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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 16 - Témoignages du 17 avril 2008


OTTAWA, le jeudi 17 avril 2008

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, notamment en ce qui concerne les entités de placement étrangères et les fiducies non-résidentes ainsi que l'expression bijuridique de certaines dispositions de cette loi, et des lois connexes, se réunit aujourd'hui à 10 h 45 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, honorables sénateurs, mesdames et messieurs, ainsi que tous ceux qui nous regardent à la CPAC ou par diffusion web. Je m'appelle David Angus. Je suis président du Comité permanent des banques et du commerce et je présente toujours mes collègues présents à la table.

Je suis certain que le vice-président, le sénateur Goldstein, va arriver d'une minute à l'autre. À ma droite se trouve un monsieur très distingué; c'est notre artiste en titre et un éminent Canadien, le sénateur Tommy Banks de l'Alberta. À sa droite se trouve un autre Canadien bien connu, qui maîtrise à fond les questions dont il est question ici, le sénateur Francis Fox du Québec. Il y a aussi le sénateur Michael Meighen, un Québécois de cœur et de souche, mais qui représente l'Ontario, ce dont nous l'excusons; l'éminent sénateur Ringuette, du Nouveau-Brunswick; le sénateur Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique; le sénateur Paul Massicotte, du Québec, un ancien patriote du Manitoba; ainsi que le sénateur Michel Biron, du Québec.

Nous vous présentons également notre estimée greffière, Mme Line Gravel, ainsi que de notre attachée de recherche de la Bibliothèque du Parlement, Mme June Dewitering.

Comme vous le savez, nous tenons aujourd'hui une autre séance sur les dispositions du projet de loi C-10, un projet de loi très englobant qui comprend diverses modifications d'ordre technique et administratif. Nous en arrivons à un stade où nous ne sommes plus certains si ce sont des modifications techniques, administratives ou de fond. Elles sont ce qu'elles sont et se trouvent dans un projet de loi qui tient en 547 pages. Nous essayons d'en effectuer un second examen sénatorial objectif.

Les dispositions relatives aux crédits fiscaux pour l'industrie du cinéma et du vidéo soulèvent beaucoup de discussions. On semble se demander si ces dispositions risquent de restreindre la liberté d'expression en général au Canada et en particulier, dans l'industrie cinématographique.

Du point de vue du gouvernement, c'est une mesure strictement administrative qui donnerait au gouvernement des pouvoirs qu'il n'exercerait que dans l'éventualité d'une production terrible, afin de lui refuser du financement public.

La question se précise, les sénateurs se préparent à décider ce qu'ils vont faire du projet de loi, et vous êtes parmi les derniers témoins que nous allons entendre sur le sujet.

Le sénateur Fox : J'invoquerais brièvement le Règlement, monsieur le président. Je me demande ce qu'il advient de la correspondance qui nous parvient. Nous avons reçu une lettre du maire de Toronto, qui s'oppose vivement au projet de loi que nous étudions. Sera-t-elle lue pour le compte rendu ou simplement jointe au compte rendu? Sera-t-elle publiée quelque part?

Le président : Normalement, la greffière reçoit la correspondance qui ne vient pas d'un témoin, la fait traduire et en distribue copie à tous les membres du comité.

Le sénateur Fox : C'est ce que j'ai vu, oui.

Le président : Les membres du comité ont ensuite ces données, qui peuvent les faire pencher d'un côté ou de l'autre au moment du vote. Nous n'allons pas plus loin. Pour des raisons de procédure, je serais prêt à en discuter plus tard, si vous le voulez.

Le sénateur Fox : Merci beaucoup.

Le président : Mon éminent vice-président, le sénateur Goldstein, vient d'arriver, et nous allons commencer. Je m'apprêtais justement à présenter les témoins, monsieur Goldstein.

Je souhaite la bienvenue à notre premier groupe de témoins ce matin : M. Christopher Waddell, qui représente Pen Canada; Mme Susan Swan et Mme Deborah Windsor, de la Writers' Union of Canada; ainsi que Marc Grégoire, de la Société des Auteurs de Radio, Télévision et Cinéma.

Christopher Waddell, président, Affaires nationales, PEN Canada : Merci, monsieur le président, de permettre à PEN Canada de s'exprimer aujourd'hui sur le projet de loi C-10; nous remercions aussi le comité de tenir ces audiences. Avec ses plus de 1 100 membres, qui sont journalistes, écrivains de fiction, de non-fiction et de poésie; dramaturges, éditeurs, traducteurs, rédacteurs et scénaristes, PEN Canada est l'un des 145 PEN les plus actifs dans le monde.

Nous sommes un organisme indépendant et à but non lucratif qui défend la littérature et les droits de la personne et vise à faire avancer le droit à la liberté d'expression. Nous menons campagne au nom des écrivains du monde entier qui sont persécutés en raison de leurs idées. Nous exerçons des pressions sur les gouvernements au Canada et dans le monde; organisons des pétitions; envoyons des lettres, des télécopies et des cartes postales pour demander la libération d'écrivains persécutés dans des prisons de pays comme la Chine, Cuba et l'Iran et menons des campagnes de sensibilisation du public sur la liberté d'expression. Nous offrons également des services professionnels et de réseautage aux écrivains qui vivent en exil au Canada.

Au Canada, nous nous exprimons contre les efforts destinés à restreindre la liberté d'expression, comme les tentatives de censurer des livres ou des publications ou d'empêcher les journalistes de protéger leurs sources confidentielles. Nous collaborons fréquemment avec beaucoup d'autres groupes, comme la Writers' Union of Canada et le Book and Periodical Council.

Notre position, ici aujourd'hui, est semblable à celle de l'Association canadienne des libertés civiles qui a comparu devant le comité la semaine dernière, si je ne me trompe pas. Nous ne sommes pas des spécialistes du financement des films ni des subtilités de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cependant, nous sommes très inquiets de voir ce projet de loi, qui contient des dispositions donnant au gouvernement le pouvoir de restreindre des avantages en fonction du contenu d'un film, sous prétexte qu'il serait « contraire à l'ordre public ».

Comme d'autres personnes l'ont dit au comité, l'idée qu'un gouvernement puisse rétroactivement refuser des crédits fiscaux à un film parce que son contenu est jugé contraire à l'ordre public est une intrusion dangereuse sur le terrain de la liberté d'expression. Une grande partie des discussions qui ont eu lieu à ce comité ont porté sur la question de savoir si des films qui incluent de la violence gratuite ou de l'exploitation sexuelle devraient être inadmissibles à des crédits fiscaux. Selon notre façon de voir les choses, la question est beaucoup plus vaste. Si le projet de loi C-10 était adopté dans sa forme actuelle, il dicterait qu'on peut refuser rétroactivement des crédits fiscaux à des films dont le ministre ou ses représentants jugent le contenu contraire à l'ordre public. C'est une définition extraordinairement vaste qui ouvre la porte à des abus à la longue. Le ministre a déclaré qu'il y aurait des lignes directrices pour administrer cette règle, mais les politiciens et les bureaucrates qui les administrent peuvent les modifier et les réviser à leur guise. Si ce projet de loi est adopté, un gouvernement futur aura tout le loisir de refuser des crédits fiscaux à une grande variété de films pour des raisons vagues et subjectives.

Parmi les sujets qui pourraient être jugés contraires à l'ordre public, soulignons un documentaire sur l'affaire Maher Arar, qui pourrait révéler des renseignements que le gouvernement a gardés secrets; un docudrame qui critiquerait les activités des Forces canadiennes en Afghanistan; un film qui fait la promotion d'une taxe sur le carbone pour lutter contre le changement climatique ou encore un film ou une série télévisuelle qui laisserait entendre que le Canada planifie secrètement d'exporter son eau. Une telle loi pourrait toucher la production de dramatiques, d'œuvres de pure fiction, d'un film qui imaginerait ou représenterait l'éclatement du pays ou même de films qui présentent de la toxicomanie et des programmes d'échange de seringues. Il n'est pas illégal de débattre de ces questions ou de les représenter, mais ces œuvres pourraient être jugées contraires à l'ordre public et même, se voir refuser des crédits fiscaux.

Si un futur gouvernement utilisait le pouvoir qu'il se donne par ce projet de loi, la liberté d'expression au Canada s'en trouverait gravement minée. Pour cette raison, nous exhortons ce comité et le Sénat à renvoyer le projet de loi à la Chambre des communes afin qu'elle le réexamine comme il faut et qu'elle en débatte comme elle n'en a pas débattu au départ. Quand la question sera renvoyée à la Chambre des communes, si le gouvernement décide de soumettre un projet de loi révisé, plutôt que de simplement abandonner cette disposition, comme nous le souhaitons, nous sommes convaincus qu'il y aura des audiences publiques devant un comité permanent de la Chambre des communes sur les révisions proposées avant que le projet de loi ne soit soumis au vote de la Chambre.

PEN Canada favorise l'approche qu'ont déjà préconisée devant ce comité l'Association canadienne des libertés civiles et l'Association canadienne de production de films et de télévision. Le facteur déterminant pour rejeter l'admissibilité à des crédits fiscaux devrait être la violation des dispositions du Code criminel. De plus, ce devrait être les tribunaux, et non un ministre ou ses délégués, qui déterminent si un film contrevient au Code criminel.

PEN Canada souhaite remercier le comité de lui avoir offert cette tribune pour donner à cette question l'attention publique qu'elle mérite.

Deborah Windsor, directrice exécutive, The Writer's Union of Canada : Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les honorables sénateurs. The Writer's Union of Canada est reconnaissante de pouvoir participer aux consultations du Sénat sur le projet de loi C-10.

Fondée en 1973 par des écrivains pour des écrivains, la Writer's Union est devenue la voix nationale de plus de 1 650 écrivains, principalement de romans et d'essais. Elle a pour mandat de promouvoir et de défendre les intérêts de ses membres qui sont des créateurs, ainsi que le droit de tous les Canadiens de lire, d'écrire et de publier. La Writer's Union a un rôle important à jouer pour que la loi soit formulée de manière à atteindre vos objectifs.

Susan Swan, présidente, The Writer's Union of Canada : Je vous remercie de nous faire sentir si bienvenues ici. Je me suis dit que vous vous demanderiez peut-être pourquoi les écrivains de livres viennent ici vous parler du retrait de crédits fiscaux pour les films. Comme vous l'avez peut-être lu dans notre mémoire, beaucoup d'écrivains canadiens célèbres qui sont membres de la Writer's Union ont vu leurs histoires portées au grand écran. Il y a par exemple Michael Ondaatje et Le patient anglais; Barbara Gowdy et Kissed; Margaret Laurence et The Diviners; Margaret Atwood et La servante écarlate; Nino Ricci et La vie des saints; Guy Vanderhauge et An Englishman's Boy; Alice Munro et Loin d'elle. Je pense que le comité a entendu Sarah Polley la semaine dernière, qui a adapté cette nouvelle d'Alice Munro. Mon roman The Wives of Bath, qui raconte un meurtre dans un pensionnat de jeunes filles, a lui aussi donné naissance à un film. Le film est intitulé La rage au coeur et met en vedette Mischa Barton, Piper Perabo et l'actrice québécoise Jessica Paré. Il a été choisi pour faire l'ouverture du Sundance Film Festival en 2001 et a été diffusé dans 33 pays du monde. Il a été repris dans un manga Japonais, sans que je ne reçoive un sou pour cela, je dois dire.

Mon bagage d'écrivain qui, comme bien d'autres écrivains au Canada, a vécu l'expérience de voir son livre porté au grand écran m'a appris beaucoup de choses sur l'industrie cinématographique au Canada. Honnêtement, les films canadiens ont connu beaucoup de succès récemment, mais il est extrêmement difficile de trouver l'argent nécessaire pour financer un film canadien. C'est déjà difficile.

La tâche pourrait se comparer à celle d'un explorateur qui cherchait le passage du Nord-Ouest il y a 200 ans. Une maison de production a passé 15 ans à essayer de faire un film de mon roman The Biggest Modern Woman of the World. Elle a trouvé une excellente réalisatrice australienne, Gillian Armstrong, et tout le financement était là après 15 ans, mais le projet a fini par tomber à l'eau à cause d'un problème financier.

Il a fallu dix ans pour produire La rage au coeur. Le réalisateur a changé cinq fois et la maison de production, trois. Enfin, le film a été produit par une maison de production fantastique du Québec. La réalisatrice, Léa Pool, l'a porté au grand écran après une bataille très pénible. Je ne comprends pas pourquoi il est si difficile de produire un film au Canada. La plupart des Canadiens n'ont aucune idée de tous les obstacles qu'il faut surmonter pour faire démarrer un projet de film.

Je suis ici aujourd'hui en tant que présidente de la Writer's Union of Canada pour vous dire que nos films, qui commencent à se faire remarquer dans le monde, ont besoin d'encouragements et non d'un sabotage attribuable à un projet de loi fiscal conçu au départ pour revitaliser l'industrie télévisuelle et cinématographique au Canada. À la place, cette nouvelle disposition est le fruit de pressions de petits groupes religieux fondamentalistes, d'après ce que je comprends. Ce projet de loi a été déposé pour faire d'un mécanisme visant à favoriser notre cinéma un moyen de protéger la décence canadienne. Cela me semble malavisé et stupide. Je suis ici pour vous dissuader d'accepter cette disposition. Vous n'avez aucune idée du froid qu'elle jettera sur l'industrie cinématographique d'ici, qui croule déjà sous les pressions financières.

La situation rendra les réalisateurs craintifs à l'idée de demander de l'argent pour tout projet le moindrement controversé. Ils devront aviser leurs investisseurs, les banques et les autres producteurs qu'ils pourraient ne pas recevoir de crédits fiscaux. Ce sera de la plus grande inquiétude pour les maisons de production de films.

Nous avons déjà des lignes directrices en place pour Téléfilm Canada. Je pense que la liberté artistique est la meilleure forme d'ordre public. Les lignes directrices ne m'animent pas particulièrement, mais il en existe déjà pour le cinéma chez la plupart des organismes de financement gouvernementaux. On dirait un mécanisme extrajudiciaire. Il va causer de graves problèmes à l'industrie cinématographique canadienne en plus de nuire aux Canadiens qui veulent voir des films de chez nous et aux écrivains canadiens qui souhaiteraient que leurs livres fassent l'objet de films et d'émissions de télévision.

Cet article pose un problème très pratique. Il menace notre industrie cinématographique, et je ne peux pas vous supplier assez de renvoyer ce projet de loi à la Chambre des communes, pour qu'on puisse en débattre plus en détail.

