Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 21 - Témoignages du 5 juin 2008
OTTAWA, le jeudi 5 juin 2008
Le Comité sénatorial permanent des banques et du Commerce se réunit aujourd'hui à 10 h 50 pour étudier le projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, notamment en ce qui concerne les entités de placement étrangères et les fiducies non-résidentes ainsi que l'expression bijuridique de cette loi, et des lois connexes.
Le sénateur Yoine Goldstein (vice-président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le vice-président : Aujourd'hui nous poursuivons notre étude sur le projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, notamment en ce qui concerne les entités de placement étrangères et les fiducies non-résidentes ainsi que l'expression bijuridique de certaines dispositions de cette loi, et des lois connexes.
Cette étude se poursuit depuis la fin du mois de novembre 2007. Nous avons déjà entendu un nombre considérable de témoins.
[Traduction]
Comme vous le savez, le projet de loi C-10 avait déjà été présenté lors de la première session de la législature actuelle; il s'agissait du projet de loi C-33. On l'appelle Loi de 2006 modifiant l'impôt sur le revenu. Il a été présenté à la Chambre des communes le 22 novembre par le ministre des Finances mais, à la fin de la première session, le projet de loi est mort au Feuilleton et a donc été présenté de nouveau pendant la deuxième session et porte maintenant le numéro C-10. Notre comité, je le répète, est saisi de ce projet de loi depuis le début de l'hiver dernier.
Aujourd'hui, nous nous concentrerons sur l'article 120 du projet de loi. Cet article modifierait l'article de la Loi de l'impôt sur le revenu énonçant les règles qui régissent le calcul du crédit d'impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne. Selon le paragraphe 127.4(7) proposé, le ministre du Patrimoine canadien devrait établir des lignes directrices indiquant dans quelles circonstances les conditions proposées par la définition de films canadiens ou de certificats de production magnétoscopique seraient respectées. En vertu de la loi, cette définition serait modifiée afin que le ministre du Patrimoine canadien atteste également que le financement public de la production n'est pas contraire à l'intérêt public. En anglais, le terme est « public policy ».
La modification s'appliquerait en général aux productions cinématographiques ou magnétoscopiques canadiennes pour lesquelles des certificats sont délivrés par le ministre du Patrimoine canadien après décembre 2002.
[Français]
Au sujet du projet de loi C-10, nous avons l'honorable maire Gérald Tremblay de ma ville, la Ville de Montréal.
[Traduction]
Nous recevons également l'honorable David Miller, de la ville de Toronto.
Avant de vous céder la parole, messieurs, je tiens à vous remercier de comparaître aujourd'hui et de nous aider dans nos délibérations. Je présenterai les gens qui se trouvent autour de la table.
Je m'appelle Yoine Goldstein, du Québec. Je suis vice-président du comité; pour l'instant, je remplace David Angus, qui est aussi de Montréal mais qui y a été retenu malgré lui en raison de questions importantes.
À ma gauche se trouve la greffière du comité, Line Gravel. À ma droite, June Dewetering et Phillippe Bergevin, de la Bibliothèque du Parlement. Le sénateur Fox, de Montréal, sera de retour dans un instant. Le sénateur Dawson vient du Québec. Le sénateur Harb vient de l'Ontario; nous lui pardonnons. Le sénateur Eyton vient aussi de l'Ontario.
À ma gauche se trouve le sénateur Nolin, du Québec. Comme vous l'avez peut-être remarqué, nous tentons de prendre le contrôle du comité. Le sénateur Moore vient de la Nouvelle-Écosse. Le sénateur Ringuette vient du Nouveau-Brunswick. Le sénateur Massicotte, du Québec. Le sénateur Biron vient du Québec et le sénateur Jaffer, de la Colombie-Britannique.
La séance d'aujourd'hui est télévisée, diffusée sur le Web et radiodiffusée, de sorte que tout ce que nous dirons aujourd'hui sera vu et entendu par bon nombre de Canadiens et sera aussi sans aucun doute scruté à la loupe par de nombreux Canadiens.
Sénateur Dawson, je crois que vous avez une brève remarque à formuler avant que nous ne commencions.
Le sénateur Dawson : Je ne veux pas retarder nos travaux. La semaine dernière, des représentants du Groupe Desjardins ont comparu et nous ont dit qu'ils avaient d'importantes réserves à propos de ce projet de loi. Je vois ici que le président du comité a dit hier : « Desjardins ne voit pas d'inconvénients au projet de loi tel qu'il a été rédigé, pourvu que le gouvernement prenne les mesures pour les régler avant la fin de ce délai ». Je respecte le sénateur Angus, mais je préférerais que Desjardins ou le ministère des Finances nous le disent.
Le vice-président : Les représentants du ministère vont comparaître jeudi et vous pourrez alors leur poser la question, sénateur Dawson. Vous avez raison de dire que c'est une question importante.
Je préfère entendre ce que ces messieurs ont à dire pour qu'ils puissent repartir s'acquitter de leurs tâches importantes, et si nous avons un sujet à discuter, nous pourrons le faire par la suite.
[Français]
Gérald Tremblay, Maire de la ville de Montréal : Monsieur le vice-président, avec votre permission, je vais faire ma présentation en français mais je pourrai répondre aux questions en français ou en anglais.
Monsieur le vice-président, permettez-moi d'abord de vous remercier de recevoir la Ville de Montréal et la Ville de Toronto et nous permettre de nous exprimer à propos du projet de loi C-10. La disposition du projet de loi au sujet de laquelle nous désirons nous faire entendre concerne l'article 120, qui traite de l'application des incitatifs fiscaux pour la production de films. Il est bien connu que les villes de Toronto, Vancouver et Montréal sont les principaux centres de production au Canada dans le domaine cinématographique et audiovisuel.
Cette production se développe dans d'autres villes au Canada, notamment la ville de Halifax. Mon collègue va vous faire part de la lettre de Peter Kelly qui aurait aimé être avec nous aujourd'hui.
Au fil des ans, les centres principaux ont acquis une stature internationale. C'est donc d'abord et avant tout dans ces agglomérations urbaines que tout changement réglementaire ou législatif touchant cette industrie aura des répercussions.
Par ailleurs, la population canadienne est maintenant largement concentrée dans les villes et c'est essentiellement dans ces dernières que la compétitivité économique de notre pays se forge et se développe.
Vous me permettrez de commenter notre présentation avec un petit retour historique. Montréal se développe comme centre de production pour le cinéma et l'audiovisuel depuis plus de 60 ans. En effet, un des premiers jalons importants de notre arrivée dans cet univers est l'ouverture de la première entreprise commerciale de production de films au Québec, Renaissance film, en 1944. On se souvient aussi qu'en 1956, le gouvernement fédéral de l'époque déménagea l'Office national du film du Canada d'Ottawa à Montréal, parce que c'est dans notre ville que l'activité cinématographique était réellement en ébullition.
Je suis accompagné aujourd'hui de Michel Trudel, qui est le coprésident de Cinéma Mels, qui pourra peut-être commenter davantage cette évolution. Au fil des ans, nos créateurs, qu'ils soient cinéastes, réalisateurs ou scénaristes, ainsi que tous nos artisans dans les métiers plus techniques ont développé leur talent et leur expertise et ont mis en image des histoires qui ont su séduire le public québécois et celui d'ailleurs. George Mihalka de la Guilde des réalisateurs canadiens nous accompagne également. C'est le vice-président national de cette guilde.
Ce fait est clairement démontré par les résultats de notre cinéma au guichet et par le nombre impressionnant de créateurs et créatrices de l'industrie du film qui se trouvent à Montréal.
De nos débuts très humbles où nous produisions des œuvres qu'on pouvait qualifier de naïves, jusqu'à la reconnaissance internationale dont jouissent maintenant les œuvres québécoises, notamment dans tous les festivals internationaux majeurs, on peut dire que le chemin parcouru a été immense et que nous avons une place sur l'échiquier mondial.
Grâce à nos artisans talentueux et innovateurs, notre architecture, nos paysages uniques et nos infrastructures à la fine pointe de la technologie, nous avons pu soutenir chez nous le développement de la production québécoise en plus d'accueillir des productions étrangères, le plus souvent américaines, et des productions internationales, principalement réalisées avec des pays européens.
Au cours des dernières années, le volume total annuel de production s'est toujours situé autour de 1,3 milliard de dollars pour tout le Québec.
Toutefois, nous devons constater que la très grande part de cette activité, soit près de 90 p. 100, se déroule sur le territoire montréalais. D'ailleurs, le Bureau du cinéma et de la télévision de la Ville de Montréal, qui est représenté ici aujourd'hui par Daniel Bissonnette, traite 500 tournages par année pour lesquels nous émettons quelques 6000 permis et autorisations.
Un élément important à mettre en lumière est le fait que l'activité de notre centre de production repose d'abord et avant tout sur la production locale, puisqu'elle représente les deux tiers du volume total. Le dernier tiers se répartit entre les tournages étrangers et les coproductions.
La production locale, par laquelle passe l'expression de notre spécificité culturelle et linguistique, constitue l'élément clé de l'activité. Soulignons aussi que le nombre de longs métrages québécois produits chaque année, environ une trentaine, en regard de la population totale du Québec, compte parmi les plus élevés au monde.
D'un point de vue strictement économique, la communauté métropolitaine de Montréal, qui regroupe les 82 villes du Montréal métropolitain dont je suis le président, a développé une stratégie de développement économique basée sur le développement des grappes industrielles. Cette approche a fait ses preuves à travers le monde. Il y a actuellement plusieurs grappes dans le Montréal métropolitain; vous connaissez très bien les technologies de l'information et des communications, avec 110 000 emplois; l'aérospatial et les sciences de la vie avec 40 000 emplois chacune; ainsi que la grappe du cinéma et de la production audiovisuelle.
Cette dernière grappe se compare très bien aux autres avec ses 35 000 emplois équivalant temps plein et également ses 500 entreprises de production et de diffusion. Monsieur Hans Fraikin du Bureau du cinéma et de la télévision du Québec accueille le siège social de cette grappe et est également présent parmi nous. Durant la période de 1994 à 2004, le taux de croissance économique de cette grappe a été trois fois supérieur au taux de croissance de l'économie québécoise en général, ce qui lui donne le statut de créatrice de richesse.
Si l'on jette un regard un peu plus large sur toute cette activité, on constate que Montréal a atteint un statut enviable comme ville de créativité dans le domaine audiovisuel. En plus de la production cinématographique et audiovisuelle, il est utile de rappeler que c'est ici que des Montréalaises et des Montréalais ont conçu les logiciels d'effets visuels qui constituent aujourd'hui encore une référence mondiale pour la production d'animation et d'effets visuels, notamment Softimage. Montréal est aussi reconnue comme un centre majeur de développement de jeux vidéo avec la présence d'entreprises internationales et locales, telles que Electronic Arts, Ubisoft, Eidos et A2M.
Cela dit, il est important d'établir que les gouvernements de presque tous les pays soutiennent financièrement leur production cinématographique locale, faute de quoi cette industrie n'existerait tout simplement pas chez eux, rendant l'expression de leur spécificité culturelle impossible par le film. Des pays comme la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne le font; le Canada et le Québec ne font pas exception à ce soutien gouvernemental. C'est d'ailleurs notre pays qui s'est révélé le pionnier des crédits d'impôt dans ce domaine en les implantant au milieu de la dernière décennie.
