Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 21 - Témoignages du 4 juin 2008
OTTAWA, le mercredi 4 juin 2008
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, notamment en ce qui concerne les entités de placement étrangères et les fiducies non-résidentes ainsi que l'expression bijuridique de certaines dispositions de cette loi, et des lois connexes, se réunit aujourd'hui à 16 h 6 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, bonjour. Je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je m'appelle David Angus. Je suis le président du comité et je suis originaire du Québec. Parmi les sénateurs ici présents aujourd'hui, je vous présente le sénateur Goldstein, vice-président, qui vient du Québec; le sénateur Fox, qui vient du Québec; le sénateur Meighen, qui vient de l'Ontario; le sénateur Tkachuk, qui représente la Saskatchewan; le sénateur Eyton, qui vient de l'Ontario; le sénateur Harb de l'Ontario; le sénateur Ringuette, qui représente le Nouveau-Brunswick; le sénateur Massicotte, qui vient du Québec et le sénateur Jaffer, qui représente la Colombie-Britannique.
Nous sommes sur le réseau de la CPAC, et l'on peut suivre nos délibérations dans le monde entier par diffusion Web. Bonjour à tous. Nous sommes convoqués ici aujourd'hui pour continuer notre étude du projet de loi C-10, qui n'a plus besoin de description.
Le sénateur Tkachuk : Monsieur Ruby, j'aimerais revenir à l'argument que j'essayais de faire valoir la semaine dernière. Je crains qu'on retarde encore l'adoption de ce projet de loi. J'ai mes doutes sur le processus, en particulier celui que suit l'industrie cinématographique. Comme vous et bien d'autres personnes le savez, les gens de l'industrie ont semblé s'ouvrir les yeux sur ce problème seulement quand les conservateurs ont commencé à administrer le projet de loi, même si les lignes directrices sur le crédit d'impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique sont claires et qu'elles se trouvent à la page 80.
On mentionne les considérations d'intérêt public, mais le monsieur le président, on accuse notre gouvernement d'avoir des plans cachés, comme nous l'avons tous entendu. Notre gouvernement se fait accuser de créer un « régime de censure », pour reprendre les mots de l'un des témoins, et nous avons même entendu un prête, des groupes religieux de divers témoins de l'Ouest du Canada.
Vous voudrez bien m'excuser, mais je vais me fâcher un peu. Il y a une industrie cinématographique dynamique dans l'Ouest du Canada. Même M. Gross a affirmé avoir reçu du financement exceptionnel du gouvernement conservateur en Alberta.
Je ne suis pas d'accord que ce projet de loi va causer de la censure ou de l'autocensure, et le fait est que les opposants au projet de loi défendent leurs intérêts et non la liberté d'expression. Ils affirment que ce projet de loi cause de l'incertitude. C'est sur quoi ils fondent leur argument; il serait mauvais pour les affaires et mauvais pour l'obtention de financement ou d'appui financier.
Nous risquons de partir la semaine prochaine.
Le président : Nous dites-vous que le Parlement pourrait proroger?
Le sénateur Tkachuk : Je n'en suis pas certain. Personne n'est certain de ce genre de choses, et elles sont toujours un peu exceptionnelles. Quoi qu'il en soit, je siège au Parlement depuis 15 ans et j'ai l'impression — je ne suis pas le seul — que nous ne serons plus ici la semaine prochaine à moins que quelque chose de vraiment grave n'arrive.
Le cas échéant, ce projet de loi ne sera pas adopté. Il restera dans les limbes, ce qui créera énormément d'incertitude pour l'industrie dans l'Ouest du Canada et le reste du pays.
Le fait que nous ne procédions pas à l'étude article par article du projet de loi me pose beaucoup de problèmes. Le fait que l'opposition ne nous propose pas d'amendement et que ces séances soient toujours de plus en plus longues va causer de véritables problèmes à l'industrie cinématographique.
J'aimerais savoir quand le comité de direction va décider du jour où nous pourrons commencer l'étude article par article, surtout si nous pouvons l'adopter avant de partir et le faire adopter au Sénat avant l'été. C'est tout ce que j'ai à dire. Je voulais seulement défendre les intérêts des cinématographes de l'Ouest canadien, qui ne voudraient pas que ce projet de loi reste ici dans les limbes, j'en suis sûr.
Le président : Je veux être certain de bien comprendre ce que vous demandez. Supposons que nous commencions tout de suite l'étude article par article. Quelle différence cela ferait-il que nous la fassions cette semaine ou la semaine prochaine ou encore celle d'après, si comme vous le dites, nous serons tous partis?
Le sénateur Tkachuk : Si nous avions commencé l'étude article par article comme nous le voulions au début, nous l'aurions terminée. Comme nous ne l'avons pas fait, nous pourrions la faire demain après le départ des maires, examiner le projet de loi et les amendements envisagés par les libéraux. Nous pourrions au moins les examiner, voir si nous pouvons parvenir à une entente, renvoyer le projet de loi au Sénat, puis le renvoyer encore à la Chambre des communes pendant qu'elle siège toujours.
Le sénateur Harb : Le point que soulève mon collègue me semble tout à fait valide. Peut-être avons-nous assez entendu de représentants de l'industrie cinématographique. Certains disent que dans le milieu, on s'inquiète de l'effet du projet de loi sur les activités cinématographiques, tandis que d'autres prétendent que ce projet de loi va créer de l'autocensure et jeter un froid sur l'industrie.
Nous avons entendu des gens de différents secteurs de l'industrie, et je suis tout à fait d'accord que nous avons peut- être entendu assez de scénaristes, d'artistes et de réalisateurs. Cependant, il y a d'autres aspects importants dans ce projet de loi, comme les dispositions sur les fiducies non résidantes. De même, des porte-parole des Caisses Desjardins ont comparu devant le comité il n'y a pas si longtemps pour nous parler des incidences énormes qu'elles subiront si nous ne leur donnons pas de garanties ni que nous ne modifions le projet de loi.
Si vous vous rappelez bien, nous étions prêts à examiner ce projet de loi à l'automne. Quand nous avons demandé au ministère s'il y avait des questions controversées dans ce projet de loi qui devraient être portées à l'attention du comité, il nous a dit qu'il n'y en avait pas. Soudainement, la première bombe a explosé, on parlait de 900 millions de dollars, et elle nous est parvenue de l'organisation qui représente les fiducies et les fiducies non résidantes. Selon elle, ce sont 900 millions de dollars par année qui sont en jeu.
Nous avons ensuite entendu des représentants des caisses populaires nous signaler que ce projet de loi risquait de nous coûter des centaines de millions de dollars. Franchement, je ne sais pas qui d'autre ce projet de loi omnibus de 450 et quelques pages va toucher.
Je dirais à mes collègues que oui, quand nous aurons entendu tous les témoins pertinents sur les autres aspects du projet de loi, comme les fiducies non résidantes, de même que les préoccupations des caisses populaires et celles du ministère, il sera important que le comité de direction prenne le temps d'élaborer un plan de match sérieux. Le comité de direction devra déterminer comment procéder pour répondre aux besoins de nos électeurs. Je suis tout à fait d'accord avec mon collègue.
Le sénateur Ringuette : Tout ici est question de procédure. Nous recevons un témoin important aujourd'hui. L'histoire des dernières séances se répète, et il y a des questions que nous aurions dû régler différemment, mais j'aimerais maintenant entendre et interroger le témoin. Ainsi, nous pourrons faire avancer nos discussions sur ce projet de loi.
Si la question demeure — et j'aurais tendance à être d'accord avec le sénateur Harb —, c'est le comité de direction qui doit se prononcer en premier.
Le président : Avez-vous terminé? Voulez-vous répondre quelque chose?
Le sénateur Tkachuk : Nous avons une cause commune. Nous ne sommes pas d'accord, mais nous devrons avoir une bonne discussion très bientôt.
Le président : Permettez-moi de dire deux choses. Sénateur Ringuette, il y a peut-être des problèmes de procédure, mais il y a aussi certaines réalités. Je tiens à dire que j'ai convoqué une réunion du comité de direction à la fin avril, afin de déterminer quand nous ferions l'étude article par article de ce projet de loi. Je n'en suis qu'un membre parmi trois. Les deux autres ont voté contre moi, ils m'ont dit qu'il y avait encore 16 témoins à entendre. C'est là où les choses ont commencé à dérailler un peu. C'est la seule tribune où tout le monde peut savoir ce qui se passe. C'est pourquoi le problème est ressorti et nous en avons parlé abondamment en comité plénier. Nous avons un problème.
L'autre chose que je voulais dire, c'est que j'ai été très troublé, comme nous tous, je pense, la dernière fois où les gens de Desjardins ont comparu devant notre comité. J'ai lu toute la documentation et les dispositions pertinentes et reçu de l'information du ministère des Finances et du cabinet du ministre.
En fait, cela ne me semble pas constituer un problème. En ce qui concerne le Mouvement Desjardsin, nous avons une marge de manœuvre jusqu'en 2010. C'était prévu. L'affaire Thibault était en suspens et il y avait des questions. Dans sa forme actuelle, le projet de loi ne pose pas de problème pour le Mouvement Desjardins, dans la mesure où le gouvernement arrive à régler les affaires en suspens dans les délais prévus.
J'ai recommandé que tous les sénateurs concernés participent à une séance d'information. J'ai demandé à M. Ernewein et à ses collègues de se mettre à votre disposition en particulier, monsieur Fox, étant donné que vous avez fait part de vos inquiétudes à un ministre supérieur de la Couronne.
Nous sommes tous inquiets si effectivement, le problème se pose. Vous pourrez trancher une fois que vous aurez toute l'information.
Le sénateur Fox : Pourquoi les fonctionnaires ne reviendraient-ils pas nous en parler?
Le président : Je leur ai demandé de revenir, et ils reviendront jeudi. Tout cela pour dire que nous devrions tous être un peu prudents avant de sauter aux conclusions.
La seule raison pour laquelle ils sont venus, c'est parce qu'il était évident que nous allions entendre 16 témoins. Le comité de direction a voté à deux voix contre une pour les recevoir; j'ai voté pour que n'entendions plus d'autres témoins et que nous entreprenions l'étude article par article le 1er mai, comme nous l'espérions au départ, selon le plan du comité. Vous connaissez la suite. Le sénateur Tkachuk a dit ce qu'il avait à dire.
Le sénateur Meighen : Avez-vous dit que les fonctionnaires allaient comparaître dans une semaine à compter de demain?
Le président : Nous avons prévu de les recevoir jeudi prochain. Je pense que nous en sommes à un point où le comité de direction pourrait peut-être avoir une réunion productive et discuter de la question. Cependant, en tant que président, je me réserve le droit de soumettre ces questions au comité. Si l'on ne peut y trouver réponses au comité de direction, le comité plénier devra être consulté.
Monsieur Ruby, je ne sais pas quand vous serez nommé au Sénat ni comment votre campagne électorale se déroule, mais au moins, vous savez un peu mieux ce qui s'en vient pour vous.
Le sénateur Goldstein : Après ce que vous venez d'entendre, vous pourriez ne pas accepter de nomination.
Le sénateur Eyton : Au moins, il devrait recevoir des honoraires pour assister à ces séances.
Le président : Nous faisons de notre mieux pour effectuer un second examen objectif des projets de loi. Comme vous le savez, nous sommes saisis de ce document. Vous êtes un avocat-fiscaliste compétent et de renommée internationale, donc vous êtes probablement l'un des rares Canadiens qui peuvent comprendre ce qui se trouve dans ce foutu document.
On nous a dit que la Chambre des communes ne l'avait pas examiné. Nous nous battons, en tant que pauvres sénateurs mortels, pour en effectuer un second examen objectif. Nous nous sommes enfoncés dans diverses disputes, mais tout ce que nous voulons, c'est de bien faire les choses.
Si vous pensez pouvoir nous aider dans cette tâche, nous sommes ravis de vous recevoir ici. Si vous avez l'impression que c'est redondant, comme vous pourriez le croire, vous pourrez nous le dire aussi. Nous avons envie de vous entendre et nous vous remercions d'être venu ici aujourd'hui.
Stephen Ruby, associé principal, Davies Ward Phillips & Vineberg S.E.N.C.R.L., à titre personnel : Merci, je suis content d'être ici et d'avoir l'occasion de vous parler de certains aspects du projet de loi C-10. Laissez-moi d'abord me présenter. Je suis un associé principal de Davies Ward Phillips & Vineberg et je travaille au bureau de Toronto de ce cabinet. Je suis actuellement gouverneur de l'Association canadienne d'études fiscales. En outre, j'ai été coprésident du Comité conjoint en droit fiscal de l'Association du Barreau canadien et de l'Institut Canadien des Comptables Agréés. J'ai également été président du chapitre canadien de l'Association fiscale internationale et conseiller spécial du sous- ministre adjoint principal du ministre des Finances. Au fil des ans, j'ai œuvré dans le secteur de la planification fiscale des entreprises à l'échelle nationale et internationale, notamment dans le domaine des fusions et des acquisitions, de la planification fiscale, familiale et personnelle et du litige fiscal. J'aimerais m'entretenir avec vous aujourd'hui en tant que fiscaliste de certains aspects du projet de loi C-10 qui me préoccupent. Toutefois, j'aimerais préciser que je m'adresse à vous en mon nom personnel et non à titre de représentant de mon cabinet ou d'une organisation ou d'une partie prenante et donc que les observations que je formule devant vous aujourd'hui expriment mon point de vue strictement personnel.
Le président : Je suis content que vous nous le disiez, parce que cela vous rend plus crédible que si vous étiez ici au nom d'un client ou d'un groupe d'intérêt en particulier. Nous sommes très intéressés à entendre ce que vous avez à dire.