Je souligne également qu'il jette un froid sur le milieu artistique. La Writers' Union s'inquiète depuis longtemps de l'autocensure que pratiquent les écrivains. Ils s'empêchent d'exploiter pleinement leur idée parce qu'ils craignent qu'elle ne soit trop controversée. Cela ne pourra que contribuer au climat de froid entourant les idées et l'expression artistique.

La situation n'arrêtera peut-être pas un écrivain aussi déterminé que moi, mais je fais déjà partie de la vieille garde. J'ai écrit six romans et suis en train d'en écrire un septième. Il y a eu des films sur d'autres de mes livres à part Lost and Delirious. Je vais survivre. Cependant, dans la pratique, ce contexte va décourager les jeunes écrivains à plonger dans les profondeurs de leur potentiel créatif.

Il y a deux éléments que je tiens à souligner aujourd'hui. Cet article menace l'industrie cinématographique et contribuera à jeter un froid sur le milieu artistique qui rendra plus difficile pour les écrivains, et non seulement pour les producteurs de films, de s'exprimer et de raconter leurs histoires au public canadien.

Mme Windsor : Pour conclure, comme Mme Swan l'a dit, nous n'avons pas besoin de mécanisme extrajudiciaire pour juger nos films. Cela contrevient au principe démocratique voulant que les coûts d'institutions publiques comme les écoles et d'autres organismes publics soient pris en charge collectivement et privilégie une approche « big brother » des arts, une approche qui confère au gouvernement fédéral des pouvoirs démesurés et dangereux, ce qui confirme que la culture canadienne est en péril.

Les tribunaux canadiens appliquent les lois canadiennes et pourront remplir cette fonction au besoin. La Writers' Union of Canada et ses membres estiment que l'alinéa 120(3)b) du projet de loi C-10 entraînera une augmentation de l'autocensure chez les écrivains et d'autres créateurs et jettera un froid encore plus glacial sur l'expression des idées. C'est inacceptable dans une société où la liberté d'expression est garantie par la Charte des droits et libertés, et nous demandons au Sénat de rejeter ce projet de loi et de le renvoyer à la Chambre des communes.

[Français]

Marc Grégoire, président du conseil d'administration, Société des Auteurs de Radio, Télévision et cinéma : Monsieur le président, merci de nous recevoir. La SARTEC, la société des auteurs de Radio, Télévision et Cinéma a été fondée en 1949 et elle représente 1 200 auteurs qui écrivent en français les fictions, les documentaires, les séries jeunesse, les films, tant en production privée que chez les diffuseurs privés ou publics.

S'étonnera-t-on que la Société des auteurs de Radio, Télévision et Cinéma vienne ici faire part de ses inquiétudes face à un article de loi largement perçu comme porteur des germes de la censure? Si la liberté d'expression est une valeur fondamentale pour toute société démocratique, c'est aussi une condition essentielle à la création et à une culture vivante. Nous nous opposons donc farouchement à ce que les productions audio-visuelles soient soumises aux aléas d'un mode de financement basé sur une approche subjective dont les règles ne seraient connues que par un comité restreint chargé de certifier les crédits d'impôt. L'attribution de ceux-ci doit reposer sur des règles claires et transparentes.

Pourtant, en matière de transparence, le projet de loi C-10 s'avérait prometteur et répondait même à des demandes que la SARTEC et d'autres associations avaient exprimées. Ainsi, l'article 186.2 modifie les dispositions actuelles de la loi en permettant au ministre du Patrimoine canadien de communiquer au public divers renseignements sur les œuvres pour lesquels un certificat de production cinématographique ou magnétoscopique a été délivré, soit le titre de production certifié, le nom du contribuable auquel le certificat est donné, le nom des producteurs de la production, le nom des particuliers et des endroits pour lesquels les points ont été attribués, le nombre total de points attribués et la révocation d'un certificat.

À cause de l'actuel secret fiscal, ces renseignements n'étaient pas accessibles, à moins de scruter chaque générique pour savoir si telle ou telle production était admissible.

Depuis l'affaire Cinar, la SARTEC comme d'autres avait dénoncé ce manque de transparence et réclamé que les renseignements sur les œuvres financés par ces mesures d'aide automatique soient publiés tout comme le sont ceux relatifs aux œuvres bénéficiant de l'aide sélective.

Même au niveau industriel, la publication de telles données s'avérait essentielle. Les crédits d'impôt constituent un outil d'intervention primordial dans le secteur audio-visuel. Comment mesurer l'efficacité des politiques gouvernementales et en évaluer l'impact sur le plan culturel? Ainsi en 2005, la SARTEC et l'UDA — l'Union des artistes — dévoilaient sur les séries jeunesse et animation que le financement canadien des productions d'animation s'élevait à 1,4 milliard de dollars entre 1994 et 2004, mais qu'à peu près aucune des séries financées n'avait été écrite en français par des auteurs d'ici. Ce constat selon lequel les auteurs francophones n'avaient pas bénéficié des retombées d'un important financement de l'État avait cependant été très difficile à établir parce que les renseignements sur les productions financées par les crédits d'impôt étaient tenus confidentiels.

En contribuant à rendre plus difficile une répétition du spectacle des prête-noms et en permettant de mieux jauger de l'impact des crédits d'impôt sur notre secteur, le projet de loi C-10 aurait fait œuvre utile.

Malheureusement, il ne s'est pas arrêté là et si nous sommes ici aujourd'hui, c'est parce que comme tout le milieu audio-visuel, voire culturel en général, nous trouvons fort préoccupante la possibilité que le financement d'une œuvre puisse être révoqué parce que son contenu est jugé contraire à l'ordre public.

Les crédits d'impôt sont des outils de financement dit neutres ou objectifs, surtout au gouvernement fédéral. La SARTEC a, par le passé, réclamé sans succès une bonification linguistique, comme pour le crédit d'impôt au Québec, afin d'aider la production de langue française, se l'est fait assez souvent répété, merci, par le ministère du Patrimoine canadien pour le savoir.

Dans ce contexte, l'émission d'un certificat donnant droit à un crédit d'impôt fédéral doit s'appuyer sur des conditions objectives reliées, par exemple, à la provenance de l'équipe de création ou aux coûts de production.

En ce sens, il demeure tout à fait légitime que le gouvernement s'assure que ces règles soient respectées. Que le gouvernement envisage, par exemple, de révoquer le crédit d'impôt à un producteur, qui aurait faussement déclaré une main-d'œuvre canadienne, est tout à fait conséquent. Il s'agit d'un critère objectif dont la vérification s'avère objectivement facile, de même que pour les productions déclarées dès le départ non admissibles : émissions d'information, télé-vérité, et cetera.

Mais en introduisant des critères d'ordre public pour réviser les décisions déjà prises quant à la certification de certaines productions, le projet de loi introduit une approche totalement subjective dans un processus dit objectif.

Les productions audiovisuelles ne peuvent pas être soumises aux aléas d'un mode de financement basé sur une approche morale dont les règles ne seraient connues que par un comité restreint chargé de certifier les crédits d'impôt; l'attribution de ceux-ci doit reposer sur des règles claires et transparentes. D'ailleurs, contrairement aux diffuseurs, par exemple, ou aux agences comme Téléfilm, la SODEC ou le BCPAC, il n'a pas d'expertise en analyse de contenu, il remplit davantage une mission technique et il n'est assurément pas souhaitable qu'il modifie son intervention.

Il y a, à l'heure actuelle, suffisamment de balises dans le financement public du secteur audiovisuel. Les œuvres jugées pornographiques ou qui exploitent de façon gratuite des éléments de violence ou d'exploitation sexuelle grave ou de nature diffamatoire ne passent pas le filtre des décideurs.

Alors, pourquoi le gouvernement juge-t-il nécessaire de se donner la possibilité de réviser les décisions prises à partir de critères d'ordre public? À quel problème le gouvernement réagit-il? Que vise d'ailleurs pareille mesure? Quels films, quelles œuvres ont suscité à ce point un tel tollé qu'il faille en rajouter sur l'encadrement actuel? À notre avis, rien ne justifie pareille disposition assimilable à une censure d'autant plus pernicieuse qu'elle frappe après coup en usant de l'arme économique.

Les auteurs abordent des thèmes bien inscrits dans les préoccupations de la société qui les entoure : le sexe, la violence sont des sujets ou des thèmes d'intérêt abordés dans bien des œuvres. Certains spectateurs adoreront un film, d'autres le trouveront trop violent ou trop osé. La beauté comme le péché est souvent dans l'œil de celui qui regarde.

Dans une société démocratique où la liberté d'expression est un principe fondamental, peut-on laisser un comité formé en vertu de l'application de règles fiscales juger de la qualité artistique d'une œuvre par rapport à des critères d'ordre public et lui permettre de révoquer son financement? Est-ce par la fiscalité que l'on entend désormais établir la norme sociale de tolérance? Qui osera écrire ou produire des œuvres sur des sujets ou thèmes controversés en sachant que le financement obtenu lui sera peut-être éventuellement refusé?

Nous l'avons dit, les règles actuelles excluent déjà certains types d'œuvres. Les films font de plus l'objet d'un classement et certains comportant des scènes de violence plus difficiles, par exemple, ne sont pas accessibles à un jeune public.

Pour éviter les écueils de la censure, la SARTEC demande donc le retrait de la disposition permettant de refuser a posteriori le soutien financier à des productions jugées contraires à l'ordre public.

Le président : Merci beaucoup. J'aimerais connaître le nombre de membres rattachés à votre organisation?

M. Grégoire : Nous avons 1 200 membres.

[Traduction]

Le président : J'allais vous présenter le sénateur Harb, qui est arrivé et reparti. Un autre sénateur, le sénateur Johnson du Manitoba, est ici aujourd'hui pour représenter le parrain du projet de loi, le sénateur Eyton. Je ne suis pas certain qu'ils soient sur la même page quant à leur opinion sur le projet de loi, mais je souligne qu'elle représente le parrain du projet de loi.

Le sénateur Meighen : J'aimerais commencer par reprendre quelques mots de Mme Swan : « de graves problèmes ». Elle en a énuméré toute une liste. Je ne dis pas qu'ils ne sont pas graves; je partage son opinion que s'ils devenaient réalité, ce serait de graves problèmes. Je pense que la plupart des membres de ce comité partagent ce point de vue.

J'aimerais toutefois savoir si de votre point de vue ou du point de vue de quelqu'un d'autre, il y a un terrain d'entente possible. Nous semblons tous d'accord pour dire que le Code criminel contient des définitions claires, ou aussi claires que possibles pour l'être humain, de l'obscénité et de la pornographie. Pouvez-vous imaginer une situation où une production ou un écrit ne correspondrait pas à ces définitions, mais pourrait tout de même causer un certain outrage public tel qu'il serait considéré comme un film qui enfreint ces dispositions? Dans cet ordre d'idées, est-il nécessaire d'ajouter des éléments à liste du Code criminel ou au règlement? M. Waddell n'aime pas les lignes directrices, et je peux peut-être comprendre pourquoi.

Devons-nous aller plus loin que le Code criminel, ou celui-ci est-il suffisant dans sa forme actuelle, à votre avis? Ou encore, devrions-nous retirer les définitions du Code criminel — pas ce qui est devant nous?

M. Waddell : Dans une certaine mesure, ce dont vous parlez, c'est d'un problème propre à la démocratie. Dans une démocratie, nous n'aimons pas toujours ce que nous entendons. Nous désapprouvons certaines choses que les gens ont à dire. Nous trouvons certains propos offensants; mais en tant que société, nous avons des règles prévues dans le Code criminel sur lesquelles nous nous entendons généralement quant à ce qui excède un comportement normal.

Si l'on va au-delà pour se tourner vers des règles de moindre portée, et qu'on commence à établir le juste milieu qu'on cherche, qui mettra en application cette position intermédiaire, et quelles décisions prendra-t-on? Ce qui me préoccupe, c'est que cette solution de compromis deviendra inévitablement une cible mobile jusqu'à un certain point, selon la personne en charge de son application à ce moment-là.

En ce qui a trait aux questions liées à la liberté d'expression, je pense qu'il est important que les législateurs ne rédigent pas de législation qui laisse place à l'interprétation pour les gouvernements subséquents, quelle que soit la façon dont ces gouvernements ou les fonctionnaires pourraient décider de l'interpréter. Il faut rédiger ces lois de la manière la plus claire et la plus précise possible.

À mes yeux, le Code criminel apporte actuellement cette clarté et cette précision. Je ne suis pas juriste, mais je ne vois pas en quoi il serait nécessaire d'ajouter des dispositions au Code criminel. D'autres personnes qui en savent plus long que moi pourraient vouloir défendre cet argument, et peut-être la Chambre des communes serait-elle le bon endroit pour le faire, si le projet de loi y retourne.

Le sénateur Meighen : Si j'ai bien compris, vous dites que les dispositions du Code criminel sont suffisantes. N'est-ce pas?

M. Waddell : Oui. Mes collègues ont peut-être une opinion différente.

[Français]

Yves Légaré, directeur général, Société des auteurs de Radio, Télévision et cinéma : Monsieur le président, le financement des œuvres audiovisuelles est très difficile, le crédit d'impôt n'est généralement pas la seule source de financement, ils doivent passer par Téléfilm, par la SODEC, et il y a un encadrement au sein de ces institutions ainsi que des analystes au contenu qui jugent de la qualité artistique des œuvres.

Le sénateur Meighen : D'une façon subjective ou objective?

M. Légaré : C'est toujours d'une façon à la fois subjective et objective parce que sur 40 projets soumis, dix seront retenus, donc 30 projets sont écartés pour différentes raisons. Et les œuvres dont vous parlez, on n'en a pas, c'est très hypothétique. Si ce sont des œuvres qui relèvent du Code criminel, les mesures sont là. Les autres œuvres doivent plaire à des diffuseurs, doivent être projetables, par exemple, à la télévision. Donc, des filtres feront en sorte que les œuvres iront au public qui leur est destiné. Oui, il y aura des œuvres controversées, oui, il y aura des œuvres difficiles, oui, il y aura des œuvres qui susciteront les passions, mais de tout temps, depuis les 60 dernières années, des œuvres ont fait évoluer la norme sociale en tant que telle.

Le film La Petite de Louis Malle était permis au Québec, mais interdit en Ontario. Aujourd'hui, certains films passent à l'heure où les enfants écoutent la télévision alors qu'il y a 40 ans, ils étaient classés « 18 ans et plus ». On ne peut pas fixer de façon rigide des règles.

