Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 20 - Témoignages du 28 mai 2008
OTTAWA, le mercredi 28 mai 2008
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, notamment en ce qui concerne les entités de placement étrangères et les fiducies non résidentes ainsi que l'expression bijuridique de certaines dispositions de cette loi, et des lois connexes, se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, pour en examiner la teneur.
Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.
[Français]
Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, notamment en ce qui concerne les entités de placement étrangères et les fiducies non-résidentes ainsi que l'expression bijuridique de certaines dispositions de cette loi, et des lois connexes.
[Traduction]
Nous tenons des audiences sur ce projet de loi depuis qu'il nous a été renvoyé, en novembre 2007.
Je suis le sénateur Angus, de Montréal, et je préside ce comité. À ma droite se trouve le sénateur Goldstein, également de Montréal, qui assume la vice-présidence. Du côté droit de la salle, se trouvent le sénateur Fox, de Montréal, le sénateur Banks, de l'Alberta, le sénateur Massicotte, du Québec, le sénateur Meighen, de Toronto, et le sénateur Tkachuk, de la Saskatchewan. À ma gauche, il y a le sénateur Harb, de la région d'Ottawa, et le sénateur Moore d'Halifax.
D'autres sénateurs se joindront peut-être à nous au cours de la séance, mais nous ne voulons pas retarder les travaux plus longtemps. Je sais que nos témoins sont ici depuis au moins quatre heures moins quart, et j'aimerais leur souhaiter la bienvenue.
Nous poursuivons aujourd'hui notre examen et accueillons deux groupes de témoins. Le premier comprend deux représentants du Groupe Desjardins, une institution du Québec.
[Français]
Nous entendrons Brigitte Goulard, vice-présidente, partenariats coopératifs et Louis Rabeau, notaire et conseiller juridique du Mouvement Desjardins.
[Traduction]
Nous entendrons plus tard un deuxième témoin, le très connu M. Paul Gross, qui traitera d'un autre aspect du projet de loi.
[Français]
Brigitte Goulard, vice-présidente, Partenariats coopératifs, Mouvement Desjardins : Monsieur le président, je vous remercie de nous accueillir aujourd'hui afin de vous faire part des préoccupations du Mouvement Desjardins et partagées par d'autres associations comme l'Association des banquiers canadiens et l'Institut des fonds d'investissement du Canada.
Nos préoccupations touchent, comme il se doit, au projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu. Avant que mon collègue, Me Rabeau vous fasse part de nos préoccupations relativement à cette disposition, j'aimerais partager avec vous quelques informations sur le Mouvement Desjardins.
C'est un groupe financier intégré de nature coopérative et il est la plus grande institution financière au Québec et la sixième en importance au Canada avec plus de six millions de membres et clients et un actif global dépassant les 144 milliards de dollars. Il regroupe un réseau de caisses et de centres financiers aux entreprises et une vingtaine de filiales qui opèrent à l'échelle du pays.
Fort de l'appui de ses quelques 42 000 employés et plus de 7 000 dirigeants élus, le Mouvement des caisses Desjardins opère plus de points de service au Québec que toutes les banques réunies.
Le président : Je pense que tout le monde, comme le sénateur Moore, pense que le chiffre de six millions de membres est énorme. Pouvez-vous expliquer ce que vous voulez dire par membres. Nous comprenons, mais j'espère que vous pourrez nous expliquer ce nombre.
Mme Goulard : Le Mouvement Desjardins est une institution financière coopérative, ce qui veut dire que lorsqu'on devient client chez Desjardins, on devient membre.
Chaque client déteint une part de Desjardins, donc il est un sociétaire de Desjardins. Il doit remettre cinq dollars pour devenir membre. Le Mouvement Desjardins opère de façon très significative au Québec et une large proportion de Québécois fait affaire chez Desjardins ainsi que dans les filiales. C'est un chiffre assez impressionnant que les gens sont toujours un peu surpris d'entendre. On a aussi 42 000 employés et c'est un chiffre impressionnant. Desjardins est une grosse institution.
Le président : C'est assez extraordinaire, merci beaucoup, madame.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Ce droit est-il versé lorsque l'on devient membre ou est-ce un droit annuel?
Mme Goulard : C'est un montant que remet chaque membre. Il ne s'agit pas d'un droit, mais bien d'un dépôt, puisque l'on récupère son argent lorsque l'on quitte l'institution.
Le sénateur Moore : C'est donc un paiement unique.
Mme Goulard : Oui. C'est exactement comme un crédit. D'ailleurs, « caisse populaire » est la traduction française de « credit union ».
Le sénateur Massicotte : Vous pouvez donc devenir membre pour 5 $ si vous le voulez, sénateur Moore.
Mme Goulard : Le dépôt est de 5 $ depuis plus de 100 ans.
[Français]
Louis Rabeau, notaire et conseiller juridique, Mouvement Desjardins : Monsieur le président, le Mouvement Desjardins désire vous informer de ses préoccupations par rapport aux modifications proposées au paragraphe 248 (3) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Ce paragraphe vise à abolir la fiducie réputée aux fins fiscales dont bénéficie actuellement une multitude de produits et véhicules de placement offerts par les sociétés de fiducie faisant affaire au Québec. À cet effet, nous avons remis à la greffière une analyse des impacts des modifications proposées.
L'entité fiduciaire Desjardins est l'émetteur de près de deux millions de REER, de FERR et autres produits de même nature, ce qui en fait le principal émetteur au Québec. L'amendement proposé à l'article 44 du projet de loi C-10 vise spécifiquement les arrangements vendus à titre de REER, fiducie ou de FERR fiducie. Cet amendement obligera les sociétés de fiducie faisant affaire au Québec à mettre en place, à compter des 2010, de véritables fiducies au sens du Code civil du Québec.
Les principaux impacts identifiés sont les suivants : un individu ne pourra plus probablement effectuer des retraits de son REER. Je m'explique; une des principales conditions à remplir pour constituer une fiducie de droit civil est de s'assurer que le constituant, le détenteur, dans le cas d'un REER, a transféré des biens dans un patrimoine distinct, c'est-à-dire à la fiducie du REER. En 2004, la Cour suprême, dans l'arrêt Thibeault, a eu à se prononcer sur la validité d'un REER en tant que fiducie au sens du Code civil. La Cour suprême en est venue à la conclusion qu'il n'y a pas de transfert des biens à un patrimoine distinct lorsque le détenteur a le droit d'effectuer des retraits de son REER. En conséquence, les sociétés de fiducie faisant affaire au Québec devront abolir le droit de retrait au Québec afin que ce dernier soit reconnu comme une fiducie au sens du Code civil ainsi que de la Loi de l'impôt sur le revenu.
La nécessité d'abolir le droit de retrait du REER aura un impact important sur les individus puisqu'il arrive fréquemment qu'un détenteur de REER procède à un retrait de son REER pour toutes sortes de raisons. D'ailleurs, selon Statistique Canada pour la période de 1993 à 2001, on constate qu'environ 39 p. 100 des REER ont fait l'objet d'un retrait.
D'autre part, comment pourrons-nous gérer, dans ce contexte, l'application de programmes aussi populaires que le RAP et le REÉP. En effet, ces programmes sous-entendent le retrait d'un certain montant du REER.
Un deuxième impact serait de ne plus permettre à un individu de consentir une hypothèque mobilière sur son REER. Comme nous l'avons mentionné précédemment, pour créer une fiducie au sens du Code civil, le détenteur doit transférer ses cotisations à un patrimoine distinct. La Loi sur l'impôt prévoit que le détenteur d'un REER émis par une société de fiducie peut consentir une hypothèque mobilière sur son REER. Si les REER émis par des sociétés de fiducie québécoise deviennent des patrimoines distincts, leurs détenteurs ne pourront plus consentir une hypothèque mobilière. En conséquence, les paragraphes 146 (7) et 146 (10) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui traitent de la mise en garantie d'un REER n'auront plus d'application au Québec et au Québec seulement.
De plus, les modifications proposées entraîneront la fin des REER fiducie y FERR fiducie pancanadiens.
Les sociétés de fiducie faisant affaire au Québec auront l'obligation de maintenir deux types de régimes : ceux destinés au Québec et ceux destinés aux autres provinces du Canada. En pratique, l'implantation de régimes de nature d'une fiducie au sens du Code civil du Québec impliquera pour Desjardins des modifications importantes à ses systèmes qui vont entraîner des coûts substantiels. De plus, Desjardins devra administrer en parallèle des régimes aux caractéristiques différentes.
Enfin, il faut ajouter l'incertitude qui sera engendrée par la cohabitation des règles applicables aux comptes de retraite immobilisée et fonds de revenu viager de juridiction provinciale et de juridiction fédérale et la fiducie de droit civil. Il faut se rappeler que les CRI et les FRV ont leurs propres règles de fonctionnement. Ces règles sont définies dans la loi. Tenter de faire cohabiter ces règles particulières avec celles de la fiducie au sens du Code civil est, à toutes fins pratiques, impossible.
Les modifications proposées au paragraphe 248 (3) de la Loi de l'impôt sur le revenu touchent également une multitude de produits et de véhicules de placement qui bénéficie actuellement de la fiducie réputée. Les fonds communs de placement et le nouveau compte d'épargne libre d'impôt (CELI) en sont des exemples. Les caractéristiques de ces différents produits et véhicules de placement sont généralement irréconciliables avec la fiducie de droit civil, mal adaptées à une utilisation dans un contexte commercial.
Étant donné les difficultés d'interprétation et d'application juridiques qui vont résulter de l'entrée en vigueur des modifications proposées au paragraphe 248 (3) de la Loi de l'impôt sur le revenu et les coûts substantiels engendrés par la modification des contrats et l'adaptation nécessaire des systèmes des sociétés de fiducie, le Mouvement Desjardins recommande le maintien de la fiducie réputée, donc le statu quo.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Rabeau. J'ai plusieurs sénateurs pour vous poser des questions. Mais tout d'abord, une seule question; j'aimerais que vous expliquiez, si possible, parce que votre proposition est claire et nette. Est-ce que vous avez eu des discussions avec les fonctionnaires du ministère des Finances Canada pendant les années qui ont précédé le projet de loi C-10?
M. Rabeau : Pas en tant que tel.
Mme Goulard : Depuis que le projet de loi a été proposé, on a eu des discussions concernant l'impact que cela aurait au Québec et le ministère des Finances Canada et le ministère de la Justice reconnaissent des difficultés qu'ils n'avaient pas envisagées au moment de la rédaction. On essaie de travailler avec eux pour trouver des solutions aux problèmes.
Le président : Est-ce que vous avez soulevé le problème avant que la loi n'arrive au Sénat ou lors du dépôt du projet de loi à la Chambre des communes?
Mme Goulard : Lors du dépôt du projet de loi à la Chambre des communes et on s'est fait assurer qu'ils reconnaissaient une problématique. On a décidé à ce moment-là de ne pas comparaître à la Chambre des communes pour ne pas retarder le projet de loi. Mais là, on a décidé qu'on voulait comparaître pour vous faire part de nos préoccupations. Mais le ministère des Finances Canada et le ministère de la Justice sont au courant de la problématique.
Le président : Merci beaucoup. Nous sommes très contents de votre témoignage pour soulever le problème.
Le sénateur Massicotte : Mes questions sont du même ordre. Le ministère des Finances Canada et le ministère de la Justice sont au courant des lacunes mais rien n'est en marche pour corriger ces lacunes?
Mme Goulard : Le ministère des Finances Canada et le ministère de la Justice sont au courant. On leur a envoyé notre mémoire technique qu'on a déposé chez la greffière aujourd'hui. Ils sont en train d'examiner la position et il y a eu des discussions avec d'autres organisations comme l'Association des banquiers canadiens, qui ont les mêmes problèmes pour leurs compagnies de fiducie et l'Institut des fonds d'investissement du Canada qui a ce problème aussi. Le ministère de la Justice a entamé plusieurs discussions.
Le sénateur Massicotte : Est-ce qu'ils sont d'accord avec votre interprétation de cette clause?