M. Ruby : Merci. En lisant la transcription de certaines audiences tenues par votre comité sur le projet de loi C-10, j'ai remarqué que vous aviez discuté de l'efficacité et de la légalité des lettres dites « de confort » produites par le ministère des Finances. Ces lettres de confort traitent des lacunes et des anomalies d'ordre technique ou législatif non intentionnelles et des questions de politique fiscale qui sont portées à l'attention du ministère des Finances par des membres des milieux fiscaux. Ce sont des solutions provisoires auxquelles on a recours, parfois pendant des périodes prolongées, en attendant qu'une loi soit adoptée pour remédier au problème en question. Étant donné la complexité technique de notre législation fiscale, ce genre de situation se produit souvent. Bien que les lettres de confort ne lient pas le gouvernement juridiquement et ne sont dans les faits que l'intention du ministère des Finances de recommander certaines modifications au ministre des Finances, elles sont néanmoins données et reçues de bonne foi et servent de fondement à la réalisation de certaines opérations importantes.
Sans les lettres de confort, la pratique du droit fiscal serait gravement perturbée, et bon nombre d'opérations s'enliseraient faute de garantie que certains problèmes seront réglés. On doit donc reconnaître que même si la lettre de confort n'est pas une solution idéale et officiellement reconnue, elle est, étant donné la lenteur avec laquelle les lois fiscales sont élaborées, un outil essentiel pour la bonne marche du régime fiscal canadien, j'en demeure convaincu.
Le président : J'espère parler au nom de mes collègues. Vous venez de soulever une question importante et intéressante, parce que vous avez sans doute lu dans les transcriptions que certains d'entre nous sommes au courant de la jurisprudence sur l'inapplicabilité des lois. Cependant, les gens du ministère des Finances nous répètent constamment que c'est une bonne façon de faire, qui n'est pas parfaite, mais qui est utile pour assurer l'équité envers le fisc et le contribuable. Vous dites être en faveur de ces lois. C'est peut-être un système archaïque et inapplicable, comme le prétendent les tribunaux, mais elles semblent fonctionner de façon satisfaisante, et personne n'invoque leur inapplicabilité.
M. Ruby: C'est vrai. Elles sont très utiles et importantes. Elles font partie intégrante de notre régime fiscal. À tout le moins est-ce la façon dont il évolue depuis bien des années.
Je comprends que le projet de loi C-10 est un projet de loi omnibus qui contient bon nombre des modifications d'allègement que les milieux fiscaux attendent impatiemment depuis longtemps. En revanche, il contient également des dispositions gravement déficientes touchant les fiducies non résidantes, que j'appellerai les FNR, les entités de placement étrangères, c'est-à-dire les EPE, et les clauses restrictives. À mon avis, ces modifications sont si fondamentalement déficientes qu'il est justifié de songer sérieusement à ne pas adopter ce projet de loi tant qu'elles n'en n'auront pas été retirées.
Par ce commentaire, je ne veux pas laisser entendre que je ne reconnais pas les préoccupations qui existent dans le domaine des fiducies non résidantes, dans le domaine des entités de placement étrangères et dans le domaine des clauses restrictives, préoccupations auxquelles le ministère des Finances tente de répondre au moyen des dispositions proposées. Je suis totalement d'accord avec le ministère des Finances sur le fait que chacun de ces domaines soulève de graves préoccupations. Toutefois, dans tous les cas, les dispositions du projet de loi C-10 qui visent à répondre à ces préoccupations comportent des défauts de conception qui touchent leur nature même et qui ne sont pas que de simples anomalies techniques. On ne pourra corriger ces défauts qu'en reformulant l'approche conceptuelle des préoccupations soulevées dans ces domaines.
Je vais maintenant vous exposer en détail mes préoccupations à l'égard de chacun de ces domaines. Je sais très bien que tous les praticiens ne seront pas de mon avis; toutefois, d'après les entretiens que j'ai eus avec mes associés et de nombreux praticiens au cours des quelques années d'élaboration de ces dispositions, je crois que bon nombre d'entre eux partagent mon point de vue.
Les « anciennes » règles figurant dans la loi en vigueur et visant les fiducies étrangères s'appliquaient lorsqu'une fiducie résidante d'un territoire étranger comptant un résidant canadien parmi ses bénéficiaires recevait des biens d'un résidant canadien qui était lié à ce bénéficiaire. Il y avait trois éléments : le résidant canadien contributeur, la fiducie étrangère et le bénéficiaire résidant au Canada. On se préoccupait de ce que l'argent puisse être transféré du Canada dans une fiducie étrangère et que les revenus de ces fonds s'accumulent dans cette fiducie étrangère, pour être ensuite retournés au bénéficiaire résidant au Canada, à l'abri de l'impôt. Dans ces circonstances, le Canada a cherché à imposer le revenu de placement passif de la fiducie en partant du principe que les biens transférés n'avaient pas, en substance, quitté le Canada. Le ministère des Finances et l'Agence du revenu du Canada se sont rendu compte que les Canadiens contournaient ces règles, et ont cherché à les renforcer à l'aide des nouvelles règles applicables aux FNR.
Je soutiens que les nouvelles règles applicables aux FNR sont fondamentalement déficientes pour les raisons suivantes. D'abord, elles sont de loin plus compliquées que celles qu'elles remplacent. La règle proposée est trop générale parce qu'elle considère toute fiducie étrangère, sauf certaines fiducies exemptes, comme étant résidante du Canada dès qu'un résidant canadien fait un apport à celle-ci, et ce, même si la fiducie ne compte aucun résidant canadien parmi ses bénéficiaires. Lorsque aucun bénéficiaire n'est résidant canadien, il n'y a aucun évitement de l'impôt canadien parce que le revenu n'est pas accumulé pour le compte d'un résidant canadien ni, ultimement, retourné à un résidant canadien.
Deuxièmement, la règle est disproportionnée, car un petit apport fait à la fiducie par un résidant canadien assujettira à l'impôt canadien le revenu mondial de la fiducie, y compris le revenu provenant d'une entreprise exploitée activement qui n'était pas imposée aux termes des anciennes règles. Par conséquent, un apport de 100 $ à une fiducie étrangère ayant des actifs de 50 millions de dollars assujettira à l'impôt canadien le revenu à l'égard des actifs de 50 millions de dollars, et non uniquement à l'égard de la contribution de 100 $.
Troisièmement, la règle nuit à la neutralité des opérations. Prenons l'exemple d'un résidant canadien parent de deux enfants qui résident aux États-Unis. Ce parent canadien fait un don immédiat de 100 000 $ à un enfant et un don de 100 000 $ à une fiducie résidante des États-Unis pour l'autre enfant, pour des raisons autres que fiscales.
Le président : Ces raisons autres que fiscales sont liées au fait qu'il s'agit d'un jeune enfant, ou autre?
M. Ruby : On pourrait vouloir une protection des actifs. Le revenu mondial de la fiducie est assujetti à l'impôt canadien, et la fiducie est tenue de produire une déclaration de revenus canadienne et de pratiquer et de remettre une retenue d'impôt canadien sur les distributions de revenu faites à l'enfant, tandis que le don fait à l'autre enfant et le revenu qui en découle ne sont d'aucune manière assujettis à l'impôt canadien.
La règle est unique et aucun autre territoire ne fait appel à une telle imposition et, si d'autres territoires adoptaient une telle approche, aucun régime fiscal ne fonctionnerait adéquatement. Supposons que les pays x, y et z adoptent la règle canadienne et qu'une fiducie résidante aux États-Unis reçoive des apports de personnes résidant au Canada et dans chacun des pays x, y et z. Les États-Unis, le Canada et les pays x, y et z revendiqueraient tous le pouvoir d'imposition sur le revenu mondial de la fiducie, ce qui donnerait lieu à un problème d'imposition très difficile à résoudre. Je pense qu'il s'agit là de l'épreuve décisive qui me prouve, d'une manière ou d'une autre, que quelque chose cloche sérieusement avec cette règle.
La règle a des conséquences pénales car, aux termes des règles applicables aux FNR, le contribuant résidant canadien et les bénéficiaires résidants canadiens d'une fiducie non résidante sont solidairement responsables, avec les fiduciaires de la fiducie, de l'impôt canadien que doit payer la fiducie. La responsabilité des contribuants canadiens est limitée au montant de leurs apports à la fiducie dans la mesure où leurs apports ne dépassent pas la plus élevée des valeurs suivantes, à savoir 10 000 $ ou 10 p. 100 du total des apports à la fiducie. En résumé, la responsabilité d'un contribuant canadien envers la fiducie est illimitée s'il a fait un apport de 150 000 $ à une fiducie à l'égard de laquelle le total des apports qui ont été faits s'élève à un million de dollars. Autrement dit, s'il dépasse la limite de 10 p. 100, son exposition est illimitée. Mais les bénéficiaires résidant au Canada, en revanche, sont responsables de l'impôt canadien payable par la fiducie dans la mesure des distributions qui leur ont été versées par la fiducie.
La jurisprudence canadienne prévoit que, à moins de dispositions expresses dans l'acte de fiducie concernant le paiement de l'impôt étranger, ou à moins qu'il n'existe une convention obligeant le paiement de l'impôt étranger, les fiduciaires canadiens d'une fiducie canadienne ne sont pas habilités à utiliser les actifs de la fiducie pour payer l'impôt étranger. De plus, si des biens personnels des fiduciaires sont utilisés pour payer l'impôt étranger que doit payer la fiducie, les fiduciaires ne peuvent recouvrer cet impôt auprès de la fiducie ou de ses bénéficiaires. Ce principe tire son origine de la règle établie depuis longtemps, qui veut qu'un État souverain ne peut faire valoir la législation fiscale d'un autre État souverain. La règle interdisant aux fiduciaires de payer de l'impôt étranger à moins qu'ils n'y soient expressément autorisés ou obligés semble aussi avoir force de loi en Australie, en Écosse, en Afrique du Sud, aux États- Unis et en Angleterre. Ce que je veux souligner, c'est qu'il ne serait pas approprié pour le Canada d'adopter des dispositions législatives qui ne pourraient pas être appliquées sur son territoire, et on ne peut s'attendre à ce que des fiduciaires respectent la législation des territoires étrangers qui prévoient une interdiction similaire.
La position de l'Agence du revenu du Canada, ou ARC, est qu'une fiducie réputée résidante du Canada aux termes des règles applicables aux FNR est résidante du Canada pour les besoins des conventions fiscales de ce dernier, parce qu'elle est résidante du Canada en raison d'un des critères mentionnés au paragraphe 1 de l'article IV, l'article sur la résidence, des conventions fiscales du Canada. Selon l'ARC, les règles dites décisives ne seront généralement pas appliquées. Par « règle dite décisive », j'entends la procédure de l'autorité compétente.
L'ARC a affirmé qu'elle ne négocierait pas avec l'autorité compétente de l'autre pays en ce qui a trait à la résidence de la fiducie. Elle refuse catégoriquement de négocier à ce sujet. Elle est d'avis que selon cette règle déterminative, la fiducie est réputée résidante du Canada, point final.
De nombreux cas potentiels pourraient engendrer la double imposition à cause de cette règle. En effet, si la fiducie est réellement résidante d'un territoire à imposition élevée, la double imposition se produira fréquemment. Prenons l'exemple d'une personne des États-Unis qui fait un apport de un million de dollars à une fiducie américaine ayant un bénéficiaire qui est un résident américain, et à laquelle un résidant canadien a également fait un apport. Aux termes de l'Internal Revenue Code des États-Unis, le revenu provenant de ce million de dollars sera imputé au contributeur américain et imposable pour lui, et le même revenu sera également imposé par le Canada. Cependant, l'impôt américain payé par le contributeur américain ne donnera pas droit à un crédit pour l'impôt canadien payable par la fiducie, parce que l'impôt américain n'aura justement pas été payé par la fiducie, mais par quelqu'un d'autre, c'est-à- dire le contributeur américain.
Le président : La même règle s'appliquerait-elle à un autre territoire de compétence?
M. Ruby : Si un autre territoire avait une règle d'attribution semblable à celle des États-Unis, et si c'était le cas pour un certain nombre de territoires.
Prenons également le cas d'une fiducie imposable aux États-Unis et propriétaire d'une société qui est une EPE — et je parlerai tout à l'heure des règles applicables aux EPE — aux termes du droit fiscal canadien. Un revenu sera imputé à la fiducie aux termes des règles applicables aux EPE pour les besoins de l'impôt canadien, mais aucun revenu semblable n'est imputé sous le régime de l'Internal Revenue Code des États-Unis. En conséquence, la fiducie paiera de l'impôt au Canada à l'égard du revenu de l'EPE mais n'obtiendra pas de crédit pour impôt étranger pour l'impôt américain payé par l'EPE à l'égard de son revenu réel. Si l'EPE paie le revenu d'EPE sous forme de dividendes à la fiducie, ce revenu sera imposable par les États-Unis, mais pas par le Canada, de sorte qu'il y aura une asymétrie des échéances sur le plan des crédits.
Comme on l'a déjà souligné au comité, les crédits pour impôt étranger accordés aux particuliers sont limités à 15 p. 100, le solde de l'impôt étranger étant seulement déductible. Par conséquent, lorsque le revenu d'une fiducie est imposé par un territoire à imposition élevée, il y aura nécessairement double imposition de ce revenu.
La complexité des règles applicables aux FNR est stupéfiante, et une telle complexité n'engendre pas seulement l'inobservation et l'inapplicabilité de ces règles, mais elle jette également le discrédit sur la règle de droit. Il est difficile de justifier pourquoi on devrait assujettir à l'observation rigoureuse et dispendieuse des règles applicables aux FNR une fiducie résidante d'un territoire à imposition élevée dont le revenu est imposable par le territoire en question pour ces fiduciaires ou pour des bénéficiaires résidant dans ce territoire.
L'exonération accordée aux fiducies commerciales est extrêmement complexe et, dans plusieurs cas, trop incertaine ou tout simplement inefficace. Cette situation nuira au placement que souhaitent faire des Canadiens dans des instruments commerciaux légitimes dénués de motivation liée à l'évitement fiscal, et limitera la capacité des investisseurs canadiens de prendre part à des opérations internationales.
