissance donnée par la Commission des associations d'artistes du Québec pour représenter tous les réalisateurs et réalisatrices qui travaillent en toute autre langue que l'anglais, c'est-à-dire que si les Chinois venaient tourner au Québec, c'est notre association qui aurait juridiction.

Le président : Vous avez mentionné le nombre de vos membres?

M. Lefebvre : Nous sommes 570. Enfin, l'Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec est accréditée par le Tribunal canadien des relations professionnelles, artistes et producteurs.

En effet, tout le monde l'a répété, le Code criminel canadien contient les mesures essentielles et nécessaires pour faire obstacle, juger et condamner celles et ceux et tout matériel audio-visuel qui pourraient contrevenir à l'ordre public. En anglais, c'est « public policy », c'est très différent. Quelqu'un devra régler ce problème de traduction, c'est beaucoup plus large en anglais qu'en français. Advenant le cas d'une condamnation devant les tribunaux, les personnes qui ont reçu des crédits d'impôt sont obligées de les remettre.

Tout citoyen canadien, y compris la ministre du Patrimoine canadien, peut, en vertu dudit Code criminel et de la Charte des droits et libertés, dénoncer et poursuivre ceux et celles qui perturberaient l'ordre public.

L'article en question, en plus d'être redondant et superflu, ouvre la porte à la plus totale subjectivité, à preuve les propos de Mme la ministre s'exprimant devant vous. Elle mentionnait et je cite :

Je tiens à souligner que la disposition contraire à l'ordre public ne sera pas prise à la légère. Je le dis et je le répète, le projet de loi C-10 n'est aucunement une question de censure, c'est une question de responsabilité, d'intégrité et d'efficacité.

Voilà bien des mots qu'il faut prendre à la légère, car ils sont sujets à autant d'interprétations qu'il y a d'individus sur terre et donc qui sont ouverts à autant de jugements arbitraires, moraux et religieux.

L'article en question ne peut et ne doit, à notre avis, d'aucune manière être amendé. Surtout pas en fonction d'éventuelles propositions du milieu culturel et de l'industrie audio-visuelle du Canada. Ce milieu et cette industrie porteraient alors l'odieux d'une telle mesure de censure et conséquemment d'auto-censure.

J'insiste sur le milieu culturel parce qu'on parle d'industrie, mais on ne parle jamais de la culture, c'est-à-dire tout le secteur afférent aux productions qui sont faites avec des subventions du Conseil des arts et qui, elles aussi, vont souvent trouver leur complément de budget. Un documentaire, c'est beaucoup plus important que dans le domaine de la fiction. Parlons de culture autant que d'industrie, sinon plus. Donc à notre avis, cet article doit simplement être retiré du texte du projet de loi C-10.

Enfin, un gouvernement démocratique comme le nôtre, qui n'aurait pas foi en ses propres institutions, en son propre Code criminel et en sa propre Charte des droits et libertés, ne serait pas digne de la confiance des citoyens canadiens.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Lefebvre, pour votre présentation très impressionnante. Passons maintenant aux questions.

Le sénateur Fox : J'aurai une question pour chacun des témoins et je vais commencer avec M. Lewis.

[Traduction]

Monsieur Lewis, j'aimerais discuter un peu des effets économiques au Canada sur les productions auxquelles participe actuellement l'IATSE. J'aimerais que vous parliez des effets économiques, et je reviendrai plus tard à la culture, des productions américaines au Canada et aussi un peu du fait que la ministre justifie son intervention pour les productions canadiennes sous prétexte que des deniers publics sont en cause, ce qui donne à la ministre un droit de regard sur les genres de films qui sont produits. Une fois cela en place, il est inévitable qu'un jour cela s'appliquera aux productions américaines. Quel genre d'effet cela aurait-il sur les gens que l'on essaie de faire venir au Canada pour y tourner des films?

M. Lewis : Je vais essayer de répondre à ces trois questions. Si je n'y arrive pas, dites-le-moi.

Le secteur du cinéma est une industrie mondiale, très concurrentielle. Le Canada a été un chef de file en matière de développement d'infrastructures, d'équipes de production, de création de studios d'enregistrement mais aussi pour les fournisseurs de matériel et le financement. Il y avait autrefois des abris fiscaux. Ils ont été éliminés et remplacés par l'actuel système de crédits d'impôt.