Dans ce contexte, la production de films québécois et canadiens repose en très grande partie sur les montages financiers où l'on retrouve de l'argent provenant de fonds privés et de fonds publics. Il est clair que ces montages ne peuvent exister et demeurer que dans la mesure où tous les partenaires impliqués ont confiance en la durabilité de ces montages.
À titre d'exemple, les banques qui fournissent du financement dans ce cadre ne peuvent composer avec des montages où l'argent public peut être retiré une fois le produit terminé. Les témoignages spécifiques déjà entendus devant ce comité avalisent clairement cet état de fait.
Après lecture du projet de loi, nous avons l'obligation de constater que les mesures relatives aux incitatifs fiscaux introduisent un élément d'incertitude qui produira un impact financier négatif certain sur la production de films québécois et canadiens, notamment en raison de la possibilité pour le ministre de réclamer le remboursement de crédits d'impôt une fois le film terminé.
Ce type de décision à caractère rétroactif est totalement incompatible avec le financement des films tel qu'il existe actuellement au Québec et au Canada. De plus, les films étrangers tournés au Canada ne seraient pas soumis à ces mêmes mesures.
En conséquence, et tel qu'adopté par le Conseil municipal de Montréal le 26 mai dernier, ainsi que par les maires des grandes villes canadiennes lors de la dernière réunion de la Fédération canadienne des municipalités, la Ville de Montréal s'oppose à la modification relative aux incitatifs fiscaux applicables aux films canadiens contenue dans le projet de loi C-10; et recommande au Parlement canadien d'amender le projet de loi C-10, suite à des consultations avec l'industrie du cinéma, de façon à éliminer toute mesure affectant négativement le financement des productions cinématographiques.
Cette position s'inscrit dans la foulée du Rendez-vous novembre 2007 — Montréal, métropole culturelle que j'ai eu l'honneur de présider, et au cours duquel tous les partenaires, incluant le gouvernement fédéral, se sont engagés à soutenir la réalisation d'un plan d'action de dix ans qui prévoit, entre autres, explicitement de « consolider Montréal comme centre international de production audiovisuelle».
[Traduction]
Avec votre permission, je lirai deux paragraphes d'une lettre adressée au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce le 2 juin 2008 pour exprimer la position de notre collègue, Sam Sullivan, le maire de Vancouver. C'est bref.
Honorables sénateurs,
Comme vous le savez, l'industrie cinématographique à Vancouver est un volet d'une industrie de un milliard de dollars qui assure les emplois très spécialisés et bien rénumérés à des techniciens, des artisans et des artistes dans toute la province. Vancouver est le troisième centre de production de films le plus occupé en Amérique du Nord après Los Angeles et New York. Les relations entre l'industrie cinématographique, l'administration municipale et les citoyens de la ville sont positives et ont permis à Vancouver de devenir le centre de production le plus populaire au Canada et de se classer troisième à cet égard dans le monde. L'industrie cinématographique emploie plus de 25 000 habitants de la Colombie-Britannique, et les retombées économiques dans d'autres industries sont également importantes. Les productions cinématographiques et télévisuelles apportent un avantage économique et culturel important à notre ville, et nous devons nous assurer que celle-ci restera l'un des endroits les plus recherchés pour le tournage de films.
Pour ces raisons, je vous écris afin d'exprimer mon appui pour la motion ci-annexée, qui a été présentée lors du caucus des maires des grandes villes, la semaine dernière, et adoptée par la FCM. Je tiens à confirmer mon opposition à la modification relative aux incitations fiscales applicables aux films canadiens contenues dans le projet de loi C-10, et je recommande que le gouvernement fédéral modifie celui-ci, après avoir consulté l'industrie cinématographique, afin d'éliminer toute mesure susceptible de nuire au financement des productions cinématographiques.
[Français]
Mesdames et Messieurs, merci beaucoup pour votre attention.
Le vice-président : C'est nous qui vous remercions.
[Traduction]
Honorables sénateurs, préférez-vous interroger maintenant le maire Tremblay, ou attendre que le maire Miller ait formulé ses remarques. C'est ce que je préférerais.
M. Tremblay : Je présume que je n'ai pas à déposer cette lettre.
Le vice-président : Non, nous l'avons dans les deux langues officielles, de même que la résolution.
Le sénateur Moore : Je veux m'assurer que la résolution est annexée. Je ne pense pas que monsieur le maire l'ait mentionné. Elle est annexée et fera partie du compte rendu.
Le vice-président : Nous avons constaté que la résolution du 26 mai est annexée et qu'elle fera partie de notre compte rendu. Merci de nous l'avoir fait remarquer, sénateur Moore. Allez-y, monsieur Miller.
M. Tremblay : Il est aussi un maire honorable. Il représente plus de gens que moi.
Le vice-président : Vous comprendrez que j'ai un faible pour Montréal.
M. Tremblay : Je le comprends, mais il faut également reconnaître qu'il représente plus de citoyens que moi.
David Miller, maire, ville de Toronto : J'ai aussi une lettre, du maire Kelly de Halifax, qui aurait voulu se joindre à nous aujourd'hui mais n'a pas été en mesure de le faire. Elle est un peu plus longue que celle du maire Sullivan et je pense qu'elle n'est pas traduite, de sorte que je vais la lire aux fins du compte rendu. Puis-je le faire, à un moment ou à un autre, au cours de mes remarques?
Le vice-président : Vous pouvez la lire aux fins du compte rendu, mais vous ne pouvez pas la déposer. Vous pouvez la lire, mais elle ne fait pas partie de vos remarques.
M. Miller : À la fin de mes observations, peut-être, alors.
Mon collègue et moi sommes heureux d'être ici aujourd'hui. En plus d'être maire de Toronto, je suis également président du Toronto Film Board, une industrie créée par la ville de Toronto pour encourager les industries cinématographique et télévisuelle de la ville de Toronto.
C'est une opinion personnelle que je vais exprimer aujourd'hui, mais elle s'appuie sur une résolution adoptée conjointement par le Toronto Film Board, le Conseil municipal de Toronto, le Caucus des maires des grandes villes et la Fédération canadienne des municipalités. Nous avons tous de sérieuses réserves quant aux effets du projet de loi C- 10 sur nos villes et nos économies.
Le maire Tremblay et moi-même ne sommes pas seuls ici. Nous parlons au nom des municipalités de notre pays, dont les grandes villes où l'on réalise des courts métrages : Montréal, Toronto, Halifax et Vancouver. Nous nous préoccupons non seulement de notre économie mais aussi du maintien de la capacité pour le Canada et les Canadiens de relater leurs propres histoires sans crainte d'être humiliés sur le plan artistique ou financier.
Notre pays est d'une diversité incroyable sur le plan du son et des images. Nous ne pouvons pas laisser amoindrir ceux qui captent et interprètent l'esprit de notre pays à notre profit. L'industrie cinématographique canadienne nous révèle à nous-mêmes et fait connaître la diversité moderne du Canada ailleurs dans le monde. Cette industrie est au cœur d'une économie fondée sur le savoir et créative qui connaît une croissance fulgurante dans les villes canadiennes et fait connaître au monde entier ce que le Canada a à lui offrir. Je suis d'avis que la disposition dont nous discutons aujourd'hui est une attaque injustifiée à l'identité canadienne. Elle mine les efforts d'une industrie créative en pleine croissance qui crée l'occasion pour nos villes de croître et de prospérer au profit de tous nos résidants.
À Toronto, le secteur créatif constitue l'une des quatre pierres angulaires de notre programme d'encouragement à la prospérité, qui est au cœur de la stratégie de développement économique de la ville qui a été articulée en partenariat avec le milieu d'affaires de Toronto, les syndicats, les milieux culturels et les organisations sans but lucratif. Ce sont quatre piliers, c'est tout simple : un Toronto proactif, qui signifie que le gouvernement municipal doit jouer son rôle; un Toronto global, qui reconnaît que la ville doit se doter d'un profil international; un Toronto créatif, et un Toronto qui existe au profit de tous les Torontois.
La créativité est au cœur de notre stratégie. L'industrie cinématographique et télévisuelle est la poutre d'acier qui fait la force de ce pilier. En 2006, les compagnies de production ont dépensé plus de 700 millions de dollars à tourner des films et des émissions de télévision dans la plus grande ville du Canada. Plus de 35 000 Torontois tirent directement leur gagne-pain du travail qu'il y a sur place, derrière et autour des caméras et des plateaux insonorisés. Cette industrie est d'une importance vitale, comme le confirment évidemment ces statistiques, mais sa réussite artistique et financière est tributaire de la faculté qu'a cette industrie d'œuvrer à l'intérieur d'un domaine dont les frontières sont bien définies, et où ne seront pas tolérées l'ingérence politique ou la censure.
Le Code criminel fait déjà en sorte que les productions cinématographiques canadiennes répondent à des normes de qualité et de dignité admises. Cependant, en vertu du projet de loi dont vous êtes saisis, les longs métrages tournés au Canada seraient assujettis à un examen postproduction que mènerait le gouvernement et qui ne peut être considéré que comme arbitraire. Ce n'est qu'à ce moment que l'on déterminerait l'admissibilité de ces productions aux crédits d'impôt prévus. Les productions qui ne répondraient pas à cette norme encore inconnue seraient privées du financement dont elles dépendent pour bâtir le genre d'entreprise qui crée des emplois et améliore le bien-être économique de notre ville. Cette proposition est donc inacceptable.
Cette proposition déstabilise du tout au tout le circuit financier déjà difficile dans lequel les producteurs de cinéma doivent naviguer pour trouver du financement. Les films sont souvent tournés avec des budgets serrés qui dépendent du crédit d'impôt qui a été mûrement pensé pour soutenir la production canadienne. Aucun prêteur ne prendra le risque de ne pas être remboursé parce qu'on risque d'annuler après coup l'octroi du crédit d'impôt. La tempête d'incertitude soulevée par le projet de loi C-10 porterait un coup fatal du jour au lendemain à l'industrie cinématographique, pas seulement à Toronto, mais aussi à Vancouver, Montréal, Halifax et partout au pays. Cette proposition est donc inacceptable et doit être rejetée.
Vous, sénateurs, qui êtes ici pour réfléchir, avez le loisir de refuser de donner votre aval, obligeant ainsi le gouvernement fédéral à repenser son orientation. J'ai la conviction que, s'il vous est permis de dialoguer constructivement avec les réalisateurs de films et d'émissions de télévision qui ont consacré leur vie au Canada, tous les membres de la Chambre des communes vont voir dans quelle voie périlleuse le projet de loi C-10 nous place.
À Toronto, la ville et la province collaborent pour venir en aide à l'industrie cinématographique. Le gouvernement provincial a récemment enrichi les crédits d'impôt canadiens et étrangers, accordé des allégements fiscaux aux cybernographistes et investi beaucoup plus d'argent dans la réalisation des productions locales sur le marché international. Le gouvernement de l'Ontario a donné son appui à l'initiative Green Screen à frais partagés dont l'objectif est la durabilité environnementale. À l'hôtel de ville, nous avons présenté des programmes qui ont pour effet de réduire la taxe foncière de l'industrie cinématographique. Nous avons instauré un incitatif fiscal équivalent pour venir en aide aux entreprises cinématographiques qui ont pour plan de bâtir de nouvelles installations ou de restaurer celles qui existent déjà. Ce programme sera un tonique pour le nouveau développement de studios du parc riverain est de Toronto qui abrite le plus grand plateau insonorisé du monde.
