Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 4 - Témoignages du 26 février 2008
OTTAWA, le mardi 26 février 2008
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 17 h 39, pour examiner, en vue d'en faire rapport, de nouvelles questions liées à son mandat.
Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Nous sommes ici ce soir pour faire différentes choses, et je vais parler brièvement de la première.
Monsieur Moore, je compte sur le fait que vous êtes en mesure de voir les collègues qui se trouvent ici avec nous. Nous pourrons nous présenter, si c'est nécessaire, au fil de la séance; je ne vais pas vous présenter tout le monde. Qu'il me suffise de dire que tous les gens ici présents sont des membres du comité actifs et intéressés.
Avant que nous ne commencions, je veux attirer l'attention des membres du comité sur le fait que l'une des questions que nous avons posées au ministre Gary Lunn lorsqu'il est venu témoigner devant nous, concernait la cartographie des aquifères et d'autres choses du genre. Le ministre nous a fait parvenir une réponse à cette question par courrier, avec une liste et un tableau, que vous avez tous reçus, je crois. J'attire votre attention sur ce dernier document. Si vous ne l'avez pas reçu, veuillez prévenir le greffier, et je vais m'assurer que tout le monde en reçoive un exemplaire. C'est un document informatif qui précise où nous en sommes quant aux questions que nous avons posées au sujet du processus en cours de cartographie des aquifères.
Nous recevons ce soir M. Jim Moore, directeur exécutif d'Inuit Tapiriit Kanatami. Ce mot signifie « les Inuits sont unis au Canada ». ITK représente quatre régions : le Nunatsiavut, au Labrador, le Nunavik, dans le Nord du Québec, ainsi que les régions désignées du Nunavut et des Inuvialuits, dans les Territoires du Nord-Ouest. Je veux également souligner que ITK, dans le cadre de ses 12 buts et objectifs, cherche à protéger l'environnement et les ressources renouvelables de façon que les Inuits de la génération actuelle et des générations futures puissent vivre en parfaite communion avec la terre et la mer.
Le comité a l'intention de se rendre dans l'Arctique dans le cadre d'un projet de semaine de travail du Sénat que nous avons proposé. Les membres du comité passeraient là-bas la dernière semaine de mai. Je compte recevoir sous peu l'autorisation d'effectuer le voyage. Comme ce sera une semaine de travail, je rappelle à tous qu'on s'attend à ce que tout le monde soit du voyage.
Nous allons nous rendre dans l'Arctique, la plus grande région géographique du Canada. Comme il s'agit de la région la plus vaste du pays, nous avons demandé à des témoins de nous donner des conseils quant aux voyages que nous prévoyons faire là-bas : nous voulons savoir où nous devrions aller, et peut-être comment nous devrions nous y rendre, ce que nous devrions voir, les questions que nous devrions poser et à qui nous devrions les poser.
Monsieur Moore, j'espère que vous allez pouvoir répondre aux questions des membres du comité. Je sais qu'ils en ont beaucoup. Dans l'intervalle, je souhaiterais que vous fassiez une déclaration préliminaire. Vous avez la parole.
Jim Moore, directeur exécutif, Inuit Tapiriit Kanatami : Merci de m'avoir invité ici ce soir. Ce que je vais dire va nécessairement être inuit-centrique, si je peux me permettre d'utiliser ce terme. Je représente une organisation qui représente les Inuits de l'ensemble du Canada, non seulement ceux qui vivent dans l'Arctique, mais également ceux qui vivent en ville. Je vais parler de la situation et des priorités des Inuits. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de liens entre ce que je vais dire et ce qui se passe dans l'Arctique, en général. En fait, il y en a sûrement.
Je pense un peu aux sujets à aborder pendant un voyage dans l'Arctique. Concentrez-vous sur deux choses : premièrement, les changements climatiques et les effets de ces changements dans la région, et, deuxièmement, la croissance économique. Ces deux questions vont englober toutes les choses qui pourraient vous intéresser, parce que vous allez voir qu'elles sont étroitement liées.
Plutôt que de passer beaucoup de temps à parler des priorités d'ITK et, par extension, des Inuits, je vais me concentrer sur les difficultés et les problèmes auxquels les Inuits sont confrontés dans l'Arctique. Je vais cependant remettre deux ou trois documents au greffier. L'un d'entre eux est un exemplaire d'une allocution qu'a récemment prononcée notre présidente, Mary Simon, devant le Canadian Club à Calgary, et qu'elle avait déjà prononcée ici, à Ottawa. Le texte saisit l'essence des problèmes et des priorités.
En outre, vous vous rappelez peut-être que le dernier discours du Trône parle de l'élaboration d'une stratégie intégrée pour l'Arctique par le gouvernement. Nous avons rédigé ce que nous croyons être une stratégie cohérente et exhaustive, et nous l'avons présentée au premier ministre au cours des dernières semaines. Je vais vous laisser un exemplaire de ce document aussi.
Le sénateur Banks a mentionné que nous sommes responsables d'environ 55 000 Inuits, qui vivent en majeure partie dans quatre régions de l'Arctique. Cette population est répartie dans 53 petites collectivités isolées.
Le sénateur Adams : Avant que nous ne poursuivions, monsieur le président, je pense que, comme dans le cas du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, peut-être le témoin pourra-t-il nous expliquer davantage de choses tout de suite. Nous voulons savoir davantage de choses parce que le comité des pêches et le comité de l'énergie s'intéressent en partie aux mêmes questions, c'est-à-dire les mines, l'eau et autres choses du genre. Je veux en savoir davantage au sujet de ce qui se passe dans l'Arctique au chapitre des pêches, des terres et de l'eau.
M. Moore : Merci. C'est une observation pertinente.
J'ai apporté aussi une carte dépliable des quatre régions inuites. C'est une excellente représentation visuelle de la répartition de la population inuite dans l'ensemble de l'Arctique, de l'est à l'ouest. Je vais la remettre au greffier.
Comme je l'ai mentionné déjà, les Inuits vivent dans de petites collectivités éparpillées dans tout le Nord. Certaines collectivités sont de taille plus importante, notamment l'Iqaluit, bien entendu. Ce sont des collectivités isolées. On s'y rend en avion ou en bateau. Il n'y a pas de réseau routier. Dans tout le Nunavut, qui compte pour environ le cinquième des terres du Canada, il y a à peu près un quart de mille de routes revêtues. Il s'agit d'une région isolée du pays.
Je veux parler un peu de certains des facteurs sociodémographiques qui caractérisent la région. Dans une certaine mesure, ces facteurs limitent la possibilité pour le Canada d'exploiter les ressources naturelles de l'Arctique. Le coût de la vie dans l'Arctique et dans les collectivités inuites est incroyablement élevé. Ça coûte deux fois plus cher de prendre l'avion d'Ottawa à Pond Inlet que d'Ottawa à Hong Kong. Il n'y a pas que les billets d'avion; tout coûte cher. À Nain, au Labrador, c'est-à-dire à un endroit qui est loin d'être dans le Grand Nord, un litre de lait coûte environ 6 $. L'essence coûte 2 $ le litre, et même plus, dans certaines collectivités. Les prix sont vraiment incroyables. Les données montrent que les revenus des habitants de l'Arctique sont de beaucoup inférieurs à la moyenne canadienne.
Un point positif, c'est la question des communications dans l'Arctique. Il y a là-bas un bon réseau à large bande. Les choses s'améliorent, mais nous pensons que le gouvernement fédéral devrait investir davantage pour contribuer à l'amélioration des communications. En fait, pour ce qui est des possibilités d'affaires des Inuits qui vivent dans ces petites collectivités, il s'agit entre autres de commerce en ligne. L'amélioration des communications en général serait quelque chose d'utile.
Les sénateurs savent peut-être que chacune des quatre organisations régionales inuites ou régions inuites a conclu un accord de règlement des revendications territoriales exhaustif et moderne. Le dernier, conclu avec la Société Makivik et qui concerne les revendications relatives à une zone maritime, a récemment été présenté au Sénat, comme vous le savez déjà, je suis sûr. Ce sont des régions qui bénéficient d'accords de revendications territoriales complets.
Pour vous donner une idée de la situation sur le plan social, un point négatif, c'est que le taux de suicide est environ 11 fois plus élevé dans l'Arctique que dans le reste du Canada. Ce taux de suicide est extrêmement élevé. C'est le plus élevé de tous les groupes autochtones du Canada. L'espérance de vie n'augmente pas. En fait, elle a diminué, d'après le dernier recensement de Statistique Canada. L'espérance de vie actuelle des Inuits correspond à celle du reste du Canada en 1946. L'écart est d'environ 13 ans entre l'espérance de vie des Inuits et celle du reste de la population. C'est un chiffre important et révélateur. Le taux de tuberculose est environ 14 fois plus élevé que la moyenne nationale. Je pense que cela est en grande partie attribuable, comme vous allez le voir dans les données, au trop grand nombre d'habitants par maison dans les collectivités inuites. Au moins 20 p. 100 des maisons inuites ne respectent pas la norme d'occupation de la Société canadienne d'hypothèques et de logement. On a investi de l'argent dans le logement, mais ça demeure un problème important dans le Nord.