Il est de plus en plus difficile d'attirer au Canada des productions américaines à gros budget. Malgré ce qu'ont dit des témoins précédents, il s'agit d'un secteur. Les productions américaines à gros budget qui sont venues au Canada ont contribué au développement du secteur canadien, ce qui a avantagé l'industrie cinématographique nationale.

Les studios d'enregistrement de Montréal et de Vancouver, ainsi que le nouveau studio en construction à Toronto n'auraient jamais été construits seulement pour les productions canadiennes. Les entreprises qui fournissent du matériel et des services à l'industrie cinématographique n'existeraient pas sans les contrats étrangers donnés ici. Il est avantageux pour le secteur canadien du cinéma de pouvoir en profiter.

Presque tous les États américains ont maintenant un crédit d'impôt pour la main-d'œuvre qui est concurrentiel, voire plus avantageux. L'État de New York vient de tripler son crédit d'impôt, cette semaine. Le Michigan a créé un crédit d'impôt de 42 p. 100 pour toutes les dépenses, pas seulement la main-d'œuvre. Les fournisseurs ont peine à répondre aux besoins de toutes les productions qui arrivent au Michigan.

On a déjà parlé du Film and Television Action Committee, qui s'occupe des productions qui se sont faites ailleurs que dans le comté de Los Angeles. Les productions se font maintenant partout dans le monde, y compris au Nouveau- Mexique, dans les Carolines et ailleurs aux États-Unis, en plus d'ici, au Canada. Dans ce contexte, même dans des conditions idéales, il n'est pas facile d'attirer ici des productions, surtout avec le cours actuel de notre devise et avec les régimes de crédits d'impôt concurrentiels des États-Unis, bien supérieurs au régime canadien, même en combinant les crédits d'impôt fédéral et provinciaux. Il est de plus en plus difficile d'attirer ici des productions.

Voulons-nous leur donner une autre raison d'aller ailleurs? C'est ce que ferait ce projet de loi. Il sonnerait le glas du secteur des services aux productions étrangères, s'il s'y appliquait aussi. Cela n'en vaut tout simplement plus la peine.

Si les studios pensent ne pas avoir droit au financement par crédits d'impôt au bout du compte, ils ne viendront pas au Canada. Pourquoi le feraient-ils? Il y a des tas d'autres possibilités. D'autres États et d'autres pays font des pieds et des mains pour attirer ces productions.

Je suis convaincu que l'application de règlements semblables à ceux du projet de loi C-10 au secteur des services aux productions étrangères aurait un effet dévastateur, et le tuerait probablement du jour au lendemain. Cela aurait donc aussi un effet dommageable pour les productions canadiennes. Je le répète, on ne peut pas les voir comme deux secteurs distincts, car ils sont intégrés.

Le sénateur Fox : J'ai une dernière question, à laquelle vous pouvez répondre par oui ou par non. Essentiellement, vous êtes pour la proposition que nous a présentée l'ACPFT, n'est-ce pas?

M. Lewis : C'est exact.

Le sénateur Fox : Madame Hahn et monsieur Christou, la ministre a dit qu'il n'y avait pas de censure. J'aimerais savoir ce que vous pensez des arguments présentés par la ministre pour défendre son projet de loi. Elle les a répétés récemment à Radio-Canada, arguant qu'il n'y avait pas de censure dans ce projet de loi puisque si on met fin au financement public, les producteurs pourront trouver de l'argent ailleurs.

Je pense que les Canadiens sont très fiers de l'industrie que vous représentez aujourd'hui.

[Français]

L'industrie des documentaires est vraiment un fleuron de l'industrie canadienne, du talent et de la créativité canadienne. J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'argument selon lequel si l'un de vos films est rejeté par la ministre, vous pouvez toujours accéder à d'autres fonds.

Pouvez-vous simplement répondre à cet argument selon votre point de vue?

