Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 19 - Témoignages du 14 mai 2008
OTTAWA, le mercredi 14 mai 2008
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, saisi du projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, notamment en ce qui concerne les entités de placement étrangères et les fiducies non-résidentes ainsi que l'expression bijuridique de certaines dispositions de cette loi et des lois connexes, se réunit aujourd'hui à 16 h 12 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Bon après-midi à toutes les personnes présentes dans cette salle ainsi qu'à toutes celles qui nous regardent sur le réseau CPAC ou via Internet. Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-10.
Monsieur Cronenberg, je veux vous souhaiter la bienvenue à cette réunion. Je sais que vous avez dû parcourir une bonne distance pour être des nôtres. Vous n'avez pas pu le faire précédemment, mais je me réjouis de pouvoir vous accueillir aujourd'hui.
Je suis le sénateur Angus et je préside le comité. Notre vice-président, le sénateur Goldstein, du Québec, est à ma droite. Je vous présente aussi le sénateur Fox, du Québec; le sénateur Eyton, de Toronto; le sénateur Massicotte, du Québec; le sénateur Corbin, du Nouveau-Brunswick; le sénateur Tkachuk, de la Saskatchewan, et le sénateur Gustafson, de la Saskatchewan. Sont également des nôtres June Dewetering, de la Bibliothèque du Parlement, et notre greffier, Line Gravel. Nous avons aussi le sénateur Harb, de l'Ontario; le sénateur Biron, du Québec; le sénateur Moore, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Ringuette, du Nouveau-Brunswick; et le sénateur Spivak, du Manitoba.
Nous avons déjà reçu pas moins de 44 témoins, ce qui nous a permis de procéder à une étude assez approfondie de différentes questions touchant notamment la fiscalité. Je crois, monsieur Cronenberg, que vous êtes ici pour nous parler des articles de ce projet de loi qui pourraient toucher l'industrie du film et de la vidéo. Nous avons grande hâte d'entendre ce que vous avez à nous dire à ce sujet.
Le sénateur Goldstein : Je voudrais faire un rappel au Règlement. Je pense que cela me donne préséance pour le moment. J'ai essayé de faire valoir ce point durant la période des questions au Sénat plus tôt cet après-midi, mais le président a statué que c'est en comité que je devrais le faire. C'est donc le but de mon intervention.
Selon un reportage diffusé par CBC ce matin, le président de notre comité aurait pris des mesures pour que notre séance de cet après-midi ne soit pas télévisée. Dans le courant de la matinée, nous, et je parle ici des membres libéraux du comité, avons imposé le rétablissement de la télédiffusion dès que nous avons découvert qu'elle avait été annulée.
Chers collègues, le témoin ici présent, M. Cronenberg, va nous parler de la censure gouvernementale. Je viens tout juste de vous décrire une nouvelle manifestation de la censure qu'exerce le présent gouvernement en s'efforçant d'empêcher que les médias et les citoyens du Canada puissent entendre des opinions et des idées qui ne reflètent pas les points de vue gouvernementaux.
Voilà maintenant que le gouvernement essaie de bloquer la diffusion d'une audience publique où l'on pourrait discuter de ses efforts pour censurer les arts au Canada. Quel bel exemple de transparence et d'honnêteté! La volonté de ne pas télédiffuser ces débats n'a jamais été communiquée par la présidence aux membres du comité de direction, même si une décision de leur part aurait été requise pour déroger à la tradition depuis longtemps établie de télédiffuser les audiences publiques de notre comité et ainsi ne pas respecter un engagement pris en ce sens au moyen d'une motion adoptée lors de notre séance d'organisation.
Voilà déjà plusieurs années que toutes les séances publiques du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce sont télédiffusées. Je pense que les Canadiens et les Canadiennes ont le droit de savoir qui est responsable de cette tentative de censure et de camouflage, et de cette atteinte à leurs droits par ce gouvernement supposément transparent.
C'est donc un rappel au Règlement et une question de privilège qui concerne directement le président de notre comité qui devrait, et ceci dit très respectueusement, par conséquent, ne pas diriger cette portion de nos discussions. Je suis vice-président du comité, mais je ne vais pas occuper le fauteuil, car il est possible que je propose une motion par rapport à ce qui s'est produit. Je suggère donc que le sénateur Moore, le troisième membre du comité de direction, préside ce segment de notre réunion.
Le sénateur Tkachuk : S'agit-il d'une question de privilège ou d'un rappel au Règlement?
Le sénateur Goldstein : Je n'ai pas encore décidé.
Le président : C'est tout à fait irrecevable.
Le sénateur Tkachuk : Sénateur Goldstein, vous avez dit ce que vous aviez à dire. Je vous ai posé la question et vous avez indiqué ne pas savoir.
Le sénateur Goldstein : Je n'ai pas dit que je ne savais pas.
Le sénateur Tkachuk : De quoi s'agit-il?
Le sénateur Goldstein : Ça peut être l'un ou l'autre, ou les deux à la fois.
Le sénateur Tkachuk : Sénateur Goldstein, avec toutes vos accusations outrées concernant la censure, vous dénigrez le processus en lui-même. L'absence de caméras de télévision ne signifie pas que les médias ne sont pas présents. Notre porte est toujours ouverte aux représentants des médias. Il en va de même pour les gens du public.
La décision prise, que ce soit par le président du comité ou par quelqu'un d'autre — je ne sais absolument pas qui a décidé de ne pas télédiffuser cette séance; pour autant que je sache, il s'agit d'un problème lié à la salle — ne change rien au fait que nous sommes tous, et cela inclut M. Cronenberg, libres de dire ce que nous voulons et de poser les questions qui nous intéressent de manière à traiter ce dossier dans le respect de la liberté et de la démocratie, comme nous le faisons toujours.
En exagérant ainsi l'importance de l'absence des caméras de télévision, vous invalidez votre propre argumentation. Vous nous faites un numéro pour les caméras. C'est exactement ce que vous êtes en train de faire. Ce n'est pas une question de liberté d'expression, sénateur Goldstein, et vous le savez parfaitement. Vous êtes avocat. Vous avez simplement décidé de faire votre petit spectacle pour les caméras.
Je m'offusque tout particulièrement du fait que nous faisons perdre le temps de M. Cronenberg, alors que nous pourrions discuter dès maintenant du sujet qui nous intéresse pour traiter ultérieurement de ces allégations. Vous faites vraiment votre numéro pour les caméras.
Le président : Sénateur Massicotte, vous vouliez dire quelque chose.
Le sénateur Goldstein : J'ai présenté une motion. J'ai proposé que le sénateur Moore occupe le fauteuil pour ce segment de la réunion.
Le sénateur Tkachuk : Vous ne pouvez pas présenter une motion lorsque vous faites un rappel au Règlement. On peut toujours en discuter, mais je ne crois pas que cela soit possible.
Le président : Comme je n'ai rien planifié en ce sens, et comme des sénateurs ont formulé des commentaires entièrement faux et tout à fait outrageux à mon égard, j'aimerais dire que ces accusations n'ont absolument aucun fondement. Nous nous réunissons habituellement à la salle 505. Ce comité existe depuis environ 140 ans. Ce n'est qu'exceptionnellement que nos réunions sont télévisées. Dès qu'une demande a été présentée pour la comparution de M. Cronenberg, j'ai pris les dispositions nécessaires pour la télédiffusion de l'audience. Comme vous pouvez le constater, c'est exactement ce qui se produit. Il n'y a pas une once de vérité dans les allégations qui ont été faites.
Ceci étant dit, lorsque j'ai vu le sénateur Goldstein se mettre à gesticuler en se préparant à présenter son rappel au Règlement ou sa question de privilège, je me suis dit qu'il serait préférable d'en discuter à huis clos, une fois que M. Cronenberg nous aura présenté son témoignage. Je pense que ce serait une façon de procéder mieux indiquée et davantage conforme à la nature jusqu'à maintenant collégiale et non partisane de notre comité. Chers collègues, je m'en remettrai à votre décision à cet égard.
Sénateur Massicotte, vous avez la parole.
Le sénateur Massicotte : Je ne sais pas si cela constitue un rappel au Règlement, mais j'aimerais obtenir des précisions quant aux faits. Avez-vous, oui ou non, demandé l'annulation de la télédiffusion de la séance comme cela a été indiqué précédemment?
Le président : Non. C'est tout à fait faux. Dès que j'ai su que les télédiffuseurs étaient intéressés à présenter cette réunion, j'ai pris les dispositions nécessaires pour enclencher le processus par l'entremise de notre greffière. À 15 h 1, hier après-midi, nous avons reçu un courriel de la greffière nous informant d'un appel de CTV News qui demandait à télédiffuser la séance. Elle a indiqué que nous ne pouvions pas accommoder les réseaux nationaux. Pour ce faire, il faut avoir le signal. La séance devait avoir lieu à la salle 505 de l'édifice Victoria, où le signal n'est pas transmis. Nous avons discuté de la question pendant environ une heure pour conclure qu'il fallait prendre les mesures nécessaires pour que la réunion puisse être télévisée. Contrairement à ce que le sénateur Goldstein a affirmé en Chambre cet après-midi, aucune pression n'a été exercée par qui que ce soit dans un sens ou dans l'autre. J'ai moi-même demandé à ce qu'on fasse le nécessaire pour la télédiffusion de l'audience. Je voulais qu'elle soit télévisée, elle l'est, et je ne vois pas quel est le problème. Je n'aime pas que l'on fasse de fausses affirmations comme celle-là à mon sujet; cela m'insulte profondément.
Le sénateur Massicotte : Vous vouliez que nos discussions soient télévisées, vous en avez fait la demande et vous vous êtes assuré que cela se concrétise. Vous n'avez jamais suggéré le contraire.
Le président : C'est exactement cela. En fait, c'est seulement ce matin que nous avons su, lorsque la greffière m'a téléphoné aux alentours de 9 heures, qu'il fallait que les whips discutent de la question, car il semblait que les deux salles équipées pour la télédiffusion des séances étaient déjà assignées à d'autres comités. J'ai demandé s'il y avait une solution possible. Elle a répondu que nous avions besoin de la permission des whips et je lui ai donné le feu vert.
J'ai ensuite reçu l'appel de nos whips qui voulaient savoir si c'est ce que nous souhaitions vraiment. Comme j'ai répondu par l'affirmative, c'est ce que nous avons fait. D'autres arrangements avaient déjà été pris. On déforme grossièrement les faits en formulant de tels commentaires à mon égard, mais je suis un grand garçon et je suis capable de composer avec cela. J'avais prévu régler la question directement avec la personne concernée, et j'ai écrit au sénateur Goldstein une lettre que je lui remettrai au moment approprié.
Le sénateur Goldstein : Me permettez-vous de répondre, sénateur?
Vous soutenez que ce que j'ai dit est faux. Vous prétendez n'avoir jamais rien suggéré d'autre. Vous avez indiqué que j'avais grossièrement déformé les faits. Notre greffier est la seule personne qui pourrait nous confirmer si vous avez demandé qu'on ne fasse pas le nécessaire pour la télédiffusion. J'aimerais savoir ce qu'elle a à nous dire à ce sujet.
Le président : Il est tout à fait irrecevable de faire intervenir la greffière. Déjà que la semaine dernière, nous avons dû lui présenter nos excuses. Il y a de nombreux sujets qui semblent vous préoccuper. Je suis tout à fait disposé à en discuter, mais est-ce vraiment nécessaire de le faire devant la population canadienne? Tous les sénateurs ont un rôle officiel à remplir ici et j'aimerais que l'on reporte l'étude de cette question pour pouvoir en discuter de façon approfondie ultérieurement.
Le sénateur Goldstein : Ne croyez-vous pas que la population canadienne a le droit de savoir ce que vous êtes en train de faire?
Le sénateur Eyton : Il ne fait aucun doute que les Canadiens peuvent savoir et doivent savoir. En tant que membre de ce comité, je trouve embarrassant de poursuivre cette discussion en présence de notre témoin. Il est venu ici nous présenter son témoignage et nous voulons l'entendre. La séance sera télédiffusée. De toute évidence, nos discussions sont publiques et il n'y a aucune tentative de museler qui que ce soit. Quant aux faits exacts, nous pourrons les rétablir plus tard. Il me semble que nous devrions procéder comme nous le faisons toujours en combinant courtoisie et neutralité pour obtenir les meilleurs résultats possible.
Le sénateur Goldstein : J'aimerais avoir une réponse à la question que j'ai posée à notre greffière.
Le président : Vous n'aurez pas de réponse. Je vous dis la vérité. Si vous voulez me traiter de menteur, libre à vous.
Le sénateur Ringuette : Je fais partie de ce comité depuis un an et demi. Nos séances ont toujours eu lieu dans cette salle et elles sont toutes télévisées, sauf dans les cas où nous examinons des rapports que nous souhaitons déposer au Sénat. Pour ce qui est des faits, il y a une question d'éthique qui entre en jeu et je trouve regrettable ce qui est en train de se produire. Si nous voulons mettre fin à ce débat, nous pouvons reporter la discussion à la fin de la séance d'aujourd'hui ou à la réunion de demain pour ce qui est de la motion voulant que les deux sénateurs laissent leur place au sénateur Moore pour occuper le fauteuil. Nous pourrons régler cette question après avoir entendu nos témoins d'aujourd'hui.