Le taux de scolarisation est également faible. Moins de 35 p. 100 des étudiants terminent leurs études secondaires. Le taux de décrochage est d'environ 63 p. 100, contre 16 p. 100 dans le reste de la population canadienne. Les Inuits forment une population extrêmement jeune, qui a le taux de natalité le plus élevé au pays. C'est la population la plus jeune, et la moitié des Inuits, ou à peu près, ont moins de 20 ans. Beaucoup de jeunes vont chercher du travail dans les années à venir.
Permettez-moi de parler brièvement du lien entre ces enjeux et les changements climatiques. Je sais que vous en avez déjà beaucoup entendu parler, alors je ne veux pas ressasser les mêmes choses. Le rythme des changements climatiques est plus rapide dans l'Arctique que n'importe où ailleurs. La vitesse à laquelle les glaces marines fondent est absolument phénoménale. Je ne suis pas spécialiste du domaine, mais j'ai entendu des spécialistes parler de la vitesse à laquelle la glace fond, et c'est tout à fait étonnant.
Nous pensons que le gouvernement souhaitera peut-être envisager l'élaboration d'un plan pour la lutte aux changements climatiques dans l'Arctique. Ce plan comporterait deux éléments : ce que nous pouvons faire pour réduire les émissions — puisque c'est un problème mondial, et non un problème local — et les moyens, pour les collectivités de l'Arctique, de s'adapter à ce qui s'est déjà produit et qui ne peut être changé.
C'est peut-être quelque chose que j'ai raté, mais, d'après ce que j'ai vu dans le budget d'aujourd'hui, il n'y a rien sur l'adaptation ou sur de l'argent consacré à l'adaptation aux changements climatiques. Ce que j'ai vu, c'est que le budget prévoit de l'argent pour y remédier.
Lorsque vous vous rendrez dans le Nord, si vous avez l'occasion de visiter certaines collectivités inuites, vous allez voir que les répercussions touchent surtout l'infrastructure. Le pergélisol fond, ce qui donne lieu à des changements structurels qui peuvent toucher les édifices de ces collectivités. L'érosion des côtes est particulièrement marquée dans l'Ouest de l'Arctique.
Si vous vous rendez à Tuktoyaktuk, dans la partie Nord-Ouest de la région d'Inuvialuit — et je vous recommande d'y aller —, vous pourrez voir un excellent exemple d'érosion des côtes, de fonte des glaces marines et de changements structurels touchant les édifices, tout cela à cause des changements climatiques.
Si vous discutez avec les chasseurs, que ce soit dans l'Ouest ou dans l'Est de l'Arctique, ils vont vous parler de choses comme le fait qu'il vente davantage qu'il y a cinq ou dix ans et qu'ils ne sont plus capables de prédire les changements de climat et de température. Par extension, ils font face à des risques lorsqu'ils vont chasser, parce qu'ils ne connaissent pas l'état de la glace et ne savent pas quelles vont être les conditions météorologiques pendant leur sortie.
Du point de vue macroéconomique, si vous avez l'occasion de visiter la mine de diamant Diavik, au Nord de Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest, ou la mine de diamant Ekati de BHP Billiton, premièrement, vous allez être impressionnés par la taille des installations. Ensuite, toutes les provisions et les fournitures qui arrivent jusqu'à ces mines de diamant sont transportées soit par les airs, ce qui coûte extrêmement cher, soit par les routes de glace — c'est ce qui arrive dans la plupart des cas.
Il y a deux ans, à la mine Ekati, la route a été impraticable pendant un mois de plus que ce qu'on avait prévu en raison des températures supérieures à la normale. On a dépensé des centaines de millions de dollars pour le transport des fournitures, parce que le transport aérien coûte plus cher que le transport routier. Des changements sont réellement en train de se produire, et ils peuvent affecter l'économie du Nord.
Il existe également des risques pour la santé humaine, les variations de la quantité d'ultraviolets à laquelle les gens sont exposés, ainsi que des changements touchant les déplacements des espèces migratoires. Dans certaines régions de l'Arctique, les Inuits voient des oiseaux et des insectes qu'ils n'avaient jamais vus auparavant dans le Nord.
Il y a beaucoup de choses qui changent. Nous recommandons au gouvernement d'envisager sérieusement d'utiliser une collectivité comme Tuktoyaktuk comme modèle pour l'étude des moyens d'adaptation des collectivités aux changements qui se produisent déjà, tout en admettant que certaines choses sont irréversibles.
Nous devons féliciter le ministre Baird d'être venu à Iqaluit il y a trois semaines pour discuter avec les Inuits, notamment avec les chasseurs, des changements climatiques et des mesures d'adaptation.
Le président : Avez-vous dit que nous devrions nous rendre à Tuktoyaktuk pour voir un exemple?
M. Moore : Je vous recommande fortement d'aller à Tuktoyaktuk. Comme c'est près, vous pourrez également vous rendre à Inuvik, où se trouvent le siège du conseil régional ou du gouvernement inuvialuit, ainsi que celui de la Inuvialuit Development Corporation. La présidente de cette société, Nellie Cournoyea, sera très heureuse de vous rencontrer. Elle vous parlera volontiers du pipeline de la vallée du Mackenzie et de la participation au capital des groupes autochtones, qui est peut-être à risque dans le contexte actuel.
Je vais terminer en disant que si vous avez l'occasion de vous rendre au Nunatsiavut, vous aurez là une bonne occasion de voir un nouveau type de quasi-gouvernement prendre forme, sur le fondement de l'accord de revendications territoriales du Nunatsiavut et de leur modèle d'autonomie gouvernementale. C'est quelque chose de suffisamment nouveau pour que vous puissiez constater les problèmes et les difficultés auxquels ils sont confrontés, ainsi que leurs problèmes au chapitre de la croissance économique.
En ce qui concerne le Nunavut, je ne pense pas que vous puissiez ne pas vous rendre dans la capitale. Vous allez certainement vouloir discuter avec les représentants du gouvernement du Nunavut et avec les gens qui s'occupent du territoire. Je vous recommande fortement de ne pas vous rendre seulement dans le grand centre d'Iqaluit. Essayez d'aller ailleurs, à Gjoa Haven.
J'y suis allé au cours de la dernière année, et j'ai visité une école primaire, où j'ai été étonné d'apprendre de la bouche d'un directeur d'école que 15 p. 100 des jeunes enfants qui ne fréquentaient pas sa classe n'avaient jamais mis les pieds à l'école — jamais. Je n'ai pas mis en doute ce qu'il m'a dit. Apparemment, c'est lié à l'expérience vécue par les parents à l'époque des pensionnats. Ces gens pensent que la meilleure chose qu'ils peuvent faire pour leurs enfants, c'est de ne pas les envoyer à l'école.
Dans les petites collectivités, vous aurez peut-être l'occasion de voir des choses un peu différentes de ce que vous verriez dans les grandes. Vous allez peut-être être témoins de problèmes plus graves au chapitre du logement, de l'emploi et de la croissance économique.
En un mot, si vous pouvez vous concentrer sur les changements climatiques et le lien entre ceux-ci et la capacité des gens du Nord de donner de l'essor à leur économie et certains des problèmes auxquels ils sont confrontés, le voyage va être instructif.
Le président : Merci. J'ai pris note de vos suggestions quant aux endroits à visiter, ainsi que des raisons pour lesquelles vous avez fait ces suggestions. Les membres du comité souhaitent peut-être obtenir des précisions à cet égard, alors je vais lancer la période de questions.
Le sénateur Sibbeston : Le projet de loi en question porte sur l'eau et sur la possibilité de créer un organisme fédéral- provincial.
Le président : Excusez-moi, sénateur, nous ne sommes pas en train de parler du projet de loi.
Le sénateur Sibbeston : Oh, désolé.
Le président : Nous parlons du voyage que nous allons faire dans l'Arctique en mai, des endroits où nous devrions aller, de ce que nous devrions chercher et de ce que nous devrions voir. Nous parlerons du projet de loi C-208 tout à l'heure, à huis clos. Pour le moment, nous demandons conseil à M. Moore quant aux endroits où nous devrions nous rendre dans le Nord et à ce que nous devrions chercher.
Ce que nous avons dit jusqu'à maintenant, c'est que nous ne voulons pas faire figure de touristes là-bas. Nous ne voulons pas aller là-bas pour dire : « regardez comment ces enfants sont adorables dans leurs parkas pleins de couleurs. » Nous voulons aller ailleurs qu'à Iqaluit, Yellowknife et Whitehorse — si jamais nous allons dans ces villes —, parce que ce n'est pas comme ça que nous allons apprendre beaucoup de choses. Nous voulons que M. Moore nous aide à déterminer les questions à poser, les personnes à qui les poser et les endroits où nous allons comprendre ces choses — ces choses dont nous ne savons rien.