Notre partenariat avec le gouvernement provincial ne peut pas porter fruit si le gouvernement national ne prend pas le temps de comprendre l'enjeu qui nous occupe. Une majorité de sénateurs peut obliger la Chambre des communes à prendre le temps de consulter tous les acteurs de ce secteur vital avant de voter une loi. L'industrie cinématographique a déjà assez d'obstacles à surmonter au Canada sans qu'on ajoute celui-ci.
Il faut que le gouvernement fédéral coopère avec l'industrie cinématographique et télévisuelle et ne pas lui mettre de bâtons dans les roues. Vous tous ici présents pouvez contribuer à opérer ce changement d'attitude en refusant d'avaliser le projet de loi C-10 sous la forme qui vous a été soumise l'an dernier. Je sais qu'au cours des trois derniers mois, vous avez entendu de nombreux représentants de l'industrie qui ont exprimé leurs préoccupations. Vous avez entendu des propriétaires de studio, des réalisateurs, des scénaristes, des metteurs en scène, des cinéastes ainsi qu'une multitude de Canadiens qui soutiennent notre industrie parce qu'elle enrichit leur vie et leur donne une meilleure compréhension du pays dans lequel nous vivons.
Je pense que le message est clair, et je suis heureux d'ajouter aujourd'hui ma voix à vos délibérations au nom des résidants de Toronto.
J'aimerais maintenant donner lecture de la lettre du maire Kelly. Il écrit :
Monsieur le sénateur Angus, membres du comité :
Je viens vous entretenir du projet de loi C-10 et des modifications que l'on propose à la Loi de l'impôt sur le revenu, particulièrement des modifications qui s'appliqueront à l'administration du crédit d'impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne qui accorderait au ministre du Patrimoine ou à ses mandataires le droit de refuser l'admissibilité aux crédits d'impôt pour ces productions cinématographiques et magnétoscopiques jugées « contraires à l'intérêt public ».
En tant que maire de la Municipalité régionale de Halifax, le quatrième centre de production cinématographique en importance au Canada, je m'inquiète vivement de ces modifications qui auront, je crois, un effet dévastateur sur l'industrie cinématographique au Canada. Cette inquiétude est également personnelle : en tant que fier citoyen d'un pays qui a produit des films de grande qualité artistique, je m'alarme de voir que de futures productions courent un grand danger, et il s'agit d'œuvres d'art en devenir. Si les modifications que l'on propose avaient été en vigueur par le passé, bon nombre de ces grands films dont nous sommes si fiers et dont la saveur est si canadienne ne se seraient jamais retrouvés sur nos écrans, offerts à l'admiration et à la réflexion des Canadiens et des autres citoyens du monde.
Je sais que vous avec reçu énormément de témoignages et d'informations sur cette question, et je vais donc brièvement discuter des conséquences de ces changements pour l'industrie cinématographique, notamment dans ma municipalité. Pour l'essentiel, je m'inquiète de ce que ces changements entraîneront suffisamment d'incertitude que cela nuira au financement des productions, et que cela risque de mener vers une nouvelle ère de censure qui décimerait l'industrie et la créativité qu'elle recèle.
D'abord, un bref aperçu de l'industrie cinématographique dans la municipalité régionale de Halifax — la MRH (nombre de ces statistiques s'appliquent à la Nouvelle-Écosse dans l'ensemble, mais 98 p. 100 de toute la production cinématographique de Nouvelle-Écosse a lieu dans la MRH, ce qui rend largement interchangeables les statistiques provinciales et municipales) :
L'industrie cinématographique locale est capitale pour la Nouvelle-Écosse et la MRH. En effet, la Nouvelle- Écosse compte le pourcentage le plus élevé de productions cinématographiques locales au Canada. Entre 50 et 55 p. 100 de notre production totale est locale. Nos cinéastes jouissent d'une réputation envieuse sur la scène nationale et internationale grâce à notre talent pour les histoires locales uniques en leur genre et captivantes. Ainsi, les productions néo-écossaises ont remporté un total de 23 nominations aux Prix Gemini et ont été acclamées à des festivals en Allemagne, à New York, au Texas, à Winnipeg et à Toronto. Plus petites, nos productions cinématographiques locales se ressentiraient grandement des changements proposés dans le projet de loi C-10.
La MRH offre une diversité époustouflante de cinéastes locaux, nationaux et internationaux. Nous pouvons nous faire passer pour la Nouvelle-Angleterre, New York ou San Francisco, une ferme pastorale ou encore un village de pêcheurs pittoresque. Nous pouvons ressembler à une petite localité, une banlieue ou une grande ville. Nous avons des immeubles modernes qui jouxtent des édifices patrimoniaux, soit un mariage entre l'histoire et la modernité. On trouve de tout dans les limites de notre municipalité.
Notre industrie cinématographique emploie bien au-dessus de 2 000 personnes — des acteurs d'expérience et des équipes excellentes — prêtes à travailler avec assiduité. Ce sont des professionnels dévoués qui connaissent l'industrie cinématographique et la région. Nos équipes travaillent sur un peu de tout, des longs métrages aux films de la semaine. Notre hospitalité maritime légendaire et notre attachement inébranlable à la vie et au travail, ainsi qu'aux arts, fait de la MRH un endroit idéal pour travailler et produire des films.
L'industrie locale injecte plus de 100 millions de dollars dans l'économie locale chaque année. Outre les mesures de soutien de l'Office du film de la MRH, Film Nova Scotia, les missions commerciales, le Festival du film de l'Atlantique, le financement par emprunt et les prix et autres mesures d'incitation, le crédit d'impôt pour production cinématographique constitue un élément clé pour faire de notre industrie cinématographique une des plus concurrentielles au Canada. Évidemment, toute mesure susceptible de causer des difficultés à l'industrie locale au chapitre du financement de ces films nuira inéluctablement à l'économie et la collectivité locales.
Comme on l'a déjà dit, les changements proposés dans le projet de loi C-10 menacent gravement notre industrie cinématographique entière, et ce, pour deux raisons principales : incertitude économique et censure.
Premièrement, les changements proposés risquent de nuire carrément à la capacité économique à attirer chez nous des productions cinématographiques, petites, moyennes et même grandes. C'est que les producteurs éprouveraient de grandes difficultés à s'assurer du financement pour leurs films, car les changements proposés, s'ils devaient être adoptés, imposeraient un degré élevé d'incertitude. Les cinéastes dépendent des crédits d'impôt pour obtenir du financement. En général, un pourcentage du budget est garanti sous forme d'« investissement » de la part d'une société d'État, par exemple Téléfilm, après quoi, du financement provisoire est consenti par un bailleur de fonds commercial moyennant une garantie de crédit d'impôt.
D'après ce que nous en savons, si le projet de loi C-10 devait être adopté, y compris les changements proposés, le gouvernement fédéral pourrait alors refuser le crédit d'impôt à un film — même s'il s'agit d'un film déjà réalisé et ayant bénéficié de fonds publics en amont. Essentiellement, un film pourrait perdre son assise financière à n'importe quel moment, à la discrétion du ministre du Patrimoine canadien ou d'un de ses représentants. Les crédits d'impôt, qui sont utilisés comme caution et nantissement pour obtenir des fonds supplémentaires, pourraient simplement être supprimés de façon arbitraire. En réalité, aucune institution financière responsable n'accepterait volontiers d'offrir du financement temporaire ou provisoire à un projet cinématographique vu ce degré d'incertitude.
Le contenu ou le sujet d'un film ne devrait pas influencer la décision de lui accorder un crédit d'impôt ou pas. (Évidemment, l'exception intervient s'il s'agit de contenu pornographique ou d'extrême violence, ce qui est déjà prévu par la législation et le Code criminel.) La mise en garde formulée dans le projet de loi C-10 relativement aux productions jugées « contraires à l'intérêt public » pose problème parce qu'elle introduit un degré trop élevé de subjectivité, et il se peut donc qu'à l'avenir des personnes ou des gouvernements refusent d'octroyer des crédits d'impôt pour les productions cinématographiques qui ne sont pas conformes à leurs idéaux et à leur préférence. Bien entendu, cela risque de mener à la censure qui, à son tour, menacera l'expression créatrice de tout artiste au Canada. Nous ne devons tout simplement pas permettre que cela se produise.
Il peut paraître peut-être sensé à certains de faire en sorte que les entreprises artistiques reflètent l'ordre public. L'ennui, c'est qui décide et comment? Quand est-ce qu'une idée simple mène-t-elle à la censure de la pire espèce? Nous avons déjà des lois en place pour nous protéger contre les films obscènes. Les films traitant de sujets qui sont controversés mais qui nous interpellent néanmoins pourront-ils être faits à l'avenir? Les films satiriques qui critiquent les gouvernements au pouvoir seront-ils permis en vertu des nouvelles lignes directrices? À l'heure actuelle, c'est le public qui décide de la réussite d'un film. Cela étant, ces films doivent être réalisés. Nous avons besoin de notre communauté artistique pour continuer à pousser les limites et à nous lancer des défis, à nous provoquer. C'est son rôle.
Nombre d'entre vous connaissent peut-être le concept des craintes de poursuites en diffamation, qui fait, par exemple, que des médias évitent de discuter d'un ou plusieurs sujets de peur d'être poursuivis pour diffamation. Au lieu de s'attaquer à la quête de la vérité, ils deviennent alors paralysés par la crainte d'être poursuivis. Il suffit d'une fois pour que la crainte s'impose.
Je peux envisager ce scénario se dérouler très rapidement dans l'industrie cinématographique si les changements proposés à l'administration des crédits d'impôt sont adoptés. Cela dit, en l'occurrence, on parlera de crainte de censure. Normalement, les crédits d'impôt pour les productions cinématographiques peuvent être obtenus pour s'assurer du financement supplémentaire auprès d'une institution financière. Puis, le jour où la production du film est terminée, on apprend que le film n'obtiendra pas de crédits d'impôt car le gouvernement le considère comme étant inacceptable ou « contraire à l'intérêt public ». Les réalisateurs auront alors de la difficulté à rembourser leurs autres créanciers. Il suffit que ce scénario se concrétise une fois pour que les banques commencent à exiger un degré d'examen jamais vu auparavant avant de décider de financer une entreprise artistique. Parallèlement à la censure du gouvernement, les cinéastes devront aussi composer avec la censure d'une industrie financière échaudée par la peur de l'incertitude financière. Il ne faudra pas attendre longtemps avant qu'un froid total s'installe dans l'industrie toute entière, débordant peut-être sur les industries artistiques qui dépendent du financement public.
Nous avons de nombreuses productions dans la MRH et en Nouvelle-Écosse dont nous sommes fiers et qui n'auraient peut-être pas pu être réalisées si ces changements avaient été en vigueur au moment de leur production : Trailer Park Boys, Le musée de Margaret, La fille de New Waterford, The Hanging Garden, Three Needles et Noah's Arc. Même des émissions comme This Hour Has 22 Minutes, en raison de sa satire intelligente mais cinglante de tous les politiciens et gouvernements au Canada, n'aurait pas pu être produite. Nous ne pouvons pas risquer de voir des productions comme celle-ci disparaître de notre avenir.
