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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 7, Témoignages du 17 avril 2008


OTTAWA, le jeudi 17 avril 2008

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui à 8 h 39 pour étudier le projet de loi S-206, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (eau potable saine).

Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : La séance est ouverte. Nous entendrons trois groupes de témoins, ce matin. Nous entendrons d'abord le parrain de ce projet de loi, le projet de loi S-206, et deux autres groupes de témoins, que je présenterai en temps et lieu.

Je dois d'abord vous dire que le sénateur Nolin et moi-même nous sommes présentés hier devant le sous-comité des budgets. Je prévois et j'espère que le sous-comité présentera ce matin un budget rectifié au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration. Si c'est le cas, je pourrai présenter le budget au Sénat afin que nous en discutions cet après-midi. J'espère que ce sera le cas puisque cela nous permettrait de commencer à prendre des dispositions pour notre voyage à venir.

J'aimerais, pour les personnes qui assistent à la séance ou qui lisent le compte rendu, présenter les membres du comité présents aujourd'hui. Immédiatement à ma droite, se trouve le sénateur Pierre Claude Nolin, du Québec; à sa droite se trouve le sénateur Ethel Cochrane, qui représente Terre-Neuve-et-Labrador et à ma gauche, le sénateur Grant Mitchell, de l'Alberta.

Le premier témoin que nous entendrons ce matin est le sénateur Jerahmiel Grafstein, qui, en plus d'être le parrain du projet de loi, en est aussi l'auteur.

Le projet de loi S-206 reprend un ancien projet de loi qui visait à ajouter l'eau potable à la Loi sur les aliments et drogues au Canada. Ce projet de loi, c'est-à-dire celui qui était pareil en tous points, a été adopté par le comité et par le Sénat par le passé. Il est mort au Feuilleton à la dissolution du Parlement. Je crois qu'il en est à sa quatrième mouture. Nous connaissons très bien son but et son contenu.

Sénateur Grafstein, je vous souhaite la bienvenue ce matin. Je vous remercie d'être ici si tôt. Je vous demande de nous présenter le projet de loi de la façon la plus succincte, mais la plus détaillée possible.

L'honorable Jerahmiel S. Grafstein, parrain du projet de loi : Je vous remercie de faire preuve d'une grande patience patriotique à ce sujet. Tout cela a été une expérience fantastique pour moi. J'en ai appris plus sur l'eau que ce qui m'intéressait. La bonne nouvelle, c'est que, depuis que j'ai entrepris cette quête plutôt solitaire, je constate que les collectivités en général s'intéressent de plus en plus non seulement à la question de l'eau potable de notre réseau d'aqueduc, mais aussi à la qualité en général de l'eau potable. Comme vous le savez, j'ai présenté au Sénat un autre projet de loi qui s'occupe du projet en amont. Selon moi, nous nous occupons maintenant du projet en aval.

Le projet de loi a reçu diverses critiques depuis le départ; on a dit qu'il suscitait des problèmes constitutionnels, ce qui est faux, qu'il suscitait des problèmes avec les provinces, ce qui est faux, et qu'il créait des problèmes financiers complexes, ce qui est aussi faux. La critique la plus récente résume tous les problèmes : on dit que le projet de loi ne va pas assez loin. Il devrait offrir plus de pouvoirs et obtenir un plus grand financement.

J'ai présenté au Sénat un autre projet de loi qui prévoit que l'on verse du financement aux municipalités pour qu'elles s'occupent du problème de l'eau potable de façon plus efficace. Chaque projet de loi est partie intégrante de trois problèmes : le problème en aval, le problème en amont — les sources, et le financement offert aux municipalités pour améliorer leurs canalisations d'eau. J'ai voulu, essentiellement, régler chaque problème grâce à une série de trois projets de loi.

Laissez-moi d'abord vous parler du problème en aval, soit celui de l'eau. J'aimerais remercier le sénateur Cochrane, qui, je crois, a répété les arguments qui m'ont été présentés par le passé par des responsables du gouvernement. Il s'agit des critiques les plus récentes et les plus ciblées du projet de loi. Je vais tenter de répondre à ces arguments, puisque je suppose qu'il s'agit d'un des obstacles que je dois surmonter pour que le comité approuve le projet de loi.

Comme vous l'avez souligné, le projet de loi a été approuvé par le Sénat, a été présenté au comité qui, je crois, l'a approuvé presque à l'unanimité à au moins une occasion, a été présenté à l'autre endroit, puis est mort au Feuilleton. C'est un recommencement.

J'aimerais pouvoir dire que l'eau de l'aqueduc s'est améliorée au Canada depuis que j'ai entrepris cette quête. D'une certaine façon, c'est le cas. Je crois que le sénateur Cochrane l'a souligné. Il y a eu de modestes améliorations, mais des injustices épouvantables demeurent.

D'une part, il y a Santé Canada qui affirme que chaque Canadien devrait boire huit verres d'eau potable par jour. C'est l'un des messages transmis par le gouvernement. Je dis qu'il y a deux côtés à la médaille. D'un côté, on nous dit : « Voilà ce que vous devriez faire », mais d'un autre côté, nous constatons que l'accès à l'eau potable n'est pas égal d'un bout à l'autre du Canada.

Nous avons adopté une charte et nous croyons en l'égalité des droits; nous devrions donc certainement offrir un accès égal à une eau potable propre, qui est la source de la vie. Je trouve plutôt ironique que des personnes viennent dire qu'il ne s'agit pas d'un enjeu important en matière de santé, d'un problème important d'égalité.

Nous avons un problème d'inégalité de l'accès à l'eau potable propre dans notre pays. Je n'invente rien. Je vais vous présenter très rapidement les éléments découverts au cours des deux derniers mois qui appuient mon affirmation.

Nous avons de l'eau, de l'eau partout, sauf de l'eau de l'aqueduc. Quand je vais au restaurant, on me sert souvent une grande bouteille d'une eau précieuse provenant des îles Fidji, de l'Italie, de la France ou, plus récemment, de l'Europe de l'Est. On importe au Canada de l'eau de pluie des îles Fidji pour boire à table. L'industrie de l'eau embouteillée a connu une croissance exponentielle. Elle valait deux ou trois milliards de dollars il y a plusieurs années, et les derniers chiffres sont de plus de six milliards de dollars, et l'industrie connaît un taux de croissance composé de 20 p. 100 par année. Il y a maintenant plus de gens qui boivent de l'eau embouteillée que de gens qui boivent de l'eau du robinet.

Maintenant, quand je vais au restaurant, je demande toujours le « Château du Robinet ». Donnez-moi de l'eau du robinet. L'eau potable qui coule du robinet, chez moi, à Toronto, par exemple, est meilleure, dans bien des cas, que l'eau embouteillée vendue de 4 $ à 8 $ la bouteille. C'est tout à fait incongru de constater que le Canada, qui a le plus important approvisionnement en eau du monde, n'est pas capable de fournir de l'eau à ses citoyens.

Quelles sont les données les plus récentes à ce sujet? Les données les plus récentes ont été recueillies la semaine dernière. Je n'ai pas examiné les données en détail, mais l'Association médicale canadienne a diffusé, pour la première fois, un rapport sur l'eau qui s'appuie sur des recherches périodiques. Ces données contredisent les données fournies par le sénateur Cochrane, qui lui ont été fournies, j'en suis certain, par le gouvernement, en ce qui concerne les avis d'ébullition de l'eau.

Le sénateur Cochrane a formulé un argument intéressant. Elle a dit que les avis d'ébullition de l'eau sont utiles puisque, d'une certaine façon, ils jouent le rôle de vaccin. Sincèrement, ce ne sont pas des vaccins. Ce sont simplement des avertissements. Ils ne règlent rien et ne font que dire aux gens de faire bouillir l'eau parce qu'il est dangereux de boire l'eau qui coule chez eux.

Ce n'est pas un vaccin. Cela ne vous empêche pas d'attraper quelque chose, mais nous ne savons pas. Il n'y a pas de preuves médicales qui permettent d'établir un lien entre les personnes qui ont bu de l'eau de mauvaise qualité tant qu'il n'y a pas un avis d'ébullition de l'eau. Il n'y a pas de preuves qui permettent d'établir les liens. Ce n'est que récemment que des personnes ont commencé à faire un suivi des avis d'ébullition de l'eau.

Quand nous avons entrepris ce travail, il n'y avait pas de données sur les avis d'ébullition de l'eau. Il n'y avait que des données non scientifiques recueillies auprès des municipalités. Personne n'effectuait de suivi. En tout cas, Santé Canada n'avait jamais fait de suivi. Personne n'avait jamais dressé le portrait général de la situation de l'eau et des conséquences associées à cette situation. J'ai toujours dit, et j'espère que M. Schindler et d'autres viendront vous en parler plus tard, que l'eau insalubre entraînait un grave problème de santé dans notre pays. Si nous étions capables, d'une manière ou d'une autre, de prévenir des maladies grâce à une eau potable propre, nous réduirions les coûts du système de santé. Ce n'est pas une situation gagnant-perdant. Nous n'avons pas prévu établir de rapprochement entre ces éléments.

J'espère, monsieur le président, que vous appellerez Santé Canada et que vous découvrirez pourquoi leurs données sont si fragmentaires. Ils sont responsables de la santé publique dans notre pays.

Je vous ai dit pourquoi dans mes observations. Si Santé Canada, dans notre pays, et d'autres ministères de la Santé ne font pas de suivi, c'est parce que, s'ils en faisaient un, ils seraient obligés d'agir. Vous faites un suivi et tout à coup, à cause des statistiques, vous êtes obligé d'agir.

Ce n'est que récemment que l'Association médicale canadienne a fourni des statistiques sur le nombre d'avis d'ébullition de l'eau. Je ne crois pas qu'elles soient exactes, mais c'est à peu près ce que j'ai vu de mieux. Je vais vous les remettre sous la forme d'un document. Les statistiques ont été publiées dans le numéro du 7 avril du Journal de l'Association médicale canadienne.

Je vais résumer les données. Voici le nombre d'avis d'ébullition par province en date du 31 mars 2008 : Colombie-Britannique, 530; Alberta, 13; Saskatchewan, 126; Manitoba, 59. Je ne crois pas que ce soit exact, en ce qui concerne l'Alberta. Le chiffre que j'ai obtenu est supérieur, mais il n'est pas scientifique.

C'est à cause de ma province, l'Ontario, que je me suis engagé dans cette affaire. Ma province a été à l'origine de toute cette soi-disant réforme à la suite des événements de Walkerton, où il y a eu, vous vous en souvenez sûrement, une épidémie. Le système en entier s'est effondré. Les provinces et les municipalités n'avaient pas fait leur travail. Encore aujourd'hui, des gens souffrent des conséquences de ce problème sur leur santé.

En Ontario, à cause de tous ses efforts et de tous les intérêts puissants en cause — et, en passant, c'est la faute non pas d'un seul gouvernement, mais de plusieurs gouvernements — il y a eu 679 avis d'ébullition de l'eau en mars 2008. C'est un scandale.

