Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 3 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 17 décembre 2007
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 16 h 10, pour examiner, en vue d'en faire rapport, la politique de sécurité nationale du Canada.
Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.
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Le président : La séance est ouverte. Je m'appelle Colin Kenny. Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, que je préside, est réuni. Avant que nous commencions, j'aimerais vous présenter les membres du comité.
Le sénateur Pierre Claude Nolin, du Québec, est avocat, et il a été nommé au Sénat en juin 1993. Il a présidé le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites. Actuellement, il est vice-président du Comité sénatorial spécial sur la loi antiterroriste et du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Il siège également au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.
Le sénateur Tommy Banks vient de l'Alberta. Il a été nommé au Sénat en avril 2000, après une carrière de 50 ans au sein de l'industrie du divertissement. C'est un musicien et un artiste du spectacle accompli et polyvalent qui est bien connu au Canada. Le sénateur Banks préside le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, et il est également membre de notre sous-comité des anciens combattants.
Le sénateur Robert Peterson vient de la Saskatchewan, et il est un entrepreneur et un militant communautaire important et bien connu dans sa province. Il siège au Sénat depuis mars 2005. Au cours de sa carrière, le sénateur Peterson a occupé plusieurs postes de direction dans des entreprises d'ingénierie. En 1994, il a été nommé président et directeur de l'exploitation de Denro Holdings Ltd., société aux activités diversifiées qui touchent les projets immobiliers, la gestion des fonds d'investissement et la gestion immobilière. Par ailleurs, le sénateur Peterson est membre des conseils d'administration de Cameco Corporation et de General Properties Ltd. Il siège au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et au Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.
Le général McDonald est le conseiller militaire principal de notre comité.
Honorables sénateurs, je suis heureux de vous présenter M. David Mulroney. M. Mulroney est actuellement sous- ministre délégué des Affaires étrangères, ayant pour responsabilité particulière d'assurer la coordination interministérielle en ce qui a trait à l'Afghanistan. Auparavant, il était le conseiller principal du premier ministre du Canada en matière de politique étrangère et de défense, et il était notamment responsable des questions liées à la sécurité et au renseignement au Bureau du Conseil privé.
Mme Kerry Buck accompagne M. Mulroney. Elle est directrice générale du Groupe de travail sur l'Afghanistan du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Avant de devenir membre de ce groupe de travail, Mme Buck était directrice des Opérations au Bureau du Conseil privé, et elle avait comme responsabilité de fournir des conseils au sujet de l'appareil gouvernemental, de la structure du Cabinet et de la planification de la transition.
David Mulroney, sous-ministre délégué des Affaires étrangères et coordonnateur interministériel pour l'Afghanistan, Affaires étrangères et Commerce international Canada : Merci de m'avoir invité et merci de poursuivre votre travail sur l'Afghanistan et sur la mission du Canada dans ce pays et de continuer à vous y intéresser.
Plus tôt cette année, le premier ministre m'a demandé d'assumer le rôle de coordonnateur interministériel pour l'Afghanistan. Cette fonction de coordination, confiée au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international est essentielle, car comme vous le savez, les trois piliers de la reconstruction en Afghanistan — la sécurité, la gouvernance et le développement — se renforcent mutuellement. Aucun d'entre eux ne peut exister sans les autres.
C'est la raison pour laquelle il n'y a pas trois missions canadiennes distinctes en Afghanistan : une mission du MDN, une mission du MAECI et une mission de l'ACDI. Il n'y en a qu'une, et nous en faisons tous partie. Tous les ministères et organismes contribuent à l'ensemble de ces trois piliers. Non seulement le ministère de la Défense nationale, l'Agence canadienne de développement international et le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, mais d'autres également, comme le ministère de la Justice, la GRC et le Service correctionnel du Canada.
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Nos objectifs militaires, nos objectifs de développement et nos objectifs politique et diplomatique et nos objectifs en matière de gouvernance sont les mêmes et forment un tout indissociable : Aider à créer les conditions nécessaires pouvant permettre aux Afghans de bâtir une nation durable.
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Pour être stable, durable, libre, pacifique et plus prospère, l'Afghanistan a besoin de structures de gouvernance qui institutionnalisent la primauté du droit et la protection des droits de la personne. Cela suppose l'établissement d'un système judiciaire et d'un système correctionnel qui répondent aux normes internationales. L'Afghanistan a besoin de frontières bien gérées, de manière à ce que la sécurité et le développement régional puissent être assurés. Le pays a besoin d'eau potable, de soins de santé et de routes — les services de base qu'un peuple attend de son gouvernement. Il a besoin d'un système d'éducation qui prépare la prochaine génération à recueillir cet héritage et à le faire fructifier. À leur tour, ces progrès dans les domaines du développement et de la bonne gouvernance aideront à consolider la sécurité.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, le MAECI, est le centre de coordination de l'engagement pangouvernemental du Canada en Afghanistan. Depuis que j'assume les fonctions de coordonnateur, nous avons mis en place un vaste éventail d'outils et de processus afin d'assurer la cohésion des politiques. Cela signifie que tous nos efforts — sur les plans militaire, diplomatique et du développement — visent à appuyer les mêmes politiques et les mêmes priorités fondamentales.
Je suis très heureux de constater que vous aurez l'occasion un peu plus tard ce soir d'entendre le témoignage de mon collègue Stephen Wallace. Je tiens régulièrement des réunions avec M. Wallace, avec le général Gauthier, du COMFEC, le Commandement de la Force expéditionnaire du Canada, avec le sous-ministre adjoint responsable des politiques de la Défense nationale, ainsi qu'avec d'autres haut placés des ministères concernés. En fait, nous tenons régulièrement des téléconférences auxquelles participent notre ambassadeur en Afghanistan, Arif Lalani, ainsi que le général commandant les opérations dans le Sud, le général Laroche. Ensemble, nous faisons de la coordination et de la cohérence une réalité.
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Plus important encore, nous avons accru notre présence civile sur le terrain en Afghanistan. Notre ambassadeur à Kaboul occupe un poste encore plus important qu'auparavant. Il veille à la cohérence de tous nos efforts sur le terrain et relève directement de moi.
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La clé, à mon sens, si nous voulons assurer la coordination sur le terrain, ce n'est pas un nouvel outil. Ce n'est pas quelque chose que nous devons inventer. C'est plutôt le rôle de l'ambassadeur. L'une des premières choses que nous avons faites cette année, c'est d'indiquer clairement que l'ambassadeur en Afghanistan occuperait un poste de diplomate encore plus important. Ce poste est maintenant l'un des postes diplomatiques les plus importants. Nous y avons nommé une personne très compétente, M. Arif Lalani. Il est important de signaler que, même si M. Lalani relève directement de moi, je m'assure que les sous-ministres du ministère de la Défense nationale, de l'ACDI et d'autres ministères croient et comprennent que l'ambassadeur travaille également pour eux. L'ambassadeur est un instrument de cohésion d'une importance extrême.
Nous avons grandement augmenté le nombre de civils canadiens à Kaboul et à Kandahar. Dans l'équipe provinciale de reconstruction, nous sommes passés d'un agent politique du MAECI à cinq l'été dernier. Nous avons un nouveau chef de mission adjoint, M. Ron Hoffman, qui travaillait auparavant au sein du Haut-commissariat du Canada à Londres, et deux nouveaux agents politiques, outre les civils envoyés par des organismes partenaires comme la GRC et Sécurité publique Canada.
Nous avons également créé un nouveau poste dans le Sud, à Kandahar, auquel nous avons donné le titre de représentant canadien à Kandahar. Le titulaire de ce poste jouera essentiellement le rôle de consul général dans le Sud, et il contribuera à donner cohérence et unité à nos programmes dans cette région.
Dans la dernière partie de mes remarques préliminaires, j'aimerais brosser un tableau de certaines des activités spécifiques entreprises par le MAECI lui-même pour établir des solutions durables en Afghanistan.
Nous avons, à l'administration centrale, un solide groupe de travail sur l'Afghanistan qui assure l'orientation des politiques et la coordination générale. Ma collègue Kerry Buck et d'autres personnes font partie de ce groupe de travail. La capacité de programmation du MAECI est assurée surtout par le Groupe de travail sur la stabilisation et la construction, le GTSR, dont vous avez déjà entendu parler. Ce groupe administre le Fonds pour la paix et la sécurité mondiales.
Au fil du temps, nous avons régulièrement augmenté la somme mise à la disposition de l'Afghanistan dans le cadre du Fonds pour la paix et la sécurité mondiales. L'an dernier, cette somme était de 15 millions de dollars; cette année, elle sera de 30 millions de dollars.
La réforme du secteur de la sécurité est une priorité pour nous. Elle concerne des choses comme le matériel utilisé par les services de police et les infrastructures, comme les sous-stations. Elle comprend également le travail connexe de réforme du secteur de la justice; la formation des juges, des procureurs et des agents juridiques à Kandahar, ainsi que l'évaluation des besoins d'établissements correctionnels que nous avons la responsabilité de surveiller.
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La gestion des frontières est une autre priorité. Nous venons d'effectuer une mission technique dans une région du Sud, près de la frontière pakistano-afghane et nous avons commencé à organiser des ateliers de formation sur les meilleurs pratiques à l'intention des agents des deux côtés de la frontière.
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Nous effectuons un travail tout à fait concret auprès des fonctionnaires afghans et pakistanais en ce qui concerne des enjeux précis liés à la frontière et à sa gestion, ainsi que les moyens de faire en sorte que la frontière devienne de plus en plus une porte d'entrée économique, plutôt qu'une frontière ne servant qu'à assurer la sécurité.
Le MAECI dispose également d'une enveloppe budgétaire importante de 30 millions de dollars destinés aux programmes antidrogues pour l'exercice en cours. Comme les membres du comité le savent, l'action antidrogue est l'un des domaines où la sécurité à long terme est manifestement tributaire d'un développement efficace et d'une bonne gouvernance. C'est pourquoi nos priorités dans la lutte antidrogue comportent un appui au développement d'autres moyens de subsistance et au renforcement des capacités des services de police afghans.
Nous avons également œuvré sur la scène internationale. L'une des choses que je fais aux Affaires étrangères, c'est de m'assurer que notre diplomatie dans l'ensemble tient compte de la priorité que nous accordons à l'Afghanistan. En plus de travailler avec l'ambassadeur Lalani à Kaboul, je suis régulièrement en contact avec d'autres ambassadeurs et chefs de mission, afin de m'assurer que leur travail, qu'ils se trouvent à Londres, Delhi ou Canberra, reflète l'importance que nous attachons à l'Afghanistan, qu'ils suivent les questions d'intérêt précises et qu'ils expriment un point de vue canadien.
Nous travaillons également dur sur les questions liées à la cohérence. Récemment, nous avons tenu une réunion à Londres avec les pays qui sont nos partenaires dans le Sud pour faire le point sur nos expériences et nos responsabilités respectives en ce qui concerne le transfèrement des détenus.
Nous avons également organisé une réunion avec les Lithuaniens. Nous avons invité tous les pays qui gèrent des EPR en Afghanistan à discuter, pour la première fois, de pratiques exemplaires communes au chapitre de la gestion des EPR, des leçons apprises et de ce que devraient être nos objectifs communs.
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Enfin, nos diplomates font la promotion des priorités et des objectifs du Canada grâce à leur travail dans les principales institutions internationales, en l'occurrence les Nations Unies et l'OTAN.
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Honorables sénateurs, je sais que vous serez d'accord avec moi pour dire que, pour aller de l'avant en Afghanistan, il faut assurer de manière concertée la sécurité, la gouvernance et le développement. Vous savez que les Forces canadiennes apportent à cet égard une contribution énorme, une contribution qui est tout à fait remarquable.
J'espère que mes propos, ainsi que ceux de Stephen Wallace et de ses collègues de l'ACDI qui vont parler tout à l'heure, vous convaincront que le MAECI et ses ministères partenaires jouent un rôle, avec les Forces canadiennes, pour que le Canada joue bien son rôle en Afghanistan.
Le sénateur Banks : Bienvenue à vous deux. Madame Buck, M. Mulroney nous a expliqué assez clairement ce qu'il fait et ses responsabilités. Vous êtes directrice générale du groupe de travail. Pouvez-vous nous dire ce que cela suppose? Que faites-vous? Quelles sont vos responsabilités?
Kerry Buck, directrice générale, Groupe de travail sur l'Afghanistan, Affaires étrangères et Commerce international Canada : Le groupe de travail a été créé pour remplir deux mandats. Le premier, c'est le mandat ordinaire du MAECI — c'est-à-dire la défense et l'orientation stratégique, à l'échelle internationale, les programmes du MAECI dans le cadre du Fonds pour la paix et la sécurité mondiales.
La deuxième partie de notre mandat exige davantage de temps et d'efforts, et il s'agit de la coordination interministérielle, qui découle du mandat que M. Mulroney s'est vu confier par le premier ministre d'assurer une cohérence et une coordination pangouvernementales.
Le groupe de travail a deux directrices générales. Je suis responsable des politiques, comme je l'ai dit, notamment de la défense et de l'orientation stratégique des programmes à l'échelle internationale, de la diplomatie publique à l'étranger et de la supervision d'un ensemble d'opérations à Kaboul et à Kandahar. L'autre directrice générale, Mme Sheila Bird, est responsable des communications. Il s'agit non seulement des communications du point de vue ordinaire du MAECI, mais, ce qui est encore plus important — et qui prend beaucoup plus de son temps — de la coordination des communications interministérielles au sujet de l'Afghanistan. Voilà à peu près la structure. En tout, nous sommes jusqu'à 56 personnes à faire partie du groupe de travail du MAECI, ce qui, si vous connaissez bien la structure du ministère, est un groupe de personnes de taille assez impressionnante. J'ai d'excellents employés. Nous sommes chanceux. Nous avons une équipe du tonnerre.
Permettez-moi de vous donner brièvement quelques précisions au sujet du volet interministériel. En ce qui concerne le sens général dans lequel vont certaines de nos préoccupations, il est juste de dire que nous ne sommes actuellement pas vraiment convaincus que le volet développement de l'approche 3D en Afghanistan est manifeste. Nous avons hâte de faire en sorte qu'il le soit.
Nous avons toujours rendu visite aux soldats avant leur départ pour l'Afghanistan — et cela a quelque chose à voir avec la coordination interministérielle, à mon avis — puis rendu visite à ces mêmes soldats en Afghanistan, et ensuite élaboré une stratégie de retrait, en leur rendant visite après leur retour au pays, parce que les choses bougent et changent. Lorsque nous avons visité les soldats de la prochaine rotation au camp Wainwright, où ils se préparaient à partir pour l'Afghanistan, nous avons été surpris de constater qu'il n'y avait personne là-bas du MAECI ou de l'ACDI. Je ne pense pas me tromper.
Le président : Ce que vous dites est exact.
Le sénateur Banks : Vous avez décrit une approche composée de trois éléments, et M. Mulroney a dit qu'aucun de ces éléments ne va fonctionner sans les autres. Puisque la situation culturelle en Afghanistan est si particulière — et puisqu'elle est liée à la situation de sécurité — pourquoi ne va-t-il pas de soi que les gens du MAECI et de l'ACDI qui vont en Afghanistan dans le cadre de cette approche triplent le travail et se préparent de concert avec les forces envoyées là-bas?
M. Mulroney : C'est notre objectif, assurément. Tout d'abord, nous avons essayé de faire augmenter le nombre de civils pouvant être déployés. Nous avons réussi à le doubler, et même plus, dans l'année. Le recrutement et la modification des conditions de service, pour les améliorer et pour tenir compte du fait que Kaboul et Kandahar sont des endroits où le service est très difficile, ont exigé passablement de travail. Il nous a fallu pas mal de temps seulement pour combler ces postes.
Je passe maintenant beaucoup de temps ici avec nos responsables du recrutement à déterminer, comme le font les Forces canadiennes, qui fera partie de la prochaine rotation et de la suivante, de façon que nous puissions déployer les gens de façon efficace et très tôt, pour recruter et combler les postes non pas quatre ou cinq mois à l'avance, mais bien huit ou neuf mois à l'avance, ce qui nous permet de faire passer les gens par le cycle de formation du MDN. Nous essayons de synchroniser nos cycles de formation. Nous procédons à de nombreux échanges avec les Forces avant d'envoyer ces gens sur le terrain, et nous essayons de les faire participer à tous les programmes possibles, mais mes objectifs sont de déterminer qui va servir une ou deux rotations à l'avance et d'établir les liens.
Le sénateur Banks : Je comprends la difficulté, mais c'est précisément cette coordination qui vous préoccupe et que vous effectuez. L'idée même d'envoyer en Afghanistan un contingent de soldats qui n'auraient pas été formés avec les autres personnes appelées à servir seulement parce que l'horaire ne le permettait pas ou qu'on n'a trouvé personne nous révolterait.
Dois-je comprendre que, dans certains cas, on envoie là-bas des gens qui n'ont jamais participé à une formation au sein de l'armée?
Mme Buck : Pour les trois dernières rotations, nous avons fait participer les gens à la formation des Forces canadiennes. Vous devez comprendre qu'une partie de la formation des FC qui précède le déploiement ne vise pas les civils ou n'est pas adéquate pour eux. Avant chacune des rotations, nous nous assurons que les gens participent à une séance d'information du commandement au sujet des priorités gouvernementales et du MAECI. Nous nous assurons que le plus grand nombre possible de diplomates déployés participent, à Wainwright. Nous avons envoyé des gens à Wainwright, en fait. Ça dépend de la rotation qui était en cours lorsque vous étiez là-bas.
Nous avons également une liste complète de critères de formation davantage adaptés à nos civils — la formation en matière de droits de la personne à l'échelle internationale, par exemple, et la formation sur la gestion de projets dans le cadre du Fonds pour la paix et la sécurité mondiales.
Nous sommes maintenant en mesure d'offrir beaucoup plus de formation conjointe. Comme je l'ai dit, ce n'est pas toute la formation des FC qui est adéquate pour nos civils, mais nous voulons nous assurer que le commandement des FC qui est déployé connaît très bien nos priorités. Nous le faisons à l'aide de formation et de séances d'information précédant le déploiement.
Le sénateur Banks : La prochaine fois que nous nous rendrons en Afghanistan, allons-nous rencontrer des gens du MAECI et de l'ACDI tout à fait à l'aise dans leur milieu de travail?
Mme Buck : Ça dépend de l'élément de la formation offerte à Wainwright, mais il y a des membres du personnel du MAECI qui participent à la formation là-bas.
M. Mulroney : Si je peux ajouter quelque chose, sénateur, la réponse, c'est oui. Il s'agit essentiellement de la première grande rotation de ce gros groupe de civils. Comme je l'ai dit, nous travaillons à la deuxième et à la troisième rotations. Nous voulons nous assurer d'avoir réglé le problème. Nous avons également réussi à recruter des gens qui ont déjà servi en Afghanistan ou dans d'autres situations après un conflit, des gens qui ont déjà vécu le même type d'expérience. Je privilégie la constitution d'un bassin d'intervenants des affaires étrangères qui possèdent cette expérience, parce que nous aurons de plus en plus besoin de déployer des gens qui ont cette spécialisation.
L'expérience au Canada est essentielle, mais toute autre expérience pertinente à l'échelle internationale est également essentielle, et le fait de travailler auprès des Forces canadiennes et de leurs partenaires de l'ACDI, des gens avec qui ces personnes vont vivre et travailler en permanence est fondamental à nos yeux.
Le président : Monsieur Mulroney, nous avons été particulièrement inquiétés lorsque nous avons reçu la note d'information du MAECI qui disait, à la fin du premier paragraphe, que la formation conjointe auprès des Forces canadiennes était également exigée dans de nombreux cas. Il s'agit de la dernière phrase du paragraphe décrivant la formation des gens. Simplement pour terminer l'idée du sénateur Banks, nous n'avons pas à comprendre pourquoi la note ne disait pas que la formation conjointe était exigée dans tous les cas.
Nous avons pris connaissance de ce fait parce que des soldats qui travaillaient ou qui allaient travailler dans le cadre de la rotation suivante auprès de l'ERP n'avaient pas encore vu de civils. Ils ont dit penser que c'était étrange de les voir participer à des activités à Wainwright et se préparer à participer aux activités de l'ERP une fois à Kandahar, pour ensuite ne voir ni membre de la GRC ni personne d'autre participer à l'aide humanitaire. Comment cela s'explique-t-il?
Nous essayons d'être le plus réalistes possible. Il y a des gens qui prétendent être afghans et qui font ainsi l'entraînement. Nous nous creusons la tête en vain.
M. Mulroney : Comme je l'ai dit, sénateur, notre intention est de faire participer les gens à cette formation. Nous offrons maintenant une formation auprès des Forces à notre personnel, et nous avons l'intention de faire de cette formation un élément normal de notre système de rotation. Ce que nous devons faire, cependant, c'est d'arriver à effectuer le recrutement à temps et beaucoup plus à l'avance qu'à l'heure actuelle. C'est ce que nous avons l'intention de faire.