Le sénateur Tkachuk : Monsieur le président, il faut maintenant ouvrir la séance et entreprendre nos travaux.
Le président : Est-ce bien la volonté du comité? Quelqu'un s'y oppose?
Le sénateur Moore : J'ai une question. J'aimerais que l'on précise le processus à suivre pour qu'une séance soit télévisée. Comment les choses se passent-elles?
Le président : Quelle était la question?
Le sénateur Moore : Quel est le processus à suivre pour qu'une séance du comité soit télédiffusée?
Le président : Depuis que j'ai accédé à la présidence en septembre dernier, j'ai toujours discuté de la question avec notre greffière.
Soit dit en passant, sénateur Ringuette, vous faites erreur. Nos réunions ont habituellement lieu à la salle 505 de l'édifice Victoria. C'est là que nous nous sommes réunis en décembre en votre présence. Si vous ne vous en rappelez pas, je ne veux pas vous en tenir rigueur. Je considère que vous êtes de bonne foi et j'ose espérer que vous pensez la même chose de moi. J'ai tout fait pour être un président aussi impartial que possible, et je trouve la situation déplorable et embarrassante. Il semble y avoir un vote de non-confiance à mon égard, et je suis plutôt décontenancé par tout cela.
En règle générale, je parle au greffier lorsqu'il y a possibilité de télédiffuser une réunion et j'exprime un jugement de valeur à ce sujet. C'est ainsi que les choses se sont produites jusqu'à maintenant. Le greffier me rappelait que nous avons adopté il y a un certain temps déjà une motion établissant la prérogative de la présidence lorsqu'il s'agit de décider s'il doit y avoir télédiffusion. C'est la raison pour laquelle dès que j'ai été mis au courant, soit à 15 h 1 hier — et j'ai des courriels pour le prouver —, j'ai convoqué le responsable des communications pour le Sénat. Il avait reçu la requête de CTV, et je lui ai dit que je devrais m'informer des dispositions à prendre pour changer de salle; nous avons tous les deux donné nos directives en ce sens. C'est ainsi que les choses fonctionnent. Voilà qui répond à votre question.
Le sénateur Goldstein : C'est tout à fait inexact. Il est important que vous sachiez quelle résolution a été prise. À la première réunion du comité nous avons décidé, et je cite :
Que la présidence soit autorisée à demander au Sénat la permission de diffuser ses délibérations publiques par les médias d'information électronique, de manière à déranger le moins possible ses travaux.
Cela a été fait dans l'enceinte du Sénat. La résolution se poursuit ainsi : « Que le Sous-comité du programme et de la procédure », — soit le comité de direction — « soit autorisé à permettre cette diffusion à sa discrétion. »
Nous n'avons jamais été consultés quant à la pertinence de ne pas diffuser ces audiences.
Le sénateur Moore : Je le sais. En tant que membre du comité de direction...
Le président : Il y a un autre document.
Le sénateur Moore : Je veux savoir qui communique avec les techniciens ou le personnel du Sénat pour leur faire savoir qu'une de nos séances sera télévisée.
Le président : Le greffier.
Le sénateur Moore : Madame Gravel, qui vous donne vos directives? Les recevez-vous habituellement du comité de direction ou bien de la présidence?
Line Gravel, greffier du comité : De la présidence. Il en a toujours été ainsi.
Le sénateur Massicotte : Ce sont toutes là des questions importantes qui méritent que l'on s'y attarde, et je n'essaie pas de couper court au débat, mais nous devrions écouter ce que notre témoin a à nous dire et convenir de tenir cette discussion après-coup, en séance publique. Par souci de courtoisie, donnons maintenant la parole à notre témoin et poursuivons les travaux du comité; nous pourrons régler ces questions de procédure par la suite. Ce serait la meilleure chose à faire pour tous.
Le président : Est-ce que cela convient à tout le monde?
Des voix : D'accord.
Le président : Merci.
Bienvenue au Sénat, monsieur Cronenberg, nous vous écoutons.
David Cronenberg, réalisateur, à titre personnel : Je sais que votre comité a déjà tenu plusieurs réunions à ce sujet; j'ai d'ailleurs lu la transcription et le compte rendu de certaines d'entre elles. Dans certains cas, on constate une démarche articulée et bien structurée. Je pense bien que tout ce que j'ai à vous dire, vous l'avez déjà entendu, mais je le ferai à l'éclairage de mon point de vue particulier et de mon expérience personnelle. C'est ce que j'ai à vous offrir de différent par rapport peut-être à la contribution de la Guilde canadienne des réalisateurs.
Il y a 40 ans, je me suis adressé à Téléfilm Canada, qui était à l'époque la Société de développement cinématographique canadienne mise sur pied par Judy Lamarche, si je ne m'abuse, pour voir si je pouvais obtenir du financement pour une œuvre de cinéma parallèle à laquelle je travaillais.
Au cours des 40 années qui se sont écoulées depuis, aucun film pornographique n'a été financé à même les fonds publics. Il n'y a pas eu non plus de films contrevenant au Code criminel qui ont été payés à même l'argent des contribuables. Pas plus que de films haineux d'ailleurs. Alors, pourquoi cette réaction maintenant? Je ne comprends pas.
Les mécanismes prévus depuis toujours par le Code criminel et ceux qui font partie du mandat des organismes comme Téléfilm sont encore en vigueur. Ils fonctionnent. Ils permettent d'écarter toutes ces possibilités. Ces organismes ne sont pas autorisés à financer des projets qui contreviennent au Code criminel. Il y a donc lieu de s'interroger quant au bien-fondé de cette disposition. Je me l'explique mal. Je ne crois pas qu'on en ait besoin et je ne la comprends tout simplement pas.
Cela dit, si la disposition n'avait pas de répercussions négatives et qu'elle ne causait aucun problème, on pourrait tout simplement la laisser passer. On pourrait très bien adopter la loi si elle n'avait pas d'impact sur notre industrie. Ce n'est malheureusement pas le cas. Elle aurait d'importantes répercussions auxquelles les législateurs n'avaient peut-être pas pensé au départ et nous n'avons probablement pas envisagé toutes les possibilités non plus.
Je fais partie du conseil consultatif de PEN Canada. PEN est un organisme international qui protège les droits des écrivains et des journalistes. Les membres de l'organisme sont très mécontents et inquiets des effets que pourrait avoir cette disposition. Et ce ne sont pas des artistes hystériques et trop sensibles qui s'en font pour rien. Le problème est réel, et il touche non seulement au principe de la démocratie et de la liberté d'expression, mais aussi aux questions financières.
Pour travailler dans l'industrie cinématographique, il faut être solide. Nous devons avoir les deux pieds sur terre, parce que c'est un commerce en plus d'être une forme d'art. Il y a beaucoup d'argent en jeu dans la production de films. Il est nécessaire de trouver un équilibre entre nos aspirations artistiques et les réalités des finances internationales, de la distribution, de la conscience artistique, et cetera.
Les gens qui s'opposent à ce projet de loi n'exagèrent pas. Ce n'est pas une situation hypothétique qui n'aura aucune répercussion. L'impact de cette disposition serait très grand. Je vais présumer que les législateurs n'étaient pas conscients de toutes les implications qu'elle aurait. En tout cas, je préfère voir les choses de cette façon.
En plus d'être coriaces et réalistes, les artistes sont un peu comme les grenouilles de notre écosystème. Les biologistes étudient continuellement le comportement des grenouilles, parce que celles-ci respirent par la peau. Elles sont donc les premières à absorber les éléments toxiques qui se trouvent dans l'environnement, et elles peuvent ainsi souffrir de malformations et en mourir.
J'aime à penser que les artistes sont comme les grenouilles. C'est notre travail. Nous avons des antennes et l'épiderme sensible. Donc, dans certaines circonstances, nous sommes les premiers à percevoir la présence dans l'environnement d'éléments toxiques et dangereux, qui ne sont peut-être pas décelés aussi rapidement par le reste du monde.
J'ai lu des lettres adressées aux journaux disant que les artistes se tournent vers le gouvernement pour obtenir des subventions, et qu'ils se plaignent aujourd'hui du retrait de ces subventions qu'ils ne devraient pas recevoir de toute façon.
L'industrie cinématographique est un commerce. J'ai déjà été censuré, d'abord par la Commission de la censure de l'Ontario. À cette époque-là, on pouvait écoper de cinq ans de prison si on utilisait et montrait quand même les scènes que le conseil de censure avait retirées du film. Le projectionniste pouvait perdre sa licence et aussi se retrouver en prison.
Cette disposition n'est pas réaliste, entre autres parce qu'il est difficile de censurer dans une démocratie. Ce n'est pas facile du tout. Le mécanisme de censure est très complexe et difficile, parce qu'il faut éviter de tomber dans la subjectivité. Nous devons abandonner l'idée que quelques personnes enfermées dans une pièce puissent regarder votre film et dire : « Je n'aime pas ça, alors je l'enlève. »
C'est tout simplement antidémocratique. Je crois que personne ne veut que les choses se passent de cette façon. Toutefois, c'est ce qui arriverait si cette disposition était adoptée.
Mon premier film à avoir été censuré s'intitulait La Clinique de la terreur. Un certain M. Belcher a eu la gentillesse de me téléphoner pour me parler des scènes qui avaient été coupées. On m'a montré la nouvelle version censurée et j'ai été abasourdi. Je crois même que le nouveau montage avait rendu certaines scènes encore plus dégoûtantes et violentes.
Je ne sais pas qui a fait ces coupures. Certains monteurs avaient honte de dire au sein de l'industrie qu'ils travaillaient pour la commission de la censure, mais ils le faisaient tout de même.
M. Belcher a accepté de me parler au téléphone. Normalement, les censeurs refusent de vous donner les raisons les ayant motivés à recourir à la censure. Ils le font derrière des portes closes.
Il m'a dit qu'il avait accepté de me parler parce qu'il était sur le point de prendre sa retraite. Il s'agissait d'un film de science-fiction, de fantaisie et d'horreur. Dans une scène, Samantha Eggar jouait le rôle d'une femme qui avait un utérus externe. Cela ressemblait à une poche fixée à son abdomen et elle devait le mordre comme un animal pour ouvrir le placenta et mettre son bébé au monde. Ils ont coupé cette scène et on n'a jamais vu cet organe externe que j'avais inventé. Il ne s'agissait pas de sexe; il ne s'agissait pas de violence. À cette époque-là, on ne parlait pas de censurer les films à caractère raciste ou qui faisaient de la propagande haineuse, mais ce n'était pas le cas là non plus. Je lui ai demandé pourquoi ils avaient enlevé cette scène. Il m'a répondu que c'est parce qu'ils croyaient que c'était dégoûtant. C'est tout.
Je ne crois pas que ce que M. Belcher trouvait dégoûtant était interdit par le Code criminel du Canada. Par contre, il n'a jamais eu la moindre envie de s'excuser d'avoir imposé une préférence personnelle et subjective en enlevant cette scène du film.
Je crains que les choses ne se passent toujours ainsi. On a beau essayer de tout prévoir et établir toutes les lignes directrices imaginables, il est utopique de penser envisager toutes les possibilités de l'expression et de l'invention artistiques. Comment pourrait-on couvrir la présentation d'organes externes dans les lignes directrices qui seraient établies en vertu de cette disposition du projet de loi C-10? Il est impossible d'intégrer une telle idée dans des lignes directrices qui soient acceptables et comprises d'emblée.
On se retrouve donc encore une fois avec quelque chose de subjectif. Nous sommes tous allés au cinéma avec des amis ou des proches. À la fin du visionnement, il nous arrive souvent d'avoir des discussions enflammées parce que certains ont détesté le film et l'ont trouvé abject, tandis que d'autres l'ont adoré. Dans la vie de tous les jours, ce n'est pas un problème. Mais si ce genre de subjectivité a pour résultat la censure d'un film, cela n'est tout simplement pas démocratique.
Que pourrait-il se passer en ce qui a trait à la mécanique derrière ce genre de jugement? Je ne veux pas parler de censure, parce qu'on pourrait ne pas s'entendre sur la signification du terme. Est-ce que Mme Verner va regarder chaque film et chaque production télévisuelle faite au Canada avant de décider de leur sort? Sinon, pourquoi pas? Comment déciderait-on des films à visionner? Ce n'est pas démocratique; ce n'est pas juste. Devra-t-on établir un vaste comité, peu pratique, dont les membres se relaieraient pour voir les films après coup?
Le problème avec cette disposition, c'est qu'elle établit un processus qui sera entrepris après la production du film. Nous ne parlons pas de gens qui examinent le script, ce qui serait encore plus étrange. Nous parlons de gens qui regardent un film après qu'il a été fait et qui décident de lui retirer les fonds en fonction du sentiment subjectif que le film n'est pas conforme aux politiques publiques ou qu'il n'est pas acceptable aux yeux du public canadien.
