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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 8 - Témoignages du 1er mai 2008


OTTAWA, le jeudi 1er mai 2008

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 8 h 34, pour examiner, en vue d'en faire rapport, de nouvelles questions liées à son mandat.

[Traduction]

Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.

Le président : Bonjour aux honorables sénateurs membres du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement des ressources naturelles, et bonjour à notre invité d'aujourd'hui. Je suis le sénateur Banks, de l'Alberta, et je préside le comité. Avant de commencer, j'aimerais présenter brièvement les membres du comité qui sont ici avec moi ce matin : le sénateur Meighen, distingué sénateur de l'Ontario, le sénateur Adams, du Nunavut, et le sénateur Cochrane, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Notre invité de ce matin est M. Rob Huebert, qui se trouve à Toronto et qui participe à la séance par vidéoconférence. Je suis content que nous n'ayons pas eu à vous demander de vous lever à 6 h 30; ça aurait été le cas si vous vous étiez trouvé à Calgary, votre lieu de travail habituel.

M. Huebert est directeur adjoint du Centre d'études militaires et stratégiques et professeur agrégé du Département des sciences politiques de l'Université de Calgary.

Le comité va se rendre dans le Nord du Canada au début du mois de juin pour examiner, entre autres, la question de la souveraineté dans le Nord et des liens qu'elle entretient avec l'énergie, l'environnement, les ressources naturelles et d'autres questions liées à notre mandat. C'est comme si nous étions à l'école aujourd'hui : nous vous serions très reconnaissants de nous informer de ce que nous devrions essayer de découvrir, de ce qui devrait nous préoccuper, de ce que nous devrions chercher à voir et des questions que nous devrions poser.

Je vous suis reconnaissant de prendre le temps de discuter avec nous.

Rob Huebert, directeur adjoint du Centre d'études militaires et stratégiques, professeur agrégé, Département des sciences politiques, Université de Calgary, à titre personnel (par vidéoconférence) : Merci beaucoup, sénateur Banks et mesdames et messieurs les membres du comité de m'avoir invité à discuter avec vous de ce que je considère comme étant l'un des enjeux les plus importants auquel le Canada sera confronté dans l'avenir.

L'Arctique est bien entendu l'un de ces sujets dont on entend parler tous les jours dans les actualités. On tombe sur un reportage là-dessus chaque fois qu'on ouvre le journal ou la télévision. Même le ministère de la Défense nationale a choisi pour thème de certains de ses plus récents messages publicitaires de recrutement ce qu'il faut faire en cas d'écrasement d'un avion de ligne. C'est l'un de ces succès instantanés pour ce qui est de susciter l'attention des gens. Cependant, ma thèse est que l'Arctique a subi des changements profonds et que ces changements vont se poursuivre.

Comme nous avons le privilège d'avoir parmi nous un sénateur du Nunavut, je n'apprendrai rien de nouveau aux membres du comité. Cependant, c'est quelque chose qui a tendance à être nouveau pour la plupart des Canadiens, dans une certaine mesure.

Trois éléments importants vont avoir des répercussions profondes sur les relations canadiennes dans l'Arctique, plus précisément au chapitre de l'énergie, qui est le sujet de votre étude.

Tout le monde a entendu parler des changements climatiques. Ça fait partie des choses que tout le monde admet aujourd'hui; l'existence des changements climatiques est pratiquement une évidence. Cependant, je ne pense pas que les gens avaient une idée précise de cette réalité avant la publication, au début des années 2000, de l'Évaluation de l'impact du changement climatique dans l'Arctique, qui tirait des conclusions très claires là-dessus. La réalité, c'est que l'Arctique subit des changements profonds sur le plan climatique. Ces changements sont tellement importants que ni la science occidentale ni le savoir traditionnel ne permettent d'en déterminer l'ampleur et le rythme.

J'ai demandé au greffier du comité de distribuer des documents. J'ai également apporté des figures pour vous montrer le genre de répercussions dont il est question. Je vous ai remis des photographies satellites qui montrent la fonte des glaces.

Comme vous le savez certainement tous pour l'avoir entendu dans les actualités, c'est l'an dernier que la fonte des glaces a été la plus importante depuis qu'on mesure ce genre de chose. À la lumière du relevé glaciologique, il ne fait aucun doute qu'il y a des périodes au cours desquelles la glace a fondu complètement. Cependant, la fonte des glaces n'a pas été aussi importante de toute l'histoire humaine.

L'autre changement fondamental, cependant — et c'est un changement qui, à mon avis, aurait une incidence sur ce dont nous parlons peu importe que la glace fonde ou non —, c'est l'augmentation du prix du carburant. Encore une fois, il n'y a qu'à ouvrir le journal pour constater que le coût du pétrole augmente chaque jour, et on s'attend à ce que le prix du gaz naturel augmente aussi.

Du point de vue international, ce n'est pas difficile à comprendre, vu l'arrivée de la Chine parmi les grandes économies et l'arrivée prévue de l'Inde, ainsi que la croissance continue à laquelle le monde occidental est confronté. Il ne fait aucun doute que nous sommes confrontés au problème qui consiste à trouver de nouvelles sources d'énergie et que nous allons continuer d'être aux prises avec ce problème pendant longtemps.

D'après certains, jusqu'à 25 p. 100 des réserves futures se trouveraient dans l'Arctique. Ce sont les représentants du U.S. Geological Survey qui nous ont fourni ce chiffre, et ils tentent en ce moment de le vérifier. On se demande si ce ne serait pas plutôt 25, 20 ou 18 p. 100. Cependant, tout indique que, entre le pétrole, le gaz et la nouvelle source d'énergie, les hydrates de gaz, nous pouvons nous attendre à ce que l'Arctique soit bel et bien le lieu des grands projets de l'avenir.

En Amérique du Nord, nous oublions souvent que les Européens, les Russes en particulier, sont très en avance au chapitre de l'exploitation pétrolière et gazière dans le Nord. On a annoncé en avril de l'année courante que les Russes avaient terminé la construction d'un tout nouveau terminal pétrolier maritime dans la mer de Barents, et que celui-ci est en activité. Les Russes, si je peux me permettre d'ajouter quelque chose, ont déjà bien entamé la construction de plusieurs autres terminaux maritimes, ce qui touche au cœur même du fait qu'ils ne sont pas en train de discuter de l'exploitation de leurs ressources pétrolières et gazières; ils sont déjà en train d'exploiter ces ressources.

L'évolution de la situation géopolitique est le troisième élément qui a des répercussions sur le Nord et qui a des liens directs avec la souveraineté et l'énergie. Il y a trois sous-facteurs que vous devez bien connaître. D'abord, en raison des conséquences de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, ou CNUDM, la question de la propriété et du contrôle des fonds marins qui contiennent le pétrole et le gaz fait l'objet d'un débat très animé en ce moment.

Aux termes de la CNUDM, et plus précisément de l'article 76 de la convention, les États côtiers ont dix ans à partir du moment où ils ratifient le traité pour déterminer s'ils ont ou non un plateau continental. C'est quelque chose de très important pour le Canada, puisque certains géologues affirment que tout l'océan Arctique est le prolongement du plateau continental.

Tout le débat sur la nature exacte de la Dorsale Lomonosov, sur le plan géologique, a pour objet de déterminer si l'océan Arctique est un plateau continental, et, le cas échéant, quel pays peut en réclamer la propriété. À l'heure actuelle, quatre États bordant l'Arctique pourraient avoir un plateau continental arctique : la Russie, le Danemark, le Canada et les États-Unis. Les États-Unis posent un problème intéressant, puisqu'ils ne sont pas partie à la convention. Ainsi, il y a une espèce de litige quant à savoir si le pays pourrait obtenir une partie du plateau continental si on en venait à le diviser.

Cependant, les représentants de ces quatre États, en plus de la Norvège, qui a déjà réclamé la propriété de son plateau continental au sud du cercle polaire arctique, se réuniront au Groenland les 28 et 29 mai pour discuter de la façon de diviser le plateau. Les Américains vont participer à ces négociations.

Je signale cette réunion à l'attention du comité. Je pense qu'il vaudrait la peine pour vous de faire témoigner les fonctionnaires d'Affaires étrangères et Commerce international Canada après les 28 et 29 mai pour savoir ce qu'on aura fait exactement pendant cette réunion.