Le président : Nous avons entendu dire que ce n'était pas une affectation très populaire.
M. Mulroney : Je dois dire, sénateur, que c'est plutôt l'inverse. L'une des choses qui me remplissent le plus de fierté, c'est le genre de personnes que nous avons été capables d'attirer, tant à Kaboul qu'à Kandahar. Je dois dire que ce n'est pas une affectation facile, mais nous avons une longue liste de gens qui ont posé leur candidature et nous faisons une sélection rigoureuse et nous nous assurons qu'ils savent dans quoi ils s'embarquent et sont prêts. Nous organisons la préparation et les séances sur la sécurité qui sont nécessaires dans le cadre d'un programme de formation complet. En ce moment, nous n'avons aucune difficulté à attirer de bons candidats dans l'ensemble du ministère. Vous serez à même de le constater lorsque vous discuterez avec nos employés sur le terrain. Ils aiment leur travail. Ils en comprennent l'importance. Ils sont réalistes en ce qui concerne les difficultés, mais je suis très fier d'eux.
Le sénateur Banks : Je veux faire un commentaire et non poser une question. Je ne suis ici que depuis sept ans, mais vous savez sûrement que des comités comme le nôtre, en tout cas certainement le nôtre, sont très frustrés par des réponses comme « nous allons régler ce problème; nous travaillons à cela; nous sommes en train d'étudier la situation, nous envisageons [...] » Ce genre de choses a tendance à nous frustrer au plus haut point.
Monsieur Mulroney, d'après la description que vous avez faite, tout le monde, de l'ambassadeur à tous les gens qui sont actifs en Afghanistan, vous rendent des comptes, et, par votre entremise, je présume, rendent des comptes au bureau du premier ministre ou au Parlement, d'une façon ou d'une autre.
M. Mulroney : Oui.
Le sénateur Banks : Vous êtes le point de convergence. Nous pouvons attendre de vous — et nous allons le faire — d'occasionnels bulletins au sujet de notre situation et des progrès réalisés.
Beaucoup de Canadiens ont des réserves quant à ce que nous faisons. Essayer de créer, comme vous l'avez décrit, un pays qui fonctionne et qui puisse s'asseoir à la table avec le reste du monde, compte tenu des deux ou trois cents dernières années en Afghanistan, constitue une tâche monumentale. Combien de temps faudra-t-il avant que vous puissiez dire que nous avons connu le succès — non pas une victoire, mais bien le succès — en nous retirant d'un pays qui fonctionne? Parlons-nous de mois, d'années ou de décennies?
M. Mulroney : Sénateur, permettez-moi de revenir sur la première chose que vous avez dite. Je ne suis pas quelqu'un qui trouve des excuses ou qui s'engage à la légère. Nous n'avons pas été en mesure d'offrir ce cycle de formation précis à Wainwright au moment de l'embauche, mais nous allons le faire. C'est d'une importance capitale pour moi. Évaluez- moi à partir de notre rendement, mais je vais vous reparler de cela.
En ce qui concerne notre rendement en Afghanistan et notre façon de le mesurer, ce que nous utilisons et trouvons le plus pertinent, c'est le Pacte pour l'Afghanistan. C'est quelque chose que le gouvernement afghan et nos principaux alliés ont accepté pour mesurer les progrès réalisés à la lumière de jalons concrets pour des périodes de cinq ans.
Le sénateur Banks : Notre engagement dans le cadre de ce pacte prend fin en 201l.
M. Mulroney : Oui, sénateur. Nous sommes engagés au sein de la communauté internationale à réaliser des progrès liés à une série d'objectifs dans les domaines de la sécurité, de la gouvernance et du développement. Les choses vont bien. Nous n'avons pas réalisé des progrès par rapport à tous les jalons, mais les choses vont bien par rapport aux principaux, notamment en ce qui concerne les forces de sécurité nationale de l'Afghanistan, quoique nous avons connu des succès plus importants avec l'armée et la police nationale afghane.
Une façon d'envisager la chose, et c'est ce qui importe le plus à nos yeux, c'est dans le cadre du pacte. Il est également important de regarder en arrière de temps à autre pour voir où nous en étions auparavant.
Nous nous rappelons l'Afghanistan d'il n'y a pas si longtemps, dominé par les Talibans, l'Afghanistan de la période de la guerre civile, un État sans loi qui a permis l'émergence d'al-Qaïda et la domination des Talibans, un État au sein duquel les femmes n'avaient absolument aucun droit, l'Afghanistan où la violence était répandue et où tous les principaux instruments de la gouvernance civile étaient essentiellement brisés. Une bonne partie du réseau qui lie les éléments de la société, jusqu'à l'échelle communautaire, était réduite en miettes.
En travaillant avec le gouvernement et avec le peuple afghan, par l'intermédiaire de l'ONU et de nos alliés de l'OTAN, nous avons fait beaucoup de chemin. Je reviens tout juste d'Afghanistan. J'y étais il y a quelques semaines. À beaucoup d'égards, il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Le comité s'est penché sur certains des défis qui restent à relever. Néanmoins, si l'on jette un coup d'œil sur la situation dans laquelle nous nous trouvions auparavant, nous avons fait du progrès. Les jalons définis dans le cadre du pacte sont à la fois concrets et réalistes. Ce qui est encore plus important — et c'est à cet égard que nous avons fait de réels progrès au cours des dernières années — l'Afghanistan se les a appropriés plus que jamais auparavant. On reconnaît que nous ne sommes pas seuls, mais que nous avons un partenariat avec les Afghans. Ce n'est pas quelque chose qui se produit à court terme. Il va falloir beaucoup de temps, mais je pense que nous avons progressé, et je suis convaincu que nous pouvons continuer de le faire.
Le sénateur Banks : Longtemps après 2011?
M. Mulroney : Atteindre les jalons définis dans le pacte pour 2011 nous permettra de faire beaucoup de chemin à l'égard de certains indicateurs de succès fondamentaux, c'est-à-dire que l'Afghanistan sera de plus en plus en mesure de se défendre, de s'améliorer au chapitre de différents indices de développement et d'offrir davantage à son peuple, un pays où l'emprise du gouvernement se fera sentir non seulement à Kaboul, mais aussi dans les régions. Comme le comité l'a dit avec raison, nous devons être honnêtes et sincères lorsque nous parlons de l'état final en Afghanistan et de ce à quoi nous pouvons nous attendre.
Je me suis rendu en Afghanistan dans les années 1970, tout juste après la fin de la période démocratique, au cours de la période de transition avant que les Soviétiques n'arrivent. L'Afghanistan d'alors était un pays relativement sécuritaire, mais s'était toujours appauvri, et il y avait encore certains problèmes fondamentaux typiques des pays en voie de développement. L'Afghanistan sera un pays en développement pendant longtemps et va continuer de faire face à certains de ses problèmes fondamentaux, mais sa capacité d'améliorer la sécurité et les services offerts à son peuple sera accrue d'ici 2011 si nous gardons le cap et si la communauté internationale continue de remplir ses obligations dans le cadre du pacte.
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Le sénateur Nolin : J'aimerais examiner un tout autre aspect de cette grande question afghane. Plusieurs Canadiens nous écoutent et bon nombre d'entre eux ne sont peut-être pas familiers avec le phénomène afghan. J'aimerais que vous nous expliquiez un peu, en matière de gouvernance publique, comment est organisé l'État en Afghanistan. Quelle est sa structure générale? Nous savons qu'il y a un président. Nous entendons parler de lui régulièrement sur les bulletins d'information. Quelles sont les autres composantes de l'appareil gouvernemental afghan? Ma question est un peu pédagogique, mais elle vise à permettre à tous de bien suivre notre démarche pour aider dans cette réorganisation.
Comme M. Mulroney l'a mentionné, il s'agit là du deuxième des trois piliers de notre plan de reconstruction en Afghanistan. Je crois qu'il est important de comprendre d'où on part pour savoir où on veut aller.
Mme Buck : Avant de vous parler de la structure formelle du gouvernement afghan, j'aimerais vous donner un peu le contexte.
L'Afghanistan a une longue tradition d'organisation politique décentralisée. La base politique de fond est le clan, le village. L'Afghanistan a aussi une tradition de gouvernement central. Toutefois, celui-ci n'a que très peu de liens ou de présence dans les provinces et les régions.
L'Afghanistan a vécu près de 30 ans de conflits assez sévères. En 2002, la communauté internationale s'est trouvée devant une situation en Afghanistan où il règne en quelque sorte une quasi-absence de gouvernance formelle. La communauté internationale a donc tenté d'aider les forces politiques afghanes à instaurer un gouvernement démocratique élu et central. La présence du président Karzaï est la preuve que cette étape majeure et très importante fut un succès. On a maintenant un gouvernement démocratiquement élu.
Parlons de la structure. À la tête du gouvernement se trouve le président Karzaï. Les membres du cabinet sont nommés par le président et ne sont pas élus.
Le sénateur Nolin : S'agit-il d'un Parlement ou d'un système républicain? Les membres du cabinet sont-ils membres de l'assemblée parlementaire?
Nos auditeurs sont principalement des Canadiens et ceux-ci sont habitués à cette forme de gouvernement. C'est pourquoi je vous pose ces questions. Elles peuvent sembler secondaires, toutefois elles sont importantes pour les Canadiens qui tentent de bien saisir notre démarche.
Mme Buck : Le Parlement afghan est élu, mais les membres du cabinet ne font pas partie du Parlement. Il est à noter que 25 p. 100 des membres élus sont des femmes. Il s'agit là d'un fait marquant dans l'histoire de l'Afghanistan. Lors des élections législatives, 350 femmes ont posé leur candidature pour un poste au Parlement. Cette participation est très importante, si on considère l'histoire de ce pays, notamment sous le règne Taliban.
On a donc une législature élue, un président élu et un cabinet qui n'est pas élu. Les gouverneurs des provinces sont nommés par le président. Le Canada a d'ailleurs exercé de fortes pressions afin qu'un mécanisme soit mis en place pour imposer une certaine transparence dans la nomination des gouverneurs. Ce mécanisme fut créé en 2006 et nous travaillons étroitement avec le gouvernement afghan afin d'assurer son bon fonctionnement.
Le sénateur Nolin : Le président a l'autorité exécutive de nommer un gouverneur. Il s'agit d'un homme ou d'une femme qui représentera l'autorité exécutive dans une région donnée. Lorsque vous parlez d'un objectif de transparence, faites-vous référence à un appui populaire pour confirmer cette nomination? Qu'entendez-vous par le terme « transparence »?
Mme Buck : J'entends par ce terme une transparence dans les nominations; pas nécessairement aux élections mais dans le débat public.
Le sénateur Nolin : Afin que l'on puisse identifier la bonne personne?
Mme Buck : Exactement. Les ministères qui se trouvent à Kaboul se retrouvent peu à peu dans les régions. Toutefois, pour ce faire le défi est de taille.
Le sénateur Nolin : Je reviendrai sur cet aspect. Pour le moment, j'aimerais que l'on comprenne bien l'organisation gouvernementale.
Mme Buck : La communauté internationale a aussi aidé le gouvernement afghan à créer des conseils de développement économique. Ceux-ci aident à renforcer le pouvoir politique dans les villages. La tâche pour la communauté internationale, et désormais le gouvernement afghan, est de créer un lien entre Kaboul, les provinces et les villages.
Le sénateur Nolin : Penchons-nous maintenant sur les problèmes que doit confronter l'administration centrale à Kaboul, soit le président Karzaï et son cabinet. Quels sont les principaux défis à relever? On parle de défis et non de difficultés. Quels sont les principaux problèmes auxquels le président Karzaï et son administration doivent faire face?
M. Mulroney : Tout d'abord, il y a le manque de structures gouvernementales qui ont été détruites pendant les 30 années de guerre civile. Nous sommes en train de rebâtir ces structures. De plus, c'est un pays multiethnique, un pays un peu divisé par la guerre et situé dans une région où les voisins ont historiquement tendance à jouer un rôle moins constructif.
Le sénateur Nolin : Pour le bénéfice de ceux qui nous écoutent, parlez-nous de la composition multiethnique du pays. Quelle est la plus grande ethnie, quelle est la plus petite ethnie et quelles sont les influences de chacune?
[traduction]
M. Mulroney : L'Afghanistan est un pays multiethnique dont certains groupes ethniques existent non seulement en Afghanistan, mais aussi dans d'autres régions, ou à l'extérieur de ses frontières.
Il y a des Tadjiks et des Ouzbeks dans le Nord et surtout des Pachtounes dans le Sud, mais il y en a aussi dans une région dont une partie se trouve au Pakistan. Il y a des Ouzbeks qui vivent en Afghanistan et qui vivent aussi en Ouzbékistan, et la situation est semblable chez les Tadjiks. Il y a quelques endroits dans la région centrale où vivent des Hazaras. Il se trouve que ceux-ci sont des musulmans shiites et non sunnites, comme les autres. Ils ont davantage de liens avec l'Iran, en ce qui concerne leurs origines et leur appartenance religieuses.
L'un des défis qui se posent en Afghanistan, comme dans tout État multiethnique, c'est de trouver une façon de gouverner qui permet à ces groupes, particulièrement aux minorités et aux groupes qui sont non seulement des minorités ethniques, mais aussi des minorités religieuses, d'avoir l'impression d'obtenir des services et du soutien du gouvernement central. C'est un défi important.
Il y a aussi le problème qui perdure dans les régions pachtounes, c'est-à-dire que le Pakistan, par exemple, n'a jamais accepté la frontière, la ligne Durand, établie par les Britanniques. Les Pachtounes ont une loyauté qui transcende les frontières. Ainsi, le groupe ethnique le plus important du pays fait partie des groupes plus vastes d'un pays voisin. Il faut un chef très habile pour donner l'impression, partout au pays, que le gouvernement est là pour tous.
L'Afghanistan est un grand pays montagneux. Son infrastructure n'a jamais été bonne. Une bonne partie de l'infrastructure que le pays possédait a été détruite pendant la guerre. Encore une fois, le défi qui consiste à joindre les gens des régions éloignées est important.
Enfin, comme je l'ai dit au sujet des pays voisins, lorsque nous avons commencé à envisager le problème de l'Afghanistan à la fin de 2001 et au début de 2002, nous l'avons comparé aux Balkans. Il y avait certains points de comparaison valables. Il y avait de nombreux problèmes dans les Balkans, mais une chose positive, c'était le fait que les pays voisins étaient prêts à aider. L'Europe pouvait assurer une présence militaire ou humanitaire, mais il y avait également le fait que les pays pouvaient aspirer à devenir membres de l'Union européenne. Les pays des Balkans pouvaient, par exemple, penser ainsi : si nous nous organisons et acceptons de collaborer, nous pourrions faire partie de cette association qui va nous venir en aide, sur les plans politique et de la croissance économique.
Ce genre de structure ne s'offre pas à l'Afghanistan. Ses voisins n'ont jamais participé à son développement. Il n'y a aucun groupe régional comme l'Union européenne auquel l'Afghanistan pourrait espérer appartenir. Une partie de notre travail diplomatique doit être de nature régionale, c'est-à-dire qu'il faut commencer par travailler avec les gens qui partagent les mêmes idées pour nous assurer de ne pas faire de tort à l'Afghanistan.
Ensuite — et cela va prendre du temps; nous sommes loin d'être rendus là, mais c'est ce qui inspire une partie de notre travail à la frontière avec le Pakistan — ne pourrions-nous pas commencer à réfléchir aux liens économiques favorisant la collaboration plutôt que les mauvaises actions? Pouvons-nous envisager les routes comme une infrastructure pour le commerce? Pouvons-nous envisager les frontières comme le lieu de passage des marchandises d'exportation et d'importation? Pouvons-nous nous pencher sur les pipelines, les lignes de transmission et les choses auxquelles un pays a intérêt à travailler avec ses voisins? Nous sommes loin de faire de cela une réalité, mais je pense que c'est un élément important de la stabilité à long terme dans la région, l'idée qu'il est plus sensé de collaborer que de comploter et d'essayer de miner les efforts les uns des autres. Cela va prendre du temps à réaliser.
[français]
Le sénateur Nolin : Vous dites que pendant 30 ans il y a eu un vacuum de gouvernance publique. Est-ce que la tradition républicaine en Afghanistan était là il y a 30 ans ou quelqu'un a décidé que dorénavant l'Afghanistan serait une république?
M. Mulroney : Pas réellement. Disons qu'il y a eu une brève période de démocratie.
Le sénateur Nolin : Vous pouvez répondre en anglais si c'est plus facile pour vous.
[traduction]
M. Mulroney : Il y a eu une brève période au cours de laquelle l'Afghanistan a été une démocratie, période qui a coïncidé avec le règne de Zahir Shaw, qui est mort l'été dernier. En 1973, il y a eu l'intrigue au sujet de l'arrivée au pouvoir d'un homme fort politique, ce qui a mené à des tensions permanentes le long de la frontière nord, et, finalement, à l'invasion par l'Union soviétique. Ça a été une période très brève.
[français]
Le sénateur Nolin : Ma question est de savoir s'il y avait une tradition démocratique il y a 30 ans. S'il y en avait une, quelle forme avait-elle? Avec une coalition de 38 pays, sommes-nous en train d'imposer aux Afghans une forme de gouvernement? Oui, ils veulent la stabilité, oui ils veulent la paix et la construction, mais peut-être veulent-ils le faire à leur manière, pas à la nôtre.
[traduction]
M. Mulroney : Il y avait une forme de gouvernance qu'on pourrait appeler une monarchie constitutionnelle. Dès le début du processus de succession, cependant — le roi était très vieux et avait plusieurs successeurs possibles —, les Afghans eux-mêmes ont décidé que, plutôt que de continuer à vivre dans une monarchie, ils laisseront Zahir Shaw demeurer roi jusqu'à la fin de sa vie, sans toutefois continuer de jouer le même rôle qu'auparavant, et que l'Afghanistan aurait un président.
À l'échelle macroscopique, il s'agit d'un phénomène relativement nouveau. Cependant, il ne s'agit pas tant de remplacer quelque chose qui fonctionnait. Ce n'est pas une tradition qui a duré longtemps.
Le sénateur Nolin : Je sais. Cependant, les Canadiens connaissent leur propre histoire et leurs propres processus, et je pense que nous sommes d'accord pour dire que nos institutions sont le résultat d'un long processus historique dirigé avec soin. Notre pays est comme il l'est grâce à une série d'événements qui ont poussé les Canadiens à prendre une décision à un moment donné.
[français]
En passant, le Canada fait-il partie de cette coalition depuis le tout début. Je veux juste m'assurer que nous ne forçons pas un cheval à boire s'il ne veut pas boire.
[traduction]
M. Mulroney : Il y a une tradition. Je pense que, depuis Bonn, nous avons pris conscience du fait qu'il existe des traditions afghanes, par exemple les djirgas, qui réunissent les mêmes mécanismes de consultation à très petite échelle et réunissent les aînés et les chefs, mais qui existent aussi à l'échelle nationale. Tout récemment, nous avons vu une djirga composée....
[français]
Le sénateur Nolin : Dans le monde musulman, on retrouve beaucoup ce genre de regroupement populaire.
[traduction]
M. Mulroney : À d'autres égards, nous sommes également conscients des mécanismes traditionnels que nous devons respecter et qui feront partie d'un gouvernement durable en Afghanistan. Il existe des mécanismes traditionnels de résolution des conflits, mais pas pour les crimes importants. Nous admettons qu'il faut qu'il y ait un mécanisme officiel pour ces crimes, c'est-à-dire par exemple des tribunaux et des juges.
Cependant, en ce qui concerne la répartition ou l'attribution des propriétés, il existe des mécanismes traditionnels qui fonctionnent très bien. Je pense que nous envisageons une situation dans laquelle nous admettons le fait que de 60 à 70 p. 100, par exemple, du système de justice peut fonctionner de façon traditionnelle, mais qu'il doit y avoir un système judiciaire plus spécialisé pour les crimes plus graves.
Pour connaître le succès, il faudra entre autres déterminer quelle partie du système afghan traditionnel fonctionne bien et va permettre à l'Afghanistan de s'adapter au XXIe siècle et aux siècles à venir, ainsi que déterminer à quels égards l'Afghanistan a besoin d'aide pour fonctionner comme un État du XXIe siècle.
[français]
Le sénateur Nolin : M. Mulroney m'amène à poser une dernière question sur la réforme du système judiciaire.
