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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 2 - Témoignages du 27 novembre 2007


OTTAWA, le mardi 27 novembre 2007

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, à qui a été renvoyé le projet de loi S-208, Loi exigeant que le ministre de l'Environnement crée, en collaboration avec les provinces, une agence habilitée à définir et à protéger les bassins hydrographiques du Canada qui seront les sources d'eau potable des générations futures, se réunit aujourd'hui à 17 h 47 pour examiner ce projet de loi.

Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : J'ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue au Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Je m'appelle Tommy Banks. Je viens de l'Alberta et je préside le comité.

Avant de commencer, j'aimerais présenter les membres du comité. Le sénateur Nolin est le vice-président du comité et représente la province de Québec. Le sénateur Sibbeston représente les Territoires du Nord-Ouest; le sénateur Mitchell et le sénateur Brown viennent de l'Alberta; Le sénateur Cochrane représente Terre-Neuve-et-Labrador.

Le comité poursuit aujourd'hui son étude de la teneur du projet de loi S-208, loi exigeant que le ministre de l'Environnement crée, en collaboration avec les provinces, une agence habilitée à définir et à protéger les bassins hydrographiques du Canada qui seront les sources d'eau potable des générations, qu'a présenté le sénateur Grafstein au Sénat le 17 octobre 2007.

Nous avons constitué un groupe de hauts fonctionnaires qui vont nous aider à comprendre la perspective du gouvernement fédéral sur trois aspects clés — à savoir le projet de loi lui-même, les aspects constitutionnels du projet et sa place par rapport à la Loi sur les ressources en eau du Canada de 1970.

Nous allons entendre aujourd'hui M. Henry Schultz, avocat général principal, M. Warren J. Newman, avocat général et Mme Elin O'Shea, avocate, des Services juridiques du ministère de la Justice du Canada, qui vont aider le comité à mieux comprendre toutes ces questions. Je vous souhaite à tous la bienvenue au Sénat du Canada.

Henry Schultz, avocat général principal, Services juridiques (Environnement Canada), ministère de la Justice Canada : Je suis un avocat général principal du ministère de la Justice et je dirige les Services juridiques du ministère de l'Environnement. Nous savons que ce comité souhaite obtenir l'avis d'avocats du ministère de la Justice sur deux aspects du projet de loi S-208, à savoir la constitutionnalité de ce projet de loi et le risque que les dispositions de ce projet de loi, s'il est adopté, fassent double emploi avec celles de la Loi sur les ressources en eau du Canada.

Mes collègues, M. Newman et Mme O'Shea, seront heureux de répondre à vos questions concernant la constitutionnalité du projet de loi. Je répondrai aux questions touchant les risques de chevauchement avec la Loi sur les ressources en eau du Canada. Avant de répondre à vos questions, j'ai pensé vous présenter un résumé de nos points de vue préliminaires sur les deux questions que vous aimeriez aborder aujourd'hui.

Premièrement, pour ce qui est de la constitutionnalité, nous avons examiné ce projet de loi du point de vue du partage des compétences législatives entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Nous n'avons pas découvert de motifs de croire que le projet de loi serait contraire aux règles en matière de partage des pouvoirs.

Malgré son long titre, qui semble indiquer le contraire, le projet de loi S-208 n'a pas pour objectif de créer une agence. Il exige en fait du ministre de l'Environnement qu'il consulte ses homologues provinciaux et d'autres ministres fédéraux, et qu'il prenne diverses autres mesures dans le but de créer une agence. Il semble donc que le projet de loi relève du pouvoir du gouvernement fédéral en matière de paix, d'ordre et de bon gouvernement. Dans la mesure où il a pour effet d'imposer des obligations à une institution fédérale ou, plus précisément, à un ministre fédéral de la Couronne, il ne semble pas empiéter sur des compétences provinciales. En fait, le préambule reconnaît que les pouvoirs législatifs en matière de protection des bassins hydrographiques relèvent à la fois des compétences fédérales et des compétences provinciales. Bien évidemment, dans le cas où un accord fédéral-provincial serait conclu et où un projet de loi serait présenté dans le but de créer une agence et de lui attribuer des pouvoirs, il serait essentiel de préparer très soigneusement un tel projet de loi pour veiller à ce qu'il respecte les compétences législatives fédérales et provinciales.

Le projet de loi S-208 soulève néanmoins certaines préoccupations du point de vue de la séparation des pouvoirs. C'est un projet très directif qui ne laisse au ministre que très peu de discrétion pour ce qui est de conclure un accord fédéral-provincial. Ce projet a également pour effet d'obliger le ministre à présenter, dans un délai fixe, un projet de loi portant création d'une agence. Cela semble constituer un empiètement sur le rôle de l'exécutif, et pourrait également constituer une violation prima facie du privilège que possède le ministre en qualité de membre du Parlement.

Pour ce qui est du risque de chevauchement avec la Loi sur les ressources en eau du Canada, l'obligation qu'impose le projet de loi au ministre de l'Environnement, à savoir, l'obligation de conclure un accord fédéral-provincial, ne se retrouvent pas dans la Loi sur les ressources en eau du Canada. Cette dernière loi autorise le ministre à conclure des accords fédéraux-provinciaux, mais ne l'oblige d'aucune façon à le faire. Apparemment, il n'y a donc pas de chevauchement direct entre le projet de loi S-208 et la Loi sur les ressources en eau du Canada.

Cependant, le projet de loi S-208 et la Loi sur les ressources en eau du Canada recherchent le même objectif, à savoir faciliter la gestion fédérale-provinciale des ressources en eau du Canada; et la Loi sur les ressources en eau du Canada a, à notre avis, une portée suffisamment vaste pour permettre de réaliser les objectifs recherchés avec le projet de loi S- 208. Nous estimons qu'il serait possible de réaliser les objets du projet de loi S-208 en exerçant les pouvoirs législatifs qui se trouvent déjà dans la Loi sur les ressources en eau du Canada et dans d'autres lois.

Le président : Merci. Monsieur Newman et madame O'Shea, plutôt que de faire une déclaration, voulez-vous répondre aux questions?

Warren J. Newman, avocat général, Section du droit administratif et constitutionnel, ministère de la Justice Canada : Oui.

Le sénateur Nolin : Je ne sais pas si vous avez lu les commentaires qu'a faits le sénateur Grafstein devant le comité la semaine dernière. Je pense qu'il serait important que le comité comprenne quelles sont exactement les responsabilités des provinces ainsi que les responsabilités du gouvernement fédéral lorsqu'il s'agit de légiférer sur les ressources en eau.

J'ai lu les commentaires du sénateur Grafstein — je n'ai pas assisté à cette séance — et je pense que nous approuvons tous l'objet de ce projet de loi. Nous voulons faire ce qui est bien; nous voulons être sûrs que les Canadiens auront toujours accès à de l'eau potable, et l'eau est une ressource importante. Nous ne savons pas si elle est renouvelable ou non — je prétends qu'elle n'est pas renouvelable, mais...

Le président : Elle est renouvelable jusqu'à un certain point.

Le sénateur Nolin : Oui, eh bien, le cycle de la vie est également renouvelable. Tout est renouvelable.

Comprenez-vous bien ma question? Il me paraît important de savoir exactement qui peut faire quoi. En fin de compte, si nous voulons prendre des mesures du genre de celles que propose le projet de loi S-208 — qui vont au-delà de ce que prévoit la loi actuelle —, nous le ferons, mais nous devons auparavant comprendre ces questions. C'est la raison pour laquelle le Sénat a, d'après moi, convenu d'effectuer une étude préalable et d'examiner la teneur du projet de loi avant de procéder à un examen plus détaillé du projet de loi lui-même.

Elin O'Shea, avocate, Section du droit administratif et constitutionnel, ministère de la Justice Canada : Il y a cinq ou six ans environ, un avocat du ministère de la Justice, M. Yves De Montigny, a comparu devant le comité et a décrit les divers chefs de compétence fédéraux et provinciaux susceptibles de concerner l'eau potable. Si vous le permettez, je vais utiliser ses notes pour vous fournir cette information.