Nous nous sommes tous déjà rendus dans l'Arctique, aux endroits les plus couramment visités. Nous n'avons pas besoin de retourner aux mêmes endroits. C'est de ça que nous parlons, sénateur Sibbeston.
Le sénateur Sibbeston : D'accord. Merci de votre exposé, monsieur Moore.
Lorsqu'on a commencé à parler d'un voyage dans l'Arctique, j'ai moi-même posé la question de savoir où il fallait aller et à qui il fallait parler. C'est la question que j'ai posée alors.
Vous avez parlé de Tuktoyaktuk, et il se trouve que je prévois m'y rendre la semaine prochaine. Je vais faire un peu le tour de la région du fleuve Mackenzie et de la mer de Beaufort. Je vais passer par Tuktoyaktuk et visiter bien d'autres endroits.
Je pense que Tuktoyaktuk est un bon endroit à visiter pour voir ce que signifie l'érosion des côtes.
Comme vous dites, le Nunavik est un bon endroit à visiter, parce que c'est le centre du territoire des Inuvialuits et des Gwich'ins, et pour voir les répercussions des ententes de revendications territoriales, qui sont importantes. Quant à l'Est de l'Arctique, je sais que vous avez parlé de Gjoa Haven parce que c'est une collectivité éloignée.
Pour ce qui est de la terre de Baffin, je pense que c'est probablement une bonne idée d'aller à Iqaluit, mais quelle autre collectivité suggéreriez-vous dans l'Est de l'Arctique : Pangnirtung, Pond Inlet, Nanisivik? Êtes-vous allé là-bas au cours de la dernière année? Par ailleurs, selon vous, quelle sera la réaction des gens lorsque le gros avion atterrira et que nous débarquerons chez eux? Je sais de par mon expérience au gouvernement que ce qui arrive en général, c'est qu'on assiste à la réunion du conseil et qu'on discute avec les membres du conseil de hameau et ainsi de suite.
Dans ce cas-ci, comme nous allons aborder la question du réchauffement de la planète, quelles seront, selon vous, les réactions des gens? Pensez-vous qu'ils vont être accueillants et prêts à discuter du réchauffement de la planète et des questions d'ordre économique?
M. Moore : Le sénateur Adams a probablement une meilleure idée de la façon dont vous allez être reçu. De façon générale, je ne pense pas que l'arrivée d'un avion rempli de sénateurs cause problème. Si les gens de la collectivité savent pourquoi vous leur rendez visite, ils vont être ouverts, réceptifs et impatients d'entamer le dialogue.
Je suis d'accord pour dire que c'est toujours une bonne idée de rencontrer les membres du conseil de hameau, quoiqu'on ne puisse jamais savoir quel genre de questions les préoccupent à un moment précis. Il est certain que vous allez les entendre parler de ce qui les intéresse et de ce qui constitue une priorité pour eux sur le terrain.
Quant à Pangnirtung, je pense que vous pourriez aussi envisager de vous rendre à Cambridge Bay ou à Rankin. La région de Pangnirtung est superbe. On voit là-bas des œuvres d'art et de l'artisanat extraordinaire, mais je ne sais pas ce que vous allez pouvoir y apprendre sur les changements climatiques.
Je pense que, pour ce qui est des questions liées aux changements climatiques, il faudrait que vous rassembliez des représentants des gouvernements inuits, des organisations régionales de revendications territoriales, dont certaines comptent dans leurs rangs des spécialistes des changements climatiques, ainsi que des gens des gouvernements territoriaux, probablement, et vous pourriez aussi solliciter des représentants d'autres groupes autochtones, surtout de l'Ouest de l'Arctique, car il est certain que ces groupes-là s'intéressent à la question et ont une certaine expertise dans le domaine.
Le sénateur Sibbeston : Les affaires qui ont trait au Nord nous intéressent au plus haut point, mais, je l'ai dit un certain nombre de fois, les gens du Nord ne se préoccupent pas réellement de ces choses-là. Ce qui les préoccupe davantage, ce sont les affaires de la vie quotidienne, c'est-à-dire gagner leur vie et aller à la chasse. Dans un sens, ce que je dis, c'est que les gens qui vivent dans le Nord ne s'intéressent pas vraiment à ce que nous voulons aller étudier de près là-bas. Que répondez-vous à cela? Je pense que c'est vrai dans une certaine mesure, mais il y a toujours des leaders prêts à discuter de ce genre de choses.
M. Moore : D'abord, pour ce qui est de ce qui se passe dans le Sud — c'est-à-dire au sud du 60e parallèle —, je dois dire que je m'étonne, depuis un an et demi, de la préoccupation du gouvernement au sujet de la souveraineté de l'Arctique et de ce qui se passe dans cette région.
Nous avons avancé l'argument — et notre président, en particulier, l'a fait — selon lequel il ne s'agit pas seulement de l'infrastructure et de la présence militaire; il faut également faire quelque chose pour améliorer les capacités des gens qui vivent là-bas, leur situation socioéconomique, parce que c'est grâce aux gens qui se trouvent sur place que le pays peut véritablement affirmer sa souveraineté dans la région.
Nous avons été très heureux de la mention dans le discours du Trône l'automne dernier. Je n'ai pas pu lire tout le budget ce soir. Le texte parle d'une stratégie pour l'Arctique, mais il ne s'agit pas d'une description cohérente et complète de ce qui doit se faire. Comme les Inuits forment la majorité à de nombreux endroits dans l'Arctique, le plan que nous avons défini est quelque chose que vous pourriez en fait utiliser comme thème lorsque vous vous rendrez dans le Nord.
En d'autres termes, si le comité décidait, dans sa sagesse, de formuler des recommandations à l'intention du gouvernement au sujet d'une stratégie globale claire pour l'Arctique — portant notamment sur les changements climatiques, la croissance économique, l'éducation, la protection de la langue — c'est quelque chose qui ferait très bonne impression au sein de notre organisation. Je pense que les gens du Nord accueilleraient très bien cette initiative eux aussi.
Le sénateur Adams : Merci, monsieur Moore, de vous être joint à nous. Le sénateur Brown et moi nous sommes rendus là-bas la semaine dernière. Nous avons parlé de deux choses, soit de la question de la propriété dans la région — surtout qu'il y a une crise du logement chez les Inuits — et des sans-abri à Iqaluit. Dans certains cas, il y a des banques alimentaires, mais les sans-abri n'ont pas d'endroit où aller pour manger; jusqu'à 20 à 40 personnes par jour. La population d'Iqaluit est d'environ 7 000 personnes. Ce sont des choses comme ça. Les gens vivent trop nombreux ensemble. Notre comité s'occupe cependant davantage des pêches et de l'énergie, et de ce que l'avenir réserve aux gens qui vivent dans l'Arctique.
Le discours du Trône de l'an dernier parlait de la souveraineté de l'Arctique, et les gens qui vivent là-bas attendent de voir ce qui va se passer. Ils veulent améliorer leur niveau de vie, aussi, et ils n'ont jamais rien entendu dire au sujet de l'avenir et de la souveraineté de l'Arctique au Nunavut.
Je ne sais pas dans quelle mesure ITK participe aux activités du Conseil de l'Arctique ni à qui l'organisation rend des comptes.
Je sais que les représentants des pays membres du Conseil de l'Arctique se réunissent une ou deux fois par année, je ne sais plus combien de pays sont membres. Je pense que le président de ce conseil est américain, mais je ne sais pas si c'est encore lui le président.
M. Moore : Il y a huit pays membres, et il s'agit d'un conseil ministériel. Le conseil se réunit officiellement une fois l'an, et c'est actuellement la Norvège qui le préside.
Le sénateur Adams : Nous avons reçu des représentants du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international au comité des pêches et des océans il y a deux semaines. Ils nous ont dit que les Américains, les Russes et les Danois entretiennent de bonnes relations. J'ai posé une question au sujet du drapeau que les Russes ont déposé au fond de la mer. M. Kessel, conseiller juridique au ministère, m'a dit qu'on prenait des photos, et que cela n'avait rien à voir avec la prise de possession du territoire là-bas. Je ne sais pas si c'est vrai ou non.
Nous parlons de la souveraineté dans l'Arctique. En attendant que la question soit réglée, il y a quatre pays autour de l'Arctique : le Canada, les États-Unis, la Russie et le Danemark. Nous sommes en train de cartographier le fond marin. Il semble que les Russes l'ont fait autour de l'an 2000. Ils ont connu quelques difficultés. Je ne pense pas que les Russes aient trouvé quoi que ce soit dans leur partie de l'Arctique. Ils n'ont peut-être pas trouvé de gisement de gaz ou de pétrole à exploiter dans l'avenir. C'est peut-être la raison pour laquelle ils ont déposé un drapeau au fond de la mer dans le Grand Nord.
