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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 11 - Témoignages du 17 juin 2008


OTTAWA, le mardi 17 juin 2008

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-33, Loi modifiant la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, 1999, se réunit aujourd'hui, à 18 h 15, pour en faire l'examen.

Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir, mesdames et messieurs. Merci de votre patience. Soyez les bienvenus à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles au cours de laquelle nous étudierons le projet de loi C-33, Loi modifiant la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, 1999. Avant de commencer, j'aimerais rapidement vous présenter les membres du comité.

À mon extrême gauche, le doyen du Sénat, du Nunavut, le sénateur Willie Adams; à sa droite, le sénateur Trenholme Counsell, représentant le Nouveau-Brunswick; à sa droite, le sénateur Grant Mitchell d'Edmonton, en Alberta; et enfin, à sa droite, le sénateur Lorna Milne, de l'Ontario. À votre gauche, vous avez le sénateur Mira Spivak, du Manitoba; le sénateur Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest; et le sénateur Bert Brown, de l'Alberta.

Le projet de loi C-33 confère au gouvernement le pouvoir de réglementer le contenu en combustibles renouvelables dans les carburants en modifiant la Loi canadienne sur la protection de l'environnement. Nous accueillons aujourd'hui l'honorable Gerry Ritz, C.P., député, ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire et ministre de la Commission canadienne du blé; Bruce McEwen, chef, Section du pétrole, Énergie et Transports, Environnement Canada; et Victoria Orsborne, chef intérimaire, Politiques sur les carburants, Office de l'efficacité énergétique, Ressources naturelles Canada.

Monsieur le ministre, merci d'avoir pris le temps de comparaître devant nous aujourd'hui, et merci également à Mme Orsborne et à M. McEwen.

L'honorable Gerry Ritz, C.P., député, ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire et ministre de la Commission canadienne du blé : Veuillez m'excuser du retard. Nous étions très occupés à la Chambre. Je vous remercie de votre indulgence.

Je suis heureux d'être ici aujourd'hui pour parler du projet de loi sur les carburants renouvelables et des modifications envisagées à la Loi canadienne sur la protection de l'environnement ou LCPE.

Pour le bien de nos agriculteurs, du Canada rural, de l'environnement et de tous les Canadiens, je vous prierais respectueusement de faire avancer ce projet de loi. Si le projet de loi C-33 n'est pas adopté avant l'été, le marché créé par la norme sur le carburant renouvelable, en prévision de l'échéance de 2010, sera, dans le meilleur des cas, terriblement ralenti. Et dans le pire des cas, les investisseurs retireront leurs billes et les fonds s'épuiseront.

Je constate que vous avez présenté quelques études ce matin sur le Canada rural et sur les coûts de la production agricole, et j'y reviendrai plus tard dans mon exposé.

Il sera extrêmement difficile de trouver les sommes nécessaires pour continuer de financer les projets qui sont mis en œuvre. La plupart d'entre eux seront fragilisés s'ils ne sont pas tout simplement abandonnés. L'industrie n'en n'est qu'à ses débuts. Tous les grands projets qui s'ajoutent actuellement ou sont déjà en production seront également touchés si le projet de loi C-33 est retardé. Sans compter que toutes les possibilités de projets de prochaine génération prometteurs, faisant intervenir de nouvelles technologies et entreprises canadiennes, seront anéanties avant même d'avoir pris leur élan.

Deux programmes gouvernementaux seront sévèrement touchés si ce n'est complètement démantelés, puisqu'ils ne susciteront aucun intérêt sans investissement ou financement de l'extérieur. Il s'agit de l'Initiative pour un investissement écoagricole dans les biocarburants, IIEB, dotée d'un budget de 200 millions de dollars, qui aide les producteurs et les collectivités rurales à investir dans différents projets, et du fonds de prochaine génération de 500 millions de dollars, de l'organisme Technologies du développement durable Canada, TDDC, qui vise à commercialiser l'éthanol cellulosique et les biocarburants de prochaine génération produits à partir des déchets.