Il est difficile de comprendre pourquoi les entités non imposables, à l'exception des régimes de pensions exonérés d'impôt, n'ont pas droit aux mêmes exonérations d'impôt que celles qui ont été proposées pour les régimes de pensions.
Le président : En ce qui concerne les règles applicables aux FNR, j'ai cru comprendre que votre intervention ne portait pas sur la question particulière qui consiste à déterminer si les fiducies non résidantes basées aux États-Unis devraient être exonérées, tel que discuté lors du budget de 1998. Les nouvelles règles applicables aux FNR contenues dans ce projet de loi sont encore plus compliquées que les anciennes règles qu'elles modifient, et mènent à des conséquences imprévues. Je crois comprendre votre position; est-ce exact?
M. Ruby : C'est juste. En 1999, je crois que les États-Unis devaient faire l'objet d'une exonération, mais on a abandonné cette disposition.
Le président : C'est une question de politique. Le gouvernement peut le faire s'il le souhaite. Quoi qu'il en soit, pour ce qui est de la politique réelle qu'on vise à mettre en œuvre avec cette loi, vous dites qu'elle est mal conçue et impraticable, ou quelque chose du genre. C'est ce qui intéresse ce comité.
Si le gouvernement souhaite adopter une politique boiteuse, c'est son affaire, et il en entendra parler par la population. Pour ce qui est de la loi elle-même, il y a une distinction importante à établir.
M. Ruby : Sénateur Angus, à mon avis, aucun rafistolage ne pourra corriger ces règles, car elles reposent sur un concept erroné. L'approche est défectueuse, et c'est ce que je tentais de mettre en évidence en formulant toutes ces observations et en soulignant les anomalies qui surgissent lorsqu'on examine les règles.
Le président : Autrement dit, il n'y a pas d'autre voie possible. Vous ne proposez pas d'amendement. Le gouvernement tente apparemment d'accomplir quelque chose, d'après le ministre qui a comparu devant nous, afin de mettre un terme aux fuites, que celles-ci prennent la forme d'une évasion fiscale ou d'un blanchiment d'argent, et cela semble être le grand objectif de la politique. Vous ne proposez pas d'amendement; vous dites seulement que cela n'est tout simplement pas réalisable.
M. Ruby : J'affirme que l'approche préconisée par ces règles est fondamentalement déficiente, et qu'il faudrait adopter une stratégie différente pour remédier aux préoccupations du ministère des Finances.
Je vais maintenant parler de certaines anomalies qui selon moi se produisent en vertu des règles applicables aux EPE. Ces règles visent à résoudre la situation des résidants canadiens qui transfèrent à l'étranger des revenus de placement passif à des entités non résidantes, y compris des sociétés et des fiducies non résidantes qui ne tombent pas sous le coup des règles applicables aux FNR, et dont le revenu de placement passif n'est pas autrement assujetti à l'impôt au Canada de façon courante.
De façon très générale, une entité non résidante sera une EPE si plus de la moitié de la valeur comptable de ses actifs est constituée de placements passifs ou si son entreprise principale est une entreprise de placement, dans chaque cas, tel qu'il est expressément défini dans la législation relative aux EPE.
Les règles applicables aux EPE comprennent des définitions complexes précisant les cas dans lesquels une EPE exploite une entreprise de placement ainsi que divers modes de calcul de la valeur comptable des actifs d'une EPE. La conception des nouvelles règles applicables aux EPE comporte également des lacunes fondamentales pour les motifs suivants : pour bon nombre d'entités non résidantes, la méthode de la valeur comptable ne peut pas être appliquée, parce que les normes comptables auxquelles ces entités ont recours sont inacceptables selon les règles applicables aux EPE. Les règles applicables aux EPE sont en fonction de l'identité, ce qui signifie que les règles prévoient dans les faits l'imposition, pour le contribuable canadien, de sa part de la totalité du revenu de l'EPE, et non seulement du revenu de placement passif de celle-ci. Ces règles prévoient l'imposition des bénéfices d'une entreprise active ainsi que des revenus passifs, même si elles ont été conçues, à notre avis, pour imposer le revenu d'investissement passif transféré à l'étranger.
Les règles applicables aux EPE considèrent l'EPE comme un placement de portefeuille, de sorte qu'aucun crédit pour impôt étranger ne peut être appliqué à l'impôt étranger payé par l'EPE par prélèvement sur son revenu qui est imposé directement au Canada, aux termes du régime par défaut établi par les règles applicables aux EPE. Cette situation est particulièrement difficile si le contribuable canadien doit payer de l'impôt sur le revenu imputé et qu'aucune liquidité ne lui a été distribuée qui pourrait servir à payer l'impôt.
Les règles applicables aux EPE sont excessivement complexes et difficiles à interpréter et à comprendre. Plus particulièrement, la majeure partie des formulations utilisées sont impénétrables; il sera donc probablement très ardu de se conformer aux règles, puisque des règles opaques sont nécessairement difficiles à respecter. Comme M. Patrick Marley l'a indiqué dans le témoignage qu'il a livré le 15 mai devant le présent comité, la définition de « participation dans une entité de référence » donnée dans les règles applicables aux EPE est d'une opacité remarquable. Et il ne s'agit là que d'un exemple.
Les règles applicables aux EPE prévoient que chaque entité non résidante est réputée une EPE à moins que le contribuable ne puisse établir le contraire. Cette responsabilité inversée impose aux Canadiens un fardeau en matière de conformité lourd et coûteux à l'égard des entités non résidantes dans lesquelles ils détiennent une participation minoritaire. De plus, la question de savoir si une entité non résidante est une EPE est tranchée chaque année.
Compte tenu des facteurs susmentionnés et d'autres facteurs, notamment l'incapacité d'obtenir l'information pertinente, il sera impossible pour la plupart des Canadiens de se conformer aux règles. La plupart des contribuables résidant au Canada tenteront de se soustraire à l'application des règles.
Cette situation se traduira vraisemblablement par une augmentation appréciable des coûts liés à la conformité pour les contribuables canadiens constitués en société qui n'étaient pas initialement visés par cette législation ni par le non- respect des règles, volontaire ou non, par les autres contribuables canadiens du fait que celles-ci sont d'une complexité inouïe.
Enfin, j'aimerais traiter des clauses restrictives telles qu'elles ont été soulevées par M. Patrick Marley lors de son témoignage devant ce comité.
Les règles proposées dissuaderont les propriétaires d'entreprises familiales canadiennes de transférer leurs biens aux générations suivantes, car les membres de la famille auront beaucoup plus d'impôt à payer que si la vente se faisait à des acheteurs sans lien de dépendance. Prenons l'exemple d'un beau-père qui vend à son gendre ses parts dans une société exploitante à leur pleine valeur, mais qui s'engage envers son gendre à ne pas exercer de concurrence. La valeur de l'engagement de non-concurrence sera incluse dans le revenu du beau-père, même si le prix d'achat intégral a été attribué aux actions. Si, par ailleurs, le beau-père avait vendu ses actions à un acheteur sans lien de dépendance et s'était engagé envers lui à ne pas exercer de concurrence, aucune somme ne serait incluse dans le revenu du beau-père à l'égard de l'engagement. Les règles doivent être révisées en profondeur pour ne pas qu'elles entravent les ventes intrafamiliales.
Le président : Merci. Vous avez mentionné brièvement dans votre curriculum vitae que vous étiez un associé principal du cabinet Davies Ward Philipps & Vineberg. Avez-vous travaillé en tant que conseiller spécial du sous- ministre adjoint principal du ministère des Finances?
M. Ruby : C'est exact.
Le président : Était-ce sous contrat?
M. Ruby : Oui.
Le président : Avez-vous été détaché?
M. Ruby : Oui. À l'origine, en 1990 et 1991, je travaillais pour David Dodge. Il m'a demandé d'aller aider le ministère pendant un an et demi. J'ai donc travaillé au ministère quatre jours par semaine.
Le président : Par conséquent, vous savez de quoi vous parlez en ce qui a trait aux lettres de confort et aux processus qu'on a suivis en tentant de rédiger cette loi fiscale?
M. Ruby : Oui.
Le président : Vous savez également comment faire fonctionner le système.
M. Ruby : Je pense que cette affirmation est juste.
Le sénateur Massicotte : J'ai écouté et lu votre exposé. À l'évidence, le projet de loi pose des problèmes très techniques. Nous avons entendu ce commentaire de la part de bien des gens et présumons qu'il est juste.
La question est de savoir ce que nous allons en faire. Vous dites qu'il n'y a aucun moyen d'y remédier, aucune solution. Que nous devrions l'éliminer et repartir de zéro. Quelle partie du projet de loi retireriez-vous?
M. Ruby : Il faudrait retirer les règles relatives aux fiducies non résidantes, aux entités de placement étrangères, ainsi que les clauses restrictives du paragraphe 56.4. Comme je l'ai dit au départ, je pense que ces dispositions suscitent des préoccupations. Je recommanderais qu'un comité consultatif en soit saisi de la même manière que pour l'imposition internationale. Ce comité devrait étudier ces questions et essayer de reformuler une approche améliorée et différente pour résoudre les problèmes.
Je ne crois pas que de simples réaménagements dans ces domaines corrigeront ce que je perçois comme étant des problèmes importants, dont je ne vous en ai souligné que quelques-uns.
Le sénateur Massicotte : Le ministère des Finances nous a avisés qu'il avait consulté des membres de l'industrie pour en arriver à cette disposition. Manifestement, selon vous, il n'a pas fait tout le travail qu'il fallait.
Il semble qu'il ait fait ce que vous avez dit. Pourquoi en est-il venu à cette conclusion, si ce n'est pas la bonne? En quoi le processus devrait-il être différent?
M. Ruby : Je parle de l'approche fondamentale, du thème sur lequel s'appuie le projet de loi. J'ai joué en partie un rôle lorsque j'assumais la coprésidence du comité mixte dans la négociation de certains changements apportés à la loi. J'ai pris une part très active à ce processus pour le compte du comité mixte, comme M. Tamaki vous le dira sans doute lorsque ce sera son tour de témoigner.
Ce que je dis à votre comité, c'est que le problème dure depuis si longtemps parce que personne n'a laissé entendre que l'approche était peut-être mauvaise et qu'il fallait repartir de la case zéro. On essaie plutôt de colmater les brèches ici et là. Ce que j'essaie de dire, c'est qu'il faudrait peut-être retourner à la case départ et s'interroger sur l'approche conceptuelle suivie pour régler les problèmes.
Le sénateur Eyton : Monsieur Ruby, nous avons entendu de nombreuses critiques que vous avez mentionnées et nous avons entendu le point de vue de nombreux organes qui ont un intérêt direct et professionnel dans les questions dont vous parlez. Ils incluent notamment le Comité mixte du droit fiscal, Stikeman Elliot, Withers LLP, la Society of Trust and Estate Practitioners du Canada, le Credit Union Central of Manitoba, le Régime de retraite des employés municipaux de l'Ontario, et j'en passe.
Ils partageaient tous vos préoccupations, mais ils ont tous recommandé des modifications précises. Je ne me souviens pas que quelqu'un ait, comme vous, suggéré qu'il fallait tout mettre de côté et retourner à la case départ. Comment l'expliquez-vous?
M. Ruby : Je ne puis parler au nom de ces organismes. Je ne suis pas venu témoigner avec à l'esprit un intérêt spécial que je protège. Je parle de la loi en tant que spécialiste. J'estime que le libellé du projet de loi est impénétrable et extrêmement compliqué. Comme je l'ai affirmé de nombreuses fois, la seule façon de remédier à l'approche fondamentale de résolution de problèmes est de repenser toute notre façon de les résoudre.
Une certaine approche primaire a été adoptée pour résoudre chacun de ces problèmes. On a bâti sur cette approche, mais on n'est jamais retourné à la case départ pour se demander pourquoi nous avons tous ces problèmes. Peut-être la première approche adoptée n'était-elle pas la bonne. Peut-être que c'est la raison pour laquelle nous avons tous ces problèmes. Mes recommandations sont peut-être différentes de celles des autres, mais je maintiens mon opinion.
Le sénateur Massicotte : Votre réponse ne m'étonne pas. Vous vous rendez compte que c'est ce que disent tous les conseillers fiscaux au sujet de presque toutes les modifications apportées à la Loi de l'impôt sur le revenu. Ils affirment que c'est trop compliqué et inefficace. Cependant, supposons que le projet de loi est adopté et qu'il faille composer avec lui. Il semble que les personnes compétentes comme vous arrivent à trouver des moyens de le contourner et de protéger leurs clients contre les effets excessifs.
Est-ce possible dans ce cas-ci? Que feriez-vous si le projet de loi était adopté? Y trouveriez-vous une solution?
M. Ruby : Certains croient que les conseillers fiscaux, les avocats et les comptables fiscalistes passent leurs journées à chercher des échappatoires. Il se trouve que je suis de l'avis contraire. Rien ne pourrait être aussi éloigné de la vérité. Nous passons nos journées à essayer de repérer les écueils. J'entends par là que la loi est si compliquée qu'on peut faire d'éventuelles erreurs et qu'on peut tomber dans des pièges. Si l'on souhaite conclure un marché commercial ou familial, il faut consacrer beaucoup de temps à faire en sorte de ne pas tomber dans un piège. Ces règles sont libellées de manière si vague et leur portée est si grande qu'on peut facilement se faire prendre dans un piège. Vous devriez savoir que nous ne passons pas notre temps à chercher des échappatoires. J'essaie de dire qu'il importe que ces règles soient reformulées.
Le sénateur Massicotte : N'y a-t-il rien que vous puissiez faire en tant que conseiller pour éviter les pièges? Manifestement, le projet de loi a beaucoup de mérites, n'est-ce pas? Il y a de toute évidence un problème. Vous le reconnaissez vous-même.
M. Ruby : Je le reconnais effectivement.
Le sénateur Massicotte : N'y a-t-il pas un mécanisme que vous pourriez trouver en tant que conseiller pour éviter les écueils, comme vous dites, que comporte la loi?
