Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 10 - Témoignages du 27 mai 2008
OTTAWA, le mardi 27 mai 2008
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 17 h 35, pour examiner les nouvelles questions concernant son mandat et faire rapport sur la question. Sujet : Étude sur le Nord (questions relatives aux pipelines et questions juridiques)
Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonsoir et bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Je m'appelle Tommy Banks et j'ai l'honneur de présider ce comité. Je vais présenter brièvement les sénateurs ici présents : le sénateur Bert Brown, de l'Alberta; le sénateur Lorna Milne, de l'Ontario; le sénateur Elaine McCoy, de l'Alberta; et le sénateur Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest.
Nous poursuivons nos préparatifs en vue du voyage que nous effectuerons en Arctique la semaine prochaine pour étudier les effets des changements climatiques dans le Nord. Pour nous aider à mieux comprendre les tenants et aboutissants, nous accueillons nos premiers experts, M. Robert Reid, président de Mackenzie Valley Aboriginal Pipeline LP, et Brian Chambers, directeur exécutif du Secrétariat du projet de gaz du Nord. Messieurs Reid et Chambers, je vous remercie de comparaître aujourd'hui.
Monsieur Reid, vous avez la parole.
Robert Reid, président, Mackenzie Valley Aboriginal Pipeline LP : Merci et bonjour à tous. Nous sommes heureux d'avoir de nouveau l'occasion de témoigner devant le comité pour vous informer des activités récentes de Mackenzie Valley Aboriginal Pipeline LP ou, comme on l'appelle plus souvent, l'Aboriginal Pipeline Group. Nous traiterons également du rôle que nous jouons dans le projet de pipeline de la vallée du Mackenzie.
Le projet gazier du Mackenzie permet d'accéder au bassin frontalier le plus près en Amérique du Nord. On a déterminé qu'il existe des réserves gazières de 6 billions de pieds cubes sur les côtes et de 3 billions de pieds cubes au large, réserves qui ne font pas partie du projet qui nous occupe aujourd'hui. La capacité initiale du pipeline est de 1,2 milliard de pieds cubes par jour. On peut la porter à 1,8 milliard de pieds cubes par jour en ajoutant des compresseurs. Le coût total du projet s'élève à 16,2 milliards de dollars.
Le projet gazier du Mackenzie comprend essentiellement quatre éléments : le réseau collecteur au nord d'Inuvik, que vous pouvez voir sur la carte devant vous et qui permet d'accéder aux trois gisements initiaux de Niglintgak, Taglu et Parsons Lake; l'usine de transformation d'Inuvik, où l'on séparera le gaz naturel sec des composantes liquides; et deux pipelines au sud d'Inuvik — un pour le gaz naturel sec, qui s'étendra sur 1 200 kilomètres d'Inuvik à la frontière de l'Alberta, où il se connectera au pipeline de TransCanada, et un autre pipeline de dix pouces, qui acheminera les liquides de gaz naturel des installations de traitement d'Inuvik jusqu'à Norman Wells, où il communiquera avec le pipeline qu'Enbridge y possède déjà.
L'APG détient le tiers des parts du pipeline de 30 pouces servant au transport du gaz sec seulement. Nous ne sommes pas partenaires du réseau collecteur, de l'usine de traitement ou du pipeline de composantes liquides. APG est une coalition unique de groupes autochtones de la vallée du Mackenzie qui non seulement appuient la construction du pipeline de la vallée du Mackenzie, mais veulent prendre part au projet. Notre mandat consiste à optimiser le rendement financier à long terme pour les groupes autochtones des Territoires du Nord-Ouest en étant propriétaires du pipeline. L'idée d'un tel groupe a été lancée lors d'une réunion des chefs autochtones des Territoires du Nord-Ouest à Fort Liard, en janvier 2000. On s'est alors intéressé à ce qui s'est passé au milieu des années 1980, lors de la construction du pipeline interprovincial qui reliait Norman Wells au Sud. Les Autochtones n'ont pas participé à l'exploitation de ce pipeline. Les chefs autochtones ont alors décidé que si un pipeline était construit dans la vallée du Mackenzie, les Autochtones devraient en détenir des parts, l'objectif étant d'offrir des avantages durables aux Premières nations des Territoires du Nord-Ouest.
Il n'a pas fallu longtemps — à peine six mois, en juin 2000 — pour que l'APG voit officiellement le jour lors d'une réunion tenue à Fort Simpson. En octobre 2001, le groupe a signé un protocole d'entente avec Mackenzie Delta Producers, un consortium composé d'Imperial Oil Limited, ConocoPhillips Company, Shell Canada Limited et ExxonMobil Canada Limited. Environ deux ans plus tard, en juin 2003, l'APG, les Mackenzie Delta Producers et TransCanada PipeLines Limited ont signé des ententes de participation et de financement lors d'une cérémonie qui s'est déroulée à Inuvik. À ce moment-là, l'APG est devenu partenaire à part entière du pipeline gazier de la vallée du Mackenzie.
L'APG est le fruit d'une entente commerciale négociée par et pour les Autochtones. Nous avons négocié le droit de détenir le tiers des parts dans ce projet d'envergure. Une fois le pipeline construit, l'APG versera des dividendes importants à long terme à ses membres, tant et aussi longtemps que le pipeline sera en exploitation. Il ne s'agit pas simplement d'une entente à court terme offrant des avantages pendant la construction, mais bien d'un accord à long terme.
Au cours de la phase d'approbation réglementaire, le tiers des parts appartient à l'APG et les deux tiers, à Imperial Oil Limited, ConocoPhillips Company, Shell Canada Limited et ExxonMobil Canada Limited. En tant que partenaire à part entière, APG fait partie du conseil d'administration du projet. Nous participons aux réunions de tous les sous- comités et avons notre mot à dire sur le développement de ce projet d'envergure afin de défendre les intérêts de ceux que nous représentons, les Autochtones des Territoires du Nord-Ouest.
Vous voyez ici la répartition des parts au sein de l'APG. Sahtu Pipeline Trust est celui qui en possède le plus, avec 34 parts; le Gwich'in Tribal Council vient ensuite, avec 20 parts; l'Inuvialuit Regional Corporation, qui détient quatre parts, est celui qui en possède le moins; nous avons réservé 34 parts à Dehcho Pipeline Management LP, qui est en train de se joindre à l'APG.
Vous vous demandez peut-être comment des groupes autochtones des Territoires du Nord-Ouest peuvent financer une telle participation dans un projet comme celui-ci. Une fois l'approbation réglementaire obtenue, l'APG pourra contracter des prêts bancaires pour financer les coûts de construction qu'elle doit assumer. L'APG tirera son financement d'emprunts et d'actions. Nous avons obtenu une cote de crédit d'investissement de la Dominion Bond Rating Service, et toutes les grandes banques sont prêtes à nous financer.
Cet intérêt s'explique principalement par les contrats à long terme signés par les expéditeurs : Imperial Oil, ConocoPhillips, Shell et ExxonMobil. Les banques ont examiné les comptes de l'APG pour déterminer la source des fonds et ont approuvé ces expéditeurs, dont la cote de crédit est irréprochable. Les banques canadiennes nous ont assuré que le financement de nos parts ne poserait aucun problème.
Bref, le projet gazier du Mackenzie progresse. Les audiences réglementaires ont pris fin en novembre dernier, et nous avons signé une entente avec un nouvel expéditeur, MGM Energy Corp. Nous sommes maintenant associés à un tiers, un expéditeur qui ne possède aucune part. J'espère que ce sera le premier de plusieurs nouveaux collaborateurs.
Bien sûr, l'APG est un important partenaire dans ce projet. Nous sommes impatients de remplir notre mandat afin d'offrir des avantages importants et durables à nos membres, de réduire la dépendance à l'aide sociale et de favoriser l'autosuffisance de tous les Autochtones du Nord.
Le président : Merci, monsieur Reid. Je sais que nous avons beaucoup de questions à vous poser, mais auparavant, écoutons le témoignage de M. Chambers.
Depuis que nous avons fait les présentations, de nouveaux sénateurs se sont joints à nous : le sénateur Mitchell, de l'Alberta, le sénateur Trenholme Counsell, du Nouveau-Brunswick, et le sénateur Spivak, du Manitoba.
Brian Chambers, directeur exécutif, Secrétariat du projet de gaz du Nord : Tout comme M. Reid, je vous remercie de nous permettre de comparaître de nouveau aujourd'hui pour parler des développements en cours dans le Nord, plus précisément dans la région désignée des Inuvialuit, dans le delta du Mackenzie, dans le cadre du projet gazier du Mackenzie.
Le président : Ce projet a beaucoup progressé depuis notre dernière rencontre.
M. Chambers : C'était il y a plusieurs années, je crois.
Je ferai un bref survol de la présentation. La plupart d'entre vous avez déjà une bonne connaissance du sujet. Je vous expliquerai notre rôle, procéderai à l'examen du projet gazier du Mackenzie, ferai le point sur les impacts environnementaux et l'examen réglementaire, et parlerai des prochaines étapes de l'examen.
J'ai comparu en mars 2005, à Calgary, tout comme M. Reid. Depuis lors, j'ai beaucoup voyagé avec la Commission d'examen conjoint du projet gazier du Mackenzie et l'Office national de l'énergie, qui tenaient des audiences publiques dans les Territoires du Nord-Ouest, au Yukon et en Alberta.
Pour ce qui est des audiences publiques, que le Secrétariat du projet gazier du Nord a organisées au nom de ces deux groupes, les parties chargées de préparer l'examen ont tôt fait de déterminer, à l'étape de la planification, que la participation du public serait essentielle à la réussite de l'initiative, particulièrement celle des habitants des régions du Nord.
Par conséquent, le gouvernement fédéral a mis sur pied, en partenariat avec les organismes du Nord, le Secrétariat du projet de gaz du Nord, dont le mandat consiste notamment à accroître la participation du public en lui offrant un guichet unique pour obtenir de l'information au sujet de l'examen.
Conformément à ce mandat, et avant le début des audiences publiques, mes employés ont organisé et animé des séances d'information dans chaque collectivité où se tiendrait des audiences organisées par l'Office national de l'énergie et la Commission d'examen conjoint, qui y ont souvent pris part.
Le SPNG se charge également de coordonner la phase réglementaire de l'examen, dont je traiterai plus tard dans mon exposé.
Après avoir assisté à la plupart des audiences qui ont eu lieu ces deux dernières années, je crois pouvoir dire sans réserve que le public a profité pleinement des occasions qui lui étaient offertes de participer à l'évaluation de l'impact environnemental et à l'examen réglementaire du projet gazier du Mackenzie.
Les habitants des régions du Nord et de nombreux autres Canadiens ont pris part à plusieurs, voire à toutes, les étapes de l'évaluation de l'impact environnemental menée par la Commission d'examen conjoint.