Au Québec, il y en a eu 61. Sénateur Nolin, le Québec n'effectue pas de suivi de ces avis.

Le sénateur Nolin : Nous sommes des menteurs.

Le sénateur Grafstein : Je ne dis pas que le Québec ment. Je dis que ses statistiques ne sont pas meilleures que celles des autres provinces.

Cette situation est passée inaperçue, pour ainsi dire. Bien honnêtement, c'est parce qu'il n'y a pas de groupes d'intérêts pour l'eau dans notre pays. Il y a un groupe d'intérêts pour le pétrole. Il y a un groupe d'intérêts pour le bois d'œuvre et pour l'automobile, mais quel est le groupe d'intérêts qui s'occupe de l'eau potable propre? Il n'y a pas de groupe qui défend les intérêts des consommateurs. Je dois toutefois dire que cette situation est en train de changer.

Certaines personnes diront qu'elles sont tout à coup conscientes du problème parce qu'elles ne pouvaient auparavant savoir ce qui se passait puisque le gouvernement ne leur fournissait pas cette information.

Encore une fois, peu à peu, région par région, on obtient un portrait général, et il n'est pas reluisant.

Pour poursuivre, au Nouveau-Brunswick, il y a eu deux avis d'ébullition de l'eau, et en Nouvelle-Écosse, il y en a eu 67. À l'Île-du-Prince-Édouard, il n'y en a eu aucun. D'après ce que je comprends l'Île-du-Prince-Édouard a fait du très bon travail. À Terre-Neuve, il y en a eu 228. Il ne faut pas oublier que, encore aujourd'hui, un bon nombre de collectivités de Terre-Neuve n'ont pas accès à une eau potable propre. Bien des petits villages isolés doivent utiliser de l'eau bouillie pour tous leurs besoins domestiques. Dans la petite province riche de Terre-Neuve, le pétrole jaillit de l'eau, mais les habitants ne peuvent boire l'eau du robinet.

Imaginez une grosse famille qui doit faire bouillir de l'eau tous les jours pour boire, nettoyer et laver la vaisselle. Nous sommes au Canada, au XXIe siècle. Nous sommes l'un des pays les plus riches du monde et nous ne sommes toujours pas capables de fournir de l'eau potable propre à certaines de nos plus petites collectivités.

Le président : Je vais vous interrompre brièvement. Pour le Québec, par exemple, vous avez mentionné le chiffre 61. Est-ce que cela signifie qu'il y a eu des avis d'ébullition de l'eau à 61 endroits différents, ou que 61 avis d'ébullition de l'eau ont été émis et que certains ont été émis pour un même endroit à des moments différents?

Le sénateur Grafstein : Je ne sais pas, mais vous pourriez communiquer avec l'Association médicale canadienne pour le savoir.

Le président : Merci. Nous le ferons.

Le sénateur Grafstein : Le chiffre donné pour le Yukon était 0, mais je n'y crois pas. Pour les Territoires du Nord-Ouest, le chiffre était de 1, et pour le Nunavut, de 0. Je crois aussi que ces chiffres sont faux. Je suis désolé que le sénateur Adams ne soit pas présent aujourd'hui. Hier, il m'a apporté un filtre qu'il utilise chez lui, et le filtre est rempli de boue et de produits chimiques. C'est dégoûtant. Il voulait me montrer ce qu'il vit chaque jour. C'est un sénateur qui siège à cette chambre.

C'est une situation épouvantable.

J'ai envoyé un témoignage à un certain nombre de personnes, dont certaines sont ici. Un expert m'a envoyé une lettre par courrier électronique, et j'espère qu'il viendra présenter son propre témoignage. Il a dit que l'argument concernant les avis d'ébullition de l'eau ne constitue pas un argument valable contre le projet de loi puisque certains de ces avis d'ébullition de l'eau sont en vigueur depuis cinq ans. Ce n'est pas un vaccin; c'est un problème endémique. Nous devons aller au-delà des avis d'ébullition de l'eau et nous pencher sur la situation avec l'AMC, Santé Canada et la vérificatrice générale.

Le sénateur Cochrane a présenté un argument de façon très éloquente. Sénateur Cochrane, cela n'a rien de personnel; je veux simplement réagir à votre argument. Vous avez dit, en d'autres termes : « Ah ha, sénateur Grafstein, nous vous avons eu. »

Le sénateur Cochrane : Vous déformez mes paroles.

Le sénateur Grafstein : Ce ne sont pas vos paroles, ce sont mes paroles.

Le sénateur Cochrane a utilisé l'exemple des États-Unis pour prouver que le système américain n'est pas sans faille puisqu'il y a aussi des avis d'ébullition de l'eau là-bas, même si le pays compte un organisme fédéral de surveillance, ce que je propose pour le Canada. La différence, c'est qu'il y a deux organismes qui s'occupent de faire le suivi. S'il y a plus d'avis d'ébullition de l'eau aux États-Unis qu'au Canada, c'est parce que les États-Unis font un suivi plus efficace et plus efficient et qu'ils ont plus de ressources. Ils ont deux organismes qui s'occupent de cette question. Le gouvernement fédéral et le centre de prévention et de contrôle des maladies, situé à Atlanta, s'en occupent.

Ils ont un meilleur financement, ce qui leur permet de déceler davantage de problèmes. Cela signifie non pas que la situation est pire, mais plutôt qu'ils découvrent les problèmes plus rapidement. J'espère que vous communiquerez avec des représentants de l'administration fédérale américaine pour qu'ils nous fassent part de leur expérience parce que, à mon avis, le sénateur Cochrane a raison. Pour que je suggère au comité de mettre sur pied un modèle de réglementation fédérale vaguement inspiré des idées des États-Unis, nous devons mettre un tel modèle à l'essai. Le sénateur Cochrane a soulevé une question importante, et j'espère que le comité y répondra. Je suis certain que vous conclurez, au bout du compte, qu'un organisme fédéral de surveillance serait utile.

Ce projet de loi vise l'obtention d'un processus de réglementation plus musclé en matière de surveillance et en matière juridique. Que la surveillance soit exercée par Santé Canada, par l'échelon provincial ou par l'échelon municipal, le responsable saura que son organisme a des pouvoirs plus importants en matière de surveillance. Cela ressemble à ce que recommandait le gouvernement fédéral dans son projet de loi sur la responsabilisation. J'étais d'accord avec le projet de loi sur la responsabilisation. Il prévoyait une plus grande responsabilisation en ce qui concerne les fonds publics. J'étais d'accord avec ce principe. Le présent projet de loi est un peu comme un autre projet de loi fédéral sur la responsabilisation exprimée de façon différente.

Examinons maintenant ce qui se passe avec les présumées directives facultatives fédérales. Ces directives ne fonctionnent pas. La vérificatrice générale s'occupera de ce problème. Le bureau de la vérificatrice générale a publié un rapport qui révèle que les directives ne fonctionnent pas. Il s'agit d'un ramassis d'idées pseudo-scientifiques qui sont dépassées et qui n'ont jamais véritablement été appliquées. Elles ne fonctionnent pas, et c'est pourquoi nous ne nous attarderons pas à cette question.

Le savant sénateur a, de façon très compétente, attiré mon attention sur la situation en Australie. Je connais bien cette situation, mais elle est tout à fait différente. L'Australie compte un certain nombre de compagnies gigantesques qui distribuent de l'eau. L'Australie a un grave problème endémique et a regroupé d'énormes compagnies qui distribuent de l'eau qui ont un lien fédéral avec une incroyable quantité de ressources et de recherches dans le centre. C'est un système différent, mais il faut dire que leur concept est différent. Notre système est très fragmenté. Le leur est unifié et a presque la forme d'un oligopole. Il y a une différence.

Enfin, sénateurs, j'espère que vous communiquerez avec l'Association médicale canadienne pour en savoir plus sur les gens de partout au pays qui ont souffert à cause d'une eau insalubre, comme les gens de Battleford et de Vancouver. À Vancouver, 17 000 personnes sont tombées malades, et personne n'a calculé le coût de tout cela. La même chose s'est produite à Moncton et à Winnipeg. Nous avons des problèmes partout au pays. J'espère que vous communiquerez avec Santé Canada afin que le ministère nous dise combien ont coûté toutes ces cachotteries au Canada.

En conclusion, j'ai commencé à m'occuper de cette question quand le sénateur Watt et le sénateur Adams m'ont parlé de la situation de l'eau dans leur collectivité. La situation qui existait à l'époque existe toujours et continuera d'exister tant qu'il n'y aura pas un changement ou un scandale.

De plus, pour me montrer juste envers le sénateur Cochrane, je veux parler du fait qu'elle a mentionné que 85 collectivités autochtones n'ont pas une eau potable propre. Ce n'est pas un nombre important, mais c'est un problème énorme pour les personnes qui vivent dans ces collectivités. Cependant, ce nombre est inexact. Selon l'Association médicale canadienne, ce serait plutôt 93 collectivités autochtones.

Je ne veux pas dire que le gouvernement fédéral est mal intentionné. Je crois qu'il s'agit d'un problème de négligence et d'irresponsabilité. L'idée de ce projet de loi a surgi en raison des efforts déployés par la collectivité autochtone qui n'a toujours pas un accès équitable à une eau potable après toutes ces années, et malgré tout l'argent consacré au problème.

Pour terminer, je vais vous raconter une histoire qui me met en colère chaque fois que je la raconte.

Il y a plusieurs années, M. Mills, un ancien député, et moi avons organisé une conférence sur l'eau dans une réserve du Nord de l'Ontario dans le but de connaître la situation. Une femme de Grassy Narrows a raconté cette histoire, et je l'ai répétée à plusieurs reprises. Chaque fois que je la raconte, cela me bouleverse, et j'espère qu'elle vous bouleversera et qu'elle bouleversera les représentants qui sont présents.

Elle a raconté que, avant d'avoir un bébé, elle a dû quitter la réserve pendant deux ou trois ans pour nettoyer son utérus parce qu'elle craignait que les produits chimiques présents dans l'eau n'entraînent des déformations chez son bébé. Imaginez cela. Imaginez ce que doit faire une Autochtone dans notre pays pour être certaine de ne pas donner naissance à un enfant difforme.

Cette histoire me bouleverse chaque fois que j'y pense. Quand je crois que je ne m'occupe pas de ce dossier avec assez d'ardeur, je me rappelle cette histoire. J'espère que cette histoire vous habitera, sénateurs, à mesure que vous continuerez votre travail.

Je vous remercie d'avoir la patience d'écouter une fois de plus mes doléances. Soyez certains, toutefois, que je n'ai pas terminé.

Le président : Merci. Comme vous avez mentionné le sénateur Cochrane, je vais l'inviter à poser la première question, qui sera probablement la seule, compte tenu du temps dont nous disposons.