Les autres enjeux géopolitiques dont vous devez avoir connaissance ont trait à l'intérêt grandissant des pays d'Asie pour le Nord. Beaucoup de gens vont demander ce que des pays comme la Chine et la Corée du Sud ont à voir avec le Nord. Tout cela a à voir avec les ressources.

Le premier élément important, c'est que les Chinois possèdent l'un des plus gros navires de recherche du monde, soit le Xue Long. J'ai fourni aux membres du comité des photos de ce navire. Il est de la même taille que les navires ravitailleurs de notre marine, c'est-à-dire que sa jauge est d'environ 20 000 tonnes. C'est un brise-glace de recherche très performant. Il a navigué dans l'Arctique à deux reprises. Les Chinois l'envoient plus souvent qu'autrement dans l'Antarctique, mais ils commencent à s'intéresser de près à la recherche sur l'Arctique. Beaucoup de gens font l'hypothèse que c'est parce qu'ils s'intéressent aux sources d'énergie de l'Arctique. Personne n'affirme que les Chinois vont tenter de réclamer la propriété des ressources, mais on dit qu'ils cherchent de nouvelles sources où s'approvisionner contre rémunération.

Le second élément important, par rapport à l'intérêt des pays de l'Asie pour le Nord, c'est que les Japonais financent maintenant généreusement la recherche sur l'exploitation des hydrates de gaz.

J'ai mentionné le fait que les hydrates de gaz sont la nouvelle source d'énergie. Il s'agit d'une espèce de gaz qui est remonté à la surface et qui se présente sous forme de gel. Le phénomène est attribuable à la pression ou au froid extrême. Beaucoup de gens soutiennent que les hydrates de gaz seront une source d'énergie très importante dans l'avenir. Cela pose quelques problèmes, cependant, parce qu'il s'agit surtout de méthane. Comme vous le savez, le méthane est l'un des pires gaz à effet de serre. Ainsi, on pense que les hydrates de gaz pourraient être une source d'énergie importante dans l'avenir, mais que leur exploitation ne serait pas exempte de problèmes environnementaux.

Néanmoins, les Japonais injectent des centaines de millions de dollars dans ce domaine de recherche. On a même affirmé que le chiffre pourrait atteindre les milliards. C'est difficile d'obtenir un chiffre ou un avis solide là-dessus; il s'agit de gros investissements.

Le troisième élément important — il s'agit de quelque chose qui a échappé à beaucoup de gens —, c'est que depuis cinq ans, la Corée du Sud investit beaucoup d'argent dans la conception et dans la construction de pétroliers brise-glace. Les Coréens, et plus précisément Samsung Heavy Industries, ont passé des marchés avec les Russes pour la construction de pétroliers brise-glace.

Ils utilisent une nouvelle technologie qu'on appelle le système de propulsion Azipod. Plutôt que de doter le navire d'une hélice ordinaire montée sur un arbre pointé vers l'avant, ils ont trouvé le moyen de le doter d'une hélice qui peut effectuer une rotation de 360 degrés sous le navire. La raison pour laquelle c'est quelque chose d'important pour la navigation dans l'Arctique, c'est que cela permet d'avoir une proue faite pour la navigation au long cours dans des eaux libres de glace, mais aussi une proue capable de briser la glace, à la place de la poupe. On obtient donc ainsi un véritable navire à deux fonctions. C'est un navire capable d'avancer dans un mètre et demi de glace, mais qui permet également un transport économique en eau libre. La construction coûte un peu plus cher, mais on peut utiliser le navire pour les deux fonctions.

À l'heure actuelle, les Russes utilisent ce genre de navire dans les zones encombrées de glace de l'Arctique où ils sont en train de construire des terminaux maritimes. Ils s'en servent pour transporter du pétrole. Le pétrole est déchargé à Mourmansk sur des pétroliers de plus grande taille ou dans le réseau de pipeline. La raison pour laquelle c'est quelque chose de si important pour le Canada, c'est que c'est une autre possibilité que nous pourrions envisager, à la place de construire des pipelines.

Compte tenu de la difficulté que nous avons eue à décider si nous voulions construire un gazoduc le long de la vallée du MacKenzie et des problèmes auxquels les Américains ont été confrontés dans leur tentative de construction d'un gazoduc équivalent, à quel moment les sociétés pétrolières et gazières vont-elles déclarer que ce moyen est en fait un moyen plus économique et plus aisé, sur le plan politique, de transporter le pétrole?

Samsung Heavy Industries n'a pas encore de brise-glace pour le transport du gaz naturel en phase liquide, mais l'entreprise travaille à la conception d'un navire du genre. À l'occasion d'une conférence à laquelle j'ai assisté à Saint-Pétersbourg, en Russie, plus tôt cette année, les représentants de l'entreprise ont dit très clairement qu'ils s'attendent à pouvoir passer un marché avec les Russes pour la construction de ce navire d'ici deux ou trois ans.

Autrement dit, le transport du pétrole et du gaz dans les eaux de l'Arctique recouvertes d'un mètre et demi de glace deviendrait quelque chose de normal et remplacerait les pipelines. En quoi ces éléments ont-ils une incidence sur l'objet principal de votre étude, c'est-à-dire la souveraineté et l'énergie?

À mon avis, il y aura trois grandes répercussions. La première, c'est que vous allez être témoins de la mise en œuvre de nombreux projets dans le Nord canadien. Vous savez probablement que Esso lance cette année un programme de recherche dans lequel on estime que la pétrolière investira entre 560 et 600 millions de dollars. Il s'agit d'un programme d'exploration de cinq ans. Lorsque vous vous rendez dans le Nord, assurez-vous de visiter Inuvik, dans les Territoires du Nord-Ouest. C'est de là qu'on dirige toutes les activités. Vous allez voir que ce programme d'exploration donne lieu à une activité frénétique. Ainsi, d'abord et avant tout, l'intérêt pour les projets dans le Nord va être accru.

Cependant, pour ce qui est de la souveraineté, plusieurs problèmes touchant actuellement les frontières vont empirer. C'est la deuxième chose à prendre en considération. Il y a un conflit important entre le Canada et les États-Unis par rapport à la frontière maritime dans la mer de Beaufort. Jusqu'à maintenant, nous nous étions entendus à l'amiable pour éviter d'aggraver cette situation. Le problème auquel nous allons être confrontés, c'est que la plupart des géologues vont signaler le fait qu'il y a probablement d'importantes ressources pétrolières et gazières dans la zone dont les deux pays réclament la propriété. Ainsi, ce conflit va probablement être ravivé.

Nous avons un autre problème, qui nous place dans une position difficile pour ce qui est des négociations. Le texte intitulé Revendication de l'Arctique de l'Ouest : Convention définitive des Inuvialuits, que nous avons adoptée en 1984, utilise notre tracé de la frontière maritime. Ainsi, toute négociation avec les Américains à l'issue de laquelle on remettrait en question ce tracé nous forcerait à renégocier cette entente de revendication territoriale. Vous pouvez imaginer à quel point cette situation serait délicate sur le plan politique.

Il y a des solutions. Nous pourrions choisir d'élaborer un plan de gestion conjointe et élaborer ce plan dès aujourd'hui. Cependant, la volonté politique ne semble pas y être en ce moment. C'est une autre question.

L'autre problème lié aux frontières auquel nous allons être confrontés dans le domaine du pétrole et du gaz, c'est celui du plateau continental. Je vous ai fourni une carte sur laquelle vous pouvez voir ce que nous prévoyons quant au tracé de notre plateau continental. Vous pouvez voir que ce tracé recoupe clairement la zone dont les Américains vont probablement réclamer la propriété, et nous devrions probablement nous attendre à un conflit de quelque espèce avec les Russes.

Vous vous rappelez sûrement que les Russes ont laissé tomber deux ou trois drapeaux au pôle Nord l'an dernier. C'était évidemment un coup de publicité, mais c'était également un acte politique visant à nous montrer à quel point ils sont déterminés à réclamer la propriété du pôle Nord.