[Traduction]

M. Christou : Une réduction de 11 p. 100 de nos budgets détruirait le secteur des documentaires.

Prenons un exemple : pour Sur le Yangzi, le budget était de 800 000 $, dont environ 80 000 $ en crédits d'impôt fédéral. Sans ce montant de 80 000 $, le producteur aurait fait faillite. Ce film n'aurait pu être réalisé. Ce film a été un grand succès et je pense que la réponse est toute simple. L'argent ne se trouve pas ailleurs que dans le régime de crédits d'impôt. Dans le système actuel, il y a déjà à peine suffisamment d'argent pour financer des documentaires. Sans cela, si aucune autre mesure n'est proposée, comme de forcer les diffuseurs à augmenter les droits de licence ou toute autre méthode de financement par des organismes gouvernementaux, provincial ou fédéral comme Téléfilm Canada ou le Fonds canadien pour la télévision, il n'y aura pas d'autre source de financement.

[Français]

Le sénateur Fox : Monsieur Lefebvre, vous avez mentionné l'importance du rôle de la culture dans les industries culturelles et que sans culture, il n'y a pas d'industrie culturelle.

La ministre prétend que vous ne devriez pas vous en faire si un film est rejeté, parce que dans le fond, le secteur privé peut toujours remplacer les fonds qui sont déplacés. Aussi, vous ne devriez pas vous en faire parce que votre film va passer dans le système.

Quelle est votre réaction face à l'introduction d'éléments subjectifs dans l'octroi de crédits d'impôt? J'aimerais spécifier que celui qui vous a précédé a mentionné un film auquel on a référé comme YPF. Ce film a été financé à la fois par Téléfilm Canada, — qui, en passant, ne finance pas de films pornographiques — par les crédits d'impôt fédéral et provincial. Il semble qu'une agence fédérale ait décidé que ce film n'était pas pornographique alors que lui a décidé qu'il l'était.

Qui devrait décider si un film respecte les lignes directrices de la ministre, lignes directrices qu'elle pourrait modifier d'un jour à l'autre?

M. Lefebvre : C'est ce que je disais au préalable. C'est une question de principe. Nous avons tous les instruments pour nous défendre contre toute intrusion contre l'ordre public, et il ne peut y avoir que des jugements subjectifs.

La ministre parle elle-même d'intégrité, de responsabilité et d'efficacité. Je m'excuse, mais s'il y a des avocats dans la salle, ils savent très bien que l'interprétation de l'intégrité diffère selon qu'on est d'une religion ou d'une autre.

Quand le journaliste du journal Le Devoir m'a téléphoné, je croyais que c'était un canular. Je ne peux pas croire qu'un gouvernement dit démocratique puisse penser introduire une telle clause. On se croirait en ancienne URSS avec cet article qui relève d'un esprit totalitaire.

D'autre part, disons que la culture est toujours en mouvement et que les créateurs ne sont pas en avance sur leur temps, ils sont de leur temps. Ce sont les autres qui sont en retard et qui jugent selon des critères anciens.

Copernic a été mis au ban de l'Église pour avoir dit que la Terre tournait autour du Soleil. Encore s'il n'y avait pas de balises dans notre système, mais il y a des balises normales, démocratiques, pensées depuis des siècles. C'est aberrant! C'est la raison pour laquelle il ne doit pas, à notre avis, y avoir de compromis à ce niveau-là. Il faut que ce soit retiré.

On parle de pornographie par exemple. Mais la politique? Jean Lapointe a dit lors d'une réunion à Montréal que le film Les Ordres se serait peut-être vu refuser les crédits d'impôt. C'est un film qui porte sur la Crise d'octobre et qui ne donne pas une très bonne image du gouvernement fédéral. Voilà, vous mettez une main dans l'engrenage et tout risque d'y passer. Alors non à la subjectivité.

Le sénateur Massicotte : Merci à tous de comparaître devant nous aujourd'hui. On parle du Code criminel, mais on fait référence à d'autres normes provinciales qui déterminent les crédits comme tels. Pouvez-vous expliquer comment les décisions sont prises, à savoir qui reçoit ou non l'argent, abstraction faite du Code criminel?

[Traduction]

M. Christou : Au Canada, le financement des films est une chose très complexe, une sorte de labyrinthe. À chaque détour, il y a de nouveaux obstacles. Pour financer un film, il faut d'abord traiter avec les diffuseurs. Commençons par eux.

Le sénateur Massicotte : Nous avons parlé du Code criminel, mais y a-t-il d'autres normes applicables, ailleurs, avec diverses formes de subventions gouvernementales particulières, qui sont associées à des normes?