Le sénateur Cochrane : Je crois que je dois rectifier une chose, sénateur Grafstein. Selon vous, j'ai dit qu'un avertissement et un avis d'ébullition de l'eau du robinet étaient un vaccin. Ce n'est pas ce que j'ai dit. C'est plutôt l'analogie que j'ai employée.

Le sénateur Grafstein : Je retire ce que j'ai dit.

Le sénateur Cochrane : Il y a une différence à faire. Je me suis servie de l'avis émis à l'intention de diverses personnes de partout au pays pour faire ressortir le fait que l'avertissement d'ébullition de l'eau est un peu comme un vaccin contre une maladie. Je veux que le compte rendu soit corrigé, s'il vous plaît.

Le sénateur Grafstein : Je retire toute mention que j'ai faite à ce sujet. J'ai sauté aux conclusions. Elle a tout à fait raison; elle faisait une analogie. Je retire donc ce que j'ai dit.

Le sénateur Cochrane : Quand avez-vous obtenu vos statistiques sur Terre-Neuve? Avez-vous dit qu'il y avait eu 226 avis d'ébullition de l'eau?

Le sénateur Grafstein : Les statistiques les plus récentes dont je dispose sont tirées du Journal de l'Association médicale canadienne, disponible sur le Web. Elles ont été publiées la semaine dernière.

Le sénateur Cochrane : Je vous remercie, vous avez fait un travail faramineux à ce sujet, et je vous en remercie. Nous savons tous qu'il y a des problèmes partout au pays, problèmes que nous avons essentiellement découverts quand il y a eu le drame, en Ontario.

Le sénateur Grafstein : À North Battleford, aussi.

Le sénateur Cochrane : À North Battleford, oui. Nous étions contrariés parce que nous ne savions pas comment ni pourquoi le drame était survenu.

Après tous ces événements, puisque vous en parlez, avez-vous consulté des responsables provinciaux ou municipaux, ou d'autres responsables?

Le sénateur Grafstein : Oui.

Le sénateur Cochrane : Vous l'avez fait?

Le sénateur Grafstein : Oui.

Le sénateur Cochrane : Quelles ont été les réactions des municipalités?

Le sénateur Grafstein : Je vais commencer par parler de la ville de Toronto, où je vis. Le problème, à Toronto, est différent du problème dans les autres villes. Notre eau provient du milieu du lac. Elle est de très bonne qualité. Selon des analyses chimiques, elle est de meilleure qualité que la plupart des eaux embouteillées du pays. Notre problème est le suivant : le réseau a plus de 100 ans, et un tiers de l'eau fuit. Les Torontois consacrent beaucoup d'argent à l'eau, et un tiers de cette eau ne voit jamais la lumière du jour.

Toronto est ma ville; je viens de la région métropolitaine de Toronto. Selon moi, la Ville n'a jamais cru bon de prévoir dans son budget une reconstitution suffisante du capital pour rénover le réseau et le moderniser. La situation est la même partout au pays.

Le véritable enjeu, c'est le financement des immobilisations. L'un des arguments invoqués contre mon projet de loi, quand je le présente, c'est que, même si la ville dit que c'est bien que je soulève la question, elle doit quand même trouver l'argent. Le premier ministre Jean Chrétien m'a déjà servi cet argument; il m'a dit : « Si vous nous attirez dans cette histoire, nous devrons, tout à coup, assumer la responsabilité de l'eau dans ce pays. » J'ai répondu : « Mais oui! »

Nous devons trouver des modes de financement, et j'ai conçu une formule qui, je pense, réglera le problème. J'ai proposé au Sénat d'utiliser des obligations du Trésor ne portant pas intérêt pour réparer le réseau d'aqueduc à Toronto. En passant, l'eau est sous-payée dans notre pays. L'eau du robinet coûte moins cher que l'eau embouteillée. Il y a de la place, dans le marché de consommation, pour une augmentation efficace du coût de l'eau. Il y a plusieurs façons de régler le problème.

Oui, j'ai consulté les provinces. J'ai parlé avec les agents de santé publique de Vancouver quand il y a eu l'épidémie. L'un des agents de santé publique là-bas — je ne devrais pas dire ça — est un de mes parents éloignés. J'ai discuté avec des personnes à Halifax. J'ai aussi, évidemment, discuté avec des personnes à Winnipeg. J'ai discuté avec une quantité infinie de chefs autochtones. Je pense qu'il n'y a pas un seul grand chef autochtone avec lequel je n'ai pas discuté de cette question au cours des huit ou neuf dernières années.

Bien honnêtement, il n'y a que moi. Je n'ai pas d'équipe de recherche. C'est moi qui fais tout. Quand il faut se rendre aux quatre coins du pays, c'est moi qui y vais. Il y a trois mois, j'ai été invité à me rendre à Winnipeg pour m'adresser à un nouveau groupe en train d'être créé qui se préoccupe de l'eau et des bassins d'alimentation dans sa collectivité. J'ai parlé à ces gens. Il y avait des représentants municipaux, fédéraux et provinciaux, de même que des citoyens. Le mois prochain, je vais à Calgary pour parler de la question du financement. Les municipalités s'intéressent à cette question.

Je fais de mon mieux, mais je suis un « combattant solitaire ». Mais c'est un peu comme si je devais inverser le cours des chutes Niagara ou repousser l'eau en amont.

Le sénateur Cochrane : Sénateur, je ne pense pas que vous soyez un combattant solitaire. Nous sommes tous préoccupés par l'eau et par l'eau que boivent les Canadiens. Nous voulons tous que notre peuple soit en sécurité. Vous n'êtes pas un combattant solitaire. Je veux que vous le sachiez.

Le sénateur Grafstein : J'en suis bien heureux.

Le sénateur Cochrane : Il y a des mesures utiles qui ont été prises. En janvier 2008, le ministre des Affaires indiennes et du Nord, Chuck Strahl, a dit qu'il y avait, à ce moment, 193 réseaux présentant des risques élevés dans les collectivités des Premières nations. Ce nombre a été réduit à 85. Vous avez dit 93. Même dans ce cas, il s'agit de 100 de moins.

Ensuite, quand le plan d'action a été mis en œuvre en janvier, 21 collectivités constituaient des priorités à cause d'un réseau présentant des risques élevés. Il en reste maintenant seulement six. C'est une amélioration.

Le sénateur Grafstein : D'où tenez-vous ces chiffres?

Le sénateur Cochrane : Je les tiens de divers groupes, et du bureau du ministre, aussi.

Le sénateur Grafstein : Je ne conteste pas ces chiffres. Toutefois, quand j'entends des statistiques qui viennent du gouvernement, je les remets en question. Je vais vous donner un exemple clair : ce matin, j'ai entendu le gouvernement fédéral dire, au sujet des relations entre le Canada et les États-Unis, que tout va bien à la frontière. Voyez-vous, je trouve que la situation à la frontière est pire que jamais. Je remets en question les statistiques du gouvernement. D'ailleurs, je ne critique pas le gouvernement actuel; je parle de tous les gouvernements. Je ne remets pas en question l'honnêteté du ministre Strahl. Je me demande de quelle façon et à quel endroit le ministère a obtenu ces statistiques.

En passant, je n'invente rien. Je vais vous dire de qui ça vient : ça vient de la vérificatrice générale.

Le sénateur Nolin : Nous les inviterons à témoigner.

Le sénateur Cochrane : Le ministre Strahl, des Affaires indiennes et du Nord, est concerné.

Le sénateur Grafstein : Très bien. M. Chrétien et tous les ministres que j'ai été appelé à rencontrer le sont aussi. Le problème, c'est que la situation sur le terrain ne s'est pas beaucoup améliorée.

Le président : Nous devrons passer aux témoins suivants. Je suis désolé que nous n'ayons pas plus de temps ce matin, sénateurs.

Sénateur Grafstein, avant de partir, pouvez-vous nous expliquer brièvement, aux fins du compte rendu, ce que nous pourrons voir, exactement, à l'autre bout de la lorgnette si le projet de loi devait être adopté? De quelle façon ce projet de loi aurait-il des répercussions, sur le terrain, à Saskatoon, sur la qualité de l'eau du robinet?

Le sénateur Grafstein : Il aurait des répercussions de trois façons. Le comité a remarquablement réussi à sensibiliser un plus grand nombre de Canadiens à ce qu'ils peuvent et ce qu'ils ne peuvent pas faire à propos d'une chose qu'ils tenaient pour acquise : l'eau. Voilà la première chose.

Ensuite — et c'est une chose qui n'a pas été remise en question depuis la Confédération — vous avez mentionné pourquoi les Pères de la Fédération avaient laissé au gouvernement fédéral le pouvoir d'infliger des peines au criminel égales à l'échelle du pays. Voyons voir ce qui serait arrivé en Saskatchewan ou à Walkerton. En passant, il y aurait eu une norme applicable à l'échelle du pays, et des fonctionnaires fédéraux auraient vérifié son respect. Les fonctionnaires auraient été obligés de faire ce pourquoi ils ont été embauchés d'abord et avant tout : remplir leur mandat. Dès qu'il est question du droit criminel, les gens agissent différemment.

Je ne préconise pas une lourde bureaucratie qui viendrait submerger le pays. Cependant, cela permettrait d'attirer l'attention du gouvernement fédéral, d'orienter les recherches effectuées au gouvernement fédéral, et d'orienter la surveillance effectuée par le gouvernement fédéral.

Je ne remets pas en question le ministre Strahl, des Affaires indiennes et du Nord, de quelque façon que ce soit. C'est un homme convenable et honorable. Je ne remets pas en question son honnêteté. Cependant, même lui ne peut régler le problème tout en supervisant son ministère. Il doit profiter d'une plus grande responsabilisation, et le projet de loi, à mon avis, garantirait cette responsabilisation. Même le débat entre les provinces favoriserait la responsabilisation.

Le président : Quel est le troisième élément?

Le sénateur Grafstein : Le troisième élément, bien honnêtement, est de s'assurer que les gens connaissent leurs droits.

Les États-Unis ont mis en place un système. Si une personne veut savoir ce qui se passe avec l'eau dans sa collectivité, par exemple parce qu'il y a un avertissement d'ébullition de l'eau, elle compose son code régional et accède directement à un système informatisé qui lui permet au moins de savoir ce qui se passe. Grâce à un tel système, les citoyens ont le droit de savoir. Ce que nous tentons de faire, à Ottawa, c'est essentiellement de donner à nos citoyens le droit de savoir et, s'ils savent quelque chose, le droit d'agir. C'est là l'essence même de la Charte canadienne des droits et libertés.

Le président : Merci beaucoup, sénateur. Je m'excuse, encore une fois, du peu de temps dont nous disposons. Vous nous avez donné de bonnes idées de gens que nous inviterons à se présenter devant nous.

Le sénateur Grafstein : J'espère qu'on me permettra de revenir pour présenter un bref résumé.

Le président : On le fera certainement.

