Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 22 - Témoignages du 12 juin 2008
OTTAWA, le jeudi 12 juin 2008
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, saisi du projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, notamment en ce qui concerne les entités de placement étrangères et les fiducies non-résidentes ainsi que l'expression bijuridique de certaines dispositions de cette loi, et des lois connexes, se réunit aujourd'hui à 10 h 50 en vue d'examiner le projet de loi.
Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-10, une loi cadre visant à modifier de diverses façons la Loi de l'impôt sur le revenu, notamment à l'article 120, avec l'ajout de certaines dispositions intéressant les productions cinématographiques et magnétoscopiques. C'est sur cette partie du projet de loi que va se porter notre attention ce matin.
Je me nomme David Angus. Je suis le président de ce comité et sénateur du Québec. À ma droite se trouve le sénateur Goldstein, également du Québec. Il est le vice-président du comité. À sa droite, nous avons le sénateur Fox, également du Québec — vous voyez qui est aux commandes ici — et le sénateur Meighen, anciennement du Québec et maintenant de l'Ontario. À ma gauche, vous avez le sénateur Ringuette, du Nouveau-Brunswick, et le sénateur Massicotte, du Québec. D'autres collègues ont actuellement d'autres engagements. Certains pourraient se joindre à nous et je vous les présenterai au fur et à mesure de leur arrivée.
Ce matin nous avons le privilège de recevoir Al Porter, directeur de la Division de l'industrie cinématographique et des foires commerciales, représentant Teamsters Canada; et M. Neal Clarance, associé, responsable canadien du secteur des médias et des divertissements, représentant Ernst & Young s.r.l., un cabinet d'experts comptables d'envergure mondiale.
Bienvenue au comité. Vous savez que nous tenons des audiences sur ce projet de loi depuis novembre. Nous avons déjà entendu beaucoup de points de vue. J'ai coutume de brandir ce projet de loi. C'est un document volumineux. Nous savons qu'un peu de savoir est une chose dangereuse. Nous espérons que vous nous apporterez des connaissances nouvelles ce matin.
Al Porter, directeur, Division de l'industrie cinématographique et des foires commerciales, Teamsters Canada : Merci de votre invitation à comparaître aujourd'hui devant le comité pour vous faire part de nos réflexions sur le projet de loi C-10. J'ai commencé ma carrière comme chauffeur de camion, et vous pouvez en déduire que je ne suis pas venu parler des répercussions artistiques des dispositions du projet de loi C-10 introduisant la notion de production « contraire à l'ordre public ». La créativité n'est pas mon point fort. J'avoue avoir lu un jour un scénario et je ne voyais absolument pas comment on pourrait le transformer en un film. Or, ce film a été un grand succès. Voici à quoi se résument mes compétences de créateur, mais je suis tout aussi passionné que les artistes dans mon opposition au projet de loi C-10. C'est le cas aussi de Teamsters Canada, dont je suis le directeur national pour les productions cinématographiques et les foires commerciales.
Par ailleurs, en tant que président de la section 362 des General Teamsters de Calgary, je participe de près à l'industrie cinématographique en Alberta. J'ai négocié plus de 240 accords de réalisations cinématographiques.
Le cadre de référence des teamsters est terre-à-terre. Ce qui nous intéresse, ce sont les emplois, le bien-être des milliers de Canadiens employés dans la production cinématographique et la préservation d'une industrie qui nous apporte des bienfaits tant économiques que culturels.
Comme je l'ai dit, je suis chauffeur de camion, non pas quelque activiste à l'esprit surchauffé, et pourtant nous sommes convaincus que les cinq mots « contraire à l'ordre public » contenus dans les modifications proposées à la Loi de l'impôt sur le revenu suffisent à faire s'écrouler une industrie qu'il a fallu des années pour créer et qui a valu au Canada une reconnaissance internationale.
À nos yeux, il s'agit de maintenir nos employés au Canada — des emplois bien rémunérés, qui génèrent aussi beaucoup d'impôts, des emplois qui requièrent des gens intelligents, instruits, hautement qualifiés et recherchés; des emplois dans une industrie ne pollue pas et n'épuise pas les ressources naturelles; des emplois qui aident à diversifier l'économie canadienne afin qu'elle ne se limite pas à exploiter l'eau, le bois ou le pétrole.
Soyons plus précis. Nous parlons ici au nom des teamsters. Je ne peux prétendre parler au nom des autres syndicats, mais je serais surpris que leur point de vue diffère sensiblement du nôtre.
Sur nos 125 000 membres, près de 1 000 travaillent directement dans l'industrie cinématographique de l'Ouest du Canada, principalement en Alberta et en Colombie-Britannique.
La Colombie-Britannique reçoit la plus grande partie du travail, et la masse salariale de nos membres engagés dans la production était d'environ 70 millions de dollars au cours des 30 derniers mois. La part de l'Alberta est plus restreinte, avec plus de 9 millions de dollars au cours de la même période.
Vu que ces chiffres sont approximatifs, disons que cela représente une masse salariale totale de 80 millions de dollars dans l'Ouest du Canada, rien que pour les 30 derniers mois — une période qui n'a pas été particulièrement occupée pour nous — versée à des travailleurs qui, à leur tour, payent des impôts fédéraux, provinciaux et locaux et dépensent leurs revenus dans les économies locales.
Entre autres, les teamsters fournissent des services de transport, de restauration, de dressage de chevaux et de sécurité. Comme l'indique cette fonction de dressage, nous travaillons avec des acteurs à quatre pattes. Nous avons la réputation d'être parmi les meilleurs dresseurs de chevaux au monde. Par exemple, Peter Jackson a fait appel à certains de nos membres pour travailler en Nouvelle-Zélande sur le film Le Seigneur des anneaux.
En tant qu'Albertain et camionneur fier de l'être, je dois signaler notre rôle dans des films primés tels que Dr. Strangelove et Docteur Jivago, Little Big Man, ainsi que Superman, Unforgiven, Legends of the Fall et Brokeback Mountain. Nos 14 Oscars signifient que nous n'avons rien à envier à personne dans l'industrie cinématographique.
C'est en partie ce que j'entends en parlant de la réputation internationale de l'industrie cinématographique canadienne. Tous ces films n'ont pas été tournés chez nous uniquement pour nos paysages. Les crédits d'impôt ont rendu tout cela possible en appuyant notre infrastructure.
Il faut signaler également que nos membres habituellement possèdent et entretiennent leur propre équipement. Pour les Teamsters de l'Alberta et de la Colombie-Britannique, cela représente une mise personnelle de l'ordre de 85 millions de dollars. Les crédits d'impôt rendent cela possible également.
Je ne prétends pas être expert en droit fiscal, mais je sais un peu comment fonctionne l'industrie cinématographique et le rôle que jouent les crédits d'impôt et autres encouragements. Le financement des films au Canada est largement un bricolage. Vous proposez votre scénario aux distributeurs et radiodiffuseurs. Vous assemblez un montage financier, qui peut comprendre Téléfilm Canada et des fonds provinciaux, puis vous approchez les banques. Dans la pratique, ainsi que M. Cronenberg l'a indiqué lors de son témoignage ici à la mi-mai, vous empruntez tout le budget d'un film à une banque sur la base des divers arrangements que vous avez conclus. Les crédits d'impôt en sont un élément indissociable. Les pouvoirs publics ont créé les crédits d'impôt et d'autres encouragements pour des raisons économiques et culturelles : construire une industrie, créer un secteur de la production cinématographique qui emploie des travailleurs canadiens qualifiés et qui fait en sorte qu'une main-d'œuvre est disponible localement au lieu d'importer des travailleurs, afin que les avantages économiques demeurent principalement au Canada.
La modification proposée trouble les eaux en soulevant la possibilité que des facteurs subjectifs viennent influencer ce qui devrait être un mécanisme objectif axé sur l'emploi.
C'est la certitude du crédit d'impôt qui donne aux banques une assurance suffisante pour avancer les fonds qui rendent le tournage possible. Le crédit d'impôt constitue le nantissement de l'emprunt bancaire.
Supprimez cette certitude et toute la structure s'effondre. Comme l'indique une déclaration attribuée à la Banque royale du Canada et déjà citée : « Si la certitude de l'admissibilité qui sous-tend actuellement tous les prêts bancaires à cette industrie devait être compromise ou entamée par le projet de loi C-10, cela va effectivement limiter la capacité de la banque à continuer de financer les productions à contenu canadien. »
Pour nous, l'enjeu du projet de loi C-10 n'est pas la censure. C'est une affaire d'emploi. Après tout, c'est un crédit d'impôt axé sur la main-d'œuvre qui est en cause ici. C'est le gagne-pain de travailleurs qui est en jeu. Permettez-moi d'expliquer. Les teamsters employés dans l'industrie cinématographique ont deux sources de travail : les productions de service et les productions indigènes ou canadiennes. À elles deux, elles constituent la masse critique requise pour garder l'industrie en vie.
Le travail le plus prestigieux, bien entendu, est le travail de service — autrement dit, travailler à des productions de Hollywood, des films tels que Brokeback Mountain, avec de gros budgets et de longs tournages, des productions que nous avons attirées au Canada grâce à un labeur acharné, des subventions publiques attrayantes et l'existence d'une main-d'œuvre hautement qualifiée et expérimentée — un bon engagement si vous l'obtenez. Cependant, les grosses productions de service sont relativement peu fréquentes dans l'Ouest du Canada en dehors de la Colombie- Britannique, peut-être une tous les deux ans. Par conséquent, ce sont les productions indigènes qui nous font vivre. Plus que cela, c'est lors des productions indigènes que nous accumulons l'expérience voulue pour attirer Hollywood en premier lieu.
Vous affûtez votre savoir-faire, vous accumulez votre matériel, vous construisez votre équipe et polissez votre réputation sur des projets canadiens — des films comme Jet Boy, par exemple, que je mentionne dans le même souffle que Brokeback Mountain pour une bonne raison. Les deux films ont pour sujet l'homosexualité masculine et tous deux étaient controversés. Les deux ont été filmés en Alberta. Les deux faisaient appel à la même infrastructure cinématographique. Les deux employaient des teamsters.
Or, le projet de loi C-10 traiterait les deux films de manière entièrement différente, avec deux jeux de règles : un pour les productions canadiennes et un pour les productions américaines. En soi, cela devrait vous interpeller et vous montrer qu'il y a là un manque de réflexion. Dans la pratique, nous avons un gouvernement canadien qui pénalise le contenu canadien.
Il existe d'autres différences encore. L'un des films a gagné trois Oscars et remporté plus de 200 millions de dollars. Jet Boy n'aurait probablement pas été réalisé si le projet de loi C-10 avait été en vigueur. Ceux qui désapprouvaient le sujet auraient mené campagne pour que le film soit déclaré contraire à l'ordre public. Voilà le risque réel de cette législation : l'ordre public sera défini par ceux qui crient le plus fort et le plus longtemps.
J'ai déjà mentionné les plaintes contre Brokeback Mountain et Jet Boy. D'autres pensent que critiquer l'Église catholique constitue de la propagande haineuse. D'autres croient que les films à caractère fantastique et représentant de la magie promeuvent les cultes diaboliques. D'autres encore peuvent objecter à la façon dont le cinéaste dépeint Billy Bishop, Tommy Douglas ou la Crise d'octobre. Je suis sûr qu'une aventure animalière de type Disney suscitera l'indignation chez certains, si vous cherchez bien.
Le fait est que ce sont là des facteurs subjectifs. Le gouvernement peut-il laisser la politique nationale de financement du cinéma être dictée par ceux qui enfourchent leur dada subjectif? En outre, le gouvernement est-il prêt à mettre en danger toute l'industrie cinématographique pour cela? Sans les productions canadiennes, il n'y aura pas d'infrastructure lorsque les studios d'Hollywood viendront se présenter.
L'industrie cinématographique est mondiale et très concurrentielle. Alors que le Canada a su très bien attirer les productions américaines dans le passé, nombre de nos avantages se sont évaporés. Le taux de change de notre dollar ne fait plus de nous un lieu de tournage attrayant. D'autres pays ont des stimulants fiscaux tout aussi créatifs. Ils ont tiré les leçons de l'expérience canadienne, et l'Alberta vient justement de perdre une production au profit du Michigan qui offrait un meilleur crédit d'impôt.
Voulons-nous vraiment donner une autre excuse pour aller tourner ailleurs? La proximité et une main-d'œuvre hautement qualifiée restent nos avantages concurrentiels, tout comme les récompenses gagnées par les films tournés chez nous. Mais l'amendement proposé aura pour effet direct d'éroder cette main-d'œuvre. Sans les productions indigènes pour la faire vivre, l'infrastructure requise pour le travail de service disparaît.
Monsieur le président et sénateurs, nos membres considèrent qu'aucun ministre ne devrait jouir de tels pouvoirs. Nous ne pensons pas que nos emplois et le gagne-pain d'un secteur dynamique et en expansion de l'économie canadienne devraient être mis à rançon par des groupements d'intérêt spéciaux capables de déclencher une réaction d'un ministre ou d'un comité réuni à huis clos.
Parlons clairement. Nous convenons qu'il faut des normes minimales. Nous disons aussi que ces normes existent déjà, par le biais du Code criminel, des systèmes de classification des films et émissions télévisées et les organismes de financement indépendants. Nous pensons que ces outils de contrôle fonctionnent bien, et nous pensons qu'ils représentent l'instrument de surveillance approprié.
Les crédits d'impôt doivent rester objectifs, cohérents et prévisibles pour assurer que les réalisations puissent continuer à tourner les films et à employer la main-d'œuvre qui les aide à le faire. Tout ce qui réduit la clarté et la certitude et substitue la subjectivité et l'ambiguïté menace toute l'assise du financement de la production cinématographique du Canada.
Monsieur le président et sénateurs, nous sommes des travailleurs. Nous vous implorons de supprimer une disposition qui menace réellement notre travail futur. Nous demandons donc au Sénat d'apporter des amendements éliminant la subjectivité et, par conséquent, la disposition du projet de loi C-10 relative à l'ordre public.
Le président : Merci beaucoup. Je vais recommander à mes petits-enfants de commencer leur carrière comme camionneur. Vous avez fait une carrière impressionnante.
Neal Clarance, associé, responsable des médias et spectacles canadiens, Ernst & Young s.r.l. : Merci de votre invitation à vous parler de cette question importante. Je comparais ici, muni de mes 20 années d'expérience des conseils financiers et commerciaux aux industries cinématographiques et télévisuelles.
Je suis associé et responsable des médias et spectacles canadiens chez Ernst & Young. Je suis également membre du conseil d'administration du Centre canadien du film et président de son conseil consultatif de l'Ouest canadien. Je siège au conseil d'administration de la Motion Picture Production Industry Association et je copréside son comité du développement des affaires, et je suis également membre du conseil de l'International Financial Centre British Columbia et membre du conseil et trésorier du Festival du cinéma de Whistler.
Avec de tels antécédents, je pense qu'il est évident que je suis venu parler de l'article du projet de loi C-10 qui traite du crédit d'impôt pour production cinématographique et des enjeux dans ce domaine.
Je vais parler plus précisément des répercussions commerciales et financières du projet de loi. Tout en nourrissant des opinions sur la censure, la liberté d'expression et l'intégrité artistique, je laisse ce débat à des personnes plus capables et artistiquement plus douées que moi. Les points de vue que j'exprime ici sont les miens propres. Bien que nombre de mes clients soient concernés par ce projet de loi, je ne comparais pas en leur nom ni en celui d'aucun groupement d'intérêts. En outre, mes commentaires sont mon opinion propre et ne reflètent pas nécessairement les vues ou les positions d'Ernst & Young.
Ernst & Young est l'un des plus gros cabinets de services comptables et professionnels du monde, offrant des services d'expertise-conseil dans les domaines de la vérification, de la comptabilité, de la fiscalité, des transactions et du commerce à l'industrie du spectacle. Parmi nos services, nous vérifions les coûts de production cinématographique et télévisuelle et nous fournissons divers services en rapport avec la réclamation de crédits d'impôt fédéraux et provinciaux pour production cinématographique. Ces crédits sont un élément fondamental du financement de virtuellement toutes les productions télévisuelles et cinématographiques canadiennes réalisées dans ce pays.