Je ne sais pas vraiment qui détient la clé. Qui peut dire exactement ce qui est acceptable pour le public canadien? En fait, dans une démocratie, cela ne devrait pas exister. On peut très bien ne pas suivre l'opinion de la masse et avoir une appréciation de l'art qui nous est propre. Qui a dit qu'il fallait censurer des idées ou une œuvre d'art parce qu'une seule personne dans l'ensemble du pays les apprécie?
Voilà pourquoi je m'oppose à ce projet de loi, qui ne semble pas avoir fait l'objet d'une réflexion approfondie. C'est là où se situe le problème. Les gens qui ont témoigné devant vous ont eu le temps d'étudier les implications du projet de loi, et ils avaient la motivation et les aptitudes analytiques pour le faire. Tous ont l'impression qu'il s'agirait d'une loi aux conséquences très néfastes. Je ne parle pas de l'ensemble du projet de loi C-10, mais bien de cette disposition particulière.
Le crédit d'impôt doit être déterminé en fonction des coûts de la main-d'œuvre. C'est un calcul qui devrait être tout à fait neutre. Évidemment, je n'ai rien d'un fiscaliste — vous pourriez en parler à mon comptable —, mais c'est un peu comme si on accordait un crédit d'impôt sur le bois d'œuvre selon certaines conditions, c'est-à-dire qu'on vous verserait un remboursement seulement si l'on savait ce que vous avez fait avec le bois. Si vous fabriquez un bâton de baseball qui peut être utilisé pour tuer quelqu'un, vous n'obtiendrez pas de crédit. Je trouve cela étrange que l'on doive inclure ce genre de critère pour calculer ce qui devrait être un crédit d'impôt tout à fait neutre sur la main-d'œuvre et les services dans une industrie, en l'occurrence l'industrie cinématographique. Cela ne m'apparaît pas très logique.
Une perte de revenu est en jeu ici. Corrigez-moi si je me trompe, mais je crois que vous avez entendu les témoignages des représentants de la Banque Royale du Canada, peut-être pas directement. Ce ne sont pas des artistes, peu importe la définition que l'on veut donner au terme « artiste ». Il s'agit de gens d'affaires on ne peut plus terre à terre. Ils ont affirmé que ce projet de loi les pousserait peut-être à retirer leur financement de productions canadiennes. Cela devrait vous indiquer quelque chose. C'est vraiment une question d'argent.
Voici ce qui pose problème : la plupart des productions cinématographiques dépendent largement du financement du gouvernement. Tous les films qui se font au Canada sont des films indépendants. Je ne parle pas de cinéma étudiant, mais de cinéma indépendant. Je veux dire par là que nous n'avons pas au Canada de grand studio qui a ses propres sources de financement, comme à Hollywood. Tous les films canadiens sont des films indépendants et le financement du gouvernement en est la plate-forme; c'est la plate-forme solide et sûre sur laquelle reposent toutes ces productions. À ce que je sache, aucun film n'a pu être produit autrement.
Cette nouvelle disposition rendrait cette plate-forme des plus instables. Elle lui enlèverait toute sa solidité. C'est pourquoi la banque a affirmé qu'elle n'accepterait pas cette nouvelle disposition. Elle vous prête de l'argent sur la base du crédit d'impôt qu'elle peut obtenir. Pourquoi prendrait-elle elle-même le risque si elle sait qu'elle peut le perdre par la suite? Comme je l'ai dit, aucune ligne directrice ne pourrait rendre ce risque assez raisonnable pour qu'une banque accepte de le prendre. L'industrie cinématographique comporte déjà assez de risques comme ça. On pourrait comparer l'industrie à un château de cartes qui s'appuie sur le crédit d'impôt. Enlevez le crédit, et le château s'écroule.
Cette nouvelle façon de faire rendrait donc les choses très difficiles pour les producteurs. Cette structure efficace qui est en place depuis 40 ans, cette structure que je connais et dont j'ai tiré profit, sera détruite. Essentiellement, cette disposition renie l'existence de Téléfilm Canada et du Fonds canadien de télévision. Aussi bien les démanteler. Aucun projet ne sera jugé digne de recevoir du financement, parce que tout sera perçu comme trop risqué.
Il y a beaucoup d'argent en jeu. Vous avez entendu les témoignages de producteurs de toutes les sphères de l'industrie : télévision et cinéma. Ce n'est pas une situation hypothétique. C'est quelque chose de très réel. Les implications de cette disposition sont beaucoup plus réelles que la menace que vous avancez, que j'estime imaginaire. On craint en effet d'être mis dans l'embarras si les fonds gouvernementaux devaient servir, d'une façon ou d'une autre, à financer un film pornographique ou qui contrevient au Code criminel. En 40 ans, une telle situation ne s'est jamais présentée. Par contre, les craintes que nous avons sont tout à fait fondées.
On a cité dans les médias les propos de Mme Verner qui affirmait que les films grand public, comme mon film Promesses de l'ombre, ne seraient pas touchés par cette nouvelle disposition. Je suis heureux d'apprendre que je fais des films grand public. On ne m'a jamais attribué ce qualificatif auparavant. J'imagine que c'est une amélioration; mais je n'en suis pas certain. Je me demande si elle dirait la même chose à propos de mon film Crash. Et là, je ne parle pas du film qu'a réalisé Paul Haggis récemment, mais de celui que j'ai fait en 1996. C'était un film très controversé, mais qui a également remporté le Prix spécial du jury au Festival international du film de Cannes. Le film s'est également retrouvé en tête du box-office au Canada et en France à sa sortie.
Avouez qu'il est facile de dire du bien de Promesses de l'ombre une fois qu'il ait été encensé par la critique et mis en nomination pour un Golden Globe, un Oscar et un Génie; il n'est pas trop compromettant maintenant de dire que le film est correct. Mais imaginez que rien de tout cela ne soit arrivé, que le film ne soit pas encore sorti en salle. Vous êtes assis dans une pièce à regarder un film dans lequel la première scène montre un homme se faire trancher la gorge de manière très violente : des hommes se battent au couteau complètement nus dans un bain de vapeur. Plus tard, on voit un homme avoir des relations sexuelles avec une prostituée tandis qu'un autre les regarde. Qu'auraient pensé les gens sans l'apport de la critique, notamment, pour nuancer leur propre perception du film?
Je ne suis pas persuadé que l'argent investi par Téléfilm Canada dans Promesses de l'ombre ne lui aurait pas été enlevé par la ministre du Patrimoine canadien ou un quelconque comité. Je n'en suis pas certain du tout. C'est cette incertitude que nous avons, moi, les producteurs et la Banque Royale du Canada, qui rendent cette loi très dangereuse.
Finalement, la raison qui semble justifier ce projet de loi est que quelqu'un a noté — et je cite encore Mme Verner — qu'il est impossible pour la ministre du Patrimoine canadien de refuser des fonds à un film pornographique, un illogisme qu'il faut corriger. Cependant, pour des raisons obscures, cela ne s'applique pas aux films américains qui reçoivent du financement du Canada.
Je trouve cette dernière incohérence encore plus inquiétante que la faille qui semble faire peur à tout le monde. On pourrait tourner un film américain au Canada, obtenir du financement de Téléfilm et ne pas être soumis à cet examen ex post facto. Je ne comprends pas la logique derrière tout cela. Si ce processus doit s'appliquer aux films canadiens, logiquement il devrait aussi s'appliquer à tous les autres films qui reçoivent de l'argent des contribuables. Je ne comprends pas comment on peut faire cette distinction.
Mme Verner aurait déclaré que comme les films américains disposent généralement d'un budget plus important, il ne peut pas s'agir de films pornographiques. Je peux vous dire que bien des films américains tournés ici qui obtiennent du financement ne sont pas des films à gros budget du tout. Ils disposent de budgets beaucoup plus modestes que celui de Promesses de l'ombre, et c'est aussi le cas pour bon nombre d'émissions et de pilotes télé américains qui sont tournés ici. Il est également étrange de penser que gros budget égale droiture morale. Je ne comprends pas ça du tout. C'est encore plus bizarre que cette faille hypothétique qu'on a décelée dans le régime fiscal.
C'est tout ce que j'avais à dire. Je répondrai à vos questions avec plaisir.
Le président : C'est très intéressant, monsieur. Est-ce que vous soutenez que la disposition devrait être retirée?
M. Cronenberg : Oui. Je sais que certains ont proposé de la modifier. Toutes les solutions proposées semblent cependant engendrer d'autres difficultés. Et comme les organismes de financement sont déjà assujettis au Code criminel, je ne vois pas où est le problème. Je suggère donc que la disposition soit retirée.
Le président : Merci.
Le sénateur Tkachuk : Monsieur Cronenberg, nous ne sommes pas en terrain inconnu ici. Malgré le portrait que vous nous avez dressé, dans ce cas-ci, les artistes ne sont pas des grenouilles, mais plutôt des tortues.
M. Cronenberg : Les tortues sont menacées aussi.
Le sénateur Tkachuk : Cette disposition existait déjà dans les règlements. Le gouvernement en a avisé l'industrie par l'entremise d'un document de discussion le 8 mars 2001, et a annoncé à au moins quatre reprises que le statut légal du critère de l'intérêt public serait inscrit dans la Loi de l'impôt sur le revenu. Ces annonces ont eu lieu le 20 décembre 2002, le 14 novembre 2003, le 27 février 2004 et le 18 juillet 2005. C'est également la deuxième fois que ce projet de loi est présenté devant le Parlement. Ne croyez-vous pas qu'il soit un peu étrange que nous discutions d'un changement auquel personne ne s'objectait jusqu'à ce qu'il fasse l'objet d'un article de journal en janvier? Il n'est pas crédible, selon moi, que personne dans l'industrie n'ait eu vent de cette disposition avant aujourd'hui.
M. Cronenberg : Oui; et alors? Voilà ma réponse. C'est là, maintenant. Cette disposition n'a jamais été adoptée. Je n'en ai jamais entendu parler auparavant, pour une raison ou une autre; alors à mes yeux, tout cela n'est absolument pas pertinent. Cela revêt peut-être une importance pour vous sur le plan politique, mais pour moi, cela n'en a aucune.
Le sénateur Tkachuk : C'est important, parce que cette loi existe sous forme de règlement depuis 1995.
M. Cronenberg : Voudriez-vous me l'expliquer?
Le sénateur Tkachuk : Le règlement, qui a le même effet qu'une loi, a conféré au ministre le pouvoir d'appliquer un critère relatif à l'ordre public aux crédits d'impôt pour production cinématographique, tout comme le prévoit ce projet de loi. Cela existe depuis 1995. Ce film dont vous parliez plus tôt a été réalisé sous le régime de cette disposition.
M. Cronenberg : De quel film s'agit-il? Voulez-vous parler de Crash?
Le sénateur Tkachuk : Non.
M. Cronenberg : Du film Les promesses de l'ombre?
Le sénateur Tkachuk : Oui.
M. Cronenberg : C'était il y a un an et demi seulement. Je suppose que je vois la différence.
Le sénateur Tkachuk : Crash date de 1996, n'est-ce pas?
M. Cronenberg : Oui. La différence, c'est que la ministre du Patrimoine canadien a déclaré qu'elle agirait à cet égard. S'il s'agit d'une possibilité latente, et que personne ne passe aux actes, cela pourra tout simplement passer inaperçu, de bien des manières. D'après ce que j'ai compris, cette fois-ci, cette disposition du document de 500 pages a échappé à l'attention de beaucoup gens.
Voyez-vous, je peux seulement vous dire ce qu'il en est de mon point de vue. J'ignorais l'existence de cette disposition. Cela deviendra maintenant une grenouille ou une tortue différente. Si cette disposition est adoptée, il s'agira d'un autre niveau. La ministre du Patrimoine canadien dit s'attendre à rejeter une poignée de films chaque année. C'est nouveau; personne n'avait jamais fait une telle déclaration auparavant. Je n'ai jamais entendu quiconque parler ainsi de la question. Ne discutons pas théoriquement. La réalité, c'est que par le passé, on n'avait jamais vu une telle réaction de la part d'un si grand nombre de gens provenant de si nombreux secteurs de l'industrie, et il y a une raison à cela. À quoi est-ce attribuable, selon vous? Au fait que cette disposition vient tout juste d'être mise en lumière. Jusqu'ici, elle était enfouie, de la manière dont ces dispositions peuvent l'être.
Je ne voulais pas paraître brutal en disant que cela avait peu d'importance. J'entendais précisément par là que cette disposition était enfouie jusqu'ici, et que personne ne connaissait son existence. C'était un squelette dans le placard, et personne n'avait ouvert la porte du placard auparavant. Maintenant, cette porte est ouverte, le squelette est là et les gens y réagissent.
Le sénateur Tkachuk : Lorsque Mme Polley a témoigné, j'ai porté à l'attention des associations de l'industrie qui l'accompagnaient les lettres montrant qu'on les avait avisées de cette disposition en 2001. Le régime de crédit d'impôt fonctionne en vertu de ces dispositions relatives à l'ordre public depuis 1995.
M. Cronenberg : Pourquoi est-ce seulement maintenant que la Banque Royale du Canada envisage soudainement de retirer son appui?
Le sénateur Tkachuk : Je n'en ai aucune idée, monsieur Cronenberg.