Présentement, le système fonctionne bien; il n'y a pas tous les jours des œuvres qui font l'objet justement de récrimination. Au contraire. Je pense que c'est un faux problème que cette règle ou cette disposition et qu'elle en crée beaucoup plus qu'elle ne pourrait en régler.

Le sénateur Meighen : Donc, en plus des stipulations du Code criminel, les productions doivent passer les tests subjectifs et objectifs, si je comprends bien votre réponse. En dehors du Code criminel.

M. Légaré : En dehors du Code criminel, pour obtenir du financement, une œuvre doit avoir des qualités artistiques et, généralement, cette œuvre passe à travers plusieurs filtres. Téléfilm, par exemple, interdit le financement d'œuvres pornographiques et ne favorise pas le financement d'œuvres exploitant de façon indue la violence. Des règles sont déjà établies et, généralement, elles fonctionnent.

Si on parle de télévision, les diffuseurs voudront de toute façon des émissions qu'ils pourront diffuser à une heure d'écoute normale. Le « prime time » est ce qu'il y a de plus intéressant pour un diffuseur. Oui, il y a parfois des gens qui appellent Radio-Canada pour se plaindre de scènes dans telle ou telle émission. Est-ce qu'on doit gérer en fonction des quelques appels de gens insatisfaits ou est-ce que la société est capable d'être ouverte aux différentes formes d'expression et de juger une œuvre pour sa qualité artistique?

M. Grégoire : A posteriori, un mécanisme de contrôle existe lorsque les films sont terminés, ce qui est le classement des films par la Régie du cinéma. Des films peuvent donc être d'ordre général, 13, 18 ans ou plus. On balise déjà de façon intelligente le fait de dire que si vous ne voulez pas faire en sorte que vous-même, votre famille ou vos enfants soient soumis à quelque chose qui vous déplaît, n'allez pas voir un film qui est coté 18 ans et plus parce qu'il y a des scènes de sexualité ou de violence. Donc cette balise a posteriori crée encore un dernier garde-fou qui empêche les gens d'être, d'une façon incongrue, soumis à quelque chose qui va contre leurs valeurs personnelles en tant qu'individu. Par exemple, un individu très chrétien, très religieux n'ira peut-être pas voir un film qui dépeint le Christ d'une façon qui ne lui convient pas.

Je dis comme mon collègue, Yves Légaré, que cet ensemble de règles fait en sorte que dans une société démocratique comme la société canadienne, on n'a pas besoin d'avoir des bretelles en plus de la ceinture pour tenir les pantalons de la vertu. Voilà comment je pourrais dire ça.

[Traduction]

Le sénateur Meighen : Je vois ce que vous voulez dire, et j'approuve ces affirmations. En 1995, une politique de ce genre avait été annoncée et, à quatre reprises, je crois, on avait affirmé qu'elle serait intégrée à la Loi de l'impôt sur le revenu. À l'époque, nous n'avions pas de telles audiences, et cela a soudainement éclaté au grand jour. Je me demande pourquoi cela ne s'est pas produit en 1995.

Parlez-moi des provinces. La Colombie-Britannique, la Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve et l'Île-du-Prince-Édouard ont toutes une disposition contraire à l'ordre public, et le Québec a une disposition qui va à l'encontre de la politique du gouvernement. Cela me semble extrêmement préoccupant, mais manifestez-vous dans les rues de la ville de Québec?

[Français]

M. Légaré : Le problème est que cette disposition était passée inaperçue. Le mérite de ce débat aujourd'hui est que, justement, on voit enfin ce qui pouvait être appliqué, mais qui ne l'a pas été. La SARTEC et on le dit dans notre document, le projet de loi C-10 nous satisfaisait parce qu'il y avait des règles de transparence établies. On a été dans les consultations depuis l'an 2000. En 1995, on ne se préoccupait pas beaucoup de crédits d'impôt. Nous sommes des auteurs, on représente des auteurs, nous ne sommes pas toujours au fait du détail du financement. Mais en l'an 2000, on a été consulté. On est intervenu ainsi qu'en 2001. On a reçu des documents de consultation de Patrimoine Canada. J'ai vu dans les discussions que certains sénateurs en ont fait mention. J'ai relu ces documents et il faut être très féru de l'ensemble des directives pour savoir que parmi ces documents, on mentionnait cette question d'ordre public. Elle n'était pas clairement mentionnée de façon explicite et la plupart des interventions que la SARTEC a faites, comme les autres joueurs à l'époque, portaient davantage sur l'inclusion du scénario dans les dépenses admissibles, sur la publication des productions admissibles aux crédits d'impôt. Je n'en ai pas vu sur cette question. Donc, c'est une question qui est passée inaperçue et pourquoi est-elle aujourd'hui à l'ordre du jour, c'est qu'effectivement, on a vu qu'elle portait en soi des germes dangereux sur lesquels il faut se prononcer.

M. Grégoire : En tant que citoyens, nous ne sommes pas des législateurs, nous sommes des créateurs et si cette loi a passé le filtre des législateurs d'une façon unanime et que personne ne l'a vu — c'est leur métier de légiférer — comment voulez-vous que de simples citoyens l'aient vu? Dans toutes ces pages, c'est une ligne et dans le temps, c'était un paragraphe extrêmement confus. On n'a pas les moyens, ce n'est pas notre métier.

M. Légaré : Le sénateur Meighen me fait voir une lettre que nous avions reçue. Et j'ai une correspondance faisant suite à cette lettre. Cette lettre nous disait qu'il y a un document de discussions qui porte sur les implications du crédit d'impôt et dans « autres modifications techniques », on dit :

D'autres modifications non liées aux questions de politiques ci-devant sont également proposées. Les critères de politiques publiques et de parts acceptables des recettes pour les crédits d'impôt qui se trouvent actuellement dans le projet de règlement seront incorporés à la loi. Le ministère du Patrimoine canadien doit élaborer des lignes directrices sur la façon d'appliquer ces critères.

D'après ce que j'ai compris, c'est là que j'aurais dû comprendre qu'on parlait d'ordre public. Un peu plus loin on dit :

Une disposition de la loi exemptant les fonctionnaires de restrictions relatives au caractère confidentiel leur permettra de fournir des renseignements à d'autres fonctionnaires si ces renseignements concernent l'application de la loi de la Société de développement de l'industrie cinématographique à des fonctionnaires provinciaux et à des agents et employés.

Pour une simple publication de renseignement, on détaille, à qui ces renseignements seront soumis. Pour une question d'ordre public, on réfère à une politique. Nous sommes une société qui représente des auteurs; on n'a pas nécessairement des gens à l'intérieur de nos bureaux qui peuvent scruter tous les projets de loi. On reçoit des documents de consultation qui ne font pas mention de cette difficulté qui, pourtant, aurait dû être soulevée parce que s'il y a une chose qui intéresse les auteurs, c'est ce qui a trait justement aux conditions de financement des œuvres qui peuvent être reliées à de la censure.

C'est à partir de cela que la consultation a été faite. Elle a pu, effectivement, échapper à beaucoup de gens, que ce soit de la SARTEC, des réalisateurs ou des producteurs.

[Traduction]

Le sénateur Meighen : Avec tout le respect que je vous dois, je n'ai pas entendu de réponse à ma question.

Le président : De plus, il a été question d'une lettre que vous avez remise au témoin, mais on n'en a pas précisé la date. Pourrions-nous d'abord l'obtenir? M. Légaré a longuement parlé de cette lettre.

[Français]

Le sénateur Meighen : J'ai montré à M. Légaré une lettre en date du 9 mars 2001, du gouvernement du Canada et signée par M. Len Farber, directeur général, Division de la législation de l'impôt, directeur de la Politique de l'impôt, ministère des Finances et Jean-François Bernier, directeur général, Films, vidéos et enregistrements sonores, au ministère du Patrimoine canadien. Je pense que vous avez lu la même lettre.

M. Légaré : J'ai effectivement le document joint à cette lettre et j'ai même les réponses que nous avions faites à l'époque et les réponses portent sur ce que j'ai énoncé, donc les dépenses de main-d'œuvre du scénario et les règles de transparence des crédits d'impôt. On n'a pas à l'époque traité de cette question d'ordre public parce que nous n'avions pas vu qu'elle y était.

Le sénateur Meighen : Est-ce qu'on peut déposer les deux documents?

[Traduction]

Le président : J'aimerais que ces lettres soient déposées auprès de la greffière afin qu'on puisse les intégrer au dossier, comme c'est la pratique habituelle.

Le sénateur Meighen : J'ai une question qui concerne les lois provinciales, où il est question de politique publique, et sur la législation québécoise, où l'on dit : « contre la politique gouvernementale ». Comment avez-vous composé avec cette situation?

Mme Swan : Je ne suis pas sûre de comprendre votre question. Demandez-vous s'il y a une différence de politique entre les gouvernements provinciaux en ce qui a trait aux arts?

Le sénateur Meighen : Non.

Mme Swan : Car je peux vous dire que le Québec a une politique sur les arts bien plus progressiste que celles des autres provinces canadiennes.

Le sénateur Meighen : Ce n'était pas ma question. Je dis simplement qu'un certain nombre de provinces accordent des crédits d'impôt pour productions cinématographiques. Et, pour qu'on puisse avoir accès à de tels crédits d'impôt, d'après l'information que j'ai reçue, en Colombie-Britannique, en Nouvelle-Écosse, à Terre-Neuve et à l'Île-du-Prince- Édouard, il ne faut pas que cela soit contraire à la politique publique, comme on le dit en anglais. Au Québec, cela ne peut aller à l'encontre de la politique gouvernementale. Je trouve cela stupéfiant, surtout dans le cas de la disposition québécoise. Je me demande comment vous avez composé avec ces dispositions en accédant aux crédits d'impôt à la production cinématographique provinciaux, et particulièrement québécois.

Mme Swan : Je ne peux me prononcer pour le Québec, mais je voulais revenir à la question que vous avez posée tout à l'heure quant à savoir s'il y a un juste milieu. Je dirais que nous avons déjà un moyen terme, et que cette disposition est exagérée. Nous n'avons pas besoin de compromis supplémentaires. Si vous ouvrez la porte aux censeurs, ils s'amèneront. Prenez le cas de la Commission de contrôle cinématographique de l'Ontario. À cet organisme, on a censuré le film documentaire Not a Love Story, qui critique la pornographie, car on croyait qu'il s'agissait d'une œuvre pornographique.

Nous ne voulons pas d'une position encore plus intermédiaire qui laisse la place à davantage de censure de la part de fonctionnaires mal informés. Je comprends l'esprit de votre interrogation, mais je dirais, en tant que personne qui n'aime pas les lignes directrices, que nous sommes étouffés par les compromis.

M. Waddell : Nous n'avons probablement pas été assez vigilants, à l'époque, pour constater que cela se produisait. Maintenant que le gouvernement fédéral y reviendra pour s'assurer que cela n'arrivera pas, une norme nationale sera ainsi créée. Cela nous permettra de revenir devant les provinces pour leur demander pourquoi elles appliquent ces règles et leur proposer qu'elles les changent aussi.

Le sénateur Meighen : Personne ne peut me dire pourquoi rien ne s'est produit en ce qui a trait à la loi provinciale.

M. Waddell : Ce projet de loi est devant le Parlement. C'est donc l'occasion de venir en parler.

Le sénateur Meighen : Cela aurait dû être présenté devant les assemblées législatives provinciales également.

M. Waddell : Comme il s'agissait d'une réglementation au niveau provincial, nous n'aurions pas eu la même possibilité.

Le sénateur Meighen : Il s'agirait d'un règlement rattaché à une loi.

M. Waddell : Normalement, on ne tient pas d'audiences sur les règlements.

Le président : On a fait valoir des arguments là-dessus hier aussi. Nous devons passer à autre chose.

[Français]

Le sénateur Fox : Merci d'être avec nous aujourd'hui, de votre participation à ce débat et surtout de votre contribution. On essaie d'établir la meilleure législation possible en l'an 2008.

[Traduction]

Il y a beaucoup de réponses à nombre de questions qui vous ont été posées. Je pense que personne ne peut vous blâmer de ne pas l'avoir vu, car à son dépôt, le projet de loi faisait 560 pages. Les trois partis de l'opposition ne l'ont pas vu, eux non plus. Aucune déclaration ministérielle n'a été faite à la Chambre pour attirer l'attention là-dessus. Donc, je pense que nous devons oublier rapidement cet élément.

La Gazette de Montréal a une campagne dont le slogan est « Words Matter » ou, en français, « Les mots importent ». Je pense que cela provient d'un discours de Barack Obama. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, puisqu'on dit que les mots comptent.

Dans le texte anglais, à l'alinéa 120(3)b), on parle de « public policy » ou « politique publique », alors qu'en français, il est question d'ordre public. Le terme « politique publique » figure dans tous les livres blancs que publie le gouvernement. Mais « ordre public » va beaucoup plus loin.

J'aimerais avoir vos commentaires sur l'utilisation du terme « politique publique », qui pourrait désigner une directive ministérielle susceptible d'être modifiée du jour au lendemain. Il pourrait s'agir de n'importe quel décret gouvernemental autre qu'une loi ou un règlement.

M. Waddell : Au cours de notre exposé, je crois que nous avons établi clairement que le terme « politique publique » nous préoccupait, car il s'agit d'un terme très large. C'est une désignation générale de tout ce que le gouvernement pourrait adopter. C'est pourquoi nous croyons qu'intégrer ce terme au projet de loi n'est pas une bonne chose. Si le Parlement considère qu'il doit y avoir une disposition qui prévoit une surveillance supplémentaire dans le cas présent, le Code criminel est la mesure législative toute indiquée à cette fin. Qu'il s'agisse d'ordre public ou de politique publique, nous préférerions ne voir aucune des deux mentions.

Mme Swan : J'abonde dans le sens des propos de mon collègue. Nous ne sommes pas en faveur des lignes directrices. Le terme « politique publique » est très large, et sera interprété de diverses manières par les différents ministres du Patrimoine canadien qui seront en poste. Cela nous dérange.

[Français]

Le sénateur Fox : Est-ce que la SARTEC a un commentaire là-dessus?

M. Grégoire : Pas vraiment, c'est une question de traduction. Ce que j'en comprends, c'est que c'est beaucoup plus flou en anglais qu'en français. Pour nous, l' « ordre public », c'est clair ce que cela veut dire.