J'aimerais faire un rapide survol de nos services relativement aux crédits d'impôt pour les films et du processus suivi par un producteur canadien pour obtenir un financement intérimaire dans l'attente de ces crédits.
Nos services commencent typiquement lors de la phase pré-production, où l'on nous engage pour dresser une estimation des crédits d'impôt fédéraux et provinciaux disponibles sur la base du budget de la production. Les crédits d'impôt sont fondés sur les coûts admissibles de main-d'œuvre canadienne encourus au cours de la réalisation et sont fonction également d'autres facteurs relatifs à la structure financière et aux éléments de production. Alors que ces éléments peuvent varier considérablement d'une production à l'autre, il faut bien voir que les crédits d'impôt fédéraux et provinciaux peuvent représenter jusqu'à 40 p. 100 d'un budget de production — c'est très considérable.
Notre estimation des crédits d'impôt est typiquement présentée aux banques, aux investisseurs et à d'autres partenaires financiers, auprès desquels la société de production emprunte de 80 à 90 p. 100 du montant estimatif.
Étant donné que l'estimation est fondée sur un devis des coûts futurs, notre lettre d'estimation comporte naturellement certaines hypothèses et références à des risques inhérents, que le prêteur doit examiner et accepter avant de procéder. Au fil des ans, depuis l'introduction du programme de crédits d'impôt pour production cinématographique, notre lettre a fait l'objet de certains ajustements mineurs en fonction des modifications de la politique et du programme, mais de manière générale les hypothèses et les risques inhérents sont restés largement inchangés. De ce fait, ces banques, investisseurs et partenaires financiers ont continué d'accepter ces risques et de consentir des avances sur ces crédits estimatifs.
Alors que notre lettre n'est pas la seule pièce à laquelle une banque ou un partenaire financier se fie, elle représente un élément primordial du mécanisme de diligence raisonnable.
La disposition actuelle du projet de loi C-10 relative à l'industrie cinématographique est, à mon avis, mal formulée et prête bien trop largement à une interprétation subjective. Si elle est adoptée, nous-mêmes et d'autres cabinets comptables professionnels seront obligés d'ajouter un paragraphe à nos lettres d'estimation expliquant les conséquences possibles de la législation.
Cela introduira un élément d'incertitude, d'incohérence et d'imprévisibilité qui entamera le degré de confiance des banques, investisseurs et partenaires financiers et les rendra plus réticents à avancer les fonds correspondants aux crédits d'impôt estimatifs. Même si la banque était suffisamment rassurée par notre lettre et le montant estimatif des crédits d'impôt, je peux vous assurer qu'elle ne contiendra aucune formule garantissant que le film n'est pas contraire « au bon goût » ou « à l'ordre public ».
De ce fait, les banques vont probablement devoir se mettre à lire le scénario pour déterminer s'il est susceptible de contenir quelque chose de contraire au bon goût ou à « l'ordre public ». Le problème avec cela est que nous ne pourrons raisonnablement conclure que leur interprétation de ces notions sera partagée par le comité ou le groupe arbitraire choisi par le ministre pour administrer cette législation.
Si ce projet de loi doit être promulgué, il devra comprendre une définition plus claire de ces termes et de ce qui sera considéré comme « contraire au bon goût » ou « contraire à l'ordre public ». Il faudra établir clairement par qui, comment et quand la législation sera administrée.
Je pense que tout le monde admet qu'il y aura toujours un certain degré de subjectivité dans l'administration d'une telle loi, comme c'est déjà le cas à l'heure actuelle des règles administrées par le Bureau de certification des productions audiovisuelles canadiennes, le BCPAC, et les diverses agences cinématographiques provinciales. Ces agences existaient déjà bien avant l'introduction des crédits d'impôt pour production cinématographique. L'industrie a appris au fil du temps à faire confiance au jugement de ces organisations. En outre, elles interviennent dès la demande initiale et le stade de détermination de l'admissibilité, avant la production, ainsi qu'au stade de la certification finale à l'achèvement de la production.
Il est peu probable que le BCPAC examine la demande initiale et les documents à l'appui, comprenant une synopsis, et émette un certificat d'admissibilité en vertu de la partie A pour inverser ensuite cette position au stade de la certification finale à moins que le producteur ait introduit de manière flagrante quelque élément qui n'était pas apparent lors de l'examen préliminaire préalable à la production.
Au cours de mes 20 années de vérification des produits à contenu canadien, je n'ai vu que très peu de cas où la certification canadienne établie au stade préliminaire ait été annulée après l'achèvement du film. Dans tous ces cas, le refus était fondé sur des questions de propriété, jamais de contenu.
Le projet de loi implique qu'un nouveau groupe ou comité distinct sera formé, qui aura le pouvoir d'annuler les décisions de ces organismes expérimentés qui étaient chargés de veiller à ce que des films contraires au bon goût ne bénéficient pas de fonds publics dans le passé. Non seulement cela ajoute-t-il un niveau inutile de bureaucratie et d'administration, l'industrie craint également que cela donne un pouvoir de décision à un groupe n'ayant aucune expérience de ces questions et aucune ligne directrice ou définition explicite à suivre.
L'introduction d'un nouveau groupe pour administrer cette loi va rendre à toutes fins pratiques redondant le rôle du BCPAC. Pourquoi une banque ferait-elle confiance au certificat d'admissibilité de la partie A du BCPAC si un organe distinct peut faire intervenir un ensemble de normes différentes et inconnues une fois la production achevée?
Je ne conteste pas un instant la nécessité pour le gouvernement de manier de manière responsable les fonds publics. Au contraire, j'y applaudis. Cependant, il vient un point où ces efforts peuvent devenir ridicules, voire absurdes. Il faut se demander quel raisonnement a pu conduire à appliquer cette mesure aux productions canadiennes sans que des contraintes similaires soient imposées aux films étrangers, qui eux aussi bénéficient de fonds publics par le biais du crédit d'impôt pour services de production cinématographique.
Comment se fait-il que nous imposions aux réalisateurs canadiens des normes différentes de celles appliquées aux producteurs étrangers qui tournent dans notre pays et bénéficient également de fonds publics, bien que de montant plus faible? Je ne dis pas qu'il faut étendre le projet de loi aux productions étrangères, car il est bien évident que je ne suis pas favorable à cette législation de toute façon. Cependant, je peux vous assurer que l'injustice de cette proposition — le fait qu'elle ne s'applique qu'aux films canadiens — ne passe pas inaperçue chez nos amis américains. Les studios et producteurs américains qui dépensent chaque année des milliards de dollars dans notre pays suivent ce qui s'y passe. Ils craignent, à juste titre, que si ce projet de loi est adopté, ce ne sera qu'une question de temps avant que les mêmes contraintes soient étendues aux productions étrangères et aux crédits d'impôt pour services de production cinématographique.
Cela va susciter les mêmes doutes, du point de vue de la cohérence et de la prévisibilité, dans l'esprit des producteurs étrangers et les fera hésiter à tourner dans notre pays. Si le gouvernement a l'intention de faire adopter ce projet de loi ou quelque chose de similaire, alors il est impératif d'établir un niveau général de compréhension et des lignes directrices générales afin de préserver la cohérence et la prévisibilité qui sont indispensables au financement. Il faudra également indiquer clairement qui sera chargé d'administrer la législation et comment et quand elle sera administrée.
En résumé, quiconque pense que ce projet de loi en sa forme actuelle n'aura pas des effets considérables, voire dévastateurs, sur l'industrie cinématographique et télévisuelle est tout simplement déconnecté de la réalité du secteur de la production cinématographique et télévisuelle et de son fonctionnement dans ce pays. Merci de votre attention.
Le président : Merci. Le sénateur Fox commencera avec les questions.
Le sénateur Fox : Nous avons entendu des représentants du mouvement syndical de tout le pays, ce qui nous a donné un tableau complet des points de vue.
Monsieur Porter, je crois savoir que vous vous occupez principalement des productions dans l'Ouest du Canada, en particulier en Colombie-Britannique.
M. Porter : Oui, la Colombie-Britannique et l'Alberta.
Le sénateur Fox : Vous avez soulevé un point intéressant, que nous entendons pour la première fois. Vos membres sont propriétaires de la plus grande partie du matériel qu'ils utilisent.
M. Porter : Oui, la plus grande partie du matériel lourd, tel que les camions semi-remorques, les camions-citernes de vidange et les unités de maquillage appartiennent aux membres de Teamsters Canada et sont loués à la production.
Le sénateur Fox : Combien de membres avez-vous?
M. Porter : Nous avons 1 000 membres en Alberta et en Colombie-Britannique
Le sénateur Fox : Est-ce que l'IATSE, l'Alliance internationale des employés de la scène, participe aux productions sur la côte Ouest, ou bien les travailleurs sont-ils exclusivement des Teamsters?
M. Porter : Non, en Alberta et en Colombie-Britannique nous assurons le transport, le dressage des chevaux et les services de restauration, ainsi que la sécurité en Colombie-Britannique; l'IATSE occupe les postes techniques.
Le sénateur Fox : Êtes-vous préoccupés par la compétitivité actuelle du marché canadien et sa faculté d'attirer les productions étrangères? De toute évidence, les productions nationales ont moins de choix. Que feriez-vous pour rendre le Canada plus attractif aux réalisateurs de films et créer davantage d'emplois dans votre industrie?
M. Porter : Il y a deux facteurs : les crédits d'impôt provinciaux et fédéraux et les crédits des États américains. La plupart des États offrent un crédit d'impôt et nous sommes en concurrence avec eux. Comme je l'ai mentionné, nous avons perdu un projet au profit du Michigan. Mes confrères au Michigan disent qu'ils ont 59 projets, alors qu'ils n'ont que trois ou quatre équipes pouvant tourner les films. Leurs carnets de commande sont pleins pour trois ans. La concurrence est féroce. Lorsque j'ai rencontré récemment Warner Bros., ils m'ont dit qu'il n'est pas nécessaire d'être meilleur que les autres, simplement aussi bon que les autres pour obtenir le travail.
Le sénateur Fox : Vous avez indiqué, tout comme d'autres témoins, que les crédits publics doivent être alloués selon certains paramètres. La plupart ont dit qu'il serait inapproprié d'accorder des fonds publics, par l'intermédiaire soit de Téléfilm Canada soit du système de crédit d'impôt, à des films pornographiques ou d'autres films contraires au Code criminel. Êtes-vous d'accord avec ces deux paramètres?
M. Porter : Oui. Je ne me souviens d'aucun film sur lequel nous avons travaillé qui aurait échappé à ces paramètres.
Le sénateur Fox : Je pose la même question à M. Clarance.
M. Clarance : Absolument.
Le sénateur Fox : Le système actuel comporte des limites telles que la pornographie ne peut bénéficier de crédits d'impôt ou de fonds publics. Par conséquent, selon le système actuel, un film achevé pourrait perdre son crédit d'impôt s'il contrevenait au Code criminel. Êtes-vous d'accord avec cela?
M. Clarance : Je ne suis pas d'accord, car le film n'aurait pas été approuvé au départ. Comme je l'ai dit dans mes notes, la pornographie n'est pas un genre admissible en vertu de la réglementation actuelle. Le Bureau de certification des productions audiovisuelles canadiennes est chargé de cette détermination. Il examine le film, le synopsis et tous les éléments au point de départ et émet alors un certificat d'admissibilité. C'est la différence. Nous parlons maintenant d'un groupe distinct de celui que nous connaissons, de celui qui possède l'expérience et fait ce travail depuis plus de 25 ans.
Le sénateur Fox : Ai-je tort de penser que dans le cadre de la demande adressée au BCPAC, le producteur doit s'engager à remplir toutes les conditions de la réglementation du crédit d'impôt, notamment celle qui proscrit la pornographie? Vous pouvez soumettre un scénario où il n'apparaît pas clairement si, au bout du compte, le film ne comportera pas des scènes pornographiques.
M. Clarance : Absolument. Il est toujours possible que quelque chose vienne se glisser dans les failles, comme je l'ai mentionné également dans mes notes, et le producteur pourrait bien glisser quelque chose dans le film qui s'avère contraire au règlement.
Le sénateur Fox : Même si nous introduisions des paramètres excluant la notion d'ordre public, qui n'est pas définie et reste à la discrétion du ministre et pourrait être modifiée du jour au lendemain, et retournions à la définition de la pornographie du Code criminel, est-ce que cela affecterait le type de lettre que vous donnez aujourd'hui?
M. Clarance : Non. Notre lettre fait référence à des risques inhérents. Le risque inhérent global dans notre lettre est que la décision ultime est prise par d'autres que nous. Elle dit que la décision appartient au BCPAC. Les banques sont arrivées à un niveau de confort avec cela. C'est un risque acceptable. Elles connaissent les exigences et sont tenues au courant du début jusqu'à la fin, et elles acceptent donc ce risque. Il s'agit d'avoir un niveau de risque acceptable. Voilà la différence.
Le président : Vous dites aujourd'hui avoir confiance en l'expérience du BCPAC comme seul arbitre de la norme à respecter. Pouvez-vous nous rappeler qui est le BCPAC? Est-ce une organisation permanente à laquelle la loi pourrait faire référence?
M. Clarance : Je crois que oui. Le Bureau de certification des productions audiovisuelles canadiennes est lié au ministère du Patrimoine canadien. Il est chargé de superviser la certification du contenu canadien et l'admissibilité tant au programme de crédit d'impôt pour contenu canadien qu'au programme de crédit d'impôt pour services de production étrangère.
Le président : C'est un organisme gouvernemental.
M. Clarance : Oui, c'est un organisme gouvernemental. Les gens continuent à se demander ce qu'il y aurait de différent si le projet de loi est adopté, car cet organisme a toujours existé. Ils doivent comprendre que le projet de loi aura pour effet de créer un nouvel organe qui pourrait éventuellement substituer ses décisions à celles du BCPAC, le groupe avec lequel tout le monde est à l'aise. Je dirais que oui, absolument, si cela restait aux mains du BCPAC, nous serions plus rassurés.
Le président : Nous recherchons la certitude et l'industrie a convaincu la plupart d'entre nous que le problème est là. Nous ne parlons pas de censure. Nous parlons de certitude aux fins du financement et d'éviter d'affaiblir l'industrie.
Si le projet était amendé de façon à dire, par exemple : « doit se conformer aux critères établis de temps à autre par le BCPAC », cela vous conviendrait-il?
M. Clarance : La formule « doit se conformer aux critères établis de temps à autre », me fait hésiter, car là encore cela conduit à l'incertitude. J'ai entendu dire que le gouvernement avance comme motif de tout ce changement la possibilité qu'un film enfreignant le Code criminel bénéficie d'un financement. Dans ce cas, je ne vois pas pourquoi l'on n'ajoute pas simplement un libellé disant que toute production contraire au Code criminel ne pourra recevoir de financement. Avec cette précision dans la loi, et avec le BCPAC responsable de l'administration, nous serions rassurés.
Le sénateur Meighen : Monsieur Clarance, vous fournissez à vos clients depuis de nombreuses années une lettre de confort. Y avez-vous jamais fait référence au fait que depuis 1995, lorsque le crédit d'impôt pour production cinématographique a été instauré, l'Agence du revenu du Canada applique des critères relatifs à l'ordre public aux termes d'un projet de règlement; depuis 2003, ces critères sont appliqués à titre de projet de loi, si bien que ce régime existe déjà depuis quelque temps. Est-ce que vous en faites mention dans votre lettre?
M. Clarance : En gros, nous couvrons dans notre lettre le projet concerné, les hypothèses concernant le contenu de main-d'œuvre et les divers éléments de la production. Elle dit que le projet nous semble admissible, sur la base des explications de la direction et de notre examen de la situation, mais que la décision finale appartient à l'Agence du revenu du Canada et au Bureau de certification des productions audiovisuelles canadiennes et que nous ne pouvons donner aucune garantie d'admissibilité du projet.
Le sénateur Meighen : Cela ressemble à une lettre d'avocat : d'une part ceci, mais d'autre part cela.