Le sénateur Nolin : S'il y a un document qui pourrait être distribué à mes collègues, je pense que ce serait apprécié.

Mme O'Shea : Je peux vous inviter à lire le compte rendu de l'exposé qu'il a présenté à l'époque. C'était le 20 septembre 2001. Il fait remarquer qu'historiquement, les provinces ont été dans une large mesure responsables de l'alimentation en eau potable et de la protection de celle-ci. Il examine divers chefs de compétence provinciale et d'autres sources de pouvoirs provinciaux en matière d'eau potable, y compris les droits de propriétaire que détient la Couronne provinciale sur la plupart des terres publiques situées dans la province. Celle-ci jouit sur sa propriété des droits que possède toute autre personne morale. Je pense qu'il a signalé que les provinces, en qualité de propriétaires d'un bien, peuvent néanmoins être assujetties à une loi fédérale. Les provinces sont, aux termes de l'article 92.5 de la Loi constitutionnelle, responsables de l'administration et de la vente des terres publiques appartenant à la province. De toute évidence, les lois régissant l'utilisation des terres publiques peuvent influer considérablement sur l'approvisionnement en eau potable et sur sa qualité. Les provinces possèdent, aux termes de l'article 92.10 de la Loi constitutionnelle, des compétences législatives sur les ouvrages et entreprises d'une nature locale, autres que ceux qui relèvent d'une compétence fédérale, et cela comprendrait des installations comme les stations de traitement d'eau. Elles ont compétence à l'égard des institutions municipales dans la province, et d'une façon générale, ce sont ces dernières qui sont responsables de l'approvisionnement en eau potable. En outre, la principale source serait peut-être les articles 92.13, la propriété et les droits civils dans la province, et 92.16, toutes les matières de nature purement locale ou privée dans la province.

Aux termes du paragraphe 92A(1), la province possède une compétence législative en matière d'exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles non renouvelables et des ressources forestières, ainsi qu'en matière d'aménagement, de conservation et de gestion des emplacements et des installations de la province destinés à la production d'énergie électrique. Les lois régissant l'exploitation de ces ressources peuvent avoir un effet sur la gestion de l'eau. Les provinces ont une compétence concurrente avec le gouvernement fédéral dans le domaine de l'agriculture.

Il y a une liste tout aussi longue des sources possibles de pouvoir fédéral sur les questions touchant l'eau. Le gouvernement fédéral est également propriétaire de terres et a le pouvoir législatif d'adopter des lois concernant les terres publiques fédérales; il peut également exercer ce pouvoir à l'égard des bases militaires, des édifices fédéraux et des réserves indiennes, aspects susceptibles d'avoir des répercussions sur l'eau. Il y a le pouvoir en matière de droit pénal. Je pourrais vous expliquer en détail ce pouvoir si vous le souhaitez, une fois que j'aurai passé à travers de cette liste.

Il est également possible que le pouvoir en matière « d'ordre, de paix et de bon gouvernement » puisse avoir un effet sur les ressources en eau, en particulier dans les domaines de compétence d'intérêt national, même s'il n'est peut-être pas tout à fait aussi pertinent que les pouvoirs énumérés ci-dessus, de même que le pouvoir sur les pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur aux termes de l'article 91.12, sur la navigation et les expéditions par eau, l'article 91.10, et sur les entreprises et les ouvrages fédéraux, comme les canaux, qui s'étendent au-delà des limites d'une province, aux termes des articles 91.29 et 92.10. En outre, le Parlement partage avec les provinces des pouvoirs en matière d'agriculture. Il y a aussi le pouvoir de conclure des traités, qui pourrait avoir des répercussions sur les ressources en eau, ainsi que le pouvoir de mettre en œuvre les aspects fédéraux des traités, ce qui pourrait également être relié aux ressources en eau.

Le sénateur Nolin : Le sénateur Grafstein a parlé de la théorie de l'intérêt national comme d'un principe permettant de structurer la responsabilité du gouvernement fédéral dans ce domaine, tout en reconnaissant que les provinces, et notamment les municipalités, ont, à des degrés divers, assumé leurs responsabilités. Cependant, à la lumière du facteur national, le gouvernement fédéral devrait être l'instance chargée de coordonner tous ces efforts.

Mme O'Shea : Eh bien, si j'ai bien compris la teneur du projet de loi, l'objectif est de créer un organisme conjoint fédéral-provincial.

Le sénateur Nolin : Il ressort très clairement de ce que vous venez de dire qu'il s'agit ici d'une responsabilité partagée. La dimension nationale des ressources en eau a-t-elle pour effet d'accorder au Parlement le pouvoir d'imposer aux autorités fédérales la responsabilité d'organiser la coordination des ressources en eau au Canada?

Mme O'Shea : Je pense que les tribunaux préfèrent fonder les pouvoirs législatifs sur des chefs de compétence précis plutôt que sur la notion d'intérêt national. Il n'est toutefois pas possible d'exclure la possibilité que la dimension nationale d'un pouvoir soit pertinente.

Le sénateur Nolin : Le sénateur Grafstein a fait référence à l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Crown Zellerbach. Pourriez-vous nous faire des commentaires sur cet arrêt et sur Interprovincial Corporative Limited?

Mme O'Shea : J'ai pris des notes sur la notion d'intérêt national que je peux vous lire, si vous pensez que cela pourrait être utile, mais je risque de répéter les paroles du sénateur Grafstein.

Le sénateur Nolin : Vous ne niez pas qu'il existe une partie du droit constitutionnel pertinent qui n'est pas utilisée souvent mais qui existe.

Mme O'Shea : Absolument pas.

Le sénateur Nolin : Il serait bon que nos collègues qui ne connaissent pas bien ce domaine du droit le comprennent mieux.

Le président : La Loi sur les ressources en eau du Canada est-elle fondée sur cette hypothèse?

Mme O'Shea : Il semble qu'elle soit effectivement fondée, en partie du moins, sur cette hypothèse. Elle fait certaines références aux eaux fédérales qui peuvent concerner d'autres aspects des compétences législatives fédérales.

Au départ, la théorie de l'intérêt national a été formulée dans une décision qui confirmait la validité d'une loi fédérale en matière de prohibition. Dans sa décision de 1946, le tribunal a mentionné d'autres domaines d'intérêt national : la guerre, une épidémie de peste, le trafic des boissons ou des drogues, le port d'armes et la vente de bétail atteint d'une maladie contagieuse. Dans des décisions postérieures, la validité des lois fédérales concernant l'aéronautique, la Région de la capitale nationale, la pollution marine et la réglementation de l'énergie nucléaire a été confirmée par le recours à la théorie de l'intérêt national. Dans l'arrêt Crown Zellerbach, le juge Le Dain, parlant au nom de la majorité, a formulé quatre éléments à prendre en considération pour déterminer si l'intérêt national était en jeu : premièrement, cette théorie est distincte de la situation d'urgence nationale justifiant l'exercice de la compétence en matière de paix, d'ordre et de bon gouvernement, qui a pour but d'offrir un fondement constitutionnel à une mesure législative provisoire. Deuxièmement, l'intérêt national peut s'appliquer à de nouvelles matières qui n'existaient pas à l'époque de la Confédération ainsi qu'à des matières qui, bien qu'elles fussent à l'origine de nature locale ou privée dans une province, sont depuis devenues des matières d'intérêt national, sans qu'il y ait situation d'urgence nationale. Il est par contre plus difficile de répondre aux troisième et quatrième critères. Troisièmement, pour qu'on puisse dire qu'une matière est d'intérêt national, elle doit avoir une unicité, une particularité et une indivisibilité qui la distingue clairement des matières d'ordre provincial et un effet sur la compétence provinciale qui soit compatible avec le partage fondamental des pouvoirs législatifs effectué par la Constitution. Le quatrième critère consiste à décider si une matière atteint le degré requis d'unicité, de particularité et d'indivisibilité qui la distingue clairement des matières d'intérêt provincial.