Si nous passons par le processus normal du droit international pour diviser le plateau continental, il est possible d'avancer de bons arguments à l'appui de l'affirmation selon laquelle le pôle Nord se trouve au Canada, ou même peut-être au Danemark, plutôt qu'en Russie. Cependant, nous devrions refuser catégoriquement la revendication de propriété du pôle Nord des Russes. Ils s'appuient sur le mythe selon lequel le pôle Nord a un statut international particulier. Le pôle Nord n'a pas de statut particulier du point de vue des frontières. Cela ne fait qu'illustrer le fait que nous allons être confrontés à des difficultés lorsqu'il faudra négocier le tracé du plateau continental avec nos voisins russes et américains.

Le troisième facteur auquel je vous laisse réfléchir, c'est que le reste du monde va s'intéresser de plus en plus à ce qui se passe dans l'Arctique. Comme je l'ai déjà affirmé, les pays de l'Asie s'intéressent maintenant de près à l'Arctique comme nouvelle région productrice de pétrole et de gaz. Ils joignent le geste à la parole, et cela ne va pas, bien entendu mener à une situation où ils essaieraient de revendiquer la propriété des ressources, mais on peut s'attendre à ce que les Chinois, les Japonais, et probablement, à long terme, les Indiens s'intéressent aux réserves de pétrole et de gaz de la région de l'Arctique.

Sur le plan de la politique nationale, je pense que nous allons nous retrouver très bientôt dans la situation où les sociétés pétrolières et gazières vont dire qu'il a fallu trop de temps pour construire les pipelines, qu'elles ne sont plus prêtes à construire les pipelines et qu'elles vont avoir recours à cette nouvelle technologie des terminaux maritimes, ainsi qu'aux pétroliers brise-glace, pour transporter le pétrole et le gaz qu'elles voulaient transporter au pipeline.

Encore une fois, cela va comporter des avantages et des inconvénients. L'un des avantages, c'est que beaucoup de gens ont affirmé que les pipelines le long de la vallée du MacKenzie auraient posé un problème sur le plan environnemental. L'un des inconvénients, c'est que cela signifie qu'on ne créera pas d'emplois — le genre d'emploi que permettait d'envisager la construction des pipelines; en fait, le genre d'association dont le consortium autochtone de pipelines pensait pouvoir profiter. À la place, nous allons voir la question des projets en mer faire surface.

Je vais vous signaler une dernière chose. Si les Américains optent pour les terminaux maritimes plutôt que pour un pipeline pour le transport du pétrole et du gaz qui se trouvent dans l'océan Arctique, nous pourrions nous retrouver dans le même genre de situation qu'en 1969, au moment du périple du Manhattan. Si les Américains décidaient de construire un terminal de leur côté de la frontière, nous pourrions être confrontés à la situation où ils voudraient envoyer leurs pétroliers vers l'est, ce qui veut dire que ceux-ci traverseraient le passage du Nord-Ouest.

J'ai discuté — et je vais être tout à fait franc à ce sujet — avec des fonctionnaires d'Affaires étrangères et Commerce international Canada. Ils pensent en être arrivés au point où ce genre de projet ne menacerait pas la souveraineté du Canada dans l'Arctique, que nous sommes maintenant dans une situation où les Américains ne vont pas essayer de nous provoquer, pour ainsi dire, en ne nous demandant pas la permission de passer et qu'ils accepteront immédiatement le contrôle que nous voudrons exercer sur la région.

Je vais dire de façon tout aussi claire que c'est une position avec laquelle je ne suis pas d'accord. Je ne pense pas que les Américains vont nous demander la permission de passer s'ils décident de construire des terminaux maritimes et commencent à utiliser des pétroliers pour transporter du pétrole et du gaz de la zone située de leur côté de la frontière vers, disons, les marchés de l'Est, c'est-à-dire des États de la Nouvelle-Angleterre. Dans ce cas-là, nous nous retrouverions dans la même situation qu'en 1969-1970, au moment du périple du Manhattan.

Quand cela va-t-il se passer? Il va probablement falloir encore cinq ans avant que les sociétés pétrolières terminent le travail d'exploration. Le plan de Esso s'étale sur cinq ans. Du côté américain, Shell fait le même genre de prospection, quoique ce travail est suspendu cette année parce que la société n'a pas consulté les collectivités de façon adéquate. Par conséquent, son programme d'exploration est contesté devant les tribunaux, mais la plupart des gens s'attendent à ce que la société règle ce dossier à temps pour reprendre le travail l'an prochain. Ainsi, il va lui falloir environ cinq ans pour faire la prospection.

Si ces sociétés trouvent de bons gisements, il va leur falloir encore cinq années de plus pour construire les terminaux maritimes dont elles ont besoin, si elles décident d'utiliser cette méthode, et à peu près autant de temps pour faire l'acquisition des navires auprès de la Corée du Sud. Grosso modo, donc, nous allons nous retrouver dans cette situation dans environ dix ans.

A peu près au même moment, les négociations concernant la division du plateau continental vont en être à un point culminant. Les Russes en sont déjà à leur date d'échéance, la nôtre, c'est 2013, et celle des Danois, 2014, pour ce qui est de la fin des travaux scientifiques d'après la CNUDM. J'estime que les négociations vont vraiment commencer en 2014, probablement. En gros, la période que vous devez vraiment envisager — la période à l'issue de laquelle le dossier de la souveraineté du Canada et de l'énergie dans l'Arctique va atteindre son point culminant — est d'environ une dizaine d'années.

Encore une fois, ça semble être une période assez longue, mais vous savez à quel point les choses se passent rapidement sur la scène internationale. Le genre de travail que vous faites en ce moment pour régler cette question est nécessaire. Je suis heureux de voir que vous envisagez la question avec sérieux.

Le président : Merci, monsieur Huebert. Vous nous avez assurément ouvert les yeux à de nombreux égards.

J'ai toujours pensé, comme bon nombre de mes collègues, je crois, que, sur le plan strictement économique — pour faire de l'argent — ça coûte moins cher d'utiliser un pipeline que d'utiliser des bateaux. Est-ce exact?

M. Huebert : Les Russes sont en train de prouver le contraire. Le gros problème a toujours été de trouver le moyen de naviguer en eaux encombrées de glace pour ensuite trouver une façon économique d'effectuer le transport dans des eaux libres de glace. Il faut utiliser des navires de type très différent selon le cas.

La Corée du Sud, la Finlande et la Russie ont trouvé le moyen de combiner les caractéristiques des pétroliers et des brise-glace. Grâce à cette technologie, les Russes semblent avoir réglé le problème. Je dirais que la preuve réside dans l'application du concept.

C'est ce que les russes sont en train de faire; ils ont commencé en février dernier. Ils vont bientôt mettre en service trois autres pétroliers du genre. Très sincèrement, nous allons voir si cette nouvelle technologie coûte moins cher. L'argument des Russes, c'est que cette nouvelle percée technologique dans le domaine de la construction et la propulsion des navires remet en question l'idée reçue selon laquelle le transport par pipeline coûte moins cher.

Pour ce qui est des pipelines, tout le monde pense que changement climatique égale accessibilité accrue. La réalité, c'est que, du point de vue du transport terrestre, le changement climatique rend l'accès plus difficile. Les Russes font face à de graves problèmes parce que leur réseau de pipelines s'effondre avec la fonte du pergélisol; ajoutez cela aux techniques de construction de l'époque soviétique, et les Russes sont maintenant aux prises avec un grave problème.

Sans trop insister sur le problème des Russes, si vous discutez avec la plupart des gens qui s'occupent de la construction des pipelines du côté canadien et du côté américain, ils vont vous dire que le maintien de l'intégrité du réseau de pipelines est une préoccupation de plus en plus importante avec la fonte du pergélisol. Est-ce que c'est quelque chose de temporaire? Est-ce que le problème est réglé une fois le pergélisol fondu, ou va-t-il y avoir alternance de périodes de gel et de dégel, ce qui serait un problème important du point de vue de l'entretien et du maintien du réseau de pipelines?

C'est un autre facteur de coût qu'on n'a pas encore intégré au calcul général.

Le sénateur Adams : Monsieur Huebert, je pense que vous avez une grande expérience de l'Arctique. Pour ma part, je vis la plupart du temps près de la baie d'Hudson. C'est loin de l'endroit où vous travaillez, dans le Grand Nord.

Vous avez parlé d'une réunion au Groenland sur les frontières à laquelle participeront le Canada, les États-Unis, la Russie et le Danemark. Est-ce vrai?