Le sénateur Grafstein : Merci, sénateur Cochrane, de vous être jointe à moi pour ce débat. Vos interventions m'ont été très utiles.

Le sénateur Cochrane : Ce n'est rien.

Le président : M. Ronald Thompson devrait se joindre à nous sous peu. Il est le commissaire intérimaire, mais il a fait bien plus qu'être le commissaire intérimaire à l'environnement et à au développement durable au Bureau du vérificateur général. Se joindront aussi à nous M. Jerome Berthelette, directeur principal du Bureau du vérificateur général, et M. David Normand, chef de mission. Bienvenue, messieurs. Nous sommes toujours heureux que vous acceptiez de venir témoigner devant nous. Vos témoignages sont toujours utiles, profitables et instructifs.

Monsieur Thompson, nous vous écoutons.

Ronald Thompson, FCA, commissaire à l'environnement et au développement durable par intérim, Bureau du vérificateur général du Canada : Merci beaucoup, sénateur. Nous sommes heureux d'être ici aujourd'hui pour discuter des résultats de deux vérifications que nous avons déposées en 2005. Ces deux vérifications portaient sur l'eau potable et la santé humaine. Le chapitre 5 traitait de l'eau potable dans les collectivités des Premières nations, et le chapitre 4 portait sur les responsabilités fédérales en ce qui concerne la salubrité de l'eau potable dans les autres régions du Canada. Comme vous l'avez mentionné, sénateur, je suis accompagné de Jerome Berthelette et de David Normand, qui ont beaucoup participé à la rédaction des chapitres 5 et 4, respectivement.

Nous avons formulé, dans ces deux chapitres, un certain nombre de recommandations à l'intention des ministères et organismes responsables. Leurs réactions figurent dans le texte. En général, les représentants du gouvernement étaient d'accord avec les recommandations et ont pris un certain nombre d'engagements concernant les enjeux que nous avons soulevés. Afin de faciliter la consultation des documents, nous avons résumé nos recommandations et les réactions du gouvernement dans une annexe à la fin de chaque chapitre.

[Français]

Monsieur le président, je dois souligner que nous avons terminé nos travaux de vérification détaillée pour ce rapport en juin 2005. Nous ne sommes donc pas pleinement en mesure de commenter les développements qui se sont produits depuis.

Nous sommes en train d'effectuer une vérification de suivi du chapitre IV intitulé : La salubrité de l'eau potable : Responsabilités fédérales. Cette dernière nous permettra de déterminer si les ministères ont accompli des progrès satisfaisants pour ce qui est de l'engagement qu'ils ont pris de donner suite à nos recommandations. Nous avons également décidé d'élargir l'étendue de nos travaux de vérification pour inclure l'eau embouteillée. Nous prévoyons présenter les résultats de cette vérification au Parlement en février prochain. Nous comptons faire un suivi sur l'eau potable dans les collectivités des Premières nations un peu plus tard, car les problèmes que nous avons soulevés dans ce chapitre prendront plus de temps à régler.

En mai 2007, M. Berthelette et moi avons comparu devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones pour discuter du chapitre V intitulé :L'eau potable dans les collectivités des Premières nations. Les hauts fonctionnaires des Affaires indiennes et du Nord Canada avaient également témoigné lors de cette audience. Ils avaient indiqué qu'ils prenaient ou prévoyaient des mesures pour donner suite à bon nombre d'enjeux que nous avions soulevés dans le chapitre de 2005. Le comité a publié un rapport en juin 2007 à la suite de ces audiences.

[Traduction]

Avec votre permission, monsieur le président, j'aimerais maintenant faire quelques brèves remarques sur ces deux vérifications de 2005, en commençant par le chapitre 5. Lors de cette vérification, nous avons examiné si les programmes et le financement de la part d'Affaires indiennes et du Nord Canada et de Santé Canada avaient aidé les collectivités des Premières nations à fournir aux résidents un accès à de l'eau potable. Nous avons constaté que les résidents des collectivités des Premières nations ne bénéficiaient pas d'un niveau de protection comparable à celui des Canadiens vivant à l'extérieur des réserves. Cela était dû en grande partie au fait qu'aucune loi ou règlement ne régissait l'approvisionnement en eau potable dans les collectivités des Premières nations, ce qui n'est pas le cas dans les autres collectivités.

Affaires indiennes et du Nord Canada et Santé Canada ont affirmé que la compétence provinciale en matière d'eau potable ne s'étendait pas aux réserves. Ils ont donc tenté d'assurer l'accès à l'eau potable dans les collectivités des Premières nations par leurs politiques, leurs lignes directrices et leurs ententes de financement avec les Premières nations. Cependant, en raison de cette approche, d'importants éléments pour assurer l'accès à l'eau potable manquaient. Nous pensons que d'ici à ce que des règlements comparables à ceux des provinces soient instaurés, Affaires indiennes et du Nord Canada et Santé Canada ne peuvent garantir aux membres des Premières nations qui vivent dans les réserves un accès continu à de l'eau potable de qualité.

Nous avons également constaté qu'Affaires indiennes et du Nord Canada ne disposait pas d'une liste complète de codes et de normes applicables à la conception et à la construction de réseaux d'approvisionnement en eau et qu'il existait de nombreuses lacunes dans la conception et la construction de ces réseaux. Nous avons constaté que les programmes d'Affaires indiennes et du Nord Canada pour soutenir et développer la capacité des Premières nations de fournir l'eau potable avaient une portée limitée. L'aide technique disponible était fragmentée et de nombreux opérateurs de station de traitement des eaux des Premières nations avaient de la difficulté à répondre aux exigences d'accréditation en matière d'études et d'expérience.

Nous avons aussi noté qu'il n'y avait pas d'analyse régulière de l'eau potable dans la plupart des collectivités. De plus, au moment de notre vérification, Santé Canada n'avait pas de plan pour atteindre d'ici à 2008 la fréquence d'analyse suggérée dans les Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada.

Enfin, nous avons constaté que le Parlement ne recevait pas suffisamment d'information au sujet de l'eau potable dans les réserves. Les deux ministères ont accepté de fournir au Parlement de l'information de meilleure qualité à compter de l'exercice 2006-2007.

Depuis la publication de notre rapport, Affaires indiennes et du Nord Canada, en collaboration avec Santé Canada et Environnement Canada, a adopté un plan d'action pour la gestion de l'eau potable des Premières nations. Le plan, paru en mars 2006, a reçu l'appui de l'Assemblée des Premières nations et couvre la plupart de nos recommandations. Cependant, il y a une exception notable : il ne prévoit pas d'activités liées à l'analyse de la salubrité de l'eau. Affaires indiennes et du Nord Canada a également produit trois rapports sur la mise en œuvre de ce plan, en décembre 2006, en mars 2007 et en janvier 2008. Nous jugeons ces rapports encourageants puisqu'ils concluent que la mise en œuvre du plan avance et que l'accès à l'eau potable des collectivités des Premières nations s'améliore. Cependant, comme nous n'avons pas vérifié ces rapports, nous ne pouvons faire de commentaires plus poussés sur ceux-ci.

[Français]

J'aimerais maintenant passer au chapitre IV de notre rapport au Parlement de 2005, qui portait sur les responsabilités du gouvernement fédéral en matière de salubrité de l'eau potable dans d'autres régions du Canada.

Comme nous le signalons dans ce chapitre, le gouvernement fédéral élabore des recommandations pour l'eau potable, de concert avec les provinces et les territoires. Ces recommandations spécifient la concentration maximale acceptable de contaminants dans l'eau potable. Ils sont utilisés par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de diverses façons, soit comme recommandations générales ou comme normes obligatoires selon la loi.

Notre vérification a révélé que même si le processus d'élaboration des recommandations est bien conçu, il est lent, ce qui fait que la date prévue pour la préparation des recommandations est parfois reportée de plusieurs années. Au rythme où avançait le processus en 2005, nous avons indiqué qu'il pourrait falloir plus de dix ans pour remédier à un arriéré d'une cinquantaine de recommandations que le gouvernement fédéral devait examiner pour s'assurer qu'elles étaient à jour.

Santé Canada a la responsabilité d'inspecter la qualité de l'eau à bord des avions, des trains et des bateaux de croisière qui circulent entre les provinces et à l'étranger. Cependant, il ne le faisait pas à bord des avions de passager, ayant interrompu ces inspections de routine en raison de questions financières à régler entre le gouvernement et les transporteurs aériens.

De plus, la responsabilité fédérale est clairement énoncée dans les règlements sur la protection des employés fédéraux; ceux-ci doivent disposer d'une eau qui soit conforme aux recommandations. Notre vérification a révélé que les six ministères et organismes fédéraux que nous avons examinés avaient des procédures et des exigences différentes pour les analyses. Au moment de notre vérification, Santé Canada préparait des directives uniformes à l'intention des ministères et des organismes fédéraux. À notre avis, cette mesure était nécessaire pour régler le problème de conformité inégale aux recommandations pour l'eau potable.

[Traduction]

En conclusion, monsieur le président, l'eau potable est essentielle à la santé humaine. Nous continuons de croire que, dans un pays avancé comme le nôtre, la population canadienne est en droit de supposer que l'eau qu'elle boit est de grande qualité. Nous espérons que ces deux chapitres, ainsi que l'intérêt et l'appui de comités parlementaires comme celui-ci, encourageront le gouvernement à renforcer ses activités pour assurer la salubrité de notre eau.

Je crois comprendre que le Comité entreprend un examen du projet de loi modificatif sur l'eau potable du sénateur Grafstein. Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que l'eau potable est un sujet des plus importants. Toutefois, les discussions portant sur les lois sont intimement liées aux discussions portant sur les politiques, et dans lesquelles nous ne pouvons pas prendre part. Ceci dit, nous ferons de notre mieux pour répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur le commissaire.

Je vais tenter de formuler ma question à la manière d'un éditorial. Vous avez mentionné qu'il y a des écarts de divers types entre les règlements. Au Canada, si je fabrique de la gomme à mâcher, des sacs de glace, de l'eau embouteillée, des céréales de maïs, du bœuf ou des légumes et que je les fournis, d'une façon ou d'une autre, au grand public à des fins de consommation, je peux être poursuivi au criminel si je ne peux garantir que les biens que je vends au grand public sont salubres. S'ils entraînent des maladies, je peux être poursuivi au criminel. Cela peut avoir des répercussions sur l'attention et l'importance que j'accorde au fait de m'assurer que ce que je fournis aux consommateurs ne les rendra pas malades. Cette règle s'applique à tout ce que nous ingérons par voie orale — tout ce que nous mangeons et tout ce que nous buvons. Pour toutes ces choses, le fournisseur doit s'assurer qu'elles ne rendront pas les consommateurs malades, sinon il risque des poursuites prévues par le Code criminel.