Le gouvernement fédéral, par l'entremise du Fonds d'aide financière aux participants de l'Agence canadienne d'évaluation environnementale, a aidé les particuliers et les organismes à participer au processus de la Commission d'examen conjoint en versant 2,34 millions de dollars. C'est de loin le financement le plus important versé dans le cadre de l'examen d'un projet en vertu de ce programme. La plus grande partie de ces fonds ont été accordés aux particuliers et aux organismes installés directement le long du tracé du pipeline projeté.
J'aimerais faire une petite, mais importante, remarque au nom des gens qui vivent dans la région désignée des Inuvialuits. Nous parlons du projet gazier du Mackenzie et non du pipeline gazier du Mackenzie. Il y a une raison précise à cela : le gazoduc de la vallée du Mackenzie, dont a parlé M. Reid, ne passera pas par la région désignée des Inuvialuit.
Cependant, environ le tiers des frais d'immobilisation totaux du projet seront engagés dans cette région. Ces coûts sont associés au développement des gisements initiaux dont a parlé M. Reid, des têtes de puits, d'une installation de conditionnement et du réseau collecteur du Mackenzie qui transporterait le gaz depuis les trois gisements initiaux jusqu'à l'installation de traitement du gaz de la région d'Inuvik.
Il importe que ceux d'entre nous qui vivent dans le Sud et dans la vallée du Mackenzie comprennent que pour ceux établis dans la région désignée des Inuvialuits, il ne s'agit pas d'un simple pipeline; le projet touche également d'autres aspects du développement économique du Nord.
La Commission d'examen conjoint a invité le public à formuler des commentaires à diverses étapes de l'examen, notamment sur l'énoncé de l'incidence environnementale soumis par les promoteurs du projet en 2004. Le public a également participé au processus de l'Office national de l'énergie avant la tenue des audiences publiques. Notez toutefois que la Loi sur l'Office national de l'énergie ne prévoit pas de programme d'aide financière aux participants.
L'étape des audiences publiques sur le projet gazier du Mackenzie a commencé à Inuvik, dans les Territoires-du- Nord-Ouest, le 25 janvier 2006, par les audiences de l'Office national de l'énergie. Ce dernier a suspendu le processus le 14 décembre 2006 après avoir tenu 47 jours d'audience dans 14 collectivités de la région désignée des Inuvialuits, dans le nord de l'Alberta et, bien sûr, surtout, dans la vallée du Mackenzie.
Il importe de se rappeler que ces audiences ne sont pas terminées : elles sont ajournées jusqu'à ce que la Commission d'examen conjoint ait terminé ses travaux et présenté son rapport et que le gouvernement y ait répondu.
La Commission d'examen conjoint a commencé ses audiences publiques à Inuvik le 14 février 2006 pour les terminer le 30 novembre 2007. Pendant les 115 jours d'audiences, elle a recueilli les commentaires d'environ 500 témoins dans 26 collectivités, allant de Sachs Harbour, sur l'île Banks, au nord, à Edmonton, au sud, et à Whitehorse, à l'ouest.
De façon générale, l'Office national de l'énergie s'intéresse aux aspects techniques, à la sécurité et aux questions économiques du projet proposé, comme l'ingénierie, le péage et les tarifs, alors que la Commission d'examen conjoint se penche sur les impacts environnementaux, sociaux et socioéconomiques potentiels du projet.
L'office et la commission ont tous deux permis au public de venir s'exprimer en personne lors des audiences. Il s'agissait parfois de rencontres communautaires très informelles, alors que dans les grands centres, les audiences prenaient un tour plus technique.
Le public a pleinement profité de ces occasions, comme en témoigne le grand nombre de résidents qui ont participé aux audiences et témoigné de vive voix devant les groupes d'experts.
Passons maintenant aux prochaines étapes de l'examen du Projet gazier du Mackenzie. Depuis la fin de ses audiences publiques, la Commission d'examen conjoint prépare ses recommandations et son rapport final. Ce dernier s'appuiera sur les quelques 5 000 témoignages recueillis. De plus, les audiences elles-mêmes ont été consignées dans plus de 11 000 pages de transcription. Comme la commission l'a indiqué dans ses remarques finales, à Inuvik, la quantité de renseignements recueillis au cours de l'examen est énorme. Les questions soulevées au cours de l'évaluation de l'impact environnemental sont complexes et nombreuses, et ont des répercussions importantes pour les citoyens du Nord et l'ensemble des Canadiens.
La commission s'emploie donc à rédiger un rapport témoignant de son engagement à effectuer un examen environnemental exhaustif, rigoureux et objectif du projet gazier du Mackenzie. À ce sujet, elle nous a récemment fait savoir qu'elle ne déposerait pas son rapport au cours de la présente année civile.
Une fois ce rapport remis, on devra franchir plusieurs étapes avant que l'Office national de l'énergie puisse prendre une décision sur le projet. Le gouvernement devra d'abord répondre officiellement au rapport de la commission. Selon le plan de coopération, le document de planification rédigé en 2002 pour établir le processus d'examen, il faudra environ quatre mois pour obtenir cette réponse. Le rapport de la Commission d'examen conjoint et la réponse du gouvernement seront portés aux dossiers de l'Office national de l'énergie lorsque ce dernier reprendra ses audiences pour recueillir les arguments finals, peser le pour et le contre et prendre une décision.
Ce processus, également prévu dans le plan de coopération, prendra environ six mois. Si l'Office national de l'énergie détermine qu'il est d'intérêt public d'autoriser le projet, d'autres processus réglementaires débuteront officiellement et se prolongeront pendant la construction et l'exploitation du pipeline.
Pendant cette période, avant la présentation du rapport de la Commission d'examen conjoint et la réponse du gouvernement, les offices et les organismes de réglementation continueront de coordonner leurs activités de planification en vue de participer au processus d'examen. Par exemple, les offices des eaux se préparent activement pour être mieux en mesure de procéder à leur propre examen réglementaire. Ils ont également travaillé avec le SPNG à l'établissement d'un protocole afin de mener des audiences publiques rigoureuses et ordonnées. Ils ont aussi participé aux activités du comité directeur de la réglementation et de ses groupes de travail. Ce comité est chargé de coordonner les efforts pour que les processus réglementaires puissent être mis en œuvre rapidement et de façon harmonisée si le projet gazier du Mackenzie est approuvé.
Ce comité a notamment dressé un schéma détaillé et exhaustif du processus réglementaire relatif au projet gazier du Mackenzie, qui est accessible en ligne. Cet outil de planification permet aux organismes de réglementation de voir le régime de réglementation du projet sous divers angles. En examinant le projet proposé sous toutes ses facettes, les organismes de réglementation et les promoteurs auront une idée globale des diverses étapes et des liens du processus réglementaire, ce qui les aidera à être plus efficaces.
Plus récemment, afin d'assurer la coordination en matière de règlementation, on a établi le bureau du projet gazier du Mackenzie au sein d'Industrie Canada. Ce dernier est chargé de coordonner le projet entre les différents ministères fédéraux à mesure que l'on passe de l'étude de l'impact environnemental à la délivrance de licences et de permis, si le projet est approuvé par l'Office national de l'énergie.
Enfin, si je ne peux prétendre exprimer l'opinion de chaque organisme de réglementation, je crois que les efforts de préparation détaillée qu'ils ont déployés en collaboration sur le plan de la réglementation les aideront à entreprendre les prochaines étapes qui suivront le dépôt du rapport de la Commission d'examen conjoint.
En outre, je dirais que la planification détaillée et assidue de la prochaine phase de l'examen du projet gazier du Mackenzie témoigne de leur engagement à exécuter de façon professionnelle et opportune leur mandat en matière de réglementation.
Le président : Je vous remercie beaucoup, monsieur Chambers, et félicitations à vous deux pour les progrès que vous avez réalisés depuis notre dernière rencontre à Calgary, en 2005.
Le sénateur Milne : Monsieur Reid, pourriez-vous nous dire, au nom de l'APG, quelles sont les probabilités que ce projet aille bel et bien de l'avant, étant donné qu'on a récemment remis en question la nécessité de construire un pipeline dans la vallée du Mackenzie?
M. Reid : Nous considérons toujours qu'il y a et continuera d'y avoir une pénurie de sources de gaz naturel en Amérique du Nord. Depuis quelques temps, le gaz naturel liquéfié d'outre-mer a commencé à envahir le marché nord- américain. Cependant, la croissance traditionnelle — il s'agit principalement de la croissance dans le secteur de la production d'énergie attribuable au gaz naturel — se poursuit, et les bassins primaires, les bassins traditionnels d'Amérique du Nord, commencent à atteindre leur maturité ou même à décliner, principalement dans le bassin sédimentaire de l'Ouest canadien. Nous croyons que ce projet permettra d'ajouter des sources d'approvisionnement en Amérique du Nord.
Le sénateur Milne : Des pétroliers brise-glace sont en cours de conception et de construction dans divers pays du monde, et on nous indique que la quantité de glace diminue dans le passage du Nord-Ouest. En fait, la semaine dernière, lorsque nous étions dans la région des sables bitumineux de l'Alberta, on parlait de la possibilité de construire un pipeline à Churchill, d'où on chargerait du pétrole à destination de l'étranger. Dans ce cas, a-t-on vraiment besoin du pipeline?
M. Reid : Il importe de faire la différence entre le pétrole et le gaz naturel. Ce dernier est beaucoup plus difficile à entreposer que le pétrole, qui se garde aisément dans des citernes et des pétroliers puisqu'il est liquide.
Il faut refroidir énormément le gaz naturel pour le transformer en liquide, et c'est un procédé très coûteux. J'admets que pour les ressources pétrolières, nous devrons nous fier de plus en plus aux gisements situés au large des côtes. Il existe toutefois deux bassins de gaz naturel non exploités en Amérique du Nord : celui du delta du Mackenzie et celui de Prudhoe Bay, qui est plus important. Je crois que ces deux projets ont toute leur raison d'être en Amérique du Nord.
Le sénateur Milne : Si le projet va de l'avant, vous dites que le pipeline communiquera quelque part avec le réseau d'Enbridge Pipelines Inc. Mais à quel endroit?
M. Reid : Pour être clair, le pipeline transportant le gaz naturel communiquera avec le réseau de la TransCanada Pipelines dans le Nord-Ouest de l'Alberta. Cette société possède déjà des pipelines de gros diamètre à environ 60 kilomètres de la frontière des Territoires du Nord-Ouest. Les liquides seront séparés du gaz naturel à Inuvik, transportés par un pipeline de dix pouces jusqu'à Norman Wells, où le lien se fera avec le réseau d'Enbridge.
Le sénateur Milne : À qui confierez-vous la construction du pipeline? Vous vous êtes associés avec un nouvel expéditeur, MGM Energy Corp, dites-vous?