Est-ce que ce genre de choses préoccupent ITK, la présence des autres pays et d'autres gens dans l'Arctique?
M. Moore : Oui. En fait, l'un des principaux éléments de l'allocution qu'a prononcée notre présidente, Mme Mary Simon, devant le Canadian Club à Calgary, c'était que, vu la quantité d'hydrocarbures qui pourraient se trouver dans le fond du bassin de l'Arctique, les enjeux sont extrêmement élevés, pour ce qui est de la souveraineté dans cette région. Les Russes, qui ont été très provocateurs, ont certainement fait prendre conscience de ce qui se passait à beaucoup de Canadiens.
Mme Simon a insisté encore une fois sur le fait que ce sont les gens qui vivent dans la région qui assurent la souveraineté. Si ces gens ne sont pas éduqués, en santé et en mesure d'apporter une contribution à la société et à l'économie, c'est un risque pour la souveraineté.
Je ne prétends pas être spécialiste des négociations internationales sur cette question. Je sais qu'il y a deux écoles de pensée. L'une préconise la conclusion d'une entente multilatérale de collaboration dans le but de négocier les questions relatives à la souveraineté dans l'Arctique, l'autre prône tout simplement des déclarations unilatérales de propriété.
ITK ne participe pas directement aux activités du Conseil de l'Arctique. Par contre, notre organisation affiliée, le Inuit Circumpolar Council, le fait. Elle est l'un des cinq membres permanents du Conseil de l'Arctique. En ce qui concerne les points à l'ordre du jour des réunions du Conseil qui touchent les Inuits vivant un peu partout autour du pôle ou ceux qui vivent dans les régions polaires du Canada, les représentants de cette organisation en discutent, mais pas nous.
Le sénateur Adams : Les gens qui vivent là-bas ont conclu un accord de revendications territoriales en 1993. Nous vivons là-bas sur le bord de l'eau, et nous chassons et tirons notre subsistance de la terre et de la mer. Je pense qu'il faudrait un jour qu'on reconnaisse le fait que les terres et les eaux appartiennent aux gens qui vivent dans l'Arctique depuis des milliers d'années.
Les gens qui vivent dans le Nord passent huit mois dans le noir à beaucoup d'endroits, notamment à Resolute Bay et à Grise Fiord. Je me suis rendu là-bas, il y aura deux ans de cela en juin. À cette époque de l'année, il fait clair 24 heures sur 24. Le soleil se lève, mais il ne se couche jamais.
En ce qui concerne les gens qui vivent là-bas... je pense que vous connaissez Larry. Sa famille s'est installée là-bas lorsqu'il avait trois ans, et, aujourd'hui, il en a 53. Un jour, il m'a dit qu'il avait découvert un lac à environ 120 milles de l'endroit où il habite, le seul lac du coin dans lequel il y avait de l'omble chevalier. Nous y sommes allés en motoneige, et ça nous a pris 12 heures, sans arrêter. Il a fait clair pendant longtemps. Les seules fois où nous nous sommes arrêtés, c'est lorsque nous sommes tombés sur de la glace fissurée. Nous ne pouvions pas passer en motoneige aux endroits où la glace est fissurée. À ce moment-là, nous devions chercher les passages étroits où nous pouvions traverser.
Le gouvernement du Canada s'est penché là-dessus, tout comme les provinces, notamment l'Ontario, le Québec, le Manitoba et la Colombie-Britannique. C'est la raison pour laquelle nous avons conclu un accord de revendications territoriales. Mais maintenant, le gouvernement dit ne pas savoir à qui appartient l'Arctique. Il n'y a pas lieu de discuter avec les autres pays. Tout ce qu'il y aura de nouveau dans la région, par exemple en ce qui concerne l'exploitation minière, appartient au Nunavut, tout comme les sables bitumineux appartiennent à l'Alberta. La province tire profit de cette ressource. Chez nous, le taux de suicide est le plus élevé au pays, il n'y a pas de logements, et le coût de la vie est élevé. Dans certains cas, l'exportation des ressources peut générer des recettes intéressantes. Nous devrions envisager ce genre de chose.
Nous ne tirons plus notre subsistance que de la terre. Nous avons maintenant des écoles et autres choses du genre. La semaine dernière, nous avons eu des nouvelles du ministre de l'Éducation. Selon ses chiffres, il y a trois ou quatre diplômés par année. Je sais qu'il y a une personne qui a suivi un cours pour devenir infirmière, et elle s'est trouvé un emploi dans le domaine à Fort McMurray après avoir suivi sa formation à Iqaluit. Si nous pouvions trouver une façon efficace de créer des emplois et de former les gens, nous n'aurions pas besoin de l'aide du gouvernement du Canada pour ce qui est de l'enseignement et des mesures permettant aux gens de décrocher des emplois.
En ce qui concerne la grande mine de minerais de Mary River, l'exploitant veut qu'elle soit en activité toute l'année. Nous devons déterminer quels seront les coûts d'expédition annuels. Comment faire? Si nous nous rendons là-bas, il va falloir que nous nous penchions là-dessus. Je ne crois pas qu'ils pourront passer par Gjoa Haven sans évaluer les coûts d'abord.
Le comité s'est rendu à Yellowknife. Nous avons pris un vol nolisé, ce qui était une très bonne chose si l'on s'en tenait à un horaire. Gjoa Haven et Tuktoyaktuk sont des collectivités agréables à visiter. Lorsqu'on y va, il faut faire escale à plusieurs endroits, tellement le territoire est grand.
Certains intervenants du domaine des pêcheries nous ont accompagnés afin d'examiner la question de la pêche commerciale autour de l'île de Baffin, et plus particulièrement à Pang, Broughton Island et dans les petites collectivités qui se préoccupent de l'avenir. Ils doivent 50 millions de dollars aux gens des collectivités, parce que le poisson qui est pêché là-bas ne leur revient pas. Le comité s'est rendu là-bas pour étudier la question de l'avenir de l'économie et de l'avenir du Nunavut.
M. Moore : Vous abordez un sujet qui est assurément d'une importance capitale aux yeux des gouvernements territoriaux. Les gouvernements des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut cherchent activement le moyen d'obtenir du gouvernement fédéral qu'il remette ces pouvoirs à leurs gouvernements publics. L'élément central de l'entente, si jamais on en conclut une, ce sera les modalités de partage des recettes découlant de l'exploitation des ressources.
Le président : Comme dans le cas du Yukon.
M. Moore : Ils affirmeraient qu'il ne faut pas faire ce qu'on a fait dans le cas du Yukon. Ils diraient que ce qu'on a obtenu au Yukon est minimal et ce n'est pas un modèle à suivre.
Cependant, si vous deviez visiter l'une ou l'autre des deux mines de diamant qui se trouvent dans l'Ouest de l'Arctique, vous constateriez que chacun des groupes autochtones touchés par l'exploitation des mines, ainsi que le gouvernement territorial, ont conclu des ententes de partage des bénéfices plutôt significatives.
De plus, du point de vue de la réglementation, Diavik, par exemple, a versé une indemnité de 100 millions de dollars pour toute destruction éventuelle du milieu naturel avant d'obtenir une licence d'exploitation de l'eau.
On trouve de bons exemples d'ententes qui ont été conclues et qui sont sensées. La question, c'est de savoir s'il est possible de s'en inspirer pour en conclure d'autres dans l'ensemble des territoires. À Mary River, par exemple, l'organisation qui va se charger de l'exploitation, quelle qu'elle soit, va-t-elle avoir la capacité de conclure ce genre d'entente?
Le président : Le sénateur Adams et M. Moore ont souligné une chose très importante que nous devons avoir en tête lorsque nous réfléchirons — ce que nous allons faire en tenant compte des conseils de M. Moore et d'autres personnes, ainsi que du sénateur Adams et du sénateur Sibbeston, et probablement du sénateur Watt — aux endroits où aller, aux choses à voir et aux questions à poser, et c'est que nous ne devons jamais perdre de vue le mandat du comité. Lorsque nous désirons chercher des réponses aux questions de souveraineté et de développement social, nous devons mettre ces questions en lien avec le mandat que le Règlement du Sénat du Canada attribue au comité, et qui a trait à l'énergie, à l'environnement et aux ressources naturelles, et les liens que nous allons établir devront être des liens véritables, et non des rapports lointains. Lorsque nos questions déborderont du cadre de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles pour devenir des questions sur les enjeux sociaux et des questions sur l'éducation, nous devrons nous assurer de pouvoir montrer qu'il existe un lien fort et durable entre ces éléments. Malheureusement, nous ne pouvons nous rendre dans l'Arctique pour régler les problèmes de la région. Nous faisons ce voyage dans le cadre de notre mandat, et nous avons le devoir d'établir ces liens.