[Traduction]

Le sénateur Fox : La ministre, pour défendre ses propositions, affirme qu'elle ne croit pas que les fonds publics devraient être utilisés pour financer certaines catégories de films, même s'ils ne sont pas illégaux et ne vont pas à l'encontre du Code criminel. Ne seriez-vous pas d'accord pour dire qu'une fois qu'on établit ce principe, il devrait s'appliquer à tous les autres secteurs des arts et de la culture, y compris celui du livre? Si cet argument vaut pour les films, pourquoi ne serait-il pas valable de dire que nous souhaitons que les livres publiés au Canada se conforment à certaines normes et directives en dehors du Code criminel?

Mme Swan : Hélas, nous avons effectivement de telles directives qui s'appliquent à l'industrie de l'édition. Toutefois, l'impact est légèrement différent car cela a lieu avant la publication des livres. Le gouvernement accorde un financement aux éditeurs pour un groupe de livres. Par conséquent, si le financement était retiré, il n'y a pas qu'un seul livre qui serait touché.

Il est difficile d'établir une comparaison entre cette situation et le problème concernant les films, car il n'y aurait pas d'effet rétroactif sur les livres publiés par un éditeur. Toutefois, il est assez intéressant de noter que cela ne s'est jamais produit. De façon similaire, aucun financement du gouvernement n'a été retiré pour les magazines, qui sont assujettis à des directives semblables. Généralement parlant, les magazines qui publieront du contenu ouvertement offensant ou pornographique ne demandent pas de financement du gouvernement.

On pourrait dire que nous n'avons pas de problème, en se demandant pourquoi nous en créons un. Il n'existe aucun précédent de financement ayant été retiré pour des magazines et des livres. Pour répondre à votre question, cette exigence est, dans un sens, déjà en place. Je ne l'approuve pas, mais c'est déjà là. Cette disposition s'applique à toutes les disciplines artistiques, mais elle a un impact légèrement différent selon le processus créatif.

Le sénateur Fox : Vous limitez vos remarques au domaine de l'édition. Or, n'est-il pas vrai que si le gouvernement a le droit d'opposer son veto, ou d'éliminer le financement public accordé à un film qui ne respecte pas des directives extérieures au Code criminel, on pourrait appliquer ce raisonnement à n'importe quel autre secteur?

Mme Swan : Oui. Cela pourrait faire boule de neige et créer, au final, un lourd climat de censure.

Le sénateur Fox : Je ne dis pas qu'on a l'intention le faire, mais le risque est là.

Mme Windsor : Cela revient assurément à ouvrir la boîte de Pandore de la censure. Cela pourrait éventuellement aller plus loin que l'industrie cinématographique. Oui, cela s'applique sans aucun doute aux livres et aux magazines. Mais qu'en est-il du ballet et de la danse? Allons-nous refuser d'accorder un financement au Ballet national du Canada parce que quelques pas de danse paraissent obscènes, ou ne pas être dans l'avantage du grand public?

Oui, c'est un concept qui m'effraie. Dès qu'on accepte ce principe, il devient la norme. Les gens disent que ça ne peut pas être très grave, puisqu'il est déjà là. Toutefois, ce n'est pas parce qu'il existe que c'est pour autant une bonne chose.

Nous avons l'occasion, aujourd'hui, d'élever la voix et de dire non; n'ouvrez pas cette boîte. Nous craignons les effets directs d'une telle règle et les conséquences qu'elle pourrait avoir pour toutes les autres disciplines artistiques connues et inconnues, y compris la musique, la danse, la vidéo, le cinéma, l'électronique. Nous ignorons où s'en va notre monde artistique en cette nouvelle ère électronique. Nous avons peur des portes qu'ouvrira ce projet de loi.

[Français]

Le sénateur Fox : Il y a un film remarquable que nous avons vu à Montréal il y a quelques mois, qui s'intitule : La censure au Québec, de Carl Parent. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de le voir, mais il fait un peu l'historique de la censure du film dans les années de Duplessis et on y parle de l'index, et cetera.

Nous qui venons de la grande région de Montréal et qui avons atteint un certain niveau de maturité démontrée par les cheveux gris, on se souvient d'un exemple, qui a été donné par Mme Windsor, au sujet des ballets africains, qui à Montréal, suite à une plainte policière, on avait voulu les empêcher de se produire. Je pensais qu'on n'avait plus ce genre de problèmes. Cela me fait beaucoup penser au traitement qu'on faisait aux livres il y a quelques années, quand c'était un groupe de fonctionnaires, comme le propose la ministre ici, qui décidait si oui ou non, un livre pouvait être importé au Canada. On avait banni un grand chef d'œuvre de la littérature anglaise qui s'intitulait L'amant de Lady Chatterley, jusqu'à ce qu'une instance supérieure aux fonctionnaires puisse décider si, oui ou non, c'était obscène en vertu du Code criminel. Ils ont décidé que c'était un des grands chefs d'œuvre de la littérature.

Est-ce que le système mis sur pied ici avec des critères subjectifs ne vous rappelle pas ce genre de situations?

M. Grégoire : Bien sûr. Nous avons connu, il y a plusieurs années à Montréal, un chef policier dont la règle morale concernant la pornographie se limitait à ceci : la nudité, d'accord, mais si c'est en mouvement, c'est pornographique. Et c'est sur cette base que le jour où les artistes du Ballet national africain se sont pointés à la Place des Arts, parce que les jeunes femmes dansaient nues, donc elles étaient en mouvement, on a jugé que c'était pornographique. Par conséquent, une quarantaine de policiers se sont présentés sur place et ont interrompu le spectacle. Ce fut tout un esclandre politique diplomatique, d'ailleurs; le gouvernement canadien s'était trouvé extrêmement gêné, puisqu'il s'agissait tout de même du Ballet national africain.

Je peux vous donner un autre exemple pour vous inciter à croire que le gros bon sens devrait prévaloir par rapport à la censure. Il y a quelque temps au Québec, on a voulu interdire les fromages au lait cru parce qu'on pensait qu'ils pouvaient rendre les gens malades. Cela a soulevé tout un tollé, car le lait cru est très présent au Québec. Cependant, ce n'est pas nécessairement cela qui a mis le feu aux poudres, c'est plutôt le fait que le gruyère suisse est fabriqué avec du lait cru. C'était une erreur de bonne foi dans le but d'éviter des problèmes de santé à la société, mais l'industrie alimentaire du lait a dit exactement ce que nous disons dans l'industrie culturelle : nos garde-fous sont solides et éprouvés, nous les connaissons depuis longtemps, c'est notre métier, laissez-nous faire notre fromage et je dirais laissez les artistes créer.

[Traduction]

Le président : J'allais faire une remarque. Madame Swan, peut-être assistez-vous à la naissance d'une intrigue pour un nouveau livre captivant.

Mme Swan : Plusieurs livres, je crois.

Le président : Tous les éléments nécessaires seraient réunis.

Le sénateur Goldstein : Meurtre dans un comité du Sénat.

Le sénateur Banks : Ne commencez pas à écrire sur le Sénat, s'il vous plaît.

Avec la permission du président — et j'espère que vous me corrigerez si j'ai tort — je vais faire valoir un point auprès de nos témoins actuels et précédents qui ont proposé que nous renvoyions ce projet de loi à la Chambre des communes pour examen.

Le Parlement du Canada comporte deux Chambres. Le Sénat est l'une d'elles, et ce que nous faisons là est un examen. Nous ne rejetterons pas ce projet de loi, car la partie dont nous traitons aujourd'hui est une toute petite disposition incriminée d'une mesure législative très vaste, qui traite de bien des questions. La seule manière dont ce projet de loi pourrait être renvoyé à la Chambre des communes pour un examen supplémentaire, c'est par un amendement du Sénat. C'est ce qui se passera, ou rien du tout.

Nous pouvons faire trois choses avec les projets de loi dont nous sommes saisis : nous pouvons les rejeter, comme nous l'avons fait par le passé; les adopter sans y toucher; ou encore, les amender, auquel cas ils retourneront à la Chambre des communes. C'est ainsi que cela se passera, le cas échéant.

Merci de m'avoir permis d'apporter cette précision.

Le président : C'est très bien. En plus d'être un excellent musicien, vous êtes devenu tout un expert en matière de procédure parlementaire.

Le sénateur Banks : Loin de là.

J'aimerais adresser ma première question à M. Waddell. M. Grégoire a très bien résumé, dans ses remarques d'ouverture, ce que je pense de la question. J'aimerais m'assurer que je vous ai bien compris, monsieur Waddell, et que vous êtes en quelque sorte d'accord avec lui.

Vous avez dit que vous trouviez l'application du Code criminel appropriée en ce qui a trait aux crédits d'impôt. Je me demande si c'est le cas. Les crédits d'impôt ne sont pas fondés, comme M. Grégoire l'a fait remarquer, sur quoi que ce soit qui ait un quelconque rapport avec le contenu. Ils n'ont jamais rien eu à voir avec le contenu, mais plutôt avec la main-d'œuvre et l'application des bons points, que nous connaissons tous.

M. Waddell : Oui.

Le sénateur Banks : Contestez-vous cette position, ou croyez-vous que le Code criminel, ou tout autre jugement subjectif d'une quelconque manière plutôt que fondé sur des points pour la main-d'œuvre, doit s'appliquer à la question des crédits d'impôt?

M. Waddell : Peut-être mes remarques portaient-elles un peu à confusion. J'approuve essentiellement les propos de mes collègues et la position qu'ils adoptaient.

Je tentais de traiter d'une question soulevée lors de précédentes séances du comité, où l'on avait proposé — je crois que c'était le sénateur Tkachuk — quelque chose qui ressemblait aux questions posées par le sénateur Meighen quant à savoir s'il y a un moyen terme dans ce domaine qui diffère de ce que le gouvernement propose, et d'une situation où il n'y aurait aucune surveillance.

Nous préférerions ce dernier cas de figure. Toutefois, si un compromis est proposé et qu'il s'avère que les membres d'une Chambre ou de l'autre le jugent approprié, la question de savoir si un film est admissible à une aide gouvernementale — qu'elle prenne la forme d'une aide fiscale ou autre — devrait être tranchée en vertu de considérations relatives au Code criminel, et non d'une sorte de définition où il est question de contrevenir à l'ordre public, qui est vague et laisse place à l'interprétation.

Le sénateur Banks : Seriez-vous d'accord pour dire que s'il y a un tel examen, il devrait se faire sous forme de filtre en amont du processus?

M. Waddell : Absolument. Si cela a lieu après coup, les gens n'investiront pas dans un projet, car ils n'auront aucune certitude quant aux implications fiscales.

Le sénateur Banks : Vous et d'autres témoins qui vous ont précédés sur cette question ont tous — et je le comprends — affirmé que le ciel était en train de nous tomber sur la tête en ce qui a trait à la censure. Je pense qu'en posant cette question, je me fais l'avocat du diable; mais n'est-ce pas un peu fort?

Dans certaines provinces, il y a des censeurs. Il se trouve que j'en connais quelques-uns, et je ne crois pas qu'il serait juste de les caractériser en tant que fonctionnaires mal informés. Ceux que je connais sont très au courant.

Nous avons de la censure. Nous avons, dans diverses provinces et à différents degrés, de la censure sous une forme ou une autre en ce qui a trait aux films. N'est-ce pas vrai?

[Français]

M. Grégoire : Je peux parler pour le Québec. Le bureau de la censure a été aboli il y a déjà plusieurs années; la censure n'existe plus. Auparavant, la religion catholique utilisait un système d'étoiles pour censurer. Aujourd'hui, nous fonctionnons avec un classement par catégories : « général », « 13 ans », « 18 ans » et « XXX » pour la pornographie qui est un classement aussi.

[Traduction]

Le sénateur Banks : N'est-ce pas là une forme de censure?

[Français]

M. Grégoire : Non, c'est une façon de baliser. Ainsi, on n'empêche pas la création d'œuvre, mais on contrôle qui peut les voir ou non.

Tandis qu'avec ce projet de loi, on risquerait d'empêcher la création d'œuvres qui pourraient être contre l'ordre public selon une sensibilité propre aux individus qui l'appliqueraient.

M. Légaré : Cela sert à aider le public à faire ses choix. S'il s'agit d'un film classé « 18 ans », vous n'y amènerez pas vos enfants. C'est une aide pour laisser quand même au public la liberté de choisir les œuvres qu'il veut voir.

[Traduction]

Le sénateur Banks : Ni les radiodiffuseurs. Je suis d'une époque où on se préoccupait davantage des distributeurs de films que des radiodiffuseurs. Je suppose que les temps ont changé.

Mme Swan : La Commission de censure de l'Ontario a été abolie en 2001. Avant cela, vous serez peut-être intéressés d'apprendre qu'elle a interdit la sortie de La Petite et exigé le retrait de certaines scènes du film Le Tambour, oeuvre inspirée de l'excellent roman de Günter Grass. Comme les producteurs ont refusé, Le Tambour n'a pas été présenté dans les salles de l'Ontario en 1980.

Le sénateur Banks : Madame Swan, vous avez parlé des subventions globales du Conseil des Arts du Canada, n'est- ce pas?

Mme Swan : Tout à fait. Les lignes directrices relatives aux subventions ressemblent à celles proposées par la ministre du Patrimoine canadien, bien qu'elles ne soient pas aussi vastes.

Le sénateur Banks : Selon la réglementation en vigueur, on refuse de financer certaines catégories de livres. On dit que cela ne vaut même pas la peine de demander du financement dans certains cas.

Mme Swan : Absolument.

Le sénateur Banks : On peut comparer cela avec le projet de loi.

Mme Swan : Toutefois, je ne crois pas qu'il soit question de la violence gratuite. Je vais vérifier; mon avocat m'a fait parvenir beaucoup d'information à ce sujet.

Le sénateur Banks : Ce n'est pas exactement ce que je voulais dire. Je parlais du fait d'établir des catégories de livres. Par exemple, on nous dit qu'aucun financement ne serait accordé à des livres de recettes. La loi proposée ne prévoit aucun financement pour les émissions d'information.

Mme Swan : C'est exact.

Le sénateur Goldstein : Si je puis me permettre, j'aurais une autre question à vous poser. Vous avez parlé de l'effet néfaste, et le sénateur Banks en a également fait allusion.

Dans la réglementation fédérale, il y a actuellement une disposition qui interdit la pornographie, et dans les lois ou règlements provinciaux, le langage vulgaire, ce qui signifie que l'autorité compétente doit évaluer le contenu des productions. À mon avis, cela ne semble pas avoir entraîné l'effet néfaste dont vous parlez. Pourquoi ces lignes directrices auraient-elles forcément un effet néfaste?