Dans tout pays qui se respecte, les populations acceptent qu'un juge puisse trancher un débat lorsque celui-ci est crédible et impartial. Indépendamment de la forme de l'État ou du gouvernement, que ce soit une monarchie, un président ou un système parlementaire comme le nôtre, on réclame qu'un juge soit impartial, efficace et indépendant des parties qui sont devant lui. Pouvez-vous nous dire où en est le travail de réorganisation puisque je pense que cela fait partie des objectifs du Canada au niveau de l'aide international pour nous assurer qu'il y a, en Afghanistan, un système judiciaire qui respecte les normes que je viens d'énumérer?
Mme Buck : Je crois qu'il est très important de formuler ma réponse en vous rappelant que ce pays est l'un des plus pauvres du monde, conséquemment a un vide de gouvernance pendant une période de presque 30 ans.
[traduction]
Les juges font partie d'un système de règles de droit général, et on a réalisé des progrès considérables au chapitre de la formation des juges, de la formation d'un barreau afghan, de la formation de procureurs, et, dans ce contexte général de la règle de droit, en mettant l'accent sur la police et sur le système correctionnel. On a réalisé des progrès énormes. Est-ce terminé? Absolument pas. Nous devons composer avec une population qui est en grande partie analphabète. Nous travaillons avec des lois afghanes qui viennent tout juste d'être adoptées. L'assemblée afghane a connu ces derniers temps une période de travail intense pour ce qui est de la rédaction de lois, et cela va s'accélérer.
Nous en sommes à l'étape de la construction. Nous parlons parfois de reconstruction, mais, en ce qui concerne le système judiciaire, nous en sommes à l'étape de la construction en Afghanistan, dans un sens, à la construction d'un système judiciaire officiel. Cependant, nous avons réalisé beaucoup de choses — je parle de la communauté internationale et du Canada.
Je vous donne les chiffres suivants à titre d'exemple : on a formé 75 procureurs, 68 défenseurs publics, 90 juges, dont 16 femmes, et on forme des juges pour certaines procédures spécialisées. Nous avons un projet de formation de juges et des membres du bureau du procureur général dans le domaine de la lutte antidrogue et de la corruption, par exemple.
La communauté internationale est très active dans le secteur de la justice et dans le secteur plus général de la règle de droit. Nous avons encore beaucoup de choses à faire, surtout, comme M. Mulroney l'a indiqué, pour inclure les provinces dans ces structures judiciaires officielles.
Il y a eu une bonne conférence à Rome en juin dernier sur la règle de droit, et les institutions judiciaires permanentes de l'Afghanistan ont fait beaucoup de chemin pour définir leurs propres priorités. Le bureau du procureur général et la cour suprême ont élaboré des plans opérationnels et stratégiques, et la communauté internationale, guidée par ces Afghans, finance les activités. Il s'agit d'une voie pour nos programmes relatifs à la règle de droit et à la justice, dans le cadre de priorités définies par les Afghans et de programmes du secteur judiciaire bâtis par les Afghans.
Il y a beaucoup de chemin à faire; cependant, nous en avons fait beaucoup depuis que la communauté internationale est intervenue et depuis la chute des Talibans.
M. Mulroney : Mme Buck a parlé des conseils de développement communautaire qui établissent les liens entre les petites collectivités d'Afghanistan, notamment dans la province de Kandahar. L'une des choses qui ont été détruites, en 30 années de guerre, c'est la structure communautaire. Je vous donne un exemple : je creuse un puits, mais j'ai besoin de votre aide et il y a une façon de faire en sorte que cela fonctionne. Des amis afghans m'ont raconté que, d'après leur expérience, ce genre d'esprit communautaire a été entamé au point où bon nombre d'entre eux ont eu peur qu'il n'existe plus.
Les conseils de développement communautaire obtiennent des résultats concrets, parce qu'ils planifient des projets qu'ils présentent ensuite à des organisations comme l'équipe de reconstruction provinciale en leur disant ce qu'ils aimeraient voir se produire. Dans le cadre de la planification des projets, les gens doivent travailler ensemble. Ils doivent faire des compromis. Il ne s'agit pas d'une seule personne qui exprime le désir de creuser un puits sur ses terres; il s'agit plutôt d'un groupe de gens qui disent avoir besoin de telle ou telle chose pour leur collectivité. C'est une façon de retrouver lentement, au fil du temps, l'esprit communautaire.
Nous avons constaté que les conseils de développement communautaire se sont organisés, établis et ont tenu des réunions. Même pendant la saison des combats, au moment où la situation est la plus difficile, sur le plan de la sécurité, pendant les mois d'été, les comités de développement communautaire ont continué de se réunir. Le nombre de gens qui ont participé aux réunions n'était pas toujours le même, parce que la situation ne le permettait parfois pas, du point de vue de la sécurité, mais ils n'ont pas cessé de se réunir; la peur ne les a pas empêchés de se réunir, même si l'un des objectifs des Talibans est de supprimer ce genre de gouvernance locale. Ils voulaient se réunir et considéraient que cela était important. Il s'agit d'un petit pas, mais d'un pas important, pour le retour de ce genre de collaboration à l'échelle locale qui constitue l'élément fondamental d'une forme de gouvernement plus important.
Le président : Pour donner suite à la question du sénateur Nolin au sujet du système juridique, les Canadiens reconnaîtraient-ils certains aspects? Y aurait-il un code criminel? Y a-t-il un code civil? Est-ce que des choses comme l'habeas corpus font partie du système juridique de l'Afghanistan?
Mme Buck : Je ne suis pas avocate, je suis une ancienne avocate. Je l'ai déjà été. Je ne peux parler précisément du bref d'habeas corpus. Les Afghans ont un système de droit civil qui fonctionne différemment des brefs de la common law, mais je peux vous dire que les Canadiens reconnaîtraient certains éléments du système juridique afghan, en partie parce que nous avons fourni de l'aide technique. Nous venons tout juste d'entamer un projet dans le cadre duquel nous voulons aider les Afghans à rédiger les lois, auprès du ministère de la Justice, du Taqnin, qui est l'organe de rédaction des lois. Nous pouvons revenir avec une description plus complète des lois adoptées en Afghanistan au cours des dernières années, mais il y a eu une période au cours de laquelle l'assemblée afghane s'est affairée à rédiger des lois. Les Afghans ont adopté des lois pénales. Il leur en faut davantage.
Il leur faut davantage de lois dans les domaines de la régulation économique, mais on a rédigé des lois récemment. Certaines des lacunes législatives sont comblées à l'aide de décrets présidentiels, pour l'instant.
Les Canadiens reconnaîtraient beaucoup d'éléments parce que le Canada a offert beaucoup d'assistance technique à la rédaction législative et au secteur judiciaire. Si vous voulez plus de détails, sénateur, nous pourrions revenir vous en donner.
Le président : Nous voulons vous poser des questions générales comme les suivantes : un citoyen afghan peut-il s'attendre à pouvoir se faire représenter? Peut-il s'attendre à être arrêté par un policier qui suit un code pour garantir sa sécurité? Peut-il s'attendre à comparaître devant un juge dans des délais raisonnables? Peut-il s'attendre à pouvoir se faire représenter s'il n'a pas les moyens de payer les services d'un avocat?
Mme Buck : C'est une question à laquelle il est difficile de répondre. Cela dépend de l'endroit où l'on se trouve au pays, pour être honnête. Voilà une partie du défi qui se pose en Afghanistan : intégrer les provinces au système judiciaire officiel. Il y a beaucoup d'autres problèmes qui font que les gens ne comparaissent pas toujours devant un juge dans les délais appropriés où ne sont pas toujours traités tout à fait comme les Canadiens peuvent s'attendre à être traités par un policier.
Il y a des problèmes en Afghanistan, mais, comme je l'ai dit, il faut comparer la situation à celle qui existait au moment de la chute des Talibans. On n'est pas en train de reconstruire le secteur judiciaire; on est en train de le construire. Petit à petit, un cours à la fois, on forme les policiers. Par l'intermédiaire de l'ERP, par exemple, nous avons offert des cours de formation à 555 policiers. A-t-on formé tous les policiers d'Afghanistan? Oui. Ont-ils reçu une formation suffisante? Non, pas encore. On a formé des juges, mais il n'y a pas encore de juges formés dans toutes les provinces. Il ne s'agit en aucun cas d'un système parfait. Il faut utiliser comme indicateur le contexte afghan, et non les attentes que nous pouvons avoir comme Canadiens. Dans le contexte afghan, des progrès ont été réalisés.
Le sénateur Peterson : Pouvez-vous nous dire quels sont les progrès que nous réalisons en ce qui a trait à la formation des forces policières nationales et des forces de sécurité en Afghanistan? La formation est-elle terminée à 50 ou à 60 p. 100?
M. Mulroney : En ce qui concerne la police nationale afghane, nous avons fait moins de la moitié du chemin. Cela est attribuable en bonne partie au fait que ce n'est que depuis deux ans que nous avons vraiment commencé à nous occuper de la formation des policiers de façon coordonnée. La police nationale afghane n'a pas été le centre de l'attention internationale, et elle n'a jamais été une institution aussi forte que l'armée nationale afghane au cours de l'histoire du pays.
Nous avons tenté de remédier à cela à l'échelle de la coalition. La principale organisation de formation des États- Unis, le Combined Security Transition Command-Afghanistan, CSTC-A, à Kaboul, est dirigée par les Américains, mais les alliés y participent, notamment le Canada, et l'organisation commence à accélérer la formation des policiers à l'échelle nationale.
À Kandahar, tant les Forces canadiennes que la Gendarmerie royale du Canada accélèrent la formation des policiers à l'échelle locale. Nous avons des équipes de liaison et de mentorat opérationnelles pour la police, des ELMO- P, dans le district. La GRC offre également davantage de formation officielle dans le cadre de l'équipe de reconstruction provinciale, mais il nous reste beaucoup de chemin à faire en ce qui concerne la police.
Il y a deux principaux problèmes. Premièrement, comme vous le savez, la police constitue un élément essentiel des forces de sécurité nationale afghanes. Lorsque nous dégageons une zone, c'est souvent à la police que nous faisons appel pour nous aider à la contrôler. Tant que la police n'est pas là pour contrôler la zone, l'armée doit effectuer plus de travail.
Deuxièmement, en ce qui concerne les simples attentes de la population civile, les citoyens veulent que les forces policières soient opérationnelles et puissent leur offrir une sécurité de base, et il nous reste beaucoup de chemin à faire. Nous nous sommes à tout le moins attelés à cette tâche.
Le sénateur Peterson : Comment paie-t-on les forces?
M. Mulroney : Dans le passé, la police nationale afghane n'a pas reçu de solde régulière. C'était une partie du problème. C'est ce qui a mené à des choses comme l'extorsion sur la route. Le Canada contribue au Fonds d'affectation spéciale pour le maintien de l'ordre en Afghanistan, qu'on utilise pour financer les salaires des policiers, et c'est ce qu'on fait à Kaboul.
Nous envisageons deux modes d'exécution à l'échelle locale. Premièrement, l'Afghanistan fait l'expérience de moyens de s'assurer que la solde des policiers leur est remise en main propre. Les forces canadiennes et américaines, qui supervisent le paiement en soi, ont supervisé cela en partie.
L'infrastructure pose évidemment problème. Il n'y a pas beaucoup de banques et d'endroits où les gens peuvent recevoir leur salaire. Les autorités afghanes sont confrontées au problème de la remise de leur solde aux policiers. Il nous reste du chemin à faire, mais la situation est meilleure à la fin de l'année qu'elle l'était au début de l'année.
Le sénateur Peterson : Vous devez encore perdre des gens. Il doit y avoir des gens qui partent parce qu'ils ne sont pas payés. Cela doit être un obstacle très important au progrès.
M. Mulroney : C'est toujours un problème. Quoique, comme je l'ai dit, dans les parties de la province de Kandahar où nous sommes actifs — et je me suis rendu dans certaines des sous-stations de police et j'ai parlé à certains agents — nous remettons leur solde aux policiers plus efficacement qu'auparavant. Nous sommes confrontés à des problèmes d'infrastructure assez importants lorsqu'il s'agit de remettre des sommes précises à des gens qui se trouvent un peu partout en Afghanistan.
Dans les systèmes traditionnels, les gens gardaient une part de l'argent qui circulait, et cela corrompt la société et est très décourageant pour l'agent de police ordinaire qui met sa vie en jeu pour défendre une collectivité. Avec les autorités afghanes et d'autres groupes ayant les mêmes vues, comme les Américains et les Européens, nous essayons de faire en sorte que cela change.
Le sénateur Banks : Les Talibans n'ont pas de difficulté à faire parvenir l'argent aux gens qu'ils paient; ce n'est qu'un commentaire.
L'une des dispositions du Pacte pour l'Afghanistan — auquel l'Afghanistan est partie —, c'est que les bons fassent ceci et cela. Ce que le pays doit faire, c'est de s'atteler à la tâche pour régler les problèmes de la corruption, du manque du genre d'infrastructure en question et de l'incapacité de payer les agents de police. Fait-on des progrès à cet égard? En fait-on suffisamment? Assez rapidement? Est-ce que cela va à l'encontre de notre intérêt à faire avancer les choses dans ces domaines?
M. Mulroney : Le président Karzai a parlé récemment du problème de la corruption et des effets insidieux qu'elle a sur toute société qui tente de se remettre sur pied. On admet que la corruption est un problème, et on pose des gestes pour le régler que nous trouvons encourageants.
Dans le cadre du processus qui a mené à la conclusion du pacte, le Canada a défendu avec vigueur l'idée de constituer un groupe de gens compétents qui seraient chargés des nominations en Afghanistan. Ainsi, les nominations ne seraient plus simplement faites par les gens puissants, puisqu'un groupe de gens impartiaux les étudierait. On a donné force de loi à ce principe, mais on ne l'a pas appliqué, et le Canada continue de demander qu'il le soit. Nous avons fait des progrès à cet égard, mais nous ne sommes pas contents parce que l'idée n'a pas encore été appliquée, et nous pensons qu'il s'agit d'une chose importante.
Cependant, on a bel et bien créé un mécanisme visant à garantir l'application des décrets du gouvernement central à l'échelle locale. Il y a une nouvelle personne, qui rend des comptes directement au président Karzai, et qui s'occupe de la gouvernance à l'échelle locale, et plus particulièrement des problèmes de gouvernance. Il s'agit du directeur général Popal. Il s'est concentré sur quelques provinces où il y avait des problèmes précis, à porter ces problèmes à l'attention du président Karzai et à recommander la prise de mesures rapides à un niveau élevé. Nous avons vu certaines de ces mesures appliquées.
J'ai rencontré M. Popal il y a quelques semaines. La communauté internationale est d'avis que la bonne personne a été nommée au bon moment. M. Popal a dit qu'il obtient beaucoup de soutien de notre ambassadeur et de notre ambassade en ce qui concerne le fait de convaincre la communauté internationale de lui donner un mandat pour agir au sein du système afghan. Il a dit également que nos partenaires internationaux l'appuient et qu'il doit faire en sorte de corriger la situation à l'échelle locale. Voilà un autre pas dans la bonne direction.
Il y a d'autres domaines où les choses avancent en Afghanistan : premièrement, le fait que le Parlement fonctionne et est en mesure de dénoncer la corruption et, deuxièmement, la présence de médias de plus en plus honnêtes et ouverts, qui dénoncent aussi certaines de ces choses.
Il va falloir beaucoup de temps pour redresser la situation en Afghanistan — beaucoup, beaucoup de temps. Cependant, ce sont des pas importants dans la bonne direction dont nous venons de parler
Lorsque nous nous sommes engagés à intervenir, au sein de la communauté internationale, au début, notre frustration nous a poussés à dire des choses comme : « Nous n'aimons pas que telle personne occupe tel poste; vous devriez la remplacer par un tel. » Les Afghans sont naturellement rétifs à ce genre d'approche. À nos yeux, il ne s'agit pas d'une approche efficace. Nous devrions tout faire dans l'optique de rendre les Afghans de plus en plus autonomes; nous devrions faire en sorte de devenir inutiles. Nous allons de plus en plus signaler les problèmes que nous percevons, ou encore dénoncer la corruption et demander aux fonctionnaires d'enquêter. Cependant, nous attendons des Afghans qu'ils prennent des mesures adéquates et fassent des pas dans la bonne direction.
Ainsi, lorsque nous voyons, par exemple, cette nouvelle personne qui est responsable de la gouvernance à l'échelle locale et qui semble faire du bon travail et avancer dans la bonne direction, nous essayons de lui offrir notre soutien, mais nous évitons de faire le travail à sa place. Comme je l'ai dit, il va falloir du temps pour que les choses s'améliorent à long terme. Il va falloir que l'économie se rétablisse.
Dans tout pays en développement, lorsque les agents de police et des services frontaliers commencent à gagner plus d'argent, ils n'ont plus autant d'intérêt à faire le genre de choses qu'ils faisaient auparavant. Quand on commence à les traiter comme des professionnels, ils commencent à agir à l'avenant. Le processus va être long.
Devons-nous être présents jusqu'à ce que le processus soit terminé? Je ne crois pas. La responsabilité de la communauté internationale, c'est de s'assurer que le processus est lancé et de commencer à susciter l'intérêt et le soutien de la population afghane, en faisant en sorte que les gens voient que les choses fonctionnent et qu'ils veulent participer. Nous ne sommes pas nécessairement obligés de mener les choses à terme. Nous sommes présents dans bon nombre de pays en développement depuis plus longtemps qu'en Afghanistan, et cela demeure un problème.
Le sénateur Peterson : Vous avez mentionné dans votre exposé que vous disposez de 30 millions de dollars pour financer des solutions de rechange à la culture du pavot.
M. Mulroney : Dans le cadre de notre programme de lutte antidrogue.
Le sénateur Peterson : Savez-vous combien rapporte la culture du pavot?
Mme Buck : Il faudrait que nous vous reparlions pour être en mesure de vous donner les chiffres exacts. Je ne les connais pas par cœur.
M. Mulroney : Il s'agit encore d'une part importante du PNB de l'Afghanistan. D'après certaines estimations, il s'agit d'environ 25 à 30 p. 100 de celui-ci.
Le sénateur Peterson : C'est un réel problème. Ces 30 millions de dollars sont un bon début, mais comment allez- vous faire pour gonfler ces fonds et être en mesure de seulement commencer à régler le problème?
M. Mulroney : Il s'agit de la contribution du Canada aux efforts plus importants à l'échelle internationale.
Le problème du trafic de drogue en Afghanistan est semblable à celui de la corruption. Si l'on se fie à l'expérience vécue dans des endroits comme la Turquie et le Triangle d'or, c'est un problème qui prend beaucoup de temps à résoudre. Une partie de la solution, c'est d'offrir d'autres façons de gagner sa vie. Le lien entre le trafic de drogue et la sécurité est complexe. Le trafic de drogue prend de l'expansion là où il n'y a pas de sécurité, et cela rend encore plus grave l'absence de sécurité. L'autre problème, c'est la croissance économique.
Tout ce que j'ai vu ou lu par rapport au problème du trafic de drogue en Afghanistan me porte à croire que les agriculteurs afghans ne cultiveraient pas le pavot s'ils n'avaient pas à le faire, parce qu'il ne s'agit pas d'un commerce particulièrement sûr. Les agriculteurs sont les petits joueurs. Ils sont au bas de l'échelle. Ils font face au risque que posent pour eux les bandits, les voleurs et méchants qui sont au-dessus d'eux. Ce n'est pas un commerce très sûr. Ils savent que le gouvernement est contre la culture du pavot pour en faire de l'opium. Enfin, cela va à l'encontre de l'enseignement religieux, de l'Islam. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles ils préféreraient ne pas cultiver le pavot, mais dans les régions où il y a absence de gouvernement et de sécurité, où il n'y a pas d'infrastructures leur permettant de mettre leurs produits en marché et où les gangs ou encore les Talibans dominent, la culture du pavot est en croissance.
Dans toute société dont nous avons eu l'expérience, c'est l'accroissement de la sécurité et la croissance économique qui permettent ensemble de commencer à lutter contre la culture et le trafic de drogue.
Il y a des gens qui disent qu'il faudrait peut-être légaliser la production du pavot. C'est peut-être une solution. L'Afghanistan n'a cependant pas un avantage comparé dans ce domaine. Il y a d'autres pays qui ont un avantage comparé plus important. Malheureusement, dans certaines régions, l'Afghanistan a bel et bien un avantage comparé du fait de l'absence d'ordre. En faisant des progrès dans ces régions, nous allons avancer, comme nous le constatons dans le Nord de l'Afghanistan. Dans le Sud, il va falloir beaucoup de temps.
Le sénateur Peterson : Si le Canada retire ses troupes en 2009 et qu'elles ne sont pas remplacées par celles d'autres pays de l'OTAN, quelles seront les répercussions?
M. Mulroney : Le problème de la sécurité dans le sud de l'Afghanistan est suffisamment complexe pour rendre nécessaire une quelconque forme de partenariat dans la région pour un certain temps.