M. Rabeau : J'ai discuté avec une avocate du ministère de la Justice à qui j'ai envoyé mon mémoire et elle était consciente des difficultés qui au départ ne paraissaient pas évidentes pour certains autres conseillers juridiques au ministère qui avaient proposé cela. Les discussions que j'ai eues avec cette personne me laissent croire que, effectivement, elle était consciente que cela pouvait causer des problèmes assez importants en termes d'application et on risquait de se retrouver avec deux systèmes parallèles au Canada, ce qui n'est pas l'idéal.
Le sénateur Massicotte : Je ne suis pas le ministre mais je suis convaincu que ce n'est pas l'intention du ministère des Finances Canada. Cela fait partie du régime principal depuis le départ. Si c'est vraiment la même interprétation, il y a une erreur à corriger et j'en doute qu'il soit totalement en accord de le corriger.
M. Rabeau : La confusion vient du fait que ce qui a préoccupé toutes les institutions financières, particulièrement les sociétés de fiducie et les assureurs, c'est l'affaire Thibeault qui concernait au Québec l'insaisissabilité de certains REER, les rentes à terme fixe.
Quand l'affaire Thibeault a été plaidée, les gens l'ont plaidé en deux parties. D'abord, le côté rente et ils ont dit à la cour, si ce n'est pas une rente, c'est une fiducie. C'est ce qu'ils ont dit à la cour. La Cour suprême s'est prononcée sur les deux aspects. Et même si pour la Cour suprême le fait de vouloir plaider que c'était une fiducie, c'était malhabile, ils l'ont fait quand même. C'est à partir de cela que l'intention du ministère était de pouvoir permettre de régler la question de l'insaisissabilité.
Finalement, cela ne réglait pas le problème parce que ce n'est pas autant insaisissable qu'on peut le croire et les auteurs sont assez unanimes à ce sujet. Le législateur québécois a réglé cette question avec la loi 136, en décembre 2005, pour le passé et pour l'avenir. De ce côté-là au Québec, on n'a plus de problèmes.
Le sénateur Massicotte : Pour les institutions québécoises, oui. Quelle est la solution pour régler le problème du côté technique?
M. Rabeau : Le statu quo; on ne modifie pas ce qui existe actuellement et on enlève l'article 248 (3) dans sa rédaction actuelle.
Le sénateur Massicotte : Le deuxième impact est de ne plus consentir un prêt sur hypothèque mobilière sur son REER. Cela encore, le ministère confirme que c'est accidentel?
M. Rabeau : Je ne suis pas sûr qu'ils ont examiné ce point; il y a uniquement les sociétés de fiducie qui peuvent permettre que des hypothèques soient prises sur leur REER; les banques ne peuvent pas. Les banques sont dépositaires en termes de loi fiscale et c'est uniquement les REER offerts par les sociétés de fiducie sur lesquels on peut prendre une hypothèque mobilière. Vous avez deux articles de la Loi de l'impôt sur le revenu auquel j'ai fait référence qui nous donnent la recette pour faire cela fiscalement parlant.
Je ne suis pas sûr qu'ils ont vu ce détail lorsqu'ils ont travaillé là-dessus parce que si vous vous retrouvez avec une fiducie au sens du patrimoine distinct au sens du Code civil, on ne peut plus prendre une hypothèque.
Le sénateur Massicotte : Vous savez que des projets de loi ont été approuvés qui visent la même chose, qu'on ne va pas avoir recours à un REER d'un particulier au fédéral. C'est le même objectif, effectivement.
M. Rabeau : Toutefois, les hypothèques mobilières de REER, c'est utilisé de façon assez courante mais dans des cas bien particuliers. Ce sont souvent des gens qui partent en affaires et qui mettent en garantie leurs REER pour une courte période pour s'organiser. Ce n'est pas monsieur ou madame tout le monde qui fait cela. Mais c'est utile à des gens en affaires.
Le sénateur Massicotte : Une question pratique; votre caisse, en particulier, ne demande jamais une hypothèque mobilière sur un REER. Ce n'est pas une pratique courante pour les particuliers?
M. Rabeau : Je me suis renseigné à l'administration et on me dit qu'en moyenne on donne 500 ou 600 hypothèques mobilières de REER par année.
Le sénateur Massicotte : Sur combien de demandes de prêt?
M. Rabeau : Je ne sais pas.
Le sénateur Goldstein : Qui vous aurait conseillé de ne pas faire de représentations lors de la considération de ce projet de loi à la Chambre des communes? Est-ce que vous savez? Est-ce que vous vous rappelez?
Mme Goulard : Ce n'était pas une demande mais une discussion qu'on avait eue à savoir si les gens du ministère des Finances Canada étaient au courant et ils ont dit qu'ils étaient au courant. C'était notre décision à nous de ne pas comparaître. Ce n'était pas une demande du ministère des Finances Canada de ne pas comparaître. Je ne veux pas donner la mauvaise impression. On voulait s'assurer que le problème était identifié. On était pour comparaître au Comité des finances pour démontrer notre préoccupation. Le ministère des Finances Canada a dit qu'il était déjà au courant tout comme l'était le ministère de la Justice.
Le sénateur Goldstein : Il aurait donc été inutile de comparaître?
Mme Goulard : Exactement.
Le sénateur Goldstein : Est-ce que d'autres institutions financières sont dans la même situation?
Mme Goulard : Toute institution financière qui a des REER au Québec.
M. Rabeau : Ce sont les sociétés de fiducie; les banques ont leur propre société de fiducie et souvent les REER offerts par les sociétés de fiducie vont être des REER autogérés, par exemple, avec des courtiers, il y en a un nombre important.
Le sénateur Goldstein : Pourquoi est-ce que les autres institutions touchées par ce projet d'amendement, cette partie du projet de loi, n'ont pas fait cause commune avec vous?
Mme Goulard : Je pense que l'Institut des fonds d'investissement du Canada va envoyer une lettre d'appui de notre position. L'Association des banquiers canadiens va se joindre pour appuyer cette position. C'est quand même très important puisqu'on est la plus grosse compagnie de fiducie au Québec mais on a l'appui d'autres institutions.
Le sénateur Goldstein : Nous aurions un grand intérêt d'avoir ces lettres. Pourriez-vous demander à vos collègues d'agir assez rapidement là-dessus. J'ai une dernière question.
Est-ce que vous savez pourquoi le ministère des Finances Canada veut apporter cet amendement? Je vois mal quelle utilité cela pourrait avoir sur le plan de l'imposition de l'impôt. Quels problèmes veulent-ils éviter en suggérant de supprimer la fiducie présumée?
M. Rabeau : J'ai l'impression que tout cela tire son origine de l'affaire Thibeault et de la question de l'insaisissabilité. Je ne me souviens plus du nom de ces personnes qui ont travaillé sur ce projet de loi au ministère de la Justice.
Le président : Les rédacteurs de la loi?
M. Rabeau : Oui. C'est une des préoccupations qui semblait ressurgir beaucoup, c'est-à-dire la question de l'insaisissabilité. Mon opinion personnelle est que les personnes qui ont travaillé là-dessus n'avaient probablement pas le portrait d'ensemble de ce que cela concernait, les REER. Il leur manquait peut-être un côté pratico-pratique quand on est vraiment dans le doute.
Le sénateur Goldstein : La question de l'insaisissabilité des REER a une assez longue histoire au Canada, et surtout au Québec. Il y a eu beaucoup d'arrêts de la Cour d'appel avant même que la cause Thibault soit plaidée. Comme vous l'avez mentionné, la cause Thibault était surtout axée sur une question particulière, et la Cour suprême a profité de l'occasion pour se prononcer sur certaines autres choses qui portaient à conséquence.
En quoi le ministère des Finances aurait un intérêt à s'ingérer dans la question de l'insaisissabilité des REER? Étant donné qu'il existe déjà des politiques provinciales traitant de l'insaisissabilité des REER, est-ce que ce ne serait pas plutôt une question de politique provinciale?
M. Rabeau : Nous avons discuté du sujet avec le ministère des Finances. Mais vous dire pourquoi ils se préoccupaient de la question de l'insaisissabilité des REER, je l'ignore, je ne peux pas répondre pour eux.
Le sénateur Goldstein : Ce n'est pas une question de finances, c'est une question de droit civil dans chaque province.
Mme Goulard : J'ai discuté avec des représentants du ministère de la Justice au moment où on a pris connaissance du projet de loi C-10. Au début ils ont réglé un problème, mais en essayant de le faire, ils en ont créé un autre. Comme Me Rabeau l'a expliqué, il s'agissait vraiment d'un manque de connaissance générale au sujet de ce qui se passe au Québec et du fonctionnement du Code civil.
Nous avons dû ensuite leur fournir l'information nécessaire afin qu'ils puissent voir exactement quel genre de problème avait été créé en essayant de résoudre un autre problème.
Le sénateur Goldstein : Est-ce que le transfert d'actifs d'un REER en fiducie n'a pas comme conséquence de rendre immédiatement taxable les produits du REER?
M. Rabeau : Au Québec, il y a deux cas de REER en fiducie au sens du Code civil. Il y a le Barreau du Québec, qui était à l'époque client de la Fiducie Desjardins, qui a mis sur pied un REER en fiducie au sens du Code civil. Le produit a passé tous les tests sur le plan de l'enregistrement au ministère des Finances.
Ils ont bâti ce REER comme il devrait être bâti; il ne s'est pratiquement pas vendu. Ce REER a donc passé les tests.
Le président : Vous avez dit qu'il y en avait deux au Québec, dont le Barreau du Québec?
M. Rabeau : Oui, on en a bâti un pour Desjardins sans trop savoir si le produit allait se vendre. Le problème qu'on a identifié en travaillant sur les produits parallèles, c'est que la création d'un patrimoine distinct dans le système demanderait des investissements de plusieurs millions de dollars. Ce sont d'énormes coûts d'administration et c'est pourquoi le produit n'a pas passé les tests.
Le sénateur Meighen : Je pense que la plupart de mes questions ont été posées par les sénateurs Massicotte et Goldstein. Cette discussion me fait penser au temps où j'ai été admis au Barreau du Québec. À cette époque, il n'y avait quasiment pas de fiducies. Le concept de la fiducie dans le sens de la common law était très étranger au Code civil. Finalement, jusqu'à un certain point, on l'a introduit dans le Code civil et on essaye de se débrouiller avec.
Est-ce que d'autres institutions financières se sont présentées devant la Chambre des communes?
Mme Goulard : À ce sujet, non. Le temps qu'on s'aperçoive qu'il y avait un problème avec l'article, la Chambre des communes était déjà en train d'étudier le projet de loi C-10 en comité. On a contacté le département des finances de d'autres institutions financières.
Le sénateur Meighen : Le sénateur Goldstein a des connaissances plus poussées que moi dans le domaine. Je n'ai pas très bien compris le raisonnement du fisc fédéral face à la modification. Est-ce que c'est une question d'argent? Est-ce qu'il voit disparaître des sommes importantes? Veulent-ils mettre la fiducie dans la common law et au Code civil sur un pied d'égalité?
M. Rabeau : J'ai l'impression que c'est un peu le cas. On sait qu'au Québec maintenant, on peut utiliser la fiducie. Alors pourquoi ne pas l'utiliser? Peut-être que le raisonnement en soi est valable, mais quand on regarde les dispositions du Code civil qui concernent la fiducie, ce n'est pas l'instrument idéal pour des fins commerciales parce que le fiduciaire est l'administrateur unique de la fiducie.
On ne peut pas faire de modification à la fiducie sans faire appel aux tribunaux. On ne peut pas non plus mettre fin à la fiducie de n'importe quelle façon. C'est extrêmement encadré. Pour un produit aussi commun qu'un REER, dans lequel les gens déposent des sommes d'argent et duquel ils en retirent s'ils ont des problèmes financiers, c'est un produit inapproprié.
Ce n'est pas tout le monde qui détient un REER de 200 000 ou 300 000 dollars. Il y a des gens qui ont déjà une caisse de retraite, mais qui détiennent un REER d'une valeur de 4 000 $ à 12 000 $. Ce sont des montants relativement petits.