M. Cronenberg : Pour ma part, j'ai une petite idée là-dessus. C'est seulement maintenant que les gens se rendent compte des conséquences. C'est d'une mesure directe et fonctionnelle dont je parle. Cela a pu exister sous une autre forme, mais j'ignore les subtilités ou les différences entre le fait qu'il s'agisse d'un règlement ou d'une disposition de la loi. J'ignore ce qu'implique cette différence.
Le sénateur Eyton : Si vous me le permettez, je dirais que nous pourrions sans doute arrêter là cette discussion historique. Mais pour mettre la question en contexte, le régime était en place légalement. On a dit à notre comité que seulement deux films, pendant tout ce temps, avaient été contraires au critère d'ordre public et, par conséquent, n'avaient pas été financés de la manière habituelle. C'est ainsi que nous concevons le régime en place. Il était au moins connu de certains, et a seulement été appliqué dans le cas deux productions.
M. Cronenberg : J'avais cru comprendre que ces deux films avaient été rejetés à l'étape où Téléfilm examinait les propositions de projets.
Le sénateur Fox : Nous discutons d'un sujet...
Le président : Laissez-nous terminer avec l'autre question.
Le sénateur Fox : Le règlement était en place en 1995, et on n'y trouve pas ce dont parle le sénateur Tkachuk.
[Français]
i. une émission d'information [...];
ii. une interview-variétés;
iii. une production comportant un jeu [...];
iv. la présentation d'une activité ou d'un événement sportif;
v. la présentation d'un gala [...];
vi. une production de souscription de fonds;
vii. de la télévision vérité;
viii. de la pornographie;
ix. de la publicité;
x. une production produite principalement à des fins industrielles ou institutionnelles.
[Traduction]
Tâchons de ne pas en inventer le contenu. Peut-être devrions-nous préciser, aux fins du compte rendu, quelle était la situation exactement. Maintenant, on a demandé au témoin de se prononcer sur un règlement qui n'existe pas, et c'est une chose plutôt difficile à faire.
Le président : Merci, sénateur Fox. Vous avez bien exprimé votre point de vue.
Le sénateur Tkachuk : Merci de ce témoignage, sénateur Fox. Notre ministre a offert un délai d'un an, en recommandant à l'industrie d'établir des lignes directrices relativement au critère d'ordre public qui seraient semblables à celles que vous avez lues en ce qui a trait au règlement existant.
J'ai une autre question. Monsieur Cronenberg, personne ici, d'un côté comme de l'autre, ne souhaite causer du tort à l'industrie cinématographique, qui a connu beaucoup de succès non seulement dans ce pays, mais également à l'échelle internationale. Je ne connais personne, dans tout le Sénat, qui souhaite une telle chose.
On pourrait faire une analyse de rentabilisation, et c'est ce que je voudrais. On a confondu la question avec celle de la liberté d'expression. Je ne crois pas que les subventions ou les crédits d'impôt soient le seul moyen d'avoir la liberté d'expression. Celle-ci existe dans ce pays parce que nous fonctionnons selon la règle de droit, et cela n'a rien à voir avec les crédits d'impôt. On pourrait peut-être effectuer une analyse de rentabilisation pour modifier cela de façon à ne pas causer de tort à l'industrie d'une certaine manière. Toutefois, en tant que politiciens, nous devons faire une étude de rentabilisation pour nous assurer que l'argent des contribuables soit dépensé judicieusement, et c'est pourquoi nous tenons ce débat, ici. Vous pouvez désapprouver ce qu'on y dit, mais nous avons un important débat.
M. Cronenberg : Lorsque vous dites que l'argent des contribuables doit être dépensé judicieusement, vous passez à côté de la question. On pourrait soutenir qu'il est judicieux d'investir dans un film pornographique parce qu'il pourrait rapporter beaucoup d'argent. Cela évacue la question de la moralité, de la criminalité, et cetera.
Je pense que cette analyse de rentabilisation a déjà été effectuée par la Banque Royale du Canada. Que voulez-vous de plus? Encore une fois, c'est pour cette raison que j'insiste sur la réalité d'aujourd'hui. À mes yeux, c'est de l'histoire politique ancienne et, je le répète, cela peut avoir une certaine importance, mais à l'heure actuelle, à la Banque Royale du Canada, on affirme qu'on devra envisager sérieusement de ne pas financer les productions canadiennes, point final, à cause de cette disposition. C'est fort simple, et très pragmatique.
[Français]
Le sénateur Biron : Monsieur Cronenberg, la valeur de l'activité économique de l'industrie du film est d'environ 5 milliards de dollars et crée environ 30 000 emplois. De quelle façon avez-vous exposé cette activité économique et comment ces emplois sont-ils affectés par cette loi?
Vous avez très bien expliqué la position de la Banque Royale du Canada. Toutefois, dans quelle mesure l'adoption du projet de loi C-10 entraînera-t-elle une autocensure pour les auteurs? Ceux-ci ne risquent-ils pas d'écrire conformément aux lignes directrices si la loi était adoptée, de façon à s'assurer d'avoir les crédits d'impôt? De quelle façon pourraient-ils être affectés lorsqu'ils écriront leur scénario?
[Traduction]
M. Cronenberg : À ce moment-là, vous parlez des effets de la censure en général. Quiconque a vu des films des pays de l'ancienne Union soviétique peut en apprendre sur les répercussions de la censure qui était pratiquée. Ce qui se produit, c'est que la censure devient intériorisée et, par peur, les artistes commencent à se censurer eux-mêmes.
Je ne veux pas tenir des propos incendiaires ou extrêmes, mais je pense qu'advenant un tel scénario, la Banque Royale pourrait dire que de toute évidence, les banquiers ne liront pas les scénarios pour juger de leur contenu. Ils n'ont aucun moyen de le faire. Par conséquent, elle pourrait déclarer qu'elle continuera à financer certains films ou dessins animés pour enfants. Peut-être les banques continueraient-elles à le faire. Quoi qu'il en soit, au-delà de ces types de films, on ne trouverait pas de financement dans ce pays. Que faire, en tant que cinéastes?
Il n'est pas nécessaire d'être un cinéaste extrême qui repousse les limites pour se retrouver la cible de censure. Quelques-uns de mes films ont été distribués dans une centaine de pays. Certains pays exercent une censure, d'autres non. Néanmoins, ce sont les choses les plus étranges, celles que vous n'auriez jamais crues choquantes, qu'on trouve offensantes d'une certaine manière et qu'on censure. Les pays de l'Amérique latine sont très sensibles à tout ce qui est en lien avec le catholicisme et la religion. D'autres pays sont sensibles à la sexualité, mais pas à la violence.
On est vraiment coincés. Je crois que dans un tel scénario, on assisterait à l'exode de bien des artistes du Canada.
Je dois vous raconter mon histoire. Ce sont le Conseil des Arts du Canada et Téléfilm, qui était alors la Société de développement de l'industrie cinématographique canadienne, qui m'ont fait rester au Canada. Mon ami Ivan Reitman était déjà parti à Los Angeles. Il fut une époque où Norman Jewison ne pouvait faire de films au Canada parce qu'il n'y avait pas d'industrie cinématographique. Il est parti à Hollywood, et Ted Kotcheff à Londres.
C'est lorsque la SDICC a fait son apparition et a investi dans mon premier film que j'ai décidé que je pouvais tourner des films au Canada. J'étais allé à Los Angeles, et j'avais discuté avec Roger Corman. Mon premier film était un film d'horreur à petit budget. Il est maintenant considéré comme un classique, mais à l'époque, il était controversé. Je pensais que j'aurais peut-être à rejoindre Lorne Michaels, le producteur de Saturday Night Live, qui avait fini par s'en aller aux États-Unis pour y vivre. Je croyais devoir déménager à Los Angeles pour faire des films.
D'abord, c'est le Conseil des Arts du Canada qui m'a soutenu lorsque je rédigeais mes scénarios. Ensuite, l'organisme qui est devenu plus tard Téléfilm Canada est venu à la rescousse lorsqu'il a indiqué qu'il investirait dans Frissons. C'est pour cela que je suis encore ici. Grâce au financement du gouvernement. N'eut été de ce financement, je ne serais pas là. Je serais un cinéaste américain et je ne ferais pas les films que j'ai réalisés; je tournerais autre chose.
La force d'attraction d'Hollywood est considérable, et lorsqu'on est là-bas, c'est perturbant. Quand je suis à Hollywood, je me mets à lire les revues commerciales, Variety et The Hollywood Reporter, et je pense aux personnes qui ont obtenu tel ou tel contrat. J'estime qu'il aurait été désastreux pour moi, sur le plan créatif, d'avoir quitté le Canada.
Frissons était un film controversé et, à la Chambre des communes, on a soulevé des questions à son sujet et à propos de l'argent des contribuables investi dans un film d'horreur qui a choqué beaucoup de gens, bien qu'il ne contrevenait pas au Code criminel. On ne m'a pas arrêté, et personne n'est allé en prison, mais ce film a choqué bien des gens.
Frissons s'est avéré être le premier film à avoir permis à la Société de développement de l'industrie cinématographique canadienne de rentrer dans ses frais. Cela a changé la compréhension que beaucoup de gens avaient de la fonction de cet organisme. À ce moment-là, l'organisme de subvention tentait de déterminer dans quels films il pouvait investir en se posant les questions suivantes : quelle direction doit prendre la production cinématographique canadienne, et comment guider ce processus? Faut-il seulement financer des films semblables à ceux d'Hollywood, ou seulement des petits films de type européen? Y a-t-il d'autres films essentiellement canadiens que nous pourrions soutenir?
Assez étrangement, le genre de cinéma canadien dont moi-même et les films d'Atom Egoyan sont peut-être les représentants les plus évidents est apparu comme une étrange créature — une tortue ou une grenouille bizarre — qui n'est ni européenne, ni américaine, mais qui réunit des parties des deux cultures. Je dis souvent aux gens qu'à Toronto, j'ai l'impression de vivre à mi-chemin entre l'Europe et Hollywood, et qu'en quelque sorte, mes films témoignent de ce sentiment.
Il n'est pas question de films faciles, mais de films controversés. J'étais au Festival de Cannes avec Crash, et Atom Egoyan y présente également son film cette année. Il s'agit de films controversés, mais le Festival de Cannes était ravi. Le Canada était à l'avant-scène, et les gens en parlaient avec un grand enthousiasme. Nous avons fait l'objet d'une tonne d'articles dans la presse, et on a manifesté beaucoup de respect envers la cinématographie canadienne.
Toutefois, j'arrive à imaginer que n'importe lequel de ces films puisse se voir refuser un financement par une personne particulière; nous ne savons pas qui. Il ne s'agit pas d'un seul ministre, car un autre ministre, ou un autre comité, finira par lui succéder.
Cela a un effet dommageable sur le processus créatif, comme nous pouvons le voir dans n'importe quel film comme La vie des autres, qui porte sur la vie d'artistes d'Allemagne de l'Est qui sont surveillés et lourdement censurés de manière totalitaire.
Je ne prétends pas qu'il en va de même pour ce projet de loi. Toutefois, il a un effet négatif. Il implique qu'on fera moins de films au Canada, qu'il y aura moins d'emplois et que l'industrie générera moins d'argent pour tout le monde.
Le sénateur Harb : Merci de votre exposé. Tout à l'heure, vous avez posé une question à propos de la différence entre une loi et un règlement. Le fait est que le règlement vient après l'adoption d'une loi. C'est par la suite qu'on rédige le règlement.
Je ne pense pas que c'était l'intention recherchée par mon collègue lorsqu'il vous a dit qu'il y avait un règlement. Ce qu'il voulait dire, je suppose, c'est qu'il existe des projets de règlement en prévision d'une adoption du projet de loi.
De toute manière, vous agissez à titre de conseiller auprès de PEN Canada. À ce titre, êtes-vous d'avis que si ce projet de loi était adopté avec cette disposition, il porterait atteinte à vos droits en vertu de la Charte des droits et libertés? Croyez-vous qu'il pourrait y avoir là motif à ce que quelqu'un poursuive le gouvernement du Canada devant les tribunaux?
M. Cronenberg : Je pense que oui. Je vois ces lettres envoyées aux cinéastes par des gens qui disent : « Nous ne vous censurons pas réellement. Vous pouvez faire votre film, mais pas avec notre argent; pas avec les fonds publics. »
C'est vrai sur ce plan. Toutefois, s'il n'y a pas d'autre argent — si l'on ne peut réaliser son film sans fonds publics —, c'est une forme de censure. Il y a bien des formes de censures, dont certaines sont assurément permises au Canada, comme les lois sur les libelles diffamatoires, et ainsi de suite. Je ne suis pas convaincu de pouvoir dire qu'il est possible d'avoir une société où aucune sorte de censure n'est appliquée à qui que ce soit, dans aucune circonstance. Ce n'est pas ce que je prétends.