La seule exception, c'est la seule chose que nous ingérons et qui est essentielle à notre vie. Nous pouvons vivre sans tablettes de chocolat, sacs de glace ou eau embouteillée, mais nous ne pouvons vivre sans eau. C'est la seule chose que vous pouvez vendre et qui peut rendre les gens malades, ce qui est déjà arrivé, sans que vous risquiez de poursuite.

Cette incongruité vous préoccupe-t-elle?

M. Thompson : Sénateur, vous demandez, de façon très directe, s'il devrait y avoir des lois qui réglementent l'eau dans notre pays, et si ces lois devraient relever du fédéral. Je dois dire que la question de savoir s'il faut une loi est une question de politique.

Le sénateur Grafstein a dit que nous sommes nombreux à tenir l'eau pour acquise depuis longtemps, et que nous ne devrions pas. J'ai vu d'un très bon œil, la semaine dernière, les mesures prises par le gouvernement concernant les membres des Premières nations et les Autochtones qui vivent hors réserve, et cela m'a encouragé parce que j'ai eu l'impression que le gouvernement prend au sérieux la question de la salubrité de l'eau.

Plus tôt cette semaine, le ministre Strahl, des Affaires indiennes et du Nord a émis un communiqué de presse dans lequel il parlait d'un certain nombre d'initiatives qu'il prévoit prendre concernant la qualité de l'eau dans les réserves des Premières nations, y compris mettre en place un cadre de réglementation, qui n'existe pas à l'heure actuelle. Il faudra voir comment tout cela finira. Au moins, les ministres et les représentants du gouvernement se préoccupent de la qualité de l'eau.

En ce qui concerne les non-Autochtones, un cadre de gestion de l'eau est à l'étude, et nous l'avons mentionné dans notre rapport de 2005. Ce cadre fait actuellement l'objet d'un examen par Environnement Canada, sous la direction du sous-ministre adjoint, Michael Martin. On commence aussi à savoir un peu mieux à quoi devrait ressembler une nouvelle politique relative aux eaux du gouvernement fédéral. L'une a été élaborée en 1987 et fait actuellement l'objet d'une étude par l'entremise de ce cadre de gestion de l'eau afin que l'on puisse déterminer les changements qui doivent être apportés.

Le troisième aspect qui a fait surface est la question du bisphénol A. Santé Canada affirme maintenant que cette substance pourrait être dangereuse.

Tout cela indique que le gouvernement actuel et les ministères fédéraux — AINC, Santé Canada et Environnement Canada — sont intéressés et prennent des mesures sur le plan de la qualité de l'eau que nous consommons. Si ce n'était pas le cas, je dirais que des changements s'imposent. Le fait que les choses se passent ainsi, qu'un projet de loi de cette teneur soit étudié par un comité parlementaire tel que celui-ci, me donne vraiment de l'espoir.

Le président : Vous avez mentionné, dans votre déclaration préliminaire, que, dans certains cas, les recommandations, qui existent depuis un bon moment, ont force de loi. Dans quels cas?

M. Thompson : Les recommandations fédérales sur la qualité de l'eau sont suivies, presque à la lettre, dans deux ou trois provinces, dont l'Ontario et le Québec. Lorsqu'elles sont établies, elles ont force de loi dans la province. Dans d'autres provinces, elles ne sont pas tout à fait établies, pour diverses raisons. Toutefois, en Ontario, la qualité de l'eau est gérée aux termes des recommandations fédérales sur la qualité de l'eau.

David Normand, chef de mission, Bureau du vérificateur général du Canada : Les recommandations sont élaborées par le gouvernement fédéral en consultation avec les responsables de chaque territoire et de chaque province. Ce comité fédéral-provincial-territorial établit les recommandations sur l'eau potable au Canada. Il travaille par consensus. Une fois ces recommandations adoptées, chaque province et chaque territoire a le choix de les intégrer à sa législation ou de les suivre volontairement. Au moment de notre dernière vérification, la plupart des provinces et des territoires les avaient soit enchâssées dans leur législation, soit adoptées à titre de mesure volontaire. Au bout du compte, les municipalités traitent l'eau en fonction de ces objectifs.

[Français]

Le sénateur Nolin : Est-ce vous, monsieur Normand, qui avez rédigé le chapitre V?

M. Normand : J'ai fait le chapitre IV.

Le sénateur Nolin : Vous avez entendu l'histoire troublante que nous a racontée le sénateur Grafstein à propos de cette dame qui, afin d'accoucher avec le moins de problèmes possible pour sa santé et celle de son ou de ses enfants, doit s'expatrier de sa réserve? Avez-vous été confronté avec ce type de phénomène tout à fait inacceptable au Canada?

Jerome Berthelette, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada : Lors de notre vérification, nous avons rencontré des chefs de Premières nations et des gens qui travaillent pour les Premières nations et nous avons pu constater un manque de confiance concernant l'eau potable sur les réserves.

[Traduction]

Je ne peux pas dire que j'ai vécu la même situation que l'honorable sénateur. Toutefois, pendant la vérification, nous avons eu vent d'un manque de confiance en la qualité de l'eau. Ce phénomène prend diverses formes. Par exemple, dans certaines collectivités, on n'est pas d'accord avec la quantité de chlore ajoutée à l'eau. Lorsque les habitants la boivent, le goût de chlore trop prononcé mine leur confiance en la qualité de l'eau.

Certes, ce manque de confiance existe. Mais je ne saurais dire à quel point il est répandu. Toutefois, pendant la vérification, nous en avons été témoins assez souvent.

Le sénateur Nolin : Bref, le sénateur Grafstein soulève une situation inquiétante. Cela ne se limite pas au goût de l'eau. Si quelqu'un décide de se retirer de la réserve pendant deux ou trois ans pour fonder une famille, sa décision doit être provoquée par quelque chose de plus fort que sa perception d'un mauvais goût ou de chlore dans l'eau.

Pendant votre vérification, vous devez bien avoir été témoins de cas semblables.

M. Berthelette : Les données probantes que nous avons tirées de la vérification témoignent du manque d'information. Il y avait un manque d'information considérable à l'égard de l'innocuité de l'eau sur les réserves.

Nous avons remarqué que Santé Canada, qui était responsable du financement de l'analyse de la qualité de l'eau par les Premières nations, n'avait aucune information de qualité au sujet des résultats de ces analyses. Nous avons également remarqué que, dans certaines des collectivités où des analyses de l'eau étaient prévues, celles-ci n'avaient jamais été effectuées. Dans l'une des collectivités examinées, on comptait sept mois depuis la dernière analyse de la qualité de l'eau.

Une fois que la collectivité apprend que de ce genre de chose se produit, un terrible manque de confiance s'installe à l'égard du réseau d'aqueducs. Lorsque les membres de la collectivité n'ont pas d'information ou ne peuvent avoir confiance en la qualité de l'eau, la situation qu'a décrite le sénateur Grafstein est probablement inévitable.

[Français]

Le sénateur Nolin : Je voudrais vous féliciter monsieur le commissaire pour votre maîtrise du français.

Monsieur Normand, j'aurais qu'une seule question sur les critères d'évaluation de la qualité de l'eau. Ces normes, qui sont consensuelles parmi les territoires, les provinces et la juridiction fédérale, s'étendent-t-elles à des critères d'évaluation de la qualité de l'eau en terme d'analyse?

M. Normand : Les municipalités sont responsables pour mesurer la qualité de leur eau.

Le sénateur Nolin : Doivent-elles respecter une norme reconnue par cette table de concertation à laquelle vous faisiez référence?

M. Normand : À partir du moment où ces recommandations font partie de la loi au Québec ou en Ontario ou dans d'autres provinces, les municipalités qui traitent leur eau doivent traiter leur eau selon ces normes.

Le sénateur Nolin : Je vais reposer ma question différemment.

Ces normes qui peuvent devenir loi dans certaines provinces, par exemple le Québec, y a-t-il des mesures de vérification du respect de ces normes? Et si oui, qui la fait?

M. Normand : Ce serait plus au niveau provincial, ce ne sont pas des choses que nous avons regardé dans notre chapitre. Je ne pourrais pas m'avancer pour connaître le processus en place pour mesurer si ces paramètres sont respectés.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, je vais repousser la limite de temps de 15 minutes, et c'est le mieux que je puisse faire. Je suis désolé, mais je n'ai pas le choix.

Le sénateur Cochrane : Tout d'abord, monsieur Thompson, j'aimerais vous remercier, vous et vos représentants, de vous être présentés devant nous encore une fois.

Pouvez-vous clarifier une chose : je sais que vous avez dit avoir publié votre examen en 2005, mais quand l'avez-vous effectué? Votre bureau prévoit-il revenir sur la question de l'eau et de la politique du gouvernement en la matière? J'estime qu'une telle activité serait instructive et permettrait de voir ce que le gouvernement a réellement accompli. Cela nous donnerait l'occasion d'examiner les chiffres d'un œil critique.

J'observe, par exemple, que le ministre Strahl, d'Affaires indiennes et du Nord, a annoncé la semaine dernière que 330 millions de dollars seront affectés à certaines des mesures que vous avez mentionnées. Avez-vous déterminé à quel moment vous vérifierez ces mesures et les mesures générales prises par le gouvernement actuel?

M. Thompson : Merci d'avoir posé cette question, sénateur Cochrane. Ces deux chapitres ont paru en septembre 2005, de sorte que les travaux auraient commencé au début de l'année civile 2004.

Nous reviendrons certainement à la question de l'eau. Cela ne fait aucun doute. Nous prenons actuellement des mesures officielles à l'égard du chapitre IV, celui de M. Normand. Le rapport à ce sujet sera publié en février 2009. Nous examinerons également l'eau en bouteille. Les recommandations que nous avons formulées en 2005 pour le chapitre IV feront alors l'objet d'un suivi. Nous entreprendrons le chapitre V peu après. Certaines des questions qui doivent être réglées et certaines des mesures qui devront être prises pour donner suite aux recommandations que nous avons formulées prendront un peu plus de temps.

Nous avons vu ces communiqués de presse et les annonces connexes cette semaine. Il va sans dire que cela nous incite d'autant plus à effectuer une vérification. Nous voulons être certains, à titre de vérificateurs, que les programmes et les initiatives que l'on annonce sont réellement mis en œuvre. J'imagine que M. Berthelette, lorsque nous en serons au chapitre V, observera attentivement cet aspect.

Lorsque de telles initiatives sont annoncées, il importe que les parlementaires et leurs comités — comme le vôtre — montrent un intérêt et les suivent pour être certains que les promesses sont tenues.

Le sénateur Mitchell : Je suis intéressé par le déroulement de l'examen ou de l'initiative du gouvernement concernant la politique relative à l'eau. Vous dites qu'on fait des progrès. C'est merveilleux. Les changements climatiques ont d'énormes conséquences sur ce plan et sur beaucoup d'autres. Différents ministères viennent de produire un rapport remarquable, à la fine pointe, sur les impacts des changements climatiques au Canada. Je suis sûr que vous en avez entendu parler.