Mme Swan : Parce qu'elles s'appliqueraient rétroactivement à une industrie qui dépend des investisseurs. Si on refusait un crédit d'impôt après qu'un film eût été réalisé, ce serait un désastre. Malheureusement, ces lignes directrices s'appliquent à toutes les formes d'art. Cependant, leur incidence varie selon les disciplines étant donné que la production d'un film diffère de celle d'un livre. Est-ce que je réponds à votre question?

Le sénateur Goldstein : Oui, et cela m'amène à une autre question. Si, dès le départ, nous demandions à une cour supérieure de se prononcer sur le contenu d'un film avant que celui-ci ne soit produit et qu'elle rendait un jugement sommaire, est-ce que cela dissiperait la préoccupation que vous venez tout juste de soulever?

Mme Swan : C'est ce qui se fait actuellement. Lorsqu'on veut produire un film, on élabore un scénarimage puis on présente le projet à Téléfilm Canada, conformément à ces lignes directrices. Téléfilm Canada jugera si ce film est considéré comme pornographique. De toute évidence, les films subissent diverses transformations en cours de route, alors on ne peut pas vraiment savoir ce que sera le résultat final. Par exemple, les producteurs du film La Rage au Coeur ont changé la fin sans me le dire. Heureusement, j'ai aimé le film car j'aurais eu un problème. J'étais contente qu'on ne me dise rien finalement, parce que je m'aurais probablement opposé à son contenu et demandé à ce qu'on s'en tienne au livre, mais j'aurais eu tort. Ils connaissent mieux le cinéma que moi. La production d'un film renferme donc plusieurs étapes de transformation.

Le sénateur Jaffer : Votre témoignage a été très instructif. Vous avez dit que ce que nous voyons et lisons contribue à développer une société. Par exemple, votre travail est en quelque sorte à l'origine des attitudes raciales d'aujourd'hui. Vous affirmez que la conscience collective est en pleine évolution. Nous n'acceptons pas aujourd'hui ce que nous aurions accepté il y a 10 ans.

Madame Swan, vous avez parlé de la littérature canadienne et indiqué que l'imagination littérale était la conscience de l'auteur en action. Je me demandais si vous quatre pourriez nous en dire davantage à ce sujet. Si j'ai bien compris vos propos, vous censurez notre conscience, nos pensées, n'est-ce pas?

Mme Swan : C'est ce que j'ai dit lors d'une conférence à l'Université York à l'occasion du millénaire. Je parlais du fait que l'auteur se trouve constamment devant des choix éthiques. On n'y pense peut-être pas, mais derrière la plupart des histoires se cache un examen des questions éthiques. C'est très différent des questions idéologiques, où un auteur essaie de faire valoir son point de vue. Les lecteurs ne toléreront plus cela. Je ne crois pas que cela a à voir avec la censure. Il s'agit simplement d'une préoccupation naturelle de l'auteur relativement à la culture et aux personnes à propos desquelles il écrit.

Nous devons établir un climat qui incitera les auteurs à explorer toutes les possibilités et à ne pas se soucier du fait que leur histoire est plus souvent vers la gauche ou vers la droite. Le processus de création tient à quelque chose de beaucoup plus profond que la politique.

Le sénateur Jaffer : Je constate que vous parlez davantage de politique que de pornographie, qui est l'exemple extrême. Selon vos dires, si on ne raconte pas d'histoire à propos de la violence et des abus faits aux femmes, nous ne réussirons pas à changer la mentalité des gens ni les opinions de la société.

Mme Swan : Exactement. Si ces histoires ne sont pas racontées, nous ne nous développerons pas en tant que culture. Tout le monde a probablement déjà éprouvé un malaise en visionnant un film. Par exemple, j'ai trouvé difficile de regarder Les Promesses de l'ombre, de David Cronenberg. J'ai dû me lever à quelques reprises tellement il y avait de la violence, mais je considère tout de même qu'il s'agit d'un excellent film. Dans une démocratie, nous devons donner aux gens la possibilité de grandir et d'être plus compréhensifs à l'égard de l'autre sexe et des groupes raciaux. L'art nous permet de le faire puisqu'il se prête à diverses interprétations. Il donne libre cours à notre imagination, mais en même temps, il peut nous incommoder. Cela est tout à fait normal et rend l'art encore plus précieux puisqu'il nous permet de mieux comprendre l'être humain. Je ne voudrais surtout pas d'une mesure législative qui impose des carcans à cet égard.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci d'être ici avec nous aujourd'hui. On a beaucoup à apprendre et vous nous aidez dans notre cheminement. L'approche de l'avocat du diable nous permet à l'occasion de chercher des informations. Je vais m'en servir un peu. On peut argumenter que le Code criminel n'est peut-être pas le meilleur point de repère pour déterminer ce qui est acceptable ou non. Oui, au point de vue de la société comme telle parce que la société valorise la liberté d'expression, mais le débat est du point de vue d'une subvention financière ou d'un crédit d'impôt.

Dans vos arguments, il y a trois points. Est-ce que vous désirez une certitude, pas après le fait, c'est déjà assez difficile de chercher un financement, il faut que tous les joueurs sachent quels risques ils prennent et c'est très clair. Vous dites que vous ne voulez rien de discrétionnaire parce que cela permet à une société d'avoir des tendances et cela contredit la liberté d'esprit. Ce sont des points que je comprends.

Si on pouvait atteindre ces deux facteurs, ce n'est pas néanmoins impossible d'établir une autre sorte de critère, la violence excessive ou la pornographie que nos concitoyens canadiens pourraient dire : je ne veux pas subventionner quelque chose que je trouve excessif ou quoi que ce soit. Je n'aime pas le mot excessif parce que c'est relatif, mais si on établissait des critères plus spécifiques, pas en vertu du Code criminel, où l'on ne parle pas de liberté d'expression, mais de subventions. Est-ce qu'il y aurait un moyen d'y arriver pour s'assurer des autres critères et qui serait non discrétionnaire?

Les provinces ont de tels critères, mais elles ne les exercent pas. Je n'ai pas suffisamment de connaissances pour savoir s'il y a d'autres pays qui le font. La société ne veut pas subventionner quelque chose qu'elle trouve désagréable. Comment peut-on établir quelque chose qui n'est pas arbitraire et qui bouge la ligne?

M. Légaré : D'une part, les crédits d'impôt ne peuvent pas être orientés de cette façon. C'est un mode automatique de financement. Si vous voulez faire de l'analyse de contenu, il y a déjà de l'aide sélective à Téléfilm Canada qui existe. Il y a des gens qui se penchent sur le contenu et qui regardent la valeur artistique de la chose et qui jugent que ce projet a peut-être plus de valeur qu'un autre parce qu'il n'y a pas de fonds illimités et qu'ils doivent choisir pour l'obtention du financement. Dès qu'on arrive au crédit d'impôt, c'est un mode automatique en tant que tel et vous superposeriez un autre comité qui déciderait sur des critères différents de ceux qui existent présentement. Les gens ne sauraient plus à quel saint se vouer. Cela complexifierait encore plus les choses. Vous essaieriez de rétablir ce à quoi nous nous opposons.

Nous nous opposons à l'introduction de critères moraux pour juger de l'attribution de crédits d'impôt. Est-ce que former un comité, avant, serait mieux alors que déjà il y a des mécanismes qui existent? Tout le secteur culturel, surtout en cinéma et en télévision, nécessite l'aide de l'État. Dès que vous refusez l'aide de l'État, vous refusez que des œuvres se créent. On peut comprendre que vous la refusiez pour des œuvres qui devraient trouver leur financement ailleurs. Par exemple, les émissions de téléréalité ne sont pas financées par les crédits d'impôt parce que vous dites, avec les moyens limités de l'État, que c'est au diffuseur ou à d'autres de payer pour ces émissions. De la même façon, pour les nouvelles, vous dites que les diffuseurs devraient payer. Généralement ce que vous aidez, par les crédits d'impôt, ce sont des œuvres plus difficiles à financer qui justement ne verraient pas le jour si elles n'avaient pas le financement de l'État. En introduisant ces critères, vous sclérosez le secteur culturel.

Le sénateur Massicotte : Vous acceptez des critères subjectifs provinciaux artistiques, mais vous dites que le crédit d'impôt devrait être différent, que ce devrait être un calcul automatique, mathématique. Ces critères provinciaux sont très discrétionnaires.

M. Légaré : Le crédit d'impôt provincial est aussi un mode automatique de financement. Il y a des bonifications pour la langue qui augmentent l'aide accordée, mais ce sont des critères normalement automatiques dans l'application. Mais tant au fédéral qu'au provincial, il y a une aide sélective. Cette aide n'est pas faite selon des critères moraux, mais plutôt selon la valeur artistique des œuvres, la qualité de l'équipe de production, du scénariste, du réalisateur, et cetera. L'aide de l'État est limitée et donc si on a 100 demandes, chaque année il y a beaucoup de projets intéressants qui ne sont pas faits, des comités se penchent — il ne s'agit pas d'une seule personne — et ils essaient d'analyser l'ensemble des données, justement la capacité du producteur à faire le film et de l'ensemble de l'équipe.

C'est simplement parce que l'aide ne peut pas être donnée à tous, faute de moyens. Vous suggérez d'ajouter une autre étape qui est un instrument d'intervention à ce qui était essentiellement automatique. Cela pourrait difficilement fonctionner.

M. Grégoire : Le gros problème est la rétroactivité. Le côté discrétionnaire, un artiste est prêt à le subir. On le fait avec Téléfilm. Des gens acceptent ou refusent le projet. C'est fait avant que le film ou l'émission de télévision soit fait. Je reviens à ce que vous dites. Vous demandez si on peut trouver un moyen pour faire en sorte que les citoyens ne veuillent pas subventionner des choses désagréables.

Nous sommes en démocratie, le bien commun l'emporte sur le bien particulier. Si j'étais une association de produits végétariens, je demanderais pourquoi vous subventionnez les producteurs de bœuf parce que je trouve cela désagréable. Tout groupe de citoyens pourrait dire que personnellement, je trouve cela désagréable et je refuse que mes impôts paient cela. Si je suis pour ou contre la position du Canada face à l'Iran ou à l'Afghanistan, cela devient discrétionnaire. Nous vivons dans une société où il y a justement une Chambre haute et une Chambre basse et un système démocratique pour faire en sorte que le bien commun et le bien particulier riment ensemble. Nous avons là un cas où toute chose rétroactive que ce soit, dans une Loi de l'impôt qui dit que depuis 2006 vous n'avez pas le droit de le faire et on vous charge de l'impôt alors que vous ne le saviez pas, toute loi rétroactive est inique selon moi et surtout en 2008, si on peut éviter d'en faire une, peu importe ce qui s'est passé, profitons d'aujourd'hui pour au moins être sur le bon chemin.

[Traduction]

Le sénateur Johnson : Mes collègues ont déjà couvert bon nombre des questions que j'avais. Je suis entièrement d'accord avec vous concernant la création d'un malaise chez les artistes. Je le sens déjà et cela m'inquiète beaucoup en tant que sénatrice, législatrice et présidente d'un festival manitobain où je travaille avec des artistes, des auteurs et des producteurs de films pour amasser de l'argent en vue de projeter nos histoires à l'écran. Par conséquent, je prône une communauté culturelle saine. Je suis très heureuse que nous tenions ces discussions au Sénat parce qu'à mon avis, les arts sont négligés sur ce plan au pays. Cela me bouleverse. Même si ce n'est pas dans un contexte joyeux, c'est une bonne occasion que vous avez de vous prononcer non seulement sur ce projet de loi, mais aussi sur la situation en général.

Madame Swan, j'admire énormément votre travail. Soit dit en passant, vous auriez dû ajouter La mémoire en fuite à la liste.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus au sujet des fondamentalistes de l'ombre? Ce projet de loi poireaute depuis longtemps, et on l'a finalement inscrit dans cet énorme projet de loi omnibus dont nous sommes saisis aujourd'hui. Il est passé inaperçu à la Chambre. On l'a renvoyé au Sénat, particulièrement à notre comité, pas sur cet aspect, mais plutôt sur la question des pensions. Nous sommes donc en quelque sorte tombés sur ce dossier par accident, et j'en suis d'ailleurs très heureux, mais j'aimerais savoir ce que les fondamentalistes de l'ombre viennent faire là-dedans.

Mme Swan : Je partage votre avis. Je me réjouis de participer à ces discussions car j'estime que nous devons tenir davantage de débats culturels. C'est ainsi qu'on apprend et grandit, et qu'on renforce le milieu artistique.

Lorsque cette histoire a fait la une, on disait que le révérend McVety était celui qui avait proposé d'inscrire ce mécanisme dans le projet de loi. Selon le Globe and Mail de ce matin, celui-ci aurait affirmé n'avoir rien à voir avec cette histoire. On semble croire que c'est vrai. Je n'ai aucune preuve; je dis simplement que, compte tenu des antécédents de certains membres du Parti conservateur, il se peut qu'il y ait un groupe qui veule appliquer une interprétation plus littérale aux arts en raison de l'approche fondamentaliste prônée par leur religion.

Ils ont certainement le droit de s'exprimer, mais je ne suis pas d'accord avec eux. Je sais que les libéraux sont à l'origine de cette mesure législative. Je crois qu'elle avait été conçue au départ pour traiter de la propagande haineuse, mais je ne crois pas qu'elle se soit rendue à l'étape de la rédaction. Je suis presque certaine qu'ils n'avaient aucun intérêt à l'utiliser comme moyen détourné de censurer les films canadiens.

Le sénateur Johnson : Comme le sénateur Banks l'a fait remarquer, le Sénat peut uniquement adopter, modifier ou rejeter un projet de loi. Il n'y a pas d'autre alternative. Il faut que ce soit clair, non seulement pour vous, mais aussi pour tous les artistes du pays. Comme les conservateurs n'ont que 18 ou 19 sénateurs, nous n'arriverons pas à le rejeter.

Compte tenu des circonstances, pensez-vous que la proposition de la ministre de fournir des lignes directrices relatives aux procédures administratives au cours de la prochaine année peut vous être utile? Préféreriez-vous que nous nous entêtions et prenions une décision tout de suite au sujet du projet de loi?

M. Waddell : En tant que sénateurs, vous êtes des législateurs et votre mandat a tendance à être plus long que celui de tout gouvernement. Les attitudes changent au fur et à mesure des gouvernements. La façon dont les gouvernements interprètent la loi évolue au fil du temps.