M. Clarance : Tout se ramène au fait que, lors des discussions avec les banques, la signification de cela est expliquée. Les banques connaissent très bien ces règles. Nul ne conteste que ces règles ont toujours existé. La clé ici est que ces règles étaient administrées par un organisme qui fait ce travail depuis probablement 20 ans — je ne suis pas sûr, mais depuis bien avant mon arrivée — et avant l'introduction du crédit d'impôt pour production cinématographique.
On peut alors considérer l'histoire pour établir sa zone de confort. Vous pouvez dire qu'en 20 ans, seules une ou deux productions ont été rejetées et jamais sur cette base, et donc vous êtes suffisamment rassuré pour avancer les fonds. L'une des grandes banques m'a dit récemment qu'elle n'a jamais essuyé une perte se rapportant à une lettre que nous avons émise relativement au crédit d'impôt. C'est une chose relativement sûre à l'heure actuelle.
Le sénateur Meighen : Si je comprends bien ce que vous dites, pour vous, le facteur important c'est l'organe d'exécution.
M. Clarance : Oui. Pour moi, c'est important.
Le sénateur Goldstein : Merci d'avoir pris le temps et fait l'effort de venir nous aider dans nos délibérations.
Vous serait-il possible de remettre au comité une copie du format de lettre que vous utilisez? J'imagine qu'à l'exception de renseignements particuliers — noms, dates, producteurs — le gros de votre lettre d'opinion, comme nous l'appelons dans notre jargon, est relativement standard. Pourriez-vous nous en communiquer une copie en occultant les noms afin que vos clients ne puissent être identifiés?
M. Clarance : Certainement.
Le sénateur Goldstein : Merci.
J'aimerais bien comprendre la séquence des événements. Un auteur rédige un scénario et incite un producteur à vouloir le tourner sous forme de film ou de production magnétoscopique. Une fois que le scénario existe et que le producteur est intéressé, je suppose qu'une demande est présentée tout d'abord à Téléfilm.
M. Clarance : Pas toujours. Je ne sais pas dans quel pourcentage des cas Téléfilm intervient, mais de nombreuses productions cinématographiques et télévisuelles à contenu canadien ne mettent pas en jeu Téléfilm.
Le sénateur Goldstein : Que se passe-t-il lorsque la demande parvient au ministère?
M. Clarance : Qu'entendez-vous par ministère? Voulez-vous dire le BCPAC?
Le sénateur Goldstein : Est-ce que cela va directement au BCPAC?
M. Clarance : Non, le producteur a le scénario et met en place les éléments du projet, et en particulier le montage financier. Inévitablement, comme de nombreux témoignages l'ont déjà souligné, c'est un assemblage de différentes sources de financement. Je dis toujours que les montages financiers cinématographiques sont comme les flocons de neige : il n'y en a pas deux identiques. C'est complexe.
Habituellement, les producteurs s'adressent à nous ou à un autre cabinet comptable au cours de la phase de pré- production pour se faire une idée de ce que les crédits d'impôt représenteront. Cela devient un élément clé. Il leur faudra avoir à bord un radiodiffuseur ou distributeur canadien pour être admissibles, un autre élément clé. Ensuite ils raccordent le tout avec les préventes à l'étranger et ainsi de suite.
Une fois qu'ils ont le financement en place et un budget final, ferme, qui est garanti et probablement cautionné, ils nous demandent de rédiger la lettre qui ira à la banque. En même temps, ils présentent leur demande au BCPAC aux fins de l'admissibilité en vertu de la partie A.
Le sénateur Goldstein : La demande ne va jamais au ministre du Patrimoine canadien. Elle va au BCPAC, qui formule une recommandation au ministre; est-ce exact?
M. Clarance : N'oubliez pas, c'est avant la réalisation du film; ils disent simplement merci de votre demande, nous l'avons examinée et elle semble être admissible. Ils émettent alors ce que l'on appelle un certificat au titre de la partie A. Ce certificat suffit pour que l'Agence du revenu du Canada libère les fonds.
Après l'achèvement du film, nous remplissons les déclarations d'impôt et les demandes de crédit d'impôt que nous remettons à l'Agence du revenu du Canada. Ces documents, avec les certificats de la partie A — tant fédéraux que provinciaux, selon la province dans laquelle le film est tourné — suffisent à l'Agence du revenu du Canada pour traiter les demandes et verser les fonds.
Le sénateur Goldstein : C'est là où je m'y perds. Il y a une définition dans le projet de loi qui n'est pas terriblement nouvelle. C'est une petite variation par rapport à la loi antérieure, mais elle dit qu'un « certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne » est un « certificat délivré par le ministre du Patrimoine canadien relativement à une production et attestant... » diverses choses. Quand ce certificat est-il délivré? Il n'est clairement pas délivré par le BCPAC.
M. Clarance : Non, mais le BCPAC est un service du ministère.
Le sénateur Goldstein : Est-ce à cela que fait référence le projet de loi, ce certificat du BCPAC?
M. Clarance : Le texte dit qu'il est délivré par le ministre du Patrimoine canadien, c'est-à-dire en réalité le BCPAC.
Le président : Le BCPAC est responsable devant le ministre.
M. Clarance : Absolument.
Le sénateur Ringuette : Nous savons que le crédit d'impôt actuel est applicable et aux productions canadiennes et aux productions étrangères. Est-ce que les provinces accordent des crédits d'impôt aux productions étrangères?
M. Clarance : Absolument.
Le sénateur Ringuette : Toutes?
M. Clarance : Toutes, mais certaines provinces ne font pas la distinction. Par exemple, le Manitoba a un seul programme. Peu importe que la production soit à contenu canadien ou étranger, le programme s'applique à tout le monde. Les trois grandes provinces à production cinématographique, soit la Colombie-Britannique, l'Ontario et le Québec, ont et un programme pour les productions canadiennes et un programme pour les productions étrangères.
D'ailleurs, les programmes provinciaux sont plus ou moins le pendant du programme fédéral et y sont adossés. Tout ce qui se passe ici au niveau fédéral va se répercuter sur les programmes provinciaux.
Le sénateur Ringuette : Il y aura donc aucun effet en chaîne sur les programmes provinciaux.
Monsieur Porter, vous avez mentionné que vos membres sont propriétaires de leur équipement. S'agit-il de petits entrepreneurs qui se trouvent aussi être membres de Teamsters Canada?
M. Porter : C'est une relation un peu hors norme, en fait. Eux-mêmes sont engagés pour le tournage et le matériel est loué à d'autres membres de Teamsters Canada, qui participent ou non au tournage. Je reconnais que c'est un peu différent. Ce sont de petits entrepreneurs qui peuvent posséder deux ou trois camions ou un parc de 35 camions. Ils peuvent être constitués en société et travailler comme coordonnateurs du transport pour le film, et louer le matériel auprès de leur propre société ou auprès d'un autre membre.
Le sénateur Ringuette : Merci de cette précision.
J'aimerais faire un commentaire à l'intention de mes collègues et des téléspectateurs et de nos témoins. Je fais de la politique depuis maintenant 20 ans. Pour autant que je me souvienne, c'est la première fois que je vois des gens qui se situent normalement aux deux extrêmes d'une problématique, à savoir la profession comptable et les syndicats. Les deux sont en face de nous aujourd'hui et disent la même chose. Vous avez prononcé les mêmes trois paroles. Vous avez dit qu'il faut lever l'incertitude et qu'il faut la cohérence et la prévisibilité. Vous l'avez dit tous les deux. C'est presque un événement historique auquel nous assistons ici, que vous deux qui représentez des entités différentes de l'industrie disiez exactement la même chose.
Je fais remarquer à mes collègues qui s'y connaissent en finances que c'est là certainement une première, selon moi.
Le sénateur Jaffer : J'ai trouvé vos deux présentations très instructives. Une chose qui m'a frappée est qu'il vous suffit d'être aussi bon que les autres. Vous n'avez pas besoin d'être meilleurs ou différents. Connaissez-vous une autre juridiction, et là je m'intéresse surtout aux États-Unis, appliquant dans sa législation cette notion de « contraire à l'ordre public » proposée ici?
M. Clarance : Non. La plupart des États américains ont la même exclusion de la pornographie, mais celle-ci est définie. C'est très simple : tout ce qui est pornographique est exclu. Certes, je suppose qu'il y a là un élément de subjectivité, mais je crois que tout le monde a une idée assez claire de ce qui tombe dans cette catégorie et peut déterminer avec un bon degré de certitude si un projet donné est ou non pornographique.
Plus de 40 États ont maintenant un programme de crédits d'impôt. Ils sont tous largement inspirés du nôtre; nous avons montré la voie. La concurrence est féroce. Avec le dollar au niveau actuel, nous avons des rivaux. En fin de compte, le coût est le facteur prédominant qui va amener un producteur à choisir un lieu de tournage ou une juridiction plutôt qu'une autre. Nous devons être compétitifs et si vous jetez le doute sur l'obtention de cette économie de coût, les choses iront mal.
Le sénateur Jaffer : Comme vous le savez, la ministre a offert de former un comité pour établir les lignes directrices. Si les lignes directrices sont connues d'avance, est-ce que cela ne suffira pas? Pourquoi cette inquiétude?
M. Clarance : S'il existait des lignes directrices et des paramètres à la lumière desquels on pourrait juger ou évaluer la production, je pense que cela irait.
M. Porter : Pour ce qui est des services de production, la certitude est primordiale aux yeux des studios américains. Ils établissent leurs budgets des années d'avance, et nous parlons donc déjà du travail de l'année prochaine. Il importe qu'ils sachent ce qui est disponible et ce qui ne l'est pas. Dans chaque conversation que j'ai avec mes amis du sud de la frontière, il n'est question que de certitude pour l'avenir.
Le président : Je tiens à remercier les témoins. Monsieur Porter, sur une note personnelle, nous avions un collègue ici, au Sénat, qui était membre de votre organisation et se nommait M. Lawson. Le voyez-vous?
M. Porter : Non, je ne le vois pas. Il est souvent un peu plus à l'ouest.
Le président : Si vous le voyez, transmettez-lui nos meilleurs vœux. Merci beaucoup. Vous nous avez été très utile pour nos délibérations.
Honorables sénateurs, poursuivant notre étude du projet de loi C-10, nous avons le privilège de recevoir comme témoins suivants trois messieurs, M. John Limeburner, président du Comité de la trésorerie et des placements de l'Association canadienne du personnel administratif universitaire, M. Darrell Cochrane, président, Comité des taxes de la même organisation, et M. John Lyon, directeur général, Stratégie d'investissement, University of Toronto Asset Management Corporation.
Je crois que vous étiez dans la salle lors des témoignages précédents et il n'est donc pas nécessaire que nous nous présentions. Nous sommes intéressés par ce que vous avez à dire, en particulier concernant une autre disposition du projet de loi, non pas celle relative aux crédits d'impôt pour productions cinématographiques et magnétoscopiques, mais plutôt concernant les règles proposées pour les fonds de pension et autres.
[Français]
John Limeburner, président, Comité de trésorerie et de placement, Association canadienne du personnel administratif universitaire : Monsieur le président, nous vous remercions de nous donner cette occasion de prendre part à vos délibérations sur le projet de loi C-10. Je suis John Limeburner, président, Comité de trésorerie et de placement de l'Association canadienne du personnel administratif universitaire (ACPAU).
[Traduction]
Je suis également le trésorier et l'administrateur des fonds de retraite de l'Université McGill, où je suis chargé de la gestion de notre fonds de dotation et de notre caisse de retraite, ayant respectivement une valeur marchande de 900 millions et de 1,3 milliard de dollars.
M. Darrell Cochrane est le président du Comité des impôts de l'ACPAU et le contrôleur de l'Université Dalhousie, dont les fonds de dotation et de pension ont respectivement une valeur marchande de 300 millions et 700 millions de dollars.
L'ACPAU représente 106 universités et collèges des différentes régions du Canada qui, avec leurs organismes de bienfaisance, détiennent plus de 10 milliards de dollars de placements dans des fonds de dotation qui financent en continu des bourses d'études et des prix, des bourses de recherche, des nominations professorales, des recherches, des équipements et installations et des documents de bibliothèque. Le soutien fourni par ces dotations et d'autres placements connexes est essentiel pour dispenser aux étudiants un enseignement de calibre international et promouvoir la recherche de pointe. Par ailleurs, les actifs des caisses de retraite de nos membres s'élèvent à 34 milliards de dollars.
Le 29 janvier 2008, l'ACPAU a adressé à votre comité, au ministre des Finances et au Comité permanent des finances de la Chambre des communes une lettre dans laquelle nous faisons part de nos réserves à l'égard des dispositions proposées visant les fiducies non-résidentes et les éventuels effets très négatifs, vraisemblablement involontaires, des modifications législatives proposées aux pratiques d'investissement actuelles et futures des universités et collèges du Canada qui bénéficient d'une exemption fiscale. Dans cette lettre, l'ACPAU recommande instamment d'amender le projet de loi C-10 pour y ajouter une disposition visant à soustraire les universités et collèges canadiens exonérés d'impôt aux dispositions visant les fiducies non-résidentes.
Nous savons que votre comité a pris connaissance de notre lettre et qu'il a également reçu une lettre soumise au nom de l'ACPAU par M. Charles Gagnon, qui fait part des nombreuses préoccupations exprimées par les universités et les collèges du Canada à l'égard des règles fiscales visant les fiducies non-résidentes prévues dans le projet de loi. Nous pensons que le comité a reçu copie d'un article sur les fonds de dotation et de pension des universités paru dans le numéro d'automne 2007 de Gestion universitaire, une publication de notre organisation.
Cet article fait valoir notamment que les dotations de nos membres vont croissant et que bon nombre d'entre eux affectent une plus grande partie de leurs actifs à des stratégies et des placements non traditionnels à l'extérieur du Canada. Cette pratique résulte de la nécessité de diversifier les placements à mesure que les avoirs augmentent et de mettre à profit des opportunités semblables à celles qui ont permis aux fonds de dotation de leurs homologues américains de réaliser des rendements aussi intéressants au fil des ans.
M. Cochrane et moi sommes accompagnés aujourd'hui par M. John Lyon, responsable de la stratégie d'investissement de l'University of Toronto Asset Management Corporation, UTAM. L'UTAM gère les 2 milliards de dollars du fonds de dotation et les 2,8 milliards de dollars de la caisse de retraite de l'Université de Toronto. M. Lyon se fera un plaisir de répondre aux questions que les membres du comité pourraient avoir sur les questions de placement et, en l'occurrence, ceux du plus gros fonds de dotation universitaire du Canada. Je crois que nous sommes prêts à répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur, cet exposé était utile.
Le sénateur Goldstein : Nous avons vu la lettre que vous nous avez fait parvenir en janvier. Avez-vous reçu une réponse du ministère des Finances à votre lettre? Avez-vous parlé de vos préoccupations avec lui?
M. Limeburner : M. Cochrane et moi avons eu une discussion avec des représentants de Finances Canada au début de cette semaine.
Le sénateur Goldstein : Au début de cette semaine?
M. Limeburner : Oui.
Le sénateur Goldstein : Rien ne s'est passé entre janvier et maintenant?
M. Limeburner : Non.
Le sénateur Goldstein : Qu'est-il ressorti de cette discussion?
M. Limeburner : Les gens du ministère nous demandaient si ce projet de loi avait un effet sur ce que nous faisons ou envisageons de faire. J'ai eu l'impression que notre lettre les a pris par surprise. Peut-être notre comparution aujourd'hui les a-t-elle pris par surprise également. En gros, ils ont estimé que nous devrions pouvoir nous accommoder des changements proposés et nous y adapter. Nous leur avons clairement répondu que tel n'est pas le cas et que ces mesures nous imposent un fardeau supplémentaire sur le plan de la diligence raisonnable et du contrôle.
Si nous avons bien compris, le motif premier du projet de loi est de fermer certains abris fiscaux auxquels des contribuables ont recours.
Le sénateur Goldstein : C'est juste.
M. Limeburner : Nous pensons que le filet a été jeté beaucoup trop loin et nous a capturé, comme je l'ai mentionné plus tôt, sans doute involontairement. Voilà donc la teneur de nos discussions.
Le sénateur Goldstein : Monsieur Limeburner, cet entretien a-t-il eu lieu à l'initiative de votre groupe ou à celle du ministère des Finances?