Il y a lieu de tenir compte de l'effet qu'aurait sur les intérêts extraprovinciaux l'omission d'une province de prendre des mesures efficaces visant à contrôler ou à réglementer les aspects intraprovinciaux d'une matière. J'ajouterais qu'il y a lieu de noter qu'une matière n'est pas nécessairement visée par la théorie de l'intérêt national, un volet de la clause relative au bon ordre, à la paix et au bon gouvernement, pour la seule raison qu'elle est importante ou qu'il serait souhaitable qu'elle fasse l'objet de mesures législatives uniformes.

Le sénateur Brown : Monsieur Schultz, vous semblez dire que la Loi sur les ressources en eau du Canada permet de prendre toutes les mesures que prévoit ce projet de loi. J'ai déjà soulevé cet aspect au cours d'une autre séance du comité et je me demande si cela est mentionné quelque part dans le projet de loi. Dans pratiquement toutes les régions du pays, ce sont les gouvernements municipaux, qu'il s'agisse de grandes ou petites villes ou même de hameaux, qui sont chargés de fournir aux habitants une eau potable qui ne les rende pas malades, comme cela est arrivé à Walkerton. Je sais que c'est aux provinces qu'on attribue les échecs dans le domaine de l'approvisionnement municipal en eau, et je pense donc que ce sont les provinces qui possèdent la plupart des pouvoirs législatifs dans ce domaine.

M. Schultz : Je suis d'accord avec vous. Dans la plupart des cas, les municipalités exercent un contrôle sur l'approvisionnement en eau potable, à l'exception des réserves indiennes, les bases militaires et peut-être d'autres lieux, mais d'une façon générale, vous avez tout à fait raison. J'estime que la Loi sur les ressources en eau du Canada semble déjà couvrir les objectifs essentiels recherchés avec le projet de loi à l'étude. Le but de la Loi sur les ressources en eau du Canada était de créer un mécanisme qui permettrait aux gouvernements fédéral et provinciaux d'élaborer ensemble des programmes de gestion commune des ressources en eau, en tenant compte du fait que le contrôle des ressources en eau relève des deux niveaux de gouvernement. La Loi sur les ressources en eau du Canada ne mentionne pas expressément l'eau potable, cela est clair, mais elle traite de la gestion de l'eau en général, ce qui pourrait comprendre l'eau potable. Il serait possible de mettre sur pied des plans de gestion de l'eau en vertu de cette loi qui reconnaissent clairement le rôle important que jouent les municipalités pour ce qui est de l'eau potable. J'espère que cela répond à votre question.

Le sénateur Brown : Cette loi est-elle vraiment nécessaire et n'aurait-elle pas pour effet de créer une immense bureaucratie dont la seule fonction serait de s'occuper de toutes les usines municipales de traitement de l'eau qui existent à l'heure actuelle?

M. Schultz : Je peux vous faire une remarque fondée sur le projet de loi. Premièrement, je peux vous parler de ce que le projet semble prévoir et ensuite, de ce que pourrait donner sa mise en œuvre. Ce projet de loi envisage de nouvelles mesures législatives. Je ne suis pas en mesure d'imaginer le genre de bureaucratie à laquelle pourraient donner naissance certaines mesures législatives. L'adoption de ce projet de loi ne va pas nécessairement entraîner la création d'un nouvel organisme administratif. Cela vient du fait qu'il oblige le ministre de l'Environnement à consulter ses homologues provinciaux et certains de ses collègues du Conseil des ministres et de tenter de négocier et de conclure un accord visant à créer une agence chargée de gérer les questions fédérales-provinciales touchant les ressources en eau.

Le sénateur Brown : La loi elle-même n'entraînera peut-être pas l'adoption d'un règlement, mais elle représente la première étape qui nous mènera vers la rédaction d'un certain nombre de mesures législatives. Est-ce bien exact?

M. Schultz : Nous envisageons deux conséquences. S'il n'y a pas d'accord, le ministre fera rapport sur les raisons pour lesquelles il n'y a pas eu d'accord. S'il y a accord, le ministre doit alors présenter des mesures législatives. Ce sera alors le moment de parler du régime de réglementation qui sera mis sur pied avec ce deuxième projet de loi.

Le président : Vous avez mentionné il y a un instant que la Loi sur les ressources en eau du Canada permettait de prendre toutes les mesures qu'autorisait ce projet de loi, la différence étant que les mesures que permet de prendre la Loi sur les ressources en eau du Canada sont facultatives et que ce projet de loi est un peu plus « directif » puisqu'il mentionne que le ministre est tenu de tenter de négocier un accord. Certaines parties de la Loi sur les ressources en eau du Canada ont été abrogées. Pouvez-vous nous dire si elle a été efficace ou si elle l'est encore dans ces domaines? Certaines parties de cette loi sont-elles en vigueur au Canada?

M. Schultz : Oui, il y avait au départ quatre parties. La troisième partie traitait des éléments nutritifs et a été abrogée. Ses dispositions se retrouvent dans la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999). La quatrième partie contient des dispositions générales. La deuxième partie traite de la gestion qualitative des eaux. Il est bien connu que l'adoption de cette partie au début des années 1970 a suscité une certaine controverse et que cette partie n'a jamais été appliquée parce qu'elle contient des dispositions qui exigeaient que soient suivies certaines conditions en matière de gestion de certains types de ressources en eau. Le gouvernement fédéral avait formé unilatéralement des hypothèses à ce sujet. Cette loi a été considérée comme trop controversée politiquement pour qu'elle puisse s'appliquer, et le gouvernement fédéral s'est occupé des questions visées par cette loi en ayant recours soit à d'autres pouvoirs d'origine légale, soit à d'autres moyens d'assurer la qualité de l'eau.

La première partie, intitulée « Gestion intégrale des ressources en eau », a beaucoup plus été utilisées que les autres. Cette loi existe depuis 35 ans. Elle a été beaucoup plus utilisée au cours des 20 premières années qu'au cours des 15 années suivantes. Je ne peux pas vous dire pourquoi les gouvernements successifs ont agi ainsi.

Le sénateur Adams : Nous ne connaissons même pas les préoccupations qu'ont les personnes qui vivent dans les collectivités du Nord et dans les réserves. Notre situation est très différente de celle des régions du Sud et des villes où les gens peuvent avoir sous leur maison des citernes pour entreposer l'eau. Nous vivons sur le permafrost et nous ne pouvons pas faire cela. Deux seulement des 26 collectivités du Nunavut ont l'eau courante et un système d'égout — Rankin Inlet et Iqaluit. D'autres collectivités ont des fosses septiques si le niveau de la nappe phréatique le permet. Lorsqu'on a recours à une fosse septique, il faut un système de pompe à l'intérieur de la maison pour l'approvisionnement en eau et dès que ce système se remplit d'eaux usées, la pompe ne démarre plus et il n'y a pas d'eau. Il est également difficile de savoir s'il est possible de bien nettoyer les réservoirs et les systèmes d'eau. Il y a des familles qui ont 10 ou 12 enfants, qui doivent demander qu'on leur remplisse deux fois par jour un réservoir de 500 gallons.

Est-ce que ces personnes ont accès à de l'eau potable? Les municipalités ne savent plus à qui s'adresser parce que cela concerne tout le monde et nous n'avons pas les fonds qui nous permettraient de construire un meilleur système d'approvisionnement en eau pour la collectivité. Il y a plus de 700 réserves au Canada et elles ont toutes des problèmes d'eau. Il faut protéger les gens. La plupart du temps, nous sommes obligés de construire un réservoir et de le remplir pendant l'été. J'aimerais demander aux spécialistes s'ils savent ce qui se passe lorsqu'un réservoir gèle jusqu'à une profondeur de six ou sept pieds. En quoi cela affecte-t-il l'eau qui s'y trouve? Les poissons ne peuvent vivre s'il n'y a pas de rivières et de lacs. Dès que les rivières s'assèchent, les poissons meurent. Cela est déjà arrivé très souvent. Il faudrait avoir le moyen de faire des analyses d'eau. Protégez-vous les personnes qui vivent dans l'Arctique et dans les territoires?

M. Schultz : Si vous voulez savoir si la Loi sur les ressources en eau du Canada traite de cette question, alors je vous répondrais que non, je ne le pense pas. Lorsque cette loi a été adoptée, le territoire du Nunavut n'existait pas et le gouvernement fédéral contrôlait plus directement les territoires.