Il faut être conscient que même si le gouvernement au pouvoir a les meilleures intentions du monde, comme il le prétend, cela ne veut pas dire qu'un autre gouvernement évaluerait les choses de la même façon.

Vous pouvez considérer que ces lignes directrices sont acceptables, mais il n'y a rien qui garantisse qu'elles seront les mêmes dans cinq ans. Nous nous engageons dans une voie que nous ne voulons pas nécessairement relativement à la question de la liberté d'expression. Il serait préférable de fixer des limites.

Même si PEN Canada n'est pas un protagoniste dans cette affaire, nous ne sommes pas intéressés par ces lignes directrices, parce que je crois qu'elles nous éloignent de la question qui nous préoccupe véritablement, c'est-à-dire la capacité des gouvernements successifs, que ce soit au niveau politique ou bureaucratique, de redéfinir une vague notion telle que « contraire à l'ordre public » ou qui va à l'encontre de leurs intérêts du moment, ce qui est susceptible de nuire à la liberté d'expression.

Bref, la réponse est non. Nous sommes d'avis que le comité devrait retirer cette disposition du projet de loi — modifier le projet de loi par suppression —, ce qui aurait pour effet de le renvoyer à la Chambre.

Le sénateur Johnson : Je viens de la province du Manitoba et, dans son dernier budget, le gouvernement provincial a augmenté ses crédits d'impôt pour la production de films. Beaucoup de films américains sont produits au Manitoba. Nous avons aussi certains films canadiens; Phyllis Laing et Buffalo Gal Pictures reprennent de très bonnes histoires canadiennes telles que The Stone Angel, qui vient tout juste de sortir.

Ce qui me préoccupe, c'est que ces producteurs n'ont pas à répondre à certains critères concernant le contenu de leurs films. Pensez-vous que cela pèse dans la balance pour le retrait de cette disposition du projet de loi?

M. Waddell : On a soulevé en comité le fait que cette disposition s'applique aux producteurs canadiens et pas aux producteurs étrangers.

Le sénateur Johnson : Les crédits d'impôt remboursables pour la production de films varient d'une province à l'autre. Les gouvernements du Manitoba et de la Colombie-Britannique se sont engagés à développer l'industrie cinématographique dans leur province. Croyez-vous qu'on devrait examiner tous les niveaux de plus près?

Mme Swan : Non. Je pense qu'on doit encourager la production de films canadiens, car l'industrie commence à devenir plus prospère, comme la littérature canadienne dans les années 1970, avec Margaret Atwood et Michael Ondaatje. Il semble que ce soit particulièrement important dans l'industrie cinématographique, du moins au Canada anglais.

Au cours des 20 dernières années, l'industrie cinématographique a été beaucoup plus fructueuse du côté du Québec que du côté du Canada anglais. Maintenant, le marché anglais est en plein essor, et c'est merveilleux de voir que cela se produit au Manitoba. Je vous demande donc d'encourager nos films canadiens et même d'en visionner un ce soir.

Le sénateur Johnson : Je ne crois pas que les gens savent à quel point l'industrie cinématographique génère des revenus et crée des emplois dans les provinces. Nous devrions le préciser dans le cadre de notre examen non seulement de ce projet de loi et de cette disposition, mais aussi des arts en général.

Le président : Ce serait un détail important à préciser.

Je souhaite la bienvenue à nos prochains témoins, M. Robert Morrice, d'Aver LP, et Mme Elaine Morissette, de la Banque Nationale du Canada.

Robert Morrice, gestionnaire principal, Aver Media LP : Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître aujourd'hui. Mon but aujourd'hui, en compagnie de mon homologue Elaine Morissette, c'est de vous parler, du point de vue d'un prêteur, de l'incidence potentielle de l'inadmissibilité au crédit d'impôt des productions jugées « contraires à l'ordre public » prévue dans le projet de loi C-10.

Je suis directeur, à Aver Media, un prêteur dans l'industrie cinématographique et télévisuelle. Je suis un banquier de carrière dans le secteur et j'ai versé des milliards de dollars en prêts intérimaires pour la production de films et d'émissions télévisées. Je finance le crédit d'impôt fédéral depuis sa création en 1995.

Aver Media est une nouvelle entité, qui a entrepris ses activités au milieu de l'année 2006, mais l'équipe de la haute direction a des dizaines d'années d'expérience dans le secteur. En plus de fournir un financement provisoire, Aver Media offre également des services consultatifs en matière de finances et de productions cinématographiques et télévisuelles. Jusqu'à présent, Aver Media a accordé près de 100 prêts représentant des budgets de production de plus de 500 millions de dollars.

À titre indicatif, sachez que seulement trois banques canadiennes — la Banque Royale du Canada, la Banque Nationale du Canada et la Banque HSBC — octroient actuellement des prêts aux producteurs cinématographiques et télévisuels.

Le président : Voulez-vous dire que ce sont les seules banques parmi les banques à charte ou parmi toutes les banques?

M. Morrice : Aucune autre au Canada ne le fait régulièrement à l'heure actuelle.

Avant 1982, la plupart des banques canadiennes accordaient des prêts qui étaient garantis par l'abri fiscal de l'époque. Toutes les banques ont subi des pertes lorsque les règles concernant les abris fiscaux ont changé en 1982, ce qui a fait en sorte que plusieurs banques canadiennes ne veulent plus financer le secteur. La Banque Royale canadienne a perdu beaucoup moins que les autres banques et, pendant plusieurs années, elle était la seule à consentir des prêts à l'industrie. Au milieu des années 1990, compte tenu de la croissance rapide de l'industrie et du nombre d'émissions publiques, cinq banques ont recommencé à financer des productions. La Banque Nationale du Canada et la HSBC sont les deux seules encore actives. Les autres ont progressivement cessé leurs activités de financement de l'industrie. Il s'agit d'un secteur spécialisé qui comporte de grands risques pour les prêteurs qui manquent d'expertise.

Je mentionne cet historique parce qu'il y a peu de producteurs canadiens qui sont en mesure de réaliser des films et des émissions de télévision sans l'aide d'un prêteur intérimaire. Or, au Canada, les sources de financement intérimaires sont rares. Le projet de loi C-10 risque de limiter encore davantage les options offertes aux producteurs. Ces derniers ont besoin de prêts intérimaires parce qu'ils n'ont accès aux sources de financement qu'une fois le projet achevé. Habituellement, les crédits d'impôt ne sont versés que plusieurs mois après l'achèvement du projet.

Les prêts intérimaires accordés aux productions cinématographiques et télévisées font l'objet d'ententes de financement. Les prêts sont remboursés par les sources de financement, lesquelles englobent les ventes commerciales aux exploitants ou aux radiodiffuseurs; l'aide accordée par Téléfilm Canada et le Fonds canadien de télévision; les crédits d'impôt fédéraux et provinciaux, ou les subventions provinciales dans le cas de l'Alberta. Sauf pour ce qui est des crédits d'impôt, chaque source de financement représente une somme déterminée qui doit être remboursée par versements au moment de l'atteinte de certains jalons ou à date fixe. Le prêteur intérimaire accorde un prêt pouvant atteindre jusqu'à 100 p. 100 de la valeur des contrats, contrairement à ce que font les banques commerciales traditionnelles, qui vont accorder un financement équivalent à 75 p. 100 du contrat ou moins, si le contrat est conclu avec un tiers de l'étranger.

Pour ce qui est des crédits d'impôt, la règle veut que l'on consente un prêt allant jusqu'à 75 p. 100 de la valeur du crédit d'impôt en attendant que les certificats de confirmation soient délivrés par le Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens, le BCPAC, et la province respective. Une fois les certificats reçus, le prêteur intérimaire va accorder un supplément de 15 p. 100, ce qui porte le pourcentage consenti en avance à 90 p. 100. Les paiements anticipés versés au regard des crédits d'impôt sont plus faibles parce qu'ils ne représentent pas une somme déterminée. Le montant du crédit d'impôt remboursable n'est calculé qu'une fois les coûts de production évalués. Les producteurs, qui connaissent suffisamment bien le crédit d'impôt, savent que les paiements anticipés visent à compenser le fait que le montant du crédit d'impôt ne correspond pas à une somme déterminée.

Il revient à chaque producteur de financer la partie du crédit d'impôt qui n'est pas couverte par le prêteur intérimaire — 25 p. 100 au départ, et 10 p. 100 une fois les certificats délivrés. Cette exigence constitue un fardeau majeur pour les producteurs qui, souvent, ne peuvent se payer qu'une fois le crédit d'impôt reçu. Une baisse du pourcentage consenti en prêts signifierait que les producteurs seraient tenus de combler l'écart.

À l'heure actuelle, les critères qui influent sur le montant du crédit d'impôt versé sont clairs, objectifs, cohérents et prévisibles. Le paragraphe 120(12) du projet de loi C-10 introduirait un nouveau facteur imprévu qui pourrait réduire le crédit d'impôt à zéro. Dans de telles circonstances, les producteurs ne seraient sans doute pas en mesure d'obtenir du financement au regard des crédits d'impôt. En effet, en l'absence de prêts intérimaires, rares sont ceux qui pourraient réaliser un projet.

Je travaille dans ce domaine depuis 20 ans. J'ai analysé et financé plusieurs initiatives de soutien publiques : mentionnons les abris fiscaux, les subventions, les investissements en actions, le crédit d'impôt remboursable actuel. Un principe dominant permettait de déterminer si chacune de ces mesures pouvait être financée : l'existence de critères clairs, objectifs, cohérents et prévisibles.

Voilà qui termine mon exposé. Encore une fois, merci de m'avoir donné l'occasion de vous rencontrer.

[Français]

Elaine Morissette, gestionnaire principale, Groupe de cinéma et télévision, Banque nationale du Canada : Monsieur le président, je suis en charge du Groupe de cinéma et télévision de la Banque nationale du Canada. Nous finançons environ 400 à 450 productions par année à la Banque Nationale. Nous le faisons depuis 1998 et, au Québec, nous sommes le premier prêteur à offrir ce financement; la plupart des producteurs se financent avec nous.

Pour nous, le projet de loi C-10 aura un impact sur notre capacité de prêter sur le crédit d'impôt, par le fait même sur le financement du contenu canadien parce qu'on a besoin de certitude et comme M. Morrice l'a mentionné, parce qu'on doit débourser nos prêts avant le début de la production et pendant la production. Si on n'est pas dans une zone claire sur l'admissibilité des crédits d'impôt, il sera presque impossible d'accorder du financement.

L'impact est plus grand que financer le crédit d'impôt parce que quand on fait notre analyse du risque, on doit s'assurer que les producteurs ont les fonds pour financer tous leurs films. Par exemple, dans un dossier, s'ils ont deux millions de crédits d'impôt à recevoir et qu'ils n'ont pas accès à des fonds pour payer leurs dépenses pendant la production, cela pourrait vraiment mettre la production en péril. On ne pourrait pas financer le reste des sources de fonds dans la structure. Et c'est très rare qu'un producteur ait deux millions de dollars en liquidités pour financer une production. Je pense que ce serait certainement difficile pour eux de commencer à produire quelque chose sans avoir une certitude d'admissibilité.

Le président : C'est votre témoignage?

Mme Morissette : Je ne veux pas répéter ce qui a déjà été dit.

Le président : C'est clair et très bien. Nous avons une liste de sénateurs, mais j'aimerais poser tout d'abord une question.

[Traduction]

Monsieur Morrice, je voudrais vous poser une question au sujet de la garantie de bonne fin qui a pour objet de donner une assurance aux prêteurs. Qu'est-ce qu'une garantie de bonne fin et comment fonctionne-t-elle?

M. Morrice : Une garantie de bonne fin est une forme unique d'assurance. À ma connaissance, c'est la seule police d'assurance qui permet de couvrir également les actes de fraude. Toutes les sources de financement qui ont été mentionnées dépendent de l'achèvement d'un projet de film ou d'émission de télévision.

Très souvent, si les risques sont élevés — en raison de certains facteurs de production, du comportement antérieur des réalisateurs, des directeurs, des acteurs —, les prêteurs se tournent vers un tiers de l'extérieur pour garantir que le projet va être achevé à temps et dans les limites du budget. Cela permet aux autres sources de financement d'entrer en jeu. Le crédit d'impôt constitue également une forme de financement conditionnel, en ce sens que certains critères doivent être remplis pour que le crédit d'impôt soit accordé.

Le président : Donc, tout cela relève du même domaine et la personne qui verse les fonds doit avoir cette garantie.

M. Morrice : Lorsque le financement selon le principe de la sélection sur négatif a vu le jour au milieu des années 1940 pour contourner les guildes, les studios, presque tout était couvert par la caution de bonne fin. Aujourd'hui, de nombreux producteurs ont démontré qu'ils sont en mesure d'achever un projet sans avoir recours à une telle caution. Ce n'est toutefois pas le cas de chaque production.

Le président : C'est la preuve qu'ils sont fiables.

M. Morrice : C'est plus que cela. Les producteurs prennent parfois des risques illimités dans le but d'achever leur film. La police d'assurance est différente dans ce cas-ci parce que le garant de bonne fin met son propre argent à risque pour achever et livrer le film.

Le sénateur Goldstein : Donc, la caution de bonne fin à laquelle vous faites allusion n'est pas tellement différente du cautionnement d'accomplissement qui s'applique, par exemple, aux projets immobiliers, et des autres types de caution qui peuvent ou non tenir lieu de police d'assurance.

Pour certains, ces cautions ne constituent pas une police d'assurance. Or, peu importe comment nous les appelons, et vous n'êtes pas un spécialiste en la matière, cette disposition — corrigez-moi si je me trompe — n'aurait aucun impact sur les cautions de bonne fin.

Mme Morissette : Les émetteurs de cautions de bonne fin vont exiger que, quoi qu'il arrive, le prêteur verse suffisamment d'argent aux fins de production. Autrement, le garant de bonne fin est libéré de toute responsabilité.

Dans la garantie, les prêteurs vont exiger que l'émetteur de la caution de bonne fin, s'il prend en charge les activités de production, se conforme aux règles du crédit d'impôt et fasse en sorte que le projet y soit admissible. Cela a un impact sur la caution de bonne fin.

[Français]

Le sénateur Goldstein : Donc, d'après vous, le cautionnement pourrait être affecté aussi par ces dispositions proposées.