M. Limeburner : C'était en réponse à un ou deux messages téléphoniques que j'ai laissés à un représentant du ministère des Finances.
Le sénateur Goldstein : Vous y demandiez une rencontre.
M. Limeburner : Oui.
Le sénateur Goldstein : Ils n'avaient pas répondu à votre lettre de janvier.
M. Limeburner : Ils n'avaient pas répondu.
Le sénateur Goldstein : Merci.
Le sénateur Meighen : Il vous est sans doute impossible de répondre à ma question mais vous pourrez peut-être me donner un ordre de grandeur. Vous avez dit que les fiducies étrangères sont un élément de la stratégie de placement des fonds de dotation universitaires, dans un but de diversification. Vous avez dit également que si le projet de loi est adopté en la forme actuelle, cela aura pour vous des répercussions très néfastes.
Pouvez-vous chiffrer ces répercussions? Est-ce qu'un pourcentage donné des fonds de dotation sont placés dans des fiducies étrangères?
M. Limeburner : Ce n'est pas nécessairement une fiducie étrangère, mais ce n'est pas impossible dans des cas particuliers. Lorsque nous achetons des actions privées, il peut s'agit de sociétés en commandite, notamment, mais qui peuvent ensuite investir dans des fiducies ultérieurement. Par conséquent, nous n'avons aucun contrôle là-dessus. Cela pourrait nous amener indirectement à posséder des parts de ces fiducies inadmissibles.
Par exemple, la part allouée par McGill aux placements non traditionnels, qui comprennent les fonds spéculatifs sur des actions privées et les biens immobiliers est aujourd'hui de 20 p. 100 de notre capital de dotation. C'est la part cible. Nous avons la possibilité d'aller plus haut que cela, et la part va croissant. Peut-être M. Lyon pourrait-il vous en parler un peu plus car il administre le fonds le plus important et est allé beaucoup plus loin dans cette direction que nous.
Un certain nombre de mes collègues et moi-même avons passé en revue nos placements actuels et déterminé que rien ne semble nous rendre inadmissibles. Cela ne signifie pas que cela n'arrivera pas à l'avenir. Le problème est le fardeau qui nous est imposé, l'obligation, pour chaque nouveau placement, d'essayer de déterminer s'il contient quelque chose qui nous rende imposable. Très franchement, ce fardeau comporte un coût considérable, mais ce n'est pas le plus grave. Le vrai problème, c'est l'iniquité fondamentale du terrain de jeu inégal ainsi créé.
M. Lyon et moi-même sommes tous deux responsables de la gestion des dotations et des fonds de pension. Il est souvent amené, tout comme moi, à rechercher un placement qui soit approprié pour les deux fonds. Nous pourrions devoir nous défaire d'un placement du fonds de dotation parce qu'il ne répond pas aux règles, ce qui transformera radicalement ce que nous faisons et réduira l'univers de nos possibilités de placement.
L'article publié par l'ACPAU indique que beaucoup d'universités accroissent leur exposition aux placements non traditionnels, ce qui suppose d'investir à l'étranger, aux États-Unis, ainsi qu'en Europe et en Asie.
Le sénateur Meighen : J'aimerais m'attarder sur ce qui se passe lorsque vous suivez la ligne, car j'aimerais également en parler avec les fonctionnaires de Finances Canada lorsqu'ils comparaîtront après vous. Il existe des différences entre les juridictions à forte et à faible imposition. Vous venez de mentionner les États-Unis et l'Europe. Lorsque vous investissez dans une société en commandite, cherchez-vous à suivre le placement pour voir où cette société, à son tour, investit? Quelle serait votre réaction si vous constatiez qu'elle investit dans ce que l'on appelle des juridictions à faible imposition?
M. Limeburner : À mon avis, étant donné qu'en fin de compte nous sommes exonérés d'impôt, surtout aux États- Unis par le biais du traité fiscal, l'impôt n'est pas un problème. Ces structures sont habituellement des sociétés en commandite, si bien qu'elles transmettent les bénéfices jusqu'au bénéficiaire ultime. Typiquement, cela ne me préoccupe donc pas beaucoup. Je considère plutôt l'exposition géographique de façon à avoir un portefeuille équilibré entre les États-Unis et l'Europe. Voici comment j'aborde cela. À l'heure actuelle, la fiscalité n'est pas tellement un enjeu pour nous.
Le président : Sénateur, il ne s'agirait pas d'exposer à un risque ces 750 millions de dollars.
Le sénateur Meighen : Certainement pas. Nous n'en sommes pas encore tout à fait là, monsieur le président. Nous sommes à plus de 400 millions de dollars.
Le président : Monsieur Lyon, souscrivez-vous à ce que M. Limeburner a dit sur la question de l'exonération fiscale et ces fiducies?
John Lyon, directeur général, Stratégie d'investissement, University of Toronto Asset Management Corporation : Tout à fait. L'UTAM est probablement une bonne illustration de la direction dans laquelle s'engagent les gestionnaires des fonds de dotation universitaire du Canada. Nous sommes probablement un peu en avance sur beaucoup d'autres. M. Limeburner a mentionné une cible de 20 p. 100. Nous gérons les fonds de dotation et de pension de l'université avec une cible de 45 p. 100 de placements non traditionnels.
Pour vous donner une idée des chiffres, nous avons actuellement près de 1,3 milliard de placements dans plus de 60 fonds privés du monde, représentant toute la gamme des fonds, depuis les capitaux-risques, les acquisitions, le pétrole et le gaz, les produits de base et l'immobilier. Nous avons un autre 1,3 milliard de dollars dans une trentaine de fonds spéculatifs, également à l'échelle mondiale. Tous ces placements couvrent un large éventail d'industries et de stratégies. Nombre de ces fonds ne pourraient pas être considérés comme exotiques, mais beaucoup d'entre eux ont certainement des stratégies d'investissement complexes.
Les structures sous-jacentes par le biais desquelles ils investissent peuvent varier considérablement. À un moment donné, il devient presqu'impossible de suivre toute la chaîne jusqu'aux placements sous-jacents. Dans notre cas, il y a plus de 750 de ces structures sous-jacentes à ces 60 fonds privés, couvrant tous les types possibles d'avoirs, y compris les infrastructures.
Selon notre point de vue, nous faisons tout à fait nôtres les remarques de M. Limeburner et la position de l'ACPAU car nous sommes exonérés d'impôt. Nous recherchons simplement un certain rendement après impôt pour un certain niveau de risque. Dans la mesure où le libellé actuel introduit une incertitude fiscale, cela nous cause un gros problème potentiel.
Le sénateur Ringuette : Merci beaucoup de votre exposé. Je dois dire que je suis surprise que les fonctionnaires du ministère des Finances ne vous aient rappelé qu'au début de la semaine. Cependant, je ne suis pas réellement étonnée, sachant de quelle manière le ministère a fait les choses avec ce projet de loi.
Il y a un mois environ, un groupe de témoins nourrissant la même préoccupation que vous à l'égard de la disposition sur les fiducies non-résidentes a reçu ce qu'ils appellent une « lettre de confort ». Lorsque vous avez rencontré les fonctionnaires au début de cette semaine, vous ont-ils montré cette lettre de confort?
M. Limeburner : Nous en avons connaissance car, comme je l'ai déjà mentionné, les fonds de pension universitaires sont pour la plupart membres de l'Association canadienne des gestionnaires de fonds de retraite. Dans la mesure où cette lettre offre un confort, elle les couvre. Nous sommes au courant, et nous savions que l'association envoyait sa lettre. La nôtre est partie à peu près en même temps, en janvier.
Il n'a pas été question que les fonds exonérés seraient couverts par une lettre de confort. Il semblait y avoir une réticence à élargir cette couverture. Le message principal qui ressortait de notre discussion, si je me souviens bien — et M. Cochrane pourra confirmer — était que les fonctionnaires de Finances Canada voulaient chercher des façons d'adapter la législation à notre situation. Est-ce une bonne interprétation?
Darrell Cochrane, président, Comité des impôts, Association canadienne du personnel administratif universitaire : Oui, je suis d'accord.
Le sénateur Ringuette : Vous ont-ils offert une lettre de confort?
M. Limeburner : Non, ils n'ont pas offert de lettre de confort.
Le sénateur Ringuette : Est-ce qu'une lettre de confort vous conforterait?
M. Limeburner : Nous avons demandé dans notre lettre, et c'est notre position aujourd'hui, que le projet de loi soit amendé de façon à exclure les fonds exonérés. C'est ce que d'autres témoins que vous avez reçus ont demandé aussi.
En outre, sur la question de savoir quel confort apporte une lettre de confort, je sais qu'un témoin ici a fait valoir que...
Le sénateur Ringuette : Deux témoins.
M. Limeburner : Vu la précarité du gouvernement actuel, une lettre de confort face à une loi applicable rétroactivement jusqu'au début de 2007 ne me conforte personnellement pas beaucoup. Il faudrait pour cela avoir une discussion ultérieure avec Finances Canada sur ce sujet, qui n'a pas encore été abordé.
Le groupe précédent a parlé d'incertitude et de complexité. Nous pensons la même chose de ce projet de loi. Il introduit un autre niveau d'incertitude, avec de graves répercussions négatives.
S'il ne s'agissait que de l'imposition de nos placements propres, ce serait une chose; mais nous serions responsables de l'impôt payable par toute l'entité. C'est cela qui est si brutal. Nous sommes exemptés d'impôt. On modifie les règles sans bonne raison. Nous avons demandé à Finances Canada pourquoi les fonds exemptés sont pris dans le filet, et je ne crois pas avoir eu de réponse satisfaisante, sinon que nous étions dans le filet et qu'il n'y avait aucune raison d'accorder une exemption. Je n'admets pas cela.
Le sénateur Ringuette : Avez-vous parlé avec vos conseillers juridiques du texte d'un amendement qui pourrait vous apporter ce que vous recherchez?
M. Limeburner : Si vous parlez d'un libellé précis, non.
J'ai remarqué que, lors de son témoignage en décembre, l'Association des conseillers en gestion de portefeuille du Canada suggérait un amendement. Ce semble être un amendement très simple disant que les fonds exonérés, s'ils sont considérés comme ayant avoir fait des contributions, sont réputés ne pas les avoir faites.
Je ne sais pas si cela marcherait. Il faudrait en discuter avec Finances Canada, mais je pense que quelque chose de similaire, disant clairement que les fonds exonérés — dans notre cas les universités et collèges, encore que je ne pense pas qu'il faille être aussi précis, il faudrait trouver un terme beaucoup plus large — sont exemptés de cette partie de la loi. Hormis cela, nous n'avons pas réfléchi à un libellé.
Le président : Suite aux questions du sénateur et de vos réponses, il m'apparaît que, bien que vous ayez eu des réunions la semaine dernière, ou du moins un dialogue, avec les fonctionnaires de Finances Canada, vous n'en avez pas retiré l'impression qu'ils comprennent votre position et envisagent un remède.
M. Limeburner : C'était une conversation téléphonique, et il n'y avait aucune indication qu'ils envisageaient un remède.
Le président : Est-ce le seul contact que vous ayez eu depuis votre lettre de janvier?
M. Limeburner : Oui.
Le président : Eh bien, restez à l'écoute. Ils seront là dans quelques minutes.
Le sénateur Moore : Vous venez de me donner une idée. Lors de votre conversation, monsieur Limeburner, les fonctionnaires ont-ils reconnu que vous êtes exonérés d'impôt et qu'ils souhaitent que vous le restiez?
M. Limeburner : Ils ont reconnu que nous sommes exonérés d'impôt. Ils ne nous ont pas dit qu'ils souhaitaient que nous le restions, au regard de cette disposition particulière.
J'ai mentionné que la discussion était davantage à l'effet que les modifications proposées prévoient des exemptions et que nous devrions pouvoir nous débrouiller pour en bénéficier. Est-ce bien ainsi?
M. Cochrane : Oui.
Le sénateur Moore : Cela ne semble pas très réconfortant.
Le sénateur Goldstein : Messieurs, nous sommes évidemment très préoccupés par le problème que vous soulevez. Je pense que tout le monde veut chercher une solution à ce problème et à divers autres qui nous ont été présentés.
Bien que vous ne vous exprimiez pas aujourd'hui pour le compte d'autres fonds exonérés autres que les universités et collèges, est-il exact que les préoccupations que vous exprimez valent tout autant pour les fondations hospitalières, les fondations de la Société canadienne du cancer ou la Fondation communautaire juive de Montréal, que j'ai présidée jusqu'à ma nomination au Sénat, et qui a des placements de l'ordre de 200 millions de dollars?
Toutes ces fondations sans but lucratif exonérées d'impôt, si je puis utiliser ces termes, font partie du même panier que vous; est-ce exact?
M. Limeburner : Je dirais que oui. J'y engloberais les fondations d'écoles secondaires, dont l'une que fréquente mon fils et dont le ministre Flaherty est lui-même issu. Toute entité exonérée d'impôt aujourd'hui — par exemple une organisation caritative enregistrée — est prise dans le même filet. Il n'y a pas de distinction.
Le sénateur Goldstein : Nous entendrons les fonctionnaires du ministère dans quelques minutes, mais si j'ai bien compris ce que vous avez dit, ils se sentent assurés — et nous les laisserons parler pour eux-mêmes — que les modifications qu'ils vont proposer vous soulageront. Mais pour le moment, vous n'êtes pas aussi rassurés qu'eux.
M. Limeburner : Ils nous soulageraient en ce sens que, oui, nous devrions veiller à l'avenir, avant d'effectuer des placements, de nous assurer que ces véhicules d'investissements particuliers répondent aux conditions d'exonération.
Le sénateur Goldstein : Je vois. C'est ce que vous disiez tout à l'heure : cela vous impose un fardeau dont vous ne voulez pas.
M. Limeburner : C'est juste, et il n'y a pas que le fardeau administratif des vérifications préalables et du suivi, plus les frais juridiques. Tout cela est mineur comparé aux conséquences pour nous si nous ne pouvons investir dans l'univers le plus large possible.
[Français]
Le sénateur Fox : Si cela peut vous encourager, l'étude article par article n'aura pas lieu avant l'automne. Le fait que le projet de loi ne soit pas encore adopté vous met-il dans une position difficile?
M. Limeburner : Nous devons considérer la possibilité qu'il soit adopté. Je viens de terminer des recherches pour un gestionnaire de marchés émergeants. On peut investir en Irlande, en Europe et ailleurs. Peut-être que des fiducies seront éventuellement affectées par cette loi.
[Traduction]
Le président : Des décisions peuvent être prises dans l'intervalle qui se ressentiront du manque de clarté.
M. Limeburner : En considérant ces véhicules aujourd'hui et les modifications proposées, j'ai demandé aux gestionnaires si les véhicules qu'ils recommandent sont admissibles ou inadmissibles, ou s'ils répondront aux conditions d'exonération. Par conséquent, les gestionnaires encourent déjà des frais juridiques en vue de déterminer si leurs véhicules sont admissibles ou non, et on m'a fait part lors d'une réunion en particulier que ce n'était peut-être pas le cas.
[Français]
À l'heure actuelle, nous avons des problèmes.
Le sénateur Fox : Vous représentez un groupe extrêmement important au Canada, qui possède de gros capitaux. Dans la préparation du projet de loi, le ministère des Finances Canada vous a-t-il consulté pour savoir s'il y aurait des effets négatifs ou non sur vos activités?
M. Limeburner : Non.
Le sénateur Fox : Aucune consultation ni aucun livre blanc n'annonçaient ce genre de choses?
M. Limeburner : Non.
[Traduction]
Le président : Puisqu'il n'y a pas d'autres questions, je vous remercie infiniment tous trois, au nom du comité. Cela a été très utile pour nous. Je veux m'assurer que la lettre de janvier fasse partie de notre dossier.
M. Limeburner : L'autre lettre importante est celle de M. Gagnon.
Le président : Oui, nous l'avons.
Honorables sénateurs, notre prochain groupe de témoins ne comparaît pas pour la première fois au sujet de ce projet de loi, sauf peut-être que M. Hamilton est ici pour la première fois. Nous recevons donc Bob Hamilton, sous-ministre adjoint principal, Direction de la politique de l'impôt, ministère des Finances Canada. Sa réputation le précède. Il est un éminent fonctionnaire dont je sais qu'il nous sera utile aujourd'hui.