M. Reid : Oui, c'est exact.
Le sénateur Milne : Qui construira le pipeline?
M. Reid : Des entrepreneurs nord-américains. La mise en œuvre du projet relève d'Imperial Oil, qui se charge de le gérer. Elle est responsable de la conception, de la gestion de la construction et de l'exploitation du pipeline, ainsi que du processus réglementaire dont a parlé M. Chambers. Imperial Oil fera appel à des entrepreneurs renommés pour construire le pipeline.
Le sénateur Milne : Monsieur Chambers, une fois que le processus d'examen réglementaire sera entièrement terminé et que l'Office national de l'énergie aura rendu sa décision, qui s'occupera des aspects environnementaux de la construction si ce projet est approuvé?
M. Chambers : Voilà une excellente question. Comme M. Reid le sait fort bien, la Commission d'examen conjoint et l'Office national de l'énergie ont recueilli une quantité considérable de témoignages et de preuves à ce sujet au cours des audiences publiques. L'Office national de l'énergie est l'organisme de réglementation principalement concerné par le projet gazier, car son mandat permanent consiste à surveiller les projets en matière d'énergie au Canada. Il suit donc les projets à partir du moment où ils sont proposés et tout au long du processus réglementaire. Si le projet est approuvé et que les promoteurs vont de l'avant, l'office en supervisera la construction. En cours de route, il faudra délivrer divers permis et licences pour assurer cette surveillance. Ici encore, cette responsabilité relèvera de l'Office national de l'énergie en sa qualité de principal organisme de réglementation.
Cependant, comme plusieurs autorités sont concernées et que le gouvernement fédéral n'a pas confié la gestion des ressources naturelles aux Territoires du Nord-Ouest, des organismes de réglementation fédéraux interviendront également. Ils assumeront certaines responsabilités de surveillance au cours de l'exploitation du pipeline pendant sa durée de vie active et, plus tard, pendant sa restauration et sa désaffection.
Le sénateur Milne : Est-ce que des employés seront sur place au cours de la construction?
M. Chambers : Oui. Un des groupes de travail du comité directeur sur la réglementation est responsable de l'inspection et de l'application de la loi. Des inspecteurs et des agents d'exécution de la loi de l'Office national de l'énergie et de divers organismes de réglementation relevant de ministères fédéraux, comme Pêches et Océans Canada et Environnement Canada, planifient déjà de coordonner leurs efforts afin de surveiller le pipeline et d'autres aspects du projet gazier du Mackenzie, si le projet se concrétise.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je vous remercie, messieurs. C'était un exposé captivant. Je serai brève, car je suis en train de me familiariser avec le dossier; c'est du nouveau pour moi.
Je me pose une question au sujet de l'Aboriginal Pipeline Group, monsieur Reid. Je suis impressionnée de voir que votre groupe possède un tiers des parts. Vous avez dit que vous occupiez un siège au conseil d'administration, ce qui est d'ailleurs confirmé ici par écrit. Cela veut-il dire que ce comité est composé de trois ou quatre membres ou est-ce que la représentation n'y est pas proportionnelle?
M. Reid : Actuellement, trois groupes autochtones figurent parmi les propriétaires et les partenaires de l'Aboriginal Pipeline Group : Inuvialuit Regional Corp., le Gwich'in Tribal Council et le Sahtu Pipeline Trust. Nous avons également réservé des parts à Dehcho PL Management LP, le groupe autochtone situé le plus au sud. Chaque partenaire autochtone peut être représenté par deux membres au sein du conseil d'administration, pour un total de huit membres. Le conseil compte également un membre indépendant. La dernière diapositive de ma présentation montre la composition actuelle de notre conseil d'administration. Le membre indépendant est Peter Lougheed.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je ne parlais pas seulement de votre représentation au sein de l'APG, mais également au conseil d'administration général du pipeline. Imperial Oil, ConocoPhillips, Shell et Exxon en font également partie. Combien de sièges occupez-vous dans ce conseil d'administration?
M. Reid : Nous y occupons deux sièges.
Le sénateur Trenholme Counsell : Et combien de membres ce conseil d'administration comprend-il?
M. Reid : Chaque partenaire a deux sièges.
Le sénateur Trenholme Counsell : Ce n'est guère équitable, il me semble.
M. Reid : Les votes sont répartis en fonction des parts; ainsi, lors du vote, nous avons un tiers des voix et ils en ont deux tiers. C'est donc proportionnel.
Le sénateur Trenholme Counsell : Y a-t-il de l'opposition au sein du conseil? Avez-vous l'impression d'être David contre Goliath?
M. Reid : Il est rare que nous votions contre une proposition. C'est pourtant déjà arrivé. Nous exerçons une certaine influence, mais nous pouvons être défaits.
Le sénateur Trenholme Counsell : C'est bien évident, avec un tiers des voix.
Je me suis intéressée de près — parce que je travaillais au gouvernement à l'époque — à la construction du pont de la Confédération, et j'observe quelques similarités. On s'est beaucoup préoccupé de l'emploi après la construction du pont et des répercussions du projet sur les pêches, mais on s'en tenait toujours à l'évaluation environnementale. À la fin du processus, bien des gens étaient mécontents. À l'heure actuelle, ceux que vous représentez s'estiment-ils satisfaits?
M. Reid : L'examen environnemental de ce projet a été extrêmement exhaustif. La Commission d'examen conjoint a agi de façon très consciencieuse en tenant des audiences dans diverses municipalités — dans 26 collectivités du Nord au total, comme l'a indiqué M. Chambers —, ce qui a aidé les habitants des régions à participer au processus.
La construction de ce pipeline en a inquiété certains. Cependant, le transport de gaz naturel par pipeline constitue l'une des formes les moins dangereuses de transport d'énergie. Comme il s'agit d'un gaz et non d'un liquide, les risques de déversement important sont presque nuls.
La commission a été attentive aux préoccupations des gens, mais je ne peux préjuger de ses conclusions. Elle présentera son rapport l'an prochain. Tout ce que je peux dire, c'est que le processus a été très exhaustif et a permis aux deux parties de se faire entendre de façon équitable.
Le sénateur Sibbeston : Les pipelines ont toujours soulevé la controverse dans le Nord. Dans les années 1970 et au début des années 1980, lorsqu'un consortium avait proposé de construire un gros gazoduc d'un diamètre de quatre pieds à partir du sud de l'Arctique, la controverse était immense, et le gouvernement a fini par confier le dossier au juge Berger. On a formé une commission, puis décidé de rejeter le projet. Le débat s'est ravivé au début des années 1980, lorsqu'un oléoduc a été construit à partir du sud de Norman Wells. Même si la plupart des collectivités étaient contre le projet, il s'est néanmoins concrétisé.
J'étais à Fort Liard et à Yellowknife lorsqu'on a discuté du pipeline avec les Autochtones. Le ton et les mentalités ont complètement changé. Alors que par le passé, les Autochtones s'opposaient totalement aux projets, cette fois-ci, ils y sont favorables, en principe. Bien des choses ont changé dans le Nord. Plusieurs revendications territoriales sont réglées, et les Autochtones sont plus instruits et mieux intégrés à la société à tous les égards. Ils peuvent donc profiter de ces projets et y prendre part. C'est ainsi que l'Aboriginal Pipeline Group a vu le jour. Je crois que c'est une initiative positive.
Un seul groupe, celui des Dehcho, s'est opposé au projet et ne s'est pas vraiment associé à l'APG. Les temps changent, toutefois, et ce groupe est maintenant dirigé par de nouveaux chefs. Il se peut donc qu'il participe un jour au projet.
Je ne suis toujours posé des questions au sujet de la construction d'un pipeline dans le Nord. À ce jour, personne n'a proposé de faire profiter les collectivités du gaz naturel, une ressource généralement moins chère et plus propre. Inuvik a conclu une entente en ce sens. Toutes les collectivités sont desservies par de grosses centrales, car les habitants ont besoin de sources d'énergie.
Pourquoi les collectivités n'ont-elles pu négocier ou exiger la construction de conduites latérales partant du pipeline principal pour ainsi pouvoir disposer d'une source d'énergie économique? Avez-vous entendu quelque chose à ce sujet?
M. Reid : Le projet prévoit l'installation de valves et de soupapes dans chaque collectivité. Le gaz naturel est acheminé à ces collectivités pour la moitié du prix habituel. C'est un taux préférentiel, et on construira des installations pour permettre l'établissement de réseaux de distribution là où c'est possible. Comme vous l'avez fait remarquer, sénateur, on trouve de tels réseaux à Inuvik et à Norman Wells.
Mais même si certaines collectivités profitent déjà du gaz naturel, le projet qui nous intéresse ne prévoit pas la construction de ces installations de distribution, qui relève plutôt des fournisseurs, comme Enbridge ou ATCO Gas.
Le président : Les collectivités pourraient s'en charger.
M. Reid : En effet.
Le sénateur Sibbeston : Monsieur Chambers, jusqu'à présent, seuls les Dehcho n'ont pas réglé leurs revendications territoriales le long du pipeline. Tous les autres groupes autochtones, y compris les Gwich'in, les Sahtu et les Inuvialuits, ont réglé les leurs. Environ 40 p. 100 du pipeline passe sur les terres des Dehcho. D'aucuns considèrent que le pipeline ne devrait jamais passer sur ces terres, à moins que les Dehcho se soient entendus avec le gouvernement fédéral.
Qu'en pensez-vous? Peut-on construire un pipeline de cette envergure sur les terres des Dehcho sans avoir réglé les revendications territoriales? Dans l'intérêt national, le gouvernement fédéral devrait-il aller de l'avant avec ce projet et faire fi de l'opposition des Dehcho?
M. Chambers : C'est une question intéressante et, vous le savez bien, difficile. Je ne suis pas sûr qu'il m'appartienne d'y répondre. Je formulerai toutefois quelques observations en me fondant sur ce qui a été dit au cours des audiences. Le sénateur Sibbeston a absolument raison : plusieurs personnes ont fait remarquer, lors des audiences publiques que l'Office national de l'énergie et la Commission d'examen conjoint ont tenues sur le territoire des Dehcho, que si ce projet était approuvé, il ne devrait commencer qu'une fois les revendications territoriales réglées. Je sais que le gouvernement fédéral et les Premières nations Dehcho poursuivent leurs négociations en ce sens. Nombreux sont ceux qui espèrent que l'on en arrivera à une entente avant le début du projet. Je ne sais pas si c'est possible, car je ne participe pas aux négociations.