M. Huebert : Oui, cette réunion va avoir lieu les 28 et 29 mai au Groenland.

Le sénateur Adams : Dans l'intervalle, je vais parler de la frontière. Vous avez parlé des Inuvialuits et de la revendication territoriale qui concerne l'océan Arctique. Je pense que la frontière maritime va jusqu'au pôle Nord, non? Elle commence là où la mer de Beaufort commence, n'est-ce pas?

M. Huebert : Techniquement, non. L'idée que le territoire du Canada s'étend jusqu'au pôle Nord est un mythe. L'un de vos prédécesseurs au Sénat, le sénateur Poirier, a dit en 1906 que le pays s'étendait jusqu'au pôle Nord. En réalité, d'après le droit international, notre territoire se termine 200 milles passés la côte, et donc très loin du pôle Nord. Nous aimons dire que le père Noël vit chez nous, mais, en réalité, jusqu'à ce que la question du plateau continental soit réglée, la zone où se trouve le pôle Nord continuera d'être considérée comme se trouvant en haute mer.

Le sénateur Adams : Je pense que le Canada va perdre une bonne partie de l'océan Arctique. Qu'en pensez-vous? Les autres pays, par exemple la Russie et les États-Unis, sont beaucoup plus puissants que nous. Nous allons perdre une partie de ce territoire — ou bien le Canada, les États-Unis, la Russie et le Danemark vont-ils partager le territoire?

M. Huebert : Ce que j'affirme, c'est que nous nous trouvons en ce moment à un carrefour. Nous pouvons décider d'être proactifs et d'adopter une position forte pour nous assurer de protéger encore mieux les intérêts et les valeurs du Canada, ou nous pouvons nous contenter de suivre et de laisser les Russes et les Américains nous dicter nos intérêts. C'est vraiment à nous de décider.

Les négociations sont sur le point de commencer. Toute la transformation du Nord est sur le point de commencer. Nous pouvons être très actifs, comme nous l'avons fait pendant les négociations concernant le droit de la mer dans les années 1970, où nous nous sommes assurés, au bout du compte, que le Canada serait probablement le pays qui profiterait le plus du système international, ou nous pouvons nous tenir à l'écart.

Ça dépend vraiment des ressources que le gouvernement est prêt à investir pour montrer au monde que nos intentions sont sérieuses par rapport au fait de contrôler et de protéger le Nord, et il faut également nous assurer que nos diplomates disposent de tout le soutien dont ils ont besoin pour participer à la mise sur pied de ce nouveau régime international. Je suis en train de vous dire, monsieur, qu'il vous appartient de déterminer aujourd'hui quel sera notre avenir dans le Nord.

Le sénateur Adams : Que pensez-vous de la situation des gens qui vivent au Nunavut? Vous avez mentionné le fait que vous rencontrez souvent des chercheurs étrangers. Est-ce que la situation des gens qui vivent au Nunavut vous préoccupe, par rapport à la revendication de la souveraineté dans l'Arctique?

M. Huebert : On me pose souvent des questions au sujet de la souveraineté et des gens qui vivent dans le Nord. La réponse est simple : la souveraineté n'est pas une fin; c'est un moyen d'assurer la protection des intérêts canadiens à l'avantage des gens qui vivent dans le Nord. Au bout du compte, nous devons commencer par décider que nous voulons assurer la souveraineté pour faire en sorte que les étrangers de plus en plus nombreux à venir dans le Nord du Canada comprennent bien que toutes leurs activités doivent d'abord et avant tout être profitables pour les Canadiens en général et pour les gens du Nord en particulier. Ensuite, nous devons définir clairement le rôle des gens qui vivent dans le Nord — ce rôle consistant à préparer le terrain pour le reste du monde. Penser, par exemple, à la façon dont les Scandinaves traitent les Lapons ou la façon dont, grosso modo, les Russes ignorent les gens qui vivent dans le Nord de leur pays. Pour ce qui est des Aléoutes et des Athabascans, les Américains n'agissent comme nous qu'en raison de l'existence de la Conférence circumpolaire inuite et d'autres organisations. Nous devons leur dire clairement qu'ils doivent tenir compte des gens qui vivent dans le nord de notre pays, dans une certaine mesure. Le modèle élaboré dans le cas des sociétés qui exploitent les diamants offre une piste de réflexion dans ce contexte.

Troisièmement, nous devons dire clairement que toute entreprise exerçant des activités dans le Nord doit respecter les accords que nous avons conclus et qui concernent les droits des différents groupes par rapport aux terres et aux eaux. Nous devons nous assurer que tout le monde prend ses responsabilités dans ce contexte.

Je dirais que nous devons garder l'œil ouvert au moment où ces intérêts étrangers arrivent dans l'Arctique. Nous pouvons nous contenter de dire que l'Arctique est un musée, et qu'il n'y aura aucun aménagement. Ce n'est pas la bonne façon de faire les choses. Nous devons affirmer que le développement doit être durable parce que les collectivités connaissent une telle croissance de leur population que les emplois doivent être maintenus pour que leurs jeunes aient du travail.

Le sénateur Adams : Vous avez parlé des Lapons. À Rankin Inlet, j'ai vu une équipe de tournage. Il y a aussi une nouvelle mine près de Baker Lake, au Nunavut. Vous avez également parlé de pétroliers qui passent à des endroits où il y a un mètre et demi de glace. Qu'est-ce qui va se passer, dans le Nord, avec ces pétroliers et ces brise-glace?

M. Huebert : Si je me fie à certains des arguments et des données des travaux de recherche non gouvernementaux effectués par le chercheur spécialiste de la glace de l'Université du Manitoba, qui est membre du réseau ArcticNet, il va y avoir un mètre et demi de glace dans l'Arctique au cours des mois d'été et d'automne, ce qui va permettre le transport. La découverte importante qui a été faite l'été dernier, c'est que la glace qui reste pendant plusieurs années, et qui rend le passage difficile, commence à fondre à un rythme encore plus rapide que la nouvelle glace. Si nous projetons les tendances actuelles sur une période de dix ans, en présumant que les navires peuvent passer par les endroits où il y a un mètre de glace, nous allons voir des navires passer par l'archipel canadien pour atteindre les sources de pétrole et de gaz de ces régions.

Le président : J'ai une question qui fait suite à ce que le sénateur Adams a dit et à ce qui s'est dit sur l'archipel. Avons-nous bien compris que les États-Unis ont reconnu clairement la souveraineté du Canada sur les terres?

M. Huebert : Oui, pour ce qui des terres, la question ne se pose pas.

Le président : Je pense que vous avez parlé de ça. La question, c'est : reconnaissent-ils la souveraineté du Canada sur les eaux qui se trouvent entre les îles de l'archipel? Est-ce que je comprends bien qu'ils disent que ce sont des eaux internationales, tout en reconnaissant le fait que le Canada devrait exercer un contrôle sur ces eaux? Est-ce que c'est déjà établi?

M. Huebert : En ce moment, c'est un point important du débat. La position officieuse des Américains, c'est qu'ils veulent que le Canada exerce un contrôle sur l'Arctique. Ils s'inquiètent du précédent qui serait créé si le reste du monde voyait qu'ils reconnaissent cela ouvertement. Ils se préoccupent davantage de ce qui se passe dans les eaux qui entourent l'Indonésie et les Philippines pour ce qui est de la liberté de navigation.

C'est un problème technique : selon les Américains, le passage du Nord-Ouest est un détroit international, pas la haute mer. S'il s'agit bel et bien d'un détroit international, alors les Russes, qui ont recommencé à faire patrouiller leurs bombardiers à long rayon d'action dans l'Arctique, ont le droit de faire circuler ceux-ci au-dessus du passage du Nord-Ouest, vu le droit de passage au-dessus des détroits internationaux. Si vous demandez aux Américains s'ils veulent qu'un bombardier Bear survole le passage du Nord-Ouest, bien entendu, ils vont vous répondre que non. Officieusement, ils diront qu'ils veulent en venir à une quelconque forme d'entente. Cependant, pour les mêmes raisons, ils ne peuvent pas se permettre de créer un précédent.