Imposer une mécanique comme celle de la fiducie du Code civil pour la gestion de tels comptes, ce n'est pas l'idéal. C'est la même chose pour les fiducies de fonds communs et ce sera la même chose aussi pour les CRI, pour les FRV, et pour les régimes d'épargne-études.
Dans le régime d'épargne-études, vous avez la contribution du souscripteur, vous avez les revenus qui seront attribués au bénéficiaire, et vous avez la subvention du gouvernement qui est administrée différemment. Dès qu'il y a une anicroche, la subvention est remise au gouvernement. Le gouvernement du Québec a adopté une loi en vertu de laquelle il accordera sa propre subvention. Pour vous donner un exemple, dans le régime d'épargne-études, vous bénéficierez d'une subvention du gouvernement provincial et une autre du gouvernement fédéral, et les deux subventions sont administrées de façon différente.
Il y a aussi les revenus et les contributions qui s'administrent d'une certaine façon. Si on tente de tout intégrer cela à l'intérieur d'un patrimoine distinct, j'aime autant ne pas y penser.
Le sénateur Meighen : Vous avez dit dans votre mémoire que si on modifiait le paragraphe 248 tel que proposé, cela coûterait des sommes importantes.
M. Rabeau : Oui.
Le sénateur Meighen : Pouvez-vous élaborer?
M. Rabeau : Pour vous donner un exemple, le REER en fiducie qu'on avait mis sur pied pour le Barreau du Québec et celui qu'on avait créé en parallèle pour Desjardins, lorsqu'est venu le temps d'examiner cela avec l'administration, ils nous ont dit que pour modifier les systèmes uniquement, il en coûterait de 2 à 3 millions de dollars pour Desjardins.
Le sénateur Meighen : Et ce, sans parler des autres institutions financières?
M. Rabeau : Sans parler des autres produits qui seraient touchés. On parle uniquement du REER. On ne parle pas du régime d'épargne-études, des CRI ou des FRV non plus.
Le président : Si vous pourriez consulter les pages 454, 455 et 456 du projet de loi où se trouvent les amendements à la section 248(3), pouvez vous nous montrer exactement où se trouvent les dispositions en question?
Mme Goulard : J'aimerais juste préciser qu'on se référait à l'article 248 de la Loi sur l'impôt, mais c'est l'article 44 de la loi qui modifie la Loi sur l'impôt qui se trouve à la page 206 dans votre document.
Le président : Il faut que nous puissions comprendre.
Mme Goulard : J'avais fait la même erreur la première fois.
Le président : Nous sommes à la page 206, l'article 44.
[Traduction]
Le président : Pouvez-vous nous expliquer de quoi il en retourne?
[Français]
Mme Goulard : C'est la page 208, au bas de la page.
[Traduction]
Le président : La note inscrite en marge indique les changements apportés au paragraphe 248(3) de la loi.
[Français]
Le sénateur Fox : Merci à nos témoins du Mouvement Desjardins d'être venus nous voir aujourd'hui. Je n'ai pas beaucoup de questions parce que je trouve que votre mémoire est limpide, direct, concret et il contient des recommandations très précises. J'aurais quand même deux questions.
Vous avez dit au tout début que vos préoccupations sont partagées par les représentants de l'Association des banquiers canadiens. Est-ce qu'ils ont eu le même genre de discussions avec le ministère des Finances que vous?
Mme Goulard : Oui.
Le sénateur Fox : Est-ce qu'ils ont déposé un mémoire sur ce point précis?
Mme Goulard : Je ne suis pas au courant s'ils ont déposé un mémoire ou une lettre, mais j'ai eu des discussions avec eux au début de la semaine concernant ma comparution aujourd'hui. Ils m'ont dit qu'ils avaient eu, récemment, des discussions avec le ministère des Finances et que ce dernier les avait avisés — et c'est du ouï-dire — qu'il était au courant.
Le sénateur Fox : Est-ce qu'ils arrivent aux mêmes conclusions que vous et à la même recommandation?
Mme Goulard : Oui.
Le sénateur Fox : Vous avez déposé une étude d'impact. Je présume que si ce genre de changement était fait, il y aurait un impact sur les montants d'argent qui rentreraient, par exemple, dans les divers fonds de REER au Québec, comparativement à d'autres parties du Canada. Est-ce que cela met en péril tout ce système au Québec?
M. Rabeau : Les sociétés de fiducie risquent de perdre beaucoup de clients parce que c'est imposé strictement aux sociétés de fiducie. Les banques ne sont pas touchées comme telles.
Le sénateur Fox : Pourquoi les banques appuient-elles votre position?
M. Rabeau : Parce que les banques ont leurs propres sociétés de fiducie.
Le sénateur Fox : C'est sûr qu'une institution financière qui vendrait un REER dans une province sur lequel on peut avoir des hypothèques immobilières et où on peut faire des retraits aurait un avantage concurrentiel terrifiant sur une société comme le Mouvement Desjardins qui ne peut opérer que d'une seule façon. C'est exact?
M. Rabeau : Exactement. Étant donné la structure du Mouvement Desjardins, on ne peut pas permettre à chacune des caisses populaires, qui sont les propriétaires du Mouvement, d'avoir leurs propres REER. Elles pourraient le faire, mais on aurait 600 REER différents au Québec. Cela n'aurait aucun sens. L'émetteur, celui qui porte le chapeau, c'est Fiducie Desjardins pour l'ensemble de toutes les caisses, et Valeurs mobilières Desjardins aussi.
Le sénateur Fox : Je ne veux pas vous mettre des mots dans la bouche, mais il y aurait deux poids deux mesures à l'intérieur du Québec à l'occasion des grandes périodes de vente de REER et les banques à charte seraient carrément avantagées par rapport à une autre institution. Je ne peux pas conclure que c'était l'intention du ministère des Finances — personne ne le pense —, mais il y a quand même une conséquence qui me semble néfaste et qui, selon vous, n'était ni prévue ni voulue par le ministère. Le ministère devrait donc être ouvert à ce changement.
M. Rabeau : C'est à espérer.
Le sénateur Harb : Merci beaucoup pour votre excellente présentation. C'était très clair. Un de mes collègues a demandé quelle était la raison d'être de cette clause dans la loi. Serait-ce possible que ce soit à cause des décisions de la Cour suprême? D'habitude, c'est comme cela. Quand la Cour suprême rend une décision quelconque, le Parlement est obligé, plus ou moins, d'introduire une loi qui applique la décision de la Cour suprême.
M. Rabeau : C'est ce que j'ai compris des explications.
Le sénateur Harb : On sait très bien que l'intention de la Cour suprême n'était pas nécessairement de créer des dommages. Ce sont des conséquences indirectes qui sont survenues. Si le ministère de la Justice faisait une nouvelle demande devant la Cour suprême pour avoir une clarification, serait-ce possible que la cour dise que la décision Thibault était une décision spécifique et non pas une décision qui touche tout le monde, parce que ce cas était spécifique? Si cela arrivait, est-ce que le Parlement ne serait pas obligé d'introduire des lois?
Mme Goulard : Je ne suis pas certaine si la façon dont l'article a été rédigé était nécessaire suite à l'arrêt Thibault. L'article a été rédigé à cause de l'arrêt Thibault, mais cela aurait pu être rédigé d'une autre façon pour ne pas que cela ait un impact sur les REER fiduciaires. Je ne suis pas certaine si c'est nécessaire de retourner devant la Cour suprême du Canada pour avoir une clarification afin de pouvoir se débarrasser de cet article. J'ai l'impression qu'on pourrait trouver une autre façon pour appliquer l'arrêt Thibault.
Le sénateur Harb : Est-ce que vous avez essayé d'apporter des modifications pour répondre à la fois à la Cour suprême et aux besoins des caisses populaires? Est-ce que quelqu'un dans votre institution a essayé d'écrire une modification spécifique?
M. Rabeau : Pas à ma connaissance.
Le sénateur Harb : Est-ce possible de le faire?
M. Rabeau : Je ne sais pas. Je ne peux pas répondre. Désolé.
Le sénateur Harb : Vous avez mentionné que 39 p. 100 des gens retirent leurs REER pour faire un investissement immobilier. Dans le cas du Québec, l'impact monétaire est de combien?
M. Rabeau : C'est difficile à évaluer, mais la valeur des REER, si je ne me trompe pas, c'est 26 milliards de dollars. C'est un montant d'environ 26 à 29 milliards de dollars qui sont investis dans les REER chez Desjardins. Si vous prenez en considération les programmes qui permettent les retraits de REER comme le Régime d'accès à la propriété — qui est extrêmement populaire — ou le régime qui permet le retour aux études, c'est probablement beaucoup d'argent qui est en jeu. Je n'ai pas de chiffre, mais c'est certainement des montants très importants.
Le sénateur Harb : Selon vous, on a maintenant deux lois fédérales; une loi qui permet au citoyen de retirer son argent du REER pour l'investir dans l'immobilier et une autre loi qui ne donne pas cette permission. Me serait-il possible, en tant que citoyen, d'emmener le gouvernement en cour pour faire ce qu'on appelle en anglais un « court challenge »?
On ne peut pas avoir deux lois qui se contredisent. L'autre question concerne les Credit Union afin qu'ils soient classés au Canada pour jouir des mêmes opportunités que les banques. Est-ce possible qu'ils fassent la même chose, que Desjardins demande la même classification qu'une banque?
Mme Goulard : Vous référez à la demande des Credit Union de l'Ouest pour avoir un amendement aux banques. Nous sommes au courant de leur requête pour qu'ils puissent devenir une banque coopérative. Desjardins n'a pas encore statué à savoir s'il serait intéressé à suivre cette voie. On est très bien desservi par notre loi québécoise, par notre gouvernement québécois et on participe à la révision législative fédérale mais on ne s'est pas prononcé à ce sujet.
[Traduction]
Le sénateur Harb : L'histoire de Desjardins est vraiment fascinante, et chacun d'entre nous devrait s'informer sur cette formidable institution.
Le président : Il est temps que je dise aux témoins que lorsque nous avons commencé à tenir des audiences sur ce projet de loi, nous avons demandé au ministère des Finances s'il existait des problèmes ou des points portant à controverse; or, les fonctionnaires nous ont assurés que ce n'était pas le cas et que les intéressés étaient tous au courant des changements.
Vous nous avez fait remarquer que la loi posait un problème d'ordre pratique. Il semble en outre que la communication soit mauvaise avec les représentants du ministère de la Justice et du ministère des Finances. Nous examinons ici ce qu'il est coutume d'appeler un projet de loi d'ensemble. Comme vous avez pu le constater, nous avons eu de la difficulté à cerner l'aspect qui vous cause un problème.
Nous avons l'obligation d'examiner objectivement la loi et d'écouter vos doléances, puis de trouver une solution qui vous convienne. Les règles du jeu doivent être les mêmes pour tous.
Avez-vous obtenu des garanties? Cette loi contient de nombreuses dispositions qui sont des vestiges du passé, que l'on s'emploie à corriger. On nous assuré, que ce soit par des lettres d'engagement ou un simple signe d'acquiescent, que ces dispositions dépassées seraient éliminées et que les contribuables n'en faisaient pas les frais. Vous a-t-on donné les mêmes garanties à toutes les étapes d'examen de ce projet de loi?
Mme Goulard : Nous avons discuté avec les représentants des deux ministères, qui nous ont indiqué qu'ils étaient au courant du problème et espéraient pouvoir le résoudre. Lorsqu'ils se présentent ici pour dire qu'il n'y a pas de problème grave ou de question prêtant à controverse, ils ont peut-être déjà une solution en tête; le problème ne leur semble alors pas important. Ce n'est qu'un quart de page dans un gros livre, après tout. Pour nous, cependant, cela représente des millions de dollars, ce qui a un impact considérable sur notre compétitivité. Je me fie aux employés du ministère des Finances lorsqu'ils affirment qu'ils régleront le problème; nous considérions toutefois important de venir témoigner aujourd'hui pour expliquer le problème, de le jeter par écrit et de continuer de collaborer avec le ministère des Finances pour le résoudre.