M. Ruby : Il pourrait fort bien y avoir différentes approches qui permettraient de régler le problème. Je n'ai pas consacré beaucoup de temps à y réfléchir. Si un comité consultatif était formé et qu'il comptait parmi ses membres des personnes futées, il reverrait toute l'approche à ces problèmes et trouverait un moyen plus efficace de dissiper les inquiétudes, de manière à ce que les résultats ne soient pas aussi onéreux qu'ils le sont actuellement et que la loi ne soit peut-être pas aussi compliquée.
Le sénateur Massicotte : Vous êtes venu témoigner aujourd'hui en votre nom personnel, plutôt que pour le compte de votre firme. Voilà qui est intéressant, et je l'apprécie à sa juste valeur. Que vous sachiez, les autres fiscalistes du Canada partagent-ils votre opinion et votre conclusion?
M. Ruby : J'ai tout lieu de croire que la plupart des spécialistes ont la même préoccupation que moi concernant la complexité, l'incompréhensibilité et la portée de ces dispositions. Ce sont des dispositions anti-évitement, et je crois que la plupart des spécialistes conviendraient avec moi qu'elles peuvent nuire et nuisent effectivement à la planification commerciale et familiale faite de bonne foi qui ne cherche pas à éviter l'impôt.
Le sénateur Massicotte : Seraient-ils d'accord avec vous pour dire qu'il faudrait éviter ces dispositions et tout reprendre de la case départ? J'ignore le nombre exact de pages du projet de loi, mais je crois bien que, si l'on en retranchait toutes les dispositions qui devraient l'être selon vous, il ne resterait plus qu'une page.
M. Ruby : Je ne puis vous répondre parce que je n'ai pas demandé à connaître leur opinion de la manière dont il faudrait régler les problèmes.
Le président : J'aimerais poser une question supplémentaire qui concerne justement ce point. Entre-temps, nous contenterions-nous simplement du statu quo? N'estimez-vous pas que cela créerait un problème de taille?
M. Ruby : Je ne le crois pas. Nous avons composé avec les autres dispositions de ce projet de loi omnibus pendant longtemps. Il serait très agréable de les voir adopter, mais si en les adoptant, nous devons adopter les dispositions visant les fiducies non résidantes et les EPE de même que les clauses restrictives, il faudrait y réfléchir mûrement avant de le faire.
Le sénateur Massicotte : La DGAE, c'est-à-dire la Disposition générale anti-évitement, ne suffit-elle pas?
M. Ruby : De toute évidence, le ministère des Finances la juge insuffisante, sans quoi il n'aurait pas besoin du projet de loi à l'étude.
Le sénateur Massicotte : Selon vous, suffit-elle?
M. Ruby : Sénateur, je vais m'abstenir de répondre à cette question. C'est une question fort difficile.
Le sénateur Harb : Je vous remercie beaucoup de votre excellent exposé. Vous avez fait valoir quelques points fort intéressants. Si une fiducie non résidante, par exemple, se trouve aux États-Unis et qu'elle est imposée selon les règles fiscales des États-Unis, vous affirmez qu'il ne faudrait pas l'assujettir à une double imposition. Cependant, si elle fait l'objet d'une double imposition au Canada, le milieu de l'investissement pousse les hauts cris, de sorte que le particulier qui en fait l'objet se met lui aussi à crier. Qu'arrive-t-il à l'investisseur européen qui détient lui aussi un investissement dans ce fonds? Il se retrouverait lui-même piégé, n'est-ce pas?
M. Ruby : Effectivement, s'il contribuait à ce fonds et que le fonds n'était pas exonéré, si une contribution était faite par un résidant canadien, le revenu mondial du fonds serait assujetti à l'impôt canadien.
Le sénateur Harb : Cela pourrait mener à des poursuites, selon vous?
M. Ruby : Quel recours juridique recommanderiez-vous?
Le sénateur Harb : En tant qu'avocat-fiscaliste? Je suis en quelque sorte citoyen britannique, de sorte que j'aimerais bien savoir pourquoi j'aurais à me soumettre à vos lois fiscales?
M. Ruby : J'ai mentionné que l'Agence du revenu du Canada refuse de négocier la résidence de ces fiducies avec nos partenaires dans le cadre de conventions fiscales. Voilà selon moi qui va légèrement à l'encontre de la lettre et de l'esprit des conventions. C'est la raison pour laquelle nous avons des conventions, mais enfin, c'est la position qu'a adoptée l'agence. Ce genre de négociation, en vue de décider qui a compétence en matière de fiscalité, est la raison d'être même des conventions.
Le sénateur Harb : Selon vous, l'objet de cette partie particulière de la loi est-il exonéré de la double imposition? Y est-il explicitement soustrait? S'il ne l'est pas, on pourrait dire qu'on ne peut pas imposer deux fois un particulier tant qu'il existe une convention. En l'absence d'une pareille convention, on pourrait taxer. Dans le cas d'une fiducie non résidante aux États-Unis, il faut se brancher : soit qu'on l'impose ici, soit qu'on l'impose aux États-Unis.
M. Ruby : Le Canada a pour principe que, même si elle est imposable aux États-Unis, elle est néanmoins imposable également au Canada. Selon lui, il accorde un crédit fiscal pour l'impôt prélevé aux États-Unis. Cela pose un problème parce qu'il y a tant de permutations et de combinaisons possibles où il pourrait y avoir double imposition qu'il faudrait s'y opposer chaque fois auprès de l'autorité compétente.
Le sénateur Harb : Les fonds enregistrés de pension sont un investissement protégé de l'impôt tant qu'on n'y effectue pas de retraits. Êtes-vous d'avis qu'ils seront eux aussi coincés dans le processus si cet aspect particulier du projet de loi à l'étude est adopté?
M. Ruby : Ils craignaient de se retrouver assujettis à l'impôt parce que, s'ils incluent un seul contribuant résidant, ils pourraient être obligés de payer de l'impôt sur le revenu de la fiducie.
Le sénateur Harb : Avez-vous défendu votre point de vue auprès du ministère des Finances? Ses porte-parole sont venus témoigner devant le comité et ils étaient conscients du fait que le projet de loi est problématique. Nous leur avons alors accordé, aux alentours de Noël, le temps de consulter le milieu de l'investissement pour trouver une solution quelconque. Avez-vous eu l'occasion de communiquer avec eux pour faire connaître vos vues, comme vous le faites ici? Ce sont des gens très raisonnables, et je suis sûr qu'ils feraient très bon accueil à une suggestion raisonnable comme celles que vous nous faites aujourd'hui.
M. Ruby : Depuis que j'ai quitté le fauteuil de la coprésidence du comité mixte, j'ai eu à l'occasion des entretiens avec de hauts fonctionnaires du ministère des Finances, mais ces entretiens étaient très officieux — dans les couloirs, par exemple. J'ai fait connaître mon opinion brièvement, mais je ne l'ai pas fait par les voies officielles.
Le sénateur Meighen : J'ai souvent l'impression que ceux qui établissent les règles ont l'habitude de créer plus de problèmes qu'ils n'en règlent. Plutôt que de se retrouver aux prises avec une ou deux difficultés, on se retrouve confrontés à cinq ou six. Je me demande si ce n'est pas la situation dans ce cas-ci.
À cet égard, vous avez dit qu'il existe un problème et que vous le reconnaissez. Le ministère a cherché à le rectifier. À quel point le problème posé par le régime de la loi actuelle est-il grave? Est-il répandu, selon vous, ou limité?
Lorsque vous répondrez, pourriez-vous faire la distinction entre ce qu'on appelle un territoire à imposition élevée et un territoire à imposition faible? Je puis comprendre que l'on craint que des personnes que nous ne nommerons pas fuient vers les paradis fiscaux. Cependant, quand il est question de pays d'Europe de l'Ouest et des États-Unis, je croyais que l'interdépendance s'était pas mal bien établie au fil des ans et que très peu de gens jouaient l'un contre l'autre ou abusaient du système dans ces régions du monde. Cependant, s'il est question d'un paradis fiscal, je comprends. En dépit du caractère confus de ma question, pourriez-vous me répondre clairement?
M. Ruby : Voilà qui illustre bien une situation problématique, et la solution est plus difficile et engendre plus de problèmes que le problème initial que vous souhaitiez régler. Par « territoire à imposition élevée », il faut entendre des pays comme le Royaume-Uni, les États-Unis et la plupart des membres de l'Union européenne — en règle générale, les pays avec lesquels le Canada a signé une convention fiscale. C'est là une affirmation générale. Tous les pays avec lesquels nous avons signé une convention fiscale n'ont pas forcément des taux d'imposition élevés, mais c'est le cas de la plupart d'entre eux.
Le sénateur Meighen : Où est le problème? Se pose-t-il dans le cas des territoires à imposition faible, selon vous, ou dans tous les territoires?
M. Ruby : J'exempterais les territoires à imposition élevée de ces règles. Combien de revenu de plus le Canada en tirera-t-il? L'autre question que vous m'avez posée est de savoir à quel point le phénomène est répandu. Je l'ignore. Je n'ai pas les données statistiques qui me permettent de vous dire combien d'impôt est évité ou perdu. Certains fonctionnaires du ministère des Finances m'ont laissé entendre que le problème est très étendu. Je n'ai pas les moyens de le vérifier, mais je n'en doute pas. Il se peut fort bien que ce soit vrai, mais le Canada ne chercherait sûrement pas à doublement imposer le revenu du particulier d'un territoire d'imposition élevée. Les rentrées fiscales marginales supplémentaires qu'il en tirerait seraient fonction des taux d'imposition comparatifs entre le Canada et le territoire d'imposition étranger. Si ce dernier a des taux comparables à ceux du Canada, qu'on en accordait le plein crédit et qu'il n'y avait pas tous ces problèmes de double imposition, le revenu marginal alors prélevé par le fisc serait insignifiant. Cependant, dans les territoires à imposition faible, il serait plus élevé.
Le sénateur Meighen : Dans votre petit monde fiscal, existe-t-il une définition non controversée d'imposition élevée et d'imposition faible? Si nous dressions comme vous le suggérez une liste de pays que nous devrions exempter parce qu'ils sont un territoire à imposition élevée, cela susciterait-il beaucoup de controverse, du fait que nous en avons inclus certains et pas d'autres?
M. Ruby : Dans certains territoires, un taux comparable serait de 5 p. 100, alors qu'ailleurs, on tolèrerait un écart de 25 p. 100. Tout dépend de votre investissement. Il m'est difficile de vous répondre. Certains pays ont des régimes fiscaux internationaux comportant des règles d'anti-évitement qui s'appliquent aux filiales étrangères. Ils ont une liste noire et blanche de pays ou, dans le cas de la Nouvelle-Zélande, même une liste grise. Ce sont là les pays qui sont exemptés de ces règles anti-évitement parce qu'ils sont réputés avoir des taux d'imposition comparables à ceux du territoire des pays d'origine. D'autres pays l'ont fait en droit fiscal international. Ils ont exempté certains pays parce qu'ils estiment que leurs taux d'imposition sont suffisamment élevés et perfectionnés, en termes de calcul de la base. Il n'y a pas que le taux qui compte. L'important, c'est le taux d'imposition réel, et l'assiette est calculée de même que le taux. La question est difficile. D'autres pays l'ont fait.
Le sénateur Meighen : Selon vous, si ces dispositions étaient adoptées, qu'en serait-il des résidants canadiens qui établissent, comme vous l'avez expliqué au début de votre déclaration, une fiducie non résidante au profit de leurs enfants qui sont résidents des États-Unis. Voilà qu'ils seront désormais imposés même si leurs enfants sont résidents des États-Unis, non pas du Canada. Que feraient-ils pour éviter pareille situation?
M. Ruby : Ils devront s'adresser à l'autorité compétente au Canada et dire : « Je suis doublement imposé, et je m'attends à ce que le Canada me consente un dégrèvement ».
Le sénateur Meighen : Et espérer que tout se passe au mieux?
M. Ruby : Effectivement. Je crois que le Canada pourrait fort bien leur offrir un certain dégrèvement, mais ils n'y ont pas droit. Ce n'est pas un droit, en ce sens qu'ils pourraient poursuivre le gouvernement pour obtenir un dégrèvement. Il appartient à l'autorité compétente d'en décider.
Le sénateur Meighen : Je suppose que si vous ne souhaitiez pas prendre de risque, vous deviendriez un non-résidant?
M. Ruby : Ou pas. Ces règles nuisent à la planification familiale qui n'est pas motivée par l'évitement fiscal à cause de leur portée. C'est pourquoi j'affirme qu'il faut reformuler les règles. Je ne crois pas que le régime fiscal devrait nuire aux préoccupations commerciales ou à la planification familiale légitimes.
Le sénateur Goldstein : Monsieur Ruby, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation et de nous avoir fait un exposé aussi instructif, ce dont nous vous sommes tous reconnaissants.
Nous voilà dans une situation curieuse et difficile. D'une part, nous savons tous désormais que la loi, non pas la loi à l'étude mais une loi du même genre, a été rédigée et étudiée pendant presque dix ans. Elle nous a été présentée pour la première fois durant la dernière année à peu près, de sorte que certains d'entre nous se demandent si les problèmes que cherche à éviter la mesure à l'étude ne sont peut-être pas si graves qu'ils exigent l'entrée en vigueur d'une mauvaise loi. Si le ministère ne s'en est pas trop préoccupé pendant huit, neuf ou dix ans, ce n'est certes pas urgent.
D'un autre côté, au Sénat, nous voulons autant que possible éviter de nous ingérer dans les décisions politiques du gouvernement. Que nous soyons d'accord ou non à propos de ces décisions, celles-ci relèvent du gouvernement au pouvoir. Si les Canadiens les trouvent inacceptables, ils n'ont qu'à voter en conséquence et, normalement, ils font les bons choix.
Le deuxième problème, pour ma part, certes, et pour bon nombre de mes collègues, c'est que nous hésitons à faire intervenir le Sénat dans la législation fiscale.