Mme Morissette : Il pourrait l'être. C'est un risque supplémentaire pour eux de garantir que cela se qualifiera s'il y a des conditions supplémentaires. De toute façon, il n'y aura pas lieu d'avoir une garantie d'achèvement s'il n'y a pas d'argent disponible au préalable.

[Traduction]

M. Morrice : Vous avez raison de dire que cette caution est différente du cautionnement d'accomplissement qui s'applique au secteur de la construction. Dans ce cas-ci, le garant de bonne fin met son propre argent à risque pour assurer l'achèvement du projet. Il s'appuie sur une clause de la caution qui précise que tout ce qu'il garantit, c'est que le projet va être terminé à temps et dans les limites du budget si le producteur a accès à toutes les sources de financement prévues dans l'entente. Si une de ces sources ne se concrétise pas, le garant est libéré de toute responsabilité.

Le sénateur Meighen : En partie ou en totalité? Qu'arrive-t-il si le producteur n'a accès qu'à 50 p. 100 du financement?

M. Morrice : S'il a accès à 98 p. 100 du financement, le garant est exonéré de toute responsabilité.

[Français]

Le sénateur Ringuette : Madame Morissette et monsieur Morrice, vos collègues de la Banque Royale, que vous avez identifié comme l'autre institution bancaire qui travaille au niveau du financement pour les productions de film au Canada, la semaine dernière, par l'entremise d'un témoin, ont envoyé le même message que vous venez de nous livrer, c'est-à-dire qu'au niveau du financement, si le crédit d'impôt pour les films du gouvernement fédéral n'est pas clair...

[Traduction]

Si les critères du crédit d'impôt pour les productions cinématographiques ne sont pas, comme vous l'avez dit, clairs, prévisibles et cohérents, l'institution financière ne financera pas les productions. Il s'agit là d'un problème majeur. Au début des audiences, nous avons rencontré la ministre et ses fonctionnaires. Je leur ai demandé si une étude d'impact économique avait été réalisée. Ils ont répondu non.

Le crédit d'impôt doit reposer sur des critères qui sont clairs, prévisibles, cohérents et fiables. Il s'agit là d'une exigence fondamentale pour l'industrie. Autrement, aucun d'entre vous ne voudra, comme vous l'avez démontré dans le passé, lui fournir une aide financière. Est-ce vrai ou faux?

[Français]

Mme Morissette : Vous avez tout à fait raison. Certaines productions, comme les productions non canadiennes, ne poseront pas de problème; mais pour les productions canadiennes, s'il n'y a pas de certitude, cela va certainement nous rendre très inquiets. Nous faisons des analyses financières dans les dossiers, nous ne faisons pas des analyses qualitatives des contenus; d'autres institutions le font et on doit s'en remettre à elles. Il faut aussi s'assurer que tout le travail d'analyse de contenu n'est pas fait à plusieurs reprises par tous les intervenants, parce que tout le monde va amener des coûts supplémentaires. L'idée est de « mettre l'argent à l'écran », pas dans le financement d'analyses.

Le sénateur Ringuette : Madame Morissette, vous avez dit tout à l'heure que, en moyenne par année, vous financez près de 400 productions. Je suppose que vous ne financez pas toutes les demandes qui vous sont faites. Que représentent ces 400 productions en pourcentage du total des demandes que vous recevez?

Mme Morissette : Honnêtement, je n'ai pas de statistiques précises à vous donner, mais je vous dirais qu'il est très rare que nous refusions des dossiers, cela représente peut-être 5 p. 100 des dossiers qui nous sont présentés, car on trouve des moyens de les structurer avec les producteurs pour être plus à l'aise et de bonnes façons de travailler ensemble. Dans le cadre de la loi actuelle, où l'on a de la certitude, on est capable de le faire. C'est une industrie, pour le moment, que nous voulons promouvoir, donc autant que possible nous acceptons le financement, nous les structurons bien.

[Traduction]

Le sénateur Ringuette : Il est clair que l'industrie canadienne du film vous tient à cœur. Est-ce que vous consentez également des prêts pour les productions américaines au Canada?

M. Morrice : Pour ce qui est du crédit d'impôt pour services de production, nous ne finançons pas les producteurs américains ou étrangers. La société Aver fait affaire à l'étranger, mais concentre surtout ses efforts sur le Canada. Nous consentons des prêts à des producteurs américains, habituellement pour des productions réalisées aux États-Unis. Nous consentons également des prêts à des producteurs du Royaume-Uni, pour des productions réalisées dans ce pays.

Nous avons, sur les 100 ententes mentionnées, financé des productions en Inde, en Chine, en Nouvelle-Zélande, en Australie, en Italie et dans plusieurs autres pays. Le travail a été réalisé dans de nombreux pays autres que le Canada.

[Français]

Mme Morissette : Nous finançons des producteurs canadiens, américains ou étrangers, mais qui produisent au Canada. Nous nous concentrons au Canada.

[Traduction]

Le sénateur Banks : Vos propos me ramènent très loin en arrière, soit à l'époque où j'ai essayé, moi aussi, de réaliser des films. Il fallait être fou pour faire cela.

Les témoignages que nous avons entendus au cours des dernières semaines nous ont permis de prendre conscience, du moins en partie, de la fragilité du financement des productions cinématographiques au Canada. On pourrait, sans exagérer, assimiler cela à un château de cartes. Si vous en retirez une, tout s'effondre. C'est très compliqué.

Vous fournissez du financement de lancement et du financement complémentaire, n'est-ce pas?

Mme Morissette : Nous faisons diverses choses. La Banque nationale s'occupe essentiellement de fournir des prêts intérimaires ou d'appoint.

M. Morrice : Nous pouvons intervenir plus tôt dans les projets. Quelqu'un a posé une question au sujet du taux d'approbation. Habituellement, les producteurs vont consacrer quatre ou cinq ans à un projet avant d'aller voir un prêteur pour obtenir un prêt intérimaire. Nous acceptons en garantie des biens que les banques traditionnelles ne peuvent pas toujours considérer, et je fais allusion ici à la valeur commerciale potentielle d'un produit vendu. Nous aidons également les producteurs à obtenir le maximum pour leur projet à l'étranger.

Le sénateur Banks : Des diverses sources de financement, y compris les distributeurs, les exposants, les radiodiffuseurs et les organismes gouvernementaux?

M. Morrice : Moins dans le cas des organismes gouvernementaux, parce qu'ils se fondent davantage sur les règles, alors que les exposants et les distributeurs, eux, s'appuient sur leur jugement subjectif.

Le sénateur Banks : Nous entendons dire que les choses ne tournent pas rond dans l'industrie du film au Canada, qu'il est difficile d'aller de l'avant, compte tenu du pourcentage de films qui perdent de l'argent. Vous vous débrouillez bien, parce que vous évoluez dans ce domaine. Vous avez dit que vous vous êtes lancé, récemment, dans un nouveau projet, ce qui veut dire qu'il y a certains aspects de l'industrie du film au Canada qui fonctionnent bien, vu votre intérêt.

M. Morrice : Oui et non.

Le sénateur Banks : Vous n'êtes pas des masochistes; vous n'êtes pas des philanthropes.

M. Morrice : Nous ne le faisons pas uniquement pour l'argent. Nous sommes très fiers de certains des projets auxquels nous avons participé et qui ont connu beaucoup de succès. Nous avons aidé à vendre aux enchères des émissions canadiennes qui ont trouvé preneur dans d'autres pays, à un prix très élevé. Un de mes associés a été producteur pendant plus de 20 ans.

Le sénateur Banks : Il a eu la bonne idée de changer de vocation, puisqu'il s'occupe maintenant de prêter de l'argent aux producteurs.

M. Morrice : Il a déclaré que les producteurs travaillent sur un projet pendant cinq ans, tandis que nous, nous n'intervenons qu'au cours des six derniers mois. Le gros du travail a déjà été réalisé quand ils viennent nous voir.

Le sénateur Banks : Vous connaissez le dossier du financement des productions cinématographiques beaucoup mieux que nous. Les personnes qui travaillent dans ce domaine n'ont cessé de nous répéter, au cours des dernières semaines, à quel point ce dernier 10 ou 11 p. 100 aide à couvrir les dépenses de main-d'œuvre.

Est-il vrai qu'avec un budget de 10 millions de dollars, le producteur qui a réussi à amasser 9 millions de dollars frappe un mur à ce moment-là? Habituellement, quand je recueille des fonds, les montants ne comptent que deux zéros à la fin. Est-ce que tout s'arrête là? Je sais que les derniers milles sont les plus difficiles, mais si vous avez réussi à amasser 9 millions de dollars sur un total de 10 millions, ne pouvez-vous pas obtenir le million qui reste d'une autre source et envoyer tout le monde promener quand on en arrive là?

M. Morrice : Vous pouvez le faire, sauf que c'est la façon la plus rapide de perdre beaucoup d'argent dans l'industrie. Les personnes qui ont utilisé cette stratégie se sont retrouvées les mains vides. Il y a de nombreux projets qui n'obtiennent que 80 p. 100 du financement. Il y a de nombreux films qui sont réalisés tous les ans et qui ne sont pas adéquatement financés. Ils ne sont jamais exploités sur le plan commercial. Le problème auquel sont confrontés les cinéastes n'est pas unique au Canada. Les cinéastes indépendants de par le monde se retrouvent dans la même situation.

Le sénateur Banks : D'après votre expérience, est-il vrai que les propriétaires d'un film, qui sont habituellement les producteurs, ne sont payés qu'à la toute fin, et très souvent, à même les crédits d'impôt?

[Français]

Mme Morissette : D'après mon expérience, ils sont payés seulement lorsque les crédits d'impôt sont payés et pour un montant qui n'est pas intéressant très souvent. Sauf que cela peut être fait dans le cadre d'une stratégie de plan d'affaires pour se faire connaître. Les grands revenus sont rares, surtout en cinéma.

[Traduction]

M. Morrice : Non seulement les producteurs, dans bien des cas, sont payés uniquement quand les crédits d'impôt sont reçus, mais très souvent, ils ne sont même pas payés à ce moment-là parce que s'ils ont obtenu 90 p. 100 du financement, c'est parce qu'ils ont versé leurs propres honoraires pour assurer la réalisation du projet. Et ils continuent sans cesse de reporter ces honoraires sur leur bilan.

Le sénateur Banks : Je ne connais qu'un seul cas où cela a fonctionné. Il s'agissait d'un producteur d'Edmonton qui a réalisé un film intitulé Love Story. Il a choisi d'obtenir des points pour le film plutôt que de se faire payer, et il a remporté son pari.

Le président : Monsieur Morrice, est-ce que Aver Media LP est le nom exact de votre société?

M. Morrice : Oui.

Le président : S'agit-il d'une société en commandite?

Mme Morissette : Une société en commandite du Manitoba.

Le président : Ce n'est pas une banque?

M. Morrice : Nous consentons des prêts, mais nous ne sommes pas une banque autorisée.

Le président : Avez-vous beaucoup d'associés?

M. Morrice : Nous sommes 12 au total.

Le président : Est-ce que vous êtes inscrit en bourse?

M. Morrice : Il s'agit d'une société privée.

Le président : J'essaie d'avoir une idée du capital que vous avez, des prêts que vous consentez, des risques que vous prenez.

M. Morrice : Nous préférons mettre l'accent sur ce que le prêt rapporte plutôt que sur le montant de celui-ci.

Le président : Vous parlez des investisseurs?

M. Morrice : Non, des acheteurs, des crédits d'impôt, des ventes à l'étranger, des ventes au Canada. Cet argent nous permet de rembourser les prêts que nous accordons aux producteurs. L'an dernier, après la première année complète d'activité, nous avons récolté un peu plus de 100 millions de dollars.

Notre organisme a été créé par deux personnes qui ont connu beaucoup de succès et qui ont versé des millions de dollars de leur propre poche. Genuity Capital Markets a contribué encore plus et a réussi à obtenir la participation d'une caisse de retraite importante. Nous sommes ensuite allés rencontrer trois grandes banques canadiennes — la Banque Scotia, la Banque Royale et, plus récemment, la Banque de Montréal. Grâce aux lignes de crédit que nous ont accordées ces banques, nous pouvons bonifier nos ressources. C'est cet argent que nous prêtons aux producteurs.

Le président : Agissez-vous en quelque sorte comme un courtier?

M. Morrice : Pas du tout. C'est notre argent. Le comité du crédit est composé uniquement de gens à l'interne. Nos prêteurs n'ont aucun un mot à dire au sujet des projets que nous finançons.

Le président : J'essaie de comprendre le rôle que vous jouez. Vous avez fait un commentaire qui m'a donné à penser que vous agissez comme une sorte d'intermédiaire au nom des producteurs de films pour obtenir des crédits d'impôt, par exemple.

M. Morrice : Nous ne faisons pas cela. Certaines entreprises le font. Par contre, nous agissons à titre d'intermédiaires pour le compte des producteurs auprès des diffuseurs et acheteurs étrangers.

Le président : Pour faire le marketing du produit final?

M. Morrice : Ou pour trouver le bon acheteur. Dans plus d'un cas, nous avons fait une vente aux enchères. Nous avons dit aux producteurs, par exemple, qu'il n'y a vraiment que cinq ou six personnes au monde qui seraient toutes désignées pour acheter le film, et nous leur avons donné le nom de ces personnes. Nous avons organisé des réunions entre ces personnes et les producteurs. Dans certains cas, le producteur est dépassé par les événements parce que beaucoup de gens veulent acheter un film, mais elles offrent toutes des conditions différentes. Le producteur demande donc de l'aide pour déterminer quelle est la meilleure offre.

Nous avons travaillé sans réserve pour aider les producteurs à choisir le bon acheteur. Il s'agit d'un cas où les acheteurs étrangers sont habitués à traiter des projets canadiens; la première question qu'ils posent, c'est le montant du déficit. S'il est de 10 p. 100, les acheteurs étrangers acceptent souvent d'accorder les 10 p. 100 pour le projet. Les acheteurs n'essaient pas de déterminer combien vaut le projet. Nous avons déjà assisté à des réunions où le producteur a pu dire : « Aver m'accorde son appui, je n'ai donc pas de déficit. Combien me donnerez-vous pour le projet? » Je dois admettre qu'il est amusant de voir la réaction des acheteurs étrangers quand soudain, pour la première fois, ils doivent décider de la valeur du projet. De nombreux projets ont fini par valoir trois fois plus que ce qu'ils avaient offert initialement.

Le président : Comme dernière précision, vous avez mis sur pied une entreprise assez particulière. Y a-t-il des compétiteurs qui font la même chose au Canada?