M. Christou : Je ne peux pas vous citer le libellé des lignes directrices, mais que je sache, aucun film pornographique, par exemple, n'a reçu de financement du Fonds canadien pour la télévision. Même chose pour Téléfilm Canada ou la SODEC, l'organisme provincial de financement au Québec. La Société de développement de l'industrie des médias de l'Ontario n'a jamais financé de film pornographique. Même chose pour British Columbia Film.

Je présume qu'il y a des lignes directrices. Je n'en connais pas le libellé, dans chaque cas, vous le comprenez. Que je sache, aucun organisme gouvernemental n'a financé de film pornographique.

[Français]

M. Lefebvre : Toutes les institutions ont dans leurs règlements — parmi les premiers règlements — de ne jamais financer quelque produit audiovisuel que ce soit qui contrevient aux chartes des droits et libertés. Nous avons, dans notre charte d'association, le même règlement. Nous n'avons pas le droit de faire de la propagande haineuse ou de la pornographie. Au Québec, il y a même un article de la loi qui traite de projections publiques, qui dit très spécifiquement qu'il est interdit de projeter, au Québec, tout film qui contreviendrait à l'ordre public ou aux chartes des droits et libertés. On est en train de faire une pyramide avec un millième de millimètre de possibilité que cela arrive. Et si cela arrive, les tribunaux sont là.

Le sénateur Massicotte : J'essaie de comprendre. Il y a quand même un débat qui peut se faire sur le Code criminel comme tel. Certains pensent qu'il n'est pas le bon point de repère. On parle du Code criminel, donc on parle d'aller en prison. Ici, il est plutôt question de subventions gouvernementales. J'essaie de différencier vos arguments. Je comprends la crainte majeure que nous avons tous au point de vue de la subtilité ou de la discrétion politique. Peut-être qu'on va revivre les années 1930 à 1940.

Si on modifiait la loi pour dire qu'il y a des règlements fermes qui seront établis et qui seront débattus publiquement au Parlement, est-ce que cela réglerait le problème? Ou peut-être n'aimez-vous pas ces standards.

M. Lefebvre : Cela ne règle absolument pas le problème parce que cela va être d'établir, même au Parlement, des critères qui seront d'un ordre subjectif alors qu'ils ne peuvent être que de l'ordre légal. C'est tout.

Le sénateur Massicotte : Vous dites que la SODEC est un bon exemple; elle ne permet pas le financement des films pornographiques.

M. Lefebvre : Absolument.

Le sénateur Massicotte : Cependant, beaucoup de films pornographiques ne sont pas sujets au Code criminel.

M. Lefebvre : Et ne reçoivent pas de crédits d'impôt, ni du fédéral ni du gouvernement provincial, pas plus qu'ils ne reçoivent une subvention.

Le sénateur Massicotte : Mais on parle de crédits d'impôt.

M. Lefebvre : On parle de crédits d'impôt, c'est bien ce que j'ai dit.

Le sénateur Massicotte : Pourquoi n'accepterait-on pas le même règlement qu'au Québec?

M. Lefebvre : Téléfilm Canada a le même mandat de ne pas financer des films qui contreviendraient à l'ordre public. C'est clair comme de l'eau de roche.

Le sénateur Massicotte : Vous ne seriez pas offensé si on se servait des mêmes règlements pour déterminer les crédits d'impôt?

M. Lefebvre : C'est global. Quand, au Québec, on reçoit un crédit d'impôt du provincial, c'est approuvé par la SODEC. Donc la SODEC se trouve à filtrer, si on veut, l'octroi du crédit d'impôt, mais celui-ci a déjà été décidé par des gens responsables qui connaissent les lois de l'institution et qui ont aussi le sens commun de dire qu'une telle chose peut être dangereuse. À ce moment-là, on va rencontrer la personne et lui demander quelles sont ses intentions. Il y a parfois des œuvres à propos de la pornographie, à propos de la violence. Vous donniez l'exemple du génocide. C'est tellement subtil. Qui va établir la frontière entre tous ces éléments-là? On le sait, presque tous les jours, nos réalisateurs font face à des télédiffuseurs qui disent : « cela ne peut pas passer. » Souvent, ce sont pour des raisons politiques. Ils disent : « Cela offenserait peut-être un ministre dans un pays quelque part dans le monde. Nos avocats nous ont dit que [...] ».