Je vous offre une citation de John F. Kennedy : « Quand le pouvoir pousse l'homme à l'arrogance, la poésie lui rappelle ses limites. Quand le pouvoir rétrécit les secteurs d'intérêt de l'homme, la poésie lui rappelle la richesse et la diversité de son existence. Quand le pouvoir corrompt, la poésie nettoie, car l'art établit les vérités humaines essentielles qui doivent être la pierre de touche de notre jugement. »
En limitant l'activité de nos artistes — dans le cas qui nous occupe, les cinéastes — sur le plan économique ou sur le plan de la création, on risque effectivement de tomber dans l'arrogance, une vision étroite et la corruption. Nous devons nous rappeler nos limites, être conscients de notre richesse et de notre diversité et exprimer les vérités humaines fondamentales que l'art met en scène. C'est alors seulement que notre jugement sera mis au service de l'avenir de notre pays.
Pour parodier une remarque de Pierre Elliott Trudeau en 1968, l'État n'a rien à faire sur les écrans de la nation.
J'espère que le Sénat usera de toute sa sagesse, de son expérience et de son discernement pour stopper les modifications proposées dans le projet de loi C-10 concernant l'administration du crédit d'impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne avant que nous glissions sur la pente de la censure et de la destruction économique d'un secteur qui est l'un des meilleurs au monde.
Je vous prie d'agréer, monsieur le sénateur et membres du comité, l'expression de mes sentiments respectueux.
Peter J. Kelly
Maire,
Municipalité régionale d'Halifax
Merci de votre attention et de votre temps. Ils sont appréciés.
Le vice-président : Nous remercions le maire Kelly d'avoir témoigné par écrit.
Je présume, messieurs, que vous avez le temps d'accepter des questions?
M. Tremblay : Bien sûr.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Merci aux chers maires d'être présents pour discuter de ce projet de loi. On a reçu beaucoup de témoignages qui ne parlent pas seulement du projet de loi C-10. On a parlé des difficultés de l'industrie canadienne dû au fait que le dollar canadien est très élevé et que les État ont beaucoup augmenté leurs crédits d'impôt. On parle d'un certain pourcentage de crédits d'impôt. Plusieurs témoins nous ont avisés que ce n'est pas adéquat et conséquemment, au Canada, on perd beaucoup notre part du marché pour produire des films au Canada. Est-ce exact? Est-ce notre réalité?
M. Tremblay : Il n'y a aucun doute que la compétition est de plus en plus forte. Le dollar canadien a définitivement un impact, mais il y a de plus en plus de pays qui donnent des avantages fiscaux plus intéressants que ceux qui existent présentement. C'est la raison pour laquelle, par exemple, le gouvernement du Québec, récemment, a augmenté ses crédits d'impôt qui était de l'ordre de 11 p. 100 à 25 p. 100.
Même avec cet effet, Michel Trudel, le copropriétaire de cinéma Mel vous le dira, les productions qu'on avait chaque année, qui totalisent des retombées économiques de l'ordre de 1,3 milliard de dollars, sont de plus en plus difficiles à attirer à Montréal. C'est la raison pour laquelle je vais me rendre notamment avec lui, à Los Angeles, pour expliquer les avantages de Montréal, comme d'autres collègues le font régulièrement et comme le maire de New York le fait.
On voit que la teneur du projet de loi dont on discute aujourd'hui est fondamentale. On fait des efforts considérables comme élus pour créer de la richesse. On a une industrie qui crée beaucoup de richesses.
Et là on veut créer un sentiment d'incertitude qui va pénaliser l'industrie sans en connaître les conséquences. Il me semble qu'après tous les efforts depuis 1944 à Montréal, il doit y avoir une marque de reconnaissance et dire à des personnes qu'on est à la recherche d'éléments de solution, mais avant de les mettre en application, on va les consulter. Dans cette optique, on apprécie beaucoup l'opportunité que vous nous donnez, pas de vous éduquer parce que vous avez beaucoup d'informations, mais au moins de voir notre état d'esprit. C'est ce dont on parle.
Lorsqu'on est une personne d'affaires, vous le savez monsieur le sénateur, vous êtes un homme d'affaires, il faut que les règles du jeu soit claires. Quand les institutions financières viennent nous dire de façon très claire, que ce soit la Banque Nationale, la Banque Royale, le mouvement Desjardins : caveat, il y a un problème, parce qu'on ne peut pas financer des productions dans un climat d'insécurité et d'incertitude. Partant de là, c'est notre responsabilité de venir vous sensibiliser à l'importance de l'industrie. Merci au Canada et au gouvernement du Québec d'avoir mis en place des incitatifs fiscaux, par contre, nous ne contrôlons pas la macroéconomie dans le monde, notamment des fluctuations de la devise et les efforts qui sont faits par d'autres États pour encourager cette industrie. C'est de la légitime défense.
Nous sommes ici pour vous dire : S'il vous plaît, quand quelque chose fonctionne bien, pourquoi mettre en péril par de l'insécurité une industrie qui crée de l'emploi? On sait à quel point c'est important, parce qu'on veut diminuer le taux de chômage dans la grande région de Montréal, c'est l'un de nos objectifs.
Le vice-président : Avant de reprendre, je crois que M. Miller veut prendre la parole aussi.
[Traduction]
M. Miller : Merci de votre question, sénateur. Je vais répondre en anglais.
Vous avez soulevé un point important. Je suis d'accord avec tout ce que mon collègue a dit. L'industrie de la production télévisuelle et cinématographique au Canada est divisée en deux : l'aspect national et ce que j'appelle l'aspect étranger ou l'exportation. Mon collègue a parlé des coproductions, qui sont aussi importantes.
Les productions américaines font face à des défis à l'heure actuelle en raison de l'appréciation du dollar, un peu comme l'industrie manufacturière. Les problèmes de la Screen Actors Guild aux États-Unis constituent également des défis à relever et, tant que ces problèmes ne sont pas réglés, les productions américaines ne viendront pas chez nous.
La part canadienne de l'industrie est importante pour plusieurs raisons. Premièrement, comme je l'ai dit plus tôt, cela nous permet de raconter nos histoires au sujet de qui nous sommes à nos yeux. Par exemple, nous avons vu des films remarquables faits à Montréal au sujet des histoires du Québec. C'est essentiel.
Deuxièmement, du point de vue économique, l'industrie canadienne apporte de la stabilité et veille à ce que nous conservions le talent, surtout le talent en coulisse à Toronto, Montréal, Vancouver et Halifax. C'est important.
Ce projet de loi tombe au pire moment possible et engendre l'incertitude financière dont mon collègue parlait; je pense que le mémoire de FilmOntario en parlait également. Je vous enjoins de vous pencher sur cette question à nouveau lors de vos délibérations. Selon la Banque royale du Canada et City Finance, ce projet de loi mettra en jeu leur capacité de financer des films.
Par conséquent, les productions étrangères font face à des défis en raison de la force du dollar, entre autres. Si l'industrie canadienne devait faire face à un défi de cette ampleur, les effets seraient réellement dévastateurs. Lorsque nous perdons le talent, les films peuvent se faire n'importe où. Ce n'est pas comme une usine de fabrication d'automobiles. C'est ce qui nous pose des défis.
Nos inquiétudes sont renforcées par les autres problèmes auxquels l'industrie dans son ensemble fait face. Si la part nationale de l'industrie fait face à d'autres défis, les conséquences pourraient être graves.
Le sénateur Massicotte : Je vais jouer un peu au fauteur de trouble. Ma question s'adresse au maire de Toronto. Je comprends que vous ayez besoin de certitude et qu'il faille tenir compte de la question de l'équité. Je comprends que notre société moderne ne veuille pas de censure. C'est une mauvaise manifestation de nos valeurs.
Vous avez manifestement des contacts avec l'industrie cinématographique. Le règlement sur le crédit d'impôt pour la production cinématographique et télévisuelle ontariennes, le CIPCTO, prévoit, au sous-alinéa 1106b)(xii) qu'on peut exclure « une production à laquelle, de l'avis du ministre du Patrimoine canadien, il serait contraire à l'intérêt public d'accorder des fonds publics ». Si le maire d'Halifax était présent, il en dirait autant.
Il y a donc, en Ontario, en Nouvelle-Écosse et dans d'autres provinces, ce critère plutôt vague. Le projet de loi vise à donner un pouvoir discrétionnaire aux politiciens. Heureusement, ils ne l'exercent jamais. Cet enjeu est si important que je me demande si vous ne devriez pas vous efforcer de faire modifier la loi de l'Ontario et des autres provinces pour faire en sorte que nous ne soyons pas assujettis à ce genre de censure. Pourquoi est-ce pertinent au niveau fédéral mais pas dans votre cas?
M. Miller : Merci de soulever cette question. J'ai plusieurs observations à faire. Premièrement, il s'agit d'un règlement. Ce qui est proposé dans le projet de loi C-10, en toute honnêteté, ne peut être qualifié que d'arbitraire. Il ne s'agit pas d'un texte réglementaire. Cela fait longtemps que je n'ai pas exercé le droit, et je ne saurai vous dire quelle est l'incidence d'un texte non réglementaire, mais je suppose qu'il n'a pas force de loi. Il s'agit de lignes directrices arbitraires s'appliquant à un pouvoir discrétionnaire. Moi, comme élu, je trouve cela très troublant.
Malheureusement, seule l'industrie cinématographique du Québec est présente avec nous aujourd'hui. Je ne me suis pas fait accompagner de représentants de ce secteur de Toronto, car ils ont déjà témoigné devant votre comité, mais je ne crois pas qu'on n'ait jamais invoqué cette disposition. En l'occurrence, il s'agit d'un article de la loi de l'impôt sur le revenu qui est arbitraire et qui créera de l'incertitude, sans compter les défis de nature financière qui ont déjà été évoqués. La meilleure solution est de supprimer cet article. Nous, nous travaillerons avec le gouvernement de l'Ontario pour régler les problèmes qui existent en Ontario.
Le sénateur Jaffer : J'ai une question sur ce qui est contraire à l'intérêt public. Monsieur le maire, vous nous avez déclaré qu'il est important de parler de ce que nous sommes. Des témoins nous ont dit s'inquiéter du contenu violent ou sexuel des productions cinématographiques. Ma préoccupation est différente. Dans vos deux villes, il y a de nombreuses communautés ethniques. Il se peut que des gens, dans vos régions, veuillent parler d'eux-mêmes dans leurs films mais que les spectateurs, eux, estiment que ces films sont contraires à l'intérêt public. Personne ne nous a encore dit ce que l'on ferait de ces histoires qui doivent être racontées. Qui voudra les juger?
Je vous donne un exemple extrême : de jeunes garçons veulent décrire leur réalité et le ministre du patrimoine estime que cette réalité est contraire à l'intérêt public. Je ne crois pas qu'on ait encore envisagé ce genre de situation.
M. Miller : Je suis entièrement d'accord avec vous. Nous tous ici présents, encore moins les 2,6 millions de Canadiens, ne pourrions nous mettre d'accord sur ce qui est « contraire à l'intérêt public ». C'est impossible. En fin de compte, cela dépendra de l'humeur du ministre.
Pour ma part, je n'aime pas les films violents. Je les trouve très repoussants. Je préfère éteindre la télé. On peut tout simplement éteindre son téléviseur. Je vais rarement au cinéma en raison de mon travail. Mes enfants ne regardent pas ce genre de films. Je suis très préoccupé par l'effet que la violence peut avoir sur les enfants.