Nous reconnaissons que certaines parties de ce projet de loi sont valables. Par exemple, l'industrie cinématographique est impatiente de voir entrer en vigueur les dispositions relatives aux crédits d'impôt pour production cinématographique puisqu'elles permettront de régler de nombreux problèmes auxquels l'industrie est confrontée à l'heure actuelle.
Cela dit, et en tenant compte du fait que la perfection n'est pas de ce monde, si nous pouvions adopter l'approche du sénateur Meighen en ce qui concerne les fiducies étrangères ou, si vous préférez, les fiducies non canadiennes, et faire la distinction, au moyen d'un amendement, entre les pays où les impôts sont faibles et ceux où le fisc est gourmand, et si nous pouvions également modifier les sections portant sur l'imposition des clauses restrictives de toutes sortes et les limiter à la clause restrictive habituelle, c'est-à-dire une activité commerciale; bien que ce ne soit pas la meilleure solution, êtes-vous d'avis que les milieux fiscaux et les Canadiens, d'après ce que je viens de vous dire, pourraient et devraient accepter la situation actuelle? Pensez-vous que les amendements susmentionnés pourraient pallier la situation, tout en sachant que le gouvernement continuera sans doute de se pencher sur la question et proposera d'autres amendements?
M. Ruby : Il est difficile de répondre à cette question au sens universel, car je conviens que ces mesures seraient très utiles, autant pour les clauses restrictives que pour les fiducies non résidantes. J'imagine que vous recommanderiez quelque chose de semblable en ce qui a trait aux entités de placement étrangères.
Le sénateur Goldstein : Tout à fait.
M. Ruby : Ces amendements visant à limiter l'étendue et la portée des dispositions qui s'appliquent à ces secteurs sont également utiles, mais il reste que ce serait mon deuxième choix. Ce ne serait pas mon premier choix, puisque lorsqu'on apporte ces modifications, il y a toujours la crainte qu'on ne révise pas la mesure législative avant longtemps. Les problèmes fondamentaux demeureront, mais ils seront plus circonscrits, donc oui, j'appuierais votre recommandation. Ce serait bien que vous puissiez limiter adéquatement le champ d'application de ces règles et supprimer tout ce qui est impénétrable.
Le sénateur Massicotte : Nous avons recueilli le témoignage des représentants de la caisse populaire, et ceux-ci nous ont dit qu'aux termes du présent projet de loi, les gens seraient incapables de retirer l'argent de leurs REER compte tenu de la nature de l'entité qu'ils représentent. Nous avons entendu un résumé de notre président. Êtes-vous au courant de ce problème?
M. Ruby : Non, je ne me suis pas penché là-dessus.
Le président : Y a-t-il d'autres questions pour M. Ruby? Monsieur, vous pouvez constater que nous sommes très intéressés par vos propos. Je pense que le sénateur Goldstein a visé juste lorsqu'il a dit que la perfection n'était pas de ce monde. Nous ferons de notre mieux. Pourrons-nous communiquer avec vous si nous avons besoin de certains éclaircissements sur vos idées?
M. Ruby : Absolument.
Le président : Vous avez brossé un tableau plutôt global, malheureusement, et par conséquent, ce n'est pas facile d'accepter vos propositions.
M. Ruby : Mes propositions sont vastes parce qu'elles s'appliquent aux problèmes fondamentaux de la mesure législative et aux règles incompréhensibles et compliquées que nous avons actuellement. Nous avons commencé par une approche qui, selon moi, est déficiente, et nous devons maintenant la renforcer.
Le président : Merci.
Honorables sénateurs, je suis heureux de vous présenter deux experts réputés dans le domaine fiscal. Nous accueillons aujourd'hui M. Paul K. Tamaki, président de la Section nationale de droit fiscal de l'Association du Barreau canadien et coprésident du Comité mixte sur la fiscalité de l'Association du Barreau canadien et de l'Institut Canadien des Comptables Agréés. J'ai eu la chance de m'associer au défunt père de M. Tamaki, George Tamaki, une sommité en droit fiscal canadien. On m'a dit que Paul avait suivi avec brio les traces de son père; tel père, tel fils. C'est un privilège que de vous avoir avec nous aujourd'hui, monsieur, ainsi que Bruce Harris, éminent comptable agréé, également très connu dans le milieu. Il copréside le Comité mixte sur la fiscalité de l'Association du Barreau canadien et de l'Institut Canadien des Comptables Agréés.
Ces deux messieurs coprésident ce comité très important. Nous vous remercions d'avoir accepté de comparaître à l'issue, espérons-le, de nos audiences sur ce projet de loi massif qui a suscité beaucoup d'interrogations au sein de tout le comité. Nous essayons de l'aborder de manière pondérée.
Paul K. Tamaki, président de la Section nationale de droit fiscal de l'Association du Barreau canadien et coprésident du Comité mixte ABC-ICCA sur la fiscalité : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs. C'est avec plaisir que nous avons accepté de témoigner devant votre comité aujourd'hui.
Nous sommes venus à titre de coprésidents du Comité mixte sur la fiscalité de l'Association du Barreau canadien et de l'Institut Canadien des Comptables Agréés. Je suis associé du cabinet d'avocats Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l. Bruce Harris est associé en fiscalité du cabinet comptable PriceWaterhouseCoopers s.r.l./ S.E.N.C.R.L.
Notre comité est constitué de comptables fiscalistes et d'avocats-fiscalistes membres de l'Institut Canadien des Comptables Agréés ou de l'Association du Barreau canadien. Chacune des deux professions y est normalement représentée par 11 membres. Nous sommes donc environ 22 au total.
Bruce Harris, coprésident du Comité mixte ABC-ICCA sur la fiscalité : Le comité a pour objectif premier de s'assurer que la législation fiscale est applicable, compréhensible et équitable. Nous nous penchons sur des questions de rédaction et non sur des questions touchant la politique fiscale globale. Nous ne représentons pas un groupe particulier de contribuables. Nous fournissons des commentaires techniques sur les modifications proposées à la Loi de l'impôt sur le revenu, et nous soulevons les points d'ordre technique qui nous préoccupent dans les lois en vigueur. La plupart du temps, nous exprimons nos commentaires dans des mémoires écrits ou lors de rencontres avec des représentants du ministère des Finances ou de l'Agence de revenu du Canada. Nos mémoires sont rendus publics. Nous souhaitons préciser que notre relation de travail avec le ministère des Finances, et en particulier avec les représentants de la Direction de la politique de l'impôt, Division de la législation de l'impôt, se caractérise par l'ouverture.
Le projet de loi C-10 a une longue histoire. La Partie 1 renferme les dispositions visant les fiducies non résidantes (FNR) et les entités de placement étrangères. Ces dispositions ont été présentées pour la première fois en 2000 dans une mesure législative. La Partie 2 contient des modifications dites « techniques » touchant la Loi de l'impôt sur le revenu. La Partie 3 porte sur le bijuridisme, un concept que l'Association du Barreau canadien appuie assurément en principe et qui, à notre connaissance, ne prête pas à controverse. Nos commentaires d'aujourd'hui portent, dans une large mesure, sur la Partie 1.
Depuis 2000, le comité mixte a rédigé 12 lettres et mémoires sur les propositions visant les fiducies non résidantes et les entités de placement étrangères, dont huit mémoires détaillés à l'intention du ministère des Finances au sujet de diverses versions des propositions législatives. Le président a reçu copie de ces mémoires. Leur contenu est très technique, et nous n'avons pas l'intention d'y revenir avec vous aujourd'hui. Toutefois, ils vous donnent une idée du travail que notre comité a consacré à ces mesures législatives.
L'un des tout premiers commentaires que nous avions formulés sur ces dispositions avait trait à leur complexité d'ensemble et à la crainte que les contribuables éprouvent de la difficulté à les comprendre et à s'y conformer. Nos mémoires font état de la plupart des questions soulevées par les témoins qui ont comparu précédemment devant le comité permanent.
Nous avons tenu plusieurs rencontres et entretiens avec des représentants du ministère des Finances pour discuter des dispositions proposées. Un certain nombre de nos recommandations ont trouvé écho dans les dispositions du projet de loi C-10, tandis que d'autres préoccupations subsistent. Nous avons continué de tenir des rencontres avec les représentants du ministère des Finances pour discuter de nos préoccupations, la plus récente ayant eu lieu le 1er avril dernier.
M. Tamaki : Nous aimerions souligner deux points dont il a été traité lors de nos plus récents entretiens avec les représentants du ministère des Finances. Nous avons discuté de deux aspects des dispositions visant les fiducies non résidantes : premièrement, l'application des règles en cause aux placements légitimes dans des fiducies commerciales à l'étranger et, deuxièmement, l'application des dispositions à ce que l'on appelle les fiducies ayant double résidence.
Un certain nombre de mémoires vous ont été présentés, expliquant pourquoi les caisses de retraite exonérées d'impôt demandaient à être exemptées de l'application des dispositions visant les FNR. Vous avez entendu qualifier les dispositions actuelles d'inapplicables. Nous avons appris que les représentants des caisses de retraite avaient reçu des lettres d'intention qui semblent avoir apaisé leurs inquiétudes.
Les investisseurs imposables et les contribuables exonérés d'impôt qui ne sont pas couverts par les lettres d'intention veulent faire les mêmes placements à l'étranger pour les mêmes motifs légitimes : diversification et recherche de rendement. Cela dit, les questions de fiscalité des FNR qui ont occasionné des problèmes aux entités exemptes d'impôt touchent aussi ces investisseurs.
Nous percevons l'avantage d'une disposition ciblée permettant aux contribuables exonérés d'impôt d'échapper aux dispositions sur les FNR. N'empêche que si le projet de loi C-10 pose problème aux contribuables exempts d'imposition, il pose également problème aux autres investisseurs.
Lors de nos récentes discussions avec des représentants du ministère des Finances, nous avons analysé différentes solutions permettant de dissiper nos préoccupations. Le problème qui se pose a été mentionné dans les échanges que votre comité a eus avec les représentants du ministère des Finances lors de leur comparution en décembre dernier.
Le ministère des Finances s'inquiète d'un procédé de planification fiscale consistant, pour certains contribuables, à transférer des biens à une fiducie située à l'étranger, de sorte que l'appréciation future de ces biens n'est pas imposée au Canada, même si les montants finissent par revenir entre les mains d'un Canadien. Il peut s'agir, par exemple, d'un gel successoral à l'étranger, permettant de transférer la croissance future d'une entreprise familiale par actions à une fiducie qui n'est pas imposable au Canada.
Le ministère des Finances convient du bien-fondé d'exonérer d'impôt les placements légitimes effectués dans des fiducies commerciales à l'étranger, d'où l'exemption prévue à l'alinéa h) de la définition de « fiducie étrangère exempte » au paragraphe 94(1). C'est l'un des sujets qu'a abordés M. Marley lors de sa comparution devant votre comité en mai dernier.
Ce qui nous préoccupe, dans la formulation de cette exemption, c'est que les fonds de placement internationaux sont normalement structurés de façon à convenir au plus large éventail d'investisseurs possible et à permettre une certaine souplesse dans le choix des structures de placement dans le monde. Les investisseurs canadiens constituent une fraction relativement minime des investisseurs potentiels dans ces fonds. Il n'est donc pas étonnant que la plupart des fonds de placement ne tiennent guère compte de la législation fiscale canadienne lorsqu'ils adoptent une structure.
En particulier, dans bon nombre de fonds étrangers, l'administrateur dispose d'une grande latitude pour structurer les placements du fonds. Il se pourrait que certaines des structures sous-jacentes ne respectent pas à la lettre les critères techniques requis pour bénéficier de l'exemption dont jouissent les fiducies commerciales conformément à l'alinéa h) de la définition de « fiducie étrangère exempte » au paragraphe 94(1).
Ces structures créées par les fonds étrangers pourraient s'avérer problématiques même s'il serait absurde d'imaginer qu'un tel fonds puisse être utilisé pour effectuer un gel successoral à l'étranger. S'il existe un risque que le fonds constitue une FNR et que les responsables du fonds en sont conscients, il est probable qu'ils ne permettront pas aux Canadiens d'y investir. Pire encore, si le fonds n'est pas conscient de ce risque et qu'il compte des investisseurs canadiens, le fonds et ses investisseurs s'exposent à payer des montants d'impôt très importants.
Nous avons attiré l'attention du ministère des Finances sur ces sujets d'inquiétude. À notre avis, il comprend nos préoccupations. En revanche, mises à part les lettres de confort adressées aux caisses de retraite exonérées d'impôt, il ne nous a donné aucun signe annonciateur de modifications supplémentaires. Cela s'explique par le fait que le ministère redoute avant tout qu'à la suite de la moindre modification, ces entités puissent servir à effectuer des gels successoraux à l'étranger. Il en résulte que le projet de loi C-10 ne va pas assez loin pour rendre l'investissement dans des fiducies commerciales à l'étranger réalisable.
M. Harris : Autre point que nous avons abordé avec les représentants du ministère des Finances : l'application des règles aux fiducies ayant double résidence. Il s'agit de fiducies qui risquent d'être imposables dans deux pays. Par exemple, une fiducie peut être soumise à l'impôt à titre de résidente des États-Unis, parce que c'est là que ses actifs sont administratifs. La même fiducie peut être présumée résidante du Canada et soumise à l'impôt canadien sur son revenu mondial en application des règles sur les FNR, simplement parce qu'un Canadien a effectué un apport à la fiducie.
Il peut en résulter une double imposition. M. Charles Gagnon de Stikeman Elliott a traité du sujet lors de sa comparution devant vous en décembre. Nous avons parlé de cette question de double imposition avec le ministère des Finances. Celui-ci craint que la non-imposition de telles fiducies ouvre la porte à des gels successoraux à l'étranger ou à des arrangements similaires qui permettraient aux Canadiens de se soustraire à l'impôt. Ce qui, de notre côté, nous préoccupe, c'est que dans certains cas, les règles proposées ne permettent pas de remédier aux problèmes de la double imposition découlant d'arrangements familiaux conclus de bonne foi.