Le sénateur Adams : A-t-on maintenant apporté des modifications à cette loi? Y a-t-il des règlements qui protègent la santé des gens qui vivent dans les régions nordiques?

M. Schultz : Je dis que cela peut toujours se faire. Si vous prenez l'exemple du Nunavut, il est possible de conclure des ententes fédérales-territoriales qui régleraient des problèmes comme la reconnaissance du pouvoir que peut exercer le territoire du Nunavut sur les affaires municipales et l'approvisionnement en eau potable des municipalités. Je pense qu'il est possible de mettre sur pied des programmes de gestion de l'eau aux termes de la Loi sur les ressources en eau du Canada, dans le cas du Nunavut. Le problème auquel vous faites référence est celui de la responsabilité des municipalités, même au Nunavut. Je ne pense pas que cette loi permette d'aborder directement cette question.

Le sénateur Adams : Pour des projets de ce genre, il faut que le gouvernement fédéral accepte d'accorder des fonds. Nous avons 26 collectivités et seulement 30 000 habitants. Chaque fois qu'il faut construire un réservoir, cela coûte des millions de dollars si l'on veut que l'eau soit potable. La première fois que je me suis rendu dans le territoire en 1964, on avait construit un réservoir en plein milieu de la ville. On l'avait construit en argile. Il est possible de nos jours d'avoir un meilleur système, mais il faut quand même avoir un réservoir qui doit être rempli avec une pompe tous les étés pour qu'il puisse fournir de l'eau l'hiver suivant. Les municipalités ont adopté leurs propres règlements. Il y a 30 000 contribuables au Nunavut qui sont prêts à consacrer à cela des millions de dollars. Entre-temps, il faudrait adopter des règlements concernant le système d'approvisionnement en eau et la Loi sur les ressources en eau du Canada que les gens qui vivent dans ces municipalités puissent comprendre. Mais il n'y a rien dans ces règlements qui règle ces problèmes.

Le président : Je rappelle aux sénateurs que, si ces deux sujets sont reliés et si la différence entre les deux est parfois subtile et difficile à discerner, il existe un projet de loi distinct — le projet de loi S-206 — qui traite de l'aspect concret de l'approvisionnement en eau, grâce à des aqueducs ou à des réservoirs. Le sénateur Grafstein a qualifié ce projet de loi de projet concernant les ressources en aval, mais en fait, il porte sur les ressources en amont, il traite des bassins hydrographiques et de la protection de l'approvisionnement en eau des systèmes municipaux et le reste. Je vous invite à tenir compte de cette différence.

Le sénateur Milne : Je vous fais remarquer qu'il n'y a pas de bassin hydrographique lorsque l'eau est gelée et j'estime que les questions qu'a posées le sénateur Adams étaient tout à fait pertinentes.

Excusez-moi d'arriver en retard; j'étais chargée d'accueillir officiellement l'Association of Canadian Publishers, qui organise ce soir une réception sur la Colline parlementaire. J'ai pris un livre sur la politique et l'environnement pour notre président.

On a constamment répété au comité que le relevé des nappes aquifères au Canada n'était pas terminé. J'aimerais savoir si le gouvernement fédéral procède à un inventaire des bassins hydrographiques et des nappes aquifères du Canada et s'il y a à l'heure actuelle des initiatives et des projets fédéraux qui ont pour objectif de les localiser et d'en faire le relevé. Quels sont les crédits qui ont été affectés cette année à ce projet?

M. Schultz : Sénateur, je suis toujours mal à l'aise lorsque je dois invoquer mon rôle d'avocat, mais je suis ici à titre de conseiller juridique. Je ne peux répondre à cette question et je pense qu'il serait préférable de la poser à un haut fonctionnaire de mon ministère client, Environnement Canada.

Le sénateur Kenny : Est-ce qu'il invoque le cinquième amendement?

Le sénateur Milne : Oui. Allons-nous convoquer ces hauts fonctionnaires?

Le président : Je pense que nous devrions le faire.

Le sénateur Milne : Entre-temps, monsieur Schultz, j'espère que vous pourriez essayer de trouver la réponse à cette question.

M. Schultz : Vous avez soulevé une question intéressante. J'aimerais faire la remarque suivante : la Loi sur les ressources en eau du Canada attribue certainement au gouvernement fédéral le pouvoir de faire, en consultation avec les provinces, certaines choses comme établir des relevés. En fait, il l'a déjà fait. Je fais référence à l'article 7 de la loi. Je ne vais pas vous le lire, mais cette disposition autorise la recherche sur tout aspect de la gestion des ressources en eau. Je tiens à souligner que la portée de la Loi sur les ressources en eau du Canada est suffisamment large pour comprendre, non seulement l'eau souterraine, mais également les choses comme les nappes aquifères, c'est ce que je pense. Cette loi accorde le pouvoir de faire ce genre de choses, mais vous devriez parler à la haute direction de mon ministère client pour obtenir une réponse à votre question.

Le sénateur Milne : Les nappes aquifères sont l'une des principales sources d'eau potable au Canada. Je vais certainement poser la même question aux hauts fonctionnaires lorsqu'ils comparaîtront devant nous. Par contre, mon propre gouvernement ainsi que le gouvernement actuel sont coupables d'avoir coupé les fonds aux personnes qui effectuent ce genre de recherche et d'enquête. Ces gouvernements ont tellement réduit les fonds qui y sont consacrés qu'ils ont mis fin à ce programme. C'est pourquoi je m'intéresse à ce programme parce que j'estime qu'il est nécessaire pour assurer l'avenir des Canadiens et qu'on devrait le réactiver. Encore une fois, je reviens à ma question : quelles sont les dispositions budgétaires qui ont été prises à ce sujet?

M. Schultz : Encore une fois, je peux vous dire avec certitude que je ne connais pas la réponse à cette question. Je suis ici à titre de conseiller juridique auprès d'Environnement Canada et les questions budgétaires n'entrent pas dans mes attributions.

Le sénateur Milne : Juridiquement, cela fait partie de leur responsabilité.

M. Schultz : Comme je l'ai mentionné, madame le sénateur Milne, il est clair que la Loi sur les ressources en eau du Canada touche les aspects liés à la recherche, à l'obtention de données, à l'établissement d'inventaires associés à la gestion des ressources en eau. J'admets que cette loi l'autorise, mais je ne peux pas répondre à vos questions sur les mesures budgétaires.

Le président : Nous inviterons les fonctionnaires de votre ministère client à le faire. Vous pourriez peut-être les avertir pour qu'ils sachent à l'avance que cette question leur sera posée.

M. Schultz : Je le ferai, monsieur le sénateur. Si je regarde le sénateur Milne, je ne pense pas que je pourrais m'empêcher d'avertir mes clients.

Le sénateur Milne : Je suis en fait très gentille.

Le président : Oui, le sénateur Milne est très gentille, mais aussi tenace.

Le sénateur Mitchell : Je m'intéresse aux commentaires que vous avez faits, monsieur Schultz, sur la relation qui existe entre un projet de loi qui serait adopté par le Sénat et, finalement, par la Chambre des communes, et ce qu'il ordonne de faire à un ministre. Vous dites que le fait d'ordonner au ministre de créer une agence ou de conclure une entente soulèverait peut-être une question de privilège. J'aimerais savoir si vous êtes vraiment certain de votre affirmation. Il me semble que la Chambre des communes, les représentants élus, ont parfaitement le droit d'ordonner au gouvernement de faire certaines choses. C'est une question qui a été soulevée récemment parce que cela ne fait que quelques années que la Chambre des communes a effectivement le pouvoir d'adopter des projets de loi d'origine parlementaire. Nous avons aujourd'hui un gouvernement minoritaire et c'est ce que vient de faire l'opposition avec le projet de loi C-288. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet et étoffer votre position et nous dire, d'après vous, s'il s'agit là d'un problème grave?