Le président : Pour donner suite aux questions sur le pavot, le comité a rencontré récemment l'ambassadeur afghan au Canada, et celui-ci a formulé trois observations. Je me demande si vous pourriez nous expliquer les liens entre celles- ci.
La première, c'est que le gouvernement afghan n'est actuellement pas en faveur de l'éradication de la culture du pavot. La deuxième, c'est qu'il envisage de subventionner les agriculteurs qui le cultivent. La troisième, c'est qu'il n'appuie pas la proposition du Senlis Council d'utiliser les produits du pavot pour en faire des médicaments.
M. Mulroney : Je vais être prudent s'il s'agit d'interpréter le propos de l'ambassadeur afghan.
Je ne sais pas s'il parlait de détruire les champs de pavot par voie aérienne ou terrestre. Le gouvernement afghan a autorisé l'arrachement à la main des plants de pavot.
Le président : Il parlait de l'épandage aérien. Je ne vous demandais pas de commenter ses remarques, mais je voulais savoir quelle était la position du Canada sur ces trois sujets.
M. Mulroney : La position du Canada a eu tendance à porter sur un certain nombre d'éléments. L'un d'entre eux est les solutions de rechange pour permettre aux agriculteurs de gagner leur vie, et il y a aussi le renforcement du système judiciaire, pour qu'il y ait des procureurs, des juges et des policiers formés pour la lutte antidrogue.
Certaines formes d'arrachement à la main dans des endroits contrôlés peuvent être efficaces, mais la question plus générale de la suppression de la culture du pavot exige d'obtenir le soutien des collectivités et de travailler avec elles. Tout programme de suppression du pavot doit être élaboré avec soin, de façon à ne pas générer davantage d'opposition que de progrès.
En ce qui concerne les subventions, notre solution privilégiée dans ce domaine serait d'offrir le plus rapidement possible aux agriculteurs des solutions de rechange viables sur le plan économique. En fait, ce qu'il faut, c'est de rétablir certaines formes traditionnelles d'agriculture dans le sud de l'Afghanistan plutôt que de créer quelque chose qui ne soit pas durable. Si l'on fait en sorte que les agriculteurs puissent recommencer à faire pousser du blé et à nourrir leur famille et leurs animaux et à avoir du blé à vendre, ce sera une bonne chose. Il y a peut-être d'autres cultures qui pourraient être viables à long terme. L'idée, c'est de créer un système qui n'exigera pas d'intervention extérieure, mais qui fonctionnera pour les Afghans.
Nous sommes d'avis que les meilleurs systèmes sont ceux qui ont toujours fonctionné pour les Afghans. Le sud de l'Afghanistan a été autrefois une zone agricole très productive. La région est connue pour sa production de fruits, de raisins secs, de pommes grenades, de raisins et de blé. Nous pensons que, si la sécurité était assurée et qu'on travaillait davantage à l'infrastructure — les puits, les systèmes d'irrigation et les routes, pour que les agriculteurs puissent mettre leurs produits en marché — il serait peut-être possible de permettre aux agriculteurs de faire plus facilement ce qu'ils souhaiteraient probablement faire de toute façon.
En ce qui concerne la proposition du Senlis Council, la légalisation du pavot est l'une des choses que le Council a examinées. Cette approche comporte un certain nombre de défauts majeurs. D'après ce que je sais, dans les pays en développement où la culture du pavot est réglementée, de 30 à 40 p. 100 environ de la production aboutit sur le marché noir. L'Afghanistan est un important producteur d'opium, mais c'est loin d'être l'ensemble des terres cultivables qui sont utilisées pour la production de l'opium. Si vous créez un mécanisme d'établissement des prix, l'un des effets pratiquement inévitables serait d'inciter davantage de gens à produire de l'opium. Dans un pays à l'infrastructure aussi réduite, la probabilité que plus de 30 à 40 p. 100 de la production aboutissent sur le marché noir est beaucoup plus importante que dans les autres pays producteurs, et la production de l'Afghanistan est beaucoup plus importante. Je pense que la situation ne permet pas de réglementer ainsi la production en Afghanistan.
Si l'on veut aborder les choses du point de vue de la viabilité, ne serait-il pas davantage indiqué de ramener les Afghans vers une forme de production agricole qu'ils connaissent, qui est naturelle pour eux et qui s'autosuffit, plutôt que vers une forme qui exige un degré élevé d'intervention et de contrôle de la part des pays étrangers? C'est une espèce d'idée fixe qu'a le Senlis Council, mais je pense que cette idée est fondamentalement mauvaise. Je ne crois pas que cela soit bon pour la croissance à long terme de l'Afghanistan ou pour des pays comme le Canada qui subissent les conséquences de la production illégale d'opium dans les pays comme l'Afghanistan.
Le président : Est-ce que j'ai bien compris ce que vous avez dit, c'est-à-dire que les pommes grenades, les raisins et le blé seraient des choix rationnels sur le plan économique pour les agriculteurs, s'ils avaient aussi la possibilité de cultiver du pavot?
M. Mulroney : Non. Plutôt que de cultiver le pavot qui sert à fabriquer l'opium, et qui est illégal, dangereux, manifestement nuisible et qui favorise la corruption, je pense que ce serait mieux pour tout le monde, et que ce serait mieux pour les agriculteurs afghans, s'ils cultivaient ce qu'ils cultivaient auparavant et qui pousse très bien dans le sud de l'Afghanistan.
Le président : Arriveraient-ils à vivre aussi bien que s'ils faisaient pousser du pavot?
M. Mulroney : Je pense que oui, si le contexte économique le permettant existait. La production de pavot exige beaucoup de main-d'œuvre, alors il faut embaucher beaucoup de gens. L'agriculteur est également menacé de se faire taxer par tous les bandits qui sont au-dessus de lui dans le système. On ne peut donner de l'opium à manger à ses animaux, et les agriculteurs ont tendance à ne pas disposer d'autres moyens de production. Ils utilisent leur temps pour cultiver un produit qui ne leur permet pas de nourrir leur famille. Si le gouvernement intervient et confisque leur récolte, ou si les dirigeants du cartel avec lequel ils font affaire les arnaquent, ils perdent tout. C'est une façon très précaire de gagner sa vie.
Si l'on compare l'économie de la production de l'opium, avec tous les risques et tout l'argent dont l'agriculteur ne voit jamais la couleur, avec par exemple la production de blé, compte tenu du fait qu'on peut utiliser le blé comme nourriture mais également donner la paille à manger à ses bovins et faire pousser du blé avec beaucoup moins de main- d'œuvre qu'il en faut pour faire pousser du pavot, on constate que les chiffres ne sont pas si éloignés qu'ils semblent l'être.
Ajoutez à cela l'élément sécurité et le fait que la culture et les croyances religieuses afghanes traditionnelles permettent la culture du blé, et vous constaterez que l'écart n'est pas aussi important que lorsque ce sont des gens comme ceux du Senlis Council qui dépeignent la situation.
[français]
Le sénateur Nolin : Lorsqu'on aborde les questions d'opium et de drogue, de cartel et de mafia, on a malheureusement tendance à mélanger plusieurs concepts. On doit avoir une discussion rigoureuse.
Dans votre réponse, vous avez parlé de la Turquie. Il serait important que vous disiez, si vous le savez, comment la Turquie est devenue un des pays producteurs d'opium médicinal. Je pense qu'il serait important que les gens le sachent. Si vous ne connaissez pas la réponse, moi je l'ai : c'est parce qu'il y avait un problème de culture de pavot. Savez-vous combien de pays produisent de l'opium à des fins médicinales? Cinq. Et la plupart de ces pays sont devenus des producteurs parce qu'ils avaient justement des problèmes de culture. Ils ont transformé une culture illégale en une culture légale.
Il faut donner de la rigueur à l'analyse que l'on fait à la proposition du Senlis Council, qui peut paraître assez extravagante, lorsqu'on ne s'arrête pas à en examiner les prémisses de base. Nous, les pays occidentaux, nos alliés qui sont en Afghanistan, consommons, selon vous, combien de la production des produits médicinaux produits à partir du pavot, en termes de pourcentage sur la production mondiale? Nous consommons, d'après vous, quel pourcentage de tous les médicaments légaux produits à partir d'un pavot cultivé, en vertu d'un permis autorisé par l'Agence de contrôle à Vienne?
M. Mulroney : Je ne sais pas.
Le sénateur Nolin : Quatre-vingt pour cent. Nous sommes 20 p. 100 de la population du monde. Donc, l'inverse est aussi vrai. Il y a 80 p. 100 de la population qui ne doit se satisfaire que de 20 p. 100. Vous voyez sur quoi s'assoie l'analyse du Senlis Council? C'est pour cette raison qu'il faut aller au-delà des réponses faciles comme dire que c'est trop extravagant. Je pense qu'il faut reprendre la même analyse qui a été prise au moment de la Turquie, au moment de l'Inde, l'Australie qui avait un problème; je vous énumère les pays qui ont des problèmes. Et ce sont tous nos alliés.
Est-ce qu'il y a, à l'intérieur du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, des gens qui ont réfléchi sérieusement à la proposition du Senlis Council?
[traduction]
M. Mulroney : Des gens de mon ministère et d'autres ministères se penchent là-dessus. Nous utilisons aussi les analyses d'organisations multilatérales et de chercheurs indépendants. Il y a des considérations importantes à cet égard. Premièrement, même si la production est réglementée, dans certains de ces États, cela n'empêche pas une partie de la production d'aboutir sur le marché noir, surtout dans les pays qui sont vraiment encore en développement. L'Afghanistan est un pays beaucoup moins développé que ceux dont j'ai parlé, et le contrôle qu'il faudrait exercer pour s'assurer que la production n'aboutit pas sur le marché noir dépasse, à mon avis, la capacité de l'Afghanistan et exercerait certainement une pression sur les ressources internationales.
Deuxièmement, selon la plupart des estimations, seulement 10 p. 100 des terres de l'Afghanistan où la culture du pavot est possible sont utilisées pour la production d'opium. Nous voulons nous assurer de ne pas faire augmenter la production d'opium en Afghanistan en créant deux marchés.
Troisièmement, l'Australie est probablement un pays mieux adapté à la production de pavot que l'Afghanistan, mais l'Australie est beaucoup mieux placée pour contrôler la production d'un produit en forte demande sur le marché noir.
Les analyses effectuées par des observateurs internationaux respectés dont j'ai pris connaissance montrent que ces problèmes sont importants, et qu'avant d'emprunter cette voie, il faudrait s'assurer que les gens ont une réponse solide, et je n'ai pas vu cela jusqu'à maintenant.
D'après tout ce que je connais des principes de développement, je pense que le développement agricole dans le sud de l'Afghanistan ne se fait pas bien, puisqu'une bonne partie des terres est utilisée pour cultiver un produit que les gens de l'endroit ne peuvent utiliser. J'aimerais que nous travaillions de concert à rétablir la culture dans le sud de l'Afghanistan de produits plus traditionnels, plus inoffensifs et plus utiles. Je serais le premier à dire que ce serait une très bonne chose pour l'Afghanistan de prendre une place dans le secteur de l'industrie pharmaceutique, mais je ne pense pas que ce soit une bonne idée pour l'Afghanistan actuelle. Je pense qu'il y a beaucoup de chemin à faire avant cela, et je ne pense pas que nous pouvons passer d'un coup de la production de pavot pour faire de l'opium, qui est un énorme problème, à la production pour le secteur pharmaceutique. Ce n'est pas la solution miracle.
[français]
Le sénateur Nolin : Je ne pense pas que les gens rêvent en couleur. L'objectif premier, on s'entend, est d'offrir à ces agriculteurs, qui sont des Afghans, un revenu qui soit au moins l'équivalent du revenu qu'ils reçoivent, en ce moment, de façon complètement illégale. De là à transformer l'industrie...
En passant, il y a une correction qui doit être faite : vous avez parlé de l'importance sur la valeur économique du pays; c'est beaucoup plus que 25 p. 100, c'est près de 65 p. 100 du potentiel économique de la culture illégale, c'est énorme. Et c'est près de 90 p. 100 de la culture mondiale illégale du pavot. L'objectif n'est donc pas de transformer la culture du pavot en une immense industrie pharmaceutique, mais plutôt de voir si c'est faisable.
Ma question est la suivante — et je vais être assez brutal — : Vienne, qui est l'agence à laquelle vous faites référence — quand vous parlez d'organisme international, vous nous parlez de l'Agence du contrôle des drogues à Vienne —, en moins d'une journée, a repoussé du revers de la main la proposition du Senlis Council. Est-ce que le Canada est prêt à s'asseoir et à réfléchir sérieusement à toutes les options? Faisons une étude de faisabilité : qu'est-ce que cela prendrait pour prendre une partie de cette culture et la transformer en culture légale, pour 80 p. 100 de la population qui est principalement dans ces régions? Même si l'Inde est un des pays producteurs, une grande partie de la population de l'Inde n'a pas accès à des produits médicinaux pour réduire ma douleur, votre douleur, la douleur de tous les membres du comité lorsqu'on souffre. Il nous est facile d'obtenir de la codéine ou un produit opiacé, les médecins vont nous le prescrire et le pharmacien va nous le vendre. C'est beaucoup plus compliqué dans certains pays.
Donc, c'est une étude de faisabilité qu'ils veulent. Est-ce que le Canada serait prêt à s'asseoir — cela peut sembler farfelu parce qu'on utilise le mot « légalisation » — et à en examiner sérieusement la faisabilité? On est quand même dans un pays où tout est à faire alors pourquoi ne pas examiner cette possibilité? Est-ce que vous seriez prêt à faire cela?
[traduction]
M. Mulroney : Sénateur, nous sommes prêts à envisager et à promouvoir tout un éventail d'options pour l'Afghanistan en matière de croissance économique. Si je fais mon propre classement, cette option n'arrive pas en tête de liste. Je pense que nous devons envisager d'autres choses avant d'en arriver à cela. Sincèrement, c'est ce que j'évalue.
Le président : Puisque nous avons parlé du Senlis Council, pourriez-vous nous donner une idée du poids que vous accordez aux rapports et études que le Council a faits à cet égard? Il semble que ce soit le seul groupe d'ONG actif à Kandahar qui a effectué des sondages d'opinion publique.
M. Mulroney : Au cours des deux ou trois dernières années, nous avons été témoins de pas mal d'activités dans le domaine des sondages d'opinion publique, et ce sont des organisations comme Environics et la Fondation pour l'Asie qui ont été actives dans ce domaine.
Le Senlis Council a effectué certains travaux de recherche, mais lorsque je l'ai consulté, j'ai eu l'impression que les recherches avaient été effectuées de façon sélective, en ce sens qu'elles ne portaient que sur des hommes, je pense, dans une partie de l'Afghanistan. J'ai vu d'autres travaux de recherche sur l'opinion publique dont j'ai trouvé la démarche plus prudente et plus professionnelle. Le Senlis Council fonde une bonne partie de son analyse sur ce que les chercheurs du Council disent avoir observé dans le Sud. Ce n'est pas la seule ONG qui est active là-bas. D'autres comme le Comité international de la Croix-Rouge, le CICR, ou encore le Programme alimentaire mondial, sont moins enclines à parler publiquement de ce qu'elles disent et font. Il y a des organisations multilatérales ou d'autres organisations non gouvernementales qui sont actives dans le Sud. Aucune ne s'exprime avec autant de vigueur que le Senlis Council, mais elles ont toutes leurs propres idées.
Mme Buck : Il vaudrait peut-être la peine que les membres du comité prennent le temps de lire certaines des observations faites par les ONG du Canada qui sont actives en Afghanistan et qui connaissent très bien le pays. Je pense à Nigel Fisher de l'UNICEF, qui a passé plusieurs années en Afghanistan. Il a parlé récemment du rapport du Senlis Council. Pour être franche, l'orientation et le ton des rapports du Council soulèvent des questions chez les ONG du Canada qui connaissent bien l'Afghanistan.
Le président : Y a-t-il une différence entre bien connaître l'Afghanistan et bien connaître le Sud?
M. Mulroney : Oui. Nigel Fisher s'est rendu dans le Sud. J'entends souvent parler également de l'Américaine qui a été journaliste et qui a mis sur pied sa propre petite entreprise à Kandahar. Il y a d'autres personnes au sein du système de l'ONU, outre les Canadiens dont on a en quelque sorte l'habitude qu'ils nous communiquent ce qu'ils voient à Kandahar.
J'essaie d'écouter tout le monde. Je me suis moi-même rendu à Kandahar environ cinq fois cette année. Là-bas, j'essaie de parler aux Afghans autant qu'aux intervenants internationaux, pour essayer de commencer à comprendre ce qui se passe. C'est grand, comme vous le savez, et je pense qu'il faut faire le tri des points de vue pour commencer à comprendre ce qui se passe.
Le président : Est-ce que vous affirmez que le Senlis Council a des intentions cachées?
M. Mulroney : Ce que je pense, c'est que beaucoup de leurs documents sont de nature anecdotique : « Je me suis rendu à tel endroit et j'ai vu telle chose. » Ça a une certaine valeur, mais je trouve que ce n'est ni systématique, ni fondé sur une analyse approfondie. C'est souvent impressionniste. M. Wallace en parlera peut-être au cours de sa prochaine séance, mais certaines des critiques concernant l'hôpital se résument souvent au fait que les hôpitaux en Afghanistan ne sont pas toujours très jolis. On voit des choses dans les hôpitaux là-bas qu'on ne s'attendrait pas à voir au Canada. Beaucoup de gens, notamment de la Croix-Rouge, diraient que l'hôpital qu'ont visité des membres du Senlis Council est l'un des meilleurs à Kandahar, et qu'il est mieux qu'avant. Il existe des indicateurs de progrès qu'on peut examiner.
Le président : Lorsque les représentants du Senlis Council ont comparu devant nous, ils ont allégué que l'hôpital en question n'existe pas.
M. Mulroney : Je crois qu'il existe bel et bien et je prends au sérieux le point de vue exprimé non seulement par mes collègues de l'ACDI, mais aussi par les représentants du CICR, de la Croix-Rouge, et des gens de Kandahar et du ministre du développement à Kaboul.
Je n'écarte pas l'idée que d'autres voix puissent s'exprimer — il faut les écouter aussi —, mais je ne dirais pas que ce sont des points de vue parfaitement crédibles, par rapport à celui des gens qui tiennent des propos un peu différents.
Ont-ils un but en tête? Je ne sais pas.
Le président : Pouvez-vous nous dire quel est le rôle de votre ministère par rapport à l'Équipe consultative stratégique à Kaboul?
M. Mulroney : L'Équipe consultative stratégique est une idée brillante du général Rick Hillier, qui a vu dès le départ, au moment où nous n'étions pas présents à Kaboul, que les nouveaux ministères devaient pouvoir compter sur des gens aptes à leur fournir une aide tout à fait élémentaire à certains égards — par exemple pour la façon de s'organiser, la façon d'organiser des réunions, la façon de tenir des réunions, la façon de recruter du personnel et la façon de mettre sur pied un ministère. Les Afghans que j'ai interrogés à propos du travail des colonels ainsi dépêchés par les Forces canadiennes dans les divers ministères là-bas ont tenu des propos uniformément positifs.
Au fil du temps, nous avons fini par avoir une présence canadienne nettement plus importante à Kaboul. Nous avons travaillé avec le général Hillier et le général Gauthier, ainsi qu'avec les gens qui dirigent le travail de l'équipe consultative stratégique, pour commencer à intégrer cette dernière à la structure. C'est une équipe qui a d'abord et avant tout une vocation militaire, mais les membres sont comptables à l'ambassadeur. C'est lui qui leur indique les ministères où nous voulons être présents, les liens qu'il faut faire avec les priorités nationales de l'Afghanistan et les questions sur lesquelles nous souhaitons nous concentrer.
Nous prévoyons plus de places pour les civils dans l'Équipe consultative stratégique, ce pourquoi Stephen Wallace nous a apporté une aide utile. Nous avons eu en Afghanistan une mission dont les objectifs comprenaient un examen de l'Équipe consultative stratégique — pour voir ce que nous avons appris; pour déterminer où nous en sommes, trois ou quatre ans après l'arrivée de l'équipe là-bas — les fonctions qu'elle exerce demeurent-elles nécessaires? Exerce-t-elle d'autres fonctions? Pourrons-nous appliquer à Kandahar certaines des leçons apprises à Kaboul?