La Partie 2 du projet de loi C-10 est constituée par les modifications dites « techniques » touchant la Loi de l'impôt sur le revenu. Nombre de ces modifications ont été présentées sous forme d'avant-projet de loi en décembre 2002. Certaines sont de nature purement technique; certaines sont favorables aux contribuables. Le comité mixte a également présenté des mémoires sur plusieurs de ces modifications techniques. À titre indicatif, nous avons également déposé auprès de vous cette correspondance.
Le président : L'avez-vous transmise à notre greffière?
M. Harris : Oui.
M. Tamaki : C'est la brique qui se trouve devant votre greffière.
M. Harris : Comme dans le cas de la plupart de nos mémoires, certains points ont été réglés, d'autres non. Néanmoins, nous poursuivrons notre dialogue avec les représentants du ministère des Finances dans le but d'améliorer l'applicabilité, la compréhensibilité et l'équité de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Le président : Merci, messieurs, pour votre exposé réfléchi sur ce sujet des plus compliqués. Étant donné que vous avez fait mention de la Partie 3 de la loi, sachez que la question de bijuridisme n'est pas quelque chose qui a été soulevé par les autres témoins. Vous dites que vous adhérez au concept. Je crois savoir que c'est entre autres en raison de l'uniformité des lois au Canada. Aux fins du compte rendu, pourriez-vous nous exposer le concept en question et nous dire ce qu'il représente pour vous?
M. Tamaki : Je crains qu'il n'y ait pas d'autre chose à ajouter. Nous avons simplement voulu préciser que l'Association du Barreau canadien appuyait ce concept. Malheureusement, ce n'est pas un domaine sur lequel le comité mixte a dû se pencher. Bien que nous nous intéressions aux questions techniques, celles-ci n'ont pas soulevé de questions fiscales en tant que telles. Nous pouvons comprendre sa nécessité, et l'Association du Barreau canadien souscrit en principe à l'idée, mais je n'ai pas autre chose à dire sur le sujet.
M. Harris : Moi non plus.
Le sénateur Massicotte : J'ai lu votre mémoire. Vous avez soulevé la question des lettres de confort et le fait que certains investisseurs bénéficieraient d'une protection et d'autres pas. Pourquoi seulement les fiducies étrangères exemptes?
Vous avez rencontré les représentants du ministère des Finances et, bien qu'ils n'aient apporté encore aucune modification, vous dites qu'ils ont compris vos préoccupations. À votre avis, est-ce parce qu'ils ne considèrent pas cela comme un problème ou s'agit-il strictement d'une question de calendrier politique?
M. Tamaki : Au fond, ils sont préoccupés par les gels successoraux à l'étranger. Je pense qu'ils sont sensibles à nos préoccupations mais qu'ils craignent qu'en apportant ces changements, ils ouvrent la porte à ces gels à l'étranger.
Je crois que nous pourrions trouver un terrain d'entente, où toutes les parties seraient satisfaites. Malheureusement, j'ai bien peur que le ministère ne soit pas de cet avis. À l'heure actuelle, il n'a aucunement indiqué qu'il entendait se pencher sérieusement sur les autres préoccupations, mais cela ne veut pas dire qu'il ne le fera pas. Même si ce projet de loi est adopté, notre comité mixte continuera de le presser d'examiner ces questions qui, selon nous, méritent qu'on y accorde une attention particulière.
M. Harris : Je suis d'accord avec M. Tamaki. Lorsque nous avons rencontré les représentants, j'ai également senti qu'ils étaient réceptifs à nos inquiétudes, mais que les gels successoraux à l'étranger demeuraient leur priorité; ils voulaient s'assurer qu'on ne puisse pas contourner les règles s'ils limitaient leur portée.
Le sénateur Massicotte : A-t-on actuellement recours à des gels successoraux internationaux? Est-ce que cela pose problème? Est-ce que des gens s'en servent pour éviter de payer les impôts qu'ils auraient dû verser?
M. Harris : Je dirais qu'au cours des dernières années, comme les règles en question sont en suspens et qu'on s'attend à ce qu'elles soient mises en œuvre un jour ou l'autre — parce qu'elles existent sous forme d'ébauche depuis 2000 —, je serais surpris si on avait eu recours à ce genre de gel dernièrement.
Le sénateur Massicotte : Est-ce parce que l'on craint que cette loi ne soit mise en vigueur?
M. Harris : Oui.
Le sénateur Massicotte : Dans votre pratique, avez-vous déjà été témoin de l'utilisation de gels successoraux internationaux?
M. Harris : Non.
M. Tamaki : Je n'en ai jamais vu.
Le sénateur Massicotte : Le ministère distribue apparemment des lettres de confort, ce qui signifie qu'il propose des amendements à venir. Pour les investisseurs institutionnels, j'imagine qu'il va modifier la définition du terme « exemption ». Est-ce ainsi que le ministère va procéder?
M. Tamaki : Je crois que c'est bien cela.
Le sénateur Massicotte : Vous dites que l'exemption devrait aussi s'appliquer aux investisseurs de bonne foi qui n'essaient pas d'éviter de payer des impôts, mais plutôt de faire preuve de créativité dans le traitement de leur succession et d'autres questions familiales.
M. Tamaki : Je ne suis pas persuadé que tout le monde doive avoir droit à la même exemption que celle qu'ont demandée et obtenue, sous forme de promesse, les administrateurs de régimes de retraite. Je crois que le ministère des Finances a d'autres préoccupations par rapport aux personnes assujetties à l'impôt.
Le sénateur Massicotte : Comment régleriez-vous ce problème? Quels amendements proposeriez-vous?
M. Tamaki : C'est une question difficile. Je ne veux pas donner dans les détails techniques, mais je crois que certains ont déjà été mentionnés par d'autres témoins. Je peux toutefois vous dire qu'il existe deux types d'exemption pour les investissements commerciaux dans des fiducies étrangères. Il y a notamment ce que l'on pourrait appeler les fiducies étrangères à participation multiple, qui comptent plus de 150 bénéficiaires.
Elles posent problème pour les personnes exonérées d'impôt et, par le fait même, pour celles qui y sont assujetties. Nous croyons que des amendements bien ciblés pourraient être faits pour que les dispositions soient beaucoup plus faciles d'application — rien n'est parfait, mais il est possible de les améliorer — pour les investisseurs réguliers.
L'autre exclusion, qui porte sur les fiducies comptant moins de 150 bénéficiaires, est une exemption comportant des conditions beaucoup plus difficiles à satisfaire. Je pourrais faire une recommandation qui permettrait de régler le problème pour ce qui est des investisseurs assujettis à l'impôt, mais je crois que le ministère des Finances dirait qu'en agissant ainsi, on ouvrirait la porte aux gels successoraux internationaux.
Le sénateur Massicotte : Le témoin précédent a affirmé que le projet de loi était tellement lacunaire, difficile à comprendre et compliqué pour rien qu'il faudrait tout recommencer à zéro, en utilisant une approche beaucoup plus globale et en établissant des objectifs clairs avant de déterminer par quel moyen les atteindre. Êtes-vous aussi de cet avis?
M. Harris : Selon nous, et je céderai la parole à M. Tamaki, il serait approprié de faire des amendements ciblés pour ce qui est des fiducies non résidantes.
Le sénateur Massicotte : Et qu'en est-il des entités de placement étrangères?
M. Harris : C'est une loi compliquée. Je crois que des amendements ciblés sont nécessaires. C'est mon opinion personnelle. Il arrive souvent que des collègues me disent que ces règles sont tellement complexes qu'ils ont de la difficulté à comprendre ce qu'elles veulent dire.
Le sénateur Massicotte : Vous ne les supprimeriez pas, mais vous tenteriez de régler le problème; est-ce exact?
M. Harris : Selon moi, il vaudrait mieux corriger les passages qui suscitent de l'incertitude, oui.
Le sénateur Massicotte : On constate que le ministère des Finances ne considère pas la règle générale antiévitement comme adéquate. Autrement dit, on éprouve encore des difficultés avec l'interprétation des règles; il est ainsi nécessaire d'adopter une loi à cet égard. Êtes-vous d'accord ou croyez-vous que c'est complètement inutile?
M. Harris : La RGAE a une portée très vaste. La façon dont les tribunaux, y compris la Cour suprême du Canada, interprètent la loi peut varier d'une fois à l'autre, et je crois que les gens du ministère des Finances, de même que les fiscalistes, ont du mal à déterminer si une mesure est assujettie ou non à la RGAE. Je ne peux pas parler pour le ministère des Finances, mais j'ai l'impression qu'on a voulu faire ces amendements afin de dissiper les incertitudes quant à l'applicabilité de la RGAE à ce type de mécanisme dans toutes les circonstances.
Le sénateur Massicotte : Apparemment, cela occasionne des préoccupations. La semaine dernière, nous avons reçu des témoins qui nous ont parlé des REER. Je ne sais pas si vous êtes au courant du problème, mais le Mouvement des caisses populaires est considéré, en vertu des lois québécoises, comme une coopérative. Selon ces témoins, la loi, telle que proposée, ne permettrait pas aux investisseurs de retirer des fonds de leurs REER. Étiez-vous au courant de la situation et partagez-vous la même opinion?
M. Harris : La première fois que j'en ai entendu parler, c'est en lisant le procès-verbal de la réunion de la semaine dernière. Je ne crois pas que notre comité se soit penché sur cette question récemment. Je peux vérifier, mais j'en doute.
Le sénateur Massicotte : Est-ce parce que vous n'êtes pas de cet avis?
M. Harris : Nous n'avons pas étudié la question.
M. Tamaki : C'est exact. Nous n'étions pas au courant de la problématique.
Le sénateur Jaffer : Si je ne m'abuse, vous avez indiqué au sénateur Massicotte qu'il devrait y avoir des amendements ciblés. Le témoin que nous avons reçu plus tôt a suggéré qu'un comité consultatif examine la question. Pensez-vous qu'un comité doive se pencher sur la question, ou comment envisagiez-vous l'établissement de ces amendements ciblés?
M. Harris : Je n'ai pas vraiment réfléchi au processus en tant que tel. C'est une option parmi d'autres. Notre comité continuera à travailler avec le ministère des Finances pour essayer de rendre les règles plus justes et d'adoucir les conditions pour les contribuables. Je ne m'étais pas demandé si nous avions besoin d'un comité distinct. C'est une solution à envisager. Je ne l'écarterais pas.
M. Tamaki : J'ai entendu M. Ruby dire, essentiellement, qu'il aimerait supprimer tout ce qui a été fait pour recommencer à zéro. Il est certain que cet exercice se solderait par un document plus étoffé. Cependant, je ne suis pas certain que le résultat serait meilleur que ce que l'on a entre les mains en ce moment. Par contre, c'est bien ce que nous souhaitons.
Pour ce qui est des amendements ciblés, M. Harris et moi-même faisons référence aux amendements portant sur les exclusions du régime. Si nous pouvions avoir des dispositions plus claires au sujet des conditions d'exemption, ce serait très utile. Nous espérons que la plupart des gens seraient exemptés et que seuls ceux qui commettent les actes reprochés par le ministère des Finances auraient à payer le prix.
On a parlé de la RGAE. C'est peut-être la solution; non pas la RGAE elle-même, mais une règle antiévitement qui pousserait les gens à y penser à deux fois avant d'effectuer les transactions en question.
J'imagine que ce serait une bonne idée d'établir un comité consultatif, ne serait-ce que pour lui présenter les problèmes que pose cette loi, de même que les difficultés qu'éprouve le ministère des Finances avec la loi en place et les abus dont il est témoin. En ayant accès à ce genre d'information et en communiquant de la sorte, je crois qu'il serait beaucoup plus facile d'élaborer une loi qui conviendrait à tout le monde.
Le sénateur Meighen : Les sénateurs Massicotte et Jaffer ont posé toutes les questions que j'avais, mais j'aimerais quand même que me vous disiez s'il existe en ce moment un comité consultatif. Assurons-nous un dialogue continu avec le Ministère, ou s'agit-il seulement de communications ponctuelles?
M. Tamaki : Je crois que le comité consultatif auquel on a fait référence est celui établi par le ministre des Finances pour traiter des problèmes fiscaux internationaux. Si je ne me trompe pas, le comité se penche principalement sur les problèmes auxquels font face les entreprises, sur la façon dont le régime fiscal international peut être corrigé, ou sur les questions commerciales et les enjeux pour les entreprises canadiennes investissant à l'étranger ou les entreprises étrangères investissant au Canada. Dans le document émis par le conseil consultatif, on suggère que les questions qui nous occupent, c'est-à-dire les fiducies non résidantes et les entités de placement étrangères, ont davantage trait aux investissements personnels que commerciaux, alors le comité considère que ces questions ne sont pas de son ressort pour le moment.
Le sénateur Meighen : Donc, vous dites qu'il n'y a aucun conseil consultatif permanent qui interagit avec les représentants du ministère des Finances et qui pourrait leur dire : « Écoutez, nous avons des problèmes avec les fiducies non résidantes et nous croyons que cela entraîne beaucoup de pertes fiscales, car des gens en profitent pour investir dans des pays où les impôts sont bas; alors, il faut faire quelque chose. Pouvons-nous travailler ensemble pour trouver des façons de régler le problème? ». Est-ce ainsi que les choses se passent?
M. Tamaki : Il n'existe pas de comité permanent. Il y a notre comité, le Comité mixte sur la fiscalité de l'Association du Barreau canadien et de l'Institut canadien des comptables agréés. Si le gouvernement croit qu'il y a un problème et qu'il nous envoie l'ébauche d'une loi ou même un document et nous demande notre avis, nous sommes tout à fait disposés à formuler des recommandations. Notre rôle se limite plutôt à répondre aux demandes de commentaires. Si nous décelons un problème technique dans les lois actuelles et que nous estimons qu'il faille corriger la situation, nous en informons le gouvernement.