Je remets en question l'aspect pragmatique de cette situation. Les films canadiens — et tous les cinémas nationaux du monde — se définissent par rapport à Hollywood. Hollywood est un monstre; c'est une industrie colossale. Il n'y aurait de cinéma national nulle part sans soutien financier du gouvernement de chaque pays. Il ne pourrait tout simplement pas exister, car nous ne pouvons pas faire des films comme les Américains. Nous ne pouvons réaliser un film qui coûte 180 millions de dollars comme Iron Man, qui vient de sortir en salles. C'est impossible. Aucun pays dans le monde ne peut le faire. Par conséquent, nous devons procéder autrement. Et cette autre manière implique toujours un financement public, ou un financement du gouvernement. Il doit en être ainsi. Cette situation n'est pas propre au Canada; c'est également le cas en Norvège, en Finlande, en France, au Royaume-Uni et partout ailleurs.
Le sénateur Harb : Considérez-vous que cette disposition est une mauvaise approche en matière de politique d'intérêt public?
M. Cronenberg : Oui.
Le sénateur Harb : La ministre a fait une proposition à l'industrie en disant : « Faites-moi confiance. Adoptez la loi, et dans un an, nous mettrons au point une certaine forme de ligne directrice concernant la politique. »
Êtes-vous d'avis — et croyez-vous que ce serait l'opinion de la grande majorité des gens dans l'industrie — que nous devrions d'abord déterminer en quoi consisteront ces lignes directrices sur la politique, et nous abstenir d'adopter la loi tant que nous ne serons pas fixés sur leur contenu? Ou croyez-vous plutôt que nous devrions éliminer complètement cette disposition particulière, et laisser cela au Code criminel, comme c'était le cas auparavant?
M. Cronenberg : Je pense que vous devez supprimer la disposition. Comme je l'ai déjà dit, on ne peut créer avec justesse des lignes directrices qui fonctionneraient dans le vrai monde, avec de vraies personnes. Quand il s'agit de films particuliers et concrets, avec des scènes et des acteurs particuliers, il est impossible d'avoir des lignes directrices qui seront en mesure d'anticiper tout cela. Il n'est pas raisonnable de s'attendre à ce que quelqu'un arrive avec ce genre de directives.
Bien que la ministre du Patrimoine canadien ait dit qu'elle serait heureuse que, par exemple, la Guilde canadienne des réalisateurs participe à l'élaboration de lignes directrices, la guilde des réalisateurs a fait, avec raison, la déclaration suivante : « Nous ne voyons aucune ligne directrice qui pourrait véritablement fonctionner. »
La disposition ne tient pas la route. C'est ce que m'ont dit des gens qui s'y connaissent et qui se sont penchés là-dessus.
Le sénateur Fox : Je reviens sur ce que vous avez dit, monsieur Cronenberg, on n'a pas réfléchi à l'incidence que pourrait avoir cette mesure législative. Je suis entièrement d'accord avec vous. Peu importe que ce projet de loi émane des libéraux ou des conservateurs, nous sommes censés l'examiner aujourd'hui et déterminer s'il est viable. Le fait qu'autant de gens viennent se prononcer contre le projet de loi devrait convaincre le gouvernement que, comme vous l'avez dit, il n'y a pas eu de réflexion approfondie sur la question.
J'ai lu les commentaires de M. Flaherty devant le comité. J'ai cité ses propos et j'ai avec moi une copie du communiqué de presse, publié le 14 novembre 2003, qui fait référence aux modifications proposées par le gouvernement précédent.
C'est correct; il était au pouvoir à ce moment-là, mais les modifications n'ont jamais été présentées à un comité parlementaire. On ne les a jamais examinées en profondeur en public comme c'est le cas aujourd'hui. En fait, si le sénateur Tkachuk dit vrai, pourquoi serions-nous ici si ces dispositions étaient déjà en place? On n'aurait simplement qu'à les appliquer.
Le règlement ne couvre pas le type de situation dont la ministre parle. Celle-ci nous a dit, lors de sa comparution, que ce que renfermait le Code criminel n'était pas suffisant, et qu'en effet, si le gouvernement jouait un rôle dans le financement des films, il devrait avoir un droit de regard sur le contenu.
J'ai du mal à accepter cela. On se trouve à introduire un principe très pernicieux dans le financement des arts au Canada.
M. Cronenberg : Je partage votre avis.
Le sénateur Fox : Cela m'amène à mon deuxième point. Vous avez indiqué qu'il y avait trois questions en jeu : la démocratie, la liberté d'expression et l'argent. Le ministre des Finances a affirmé qu'il n'avait pas été démontré que cela entraînerait des conséquences financières pour l'industrie cinématographique canadienne. C'est pourquoi il est important que nous continuions à tenir ces audiences et à recueillir des preuves pour le convaincre que cela n'est pas sans conséquences.
Vous avez témoigné aujourd'hui d'après votre expérience personnelle. Je ne sais pas si vous avez autre chose à ajouter.
M. Cronenberg : Peut-être un peu. Lorsque mon nom apparaît dans le générique d'un film, en tant que producteur, habituellement, on me reconnaît davantage pour mon côté créatif que pour l'argent que j'y investis. Quand on produit un film, on emprunte la totalité du budget à une banque, en fonction des diverses ententes avec les distributeurs européens, américains et, disons, Téléfilm Canada. Étant donné qu'on ne touche les recettes d'un film qu'après sa production, on doit emprunter au préalable et si, à l'avenir, cela devient impossible, on ne pourra plus produire de film.
On ne peut pas demander à une banque de juger si un projet enfreint le Code criminel ou s'il est contraire à la moralité, à l'éthique ou à l'ordre public. Ce n'est pas son affaire. C'est beaucoup plus facile, sécuritaire et logique de simplement se retirer du processus. Ce serait la catastrophe pour l'industrie cinématographique canadienne.
Le sénateur Fox : Vous avez indiqué qu'à votre avis, le mieux serait de supprimer l'article qui mentionne « contraire à l'ordre public ». J'imagine que je suis préoccupé par cette expression, car selon moi, un film qui contrevient à l'ordre public va à l'encontre de la volonté ministérielle, d'une déclaration ministérielle, d'un livre blanc ou autre chose.
Lorsque l'Association canadienne de production de films et de télévision, l'ACPFT, a comparu devant le comité, avec l'appui de l'Association canadienne des libertés civiles et, si je ne me trompe pas, de PEN, elle a proposé d'étoffer l'expression « contraire à l'ordre public » en disant que cela signifie enfreindre un article du Code criminel.
Est-ce que ce type d'amendement vous paraît acceptable?
M. Cronenberg : A priori, oui, mais encore une fois, je n'ai pas réfléchi à toutes les conséquences que cela pourrait avoir sur l'industrie. Chose certaine, cela me semble plus logique.
Mais encore faut-il qu'une telle loi soit réellement nécessaire. Tous les organismes subventionnaires gouvernementaux sont déjà tenus de le faire. À quoi bon ajouter une autre mesure, si ce n'est que pour donner un sentiment de contrôle à la ministre du Patrimoine canadien? Est-ce l'unique raison? Du moins, c'est la seule que je vois.
Le sénateur Massicotte : Si je résume ce que vous dites, vous êtes avant tout préoccupé par l'incertitude qui plane sur la capacité de la Banque Royale de continuer à financer les productions et, par conséquent, par le risque de ne plus pouvoir produire de films; et enfin, par le fait que la ministre du Patrimoine canadien aurait le pouvoir de juger, et ainsi, de condamner certains films.
Souhaitez-vous renchérir là-dessus? Comme vous le savez, la ministre Verner a indiqué qu'elle collaborerait avec l'industrie dans l'établissement des critères. Je crois déjà connaître la réponse à ma question, mais je dois me faire l'avocat du diable. Pourquoi auriez-vous encore des craintes ou des réserves à ce sujet si on règle le premier problème?
M. Cronenberg : Les êtres humains sont des créatures complexes. Je veux bien croire qu'une personne qui a un pouvoir de censure, comme c'est le cas dans ce pays, ait la meilleure volonté du monde et ne pose que des actes honorables, mais il reste que c'est une question de goût personnel. Si on me donne la responsabilité de censurer des éléments, je vais certainement m'attarder à ce qui pourrait être censuré. Comme je l'ai indiqué plus tôt, aucune ligne directrice ne couvre l'organe externe que j'ai créé. Cette image est-elle contraire à l'ordre public? Est-ce qu'elle dérange les gens? Comment pourrais-je le savoir d'avance?
M. Belcher, mon censeur d'autrefois, a été honnête. Il m'a dit qu'il trouvait cela répugnant et l'a enlevé. Cela m'a choqué et me choque encore aujourd'hui. Il a ajouté que si je remettais l'image dans mon film, j'irais en prison pour les cinq prochaines années et il prendrait sa retraite demain matin.
Cela peut se produire, en dépit des meilleures intentions du monde. La censure est tellement vague et toujours subjective. Vous ne pouvez pas prétendre le contraire. C'est d'ailleurs pourquoi les gens vont plaider leur cause devant les tribunaux. Si une ligne directrice ou le Code criminel suffisait, nous n'aurions pas besoin de tribunaux; on saurait tout de suite qui est coupable ou non. Toutefois, ce n'est pas ainsi que cela fonctionne.
Le sénateur Massicotte : Vous reconnaissez qu'une grande part du financement des films vient des autres organismes gouvernementaux, habituellement provinciaux, qui jouissent souvent d'une importante latitude concernant la préapprobation des films. Comme l'argent est rare, on choisit le film le plus susceptible de remporter la palme. Il y a donc un immense pouvoir discrétionnaire, et pourtant, l'industrie l'accepte largement.
M. Cronenberg : Il est vrai que ces décisions doivent être prises. Je suis certain que vous pourriez demander à Wayne Clarkson, le directeur général de Téléfilm Canada, de vous parler du processus. On essaie qu'il soit le plus neutre possible. Supposons qu'un producteur expérimenté arrive avec de solides appuis financiers et un scénario, jugé par des chefs scénaristes quant à sa viabilité.
Dans le milieu des arts, il y a toujours la question de la subjectivité; il n'y a pas de doute là-dessus. C'est comme la taxe sur le bois d'œuvre. Si vous avez le bois, les clous et le bardeau, vous pouvez construire une maison. On s'efforce d'écarter les éléments subjectifs, parce qu'ils dépendent de la voix des gens de l'industrie. Par exemple, si Metropolitan FilmExport, en France, investit dans la production d'un film et que Fuji, au Japon, souhaite acheter les droits en fonction du scénario, de la distribution et du directeur, et que Focus Features, aux États-Unis, veut en faire autant, cela nous donne une bonne idée de la viabilité du projet. Un tel intérêt de partout dans le monde nous donne en quelque sorte le feu vert.
Le sénateur Massicotte : Je comprends tout à fait votre point de vue au sujet de la subjectivité et de ce que cela peut entraîner. Toutefois, je remarque que l'industrie s'est habituée au fait que les agents provinciaux exercent leur jugement lorsqu'il s'agit des arts, mais qu'il y a toujours une latitude dans la définition du mot. Vous semblez accepter cette latitude provinciale. Si le gouvernement fédéral atteignait, de quelque façon que ce soit, le même niveau de certitude que les organismes non discrétionnaires, serait-ce acceptable? Si les critères étaient établis de la même façon que les critères provinciaux, cela vous paraitraît-il raisonnable?
M. Cronenberg : Non, pas vraiment, parce qu'il existe une différence entre les ministres gouvernementaux et les gens qui font partie de la communauté des cinéastes et des financiers. Il s'agit d'une toute autre sphère, et leur approche est très différente.
Encore une fois, vous pourriez vous adresser à Téléfilm Canada pour savoir exactement comment cela se passe. Vous pourriez ainsi déterminer si ce serait la même chose avec la ministre du Patrimoine canadien. N'empêche que je ne comprends pas pourquoi vous avez besoin d'un autre niveau.
À Téléfilm Canada, il y a ce qu'on appelle une enveloppe. Par exemple, si le film produit par Robert Lantos a remporté beaucoup de succès, celui-ci reçoit une enveloppe contenant plusieurs millions de dollars. Il peut dépenser cet argent comme il l'entend. Personne ne travaille en vase clos. Nous faisons tous partie de la société. Si, à n'importe quel niveau, on enfreint le Code criminel, on s'expose à des accusations criminelles et ainsi de suite. Tout le monde, tous les cinéastes, en sont conscients.
Cependant, ce qu'on propose est tout à fait différent, en ce sens que les gens qui se prononceront sur les films ne s'y connaissent pas autant, par exemple, que les gens de Téléfilm Canada, qui sont très expérimentés dans le domaine cinématographique et dont c'est le travail — c'est ce qu'ils font.
Le sénateur Massicotte : D'après ce que j'ai compris, vous vous inquiétez du fait que les représentants du gouvernement puissent exercer leur jugement étant donné qu'ils ne sont pas aussi sensibles aux besoins de l'industrie. Par contre, s'il s'agissait de gens de l'industrie, comme Téléfilm Canada, vous n'auriez aucune objection. Si la ministre est prête à déléguer ou à organiser un système à Téléfilm Canada, vous seriez d'accord, n'est-ce pas?
M. Cronenberg : Non, pas vraiment. Pourquoi avez-vous besoin d'une autre duplication juridique? Cela me paraît illogique. Il y a des théories au gouvernement et en droit qui indiquent que ce genre de duplication est très inefficace et superflue.
Le président : Monsieur Cronenberg, je crois savoir que vous avez un avion à prendre et qu'il vous reste à peine dix minutes avec nous. Est-ce exact?