Permettez-moi de souligner un certain nombre de projets qui, selon l'industrie, subiront de plein fouet les contrecoups de tout délai supplémentaire. Parmi les projets qui sont déjà bien amorcés et qui subiront les conséquences ou seront tout simplement éliminés, mentionnons un projet de prochaine génération, évalué à 100 millions de dollars, qui exploite les déchets des lieux d'enfouissement municipaux et les résidus agricoles au Québec; un projet semblable, mais de plus grande envergure, dans l'Ouest du Canada, estimé à 150 millions de dollars; l'agrandissement d'une installation dans le sud-ouest de l'Ontario, d'une valeur de 200 millions de dollars; trois nouveaux projets en cours d'élaboration en Ontario, qui bénéficient d'une importante participation de producteurs et dont le coût s'élève à 400 millions de dollars; un grand projet de production de biodiésel dans les Prairies de 100 millions de dollars; un important projet de production de biodiésel au Québec de 50 millions de dollars; la première usine au monde de production commerciale d'éthanol cellulosique dans les Prairies, qui utilise des résidus agricoles, qui devrait coûter 300 millions de dollars; un projet de production d'éthanol cellulosique en Colombie-Britannique, évalué à 100 millions de dollars, qui exploite le bois contaminé par le dendroctone et les déchets forestiers; un grand projet d'usine de production d'éthanol appartenant aux producteurs en Saskatchewan, estimé à 100 millions de dollars; un important projet de production d'éthanol dans les Maritimes d'une valeur de 100 millions de dollars.

L'investissement total dans les projets individuels s'élève à environ 1,5 milliard de dollars, auquel s'ajoutent les trois programmes gouvernementaux totalisant à peu près 2,2 milliards de dollars.

Je vous pose donc la question, mesdames et messieurs les sénateurs : Voulez-vous assumer les conséquences d'un retard? Je sais que la grande majorité de vos collègues à la Chambre des communes veulent adopter ce projet de loi, tout comme vous. Pourrez-vous soutenir le regard de vos voisins quand vous leur annoncerez que leur collectivité a perdu des investissements, de bons emplois et une possibilité d'assainir l'environnement parce qu'ils n'ont pu être déployés à temps?

La santé de l'environnement représente l'une des plus grandes préoccupations des Canadiens et du monde entier, et une priorité du gouvernement. Le développement des énergies renouvelables est devenu une importante priorité pour les pays partout dans le monde. Chaque pays veut diminuer sa dépendance aux carburants fossiles et assurer un avenir plus durable.

Les États-Unis se sont fixés des objectifs très ambitieux en ce qui concerne les carburants renouvelables, à savoir plus de 20 p. 100 au cours des 10 prochaines années. D'après leurs calculs, cela représente environ 21 p. 100 de leur production de maïs. L'Union européenne, quant à elle, a établi cet objectif à 10 p. 100 d'ici 2020, ce qui correspond à 9 p. 100 de sa capacité de production.

Il est important pour le Canada, en tant que superpuissance énergétique émergente, de devenir une superpuissance énergétique propre. Production et utilisation de carburants renouvelables et réduction des gaz à effet de serre vont de pair. On estime qu'une norme de 5 p. 100 de carburants renouvelables au Canada contribuerait à réduire de quatre mégatonnes annuellement les émissions nettes de gaz à effet de serre. C'est l'équivalent de plus d'un million de voitures en moins sur nos routes. C'est pourquoi le gouvernement du Canada est résolu à atteindre une moyenne de 5 p. 100 de carburants renouvelables dans l'essence d'ici 2010, et de 2 p. 100 dans le diesel et le mazout de chauffage d'ici 2012, à condition qu'il soit démontré qu'il peut être utilisé dans l'ensemble des conditions canadiennes. Cette démonstration est d'autant plus importante, compte tenu de l'hiver que nous venons de vivre.

Le projet de loi sur les carburants renouvelables et les modifications envisagées à la LCPE nous aideront à atteindre notre objectif. Comme vous le savez, la LCPE nous donne actuellement le pouvoir de réglementer la vente, la production et l'importation des carburants.

Les modifications de la loi visent le pouvoir d'imposer une réglementation au niveau du mélange des carburants et de faire un suivi des exportations, car évidemment, il y a de nombreuses industries connexes, de l'innovation et des nouvelles variétés de grains. Le projet de loi prévoit également une exemption pour les petits producteurs et importateurs — les économies d'échelle s'imposeront.

Monsieur le président, la production de biocarburants procurera au Canada de véritables avantages. Une bioéconomie prospère et dynamique permettra d'offrir aux agriculteurs canadiens des possibilités pour diversifier leurs investissements et de créer des marchés pour leurs produits. Environ trois milliards de litres de carburants renouvelables seront nécessaires annuellement pour répondre aux exigences du projet de réglementation.