Il n'y a pas de dialogue continu sur les questions politiques fondamentales, car le mandat de notre comité a une portée plutôt technique. J'imagine que les représentants du ministère des Finances consultent le plus de gens possible, mais je crois qu'aucun processus officiel n'est en place.
Le sénateur Meighen : Messieurs, nous pouvons soit rejeter ce projet de loi, soit l'adopter, soit le modifier, ou encore l'adopter avec observations. Nous avons entendu lors des témoignages, ainsi que de la part du président, que ce projet de loi est en grande partie très valable. Je ne sais pas si vous l'avez lu. Je dois avouer que je ne l'ai pas fait. On me dit par contre que certaines des mesures proposées répondent à des besoins criants. Comme vous pouvez le voir, nous sommes confrontés à un dilemme. J'aimerais que tout soit bien clair. Vous affirmez que des amendements ciblés seraient les bienvenus, que la lettre de confort devrait être étoffée pour inclure les éléments qui ne sont actuellement pas couverts, mais que tout ça ne justifie pas de jeter le bébé avec l'eau du bain et de s'opposer à ce projet de loi. C'est bien cela?
M. Tamaki : Ce n'est pas ce que nous avons dit. Nous avons en fait réfléchi longuement à la question pour être en mesure de bien vous répondre.
Le sénateur Meighen : Nous aussi.
M. Tamaki : Laissez-moi tenter une réponse. Je ne suis pas certain si, en fin de compte, cela répondra à votre question ou non. Si ce n'est pas le cas, vous pourrez me la poser de nouveau. C'est clairement une question très difficile à laquelle il n'y a pas de réponse facile. Notre comité ne s'est pas penché sur la question. Jusqu'à un certain point, ce sont les opinions de M. Harris et de moi-même que vous obtenez. Néanmoins, je crois qu'il convient de dire que normalement notre comité souhaite voir les lois mises en œuvre le plus rapidement possible, simplement pour que les contribuables sachent à quoi s'en tenir. Le fait de retarder la mise en vigueur de ces lois a des implications, notamment sur la présentation des rapports comptables.
Pour ce qui est du projet de loi C-10, vous avez entendu les opinions de plusieurs personnes. Certains membres du comité sur la fiscalité estiment qu'il est nécessaire de rédiger à nouveau la totalité du projet de loi parce qu'ils le jugent inapplicable. D'autres soutiennent que des amendements ciblés pourraient être faits pour le corriger. D'autres encore veulent qu'on l'adopte tel quel parce qu'ils sont pressés de passer à d'autres secteurs couverts par la loi. Parmi nos membres, vous retrouverez toutes ces opinions. À notre point de vue, le projet de loi est déficient; nous avons d'ailleurs souligné deux de ces lacunes aujourd'hui, et d'autres ont également été mentionnées. Parallèlement, nous n'avons pas adopté de projet de loi apportant des modifications d'ordre technique depuis 2002, et bon nombre des modifications proposées sont en suspens depuis trop longtemps. Nous sommes aussi conscients que si ce projet de loi n'est pas adopté, cela retardera de nombreux processus au sein du ministère des Finances. Ce sont là des raisons justifiant l'adoption du projet de loi.
En ce qui a trait aux lacunes soulevées, même si nous croyons que certaines d'entre elles pourraient être corrigées à l'issue de discussions que notre Comité et d'autres intervenants pourraient avoir avec le ministère des Finances, ce dernier ne nous a donné aucune indication selon laquelle il convient que des changements sont nécessaires et qu'il apportera, en fin de compte, les modifications qui s'imposent. Si ces lacunes suscitent des craintes, et même si ce ne sont là que les seules réserves que nous ayons, je ne crois pas que l'on puisse recommander l'adoption du projet de loi. Une fois que le projet de loi aura quitté le Sénat, personne ici ne pourra avoir l'assurance que ces lacunes seront corrigées. Je crois d'ailleurs qu'il revient aux sénateurs de décider si les avantages qu'aura l'adoption du projet de loi pour les contribuables surpassent les désavantages de la mise en vigueur d'une loi déficiente.
Le sénateur Meighen : Merci, monsieur Tamaki. C'est très intéressant. Je suis heureux que vous ayez anticipé la question. Un bon avocat sait toujours prévoir le coup.
Dans quelle mesure une lettre de confort plus étoffée ou d'autres lettres de confort pourraient apaiser vos inquiétudes?
M. Tamaki : J'ai lu la lettre de confort qui a été envoyée aux administrateurs de régimes de retraite. Je ne l'ai cependant pas étudiée de près. Elle expose assez précisément les changements qui seront faits, dans le sens qu'on y mentionne clairement les mots qui seront remplacés. Si on pouvait obtenir ce genre de précision, ce serait assez sécurisant. Il faut examiner les termes choisis et décider si cela s'avère rassurant ou non.
M. Harris : J'imagine que ce serait plus difficile à rédiger. La lettre était ciblée et spécifique pour les fonds de pension. Il pourrait être plus difficile de trouver la formulation adéquate.
Le sénateur Massicotte : Je ne suis pas certain d'avoir bien compris votre réponse aux questions du sénateur Meighen. Vous avez le choix d'approuver le projet de loi tel quel ou de le rejeter complètement. Je suis au courant des listes de souhait et des lettres de confort, et ainsi de suite. Mais je n'ai pas compris votre réponse. Recommandez-vous de l'adopter ou non?
M. Tamaki : Nous n'avons pas répondu à cette question. Nous avons dit que c'est à vous d'évaluer les avantages pour les contribuables qui découleraient de l'adoption du projet de loi par rapport aux désavantages de mettre en place une loi déficiente.
Le sénateur Massicotte : Je comprends, mais c'est vous l'expert. Vous connaissez les conséquences et le contenu du projet de loi. À votre avis, quelle est la meilleure option?
M. Tamaki : Sauf votre respect, ce n'est pas mon travail d'évaluer les avantages de cette loi pour les différentes catégories de contribuables par rapport aux problèmes qu'entraînerait une loi déficiente. Beaucoup de gens, dont moi- même, n'ont pas d'investissement dans des fiducies étrangères et ne seront pas touchés par l'adoption ou le rejet de ce projet de loi.
Le sénateur Massicotte : Monsieur Harris, êtes-vous d'accord avec cette réponse ou voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Harris : Je crois qu'il est difficile de trancher compte tenu des intérêts concurrents qu'il faut envisager ici; et je présume que c'est là que se situe le problème. Les intérêts divergent. Certaines dispositions de ce projet de loi doivent être adoptées. Il est difficile pour nous de dire qu'il faille mettre ces intérêts de côté en retardant l'adoption du projet de loi.
Le sénateur Massicotte : C'est la vie.
M. Harris : C'est juste. Certains attendent quelques-unes de ces dispositions depuis 2002. Un délai supplémentaire aurait-il tellement d'importance à leurs yeux? Il est difficile pour moi de répondre à cette question.
Le sénateur Massicotte : Pour vous permettre d'en arriver plus rapidement à une réponse, supposons que le projet de loi soit adopté tel quel. Compte tenu de votre expertise et des questions en jeu, y a-t-il une solution de rechange pour vos clients, qui ferait en sorte que d'ici un an ou deux, l'industrie pourra avoir mis au point une certaine structure pour éviter ces problèmes qui nous inquiètent?
M. Harris : J'ai l'impression que non. En fait, ces règles sont généralement en vigueur, comme vous le savez, je crois, depuis le 1er janvier 2007. Dans un sens, les contribuables vivent avec depuis un an et demi déjà.
J'ai connaissance de transactions qui n'ont rien à voir avec la question de l'évitement fiscal qui préoccupe le ministère des Finances. Lorsque nous considérons ces règles dans le contexte d'une fiducie basée à l'étranger pour des motifs non fiscaux, cela entrave le processus, comme l'a dit M. Ruby. En conséquence, on réagira normalement en tentant de trouver une solution. D'après mon expérience personnelle, on devra en fin de compte réaliser la transaction par un quelconque autre moyen, à l'exclusion d'une fiducie.
Le sénateur Massicotte : Et a-t-on trouvé des moyens?
M. Harris : Ils ne sont peut-être pas l'idéal pour le territoire étranger, quelle qu'en soit la raison.
Le sénateur Massicotte : Vont-ils dans le sens des intérêts commerciaux relatifs à la transaction?
M. Harris : Je ne pourrais dire qu'ils satisfont aux intérêts commerciaux de la manière souhaitée.
Le sénateur Massicotte : Je le conçois.
M. Harris : Cela crée de réels problèmes. Les territoires ont du mal à comprendre pourquoi ces lois sont si compliquées et difficiles à respecter, lorsqu'on reconnaît qu'il n'y a aucun évitement fiscal canadien en cause.
M. Tamaki : Personne n'est tenu d'investir son argent dans une fiducie commerciale à l'étranger. Beaucoup de gens aimeraient le faire pour des motifs de diversification et de rendement, mais ils n'y sont pas obligés. Dans le milieu des caisses de retraite, on aimerait bien agir en ce sens pour la raison qu'on invoque. Il en résulte que si nous adoptons ce projet de loi sous sa forme actuelle, en tenant compte de la lettre d'intention, je pense que vous verrez que seules les caisses de retraite investiront dans ces fonds étrangers. Cela se fera au détriment de ceux qui aimeraient en faire autant. Quoi qu'il en soit, la terre ne cessera pas de tourner. Certaines personnes obtiendront moins, c'est-à-dire un rendement moins élevé ou une moins bonne diversification qu'elles ne le voudraient. Le choix d'investissements possibles sera réduit, mais on restera en mesure d'investir dans des sociétés étrangères. On sera peut-être assujetti aux règles sur les EPE, auquel cas, il faudra faire avec. Si ces règles sur les EPE sont trop complexes pour les intéressés, ils ne feront pas non plus cet investissement. Ce qui se produit, selon moi, c'est que nous réduisons les choix d'investissement disponibles pour ceux ont de l'argent à investir.
Le sénateur Goldstein : Messieurs, merci beaucoup de vos commentaires éclairants. Comme vous pouvez le constater, nous faisons de notre mieux pour trouver des solutions quant à la manière de traiter cette loi, dans l'intérêt de tous les Canadiens.
Supposons que nous ajoutions tous les organismes à but non lucratif exonérés d'impôt — les universités et les hôpitaux, par exemple, qui ont tous des fonds comme les caisses de retraite, mais qui ne constituent pas, en ce moment, des fonds imposables — à la lettre d'intention en proposant un changement à la loi. Supposons également que nous devions trouver une solution pour les EPE et régler la question des clauses restrictives, une solution relativement simple, en plus de nous attaquer aux problèmes soulevés par le Mouvement Desjardins. En présumant que nous arrivions à trouver une manière de remédier à ces quatre problèmes — et en laissant de côté cette autre question qui nous a tant préoccupés —, seriez-vous enclin à nous dire que si c'est ce que ce qu'on s'apprête à faire, ce n'est pas la meilleure solution, mais pas la pire non plus?
M. Harris : Cela résoudrait certains des problèmes dont nous avons discuté, sans toutefois tenir compte du cas des contribuables qui pourraient investir dans ces types de structures.
Le sénateur Goldstein : C'est certainement vrai.
M. Harris : Cela ne règle pas les questions relatives aux fiducies ayant double résidence. D'un point de vue conceptuel, pourquoi une entité imposable devrait-elle être traitée différemment d'un fonds d'une université, ou d'une caisse de retraite? Théoriquement, on pourrait dire qu'elle devrait recevoir le même traitement. De manière similaire, la question des fiducies ayant double résidence est une chose qui, comme nous et d'autres personnes l'avons précisé, devrait être examinée également. La solution que vous avez évoquée permet dans une certaine mesure de régler certaines des questions soulevées, mais pas en totalité.
Le sénateur Goldstein : Nous tentons de résoudre ces questions, et cela nous donne du fil à retordre, comme vous pouvez le voir. Merci beaucoup.
Le précédent témoin, M. Ruby, nous a signalé qu'à son avis, et selon son expérience, si nous devions proposer trois, quatre ou cinq solutions et adopter la loi à son retour devant le Sénat sous réserve de ces solutions, et si la Chambre des communes devait adopter ces dernières, il est probable que cette loi ne serait pas revue par le ministère avant des années afin de traiter ces autres éléments qui seraient réglés. Êtes-vous également de cet avis?
M. Tamaki : Il me semble que cela dépend des solutions dont il s'agit. Si vous parlez d'éliminer la Partie 1, si c'est là votre solution, vous pouvez être assuré que quelque chose reviendra. Toutefois, si vous parlez d'une solution qui exemptera seulement certaines caisses de retraite imposables des règles relatives au FNR, cela ne règlera pas le problème pour tous les autres. Comme je continue de le dire, il n'y a aucune garantie que ce problème, ce défaut, si vous croyez qu'il en est un, sera corrigé.
Le sénateur Goldstein : Nous entendrons les universités la semaine prochaine. Je ne peux que présumer qu'elles voudront être incluses.
M. Tamaki : Je pense que vous avez raison.
Le sénateur Ringuette : Il me semble que nous sommes constamment aux prises avec une maison qui fuit de toutes parts. Une année, c'est le sous-sol qui coule, et l'année d'après, c'est le toit. Nous refaisons encore et encore le même exercice. On a promis aux Canadiens des lois revues, simplifiées et plus justes pour tous, et nous continuons de vivre dans une maison qui fuit de partout.
Dans le cadre de votre examen du projet de loi C-10, avez-vous relevé des dispositions rétroactives? Par exemple, monsieur Harris, vous avez mentionné plus tôt dans vos commentaires que les règles mises en place il y a un an et demi se retrouvent dans cette loi. Je présume que cette loi est rétroactive à la mise en place de ces règles, il y a un an et demi.
M. Harris : Je pense que le terme qui convient est « rétrospectif », en ce sens qu'une fois que ces règles sont adoptées, elles s'appliquent généralement à compter du 1er janvier 2007. Ce sur quoi je me prononçais, c'est le fait que si elles étaient édictées demain, cela pourrait avoir une incidence sur les transactions réalisées à compter du 1er janvier 2007. En conséquence, à mesure que les transactions ont lieu, les conseillers sont au courant que ces ébauches de règles sont exceptionnelles et qu'on doit en tenir compte en étudiant une transaction, en s'attendant à ce qu'elles puissent très bien devenir exécutoires sous leur forme actuelle.