Pour d'autres, c'est le contenu sexuel qui les dérange. Je suis allé récemment à une remise de prix du YWCA à des femmes. Deepa Meeta était présente pour recevoir un prix. Ses films qui portent sur des questions difficiles de sexualité racialisée et qui ont soulevé des protestations en Inde, pourraient être jugés contraires à l'intérêt public. Cela me semble tout à fait possible. Or, voilà pour moi le parfait exemple de la Canadienne moderne. Quand elle a pris la parole, elle a déclaré que lorsqu'elle va en Inde, elle se sent Indienne et que, lorsqu'elle vient au Canada, elle se sent Canadienne, sauf aux douanes, mais c'est à elle de vous parler de cela. C'est tout cela qu'elle exprime dans ses films.
Et qu'en est-il de Toronto? Plus de la moitié des habitants de cette ville sont immigrants de première génération, y compris moi-même; j'ai immigré d'Angleterre. Environ la moitié des Torontois ne sont pas non plus de souche caucasienne. Et ce n'est pas la même moitié non plus.
Alors de quelles histoires s'agirait-il? Certaines pourraient être controversées. Vous avez parlé des garçons musulmans; l'un de ces garçons qui a été arrêté puis remis en liberté après les allégations de terrorisme pourrait souhaiter faire un film au sujet de ce qu'il a vécu. Serait-ce contraire à l'intérêt public? Je n'en sais rien.
Notre vice-président a fait un excellent travail pour ce qui est de diriger notre comité, et je ne sais pas ce qu'il en pense. Voilà ce qui est si dangereux dans ce dossier.
Le revers de la médaille, c'est que nous avons beaucoup à offrir au monde. Grâce à nos œuvres cinématographiques, notre pays et nos villes où l'on trouve tant de diversité peuvent communiquer au monde des messages extraordinaires. Vous m'excuserez d'avoir mis tant de temps à répondre, mais la question était bien placée.
[Français]
M. Tremblay : C'est une excellente question. Les productions étrangères et les coproductions qui bénéficieront des crédits d'impôt et qui ne sont pas soumises au projet de loi C-10 pourraient subir le même impact. Pourquoi avoir deux classes de citoyens, des citoyens canadiens et des citoyens de productions étrangères ou de coproductions. Vous devriez vous poser cette question. On ne peut pas avoir deux classes de citoyens. Nous avons fait le choix de l'immigration à Montréal et au Québec. Sur les 55 000 immigrants qui arrivent au Québec, près de 75 p. 100 d'entre eux s'établissent à Montréal. On y trouve 120 communautés d'origines diverses. Notre réussite vient du fait que nous permettons à ces personnes de partager avec nous leurs traditions, leurs valeurs, leur histoire et leur culture. On fait tout ce qui est humainement et financièrement possible pour les accompagner. C'est une richesse.
Alors je n'ai aucun problème à laisser les personnes s'exprimer. D'ailleurs, le film Shalom est un bel exemple. On apprend à mieux connaître et apprécier les personnes qui viennent de milieux différents mais contribuent beaucoup à l'avenir de la métropole du Québec. Le seul problème de fond que j'ai, c'est qu'on va traiter les Canadiens d'une façon différente, d'autres producteurs et productions qui bénéficieront des mêmes avantages au plan des crédits d'impôt peut-être pas aussi élevés. Alors deux poids, deux mesures. En tant que Canadien et maire de Montréal, cela m'apparaît inacceptable.
[Traduction]
Le sénateur Jaffer : Vous avez parlé de Mme Mehta, qui a eu tant de difficulté à achever son film en Inde. En fin de compte, elle a dû l'achever au Sri Lanka. Le problème que peut poser une mesure législative comme le projet de loi C- 10, c'est que certains pourraient décider de leur propre chef d'empêcher la production d'œuvres cinématographiques dans lesquelles on décrit la réalité d'autres groupes au sein de la collectivité.
La ministre a proposé de constituer un comité chargé d'élaborer des lignes directrices et des méthodes administratives. Ce que je voudrais savoir, c'est qui seront les interlocuteurs qui composeront ce comité. Comme vous l'avez dit, nous avons probablement tous des idées qui sont contraires à l'intérêt public. Que pensez-vous de l'idée de la ministre, soit de constituer un comité pour rédiger les lignes directrices?
M. Miller : Si la mesure législative est modifiée de façon à supprimer cette disposition — si elle reçoit la sanction royale sans cette disposition — et que la ministre demande à divers représentants d'organisations désignées de l'industrie cinématographique, y compris des organisations comme le Toronto Film Board, de discuter des vrais enjeux — et je dois avouer que je ne sais pas quels sont les vrais enjeux qui les préoccupent — il pourrait y avoir là une possibilité de créer une nouvelle mesure législative et de la faire adopter de la façon habituelle.
Cependant, je serais extrêmement inquiet que cette mesure législative soit adoptée et qu'on dise qu'on mettra ensuite en place une marche à suivre, car le projet de loi confère des pouvoirs discrétionnaires à peu près illimités.
Dans un autre ordre d'idées, Toronto est la ville dans laquelle on a célébré de façon légale le premier mariage entre conjoints de même sexe. D'après certains, c'est une question qui ne devrait pas être discutée dans des œuvres cinématographiques; d'autres diront que c'est une question de droits humains. Qui décide? C'est toujours là le problème.
Si c'est l'approche que préconise la ministre, et je sais que c'est ce qu'elle a dit souhaiter faire, il faudrait qu'on supprime la disposition de la mesure législative, qu'on lui permette de tenir des consultations auprès des représentants compétents de l'industrie — représentants qui seraient choisis également par l'industrie, pas seulement par la ministre — et voir où tout cela nous mène.
M. Tremblay : Cette façon de procéder passerait outre au rôle fondamental des représentants élus de la Chambre des communes. Si l'on veut modifier le Code criminel et mettre en place de nouvelles lignes directrices, il incombe à ceux en qui les citoyens ont placé leur confiance de discuter ouvertement de ces lignes directrices pour trouver la meilleure solution.
Personne ne mettra en doute l'importance d'établir ces lignes directrices. L'inquiétude de la population est légitime, mais il existe actuellement des méthodes. C'est la responsabilité des représentants élus. C'est pourquoi nous disons qu'il ne faut pas voter en faveur de cette mesure législative et qu'il faut attendre un an pour rédiger les lignes directrices.
À part le fait que cette mesure a un effet important pour l'industrie cinématographique et pour ceux qui investissent dans de tels secteurs — et je crois l'avoir expliqué clairement — il y a un autre facteur important. Nous ne voulons pas que le processus passe outre au rôle fondamental des représentants élus de la Chambre des communes, non plus qu'à votre rôle en tant que sénateurs, de veiller à ce que l'on tienne compte de l'intérêt public avant d'adopter la mesure législative plutôt qu'après.
[Français]
Le sénateur Fox : Je voudrais remercier les maires Tremblay et Miller d'avoir accepté notre invitation à comparaître à notre comité aujourd'hui. Je les remercie pour leurs présentations très détaillées qui démontrent une connaissance intime du problème soulevé par ce projet de loi.
Nous sommes tous fiers du succès du cinéma à travers toutes les régions du Canada. Ce succès a été bâti au fil des années sur une complicité et un partenariat entre le gouvernement du Canada, l'Office nationale du film, Téléfilm du Canada et les grandes municipalités et les provinces, qui possèdent leurs propres agences, d'une part, et le secteur privé, d'autre part. Tout ce système est fondé sur la grande créativité du milieu cinématographique canadien. C'est un succès. Et la question pour nous aujourd'hui devrait être :
[Traduction]
Comment pouvons-nous veiller à ce qu'une industrie prospère le devienne plus encore? Au lieu de cela, on propose un certain nombre de mesures qui menacent d'en détruire les assises.
[Français]
Nous avons reçus plusieurs témoignages. Vous avez mentionné les trois secteurs où il y a des doutes, des inquiétudes profondes, les secteurs économique, culturel et des libertés civiles. On a entendu l'Association canadienne des libertés civiles qui a étudié le projet de loi et qui y voit des atteintes très claires à la liberté d'expression au Canada et des éléments de censure.
Je veux revenir sur la question économique. Vous avez parlé, monsieur Tremblay, du double standard.
Un syndicat est venu nous parler des inquiétudes qu'ils ont sur ce double standard selon lequel les cinéastes canadiens sont pénalisés en vertu de cette législation comparés à des cinéastes américains qui viendraient tourner ici. Dieu sait les efforts déployés par tout le monde à Montréal, par Michel Trudel, Daniel Bissonnette, M. Mihalka, entre autres, pour amener des productions à Montréal. Si ces règlements entraient en vigueur et s'appliquaient aux productions canadiennes, pensez-vous vraiment qu'on pourrait empêcher une extension du même principe aux productions américaines?
Effectivement, c'est une question de politique publique de dire que certains films peuvent être déclassifiés par la ministre selon son bon vouloir. Comment justifier aux yeux du public canadien que le même principe ne s'applique pas pour les productions d'ici? En d'autres mots, actuellement on pourrait avoir une production canadienne qui serait décertifiée et une autre américaine qui porterait sur le même sujet mais qui ne serait pas sujet à cette politique et qui serait certifiée. Vous avez deux poids deux mesures.
La crainte du syndicat canadien est que, éventuellement, le même principe soit, par un exercice cartésien, étendu aux productions américaines. Cela aurait un effet néfaste sur vos efforts d'attirer des productions étrangères, en reconnaissant toutefois que le deux tiers des productions sont locales au public, à Montréal avec les bénéfices économiques que cela peut avoir.
Vous avez mentionné les coproductions et nous avons reçu Roger Frappier et Denise Robert la semaine dernière. Il s'agit de deux éminents producteurs ayant remporté toutes sortes de reconnaissances au niveau international, y compris des Oscars dans le cas de Mme Robert. Ils ont indiqué quant à eux qu'il serait très difficile à l'avenir de trouver un coproducteur étranger pour faire une coproduction ici parce qu'ils étaient maintenant moins intéressants pour le producteur étranger étant donné l'incertitude que le maire Miller et vous-mêmes avez mentionnée.
Il semble qu'au lieu de rendre Montréal, Toronto, Vancouver ou Halifax des villes plus attirantes pour des productions étrangères et pour des coproductions comprenant les deux nationalités, cela pourrait avoir un effet pervers très important qui affecterait l'activité économique dans ce secteur partout au Canada.
M. Tremblay : C'est la raison de notre présence ici aujourd'hui. Je pense que le sénateur Fox a eu l'opportunité de participer au Rendez-vous novembre 2007 — Montréal, métropole culturelle où tous les partenaires, incluant la ministre du Patrimoine, Mme Josée Verner et le ministre responsable de la métropole Michael Fortier; les ministres du gouvernement du Québec Raymond Bachand et Christine Saint-Pierre, ainsi que les représentants du secteur privé et les représentants de la Ville de Montréal, se sont tous entendus sur les éléments essentiels pour créer un environnement favorable. Notre responsabilité est de créer un environnement favorable pour permettre à des producteurs et à des cinéastes de s'épanouir, de diffuser leurs talents et de produire des films.
Il y a même une conclusion dans le plan d'action 2007-2017 qui dit vouloir consolider Montréal comme centre international de la production audiovisuelle. Ce qu'on voit aujourd'hui, c'est une décision qui pourrait mettre en péril cette volonté unanime. On parle d'une seule voix maintenant au niveau de la culture, comme Toronto d'ailleurs. On parle d'une seule voix parce qu'on a réussi à s'entendre entre nous.