Monsieur Ernewein, je crois que c'est la cinquième fois que nous vous voyons en rapport avec ce projet de loi; et monsieur Lalonde, merci d'être venu.
Lorsque nous vous avons demandé la semaine dernière de venir nous rencontrer aujourd'hui, il semblait que ce serait uniquement pour traiter des points très précis soulevés par le Groupe Desjardins de Montréal. Je vous ai rencontré ultérieurement dans mon bureau, monsieur Ernewein, le même jour, pour traiter de cette question particulière.
Je peux vous dire que les représentants du Québec, qui connaissent bien le Groupe Desjardins, ont été préoccupés par son témoignage. Le groupe nous a écrit, et nous avons ici une lettre qui sera versée au dossier. Elle est en cours de traduction. Elle nous est arrivée au cours de la dernière heure en provenance du Groupe Desjardins. Je crois que vous avez eu des discussions avec lui. Il considère que le problème qu'il a soulevé est réglé.
Je vais vous demander, messieurs, de décrire cette situation, qui résulte d'une différence entre une fiducie de common law et une fiducie de droit civil sous le régime du Code civil du Québec et de l'arrêt de la Cour suprême dans la cause Thibault. En ce qui concerne la disposition du projet de loi C-10 relative à cette question particulière des REER constitués en certains mécanismes fiduciaires, il est question que vous apportiez quelques changements en 2010, tel que mentionné. Voilà la question Desjardins.
J'adresse les remarques qui suivent particulièrement à M. Hamilton, car vous n'avez pas suivi nos travaux. Nous nous débattons avec ce projet de loi depuis le mois de novembre. Avant que nous en soyons saisis dans ce comité, nombre d'entre nous avons également eu des séances d'information avec les fonctionnaires en prévision de la deuxième lecture et sur d'autres aspects.
Vous avez lu la plupart des transcriptions, il ne sert donc à rien que je remâche la vieille antienne voulant qu'il s'agirait là d'un simple projet de loi d'ordre administratif. La réalité est que cette mesure est devenue — et je l'ai qualifiée ainsi publiquement hier soir — un chiot malade en manque de remède. Nous avons entendu une foule de témoins — plus de 70 en date d'aujourd'hui. Ce projet de loi présente des problèmes sérieux.
Des représentants du très crédible Comité mixte du droit fiscal de l'Association du Barreau canadien et de l'Institut Canadien des Comptables Agréés ont comparu récemment devant nous. Cette brique qu'ils nous ont remise est un recueil de lettres qu'ils ont adressées à votre ministère concernant des aspects du projet de loi.
Ils ont comparu à titre de représentants de leur profession et non pas relativement aux affaires de clients personnels ou d'intérêts commerciaux ou privés. Ils étaient là dans l'esprit des associations professionnelles qu'ils représentent. Ils considèrent, et nous tendons à être d'accord, que les professions juridiques et comptables sont celles qui font que la législation fiscale fonctionne ou ne fonctionne pas. Ce sont eux qui doivent s'en accommoder, une fois qu'elle a été adoptée et mise à exécution par l'Agence du revenu du Canada. Ils pensent avoir un intérêt direct dans les textes au moment de leur adoption. Si, à leur avis, la loi n'est pas praticable, ils entament un dialogue avec des gens comme vous pour essayer de trouver une solution pratique. En l'occurrence, ils n'ont pas mâché leurs mots, comme vous avez pu le voir dans la transcription, je suppose. Deux de ces personnes travaillaient au ministère en détachement au cours de ce processus et ont suivi tout l'historique juridique conduisant à ces dispositions.
Notre comité est maintenant résolu à collaborer pour trouver une solution afin de sauver ce projet de loi et obtenir des amendements rationnels, qui puissent rendre les dispositions en question praticables. Ces messieurs représentant ces associations ont offert leur temps gratuitement pour travailler en collaboration. Nous espérons que vous accepterez cette offre. Nous avons eu des discussions avec le cabinet du ministre des Finances. Il s'agit là de problèmes graves et le comité est très désireux de les résoudre. Rien n'est noir et blanc en ce bas monde, particulièrement lorsqu'on parle de législation fiscale et de mesures similaires. Cependant, il faut un peu de donnant-donnant et le mot « compromis » s'impose peut-être en l'occurrence.
La seule autre chose que j'ajouterais est que vous savez ce que, non seulement moi mais aussi d'autres membres de ce comité et du Sénat, nous pensons des projets de loi-cadre de cette nature, où des ministères accumulent toute une pile de mesures et puis, lorsque le moment est bon ou que le système le permet, déposent ces gros projets de loi. Ils sont intrinsèquement dangereux, risqués et difficiles à manier. Pour des gens comme nous, c'est réellement difficile. C'est l'une des raisons pour lesquelles ces projets de loi sont adoptés par la Chambre des communes sans étude aucune, car ils contiennent tellement de dispositions sans rapport entre elles et extrêmement complexes.
Au cours de ma première année de sénateur en 1993, il y avait un distingué sénateur libéral de la Nouvelle-Écosse qui a passé sa vie à étudier comment le Parlement fonctionne ou devrait fonctionner. Je me souviens de tout le mal qu'il disait des projets de loi-cadre. Nous avons pu constater, même encore ce matin, ces vices. Je le dis carrément, pour que cela se sache.
Je pense que vous êtes des fonctionnaires dévoués qui voulez vraiment bien faire. Il faut parvenir à trouver un terrain d'entente, et pas seulement au bout d'un téléphone. J'espère qu'à l'avenir nous pourrons éviter ce genre de choses et les situations terribles dans lesquelles nous atterrissons.
Je crois que mon vice-président aimerait dire quelques mots.
Le sénateur Goldstein : Je souscris à ce que le président vient de dire. Nous tous autour de cette table comprenons que vous avez un travail vital à faire et que vous le faites bien. Nous sommes fiers du fait que vous le fassiez aussi bien que vous le faites.
Parfois, le désir de partager le fardeau fiscal également entre tous les Canadiens occulte peut-être la nécessité d'essayer de comprendre que, parfois, il y a des exceptions et que, à l'occasion, vouloir couvrir ces exceptions par des mesures législatives a pour conséquence non intentionnelle de causer des dommages collatéraux, ou du moins des dommages collatéraux apparents, à d'autres qui ne devraient pas être visés par la loi ou que l'on n'a pas l'intention de viser. Vous cherchez à régler ces problèmes au moyen de lettres de confort.
Nous voulons vous encourager à travailler avec ce groupe de personnes qui offrent de le faire à titre gratuit. Nous espérons et escomptons que le résultat de leur travail avec vous, dans le courant de l'été, pendant que nous sommes en intersession, consistera en des amendements que tout le monde puisse accepter, afin que nous, dans ce comité, puissions entreprendre un autre travail au lieu de passer tout notre temps sur ce projet de loi.
Certains aspects — et nous sommes des profanes, non des fiscalistes — nous semblent requérir des amendements, ou à tout le moins des clarifications, sous une forme autre que des lettres de confort, de manière à rassurer ceux qui ne défendent en l'occurrence aucun intérêt personnel. Je parle plus précisément de nos témoins précédents. Leur seul souci est d'assurer que leurs organisations sans but lucratif ne se retrouvent pas indûment ou inutilement imposées. Je suis sûr que le ministère n'a nullement l'intention de les imposer.
Si ces intentions sont communes, si le ministère et les divers intervenants en sont d'accord, vous allez sûrement, je l'espère, pouvoir dégager un ensemble de solutions satisfaisantes qui puissent rassurer tout le monde. Nous n'aimerions guère être obligés de proposer des amendements nous-mêmes. Nous préférerions ne pas être placés dans cette position et que vous le fassiez vous-mêmes.
Le président : Merci, sénateur Goldstein. Je sais que vous ne l'ignorez pas, mais notre comité a une longue histoire qui remonte à 1867. C'est le comité le plus ancien du Parlement. Il a pour tradition de travailler par coopération entre ses membres, d'une manière raisonnée, non partisane. Lorsqu'il se pose des problèmes comme ceux que nous avons ici, nous cherchons à dégager un consensus au sein du comité, de telle façon que si nous proposons des amendements, nous n'ayons pas d'un côté de la table un paquet d'amendements conservateurs et de l'autre un paquet d'amendements libéraux. J'espère que nous y parviendrons en l'occurrence, et nous avons besoin de votre aide à cet égard.
Je vous cède maintenant la parole, monsieur. Peut-être voudrez-vous traiter d'abord de la question Desjardins. Nous avons dit pas mal de choses, et vous avez certainement le droit de répliquer. J'espère que nous parviendrons à régler les problèmes.
Bob Hamilton, sous-ministre adjoint principal, Direction de la politique de l'impôt, ministère des Finances Canada : Avant de demander à M. Ernewein de parler de la question Desjardins, j'ai plusieurs remarques à faire. Elles ne répondent peut-être pas directement à ce que vous avez dit — je ne puis répondre à certaines choses — mais je vais tenter de mettre un peu les choses en perspective.
Premièrement, j'apprécie l'invitation de venir parler du projet de loi C-10. Comme vous l'avez indiqué, tant M. Ernewein que M. Lalonde ont déjà comparu au sujet de ce projet de loi, mais je n'avais pas eu l'occasion de le faire et j'apprécie d'être là.
Le projet de loi C-10 est volumineux. Il a une certaine histoire, et je n'ai pas l'intention d'y revenir. Comme vous l'avez indiqué, nous connaissons tout cela. J'aimerais offrir quelques remarques afin d'expliquer pourquoi, du point de vue de la politique fiscale, nous pensons important que le projet de loi soit promulgué en temps opportun.
En tant que fonctionnaires de la Direction de la politique de l'impôt, nous sommes chargés d'établir un régime fiscal qui produise les recettes dont le gouvernement a besoin. Ce régime le fait de manière aussi efficiente que possible, n'entrave pas plus que nécessaire les transactions commerciales et de manière généralement aussi équitable et neutre que possible.
Dans tous les cas, lorsque nous proposons des changements, nous aimerons qu'ils soient promulgués le plus rapidement possible afin de donner la certitude aux contribuables. Cela fait partie de notre travail, et une partie de ce travail est de nous présenter devant vous et d'autres comités pour expliquer de notre mieux pourquoi nous proposons ce que nous proposons et répondre aux questions éventuelles. C'est dans ce contexte que nous nous présentons devant vous aujourd'hui.
Nous apportons sans cesse des changements au régime fiscal. C'est un système évolutif. Nous continuerons de proposer des changements demain, le lendemain et dans les mois qui viennent. Le projet de loi C-10 n'est pas la dernière occasion d'examiner ces questions. Nous devrons y revenir et nous pensons certainement qu'il est important d'avoir un dialogue avec les fiscalistes et d'autres qui se penchent sur le régime fiscal pour trouver des possibilités de l'améliorer.
Nous jugeons important, lorsque des changements sont proposés, de les promulguer et si nous pouvons établir la certitude, c'est bien; mais nous savons que ce ne sera pas la fin du dialogue. L'on va venir nous soumettre à l'avenir d'autres suggestions de changements. Selon notre point de vue, lorsque nous proposons des changements, il importe qu'ils soient promulgués de manière à protéger l'intégrité du régime fiscal et d'offrir quelque certitude aux contribuables dans les domaines qui les intéressent.
Dans ce projet de loi, certains des changements que nous proposons ont suscité beaucoup d'attention. Certains aspects de ce projet de loi, et d'autres changements fiscaux que nous avons apportés, ont attiré une grande attention, mais ce n'est pas le cas d'autres modifications qui sont de nature plus technique. Elles intéressent les personnes concernées et nous dans la mesure où elles protègent l'intégrité du régime fiscal.
Lorsqu'on considère ce projet de loi, il convient de ne pas perdre de vue ces autres changements techniques importants qui comptent pour les personnes concernées et qui sont importants pour nous, en sus de ces autres changements qui ont suscité un peu plus d'attention que les aménagements techniques. Notre supplique est de considérer le projet de loi dans son entier et de réaliser l'importance de tous ces changements.
Je vais dire quelques mots sur les entités de placement étrangères et les fiducies non-résidentes. Je sais que vous avez entendu un grand nombre de témoignages sur ces mesures touchant les investissements à l'étranger. Elles ont été mises en place pour endiguer certaines activités d'évitement fiscal. Notre attention a été attirée sur elles par la vérificatrice générale et si ces règles n'étaient pas promulguées, nous ouvririons peut-être la porte à certains qui pourraient exploiter les lacunes potentielles du système actuel.
Cet évitement comportement un coût. Étant donné que ces dispositions visent réellement à protéger l'assiette fiscale et à prévenir certains types de transactions et d'activités, il est intrinsèquement difficile d'en estimer le coût, mais nous savons, sur la foi de certaines transactions que nous voyons, qu'il pourrait se chiffrer par centaines de millions de dollars.
Nous avons proposé ces changements, comme vous l'avez dit, pour essayer de rendre le régime fiscal équitable et approprié pour tous les Canadiens. Je souligne que c'est dans cet esprit que nous les avons soumis et l'une des raisons pour lesquelles nous jugeons important que le projet de loi soit adopté est la préservation de l'intégrité et de l'équité du régime fiscal.
D'aucuns se sont présentés à ce comité et se sont plaints que les règles sont complexes. Je ne le conteste pas. Je réponds simplement qu'elles sont complexes parce que les transactions concernées sont complexes et, dans une certaine mesure, elles sont complexes aussi parce que nous avons procédé à une consultation afin d'intégrer certaines des objections formulées à l'égard des propositions initiales.
Comme vous le savez, certaines de ces propositions circulent depuis longtemps. D'aucuns sont venus nous proposer des améliorations. Nous avons cherché à les intégrer. En général, cela ne simplifie pas les dispositions, cela les complique plutôt. Étant donné la complexité inhérente de tout le sujet, je reconnais que les règles sont complexes, mais je ne suis pas sûr que nous puissions l'éviter si nous voulons qu'elles soient efficaces, encore que nous cherchions à garder toujours les choses aussi simples que possible.
Le comité a également entendu des témoignages critiquant ces règles, et le projet de loi contient de nombreuses dispositions qui soulagent les contribuables et leur sont favorables. D'autres dispositions protègent et resserrent l'assiette fiscale. Nous sommes accoutumés à être critiqués chaque fois que nous prenons ce genre de mesures protégeant et resserrant l'assiette fiscale. Ces critiques sont de deux sortes : il y a les critiques attendues parce que nous cherchons à fermer des échappatoires fiscaux que des contribuables cherchent à exploiter; et il y a les critiques disant que nous sommes à côté de la plaque, que nos mesures auront des effets imprévus, et c'est là le genre de chose que nous espérons repérer au moyen des consultations ultérieures. Lorsque nous apportons des changements resserrant l'assiette fiscale, nous obtenons généralement ce type de réaction et nous devons nous y attendre.
J'ai mentionné le crédit d'impôt pour production cinématographique. Il en a été beaucoup question ici et je ne vais pas aborder le critère de l'ordre public. Je signale simplement que ce projet de loi contient des dispositions favorables à l'industrie cinématographique, avec une augmentation du crédit et une majoration du plafond des dépenses de main- d'œuvre admissibles qui sont très avantageux pour l'industrie. C'est un exemple du genre de mesure contenue dans le projet de loi C-10 qu'il importe de promulguer, afin de donner effet à ces changements bénéfiques et d'asseoir la certitude.
Je veux aborder aussi un autre élément particulier, soit les œuvres de bienfaisance. Comme je l'ai dit, le projet de loi contient des mesures tant de resserrement que de soulagement. Certaines mesures du projet de loi sont favorables au secteur caritatif, autorisant, par exemple, le découpage des reçus, ce qui permet de toucher des crédits et de bénéficier de déductions là où ce n'était pas possible auparavant. À l'inverse, le projet de loi contient également des mesures de resserrement touchant les abris fiscaux caritatifs afin de mettre un terme à certaines des manœuvres inappropriées qui ont vu le jour en 2003 qui ont amené une multiplication de ces abris fiscaux, avec les conséquences évidentes sur l'intégrité du système et les recettes potentielles. Vous avez les deux types de mesures dans ce domaine. Voilà des exemples du genre de choses contenues dans ce projet de loi.