Dans le cas de Kandahar, je crois que nous faisons un bon travail dans l'arrière-pays. Nous avons parlé des conseils de développement communautaire. Nous faisons un bon travail pour ce qui est des projets à impact rapide que les forces mettent en application, et nous commençons à nous pencher sur les besoins d'infrastructures plus importants comme l'irrigation et l'approvisionnement en eau. Nous faisons un bon travail pour ce qui est de mettre sur pied la formation des forces policières, mais qu'en est-il de la gouvernance au sens élémentaire du terme? Comment le gouverneur s'organise-t-il? Comment fait-il le lien avec les programmes de Kaboul et comment s'organise-t-il pour fournir de l'électricité, de l'eau potable, pour s'occuper des douanes et de la fiscalité? Comment cela se passe-t-il lorsqu'on essaie de mettre sur pied une entreprise à Kandahar? Le gouvernement réagit-il? C'est un champ d'action où l'avis de l'habitant moyen de Kandahar nous intéresse vivement. Cela nous intéresse et cela intéresse le président Karzai. C'est que nous voulons nous assurer que l'homme moyen à Kandahar croit que le gouvernement travaille pour lui.
L'établissement de l'Équipe consultative stratégique à Kaboul nous révèle peut-être des idées que nous pourrions appliquer sous une forme ou une autre à Kandahar. Trop souvent, le gouvernement afghan est incarné par un type qui, muni d'un téléphone cellulaire, est appelé à résoudre toutes sortes de problèmes particuliers. Voici un problème qu'il parvient à régler; en voilà un autre qu'il réussit à résoudre. Le lendemain, un autre Afghan éprouve le même problème; un fonctionnaire de haut rang prend donc son téléphone cellulaire pour régler ce problème-là aussi. Comment mettre en place des systèmes et des procédures pour que tout ne dépende pas de quelques fonctionnaires surchargés, autrement dit commencer à mettre en place un réseau de professionnels qui se chargent d'offrir des services de manière professionnelle? Notre Équipe consultative stratégique nous paraît effectuer une sorte de travail de laboratoire qui peut nous éclairer la voie.
Le président : Je vois pourquoi le général Hillier trouve qu'il est logique de saisir l'occasion qui se présente, dans la mesure où il entretient de bons liens avec M. Karzai. Tout de même, ça ne semble pas être un travail militaire pour l'instant. Néanmoins, l'armée continue de jouer un rôle clé à cet égard.
M. Mulroney : L'armée continue de jouer un rôle clé parce qu'elle fournit le personnel. Elle a délégué des gens d'expérience dans les ministères en question. Tout de même, il y a une modification qui est évidente : d'après le mandat de l'ambassadeur Lalani, le colonel à la tête de l'Équipe consultative stratégique doit signaler à l'ambassadeur les plans et les objectifs prévus avant d'entreprendre quelque projet d'envergure que ce soit, même s'il a d'autres comptes à rendre dans la hiérarchie militaire. Il y a maintenant des responsables de l'ACDI au sein de l'Équipe consultative stratégique, et nous nous demandons si nous devrions donner de l'expansion à l'équipe installée à Kaboul. Nous n'avons pas encore décidé de cela, mais si nous donnons de l'expansion à l'ECS, nous allons y inclure davantage de civils et pas seulement en provenance des ministères, mais aussi, peut-être, des retraités ayant de l'expérience de la production de l'électricité ou du travail au sein du ministère de la Justice d'une province. Sinon, nous étudions la situation et adoptons une solution semblable à ce qui se fait à Kandahar.
À Kandahar, quel que soit le projet dont il est question, c'est un nombre encore plus élevé de civils qui interviennent. Par contre, dans les lieux comme Kandahar, il y a aussi le problème de la sécurité. Il est justifié de compter sur certains militaires, tout au moins, car ils ont plus facilement accès à certains lieux, par rapport aux civils.
Le président : Vous parlez de l'idée d'installer une sorte de consul général à Kandahar. Quel rôle aurait une telle personne? Elle ne serait évidemment pas là pour délivrer des passeports. Quel serait le lien entre cette personne et l'armée là-bas? S'en remettrait-on à un comité? La personne en question serait-elle la première de la hiérarchie à Kandahar?
M. Mulroney : Ce sont toutes là de bonnes questions.
C'est notre étude du rôle de l'ambassadeur à Kaboul qui nous a inspiré l'idée. Il nous fallait signaler clairement aux gens du service extérieur, par exemple, que le poste de Kaboul était l'un des plus importants; maintenant, c'est comme être ambassadeur en Allemagne ou haut-commissaire en Inde.
J'appelle l'ambassadeur de Kaboul mon agent de cohérence. Il se penche sur tous les programmes — le programme de l'ACDI, les mesures de la GRC, le programme de services consulaires et nos mesures en matière de justice, de gouvernance et d'affaires étrangères — et il lui revient de nous dire, à moi et aux gens d'Ottawa, si cela paraît logique, si nous sommes concentrés sur la tâche et si nous parvenons à l'équilibre recherché. S'il est d'avis que nous n'y arrivons pas, il me le dit à moi et aux sous-ministres.
Comme il n'est pas toujours facile de se rendre de Kaboul à Kandahar, il nous faut quelqu'un à Kandahar qui est comptable à l'ambassadeur et qui est comptable à moi par le truchement de l'ambassadeur.
Avec la mise en place de mesures à divers égards — services extérieurs, ACDI, GRC et services correctionnels — sur le terrain même, il est bon de voir que les efforts portent fruit. L'activité de programme s'intensifie. Tout de même, je veux m'assurer que les mesures sont appliquées de manière cohérente et qu'elles tendent vers les fins et les objectifs que nous avons adoptés d'un commun accord à Ottawa en étudiant nos projets pour le Canada et l'Afghanistan. La personne dont il est question, c'est celle qui s'assoit périodiquement avec les civils et dit : « Je veux que vous me disiez ce que vous faites. Assurons-nous de demeurer sur la voie que nous avons tracée. » Si ce n'est pas le cas, il s'adresse à l'ambassadeur.
Il, ou elle, est le premier coordonnateur du côté civil — nous sommes en train d'étudier les candidatures — et c'est le premier responsable à Kandahar des programmes du gouvernement canadien, mais sans être le supérieur hiérarchique du brigadier-général en ce qui concerne le travail de la Force opérationnelle en Afghanistan. Cela suppose un degré élevé de collaboration entre le général et le premier responsable civil. Nous n'avons jamais fonctionné tout à fait de cette façon auparavant, mais il s'agit d'une étape essentielle à venir.
De la façon dont je vois l'évolution des choses, le transfert à des civils de certaines des fonctions de développement dont il est question finira par transformer un rôle qui est axé d'abord sur la sécurité — si bien que certaines des tâches de développement et de gouvernance relèveront de spécialistes civils — jusqu'à ce que les Afghans eux-mêmes s'approprient les tâches. Dépêcher davantage de civils à Kandahar et mettre en place ce pourquoi ils sont spécialisés et formés : voilà l'étape que nous appliquons en ce moment. Le premier responsable civil sera appelé à jouer un rôle clé du point de vue de la coordination des tâches en question, en étant responsable de ce qui se produit devant l'ambassadeur et devant moi.
Le président : Merci, monsieur Mulroney. Notre ennemi est toujours le temps. Nous avons dépassé l'heure qui était fixée. Au nom du comité, je tiens à vous remercier, vous et Mme Buck, d'être venus comparaître. Votre témoignage s'est révélé utile, et nous espérons pouvoir vous appeler à comparaître de nouveau à l'avenir.
Le général McDonald communiquera avec vous sous peu pour discuter de diverses questions, mais nous vous sommes reconnaissants d'être venus témoigner et de nous avoir mieux fait comprendre la situation.
Nous accueillons un groupe mixte. J'ai le plaisir de vous présenter M. Stephen Wallace, de l'Agence canadienne du développement international. M. Wallace a consacré une bonne part de sa carrière au développement et aux affaires internationales. Ces dernières années, il est responsable spécial de l'ACDI pour les zones de conflit comme la Bosnie et le Kosovo. Il a été responsable de la politique de développement pour l'Afrique et le Moyen-Orient, et a exercé les fonctions de secrétaire adjoint des opérations gouvernementales au Conseil du Trésor. En 2005, il a été nommé vice- président à la Direction générale des politiques de l'ACDI. En mars 2007, il a pris en charge la responsabilité d'un Groupe de travail élargi sur l'Afghanistan à l'ACDI.
J'aimerais présenter aussi les autres membres de notre groupe de témoins, soit deux agents de la Gendarmerie royale du Canada. Nous accueillons le sous-commissaire Pierre-Yves Bourduas. Le sous-commissaire Bourduas s'est joint à la GRC en 1975. Il y a exercé de nombreuses fonctions, entre autres à l'Unité mixte des produits de la criminalité et au Programme de la sécurité des ports nationaux. En décembre 2005, il a été promu au poste de sous-commissaire des Services fédéraux et de la Région du Centre. À ce titre, il est responsable des opérations fédérales et internationales ainsi que de la police de protection aux divisions A, C et O de la Région du Centre.
Après cela, reste-t-il quelque chose à faire?
Pierre-Yves Bourduas, sous-commissaire, Services fédéraux et Région centrale, Gendarmerie royale du Canada : Trouver de quoi meubler ma vie personnelle, essentiellement.
Le président : Il est accompagné du surintendant principal David Beer. M. Beer vient témoigner à titre de directeur général, Police internationale.
Stephen Wallace, vice-président, Groupe de travail sur l'Afghanistan, Agence canadienne du développement international : Merci de nous inviter à discuter aujourd'hui au Sénat de l'Afghanistan, pays qui reçoit la plus grande somme d'aide étrangère canadienne qui ait jamais été versée.
Permettez-moi de dire en commençant que l'Afghanistan est distinct. C'est un pays dont la situation, de notre point de vue à nous, est pire que la pauvreté. Prenez 30 années de conflit, de destruction et d'oppression, ajoutez-y le fait que le pays vient au cinquième rang parmi les plus pauvres qui soient sur terre : voilà qu'une série de tâches redoutables attend quiconque envisage de reconstruire le pays.
Je me suis rendu en Afghanistan plusieurs fois au cours de l'année qui vient de se terminer. C'est un pays où il reste encore beaucoup à faire. Tout de même, à chaque voyage — et j'en ai fait quatre au cours des 12 derniers mois —, j'ai été encouragé de constater le rythme auquel les choses progressent. J'aimerais parler un peu de ce progrès.
Les signes abondent quant à ce qui s'implante actuellement en Afghanistan. Ce sont des signes que nous voyons non seulement en consultant les statistiques relatives au développement — et je peux vous en parler si vous le souhaitez —, mais aussi en regardant ce que font les membres de notre personnel et nos partenaires, en notant les discussions qu'ils ont avec les gens à l'échelle des villages et au-delà.
La réalité sur le terrain a de quoi impressionner en Afghanistan. Cela dit, tout de même, il ne faut pas refuser de voir les progrès que nous avons faits. Nous pouvons observer un développement en action à Kandahar et en Afghanistan en ce moment même, effort de développement qui est conjugué aux efforts politiques et diplomatiques dirigés par Affaires étrangères et Commerce international Canada ainsi qu'au travail de sécurité mené grâce aux soins extraordinaires des Forces canadiennes, appuyées par la GRC et le Service correctionnel du Canada. C'est véritablement un effort pangouvernemental.
Les deux diagrammes que j'ai fait circuler parmi vous donnent une idée des progrès réalisés jusqu'à maintenant. Il y est question des trois aspects du Pacte de l'Afghanistan, que vous connaissez bien : la sécurité, la gouvernance et le développement socioéconomique.
De plus en plus, justement, il s'agit d'un effort concerté de nature pangouvernementale dont les effets se font ressentir, surtout ces derniers temps, dans plusieurs secteurs opérationnels : la planification conjointe des opérations et la formation conjointe. Tous les membres du personnel de l'ACDI se prêtent à une formation aux côtés des membres du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes. Cet effort concerté, à nos yeux, est indispensable au succès de l'effort fait en Afghanistan et de l'effort qui y est déployé par le Canada.
L'an dernier, l'ACDI a investi 139 millions de dollars dans une panoplie de programmes dont l'administration relève du gouvernement afghan et d'autres partenaires réputés sur le terrain comme l'UNICEF et CARE Canada.
Nos programmes ont été multipliés par huit depuis un an dans Kandahar. Nous sommes maintenant à l'œuvre dans chacun des districts de la province.
[français]
Aujourd'hui en Afghanistan, les filles et les mères apprennent, elles vont à l'école. Six millions d'enfants sont à l'école. Un tiers de ces enfants sont des filles. Il y a cinq ou six ans, il y avait 700 000 personnes à l'école, tous des garçons.
Le programme d'alphabétisation de Kandahar, le seul programme que nous avons cette année avec UNICEF, touche tout près de 6 000 adultes, dont 90 p. 100 sont des femmes. Sur les plans de l'éducation et de l'alphabétisation, il y a là une histoire concrète de progrès qui change ce pays.
[traduction]
Il y a des marchés animés et d'autres signes que l'esprit d'entreprise est en marche, grâce à la contribution importante du Canada au programme de microfinancement. Le programme en question compte entre 3 000 et 4 000 nouveaux clients toutes les semaines. On en est à plus de 400 000 clients pour un programme qui a mérité des prix internationaux et dont les deux tiers des clients sont des clientes. Le revenu par habitant est encore désespérément bas, mais il a doublé depuis quatre ans.
En milieu rural, les routes détruites dans les combats sont refaites avec l'assistance du Canada. Au dernier compte, ce sont 6 000 kilomètres de route qui ont été remis en état, et c'est un travail qui se poursuit.
L'aide alimentaire subvient aux besoins de gens vulnérables et stimule la croissance locale à des endroits où les catastrophes naturelles, les conflits et les mines terrestres sont à l'origine de localités parmi les plus pauvres qui soient dans le monde. Plus de 8 700 tonnes métriques d'aide alimentaire ont été distribuées à plus de 400 000 bénéficiaires dans la seule province de Kandahar depuis un an. Un village à la fois, une ville à la fois, la démocratie se déploie de plus en plus.
Honorables sénateurs, vous êtes tous conscients de l'existence des conseils de développement communautaire. Il y en a maintenant plus de 18 000 qui oeuvrent au pays. Ils mobilisent les ressources locales; ils dispensent toute une série de services, y compris l'approvisionnement en eau potable, le transport, l'irrigation, la santé et l'éducation; et ils font que la voix des collectivités peut être entendue à l'échelle des districts et des provinces. Dans la province de Kandahar, les conseils en question ont réalisé plus de 600 projets qui présentent un intérêt vital du point de vue économique et social.
Presque aucun de ces projets n'a fait l'objet d'une attaque. À notre avis, au cours des six à huit prochains mois, 1 000 projets auront été menés à bien dans la province de Kandahar grâce à ces conseils de développement communautaire.
Par rapport à la situation qui existait en 2001, il faut dire qu'il y a des choses que nous ne voyons plus en Afghanistan. Nous ne voyons plus autant de femmes et d'enfants malades ou mourants que dans le passé. Aux côtés de leurs partenaires internationaux, les Canadiens ont administré presque un demi-million de vaccins dans la province de Kandahar, pour protéger les personnes les plus vulnérables contre la polio, la rougeole et le tétanos. Grâce à ce programme et à d'autres, la mortalité infantile a diminué de 22 p. 100 au pays, et ce sont 40 000 bébés de plus qui survivent tous les ans.
Nous ne voyons plus autant d'amputés qu'il y a quelques années grâce à la contribution du Canada au travail de déminage accompli par la communauté internationale en Afghanistan. Plus d'un milliard de mètres carrés de terrain ont été déminés, de sorte que la terre peut maintenant servir à l'agriculture ou à une autre fin. Le nombre de victimes de mines terrestres enregistrées tous les mois a diminué de 55 p. 100. Nous avons vu leur nombre passer de quatre victimes par jour à deux. Grâce au programme mis en place récemment, ce sera statistiquement moins d'une personne au cours des trois prochaines années.
Ces investissements faits dans l'aide étrangère portent, mais nous avons encore beaucoup à faire, et nous allons devoir faire preuve de persistance et être dévoués à la tâche pour y arriver.
Je suis disposé à répondre à vos questions.
M. Bourduas : Les arrangements sur la police civile sont des protocoles d'entente interministériels conclus entre Sécurité publique Canada, l'Agence canadienne de développement international, Affaires étrangères et Commerce international Canada et la Gendarmerie royale du Canada. L'arrangement sur la police civile prévoit un cadre pour le déploiement de policiers civils canadiens dans les missions de paix internationales.
Les ministres représentés au comité interministériel ont autorisé la participation de policiers civils en Afghanistan, jusqu'à concurrence de 25. J'invite les membres du comité à consulter l'annexe A pour voir où sont affectés nos policiers canadiens et de quel service ils proviennent.
[français]
Les policiers canadiens travaillent en Afghanistan depuis l'envoi, en août 2005, de l'équipe de reconstruction provinciale canadienne à Kandahar. En outre, on trouve des policiers civils canadiens au commandement de la transition conjointe de la sécurité en Afghanistan, confié aux États-Unis en février 2007, à l'ambassade du Canada à Kaboul depuis mai 2007, et à la mission de police de l'Union européenne en Afghanistan (EUPOL) depuis septembre 2007.
L'équipe de reconstruction provinciale, communément appelée le ÉRP, est une opération de reconstruction à la fois militaire et civile menée au camp Nathan Smith près de Kandahar. Ces policiers participent au perfectionnement de la police afghane, donnent des conseils en matière de soutien logistique, examinent les méthodes de fonctionnement normalisé et font des recommandations.
De plus, ces derniers donnent des conseils en matière de commandement et de contrôle, de relation entre la police et la communauté et la formation de police locale. Récemment, un officier de la GRC fut affecté à l'aérodrome de Kandahar. Cet officier assure la liaison entre les membres de l'équipe de reconstruction provinciale et le personnel de l'aérodrome.
[traduction]
Le Commandement de la transition conjointe de la sécurité en Afghanistan, ou CTCS-A, a été établi par les États- Unis pour aider le gouvernement d'Afghanistan et la communauté internationale à réformer, à former, à équiper et à opérationnaliser les services nationaux de sécurité ainsi que le ministère de l'Intérieur afghans.
Le Commandement de la transition conjointe de la sécurité en Afghanistan travaille maintenant en partenariat avec le gouvernement de l'Afghanistan, la communauté internationale et l'Union européenne. Le Canada est l'un des principaux pays à apporter une contribution.
Les objectifs du CTCS-A sont de planifier, de programmer et de mettre en œuvre l'établissement de services de sécurité autonomes et durables en Afghanistan, notamment un service de police nationale afghan compétent et capable de mener des opérations indépendantes pour maintenir la stabilité en Afghanistan, consolider la règle du droit et dissuader et vaincre le terrorisme à l'intérieur des frontières du pays.
Étant donné la portée de la contribution et de l'influence de nos partenaires internationaux dans les dossiers de sécurité, il est important pour nous de coordonner nos dossiers de police, pour que la force policière dont il est question puisse être efficace et rentable.
Pour ce qui est des policiers canadiens déployés en Afghanistan, précisons qu'il y a à Kaboul un conseiller supérieur chargé de surveiller la situation, de rendre des comptes et de contribuer à la coordination du travail. L'officier en question est en poste depuis mai.
[français]
En 2007, une mission de police de l'Union européenne fut créée en Afghanistan au sein de laquelle ont été fusionnées les missions de police de plusieurs pays d'Europe. L'EUPOL contribuera à mettre sur pied un service de police civil, efficace et durable et favorisera une bonne interaction avec l'appareil de justice pénal, dans le respect des conseils et du travail d'édification des institutions fait par les nombreux pays membres de l'Union européenne et les autres acteurs internationaux.
L'EUPOL a pris la relève de l'Allemagne, qui avait dirigé la réforme de la police afghane. Les Canadiens ont été invités à participer à la mission de l'EUPOL. Un policier est déjà sur place et dix autres suivront. L'équipe de reconstruction provinciale fera partie de la mission de l'EUPOL et totalisera un nombre de 22.
[traduction]
Les Missions de paix de la GRC tiendront une prochaine séance de formation préalable au déploiement en Afghanistan du 4 au 15 février 2008, ici même à Ottawa. Six membres seront formés et envoyés à l'équipe provinciale de reconstruction, l'ERP, pour remplacer les six membres dont le mandat se termine.
De plus, un inspecteur de la GRC sera affecté au poste d'officier aux normes policières du CTCS-A à l'aérodrome de Kandahar. Il s'emploiera à élaborer les nouvelles normes de formation de la police nationale afghane.
L'Union européenne vient de publier un appel de contributions, et le gouvernement du Canada a accepté de publier les postes clés de l'Union. Les installations de formation en cours de service à Kandahar répondront aux besoins en formation de la police nationale afghane dans le Sud en permettant l'acquisition de compétences professionnelles supérieures à ce qu'offre l'actuel cours de base à l'intention des recrues sans être aussi poussées que la formation destinée aux cadres supérieurs.
L'installation permettra aussi de former les responsables du milieu afghan de la justice et des corrections. L'installation de formation en cours de service, l'IFS, doit être construite tout juste à côté de l'installation de l'ERP à Kandahar. C'est un élément clé pour ce qui est de dispenser la formation et de prévoir un milieu sécuritaire : personne ne conteste que l'environnement est tout sauf sécuritaire. Nous voulons nous assurer que les installations sont sécuritaires.