La question qui fait l'objet du débat en ce moment est la suivante : si les pétroliers commençaient à circuler du côté américain, ceux-ci obligeraient-ils les propriétaires des navires qui passeraient par le Canada à respecter les normes canadiennes en matière de construction, de sécurité et de fonctionnement de ces navires, ce qui, selon beaucoup de gens, constituerait une reconnaissance de fait de notre souveraineté. Au contraire, les Américains jugeraient-ils nécessaire de créer un précédent international en s'assurant que ces navires passent par le Canada sans en demander la permission? Comment les Américains géreraient-ils cette situation? Diraient-ils qu'il est dans leur intérêt de ne pas causer de problème et de s'assurer que les sociétés respectent les règles canadiennes, ou aurions-nous à insister clairement là-dessus? Cette décision devrait être prise par le président, et vous savez que la personnalité joue un rôle à cet égard. Le genre de décision que le président Bush prendrait serait différente de celle que prendraient M. Obama, Mme Clinton ou M. McCain. Si l'un d'entre eux est élu. C'est quelque chose de difficile à prédire, mais ce sont les deux possibilités.

Les États-Unis ont défini les normes internationales les plus élevées en matière de transport du pétrole et du gaz sur leurs eaux. Ils l'ont fait de façon très sournoise en adoptant une mesure protectionniste qu'elles appellent la Jones Act, qui exige que tout transport effectué entre deux États américains doit se faire dans des pétroliers construits aux États-Unis et de façon conforme à la réglementation américaine.

Lorsqu'ils transportent du pétrole de Valdez jusqu'en Californie, les normes qu'ils respectent équivalent à celles de notre Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques ou même les dépassent. Cependant, ils éludent la question des eaux internationales en disant qu'ils sont protectionnistes et que seuls des navires américains peuvent effectuer ce transport. En outre, les navires américains en question doivent respecter les exigences de la Oil Protection Act de 1990, qui sont très élevées.

Ainsi, l'argument, c'est que les Américains sont déjà là; nous pouvons en venir à une entente officieuse, mais, malheureusement, la question qui demeure ouverte, c'est si cela peut se faire sur le plan politique.

Le président : Le transport du versant nord de l'Alaska vers le Maine relèverait également de cet argument.

M. Huebert : Exactement, et c'est ce que nous ne savons pas. Les Américains commencent à avoir des problèmes avec leur réseau de pipelines, dans lequel il y a eu une grosse fuite l'an dernier. Non seulement il y a eu le problème des chasseurs qui s'amusaient à tirer sur le pipeline, mais BP a également découvert des endroits où il y avait de la corrosion et a dû fermer le pipeline. La société devra le remplacer d'ici cinq à dix ans. Encore une fois, des facteurs internationaux vont jour un rôle important. Le prix de l'acier, par exemple, a augmenté en flèche en raison de la demande créée par la croissance économique de la Chine, et on s'attend à ce que la demande atteigne le même niveau en Inde au cours des cinq prochaines années. Le calcul de ce qui en coûte pour construire un pipeline montre que ce n'est plus l'aubaine que les gens disaient que c'était dans le passé.

Mon argument, c'est que les facteurs internationaux qui peuvent avoir une incidence importante sur les aspects politiques et économiques de la construction de pipelines font en sorte que l'on choisira l'option des pétroliers dans l'avenir. Je n'affirme pas que les choses vont se passer ainsi à coup sûr, mais je dis que les indicateurs le laissent croire.

Le sénateur Milne : Monsieur Huebert, j'ai rarement entendu un témoin faire un compte rendu aussi complet pour un comité sénatorial. C'est extraordinaire ce que vous nous donnez comme information.

Je m'intéresse à la question des hydrates de gaz gelés, parce que j'ai écouté un exposé là-dessus sur la Colline du Parlement il y a quelques années. Ces hydrates de gaz sont volatiles et se trouvent en profondeur dans le sol. Vous dites que les Japonais consacrent beaucoup d'argent à la recherche dans le domaine. Quelle est l'importance des recherches sur les hydrates de gaz au Canada?

M. Huebert : Les avis sont partagés au sein de l'industrie canadienne. Comme je travaille à Calgary, j'assiste à de nombreuses conférences sur le thème de l'énergie, et je peux vous dire que les avis sont vraiment partagés.

Dans un exposé, on va dire qu'il est inconcevable, sur le plan économique, qu'un projet permette l'exploitation des hydrates de gaz. Les risques pour l'environnement sont trop élevés. Ça va être une source d'énergie marginale que certaines personnes exploiteront peut-être, mais ça ne deviendra jamais une source importante.

Dans l'exposé suivant, on dira que les hydrates de gaz sont la voie de l'avenir, qu'ils sont une source d'énergie extrêmement puissante — encore une fois, il s'agit de méthane —, mais plus concentrée que le gaz ordinaire. Une fois qu'on aura trouvé le moyen de rentabiliser l'extraction des hydrates de gaz et leur exploitation, ce sera une source d'énergie beaucoup plus économique que les autres, sans égard aux changements climatiques. Je ne suis pas spécialiste du domaine, et je ne peux donc pas me prononcer sur ce qui se passe.

Je peux vous dire cependant que les Japonais continuent d'investir autant dans ce domaine. Le font-ils parce qu'ils ont déjà investi tellement d'argent jusqu'à maintenant qu'ils veulent rentabiliser leur investissement, ou voient-ils là-dedans quelque chose que nous ne voyons pas? Les recherches effectuées au Canada ont tendance à être liées aux travaux des Japonais, pas toujours, mais il semble qu'on va de conserve.

Ça va quand même prendre pas mal de temps avant que les hydrates de gaz soient exploités, si ça arrive. Cependant, si vous voulez susciter le débat, présentez-vous à une conférence sur l'énergie et dites : les hydrates de gaz — l'avenir ou un cul-de-sac? Je vous garantis que vous allez assister à un débat très animé.

Le sénateur Milne : Je sais qu'il y a beaucoup de ces hydrates de gaz au Canada. Ils se trouvent sous l'océan Arctique et au large de la côte Ouest, ce qui est le lien avec le Japon.

M. Huebert : Oui, c'est exact.

Le sénateur Cochrane : Quelles sont les mesures précises que le Canada devrait prendre pour assurer explicitement sa souveraineté dans l'Arctique?

M. Huebert : Nous devons faire trois choses.

Premièrement, nous devons avoir une définition claire et complète, au plus haut niveau, des raisons pour lesquelles nous voulons assurer la souveraineté dans l'Arctique. Quelle est la politique du Canada en ce qui concerne l'Arctique?

Nous avons commencé à définir cela sous le gouvernement Martin, et le gouvernement Harper continue de le faire. Je dirais cependant que la souveraineté pour la souveraineté est une mauvaise politique. Nous devons déterminer ce que cela signifie par rapport au développement, à la durabilité et aux répercussions sur les gens qui vivent dans le Nord. Que voulons-nous, et quelle est notre vision par rapport à l'Arctique? Nous devons définir clairement ce que nous voulons voir et ce que nous ne voulons pas voir. Du point de vue des politiques, nous avons besoin d'une déclaration de la présidence.

Deuxièmement, nous devons continuer de renforcer nos capacités, particulièrement celles qui ont trait à l'application de la loi et à la surveillance. Vous avez peut-être vu les récents messages publicitaires du ministère de la Défense nationale ayant pour thème une opération de sauvetage après un écrasement d'avion dans le Nord. C'est une bonne publicité, mais qui n'est pas tout à fait réaliste. On y voit l'un des derniers hélicoptères que la Garde côtière canadienne a acquis et une patrouille de Rangers canadiens retrouver l'avion écrasé. Ce serait réaliste si les sociétés aériennes nous informaient à l'avance des écrasements d'avion, de façon que nous puissions transporter l'équipement à proximité du lieu de l'écrasement. En réalité, nous n'avons pas cette capacité.

Nous devons déterminer ce dont nous avons besoin pour pouvoir intervenir dans le Nord. Le gouvernement actuel a fait quelques pas dans la bonne direction en faisant des promesses. Comme professeur de sciences politiques ayant suivi ce dossier de près, j'ai toujours peur que nous nous retrouvions dans la même situation qu'en 1985. Vous vous rappelez certainement que nous avions un programme clairement défini et que nous l'avons interrompu en 1987 à la suite de l'incident du Polar Sea. Joe Clark avait présenté à l'époque une politique sur l'Arctique composée de six éléments et qui était pleine de bon sens, mais au bout du compte, nous l'avons abandonnée. J'espère que nous n'allons pas nous retrouver dans la même situation.