Les remarques qui sont faites par le sénateur Fox sont directement reliées à la raison pour laquelle nous sommes ici, parce que ce que les gens sont venus vous dire en personne, ils nous le disent à Montréal, que ce soit à l'hôtel de Ville ou encore lors de rencontres que nous avons tenues. Essayons donc, dans le mesure du possible, d'enlever cet élément d'incertitude et d'instabilité qui commence à se développer, entre autres au niveau des producteurs mais également au niveau des institutions financières.
[Traduction]
M. Miller : J'ai un petit ajout à faire à la réponse de mon collègue. Ces téléphones BlackBerry sont utiles. Les membres de l'industrie cinématographique de Toronto m'envoient des arguments pendant que je comparais. Toutefois, ma prochaine observation ne vient pas d'eux.
Je tiens à signaler que le Festival international du film de Toronto, qui n'est pas directement touché par cette disposition, est généralement considéré au sein de notre industrie comme le principal festival du film au monde, et ce, pour deux raisons, dont l'une est que nous avons un véritable auditoire. Cet auditoire est composé de citoyens et d'habitants de la ville, pas seulement de membres de l'industrie cinématographique qui veulent acheter des films. La deuxième raison, c'est le moment où le festival a lieu dans le cycle. Même s'il est impossible de le prouver, on estime qu'il y a plus de transactions durant ce festival qu'à celui de Cannes. C'est un atout pour le Canada.
Mon collègue a parlé de coproductions à Montréal et de la stratégie à l'échelle internationale. Le festival du film est un atout pour le Canada. Si cette mesure législative est adoptée, l'industrie mondiale du film dira qu'il s'agit d'une mesure négative. Comme l'a dit le sénateur, cela placera le Canada dans l'embarras. Cette mesure pourrait bien avoir des répercussions sur des activités comme le Festival international du film de Toronto, par exemple. Quand on examine de telles mesures, il faut faire attention à leurs répercussions.
Le commentaire du sénateur Fox m'a donné l'occasion de signaler ces répercussions.
Le vice-président : Avant de vous laisser poser votre dernière question, sénateur Fox, je crois savoir que le sénateur Ringuette a une question supplémentaire, pour faire suite à celle que vous venez de poser.
[Français]
Le sénateur Ringuette : Monsieur le maire Tremblay, c'est la deuxième fois dans votre présentation que vous nous faites part du plan d'action s'échelonnant sur 10 ans. Vous avez parlé du compromis et du support ressortis de l'événement Rendez-vous novembre 2007 — Montréal, métropole culturelle. La ministre Verner et le ministre Fortier y étaient pour supporter l'industrie, mais aujourd'hui on se réveille pourtant avec un tel projet de loi.
Pourriez-vous remettre au comité une copie de ce plan d'action et de ses engagements?
M. Tremblay : Ça va me faire plaisir. Tout ce que vous avez à faire est d'aller consulter le site Internet de la Ville de Montréal : www.ville.montreal.qc.ca/culture et vous aurez toute l'information requise. Bien entendu, dès mon retour, nous pourrons vous en faire parvenir copie. Merci de poser cette question, car cela a, en effet, été un effort considérable qui s'est échelonné sur plusieurs décennies de travail, mais nous parlons maintenant d'une seule voix. Je dois dire que les ministres Josée Verner et Michael Fortier ont joué un rôle de premier plan pour nous accompagner dans cette démarche. Ce sont des partenaires que l'on rencontre régulièrement puisque nous avons un comité de suivi pour le plan d'action.
Le sénateur Ringuette : Comment concilier cet engagement formel de deux ministres du gouvernement actuel avec le fait que nous avons devant nous le projet de loi C-10 qui, somme toute, vous enlève cette habileté de planifier pour l'avenir de l'industrie et pour l'avenir de votre ville?
M. Tremblay : Tout ce que je peux répondre, c'est que j'ai eu l'occasion de discuter des remarques que je vous fais parce que j'ai informé le ministre responsable de la métropole, Michael Fortier, de ma présence ici et des commentaires que je ferais au niveau économique. J'ai informé également la ministre Josée Verner et j'ai eu l'occasion d'en discuter avec le premier ministre du Canada. Ces personnes sont donc informées du but de ma présence ici et surtout des revendications que nous faisons au sujet du projet de loi C-10.
Le vice-président : Monsieur le maire, je suggère que vous envoyiez le tout à la greffière qui est très fidèle au devoir de bien vouloir distribuer rapidement les documents aux membres du Comité.
Le sénateur Massicotte : Quand vous avez parlé au premier ministre de votre souci concernant le projet de loi C-10, quelle a été sa réponse?
M. Tremblay : Disons qu'ils ont pris de bonnes notes sur les commentaires que j'ai faits. Si vous connaissez bien le premier ministre, quand il prend le temps de prendre un papier puis de noter, c'est parce qu'il réalise qu'il y a peut-être un petit problème ou un gros problème, dépendamment de la perception. Nous espérons honnêtement que les rencontres que nous avons tenues et dont nous avions la responsabilité ont été faites au-delà de toute partisanerie politique. Nous l'avons fait dans l'intérêt de nos villes et surtout dans l'intérêt d'une industrie qui prend de plus en plus d'importance pour le Canada, et dans mon cas pour le Québec et Montréal.
Le vice-président : Monsieur Tremblay, vous êtes à la fois maire et diplomate. La parole est au sénateur Fox.
[Traduction]
Le sénateur Fox : Ma dernière question s'adresse à M. Miller. Nous avons entendu de nombreux témoins, dont par exemple l'Association des producteurs de films et de télévision du Québec, l'APFTQ, l'Association canadienne de production de films et de télévision, l'ACPFT, et l'Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists, l'ACTRA. Nous avons entendu les propos éloquents d'acteurs comme Sarah Polley et Wendy Crewson, de Susan Swan, de la Writers' Union of Canada, de l'Association canadienne des libertés civiles et de bon nombre d'autres gens. D'après ces personnes, la ministre ne devrait pas avoir le pouvoir discrétionnaire d'abolir rétroactivement un crédit d'impôt, car ce pouvoir discrétionnaire portera un coup mortel à l'industrie. Elles ont été unanimes à recommander que la seule limite imposée à l'octroi des crédits d'impôt soit que ces crédits ne devraient pas servir à la production d'œuvres pornographiques. Cette limite est déjà imposée aux termes du règlement de l'impôt sur le revenu. L'argent des contribuables ne peut pas servir à financer des œuvres cinématographiques pornographiques. Les producteurs de ces œuvres doivent trouver d'autres sources de financement, s'ils le peuvent, mais ils ne peuvent obtenir de l'argent des fonds publics pour des œuvres pornographiques. Nous sommes tous d'accord avec cela.
L'autre paramètre devrait être le Code criminel du Canada. D'après les témoins, il conviendrait de modifier la loi, afin d'indiquer clairement que les seules limites devraient s'appliquer à du matériel pornographique, y compris juvénile. Autant que je sache, aucune personne sensée ne suggérerait que des deniers publics aillent à ces domaines. Êtes-vous d'accord avec ces deux paramètres?
M. Miller : Oui.
Le sénateur Dawson : Monsieur Miller, vous avez parlé d'indignation. Denise Robert, qui a comparu ici il y a quelques semaines, a mentionné que les revues spécialisées comparaient la Chine au Canada pour cette question de censure. Selon ces magazines, mettre ce type de censure à la disposition des politiciens revenait à créer une situation similaire à ce qui se passe en Chine. Vous avez le droit d'être indigné.
[Français]
J'aimerais remercier M. Tremblay parce qu'il est un peu modeste. Lorsqu'il parlait de grappes, cela me faisait penser au ministre de l'Industrie et du Commerce du Québec il y a longtemps, en 1988 si je ne me trompe pas, au moment où le gouvernement du Québec a été innovateur en étant le premier gouvernement en Amérique à mettre en branle les crédits d'impôt. Monsieur le ministre était dans sa période de grappes, il y avait la grappe culturelle. Gérard D. Lévesque avait mis en place les crédits d'impôt. Je pense que cela a aidé au succès de l'industrie à Montréal et la preuve que ces crédits d'impôt étaient justifiés.
Cela va surprendre mes deux collègues du gouvernement. Je remercie le gouvernement d'avoir initié le débat sur le projet de loi C-10 parce que cela a donné l'occasion à l'industrie de montrer l'importance de l'industrie cinématographique au Canada, non pas seulement en tant qu'arme culturelle et en tant que promotion des produits canadiens, mais de montrer qu'il y a des emplois à Toronto, à Vancouver, à Halifax et à Montréal.
Je pense que vous pouvez compter sur nous, je ne veux pas parler pour les autres sénateurs, mais en ce qui nous regarde, on va se battre pour que ce projet de loi soit modifié et que vos intérêts et les intérêts des Canadiens soient défendus. C'était plus un commentaire qu'une question.
M. Tremblay : Des questions ont été posées tout à l'heure sur l'impact de la valeur du dollar canadien et la compétition. Il faut se rappeler, qu'à cette époque, on était en période de ralentissement économique. Il fallait innover pour créer de la richesse et des emplois. C'est ce qu'on a fait à ce moment. Regardons la situation. Il ne faut pas mettre en péril les efforts qui ont été faits pendant des décennies. Il y a peut-être d'autres façons d'arriver aux mêmes résultats. Personne ne remet en question l'importance de l'ordre public. Cela doit se discuter à tête reposée et mettre en place des critères acceptables pour la société en général.
[Traduction]
M. Miller : J'aurais deux remarques brèves. À Toronto, si on élargit l'industrie cinématographique pour y inclure l'industrie créative — les médias, les technologies de l'information, la communication, l'éthique, ainsi que la recherche — on constate qu'elle emploie plus de personnes que le secteur manufacturier. C'est dire son importance. M. Tremblay contribué à la création de ce secteur dont nous mesurons l'importance pour l'économie.
Pour revenir à votre premier commentaire sur l'impression que cela donne dans le monde, je dirais que le projet de loi est mal numéroté : ce devrait être le projet de loi C-1984, pas C-10. C'est en tout cas l'impression qu'on a parfois.
Le sénateur Dawson : Nous vous citerons à ce propos.
Le vice-président : Oh, merci. Il faut s'amuser, de temps en temps.
Le sénateur Eyton : Merci, messieurs les maires, d'avoir accepté de comparaître aujourd'hui. C'est inhabituel pour le comité, qui est le comité des banques. Nous avons entendu des témoignages de villes partout au pays : Halifax, Toronto — si bien représentée par son maire, M. Miller — et Montréal — très bien représentée aussi par le maire Tremblay. Cela souligne l'importance et la signification de tout ceci.
Vous savez que nos audiences se déroulent depuis un certain temps. Depuis deux ou trois mois maintenant, nous avons entendu de nombreux témoignages. Ils tournent autour de quatre petits mots : « contraire à l'intérêt public », qui font couler beaucoup d'encre et suscitent des réactions enflammées. Nous avons parcouru le sujet en long et en large. Il est important que des gens de poids, comme vous, viennent exprimer devant le Comité une opinion urbaine nationale, pour ainsi dire.