M. Morrice : Nous n'avons pas vraiment de compétiteur, nulle part au monde. Il y a plusieurs entreprises de financement par fonds spéculatifs en activité dans ce secteur, mais elles doivent donner un taux de rendement si élevé à leurs investisseurs qu'elles ne peuvent tout simplement pas accorder les prêts provisoires qu'offre Aver. Elles n'ont pas les moyens de prêter des fonds à un taux supérieur de quelques points au taux préférentiel parce que leur coût du capital est si élevé.

Le sénateur Goldstein : Vous êtes dans le bon créneau. S'agit-il d'un marché à créneaux, à vos yeux?

M. Morrice : Oui, c'est un créneau.

Le sénateur Fox : Vous avez dit qu'il y a environ quatre entreprises qui accordent du financement pour la production de films au Canada. Je crois que vous avez mentionné la Banque Nationale du Canada, la Banque Royale, la Banque HSBC Canada et votre entreprise. Lorsque ce projet de loi a été proposé par le ministère, vous a-t-on consulté sur les effets possibles des changements proposés sur le financement des films au Canada?

M. Morrice : Aver n'a, d'aucune façon, été consultée là-dessus.

Le sénateur Fox : A-t-on consulté la Banque Nationale du Canada?

Mme Morissette : Non.

Le sénateur Fox : Vous avez parlé de la caution de bonne fin au début de votre exposé. Mon collègue a fait allusion à la déclaration de la Banque Royale qui accompagnait l'exposé de FilmOntario. Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais FilmOntario a également cité les propos du président de cineFinance, une entreprise de cautions de bonne fin. Je vais lire la déclaration du président de cineFinance, qui est incluse dans la déclaration de FilmOntario.

Toute autre condition, comme celle dont il semble être question, nous empêcherait d'émettre une obligation, ce qui pourrait avoir un effet néfaste sur la capacité des banques et d'autres investisseurs à financer la production de films indépendants...

S'ils étaient incapables d'émettre une obligation, quel en serait l'effet sur votre financement subséquent?

M. Morrice : On verrait moins de films ayant des éléments à risque élevé. On ne verrait pas les explosions qu'on a vues dans Bon Cop, Bad Cop. On ne verrait pas autant de scènes filmées en extérieur. On verrait quand même des films, mais ce serait davantage dans la lignée du film Mon dîner avec André, où les éléments de production étaient contrôlés parce qu'on voyait deux personnages assis en train de se parler. On observerait une diminution des productions.

Le sénateur Fox : Au bout du compte, s'ils ne pouvaient pas émettre une garantie de bonne fin, cela aurait un effet très réel sur le financement des films au Canada.

M. Morrice : Oui.

Le sénateur Fox : Dans son témoignage, la ministre a indiqué que si certains films n'étaient pas admissibles au régime de crédits d'impôt en vertu des lignes directrices qu'elle proposait — et les lignes directrices dépasseraient les dispositions habituelles du Code criminel —, la décision de déterminer ce qui serait disponible serait subjective. Elle croit que d'autres sources de financement seraient disponibles. Je ne vous demande pas d'accepter ma proposition, mais il s'agit d'une proposition digne de Marie-Antoinette. S'il n'y a pas de pain à manger, alors mangez du gâteau. D'où viendrait le gâteau s'il n'y a pas de pain?

M. Morrice : Il se peut que des fonds soient disponibles — même si c'est improbable —, mais ce serait du capital à risque beaucoup plus élevé que l'une ou l'autre de nos organisations offre actuellement. À cause du risque, les investisseurs chercheraient à obtenir des rendements considérables.

Le sénateur Fox : Je suppose qu'il n'y aurait pas de caution de bonne fin dans ce cas non plus, parce qu'il n'y a aucun crédit d'impôt en jeu?

M. Morrice : Nous parlons maintenant d'une possibilité de financement à risque beaucoup plus élevé — ce n'est pas un prêt, mais davantage un investissement. Les fonds accordés dans une telle situation grugeraient tout argent que le producteur ne pourrait jamais recueillir grâce au projet. Si le projet devenait un énorme succès, l'investisseur chercherait à obtenir la majorité de ce bénéfice pour compenser le risque qu'il a pris en fournissant de l'argent dans cette situation incertaine.

Le sénateur Fox : Certaines petites entreprises à Montréal qui font des productions de 3 millions de dollars m'ont dit qu'elles comptent sur une avance du crédit d'impôt au début pour leur film. Évidemment, le film n'est pas encore tourné et, au bout du compte, le film serait jugé en fonction des lignes directrices proposées par la ministre, qui peuvent changer du jour au lendemain parce qu'elles ne sont pas un règlement. Quel effet cela aurait-il sur votre décision d'avancer des fonds sur le crédit d'impôt?

M. Morrice : Un effet prévisible.

[Français]

Mme Morissette : On ne pourrait pas financer. L'avance sur les crédits d'impôt qui provient des prêteurs est requise, je vous dirais dans probablement 90 p. 100 des projets qui se font. Je crois que ce serait fort difficile.

En plus, ils ont besoin de recevoir l'argent très rapidement parce que cela fait longtemps qu'ils travaillent sur un projet et à un moment donné, le projet se confirme et ils doivent le faire rapidement parce que c'est la saison ou parce que l'acteur est disponible. Souvent, on va devoir avancer des fonds à l'intérieur de 48 heures ou une semaine, et ce serait impossible si on ne peut pas avoir un niveau de certitude.

Le sénateur Fox : J'ai bien compris suite à votre réponse, que vous n'avez pas été consultés par le ministère sur les effets possibles de ces changements sur le financement.

Mme Morissette : Oui.

[Traduction]

Le sénateur Johnson : Quels critères particuliers les banques et les investisseurs considèrent-ils pour déterminer s'ils vont financer un projet de film, particulièrement dans votre cas où c'est précisément ce que vous faites? Dans quelle mesure vos crédits d'impôt en font-ils partie intégrante?

M. Morrice : Les crédits d'impôt constituent une partie essentielle du financement pour la plupart des projets canadiens. Rares sont ceux qui sont surfinancés; le plus souvent, ils s'en tirent à peine. Toute réduction d'un facteur dans leur structure de financement signifie tout simplement qu'ils ne peuvent même pas commencer. Pour que nous puissions réaliser notre analyse, nous obtenons la structure de financement. Sur un projet de 10 millions de dollars, nous examinons d'où provient chaque cent de chaque dollar. Nous effectuons une analyse sur chacune de ces entités.

Au début des années 1990, je me souviens qu'il y a eu un film canadien d'un budget de 11 millions de dollars, et je crois qu'il y avait 27 sources de financement. C'était une coproduction Canada-Royaume-Uni. Je crois que Jessica Tandy y a tenu la vedette pour la dernière fois en tant que citoyenne britannique. Il s'agit de financements très complexes, et nous examinons chaque élément dans la structure de financement pour nous assurer que l'acheteur est apte et disposé à payer le montant lorsque le film est terminé et livré. Le crédit d'impôt en fait partie intégrante. Si le crédit d'impôt n'est pas disponible, nous n'aurons plus de projet entièrement financé.

Le sénateur Johnson : Qu'en est-il du contenu? À quel point examine-t-on en détail cet aspect d'un projet avant d'y investir?

M. Morrice : Encore une fois, il faut faire la distinction entre investissement et prêt. Pour nous, il y a une ligne de démarcation très claire. Nous visons un remboursement, tandis que les investisseurs visent une récupération des frais. Supposons que le film finit par générer 100 millions de dollars; si tout ce que nous avons fait, c'est fournir un financement provisoire, alors nous récupérons seulement le montant équivalent à notre prêt avec intérêt. Nous n'avons pas d'intéressement aux recettes du film. Parmi la centaine de transactions que nous avons effectuées, nous en avons eu un à quelques reprises, mais c'est assez inhabituel. C'est une différence importante, parce que nous ne recevons que les taux bancaires comparativement aux taux d'un investisseur.

Le sénateur Johnson : Vous avez vos propres normes pour choisir des projets qui comportent des scènes de violence gratuite et de pornographie. Par conséquent, vous ne voulez pas de la proposition incluse dans le projet de loi C-10. Est-ce exact? Doit-on ajouter une autre couche de financement pour les films au Canada?

M. Morrice : Le projet de loi C-10 introduit un facteur qui n'est pas objectif ou cohérent. Il devient donc beaucoup plus difficile d'évaluer chacune de ces sources de financement parce que nous ne pouvons plus déterminer si les fonds seront réellement versés. Nous ne le saurons que beaucoup plus tard.

Peu de producteurs ont les moyens de se faire dire par un prêteur qu'ils doivent rembourser l'argent prêté pour une production. Nous parlons de plusieurs millions de dollars dans bien des cas.

Le sénateur Johnson : Votre entreprise est-elle basée au Manitoba?

M. Morrice : Elle est basée à Toronto.

Le sénateur Johnson : Madame Morissette, vos activités couvrent-elles surtout le Québec?

Mme Morissette : Nous couvrons l'ensemble du pays.

Le sénateur Johnson : D'après vous, pourquoi le Québec a-t-il produit, proportionnellement, plus de films au cours des 20 dernières années que le reste du Canada? C'est un point important. J'organise un festival de films, et parfois nous recevons plus de films du Québec que de partout ailleurs au Canada. Y a-t-il plus de financement là-bas? Est-ce à cause du financement gouvernemental?

[Français]

Mme Morrisette : Je ne suis pas une experte de ces raisons, mais il y a plusieurs raisons invoquées dans l'industrie qui sont sensées. Il y a la culture qui est différente. Le public veut voir un film qui se rapproche de sa culture. Il y a énormément de talents au Québec mais aussi partout au Canada. Il y a peut-être plus de programmes gouvernementaux au Québec qu'à l'extérieur, tout comme ailleurs, au Québec, les crédits d'impôt sont des sources de financement très importantes.

[Traduction]

M. Morrice : La politique sur les prêts a un effet direct sur les niveaux d'activité dans l'industrie de la production. C'est en 1994 que la Banque Royale du Canada a officiellement adopté comme secteur d'activité le financement de films. Elle a ouvert des bureaux partout au Canada et a donné aux producteurs une occasion de pouvoir accéder de façon prévisible à un financement pour produire des films et des émissions télévisées. Il y avait une énorme croissance à l'époque. En 1992, la Banque Royale avait accordé à ce secteur environ 30 millions de dollars sous forme de nouveaux prêts. En 1997, ce chiffre était passé à un milliard de dollars. Les producteurs jouissaient d'une source de financement fiable, cohérente et prévisible pour réaliser leurs projets.

Le sénateur Johnson : Avec combien de producteurs travaillez-vous à l'heure actuelle, au Canada et ailleurs?

M. Morrice : L'Association canadienne de production de films et de télévision, l'ACPFT, dispose de données détaillées qui montrent qu'il y a 75 producteurs actifs au Canada. L'ACPFT compte également des données sur tous les effets et retombées économiques dont vous avez parlé. Le dernier rapport est sorti en février. Je le recommande fortement.

[Français]

Le sénateur Biron : Madame Morrisette, vous avez dit que si la loi était adoptée, cela ferait possiblement que 90 p. 100 des prêts ne seraient pas financés à cause de l'incertitude qui serait créée par la nouvelle loi.

Quel est le montant que cela pourrait représenter en diminution de l'économie, combien de centaines de millions? Avez-vous une idée?

Mme Morrisette : Le 90 p. 100, je pense qu'avec les provisions sur l'ordre public, ce sera difficile pour la banque de faire 1 p. 100 du financement qu'on fait présentement pour les contenus canadiens. Il faudrait que j'aie des statistiques excluant les productions américaines, je ne les ai pas en mains. Il y a peut-être trois milliards de dollars de productions qui se font au Canada.

[Traduction]

L'industrie vaut cinq milliards de dollars.

M. Morrice : Encore une fois, le rapport de l'ACPFT est utile.

Le sénateur Biron : Ce serait important pour comprendre l'impact sur l'économie dans l'ensemble du Canada.

Le sénateur Meighen : J'aimerais intervenir rapidement, monsieur le président, avant que vous me rappeliez à l'ordre, parce que ma question ne concerne pas le projet de loi C-10.

Monsieur Morrice, pardonnez-moi, mais à en juger par les quelques cheveux gris que vous avez, j'ose affirmer que vous vous souvenez peut-être des années 1980 et des abris fiscaux. Je suis sûr que Mme Morissette pourrait ne pas s'en souvenir. À l'époque, ce sujet suscitait beaucoup d'intérêt. Mais tout est tombé à l'eau, dans la foulée des abus et des critiques.

D'après ce que vous avez dit tout à l'heure, à savoir qu'il existe peu de films canadiens surfinancés, les abris fiscaux — à condition qu'ils soient bien administrés, gérés et supervisés — seraient-ils une méthode de financement convenable et utile pour les films canadiens?

M. Morrice : C'est une question tendancieuse. Je crois que si vous posiez cette question aux producteurs, vous pourriez obtenir une réponse intéressante. Avant 1995, les producteurs faisaient activement des pressions pour que le crédit d'impôt remplace les structures des abris fiscaux. Parmi les fonds détournés vers les abris fiscaux, seulement un tiers finissait par servir aux œuvres cinématographiques des producteurs. Ils croyaient que le crédit d'impôt serait un outil plus efficace pour injecter des fonds directement dans la production.

Ils ne s'étaient pas rendu compte qu'au terme de la période visée par les abris fiscaux, l'argent était versé dès le premier jour de la production, alors que le crédit d'impôt n'était disponible parfois que deux ans après la production. Ils abandonnaient ainsi des fonds actuels pour des fonds futurs qui étaient assujettis à une inspection de la part des vérificateurs de l'ARC ou, à l'époque, de Revenu Canada. De nombreux producteurs ont peut-être changé d'avis quant au régime sous lequel ils aimeraient travailler : la certitude d'un abri fiscal ou l'incertitude et le retard associés au régime des crédits d'impôt.

En tant que banquiers, nous n'avons rien tiré de l'argent versé dès le premier jour. Toutefois, lorsque nous accordons des prêts en ayant comme garantie l'engagement du gouvernement du Canada à fournir un crédit d'impôt et lorsque ce prêt reste impayé pendant plusieurs années, c'est de l'argent gagné par les banques et les prêteurs au détriment des producteurs.

Le président : Je remercie beaucoup les deux témoins d'avoir été des nôtres. Vous avez beaucoup enrichi notre débat.

La séance est levée.


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