On a déjà entrepris de construire une IFS provisoire qui doit être prête le mois prochain, en janvier 2008. La construction de l'installation permanente devrait débuter en janvier 2008. Il s'agit de la même installation, mais ce sera une structure permanente. L'installation particulière en question pourra accueillir jusqu'à 500 étudiants et offrir l'hébergement de courte durée à 150 personnes. De cette façon, les gens se trouveront là sur le terrain et y resteront. Au Sommet de juin entre le Canada et l'UE, cette dernière s'est engagée à fournir des formateurs destinés à l'IFS.
Au cours des prochaines semaines, des policiers de la GRC participeront avec des représentants du Service correctionnel du Canada et d'autres ministères canadiens à l'évaluation de la situation actuelle et des besoins concernant le traitement et l'interrogation des prisonniers dans les centres de détention afghans. Cette évaluation servira à déterminer aussi les besoins au chapitre du renforcement des capacités.
[français]
Le commandement de la transition conjointe de la sécurité en Afghanistan a lancé un concept tout à fait nouveau appelé « le perfectionnement ciblé par districts ». Ce concept prévoit que les policiers seront retirés de la police nationale afghane, seront formés puis rétablis au sein de la police afghane. Donc, les policiers sur le terrain seront carrément retirés de leur environnement pour une formation d'appoint. On procédera à la formation des policiers un district à la fois.
Il est fort possible que la police canadienne hérite d'un rôle de formation et de mentorat quand le temps sera venu de former les policiers des districts de Kandahar.
Il n'en demeure pas moins que la police nationale afghane est une institution fragile. Pour qu'on puisse former les ressources qui procureront un milieu sûr à la population afghane et pour qu'on parvienne à surmonter les obstacles que posent l'interférence politique, la corruption systématique, le manque d'infrastructure, l'insuffisance des ressources et les systèmes de gestion dysfonctionnels, il est essentiel d'obtenir un engagement de longue haleine de la part de la communauté internationale. C'est à ce prix qu'on établira un milieu sûr et stable pour l'établissement de toutes les institutions en Afghanistan et qu'on réduira la capacité des extrémistes et des terroristes installés en Afghanistan de menacer le Canada et les Canadiens, tant chez nous qu'à l'étranger.
En conclusion, je vous remercie de m'avoir accordé ce temps et je suis prêt à répondre à vos questions.
Le sénateur Nolin : Monsieur Wallace, le 27 novembre dernier, devant le Comité des affaires étrangères du Sénat, le président de l'ACDI, M. Greenhill, a déclaré que vous aviez récemment entrepris une évaluation de vos programmes en Afghanistan. Premièrement, j'aimerais savoir comment vous évaluez vos programmes et, deuxièmement, j'aimerais connaître le résultat de cette évaluation.
M. Wallace : En fait, il s'agit d'une évaluation qui fait partie d'un régime de reddition de compte comportant des vérifications et évaluations internes et externes. Une équipe externe fait l'ensemble de la revue de notre portefeuille. Des consultants externes, en compagnie des gens de notre division interne de l'évaluation, ont procédé à une évaluation des 27 projets, qui faisaient partie de notre portefeuille à l'époque, dont une évaluation plus poussée sur 11 projets en particulier.
Les résultats sont sur notre site Web, donc le rapport est disponible pour tout le monde.
En général, les grands résultats de ce rapport ont permis de conclure que les projets allaient bien pour la plupart.
Le sénateur Nolin : Quand vous dites « allaient bien », c'est que les objectifs et les buts poursuivis par les programmes étaient atteints.
M. Wallace : Les résultats escomptés étaient atteints ou en voie d'être atteints, étaient sur la bonne voie. Une ou deux faiblesses au niveau de certains projets ont été rapportées et deux recommandations particulières ont été faites : une sur le renforcement de notre présence sur le terrain à l'époque, nous étions autour de dix personnes sur le terrain alors qu'aujourd'hui nous sommes 24 et l'autre au niveau de l'inconsistance des rapports que nous examinions à travers la Banque mondiale, les Nations Unies et d'autres partenaires. Il a donc fallu que nous soyons plus rigoureux au niveau de l'étude des rapports de reddition de compte venant de nos partenaires.
J'ai résumé l'ensemble de ce que cette évaluation a comporté.
Le sénateur Nolin : Ceci m'amène à ma deuxième question : Puis-je conclure qu'un gros pourcentage de notre effort au développement se fait via des partenaires internationaux?
M. Wallace : Non, nous avons environ une trentaine de partenaires qui se divisent généralement en trois groupes, dont les partenaires internationaux, comme vous dites, soit la Banque mondiale, l'UNICEF, la Croix-Rouge, le programme des Nations Unies pour le développement.
Le sénateur Nolin : Quel est le pourcentage en dollars, approximativement?
M. Wallace : C'est une bonne majorité. Ce groupe d'environ une dizaine d'organismes internationaux doit englober le deux tiers du budget. Nous avons par ailleurs une douzaine de partenaires canadiens dont la Fondation Aga Khan, Care Canada, l'Entraide universitaire mondiale du Canada, Mennonnite Economic Development Association. Le pourcentage de ce groupe est en croissance actuellement. Nous constatons que des organisations canadiennes commencent à établir des racines dans ce pays.
Le troisième groupe est composé des partenaires locaux. Nous les appelons « les piliers de compétence ». Le programme de microfinance, par exemple, est un programme national, ainsi que le programme de déminage.
Le sénateur Nolin : Qui a connu un succès retentissant, je crois.
M. Wallace : Oui. Le programme d'éducation est national. Le programme des conseils de développement communautaire, un programme qui s'appelle « le Programme de solidarité nationale », comportant maintenant 18 000 conseils à travers le pays, c'est un programme du pays même, de l'Afghanistan. Cela fait partie du troisième volet de notre programmation.
Le sénateur Nolin : Donc, ce n'est pas la première fois que l'ACDI participe à un effort de développement en utilisant des agences internationales. Quel est l'objectif poursuivi? Pourquoi une si grosse partie de votre budget est confiée à un autre groupe d'intervenants? Vous attendez finalement les résultats de cet effort.
M. Wallace : D'une part, si la capacité locale est faible — et elle l'est, les agences internationales ont les reins très solides et une grande capacité d'accompagnement avec les instances locales.
Le sénateur Nolin : Donnez-nous quelques exemples.
M. Wallace : Par exemple, la Croix-Rouge a des racines très profondes en Afghanistan, qui datent de plus de 20 ans. Ce sont des experts dans les systèmes de santé dans les zones de conflit. Le gouvernement afghan, après 30 ans de déclin, devait monter un système de santé à partir de zéro. La Croix-Rouge a pu les aider à travers différents hôpitaux du pays, y compris à Kandahar. Cette coopération technique entre la Croix-Rouge, institution spécialisée que nous croyons la plus forte au monde, et les instances locales démontre que nous nous dirigeons dans la bonne direction.
Le sénateur Nolin : Si je comprends bien, le Canada ne veut pas réinventer la roue : Un organisme international dont on reconnaît l'expertise existe déjà la Croix-Rouge, vous lui confiez les fonds canadiens, d'autres pays font de même, et ceci constitue une masse critique financière pour atteindre un objectif précis.
M. Wallace : Tout à fait, si les instances locales sont fortes, on les appuie, si elles ne le sont pas suffisamment, on va ailleurs dans le monde chercher les meilleurs pour les appuyer. C'est ce qu'on a fait dans ce cas-ci.
Le sénateur Nolin : À ce moment-là, les évaluations sont-elles faites de la même manière? Je comprends qu'on parle de la Croix-Rouge, un organisme hautement crédible ayant fait ses preuves, mais évalue-t-on quand même la reddition, l'atteinte de l'objectif?
Il faut quand même rassurer les Canadiens lorsqu'il s'agit de dépenser leur argent.
M. Wallace : Il est absolument fondamental que nous ayons un standard de reddition de compte. Si le standard n'est pas respecté, nous mettons à risque les programmes canadiens.
Lorsque nous évaluons nos partenaires internationaux, nous examinons leur système d'imputabilité pour voir s'il est à la hauteur de nos standards de reddition de compte. On peut citer, à titre d'exemple, un programme d'envergure comme le Programme alimentaire mondial. C'est le vérificateur général du Royaume-Uni qui fait la vérification de ce programme. Nous allons donc chercher des gens qui sont à la hauteur pour faire cette reddition de compte.
La Banque mondiale a une réputation de bonne gestion. Elle a tout de même embauché la firme Price Waterhouse Cooper pour faire la vérification et le suivi du fonds de fidéicommis avec lequel nous composons au niveau des opérations centrales du gouvernement. Nous cherchons donc des partenaires qui disposent de systèmes de reddition de compte dont la rigueur est celle que nous visons.
Le sénateur Nolin : Revenons à Kandahar. Vous avez des agents sur le terrain. Qu'en est-il de leur sécurité?
M. Wallace : La situation est difficile. Cette année, plus de 100 travailleurs d'aide ont été soit tués ou enlevés. La situation est très préoccupante. Elle a eu pour effet de réduire la mobilité de nos partenaires sur le terrain. Cela nous a poussés à envisager de nouvelles formes pour atteindre nos objectifs.
Le Programme alimentaire mondial ne peut accéder à tous les districts de Kandahar. Toutefois, certains conseils de développement communautaire commencent à faire leurs preuves et se trouvent un peu partout. Dans un district du nord-est du pays on retrouve des conseils de développement communautaire qui sont notre base de livraison de programmes. Ceux-ci travaillent avec le Programme alimentaire mondial pour livrer de l'aide alimentaire.
Le sénateur Nolin : Vous parlez du nord-est de la province?
M. Wallace : En effet. En regardant vers la frontière du Pakistan, au nord-est de la province, on retrouve des zones dangereuses où les instances internationales ont parfois difficilement accès. Il faut donc trouver différentes façons d'opérer.
Ces conseils de développement communautaire, servent souvent de plates-formes pour la livraison de programmes. Ils ont mené des projets d'irrigation de puits et remplis d'autres objectifs dans les villages. Toutefois, face au problème lié à l'aide alimentaire, ils offrent une aide pour la livraison, étant donné que ces intervenants ont des contacts sur place et connaissent bien la situation. Ceci a permis la création de nouveaux partenariats entre des agences qui auparavant agissaient de façon indépendante. Nous devrons faire de même dans les zones à haut risque.
Le sénateur Nolin : Monsieur Bourduas, le travail de la GRC en Afghanistan en est un de formation.
M. Bourduas : Il s'agit d'assister les gens.
Le sénateur Nolin : Vous n'avez aucune règle d'engagement?
M. Bourduas : Aucune.
Le sénateur Nolin : Vous n'avez pas le mandat de protéger les travailleurs canadiens qui sont sur place?
M. Bourduas : Cela ne fait pas partie de notre mandat.
Le sénateur Nolin : Lorsque vous agissez à titre de tuteurs pour les policiers de Kandahar, vos policiers canadiens aident les policiers locaux?
M. Bourduas : Effectivement.
Le sénateur Nolin : Il doit certainement arriver qu'un membre de la GRC, qui est là pour former les policiers locaux, participe à une activité policière. Ou cette pratique est-elle défendue? En d'autres mots, il n'existe aucune règle d'engagement et le policier canadien ne peut être engagé dans une activité policière autre que celle de former un policier?
M. Bourduas : C'est le but premier. Les policiers sont déployés en Afghanistan avec un mandat clair, celui de former des policiers. Le travail de formation est énorme. Le déploiement de policiers afghan sur le terrain se fait selon une procédure clairement établie. Notre rôle est de diriger ces personnes pour qu'elles puissent faire leur travail de façon sécuritaire. Nous devons éviter tout engagement en termes de travail policier. Notre philosophie de base est de permettre à ces policiers locaux, et non nos policiers, de faire leur travail sur le terrain et maintenir l'ordre.
Le sénateur Nolin : Vos policiers sont-ils armés?
M. Bourduas : Nos policiers sont armés. Sur cette question, j'inviterais M. Beer à vous fournir de plus amples détails. Monsieur Beer a une expérience exhaustive sur le terrain.
Le sénateur Nolin : J'aimerais que vous me donniez un exemple. Nous avons entendu que des travailleurs civils, et non des militaires, sont là pour agir au nom des Canadiens. Or, leur vie est en danger. J'aimerais savoir comment les policiers canadiens peuvent aider à assurer la sécurité de ces travailleurs.
[traduction]
D.C. David Beer, surintendant principal, directeur général des Services de la police internationale, Gendarmerie royale du Canada : Peut-être pourrais-je parler de la notion de l'EPR dans son ensemble. En tant que membres de l'EPR, nous sommes tout à fait dépendants des Forces canadiennes du point de vue de la sécurité et de la logistique.
Nous travaillons en groupe, mais, souvent, nous nous déplaçons en compagnie de membres de l'ACDI ou des Affaires étrangères, selon l'affectation dont il peut être question.
Essentiellement, notre protection est assurée par des militaires — des spécialistes des armes de combat.
En tant qu'agents de police, nous travaillons de concert avec les agents de la police militaire. Il y a un peloton d'agents de la police militaire là où se trouvent les EPR. Nous travaillons maintenant avec ces gens afin de donner corps à la police nationale afghane.
Pour ce qui est de protéger les autres membres de l'équipe provinciale de reconstruction, à titre d'agents de police canadiens ayant subi un certain entraînement à l'utilisation des armes à feu, il est attendu de nous que nous puissions tout au moins nous protéger nous-mêmes si, de fait, une situation difficile se présente.
Dans ce contexte-là, nous évoluons sous la direction compétente des Forces canadiennes. Ce sont eux qui assurent notre protection là-bas.
Le sénateur Peterson : Bienvenue aux auteurs des exposés.
Monsieur Wallace, vous avez décrit la progression des choses, vos réalisations dans le secteur. Je suis sûr que les Talibans et al-Qaïda ne souhaitent pas que vous réussissiez. Avez-vous ce genre de difficultés : que les projets auxquels vous travaillez soient détruits par les Talibans et par al-Qaïda, qui souhaitent nier que vos projets puissent aboutir?
M. Wallace : Les insurgés n'ont pas intérêt à ce qu'un gouvernement démocratiquement élu s'implante. Cela dit, je crois qu'il existe une véritable différence entre ce qui est tenu pour local et ce qui est tenu pour étranger.
À voir 600 projets de développement communautaire menés à bien grâce à 530 conseils de développement dans la province de Kandahar tout en constatant que pratiquement aucun de ces projets ne fait l'objet d'une attaque, nous nous posons la question : pourquoi? La réponse, à mon avis, c'est que les projets en question sont considérés comme des priorités locales; des projets locaux, menés sous la direction des autorités locales.
Là où les collectivités locales d'Afghanistan prennent en main leur propre développement et mettent à exécution leurs propres projets, nous constatons que les projets en question se portent bien.
C'est la grande différence là-bas. Là où les collectivités afghanes assument la responsabilité de leur propre développement, nous constatons un niveau de protection que nous ne verrions peut-être pas autrement.
Le sénateur Peterson : Vous ne vous trouvez pas en butte à des problèmes lorsque vous vous rendez dans les zones en question vous-même, du point de vue de la sécurité?
M. Wallace : Oui, le problème de la sécurité demeure important dans la province de Kandahar et ailleurs. Certaines semaines, nous n'allons pas dans certains secteurs. C'est un aspect de la question où il continue à y avoir des difficultés.
Nous travaillons souvent avec des organismes locaux qui nous servent d'antenne sur le terrain. Ils ont un meilleur accès. Nous demeurons très prudents et continuons de choisir avec beaucoup de soin les zones où nous décidons d'aller et les rôles précis que nous décidons de jouer. Nous faisons cela en tant qu'équipe.
Les Forces canadiennes, par la voie de l'Équipe provinciale de reconstruction, présentent un solide bilan dans les zones qu'elles tiennent pour sécuritaires, et ce bilan nous importe. Nous travaillons de concert avec les forces et, là où il y a une marge pour manœuvrer, nous intervenons. Là où la situation est difficile, nous cherchons des façons originales de régler le problème, notamment, comme j'ai mentionné, en recourant à des groupes locaux comme les conseils de développement communautaire qui sont déjà à l'œuvre sur le terrain.
Le sénateur Peterson : Certains affirment que nous ne devrions pas entreprendre de projet de reconstruction ou de développement tant qu'une zone n'est pas rendue sécuritaire. Ce n'est pas forcément une idée à laquelle il faudrait adhérer, sinon rien ne se ferait peut-être jamais.
M. Wallace : Lorsque nous disons que la sécurité et le développement vont de pair, nous disons vrai. La sécurité crée la marge nécessaire pour que les gens interviennent, puis, subitement, des centaines de familles reviennent dans une zone où il y avait auparavant des affrontements directs. L'opération de sécurité a permis de créer les conditions nécessaires pour que les populations locales s'enracinent. Là où les populations locales s'enracinent, où les programmes s'enclenchent et où les gens se donnent un avenir en travaillant, l'activité stimule encore le projet de sécurité. La sécurité et le développement interagissent. Il est évident que, dans un endroit comme Kandahar, nous ne pouvons fonctionner sans que la sécurité permette d'abord de dégager une marge pour que le développement puisse se faire.
Le sénateur Peterson : Vous devez assumer la tâche redoutable qui consiste à former les forces de police et de sécurité, et régler tous les problèmes que cela suppose. Vous dites que, pour y arriver, il faut des effectifs à long terme. Comment définissez-vous le « long terme »?
M. Bourduas : Voilà une question intéressante, compte tenu de l'environnement actuel. Il est question non seulement de la police civile, mais aussi de l'engagement pris par notre pays et par d'autres, soit de stabiliser l'Afghanistan et d'y appliquer la règle de droit. Si nous envisageons le long terme, nous songeons à un engagement où les membres de la GRC et d'autres corps policiers travaillent de pair avec les militaires afin de s'assurer que nos gens seront là, sur le terrain, pour venir en aide aux Afghans.
Si la tâche est monumentale, c'est que le gouvernement a des moyens limités et que les gens qui viennent nous voir ont leur capacité personnelle d'assimilation face à ce que nous leur enseignons. De ce fait, là où il est question du long terme, il est question de ces types d'engagement.
M. Beer voudra peut-être apporter des précisions sur certains des autres points que j'ai soulevés pendant mon introduction : le travail d'approche des districts — l'idée d'y aller progressivement dans chacun des districts et, aussi, l'engagement à long terme face à l'EPR et les installations de formation que nous construisons là où est installé l'EPR, pour s'assurer, tel que promis, de créer un environnement stable à long terme pour la formation.
M. Beer : À mon avis, on ne se trompe pas en affirmant que ce sont là les deux priorités immédiates du secteur de la sécurité. Premièrement, il s'agit d'établir un environnement sûr où œuvrer et, deuxièmement, de travailler en même temps à la création d'une force de sécurité durable qui puisse préserver cet environnement sécurisé, pour que le développement puisse connaître son essor.
Cinq éléments sont nécessaires, si vous voulez, à l'édification d'une organisation durable. Ce sont l'argent, le temps, la concertation entre les partenaires, la volonté politique et un environnement sécuritaire. Nous travaillons d'abord à créer un environnement sécuritaire.
En même temps, comme l'a dit le sous-commissaire, nous devons envisager le fait que les forces de police et de sécurité ne peuvent être constituées ou travailler isolément. Nous devons envisager l'avenir à plus long terme, le développement de la justice, créer des conditions générales de sécurité pour ouvrir la voie au développement.
Il serait extrêmement imprudent de ma part de rattacher même une date à cela, mais il est permis de croire que, à une étape donnée, d'une façon ou d'une autre, nous allons créer avec la police nationale afghane un partenariat où les agents de police canadiens travailleront avec les agents afghans, d'une manière ou d'une autre, pendant les décennies à venir — un engagement total. Nous serons là pour un certain temps.
Le sénateur Banks : Monsieur Wallace, vous avez dit que vous aviez 24 agents en Afghanistan. Combien y en a-t-il à Kandahar?
M. Wallace : Il y en a dix : cinq Canadiens et cinq personnes recrutées localement.
Le sénateur Banks : Parmi les 24, il faut inclure des gens de l'endroit.
M. Wallace : C'est cela.
Le sénateur Banks : Des 24, combien ont été recrutés localement, pour l'ensemble du pays?
M. Wallace : Quatorze des 24 membres du personnel sont des gens du pays, dix sont Canadiens.
Le sénateur Banks : La moitié de nos Canadiens sont à Kandahar.
Vous avez dit avoir consacré l'an dernier 139 millions de dollars aux programmes administrés par le gouvernement de l'Afghanistan ou d'autres organismes de service ou non gouvernementaux. Vous avez parlé de l'UNICEF et de CARE. Quelles ont été vos dépenses annuelles, au total?