Tous autant que nous sommes, nous souhaitons voir ce secteur prospérer. Nous n'avons nulle intention de lui nuire. Je voudrais aussi vous assurer que nous n'avons aucun programme caché. On entend parfois des remarques prétendant qu'il y a un programme caché; tel n'est pas le cas. Qui plus est, la question n'est pas partisane. Notre comité et le gouvernement veulent prendre la bonne décision. Il le faut. Rappelons, enfin, que le problème ne date pas d'aujourd'hui. Malgré ce qu'affirment certains, là encore, on agite la question sous une forme ou une autre depuis 1995, sous divers gouvernements. Certaines exigences provinciales y font également écho; je crois que cinq provinces ont des exigences similaires, qui soulèvent la même question. Le projet de loi C-10 a été adopté par la Chambre des communes à l'unanimité à la fin de l'an dernier. Il est soudain devenu une question importante.
Ma première question relève plus de la curiosité et du désir de mettre les choses en contexte. Quand avez-vous pris conscience du problème, vous qui représentez vos merveilleuses villes? Quand et comment?
M. Miller : Je sais que l'industrie a fait part de ses préoccupations au gouvernement précédent lorsqu'un projet de loi semblable avait été déposé. Ce projet de loi est mort au Feuilleton en 2004, je crois. Le maire, M. Tremblay, en connaît mieux les détails.
Puisque la disposition était cachée, pour ainsi dire, dans le projet de loi, l'industrie cinématographique de Toronto et le Toronto Film Board n'en ont pas pris connaissance jusqu'à ce que la procédure parlementaire soit bien enclenchée. J'en ai pris connaissance juste avant l'adoption du projet de loi ou peu de temps après, et c'est là que l'industrie, du moins celle de Toronto, a commencé à s'exprimer. Je ne peux vous fournir de dates précises, mais si vous le souhaitez, je peux consulter mes dossiers et vous le dire. Le Toronto Film Board est saisi de la question depuis quelque temps déjà. Il se peut que quelqu'un m'envoie la date exacte sur mon BlackBerry.
M. Tremblay : Je peux vous assurer que moi-même ainsi que les personnes que je représente, n'avons jamais pensé qu'il y avait un motif caché et que l'intention n'était pas digne. Le gouvernement précédent avait les mêmes intentions. Personne ne les remet en question. Le maintien de l'ordre est un élément essentiel de notre société et nous, tant sur le plan individuel que collectif, devons prévoir les meilleures lignes directrices possibles afin de maintenir l'ordre pour les générations futures de notre pays.
Ceci dit, ce n'est lorsqu'on se rend compte des conséquences d'une chose que l'on commence à poser des questions, non sur les intentions mais bien les conséquences de ces intentions.
Je ne sais pas si je dois vous remettre ce document, mais le 23 mars 2004, la Guilde canadienne des réalisateurs a envoyé une lettre à Robert L. Soucy, directeur du Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens, ainsi qu'une lettre au sénateur David Angus datée du 14 avril 2008, que vous avez sans doute, qui fait référence à la lettre précédente.
Le vice-président : Nous l'avons.
M. Tremblay : Je tiens à rappeler aux membres du comité sénatorial que cette question a été soulevée dans le passé d'une façon précise. Par conséquent, en ce qui nous concerne, nous en avons pris connaissance lorsque des membres de notre industrie ont commencé à évaluer les conséquences. Lorsqu'un banquier leur dit qu'il sera difficile de financer leur production pour la raison suivante, il y a un problème. En ce qui me concerne, je ne suis pas obligé de remonter à il y a plusieurs années mais à six mois seulement, lorsque certaines personnes ont commencé à en parler et à formuler une mise en garde. Ainsi, j'ai commencé à poser des questions, par exemple à la Société générale de financement qui a investi 200 millions de dollars dans certaines industries de production. Nous commençons à percevoir les conséquences. Nous nous sommes préparés pour venir vous rencontrer et vous faire part des préoccupations de notre industrie et de certaines personnes qui ont discuté avec nous de cette question.
M. Miller : Si vous me le permettez, sénateur, en novembre ou décembre, lorsqu'on a commencé à soulever les sujets de préoccupation, les représentants de l'industrie cinématographique de Toronto m'en parlaient avec une émotion très vive. Ces personnes avaient de graves préoccupations. J'ai parlé à des réalisateurs, des bailleurs de fonds, bref, tout le monde, et ils étaient tous du même avis. Il n'y avait aucune opinion divergente.
Vu que cinq des six grandes banques canadiennes ont leur siège à Toronto, nous pensons également à ce secteur. Nous voulons que le secteur des banques soit florissant.
Tous les aspects de l'industrie m'en ont parlé. Je crois qu'il serait juste de dire que les préoccupations ont été soulevées plus tard dans le processus, et non au début. C'est attribuable à la nature d'un projet de loi complexe, lorsqu'une seule disposition soulève des préoccupations.
Le sénateur Eyton : En ce qui concerne cette préoccupation, tous les témoignages fournis au comité indiquent que l'on accepte généralement qu'il devrait y avoir une norme. Je crois que l'on accepte aussi généralement que cette norme doit être claire et fiable, afin que les cinéastes puissent obtenir leur financement et réaliser leur film, quel que soit ce film.
Bon nombre de témoins nous ont indiqué que la norme qui convient est le Code criminel. Il me semble, d'après votre témoignage, que vous seriez en faveur d'une norme. Êtes-vous d'accord pour qu'il y ait une norme plus exigeante que le Code criminel, c'est-à-dire une norme plus exigeante que le fait d'éviter une peine d'emprisonnement? Acceptez-vous cette idée?
M. Miller : Bien sûr, en théorie, c'est possible. Mais il faut se poser une question difficile, à savoir quelle est cette norme et c'est qui en décide? Je ne crois pas que l'on puisse répondre à cette question. Lorsque j'ai commencé à exercer le droit, il y avait la Commission de contrôle cinématographique de l'Ontario qui a été supprimée par le gouvernement provincial. Je crois que c'était parce que l'on ne peut pas répondre à cette question, à savoir quelle est la norme?
À mon avis, l'une des raisons pour lesquelles l'industrie souhaite voir comme norme le Code criminel, c'est parce que l'on comprend clairement son sens. Certaines questions ont déjà fait l'objet de litiges, dont certains qui se sont rendus à la Cour suprême du Canada. Nous savons ce que signifie la norme.
Les banques, par exemple, qui ne veulent pas courir de risques excessifs, savent à quels risques elles s'exposent si le Code criminel sert de norme. Si le gouvernement souhaite, et il n'a toujours pas énoncé clairement ce qu'il veut faire, proposer une nouvelle norme, à ce moment-là je répéterai qu'une nouvelle norme devrait être le fruit d'une consultation généralisée et être accompagnée d'un projet de loi.
Je ne crois pas qu'une norme devrait être créée par un projet de loi tel que celui-ci. S'il n'y a pas de consensus, la ministre peut faire ce qu'elle veut après un an. C'est préoccupant.
Ma position par défaut, c'est de retenir le Code criminel ainsi que les normes qui y sont prévues sur la pornographie et la violence extrême. Si l'on veut modifier le Code criminel, il faudrait prévoir un processus distinct ainsi qu'un projet de loi distinct. Je crois que cette prise de position est conforme à celle des autres témoins de l'Ontario.
M. Tremblay : Bref, notre société évolue. Parfois elle évolue parce que, malheureusement, il y a une crise ou un incident. Toutefois, si vous voulez remettre en question le Code criminel ou Téléfilm Canada, eh bien, parlons-en. Il n'est pas nécessaire de le faire par le biais du projet de loi C-10.
Si vous voulez un débat national sur l'ordre public et les nouvelles normes, à ce moment-là je suis tout à fait d'accord avec mon collègue David Miller. Ouvrons un débat public ouvert et transparent sur la question. En attendant, évitons de mettre en péril des industries auxquelles nous avons énormément contribué, à cause de l'incertitude. Si j'utilise la première personne du pluriel, c'est un nous inclusif. C'est le gouvernement canadien, les provinces, les territoires et les villes. Nous avons travaillé d'arrache-pied pourquoi avons-nous besoin de ce projet de loi? Si la machine marche bien, n'y touchons pas.
Nos industries sont confrontées à d'immenses défis. S'il faut tenir un autre débat, faisons-le de façon formelle à titre de représentants des citoyens.
Le sénateur Eyton : Comme il a déjà été dit, la ministre du Patrimoine canadien s'est engagée auprès du comité de surseoir à l'application des dispositions du projet de loi C-10 qui nous concernent, et de consacrer douze mois à des consultations auprès des représentants de l'industrie afin d'établir une norme. Le résultat n'est pas certain, mais on tenterait d'établir une norme autre que le Code criminel.
Cela semble être conforme à la résolution du caucus des maires des grandes villes, qui a été déposée ici aujourd'hui en provenance de Vancouver, et qui se lit comme suit : qu'ils « recommandent que le gouvernement fédéral modifie le projet de loi C-10 à la suite de consultations auprès de l'industrie du film, afin d'éliminer toute mesure qui pourrait avoir une incidence négative sur le financement de productions cinématographiques ».
Cette résolution semble seconder l'offre formulée par la ministre du Patrimoine canadien de consulter l'industrie pour d'essayer d'élaborer une autre norme. Êtes-vous d'accord?
M. Miller : Avec beaucoup de respect, sénateur, non; ce n'est pas le sens de la résolution — et elle vient de Vancouver, Toronto, Montréal et Halifax. Elle signifie que le projet de loi comme tel ne devrait pas aller de l'avant.
Au nom du Toronto Film Board, je peux vous dire que nous serions ravis de participer aux consultations avec la ministre, mais qu'elles devraient déboucher sur un autre projet de loi. Je ne pense pas — et j'y crois fermement — qu'il soit approprié de procéder ainsi; de tenir des consultations sans savoir quels en seront les résultats et de doter la ministre d'une discrétion illimitée dans un domaine qui n'est même pas réglementé par la loi parce qu'il ne s'agit pas d'un texte réglementaire. Si l'alternative est de biffer la disposition et de revenir plus tard, après des consultations, avec une modification, je pense que c'est l'objectif de la résolution en question.
M. Tremblay : La même réponse.
Le vice-président : Sénateur Eyton, avez-vous d'autres questions?
Le sénateur Eyton : Non, merci, monsieur le président.
Le sénateur Moore : J'ai eu le plaisir de faire partie du conseil municipal d'Halifax, et j'ai été le maire suppléant de la ville, alors je suis reconnaissant au maire Miller d'avoir lu la lettre du maire Kelly et d'avoir fait la publicité de ma ville natale.
Monsieur le maire Tremblay, vous avez dit que le mieux est l'ennemi du bien. J'ai dit ça à la ministre Verner lors de la première audience — c'est-à-dire que ce projet de loi propose une solution à un problème inexistant.
Pourtant, la question a une portée plus large. Monsieur le maire Miller, vous avez parlé de vos antécédents en tant qu'avocat et de la disposition voulant que l'article 120 du projet de loi soit un texte réglementaire. Vous avez dit, je pense que cela signifie qu'il n'a pas force de loi. Ce qu'indique cet article c'est que ces lignes directrices ne sont pas des textes réglementaires au sens de la Loi sur les textes réglementaires.
Cela signifie que ces lignes directrices ne sont pas — et cela revient à votre commentaire, maire Tremblay, sur le rôle de la Chambre des communes et du Sénat — ouvertes à l'examen par le Comité mixte permanent sur l'examen de la réglementation, composé des membres des deux Chambres. Ces lignes directrices ne peuvent pas être examinées par la Chambre des communes ou par le Sénat, et elles peuvent être changées — modifier ou supprimer, à n'importe quel moment sans préavis à ces deux Chambres ou au public.
Maintenant que vous connaissez ces faits, soit l'inverse de ce que vous pensiez, que pensez-vous de la situation?