Il y a un filet tellement serré actuellement — trop serré même — au niveau de la liberté de création, qu'il ne faut pas aller le resserrer davantage avec des mesures qui ne peuvent qu'être subjectives.

[Traduction]

Mme Hahn : Je pense que vous devez aussi tenir compte du fait que certains éléments sont nécessaires lorsqu'on fait une demande de crédits d'impôt. Dans le secteur de la télédiffusion, c'est le permis du radiodiffuseur. Pour obtenir sa licence de radiodiffusion, il faut que le diffuseur s'assure que le film respecte les lignes directrices du Conseil canadien des normes de la radiotélévision et si la production est pornographique, le radiodiffuseur fera l'objet d'une réprimande.

Avant même de faire la demande de crédit d'impôt, ces éléments doivent être respectés, et cela règle le problème puisque l'industrie doit s'autoréglementer.

J'ai produit une série sur les poètes canadiens. Un diffuseur nous a demandé de retirer certaines phrases ou mots cités, qui venaient de certains poètes, estimant que des auditeurs pourraient en être choqués. Nous avons accepté, parce que c'était notre diffuseur, celui grâce auquel nous avions une licence.

[Français]

Le sénateur Nolin : Monsieur Lefebvre, ce n'est pas d'hier que cette question et cette expression « contraire à l'ordre public » circule dans ce type d'élaboration de critères. En mars 2001, votre association a été invitée à participer à un effort de consultation où ce critère « contraire à l'ordre public » était spécifiquement utilisé.

M. Lefebvre : À quelle occasion?

Le sénateur Nolin : Il y a un document qui a circulé parmi 33 organisations de votre industrie et qui visait justement à mettre en place une série de critères; des modifications à ce processus de crédits d'impôt. Un des critères était justement le respect de l'ordre public. J'essaie de comprendre ce qui a amené votre industrie, ou votre association, à changer d'idée entre mars 2001 et aujourd'hui?

M. Lefebvre : Premièrement, je n'y étais pas à l'époque, je m'excuse. Deuxièmement, si on s'est prononcé, je pense que c'est plutôt globalement parce que personne n'était au courant de cette petite clause avant il y a quelques mois. Alors, j'aimerais bien voir le texte dans lequel on aurait pu se prononcer parce que c'est contraire à toute notre politique qui, justement, cherche à garantir la totale liberté de création et d'expression de nos membres.

Le sénateur Nolin : Je suis d'accord avec vous, mais j'essaie de comprendre. C'est un document assez court, de 13 pages, émis par le même ministère qui visait justement à essayer de consulter l'industrie et qui utilisait exactement ce critère étant, je vous l'accorde, assez subjectif, contraire à l'ordre public. Il faut connaître un peu le poids de la jurisprudence pour s'apercevoir que c'est assez large, mais quand même qui correspond à des critères assez identifiables.

Votre association faisait partie du groupe d'une trentaine d'associations et cette expression était utilisée spécifiquement par le document de l'époque.

M. Lefebvre : Est-ce que vous avez le nom de l'Association là-dessus? Cela m'intrigue, c'est tout à fait contraire à ce qu'on défend.

Le sénateur Nolin : Cela m'intrigue aussi, c'est pour cela que je vous pose la question. Je peux obtenir l'information.

M. Lefebvre : Je semoncerai mon prédécesseur.

[Traduction]

Le sénateur Nolin : D'autres associations ont-elles été consultées, il y a quelques années?

M. Christou : Je ne pense pas que nous ayons été consultés. Mais je rappelle que nous ne sommes devenus une organisation nationale que tout récemment. Nous étions un regroupement de chapitres régionaux, auparavant. Il est possible qu'on ne nous ait pas consultés à l'époque, à cause de notre statut.

M. Lewis : Pour ce qui est de l'Alliance, on a posé la question à des témoins de la Guilde canadienne des réalisateurs, de la Writers Guild of Canada et de l'ACTRA, soit l'Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists. Ils font des recherches pour voir quelle réponse ils ont fournie, s'il y a lieu. Mais sauf votre respect, peu importe le genre de réponse qui a été fournie en 2001 : cela ne change rien à la situation actuelle. Peut-être que les syndicats, guildes et associations ont été négligents, c'est possible, mais cela ne change rien aux conséquences possibles du projet de loi C- 10. Il faut penser à l'avenir, et non au passé.