Le sénateur Cochrane : Merci d'être ici, monsieur Moore. Vous dites que nous devrions aussi nous pencher sur la croissance économique. Comme le président l'a dit, nous devons placer la croissance économique dans une sorte de cadre que doit respecter le comité. Vous nous conseillez d'aller ailleurs qu'à Pangnirtung, mais c'est pourtant un endroit touristique. Les touristes vont là-bas en bateau pendant l'été. Pourrions-nous apprendre là-bas des choses sur le bris des glaces et le nombre de bateaux d'excursion qui ne peuvent s'y rendre à cause des changements climatiques? Apprendrions-nous quoi que ce soit là-dessus si nous décidions de nous rendre à Pangnirtung?
M. Moore : C'est un bon point, sénateur. C'est très possible. Là où je veux en venir, c'est que les gouvernements territoriaux vont sans aucun doute vous donner des conseils lorsque vous choisirez vos destinations. Tout ce que je dis, c'est que vous ne devriez peut-être pas suivre ces suggestions aveuglément. Peut-être déciderez-vous par vous-même de visiter une petite collectivité dont le gouvernement territorial ne vous aura pas parlé. Je ne dis pas que vous ferez totalement fi des suggestions des gouvernements territoriaux, mais ceux-ci ont des priorités, et ils aimeraient que vous voyiez certaines choses, et pas d'autres. Si vous jetez un coup d'œil sur les données sociales que j'ai présentées... nous serions très heureux que vous visitiez différentes collectivités, dont certaines qui s'en tirent bien et d'autres, moins bien. Je n'affirme pas que ce que vous dites n'est pas pertinent. C'est sûr que vous pourriez apprendre quelque chose sur ces sujets à Pangnirtung.
Le sénateur Cochrane : En raison de l'état des glaces et des quais là-bas.
Il n'y a plus de glace en mai? Vous dites que c'est à cause des changements climatiques?
Le sénateur Adams : Il n'est même plus possible de pêcher en mer. Normalement, on peut pêcher, avec des crochets et tout, jusqu'à 60 milles de la côte. Mais on ne pêche plus, en ce moment, dans la zone où il y a de la glace.
Le sénateur Cochrane : Pourquoi les huit pays dont nous avons parlé se réunissent-ils une fois par année?
M. Moore : De façon générale, le conseil a été créé — c'est presque une citation — pour servir d'instance de haut niveau et permettre aux représentants des huit pays et des groupes autochtones de discuter de questions touchant l'ensemble de l'Arctique, des questions, donc, qui peuvent être liées aux contaminants, par exemple. Le conseil a consacré beaucoup de temps à la question des contaminants : leur nocivité, leur nature, la façon dont ils sont transportés dans l'Arctique et leurs répercussions. Il s'est penché sur la question des changements climatiques en général. Le conseil a publié un rapport qui est assez à jour. Il a examiné la dimension humaine de la capacité dans l'Arctique.
Les ministres — habituellement les ministres des Affaires extérieures — se rencontrent une fois l'an pour élaborer ou approuver un plan de travail. Ils choisissent certains thèmes précis, et les pays travaillent sur ces thèmes en collaboration. C'est une organisation dont le fonctionnement est fondé sur le consensus. J'ai travaillé pendant sept ans auprès de celle-ci. Je peux vous dire qu'il est difficile d'en arriver à un consensus sur quoi que ce soit, mais je peux aussi vous dire que, de façon générale, le Canada a toujours proposé un programme assez bon et assez complet.
Le sénateur Cochrane : Les rapports sont-ils publiés à l'issue de la séance?
M. Moore : Oui, ce sont des rapports publics.
Le sénateur Cochrane : Nous devrions peut-être demander un exemplaire du dernier rapport.
Le président : Pas seulement le dernier. Je propose que nous demandions les deux ou trois rapports les plus récents.
Le sénateur Cochrane : Ce rapport pourrait nous être utile.
Il y a quelques années, j'a participé à une table ronde où il y avait entre autres des gens qui venaient de collectivités du Nord. D'après ce qu'ils ont dit, il y a pas mal de vieux chefs qui avaient beaucoup de pouvoir dans ces collectivités. Est-ce encore ainsi?
M. Moore : Petite précision : dans l'Ouest de l'Arctique, il y a des chefs. Ce sont des collectivités de Premières nations. On parle des Dénés, du Sahtu, des Gwich'ins et des Dogribs. Cependant, ailleurs que dans cette région du pays, ce sont des maires de municipalités, et non des chefs.
Le sénateur Cochrane : Les maires n'ont pas la même influence que les chefs, bien sûr.
Les gens dont je parlais disaient que les chefs avaient beaucoup de pouvoir dans leur collectivité; le chef de l'une des collectivités a interdit à tout le monde de fumer dans les maisons. Ne riez pas, sénateurs, les gens de la collectivité ont obéi. Ça, c'est du pouvoir. C'est l'une des choses qui se sont produites. Je pense à tous les problèmes sociaux, au fait que les enfants ne vont pas à l'école et autres choses du genre. Il y a des chefs très puissants dans cette région.
Le président : Il y a deux choses très importantes dans ce que vous avez dit. Premièrement, nous ne faisons pas ce voyage que pour étudier la question des changements climatiques; nous nous intéressons à tout ce qui touche l'énergie, l'environnement et les ressources naturelles, et les changements climatiques font partie de cela.
Deuxièmement, comme M. Moore nous l'a rappelé dans sa déclaration initiale, et comme il vient de le faire à l'instant, il n'y a pas que des Inuits dans l'Arctique; il y a aussi d'autres Premières nations là-bas. C'est donc peut-être quelque chose dont nous devons tenir compte lorsque nous nous rendrons dans l'Arctique, comme le sénateur Sibbeston pourra nous le dire.
Le sénateur McCoy : Ce ne devrait pas être un voyage de pêche. C'est certain que nous devrions nous fixer des objectifs avant de partir. N'est-ce pas le but de votre question?
Le président : Exactement.
Le sénateur Trenholme Counsell : C'est très intéressant de discuter avec vous, monsieur. La question que je vais poser est vraiment une question de médecin. Je sais que nous devons établir le lien entre les trois éléments du mandat du comité et notre visite là-bas, alors je vais vous poser cette question, ou peut-être la poser à mes collègues : si nous devons rencontrer des familles, ce qui va arriver, je l'espère, quelles sont leurs connaissances, leurs peurs ou leurs superstitions au sujet des changements climatiques? J'aimerais savoir quel est l'effet de cela sur leur santé, et plus précisément sur leur santé mentale.
Est-ce que cela ajoute au désespoir? Est-ce que cela fait diminuer l'espoir? Nous savons qu'il y a de la détresse et un manque d'espoir, et toutes les choses qui sont liées à cela, toute la gamme des problèmes de santé mentale. Je n'aime pas appeler cela des problèmes de santé mentale parce que c'est vraiment du désespoir et de la détresse.
Les jeunes de ces collectivités qui s'inquiètent de leur avenir doivent parler de l'environnement. Le discours qu'ils tiennent est certainement négatif, la plupart du temps. Quel effet cela a-t-il sur leur santé mentale? Apprendrions-nous quelque chose d'important en discutant avec eux pour savoir comment ils se sentent vraiment, ce qu'ils pensent au fond d'eux-mêmes de ce que cela signifie pour leur avenir et pour celui de leurs petits-enfants? Discuter avec les aînés et avec les jeunes adolescents, par exemple... Est-ce que cela aurait une certaine importance?
M. Moore : Je suis gêné de répondre à cette question en présence du sénateur Adams, qui, j'en suis sûr, en sait plus que moi là-dessus.
Le sénateur Trenholme Counsell : J'espère qu'il va répondre lui aussi.
M. Moore : De façon générale, si vous abordez la question des changements climatiques dans une famille ou dans plusieurs familles, les réactions que vous allez obtenir vont varier.
Il y a des gens qui ne croient pas que les changements climatiques sont quelque chose de réel. Vous allez entendre certains aînés inuits dire qu'ils n'y croient pas. Cependant, vous allez aussi entendre des gens vous dire qu'ils sont témoins de changements profonds dans leur milieu, et ces gens vont probablement vous donner des renseignements et vous raconter des histoires que vous n'auriez jamais entendues ou lues dans le Sud.
J'ai entendu une histoire du genre de la bouche d'un aîné inuit qui parlait du lien entre les changements dans le cycle de la lune et des marées et les changements climatiques. Il s'est exprimé d'une telle façon que je me suis demandé s'il n'avait pas mis le doigt exactement sur le problème.
Les jeunes sont conscients des changements qui se produisent. Ils s'en inquiètent. Cependant, lorsque vous faites le lien entre ça et le désespoir de certains des jeunes — pas tous, mais certains d'entre eux — et une partie de la détresse, ce n'est pas lié aux changements climatiques; le désespoir vient de ce qu'ils vivent dans deux mondes, c'est-à-dire le monde dans lequel leurs mères et leurs pères vivaient il y a tout juste 60 ans, dans lequel les contacts étaient très limités avec le monde moderne, et celui d'Internet — d'essayer de fonctionner dans ces deux mondes à la fois. C'est ce qui semble être, d'après ce que nous avons appris du moins, un réel dilemme pour bon nombre d'entre eux. Malgré tout, il y a beaucoup de jeunes leaders — nous pourrions probablement vous donner des noms — qui essaient de galvaniser leurs pairs et de leur donner de l'espoir par différents moyens.