M. Cronenberg : C'est possible.
Le sénateur Eyton : D'une façon ou d'une autre, y compris ce mécanisme, le gouvernement fédéral contribue au financement de près de 1 000 de films par année. Là-dessus, il y en a peut-être un ou deux par année qui sont contraires à l'ordre public. Cela représente le dixième de un pour cent. Dans le monde des affaires, c'est secondaire. Comme il s'agit d'un infime pourcentage, la plupart des gens ne s'en soucieront pas et n'en feront pas de cas. En revanche, d'autres voudront remédier à la situation, même si ce n'est pas si important. La question est clairement définie.
Nous avons ici une disposition qui suscite un grand débat. D'un côté, on veut supprimer l'article et ne pas avoir d'autres normes que le Code criminel. Je suis certain que de nombreux Canadiens diront qu'il faut aller au-delà de l'application du Code criminel.
Je vais vous poser une question hypothétique. Supposons que la ministre rencontre les intervenants concernés pour discuter des normes, du processus de certification et du financement, et que, au cours des 12 prochains mois, comme elle l'a indiqué, on aboutit à des lignes directrices exécutoires qui conviennent à toutes les parties. Admettons que celles-ci reçoivent l'appui de 90 p. 100 des Canadiens, ce qui est purement hypothétique, y seriez-vous favorable?
M. Cronenberg : Je ne pourrais pas vous répondre, car j'ignore en quoi consisteraient ces lignes directrices. Je pense que celles-ci finiraient par figurer dans le Code criminel. Elles sont la seule chose qui importe. Tout le reste est trop vague, insaisissable et subjectif pour que ce soit acceptable. Si vous faites partie du 5 p. 100 des gens dont on a rejeté le film, cela pourrait être très désastreux pour votre carrière et votre vie. En définitive, cela n'a rien à voir avec le différend concernant le bois d'œuvre.
Le sénateur Eyton : Je comprends, mais ce n'était pas ma question. Je parlais plutôt de la possibilité que des intervenants arrivent à établir des normes précises et exécutoires.
M. Cronenberg : Vous voulez dire des normes au sens de lignes directrices?
Le sénateur Eyton : Exactement.
M. Cronenberg : On se retrouve avec le même problème. Nous acceptons le fait que le Code criminel puisse faire l'objet de discussions. On peut s'adresser aux tribunaux et déterminer si une personne a réellement enfreint le code. Il y a de nombreux cas où il n'est pas clair que le Code criminel a été violé. Dans certains cas, c'est évident, dans d'autres, pas. Nous ne savons pas ce qu'il en est.
Encore une fois, un processus établi et le Code criminel sont les seules lignes directrices dont nous avons besoin. À preuve, plus de quarante ans se sont écoulées sans qu'il n'y ait de problème. Pourquoi changer cela?
Le sénateur Goldstein : Est-ce que l'attente d'un an dont a parlé la ministre et à laquelle le sénateur Eyton a fait allusion a un effet déstabilisant sur votre industrie?
M. Cronenberg : Absolument. Cette proposition n'est pas du tout rassurante pour les cinéastes. Je conviens que c'est ce qu'on visait, mais ce fut tout le contraire. C'est comme si les cinéastes avaient une épée de Damoclès au-dessus de la tête pendant un an. Cela n'est pas propice à la prise de risques.
Le sénateur Ringuette : On nous a dit que l'industrie cinématographique et télévisuelle rapporte plus de 2 milliards de dollars à l'économie par année et procure 125 000 emplois.
J'ai écouté attentivement vos propos, et vous êtes d'avis qu'on devrait retirer cet article du projet de loi C-10. Ce qui me préoccupe, c'est que nous connaissons déjà la direction que veut prendre le gouvernement. Si nous supprimons cet article et ne le remplaçons par rien d'autre, nous donnons la possibilité au gouvernement de créer des lignes directrices et des dispositions qui ne seront pas présentées à un comité parlementaire et qui n'exigeront pas de modifier les lois. Le gouvernement aurait carte blanche pour modifier les lignes directrices et le règlement, ce qui risquerait d'entraîner des problèmes de censure.
M. Cronenberg : Je dois admettre que je ne comprends pas cette logique. Je ne vois pas pourquoi ce serait le cas. C'est peut-être attribuable à ma naïveté politique, mais je ne saisis pas trop.
Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de préciser que le gouvernement n'investira pas dans la pornographie ou dans quoi que ce soit qui enfreigne le Code criminel. N'est-ce pas une évidence? C'est déjà le cas dans tous les organismes subventionnaires créés par le gouvernement. On ne peut pas laisser l'industrie du film entre les mains de la ministre du Patrimoine. Ce n'est pas compliqué.
Le projet de loi renferme des bons éléments qui, si je ne me trompe pas, ont reçu l'appui de la Guilde canadienne des réalisateurs et de la Writers Guild of Canada. Par conséquent, nous ne disons pas que tout le projet de loi est mauvais; seulement cet article. Je ne vois pas ce qu'il y a de mal à retirer cet article du projet de loi. A-t-on peur des conséquences? Qu'est-ce que cela peut bien faire? Rien du tout.
Le sénateur Goldstein : Lors de sa comparution il y a quelques semaines, la ministre a indiqué que les opinions étaient partagées dans l'industrie à propos de cette disposition particulière. J'en conclus donc qu'il y a certaines personnes qui sont pour et d'autres contre. Ma question est simple : connaissez-vous quelqu'un dans l'industrie qui soit en faveur de cette mesure législative?
M. Cronenberg : Non.
Le sénateur Moore : Monsieur Cronenberg, je vous remercie d'être ici. Je vous remercie de votre travail et je vous remercie de tout ce que vous faites pour l'industrie cinématographique canadienne.
Il y a une disposition directement liée à nos propos d'aujourd'hui, à mon avis. Les sénateurs de l'autre côté semblent ne pas y porter suffisamment d'attention, mais elle est importante. Il s'agit du paragraphe 120(12) :
Le ministre du Patrimoine canadien publie des lignes directrices sur les circonstances dans lesquelles les conditions énoncées aux alinéas a) et b) de la définition de « certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne » au paragraphe (1) sont remplies. Il est entendu que ces lignes directrices ne sont pas des textes réglementaires au sens de la Loi sur les textes réglementaires.
Tout est dans la dernière phrase. Elle signifie que ni la Chambre des communes ni le Sénat du Canada n'examineront ces lignes directrices. Elle signifie également que le ministre du parti au pouvoir peut les changer, les supprimer, les modifier ou faire tout ce qu'il veut.
Je crois connaître la réponse, mais j'aimerais savoir ce que vous en pensez. C'est un élément clé de ce projet de loi.
M. Cronenberg : Pour moi, c'est un régime totalitaire. C'est ce à quoi on s'attendrait à Beijing, peut-être, mais pas au Canada. C'est tout sauf démocratique.
Le sénateur Banks : Nous avons parlé, entre autres, de Téléfilm Canada et du Fonds canadien de télévision. Nous avons convenu que les organismes subventionnaires font des choix sur beaucoup de films qu'ils financent, parce qu'ils reçoivent tant de demandes et qu'ils ont tant d'argent. Dans une certaine mesure, leurs membres exercent un jugement et il y a une certaine subjectivité dans ces choix, je pense qu'il faut en convenir, parce qu'ils sont humains.
Je veux être certain de bien comprendre. Le crédit d'impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne ne dépend pas de perceptions subjectives. En fait, il dépend purement du travail réalisé et non du contenu. Selon mon interprétation du règlement actuel, on ne mentionne jamais l'« ordre public »; on précise plutôt que le crédit d'impôt ne s'applique pas aux émissions de nouvelles, de sport, de téléréalité ni aux quiz parce que telle n'est pas son intention.
Vous êtes le réalisateur le plus célèbre au Canada ou sûrement l'un des plus célèbres. Nous avons entendu dire que le crédit d'impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne était important pour les réalisateurs canadiens. L'est-il même pour vous? En avez-vous encore besoin dans une certaine mesure pour pouvoir continuer de faire des films?
M. Cronenberg : Oui. Les promesses de l'ombre aurait peut-être pu être financé sans Téléfilm. Cependant, le film que j'ai réalisé juste avant, A History of Violence n'a bénéficié d'aucun investissement canadien; il a été financé en totalité par New Line Cinema, aux États-Unis. Le film d'avant, Spider, a été très difficile à réaliser. C'était un film d'art. Ce projet n'aurait jamais vu le jour sans le financement de Téléfilm et le crédit d'impôt.
Je dirais que pour moi, tout dépend de la production. J'en suis à un point où, pour le meilleur ou pour le pire, je pourrais réaliser un film américain, même s'il était tourné ici, parce que les Américains aiment bien notre échelle salariale, entre autres. Dans ce cas, je ne profiterais pas du crédit d'impôt. Mais même là, si le film était tourné ici, les producteurs américains tireraient avantage du crédit d'impôt. Probablement 80 p. 100 des films que j'ai faits n'auraient pas pu être produits sans la structure du crédit d'impôt qu'il y a ici.
Le président : Madame Spivak, nous sommes ravis de vous souhaiter la bienvenue au comité.
Le sénateur Spivak : Je n'ai qu'une seule question, mais j'ai un petit préambule. J'ai l'impression qu'elle entre dans la catégorie des « à quoi ont-ils pensé? ». C'est une solution à aucun problème. Même si ce projet de loi était adopté nous resterions très réfractaires aux jeux vidéo, aux films américains, sans mentionner ce qui s'apparente à la pornographie.
L'argument qu'il faut dépenser judicieusement l'argent des contribuables n'a aucune valeur. Nous avons contribué à l'exploitation des sables bitumineux et du réacteur CANDU. Ce n'est pas tout le monde qui pense que ce sont des investissements judicieux. On a déjà fait des analyses, mais voici la question que je veux vous poser : si ce projet de loi était adopté, compte tenu de la fragilité relative de la culture au Canada, une souris à côté d'un éléphant, quel serait d'après vous l'effet de cette loi sur la culture au Canada si l'on ne pouvait plus faire de films ici, mais qu'on avait toujours les jeux vidéos de vols de voitures — je ne sais plus trop comment on les appelle.
M. Cronenberg : Grand Theft Auto.
Le sénateur Spivak : Comment la culture s'en ressentirait-elle, à votre avis?
M. Cronenberg : D'une certaine manière, je l'ai déjà dit. Des personnes comme Atom Egoyan et moi ferions des films américains. Ils ne seraient pas comme ceux que nous avons faits jusqu'ici. Ils ne seraient pas considérés comme des films canadiens. Nous serions comme Norman Jewison pendant sa phase américaine, et ce n'est pas une insulte. Il a fait de très bons films à Hollywood, mais c'était des films typiques de Hollywood.
La réponse, c'est que l'effet serait désastreux.
Le sénateur Spivak : Bref, ce serait dangereux pour la culture canadienne.
M. Cronenberg : Tout à fait.
Le président : Vous êtes un témoin de renom devant notre comité. Vous avez clairement exprimé votre point de vue avec passion et rationalité. Je vous remercie d'être venu nous rencontrer.
M. Cronenberg : Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité. Je l'apprécie.
Le président : Notre prochain témoin est M. Conrad Winn, président de COMPAS Inc. Nous avons hâte d'entendre votre point de vue sur les aspects du projet de loi C-10 que vous connaissez bien, particulièrement sur les dispositions concernant les lignes directrices sur les crédits d'impôt accordés à l'industrie cinématographique et magnétoscopique.
Conrad Winn, président, COMPAS Inc. : Je vous remercie de m'avoir fait une petite place dans votre horaire d'aujourd'hui, même si mon témoignage ne sera pas très enlevant ni excitant. Je n'ai pas d'opinion sur ce projet de loi et si j'en avais une, mes employeurs ne seraient pas contents que je l'exprime. Je crois que mon rôle ici, c'est de vous expliquer un petit sondage d'opinion publique mené par COMPAS, et je suis tout disposé à répondre à vos questions sur ce sondage ou ses interprétations.
Il n'est ni compliqué ni très surprenant que le public soit sensible à cette question. En gros, la grande majorité de la population n'aime pas l'idée que les deniers publics servent à financer des films pour adultes.
Le président : Merci. Permettez-moi de vous présenter ce document, que les membres du comité ont reçu en français et en anglais : La controverse des subventions à l'industrie cinématographique; Sondage national : la majorité de la population, et surtout les femmes, s'oppose à la poursuite des subventions. COMPAS Inc., la société que M. Winn représente, effectue des sondages d'opinion publique. Nous allons passer tout de suite aux questions.
Le sénateur Goldstein : J'ai deux questions techniques qui devraient être utiles aux prochains intervenants.
Je ne comprends pas ce que vous voulez dire par « interview téléphonique assistée par ordinateur », pour décrire votre méthodologie. Pouvez-vous nous expliquer exactement comment vous procédez? J'ai l'habitude de recevoir des appels de gens qui me disent mener un sondage pour X, Y et Z et qui me demandent si je suis prêt à répondre à quelques questions.
M. Winn : Dans l'ombre, il y a un ordinateur d'une entreprise très connue. L'écran guide le sondeur au fil des questions.