M. Newman : En fait, sénateur, si vous n'aviez pas posé cette question, j'aurais peut-être demandé au comité la permission de compléter les remarques faites par mon confrère sur ce point. J'ai examiné ce projet de loi au sein de la Section du droit administratif et constitutionnel et je ne vous fournis pas d'avis juridique, mais nous pensons que ce projet de loi soulève, au-delà des questions habituelles de droit constitutionnel, à savoir le partage des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les provinces, des aspects qui touchent les grands principes constitutionnels.

La première de ces questions est la séparation des pouvoirs, comme M. Schultz y a fait allusion dans ses remarques préliminaires. Permettez-moi de citer la Cour suprême. La juge en chef McLachlin, dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting, qui portait sur un privilège parlementaire, a déclaré ce qui suit au sujet de la séparation des pouvoirs :

Pour assurer le fonctionnement de l'ensemble du gouvernement, il est essentiel que toutes les composantes jouent le rôle qui leur est propre. Il est également essentiel qu'aucune de ces branches n'outrepasse ses limites et que chacune respecte de façon appropriée le domaine légitime de compétence de l'autre.

Ce projet de loi est très directif. Il ne contient aucun article qui accorde au ministre un pouvoir discrétionnaire et qui prévoit que le ministre « peut faire ceci », le ministre « peut examiner ceci », le ministre « peut consulter », qui sont les termes que l'on retrouve habituellement dans les lois pour ce qui est la rédaction des conventions concernant le pouvoir exécutif. Dans ce cas-ci, le projet de loi oblige le ministre à faire différentes choses. Il est présumé que le ministre conclura un accord et que, si le ministre n'en conclut pas, il devra faire rapport et expliquer dans quel délai un accord sera conclu. C'est là l'économie générale de la loi.

Le principe que je citerais au sujet de cette question est le principe de la responsabilité parlementaire. Étant donné que le gouvernement doit conserver la confiance de la chambre basse, la Chambre des communes, l'autre endroit, et défendre l'activité législative du Parlement au cours d'élections générales, il est généralement admis que le pouvoir exécutif est celui qui propose des politiques au pouvoir législatif par le biais de projets de loi gouvernementaux, ce qui est la règle générale.

Nous avons ici un projet de loi d'origine parlementaire qui impose une politique au gouvernement, et sur ce point, ce projet de loi va à l'encontre de la dynamique normale de la responsabilité parlementaire. Je vous invite à examiner le témoignage que M. James Hurley a livré devant le comité le 8 mai 2007, au sujet d'un autre projet de loi d'origine parlementaire, le projet de loi C-288, qui impose également une politique au gouvernement. C'est une autre initiative dans laquelle le Parlement, par la voie d'un projet de loi d'origine parlementaire, impose en fin de compte une politique au gouvernement, ce qui est, en général, une fonction exécutive.

Le paragraphe 4(2) est une disposition sans précédent, parce qu'elle empiète sur le rôle du ministre et sur les principes du gouvernement responsable qui découlent de la responsabilité parlementaire du gouvernement parce qu'il retire au Conseil des ministres et aux ministres le pouvoir de décider de l'opportunité de présenter un projet de loi, un projet de loi qui exigerait peut-être une recommandation royale aux termes de l'article 54 de la Loi constitutionnelle de 1867. Que pourrait faire le ministre? Il serait forcé de dire à ses collègues : « Eh bien, je suis tenu, en vertu de l'obligation qui m'est imposée par la loi, de présenter un projet de loi. Le Conseil des ministres ne peut en discuter. Cela est déjà décidé par le projet de loi. » Que se passerait-il si le gouvernement déclarait à ce moment-là : « Il faut des fonds pour créer cette agence, et il faut donc obtenir une recommandation royale », qui est, aux termes de la Loi constitutionnelle de 1867, une considération essentielle pour le gouvernement et au sujet de laquelle il existe des décisions du Président de la Chambre. Ce projet de loi écarterait tout ce processus.

Je ne pense pas qu'il existe un précédent à un projet de loi qui oblige un ministre à présenter d'autres mesures législatives, ce qui m'amène au troisième principe de droit constitutionnel que j'aimerais invoquer, la souveraineté parlementaire. La Cour suprême a insisté sur ce qui suit dans le Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada (C.-B.). C'est une décision de 1991 dans laquelle elle a déclaré : « Toute restriction imposée au pouvoir de l'exécutif de déposer des projets de loi constitue une limitation de la souveraineté du Parlement lui-même. »

Je pense que ces observations devraient inciter le comité à se demander si le paragraphe 4(2) est vraiment recevable.

Le président : Dans cette affaire, ce n'est pas le Parlement qui était à l'origine de cette restriction, n'est-ce pas?

M. Newman : C'est exact. Vous avez tout à fait raison, sénateur. Ce commentaire répondait à l'argument selon lequel il existait des attentes légitimes qui auraient entraîné la conclusion juridique selon laquelle le ministre n'était pas tenu de présenter un projet de loi qui aurait porté atteinte, dans un certain sens, à une entente fédérale-provinciale existante. J'estime toutefois que, dans le contexte de la souveraineté parlementaire, et même si toute mesure législative qui relève des compétences constitutionnelles du Parlement aux termes de la l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 sera en fin de compte déclarée constitutionnelle, mais je pense qu'il serait peut-être intéressant que vous examiniez les principes constitutionnels sous-jacents ainsi que les précédents que constituent certains projets de loi, et qu'une fois ces dispositions adoptées, on peut se demander s'il y aura beaucoup d'autres projets de loi d'origine parlementaire qui énonceront : « Le gouvernement est tenu de présenter un projet de loi dans ce domaine ou un autre. » C'est bien évidemment un aspect qui interpelle le ministère de la Justice et que notre direction des services législatifs nous a également signalé.

Cela nous amène à la question précise que vous avez posée, sénateur, et je vous remercie d'avoir bien voulu m'écouter jusqu'ici. Je vais être bref et il s'agit là des privilèges que possède le ministre en qualité de membre du Parlement. Encore une fois, cela semble constituer, comme mon confrère M. Schultz l'a déclaré, une violation prima facie du privilège parlementaire fondamental que d'obliger un membre du Parlement à présenter une mesure législative particulière. C'est en fait au ministre en tant que membre du Parlement de décider, une fois que ses collègues du cabinet ont examiné la question, s'il y a lieu de présenter ou non une mesure législative particulière. Là encore, une loi du Parlement peut l'emporter sur les privilèges parlementaires. Nous savons que le Parlement peut restreindre les privilèges aux termes de l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, mais nous verrions là une mesure qui touche une politique constitutionnelle. Nous ne faisons que signaler ces difficultés. Nous sommes des fonctionnaires. Nous ne sommes pas ici pour nous prononcer sur le bien-fondé du projet de loi, mais il nous a paru important de consigner ces préoccupations au compte rendu.

Le président : Excusez-moi de vous interrompre. Sénateur Mitchell, vous avez la parole, mais je veux être sûr que nous nous comprenons bien avant de poursuivre. Je crois que vous avez dit que, si le Parlement émettait une directive ou des instructions destinées au gouverneur en conseil, cela reviendrait alors à restreindre le pouvoir du Parlement?

M. Newman : Cela dépend du type d'instruction qui est donné. L'instruction consiste ici à présenter une mesure législative qui sera peut-être examinée au cours d'une autre législature, voire par un autre parlement. Nous ne savons pas si cela se fera au cours de la présente session, ni à quel moment une telle entente sera conclue, même si le projet de loi prévoit des délais. Habituellement, selon les conventions de rédaction législative, le Parlement évite d'obliger un parlement futur à prendre une mesure particulière. J'ai seulement mentionné que la Cour suprême avait fait remarquer que l'idée de restreindre le pouvoir exécutif, pour ce qui est des mesures législatives susceptibles d'être présentées, peut constituer une restriction pour le Parlement. Celui-ci doit maintenant aborder cette question et elle touche les rapports qui existent entre le Parlement et le pouvoir exécutif. Il n'est peut-être pas judicieux d'inclure ce genre de disposition dans un projet de loi à cause du précédent que cela pourrait constituer et à cause des conséquences que cela pourrait avoir.