M. Wallace : L'an dernier, ça s'est élevé à 139 millions de dollars : 100 millions de dollars pour les programmes nationaux, et 39 millions de dollars pour les programmes ciblés dans la province de Kandahar.
Le sénateur Banks : L'an dernier, vous avez investi 139 millions de dollars en programmes administrés par le gouvernement afghan et d'autres partenaires sur le terrain.
M. Wallace : C'est cela.
Le sénateur Banks : Vous parlez par ailleurs d'aide directe. L'ACDI est-elle liée directement à l'exécution de programmes précis à Kandahar, dont l'exécution ne relève pas de l'UNICEF, de CARE ou du gouvernement afghan?
M. Wallace : Non, nous passons toujours par des partenaires locaux ou internationaux.
Le sénateur Banks : Est-ce que ça fonctionne? Passer par les partenaires locaux est-elle la meilleure façon d'exécuter les programmes? Je sais pourquoi il faut que le gouvernement afghan y soit : pour qu'il réussisse, les Afghans doivent se convaincre du fait que leur gouvernement travaille pour eux, mais le recours à l'UNICEF et à CARE représente-t-il une bonne façon d'utiliser les fonds canadiens?
M. Wallace : Il est absolument essentiel pour nous de procéder ainsi, car nous recherchons l'effet de levier. Dans le cas de la province de Kandahar, si vous comptez le nombre de travailleurs humanitaires des organismes comme l'UNICEF, la Croix-Rouge et le Haut Commissariat pour les réfugiés de l'ONU, disons qu'il y en a environ 400 en ce moment. S'il faut compter le nombre de travailleurs humanitaires du côté des ONG afghanes avec lesquelles nous collaborons par l'entremise de la Croix-Rouge ou du Programme alimentaire mondial, disons qu'il y en a environ 900. Environ 1 300 travailleurs humanitaires sont liés directement à l'aide canadienne dans la province de Kandahar. C'est comme cela que nous devons procéder. Nous devons voir comment nous y prendre pour mobiliser les moyens locaux et trouver la meilleure solution du côté international, puis atteindre une masse critique de soutien pour ce qui touche les travailleurs, les fournisseurs et tout le reste, aux endroits où nous devons agir. C'est comme cela que nous avons procédé jusqu'à maintenant.
Les dix employés de l'ACDI travaillent dans ce réseau. Leur travail consiste essentiellement à planifier l'intervention de l'EPR de manière cohérente, par rapport à notre façon d'agir en tant que gouvernement, mais aussi à profiter de l'effet de levier pour mobiliser le mieux possible les éléments du réseau en question, y compris en trouvant les personnes les plus compétentes et les plus responsables, puis en élargissant notre champ d'action pour que nous puissions œuvrer dans tous les coins de la province.
Le sénateur Banks : Il y a 1 200 travailleurs de cette catégorie.
M. Wallace : Dans la province de Kandahar, il y en a 1 200 ou 1 300, oui.
Le sénateur Banks : Fonctionnent-ils à partir de la base?
M. Wallace : Pour la plus grande part, ce sont des Afghans. Ce sont des Afghans qui travaillent pour le Programme alimentaire mondial et des ONG locales. Ils connaissent l'endroit. Ils connaissent la langue. Ils évoluent dans le cadre de la Croix-Rouge, du Programme alimentaire mondial et d'autres organismes. Ce sont eux qui assument la part la plus importante du travail dans cette province.
Le sénateur Banks : Pouvons-nous croire que les fonds sont utilisés de manière efficace dans leur cas, qu'ils les utilisent de la façon prévue?
M. Wallace : Si nous choisissons les bons partenaires, comme par exemple le Programme alimentaire canadien ou la Croix-Rouge, qui ont une bonne réputation et savent très bien rendre compte du travail accompli, et si nous appliquons nos propres programmes de surveillance pour contrôler le travail et procédons à des vérifications et à des évaluations, nous relevons le degré de certitude à cet égard.
Le sénateur Banks : Disposez-vous des moyens voulus pour procéder à ces contrôles et autres formes d'évaluation?
M. Wallace : Oui, le sénateur Nolin a parlé de l'évaluation faite de l'ensemble des mesures que nous avons mises à exécution l'an dernier, mais nous comptons une équipe de contrôleurs externes qui entre en scène de temps à autre. Dans le cas de l'EPR, ils sont allés se pencher sur certains des programmes dont il est question.
L'environnement pose des difficultés. J'aimerais aller mettre le nez moi-même dans bon nombre de ces projets, pour voir, mais je ne peux le faire; je passe par autrui, et nous devons vérifier les titres de compétence des gens autant que possible. Ce n'est pas aussi facile que ça l'est dans d'autres pays, mais choisir avec soin ses partenaires et contrôler avec soin les projets sont deux éléments clés de l'équation, dans la mesure où nous souhaitons mieux évoluer dans cet environnement.
Le sénateur Banks : Les relations ainsi établies vous inspirent confiance?
M. Wallace : Grâce aux vérifications et aux évaluations, je peux croire que les projets se portent bien jusqu'à maintenant. Dans la province de Kandahar, ils se portent assez bien, mais ma confiance vaut jusqu'au moment où j'aurai en main le prochain rapport de vérification, d'évaluation et de contrôle. La rigueur ne peut connaître de répit.
Le sénateur Banks : Nous avons dit qu'il y a eu cette année 8 700 tonnes métriques en aide alimentaire. Les paniers de nourriture donnés aux Afghans sont-ils étiquetés comme provenant du gouvernement afghan?
M. Wallace : Non, dans cet environnement, une bonne part de la nourriture est étiquetée comme provenant du Canada. Cependant, le gouvernement afghan joue un rôle dans l'affaire, car il compte de nombreuses autorités locales qui s'occupent de déterminer les besoins et d'aider à distribuer la nourriture. Dans le cas particulier dont il est question, c'est le Programme alimentaire mondial qui est le premier organisme responsable, car c'est le meilleur qui soit pour accomplir ce travail dans le monde et nous sommes le plus à l'aise lorsque c'est lui qui dirige un tel effort.
Le sénateur Banks : Nous avons souvent entendu dire que, même si nous mettons beaucoup d'argent dans la caisse générale, souvent, il n'y a pas de petit drapeau pour indiquer que telle ou telle mesure en Afghanistan est l'affaire du Canada. Nous avons bien notre amour-propre. Les Canadiens voudraient que les Afghans sachent que ces trucs proviennent parfois du Canada. De même, on a mis du soin à nous dire qu'il s'agit de montrer aux Afghans que le programme est administré pour eux par leur gouvernement, quelle que soit la provenance de l'argent. Ils ont besoin de voir que c'est le gouvernement afghan qui s'occupe de la distribution, pour que le gouvernement devienne stable et qu'il ne soit pas attaqué.
Serait-ce une bonne idée à long terme de mettre des petits drapeaux canadiens sur les envois d'aide alimentaire?
M. Wallace : Je ne crois pas. Je comprends votre intervention. Lorsqu'un État démocratique subvient aux besoins fondamentaux de ses citoyens, les citoyens ont un avenir à envisager. Il est bien que le gouvernement afghan joue un rôle important en rapport avec tous les projets que nous entreprenons. Parfois, le gouvernement peut jouer le rôle central; d'autres fois, c'est la Croix-Rouge ou un autre organisme qui doit mener le bal, si la capacité locale d'exécuter la tâche n'existe pas.
Le sénateur Banks : Les Afghans associent ce programme à de la charité de la part de la communauté internationale, plutôt qu'à une mesure que leur gouvernement adopterait à leur profit.
M. Wallace : Les meilleurs projets locaux sont ceux où l'organisme international, même s'il y a un organisme international qui doit y participer, collabore étroitement avec les autorités locales. Par exemple, il existe une solide collaboration entre le Comité international de la Croix-Rouge et le ministère de la santé publique.
Le président : Qu'en est-il de la relation avec les soldats canadiens locaux de ce point de vue? Évidemment, il est avantageux pour eux du point de vue de la sécurité et du renseignement que les Afghans autour d'eux croient à l'idée que leur vie s'améliore lorsque débarquent les soldats. Les soldats forment la partie visible de l'iceberg, si vous voulez. S'il n'est pas dit que l'aide provient du Canada, aux yeux des Afghans, ce sont ces soldats qui tuent leurs vaches, brisent leurs clôtures et font peut-être que leurs enfants sont blessés.
M. Wallace : Il est justifié de poser cette question. En étudiant cette affaire, nous devons essayer de voir si la vie des gens s'améliore. Les gens passent par une hiérarchie. D'abord, si la vie est meilleure aujourd'hui qu'elle l'était il y a deux ou trois ans, l'avenir devient intéressant pour les gens. Ensuite, si la vie s'améliore parce que mon gouvernement m'offre des services de base et que la démocratie est intéressante à mes yeux, c'est bien aussi. Enfin, si on sait que la vie s'améliore et que le gouvernement est de plus en plus apte, qu'il a un effet plus direct sur la vie du citoyen en raison d'un partenariat international avec des pays comme le Canada, l'affaire est grandement appréciée.
J'ai l'impression qu'il ne faut pas dire que c'est un ou c'est l'autre. Il faut travailler aux trois niveaux pour obtenir l'effet maximal. La visibilité est importante, mais c'est une visibilité en partenariat avec d'autres, et non pas la visibilité d'un Canada qui débarquerait là-bas avec un projet entièrement canadien.
Le sénateur Banks : Monsieur le sous-commissaire, j'ai de la difficulté à comprendre le fait que l'Allemagne, la Mission de police de l'Union européenne, l'EUPOL, et le Canada envoient des agents de police qui sont chargés de former des agents de police afghans. Nous croyons savoir que la police nationale afghane est un corps quasi militaire, sinon entièrement militaire : lorsqu'une armée débarque, quel que soit le pays d'où elle vient, fait le ménage et chasse les méchants, les gens qui sont censés tenir le territoire par la suite, ce sont les gens de la police nationale afghane. C'est le travail d'une infanterie. C'est un principe fondamental en matière de guerre : une fois le territoire conquis, il faut pouvoir l'occuper. Or, il faut pour cela des forces militaires.
Convient-il de donner aux policiers la tâche de former les gens pour cela? Est-ce une tâche qui devrait incomber à la police nationale afghane?
M. Bourduas : Vos posez une question légitime. Nous avons pris en considération l'environnement explosif qui existe là-bas. Il faut se rappeler aussi qu'il n'y a pas une longue file de bénévoles prêts à se joindre à la police nationale afghane. C'est que, récemment, ils sont devenus des cibles faciles.
Le sénateur Banks : C'est parce qu'ils fonctionnent à la manière de l'infanterie, mais ce n'est pas une infanterie.
M. Bourduas : Il y a eu plusieurs victimes, et cela n'aide pas les recruteurs. Comme vous l'avez dit, lorsque l'armée aura sécurisé l'environnement, la police nationale afghane, aux côtés d'une force auxiliaire, viendra tenir le fort. Ils sont formés notamment à l'établissement de liens avec la collectivité et à la prise en considération de ce qui s'est passé là. Il y a un rôle pour le corps policier et un rôle pour l'armée.
Comme la situation est extrêmement explosive dans le secteur, parfois, nous devons retirer ces agents de police pour reprendre le territoire, et cela a créé de nombreux problèmes. De même, nous avons eu un certain nombre de désertions. Certains agents ont déposé leurs armes et sont partis.
Le sénateur Banks : Ne prennent-ils pas les armes avec eux? Est-ce qu'ils les abandonnent vraiment?
M. Bourduas : Ils les abandonnent. C'est ce qui se passe actuellement sur le terrain.
M. Beer : Sénateur, vous visez juste : c'est une question importante. Le problème de sécurité est tel qu'il faudra peut- être attendre des années, ou du moins dans la province de Kandahar, avant d'ajouter une police civile, tel que nous connaissons la chose, au projet de développement international.
Il faut reproduire dans l'environnement afghan la relation que nous avons en tant qu'organisme policier avec les militaires canadiens et étrangers. En contexte de guerre, dans un avenir immédiat, la police ne saura constituer un filet de sécurité dans la province de Kandahar. Ce sera la responsabilité de l'armée nationale afghane, avec à ses côtés une police qui se développe.
De fait, il y a une stratégie qui est actuellement appliquée d'une région à l'autre pour ainsi dire : pour stimuler le développement du corps policier dans l'ensemble du pays, le Commandement de la transition conjointe de la sécurité en Afghanistan, le CTCS-A, prendra la police nationale afghane pour l'insérer dans un milieu de formation total, pour en amener les éléments au niveau voulu. Pendant ce temps, il comblera le vide avec l'armée nationale afghane et les forces de la coalition, chargées de la sécurité à la place de la police, puis il y aura le retour de la police, espère-t-on, dans cet environnement, aux côtés de l'armée nationale afghane.
Le sénateur Banks : Ça me paraît excessif. Vous êtes en train de former des agents de police; vous leur montrez à exécuter les tâches policières. Puis, quelqu'un arrive au poste de police — si quelqu'un arrive au poste de police d'Edmonton, là où j'habite, et dit : « il y a une armée qui s'en vient nous attaquer », la police ne pourrait pas faire grand-chose.
M. Beer : Je suis d'accord. Sur le terrain, avec les Afghans, nous devons trouver l'équilibre qu'il faut dans une région donnée. Est-ce l'armée nationale afghane? Est-ce un organisme de police paramilitaire comme les gendarmeries du monde, qui, avec le temps, deviendra un organisme de police civile tel que nous connaissons la chose? Y aura-t-il différents éléments aujourd'hui et dans un avenir immédiat? Du point de vue de la sécurité, l'environnement exige actuellement une intervention militaire. C'est avec cela que nous nous débattons.
Le sénateur Banks : Lorsque vous formez ces gens, est-ce que vous leur enseignez des techniques d'infanterie?
M. Beer : Non, notre tâche consiste à leur enseigner des techniques policières en plus de l'entraînement de base qu'ils reçoivent déjà, soit les techniques de survie correspondant aux techniques de base d'une infanterie. Notre tâche, c'est de faire de la « formation professionnelle »; c'est un entraînement qui va au-delà de cela, mais c'est propre au milieu policier.
Le sénateur Banks : Les gens sont-ils équipés pour accomplir l'aspect quasi militaire de leur travail? Ils reçoivent l'entraînement de base habituel avant que vous ayez à leur enseigner, puis vous approfondissez les techniques policières?
M. Beer : Certains subissent cet entraînement. Nous sommes aux prises avec des problèmes liés à l'alphabétisation et à une compréhension fondamentale de ce qui constitue la culture d'une police civile. Nous avons beaucoup de chemin à faire.
Le sénateur Banks : Permettez-moi de vous poser la question culturelle et peut-être aussi la question linguistique.
Monsieur le commissaire, vous avez dit que les gens ont de la difficulté à assimiler ce que vous essayez de leur enseigner. Est-ce un problème de langue, un problème d'alphabétisation ou un problème culturel?
M. Bourduas : C'est un peu tout cela. Comme vous l'avez dit, il existe différentes cultures au sein même de ce pays. De plus, notre façon d'enseigner les techniques policières va à l'encontre de ce à quoi ces gens ont été habitués de la part des autorités par le passé.
S'il faut parler d'approche communautaire, disons que, dans un contexte de guerre, cela crée des défis du point de vue de la formation. C'est ce à quoi j'ai fait allusion quand j'ai parlé des défis que nos gens peuvent avoir à relever en ce moment sur le terrain.
Le sénateur Banks : Vous nous avez remis un graphique qui dit qui est où. J'allais poser une question à ce sujet, mais le graphique répond à la question.
Le président : Monsieur Wallace, le Senlis Council est venu témoigner devant notre comité le mois dernier. Êtes-vous au courant de son témoignage?
M. Wallace : Oui, je le suis.
Le président : Avez-vous quelque chose à dire à son sujet?
M. Wallace : Je crois qu'il importe que toutes les voix se fassent entendre et que toutes les propositions soient examinées. Nous étudions cette proposition-ci avec soin, comme nous le faisons depuis un certain temps.
Tout de même, nous sommes déçus du Senlis Council, car il semble donner beaucoup plus dans l'opinion que dans l'analyse; ça vaut particulièrement pour les secteurs où nous oeuvrons. Par exemple, des efforts sont déployés actuellement de concert avec les autorités locales et les responsables du Programme alimentaire mondial en rapport avec l'aide alimentaire dans l'ensemble de la province. Les signes qui font voir que l'aide alimentaire est distribuée sont irréfutables. Il y a des vidéos, il y a les contrôles et les visites sur place et ainsi de suite, mais le Senlis Council ne trouve pas de preuve de la distribution d'aide alimentaire dans la province de Kandahar. Une telle déclaration de sa part me rend perplexe.
Lorsque des membres du Senlis Council arrivent dans un hôpital, ils ne parlent à personne de responsable. Ils prennent quelques photographies puis s'en vont, et alors ils disent que l'hôpital en question est un vétérinaire — je crois qu'ils ont utilisé le terme « enfer » sans analyser l'hôpital et rassembler des faits à son sujet. Cela me rend perplexe. Ensuite, nous regardons la situation de plus près. Nous constatons le travail effectué par l'Université Johns Hopkins pour ce qui est de produire un bulletin sur les hôpitaux. Nous connaissons les défis que réserve l'avenir du point de vue des hôpitaux locaux. Ceux-ci sont très loin de la norme canadienne — et il n'est pas réaliste de croire qu'ils pourraient l'être — mais commençons-nous à avoir maintenant des bulletins sur les progrès des hôpitaux en référence avec une norme particulière? Les gens de Johns Hopkins ont classé cet hôpital de Kandahar troisième sur 30 dans l'ensemble du pays. À ce moment-là, nous avons une base d'information à partir de laquelle nous devons travailler et dire : voici les progrès que nous faisons. Nous ne voyons pas de base d'information qui soit produite du côté du Senlis Council pour ce qui est du développement. Oui, nous sommes déçus.
Le président : Si je ne m'abuse, ils parlaient d'un hôpital qui existait selon l'ACDI, mais qui, selon eux, n'existait pas.
M. Wallace : J'ai parcouru moi-même cet hôpital. J'ai arpenté ces étages et je me suis adressé aux gens — tout comme l'ont fait d'autres Canadiens et d'autres Afghans. Nous travaillons avec un grand nombre de personnes pour nous assurer que, dans les cas où une opinion va tout à fait à l'encontre de ce que nous croyons être les hypothèses voulues, nous en sommes informés et nous allons vérifier. Dans ce cas, nous avons fait appel à un conseiller externe en matière de santé, à un type aux compétences absolument impeccables, venu des Balkans, de l'Université Queen's. Nous lui avons demandé de regarder l'hôpital de Mirwais. Nous avons fait le tour et nous avons produit notre propre bulletin sur cet établissement.
Globalement, l'hôpital en question a encore beaucoup de chemin à faire, mais la Croix-Rouge est une des meilleures organisations qui soient dans le monde. Elle compte de bons employés locaux. Elle a apporté des améliorations au fil du temps. L'hôpital est sur la bonne voie. Les responsables on un bon plan. Ce qu'il faut maintenant, c'est de la persévérance. L'hôpital a besoin d'aide pour un certain temps encore, mais il réunit les ingrédients voulus pour réussir. Lorsque nous constatons qu'il se compare avantageusement aux autres hôpitaux du pays, nous savons qu'il y a quelque chose à faire de ce côté-là.
Nous comprenons ce qui est arrivé dans le cas de cet hôpital. Oui, notre évaluation va à l'encontre des déclarations de ce conseil particulier.
Le président : Le Senlis Council reçoit pas mal d'attention. En avez-vous déjà rencontré les membres?
M. Wallace : Je les ai rencontrés par le passé. Je n'ai jamais refusé de les rencontrer. Nous leur demandons parfois leur analyse des choses, pour que nous puissions voir de quoi il retourne. Les reportages sur leurs conférences de presse semblent donner plus d'information que les discussions internes que nous avons avec eux. Soit.
Le président : Avez-vous déjà eu l'occasion d'étudier les bulletins point par point avec eux et de réfuter ce qu'ils affirment?
M. Wallace : Oui, nous avons essayé de faire cela. Ça ne semble pas avoir pénétré leur esprit jusqu'à maintenant, mais nous allons continuer de le faire au fil des occasions qui se présentent.
Le président : Monsieur le sous-commissaire, la GRC possède des compétences non négligeables dans la lutte antidrogue. Est-ce qu'elles sont mises à profit en Afghanistan?
M. Bourduas : Nous travaillons avec les autorités afghanes en étant tout à fait conscients de la situation actuelle de la culture du pavot en Afghanistan et du fait que l'opium afghan inonde le marché européen et atteint nos rives à nous jusqu'à un certain point.