Nous estimons que la façon la plus simple de régler la situation consiste à éliminer cet aspect de la loi. Je ne doute pas que le ministère des Finances souhaite résoudre ce problème; je m'abstiendrai donc de faire d'autres commentaires à son sujet.
Le président : Je peux vous garantir que nous allons convoquer des représentants de ce ministère, parce que nous devons discuter de six autres questions. C'est une bonne chose que vous soyez venue. Votre problème nous intéresse, et nous souhaitons vous aider à le régler. À moins que vous nous demandiez de ne pas le faire, nous dirons à ce ministère que vous avez soulevé une question légitime au sujet du projet de loi.
[Français]
Quelque chose de mal qui se retrouvera dans la loi si on légifère de cette façon. Vous me comprenez.
Mme Goulard : Oui, je suis d'accord, pour nous c'est très important, comme on vous a avisé aujourd'hui. Je fais confiance au ministère des Finances. Ils vont résoudre le problème, pour nous c'est important de venir ici, parce qu'une fois que le projet de loi est adopté, lever notre main et dire qu'on a un petit problème, c'est trop tard.
[Traduction]
Le président : Ne vous a-t-on pas assuré qu'une autre loi serait adoptée pour régler ce problème?
Mme Goulard : Non.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Nous avons des experts financiers avec nous. Faites-vous du financement de films à la caisse populaire Desjardins?
M. Rabeau : Je ne peux pas vous dire, je n'ai aucune idée.
Le sénateur Massicotte : Vous n'êtes pas au courant d'une autre ligne dans ce petit document qui vous dérange en quoi que ce soit, aux pages 208 et 209?
Mme Goulard : Non, mais on peut revenir, je peux faire des recherches et vous revenir à ce sujet.
Le sénateur Massicotte : Surtout si vous faites du financement de film, cela nous intéresserait.
Mme Goulard : Cela m'étonnerait que l'on ne soit pas un peu impliqué, Desjardins est la plus grosse institution du Québec, et certainement, l'Institut du film québécois doit se tourner vers le Mouvement Desjardins, mais je ne suis pas au courant de la question.
Le président : Nous attendrons l'arrivée de ces lettres d'appui dont vous avez parlé, parce qu'on a des questions à poser.
[Traduction]
Merci, madame Goulard et monsieur Rabeau.
C'est pour nous un honneur que d'accueillir notre prochain témoin, M. Paul Gross. Nous sommes très intéressés à entendre votre point de vue. Le projet de loi C-10 contient un grand nombre de dispositions pour modifier la Loi de l'impôt sur le revenu. L'une d'elles, qui a suscité un intérêt considérable au pays, concerne les crédits d'impôt destinés à l'industrie du film et de la télévision. Elle permettrait d'établir le contexte juridique grâce auquel le gouvernement pourrait déterminer si les productions cinématographiques et télévisuelles ne sont pas contraires à l'ordre public et accorder du financement en conséquence. Nous avons recueilli de nombreux témoignages à ce sujet. Si vous voulez bien prononcer votre allocution, nous vous poserons ensuite des questions.
Paul Gross, acteur, producteur et directeur, à titre personnel : Merci. J'ai bien des choses à vous dire. Je vous remercie beaucoup de m'avoir convoqué aujourd'hui. Je comparais devant vous en ma qualité d'acteur, de scénariste, de producteur, de directeur et de nationaliste canadien. Je sais que de nombreux témoins m'ont précédé, certains traitant en détails des répercussions du projet de loi C-10 et de l'article sur les crédits d'impôt pour l'industrie du film et de la télévision. Je suis certain que je vais reprendre bien des points qui ont été soulevés, et je vous présente mes excuses d'avance.
Le projet de loi C-10 constitue une menace pour l'industrie cinématographique et télévisuelle canadienne, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, la modification proposée pourrait bien provoquer l'anéantissement du système de financement du film, déjà précaire et incroyablement complexe. Il est terriblement compliqué de produire un film au Canada. Les producteurs doivent réunir un nombre incalculable de critères, et si un seul n'est pas conforme, toute l'entreprise s'écroule.
L'un des très rares aspects prévisibles de notre système est le crédit d'impôt. Pour l'instant, le processus de calcul des crédits d'impôt est largement mécanique, et un producteur peut facilement prévoir les fonds qui lui seront versés. C'est la fiabilité même de ces crédits qui les rend essentiels au financement des films au pays. Par exemple, j'ai presque terminé la production d'un film intitulé Passchendaele. Nous avons calculé, selon notre budget, que nous recevrions des crédits d'impôt d'environ 1,5 million de dollars, montant sur lequel nous nous sommes fondés pour nous financer. Notre banque nous a avancé les fonds en fonction de ces calculs, et nous avons ainsi pu entamer la préproduction.
Le gouvernement a fait valoir que ces crédits d'impôt ne seraient pas remis en question pour les productions légitimes. Mais si l'on adopte la modification proposée, cette décision deviendra subjective. Aucune banque n'avancera de fonds en contrepartie de crédits d'impôt s'il existe un risque, même infime, que ces crédits soient par la suite refusés pour des raisons subjectives. Je crois que d'autres témoins ont déjà soulevé ce point, y compris les représentants du milieu bancaire.
Nous aurions pu être incapables d'obtenir une avance de la banque, de commencer la préproduction et de financer Passchendaele; ainsi, un projet cinématographique rendant hommage au sacrifice de Canadiens lors de la Grande Guerre de 1914-1918 serait mort dans l'œuf.
La situation est évidemment différente pour les productions américaines. L'un des aspects les plus pervers de la modification proposée est qu'elle ne s'applique pas aux productions que les Américains tournent au Canada. Les producteurs américains peuvent toujours se prévaloir du soutien public en recevant des crédits d'impôt, peu importe le contenu. C'est à croire que le gouvernement considère qu'il faut étouffer la perversité débridée des producteurs canadiens dont les efforts, si on n'y prend pas garde, menaceraient la trame même de la société canadienne. Je n'ai aucune intention de m'en prendre à la société, même si j'aimerais vivre dans un pays où les arts ont autant influence. Je vis cependant au Canada, où moins de 2 p. 100 des films projetés en salle sont canadiens anglais. Et la situation n'est guère plus reluisante à la télévision. Il n'y a pas de déferlante de films douteux. Rares sont ceux qui sont remarqués, et encore plus ceux qui sont une menace à l'ordre public. La grande majorité des films diffusés au Canada viennent des États-Unis, et les producteurs américains continueront d'empocher allègrement des deniers publics, alors que les producteurs canadiens seront confrontés à un obstacle de plus dans un pays où il est déjà si difficile de produire un film à contenu national. Je saisis mal la logique d'une telle politique pour notre pays.
J'approuve totalement qu'un gouvernement souhaite dépenser de façon responsable et protéger l'intérêt public. Ce que je ne comprends pas, c'est comment cette modification permettrait de faire encore mieux, alors que nous disposons déjà de plusieurs moyens pour éliminer les risques pour la société. Le premier, que nous oublions souvent, c'est par l'artiste lui-même. En 30 ans, je n'ai pas rencontré un seul producteur voulant faire un film à contenu pornographique ou haineux. Le deuxième c'est le Code criminel, dont les dispositions couvrent amplement tout ce qui peut nuire à l'intérêt public. Le dernier, et le plus important, c'est le public, dont l'opinion sur les produits artistiques est claire, directe et sans appel. Si les citoyens n'aiment pas un film, ils le bouderont et il disparaîtra des salles. Si une émission ne leur plaît pas, ils ne la regarderont pas et elle sera retirée de la programmation. C'est on ne peut plus simple. La décision relève du public par le jeu des forces du marché. En proposant cette modification, on laisse entendre que le public est trop stupide, trop ignare et trop inculte pour juger par lui-même. Pour le bien public, l'État décidera pour ses citoyens en se remettant au bon jugement d'un comité.
Qui fera partie de ce comité chargé de prendre ces décisions? De quelle sphère de la société viendront ces moralistes irréprochables? Sur quels critères s'appuieront-ils? Ce qui est acceptable quelque part peut ne pas l'être ailleurs. Ce qui offense un homme de St. John peut amuser une femme de Victoria. De notre pays s'élèvent une multitude de voix, et je trouve totalement ridicule de vouloir les intégrer en un seul système exhaustif et quantitatif.
Selon les critères proposés, il semble que l'on pourrait refuser d'accorder des crédits d'impôt pour des films jugés « contraires à l'ordre public ». C'est là le cœur du problème. En adoptant un critère aussi vague, on ouvra la porte à la subjectivité et, par le fait même, à la censure.
J'ai entendu et lu les arguments des tenants de cette modification, qui considèrent qu'il n'est pas question de censure. Ce n'est que de la rhétorique. Appelons un chat un chat : c'est bien de censure dont il s'agit, une censure qui prend bien des formes. Celle-ci est particulièrement insidieuse parce qu'elle revêt les atours de la responsabilité fiscale, et qui pourraient s'élever contre de telles intentions? Pourtant, cette mesure enlèverait aux producteurs les moyens de faire un film. Si vous arrachez la langue d'un homme, il ne pourra plus parler. Si vous le menacez de lui arracher la langue, il va hésiter à s'exprimer. Ce projet de loi aurait sur la libre pensée le même effet dévastateur que la rectitude politique poussée à l'extrême. Cette simple menace suffira à étouffer notre communauté créative, et peut-être qu'un jour, la seule émission que l'on pourra écouter au Canada sera la rediffusion des débats de la chambre des représentants américains, même si d'aucuns pourraient juger cette émission contraire à l'ordre public.
Le problème de la censure, c'est qu'elle ne fonctionne pas. Depuis longtemps, la société occidentale est le théâtre de l'affrontement violent entre la volonté de l'État de contrôler la pensée et le désir des penseurs de s'exprimer. L'État a toujours fini par reculer. Il peut emprisonner tous les Galilée qu'il voudra, brûler autant de livres de James Joyce qu'il lui plaira, à la fin, les idées renaissent toujours de leurs cendres.
Ce n'est que relativement récemment que notre propre pays a compris qu'il perdait la bataille et a rendu le pouvoir à qui il revient : le peuple. Adopter cette modification, c'est chercher à relancer ce combat perdu d'avance et, à mon avis, c'est totalement contraire à l'ordre public.
Même si le gouvernement rejette cette idée et continue de croire que des mesures de contrôle s'imposent, pourquoi ne propose-t-il pas un projet de loi distinct dont nos représentants élus pourraient débattre à la Chambre des communes? La modification que comprend le projet de loi a complètement pris par surprise tous ceux que je connais dans l'industrie. Comme l'indique clairement la foule de témoins qui ont comparu et continueront de défiler devant ce comité, cette question préoccupe grandement l'industrie.
Il ne s'agit pas simplement d'une question de régie interne concernant une réforme fiscale obscure ou d'une affaire d'idéologie politique partisane. Je n'ai pas d'orientation politique particulière, mais notre démocratie me tient à cœur. Cette modification porte atteinte à l'un des fondements mêmes de notre démocratie : notre liberté d'expression. Il ne fait aucun doute qu'une question aussi grave mérite qu'on y consacre un projet de loi et un débat public largement médiatisé. Ainsi, ses partisans pourraient faire valoir leurs points de vue, ses détracteurs pourraient défendre les leurs, et que le meilleur l'emporte. En promulguant un obscur article dans un épais projet de loi sur la réforme fiscale, le gouvernement semble agir en catimini. Et cela, c'est contraire à l'ordre public.
J'aimerais, pour conclure, revenir aux champs de bataille de l'Europe de l'Ouest et au film que je suis en train de terminer. Il s'intitule Passchendaele, d'après le nom de la bataille qui s'est déroulée en 1917. Cela m'a pris près de 10 ans pour porter cette histoire à l'écran, ce qui montre bien les difficultés énormes qu'il faut surmonter pour faire un film dans ce pays. Si cette modification avait été adoptée, ce film n'aurait peut-être pas été réalisé, car il se peut qu'un membre du comité ou même la ministre du Patrimoine canadien y ait trouvé quelque chose à redire. Ainsi, un film relatant une période décisive de notre histoire et le sacrifice héroïque de nos ancêtres n'aurait jamais pu être tourné.