Avez-vous l'impression que, en précisant son optique relative aux ressources hydriques et aux questions connexes, comme celles dont traite le projet de loi du sénateur Grafstein, le gouvernement envisage de reconnaître l'impact des changements climatiques et l'incidence que cela pourrait avoir sur les ressources hydriques et la qualité et l'accessibilité de l'eau dans le pays?

M. Thompson : Je ne sais pas si c'est le cas. Je suppose que oui. J'imagine que nous nous pencherons sur cet aspect lorsque nous effectuerons le suivi du chapitre IV.

Quant à l'élaboration éventuelle d'une politique révisée pour remplacer celle de 1987, je crois que ce sont les représentants d'Environnement Canada qui en sont responsables. Ils travaillent à ce cadre, que j'ai mentionné dans mon témoignage. Il serait peut-être instructif de les inviter à expliquer ce qu'ils font. Nous leur parlerons également lorsque nous ferons notre vérification de suivi. Toutefois, nous ne présenterons pas de rapport à ce sujet avant le mois de février prochain.

Le sénateur Grafstein : Le gouvernement fédéral propose actuellement des recommandations, et on les a mises en œuvre dans deux des plus grandes provinces — le Québec et l'Ontario. Il s'agit du chapitre V, la recommandation 20.27 de votre rapport. Vous faites une remarque alarmante selon laquelle 50 des 83 recommandations concernant les paramètres chimiques et physiques datent de plus de 15 ans et doivent être mises à jour.

Est-il juste d'affirmer que, à cause de l'arriéré, les recommandations qui sont mises en œuvre en Ontario et au Québec ne sont pas au diapason des derniers progrès scientifiques et technologiques?

M. Thompson : C'est l'inquiétude qui sous-tend cette constatation et la recommandation qui en découle dans le cadre de la vérification. Cinquante recommandations sur 83 doivent être soumises à un nouvel examen et sont probablement désuètes. La situation est grave. Il sera intéressant pour nous de savoir ce que les responsables ont fait pour rétablir la situation. Ils affirment avoir pris des mesures. Nous effectuerons une vérification et produirons un rapport à ce sujet au mois de février prochain. Il serait peut-être utile que vous discutiez avec eux également, si je peux me permettre de le proposer.

Le sénateur Grafstein : Merci pour votre rapport. Je crois qu'il est excellent et clair. Vous avez mentionné le chevauchement de divers organismes qui traitent de la même question. Dans la recommandation 40.35, vous soulignez que six ministères et organismes que vous avez vérifiés sont responsables de différents aspects du réseau d'aqueduc. Le gouvernement, depuis votre rapport, a-t-il pris des mesures pour centraliser et moderniser ses responsabilités réglementaires internes relatives à l'eau?

M. Thompson : Je ne sais pas encore. Nous effectuons une nouvelle vérification de ce chapitre et nous rédigeons le rapport à ce sujet en février prochain.

Le président : M. Normand a dit que le Québec avait intégré les recommandations à la loi provinciale, ce qui leur donne une force exécutoire, dans une certaine mesure. Si l'on se penche sur l'exemple de cette province, monsieur Thompson, quelles sont les conséquences, le cas échéant, d'un manquement à ces normes?

M. Thompson : Si elles sont intégrées à la loi provinciale, alors ce sont les autorités provinciales qui sont chargées de les faire appliquer. Les sanctions imposables seraient prévues par la province. Malheureusement, je ne suis pas avocat. Ai-je bien raison sur ce point?

M. Normand : Oui, vous avez raison. Ce sont les autorités provinciales qui seraient responsables, en l'occurrence, de faire appliquer les autres recommandations et de prendre des mesures correctives. Toutefois, je ne sais pas quelles mesures les provinces prendraient dans ces cas.

Le président : Supposons que je suis un fournisseur d'eau, que j'exploite l'eau du robinet à titre de société municipale ou privée : on me paie, et l'eau avec laquelle j'approvisionne le réseau d'aqueduc rend les gens malades. Vous ne connaissez pas les conséquences pour moi, à titre de fournisseur d'eau, d'avoir négligé de me montrer à la hauteur des normes?

M. Thompson : Si je peux m'interposer, nous ne le savons pas, mais nous pourrions faire des démarches pour l'apprendre de notre conseil juridique, si cela serait utile.

Le président : Nous manquons tellement de ressources que cela serait extrêmement utile, monsieur Thompson. Je vous saurais gré de le faire lorsque vous le pourrez et de transmettre les réponses à notre greffier. Merci beaucoup, messieurs, d'être venus ce matin.

Nous accueillons maintenant quelqu'un qui en sait probablement plus long sur l'eau que tout le reste d'entre nous réunis. Voici M. Ralph Pentland, ancien directeur de la Planification et de la Gestion des eaux à Environnement Canada. Je souligne « ancien », parce que j'espère que M. Pentland pourra apporter des réponses transparentes à nos questions.

Bonjour, monsieur Pentland. Merci d'être venu parmi nous ce matin. Je m'excuse de vous avoir fait attendre. Comme vous m'avez déjà entendu le dire, nous sommes limités par le temps; je vous invite donc à nous parler, et j'espère que vous voudrez bien répondre à quelques questions par la suite.

Ralph Pentland, ancien directeur de la Planification et de la Gestion (Eaux), Environnement Canada, à titre personnel : J'aimerais commencer par remercier le comité de m'avoir donné l'occasion de témoigner aujourd'hui et de vous entretenir du sujet de l'eau potable.

Je devrais tout d'abord préciser que je ne suis ni avocat, ni expert de la réglementation des aliments et des médicaments. Ainsi, je n'apporterai pas de commentaires sur la formulation des dispositions du projet de loi S-206. Toutefois, j'ai lu beaucoup de vos témoignages et de vos débats; c'est pourquoi j'aimerais faire un commentaire sur ce qui semble être le nœud de l'affaire : le Canada devrait-il appliquer à l'échelle du pays des normes relatives à l'eau potable qui auraient force exécutoire?

Ma propre opinion sur cette question a beaucoup évolué au cours des 25 dernières années. Elle a évolué dans le même sens que celle de bien d'autres experts de l'eau dans le pays. J'aimerais brièvement exposer cette évolution des idées.

Mon expérience de la question de l'eau potable s'est surtout inscrite dans le contexte d'examens plus larges des politiques relatives à l'eau, au Canada et dans plusieurs autres pays du monde. Je me suis penché sur cette question pour la première fois au début des années 80, à l'époque où j'ai aidé à établir le Comité d'enquête sur la politique fédérale relative aux eaux, le Comité Pearson. Dans le cadre de cette enquête, on a tenu des audiences publiques dans chaque province et territoire du Canada et recueilli plus de 500 communications écrites ou orales.

Ces mémoires et témoignages ne traitaient évidemment pas tous de l'eau potable, mais c'était le cas d'un nombre important d'entre elles. La plupart de ces communications témoignaient d'une inquiétude devant la perspective de la présence de substances toxiques dans l'infrastructure communautaire d'approvisionnement en eau. Le rapport final de l'enquête paru en 1985 mentionnait le grand nombre de recommandations touchant l'adoption d'une loi fédérale qui préciserait les niveaux maximaux de contaminants dans l'eau potable et l'application de ces normes.

À la suite de l'enquête, j'ai présidé le groupe de travail interministériel qui a rédigé la politique fédérale de 1987 relative aux eaux. Cette politique établissait des engagements à l'égard de 25 secteurs, dont l'eau potable.

À l'époque, le concept des Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada, mesure non contraignante, venait de faire consensus quelques années plus tôt, et il semblait que toutes les provinces avaient sincèrement l'intention de mettre en œuvre ces recommandations de façon uniforme. Notre groupe de travail était d'avis qu'il fallait donner sa chance à la démarche axée sur des recommandations. Nous avons alors décidé de ne pas recommander des normes ayant force exécutoire à l'échelle du pays.

Les deux principaux engagements de la politique officielle étaient les suivants : d'une part, envisager la possibilité de recourir à des mesures législatives pour garantir l'innocuité de l'eau potable dans les territoires relevant de la compétence fédérale et concilier les programmes provinciaux et territoriaux; et d'autre part, établir des recommandations nationales pour la qualité de l'eau potable afin d'aider toutes les administrations à mettre en place des normes pour l'eau potable.

Peu après, j'ai quitté le gouvernement fédéral et j'ai beaucoup travaillé à l'extérieur du Canada pendant les années 90. Il y a environ cinq ans, je me suis à nouveau penché sur la question de l'eau potable au Canada, lorsqu'on m'a demandé de travailler, avec un certain nombre de sommités canadiennes du domaine, à l'élaboration d'un ouvrage intitulé Eau Canada. Certains d'entre vous l'ont peut-être déjà lu ou consulté. Il a été publié par UBC press.

Ma partie du projet traitait des questions relatives aux eaux transfrontalières, mais j'ai aussi eu l'occasion d'examiner ce qu'écrivaient les autres auteurs. J'étais particulièrement intéressé par l'annexe qui présentait un survol des lois et des politiques régissant la gouvernance de l'eau dans les provinces et les territoires, plus particulièrement les six pages qui portaient sur l'eau potable.

On y présentait beaucoup de bons exemples ainsi qu'une évaluation équilibrée du besoin d'offrir une certaine souplesse aux régions. Toutefois, l'ouvrage était truffé de messages décourageants, dont le fait que seulement deux provinces avaient adopté intégralement les recommandations nationales, que les exigences relatives à la surveillance des contaminants varient beaucoup d'une province à l'autre, que peu de provinces ont mis en place des règlements pour la protection de l'eau de source, et que la majorité des provinces n'exigent toujours pas une reddition de comptes relative au rendement.

L'annexe fait aussi état de l'inquiétude du commissaire à l'environnement et au développement durable concernant le retard important de la mise à jour des recommandations. Qu'un pays passe à l'adoption de normes nationales ayant force exécutoire ou pas, il me semble que l'efficacité du processus de recommandation proprement dit est essentielle. De nouveaux polluants, comme des produits pharmaceutiques et hygiéniques, sont actuellement soupçonnés de produire des agents pathogènes résistant aux médicaments et ayant un impact nuisible sur les systèmes reproductifs.

Quoi qu'il en soit, il ne fait aucun doute que les auspices favorables de la démarche axée sur des recommandations non obligatoires ne se sont pas révélés à la hauteur des attentes. L'inquiétude du public s'accentue à chaque nouvelle tragédie, comme celles vécues à Walkerton et à Kashechewan, et devant le nombre d'avis d'ébullition de l'eau, qui croît sans cesse.

La dernière fois que j'ai abordé la question remonte à environ un an, au sein d'un groupe de dix chercheurs et citoyens inquiets qui a effectué un examen indépendant des politiques et des programmes fédéraux relatifs aux eaux. Certains d'entre vous ont peut-être vu le rapport qui en a découlé, intitulé Au courant. L'objectif principal du rapport était de mettre en contraste le nombre grandissant de questions urgentes de portée nationale concernant l'eau douce et la capacité de plus en plus limitée du gouvernement fédéral d'assumer ses responsabilités à cet égard, ne serait-ce que les plus fondamentales. À mon souvenir, c'était aussi la teneure générale d'un rapport sénatorial sur l'eau dans l'Ouest, que vous connaissez. Il a été rédigé il y a un bon moment.