La mise sur pied d'une patrouille de haute mer en même temps que le renouvellement de notre flotte de brise-glace est un élément essentiel. Nous devons renforcer la capacité de la GRC d'effectuer efficacement des patrouilles d'affirmation de la souveraineté au pays; et nous devons poursuivre l'aménagement du port de Nanisivik. La plupart des Canadiens ne savent pas que le trajet, pour notre marine, de St. John's, à Terre-Neuve, jusqu'à Londres, est plus court que le trajet de St. John's à Nanisivik, pour vous donner une idée des distances.

Nous devons également effectuer une surveillance. J'ai été heureux de voir le gouvernement refuser de vendre RADARSAT-2, ou le bras qui servait à le diriger, à MacDonald, Dettwiler and Associates Limited ou MDA, c'est-à-dire aux Américains. Si nous avions permis cette vente, nous aurions été la risée du monde. Je ne connais aucun pays qui envisagerait cette possibilité, et encore moins qui permettrait qu'elle se réalise. Refuser de vendre RADARSAT-2 a été la bonne décision.

Dans cette situation, nous devons nous demander ce qu'il faut faire pour nous assurer que MDA ne nous joue pas un tour en laissant le bras se détruire. Par rapport à la surveillance dans l'Arctique, j'ai déjà dit que, vu ce que RADARSAT-2 nous permet de faire, il faudrait que ce soit l'Agence spatiale canadienne qui s'en occupe plutôt que le secteur privé. Cependant, il faut pour cela beaucoup de ressources.

Troisièmement, il faut que le Canada adopte le même genre d'attitude que celle qu'il a adoptée par rapport aux océans dans les années 1970, lorsqu'il a fait en sorte de diriger les négociations concernant un régime international, pour protéger ses intérêts, mais également, du point de vue des normes, pour que les règles soient respectées en ce qui concerne l'utilisation des océans et des ressources qui s'y trouvent.

Si on se rappelle les années 1970, l'expertise de gens comme Allan Beasley et d'autres, lorsque nous avons négocié la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, le Canada a fourni toutes les ressources nécessaires pour mettre ce régime sur pied.

Le moment est venu aujourd'hui de commencer à réfléchir à la manière dont le Canada peut s'y prendre pour jouer de nouveau un rôle de chef de file dans la création d'un régime international de façon à protéger les valeurs et les intérêts du Canada dans l'Arctique et pour que toute la région soit aménagée le plus possible dans un esprit de collaboration et de développement durable.

Plutôt que de nous contenter d'envoyer suffisamment de diplomates pour assurer une présence, nous devrions prendre l'initiative d'élaborer une vision. Ainsi, lorsque l'Arctique s'ouvrira dans dix ou 20 ans, nous aurons été l'un des principaux architectes du régime, nous pourrons envisager le passé avec satisfaction et dire que nous avons été capables de nous assurer de faire de l'Arctique quelque chose de semblable à la mer du Nord, et non aux îles Spratly. La mer du Nord est un bon ensemble de collaboration internationale pour ce qui est du pétrole et du gaz, tandis que les Chinois, les Vietnamiens, les Taïwanais et les Philippins se disputent constamment les différentes ressources pétrolières et gazières des îles Spratly.

Le sénateur Cochrane : Comme vous avez parlé de RADARSAT-2, je vais vous poser la question suivante : quelle est l'importance du rôle de ce genre d'outil technologique pour assurer la souveraineté du Canada dans l'Arctique?

M. Huebert : Je dirais que c'est quelque chose de vital, mais nous devons envisager tous les éléments. Le radar à antenne synthétique, ou SAR, qui est une composante de RADARSAT, est une chose dont les Canadiens doivent être particulièrement fiers. Nous avions prévu le mettre au point en collaboration avec les Américains. Dans les années 1970, nous travaillions au projet RADARSAT avec eux. Cependant, ils ont dit que c'était impossible à réaliser, tandis que nous, nous avons persévéré. C'est une technologie canadienne. Nous possédons la meilleure technologie avec le radar à antenne synthétique; nous sommes les chefs de file mondiaux dans ce domaine.

Cependant, nous devons combiner cet outil avec les outils technologiques de niveau intermédiaire. Nous avons besoin de différents systèmes de radar au sol et nous devons continuer d'avoir des soldats sur le terrain. C'est à cet égard que le programme des Rangers canadiens est d'une importance capitale. La plupart des Canadiens ne savent pas qu'il y a environ 5 000 Rangers canadiens dans le Nord. Par rapport à la taille de notre population, c'est vraiment beaucoup. Le Ranger, c'est le modèle du citoyen soldat. Ce que les Rangers observent est tout aussi important que ce que nous observons grâce au radar.

Nous devons avoir une vue d'ensemble. La région arctique du Canada est de la taille de l'Europe, si l'on envisage les choses du point de vue géographique. La population de cette région est d'environ 40 000 personnes. Nous devons viser tout ce que nous pouvons pour avoir une bonne idée de ce qui se passe : les outils technologiques les plus avancés comme les plus rudimentaires. Il va se passer de plus en plus de choses dans la région dans l'avenir.

Le sénateur Cochrane : Vous dites qu'il y a 5 000 Rangers canadiens.

M. Huebert : C'est le nombre prévu. C'est énorme, par rapport à la population. Les Canadiens devraient être extrêmement fiers de cette présence. Il y a une patrouille de Rangers dans chacune des collectivités du Nord. Je ne connais aucune collectivité où il n'y a pas de patrouille de Rangers.

Le sénateur Cochrane : Qui d'autre se trouve là-bas? Il y a la GRC.

M. Huebert : Oui, il y a la GRC. Ça fait le tour de nos ressources. Nous avons quatre avions basés dans le Nord, c'est-à-dire les quatre Twin Otter qui ont été construits en 1971-1972.

Nous pouvons en envoyer d'autres là-bas. Il y a quatre bases d'opérations avancées où nous pouvons baser des F-18, que nous devons utiliser du fait que le président Poutine a décidé de réinstaurer les patrouilles de bombardiers russes. De temps à autre, nous envoyons des F-18 de Cold Lake vers ces bases d'opérations avancées. Il y a aussi les détachements de la GRC, mais ça s'arrête là.

Le sénateur Cochrane : Qui d'autre devrions-nous envoyer là-bas?

M. Huebert : Nous devrions augmenter l'effectif de chacune de ces organisations.

Permettez-moi de faire une comparaison. La plupart des Canadiens ne savent pas que dans l'État voisin à l'ouest, c'est-à-dire l'Alaska, les Américains maintiennent une présence militaire de plus de 26 000 soldats. C'est près de la moitié du nombre total de soldats canadiens.

Ils ont aussi trois escadrons de F-15 en Alaska. Chacun des escadrons compte 22 appareils. Il y a donc 66 chasseurs en Alaska, et j'ose dire que, si vous comparez cet escadron à notre escadron de F-18, les Américains ont probablement davantage de F-15 en Alaska que nous n'avons de F-18 opérationnels. En théorie, nous avons environ 120 F-18, mais il y en a bon nombre là-dessus qui sont remisés et qu'on ne garde que pour les pièces — ils ne voleront plus jamais.

Les Américains ont un effectif militaire énorme, mais qui n'est pas aussi impressionnant lorsqu'on le compare à l'effectif russe dans la presqu'île de Kola. Les Russes maintiennent probablement encore un effectif de 100 000 soldats environ. Ce qui se passe, c'est que les Russes ont recommencé à envoyer leurs bombardiers en patrouille, et, en avril dernier, le chef de la marine russe a déclaré officiellement que le plan de la marine est de mettre sur pied quatre ou cinq groupes aéronavals, qu'elle prévoit baser surtout à Mourmansk, dans les eaux du Nord. Nous pouvons nous attendre à ce que la marine russe soit beaucoup plus active d'ici environ dix ans.

Voilà qui met en perspective l'effectif militaire canadien : il y a 80 soldats à Alert, au Nunavut, environ 200 soldats à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest, cinq soldats à Whitehorse, au Yukon et deux au Nunavut.