Mon grand-père a combattu au cours de cette guerre; c'est lui qui m'a donné le goût de relater cette histoire. Je peux vous garantir que ce n'est pas pour défendre la censure, mais bien la liberté qu'il a reçu ses trois blessures sur le front Ouest. Un lien unit directement les hommes et les jeunes de la Force expéditionnaire canadienne de 14-18 aux hommes et aux femmes qui font partie des Forces armées canadiennes modernes en poste aujourd'hui dans les sables de l'Afghanistan. Si le gouvernement adopte ce projet de loi, il discrédite leur sacrifice, déshonore la mémoire de nos ancêtres et bafoue les valeurs pour lesquelles de nombreux combattants ont donné leur vie.
Le président : Monsieur Gross, nous avions raison d'avoir des attentes élevées à votre endroit. Vous venez de faire un exposé des plus inspirants. Je parle au nom de tous les sénateurs en affirmant que c'était un plaidoyer hors du commun.
Le sénateur Tkachuk : Merci, monsieur Gross. J'ai été fort intéressé par vos commentaires sur la liberté d'expression. C'est un tour de force de faire le lien entre le projet de loi C-10 et les champs de bataille de la Première Guerre mondiale et de l'Afghanistan. Cependant, est-ce possible d'avoir la liberté de s'exprimer sans subvention et sans crédit?
M. Gross : Il serait plus juste de se demander si la culture et les arts peuvent survivre sans le soutien du gouvernement? À mon avis, c'est très improbable.
Si l'on étudie l'histoire de l'art et de la culture, on constate que les secteurs privé et public sont des alliés de longue date, qu'il s'agisse de l'Église catholique romaine et de la noblesse, de la monarchie et des marchants ou, de nos jours, du gouvernement élu et du secteur privé. Ils ont toujours travaillé de concert, particulièrement dans le tout jeune secteur de la production de films. Il n'y a que deux industries cinématographiques au monde qui ne dépendent pas fortement du soutien gouvernemental : celles de Hollywood et de Bollywood, en Inde. Ainsi, l'industrie du film ne peut exister dans le monde moderne sans le soutien du gouvernement, qui prend surtout la forme de mises de fonds initiales. Le gouvernement canadien n'a pas couvert toute la production de Passchendaele, mais les fonds de démarrage qu'il a investis nous ont permis de trouver d'autres ressources financières. Il s'agit des capitaux de départ sans lesquels il est difficile, voire impossible, de produire des films importants au Canada.
Le sénateur Tkachuk : Depuis la dernière administration, le gouvernement agit comme si cette partie du projet de loi était adoptée. Auparavant, soit depuis 1995, il se comportait comme si le règlement sur l'ordre public — la fameuse question du respect de l'ordre public — était en vigueur.
Pourtant, aujourd'hui, certaines émissions comme Webdreams, qui sont destinées aux adultes, reçoivent toute une panoplie de subventions gouvernementales — comme des crédits d'impôt pour la production de films et d'émissions, le programme de crédit d'impôt du Québec et les fonds du gouvernement canadien pour l'industrie de la câblodistribution. Ces émissions n'ont fait l'objet d'aucune censure, et l'industrie du film ne s'est pas écroulée.
Depuis 2001, nous avons envoyé des lettres à votre industrie et nous l'avons consultée. Pourtant, personne ne s'est intéressé à la question jusqu'à maintenant. Je suis d'accord avec le sénateur Fox : ce qui était valable hier ne l'est plus aujourd'hui.
Il faut quand même en tenir compte, car il semble que vous considériez que la modification changera automatiquement la donne. Or, rien ne montre que ce sera le cas. Le projet de loi ne fait qu'officialiser la manière dont le gouvernement fonctionne déjà.
M. Gross : La situation change bel et bien. Je sais que cet aspect particulier de la modification existe depuis un certain temps, mais il n'est jamais venu à l'avant-plan. Pour être honnête avec vous, je savais que Sheila Copps avait réagi au sujet d'une émission sur Bernardo, mais cela n'avait mené nulle part.
J'avoue ne pas passer mon temps à me demander ce qu'il advient de ce projet de loi. Lorsque nous avons en appris l'existence et que nous avons commencé à examiner ses répercussions, nous nous sommes inquiétés. Je veux être bien clair. Honnêtement, la première chose qui m'est venue à l'esprit lorsque j'ai pris connaissance du projet de loi, ce n'est pas que le gouvernement commençait à censurer l'industrie de la télévision et du film. C'était ridicule. C'est la manière dont le gouvernement a réagi à l'opposition qui nous a alarmés. Il me semble qu'il s'entête pour des vétilles. Je ne m'objecte pas particulièrement à l'imposition de certaines restrictions sur l'approbation des crédits d'impôt. Cependant, il me semble que nous devrions mettre le holà à la modification du Code criminel.
J'ignore tout de la rédaction de lois fiscales. Cependant, il me semble qu'il devrait être possible d'y insérer un élément selon lequel, si l'œuvre ne respecte pas les dispositions du Code criminel, elle ne sera plus admissible à des crédits d'impôt. Or, ce n'est pas ce que dispose le projet de loi. La disposition dit « contraire à l'ordre public », et je n'ai aucune idée de ce que cela signifie.
Le sénateur Tkachuk : Je suis membre du parti ministériel. Aucun des membres du parti ministériel que je connais n'a intérêt à causer des préjudices à l'industrie cinématographique. En fait, nous souhaitons la soutenir. Nous cherchons tous les moyens possibles de la soutenir.
La disposition est claire. Je sais de quoi vous parlez quand vous dites qu'un projet de loi a vu le jour lorsque Sheila Copps était ministre. Des lettres ont été envoyées à l'industrie dès 2001 et 2002. Il aurait sûrement déclenché une plus grande réaction, compte tenu de ce que vous avez dit au sujet de son caractère déplorable. Nous chercherons un moyen de résoudre le problème. Le discours hyperbolique que nous entendons à son sujet est la raison pour laquelle des personnes comme moi ne savent pas trop pourquoi il y a tout à coup une si grande controverse alors qu'il n'y en avait pas auparavant. Le gouvernement applique la loi comme si elle existait déjà, comme si le règlement était déjà en vigueur, depuis 1995.
Tout ce que nous tentons de faire, c'est de trouver un moyen de mettre fin à la controverse à la satisfaction de tous tout en préservant, bien sûr, l'intérêt public, car il nous tient à cœur. Nous cherchons des solutions au problème. Nous ne souhaitons pas nous lancer dans un débat sur la liberté d'expression parce qu'il n'y a personne, au sein de ce comité- ci, qui est contre la liberté d'expression ou qui souhaite y faire obstacle.
M. Gross : Sénateur, tout d'abord, je suis ravi d'entendre que le gouvernement se dévoue pour aider l'industrie cinématographique. Voilà une excellente nouvelle. Je me réjouirai en fait de le voir le faire. Toutefois, je ne suis pas sûr que le projet de loi à l'étude nous aide à cet égard. Il va beaucoup nuire. Je ne puis que m'excuser, en mon nom personnel et au nom de tous les membres de l'industrie cinématographique et télévisuelle, de la lenteur que nous avons mis à saisir les répercussions du projet de loi à l'étude. Je ne suis pas sûr de la raison pour laquelle cette disposition nous a échappé, mais nous ne l'avons pas vue.
Vous avez peut-être parfaitement raison. Peut-être qu'on faisait comme si cette disposition était déjà en vigueur. En réalité, nous fonctionnions en fonction de l'ancien régime. Je ne crois pas que quiconque ait eu conscience de cette disposition. On a beaucoup parlé de la façon de définir l'ordre public et de ce qui est contraire à l'ordre public. Dès qu'une pareille question commence à susciter de la controverse, la situation se dégrade.
Je crois qu'une porte a été ouverte et qu'il n'est pas tout à fait exagéré de parler de liberté d'expression. Si l'idée d'avoir des cowboys gais dans un film déplaît à un membre de l'office, le film ne sera pas produit au Canada. Les banques avec lesquelles nous faisons affaire vont se retirer de la production parce qu'elle suscite trop de controverse et qu'elles ne peuvent donc pas s'en porter garantes. Les membres de l'industrie vont cesser de soumettre des projets. Voilà ce que vont penser les producteurs de films, les scénaristes et ceux qui ont de bonnes idées à proposer pour des émissions, et ils pourraient bien buter contre des règlements si flous qu'ils ne les comprennent pas. Le libellé est trop vague.
Je propose qu'on remplace cette expression par un libellé plus précis, par une définition quelconque de ce que le gouvernement estime être l'ordre public. Nous ne savons pas ce que cela veut dire, mais l'expression aura un net impact sur la façon dont tous abordent la production d'émissions.
Je ne puis concevoir qu'on s'oppose à Passchendaele, mais si, au début de la production de ce film, je m'étais interrogé pour savoir s'il allait à l'encontre de la définition saugrenue de l'ordre public, j'aurais peut-être commencé à apporter des changements au scénario qui, à mon avis, a engendré un film pas mal bon. La petite expression ne comporte que cinq mots, mais j'en ignore le sens. Voilà la source de ma préoccupation.
Le sénateur Tkachuk : Très bien!
Le président : Puisque vous êtes encore le président de la John Diefenbaker Society et un chaud partisan du vieux chef, je ne puis m'empêcher de préciser que c'est le témoin qui a joué son rôle dans Prairie Giant : The Tommy Douglas Story.
Le sénateur Tkachuk : Étant donné ce qu'on trouve sur le marché actuellement, monsieur Gross, je ne crois pas que vous ayez ou que vous auriez eu des problèmes avec un film comme Passchendaele.
Le sénateur Johnson : Par souci de clarté, on a laissé entendre que le projet de loi à l'étude a déjà été appliqué. Il n'a jamais été appliqué comme tel au financement des films par le gouvernement. Vous avez laissé entendre que c'était le cas, et je tiens à dire que c'est faux.
Le président : Je vous remercie de cette précision.
M. Gross : Je ne l'ai pourtant pas rêvé.
Le sénateur Johnson : Non.
Le sénateur Tkachuk : Vous faites erreur, sénateur Johnson.
Le sénateur Johnson : Non. J'ai travaillé à ce dossier.
Le président : Nous avons nos propres supervedettes du milieu artistique au Sénat, et je suis toujours fier d'annoncer le prochain intervenant, qui vient de l'Alberta, c'est-à-dire de votre province. Je parle du sénateur Tommy Banks.
Le sénateur Banks : Monsieur Gross, je vous remercie d'avoir pris la peine de dégager votre emploi du temps chargé pour venir nous rencontrer aujourd'hui. Je dois dire que vous avez établi votre bonne foi comme auteur aujourd'hui. Vous ne manquerez jamais de travail. Je ne serais jamais capable de me payer les services d'un rédacteur de discours, mais si jamais je l'étais, je vous engagerais tout de suite. Vous avez mis dans le mille.
Je présume que, lorsque vous parlez de la différence entre l'application de ce genre de crédit d'impôt à des œuvres américaines ou à d'autres films étrangers produits au Canada, d'une part, et les films canadiens, d'autre part, vous ne demandez pas que cette série de critères s'applique à des films américains.
M. Gross : Non. Je ne crois pas que cette série particulière de critères devrait s'appliquer à des films, point, mais si nous décidons de l'appliquer à des films canadiens, appliquons-la au moins à des films américains également. Il semble étrange qu'on décide de défavoriser les producteurs canadiens, mais qu'on laisse les producteurs américains libres de faire ce qu'ils ont fait jusqu'ici.
Je suppose que la disposition n'a pas été élargie de manière à inclure les crédits d'impôt accordés à des productions états-uniennes parce que c'est la seule chose qui incite les producteurs américains à venir produire au Canada actuellement. Ils ont disparu avec la parité du dollar. L'industrie connaît d'énormes difficultés. Le SNTC, un des syndicats des travailleurs en communication de Toronto, a vu le nombre de ses membres chuter de moitié presque au cours des six derniers mois. Le crédit d'impôt est extrêmement important, et toute incertitude l'entourant ferait certainement fuir les producteurs américains. En fait, j'estime que cela tuerait notre industrie.