M. Miller : D'abord, sénateur, j'ai présumé que cela voulait dire quelque chose de semblable. Si j'ai dit qu'il n'avait pas force de loi, je voulais dire qu'il n'y avait pas de façon légale de le réglementer parce qu'il n'y a pas d'examen possible. Je ne savais pas ce que voulait dire le détail; cela m'inquiète encore davantage. Si c'était un texte réglementaire, il y aurait une méthode permettant aux gens d'avoir leur mot à dire.
À mon avis, cela renforce ma remarque antérieure, à savoir que la ministre a une discrétion illimitée pour décider quels films financer, ce qui signifiera, en fin de compte, quels films les Canadiens pourront voir. Cela accroît nos inquiétudes. Je ne pense pas que les Canadiens devraient se fier à l'opinion de la ministre; ils devraient dépendre de leur propre jugement, tout en respectant la disposition du Code criminel sur la pornographie.
Quand j'ai vu cette disposition, elle m'a inquiété parce qu'il semblait anormal de l'enlever de la procédure normale ou d'un instrument normal. Vos commentaires soulignent ce que moi et mon collègue avons dit aujourd'hui.
Le sénateur Moore : Avez-vous d'autres remarques sur cette question, monsieur Tremblay?
M. Tremblay : Qui va influencer la ministre au sujet des nouvelles lignes directrices? Nous sommes en train d'examiner des lignes directrices qui n'ont pas force de loi. Sur quoi seront-elles fondées, et qui va influencer la ministre? En aucune manière, suis-je en train de remettre en question la bonne volonté de la ministre. Les conséquences sont importantes. Nous avons la responsabilité d'établir les meilleurs mécanismes possibles et de prendre la meilleure décision dans l'intérêt de l'ordre public, et de s'assurer que cette décision ne nuira pas à une industrie qui mérite de continuer à prospérer. Voilà donc ma question.
En ce qui concerne les questions techniques, s'il y a une volonté politique, je pense que les avocats vont trouver la meilleure solution afin de donner suite aux propos tenus par nous les maires, mais aussi, et surtout, par les membres de l'industrie.
[Français]
Le sénateur Nolin : Merci aux maires; en raison du fait que vous soyez les maires des deux plus grandes villes canadiennes, deux entités urbaines qui ne peuvent certainement pas être identifiées comme monolithiques, votre témoignage sera fort apprécié.
Nous avons reçu une suggestion, certainement isolée. Elle vaut quand même la peine d'être explorée. Elle propose ceci : un contribuable qui serait contre le fait que ses impôts servent à subventionner une production audiovisuelle qui irait à l'encontre de ses valeurs, donc de sa conscience, pourrait retenir de sa contribution fiscale l'équivalent de la subvention en question. On ne parle pas pour autant de transgresser les normes du Code criminel. On peut penser à la violence extrême, sans être de la pornographie, à une exploitation sexuelle au-delà des normes, à tout le moins de ces contribuables.
Je présume que comme maires de deux grandes entités, cela vous arrive d'être confrontés, dans vos décisions, à des groupes minoritaires qui prétendent, pour des raisons de conscience, vouloir s'opposer à des décisions qui peuvent être prises dans le cours de vos fonctions.
C'est arrivé à Montréal, qui a plusieurs types d'industrie. Je me souviens d'un groupe de citoyens de Montréal qui s'opposait à ce que Montréal abrite des industries de défense. Vous vous souvenez, monsieur le maire Tremblay, qu'on a déjà eu ce genre de débat, ce qui est tout à fait normal dans une société libre et démocratique comme la nôtre. Qu'est- ce que vous pensez d'une telle suggestion?
M. Tremblay : Cela créerait un précédent important. Si, par exemple, quelqu'un disait : « Je ne suis pas d'accord avec certaines décisions que le maire ou le conseil municipal a prises, je ne paie pas mon compte de taxes. » Alors le législateur a prévu que cela ne pouvait pas arriver parce que premièrement, il faut payer son compte de taxes et deuxièmement, on peut le contester dans un processus normal avec une institution légitime. Je ne crois pas qu'un citoyen, qui vit dans une société cosmopolite, peut décider, parce que cela ne fait pas son affaire, de remettre en question les vœux de la majorité. Il y a des mécanismes qui sont en place pour permettre justement à tous les citoyens de s'exprimer librement. Dans le monde municipal, on en a plusieurs. On a même un ombudsman qui permet d'écouter attentivement les représentations d'une personne. Mais de là à créer un précédent et à permettre à une personne de mettre ses valeurs personnelles de l'avant dans une société non monolithique, il faudrait réfléchir très sérieusement à cette possibilité parce que cela créerait un précédent qui pourrait avoir des conséquences importantes sur l'avenir d'une société.
[Traduction]
Le sénateur Nolin : Monsieur Miller, est-ce que vous partagez cette opinion?
M. Miller : M. Tremblay et moi-même partageons toutes les opinions. Il s'agit de l'alliance Toronto-Montréal. Oui, je suis d'accord avec les commentaires de mon collègue.
Le sénateur Ringuette : Messieurs Miller et Tremblay, vous êtes libres de faire des remarques, mais j'aimerais faire une déclaration. Je suis ravie de vous voir tous les quatre. Les maires de Vancouver et d'Halifax sont ici avec nous également. Même si, vous êtes en concurrence les uns contre les autres pour obtenir de l'argent, aujourd'hui vous faites front commun. Vous vous ralliez pour appuyer l'industrie, et pour protéger les emplois et les économies de vos villes.
Monsieur Miller, tout à l'heure vous avez dit dans votre réponse à la question posée par le sénateur Eyton, que tous les gens que vous côtoyez depuis quelques mois déjà se sont prononcés unanimement et avec passion contre les modifications proposées au projet de loi C-10. Notre comité a débuté ses audiences et a fait comparaître les témoins à partir du 2 avril. Un mois plus tard, le 30 avril, le ministre des Finances, M. Flaherty, a comparu devant ce comité et a déclaré qu'il a discuté avec bon nombre de personnes travaillant dans l'industrie et qu'il n'y avait aucun consensus. Nous avons donné l'occasion au ministre Flaherty de rencontrer devant notre comité les représentants de l'industrie qui d'après lui, avaient une opinion divergente. Malheureusement, un mois plus tard, nous n'avons toujours pas reçu les noms, que je sache, des personnes qui, aux dires du ministre Flaherty, ne sont pas d'accord avec l'industrie. La greffière ou le président pourront le reconnaître.
Monsieur Miller, pourriez-vous nous identifier ceux qui, à votre avis, ne seraient pas d'accord avec l'industrie? Notre comité désire entendre toutes les voix différentes. S'il y a une voix différente, j'aimerais la connaître. Je vous prie de nous envoyer leurs noms, puisque que le ministre Flaherty ne le fait pas.
M. Miller : Au sein de l'industrie cinématographique de Toronto, je n'ai pas entendu une seule voix dissidente. À titre du président du Conseil du film de Toronto, j'ai le devoir de collaborer avec l'industrie. Nous avons constitué l'office du film à la demande de l'industrie. Dernièrement, j'ai assisté à la première d'un film créé par les studios Filmport. Comme je suis en train de faire la publicité pour Halifax, je peux faire de même pour Toronto. Les studios Filmport abritent le plus grand plateau de tournage polyvalent au monde, qui est situé sur une propriété qui appartient à la municipalité. Cette propriété est louée, il s'agit d'un nouveau projet formidable. Les représentants de toute l'Amérique du Nord ont été présents et même les producteurs basés à Los Angeles discutaient de cette question. Pourtant, je ne peux pas parler en leur nom; je ne représente pas Los Angeles.
Je n'ai entendu absolument personne, que ce soit du secteur financier, du milieu de la production, des syndicats ou encore des associations professionnelles — vraiment personne — dire autre chose si ce n'est que cette disposition a été mal conçue et devrait être retirée du projet de loi C-10. Si le gouvernement souhaite intervenir autrement que par le truchement du Code criminel, il doit repartir à zéro, exprimer ces objectifs d'intérêt public dans un projet de loi, consulter la population et voir si de tels objectifs sont acceptables. Enfin, je n'ai pas entendu la moindre dissidence par rapport à ce que nous avons dit.
J'ai aussi omis de partager avec vous le souci extrême que nourrit le milieu de l'industrie. Ces gens sont en effet extrêmement préoccupés. À leurs yeux, l'argument n'est pas quelque chose d'abstrait. À un moment où l'industrie subit des pressions financières, ce dont nous avons discuté plus tôt, que ce soit en raison de variables telles que le coût du dollar canadien, les grèves et les conflits de travail aux États-Unis, le gens du cinéma et de la télévision craignent fort que ce projet de loi désorganise l'industrie canadienne. Ce que la ministre a affirmé, sans doute de bonne foi, entraînerait toutefois le pire des résultats. Faire adopter le projet de loi pour ensuite tenir des consultations pendant un an au sujet de films qui nécessitent peut-être une production échelonnée sur un an et demi, risque de suspendre le financement.
Quand on songe que dans le Canada du XXIe siècle, pays où viennent des gens de partout dans le monde pour y trouver l'espoir et des possibilités d'épanouissement, on envisage de revenir à ce qu'on doit appeler la censure, au moyen d'une disposition tout à fait arbitraire et modifiable à volonté par un simple caprice ministériel, ça ne correspond certainement pas au Canada moderne que je représente à Toronto, ni à celui des autres députés de ce pays.
Les gens ont le choix : Ils peuvent soit fermer leur appareil ou encore s'abstenir d'aller voir le film. Ils jouissent déjà de ce droit et n'ont pas besoin de ce projet de loi pour prendre une décision.
M. Tremblay : J'aimerais ajouter quelque chose à cela. Oui, vous avez entendu ici le témoignage de quatre maires, mais nous parlons d'une seule voix au nom des 22 maires des grandes villes du Canada ainsi que des plus que 1 000 autres maires qui font partie de la Fédération canadienne des municipalités. Ce sujet a fait l'objet de délibérations publiques, lors de l'assemblée générale de la Fédération canadienne des municipalités, tenue à Québec en présence des médias. Si quelqu'un s'était opposé à l'avis général, notre décision n'aurait pas été unanime.
De plus, la ville de Toronto a adopté à l'unanimité une résolution qui a reçu un large écho. Dans l'idéal, en politique, nous cherchons le consensus. Eh bien, il semble qu'ici il y a eu unanimité.
Pour arriver à cela, j'ai posé la question aux quatre représentants de l'industrie, et ils ont répondu oui. Il ne s'agit donc pas d'un simple consensus ou d'un consensus élargi. La question a reçu un large écho. L'industrie sait que nous sommes ici; tout le monde le sait d'ailleurs. Je ne peux que m'exprimer en mon propre nom, mais je n'ai absolument rien entendu qui ne reflète pas les propos très fermes que nous avons tenus aujourd'hui.
Le vice-président : Messieurs, au nom du comité, je vous remercie vivement de vos interventions tout à fait fascinantes et d'avoir répondu avec autant d'ouverture à nos questions. Nous allons permettre au sénateur Dawson de soulever une dernière question avant de lever la séance.
Le sénateur Dawson : La réponse que m'a donnée la greffière m'a satisfait.
Le vice-président : S'il n'y a pas d'autre point à l'ordre du jour, nous allons lever la séance jusqu'à mercredi à 16 heures, lorsque le Sénat s'ajournera.
La séance est levée.