Le sénateur Goldstein : Dois-je comprendre que c'est votre sondeur qui pose personnellement toutes les questions?
M. Winn : Oui.
Le sénateur Goldstein : Est-ce que le sondeur a reçu une formation pour cela?
M. Winn : Oui.
Le sénateur Goldstein : Est-ce votre emploi à temps plein? Je pensais que vous enseigniez aussi la science politique.
M. Winn : Je suis professeur à l'Université Carleton. Je me suis prévalu des dispositions de notre convention collective pour demander un congé spécial pour cela.
Le sénateur Goldstein : Je ne vous critique pas.
M. Winn : J'ai eu une charge de travail obligatoire à l'université et j'adore mon travail, mais une grande partie de mon attention va à COMPAS Inc., parce que comme tous les employés de COMPAS Inc., bien sûr, je dois me concentrer sur COMPAS Inc.
Le sénateur Goldstein : Vous avez dit dans votre introduction il y a quelques instants que votre conclusion, que vous expliquez dans votre excellent rapport, c'est que le public canadien, surtout les femmes en grande partie, ne veulent pas qu'on subventionne les films pour adultes. Je présume donc que votre sondage se limitait aux films pour adultes et que vous n'avez pas abordé d'autres questions comme la violence. Le sondage ne portait que sur les films pornographiques.
M. Winn : C'était la question. Elle se trouve au bas de la page 3, en note de bas de page. Tous les sondages ont leurs limites, parce que les mêmes mots peuvent avoir un sens différent pour différentes personnes. En toute honnêteté, je serais porté à croire qu'il y a des gens qui pensent que la violence gratuite peut également être considérée comme de la pornographie.
Le sénateur Banks : La question se lit comme suit : « Les subventions gouvernementales accordées aux films pour adultes et aux films pornographiques sont une question controversée. »
Le sénateur Goldstein : Je ne vois rien là-dedans sur la violence excessive.
M. Winn : Je n'ai rien dit du tout sur la violence excessive dans la question. Quand on mène un sondage, on peut poser une question sur un jour de pluie et les gens vont penser qu'on leur pose une question sur la neige. Quand on pose des questions aux gens, ce n'est pas comme d'utiliser un clavier d'ordinateur et d'appuyer sur tel bouton pour voir apparaître telle lettre ou exécuter telle fonction. Il y a l'aspect humain.
Le sénateur Goldstein : Vos questions de sondage portaient exclusivement sur la pornographie.
M. Winn : Exactement.
Le sénateur Goldstein : Savez-vous que les critères à respecter pour obtenir un certificat d'autorisation pour des productions cinématographiques ou magnétoscopiques au Canada excluent déjà la pornographie, tout comme Téléfilm Canada exclut la pornographie des films qu'elle finance. Le saviez-vous?
M. Winn : Je ne veux pas répondre à cette question parce que je ne pense pas être ici comme expert de la politique publique ou de la politique culturelle.
Le sénateur Goldstein : Je ne veux pas que vous me répondiez en tant qu'expert, mais en tant que citoyen. Le saviez-vous?
M. Winn : Je doute que le citoyen moyen soit au courant.
Le sénateur Moore : Monsieur Winn, je vous remercie d'être ici. Votre client pour ce sondage était l'Institute for Canadian Values. Pouvez-vous nous parler un peu de votre client?
M. Winn : Il comprend plusieurs personnes. Il y a un membre de l'Institute for Canadian Values qui a témoigné devant le comité, M. Charles McVety, si je ne me trompe pas.
Le sénateur Moore : Est-ce un groupe religieux?
M. Winn : Il faudrait leur poser la question. Je ne pourrais pas vous dire si c'était un groupe religieux, de la religion de Charles McVety.
Le sénateur Moore : Je reprends la question que le sénateur Goldstein vous a posée sur la controverse entourant les films considérés pour adultes ou pornographiques. Je me demande qui les considère. Nous avons appris des témoins que seuls deux films étaient considérés pornographiques et qu'ils n'avaient pas reçu de financement. Ils ne figurent pas du tout à la liste des films réalisés et des contributions du gouvernement.
Il y a une autre question au bas de la page 4 : « Supposons que le gouvernement continue de subventionner les films pour adultes et les films pornographiques. » Le gouvernement ne continue pas de subventionner les films jugés pornographiques. Il n'y a eu que deux films du genre et ils n'ont pas été financés. Voulez-vous dire quelque chose à ce propos? Est-ce trompeur? Êtes-vous au courant des témoignages que le comité a entendus?
M. Winn : Je n'ai pas lu les comptes rendus de ce comité. Quand un terme ou un sujet est controversé, il peut y avoir différentes perceptions. Ici, il y a des perceptions différentes de ce qui est pornographique et de ce qui constitue un film pour adultes. Votre dernier témoin avait raison de dire que les perceptions diffèrent sur ce qui serait admissible.
Le sénateur Moore : Je le comprends bien.
M. Winn : Que voulez-vous que je vous dise d'autre?
Le sénateur Moore : Êtes-vous pris à cause du mot « continue », parce qu'il n'y a pas de continuation? Il n'y avait rien de tel au départ. Rien. Deux films ont été jugés pornographiques et ils n'ont pas été financés. Il n'y a donc pas lieu de parler de « continuer ».
M. Winn : Le fait est que c'est si controversé qu'il y aura des gens qui vont penser que beaucoup de films pornographiques reçoivent des fonds. D'autres vous diront que même les films que vous jugez pornographiques ne sont pas pornographiques selon eux. En gros, il y aura des divergences d'opinions sur un sujet comme celui-ci.
Le sénateur Goldstein : Vous affirmez que le sondage est une science et que la statistique est une science. N'est-il pas vrai que la formulation de la question est aussi importante que la réponse?
M. Winn : Parfois oui, parfois non.
Le sénateur Goldstein : Si vous posez une question contenant une fausse prémisse, serait-ce acceptable selon votre méthodologie?
M. Winn : Pas si c'était universellement considéré comme une fausse prémisse. Si ce n'est pas universellement considéré comme une fausse prémisse, ce n'est qu'une autre question de dissidence.
Il y a deux questions ici. La plus importante des deux est la première. Je doute que quiconque réponde très différemment à la question selon le libellé. Ce n'est vraiment pas choquant. Les gens sont très réfractaires aux taxes et sensibles à la façon dont leurs fonds sont utilisés.
En vérité, il y a des craintes sur l'attribution d'argent aux arts en général. Ce n'est pas mon point de vue, mais un point de vue.
Vous m'interrogez sur la deuxième question. Aurait-elle pu être formulée autrement? Tout à fait. La réponse aurait-elle été bien différente? Peut-être pas.
Le sénateur Goldstein : Vous ne le savez pas? C'est une hypothèse de votre part, n'est-ce pas?
M. Winn : Oui et non. Je ne le sais pas, parce que je n'ai pas vérifié. Par contre, nous faisons beaucoup de tests, souvent seulement pour le plaisir scientifique.
Parfois, on constate que la formulation de la question a un impact; d'autres fois, on est surpris de constater qu'elle n'en a pas. Il peut ne pas y avoir d'impact quand les opinions sont très ancrées. Les répondants n'entendent qu'un ou deux mots et ils n'écoutent pas le reste de la phrase. Ils ont déjà décidé ce qu'ils vont répondre avant qu'on ait terminé la phrase.
Le sénateur Goldstein : Vous et moi seront d'accord sur le plan étymologique que de demander « devrait-on continuer tel comportement? » n'équivaut pas à demander « devrait-on commencer tel comportement? ».
M. Winn : C'est vrai. Sur le plan technique, il y a généralement moins d'opposition quand on affirme qu'une chose a déjà lieu ou qu'elle continue d'avoir lieu plutôt qu'elle « commence ». Si nous avions choisi le mot « commence », l'opinion générale se serait rapprochée beaucoup plus de celle de Charles McVety, disons, que de celle de David Cronenberg. Le mot « continue » laisse entendre qu'il y a une continuation, et les gens ont tendance à dire que ce qui a déjà lieu peut continuer de se produire.
Le sénateur Goldstein : N'est-ce pas comme de demander : « Quand avez-vous arrêté de battre votre femme?
M. Winn : Non, cela n'a rien à voir.
Le sénateur Eyton : Nous nous penchons là sur des petits détails du sondage. Ne serait-il pas utile que notre témoin lise l'essentiel de la première page, qui présente ses conclusions, puis que nous poursuivions? Cela mettrait les choses en contexte, pas tant pour nous que pour les personnes qui nous regardent à la télévision, afin qu'elles comprennent ce que nous faisons.
Le président : Les sénateurs seraient-ils d'accord?
Des voix : Oui.
Des voix : Non.
M. Winn : La principale question, que le sénateur Banks a lue, si je ne me trompe pas, est la suivante :
Les subventions gouvernementales accordées aux films pour adultes et aux films pornographiques sont une question controversée. Le titre d'un de ces films comporte trois mots : les deux premiers sont « Young People », le dernier commence par la lettre F. Parmi les options suivantes, laquelle représente le mieux votre opinion?
Ces opinions sont exprimées dans un ordre aléatoire, donc l'ordre n'a pas d'effet. Le premier répondant entend la question dans un ordre et le deuxième, dans un autre, et cetera.
Les répondants pouvaient choisir parmi différentes options. Ils devraient être bannis et interdits au Canada. Environ le quart des Canadiens ont choisi cette réponse, les femmes dans une plus grande proportion que les hommes. Ils devraient être autorisés, mais ils ne devraient pas recevoir de subventions gouvernementales. Un peu moins de la moitié des répondants ont pris cette position, 46 p. 100. Le total des répondants contre les subventions, y compris ceux qui interdiraient ces films, était de 72 p. 100. Ils devraient avoir le droit de recevoir des subventions gouvernementales au même titre que tout autre film canadien. Vingt-quatre pour cent des répondants ont choisi cette réponse, dont un peu plus d'hommes que de femmes. Spontanément, quelques personnes ont répondu que les gouvernements ne devraient pas subventionner les productions cinématographiques en général. Cependant ce n'était pas parmi les options présentées. Quatre pour cent de répondants ont dit qu'ils ne le savaient pas.
Le sénateur Tkachuk : Je ne suis pas surpris par ce qui se dit. Les Canadiens sont divisés sur la question, et cette divergence d'opinions est exprimée dans le débat politique actuel. Ce qui m'étonne, c'est que 24 p. 100 des gens sont en faveur de l'octroi de subventions à des films pornographiques. J'ai trouvé que c'était un peu élevé.
M. Winn : J'ai été beaucoup plus surpris d'apprendre que 26 p. 100 des répondants estiment que ces films devraient être bannis ou interdits.
Le sénateur Tkachuk : Cela ne me surprend pas. Il me semble logique qu'autant de personnes considèrent qu'il ne devrait pas du tout en avoir.
Pourriez-vous consacrer quelques instants à deux points? Premièrement, cette question préoccupe davantage les femmes. Deuxièmement, pourriez-vous expliquer et parler de la question à la page 4 concernant le refus de contribuer? Je crois qu'il est important pour les auditeurs que le sondage soit expliqué à mesure que nous posons les questions.
M. Winn : On a posé une question complémentaire au quart des répondants environ qui se sont dits favorables à ce que l'on continue d'accorder des subventions — que l'on traite cette catégorie de films comme on le ferait pour n'importe quel autre film canadien. Nous avons déjà parlé de cette question, mais je vais la lire quand même.
Certains soutiennent que les subventions accordées à l'industrie cinématographique mettent le principe de liberté d'expression du cinéaste en conflit avec le principe de liberté de conscience du contribuable. Supposons que le gouvernement continue de subventionner les films pour adultes et les films pornographiques. Dans une telle situation, croyez-vous que les contribuables devraient pouvoir refuser de payer leur contribution personnelle à ces subventions si cela va à l'encontre de ce que leur conscience leur dicte?
Les contribuables devraient-ils sans contredit être autorisés à retenir leur part de la subvention pour apaiser leur conscience? Dix-huit pour cent de ceux qui sont en faveur des subventions sont d'avis que ça devrait être le cas, et 21 p. 100 estiment qu'on devrait probablement accorder ce droit aux contribuables. Seize pour cent pensent qu'on ne devrait probablement pas leur accorder ce droit et 40 p. 100 disent qu'on ne devrait absolument pas le faire.
En résumé, parmi les gens qui croient que cette catégorie de films devrait recevoir des subventions au même titre que tout autre film canadien, dans l'ensemble, 56 p. 100 déclarent que les contribuables ne devraient pas avoir le droit de retenir leurs impôts à cette fin. Trente-neuf pour cent affirment qu'ils devraient probablement ou absolument avoir un tel droit.
Le sénateur Fox : J'ai deux questions. Tout d'abord, vous nous avez dit qui était votre client. Quelle était la taille de votre échantillon?
M. Winn : Cinq cent personnes.
Le sénateur Fox : Combien y avait-il de personnes par région, dans l'Ouest, au centre du Canada, au Québec et dans l'Est?
M. Winn : C'est entièrement stratifié. Chaque région ou sous-région est représentée dans cet échantillon selon la proportion de sa population, établie à partir des données de Statistique Canada.