Le sénateur Nolin : Je vous comprends.

Le sénateur Ringuette : Monsieur Lefebvre, ce que vous avez dit était clair. J'espère que vous étiez présent lors du témoignage de l'autre groupe.

Lorsque la ministre a comparu devant le comité, je lui ai demandé si le ministère avait fait une étude de l'impact économique de cette disposition du projet de loi C-10. Elle a répondu qu'aucune étude d'impact économique n'avait été faite en ce qui concerne la proposition qui se trouve dans le projet de loi C-10.

Je comprends qu'il est nécessaire d'avoir une masse critique pour l'infrastructure et les professionnels dans l'industrie canadienne. Une façon d'y arriver est le crédit d'impôt pour la main-d'œuvre dans le cas des productions étrangères.

Je vous fais une petite mise en garde : J'ai peut-être soulevé la question avec des témoins que nous avons entendus avant vous et ils iront peut-être voir le premier ministre, le ministre de la Justice et le Conseil du Trésor pour faire du lobbying. Vous devriez peut-être communiquer avec ces mêmes ministères pour commencer à faire du lobbying afin de tenter de trouver un équilibre pour cette masse critique qui est très importante et dont on a besoin pour établir l'industrie au Canada. Je suis d'accord avec vous.

Je trouve par ailleurs intéressant que vous tous, comme tous nos témoins la semaine dernière, êtes d'accord pour dire qu'il est nécessaire d'avoir une disposition claire dans le projet de loi en ce qui concerne le Code criminel et au besoin, dans la Charte canadienne des droits et libertés, de façon à ce que tout le monde ait un sentiment de sécurité grâce à cette disposition et que toute subjectivité contenue dans le projet de loi soit éliminée.

[Français]

M. Lefebvre, on nous a dit que les mesures de crédit d'impôt qui avaient été mises en place en 1995 étaient le reflet du succès des mesures de crédit d'impôt qui étaient en place au Québec. Est-ce que vous croyez que si notre législation reflétait mot pour mot les provisions de la Loi québécoise pour le crédit d'impôt québécois, vous seriez satisfait d'une telle provision?

M. Lefebvre : Il faudrait que j'aie le texte de la loi du Québec pour vous dire oui ou non. Mais je pense que le gouvernement fédéral est assez grand pour faire ses propres devoirs.

Le sénateur Ringuette : Il ne semble pas parce qu'on a le projet de loi.

M. Lefebvre : Cela reste une question de principe; il ne faut pas faire une intervention subjective. Qu'on copie le texte du Québec, tant mieux, mais je ne le connais pas in texto.

Le président : Québec sait faire.

M. Lefebvre : Merci.

Le sénateur Ringuette : Ce n'est pas une question, mais un commentaire. Vous devez m'excuser parce que je suis en retard pour le comité des Finances qui tient sa réunion dans la salle à côté, mais je vous remercie de votre présence.

[Traduction]

Le sénateur Jaffer : Je vous remercie d'avoir pris un risque et de nous en parler; cela ramène une perspective sur la question. Après avoir écouté autant de gens, j'ai parfois l'impression que nous sommes devenus le gardien de nos frères. Nous avons la Loi sur la radiodiffusion, le Code criminel et la Charte. Il y a de nombreuses façons d'empêcher que les gens dépassent les limites.

Monsieur Christou, vous avez dit quelque chose qui a piqué ma curiosité. J'aimerais que vous répondiez tous les quatre à ma question. D'après ce que vous disiez, j'ai cru comprendre que vous hésitiez à aider à établir les normes, car l'industrie est vaste et les questions sont vastes. Ce que vous faites je crois, c'est nous sensibiliser à ce que se passe autour de nous. Vous n'étiez pas à l'aise pour établir cette norme. Est-ce que je pourrais avoir vos observations, à tous les quatre?