Nous sommes tout à fait conscients de la situation. À l'heure actuelle, nous avons sur le terrain des gens qui, en particulier, forment des Afghans de la police nationale afghane à l'application des lois antidrogues. Cependant, pour ce qui est de la question posée plus tôt, à savoir si nous prenons part à des opérations de ce type, non, nous ne le faisons pas.
Le président : Dans le rapport que nous avons produit en janvier dernier, nous recommandions que 60 agents canadiens en formation de techniques policières soient envoyés là-bas. À l'époque, il y en avait six. Nous avons noté qu'il y en aurait bientôt dix. Je crois savoir que vous en avez 11.
Compte tenu du nombre de personnes à votre disposition, et corrigez-moi si je ne me trompe, je sais qu'il y a une nouvelle ligne dans votre budget des services votés. Il est indiqué que c'est 105 postes.
M. Bourduas : Notons-le aux fins du compte rendu, sénateur, il y a actuellement 15 personnes qui sont déployées. Nous visons à en avoir 25. Les dix qui manquent se rapportent à l'EUPOL.
Le président : Nous parlons de Kandahar, et l'EUPOL, c'est à Kaboul.
M. Bourduas : Nous parlons de 25 en Afghanistan, dans l'ensemble. Vous avez dit juste : nous avons reçu des fonds en avril 2006 pour que la GRC puisse dépêcher des gens dans les théâtres d'opération internationaux, au total 200 ressources avec les fonds voulus. À l'heure actuelle, nous déployons des gens dans diverses régions du monde. Vous avez absolument raison : les fonds proviennent du budget des services votés.
Le président : Est-il raisonnable de croire qu'il peut y en avoir 60, à un moment donné, à l'avenir, en Afghanistan?
M. Bourduas : Encore une fois, cela revient à la question de l'analyse des besoins et des discussions que nous aurions avec nos principaux partenaires à l'échelle fédérale.
S'il y a un besoin, nous envisagerons peut-être d'affecter un certain nombre d'agents de police supplémentaires, pour que la police nationale afghane puisse avoir un meilleur rendement.
Le président : Si vous obtenez le financement nécessaire pour 200, comme vous l'avez dit je crois en rapport avec votre budget des services votés, où vont les 175 autres?
M. Bourduas : Par exemple, nous sommes près de 200 en ce moment même. Je croyais savoir que c'était près de 180. Nous déployons d'autres agents dans des pays d'Afrique et en Amérique centrale. M. Beer peut peut-être donner des précisions sur les autres agents déployés.
M. Beer : Nous prenons part à neuf missions en ce moment, sénateur, comme l'a dit le sous-commissaire. Haïti représente notre plus grande mission. L'Afghanistan vient au deuxième rang. Nous participons à diverses autres missions, depuis le Timor oriental jusqu'à la Côte d'Ivoire, des missions qui peuvent compter jusqu'à 100 personnes, comme à Haïti, ou encore une seule, comme au Kazakhstan.
Le président : Quel est le total?
M. Beer : Le total n'est pas encore de 200. Si je ne m'abuse, nous nous sommes engagés à en déployer environ 159. Nous approchons de ce nombre en ce moment, ce qui veut dire que l'arrangement sur la police civile, soit le véhicule administratif qui permet aux trois ministères de veiller sur le déploiement de ces policiers, a demandé à la GRC de déployer 159 des 200 ressources en question.
Le président : Pour ce qui est des valeurs de la GRC, comment formez-vous les gens en ayant clairement un ensemble de valeurs qui est bien exprimé et qui est essentiel à votre existence en tant qu'organisation? Que faites-vous d'un groupe de personnes dont les valeurs sont fondamentalement différentes des vôtres et comment faites-vous pour aborder même la question des techniques policières là où les gens vivent dans un environnement corrompu et où ils ne s'attendent à rien d'autre? Comment abordez-vous le problème? Vous pourriez nous donner des exemples pour que nous puissions mieux comprendre.
M. Bourduas : Vous avez dit une chose intéressante, sénateur : ils ne s'attendent à rien d'autre. Au bout du compte, nous aspirons à relever leurs attentes.
Vous avez parlé des valeurs canadiennes; or, c'est pour cela qu'il y a tant de pays qui nous demandent de leur venir en aide. Nous sommes visiblement bien reconnus pour les valeurs que nous apportons à l'application des techniques policières sur la scène internationale.
Plus particulièrement, pour ce qui est de la police nationale afghane et de son entraînement, nous sommes tout à fait conscients de traiter avec des gens aux origines diverses, qui n'ont pas forcément des valeurs semblables. Tout de même, je suis fermement convaincu qu'en travaillant auprès de ces gens et en essayant de leur montrer comment se fait le travail d'un policier, et surtout l'importance de la primauté du droit du point de vue de la stabilité économique d'un environnement, nous réussissons à voir, encore et encore, non seulement en Afghanistan, mais aussi ailleurs, en quoi ces valeurs profitent énormément à un pays.
Pour ce qui est de la formation sur le terrain de la police nationale afghane, nous reconnaissons que c'est là un défi, mais nous avons pour point de départ de notre formation un entraînement de base. Puis, après avoir repéré les gens qui ont des valeurs semblables aux nôtres, qui sont solides ou qui sont des leaders naturels, nous approfondissons la formation pour que les gens passent au niveau suivant. À ce moment-là, ils vont gérer un petit groupe d'agents de police, puis nous les mettons au défi.
Nous encourageons le leadership et nous encourageons les gens qui possèdent un bon ensemble de valeurs dans un environnement fragile. Essentiellement, nous montrons aux autres que c'est là la façon de procéder.
Peut-être que M. Beer peut donner des précisions sur la façon dont la formation se traduit sur le terrain.
M. Beer : Sénateur, la meilleure façon de décrire la chose, c'est de faire voir, tout d'abord, que toutes nos leçons en matière de développement policier proviennent de nos partenaires à l'ACDI.
Vous savez que, à la première époque du travail policier de maintien de la paix et de renforcement de la capacité, l'ACDI était notre agent de financement, notre partenaire intergouvernemental.
Nous avons tôt fait d'apprendre que notre modèle n'est pas le seul qui soit. Il nous faut présenter des occasions d'agir et des façons de procéder dans cette situation particulière, pour ce qui est du travail policier.
Nous demandons au gouvernement local et à ses responsables d'arrêter leur choix sur un modèle transparent et marqué par la responsabilité, quel qu'il soit. Nous demandons aussi que la police soit indépendante.
Nous pouvons trouver une façon de leur enseigner les techniques policières de base, si la question de la transparence et de la responsabilité est réglée. Nous inculquons un sentiment d'indépendance de la police, ce qui, soit dit en passant, se révèle particulièrement difficile dans un environnement marqué par l'histoire tribale.
Ce sont là nos véritables buts. Nous n'avons besoin d'enseigner rien d'autre que cela et, si nous le pouvons, nous pouvons leur enseigner la façon de devenir un agent de police.
Le président : Je vous entends bien, monsieur le surintendant principal, mais votre formation vous dit que vous pouvez vous attendre à trouver un représentant de la Couronne et à lui expliquer l'affaire. Vous vous entendez à avoir un tribunal qui fonctionne sur le mode contradictoire. Vous vous attendez à avoir une prison qui fonctionne raisonnablement. Or, ces choses-là n'existent pas.
Vous avez affaire à deux niveaux de justice ou de lois, si vous voulez. Le droit tel qu'il est administré dans un village ne correspond pas forcément à l'idée que s'en fait le Parlement à Kaboul.
Quels sont les repères que vous employez pour essayer de former les gens? Comment savez-vous que vous n'êtes pas en train de former le prochain groupe de malfrats qui prendra le contrôle du village?
M. Beer : Sénateur, cela tient en partie à l'idée d'être là à long terme, au mentorat et au contrôle. En partie, comme le sous-commissaire l'a mentionné, nous choisissons des gens, au moyen d'un processus de mentorat et de consultation, des gens auxquels nous finissons par faire confiance et sur lesquels nous comptons comme leaders.
[français]
Le sénateur Nolin : Dans nos notes d'information, on fait référence à une force auxiliaire de police. J'aimerais savoir comment se fait le recrutement, quels sont les incitatifs à mettre en place une force auxiliaire de police, et à quoi servirait-elle?
M. Bourduas : Le mandat de la force auxiliaire de police est différent de celui de la force nationale. Leur formation est en fonction de ce qu'on leur demande. La force auxiliaire de police est déployée uniquement sur le terrain pour une stabilisation immédiate jusqu'à ce que la force policière régulière prenne contrôle d'un secteur. M. Beer pourrait peut- être élaborer là-dessus.
[traduction]
Nous nous attendons à ce que le gouvernement local ait la volonté politique de chasser de la collectivité les éléments répréhensibles et corrompus. Dans un environnement comme celui où nous travaillons, c'est-à-dire une petite collectivité et un contexte tribal, les gens de l'endroit savent lesquels des responsables sont corrompus et lesquels ne le sont pas. Ils sont là depuis des générations, dans certains cas.
Le président : C'est ce que je voulais dire. Comment un agent de police peut-il arrêter le fils d'un homme puissant en sachant très bien que le père en question obtiendra la libération de son fils?
M. Beer : L'agent de police le fait quand il en vient à savoir que le système l'appuie dans le rôle qu'il joue; qu'il y a une approche panjuridique; et qu'on a fait des efforts pour faire le ménage dans le système de justice et le système correctionnel tout en formant des agents de police.
Au fil du temps, les réussites donneront lieu à d'autres réussites encore, et les opérations et les agents de police ayant réussi se rendront au sommet de la hiérarchie.
C'est un environnement où nous essayons de changer la culture, sinon d'inculquer une culture policière fondée sur un modèle démocratique, transparent et responsable. Il faut du temps pour cela.
Le président : Pour réussir le travail policier qui se fait au Canada, on dépend énormément de l'appui de la collectivité et de la confiance de la collectivité. Dans la mesure où les Afghans connaissent depuis des décennies, sinon encore plus longtemps, une police qui les a exploités, comment peuvent-ils s'attendre à réussir le travail policier?
M. Beer : Ce sera peut-être le dernier repère de notre stratégie à long terme, le moment où le grand public en Afghanistan dira qu'il respecte et accepte sa police en tant que police civile et en tant qu'organisme-cadre chargé de la sécurité. Une fois cela accompli, nous réussirons; dans l'intervalle, nous n'aurons pas réussi.
Le président : Pourriez-vous nous donner un délai approximatif?
M. Beer : Je vais éluder la question avec toute l'adresse que je possède, mais, enfin, il faudra des années et des années.
Le président : Pouvez-vous imaginer un autre pays ou une autre situation où les gens essaient d'accomplir ce que vous essayez d'accomplir?
M. Beer : Chaque zone de conflit diffère quelque peu des autres avec la communauté internationale qui est appelée à établir la sécurité et à édifier la capacité dans l'environnement de sécurité. Tout de même, le nombre de cas de réussite est à la hausse. On peut voir quelques progrès en Côte d'Ivoire, par exemple. Je n'irai pas jusqu'à dire que le nombre de réussites est effarant.
Il y a quelques années de cela, j'ai été commissaire de police des Nations Unies à Haïti, où la mission de l'ONU comptait les représentants d'une quarantaine de pays différents. Si je ne m'abuse, il y a trois pays où, depuis 20 ans, la communauté internationale est entrée en scène pour édifier la capacité policière, c'est-à-dire que, durant cette période, les pays en question ont évolué et maîtrisé leurs techniques policières au point de pouvoir envoyer des policiers dans le cadre d'une mission de l'ONU. Le Kosovo est un cas, et je crois que la Slovénie en est un autre. Il y en a deux ou trois. La liste n'est pas longue — il faut beaucoup de temps pour cela —, mais il existe des cas de réussite modestes. Il n'y a peut-être que l'Irak où ce serait plus difficile encore qu'en Afghanistan.
Le président : Merci.
Pour le deuxième tour, nous allons écouter le sénateur Nolin.
[français]
Le sénateur Nolin : Est-ce qu'ils sont rémunérés?
M. Beer : Oui, mais je ne suis pas certain du montant de leur salaire. Ils ne gagnent pas exactement la même chose que la police nationale.
Le sénateur Nolin : Tout à l'heure dans votre témoignage, vous parliez du travail d'un policier en référant à « il » ou « elle ». Il y a combien de femmes policières en Afghanistan?
[traduction]
M. Beer : Je ne veux pas trop m'avancer sur ce terrain, sénateur. Pour être tout à fait honnête, je ne connais pas bien les raisons pour lesquelles une police auxiliaire a été créée, sauf pour dire qu'au cours des deux ou trois premières années de formation des policiers, il y a eu plusieurs échecs importants, particulièrement en ce qui touche des poches de groupes armés ayant certaines allégeances tribales. Dans certaines provinces du Sud, il était difficile de recruter des gens prêts à mettre de côté leurs allégeances tribales au profit d'un organisme policier national.
On avait espéré prendre les gens d'une région locale qui, même s'ils ont des allégeances tribales, pouvaient intégrer la police par la voie d'un corps auxiliaire. Au départ, ils avaient peut-être davantage d'allégeances tribales qu'on l'aurait souhaité chez une recrue d'un organisme policier national.
Je ne suis pas certain que cette approche ait été une réussite entière. Nous pourrions dire essentiellement que la police auxiliaire compte des gens recrutés dans une région particulière, une région locale, qui peuvent avoir des allégeances tribales et qui, espère-t-on, peuvent assurer quelque peu la sécurité des gens dans cette région particulière. Avec le temps, on l'espère, les recrues font leurs preuves et passent un jour à la police nationale afghane.
Je crois que c'est 10 000 ou 11 000 personnes environ qui ont été recrutées dans la police nationale afghane. Ce projet particulier comporte une date limite. Je ne connais pas cette date limite.
L'idée consistait à se concentrer sur la région du Sud et à assurer quelque peu la sécurité, en deçà du cas de la formation de la police nationale afghane, et à consolider la formation ainsi qu'à miser sur l'expérience et les connaissances locales. Le modèle ne correspond que grossièrement à ce que nous pourrions considérer comme une police auxiliaire, mais je ne saurais dire qu'il est une réussite entière. C'est un programme qui comporte une date limite.
[français]
Le sénateur Nolin : Le Canada a versé les salaires de ces policiers. On parle de la Fiducie pour la loi et l'ordre en Afghanistan. Je fais référence au document que vous nous avez remis. Combien le Canada a-t-il contribué à ce fonds pour s'assurer que 64 000 policiers reçoivent leur salaire?
M. Wallace : Je dirais que ce n'est pas un programme de l'ACDI. C'est un fonds subventionné par le ministère des Affaires étrangères. Je crois que la contribution à ce fonds était de l'ordre de 27 millions de dollars au cours de la dernière année. Le Canada fait partie d'un ensemble de pays qui contribuent à ce fonds. Les coûts récurrents de la police civile vont devoir être appuyés par la communauté internationale pour plusieurs années et le Canada va certainement continuer à contribuer.
Je terminerai en disant que le Canada joue un rôle très intéressant par rapport à la police féminine en Afghanistan. Il y a une Canadienne à la retraite de la GRC qui fait un travail absolument phénoménal au Ministère intérieur de la police civile.
Le sénateur Nolin : Pas un autre de nos grands secrets canadiens qu'on vient de mettre à jour?
M. Wallace : À mon avis, c'est une héroïne canadienne. Elle a travaillé non seulement à une plus grande ouverture, cela se fait au niveau de la police féminine afghane, mais elle a également joué un rôle clé, tout récemment, lors de l'organisation d'une conférence internationale des pays musulmans et la présence accrue de la police féminine. Le Canada s'impose donc dans ce domaine. Il y a des résultats concrets qui se démarquent.
Le sénateur Nolin : Ne gardez pas cela trop secret. Il faut que ces bonnes nouvelles se sachent!
[traduction]
M. Beer : Je ne saurais dire de manière certaine. Je peux trouver cela. C'est un faible pourcentage, mais le chiffre est à la hausse. Encore une fois, la notion de changement culturel entre en ligne de compte.
Notre objectif final est un organisme policier, un organisme professionnel auquel des jeunes des deux sexes souhaitent se joindre en tant que professionnels sans que leur famille les dissuade. Il y a eu toutes sortes de questions entourant l'histoire de l'organisme policier civil, sinon l'absence dans le passé d'un organisme policier civil, mais le rôle traditionnel accordé à la femme est un autre obstacle qu'il faut éliminer.
[traduction]
Le sénateur Banks : Je ne veux pas repasser sur un terrain que nous aurions déjà parcouru. Je n'ai pas mes notes et je n'ai pas posé la question à mes collègues, mais il me semble que la deuxième fois où notre comité est allé en Afghanistan et que nous avons visité le Camp Nathan Smith, il y avait là un représentant de l'ACDI, dont j'oublie le nom, je m'excuse. Le représentant en question nous a parlé d'une contribution de, je crois, 100 000 $ canadiens qui avait été faite pour que soit établie une maternité autonome ou une maternité rattachée à l'hôpital dont vous avez donné le nom plus tôt. Tout au moins, je crois qu'elle a été rattachée à cet hôpital. C'était plutôt rouge. Nous sommes passés devant en voiture et nous nous sommes demandé si elle était en activité encore.
Nous avons entendu par la suite qu'il y avait d'abord une tente pendant un certain temps, puis que la tente est disparue et que rien ne s'est passé. Savez-vous ce qu'il en est des 100 000 $ en question, par exemple, sinon mon souvenir de la situation est-il tout déformé?
M. Wallace : Je crois que les conditions décrites sont assez bonnes ici. L'UNICEF est à l'œuvre dans la province de Kandahar et appuie l'hôpital Mirwais, comme bon nombre d'hôpitaux dans le pays.
L'UNICEF collabore en particulier avec le ministère de la Santé à un projet de maternité de transition, baptisé « maternal waiting homes ». Le projet est destiné aux femmes enceintes qui viennent des régions éloignées et qui ont besoin d'un lieu où séjourner. L'UNICEF travaille à l'aménagement de six centres du genre en Afghanistan, notamment dans la province de Kandahar.
Les gens ont mis un an environ à essayer de déterminer ce à quoi ressemblerait une maternité de transition afghane. Ils ont consulté les conseils locaux, les aînés des villages et les autorités de la santé publique. Ils ont réalisé quelques projets pilotes, y compris l'aménagement d'une tente, qui, en novembre dernier, servait de lieu d'essai. Il s'agissait de voir qui viendrait s'en servir. Nous avons constaté que ça servait de lieu d'attente pour les familles venues voir les femmes à l'hôpital.
Cependant, ce n'est pas là une solution à long terme. Ils ont donc essayé d'imaginer d'autres options. Ils ont parachevé les plans d'une maison permanente. Ils ont fini de former aux techniques d'urgence 14 membres du personnel du service d'obstétrique. L'UNICEF est maintenant sur le point de lancer officiellement une maternité de transition dans un bâtiment permanent près de l'hôpital Mirwais de la Croix-Rouge.
Le Canada a donné 350 000 $ à l'UNICEF au cours de la dernière année, et nous avons réussi à déterminer la plupart des éléments de l'équation. Tout ce qu'il reste à faire, c'est de construire le bâtiment lui-même. Il semble que les contrats aient été accordés et que la première pelletée de terre aura lieu dans un proche avenir. Le projet semble être sur les rails.
Le sénateur Banks : Y a-t-il un avantage résiduel, outre la conception et le fait d'essayer quelque chose, du point de vue de notre pays?
M. Wallace : Oui, la formation en procédures gynécologiques et en techniques d'obstétrique d'urgence s'est révélée très utile. L'hôpital est maintenant ouvert 24 heures sur 24, sept jours par semaine, pour certains services. Cela a été très utile.
Le projet de maternité de transition aura du succès, car, habituellement, les gens ne viennent pas des régions reculées à moins qu'il n'y ait un problème.
Le sénateur Banks : J'apprécie l'explication. Merci beaucoup.
Le président : Je tiens à vous remercier tous les trois — le sous-commissaire Bourduas, le surintendant principal Beer et M. Wallace — d'être venus témoigner aujourd'hui. Vous avez répondu à nos questions avec franchise. Vous nous avez été d'un grand secours dans l'étude que nous faisons.
Nous espérons pouvoir vous accueillir de nouveau, bientôt, pour que vous nous aidiez à mieux saisir les enjeux auxquels vous êtes confrontés. Merci beaucoup du bon travail que vous accomplissez et de nous avoir aidés aujourd'hui.
Aux membres du grand public qui assistent à l'audience par le truchement de la télévision, si vous avez des questions ou des commentaires, n'hésitez pas à visiter notre site Web au www.sen-sec.ca. Nous y affichons les témoignages aussi bien que les dates de réunion confirmées. Autrement, vous pouvez communiquer avec la greffière du comité en composant le 1-800-267-7362 pour obtenir d'autres informations ou de l'aide pour communiquer avec les membres du comité.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.