Le sénateur Fox : Pourriez-vous me donner les chiffres? Combien de personnes avez-vous interrogées dans l'Ouest? Combien en Ontario?
M. Winn : Le nombre de répondants serait calculé selon la proportion de la population de l'Ontario approximativement, qui est inférieure à deux cinquièmes. En Ontario, ce serait encore plus stratifié entre les régions proportionnellement à leur poids démographique. La proportion du Québec correspondrait à moins du quart.
Le sénateur Fox : Est-ce 125 personnes environ, principalement à Montréal?
M. Winn : À peu près.
Le sénateur Fox : Principalement à Montréal; l'échantillon n'est pas stratifié à l'échelle de la province?
M. Winn : Si, il l'est.
Le sénateur Fox : Ce serait donc 50 personnes à Montréal et 25 dans le reste de la province.
M. Winn : C'est à peu près exact.
Le sénateur Fox : Je voulais vous poser une question sur votre propre question, qui comporte une supposition. Vous dites que les subventions gouvernementales accordées aux films pour adultes sont une question controversée. Vous partez de l'hypothèse que le gouvernement subventionne bel et bien des films pour adultes ou des films pornographiques, n'est-ce pas? Est-ce l'hypothèse qui sous-tend votre question? Votre client a-t-il approuvé la question?
M. Winn : Tous les clients ont approuvé la question.
Le sénateur Fox : Votre client a-t-il participé à la formulation de la question?
M. Winn : Pas du tout.
Le sénateur Fox : Il l'a approuvée cependant. Merci. Vous avez aussi mentionné le film qui comporte trois mots, YPF. À ma connaissance, ce film n'est pas encore sorti. Toutefois, vous en parlez comme d'un film pour adultes ou d'un film pornographique, et vous supposez qu'il a reçu du financement du gouvernement.
Tout d'abord, qui a décidé que le film YPF est ou devrait être réservé aux adultes? C'est dans votre question. Vous dites que c'est un film pour adultes ou un film pornographique. Qui êtes-vous pour décider si c'est un film de ce genre? Avez-vous des compétences dans ce domaine?
M. Winn : À vrai dire, oui.
Le sénateur Fox : Faites-vous partie d'un bureau de censure?
M. Winn : Non, mais j'effectue des recherches sur l'opinion publique, et je ne doute absolument pas que quiconque effectue un sondage pour demander aux gens s'ils ont trouvé qu'un film avec ce titre était sans contredit, probablement, probablement pas ou absolument pas pornographique...
Le sénateur Fox : Par conséquent, vous le jugez en fonction d'un titre. Ce pourrait être une stratégie de marketing. Je n'essaie pas de défendre le film, mais simplement de comprendre le type de méthodologie que vous avez suivi.
Vous avez décidé à l'avance — avant qu'un bureau de censure l'ait vu — que c'était un film pour adultes ou un film pornographique?
M. Winn : Non, je n'ai pas décidé cela.
Le sénateur Fox : C'est dans votre question.
M. Winn : Non, vous vous trompez.
Le sénateur Fox : Je me trompe, ce n'est pas dans la question?
M. Winn : Exactement. Elle ne dit pas que Conrad Winn considère le film comme étant réservé aux adultes, mais elle fait référence aux « films pour adultes ».
Le sénateur Fox : « Le titre d'un de ces films comporte trois mots. » La question dit que les films pour adultes ou les films pornographiques suscitent des préoccupations. Vous mentionnez ensuite...
M. Winn : Vous avez tout à fait le droit de me poser des questions et j'ai le droit d'y répondre. Il est indiqué « films pour adultes ». N'importe quel lecteur ordinaire des médias de masse se rendrait compte qu'il y a des gens qui considèrent qu'un film avec ce titre fait partie de la catégorie.
Le sénateur Fox : Ne diriez-vous pas que n'importe quelle personne à qui l'on pose cette question présumerait que des subventions gouvernementales sont accordées à des films pour adultes ou à des films pornographiques? Pouvez-vous nommer un film pornographique qui a reçu des subventions gouvernementales depuis que vous avez posé la question?
Vous êtes professeur d'université et vous enseignez aussi les sciences politiques. J'imagine qu'il y a des normes éthiques que l'on doit respecter pour décider de poser une question et de prédéterminer qu'un film est réservé aux adultes ou pornographique. Je ne comprends pas. Vous supposez qu'il l'est. Pourquoi posez-vous une question qui énonce une supposition?
M. Winn : Je ne fais pas du tout de telles suppositions.
Le sénateur Fox : Je ne sais pas lire, alors.
M. Winn : Peut-être. « Les subventions gouvernementales accordées aux films pour adultes et aux films pornographiques sont une question controversée... »
Le sénateur Fox : Vous dites donc que des subventions gouvernementales sont accordées à des films considérés comme étant pour adultes.
M. Winn : C'est exact. Je vais répondre franchement à votre question. Il n'y a rien qui cloche avec cette question, mais en toute honnêteté, une question ou un sondage ne devrait jamais être le seul indicateur de l'opinion publique.
Si j'étais à votre place, je ne ressentirais pas le besoin d'attaquer cette question. Je poserais une question plus simple : Y aurait-il d'autres façons de la formuler et serait-il utile de le faire? Si vous aviez posé cette question, j'aurais été d'accord avec vous.
Le sénateur Fox : Vous dites qu'il n'y a pas qu'une seule façon de déterminer la validité. La deuxième question dit : « Supposons que le gouvernement continue de subventionner... ». À mon avis, « continue de subventionner » indique que le gouvernement le fait déjà. Vous dites « ... continue de subventionner les films pour adultes et les films pornographiques. Dans une telle situation, croyez-vous... »
C'est une supposition. Vous dites aux répondants — vous ne faites pas que supposer, vous leur dites — que le gouvernement du Canada subventionne les films pornographiques et les films pour adultes. Ce n'est pas le cas.
M. Winn : C'est votre avis et peut-être le mien aussi. Toutefois, si vous présentiez ces films à un échantillon représentatif de la population, une part étonnante considérerait certains de ces films, que vous et moi pourrions trouver plutôt innocents, comme étant pornographiques.
Le sénateur Fox : Nommez les films qui ont été subventionnés par le gouvernement dont vous parlez. Quels sont les films pornographiques qui ont reçu des subventions du gouvernement? Quels films sont subventionnés par le gouvernement actuel, qui n'est pas enclin à subventionner des films pornographiques?
M. Winn : Je suis ici pour avoir sondé l'opinion publique, et non pas pour discuter de ce que devrait être notre politique cinématographique.
Le sénateur Fox : Je remets en question la manière dont vous avez mené ce sondage. Il suppose bien des choses. Il renferme de nombreuses suppositions. Je ne voudrais pas mener une campagne électorale à partir des types de questions qui sont posées ici.
Je suis fâché parce que les types de questions posées comportent des suppositions et sont présentées comme un sondage scientifique. Voilà pourquoi je suis mécontent.
M. Winn : Outre le fait que j'ai trouvé que les commentaires du sénateur étaient choquants, je n'ai rien à ajouter.
Le sénateur Tkachuk : Le temps pour la séance est-il écoulé? Nous avons besoin de l'accord des whips pour poursuivre au-delà du temps imparti, n'est-ce pas?
J'ai un autre engagement à 18 h 30, comme d'autres personnes ici également, je crois. Je pensais que nous avions peut-être fait le tour de la question.
Le président : D'autres personnes souhaitent poser des questions.
M. Winn : Il est tout à fait justifié de faire valoir calmement — sans prêter des intentions ni lancer des accusations injustes sur la confiance — qu'il y a plusieurs façons légitimes de poser une question. On devrait poser une foule de questions différentes pour connaître pleinement ce que pense la population. Toutefois, je crois qu'on aurait tort de penser qu'il n'y a pas de controverse parmi la population. On aurait aussi tort de croire que, quelle que soit la manière dont la question est formulée, la population exprime peu de doutes.
Le sénateur Harb : Je suis partagé. Je connais M. Winn depuis l'époque où il était professeur d'université et un chef de file dans la communauté qui a fait du travail remarquable dans son domaine. Je ne doute pas un instant qu'il tâche d'exceller dans sa profession.
Connaissant comment fonctionne l'industrie — tous les sondages d'opinion publique et les sociétés qui les réalisent —, je sais que tout repose sur la question. Je ne pense pas que M. Winn le nie. Il nous dit essentiellement que cela dépend de la manière dont il pose la question. Il peut parfois obtenir une réponse donnée.
Cette question est brillamment posée, compte tenu que le commanditaire est l'Institute for Canadian Values. Je crois que la question est formulée avec brio.
En toute franchise, nous ne sommes pas saisis de la question comme telle à l'heure actuelle. Les films pornographiques ne sont d'aucune façon admissibles aux subventions. C'est une question légitime à poser. Toutefois, si je veux savoir si le gouvernement donne effectivement de l'argent à des films pour adultes, la réponse est non.
J'ai aussi un problème avec la deuxième question, qui est un peu plus compliquée, qui demande à un électeur ou à un contribuable de mettre en équilibre la liberté de conscience et la liberté d'expression. Je n'ai aucun problème avec la première question en soi, et je suis d'accord avec vous. Je ne sais pas comment j'y répondrais. Je crois que beaucoup de mes collègues au comité ne sauraient comment répondre à une telle question. L'Institute for Canadian Values a soulevé un aspect intéressant dans ses questions. Puisque la question ne figure pas à l'ordre du jour du comité, nous n'en discutons pas. Par conséquent, je ne crois pas qu'il soit juste de notre part de vous critiquer. Vous avez fait un travail remarquable pour votre client et il a eu de la chance de vous avoir pour réaliser le sondage pour son compte.
M. Winn : Merci beaucoup.
Le sénateur Ringuette : Je n'ai jamais adjugé de contrat à une maison de sondage, même si je suis en politique depuis 20 ans. La dynamique qui existe entre M. McVety, votre client, et vous, est intéressante. Vous avez dit que votre client a approuvé les questions. Les a-t-il fournies?
[Français]
M. Winn : Non, et c'est très facile à comprendre : quelqu'un comme M. McVety croit vraiment que les gens perçoivent le monde du film de la même façon que lui et il lui serait donc presque impossible de trouver des gens, hors de l'industrie du film, n'ayant pas la même opinion que lui.
[Traduction]
Puisqu'il considère que le Canadien moyen pense comme lui, il ne lui viendrait jamais à l'idée que la question posée pourrait ne pas être importante ou qu'il pourrait avoir son mot à dire. Comme dans tous les sondages, cependant, ceux qui paient doivent approuver au bout du compte.
Le sénateur Ringuette : Vous avez dit avoir interrogé 506 personnes au total. Combien de temps cela prend-il?
M. Winn : Cela dépend du nombre de sondeurs que vous avez pour téléphoner. Vous devez tenir compte du fait qu'un grand nombre de numéros composés n'existent pas parce qu'ils ne sont pas attribués à un ménage. Il arrive très souvent qu'il n'y a personne à la maison ou que les gens sont trop occupés pour participer au sondage. Il faut donc appeler beaucoup de gens pour interroger 500 personnes seulement.
Le sénateur Ringuette : Est-ce que ça prendrait une semaine?
M. Winn : Cela dépend du nombre de sondeurs que vous affectez. Cela pourrait prendre jusqu'à trois soirées, au plus.
Le sénateur Ringuette : J'examine les dates que vous avez précisées. Le sondage a été achevé le 11 avril 2008. Vous avez soumis votre rapport à M. McVety le 14 avril. Par pure coïncidence, M. McVety a témoigné devant le comité le 16 avril. J'imagine que ce sondage était précisément conçu pour la comparution de M. McVety devant le comité.
M. Winn : Il faudrait le lui demander.
Le sénateur Ringuette : J'aimerais pouvoir le faire. Merci.
Le sénateur Goldstein : Monsieur Winn, nous ne voulons pas vous retenir ici plus longtemps. Merci d'être venu.
Pourrais-je vous demander de nous envoyer dans les prochains jours les questions en français? Pourriez-vous faire cela pour nous, s'il vous plaît?
M. Winn : Certainement.
Le sénateur Goldstein : Merci.
M. Winn : Je vais veiller à ce que vous les receviez.
Le sénateur Tkachuk : Je tiens à préciser que lorsque M. McVety a témoigné devant le comité, il a évoqué ce sondage. Nous lui avons demandé de le voir. Il a eu la bonté de nous laisser quelque chose qui lui appartenait et de nous remettre le nom du sondeur. C'est nous qui avions demandé de voir le sondeur.
Le président : Y a-t-il d'autres questions pour M. Winn?
Merci d'être venu, monsieur Winn.
Sénateurs, il nous reste une heure libre et nous recevons un témoin demain. Je pense que vous voulez discuter de questions de procédure. Nous pouvons le faire maintenant ou demain.
Le sénateur Goldstein : Je comprends la préoccupation du sénateur Tkachuk concernant sa prochaine réunion. Je respecte cela, monsieur. Je suis tout à fait prêt à attendre à demain matin.
Le président : Nous allons ajourner la réunion jusqu'à 10 h 45 demain, comme prévu.
La séance est levée.