Prenons le domaine de l'exploitation minière comme exemple. Le développement de projets d'immobilisation importants dans les Territoires du Nord-Ouest qui ne font pas l'objet de réclamations territoriales n'est pas sans précédent, même si ces chantiers n'ont pas l'ampleur du projet gazier du Mackenzie. Comme les sénateurs le savent fort bien, les trois mines de diamants, qui fournissent ensemble 15 p. 100 des diamants du monde, ont été approuvées et exploitées dans des territoires où aucune entente territoriale n'a été conclue. Les propriétaires-exploitants de ces mines ont plutôt conclu des ententes en matière d'accès et d'avantages avec les Premières nations des régions concernées. Ce n'est pas la première fois que des projets d'immobilisation se concrétisent si toutes les parties font preuve de bonne volonté. Même si je ne peux dire si le projet gazier pourra se réaliser sans règlement des revendications territoriales, l'expérience des mines de diamants montre que c'est possible si tout le monde y met du sien.
Le sénateur Spivak : Monsieur Chambers, quelle quantité de gaz renferme le versant Nord, et où ce pipeline se connectera-t-il? Est-ce que ce gaz sera absorbé par les sables bitumineux? Où vendra-t-on le produit final de ce gaz naturel?
M. Chambers : Je m'en remets respectueusement à M. Reid pour répondre à la plupart de vos questions. Ces dernières sont pertinentes, surtout celles qui concernent l'utilisation finale du gaz extrait des gisements initiaux et l'acheminement direct ou indirect du gaz vers les sables goudronneux pour en extraire le pétrole. Lorsque je dis « sables goudronneux », je ne fais que reprendre le terme vernaculaire que plusieurs utilisent. La question a été soulevée à de multiples reprises au cours de l'examen du projet. Il faut que le marché nord-américain comprenne les rouages du processus.
Pour ce qui est de la quantité de gaz naturel, je laisse M. Reid répondre.
Au cours des audiences de la Commission d'examen conjoint, une question est revenue à plusieurs reprises : pendant combien de temps les trois gisements initiaux de gaz pourront-ils approvisionner le pipeline avant que l'on doive trouver d'autres sources de gaz, puisqu'on s'attend à ce que le pipeline ait une durée de vie supérieure à celle des gisements eux-mêmes?
M. Reid : Pour ce qui est des réserves prouvées, on trouve actuellement dans le delta du Mackenzie renferme actuellement un total de six billions de pieds cubes sur les côtes et trois billions de pieds cubes en mer, pour un total de neuf billions. Pour vous donner une idée de l'ordre de grandeur, je dirais que six billions de pieds cubes permettraient d'approvisionner chaque foyer au Canada pendant dix ans. C'est énorme.
La plus grosse quantité de gaz se trouve dans des réserves probables, qui totalisent 64 billions de pieds cubes.
Le sénateur Spivak : Est-ce dans la mer de Beaufort?
M. Reid : Ces chiffres portent sur les réserves qui se trouvent sur les côtes et au large.
Le sénateur Spivak : Combien de gaz faudra-t-il pour traiter les sables bitumineux? Vous dites que les réserves permettraient d'approvisionner tous les foyers du pays pendant dix ans, mais pendant combien de temps pourrait-on ravitailler l'industrie des sables bitumineux?
M. Reid : Je n'ai pas les chiffres en main, veuillez m'en excuser. Je ne sais pas quelle est la demande de l'industrie des sables bitumineux. Cependant, je n'ai entendu parler d'aucun contrat relatif au gaz provenant du delta du Mackenzie ou aux sables bitumineux. Le gaz empruntera le pipeline de la vallée du Mackenzie jusqu'au réseau de TransCanada PipeLines.
Le gaz s'échange quotidiennement sur le marché libre : c'est la plaque tournante de l'Alberta, où les acheteurs nord- américains s'approvisionnent. Le secteur des sables bitumineux en achète, mais également l'Est canadien, le nord-est des États-Unis, Chicago et la Californie. Le gaz canadien accède à divers marchés par l'entremise du réseau de TransCanada PipeLines.
Le sénateur Spivak : Je sais que les entreprises de sables bitumineux cherchent des méthodes pour leurs divers types d'exploitation minière. D'après vous, combien de temps faudra-t-il pour que le gaz commence à circuler dans le pipeline une fois que celui-ci sera construits?
M. Reid : Le pipeline devrait être en exploitation en 2014. Je crois comprendre que le secteur des sables bitumineux connaîtra une forte expansion bien avant cette date et s'approvisionnera donc auprès d'autres sources.
Le sénateur Spivak : Comment cette réserve se compare-t-elle à celle de la Russie? Le coût de ce gaz est-il comparable à celui du gaz naturel liquéfié et du charbon gazéifié?
M. Reid : Pour vous donner une idée de l'envergure de ce bassin, j'ai indiqué qu'il contenait des réserves probables de 64 billions de pieds cubes et des réserves prouvées de neuf billions de pieds cubes. Les réserves de Prudhoe Bay, sur le versant Nord de l'Alaska, contiennent 100 billions de pieds cubes. Ces dernières sont donc plus importantes que celles de la vallée du Mackenzie.
Je n'ai pas les chiffres en tête pour ce qui est de la Russie.
Pour ce qui est du gaz naturel liquéfié, on projette ou on construit actuellement des installations de regazéification en Amérique du Nord. Sous forme liquide, le gaz naturel est plus facilement commercialisable à l'échelle mondiale. Jusqu'à présent, on le trouvait surtout sur les marchés nord-américains parce que son transport est coûteux.
Maintenant que le gaz naturel liquéfié devient une source d'approvisionnement économique, ce produit envahira le marché nord-américain. TransCanada PipeLines a d'ailleurs proposé de construire une usine de regazéification à Gros Cacouna, au Québec. Cette communauté a bien accueilli ce projet, qui a obtenu toutes les approbations nécessaires. Il y a trois ou quatre mois, le projet a toutefois été abandonné en raison du manque de gaz naturel liquéfié.
Il y a actuellement une pénurie de gaz naturel liquéfié dans le monde.
Le sénateur Spivak : Je m'intéresse particulièrement à la gazéification du charbon. Il est si abondant qu'il vaudrait mieux le gazéifier.
M. Reid : Le gaz de houille est utilisé depuis longtemps. Au début du siècle dernier, il constituait une source importante d'énergie dans l'Est canadien et en Angleterre.
Le sénateur Spivak : De nos jours, toutefois, les méthodes de gazéification sont moins dommageables pour l'environnement.
M. Reid : En effet. Avec les réserves de charbon que nous avons la chance de posséder au Canada, le gaz houiller pourrait devenir une source d'énergie dans l'avenir.
Il y a également le méthane de houille. Il s'agit essentiellement de gaz naturel extrait des couches de charbon souterraines. Le méthane de houille provient principalement du bassin du Colorado, aux États-Unis, mais on commence à en extraire en Alberta. Ces puits sont cependant beaucoup moins productifs et leur forage est plus cher, car il faut généralement creuser plus profondément. C'est donc une ressource plus dispendieuse.
Cependant, l'exploitation va bon train au Colorado, et je m'attends à ce que cette ressource augmente.
Le sénateur Spivak : Les coûts de ce produit seraient-ils comparables ou supérieurs à ceux du gaz que transportera le pipeline?
M. Reid : À mon avis, le méthane de houille serait plus cher.
Le sénateur McCoy : Monsieur Reid, nous disposons des réserves prouvées de sables bitumineux les plus importantes au monde après celles de l'Arabie saoudite. Par rapport à ce que vous avez dit plus tôt, le pétrole ne viendra pas du large, mais bien des côtes. Ce n'est pas votre sujet, mais j'ai cru bon de le faire remarquer.
Je ne me rappelle pas les chiffres exacts, mais le coût actuel du pipeline s'élève à 16 milliards de dollars. Vous êtes confrontés au même problème que l'on trouve en Alberta, en Chine, en Inde et partout dans le monde : une augmentation effrénée des coûts. Je crois comprendre que ce problème a failli faire dérailler le projet de pipeline. Imperial Oil a même indiqué qu'elle n'était pas certaine d'aller de l'avant.
La question du sénateur Milne allait dans ce sens, mais permettez-moi d'être un peu plus direct. J'ai entendu dire que TransCanada PipeLines Limited s'approprierait le pipeline et que le gouvernement envisagerait de faciliter cette démarche pour que le projet soit mené à terme.
Si vous êtes libre de faire des commentaires, allez-y.
M. Reid : Je suis un peu limité. Lorsque le ministre Prentice s'est adressé à l'Association canadienne du gaz en juin dernier, ici, à Ottawa, il a encouragé les promoteurs à réinventer ou à reconfigurer le projet. Ce dernier fait l'objet de vifs débats d'ordre commercial au sein du partenariat et du gouvernement fédéral. Il s'agit de discussions confidentielles; je ne suis donc pas autorisé à parler de leur teneur. Les termes « réinventer » ou « reconfigurer » ont toutefois filtré sur la place publique.
Le sénateur Milne : Soit dit en passant, vous devez savoir que M. Reid a déjà travaillé pour TCPL.
Le sénateur McCoy : TCPL jouit d'une excellente réputation dans le domaine, tout comme Shell. Je crois que plus d'un se réjouiraient de voir votre ancien employeur diriger de nouveau le projet.
M. Reid : Il faudra attendre de voir ce qu'il en est.
Le sénateur McCoy : A-t-on conclu des ententes sur les répercussions et les avantages? L'APG a-t-elle prévu de participer et d'investir?
M. Reid : Oui, des ententes sont intervenues. Lorsqu'Imperial Oil traite avec les propriétaires dans chaque région autochtone, la société est obligée de conclure des ententes relativement à l'accès et aux contreparties, qui comprennent des clauses sur les répercussions et les avantages.
Le sénateur McCoy : Lorsque nous serons sur place, nous serons mieux à même de comprendre le rôle des Autochtones, qui pourront assurer une surveillance constante par l'entremise de leurs différents conseils de réglementation. Ce sera intéressant.
Monsieur Chambers, pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez? Votre secrétariat est, en fait, un facilitateur; il s'occupe de la logistique, notamment en recueillant des documents et en fixant des rencontres, mais il n'a pas de mandat de consultation. Or, on espérait beaucoup que les consultations soient plus vastes. D'ailleurs, une poursuite judiciaire, qui a provoqué un précédent, a permis d'éclaircir les droits constitutionnels des Autochtones.
Je sais que vous n'avez pas le temps d'expliquer toute l'affaire, mais pourriez-vous nous en dire un peu plus long à ce sujet?
M. Chambers : Il s'agit d'une poursuite que la Première nation des Dene Tha', au Nord de l'Alberta, a intentée contre la Commission d'examen conjoint, le gouvernement fédéral et d'autres parties. La Cour fédérale a tranché en faveur des Dene Tha', décision qu'a confirmée la Cour d'appel fédérale. Ceci dit, le gouvernement fédéral a par la suite accepté de verser un dédommagement à ce groupe autochtone, les tribunaux ayant jugé qu'il avait failli à son devoir de consultation dans l'établissement du processus d'examen du projet gazier du Mackenzie.