D'ailleurs, environ au même moment que la publication Au courant, l'automne dernier, le gouvernement a mentionné, dans son discours du Trône, son engagement à l'égard d'une nouvelle stratégie relative à l'eau. J'imagine qu'il s'agissait d'une reconnaissance du fait qu'un changement de cap important sera nécessaire, dans un avenir assez proche; et si c'est le cas, j'appuie certainement cette conclusion.

Selon la recommandation du rapport Au courant relative à l'eau potable, le gouvernement fédéral devrait « Assurer la cohérence des normes de qualité de l'eau potable en remplaçant les Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada par une Loi sur l'eau potable saine au Canada, avec des objectifs à long terme fondés sur la santé et des normes nationales minimales juridiquement contraignantes. »

Je n'ai pas le temps aujourd'hui d'entrer dans le détail, ni d'aborder les fondements et les conséquences juridiques et constitutionnelles. Cependant, je vous ai remis ce document de travail qui a servi de base pour un mémoire parlementaire, et je crois que vous l'avez tous entre les mains; ce document, préparé par le Groupe Gordon au sujet d'EcoJustice, qui examine plus en détail ces points et d'autres questions. Il permet de répondre à beaucoup des questions qui ont été posées aujourd'hui.

Dans la recommandation, on ajoute que la loi agirait comme filet de sécurité et ne s'appliquerait que sur les terres fédérales et dans les provinces qui n'ont pas prévu un niveau de protection équivalent aux normes nationales.

À titre d'exemple concret du fonctionnement de ce genre de mesures de protection, je vous renvoie à une loi type récemment préparée par le Conseil sur les questions de l'eau au Canada et publiée par l'Université de Toronto. Cette loi type traite d'un différent sujet lié aux eaux, soit la protection des plans d'eau contre les prélèvements massifs d'eau, mais j'imagine que des dispositions équivalentes dans la loi régissant l'eau potable seraient pratiquement identiques.

J'ai négocié et administré de nombreux accords fédéraux-provinciaux relatifs aux eaux au fil des années, alors je comprends aussi bien que n'importe qui la nécessité de respecter les compétences constitutionnelles provinciales. Mes propres idées ont évolué au point où je crois maintenant qu'il est souhaitable de mettre en place des normes exécutoires relatives à l'eau potable à l'échelle du pays, mais je suis certain qu'on pourrait le faire en tenant compte entièrement des rôles respectifs de chaque ordre de gouvernement et en ne bouleversant pas l'autorité de première ligne, soit les administrations locales et provinciales.

Je sais, puisque j'ai lu certains comptes rendus de vos débats, que vous connaissez de façon générale l'expérience des États-Unis et de l'Europe à ce sujet. Le cas des États-Unis est le plus intéressant sur le plan historique. La loi de 1974 sur l'eau potable saine exige de l'Environmental Protection Agency qu'elle établisse des normes relatives à l'eau potable, et la plupart des réseaux d'aqueduc publics aux États-Unis sont tenus de les respecter. On a établi des normes pour environ 90 contaminants chimiques, microbiologiques, radiologiques et physiques.

Les modifications de 1996 exigent de l'EPA qu'elle mette à jour chaque cinq ans la liste de contaminants susceptibles d'influer sur la qualité de l'eau potable. Cette mesure fait que les normes sont assujetties à un cycle d'examen quinquennal automatique.

Le modèle européen est plus moderne et, à certains égards, plus intéressant, surtout si le Canada envisageait d'adopter une politique nationale complète relative aux eaux qui intégrerait des normes nationales, entre autres pour l'eau potable, dans la politique nationale générale.

En 2000, des États membres du Parlement européen ont adopté la Directive-cadre dans le domaine de l'eau, politique à caractère exécutoire prévoyant la gestion de l'eau et une protection pour toute l'Europe. La directive-cadre établit une stratégie complète de gestion de l'eau axée sur la gestion intégrée des bassins hydrographiques, y compris les bassins transfrontaliers.

La section de la directive qui traite de l'eau potable prévoit des normes ayant force exécutoire à l'échelle de l'Union européenne pour régir la plupart des substances qui peuvent se trouver dans l'eau. Lorsqu'ils enchâssent la directive dans leur législation nationale, les États membres peuvent inclure d'autres substances ou des exigences plus contraignantes, mais ne peuvent abaisser le niveau des normes. Cette mesure assure un degré élevé et uniforme de protection de la santé humaine partout dans l'UE.

Le plus impressionnant, c'est probablement la transparence du processus. Les États membres sont tenus de surveiller la qualité de l'eau potable et de l'eau utilisée dans l'industrie de l'alimentation. Les résultats de la surveillance doivent être transmis chaque trois ans à la Commission européenne, qui les évalue en fonction des normes et produit un rapport de synthèse public.

Il serait effectivement malheureux que nos gouvernements fédéral et provinciaux ne parviennent pas à surmonter les obstacles internes et à offrir à tous les Canadiens un niveau de protection uniforme en matière d'eau potable, si une entité qui comporte divers pays comme l'Union européenne peut le faire.

Nous consacrons beaucoup de temps, d'énergie et d'argent à la sécurité. Peut-on imaginer quelque chose de plus important pour la sécurité des Canadiens que la fiabilité et la qualité de l'eau que nous et nos familles buvons chaque jour? Nous entendons souvent parler d'affections graves causées par des problèmes à court terme liés à l'eau potable. Toutefois, comme le montre la documentation sur la législation américaine, nous devons aussi nous préoccuper des effets chroniques qui peuvent survenir si des contaminants sont ingérés en concentration dangereuse sur de nombreuses années.

Pour conclure, j'aimerais féliciter le sénateur Grafstein d'avoir maintenu l'attention sur cette question pendant huit ans. Je suis certain que ses intentions sont au diapason de la volonté d'une grande majorité de Canadiens.

Le président : Merci. Vous avez parlé d'un désir d'établir des normes nationales et vous nous avez comparés avec l'Europe. Selon vous, la mise en application de ces normes nationales devrait-elle relever des juridictions civiles ou bien des juridictions criminelles?

M. Pentland : L'application de ces normes relèverait probablement du droit criminel. Voilà où vous seriez habilité à agir.

Il est intéressant que nous ayons des normes nationales à caractère exécutoire visant à protéger les poissons des contaminants et que nous ayons des normes nationales à caractère exécutoire pour protéger l'environnement des contaminants, mais que nous n'en ayons pas pour protéger les êtres humains des contaminants. Selon moi, il s'agit d'une anomalie. C'est également le droit criminel qui régit la protection de l'environnement aux termes de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement.

Le sénateur Grafstein : Merci, monsieur Pentland, pour toutes les années que vous avez consacrées à cette cause.

M. Pentland est une sommité dans le domaine; en outre, depuis qu'il a pris sa retraite, il continue à servir le Canada en mettant à contribution sa vaste expérience. Je dois dire qu'il m'a souvent été utile : il m'a aidé à tenir le cap et s'est assuré que j'abordais les questions non seulement en aval, mais en amont aussi. Il sait que je lutte depuis un moment pour trouver la manière de faire cela sous le régime des compétences fédérales. Je le remercie de tous ses efforts et de son aide.

J'aimerais attirer son attention sur un point. Nous avons entendu les représentants du Bureau du vérificateur général nous dire qu'on accuse un retard important au chapitre de la mise à jour des recommandations et qu'elles ne sont appliquées que dans certaines provinces. Nous avons actuellement une recommandation à caractère exécutoire qui est en vigueur dans deux provinces et qui n'est pas à jour.

Vous nous comparez, de façon plus générale, avec les Européens. Si nous prenons l'expérience canadienne, nous devons observer 83 contaminants chimiques, dont 50 ont au moins 15 ans. Les Européens, quant à eux, examinent non pas 83 contaminants, mais environ, selon votre témoignage, 95 contaminants différents?

M. Pentland : Cela varie. La base, en Europe, est de 45, mais la plupart des pays en examinent beaucoup plus.

En Europe et aux États-Unis, on adopte des normes de l'Organisation mondiale de la Santé, et le Canada pourrait en faire autant. Rien ne justifie vraiment un long retard. L'Organisation mondiale de la santé rassemble de l'information de tous les pays et conçoit des normes qui peuvent être appliquées. Il existe probablement 200 ou 300 recommandations, et chaque pays peut décider de celles qu'il veut appliquer en fonction de sa situation particulière.

Puisque ce genre d'information est internationalement accessible, rien ne justifie l'important retard dans l'élaboration des recommandations.

Le sénateur Grafstein : Je crois que vous avez validé mon argument. Encore une fois, quant au suivi, le Bureau du vérificateur général a présenté un rapport. Il affirme maintenant qu'il reviendra sur la question et assurera un suivi à l'égard de son rapport au sujet d'un retard, qui est désastreux à mes yeux : 15 ans se sont écoulés sans qu'on ait effectué un nouvel examen, alors qu'on aurait probablement pu accéder facilement aux données probantes et à l'information.

Convenez-vous du fait que l'établissement de recommandations obligatoires, réglementaires et transparentes aiderait les provinces, qui seraient les principales responsables du respect de ces recommandations?

M. Pentland : Certainement. À mon avis, certaines provinces nous montreraient la voie à suivre. Comme je l'ai suggéré, il faudrait faire en sorte que celles qui ouvrent la voie soient exemptées de la loi fédérale, qui ferait office de filet de sécurité. Certaines provinces, particulièrement le Québec, l'Ontario et l'Alberta, ont tendance à prendre les rênes à l'égard de ce genre de chose. Elles dirigeraient l'établissement des normes nationales et rallieraient toutes les autres.

Je ne propose pas d'imposer quoi que ce soit aux provinces; les choses ne se déroulent jamais comme ça. Certaines provinces agiraient comme chefs de file et élèveraient toutes les autres au même niveau.

Le sénateur Grafstein : Je trouve que le modèle européen était encore mieux que cela. Les Européens ont ce qu'on appelle des lignes directrices transfrontalières; ce sont des lignes directrices de l'Union européenne qui établissent une norme minimale.

M. Pentland : Ce sont des normes.

Le sénateur Grafstein : Chaque État de l'UE se sert de celles-ci comme point de départ. Certains États sont dotés de lignes directrices encore plus contraignantes que celles proposées par l'UE.

M. Pentland : Oui, c'est le cas de pratiquement tous les pays.

Le sénateur Grafstein : Êtes-vous d'accord avec moi pour dire que, si des recommandations fédérales étaient en place et applicables par quelque mécanisme que ce soit — y compris le droit pénale — il ne porterait entrave d'aucune façon à l'exercice par les provinces de leur pouvoir, soit d'élever ces normes et de les appliquer indépendamment du gouvernement fédéral?