Je ferai une dernière remarque sur la question des lettres de confort que vous avez soulevée. Le projet de loi contient un grand nombre de modifications qui, en substance, traduisent sous forme législative les lettres de confort que nous délivrons. Ces lettres portent sur des aspects techniques de la loi, lorsque quelqu'un attire notre attention sur une disposition particulière qui peut empêcher une transaction ou une activité que nous ne voulions pas viser; ce sont là des aspects très techniques, où des résultats ne sont pas conformes à la politique et où nous pouvons empêcher par inadvertance certaines transactions.
Dans de tels cas, nous remettons aux contribuables des lettres disant que nous recommanderons des changements dans ce domaine et puis, au fil du temps, nous cherchons à incorporer ces recommandations techniques dans un texte de loi. Là encore, cela donne aux contribuables un degré de certitude qui leur permet d'effectuer ces transactions. Je crois que certains de vos témoins, notamment M. Ruby, M. Marley et le comité mixte, vous ont indiqué qu'il s'agit là d'un mécanisme précieux. Le projet de loi contient et promulgue certains changements ayant fait l'objet de lettres de confort antérieures, et c'est une autre raison pour laquelle nous pensons qu'il est important que le projet de loi soit adopté dans les meilleurs délais.
Je dois souligner de nouveau la question de la certitude législative. Nous pensons qu'il est important d'établir cette certitude afin que le régime fiscal puisse fonctionner sans heurts et que nous puissions en préserver l'intégrité. Aussi longtemps qu'il règnera une incertitude quant à la promulgation de certaines de ces mesures, des contribuables vont toujours essayer de tenter leur chance avec certaines activités. Par exemple, nous savons que certains promoteurs d'abris fiscaux ont pris note du fait que le projet de loi n'a pas reçu la sanction royale et tentent quelques manœuvres que nous jugeons inappropriées.
Même pour ceux qui n'aiment pas certaines dispositions du projet de loi, il y a un avantage à établir la certitude législative et à le promulguer. Comme je l'ai dit, en tant que fonctionnaire des Finances, nous cherchons à concevoir les propositions de notre mieux. Cela fait, nous cherchons à nous montrer aussi utile que possible lors de la procédure d'examen parlementaire et à répondre aux questions.
Nous sommes impatients de voir ces changements promulgués afin d'asseoir cette certitude, sachant que dès le lendemain nous devrons remettre sur la table de travail certaines de ces mêmes questions et apporter des remaniements, car le monde ne s'arrête pas de tourner. Les structures et transactions financières changent, et nous savons que nous allons devoir continuellement adapter le régime fiscal et réagir à ces pressions.
Je répète, j'ai qualifié cela de processus évolutif et j'en suis réellement convaincu. Cela dit, il est agréable d'avoir certaines des propositions que nous formulons promulguées sous forme de loi, pour asseoir la certitude, avant de passer à autre chose.
C'est dans ce contexte que je réitère que, en tant que responsable de la politique fiscale, nous sommes ici pour faire tout notre possible pour faire avancer ce projet de loi dans le processus, afin d'établir ce genre de certitude. Pour cela il nous incombe de répondre aux questions que vous pouvez avoir. Mes collègues se chargeront de répondre à la plupart d'entre elles, car ils ont travaillé activement sur ce dossier, mais nous sommes tous là pour essayer de faire avancer les choses.
Cette intervention a été un peu plus longue que je ne l'avais prévu. Je voulais partager avec vous mon optique. J'ai apprécié vos paroles lorsque vous avez dit que nous sommes des fonctionnaires qui ne cherchent qu'à créer le meilleur régime fiscal possible. Nous n'avons pas l'intention de nuire aux gens. Nous le concevons de notre mieux et c'est dans cet esprit que nous sommes ici pour expliquer la teneur du projet de loi C-10 et pourquoi nous pensons qu'il est important de le faire avancer dans le processus.
Tout cela étant dit, je vais demander à M. Ernewein de traiter de la question Desjardins et de la lettre que vous avez mentionnée.
Le président : Merci, monsieur Hamilton. Vous avez fait état d'un mécanisme de consultation que vous avez en place et que vous avez suivi. Nous avons une foule d'indications montrant que ce mécanisme est défectueux et n'a pas produit le résultat voulu.
Nous sommes un peu dans une impasse avec ce projet de loi; je vais vous parler franchement. Nous avons parfaitement conscience, en tant qu'assemblée de réflexion sereine, que nous sommes les premiers à vraiment nous pencher sur ce projet de loi. Nous avons été confrontés à une rafale de réactions — depuis 15 ans que je suis ici, je n'avais encore jamais vu un tel déferlement de protestations contre des mesures fiscales complexes, sans même parler du problème du crédit cinématographique.
J'espère que ce que vous venez de dire ne signifie pas que le projet de loi restera tel qu'il est et que vous n'êtes pas ouverts à des changements ou amendements. J'espère que ce n'est pas le cas, car les personnes qui se disent prêtes à s'asseoir et à faire don de leur temps pour améliorer ces dispositions s'y refuseront si elles doivent se heurter à un mur.
Je ne voulais pas entrer dans les détails de tout ce que nous ont dit un certain nombre de personnes éminentes, mais vous pouvez lire les transcriptions. Ces personnes nous ont dit que le mécanisme de consultation a été défectueux.
Le ministre va les rencontrer, m'informe-t-on, et nous allons essayer de mettre en marche un processus qui exigera un peu de donnant-donnant. Je soumets cela à votre réflexion. J'espère que vous pourrez nous assurer que vous avez un minimum d'ouverture d'esprit afin que nous puissions avancer et vous donner ce projet de loi aussi rapidement que possible à l'automne.
M. Hamilton : Pour clarifier mes propos, j'ai l'esprit très ouvert sur ces questions, comme je l'ai indiqué.
Nous sommes ici aujourd'hui pour parler du projet de loi C-10 et apporter toute l'aide possible pour que vous puissiez comprendre son contenu. Nous aurons des discussions après le projet de loi C-10, quel que soit son sort, sur divers enjeux fiscaux et nous sommes très ouverts à cela. L'intention de mes remarques était juste de dire que nous avons assemblé un certain nombre de changements — le gouvernement propose ces changements par le biais du projet de loi C-10 — et nous sommes là pour répondre à toutes les questions que vous pourriez avoir.
J'essayais de dire qu'après le projet de loi C-10, s'il est adopté ou après son adoption, nous continuerons à avoir des discussions sur des questions fiscales que les gens porteront à notre attention. Nous avons l'esprit ouvert.
Les gens peuvent toujours nous signaler des problèmes lors des consultations. Je ne dis pas que nous sommes parfaits ou que le régime fiscal est parfait ou que le projet de loi est parfait, mais nous avons un mécanisme bien établi par lequel nous soumettons des propositions, sous forme d'avant-projet de loi, en invitant les intéressés à réagir et nous dialoguons abondamment avec des gens comme le comité mixte. Parfois les résultats ne sont pas parfaits, mais nous sommes tout à fait prêts à admettre que nous ne parvenons pas à la perfection dès le premier essai et que nous avons besoin de ce genre d'aide.
Je veux circonscrire le contexte de mes propos en disant que nous serons ravis de discuter du projet de loi C-10. Je ne me prononcerai pas sur ce que le ministre pourrait faire ou ne pas faire, mais nous sommes certainement prêts à expliquer les éléments du projet de loi C-10, leur raison d'être, et la porte ne sera pas fermée en matière de politique fiscale même après l'adoption du projet de loi C-10.
Souhaitiez-vous parler de Desjardins? Je ne veux pas perdre cette question de vue.
Le président : Il y a une différence. Mon collègue, le sénateur Eyton, a enduré de longues souffrances comme parrain de ce projet de loi. Il n'est que juste que je lui donne la parole.
Le sénateur Eyton : Je ne savais pas ce qui m'attendait. Je veux revenir sur la remarque du président lorsqu'il a dit que nous avons un problème avec le projet de loi C-10. Je vous ai bien écouté et je comprends votre motivation et votre ouverture d'esprit, mais nous avons un problème. Le projet de loi C-10 ne sera pas adopté à moins de trouver un compromis quelconque. Nous avons entendu littéralement des centaines de témoins qui ont soulevé des problèmes dont nous pensons qu'il faut les résoudre.
La composition de ce comité est telle que le gouvernement ne peut pas le contrôler. Des objections légitimes ont été présentées et il faut trouver des solutions.
Je suis ravi de voir quelle sera votre approche et votre attitude après le projet de loi C-10, mais notre problème immédiat, c'est l'adoption du projet de loi C-10. Nous voulons apporter des changements minimes, mais nous devons les apporter. Il faut une certaine bonne volonté de la part de toutes les parties pour y arriver, sinon il n'y aura pas de projet de loi. Les problèmes que cela nous cause à tous, y compris au gouvernement, empirent de jour en jour.
Le programme actuel est que nous allons avoir l'intersession d'été. Nous reviendrons à l'automne. Nous espérons qu'à ce moment-là il y aura un accord multipartite, ou du moins quelque chose qui s'en rapproche, sur un ensemble d'amendements que ce comité puisse accepter et qui seront ensuite envoyés au Sénat, et la procédure habituelle suivra.
Cependant, nous avons un problème et nous avons besoin de votre aide.
Le président : Merci, sénateur Eyton. Je pense que M. Ernewein va nous parler d'un point qui se trouve à la page 102. Quoi qu'il en soit, c'est l'affaire du Groupe Desjardins que j'ai mentionnée précédemment.
Brian Ernewein, directeur général, Direction de la politique de l'impôt, ministère des Finances Canada : Oui, merci.
Le président : Avez-vous vu sa lettre? Une copie a été adressée à M. Hamilton. Elle est arrivée ce matin.
M. Ernewein : Je sais qu'il comptait envoyer quelque chose au comité à ce sujet.
Je dois souligner, tout d'abord, que je n'ai pas de formation en droit civil. Je pense que les grandes lignes de mon explication sont justes mais je peux me tromper sur quelques points de détail. Veuillez m'en excuser par avance.
Dans les grandes lignes, le Québec, étant régi par le droit de propriété privé, par le code civil, n'avait pas initialement le concept de fiducie. Je ne sais pas il y a combien de temps nous avons introduit dans la Loi de l'impôt sur le revenu la notion de fiducie réputée aux fins de l'impôt du Québec qui établissait la parité entre la common law, dans laquelle le concept de fiducie est inhérent, et un concept de fiducie en droit du Québec ou en droit civil.
Je crois savoir qu'à l'occasion de la réforme de 1994 du Code civil, le Québec a introduit dans son propre code le concept de fiducie. Quelque temps après, mais sans agir à la vitesse de l'éclair, ayant appris l'existence de cette définition d'une fiducie dans le nouveau Code civil, nous avons tiré la conclusion logique que nous n'avions plus besoin de cette notion de fiducie réputée dans la Loi de l'impôt sur le revenu. Nous avons donc proposé, à l'occasion d'une série de modifications soumises il y a quelques années, de la retirer et de nous en remettre à la définition réelle applicable au Québec.
Dans l'intervalle, pendant que ce projet de modification, aujourd'hui faisant partie du projet de loi C-10, faisait l'objet de consultations, un arrêt de la Cour suprême du Canada dans la cause Thibault a jeté quelques doutes sur la portée ou l'efficacité du concept de fiducie du code civil : celui-ci pourrait ne pas accorder la même flexibilité, le même éventail de pouvoirs que ce dont jouissent les fiducies dans les juridictions de common law ou les fiducies dites « réputées ».
Ayant eu connaissance de cet arrêt pendant que circulait cet avant-projet, nous avons décidé de créer une fenêtre pour pouvoir jauger les effets de ce jugement. Ainsi, le projet de loi C-10 propose que l'abrogation du concept de fiducie réputée dans la Loi de l'impôt sur le revenu, qui devait prendre effet initialement dès l'annonce ou peu après, ne prendrait pas effet avant 2010.
Dans le cadre de nos discussions, nous avons pris langue avec quelques institutions financières pour essayer de cerner l'impact de cela. Il est juste de dire qu'à l'époque où nous avons proposé d'inclure cette fenêtre, nous pensions que le concept de fiducie du Code civil du Québec serait utilisable ou bien que les institutions financières pourraient adapter leurs pratiques afin de le rendre utilisable. Cela semble aujourd'hui un peu plus douteux. Ce n'était pas un problème dans le passé et ce n'est pas un problème à l'heure actuelle car nous avons jusqu'en 2010.
La même interrogation quant à la nécessité ou l'absence de nécessité d'une notion de fiducie réputée qui se pose à l'égard des REER, et dont Desjardins vous a parlé, se pose à l'égard des comptes d'épargne exonérés d'impôt établis par le budget de 2008. Si le problème est que vous ne pouvez retirer votre argent d'un REER, d'un régime d'épargne logement ou d'un régime d'encouragement à l'éducation permanente avec la définition de fiducie du Code civil du Québec, alors il se pose probablement le même problème de retrait d'argent d'un compte d'épargne exonéré d'impôt. Or cette possibilité de retrait est l'objectif fondamental du compte d'épargne exonéré proposé.
Il nous semble que ce problème exigera une solution non seulement dans le cas des REER et des fonds existants, mais aussi dans le contexte des comptes d'épargne exonérés proposés dans le budget de 2008. Ce projet sera soumis au Parlement plus tard cette année. Nous n'avons pas encore formulé notre recommandation au ministre, mais une réponse sera donnée sous une forme ou une autre afin que votre comité ou un autre comité puisse examiner notre solution ou absence de solution le moment venu.
Le président : Sénateurs, j'ouvre la période des questions.
Le sénateur Ringuette : Messieurs, vous avez de la chance que le comité soit placé sous la houlette du président et du vice-président actuels, car ils ont exprimé l'opinion majoritaire des membres du comité de manière très polie et diplomatique.
En décembre, lorsque les premières questions relatives aux fiducies ont été soulevées, nous avons demandé au ministère des Finances une lettre de confort. Cette lettre de confort a été présentée à la onzième heure au groupe concerné, fin avril ou début mai. Il a fallu attendre quatre mois. Ce n'était pas la première fois que ce groupe exprimait ses préoccupations.
Un autre groupe ayant comparu devant le comité ce matin a parlé des fonds de dotation universitaires qui totalisent 10 milliards de dollars. Les administrateurs de ces fonds n'ont pas été consultés sur ce projet de loi. Je suis sûr que vous avez entendu l'avis au moins de certains représentants lors des séances du comité de la Chambre des communes sur le projet de loi C-10. Vous connaissiez leurs objections depuis quelque temps. Ils ont passé de nombreux coups de téléphone au ministère pour exprimer leur crainte concernant ces 10 milliards de dollars. D'emblée, lorsque ce projet de loi a été envoyé à notre comité, la première question posée par le président était de savoir si vous aviez pris langue avec les intervenants. On nous a répondu oui, nous leur avons parlé et ils sont tous d'accord. Aujourd'hui, ils comparaissent devant le comité et nous disent que le projet de loi a engendré une incertitude dès son dépôt et que cela perdure.
Et pourtant, vous comparaissez devant le comité ce matin pour nous dire que si nous n'adoptons pas le projet de loi, cela va créer de l'incertitude. Franchement! Après tout ce que nous avons entendu concernant ce projet de loi, la dernière chose que j'avais besoin d'entendre en provenance du ministère, de la bouche de M. Hamilton, est que le comité va créer de l'incertitude s'il n'adopte pas le projet de loi.
Tant le président que le vice-président du comité ont demandé si vous alliez collaborer avec notre comité pour rédiger les amendements requis. Vos fonctionnaires ont écouté les témoignages et vous ont transmis ce que les témoins et les membres du comité ont dit.
Allez-vous collaborer avec ce comité pour présenter dans les meilleurs délais les amendements requis pour lever les incertitudes?