Comme vous l'avez indiqué, l'affaire est très compliquée, mais c'est essentiellement ce qui s'est passé. Ainsi que vous l'avez mentionné, les tribunaux ont tour à tour rehaussé les exigences relatives à l'obligation qu'ont les gouvernements et l'industrie de consulter les Premières nations au sujet de tout projet entrepris sur leur territoire.
Les organismes fédéraux de réglementation doivent, si le projet va de l'avant, consulter les Premières nations au sujet de toutes les licences ou de tous permis qui doivent être accordés pour assurer la réalisation du projet : mentionnons, par exemple, les autorisations de pêcher, les permis d'utilisation des terres, les permis donnant accès aux carrières de gravier et de granulés. Ces permis et licences, en ce qui concerne, du moins, les ministères fédéraux, sont assortis de l'obligation de consulter les Premières nations, chose qu'ils ont pleinement l'intention de le faire.
Le sénateur McCoy : La Première nation Dene Tha' ne fait pas partie de l'APG.
M. Chambers : Non.
Le sénateur Mitchell : Monsieur Chambers, vous avez laissé entendre que la commission ne déposera pas son rapport cet été, délai qui avait été fixé, en raison de la complexité ou de la portée des questions environnementales. Pouvez-vous nous dire, brièvement, quelles sont certaines de ces questions? A-t-on préparé un résumé de celles-ci, ou est-il encore trop tôt pour en parler?
Le président : Est-ce que l'ONE peut entamer ses travaux avant de recevoir le rapport?
M. Chambers : L'ONE doit attendre de recevoir les constatations et recommandations de la Commission d'examen conjoint. Comme le projet gazier Mackenzie doit faire l'objet d'une étude intergouvernementale en raison de la nature transfrontalière de celui-ci, l'office a confié à la commission la responsabilité d'effectuer une évaluation environnementale du projet. L'ONE a tenu des audiences et son travail est presque terminé. Il attend de voir le rapport et les recommandations de la Commission.
Je ne participe pas directement à l'examen des questions de fond sur lesquelles se penche présentement la Commission pour terminer son rapport. Voilà pourquoi je ne suis pas en mesure de vous parler du contenu de celui-ci et de ses recommandations.
Cela dit, le « Cadre de référence pour l'étude des effets environnementaux », document qui a servi de base pour la préparation de l'énoncé des incidences environnementales, et l'entente relative à la Commission d'examen conjoint, qui a permis à la commission de voir le jour, définit le mandat et les points que la commission doit prendre en considération dans son rapport.
J'aimerais profiter de cette occasion pour revenir sur certains commentaires qui ont été faits — et j'ai sans doute eu tort de ne pas le mentionner — concernant les changements qui sont survenus depuis que M. Berger a tenu des audiences, y compris depuis celles qui ont pris fin récemment. Bon nombre des revendications territoriales touchant la vallée du Mackenzie, la région désignée des Inuvialuit, ont été réglées. De nouveaux régimes d'évaluation environnementale ont été mis sur pied, ouvrant ainsi la voie à la participation des résidants du Nord à l'examen du projet. Quatre des sept membres de la Commission d'examen conjoint vivent dans le Nord. Ils viennent des régions visées par un règlement avec les Inuvialuit, les Gwich'in et le Sahtu, et le territoire Dehcho. Par conséquent, les résidants du Nord participent à l'examen et ont l'occasion de jouer un rôle important dans la réalisation de ce projet, s'il va de l'avant.
Le sénateur Mitchell : Les changements climatiques ont un impact sur les travaux de construction dans le Nord. Est- ce que ce facteur est pris en compte dans l'ingénierie du projet? Quelles sont les répercussions sur les coûts? Pour revenir aux changements climatiques, quel procédé entend-on utiliser pour assurer le torchage du gaz, son transport, et quelle incidence est-ce que cela va avoir sur les émissions de gaz à effet de serre?
M. Chambers : Encore une fois, je vais laisser à M. Reid le soin de vous répondre, mais la question que vous venez de poser a été soulevée à maintes reprises lors des audiences de la Commission d'examen conjoint et de l'Office national de l'énergie. Quelle incidence, par exemple, une hausse des températures aurait-elle sur la dégradation du pergélisol? Elle aurait, en tout cas, un impact sur la conception du pipeline. Ces questions ont été posées à maintes reprises, mais pour ce qui est des répercussions précises sur la conception du pipeline, sa construction, ainsi de suite, je vais m'en remettre à M. Reid.
M. Reid : L'impact des changements climatiques ou du réchauffement planétaire a été pris en compte dans la conception des installations de pipeline.
Du côté macroéconomique, la construction du projet se fera pendant les mois d'hiver, soit lorsque le sol est gelé, puisque celui-ci ne pourrait tout simplement pas supporter le poids de l'équipement lourd durant les mois d'été. Le réchauffement planétaire nous donne des hivers moins longs et des saisons de construction plus courtes. Pour cette raison, nous avons prévu, dans les plans, que la construction du pipeline se fera non pas sur deux, mais sur trois saisons d'hiver. Nous avons également prévu une saison d'hiver de plus pour la construction de l'infrastructure devant servir de base au pipeline. Tous ces facteurs ont été pris en compte dans le plan de conception.
Le sénateur Mitchell : Qu'en est-il du torchage du gaz?
M. Reid : Cette pratique n'est presque plus utilisée dans l'industrie. Elle est mal vue.
Le sénateur Brown : J'étais en train d'examiner les notes qui ont été distribuées lors du colloque de Calgary. Toutes vos données semblent concorder pour ce qui est des réserves probables, qui sont évaluées à 67 trilliards de pieds cubes. Celles de Prudhoe Bay totaliseraient 100 trilliards de pieds cubes. Les chiffres, dans le cas du méthanol, sont époustouflants. Le problème, c'est que le gaz est gelé dans la glace. Ils ne savent pas encore comment y avoir accès, et ils n'ont pas encore déterminé quand ils pourraient en assurer l'extraction et le raffinage. Toutefois, d'après leurs chiffres, les réserves de méthanol atteindraient 40 000 trilliards de pieds cubes. Est-ce que quelqu'un a mené une étude sur les techniques que l'on pourrait utiliser pour procéder à l'extraction du méthanol ou pour le dégager de la glace?
M. Reid : Je sais qu'il y a du méthanol dans cette région. Les quantités que vous avez mentionnées sont de cet ordre — c'est beaucoup plus que les réserves traditionnelles de gaz naturel que nous avons. À ma connaissance, personne n'a élaboré un procédé qui nous permettrait d'extraire, de manière rentable, ces ressources. J'imagine qu'il y a de nombreuses personnes qui se penchent là-dessus, mais aucun procédé économique n'a été mis au point.
Le sénateur Milne : Malheureusement, les gens qui se penchent là-dessus ne sont pas au Canada, mais au Japon. Ils investissent des millions dans la recherche sur le méthanol.
Le président : Sénateur Brown, avez-vous terminé?
Le sénateur Brown : Oui, je voulais tout simplement savoir si quelqu'un étudiait la question.
Le président : Monsieur Reid, vous avez dit que les Autochtones vont toucher des bénéfices importants de façon continue. Vont-ils également en recevoir lors de la construction du projet, qui va s'échelonner sur trois saisons?
M. Reid : Oui, absolument. L'objectif premier de l'APG est de verser des dividendes à long terme aux Autochtones, grâce à la part qu'ils détiennent dans le pipeline. Toutefois, comme nous faisons partie et du conseil et des comités responsables du projet, nous sommes en mesure de faire en sorte que les cahiers de charge, par exemple, visant la fourniture de matériaux et de services encouragent l'utilisation maximale des ressources du Nord — les entrepreneurs autochtones et autre chose du genre. Nous pouvons exercer une influence sur le projet en participant aux travaux des comités.
Le président : Vous avez dit que le nombre de parts s'élevait à 92. Est-ce qu'il en manque huit, ou y en a-t-il vraiment 92?
M. Reid : Votre calcul est exact. Dans un premier temps, huit parts ont été mises de côté pour d'autres collectivités autochtones des Territoires du Nord-Ouest qui ne sont pas situées le long du tracé du pipeline.
Le président : Donc, ces parts n'ont pas encore été attribuées.
M. Reid : C'est exact. Elles ne l'ont pas été. Nous nous concentrons maintenant sur les collectivités qui se trouvent dans le corridor.
Le sénateur McCoy : Un groupe a obtenu 34 parts, et l'autre, dix.
Le président : Il y a en a un qui a obtenu quatre parts.
M. Reid : Si l'on fait abstraction des huit parts qui ont été mises de côté pour les collectivités qui ne sont pas situées le long du tracé, les groupes se trouvant dans le corridor se sont vu attribuer des parts en fonction de la longueur du segment qui traverse chaque région autochtone.
Le sénateur McCoy : On procède selon la méthode linéaire.
Le président : C'est exact. Il reste huit parts. Si un autre joueur manifeste de l'intérêt, il pourra participer au projet.
Je voudrais revenir à ce que les sénateurs McCoy et Milne ont dit. Je sais que vous avez un parti pris. Toutefois, rien n'a encore été conclu. Vous avez dit que les banques se sont dites intéressées. Bien sûr qu'elles le seraient. Vous avez également dit que le projet est en train d'être reconfiguré. Si les coûts de construction et tous ces autres facteurs continuent de croître, il se pourrait, comme l'ont affirmé certains témoins, que la construction du brise-glace, qui permet maintenant aux pétroliers capables de naviguer dans les glaces de transporter du GNL, remette en question la pertinence du pipeline, vu qu'il ne serait plus perçu comme étant économiquement compétitif par les transporteurs de GNL. Est-ce que cette question préoccupe l'APG?
M. Reid : Pas pour l'instant, parce que nous considérons le GNL comme une source d'approvisionnement dont le développement se fera plus tard, après celui des autres ressources.
Le sénateur McCoy : Ils ont des droits sur un navire dans une grande usine de transformation de GNL.
Le président : En effet. Monsieur Chambers et monsieur Reid, merci d'être venus nous rencontrer.
Nous allons maintenant entendre le témoin le plus hautement recommandé qu'il nous a été donné d'accueillir, soit M. Donat Pharand, professeur émérite à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa.
Monsieur Pharand, comme vous l'avez entendu, nous prévoyons nous rendre dans le Nord. Les questions que nous allons examiner portent essentiellement sur l'impact des changements environnementaux — nous n'aimons pas l'expression « réchauffement planétaire »; nous préférons plutôt parler des « changements climatiques » — sur le Nord, ses résidants et le développement industriel de la région. Bien entendu, la souveraineté est rattachée à ce débat.
M. Pharand nous a été hautement recommandé. Il va nous parler des intérêts du Canada dans l'Arctique. Monsieur Pharand, je vous invite à être aussi bref et concis que possible.