Je ne sais pas du tout si je vous aide.
Le sénateur Trenholme Counsell : Cette comparaison m'est venue à l'esprit parce que j'ai participé très activement au processus de construction du pont de la Confédération entre l'Île-du-Prince-Édouard et le Nouveau-Brunswick. Au village de Cape Tormentine, où tout le monde a perdu son emploi, les pêcheurs parlaient constamment de l'incidence sur leur famille, leurs fils, leur avenir et leur mode de vie; nous ne savons pas encore dans quelle mesure ils avaient tort ou raison. C'est un sujet qui revenait constamment. Je me sers de cet exemple pour faire une analogie. Dans une certaine mesure, il semble que c'est de là que ça vient. C'est quelque chose qui a eu un effet sur le développement socioéconomique de ces collectivités.
Le sénateur Mitchell : La question des changements climatiques m'intéresse, et vos propos me semblent très convaincants. Pour ce qui est des endroits où nous allons nous rendre et des gens avec qui nous allons discuter, y a-t-il un groupe ou quelqu'un qui serve de noyau aux initiatives d'adaptation aux changements climatiques? Qui réfléchit à cette question là-bas? Qui aura des idées? Ou peut-être est-ce encore tout récent?
M. Moore : Je vais transmettre votre question, mais je dois vous dire que je ne prétends pas être aussi bien informé que je devrais l'être.
Il y a une organisation qui s'appelle ArcticNet, qui a son siège dans le Sud mais qui fait beaucoup de travail dans le Nord. Elle est financée par le gouvernement fédéral et l'Université Laval. Les membres de cette organisation font beaucoup de travail. C'est une organisation importante pour ce qui est du travail relatif aux changements climatiques.
En outre, à Iqaluit, et, je crois, quelque part dans l'Ouest de l'Arctique, il y a des instituts de l'Arctique qui s'occupent des questions liées aux changements climatiques. Je suis prêt à faire quelques recherches pour vous, pour vous donner les noms de toutes les organisations dont les activités tournent autour de l'environnement et des changements climatiques. En fait, la liste est pas mal longue.
Le sénateur Mitchell : Si vous pouviez le faire, ce serait super.
Y a-t-il des membres de votre organisation? Y a-t-il un comité au sein de votre organisation? Y a-t-il au sein du gouvernement là-bas un groupe ou un ministère, quelqu'un qui réfléchisse non seulement aux changements climatiques et à leurs répercussions sur le climat, mais également à des initiatives spéciales d'adaptation? Je sais que le gouvernement fédéral a annoncé qu'il consacrerait de l'argent à ce genre de choses, mais je me demande d'où les idées quant à la façon de dépenser cet argent viennent et comment on ferait pour les mettre en ordre de priorité. On ne pourra pas refaire les glaces fondues avec de l'argent. Que faites-vous?
M. Moore : Dans notre organisation, il y a deux personnes qui, je dirais, sont plus ou moins des spécialistes des changements climatiques. Nous avons présenté nos idées au gouvernement fédéral quant à la façon dont il pourrait venir en aide aux habitants du Nord au chapitre de l'adaptation aux changements climatiques. Il s'agit de documents publics, et je peux vous les fournir.
Pour être très honnête, il nous a fallu 18 mois pour qu'on nous écoute au moins un peu à Environnement Canada. Nous avons enfin réussi à nous faire entendre du ministre, mais nous n'entretenons aucune relation de travail avec ses fonctionnaires, ce que je trouve surprenant. Mais c'est ainsi.
Les trois gouvernements territoriaux ont certainement un point de vue sur l'adaptation, et une certaine expertise aussi, mais surtout en ce qui concerne l'aspect scientifique de la réduction des émissions.
Le sénateur Mitchell : Avez-vous une opinion sur ce sujet? Êtes-vous d'accord avec le ministre Baird pour dire qu'il faut faire quelque chose et que le Canada devrait être un chef de file dans ce domaine? Votre position est-elle officielle?
M. Moore : Oui. En fait, vous venez de la résumer assez clairement.
Le sénateur Spivak : Bon nombre d'organisations s'affairent à effectuer des études sur les changements climatiques. L'Université du Manitoba a envoyé des gens là-bas, et beaucoup de gens travaillent sur les carottes de glace extraites au Groenland.
À votre avis, quelle responsabilité les Canadiens qui vivent dans le Sud doivent-ils assumer à cet égard? Les gens qui vivent dans le Nord ne sont pas à l'origine du problème, et ils ne devraient pas consacrer leur énergie à faire des recherches, ce qui se fait partout dans le monde. Que pensent-ils de ce qui leur arrive? Le gouvernement a-t-il un point de vue là-dessus?
Mon autre question, c'est : le Nunavut fait combien de milles, du nord au sud?
Le président : Des milliers.
Le sénateur Spivak : Même si on songeait à créer une université nordique, certains étudiants habiteraient quand même plus près d'établissements du Sud que de cette université.
M. Moore : Comme ce que nous disons ici est officiel, je ne vais pas m'aventurer à deviner combien de milles fait le Nunavut. Je ne le sais pas. C'est un gros chiffre.
Le sénateur Adams : Je peux peut-être ajouter quelque chose. L'an dernier, je suis parti un jour d'Ottawa à 10 heures et j'ai voyagé vers le Nord jusqu'à Resolute Bay. Un jour ne nous a pas suffi pour nous rendre à Grise Fiord. Nous sommes arrivés à Resolute Bay à 21 heures.
Le sénateur Spivak : En avion?
Le sénateur Adams : Oui.
M. Moore : En motoneige, ça prendrait beaucoup plus de temps.
Le sénateur Spivak : On pourrait presque se rendre en Chine en autant de temps.
Le sénateur Adams : En prenant un vol direct, il est possible de faire le voyage en cinq heures. Je pense que l'Europe est à six heures d'avion d'ici. Le vol Ottawa-Resolute Bay dure cinq heures, à plus de 500 milles à l'heure.
M. Moore : Pour ce qui est de votre première question, il y a un point de vue clair — et je ne peux m'exprimer qu'au nom des gens que je représente, c'est-à-dire les Inuits — et c'est le suivant : ce n'est pas leur faute si les changements climatiques se produisent. Ce n'est pas eux qui en sont à l'origine, pas plus que dans le cas des contaminants.
M. Moore : Les contaminants viennent d'autres parties du monde industrialisé. Cependant, les Inuits du Nord sont d'avis qu'ils ont la responsabilité de travailler avec le gouvernement pour essayer d'améliorer la situation. Ils ne sont pas du tout d'avis que, parce qu'ils n'ont pas causé le problème, ce n'est pas à eux de le régler. Ils sont prêts à s'associer aux gouvernements, organismes et universités qui travaillent à l'amélioration de la situation, en partie parce que, pendant longtemps, on leur a imposé toutes sortes d'idées, de solutions et de processus en leur disant que c'était la meilleure façon de faire les choses. Ils veulent maintenant définir eux-mêmes la meilleure façon de régler le problème. Quant au recoupement dans les travaux de recherche, vous allez constater qu'il y en a très peu.
Le sénateur Spivak : Je veux poser ma question d'une façon un peu différente.
D'après certaines des dernières études parues, la dernière fois que les pôles ont été libérés des glaces, c'était il y a des millions d'années. À l'époque, il y avait quatre ou cinq fois plus d'émissions de gaz carbonique dans l'atmosphère, et les conséquences de cela étaient incroyables, mais je ne vais pas vous ennuyer en vous racontant tout ça. Il y avait quatre ou cinq fois plus d'émissions de dioxyde de carbone qu'au début de l'ère industrielle. Je pense que nous avons fait doubler le taux d'émissions depuis, et nous essayons de ne pas dépasser un certain plafond, parce que lorsque le taux atteint quatre ou cinq fois le taux initial, c'est fini. L'eau de la mer se transforme en sulfure d'hydrogène.
Quel progrès ont-ils fait au chapitre de l'amélioration de la situation? Y a-t-il des gens là-bas qui se penchent là- dessus? La recherche progresse rapidement, et il y a beaucoup de scénarios différents, et il y en a des plus sombres. Y a- t-il une organisation qui examine cela et qui transmet les renseignements qu'elle obtient par la suite, ou pensez-vous que c'est la responsabilité des gens du Sud qui effectuent les recherches? C'est la question que je voulais vous poser. Sont-ils conscients de la difficulté que cela peut comporter et suivent-ils l'évolution des recherches pour s'orienter?
M. Moore : Oui aux deux questions.
Le sénateur Spivak : Y compris les échéances? Certaines échéances sont vraiment très courtes.