Je rigole lorsque j'entends les gens parler de cet engagement récent et lorsque je les entends dire que nous sommes en train de remilitariser le Nord. Pour mettre les choses en perspective, les Américains ont 26 000 soldats, les Russes, 120 000, et nous parlons de peut-être faire passer notre effectif de 300 à 1 000 soldats. Je ne pense pas que le mot militarisation soit vraiment le bon pour décrire la situation.

Le sénateur Milne : Pour ce qui est de l'entreprise qui possède RADARSAT-2 et qui veut procéder à la vente, je crois que l'offre n'est pas encore tout à fait retirée.

M. Huebert : Non.

Le sénateur Milne : Il reste 30 jours, et je pense que l'entreprise s'est lancée dans un exercice de relations publiques pour essayer de forcer la vente.

M. Huebert : Ça ne fait aucun doute. Je vais vous donner un exemple pour vous montrer à quel point nous avons manqué de sérieux dans ce dossier, du point de vue des politiques.

Dans les années 1990, nous avons décidé que le gouvernement devait se retirer de tout. Lorsque MDA mettait au point RADARSAT, nous avons dit aux représentants de cette entreprise que nous ne voulions pas en être propriétaire, que la propriété devrait en demeurer privée. En 2002, pour des raisons de rentabilité, MDA a vendu la technologie d'imagerie de RADARSAT-1 à l'organisation météorologique du Danemark. Que s'est-il passé cette année-là? C'est l'année où le gouvernement danois a décidé d'envoyer un navire militaire — une frégate navale — débarquer des soldats à l'île Hans. Devinez à qui la technologie qui leur a permis de le faire en toute sécurité appartenait?

Je ne connais aucun pays dans le monde qui vendrait à un autre le moyen de faire cela. Rendons-nous à l'évidence : c'est une invasion comique. Nous avons fait ça — c'est la souris qui rugit — dans le plus grand enthousiasme, mais des Danois ont réellement envahi un territoire dont nous réclamons la propriété en y envoyant des soldats, et nous leur avons vendu la technologie nécessaire pour le faire en toute sécurité.

Je vous pose la question suivante : les Chinois, les Vietnamiens, les Américains ou les Français feraient-ils cela? C'était en 2002. Nous avons ensuite posé un acte de folie et insisté pour que RADARSAT-2 soit une organisation publique-privée. Je ne vois nulle part d'autres exemples du genre. Même Spot, qui prétend être une organisation privée en France, est dirigée par le gouvernement.

L'idée même que nous devons tenir ce débat est quelque chose d'unique dans le milieu de l'espace international. Les autres pays rigolent probablement en nous regardant aller.

Le sénateur Meighen : Il y a suffisamment de pessimisme dans l'air pour qu'on puisse le couper au couteau, alors permettez-moi d'y contribuer.

Même si nous prenons les mesures qu'a définies le sénateur Cochrane pour assurer une meilleure présence dans l'Arctique, d'après ce que j'ai compris de ce que vous avez dit, il y a toute la question du tracé du plateau continental. Qu'arrivera-t-il si ce tracé n'est pas avantageux pour nous?

M. Huebert : Ce ne sera pas tout ou rien. Il s'agira de voir à quel point nous sommes prêts à défendre nos intérêts. C'est une situation semblable à toute autre négociation concernant les frontières. Nous nous trouverons que très rarement dans une situation où nous pouvons soit tout gagner soit tout perdre. La question, c'est : que sommes-nous prêts à faire pour gagner? Allons-nous laisser les Russes réclamer la propriété du pôle Nord, ou allons-nous obtenir la partie de la Dorsale Lomonosov qui se trouve de leur côté du pôle Nord? Il s'agit non pas d'une perte totale, mais bien de maximiser nos gains.

Affaires étrangères et Commerce international Canada, le MAECI, est tout à fait déterminé à essayer d'obtenir tout ce qu'il pourra. Cependant, la question consiste à savoir si les représentants de ce ministère vont obtenir l'appui politique dont ils ont besoin lorsqu'ils devront affronter les Russes et les Américains.

Je pense que nous venons d'être déconnectés.

Le président : Non, vous êtes encore ici. Nous vous entendons. Je pense qu'il y a de l'interférence parce que les Russes nous ont mis sur écoute.

M. Huebert : Vous ne me voyez pas, mais vous m'entendez?

Le président : Nous vous voyons et nous vous entendons.

M. Huebert : C'est super. Je viens de perdre l'image, mais l'automatisation, c'est extraordinaire; MDA doit être derrière ça.

Le sénateur Meighen : Selon vous, qu'est-ce qui est essentiel à notre victoire dans les négociations internationales qui vont avoir lieu concernant l'Arctique? Le pôle Nord est-il en soi un élément stratégique important ou qui joue un rôle quelconque?

M. Huebert : Le pôle Nord est un symbole, mais si nous le perdons, ce ne sera pas une catastrophe. Si nous arrivons à gagner du territoire, ce sera une excellente chose. Une bonne partie de cela dépend de ce que découvriront nos chercheurs. Pouvons-nous vraiment réclamer la propriété de cette zone en disant qu'il s'agit du prolongement de notre plateau continental? C'est quelque chose que nous sommes encore en train de vérifier scientifiquement.

Il est essentiel que nous nous assurions de protéger les intérêts et les valeurs canadiens le mieux possible à l'occasion de chacune des négociations. Autrement dit, nous devons reconnaître le fait que nous allons négocier continuellement avec nos voisins. Nous avons besoin d'une vision très claire et du genre de détermination dont nous avons fait preuve dans les années 1970 lorsque nous négociions la CNUDM.

Nous avons tendance à nous asseoir sur nos lauriers. Dans le dossier de l'Arctique, nous ne pourrons pas le faire : nous allons constamment subir des pressions de la part de nos voisins. Nous devons être prêts.

Il y a des gens exceptionnels au MAECI, mais il n'y en a pas suffisamment. C'est une question de ressources. Il est temps d'accroître ces ressources de façon à pouvoir régler les problèmes qui s'en viennent.

Le sénateur Trenholme Counsell : J'ai écouté tout ce que vous avez dit au cours de la matinée, et vous avez mentionné un certain nombre d'éléments que nous devons mettre en place par rapport à une vision et à une stratégie à long terme. Compte tenu de tout ce qui va se produire selon vous d'ici dix à 20 ans, le Canada dispose-t-il de suffisamment de temps pour faire face à ces éventualités? Y a-t-il suffisamment de gens qui abordent les problèmes sous tous leurs aspects pour que cela se produise?

M. Huebert : Du côté de la bureaucratie, le ministère de la Défense nationale étudie assurément la question de près. Après notre discussion, je vais présenter un exposé devant un groupe du collège d'état-major. Les officiers subalternes reçoivent une bonne formation et passent beaucoup de temps à réfléchir à cette question. Il y a des personnes très qualifiées à la division juridique du MAECI. Cependant, il y a eu des compressions au chapitre des ressources humaines. Nous avons par exemple supprimé le poste d'ambassadeur circumpolaire, et c'était une erreur. La région de l'Arctique qui reste manque vraiment de personnel, et il faut remédier à cette situation.

Comme je l'ai dit devant le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, la Garde côtière canadienne offre un service extraordinaire à elle seule, mais ça a été un service orphelin sur le plan de la capacité. Il est difficile de justifier le besoin d'embaucher davantage de gens pour s'occuper d'un problème qui va survenir dans dix ans. Il est difficile d'attirer l'attention des gens sur ce genre de questions.

Cela dit, le vrai problème auquel nous sommes confrontés, c'est celui qui consiste à attirer l'attention de nos élites politiques. Je comprends que les exigences de la gestion d'un pays nous obligent à nous concentrer sur les crises auxquelles nous sommes confrontés en ce moment, et non auxquelles nous devrons faire face demain. Cependant, en réalité, la possibilité de bien nous préparer pour régler le dossier de l'Arctique dépend du fait que les élites politiques vont en faire une priorité.

Lorsque les anciens premiers ministres et le premier ministre actuel disent que la question de l'Arctique est une question importante, tout devient possible. Cependant, pouvons-nous adopter une politique rationnelle en ce qui concerne les échéances? Le problème, c'est que le premier ministre suivant ne verra peut-être pas le dossier comme étant important, ce qui fait que les échéances n'auront plus de sens. C'est presque comme s'il allait y avoir soit une période d'abondance, soit une période de disette.