[Français]
Donat Pharand, professeur émérite, faculté de Droit, Université d'Ottawa, à titre personnel : Monsieur le président, je ne sais pas si autour de la table certains d'entre vous sont de langue française, mais je le suis. Je n'ai entendu personne parler français, alors je présume que vous êtes tous de langue anglaise.
Quoi qu'il en soit, si vous désirez me poser une question en français, n'hésitez pas.
[Traduction]
Merci de m'avoir invité. C'est la deuxième fois que je comparais en deux ou trois semaines. Je me sens comme un étudiant qui a échoué à son examen et qui a la chance de se reprendre. Quoi qu'il en soit, je suis heureux d'être ici. Je vais essayer de faire de mon mieux pour vous venir en aide.
J'ai préparé une table des matières, ainsi qu'un résumé de dix ou 11 pages. Je n'ai pas l'intention d'en faire la lecture. Je vais tout simplement prendre la table des matières que vous avez devant vous et aborder les sept points mentionnés.
Vous avez fait allusion, de manière générale, aux changements climatiques et au réchauffement de l'Arctique. Avant de commencer, j'aimerais mentionner les deux grands effets que subit la banquise arctique, qui n'est pas la même chose que la calotte glaciaire — le Groenland est le seul territoire recouvert d'une calotte glaciaire. L'océan Arctique, lui, est parsemé de glaces flottantes, et c'est ce que nous appelons la banquise arctique qui, bien sûr, a tendance à rétrécir. Donc, les deux effets sont, d'abord, l'amincissement de la glace, et ensuite, le retrait de la banquise, retrait qui se fait la plupart du temps vers le centre.
Pour revenir à la table des matières, monsieur le président, il est 18 h 55. Vous avez été très patient. J'étais censé commencer à 18 h 30. Que diriez-vous si je restais jusqu'à 19 h 25? Vous auriez alors le temps de me poser des questions. Mon problème sera d'y répondre.
Le président : Nous vous écoutons.
M. Pharand : Mon exposé s'intitule « La souveraineté du Canada dans l'Arctique et le passage du Nord-Ouest ». Il faudrait toujours définir les termes qu'on utilise. J'ai une formation en droit — j'ai passé ma vie à essayer de définir des termes. Hier soir, j'ai écouté pendant cinq minutes environ l'entrevue accordée par le ministre Lunn au réseau CBC. L'interviewer était manifestement confus quand il parlait de la souveraineté du Canada dans l'Arctique. Il abordait trois ou quatre sujets, dont un seul portait sur la souveraineté. Définissons ce terme avant d'aller plus loin — la souveraineté territoriale, non pas politique. La souveraineté territoriale s'entend des frontières — de l'ensemble des compétences exclusives qu'un État peut exercer sur tous les domaines possibles. Il s'agit d'une compétence exclusive qui s'exerce non seulement horizontalement, mais aussi verticalement. Cela ne veut pas dire que si ma souveraineté s'étend à l'espace aérien, je n'accorderai pas le droit à d'autres États de le survoler. Le Canada et la plupart des pays n'ont aucun choix à cet égard, l'accès à l'espace allant en s'accroissant. C'est d'ailleurs à l'avantage de tout le monde. Nous avons des conventions multilatérales qui prévoient la liberté de navigation dans l'espace aérien d'un État. Toutefois, le concept de la souveraineté est le suivant : elle est absolue, et elle s'exerce et à la verticale et à l'horizontale.
Nous devons tenir compte des îles et des eaux. Il y a une distinction entre les deux. Il ne fait aucun doute que la souveraineté du Canada s'étend à toutes les îles de l'archipel arctique canadien. Cette souveraineté n'a été contestée que deux fois : d'abord, en 1920, par le Danemark, qui partageait l'avis de son explorateur Knud Rasmussen, selon lequel l'île Ellesmere était une sorte de zone grise et que les Esquimaux du Groenland, comme on les appelait à l'époque, avaient le droit de chasser le boeuf musqué sur l'île Ellesmere. En 1920, le Canada n'était pas un pays indépendant. Il a donc demandé à la Grande-Bretagne d'envoyer une petite note, ce qu'elle a fait. La question a été réglée, et sa souveraineté n'a plus été remise en cause.
Ensuite, en 1928, Otto Sverdrup, un grand explorateur norvégien, a passé deux ans dans des îles situées à l'ouest de l'île Ellesmere. Il s'agit de trois grandes îles connues sous le nom d'îles Sverdrup. Il aurait pu revendiquer la souveraineté de ces îles au nom de la Norvège. En effet, tout portait à croire que la Norvège le ferait.
À la longue, après plusieurs échanges de vues et quelques pourparlers, une entente a été conclue. Le Canada a versé une somme représentant les débours de l'explorateur sur une période de deux ans ou plus. Le pauvre homme est mort avant que l'entente ne soit conclue. C'est sa conjointe qui a reçu l'argent.
En 1930, le Canada et la Norvège ont conclu un traité bilatéral en vertu duquel la Norvège reconnaissait la souveraineté du Canada sur les îles Sverdrup, mais à une condition. La note diplomatique disait, au nom de la Norvège, que cela n'impliquait pas la reconnaissance de la soi-disant théorie des secteurs. La Norvège avait tout à fait raison. Depuis 1904, le Canada publie des cartes dont les frontières sont délimitées par le 141e méridien de longitude nord, et par le 60e méridien de longitude est. Nous avons dit que nous n'inclurions pas une partie du Groenland et avons utilisé comme point de départ le 60e méridien au nord du Groenland.
Il est absolument inutile en droit international de fonder toute revendication de souveraineté sur l'espace terrestre ou — encore moins — sur l'espace maritime. Toutefois, l'idée était bonne. En 1907, Joseph Bernier explorait la région au nom du Canada. Le sénateur Pascal Poirier, un grand acadien très patriotique, a pensé qu'il serait beaucoup plus simple pour le Canada de revendiquer tout le territoire situé entre les 141e et 60e méridiens. Toutefois, John Cartwright, le représentant du gouvernement au Sénat, jugeait qu'ils allaient trop vite. Personne n'a appuyé la motion et la théorie des secteurs a été abandonnée, bien que le Canada ait essayé, à l'occasion, de l'utiliser. Plusieurs politiciens, même l'ancien premier ministre Lester B. Pearson, a proposé que le Canada invoque cette théorie.
Quant aux îles, elles ne soulèvent aucun problème. Même le président des États-Unis a dit, l'an dernier, lors d'une conférence de presse donnée à Ottawa, qu'il ne contestait pas la souveraineté du Canada sur ces îles. Il se pose toutefois des questions au sujet de l'espace maritime. Nous allons y revenir plus tard.
Il y a une erreur au point 3 de la version anglaise de la table des matières. Elle ne correspond pas au texte. Il faudrait lire, à la place de « Canada's sovereignty », « Canada's sovereign rights ». Vous allez le voir à la page 2 du texte.
Quelle est la différence? La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer a été adoptée en 1982. Toutefois, elle n'est pas entrée en vigueur en 1982 et n'a pas uniquement fait l'objet de négociations en 1982. Croyez-le ou non, il a fallu attendre 14 ans avant qu'elle ne soit adoptée, en 1982. Elle n'est entrée en vigueur que le 6 novembre 1994, après avoir été ratifiée par 60 pays.
Aujourd'hui, 155 pays au total ont signé la convention. J'ai la liste, si vous voulez savoir qui l'a fait ou non.
La convention définit le droit de la mer. Il y a très peu de domaines qui ne sont pas inclus. Je vous dirai plus tard quels sont ceux sur lesquels les États n'arrivaient pas à s'entendre.
Pourquoi parle-t-on de droits « souverains » sur le plateau continental, et non pas de « souveraineté »?
Il faut d'abord voir ce qu'on entend par le plateau continental. Il s'agit du prolongement naturel du territoire terrestre sous la mer. Et ce prolongement est essentiellement géologique.
En ce qui concerne les eaux qui recouvrent le plateau continental, les droits souverains portent sur les ressources du fond marin et du sous-sol, mais pas sur les eaux sur-jacentes, sauf dans la zone économique exclusive de 200 milles. Dans le cas du Canada, autant sur la côte Est que dans l'Arctique, le plateau continental s'étend au-delà de la limite de 200 milles.
Toutefois, même à l'intérieur de cette limite, là où l'État côtier a le plein contrôle et la propriété exclusive des ressources, le statut juridique des eaux ne change pas. La liberté de navigation et de survol continue de s'appliquer.
C'est la raison pour laquelle je dis qu'il y a une erreur dans le document. Il ne s'agit pas de souveraineté. Si c'était le cas, à titre d'État côtier, vous auriez un contrôle complet sur les espaces aérien et maritime. Je le répète, la liberté de navigation et de survol de l'espace aérien demeure.
Bien sûr, nous avons des problèmes de délimitation; ce sont ce que j'appelle des délimitations latérales. Nous sommes en litige avec les États-Unis dans la mer de Beaufort, près de Prudhoe Bay. Vous vous rappelez sans doute qu'en 1968, puis en 1969, on a fait des essais avec le pétrolier SS Manhattan, qui transportait de l'eau et non du pétrole.
Par la suite, nous avons tenté d'établir notre frontière maritime. Comment pourrons-nous déterminer où se situe la frontière du plateau continental entre les États-Unis et le Canada?
Nous faisons face également à un autre problème de délimitation, cette fois-ci avec le Danemark, dans la mer Lincoln. En 1974, nous avons conclu un accord bilatéral de délimitation du plateau continental avec ce pays. Cependant, nous ne sommes pas parvenus à nous entendre sur deux zones : la première est située dans la mer Lincoln, et la seconde dans le détroit de Nares, là où il y a un gros rocher qu'on appelle l'île Hans. Cela a généré beaucoup de publicité inutile, à mon avis, mais c'est ainsi.
Comment réglerez-vous ces problèmes de délimitation latérale? Malheureusement, la Convention sur le droit de la mer ne prévoit rien de précis en ce sens. Elle indique que deux États, par exemple le Canada et les États-Unis, doivent parvenir à une solution équitable. Mais l'équité, comme le péché, c'est difficile à définir. Tout le monde est pour la vertu et contre le péché, mais qu'est-ce que le péché? Ma définition est probablement bien différente de la vôtre, et elle n'est plus la même que lorsque j'étais jeune.