Le sénateur Goldstein : Il n'est pas inhabituel qu'un projet de loi de cette nature établisse une échéance. Nous parlons tous du caractère terrible de la rétroactivité dans la loi, particulièrement en matière de lois fiscales. Néanmoins, lorsque vous avez une mesure législative qui contient une clause de rétroactivité mais qui est connue de la profession depuis un an ou plus, cela vous choque-t-il? Je ne crois pas personnellement que les choses pourraient se passer ainsi.
M. Harris : Au contraire, ce sont des choses qui arrivent couramment. Quand le ministre des Finances présente son budget, il arrive que l'on dépose un avis de voies et moyens et, peu après, la loi est mise en vigueur. Celle-ci est bien souvent mise en vigueur à 16 heures le jour même ou le lendemain de la présentation du budget. Ce n'est pas rare que cela arrive.
Le sénateur Goldstein : Pourriez-vous vivre avec ça?
M. Harris : Oui.
M. Tamaki : Je tiens à préciser que le projet de loi n'est pas entièrement mauvais. Beaucoup de ces amendements techniques ont été demandés par les contribuables afin de corriger des lacunes dans la loi.
Dans la plupart des cas, on aurait droit à un redressement, qui remonterait à la mise en vigueur initiale de la loi, même si les lacunes ont pu passer inaperçues jusque-là. Je n'ai pas vérifié, mais je suis certain que la majeure partie des dispositions sont rétroactives. C'est principalement parce que cela rapportera aux contribuables.
Le président : J'ai pris la liberté de jeter un coup d'oeil au recueil de correspondance échangée avec le ministère des Finances et ce comité depuis 2000, et même auparavant. Le tout confirme vos déclarations d'aujourd'hui.
Bon nombre des choses que vous avez demandées, au nom des contribuables canadiens, sont censées être mises en oeuvre avec l'adoption de ce projet de loi. Si celui-ci n'est pas adopté, c'est comme si on jetait le bébé avec l'eau du bain, pour reprendre l'expression utilisée par le sénateur Meighen. Êtes-vous d'accord?
M. Tamaki : Je pense que c'est effectivement le cas. Quoi qu'il en soit, je suis d'accord avec la définition que M. Ruby donne du système de lettres de confort. Cela s'appliquerait de la même manière à ces modifications techniques que l'on retrouve principalement dans la partie 2. Le milieu de la fiscalité présume que ce projet de loi sera adopté un jour ou l'autre. S'il ne l'est pas, je ne crois pas que nous allons tous pousser les hauts cris parce que toutes ces promesses n'ont pas été tenues. Par ailleurs, il y a d'autres lettres de confort qui n'ont pas encore pris forme dans ce projet de loi et que nous attendons toujours. Il semble bien qu'il nous faudra attendre l'adoption du projet de loi pour que ces éléments se concrétisent.
Le président : Comme vous pouvez le constater, ce comité vous prête une oreille attentive. M. Ruby, M. Marley et d'autres experts du domaine comme vous-mêmes nous ont bien évidemment dit à peu près la même chose.
Cependant, personne parmi vous n'a proposé d'amendements ciblés ou le libellé d'un autre type de lettre de confort qui rectifierait le tir relativement aux dispositions touchant les fiducies non résidantes, les entités de placements étrangères ou les clauses restrictives. C'est donc une question hypothétique que l'on vous adresse. Peut-être n'avez-vous tout simplement pas eu le temps nécessaire pour vous présenter aujourd'hui avec des propositions d'amendements.
Notre comité étudie ce projet de loi depuis le 27 novembre. Si le Parlement ajourne pour l'été aussi rapidement que nous pensons tous qu'il le fera, il est tout simplement impossible que ce projet de loi soit adopté d'ici là. Est-ce que vous-mêmes ou certains de vos collègues seriez en mesure de rédiger une proposition concrète au cours de l'été?
Vous savez fort bien, messieurs, ce qui motive cette requête. Nous faisons de notre mieux, mais nous ne sommes pas des experts. Vous pouvez toujours faire valoir que c'est le rôle qui nous incombe, mais nous nous efforçons d'offrir une tribune pour mettre en lumière les lacunes observées et d'exercer notre bon jugement pour évaluer les éléments qui nous sont présentés. Il ressort clairement que les experts en la matière ne sont pas satisfaits de la teneur de ce projet de loi pour les raisons que vous nous avez exposées, mais personne ne nous a proposé de solutions concrètes.
Nous avons posé la question aux représentants du ministère des Finances du Canada et ils nous ont répondu que tout allait très bien comme ça et que les intervenants du milieu étaient déjà au courant. Le ministre des Finances nous a indiqué qu'il privilégie une approche musclée dans le dossier des fiducies non résidantes et des entités de placement étrangères.
Il faut donc comprendre que les modifications ne seront pas proposées par le ministère ou par le législateur à moins qu'on ne leur présente certaines suggestions fondées sur les informations recueillies. Je me demande comment nous pouvons obtenir des solutions concrètes. Parmi les options qui s'offrent à nous, nous pouvons faire appel à certains d'entre vous pour nous aider à chercher ces solutions dans le courant de l'été. Nous pourrions aussi aller de l'avant en fonction de ce que le ministre et ses collaborateurs nous ont dit. Nous nous sommes efforcés de régler la situation des pensions et il y a une lettre de confort à ce sujet. Le projet de loi pourrait être adopté. Il y a une autre portion de la loi dont vous n'avez pas parlé et au titre de laquelle on proposera des amendements qui nous apparaissent justifiés. Aucun amendement n'a toutefois été suggéré relativement aux questions fiscales d'importance cruciale dont nous avons discuté aujourd'hui.
M. Tamaki : Je vais essayer de répondre.
Si nous avions le temps et les ressources nécessaires, nous pourrions vous présenter des propositions d'amendements à ce projet de loi. Je crains fort toutefois qu'elles seraient rejetées par le ministère des Finances du Canada. Je sais que vous aimeriez bien que l'on vous suggère des amendements, mais je ne suis pas certain que nous souhaitions consacrer du temps à l'élaboration de propositions qui seraient refusées par le ministère des Finances. Nous voudrions concevoir des options qui seraient profitables pour tout le monde tout en étant acceptables pour le ministère.
Si les fonctionnaires du ministère des Finances avaient un incitatif, des directives ou des instructions du ministre, voire du Sénat, à propos des résultats recherchés, nous pourrions conjointement trouver une solution. Cependant, je ne crois pas que nous puissions le faire unilatéralement. Nous devons connaître les questions qui les préoccupent afin de pouvoir proposer les changements en conséquence. Il nous faut notamment arriver à les convaincre que les modifications proposées ne vont pas les désavantager et qu'ils seront en mesure de s'y adapter.
Le président : Je vous ai posé la question, monsieur Tamaki, et vous m'avez répondu. Vous avez dit que les efforts à déployer n'en valaient pas le coup, compte tenu du temps qu'il faudrait y consacrer et de la réaction négative anticipée. Vous souhaitez donc bonne chance au comité et à son président en nous disant que c'est à nous de le faire. Est-ce bien cela?
M. Tamaki : Je ne crois pas. Je ne sais pas exactement comment les choses se passent, mais si l'on pouvait convaincre les responsables du ministère des Finances que la loi comporte des lacunes, nous pourrions alors travailler avec eux pour apporter les correctifs nécessaires.
Le président : Êtes-vous en train de nous dire que jusqu'à maintenant, malgré tous vos efforts, vous n'êtes pas parvenu à les convaincre en ce sens?
M. Tamaki : Je ne pense pas que nous ayons réussi.
M. Harris : Je ne crois pas moi non plus.
Le sénateur Goldstein : J'ai une solution hypothétique à formuler et je ne sais pas si j'aurai l'appui d'un autre membre de ce comité.
Supposons que nous disions aux gens du ministère des Finances quelles sont nos préoccupations en leur indiquant les changements que nous préconiserions. Nous les inviterions à consulter le Comité mixte sur la fiscalité — en toute franchise, ils peuvent bien consulter qui ils veulent — et à formuler des amendements qui ne leur plairont pas nécessairement, mais qui conviendraient aux professionnels du secteur, car il nous est impossible de traiter ce projet de loi dans sa forme actuelle. Pensez-vous que cela les inciterait à travailler avec vous?
M. Harris : C'est le ministre qui leur donne leurs directives.
Le sénateur Goldstein : Il est bien évident que leurs directives leur viennent du ministre. J'essayais juste de poser la question gentiment.
Croyez-vous que le ministère et le ministre seraient disposés à leur permettre de travailler avec vous au début de l'été de telle sorte que nous puissions voir des propositions concrètes assez longtemps avant la reprise de nos travaux?
M. Harris : Je ne vois pas comment nous pourrions répondre à leur place.
M. Tamaki : Je ne sais pas comment répondre à cette question. Nous ne pouvons pas les obliger à négocier avec nous.
Le sénateur Goldstein : Je sais bien que vous ne pouvez pas.
Le président : Tout d'abord, nous vous remercions pour votre présence. Nous vous invitons à réfléchir à cette hypothèse. La situation nous laisse perplexe et c'est la même chose pour vous. Il y a différentes avenues possibles et vous nous avez exposé quatre options.
Discutez de la question entre vous — je pense à M. Ruby, à M. Marley et quelques autres — et si vous arrivez à dégager quelques suggestions, faites-nous les connaître. Nous allons faire valoir auprès des gens du ministère qu'il serait bon qu'ils parlent avec vous; il y aura donc tout au moins un autre interlocuteur pour cette portion de la négociation. Je pense que c'est une garantie que nous pouvons vous fournir.
M. Tamaki : Je voudrais rappeler la suggestion de M. Ruby qui proposait que cette question soit soumise au comité consultatif. Nous pourrions peut-être ainsi mieux savoir quelles sont les préoccupations de part et d'autre. Nous avons besoin de cette information pour trouver une issue à l'impasse.
Le président : Au nom de tous les membres du comité, je tiens à vous remercier tous les deux — ainsi que tous vos associés qui ont participé à cet excellent travail — pour être venus témoigner ici et semer davantage la confusion dans nos esprits relativement à ce sujet fort complexe. Il faut dire que vous nous avez fourni des informations utiles et je vous en remercie.
Je dois vous informer, chers collègues, que j'ai malheureusement un engagement personnel pour demain. Je ne pourrai donc pas être présent à notre réunion de 10 h 45. C'est notre vice-président qui occupera le fauteuil.
Pendant cette séance de deux heures, il était prévu que nous entendions les témoignages de trois maires canadiens, ceux de Halifax, Toronto et Montréal. On vient juste d'apprendre que le maire de Halifax a renoncé à témoigner. La séance débutera à 10 h 45 et nous nous en tiendrons donc aux témoignages des deux autres maires.
Leurs exposés devraient durer une heure. S'il y a des questions, le comité directeur essaiera de se réunir. J'ai fait certaines suggestions au vice-président qui en parlera à l'autre membre, le sénateur Moore. Nous tenterons de nous réunir lundi ou mardi de manière à vous faire part de nos propositions au début de la semaine prochaine.
Comme vous pouvez le constater, cet exercice prend de l'ampleur et devient plus complexe. La présidence appréciera grandement tous les sages conseils que vous pouvez lui fournir. Nous nous efforçons tous d'arriver au même résultat et d'accomplir efficacement notre travail de second examen objectif. Par ailleurs, nous ne voulons pas entraver ce processus législatif indûment ou pour les mauvaises raisons.
Le sénateur Tkachuk : Il est important de noter qu'en dépit des préoccupations exprimées par nos témoins, nous pourrions adopter ce projet de loi en y adjoignant les observations nécessaires pour régler quelques-uns de ces problèmes. Des témoins nous ont dit qu'ils travaillaient déjà en application des dispositions du projet de loi dans certains cas pendant l'année 2007. Plus les choses sont retardées, plus les inquiétudes s'accumulent et plus il est difficile pour les gens de savoir quelles dispositions s'appliquent.
Selon moi, si nous pouvions nous entendre sur une observation à annexer pour demander au ministère de retourner à la planche à dessin relativement aux principaux problèmes relevés, nous pourrions les inviter à présenter des amendements à ce projet de loi. Nous pourrions également joindre un bref compte rendu de quelques-uns des témoignages que nous avons entendus, dont notamment celui du groupe d'aujourd'hui. C'est une option qui s'offre à nous.
Le président : Merci, nous allons réfléchir à cette possibilité. Nous allons en discuter. C'est l'une des options envisageables. Il est important que nous vérifiions si le cabinet du ministre des Finances est disposé à parler à ces témoins. S'il était possible de négocier un arrangement, ce serait la solution la plus facile, mais si le ministère ne veut pas engager le dialogue, cela me pose problème.
Le sénateur Tkachuk : M. Tamaki a dit quelque chose d'intéressant. Il a indiqué qu'ils pourraient proposer certaines modifications mais qu'ils ne croyaient pas qu'elles seront acceptées.
Le président : Les Tamaki de ce monde essaient de projeter une image pessimiste mais, au fond, ils sont très optimistes; ils demeurent insondables.
M. Tamaki : Je voulais seulement faire valoir que nous tenons tous les deux à avoir une discussion franche et complète avec le ministre des Finances. Si vous nous demandez de proposer des amendements, nous pouvons très bien le faire. Nous pourrions vous dire d'abroger carrément le projet de loi. Ce serait simplement une proposition qui pourrait nous convenir à nous, mais pas nécessairement au ministre des Finances, et cela n'aurait vraiment aucun sens.
Le président : Quoi qu'il en soit, chers collègues, c'est l'état actuel des choses. Merci encore à nos témoins et merci à vous, sénateurs. Nous y arriverons un de ces jours.
La séance est levée.