M. Christou : Ce n'est pas à des particuliers d'établir les normes pour le public. Qui peut dire que l'idée que se fait une certaine personne du bien public est meilleure que celle d'une autre? Je ne me sentirais pas à l'aise si j'étais responsable de créer de telles lignes directrices ou d'être consulté au sujet de leur création, car je ne suis pas à l'aise avec cette responsabilité. C'est aussi simple que cela. C'est pour cette raison que le Code criminel existe. Un précédent a été établi depuis des années. C'est la raison pour laquelle il y a une loi et ce devrait être suffisant comme dernier recours après avoir été obligés en tant que producteurs de films de passer par 17 autres moyens pour faire approuver nos films par les organismes de financement.

Mme Hahn : Si vous allez de l'avant avec ce projet de loi, la ministre se retrouvera à être la seule personne qui détermine les normes pour tout le pays lorsqu'elle est élue au Parlement. Elle est élue au Parlement, mais elle n'est pas élue ministre du Patrimoine canadien. C'est le premier ministre qui a la responsabilité de nommer une personne pour prendre des décisions importantes. Encore une fois, je ne voudrais pas être le ministre responsable en l'occurrence, car cela va bien au-delà de cette question. Qui consultez-vous? Même au sein de l'industrie, la voix des documentaristes souvent n'est pas entendue, surtout avec d'autres organisations comme l'Alliance internationale des employés de la scène et des projectionnistes des États-Unis et du Canada, parce que leur équipe est tellement petite étant donné que leur production est si petite et au sein de l'ACPFT. Nous devons nous battre pour être représentés au sein de ces organisations. Qui siégera à la table pour établir ces règlements? Est-ce que ce sera M. McVety ou un autre organisme? Qui sera présent? C'est une raison pour laquelle nous ne savons pas exactement ce qui arriverait si le projet de loi était adopté. Qui sera présent pour établir les règlements? La ministre n'a pas répondu à cette question.

M. Christou : Notre économie est une économie de marché libre; par conséquent, les Canadiens votent avec leurs dollars et leurs télécommandes. Ils peuvent choisir ce qu'ils regardent et quand ils vont le regarder, ce que regarderont leurs enfants, leurs grands-mères, leurs frères et leurs sœurs. Tout le monde a le choix. En définitive, chaque personne décide elle-même de ce qu'elle veut regarder ou ne pas regarder. Pour le reste, il n'y a pas d'autres contraintes, à moins que le matériel soit illégal.

[Français]

M. Lefebvre : Une remarque brève, le sénateur Fox était à une réunion à Montréal il y a peu de temps où un juriste a clairement dit : « Nous avons étudié cet article et essayé de voir s'il pouvait être amendé ou réécrit, c'est impossible, il faut qu'il soit retiré, point. Il n'y a aucun compromis. »

Le président : Vous ne parlez pas de la loi québécoise?

M. Lefebvre : C'est votre interprétation.

Le président : Vous parlez de quelle loi?

M. Lefebvre : Le projet de loi C-10. Excusez-moi, je pensais que vous parliez du Québec sait faire.

Le président : Évidemment qu'il sait faire.

M. Lefebvre : Chaque fois qu'on essaie d'interpréter ou d'amender un article, on arrive à un élément subjectif; on retourne aux législateurs, aux juristes, aux avocats. Même moi je refuserais de faire partie d'un comité qui établit des critères de sélection et pourtant je me considère assez libéral, sans faire de politique, pour dire qu'il faut être assez tolérant. Je refuserais parce que ce n'est pas mes affaires.

[Traduction]

M. Lewis : Je n'ai rien d'autre à ajouter. C'est un secteur problématique. J'ai lu les transcriptions des témoignages précédents et j'ai l'impression qu'il y a anguille sous roche parce qu'il n'y avait pas vraiment de problème grave qu'il fallait à tout prix corriger.

Je trouve très pertinente la remarque du sénateur Goldstein à l'intention des témoins précédents. Nous mêlons parfois les mots et les termes pour servir nos propres fins. On parle tout à coup de pornographie, alors que c'est sans rapport avec le débat. Il est clair que personne ne demande que la pornographie soit subventionnée par les fonds publics. C'est une pente glissante.