M. Moore : Lorsque vous vous rendrez dans le Nord, si vous abordez le sujet des changements climatiques en général, l'importance des travaux de recherche en cours, et si vous demandez aux gens s'ils comprennent toutes les dimensions de ce qui se fait, vous allez obtenir des réponses assez profondes et assez intelligentes.
Je ne prétends pas être spécialiste de la question, et je spécule dans une certaine mesure. Cependant, ce que je pense, c'est qu'ils comprennent et qu'ils savent ce qui se passe.
Le sénateur Spivak : Vous dites que le ministre s'est rendu là-bas. Dans l'intervalle, Environnement Canada n'est pour ainsi dire pas tout à fait engagé. Le ministère devrait être en train d'examiner des façons de composer avec le phénomène, parce que le Nord va commencer à ressentir les effets. Quels que soient les effets catastrophiques qui vont se produire, le Nord va être touché. Quel est le plan?
M. Moore : C'est exactement ça, sénateur. Il n'y a pas de plan, d'après ce que nous savons.
Le sénateur Spivak : D'accord.
M. Moore : Avec tout le respect que je dois aux gens du ministère, ils ne font que suivre les ordres du ministre. Je ne blâme aucunement les fonctionnaires du ministère en général.
Le sénateur Spivak : Non.
Le sénateur Sibbeston : Pendant que M. Moore et d'autres personnes parlaient, je me remémorais les années 1970 et 1980, et j'ai repensé au DC-3, qui était un très bon avion pour les déplacements dans l'Arctique. C'était un avion très lent. Un jour, des Inuits partis de l'Ouest se rendaient dans l'Est à bord de l'un de ces avions, et un vent contraire a fait qu'ils se sont retrouvés en panne d'essence. Le pilote a posé l'avion sur un lac. Il n'y a pas eu de drame; tout le monde a survécu. À un moment donné, le comité va s'occuper de la question des avions et des déplacements là-bas. Souvent les trajets durent des heures et des heures dans cette région. À un moment donné, on voit un petit point, puis l'avion descend. Lorsque je faisais partie du gouvernement là-bas, nous avions l'habitude d'apporter avec nous des cartes et un peu d'argent. Nous jouions aux cartes pour nous occuper et pour nous divertir pendant ces longs voyages. Les distances sont vraiment très grandes dans le Nord.
Puisque nous parlons de l'eau, lorsque je faisais partie du gouvernement là-bas, l'un de nos problèmes les plus importants, c'était l'eau. L'Arctique est un pays de glace et de neige, mais le problème de l'eau potable est l'un des plus importants dans cette région. On ne l'imagine pas. Il y a de la glace et de la neige qu'il est possible de faire fondre, mais le problème, c'est d'acheminer l'eau qui vient des lacs à proximité vers les maisons. Dans certains cas, il faut un réservoir.
Les gens qui vivent dans l'Arctique sont très informés. Tout le monde a la télévision satellite. Je me souviens d'être allé à Grise Fiord, qui est la collectivité la plus éloignée de l'Arctique, et tout le monde avait la télévision là-bas. Les gens de cette collectivité étaient au courant de ce qui se passait dans le monde, parce qu'ils voyaient ça à la télévision tous les jours, dans leur salon. C'est l'une des choses que j'ai remarquées dans le Nord.
En ce qui concerne la pollution, ce n'est pas quelque chose que nous sommes en mesure de voir dans le Nord, puisque la nature est si vaste et si pure. C'est tellement loin du noyau industriel du pays. Je continue d'être étonné chaque fois que des chercheurs qui étudient la présence des contaminants dans le Nord trouvent toutes sortes de produits comme le mercure... du fluor qui vient du Mexique ou du Texas qui aboutit dans l'Arctique.
Quand on voyage dans le Nord, on n'imagine pas que c'est une région polluée. La nature semble intacte là-bas. Pourtant, beaucoup de contaminants aboutissent dans le Nord.
Le président : Nous parlons un peu de cela dans notre rapport sur la LCPE, que nous allons déposer bientôt.
Monsieur Moore, je tiens à vous remercier au nom de tous les sénateurs. Vous nous avez donné des conseils qui vont nous être utiles.
M. Moore a eu la gentillesse de nous apporter une carte qui place les choses dans une meilleure perspective, et c'est de cela que nous parlons. M. Moore, compte tenu des facteurs coût et distance, auriez-vous la gentillesse de commencer à nous dire où nous devrions nous rendre dans le Nord. Devrions-nous visiter tout le Nunatsiavut, le Nunavik, le Nunavut et la région des Inuvialuits? J'aimerais commencer à mettre ensemble certaines réponses pour nous préparer. Vous pourriez mettre par écrit vos opinions avec vos idées et les faire parvenir au greffier, et nous allons en discuter. Le sénateur Nolin, les membres du comité directeur et moi allons revenir avec les premiers éléments d'un cadre peu de temps après, par rapport aux endroits où nous devrions nous rendre et aux choses que nous devrions voir.
Le sénateur McCoy : Vous avez parlé d'un plan, et vous avez dit qu'il s'agissait d'une stratégie globale pour l'Arctique. Je veux lire ce document avant, pour éviter de gaspiller inutilement le temps des Canadiens et le temps du comité. Si nous devons décider de faire quelque chose, aussi bien prévoir comme il faut ce que nous allons faire.
Le président : Ce document existe-t-il, monsieur Moore? Pouvons-nous en obtenir des exemplaires?
M. Moore : Je peux en laisser un exemplaire au comité.
Le président : Pouvons-nous le photocopier?
M. Moore : Certainement. C'est un document public.
Le sénateur McCoy : Si nous ne pouvions faire qu'une seule chose, vu notre capacité limitée en raison des coûts et ainsi de suite, sur quoi nous suggéreriez-vous de nous concentrer? Est-ce que c'est une question difficile? Pourriez-vous y réfléchir et transmettre votre réponse au président et au vice-président?
M. Moore : Je pourrais faire ça, mais si je peux me permettre, je peux vous répondre immédiatement.
Vu le mandat du comité, la prochaine étape de la croissance économique au pays aura lieu au nord du Soixantième — la croissance économique dans cette région.
Le sénateur McCoy : La vraie question, c'est la façon dont vous allez participer à cela. Voilà quelque chose qui ferait partie de notre mandat.
Le président : Monsieur Moore, merci.
J'espère que vous nous permettrez de vous écrire pour vous poser des questions s'il y en a de nouvelles qui nous viennent à l'esprit après vous avoir écouté ce soir. Nous vous serions reconnaissants de répondre à ces nouvelles questions.
M. Moore : Nous sommes toujours prêts à nous rendre utiles.
Le sénateur Brown : Presque tout le monde ici croit que les changements climatiques sont en train de se produire. Cela ne fait aucun doute. À l'aéroport d'Iqaluit, il y a quelques jours, j'ai vu une affiche sur laquelle figurait l'inscription suivante : « Le climat change. » Toutes sortes de documents sont passés sur mon bureau au cours des trois derniers mois, ce qui fait que je suis absolument incapable de déterminer par quel bout nous devrions aborder les choses.
Certains des meilleurs chercheurs du Canada m'ont dit que nous sommes responsables de 0,48 p. 100 des répercussions sur le climat mondial. Ainsi, c'est moins de 1 p. 100, peu importe ce que nous faisons. Certaines personnes disent que le gouvernement du Canada doit jouer un rôle de chef de file dans le monde. La probabilité que nous réussissions à influencer la Chine n'est probablement pas très importante, vu qu'elle va construire 500 centrales au charbon cette année, et 500 l'année suivante.
Cependant, j'ai vécu en Alberta toute ma vie, et je sais que le climat change, même là-bas. L'hiver était beaucoup plus rigoureux avant; il y avait plus de neige et il faisait plus froid. Il faut que nous fassions quelque chose pour ce qui est de la pollution, mais je ne suis pas sûr de savoir sur quel type de pollution nous devrions nous concentrer. À Calgary, lorsqu'une couche d'air chaud emprisonne l'air froid, on dirait que quelqu'un a vaporisé du gaz moutarde sur toute la ville. Je suis sûr que ça se produit aussi à Edmonton une fois de temps en temps.
Le président : Ça dépend du vent.
Le sénateur Brown : Oui, il faut que le vent balaye tout ça jusqu'à Strathmore avant que le nuage de pollution se dissipe. J'ai vu le même phénomène à Phoenix, en Arizona, et le vent transporte la pollution jusqu'à Tucson, où nous vivons, c'est-à-dire à 120 milles de Phoenix. Il est clair que nous devons trouver des moyens qui nous permettront de consommer moins d'essence et de réduire la contamination. Je n'arrive pas à comprendre le point de vue des chercheurs là-dessus.