Le sénateur Banks : Comme tous les Canadiens, nous connaissons très bien le genre de travail que vous faites. Il est clair à tous que vous ne réalisez pas des émissions, n'écrivez pas de scénarios, ne produisez pas d'émissions, que vous ne faites pas d'émission ou de cinéma comme tel qui contreviendrait à une interprétation raisonnable du libellé qui se trouve dans l'amendement en question.
Mise à part l'incertitude, pourquoi tout cela vous préoccupe tant? Vous n'êtes pas du genre à produire un film haineux, ni à faire une œuvre qui serait indûment violente ou dans laquelle la violence — je suis sûr qu'il y aura de la violence dans Passchendaele — serait gratuite, si je puis l'exprimer ainsi.
D'où vient votre préoccupation? Vous n'aurez aucune difficulté à réunir les fonds, n'est-ce pas?
M. Gross : Vous ne pouvez pas savoir à quel point il est difficile de réunir des fonds pour produire un film. Il a fallu beaucoup de temps pour trouver les fonds du dernier. Si l'amendement actuellement proposé était adopté, à mon avis, le financement serait encore plus difficile. Je ne suis pas du tout sûr que nous aurions pu le faire. Je suppose qu'à un certain niveau, on tentera de trouver des solutions, mais la chose dont l'industrie au sein de laquelle je travaille n'a certainement pas besoin, c'est qu'on rajoute à ces difficultés.
Ma préoccupation vient du fait qu'il existe déjà suffisamment d'entraves à la production d'un film qui est ouvert à l'interprétation subjective, en somme que le processus est déjà assez compliqué comme cela. Quand on demande une subvention à Téléfilm Canada, cet organisme se préoccupe beaucoup de divers éléments comme celui-là, y compris de ce qu'on pourrait qualifier d'ordre public. C'est un facteur dans sa décision de subventionner. S'il faut que je me préoccupe des exigences d'un autre organisme à ce titre, toute entreprise deviendra incroyablement difficile.
On ne peut prédire ce qui choquera quelqu'un. Un petit détail au sujet de Passchendaele en passant, c'est qu'il faut passer par l'office qui classe les films, l'ancien office ontarien de la censure. Fort sagement à mon avis, il ne fait qu'attribuer des cotes actuellement, ce qui est censé aider les parents à décider si leurs enfants peuvent regarder le film.
Durant la première réunion que nous avons eue avec la dame de l'office de classement, elle souhaitait accorder au film la cote 18A, ce qui signifie que la personne de moins de 18 ans doit être accompagnée d'un adulte pour voir le film. Cela nous pose un gros problème parce qu'une des principales raisons d'être du film est d'attirer les jeunes; nous avons en marche une énorme initiative éducative en vue d'intéresser les élèves du secondaire à notre histoire. Le classement se fait en fonction de trois critères, tous des éléments de pénétration. Ce n'est pas ce que vous croyez, sénateur. Mais il y a effectivement...
Le sénateur Tkachuk : Pourquoi me visez-vous en particulier?
M. Gross : Vous êtes celui, selon moi, qui s'inquiète le plus de cette question.
Il y a dans le film trois images de pénétration : l'une illustre une main qui plonge dans un crâne endommagé durant une bataille; sur une autre, on voit une baïonnette qui pénètre le front d'un garçon durant une autre bataille; et enfin, la troisième est l'image d'une seringue qui pénètre dans la cuisse d'une femme en train de s'administrer de la morphine. Je peux comprendre la partie qui concerne la violence parce que nous sommes tous en quelque sorte habitués à ce phénomène et que nous pourrions l'atténuer quelque peu, mais le film porte sur la guerre, et ce n'est pas un sujet plaisant. La dame de l'office a accidentellement laissé échapper que l'office avait accordé une cote 14A au film Il faut sauver le soldat Ryan, un film aussi violent que le mien, de sorte que je croyais que nous pourrions nous en servir pour justifier la cote, mais c'est la pénétration de l'aiguille dans la cuisse qui m'a complètement abasourdi. Je lui en ai demandé la raison. Elle m'a dit qu'il n'y aurait pas de problème si l'on voyait la seringue plonger, puis qu'on passait à son visage qui se détendait à mesure que la drogue faisait effet. Les spectateurs ne sont pas stupides. Ils sont capables de faire le lien. Ils ne se demanderont pas pourquoi la dame semble si détendue. Ils se diront que cela a quelque chose à voir avec la seringue. Elle nous a répondu que la raison était qu'on ne souhaitait pas montrer aux enfants comment s'administrer des drogues. Je n'aurais jamais pu prévoir cela. Je vous donne cet exemple pour illustrer que je ne peux pas prédire ce qu'un comité, dont j'ignore tout de la composition, pourrait juger contraire à l'ordre public. Je n'ai en réalité aucune idée de la façon dont on s'y prend en fait.
À long terme, j'adorerais que notre industrie ne soit pas liée aussi étroitement au marché en termes de décisions, parce que je crois que ses membres sont plutôt astucieux. Quand quelque chose leur déplaît, ils ne le font tout simplement pas.
Le sénateur Banks : Il va falloir faire visionner à cette femme les films de formation montrés aux jeunes enfants diabétiques pour leur apprendre comment s'injecter de l'insuline.
M. Gross : Ils seront interdits.
Le sénateur Banks : Voilà un exemple parfait de la nature subjective des films et de la façon dont cet amendement, s'il était adopté, remettrait en question leur admissibilité à des crédits d'impôt.
Vous avez mentionné le crédit d'impôt alloué au film Passchendaele, qui, je le présume, est un film de plusieurs millions de dollars.
M. Gross : De 20 millions de dollars environ.
Le sénateur Banks : Le million et demi de dollars, à quelques cents près, en représente 7,5 p. 100. Après avoir réuni quelque 18,5 millions de dollars d'autres sources, auriez-vous de la difficulté à faire un petit effort de plus et à trouver le million et demi de dollars qui manque si vous n'avez pas le crédit d'impôt?
M. Gross : Oui, mais l'important, ce sont les fonds de démarrage. L'argent de Téléfilm est versé très tard. Nous avons une société en commandite qui compte des investissements privés et dont en réalité les comptes sont fermés très tard. Nous n'avions pas les fonds requis quand nous avons entamé la préproduction, mais nous avions ces fonds. Nous les avons déposés à la banque, et la banque me donne l'argent nécessaire pour engager des travailleurs afin d'amorcer le processus. Si je n'ai pas cet argent au départ, je ne peux rien faire.
Le sénateur Meighen : Monsieur Gross, soyez le bienvenu. Je vous remercie de la franchise et de la grande sensibilité de votre témoignage. Je suppose que cet excellent mémoire que vous avez présenté est la raison pour laquelle je ne vous ai pas vu à l'ouverture du festival de Stratford, lundi soir.
M. Gross : C'est juste.
Le sénateur Meighen : J'ai été frappé par vos propos lorsque vous nous avez affirmé que vous ne pouviez pas expliquer la raison pour laquelle la disposition n'a pas été relevée. À dire vrai, nous avons tous été démontés. Voilà une industrie qui a de la difficulté à réunir des capitaux, de sorte que je croyais que la moindre anicroche ou apparence d'anicroche ferait monter tout le monde sur leurs grands chevaux. Je ne tiens pas à y revenir sans merci et inutilement, mais j'aimerais maintenant que nous abordions le domaine provincial.
Vous avez mentionné que Passchendaele a reçu 1,5 million de dollars en crédits d'impôt. Quelle proportion de ces crédits viendrait de la province, s'il y en a ?
M. Gross : Je suis en réalité un producteur théorique, de sorte que je ne puis vous citer les pourcentages réels. Le crédit d'impôt fédéral dans le cas de Passchendaele représente un million de dollars environ, mais nous avons fait le tournage en Alberta, qui n'offre de crédits d'impôt. De plus, Ralph m'a donné beaucoup d'argent de sorte que nous n'avions pas vraiment besoin de crédits d'impôt.
Le sénateur Meighen : Nous allons finir par savoir de quel « Ralph » il s'agit.
La Colombie-Britannique, la Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve et l'Île-du-Prince-Édouard appliquent toutes cette disposition qui nous préoccupe, soit le critère du « contraire à l'ordre public ». Elle n'a jamais semblé poser problème. Ensuite, au Québec, où j'avais cru que l'industrie cinématographique aurait été peut-être la plus militante, dans tous les sens du terme, le gouvernement provincial ne vous accordera pas de crédit d'impôt si vous faites un film qui va à l'encontre de la politique gouvernementale. Excusez-moi? Contre la politique gouvernementale? S'il vous plaît ! Si ce n'est pas là comme le rouge pour les taureaux, je me demande bien ce que c'est. Pourtant, nul n'a pipé mot.
La proposition, telle que je la comprends, est d'ajouter ce critère à une loi plutôt qu'à un règlement fédéral. Dans les provinces, on m'avise que le critère du « contraire à l'ordre public » fait partie de la réglementation. Et si quelqu'un décidait d'oublier l'idée de l'insérer dans la loi, mais de le maintenir dans la réglementation au niveau fédéral, alors les règles du jeu seraient identiques partout. Les règles seraient peut-être inacceptables, mais elles seraient identiques.
Quelle est votre réaction à une pareille idée, étant donné le manque de réaction dans les provinces?
M. Gross : Je n'en suis pas sûr. Il faudrait que j'y réfléchisse. Je répète que je trouve étrange qu'on ne l'ait pas remarqué, mais il semble également particulièrement étrange qu'aucun membre de l'opposition à la Chambre ne l'ait remarqué. Le projet de loi est épais; je n'en n'étais pas conscient. C'est une expression plutôt courte. Elle est passé inaperçue.
Le sénateur Tkachuk : C'est une loi fiscale.
Le sénateur Meighen : Il y a quelques dispositions dans le projet de loi qui ont suscité des préoccupations.
M. Gross : J'ignore quel mécanisme ferait du sens de tout cela. J'aimerais qu'on retire de tout mécanisme envisagé le caractère vague, la subjectivité et le fait que c'est sujet à l'interprétation. Ces trois éléments peuvent ouvrir la porte à une censure que nous ne voyons peut-être pas encore, mais qui pourrait facilement s'installer, et je crois que nous devons prendre bien garde d'ouvrir la porte à une pareille éventualité. Il ne me semble pas correct d'habiliter un inconnu à exercer ce genre de contrôle sur notre production culturelle.
Le sénateur Meighen : Je ne le dis pas du tout comme s'il s'agissait d'une évidence, mais on a déjà mentionné que tout cela était né, en bonne partie, de la peur qu'il y ait un film — et vous y avez fait allusion — sur Bernardo. En tant que producteur de films et acteur, et cetera, estimez-vous qu'un tel film, qui aurait pu s'avérer aussi choquant que beaucoup de gens le craignaient, aurait pu être réalisé, et aurait été réalisé dans ce pays, compte tenu de ce que vous avez dit au sujet du financement?
M. Gross : Vous me demandez s'il aurait pu être fait, ou s'il aurait dû être fait?
Le sénateur Meighen : Je ne veux pas parler de l'aspect matériel. Vous avez mentionné la difficulté d'obtenir du financement. Pensez-vous que beaucoup de gens se bousculeraient pour financer un film traitant de Bernardo et de ce qu'il a fait?
M. Gross : Cela dépend du type de film qu'on aurait choisi de faire à propos de cet incident. S'il est réalisé à des fins d'exploitation, on ne sait jamais. Il y a beaucoup d'hurluberlus. Personne dans ce pays n'investirait dans quelque chose comme cela, non. Je serais surpris que Téléfilm Canada veuille le faire. J'ignore si l'organisme envisageait d'agir en ce sens, ou s'il l'a fait.