M. Hamilton : Permettez-moi de répondre à cela. J'apprécie la politesse et le ton de courtoisie. Nous sommes des fonctionnaires qui tâchons de faire le meilleur travail possible. Lorsque nous présentons un projet de loi, en particulier lorsqu'il donne effet à des propositions annoncées plusieurs années auparavant, nous faisons circuler un avant-projet de loi, recueillons les réactions et cherchons à expliquer les faits de notre mieux et à communiquer les préoccupations qui nous ont été exprimées. Comme je l'ai mentionné, face à certaines des préoccupations, nous pouvons dire que notre intention n'était pas de créer tel effet et qu'il nous faudra réfléchir, alors qu'à d'autres objections de contribuables nous devons répondre que tel était bien l'effet voulu. C'est regrettable pour eux, mais c'était le but visé.
Lorsque nous comparaissons ici, nous présentons la situation de notre mieux, selon notre optique. Loin d'affirmer que votre comité va créer de l'incertitude, ma seule exhortation ici, à ce point de vue, est pour dire que, dans un monde idéal, si une proposition était promulguée immédiatement, cela établirait la plus grande certitude possible.
Dans le domaine fiscal, lorsque nous formulons une proposition, nous avons un mécanisme par lequel nous rédigeons un avant-projet de loi, un texte qui rend les choses plus tangibles et établit une meilleure base de discussions. Ensuite, le projet de loi est déposé au Parlement et suit la procédure qui se déroule actuellement au sujet du projet de loi C-10.
Mon seul commentaire est qu'une fois arrivé à ce stade, la plus grande certitude que nous puissions donner aux contribuables est lorsque ces dispositions sont promulguées. C'est là un fait. Comme fonctionnaire travaillant sur le régime fiscal, il est bon d'avoir cette certitude. Mes remarques liminaires visaient simplement à établir ce contexte, tel que nous le voyons selon la perspective d'un fonctionnaire.
J'ajoute que je n'ai aucun mandat à l'heure actuelle d'offrir des amendements. Nous avons déjà pris l'engagement, sous forme d'une lettre de confort, de recommander des changements ultérieurs si le projet de loi C-10 était adopté et de travailler là-dessus. Cependant, je ne peux prendre ici d'autres engagements, mais je peux dire que, à titre de fonctionnaire, lorsque des contribuables s'adressent à nous avec des problèmes fiscaux, nous sommes aussi ouverts que possible pour examiner les questions sous tous les angles, dans le but de rendre le système efficient, équitable et neutre, sans entraver des transactions commerciales appropriées. C'est tout ce que nous pouvons apporter à la table et c'est ce que nous cherchons à apporter à la table.
Je ne puis rien dire de plus aujourd'hui, sinon expliquer de notre mieux le contenu du projet de loi C-10. Je ne voudrais pas faire porter à un seul aspect le blâme de toute l'incertitude du régime fiscal. Nous essayons de faire tout notre possible, sachant que ce sont là des sujets complexes, pour mettre en place un processus pour assurer que nous apportons les ajustements nécessaires et avoir le meilleur système possible, tout en sachant qu'il ne sera pas parfait et nous allons devoir le remanier en permanence.
Le sénateur Ringuette : Quelle certitude pouvez-vous donner rapidement concernant les 10 milliards de dollars des fonds de dotation universitaires?
M. Hamilton : Je vais m'effacer devant mes collègues sur cette question. Nous avons certainement eu quelques discussions.
Le sénateur Ringuette : Oui, un seul appel téléphonique.
M. Hamilton : Peut-être M. Lalonde ou M. Ernewein voudraient-ils en parler.
Nous sommes prêts à écouter ce qu'ils ont à dire et à y réfléchir. Que ce soit dans le contexte du projet de loi C-10 ou bien ultérieurement, c'est une question sur laquelle je ne me prononcerai pas. Certes, nous sommes toujours prêts à écouter ce que les gens ont à dire sur d'éventuelles améliorations du régime fiscal.
M. Ernewein : Premièrement, sénateur Ringuette, si vous le permettez, vous avez dit que nous étions au courant du problème des fonds de pension qui avait été soulevé plus tôt. Je pense que nous en avons eu connaissance au comité en décembre dernier.
Deuxièmement, vous dites que la question a été réglée avec une lettre de confort la veille de l'audience, mais le dossier montrera que nous avons envoyé une lettre début avril. Il y a eu une lettre de suivi à la fin de la semaine précédant l'audience du comité, avec un échange de courriel ultérieur. Ce n'est pas là un point crucial, mais je tenais à apporter ce rectificatif.
En ce qui concerne les universités, oui, nous avons eu l'occasion de parler avec M. Limeburner et son collègue. Pour ce qui est de votre question précise concernant l'incertitude, nous vous avons déjà indiqué que la définition de fiducie commerciale — c'est-à-dire la règle qui vous soustrait à l'application des règles relatives aux fiducies non-résidentes, en raison du caractère commercial — est la règle fondamentale qui devrait s'appliquer. Étant donné l'intérêt porté par le comité à cet aspect, nous voulions le revoir d'aussi près que possible.
Dans le cas des fonds de pension, un facteur qui a frappé les membres du comité et nous-mêmes est le volume énorme des fonds de pension. L'on nous a dit que les montants en jeu avoisinaient 1 billion de dollars. Nous avons été frappés par ce montant, le volume énorme d'investissements que les fonds de pension placent dans des instruments exotiques — je pense avoir utilisé ce qualificatif à l'époque — par le biais de structures particulières relativement sophistiquées. Un barrage dans un pays étranger, par exemple, ne représente pas un « jeu » ordinaire, pour employer un peu de jargon, il pourrait donc ne pas répondre précisément à la définition de fiducie commerciale. C'est en partie l'importance de ce volume qui nous a amené à recommander une exemption pour les fonds de pension.
Nous n'avons pas exempté les investissements étrangers directs des REER, parce que le volume n'est pas aussi important et parce que certaines limites empêchent les REER de recourir à ce genre de placements étrangers très particuliers. Cependant, ils bénéficient d'un accommodement par le biais du mécanisme de mise en commun du côté canadien de la frontière.
Le sénateur Ringuette : Quel accommodement proposez-vous pour les fonds universitaires exempts?
M. Ernewein : J'essayais de situer le contexte de cela en expliquant ce que nous avons fait pour les fonds de pension.
Voyons maintenant les universités. Je n'ai pas été là pendant tous leur témoignage, mais si j'ai bien saisi les chiffres que M. Limeburner m'a cités l'autre jour, les fonds de dotation universitaires représentent environ 10 milliards de dollars, soit peut-être 1 p. 100 du volume des fonds de pension. Les plus grosses universités ont des fonds de l'ordre de 1 milliard de dollars — des sommes conséquentes, mais plus faibles que les fonds de pension, et peut-être la moitié placée à l'étranger. Peut-être, dans certaines circonstances, plus de la moitié sera investie à l'étranger.
Vous pourriez avoir un fonds universitaire, de 1 milliard de dollars, dont la moitié est placée à l'étranger, soit 500 millions de dollars. En supposant une certaine diversification, qui suppose de ne pas avoir plus de 10 p. 100 placés dans un instrument particulier, vous avez peut-être 50 millions de dollars placés dans un investissement étranger particulier.
Est-ce là une échelle comparable à celle des fonds de pension? Est-ce que la particularité sera telle que la définition de fiducie commerciale ne pourra s'appliquer? Il n'est pas clair à nos yeux que tel est le cas, et c'est pourquoi nous allons peut-être devoir revoir — dirais-je — la définition de fiducie commerciale et voir pourquoi elle ne pourrait s'appliquer.
Le sénateur Ringuette : Vous n'avez pas répondu à ma question. Vous n'avez pas répondu.
M. Ernewein : Désolé. J'ai essayé.
Le sénateur Ringuette : Je suppose que c'est typique du projet de loi C-10 — des tentatives. Je suis désolée de le dire, mais vous utilisez le comité comme votre mécanisme de consultation. Ce n'est pas le rôle du Sénat.
Le sénateur Goldstein : Ceci ne doit pas devenir un processus accusatoire. Nous faisons partie de la même équipe. Nous voulons tous les mêmes choses. Nous voulons assurer — tout comme vous — que tous les Canadiens supportent leur juste part du fardeau fiscal, car nous avons besoin des recettes pour administrer le pays. Nous sommes absolument en accord là-dessus.
Vous, comme nous, ne souhaitez pas que des contribuables ou des institutions se retrouvent amenés à payer des impôts qu'ils ne devraient pas avoir à payer et que Finances Canada ne veut pas leur infliger. Nous sommes là encore d'accord.
De manière générale, le Sénat n'aime pas s'ingérer dans la politique fiscale. Nous ne voulons réellement pas le faire. Ce n'est pas notre rôle, du moins à mon avis.
Je peux comprendre, tout comme beaucoup de membres de comité, j'en suis sûr, votre argument, monsieur Hamilton, lorsque vous dites que le fait que nous mettions si longtemps à adopter ce projet de loi, qui est largement de nature corrective, introduit une dose d'incertitude. Nous comprenons cela. Là encore, nous faisons partie de la même équipe de ce point de vue.
Ce qui nous préoccupe grandement, et qui continue à nous préoccuper, c'est ce que j'ai appelé tout à l'heure les dommages collatéraux.
Vous avez cherché à éviter quelques-uns des problèmes en invoquant l'article 248 pour instaurer des mécanismes généraux anti-évitement. Nous comprenons très bien cela. Parfois, ces mécanismes fonctionnent bien, d'autres fois non, et parfois les tribunaux rejettent la position de Finances Canada ou du ministre du Revenu national relativement aux procédés d'évitement. Nous, comme vous, ne souhaitons pas que les Canadiens exploitent les failles qu'ils peuvent découvrir.
Cependant, nous, comme vous, savons que le Conseil privé et la Cour suprême et tous les tribunaux de ce pays ont statué que chaque Canadien a parfaitement le droit d'organiser ses affaires de manière à minimiser l'impôt et éviter l'impôt. Je parle là d'évitement, pas d'évasion fiscale. Là encore nous sommes d'accord. Nous sommes d'accord à 99 p. 100.
Là où nous nous séparons, c'est lorsque se produisent des conséquences fortuites. Lorsque M. Ernewein vient de nous dire que, comparativement, 50 millions de dollars ne représentent pas grand-chose par rapport à des milliards de dollars, c'est juste. Cependant, sauf mon respect, la conséquence n'est pas juste. Les 50 millions de dollars des fonds universitaires sont très importants pour l'université.
Régler le problème des universités mais ne pas régler celui des fondations hospitalières et des fondations de la Société du cancer et de toutes ces autres fondations qui ne cherchent pas à se soustraire à l'impôt — elles sont exonérées d'impôt — n'est pas acceptable pour elles. Elles sont importantes dans notre société et importantes pour le Canada. Refuser d'amender le projet de loi d'une manière qui en assure la clarté au lieu de s'en remettre à l'interprétation — ce que vous venez juste de faire, monsieur Ernewein — n'est pas acceptable pour elles. Moi-même je n'en serais pas très heureux.
Je ne veux pas avoir à m'inquiéter qu'une institution sans but lucratif soit obligée d'aller en justice pour établir qu'elle n'est pas obligée de payer l'impôt. Je ne pense pas qu'elle devrait payer de l'impôt, un point c'est tout, et vous êtes du même avis.
Lorsqu'on nous dit que, dans l'ordre des choses, ce n'est pas crucial, nous ne sommes pas d'accord avec vous. Je ne suis pas d'accord avec cela.
Je dois souligner ce que le président a si bien dit il y a quelques instants, à savoir que nous espérons et escomptons — et le sénateur Ringuette a dit la même chose — que les consultations qui vont se dérouler pendant l'été produiront de bons résultats concrets. Non pas des interprétations, non pas « ils se trompent », mais toutes les assurances dont ils ont besoin, qui ne mettent pas en danger le système lui-même, devraient leur être données, à mon avis. J'espère que vous allez le faire.
Le sénateur Massicotte : Merci d'être venus aujourd'hui. Je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce que le sénateur Ringuette, notre président et notre vice-président ont dit.
Je connais M. Hamilton parce que nous avons siégé ensemble au conseil d'administration de la Banque du Canada. Je reconnais que votre présentation n'a pas donné le ton que vous espériez. À nos oreilles, il semble que vous essayiez de nous dire d'accepter le projet de loi tel qu'il est et que vous faites peut-être preuve d'un peu moins d'ouverture que nous l'espérions.
Je vous connais suffisamment bien. Vous êtes ouvert. Vous êtes intelligent. Vous êtes bien entouré. Je suis sûr que vous allez nous revenir avec des amendements.
La réalité est que nombre d'entre nous n'allons pas accepter le projet de loi en l'état; voilà notre message. Nous ne voulons pas négocier, car il est inacceptable. Je suis sûr que vous allez revenir avec des changements, car vous êtes plus experts que nous dans ce domaine, pour satisfaire les personnes qui se plaignent des graves déficiences du projet de loi. Bonne chance, et bon été. Nous sommes impatients d'entendre votre conseil.
M. Ernewein : Sénateur Goldstein, vos propos m'indiquent que j'ai donné une fausse impression. Je ne voulais pas dire que 50 millions de dollars sont des broutilles ou ne comptent pas. Je pense tout le contraire. Je voulais plutôt dire que la solution pour soulager les universités, les fonds de pension et autres entités exemptées d'impôt réside dans la distinction entre fiducies commerciales et non commerciales. L'argument présenté par les fonds de pension est que, du fait du volume de leurs investissements, ils ne répondent pas à la définition. Nous ne savions pas que cet argument s'appliquait aussi aux placements de montants moindres.
Le sénateur Goldstein : J'ai remarqué que le projet de loi emploie une demi-douzaine de fois l'expression « il est entendu que ». Qu'est-ce qui vous empêche de dire dans un amendement qu'il est entendu que cet article ne s'applique pas aux entités sans but lucratif, celles habilitées à émettre des reçus aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cela réglerait beaucoup de problèmes pour beaucoup de gens. Pourquoi ne faites-vous pas cela? Commençons avec les entités sans but lucratif.
M. Ernewein : Les entités sans but lucratif peuvent être la structure d'entités exemptes à laquelle il ne faudrait pas donner cela. Il peut s'agir d'hôpitaux et d'œuvres de bienfaisance ainsi que d'universités. Vous soulevez une question importante en préconisant de retrancher globalement toutes les sociétés sans but lucratif. En effet, certaines entités exemptes, en particulier celles qui ont une connexion, peuvent servir d'intermédiaires pour effectuer des placements étrangers et il faut se prémunir contre cela.
Le sénateur Goldstein : J'essaie simplement de vous encourager à penser changement, et à ne pas penser finances.
M. Ernewein : Je crois que nous comprenons cela.
[Français]
Le sénateur Fox : En ce qui concerne les fiducies, dans votre déclaration d'ouverture vous avez indiqué que vous comprenez fort bien le problème et que vous êtes prêts à le régler. En d'autres mots, vous ne voulez pas que les compagnies qui sont des fiducies ou qui ont des titres comme des REER en fiducie soient dans une position non concurrentielle par rapport aux sœurs bancaires.
On a d'ailleurs remarqué que l'Association des banquiers canadiens appuyait les changements demandés par le Mouvement Desjardins et les autres fiducies au Québec.
Il va y avoir un hiatus de trois mois avant de reprendre les travaux. Au moment de reprendre nos travaux, vous pourrez présenter un amendement. C'est toujours beau de parler de 2010, mais cela me semble être demain plutôt que dans plusieurs mois. Avec le laps de temps avant le retour et l'indication que vous allez probablement proposer des amendements, pouvons-nous tenir pour acquis que cet aspect soit réglé à l'automne?
Le président : Je m'excuse, mais simplement pour clarifier la situation, nous avons fait référence à plusieurs reprises à la lettre du 12 juin, reçue à 11 h 25 ce matin, du Groupe Desjardins. Nous avons fait traduire la lettre en anglais. J'aimerais souligner le fait que la lettre est adressée à notre greffière et qu'elle est déposée, dans les deux langues officielles, pour faire partie de ce dossier.
Le sénateur Fox : Lorsque M. Steven Ruby, qui est un avocat que vous connaissez fort bien et qui a beaucoup d'expertise dans certains secteurs, a soulevé la question de transfert de propriété entre génération et dans son document déposé devant nous, il a dit qu'il y avait un effet pervers dans le sens que si vous faisiez un transfert de propriété intergénération, il y aurait plus d'impôt à payer que lorsqu'on vend la compagnie familiale à un tiers. Je ne peux pas m'imaginer que vous voulez défavoriser les transferts intergénérationnels d'une même famille. J'aimerais avoir vos commentaires sur ces deux questions.