Le sénateur Mitchell : Affirmez-vous que ces dispositions font problème parce que le projet de loi obligerait le ministre à présenter un autre projet de loi, ou simplement parce que ce projet de loi oblige le ministre à faire quelque chose?

M. Newman : J'ai soulevé les deux aspects, le premier étant que c'est l'effet général du projet de loi. Il oblige le ministre à adopter un certain comportement et certaines politiques. Le point décisif est la disposition finale qui prévoit qu'après avoir élaboré les différentes politiques prévues par un projet de loi d'origine parlementaire, le ministre doit alors présenter des mesures législatives pour réaliser le but énoncé dans le long intitulé du projet de loi, à savoir créer une agence. En un sens, c'est un projet de loi extrêmement directif. Encore une fois, il y a aujourd'hui d'autres précédents en matière de dispositions qui obligent le ministre à faire certaines choses; mais ce n'est pas nécessairement une bonne pratique de rédaction législative, comme vous le diraient, à mon avis, des rédacteurs législatifs. Habituellement, il faut laisser un certain pouvoir discrétionnaire à l'exécutif en matière de mise en œuvre de mesures législatives, et il existe de bonnes raisons pour cela, c'est parce que le pouvoir législatif n'est pas le pouvoir exécutif; c'est à ce dernier qu'il incombe d'administrer les lois.

Le sénateur Mitchell : Il est intéressant que vous ayez mentionné le témoignage de M. Hurley. J'ai eu une discussion très intéressante avec lui lorsqu'il a comparu devant nous. Il soutenait qu'il n'existait pas de précédent pour le projet de loi S-288 aux termes duquel des membres élus du Parlement ordonnaient au gouvernement de faire certaines choses. Bien entendu, il n'y a pas de précédent parce que ce n'est que tout récemment que des projets de loi d'origine parlementaire peuvent faire l'objet d'un vote et ont une réelle possibilité d'être adoptés. Je pense que cela risque de se produire de plus en plus fréquemment, puisqu'à l'heure actuelle, la Chambre des communes a la possibilité de faire adopter des projets de loi d'origine parlementaire. Cela fait référence à un principe important, ce n'est peut-être pas un principe constitutionnel, mais c'est certainement un principe démocratique, à savoir le pouvoir que possèdent les simples députés. La raison pour laquelle ils ont obtenu ce pouvoir est qu'il y a eu une initiative en matière de réforme démocratique. Je pense que cette question se posera de plus en plus souvent.

Deuxièmement, il me semble qu'avec votre analyse, vous affirmez que tous les projets de loi du Sénat sont irrecevables, parce que nous avons le droit de présenter des projets de loi. Nous avons absolument ce droit et si un projet de loi peut servir à quelque chose, il faut bien sûr qu'il oblige le gouvernement à faire certaines choses. Il me semble que votre argument ne résiste pas à ce raisonnement.

M. Newman : Mon argument, quelle qu'en soit la validité, mais ce n'est pas tant un argument qu'une série de propositions, est que le Parlement détient certains pouvoirs aux termes de la Loi constitutionnelle et qu'il peut exercer ses pouvoirs de façon absolue, comme il souhaite le faire lorsqu'il s'agit d'adopter des lois, mais il existe tout un ensemble de conventions constitutionnelles qui encadrent l'exercice d'un pouvoir, qu'il soit législatif ou exécutif, et lorsque ces conventions constitutionnelles ne jouent plus, ni les principes sur lesquels elles reposent — responsabilité parlementaire, séparations des pouvoirs — une fusion des pouvoirs de l'exécutif avec l'assemblée législative et un système de gouvernement parlementaire mais tout de même une forme de séparation des pouvoirs —, cela soulève alors d'autres questions.

Par exemple, dans notre système, le pouvoir exécutif n'exerce pas son veto sur les projets de loi, mais ce n'est qu'une simple convention. Juridiquement, la Couronne a toujours la faculté de ne pas sanctionner un projet de loi. Elle le fait toujours parce que si les deux chambres adoptent régulièrement un projet de loi, il serait impensable que la Couronne ne sanctionne pas une telle loi. Je ne suis pas en train de dire que cette convention constitutionnelle pourrait être remise en question dans de telles circonstances, mais il y aura des cas où le fait d'imposer par voie législative une politique à un gouvernement réticent amènera certaines personnes à poser ces questions. Si nous commençons à ne pas respecter les conventions, je me demande où cela nous mènera.

Je dis simplement que cela nous invite à nous demander s'il est souhaitable de s'abstenir de faire certaines choses. Oui, vous avez le pouvoir d'adopter le paragraphe 4(2) de ce projet de loi, et il deviendra une loi dès qu'il aura été sanctionné, mais devriez-vous adopter le paragraphe 4(2)? Ce n'est pas à moi de répondre à cette question, mais c'est à vous d'y réfléchir. C'est tout.

Le sénateur Mitchell : Voilà qui est très intéressant et j'apprécie beaucoup vos commentaires. Un des aspects remarquables du régime parlementaire est qu'il semble toujours exister une façon de le faire fonctionner. Il est appliqué depuis plus longtemps que n'importe quel autre régime de gouvernement parce qu'il fonctionne de façon remarquable. Il faut être prudent avant de le modifier.

Cela dit, le gouvernement peut toujours déclarer qu'il s'agit d'un vote de confiance; il lui suffit de dire : « Vous nous obligez à faire ceci; c'est un vote de confiance. » Les gouvernements n'aiment pas faire ce genre de chose très souvent et c'est ce qui est arrivé avec le projet de loi C-288, mais il y a cette possibilité qui concilie tous ces principes.

M. Newman : C'est vrai.

Le sénateur Mitchell : Enfin, vous avez parlé de souveraineté parlementaire. Il me semble que vous avez dit que ce genre de projet de loi portait atteinte à la souveraineté parlementaire dans la mesure où il restreignait indûment le rôle du Conseil des ministres et le privilège des ministres, mais cela me semble une simple accumulation de notions. Le Parlement est souverain ou il ne l'est pas. Je ne vois pas comment l'on peut confondre la souveraineté parlementaire avec la souveraineté de l'exécutif.

M. Newman : Je dirais maintenant que, bien entendu, il y a la séparation des pouvoirs, mais cette séparation n'est pas très étanche, comme nous le disent aussi les tribunaux. Nous n'avons pas un système présidentiel et l'exécutif siège généralement à la chambre basse et est également représenté à la chambre haute. Néanmoins, le principe selon lequel la souveraineté parlementaire, qui veut dire simplement, dans notre système constitutionnel, que le Parlement est souverain à l'intérieur de sa sphère de compétence législative, repose encore une fois sur la reconnaissance du rôle normal qui appartient au Cabinet et du rôle normal qui est celui de l'exécutif, lorsqu'il est question de proposer de vastes initiatives touchant des politiques gouvernementales. Il est déjà arrivé que des projets de loi d'origine parlementaire soient adoptés; cela se fera également à l'avenir. Il convient toutefois de ne pas oublier que, lorsque ces projets de loi portent sur de grandes questions d'intérêt public, alors il serait préférable de laisser le gouvernement présenter des mesures législatives dans ce domaine ou de suggérer d'autres solutions qui permettent d'arriver au même résultat. M. Schultz a donné cet exemple avec la Loi sur les ressources en eau du Canada.

Le président : Il y a des gens qui pensent qu'il serait bon que le Parlement dise plus souvent au gouvernement de faire certaines choses, en particulier lorsque le gouvernement, quel qu'il soit, y compris ceux qui ont précédé le gouvernement actuel, s'abstient de faire certaines choses.

Le sénateur Sibbeston : Je comprends que ce projet de loi a été rédigé par un sénateur qui est très décidé à faire bouger le gouvernement fédéral sur cette question de l'eau, parce que c'est un sujet qui le préoccupe. Je comprends que le sénateur s'inquiète du fait que le gouvernement n'intervient pas, à l'échelle nationale, pour faire en sorte que la population ait accès maintenant et à l'avenir à de bonnes sources d'eau potable.