Quoi qu'il en soit, que ferez-vous? La convention ne prévoit pratiquement rien — les avocats et les politiciens ne se sont pas entendus sur quelque chose de clair — et nous avons donc maintenant un certain nombre de décisions de la Cour internationale de justice de La Haye; plus nous en avons, plus cela devient précis. La cour établit indirectement une liste des soi-disant critères équitables, tels que la longueur et la configuration de la côte. Est-elle convexe ou concave? Ai-je fait une utilisation historique d'une certaine ligne? Le Canada dit que nous avons utilisé le 141e méridien sur une courte distance pour déterminer la compétence administrative entre les États-Unis et notre pays; nous pensons donc que l'on devrait se fonder sur le 141e méridien. Compte tenu de la concavité de la côte canadienne, il est à l'avantage des États-Unis de dire que ce devrait être la ligne d'équidistance. Pourquoi? La ligne d'équidistance va à l'est, en quelque sorte, du 141e méridien. Toutefois, ce n'est pas un problème important. La cour internationale ou un tribunal d'arbitrage spécial trancheront la question, de la même manière qu'on l'a fait pour la mer Lincoln.
Qu'en est-il de la mer? Quelle est la limite extérieure du plateau continental du Canada? Soit dit en passant, la dorsale Lomonosov traverse presque le pôle Nord. Elle a été découverte par un scientifique russe. N'oubliez pas que l'Union soviétique a commencé en 1937 à étudier les fonds marins, le bassin Arctique, avec des stations scientifiques flottantes. Actuellement, elle en est à sa trente-septième. En 1964, elle a publié une carte géologique du bassin Arctique. Je ne crois pas que les États-Unis aient pu produire quelque chose de plus précis depuis, même s'ils ont effectué de nombreuses études. En ce moment, la Russie, le Canada et le Danemark recueillent des données géologiques. De ce côté-ci du pôle, même s'il y a une barrière physique, cela ne signifie pas qu'il y ait une barrière géologique si la dorsale Lomonosov est une continuation de la masse terrestre du Canada, ou plus précisément du plateau continental du Canada. La Russie fait la même chose de l'autre côté du pôle. Elle a déjà soumis ses données à la Commission des limites du plateau continental des Nations Unies. Elle a encore quelques années devant elle. Le Canada a ratifié la convention, qui est entrée en vigueur le 7 décembre 2003. Chaque État a dix ans pour produire ses données devant la commission. La Russie a dépassé ce délai et a obtenu une prolongation.
Sachez pour commencer que la commission n'a pas l'autorité ni la compétence pour trancher les litiges relatifs aux revendications concurrentes. Tout ce qu'elle peut faire, c'est émettre des recommandations et espérer que les parties les acceptent. Dans le cas contraire, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer prévoit un système complexe de règlement des différends. Tous les États qui ratifient la convention doivent accepter au moins un des cinq ou six — je ne me souviens plus exactement — mécanismes de règlement des différends que prévoit la convention.
Le principal problème, actuellement, c'est de déterminer l'étendue du plateau continental, c'est-à-dire le plateau, le talus et le seuil. Il faut établir où se situe la base du talus.
La limite extérieure du plateau continental peut être déterminée de deux façons : par la méthode géologique, à partir de l'épaisseur des roches sédimentaires, et par la méthode physiographique ou géodésique. La limite extérieure se situe à 350 milles marins des lignes de base droites, qui servent à mesurer les eaux territoriales, ou à 100 milles marins de l'isobathe de 2 500 mètres. Ne me demandez pas d'entrer dans les détails. Si vous me posez des questions, j'essaierai d'y répondre, mais pour ce point précis, il faudrait que je demande l'aide de quelqu'un comme Ron McNab, géophysicien et membre de la Commission canadienne des affaires polaires. C'est très complexe, même pour un avocat qui prétend peut-être en savoir davantage qu'il n'en sait en réalité.
En ce qui a trait aux eaux arctiques, oui, nous en revendiquons la souveraineté, particulièrement depuis 1985. Cette année-là, le Polar Sea, un brise-glace américain, a refusé de demander au Canada la permission de pénétrer dans ses eaux. Nous avons dit aux Américains : « Demandez-nous la permission, et nous vous l'accorderons. » Ils ont refusé. Ils nous défiaient. Joe Clark, le ministre des Affaires étrangères de l'époque, sous les pressions de nombreuses personnes, a établi un système de lignes de base droites, qui est entré en vigueur le 1er janvier 1986. L'Union soviétique avait déjà adopté un tel système début 1985.
On utilise des lignes de base droites pour établir une zone s'étendant jusqu'à 12 milles de la côte lorsque celle-ci est profondément découpée ou bordée par un archipel. La Norvège a eu le même problème dans l'affaire Anglo-Norwegian Fisheries en 1951. Elle s'est rendue devant la Cour internationale de justice de La Haye. La cour a conclu : « Oui, en Norvège, vous avez une côte fortement échancrée ainsi qu'un archipel. Par conséquent, vous avez le droit d'utiliser des lignes de base droites à travers les indentations et en joignant les îles extérieures, et d'établir les eaux territoriales de 12 milles, et selon les mêmes lignes de base, de déterminer votre zone économique exclusive de 200 milles. » Auparavant, c'était trois et quatre milles, mais c'est maintenant 12.
Malheureusement, les États-Unis soutiennent que notre archipel ne s'étend pas dans la bonne direction, car la convention et la décision de la cour indiquent qu'il doit s'agir d'un archipel côtier et que les lignes de base droites doivent être tracées selon la direction générale de la côte. Les Américains disent que notre archipel s'étend en direction nord et ne suit pas la direction des côtes Est et Ouest du Canada.
Tout dépend de la carte que vous consultez. Si vous prenez la terre et que vous l'aplanissez, vous aurez assurément une distorsion. Sans rien vouloir enlever à Mercator, qui a conçu ce type de projection, nous avons maintenant, en fait depuis 1988, une projection bien moins déformée. Je vous ai fait préparer ceci. C'est une carte du monde qui a été produite par la National Geographic Society en 1988, plus précisément par un géographe du nom de Robinson. On y voit encore un peu de distorsion, mais beaucoup moins. Plus vous allez vers le nord, plus il y a de distorsion.
Lorsque vous regardez cette carte, vous pouvez voir que l'archipel côtier du Canada suit la direction générale de la côte. Quoi qu'il en soit, nous sommes toujours aux prises avec ce problème.
Une autre exigence a été établie par la Cour internationale de justice en 1951, et elle est aussi énoncée dans la convention. Il doit y avoir un lien étroit entre la terre et la mer, entre les îles et les eaux encerclées. Cela s'explique par le fait que les zones maritimes à l'intérieur des lignes de base, y compris celles du passage du Nord-Ouest, ont le statut d'eaux intérieures. Cela signifie que l'État côtier a la souveraineté absolue sur ces eaux autant que sur les espaces terrestres.
Pour vous rassurer un peu, j'ai fait mesurer le rapport terre-mer par un hydrographe. La Norvège avait un rapport de 3,5 pour 1, qui a été approuvé par la cour, alors que le Canada, après qu'on eut tracé les lignes de base en 1985, avait un rapport de 0,822 pour 1. Cette exigence juridique est donc très valable.
En dépit du fait que ce sont des eaux intérieures, celles-ci englobent le passage du Nord-Ouest. Les États-Unis considèrent qu'il s'agit d'un détroit international. Malheureusement, en vertu de la Convention sur le droit de la mer, nous ne pouvons pas être d'accord avec eux. Qu'est-ce qu'un détroit international au juste? À l'époque, j'ai proposé une définition à la délégation canadienne. J'ai suggéré un détroit qui a servi historiquement de route utile au trafic international. Les États-Unis, bien entendu, n'accepteraient jamais cela. Ils ont d'ailleurs dressé une liste des détroits — 113, si ma mémoire est bonne —, dont le passage du Nord-Ouest, malgré le fait qu'à l'époque, seulement 50 traversées par des navires étrangers avaient eu lieu. Même aujourd'hui, depuis le premier passage par le NGCC Amundsen, qui a duré trois ans, soit de 1903 à 1906, l'utilisation de ces diverses routes se limite à 69 traversées complètes jusqu'à la fin de 2005. Ces dernières années — je n'ai pas les chiffres exacts —, on parle d'environ 15 traversées.
Ce n'est certainement pas le critère établi par le seul arrêt qui existe. Comme je l'ai déjà mentionné, aucune définition ne figure dans la Convention sur le droit de la mer; par conséquent, on ne peut s'appuyer que sur la jurisprudence, et le seul arrêt est celui de l'affaire du détroit de Corfou de 1949. Dans cet arrêt, la cour a statué qu'un passage doit avoir connu un niveau suffisant de navigation internationale pour qu'on puisse le qualifier de détroit international. Ce sont les mots qui ont été employés.
Autrement dit, le problème entre nous et les États-Unis tient à une définition. Il est évident que les États-Unis se fondent sur un critère d'utilisation potentiel, plutôt que sur une utilisation réelle. J'ignore quels sont leurs arguments. Permettez-moi d'être un peu plus précis.
À la fin de 2005, 69 navires étrangers avaient traversé le passage, dont 20 étaient de petites embarcations de plaisance. Celles-ci sont plus susceptibles de se retrouver coincées et d'avoir besoin d'être secourues par la Garde côtière canadienne. En 1969, il y a eu deux traversées par le SS Manhattan, 18 par des brise-glace, pour la plupart américains, et 29 par des navires de croisière, que nous voyons de plus en plus fréquemment. Au cours des dernières années, je pense qu'il y a eu 15 ou 16 bateaux de croisière.
Au point 6 de mon mémoire, lorsque je parle de l'internationalisation du passage, aujourd'hui, en 2008, il est absolument impossible que la cour internationale statue qu'il y a eu suffisamment de traversées par des navires étrangers pour ouvrir le passage du Nord-Ouest et ses sept routes possibles à la navigation internationale. Cela étant dit, il est toujours possible qu'une utilisation suffisante puisse se développer si le Canada ne prend pas de mesures de contrôle. Il suffirait de relativement peu de navigation internationale pour que le passage du Nord-Ouest soit reconnu officiellement en tant que détroit international.
Si ça se trouve, la différence est immense, et c'est la raison pour laquelle les États-Unis maintiennent qu'il s'agit d'un détroit international. La différence réside dans les types de droits de passage. Un nouveau droit de passage en transit, qui paraît inoffensif, s'appliquerait. Toutefois, il n'est pas inoffensif du tout. Ce droit permet la liberté de navigation et le survol sans entrave, pratiquement comme en haute mer.
Je dis cela car cette liberté s'étend à tous les navires, y compris les navires de guerre et les sous-marins — selon leur mode normal de navigation, autrement dit, sous l'eau; contrairement à la première convention de 1958, les navires de guerre, même lorsqu'ils avaient un droit de passage, devaient naviguer en surface dans les eaux territoriales. Ce sont des eaux intérieures. N'empêche que si la navigation étrangère atteint un niveau suffisant, le nouveau droit de passage en transit s'appliquera et les sous-marins auront le droit de se déplacer en étant submergés. Je ne crois pas que c'est ce que nous voulons.