M. Hamilton : Je vais demander à un de mes collègues de répondre aux deux questions.
[Traduction]
Gérard Lalonde, directeur, Division de la législation de l'impôt, Direction de la politique de l'impôt, ministère des Finances Canada : Pour ce qui est de la première question concernant Desjardins et celle de savoir si nous allons présenter des amendements à l'automne, la réponse est la même qu'à d'autres questions demandant si nous allons proposer des amendements. Comme M. Hamilton l'a indiqué, nous n'avons pas de mandat pour cela, et nous ne pouvons donc répondre ni oui ni non. Je peux dire, et je répète ce que M. Ernewein a dit, que le même problème se pose à l'égard du compte d'épargne exonéré annoncé dans le budget de 2008. Nous nous attendons à ce que le ministre des Finances veuille déposer un projet de loi donnant effet aux mesures restantes du budget de 2008 dans la mesure où cela est nécessaire, et l'on peut penser que ce sera le lieu pour inscrire une disposition de cette sorte.
Pour ce qui est de votre deuxième question et le problème de ce que l'on a appelé la « gouvernance restrictive », nous parlons de clauses de non-concurrence. Plusieurs affaires fiscales nous ont amenés à réfléchir, Fortino c. Canada et Manrell c. Canada. Ces deux jugements lus ensemble établissent qu'un montant reçu par un contribuable en échange d'un engagement de non-concurrence n'est pas imposable. Nous aurions tous préféré le statu quo ante, où ces clauses ne faisaient pas l'objet d'un montant distinct du prix de vente. Ces décisions de justice établissaient la notion surprenante d'un encaissement libre d'impôt dans le contexte de la vente d'une entreprise. Nous avons commencé à voir de nombreux contribuables attribuer une valeur à une clause de non-concurrence dans diverses situations, à tel point que les contribuables concluaient une convention de non-concurrence avec leur propre société. Cette situation est devenue ingérable dans le cadre du régime fiscal et il nous a donc fallu mettre en œuvre ces règles.
Cependant, nous étions face à un problème. Les décisions de justice établissaient le principe qu'une convention personnelle autorisait un encaissement libre d'impôt et, à la limite, cela signifiait que l'on pouvait conclure n'importe quelle convention personnelle associée à un montant libre d'impôt. Il fallait donc que ces règles soient très larges pour couvrir toutes sortes de conventions possibles, même si nous visions plus particulièrement les conventions de non- concurrence parce qu'elles étaient les plus courantes. Mais d'autres conventions auraient vu le jour afin de mettre à profit ces décisions de justice.
En concevant ces règles, il est devenu apparent qu'il y avait un grand désir de la part de contribuables ayant un lien de dépendance de conclure des transactions donnant lieu à des encaissements libres d'impôt avant que ces règles n'entrent en vigueur et, par après, réaliser toutes les économies d'impôt possibles en transférant ces encaissements d'un compte de revenu à un compte de capital. Par conséquent, les règles sont différentes pour ce qui est des transactions avec lien de dépendance et les transactions sans lien de dépendance.
M. Ruby a présenté l'argument. Il a probablement choisi le cas le plus flagrant, le plus surprenant. Cependant, ces règles couvrent les transactions sans lien de dépendance en général, c'est-à-dire aussi bien les transactions entre deux particuliers, entre un particulier et une société ou entre deux sociétés.
Lorsqu'on considère les transactions entre deux sociétés, il peut y avoir plusieurs scénarios. Des montants peuvent être censément versés pour une clause de non-concurrence et dans certaines situations il est possible de canaliser ces paiements vers des particuliers. Vous pouvez voir des situations où l'on va au moins tenter de convertir ce qui serait autrement des bénéfices de sociétés distribués comme dividendes en gains en capital à traitement fiscal préférentiel ou même en gains en capital libres d'impôt dans la mesure où les montants reçus sont admissibles à l'exonération cumulative des gains en capital. Cette exemption a été portée à 750 000 $.
La conclusion de tout cela est que oui, M. Ruby a raison. Il a cité un bon exemple. Vu l'historique de ce dossier particulier, il est apparent que les transactions sans lien de dépendance sont un problème. Comme je l'ai mentionné, elles peuvent être utilisées pour convertir des montants qui seraient autrement des revenus en gains en capital à taux préférentiel ou libres d'impôt, et c'est pourquoi nous avons des règles différentes.
Ce n'est pas la seule occurrence dans la Loi de l'impôt sur le revenu. Nous avons des mesures de limitation des pertes pour les transactions avec lien de dépendance et diverses règles s'appliquent à ces transactions qui sont plus strictes que la norme appliquée aux transactions sans lien de dépendance.
Le sénateur Massicotte : Le projet de loi concerne les REER et comptes d'épargne. Cependant, je vous exhorte, dans l'intérêt de la certitude préconisée par M. Hamilton, de faire une annonce, émanant du ministre ou du ministère, pour faire savoir au public qu'un amendement va venir. Ces gens vivent dans l'incertitude et 18 mois seulement nous séparent de 2010. Ces grosses sociétés ont besoin de certitude, et si vous pouvez la leur apporter plus officiellement, sous une forme autre qu'un amendement précis, je pense que ce serait utile.
Le sénateur Meighen : Comme mes autres collègues, je ne suis pas avocat fiscaliste, ce qui va devenir vite apparent, mais je confesse avoir été avocat dans un domaine différent du droit.
Est-ce que la fiducie étrangère sera assujettie à l'impôt de non-résident s'il y a un contribuant résident?
M. Ernewein : Oui.
Le sénateur Meighen : L'un de nos témoins a dit que d'autres juridictions n'appliquent pas une telle règle. Si cette règle était adoptée par d'autres juridictions, toutes les juridictions du monde se battraient entre elles pour imposer la fiducie. Ce serait une situation ridicule. Le pays obtiendrait sa part d'impôt dès lors qu'il peut établir le moindre lien entre la fiducie et résident.
Chaque fois que nous parlons de fiducies non-résidentes et d'évitement et d'évasion fiscale, on songe aux îles ensoleillées et aux paradis fiscaux. S'il s'agit d'une fiducie non-résidente établie dans un pays à forte imposition, comme ceux d'Europe occidentale ou les États-Unis, pourquoi ne pas nous satisfaire du fait qu'un impôt similaire à celui qui serait perçu chez nous va l'être dans ce pays? Pourquoi pousser la règle jusqu'aux frontières du ridicule?
M. Ernewein : J'apprécie la question. C'est M. Ruby qui l'a soulevée dans son témoignage et j'apprécie la possibilité de répondre.
Premièrement, nous pensions d'abord ce que votre question implique. Nous devrions pouvoir faire une distinction si l'autre juridiction a un taux d'imposition élevé ou comparable et si nous pouvions nous en remettre à ces règles. De fait, les règles initiales portant sur les fiducies non-résidentes prévoyaient une exemption pour les fiducies américaines, considérant que le taux d'imposition était comparable et que les États-Unis veilleraient à ce qu'une taxe suffisante soit payée.
Cependant, cela ne s'est pas avéré être le cas, mais non parce que leur taux d'imposition était jugé insuffisant. Les États-Unis ont d'excellentes règles, à ma connaissance, lorsqu'il s'agit d'imposer les fiducies utilisées par des résidents ou citoyens américains désireux d'éviter l'impôt américain. Ils sont moins préoccupés, et c'est compréhensible, par le recours à des fiducies américaines par des non-résidents ou des ressortissants étrangers cherchant à éviter l'impôt du pays tiers.
Par conséquent, nous avons vu des situations, après que nous ayons proposé notre exemption, de recours à des fiducies américaines. Le cas le plus simple consiste à gagner un revenu dans un pays tiers. Ce revenu n'était pas imposé par le pays tiers ni par les États-Unis parce qu'ils n'y avaient pas intérêt. C'était un revenu considéré gagné par un non- ressortissant américain, c'est-à-dire un Canadien; et le Canada pensait que le revenu appartenait à la fiducie et ne l'imposait pas non plus.
Dans cet exemple, vous aviez une juridiction à taux d'imposition comparable ou même supérieur pour laquelle la prémisse qu'un impôt suffisant serait payé ne tenait pas. C'est principalement pour cette raison que l'exemption des fiducies américaines proposée a été retirée plusieurs mois après le budget. Cela annule également toutes les décisions sur ce qui constitue un taux élevé ou faible. Même dans le cas d'une juridiction à taux élevé, il semblait exister quelques problèmes fondamentaux.
Le sénateur Meighen : Vous semblez dire qu'il existe une juridiction qui ne se soucie pas de percevoir des impôts. Je trouve cela difficile à comprendre. Vous dites que les Américains sont tellement riches qu'ils ne se soucient pas de revenus qu'ils pourraient autrement imposer.
N'y a-t-il pas moyen de dire que si les États-Unis n'imposent pas, nous allons le faire?
M. Ernewein : Si, ce moyen existe, et c'est celui que nous employons, consistant à dire que nous allons faire de vous un résident du Canada et vous imposer. Si vous avez payé de l'impôt dans l'autre pays, nous vous accorderons un crédit pour impôt étranger.
M. Ruby et M. Gagnon ont soulevé en décembre la question de savoir si nos règles de crédit fonctionnent aussi bien qu'elles le devraient. L'objection est qu'il y a un plafond de 15 p. 100 et au-delà vous devez vous adresser à l'autorité compétente. Nous savons que c'est le cas, et nous avons pensé que c'est raisonnable en ce sens que nous pensons que la fiducie est résidente du Canada. C'est la raison d'être des règles que nous avons maintenant.
Si un autre pays pense que la fiducie est résidente chez lui, pourquoi devrions-nous toujours arriver au deuxième rang? Peut-être faudrait-il un débat sur qui doit donner un crédit pour l'impôt payé à qui.
Pour vous décrire la situation complètement, une option serait de dire non, nous viendrons toujours au deuxième rang et garantirons qu'il n'y aura pas de double imposition en offrant un crédit jusqu'à hauteur du montant complet de l'impôt étranger payé, quel qu'il soit. C'est souvent un débat davantage académique qu'un enjeu concret. Nous avons observé que ces fiducies sont souvent situées dans des pays ensoleillés où il n'y a guère à se préoccuper de l'éventualité d'une double imposition. Cependant, la question peut se poser et lorsque c'est le cas, il faut décider si on règle le problème par une double imposition ou bien si l'on le fait au moyen de négociations.
Le sénateur Moore : Je dois dire que les remarques liminaires du président ont expliqué superbement la position du comité.
Monsieur Hamilton, vous avez tenu le crachoir pendant 12 minutes et ensuite vous avez dit au sénateur Ringuette que vous n'aviez pas de mandat pour proposer des amendements. Je ne m'attendais pas à ce que vous nous arriviez aujourd'hui avec des amendements, mais je m'attends à ce que vous nous disiez que vous allez en déposer une fois que vous aurez travaillé avec ces bénévoles qui nous ont fait des présentations merveilleuses qui nous ont paru pleines de bon sens.
Nous devons être au Sénat à 13 h 30. La plupart des points que je voulais aborder l'ont déjà été par les autres membres du comité.
Je m'attends aussi, comme d'autres qui tiennent à ce que nos universités restent viables, que vous allez les traiter correctement. Je vais suivre cela de très près. C'est tout ce que j'ai à dire pour le moment, monsieur le président.
Le président : J'aimerais apporter l'éclaircissement suivant suite aux remarques du sénateur Moore. Le sens de mes propos n'était pas que j'escomptais que vous, messieurs, nous arriviez avec des amendements, mais plutôt que ce comité rédigera des amendements sur la base des avis que nous donneront ces experts à Toronto.
Notre exhortation est que vous collaboriez avec eux à la rédaction de projets d'amendements à notre intention, afin que le comité puisse s'unir de manière non partisane et apporter des amendements au projet de loi. Il y a une différence technique, sénateur Moore, en ce sens que ces messieurs ne sont pas nécessairement mandatés pour présenter des amendements eux-mêmes, mais ils peuvent certainement collaborer avec ces intervenants afin de nous aider.
Le sénateur Moore : Je suis d'accord.
Le président : C'était ma précision.
Le sénateur Moore : Je sais, et vous avez raison de le faire ressortir. Cependant, je n'ai pas détecté de réceptivité à cela. Je me trompe peut-être, le temps nous le dira.
Le président : Ce sera ma conclusion, et je crois que M. Hamilton aimerait dire un mot. Je vous remercie d'être venus et de nous avoir écoutés nous défouler. J'ai dit à mon estimé collègue à ma droite que la réunion d'aujourd'hui est en quelque sorte l'heure de vérité, où nous mettons les cartes sur la table. Cela a été pour nous une rude tâche. Vous avez entendu ce que le parrain du projet de loi a dit.
Nous aimerions adopter ce projet de loi, en finir ici et le renvoyer dans le système. Nous sommes dans une impasse. Nous avons besoin d'une solution rapide, qui ne sera peut-être pas parfaite, je pense l'avoir dit clairement.
J'ai retiré l'impression — c'est peut-être un vœu pieu, venant d'un Écossais — que vous allez collaborer et nous aider. Certains de mes collègues n'ont pas ce sentiment d'espoir, mais c'est chose subjective. Cependant, je vous remercie au nom de nous tous d'être venus et de nous avoir écoutés nous défouler. Je sais que vous êtes des professionnels et que vous serez là pour nous, comme vous nous l'avez assuré, et nous appuyer.
M. Hamilton : En terminant, je ne pense pas que je vais faire plaisir à tout le monde, mais merci de nous avoir invités et donne cette occasion de nous expliquer. J'apprécie la clarification que vous avez apportée concernant les amendements. J'espère que vous aurez pu comprendre un peu mieux ce que nous cherchons à faire, en tant que fonctionnaires responsables de la politique fiscale, avec ce projet de loi — ce que nous pouvons faire et ne pouvons pas faire.
J'ai essayé d'expliquer certaines des raisons derrière les dispositions du projet de loi et pourquoi nous le présentons. Je pense avoir donné quelques exemples montrant que si un problème est porté à notre attention, nous pensons pouvoir le régler dans le contexte de l'adoption du projet de loi C-10, étant prêts à recommander d'autres modifications à l'avenir.
Je pense avoir indiqué que nous serons réceptifs également aux propositions que l'on voudra nous faire à propos d'éléments qui, aux yeux de ces personnes, laissent à désirer. En ce qui concerne l'opportunité d'amender ou non le projet de loi C-10, je ne me prononcerai pas. Cependant, je suis heureux que nous soyons tous sur la même page, soit établir un régime fiscal qui soit approprié et juste.
C'est ce que nous recherchons. Selon notre optique, promulguer le projet de loi apportera un autre élément de certitude aux contribuables, même en sachant qu'il restera certains problèmes à régler à l'avenir.
Je vous remercie de votre invitation. En tant que fonctionnaires de la politique fiscale, croyez-moi, nous avons l'habitude que les gens se défoulent sur nous et nous disent des choses que nous n'aimons pas.
Le président : Merci. Vous savez aussi bien que nous que nous ne sommes pas un Parlement majoritaire normal ni rien du genre. Le comité a le pouvoir d'apporter des amendements — par exemple, supprimer les règles relatives aux fiducies non-résidentes. J'estime que ce ne serait pas un geste constructif et vous n'aimeriez pas cela, mais nous le pourrions.
Mes collègues et moi vous disons ceci : ayons des amendements réfléchis, que nous introduirons, mais que ces amendements soient raisonnables. Nous avons besoin pour cela d'expertise et d'analyse des conséquences comme je pense l'avoir clairement montré.
Le sénateur Fox : J'aurai un rappel au Règlement lorsque vous aurez libéré les témoins.
Le président : Je remercie de nouveau les témoins et déclare la séance levée.
Le sénateur Fox : Non, j'ai un rappel au Règlement.
Le président : Je pensais que vous voudriez peut-être le présenter à huis clos.
Le sénateur Fox : Je veux bien le faire à huis clos.
La séance se poursuit à huis clos.