Je suis d'accord avec nos conseillers lorsqu'ils affirment que cela revient à adopter des politiques. Un sénateur affirme que le gouvernement devrait faire ceci et précise comment il devrait agir dans ce domaine et mettre sur pied un régime qu'il estime nécessaire pour ce qui est de l'eau potable.

Je comprends également, et je l'ai déjà entendu dire, que, d'après notre système de lois, chaque fois qu'on lance un projet, comme une mine ou un pipeline, il y a la Loi sur les ressources en eau du Canada et de nombreuses autres lois et règlements qui s'appliquent. Ces lois visent à préserver notre environnement, l'eau et à protéger les poissons. Il y a de nombreuses lois qui entrent en jeu. Nous avons bien un système mais il ne vise pas exactement ce que le sénateur veut accomplir. Je note que le projet de loi insiste sur l'avenir. Les derniers mots de l'intitulé de la loi parlent « d'eau potable des générations futures ». Ce n'est pas pour aujourd'hui, mais c'est parce que nous voulons avoir de bonnes sources d'eau potable dans l'avenir.

Même si je comprends qu'il y ait des divergences d'opinions constitutionnelles, ce dont nous avons vraiment besoin, c'est que le ministre vienne ici et dise : « Allez-y. Faites ce que vous avez à faire. » Il y a beaucoup de gens au Canada qui croient que le gouvernement ne fait pas vraiment ce qui est nécessaire dans le but d'assurer à notre pays un accès à une eau potable saine dans l'avenir.

Aurons-nous la possibilité de parler au ministre? Au lieu qu'un sénateur présente un projet de loi comme celui-ci, est-ce que le gouvernement — et je sais que vous ne pouvez pas répondre à cette question parce que vous êtes des conseillers juridiques — ne pourrait pas faire ce qu'il faut faire?

Le président : C'est la grande question.

Le sénateur Sibbeston : Je sais que nous avons eu de nombreuses discussions avec le gouvernement avant d'étudier ce projet de loi. Le gouvernement ne semble toutefois pas vouloir agir. Il faut parfois qu'un sénateur prenne l'initiative d'agir comme c'est le cas ici. On peut peut-être dire que les sénateurs font leur travail lorsqu'ils font ce genre de choses; présenter des projets de loi d'origine parlementaire qui vont finalement être intégrés à la politique du gouvernement. Sur ce point, la plupart des questions, des initiatives ou du travail que nous effectuons devraient peut-être se faire en collaboration avec un ministre, à qui nous pourrions poser ces questions. Les conseillers juridiques ont raison de mentionner que cela soulève certaines préoccupations, par exemple, lorsque le projet donne des directives au gouvernement et restreint son pouvoir discrétionnaire et le reste. C'est peut-être jusqu'à un certain point inconstitutionnel.

Le président : On nous a dit que c'était contraire à certaines conventions mais pas à la Constitution. Est-ce exact?

M. Newman : Cette question ne soulève pas la constitutionnalité du projet de loi parce que ces principes constitutionnels non écrits sont, pour la plupart, de nature conventionnelle, comme vous l'avez fait remarquer. Ils peuvent toutefois soulever des questions constitutionnelles parce que, dans un certain sens, ces conventions font elles- mêmes partie de la Constitution du Canada. Il est simplement impossible de les faire appliquer comme si elles avaient la qualité de règle de droit. Ce sont des règles de conduite politique.

Le président : Elles ne sont pas écrites.

M. Newman : C'est exact.

Le président : Si vous avez recours au projet de loi du sénateur Grafstein — et si je reviens en arrière — la Loi sur les ressources en eau du Canada existe depuis 1974. Au Canada, nous avons des problèmes d'eau. Notre comité, ainsi que d'autres, ont demandé aux gouvernements successifs — pas seulement à celui-ci, mais au gouvernement qui l'a précédé et à celui qui l'a également précédé — de faire quelque chose dans ce domaine et ils ne l'ont pas fait. Je ne veux pas parler pour lui, mais je pense que le sénateur Grafstein s'est dit ceci : « Très bien. Nous allons donc obliger le gouvernement à faire ce qu'il aurait dû faire à partir de 1974. » Cela remonte à 35 ans, comme vous l'avez fait remarquer. J'ai bien aimé votre commentaire, sénateur Sibbeston.

Le sénateur Cochrane : Que se passerait-il si le Parlement du Canada adoptait ce projet de loi et si les provinces refusaient de le mettre en œuvre? Si elles disaient, par exemple, « Non, nous n'allons pas adopter ce projet de loi ». Que se passerait-il? On nous a dit qu'il ne se passerait rien.

M. Schultz : Si le ministre consultait ses homologues provinciaux et ses collègues du cabinet nommés dans la loi et ne parvenait pas à conclure un accord, je pense alors qu'il devrait faire des efforts raisonnables pour consulter ces personnes et conclure un accord. S'il n'y parvenait pas, il ne pourrait rien faire de plus. D'après l'alinéa 4(1)b) du projet de loi, il serait tenu de présenter au Sénat et à la Chambre des communes une déclaration expliquant pourquoi un accord n'a pas été conclu et une estimation du délai qu'il lui faudrait pour conclure l'accord. On peut dire à mon avis que, si ce projet de loi était adopté et si le ministre faisait des efforts raisonnables pour conclure un accord sans pouvoir y parvenir, le ministre pourrait simplement faire une déclaration et dire qu'il a déployé ces efforts mais n'a pas obtenu ce qui était prévu. J'estime que cela ne se fera jamais. C'est le scénario que je prévois.

[Français]

Le sénateur Nolin : J'aimerais revenir à la question des relations fédérales-provinciales. La loi de 1974 prévoit des consultations et l'aboutissement possible des accords fédéraux-provinciaux en matière de gestion de l'eau. Le ministre de l'Environnement a cette responsabilité depuis plus de 35 ans. La loi lui donne l'option d'établir ce type de négociations ou de rapport avec ses homologues provinciaux.

Nous entendrons les témoignages de vos collègues de l'administration fédérale. Toutefois, j'aimerais en savoir plus long sur le fonctionnement de l'appareil fédéral. Êtes-vous le seul, monsieur Schultz, à conseiller le ministre sur la légalité de ses pouvoirs, ou est-ce que le Conseil privé doit être consulté? Est-ce que le bureau des relations fédérales- provinciales doit être consulté?

Vous l'avez mentionné plus tôt, la dimension politique de tout cet appareil pourrait le rendre illusoire si l'un des joueurs décidait de forcer la mise en œuvre d'un objectif sur lequel on s'entend.

Le libellé de l'article 4 de la loi existe depuis 35 ans et fait penser un peu à une prière.

En vue de faciliter l'élaboration d'une politique et de programmes en ce qui concerne les ressources en eau du Canada et d'assurer leur utilisation optimale au profit de tous les Canadiens, compte tenu de la géographie particulière du Canada et de la nature même de l'eau en tant que ressource naturelle, le ministre peut...

On voit là tout un cadre politique d'évaluation des possibilités de ce qu'un ministre peut faire.

À titre de conseiller du ministre, pourriez-vous nous expliquer la mécanique interne de l'appareil gouvernemental? Qui doit-on consulter pour comprendre le fonctionnement du système? Pourquoi, après 35 ans, n'a-t-on pas obtenu de résultats? Enfin, peut-être en a-t-on obtenu et on les évalue mal.

[Traduction]

Je ne peux répondre qu'à une petite partie de votre question. Là encore, je pense que ce serait au ministre lui-même ou à un haut fonctionnaire d'expliquer qui fournit les conseils sur la façon de mettre en œuvre une entente fédérale- provinciale comme celle-ci. Le rôle du ministère de la Justice est de fournir des conseils juridiques. La Loi sur le ministère de la Justice indique très clairement que le ministère de la Justice est responsable de fournir des avis juridique au gouvernement, ce qui comprend les fonctionnaires du Conseil privé. Si le ministre devait me consulter ou un de mes collègues au sujet de l'étendue des pouvoirs que lui confère ce projet de loi, il incomberait à son collègue, le ministre de la Justice, ou à des fonctionnaires de ce ministère, y compris à moi, de l'informer de la portée exacte de ce projet de loi. Le rôle du ministère de la Justice se limiterait à informer le ministère de la portée des pouvoirs juridiques attribués par ce projet. Si ce dernier envisageait de conclure un accord fédéral-provincial comme celui-ci, il est certain que des hauts fonctionnaires du gouvernement consulteraient les agences centrales et ce genre de choses, mais je ne peux même pas faire d'hypothèse sur la façon dont le ministre s'y prendrait. Cela répond-il à votre question?