J'ai lu deux phrases tirées d'un document qui s'intitule The Security Implications of Climate Change, publié à Washington. À la fin du document, il y a quatre pages de sources d'information de partout dans le monde. Voici ce que les auteurs disent au début :
[...] Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat [...] prévoit que le monde va devenir un endroit où les peuples et les nations vont être menacés par des pénuries extrêmes de nourriture et d'eau, des catastrophes naturelles dévastatrices et des épidémies meurtrières. Aucune solution politique ou technologique envisageable ne va nous permettre de contrer bon nombre de ces répercussions sur le climat, même si les États- Unis, par exemple, décidaient de participer dans un avenir rapproché à un système international de plafonnement et d'échange des émissions de gaz carbonique. Dans l'intervalle, une percée technologique qui donnerait lieu à une réduction importante, à court terme, de la concentration de dioxyde de carbone [...] dans l'atmosphère demeure hors de portée.
[...] Ainsi, ce n'est pas être alarmiste que de dire que ce scénario est peut-être le meilleur que nous pouvons espérer voir se concrétiser au cours des 30 prochaines années environ. C'est assurément ce à quoi nous devons nous préparer au minimum.
Voilà une version extrême d'une des pires choses que j'aie lues au cours des trois ou quatre derniers mois, parmi les documents qui ont atterri sur mon bureau.
On a vu l'autre membre de l'équation hier, lorsque Lorne Gunter, dont vous avez certainement déjà entendu, a apparemment mis la main sur deux modèles de travail créés par deux groupes de chercheurs qui font des projections concernant l'avenir du monde. Pour vous montrer à quel point la situation devient délirante, les deux groupes prévoient une période de refroidissement marquée. En fait, ils ont mentionné que, d'après les mesures, la glace dans l'Arctique est de 20 cm plus épaisse qu'elle ne l'a été depuis des années. Il y a une semaine, j'étais dans le Nord avec le sénateur Adams et il faisait moins 34 degrés et le vent soufflait à 50 kilomètres à l'heure, alors c'est facile à ce moment- là de prêter foi à cette théorie.
J'essaie de définir les deux points de vue scientifiques extrêmes sur cette question. Je ne pense pas que quiconque ait une réponse définitive à donner à ce moment-ci. Une des choses sur lesquelles nous devons nous concentrer, c'est la conservation des ressources naturelles. Nous devons utiliser moins l'énergie et faire cesser l'érosion. Cependant, une chose qu'il faut éviter de faire, c'est de croire tout ce qu'il y a dans le paragraphe que j'ai lu tout à l'heure, tiré du document rédigé par les gens qui s'occupent de la sécurité à Washington, pas plus qu'il ne faut croire que nous allons vivre une nouvelle ère glaciaire. Je pense que nous devons nous situer quelque part entre ces deux extrêmes. Je veux nous inciter à la prudence lorsque nous réfléchissons à ce qui se passe, parce que je ne pense pas que quiconque comprenne vraiment ce qui est en train de se produire.
Hier soir, aux actualités, on a cité le gourou des changements environnementaux, M. Suzuki, qui disait que c'est extraordinaire que la Colombie-Britannique décide d'adopter un plafond d'émissions de gaz carbonique. Cette mesure va générer 50 milliards de dollars. Il a parlé de trois problèmes sociaux que cet argent pourrait contribuer à régler avant de dire quoi que ce soit au sujet des changements climatiques.
C'est ce que j'essaie de faire comprendre à tout le monde. Je ne sais pas si nous faisons ces choses pour vraiment modifier le cours de l'évolution du climat, si nous le faisons pour d'autres raisons ou quelles sont les intentions des gens qui sont très motivés par rapport aux changements climatiques. Ils peuvent faire aussi peur que les gens qui ne font rien.
Notre société technologique est devenue tellement compliquée; si, par exemple, il y a une panne d'électricité dans une ville comme Calgary, il y a des gens qui ne peuvent pas sortir de leur immeuble ou de leur tour à bureaux pendant des heures. Cela fait partie de la nature très technologique de notre société.
Si nous commençons à apporter des changements majeurs trop rapidement ou sans avoir vraiment réfléchi aux conséquences, alors nous allons peut-être vivre certaines des choses dont parle ce document. Il décrit tous les scénarios négatifs imaginables, ce qui se produirait en Chine ou au Moyen-Orient, ce qui se produirait sur le plan politique, ce qui se passerait dans le domaine de l'immigration ou les conséquences de la diminution des ressources en eau, le tout contribuant à l'instabilité du monde entier. C'est un document effrayant; cela ne fait aucun doute. Après l'avoir lu, vous aurez peut-être l'impression que la seule solution, c'est le suicide.
Je suis prêt à le photocopier pour tous les intéressés.
Le président : Tout ce que vous avez dit est juste, et il faut faire preuve de prudence de toutes parts. Cependant, en ce qui concerne l'Arctique en particulier, je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que nous n'allons pas faire un voyage là-bas dans le but de discuter de la possibilité que les gens de la région mettent fin à la pollution ou la réduisent. L'objectif va plutôt être de découvrir comment l'Arctique peut s'adapter aux changements climatiques causés par tel ou tel facteur découlant de tel ou tel autre facteur.
Comme vous l'avez dit dans votre déclaration initiale, le climat change. Je crois que la planète se réchauffe avant chaque glaciation. D'après les données sur les époques passées, le climat se réchauffe, la glace fond, l'océan se refroidit, et c'est ce qui déclenche une glaciation. C'est ça, le scénario.
Ce que nous allons examiner — monsieur Moore l'a établi pour nous, et je pense aussi que ce devrait être l'objectif de notre voyage —, ce sont les possibilités d'adaptation qui s'offrent aux gens du Nord. Ces gens-là ne polluent pas beaucoup. Cependant, de grandes quantités de polluants provenant de partout dans le monde aboutissent dans le Nord, comme nous l'avons appris et comme nous allons en témoigner. Nous allons parler d'adaptation.
Vous parliez de façon générale des questions qui nous intéressent, et vous avez raison. La prudence est nécessaire de toutes parts.
Le sénateur Brown : Je suis content que vous parliez d'adaptation, parce que je veux citer un autre article de journal. L'auteur de celui-ci affirme que l'une des choses dont nous pouvons être sûrs, c'est que, partout dans le monde, c'est sur les ingénieurs que nous allons compter pour nous montrer comment nous adapter et comment conserver nos ressources et en tirer le maximum possible. Je parle des ingénieurs d'ici, mais aussi de ceux de partout dans le monde. Nous allons devoir compter sur eux pour ce qui est de l'adaptation, que ce soit dans le Nord, où nous tentons d'accroître le niveau de vie des gens et leur capacité de survie ou en Afrique, où nous sommes confrontés à des problèmes découlant du manque d'eau.
C'est l'une des choses positives que j'ai lues, parmi tous ces documents qui se sont retrouvés sur mon bureau. Nous devons compter sur les gens qui ont les connaissances scientifiques nécessaires pour trouver, en ingénierie, les solutions à tous les problèmes concernant l'énergie, le climat ou quoi que ce soit d'autre, et nous devons investir de l'argent dans leurs activités. Il faut s'adapter coûte que coûte. Que les gens de leur institut aient raison et que nous soyons sur le point de vivre 30 ans de conditions météorologiques difficiles ou qu'ils n'aient raison qu'à 5 p. 100, nous devons nous adapter de toute façon.
Le sénateur Sibbeston : Il semble que le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a rédigé un rapport sur l'adaptation aux changements climatiques qu'il a présenté à l'assemblée législative la semaine dernière. Je vais faire en sorte d'obtenir ce document et de le mettre à la disposition des membres du comité.
J'ai entendu aux actualités que des chercheurs étudient la glace dans le Nord. L'épaisseur de la couche de glace a diminué pendant un certain temps. Il semble cependant qu'elle a recommencé à augmenter et que la couche de glace est maintenant plus épaisse que jamais, parce que l'hiver a été froid. De façon générale, l'hiver a été froid au Canada, surtout dans le Nord. Il sera donc intéressant, lorsque nous nous rendrons dans le Nord, de voir comment les gens réagissent à cet hiver particulièrement froid que nous vivons. Cet hiver n'a pas été comme les hivers doux que nous avons connus ces dernières années.
Les régions du Nord sont très différentes les unes des autres, et il est possible de se rendre dans les centres les plus importants, comme Yellowknife, Tuktoyaktuk, Iqaluit et Inuvik en prenant un vol régulier. Cependant, vous devez savoir qu'il faut prendre un vol nolisé pour visiter les collectivités qui sont plus éloignées, comme Pangnirtung, Pond Inlet et Rankin Inlet.
Le président : Pourriez-vous rédiger une note sur l'itinéraire à suivre pour traverser l'Arctique et la faire parvenir au greffier, s'il vous plaît?
Le sénateur Sibbeston : La seule région que je n'ai pas visitée, c'est celle du Nunavut et du Nunatsiavut. Nous qui vivons dans le Grand Nord ne voyons pas vraiment cette région comme le Nord. Je sais que c'est sur la côte et que des Inuits vivent là-bas. C'est la région où vit le sénateur Watt. Il vit à Kuujjuaq.
La séance se poursuit à huis clos.