M. Pentland : Le Canada regorge d'exemples d'une telle façon de procéder. Par exemple, nous avons établi un programme national de réduction des dommages causés par les inondations assorti de normes nationales. Toutefois, pratiquement toutes les provinces ont imposé des normes plus contraignantes. Voilà ce que l'on souhaite voir se produire.

Le président : Sur ce point, la Loi sur les aliments et drogues, qui est visée par le projet de loi du sénateur Grafstein, prévoit-elle ou permet-elle d'inclure les normes dont vous parlez?

M. Pentland : La loi actuelle ne traite pas de l'eau potable. Elle pourrait le faire. Je suppose que, si le projet de loi du sénateur Grafstein était adopté un jour, vous enchâssiez le reste dans le règlement. En d'autres mots, il faudrait que vous prévoyiez des normes et des dispositions d'équivalence pour les provinces, et ainsi de suite. Cependant, cela pourrait être enchâssé dans le règlement et aller plus loin que ce que prévoyait son projet de loi. Le règlement pourrait accueillir de telles dispositions.

Le président : La Loi sur les aliments et drogues serait-elle un moyen ou une avenue qui permettrait de le faire, sans créer une loi distincte?

M. Pentland : On pourrait le faire d'une façon comme de l'autre. Je n'ai pas de préférence; je ne suis pas avocat. Je crois que les rédacteurs, qui sont les architectes de ce genre de chose, pourraient avoir une opinion sur la meilleure façon de le faire.

Le président : Nous nous adresserons à un avocat en plus du sénateur Grafstein.

Le sénateur Nolin : Merci, monsieur Pentland, d'être venu. J'aimerais revenir aux cas du Québec et de l'Ontario. À votre avis et selon votre expérience, comment s'acquittent-ils actuellement de la tâche de régir l'eau dans leur province?

M. Pentland : Le Québec exige la certification des exploitants, ce qui n'est pas le cas de toutes les provinces. Le Québec exige la désinfection par filtration lorsqu'il y a turbidité.

Le sénateur Nolin : Je veux connaître non pas les détails, mais plutôt l'orientation générale de votre opinion d'expert quant à la façon dont les choses sont accomplies en Ontario et au Québec.

M. Pentland : L'article que voici, qui a été rédigé par un groupe de personnes, et non seulement par moi-même, a pour conclusion que, si vous adoptiez une approche comme celle que j'ai proposée, il est probable que le Québec, l'Ontario et l'Alberta seraient exemptées de la loi fédérale parce que leurs normes sont assez élevées.

Le sénateur Nolin : À votre avis, leurs normes sont assez élevées?

M. Pentland : Ces provinces seraient probablement exemptées de l'application des normes.

Le sénateur Nolin : Et qu'en est-il de l'application des normes dans ces provinces? Comment procèdent-elles à l'heure actuelle?

M. Pentland : Les provinces travaillent directement avec les municipalités. Certaines d'entre elles ont prévu des amendes et d'autres choses. Elles travaillent normalement avec la municipalité et, lorsqu'il y a contravention, elles collaborent avec la municipalité pour rétablir la situation. Elles leur accorderont le temps nécessaire et les aideront parfois sur le plan financier. Souvent, la municipalité ne dispose pas de l'expertise dont elle a besoin. Celle-ci doit être accessible à un échelon supérieur.

Habituellement, lorsqu'elle découvre une infraction, la province tente de collaborer avec la municipalité, lui accorde du temps et l'aide à se conformer aux normes.

Le sénateur Nolin : Vous avez mentionné les provinces et le fait que, pendant les années 80, à l'époque où l'on a créé le processus des recommandations, les résultats se sont révélés moins efficaces qu'ils auraient dû l'être. Quelle est votre opinion d'expert quant à la raison pour laquelle certaines provinces ont décidé de ne pas mettre en pratique les mesures qu'elles avaient convenu de prendre?

M. Pentland : Je ne dirai pas qu'elles ont « décidé ». Dans ce pays et dans plusieurs domaines — pas seulement l'eau et la qualité de l'eau —, les capacités des provinces sont inégales, tant sur le plan financier que sur le plan de l'expertise. Il est toujours vrai que certaines provinces veulent le genre d'aide que pourrait offrir le gouvernement fédéral et en ont besoin. Certaines provinces n'en ont pas tant besoin.

Le président : Et sont hostiles à cet égard.

M. Pentland : Le pays est déséquilibré sur le plan des capacités. Ce n'est pas un manque de volonté; chaque province le désire, j'en suis certain. Elles veulent protéger leurs citoyens, je suis absolument convaincu de cela.

Le sénateur Nolin : Si nous adoptions le projet de loi S-206 et la Chambre des communes en faisait autant et que, au bout du compte, la Loi sur les aliments et drogues comportait une nouvelle définition, quelles conséquences l'entrée en vigueur de cette loi aurait-elle? Que devraient faire les provinces, à l'exception de l'Ontario, du Québec et de l'Alberta?

M. Pentland : Il faudrait que vous travailliez en étroite collaboration avec elles au fur et à mesure que vous élaborez le règlement. Une période d'adaptation serait nécessaire, évidemment. Vous ne pouvez pas prévoir qu'une province qui régit 40 contaminants un jour en régisse 100 le lendemain. Il faudrait travailler en étroite collaboration avec elles. Vous auriez des règles et des processus qui seraient enchâssés dans le règlement d'application de la loi.

Cela prendrait un moment. Ce serait une démarche compliquée qui ne se réaliserait pas du jour au lendemain.

Le sénateur Nolin : Avez-vous songé aux coûts liés à l'exécution d'une telle loi?

M. Pentland : Nous en avons parlé un peu.

Le sénateur Nolin : Pour les ordres fédéral, provincial et municipal?

M. Pentland : Il y aurait des coûts. Selon moi, les coûts de l'eau et des eaux usées devraient normalement être absorbés par le prix du service. Dans le pays, nous percevons probablement des frais pour les services liés à l'eau et aux eaux usées qui correspondent à environ 70 p. 100 de coût du service.

On découvrira essentiellement une vache à lait si l'on commence à percevoir le coût réel de ces services. Exiger le montant juste pour des services liés à l'eau et aux eaux usées aurait des avantages énormes sur le plan de la conservation et de la qualité de l'eau.

Certaines collectivités — des petites comme des grandes — n'en sont pas capables ou n'en ont pas les moyens financiers. Il faudrait mettre en place des subventions de niveau supérieur pendant une certaine période. On accuse également un retard considérable sur le plan de l'infrastructure, de l'ordre de plusieurs milliards de dollars. Je crois que les gouvernements fédéral et provinciaux devront continuer de faire leur part pour qu'on puisse combler ce retard. Toutefois, on finit par atteindre le point où ces infrastructures seront principalement autosuffisantes. Passez à la tarification selon le prix de revient, et ces services seront financés par les utilisateurs.

Nous sommes encore très loin de cette réalité dans le pays. Le prix que paient les personnes n'approche même pas le coût des services qu'ils obtiennent.

Le sénateur Nolin : Je vais accepter l'offre de M. Pentland de calculer quelques chiffres pour nous, s'il le veut bien. Cela pourrait nous donner une meilleure idée de la quantité d'argent dont nous parlons.

Le président : Y a-t-il un moyen de connaître ce chiffre, monsieur Pentland?

M. Pentland : Pas facilement.

M. Pentland : Il y a 200 000 ou 300 000 bureaucrates dans cette ville. Vous pourriez les mettre au boulot.

Le président : Je ne crois pas que c'est ainsi qu'il faut s'y prendre. Dans plusieurs secteurs, il est facile de donner des exemples de manque à gagner entre le coût des services — pas seulement de l'eau, mais d'autres services —, et le prix que nous payons réellement. C'est facile à documenter.

M. Pentland : Ces données sont accessibles. Je ne sais pas exactement où vous pouvez les trouver, mais il existe des estimations des pourcentages des coûts que nous payons pour ces services.

Lorsque je travaillais à temps plein pour résoudre ces questions, il y a 20 ans, nous payions environ 70 p. 100. Je crois que ce taux serait plus élevé aujourd'hui. Les municipalités ont reconnu le potentiel financier.

Le président : Vous êtes tombé pile sur la règle d'or de la préservation de l'environnement : l'internalisation du coût réel de tout produit aura forcément pour conséquence d'en rendre la consommation plus efficace.

M. Pentland : Certainement.

Le sénateur Grafstein : Pour revenir à la question de l'Ontario et du Québec, il existe un écart entre ce que nous entendons des fonctionnaires et les dires du milieu médical. Le système s'est amélioré parce qu'il y a eu prise de conscience et qu'on y a versé plus d'argent. Toutefois, il y a un déséquilibre entre les grandes collectivités, qui étaient déjà en bon état, et les petites collectivités, et c'est un problème chronique d'un océan à l'autre. Seriez-vous d'accord avec le portrait que brosse l'Association médicale canadienne de ce problème?

M. Pentland : Oui, et c'est sur le plan des eaux souterraines qu'on le voit le mieux. Une grande proportion de Canadiens dépendent des eaux souterraines. Il est probable que la moitié des puits au Canada ne soient pas conformes aux normes. Les personnes qui en dépendent ont réellement un problème au Canada.

Nous avons parlé des États-Unis. Leurs lignes directrices nationales ne s'appliquent pas aux personnes qui dépendent de systèmes indépendants d'approvisionnement en eaux souterraines. Ils sont laissés à eux-mêmes.

Le président : Il existe des municipalités qui, dans une certaine mesure, dépendent des puits.

M. Pentland : Elles sont nombreuses, oui.

Le sénateur Grafstein : Quel est votre point de vue sur les avis d'ébullition de l'eau? Nous avons entendu le point de vue du gouvernement, qu'a fait valoir le sénateur Cochrane.

M. Pentland : Un avis d'ébullition de l'eau est un avertissement de ne pas utiliser l'eau à moins de la porter à ébullition. Comme vous l'avez mentionné plus tôt, l'ébullition règle les problèmes d'ordre biologique dans l'eau, mais pas les problèmes de contaminants. Les contaminants causent des dommages à long terme chez les humains et ne sont pas éliminés par l'ébullition.

Le sénateur Grafstein : J'ai tenté de faire valoir que les avis d'ébullition de l'eau ne s'apparentent pas à un vaccin, en ce sens qu'ils n'agissent pas comme une mesure de prévention absolue contre tous les problèmes liés à l'eau. J'imagine, monsieur Pentland, que vous êtes d'accord avec moi.

M. Pentland : C'est exact.

Le président : Merci, monsieur Pentland, nous vous sommes reconnaissants d'avoir témoigné. Votre exposé s'est révélé très utile et nous a orientés vers des voies constructives.

M. Pentland : J'apprécie ce que vous faites.

La séance est levée.


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