Les conséquences pour l'industrie et les gens qui y travaillent — et il y en a des milliers — sont directes et immédiates. On ne peut accuser la Banque Royale du Canada d'être trop de gauche. Quand elle fait des déclarations de ce genre, cela devrait faire réfléchir tout le monde, parce qu'il pourrait vraiment y avoir de graves conséquences pour l'industrie.

Le sénateur Jaffer : J'étais d'accord avec vous, monsieur Christou, jusqu'à ce que vous disiez : « Ce que je peux laisser ma grand-mère regarder ». Je suis moi-même grand-mère et j'espère que mon petit-fils ne décidera jamais de ce que je peux regarder.

M. Christou : Je suis désolé.

Le président : Je vais laisser le sénateur Banks avoir le dernier mot. Vous savez, c'est notre artiste résident et il établit les normes.

Le sénateur Banks : Ah oui? Première nouvelle. En fait, j'appartiens à l'American Federation of Musicians et à plusieurs autres syndicats. Je ne sais pas si l'Alliance est le plus gros, mais c'est sans doute l'un des plus gros et des plus anciens.

Oublions un instant que le crédit d'impôt a toujours été fondé sur la main-d'œuvre et non sur le contenu. Pourrait- on mettre en place une espèce de police qui fixerait les normes ou les exigences auxquelles des productions devraient satisfaire pour recevoir le crédit d'impôt? Je pose ma question à chacun d'entre vous et vous pouvez répondre par oui ou non.

Autrement dit, Sarah Polley a déclaré devant notre comité que si quelque chose n'est pas illégal aux termes du Code criminel, on devrait avoir le droit de le dire et de le montrer. En fait, elle a dit « de le dire », mais moi, j'ajouterais « de le montrer ».

Devrait-il y avoir d'autres règles que celle-là? Devrait-on instaurer une norme publique en matière de crédit d'impôt, dans l'intérêt public? J'ai bien dit, dans l'intérêt public, et pas pour qu'on se conforme à la politique gouvernementale. Ou devra-t-on s'en tenir à la règle selon laquelle on peut montrer tout ce qui n'est pas illégal?

M. Lefebvre : Non. Cette norme existe déjà. Nous avons toutes les protections voulues.

M. Christou : Je suis moi aussi d'accord avec votre déclaration.

Le sénateur Banks : Je n'ai pas fait de déclaration. J'ai posé une question.

M. Christou : Je crois qu'effectivement on devrait pouvoir dire ou montrer tout ce qui n'est pas illégal.

Mme Hahn : Je partage cet avis, particulièrement dans le cas de documentaires, parce qu'il faut souvent s'interroger sur ce qui est légal ou illégal. Il y a des documentaires sur l'usage de marijuana. Or, la consommation de marijuana est illégale. Devrait-on interdire de lancer un débat public dans un documentaire sur l'usage de marijuana sous prétexte que c'est illégal? Les gens peuvent voter avec leurs télécommandes.

M. Christou : Je pense qu'il faut séparer l'acte du fait de discuter de cet acte. C'est une distinction importante, et je ne pense pas que les témoins précédents l'aient mentionnée.

Le fait de parler de sodomie n'est pas la même chose que le fait de pratiquer la sodomie. Je crois qu'il y a une très grande différence entre le fait de discuter d'un sujet et le fait d'en faire un film.

M. Lewis : Je ne veux pas avoir recours à un stéréotype, mais dans une société démocratique parfois il y a des choses qui nous mettent mal à l'aise et cela fait partie du prix que nous devons payer si nous voulons vivre dans une société démocratique.

Pour être franc, je dois dire ces choses par respect pour mon père qui est âgé de 81 ans. Il me semble que ce n'était pas vous, monsieur le président, qui avez fait allusion à un film qu'on a nommé « The Big M ». Quand j'étais jeune, je regardais Frank Mahovlich jouer, et j'espère que ce comité utilisera une autre expression pour décrire ce film-là.

Le président : C'est un membre de notre illustre Sénat. Je suis d'accord avec vous. Certainement, on ne voulait aucunement porter atteinte au grand M, no 27.

Je remercie tous les témoins. Encore une fois, le débat a été intéressant, positif et utile. Je crois que les témoins se sont donnés beaucoup de mal pour préparer leurs exposés. Vous vous êtes exprimés éloquemment, et nous vous avons écoutés. Merci beaucoup.

La séance est levée.


Haut de page