À partir de la page 8, vous trouverez dix mesures qui, selon moi, devraient être prises. Toutefois, il y en a quelques- unes, monsieur le président, sur lesquelles je dois insister.
Pourquoi n'avons-nous pas de système obligatoire de trafic maritime, contraignant les navires étrangers à obtenir notre permission ou, du moins, à nous aviser avant de procéder dans les eaux arctiques? Il est inconcevable qu'à l'heure actuelle, le seul système dont nous disposions soit le NORDREG, qui se veut un système volontaire. La preuve qu'il est volontaire — et que ce n'est pas seulement le règlement qui le dit —, c'est que lorsqu'un navire étranger avise le Canada qu'il souhaite pénétrer dans le détroit de Lancaster, par exemple, nous ne lui accordons pas la permission; nous émettons plutôt un accusé de réception. C'est loin d'être suffisant.
J'ai également proposé que le Canada se dote d'au moins un brise-glace polaire. Je ne veux pas dire 12 brise-glace nucléaires semblables à ceux de l'Union soviétique. Je parle ici de un ou de deux brise-glace polaires de classe 8, comme celui dont le gouvernement avait autorisé la construction en 1985 et consacré des millions de dollars à la préparation, qui s'est échelonnée sur quatre ou cinq ans. Le gouvernement suivant a ensuite annulé l'initiative puisqu'il ne pouvait pas en assumer les coûts. Aujourd'hui, nous nous retrouvons avec rien. Les jours du Louis S. St-Laurent sont comptés. Les quelques autres que nous avons se font très vieux et ne seront opérationnels que pour quelques mois encore. Nous avons, bien entendu, l'Amundsen — autrefois le Sir John Franklin — un navire scientifique. Il est en bon état, mais aucun de nos brise-glace n'est capable d'exercer un contrôle absolu sur les eaux que nous prétendons être les nôtres.
Il y a un règlement, pris en 1972 en vertu de la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques de 1970, qui régit certaines zones, telles que le détroit de McClure, régulièrement bloqué par les glaces pluriannuelles. Nous n'avons pas de brise-glace capables de naviguer dans ces eaux. De toute évidence, étant donné le réchauffement climatique, ces deux dernières années, cela a été plus facile. Il convient de mentionner qu'on n'avait jamais navigué dans le détroit de McClure avant l'année dernière. La raison pour laquelle on l'a appelé le détroit de McClure, c'est parce qu'un explorateur du nom de McClure a parcouru la moitié de sa distance, et on lui a attribué son nom.
Le SS Manhattan l'a découvert en 1969. Il avait parcouru la moitié du chemin, mais avait dû faire demi-tour et suivre le détroit du Prince-de-Galles. Il n'a pas pu le franchir. Même lorsque la glace pluriannuelle fond suffisamment et que le détroit de McClure devient navigable durant une partie de l'année, la glace descend du canal McClintock jusqu'au détroit de Victoria, puis le bloque.
J'ai passé 28 jours à bord du Sir John Franklin en 1989, et il nous a fallu huit jours pour traverser le passage du Nord-Ouest. Toutefois, à un certain endroit, compte tenu de la glace qui descendait, nous sommes restés coincés pendant une journée et avons parcouru au maximum 15 milles. Imaginez, nous avons traversé tout le passage du Nord- Ouest en huit jours. Même si la glace fond, sachez que les immenses blocs de glace forment tout un mur; je peux vous l'assurer. Il est impossible de le franchir, à moins d'avoir un brise-glace polaire de classe 10. Chose certaine, un brise- glace de classe 4, 5 ou 6 n'est pas suffisant.
La protection du milieu marin de l'Arctique est délicate. Un déversement massif de pétrole, soit par un navire ou un pipeline, endommagera notre écosystème vulnérable, peut-être même de façon irréversible. C'est pourquoi le Canada a adopté, en 1970, la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques, et pourquoi la délégation canadienne a travaillé si fort, de concert avec l'Union soviétique, sur la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, l'UNCLOS, pour y inclure une disposition autorisant un État côtier, tel que l'Union soviétique et le Canada, à prendre des mesures particulières dans des zones recouvertes de glace pour s'assurer que les navires qui y circulent sont en ordre et dotés, notamment, d'une double coque.
Effectivement, l'article 234 de l'UNCLOS vient pratiquement confirmer la Loi de 1970 sur la prévention de la pollution des eaux arctiques et son règlement d'application de 1972. L'article 234 stipule :
[...] font obstacle à la navigation ou la rendent exceptionnellement dangereuse, et que la pollution du milieu marin risque de porter gravement atteinte à l'équilibre écologique ou de le perturber de façon irréversible.
Plusieurs mesures sont prises par le Conseil de l'Arctique, auquel siège le Canada. Celui-ci a déjà adopté un Plan stratégique pour les mers arctiques, une Évaluation de la navigation maritime dans l'Arctique, et est sur le point d'établir un code de lignes directrices uniformes qui s'appliquerait sur toutes les zones de l'Arctique recouvertes de glace en vue de faciliter l'application du Règlement canadien sur la prévention de la pollution des eaux arctiques.
Je répondrai à vos questions avec plaisir.
Le président : D'après ce que j'ai compris, les États-Unis n'ont pas encore ratifié l'UNCLOS, n'est-ce pas?
M. Pharand : Je suis content que vous en parliez. Les États-Unis se sont rendu compte que pour tirer avantage de l'UNCLOS, ils devaient la ratifier étant donné qu'ils sont non seulement concernés par la dorsale Lomonosov, mais aussi par une dorsale au nord du Canada ainsi qu'une autre petite au nord de l'Alaska et du Canada. Les États-Unis ont compris qu'ils avaient besoin de la convention et l'ont présentée au Sénat américain. Comme vous le savez, aux États-Unis, la ratification exige un vote à la majorité des deux tiers des membres. Le président Bush s'est finalement prononcé en faveur de la convention.
Le président : Par conséquent, les États-Unis, en vertu du droit international, ne pourraient revendiquer des droits sur le plateau continental que s'ils ratifient l'UNCLOS. Est-ce exact?
M. Pharand : Oui et non. Oui, selon la délimitation latérale de la mer de Beaufort entre le Canada et les États-Unis. Il y a une jurisprudence suffisante en matière de droit coutumier dans les décisions rendues par la Cour internationale de justice, notamment l'affaire du Golfe du Maine, en 1985, qui a opposé le Canada et les États-Unis, même si les États- Unis ne reconnaissent pas la compétence de la Cour étant donné que tous les États peuvent y présenter un cas particulier. Les États-Unis et le Canada ont convenu, en 1985, que la cour internationale tranche le litige concernant le banc Georges, situé dans le golfe du Maine. Par conséquent, la réponse à votre question est oui, en fonction de la délimitation latérale établie par le droit coutumier. Mais en même temps, la réponse est non, conformément à la nouvelle loi sur la limite vers le large de la plateforme continentale.
Le président : Dans ce cas, il serait tout à l'avantage des États-Unis de devenir signataire de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer.
M. Pharand : Absolument. Le pire dans tout cela, c'est que la délégation américaine a été très utile dans le cadre de ces 12 années de négociations. On a pu tirer profit de leur expertise; ils ont donc apporté une contribution considérable. Évidemment, ils se sont opposés à certaines choses, notamment en ce qui concerne la question des détroits, mais dans l'ensemble, c'est dommage; ils ont de l'expertise à revendre.
Le sénateur Sibbeston : Merci, monsieur, pour votre présentation des plus intéressantes. Je viens des Territoires du Nord-Ouest. Je m'intéresse particulièrement à ce que vous dites au sujet de la souveraineté et à son incidence sur les peuples inuits habitant dans l'Arctique. Leur présence là-bas peut-elle justifier la souveraineté?
M. Pharand : Je suis heureux que vous me posiez la question. Si j'avais eu plus de temps, j'aurais parlé des lignes de base. Les États-Unis s'opposent non seulement aux lignes de base en général, mais aussi à quelques-unes en particulier, dont celles qui traversent le détroit de Lancaster, à 60 milles, le détroit de McClure et le golfe d'Amundsen, à 100 milles.
Le Canada pourrait faire exactement ce que la Norvège a fait en 1951 dans l'affaire des Pêcheries norvégiennes. La Norvège a invoqué des droits de pêche traditionnels réservés à la population locale s'étendant jusqu'à 50 milles. Le Royaume-Uni s'est donc inscrit en faux contre cet argument en contestant la validité de cette ligne. Je dirais que le Canada pourrait en faire autant. Il est sans conteste que les Inuits utilisent les eaux et la banquise du golfe d'Amundsen, du détroit de Barrow et du détroit de Lancaster, pour ne nommer que ceux-là, depuis la nuit des temps. Le Canada peut sûrement invoquer ces intérêts et droits vitaux pour consolider son titre sur les eaux encerclées. Je ne parle pas ici de l'acquisition d'un titre historique car, à mon avis, celui-ci est impossible à prouver. En revanche, le Canada peut invoquer l'utilisation traditionnelle de ses eaux par les Inuits afin de consolider la validité des lignes de base droites. Vous avez entièrement raison. Je n'avais pas eu le temps d'aborder la question du titre historique, alors je vous remercie pour cette question.
Le président : Nous avons tous été à l'école, mais nous en savons maintenant beaucoup plus grâce à vous et nous vous en sommes très reconnaissants. Nous serons beaucoup mieux préparés pour poser nos questions. Si d'autres questions nous viennent à l'esprit plus tard, j'espère que vous accepterez d'y répondre par écrit.
M. Pharand : Avec plaisir. Comme vous le savez, la Chine a des intérêts non seulement dans l'Antarctique, mais aussi dans l'Arctique, et elle a l'intention d'envoyer un navire scientifique dans l'océan Arctique qui se rendra jusque dans l'Antarctique, en passant par l'Atlantique. Cela devrait avoir lieu le mois prochain. Des représentants de l'Ocean University of China m'ont demandé de me rendre là-bas afin de les entretenir de la question du statut juridique de l'Arctique en général. Je serai donc à l'étranger de la mi-juin à la mi-juillet. Cependant, si je peux me rendre utile pendant que je suis ici, cela me fera plaisir de vous aider.
Merci, monsieur le président et honorables sénateurs. Cette séance m'a beaucoup plu. J'ai pris ma retraite il y a une vingtaine d'années, et l'enseignement me manque. J'adorais enseigner, et malgré mes 85 ans, bientôt 86, vous m'avez donné la chance de le faire ce soir, et j'ai l'impression d'avoir rajeuni.
Le président : Merci, monsieur, vous nous avez rajeunis aussi.
Le sénateur Sibbeston : Nous pourrions étudier la documentation puis, dans quelques semaines, vous pourriez revenir et nous faire subir un examen.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Pharand. Nous vous sommes très reconnaissants.
La séance est levée.