Le cas Bernardo est cependant intéressant. Lorsque j'ai entendu parler de quelqu'un qui envisageait d'en faire quelque chose, je me rappelle avoir pensé que nous n'en avions pas besoin; que c'était dégoûtant. Toutefois, nous faisons des films sur de nombreux sujets, et beaucoup d'entre eux ne sont pas spécialement plaisants. Jack l'éventreur n'est pas particulièrement un chic type, mais nous avons fait des films sur lui. C'en est au point où maintenant, parmi le matraquage de films américains, les films de meurtres en série constituent un genre en soi. Les choses changent. Par exemple, il y a la série sur Hannibal Lecter, Le silence des agneaux. Ces tendances sont partie intégrante de la discussion qui nous occupe.
Tandis que je réfléchissais au sujet de Paul Bernardo, j'ai fini par me dire que le problème, c'est qu'il s'agit d'un sujet légitime. C'est une histoire qui s'est produite dans notre société. Est-ce que je veux faire un film là-dessus? Non. Est-ce que je veux aller voir un film là-dessus? Pas particulièrement. Toutefois, si quelqu'un a un argument convaincant pour faire un tel film, je ne crois pas qu'il revient à un comité dont nous ne savons rien, et qui est assujetti à des lignes directrices trop éphémères, d'en préjuger.
Le sénateur Massicotte : Vous avez répondu à l'aspect « pourrait » de la question — en disant je ne crois pas, peut- être pas — mais supposons que quelqu'un ait effectivement produit ce film. La question pertinente serait alors : devrait-il obtenir quand même des crédits? Disons qu'il a été produit. Serait-il admissible à l'octroi de deniers publics? Devrait-il obtenir des crédits d'impôt?
M. Gross : S'il ne va pas à l'encontre du Code criminel, n'est pas de nature pornographique ni empreint de haine, et ne contrevient pas à la loi, oui. Malheureusement, oui. Je préférerais que nous ne fassions pas ce genre de films, mais nous ne pouvons mettre sur pied un système où nous bloquerions des films de ce type tout en bloquant bien d'autres choses par accident.
Le sénateur Fox : Si c'est produit par un américain, il n'y a pas de problème.
M. Gross : Oui, c'est ce que nous ferions, dans ce cas. Nous trouverions un producteur américain, l'attirerions ici, et il pourrait obtenir ses crédits d'impôt.
Le sénateur Meighen : Je souhaite recommander à M. Gross, puisqu'il est un nationaliste canadien, comme je crois l'être moi-même, de regarder CPAC plutôt que C-SPAN. C-SPAN est la production américaine.
M. Gross : Je n'ai pas cité le bon. C'est l'influence de la culture américaine.
Le président : En tant qu'acteurs et spectateurs de ces délibérations, que diriez-vous d'un film qui s'intitulerait « Second examen objectif »? C'est une idée fantastique.
Le sénateur Massicotte : Ce serait diffusé à CPAC.
Le sénateur Goldstein : Il faudrait la surveillance d'un adulte et avoir plus de 18 ans pour regarder ce film.
Merci, monsieur Gross, d'avoir pris le temps de venir nous aider à traiter ces questions malgré votre carrière très importante.
Beaucoup de vos collègues ont laissé entendre que le moyen de remédier à ce problème serait de limiter strictement la décision que prendra le ministre au sujet qui contrevient au Code criminel. Seriez-vous d'accord avec cette affirmation?
M. Gross : Oui. J'estime que c'est la seule manière raisonnable de procéder qui pourrait au moins éliminer du processus cette incertitude et cette subjectivité qui sont si inquiétantes.
Le sénateur Goldstein : Il y a quelques mois, nous avons entendu des témoignages selon lesquels l'inquiétude concernant ce dossier n'était pas unanime au sein de l'industrie. Or, nous n'avons entendu personne de l'industrie qui n'ait aucune crainte à ce sujet. Connaissez-vous quelqu'un du milieu dont ce serait le cas?
M. Gross : Non, je ne connais personne dans l'industrie qui ne soit pas fortement préoccupé par cette question. Puis- je vous demander qui a fait cette déclaration?
Le sénateur Goldstein : C'était un ministre.
M. Gross : Eh bien non; je suis navré. Tout le monde que je connais dans l'industrie est inquiet, et il y a une activité constante d'échange de courriels, de lettres et de choses qu'on fait parvenir — que faire? Cela pourrait vraiment être un gros problème pour nous.
Le sénateur Eyton : Monsieur Gross, nous parlons de quatre petits mots.
M. Gross : Oui.
Le sénateur Eyton : J'y songeais tandis que nous discutions aujourd'hui; ces quatre petits mots ont engendré un débat qui représente maintenant, j'en suis certain, une dizaine de millions de mots, et cela augmente. Je crois connaître les problèmes et pouvoir les comprendre, et ce que nous devrions rechercher maintenant, c'est une sorte de résolution.
Au cours de vos remarques, vous avez parlé de filtres, le premier étant les producteurs et les artistes eux-mêmes. Vous avez déclaré que nous pouvions leur faire confiance et que, d'après votre expérience, ils étaient fiables et pourraient agir en tant que filtres rationnels et naturels dès le départ. Le deuxième filtre que vous avez mentionné était le Code criminel et, en somme, vous avez dit qu'à tout le moins, il s'agissait d'une norme fixe que tout le monde pouvait comprendre. Votre préoccupation était réellement liée au flou entourant la question. Le troisième filtre que vous avez cité était le marché; mais dans un sens, nous devons laisser cette dimension de côté, car le marché vient plus tard, après coup. Nous devons donc revenir aux deux premiers filtres, à savoir les producteurs et les artistes, auxquels vous faites confiance, et le Code criminel, qui n'est pas flou mais constitue une norme précise.
Il me paraît au moins possible qu'il y ait une autre norme qui aille dans le sens de votre exigence, la vôtre et celle de votre milieu, quant à une norme exacte. La ministre du Patrimoine a comparu ici il y a quelques semaines — ou peut- être quelques mois, maintenant, car il semble que cette étude s'éternise — et elle a avancé qu'afin de tenter de résoudre cette impasse et de mettre fin au débat concernant cette disposition, elle serait prête à accorder un délai de 12 mois. Il s'agirait simplement de mettre cela de côté, de continuer comme avant et, entre-temps, elle rencontrerait les représentants de l'industrie et mettrait au point une norme différente. Je ne saurais dire s'il s'agirait d'une norme plus élevée, moins élevée ou améliorée, mais ce serait en tout cas une norme qui ne s'arrêterait pas forcément au Code criminel. Je pense que la logique derrière tout cela, c'est que la norme du Code criminel est nécessairement assez faible.
La question est celle-ci : est-il possible de définir quelque chose d'exact, qui ne soit pas flou et qui établisse une norme différente du Code criminel? Croyez-vous que ce genre d'exercice vaudrait la peine, et pourrait donner lieu à une norme précise qui répondrait à votre exigence et serait acceptable pour l'industrie?
M. Gross : Je ne sais pas exactement comment répondre à cette question. Je suppose qu'en théorie, il est possible d'en arriver à un genre de norme acceptable et de la mettre sur papier, mais j'ignore en quoi elle consisterait, et qui lui donnerait forme. Ce serait certainement mieux que d'adopter ce projet de loi, mais je préférerais que nous ne créions pas cette norme et que nous utilisions le Code criminel comme garde-fou. Il nous a très bien servis.
Nous avons tourné, au fil de nombreuses années et de nombreuses heures de télévision et de production cinématographique, très peu d'œuvres qui, selon moi, amèneraient la plupart des gens à se précipiter hors d'une salle avec horreur. La majorité de notre production ne pose pas de problème. Je présume que c'est ce film présenté au festival des films de Toronto de l'année dernière — ou du moins, cela semble être le cas — qui est à l'origine de cette hâte à faire adopter une mesure là-dessus — et je veux parler de « Young People... » le reste du titre est censuré.
Je peux vous dire que je suis convaincu que ces types trouvaient ce titre astucieux et se disaient « Parfait, quelqu'un remarquera le film ». Je ne pense pas qu'ils aient été conscients d'avoir pratiquement mis l'industrie à genoux. On se sent un peu bizarre aujourd'hui.
Le président : Voilà un autre commentaire pénétrant.
M. Gross : On a l'esprit assez mal tourné, n'est-ce pas?
D'après ce que j'ai compris, on a organisé une projection ici, et vous avez regardé le film. Personnellement, je ne l'ai pas vu, mais on m'a dit qu'il était relativement inoffensif comparativement à la majorité de ce qui circule. La question devient vraiment celle-ci : qui fait cela?
Ce qui est insensé, c'est que nous ayons cette discussion alors que mes enfants peuvent ouvrir Internet et y voir n'importe quoi. Il n'y a rien que quiconque, dans n'importe quel gouvernement au monde, puisse faire à cet égard. Donc, d'où ces normes proviendront-elles, et qui les mettra par écrit?
J'ai bien du mal à concevoir d'où nous tirerons la sagesse voulue pour établir un système de mesure à cet égard. J'imagine qu'il n'est pas entièrement hors des limites du possible de mettre en vigueur de telles lignes directrices qui seraient acceptables, mais il me paraît extraordinairement difficile d'imaginer en quoi elles pourraient consister.
Le sénateur Eyton : J'aurais cru qu'en 12 mois, et avec les bonnes personnes, vous auriez pu faire pratiquement n'importe quoi.
M. Gross : Le hic, c'est justement la question des bonnes personnes.
Le sénateur Eyton : L'offre a été faite à l'industrie en général.
Le sénateur Moore : Merci, monsieur Gross, de votre présence ici et de votre contribution à l'industrie cinématographique canadienne.
Tout à l'heure, quelqu'un a parlé de la situation d'hier à aujourd'hui. Je ne comprends pas pourquoi c'est un aussi grand problème. Il y a un petit paragraphe, ici, que je vous lirai, et que je vous demanderais ensuite de commenter.
Il s'agit du paragraphe 120(12) de ce projet de loi, qui se trouve à la page 350. On n'a pas abordé la question aujourd'hui, mais c'est très important. Vous n'aurez pas à le noter; je vais vous le lire lentement.
Cette disposition va ainsi :
Le ministre du Patrimoine canadien publie des lignes directrices sur les circonstances dans lesquelles les conditions énoncées aux alinéas a) et b) de la définition de « certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne « au paragraphe (1) sont remplies.
Voici le passage clé :
Il est entendu que ces lignes directrices ne sont pas des textes réglementaires au sens de la Loi sur les textes réglementaires.
Cela signifie que ces lignes directrices ne peuvent faire l'objet d'un examen par le Comité mixte d'examen de la réglementation, ni par la Chambre des communes, ni par le Sénat du Canada. Elles peuvent être modifiées et éliminées sans qu'on le sache.
Quelle est votre opinion là-dessus?
M. Gross : C'est une autre chose que j'ignorais, et je trouve cela terrible. C'est alarmant. Cette disposition ne devrait pas être là.
Le sénateur Moore : Merci.
M. Gross : Il y a une chose qui m'a frappé, car elle est étonnante, compte tenu de la nature de cet échange que nous avons. On a fait une remarque en opposition à un problème semblable, remarque qui pourrait s'appliquer au projet de loi C-10 et aux problèmes qu'il nous pose.
Il s'agit d'une déclaration d'une personne qui s'est opposée au forum arabe de radiotélévision, à Abu Dhabi, où l'on tentait de mettre au point une charte des médias pour contrôler la télévision.
...la formulation est trop vague, et accorde aux gouvernements la permission de mettre fin à des programmes à leur guise parce que certaines dispositions le permettent si une diffusion menace de nuire à l'harmonie sociale, à l'unité nationale ou aux valeurs traditionnelles.
Je trouve bizarre que nous ayons ici une conversation semblable à celle qu'on a dans une région du monde qui n'est pas particulièrement reconnue pour son adhésion à la liberté d'expression.
Lorsque nous remanions ces règles, elles deviennent problématiques. Si elles sont livrées à la subjectivité, elles poseront problème. Et si on les soumet aux caprices d'une très mauvaise nomination au Cabinet, cela me semble de la folie.