Le sénateur Nolin : Je pense que cela nous montre que pour comprendre tout cela, nous allons devoir rencontrer un grand nombre de fonctionnaires, et non seulement ceux de votre ministère — je vous remercie d'être venus — mais aussi ceux des agences centrales. C'est un projet de loi inattaquable. J'ai lu le projet d'article 4 et il est très clair.

Tout le monde veut atteindre ces objectifs, mais comment procéder et comment obtenir les résultats souhaités? Nous devons comprendre comment il faut faire. Nous avons déjà une loi. Il y a un nouveau projet de loi que nous allons étudier et dans les deux cas, rien ne peut se faire.

Le président : À moins qu'on se serve de pouvoirs contraignants. L'aspect intéressant, et j'invite les témoins à me corriger si je me trompe, c'est qu'il n'y a pas ce genre de pouvoir dans le projet de loi S-208. Il y a des pouvoirs contraignants dans la Loi sur les ressources en eau du Canada.

Le sénateur Nolin : Si ces pouvoirs existent, pourquoi est-ce que le ministère n'a pas déposé de rapports au Parlement pour l'année 2002?

Le président : Ma remarque est-elle juste? Je pense que la Loi sur les ressources en eau du Canada énonce — et personne ne veut utiliser cette disposition — que si les provinces ne font pas ce qu'elles doivent faire, le gouvernement fédéral peut invoquer un pouvoir fédéral et prendre des mesures aux termes de cette loi. Cette possibilité n'existe pas dans le projet de loi S-208. Il n'y a pas de pouvoir contraignant, pas d'obligation, pas de facteur déterminant dans le projet de loi S-208, mais je pense qu'il y en a dans la Loi sur les ressources en eau du Canada. Ai-je raison?

M. Schultz : Vous avez raison de dire que la Loi sur les ressources en eau du Canada contient une disposition qui autorise le ministre, avec l'approbation du gouverneur en conseil, à mettre en œuvre unilatéralement des programmes de gestion des ressources en eau, mais uniquement à l'égard de certains types d'eau définis par la loi. Il y a les eaux qui relèvent de plusieurs administrations, les eaux qui relient deux provinces et les eaux internationales ou frontalières. Là encore, conformément à l'interprétation courante du pouvoir en matière de paix, d'ordre et de bon gouvernement, le pouvoir de mettre en œuvre ces règles unilatérales est circonscrit dans la mesure où le gouverneur en conseil doit être convaincu que toutes les mesures raisonnables ont été prises pour essayer de conclure un accord de coopération avec les provinces avant de prendre des mesures unilatérales.

Le sénateur Milne : Tant que nous ne connaîtrons pas l'emplacement des nappes aquifères et la façon dont leurs eaux se déplacent, nous ne saurons pas s'il s'agit d'eaux internationales ou interprovinciales.

M. Schultz : Je suis seulement avocat, mais j'aime lire les cartes. Je crois que les scientifiques vous diront que la définition des eaux relevant de plusieurs administrations et des eaux frontalières est assez claire. Pour en revenir à votre observation, sénateur Milne, qui concerne les aquifères, les fonctionnaires d'Environnement Canada seraient les mieux placés pour vous dire ce qui se fait à ce sujet.

Le sénateur Brown : J'ai beaucoup de sympathie pour tous ceux qui s'intéressent à l'eau. Je suis aussi préoccupé par l'eau que n'importe qui. Je sais que l'eau peut vous rendre très malade, voire vous faire mourir, si elle n'est pas potable. Mais je ne connais pas une seule ville, ni même un seul village au Canada — et j'ai déjà fait trois fois le tour du pays — qui ne procède pas à des analyses de l'eau pour le système public d'approvisionnement en eau. Je pense que l'eau est soit chlorée, soit filtrée, ou les deux, dans à peu près toutes les municipalités qui existent. On m'a dit que cela fait trois ans que ce projet de loi est en préparation, cette loi que nous étudions à l'heure actuelle. Si cela est vrai, alors je pense que nous essayons de créer une voiture à cheval alors qu'il existe déjà des automobiles. Je pense que cette Loi sur les ressources en eau du Canada a donné d'assez bons résultats, à l'exception de quelques problèmes mineurs. Je n'ai jamais entendu dire que le gouvernement fédéral était intervenu dans ce domaine. J'ai entendu dire qu'un gouvernement provincial était intervenu. Dans le cas de l'Ontario, cela a coûté cher au gouvernement. Après Walkerton, le dossier s'est rendu jusqu'au bureau du premier ministre. Nous n'avons pas eu beaucoup de ce genre d'affaire.

Pour ce qui est des nappes aquifères, j'aimerais revenir à ma remarque. Je ne connais pas de municipalité qui ne traite pas son eau. Cela vient du fait qu'il y a des produits chimiques, des solides ou des éléments naturels, pas nécessairement de la pollution causée par l'homme, du sulfate de soude, des sels et d'autres substances qui contaminent les nappes aquifères. La plupart des systèmes d'approvisionnement en eau qui desservent une population, et cela comprend les puits, avec lesquels j'ai vécu toute ma vie, comportent des systèmes de filtration et prévoient des analyses de la qualité de l'eau.

Pour répondre au sénateur Adams et ne pas oublier ses préoccupations, je dirais que le Nunavut a une assemblée législative et doit avoir une sorte de gouvernement municipal. Le sénateur Adams soulève la question du financement. Je pense que son assemblée législative pourrait fort bien dire : nous nous trouvons dans une situation grave dans notre région et vous ne voudriez pas que nous nous retrouvions dans la même situation que celle d'un certain nombre de collectivités autochtones, qui ont eu de graves problèmes avec leur eau potable parce qu'elle n'était pas correctement traitée. Pour traiter notre eau comme il faut, nous avons besoin de financement. Étant donné que nous sommes une petite collectivité, nous n'avons pas les fonds nécessaires pour construire un réservoir d'eau et un système de traitement d'eau approprié; il faudrait que tout cela vienne du gouvernement fédéral, du gouvernement territorial ou des deux à la fois.

Le sénateur Adams : Nous ne buvons pas l'eau du robinet, en particulier les anciens. Nous sommes même inquiets de l'eau qu'on nous livre. Nous faisons du thé avec la glace que les gens ramènent chez eux. En été, les anciens demandent à quelqu'un d'aller remplir un récipient de cinq gallons à la rivière et prendre de l'eau courante. Il y a des magasins qui vendent le litre d'eau à 3 $ ou 4 $, et il y a des gens qui n'ont pas assez d'argent pour acheter une bouteille d'eau. Voilà le système qui existe dans notre collectivité. Les anciens ne tolèrent pas le chlore qui se trouve dans l'eau. Nous avons un système de tuyaux qui est conçu pour que l'eau coule continuellement dans le lac. Si elle s'arrête de couler pendant deux ou trois heures, tout gèle. Il y a tant de litres qui sont chlorés et tout cela va et vient.

L'eau d'un des lacs près de Rankin Inlet est potable, mais il y a tant de chlore dedans que les poissons perdent leurs couleurs. Voilà ce qui arrive lorsqu'on met trop de chlore. La sortie et l'entrée sont trop proches l'une de l'autre. Le poisson se rend au fond du lac et revient ensuite. Voilà le genre de choses qui se passent dans le Nord.

Le président : C'est important. C'est toutefois une autre question.

Les sénateurs veulent-ils poser d'autres questions à nos témoins?

Je vous remercie. Nous sommes heureux que vous nous ayez consacré votre temps. Vous nous avez donné beaucoup d'information. Nous allons poursuivre cette étude. Transmettez mes salutations à votre agence client et donnez-lui un petit avertissement.

La séance est levée.


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