La réalité de la politique du Canada concernant l'Arctique, c'est que nous devons en profiter lorsque nous avons l'attention du premier ministre. Nous l'avons constaté lorsque MM. Mulroney, Trudeau et Martin étaient au pouvoir, et nous le constatons maintenant que M. Harper est au pouvoir. Ce n'est pas une blague lorsque je dis que nous avons besoin d'une petite crise relative à la souveraineté dans l'Arctique une fois tous les cinq ans environ, et que ce serait probablement la meilleure garantie de préparation d'un plan adéquat. Il faudrait que les Américains fassent survenir une crise d'envergure limitée mais suffisante pour conserver l'attention des gens. Cela nous donnerait le temps nécessaire pour agir. Il s'agit d'une question de réalité politique et de trouver le moyen de maintenir l'engagement du premier ministre. Nous avons fait ce qu'il fallait jusqu'à maintenant, mais c'est la suite qui compte. Voilà le véritable problème auquel nous sommes confrontés. Va-t-on vraiment donner suite à tout ce que l'ancien premier ministre, M. Martin et le premier ministre actuel, M. Harper, nous ont promis?

Le sénateur Trenholme Counsell : D'après ce que vous savez, y existe-t-il un comité intersectoriel fédéral de très haut niveau qui s'occupe des questions liées à l'Arctique? Y a-t-il un comité du genre qui rend directement des comptes au premier ministre?

M. Huebert : Je me suis laissé dire que le Bureau du Conseil privé réunit périodiquement un certain nombre de personnes. Il existe une organisation de niveau moins élevé qui s'appelle le Groupe de travail sur la sécurité de l'Arctique, lequel se situe au niveau bureaucratique, et non au niveau politique. Ce groupe fait un excellent travail, et j'en fais partie. Il ne se situe pas au niveau le plus élevé en raison de ce que nous voyons dans le contexte des groupes de travail sur la sécurité qui ont été créés.

Le président : Monsieur Huebert, vous avez parlé d'une échéance dans laquelle le Canada doit avoir cartographié le fond marin pour pouvoir en réclamer la propriété.

Allons-nous réussir à faire cela à temps? Où en est-on rendu? Est-ce déjà fait?

M. Huebert : Jacob Verhoef, le chercheur du gouvernement fédéral qui dirige la mission de cartographie des fonds marins de l'Arctique, a déclaré officiellement et officieusement qu'il est passablement convaincu de pouvoir respecter l'échéance grâce aux récents investissements de 200 millions de dollars obtenus dans le cadre du budget présenté en février. Il semble que tout est en place et que nous allons être prêts d'ici 2013.

Le vrai défi que nous allons devoir relever en 2013 tient au fait que la commission des Nations Unies examine le fondement scientifique de la revendication, et non son fondement politique. La commission commence à avoir tellement de dossiers à traiter que, même si nous arrivons à respecter l'échéance de 2013 prévue par la convention, il va falloir pas mal de temps avant que la commission examine notre revendication et décide si elle peut être jugée valable sur le plan scientifique. Une fois notre revendication acceptée, nous allons devoir commencer à négocier avec nos voisins. C'est à ce moment-là que les choses vont commencer à être intéressantes.

Le président : Entrevoit-on que les États-Unis signent la CNUDM? C'est un organisme des Nations Unies assujetti à la CNUDM qui va porter le jugement dont vous parlez?

M. Huebert : C'est l'une des choses ironiques. C'est là que l'irrationalité de la politique nuit aux intérêts nationaux. Le département de la Défense et le département d'État américains, les gouverneurs de chacun des États côtiers et quiconque possède un tant soit peu d'intelligence savent qu'il est dans l'intérêt des États-Unis d'être partie à la convention. Il n'y a qu'une petite grappe de républicains très à droite qui, pour des raisons idéologiques, sont contre la CNUDM.

J'en parle parce que, avant de se présenter comme candidat à la présidence, M. McCain était l'un des républicains au Sénat des États-Unis qui avait suffisamment d'intelligence pour être en faveur de la ratification de la convention. Cependant, depuis qu'il est de la course à la présidence, et depuis qu'il se sent le besoin de faire la preuve de son pedigree conservateur, pourrait-on dire, il a changé son fusil d'épaule, et il ne se dit plus en faveur de la ratification.

C'est déconcertant parce qu'une annexe à la convention signée et ratifiée en 1994 traitait de tous les points avec lesquels les Américains n'étaient pas d'accord. Ils ont donc obtenu qu'on règle tout ce qui posait problème selon eux, mais ça n'a pas été suffisant. Ainsi, la plupart des gens qui cherchent à s'expliquer de façon rationnelle le fonctionnement des gouvernements se creusent la tête et se demandent ce que les Américains veulent de plus dans ce dossier.

Comme le département d'État et le département de la Défense des États-Unis ainsi que la population savent que les Américains doivent être partie à la CNUDM pour ce qui est de la division de l'Arctique, on s'attendrait à ce qu'ils se comportent de façon rationnelle. Cependant, le gros problème, c'est que, au gouvernement américain, il y a une majorité de deux tiers au Sénat. Malheureusement, il y a pas mal de ces républicains qui, pour dire les choses sans détour, ne veulent pas étudier leur propre histoire ni jeter un coup d'œil sur ce qu'ils ont obtenu en 1994 et qui figure dans une annexe de la CNUDM, et qui sont toujours contre la ratification de cette convention.

Je suis un peu pessimiste. Les États-Unis ratifieraient cette convention s'ils avaient un président prêt à faire avancer le dossier en effectuant d'importantes pressions politiques et en allouant des crédits importants. Ce n'est pas le président Bush qui va le faire. Au moment où M. Clinton était prêt à le faire, il était aux prises avec l'affaire Monica Lewinsky et il était devenu un cas problème sur le plan politique. Le prochain président ratifiera-t-il la convention? M. Obama et Mme Clinton n'ont rien dit au sujet de la CNUDM, M. McCain s'est prononcé contre, et c'est ce qui fait que je suis un peu pessimiste.

Pour répondre à la deuxième partie de votre question, la commission des Nations Unies chargée d'examiner les revendications ne le fait qu'à la lumière du fondement scientifique de celles-ci. Elle ne porte pas de jugement sur les valeurs ou sur la délimitation du territoire. Ce sont des États qui ont un territoire à délimiter qui doivent le faire. Ainsi, le Canada, la Russie, le Danemark et les États-Unis devront procéder à des négociations bilatérales ou multilatérales pour établir les frontières, comme c'est normalement le cas pour ce genre de questions. C'est nous qui devrons nous occuper de cela.

La seule chose que la convention exige de nous, c'est que nous négociions de façon pacifique, ce qui est assez évident. Nous pouvons pour cela avoir recours à n'importe lequel des organismes créés par la convention des Nations Unies. Nous pouvons nous adresser à la Cour internationale de justice ou nous pouvons tenir des négociations bilatérales. La façon de procéder aux négociations est laissée à l'entière discrétion des pays concernés.

Le président : Les pays concernés devront créer un organe d'arbitrage ou accepter de s'en remettre aux décisions d'un tel organisme, ou ils peuvent faire ça dans le cadre de leur processus.

M. Huebert : Ils peuvent le faire s'ils le souhaitent. Il semble actuellement, mais ce n'est pas officiel, que les Américains et les Russes aient dit ne pas vouloir avoir recours à un organe international. Ils vont essayer de négocier directement avec les autres pays, soit bilatéralement soit multilatéralement.

Le président : Merci. Comme le sénateur Milne l'a dit, nous vous sommes tous reconnaissants de toute cette information utile que vous nous avez fournie. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de discuter avec nous ce matin.

M. Huebert : Tout le plaisir a été pour moi, et je félicite le comité du travail qu'il fait.

Il faut faire en sorte que la population continue de prêter attention à ce dossier. Ce n'est que grâce à votre travail et à celui des médias que nous allons pouvoir nous assurer que nos politiciens ne perdent pas de vue le fait que nous oubliions la question de l'Arctique de temps à autre, mais à nos propres risques et périls.

Il va y avoir des changements, et si nous n'agissons pas, nous allons devoir réagir après coup, et ce ne sera pas être beau à voir si tout se passe comme les indicateurs le laissent croire.

Le président : Merci encore.

La séance se poursuit à huis clos.


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