Nous nous sommes retrouvés avec un régime comme celui-ci parce que nous avons vécu beaucoup de situations ridicules lorsqu'il a été question de contrôler et de mettre en œuvre un critère qui aurait pu être qualifié d'équivalent à celui de « contraire à l'ordre public » dans le passé. Nous nous sommes retrouvés avec toutes sortes de choses farfelues. À mon avis, c'est pour cela que la société a fini par l'abandonner; on a dit qu'on laisserait le public en décider, tant que cela ne causait pas de préjudice au corps politique, et qu'on laisserait la population se faire sa propre opinion.
Le sénateur Fox : Merci, monsieur Gross, d'être parmi nous. Votre témoignage était des plus intéressants.
Premièrement, il y a certains éléments dont nous ne parlons pas. Nous passons sous silence la pornographie, car elle est déjà exclue aux termes du règlement concernant le crédit d'impôt. Par conséquent, laissons cela de côté pour le moment.
Le sénateur Tkachuk et moi ne sommes pas sur la même longueur d'ondes là-dessus. J'appartiens davantage à l'école de pensée du sénateur Johnson. C'est la première fois que cette loi est présentée devant un comité parlementaire de quelque sorte que ce soit. Ce n'est pas en vigueur en ce moment. C'est une nouvelle loi, et c'est pour cela que nous sommes ici aujourd'hui. Si ce n'était pas nouveau, nous n'en parlerions pas. Donc, tenez-le pour acquis : c'est un nouveau projet de loi.
Auparavant, le système de crédit d'impôt avait toujours reposé sur des critères objectifs. Par exemple, vous êtes Canadien; vos scénaristes sont Canadiens; vous n'êtes pas une émission de téléréalité; ni un jeu télévisé. Vous êtes un film de fiction, et cetera.
Ce qui me préoccupe, c'est que la ministre nous arrive en disant que certains films qui ne sont pas pornographiques et ne contreviennent pas au Code criminel ne devraient pas recevoir de crédit d'impôt. À mes yeux, le Code criminel est une norme objective. Il est là, et on en connaît le contenu. Les juges sont habitués de l'interpréter.
Je me demandais comment vous aviez réagi. J'aimerais connaître votre opinion là-dessus.
M. Gross : Je pense que le problème nous ramène à déterminer au moyen de quel système de mesure cette décision sera prise, et qui la prendra.
Le sénateur Fox : Le sénateur Moore l'a expliqué. Elle sera prise en vertu des lignes directrices émises par la ministre et interprétées par un groupe de personnes réunies par cette dernière.
M. Gross : Mais, comme je l'ai dit dans mes remarques, où ira-t-on chercher ces gens? D'où viennent-ils pour connaître si profondément la nature de la politique publique?
Le sénateur Eyton : Tout l'exercice consiste à examiner ce qui est proposé et à déterminer quel changement peut être apporté.
Le sénateur Fox : Nous vivons dans une société libre et démocratique. Normalement, on ne porte pas atteinte aux droits des individus en mettant en œuvre une loi dont on ignore comment elle fonctionnera. On retire son projet loi, et on le soumet à des observations.
M. Gross : C'est ce que je préconiserais. Comme je l'ai dit dans mes remarques, ne le faisons pas tout de suite. Si le gouvernement est intéressé à exercer ce type de contrôle sur la distribution des fonds de Sa Majesté, qu'il rédige un projet de loi et laisse tout le monde dire ce qu'il en pense. S'il gagne, très bien. S'il échoue, nous déterminerons quoi faire à ce sujet. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas une bonne manière de procéder en ce qui concerne une chose si fondamentalement importante.
Le sénateur Massicotte : Vous connaissez évidemment très bien l'industrie, comparativement à bon nombre d'entre nous. Y a-t-il d'autres pays dans le monde où les crédits d'impôt sont rattachés à une certaine mesure qualitative relativement au genre de film, ou quelque chose du genre?
M. Gross : Peut-être au Myanmar ou en Chine. Je ne sais pas. Je dis cela sous toute réserve. Honnêtement, je n'ai pas la réponse à cette question.
Le sénateur Massicotte : J'aimerais ajouter aux commentaires du sénateur Banks que votre présentation est magistrale et le choix des mots pertinent. Vous devriez être acteur.
Le président : Il préfère être narrateur dans une série sur le hockey.
Le sénateur Johnson : Je suis d'accord avec tous mes collègues que M. Gross a fait un excellent exposé. Il a abordé presque tous les points dont nous avons discuté ces dernières semaines.
Moi aussi, je veux revenir sur l'expression « contraire à l'ordre public ». Je ne travaille pas dans l'industrie, je ne suis pas actrice. J'ai produit un festival de films durant huit ans. J'ai eu accès, entres autres, à tous les films, courts métrages et documentaires qui sont sortis au Canada. Par conséquent, je suis très sensible à ces mots.
Je sais que les gens doivent faire des pieds et des mains pour obtenir du financement. Dans ma province, on a augmenté les crédits d'impôt pour les productions américaines. On a récemment adopté un nouveau budget pour le faire. Cela peut s'appliquer à toutes les productions. Toutefois, si vous êtes Canadien, vous devez passer par les autres étapes, y compris celle de Téléfilm Canada. Nous travaillons avec cet organisme dans le cadre de notre festival de films, et les règles sont très strictes.
Le président : Sénateur, j'ai dit que vous aviez le champ libre, mais vous ne pouvez témoigner. Par contre, vous pouvez poser autant de questions que vous le voulez.
Le sénateur Johnson : Je suis avec 12 hommes en colère et il faut toujours que je leur rafraîchisse la mémoire.
Cela me dérange beaucoup que mon collègue et ami qui parraine le projet de loi ait parlé du fait que la ministre avait dit qu'elle donnait un an pour mener des consultations. Je sais que la ministre veut prendre les bonnes décisions. Toutefois, comment pouvez-vous proposer d'adopter un projet de loi tout en continuant de mener des consultations? C'est impossible. Je crois que l'idéal, pour M. Gross, serait qu'il y ait une nouvelle mesure législative qui pourrait faire l'objet d'un débat. Est-ce que je me trompe?
M. Gross : Je pense que si le gouvernement est convaincu que certaines mesures de contrôle doivent être mises en œuvre pour l'attribution de fonds publics, il devrait présenter un projet de loi en conséquence, au lieu d'agir de cette manière sur un sujet aussi important.
Il ne s'agit que de quatre petits mots, mais ils suscitent manifestement de vives réactions. Selon moi, nous devrions reculer, revenir avec ce que nous pensons être correct et le défendre davantage dans un contexte public.
Le sénateur Johnson : Monsieur le président, sachez que je pense que nous, parlementaires, avons un devoir à accomplir. C'est là que le Sénat a un rôle très important à jouer. Nous nous sommes penchés sur cette question, contrairement à l'autre Chambre.
C'est une autre fenêtre qui s'ouvre sur le monde des arts. Cela montre à tous que nous pouvons vraiment faire quelque chose pour les arts au Canada. Je crois que nous devons continuer à insister sur ce point.
Il y a des gens comme M. Gross qui font des films. Notre objectif n'est-il pas de créer la meilleure industrie possible?
Aucune ne peut survivre sans l'argent du gouvernement, ici comme ailleurs, n'est-ce pas?
M. Gross : Effectivement. C'est partout pareil.
Le sénateur Johnson : Qu'arriverait-il si les subventions de Téléfilm Canada et du gouvernement disparaissaient?
M. Gross : Nous avons besoin de l'argent du gouvernement pour susciter l'intérêt du secteur privé. Je dois dire, également, que le secteur privé n'a jamais vraiment beaucoup financé les films canadiens.
Ce que j'essaie de faire est nouveau. Nous avons réussi à ramener le secteur privé dans l'industrie cinématographique avec le film Passchendaele.
Les entreprises et le secteur privé investissent environ 8 ou 9 millions de dollars. Toutefois, ils ne se seraient jamais engagés si je ne les avais pas assurés que nous avions la participation des deux ordres de gouvernement.
C'est fantastique de voir les capitaux de démarrage investis. Pour Ralph Klein, en Alberta, c'était 5,5 millions de dollars pour être à la mesure de la participation attendue du gouvernement fédéral, et nous avons dépensé presque 16 millions de dollars dans la province.
Il y a très peu d'initiatives dans lesquelles un gouvernement peut investir qui génèrent autant d'emplois à des salaires et des niveaux de compétences aussi élevés que l'industrie du film et de la télévision.
Le sénateur Harb : Et les impôts.
M. Gross : Nous avons besoin de cette industrie. Pourtant, je crois parfois que nous commençons à nous interroger sur sa pertinence; nous avons beaucoup d'émissions à la télévision. Mais ce ne sont pas les nôtres. Dans un monde de plus en plus ouvert et sans frontières, je ne sais pas par quel moyen nous définir. D'une certaine façon, c'est par cette industrie que nous nous définissons.
Si vous êtes dans un bar, à Zagreb, et qu'une personne vous demande de lui parler du Canada, vous ne lui dites pas : « Nous avons une nouvelle entente commerciale formidable avec la Colombie ». Vous lui parlez de Margaret Atwood, par exemple.
Nous devons penser à protéger notre industrie. Elle est très fragile en ce moment. J'aimerais être en train de vous parler de quelque chose qui nous aurait permis d'avancer, mais nous avons plutôt régressé, ces dernières années, et l'industrie se porte vraiment mal. Et la modification proposée ne fera que rendre les choses encore plus difficiles.
Encore une fois, je ne remets aucunement en question le droit du gouvernement ou sa responsabilité d'exercer une certaine forme de contrôle, et de soumettre cela à un débat public. Je suis heureux d'aller rencontrer les gens et de dire que c'est une mauvaise idée, et qu'eux me disent qu'au contraire, elle est bonne; nous allons régler la question au moyen d'un processus démocratique normal. C'est singulier. Cela nous a échappé. Nous sommes peut-être lents à réagir, et je suis désolé que nous ne nous en soyons pas occupés plus tôt, mais nous l'avons fait, et nous disons que ce n'est pas la bonne méthode.
Le sénateur Fox : Cette idée d'un débat public sur la question philosophique est intéressante. Nous avons parlé de l'industrie cinématographique ce soir, mais si le fait d'accorder du financement à cette industrie confère au gouvernement le droit — en plus de celui qu'il a déjà pour les films pornographiques et les infractions au Code criminel — d'examiner le contenu d'un film pour déterminer s'il est acceptable, cela ne signifie-t-il pas, pour les fonds versés au Conseil des arts du Canada, que le gouvernement devrait avoir un droit de regard sur ce que font les créateurs dans ce pays? Le principe lui-même ne vous dérange-t-il pas?
M. Gross : Oui, je crois qu'il convient de s'interroger sur le principe même de soutien conditionnel. Il me semble que c'est très important. Je suis heureux que vous ayez soulevé ce point. L'une des raisons pour lesquelles il serait préférable de débattre de cette question publiquement, c'est qu'elle a d'énormes répercussions, notamment sur la façon dont nous percevons notre contribution au trésor public par nos impôts. Je ne suis pas malade ni hospitalisé, mais je suis heureux de payer pour ces services. Je n'emprunte pas les routes du Yukon, mais je suis content que les impôts que je paie servent à assurer leur entretien.
Nous n'allons pas commencer à instaurer un système à la carte dans lequel nous pourrions choisir. Soutenir la culture, c'est aussi essentiel à la santé et à la cohésion d'un pays que tout autre chose. On ne peut pas accepter qu'une partie de la société dise : « Je n'aime pas cela » et refuse d'y participer, de la même façon que je ne pourrais pas dire : « Comme je ne conduis pas sur les routes du Yukon, cela ne m'intéresse pas ».
Le président : Sénateurs, avez-vous épuisé vos questions?
Monsieur Gross, votre exposé était très réfléchi. De toute évidence, c'est un sujet qui vous passionne, et vous n'êtes pas venu témoigner sans préparation. Nous vous en sommes très reconnaissants. J'espère que vous trouverez que nous accordons assez d'importance à cette question.
M. Gross : C'était parfait. Je vous remercie beaucoup.
Le président : Au nom de tous les membres du comité, je tiens à vous remercier d'être venu.
M. Gross : Merci à vous.
La séance est levée.