Répondre à cette demande représentera une tâche considérable pour l'industrie des biocarburants. Les producteurs canadiens de biocarburants produisent déjà environ un milliard de litres par année et sont en voie d'atteindre l'objectif de 2010 en ce qui concerne le contenu en biocarburants.

Le passage des carburants conventionnels aux carburants renouvelables peut créer de nouveaux marchés et des stimulants économiques pour les agriculteurs canadiens. De meilleurs débouchés et de meilleurs prix pour les agriculteurs sont les bienvenus dans le secteur agricole canadien. Ce sont également de bonnes nouvelles pour notre économie.

On prévoit qu'une augmentation des investissements dans la production de biocarburants pourrait conduire à la création de milliers d'emplois directs et indirects au Canada si le mandat est respecté.

Nous avons entendu les critiques selon lesquelles la demande accrue de céréales pour la production de biocarburants entraîne une hausse du prix des aliments, mobilise des terres et fait augmenter le prix des aliments du bétail. Je profite donc de l'occasion pour vous faire part de certains faits.

La hausse récente du prix des céréales et des oléagineux est le résultat de nombreux facteurs : une demande accrue de la part des économies émergentes; une diminution de la production en raison de la sécheresse ou d'autres problèmes liés aux conditions climatiques dans les principales régions productrices de céréales, comme l'Australie et l'Argentine; et évidemment, l'augmentation du prix du pétrole et des coûts du transport.

Les agriculteurs canadiens cultivent déjà plus de céréales et d'oléagineux qu'il n'en faut pour subvenir à nos besoins en aliments et en biocarburants. La hausse récente du prix du blé a fait augmenter le coût du blé qui entre dans la fabrication d'un pain, qui est passé de 10 cents durant la campagne agricole 2006-2007 à environ 19 cents par pain durant la campagne agricole 2007-2008.

Les céréales et les oléagineux du Canada se transigent sur les marchés internationaux à des coûts qui reflètent l'offre et la demande mondiales. Il est vrai que les agriculteurs obtiennent de meilleurs prix pour leurs produits, en partie à cause de la production accrue de biocarburants dans le monde. Il est grand temps que les agriculteurs obtiennent leur juste part de la valeur ajoutée.

Encore une fois, je reviens sur vos récentes études sur la pauvreté rurale et les coûts de production.

De meilleurs débouchés et de meilleurs prix pour les agriculteurs sont les bienvenus dans le secteur agricole canadien. Les agriculteurs travaillent fort pour nourrir les Canadiens et offrir une assise solide à notre économie. Le secteur agricole est le troisième en importance sur le plan de la contribution au PIB, en fournissant des produits durables et de qualité. C'est pourquoi le gouvernement du Canada est résolu à faire en sorte que nos agriculteurs bénéficient de meilleurs prix pour leurs produits.

En ce qui concerne le secteur de l'élevage, la production accrue d'éthanol se traduit par une augmentation des drèches de distillerie, une source d'aliment pour le bétail. Près de 40 p. 100 des céréales nécessaires à la production de l'éthanol seront récupérées pour la ration de finition des animaux d'élevage.

Le gouvernement a annoncé dernièrement la suppression de la distinction visuelle des grains en tant que critère d'enregistrement des nouvelles variétés de blé dans l'Ouest du Canada. Par conséquent, les agriculteurs canadiens pourront exploiter le potentiel de nouvelles variétés de blé offrant un meilleur rendement et servant précisément à la production de biocarburants.

Les carburants renouvelables issus des technologies actuelles qui utilisent les céréales et les oléagineux améliorent déjà notre environnement et renforcent notre économie, mais le gouvernement voit encore plus loin. Il investit dans les nouvelles technologies et dans les innovations pour contribuer au développement de la prochaine génération de carburants renouvelables. Il injecte notamment 500 millions de dollars dans le Fonds de biocarburant ProGen pour lancer le développement et la production de la prochaine génération de carburants renouvelables au Canada. Nous encourageons les technologies qui utilisent les résidus agricoles, comme la paille de blé et les copeaux de bois, pour produire des carburants renouvelables. L'éthanol cellulosique fait partie des développements les plus intéressants.

De nombreuses études de faisabilité réalisées dans le cadre de l'Initiative des marchés de biocarburants pour les producteurs de 20 millions de dollars examinent la possibilité d'utiliser des matières non alimentaires pour produire des biocarburants. Ces projets comprennent l'évaluation du potentiel des drèches de distillerie, des sous-produits animaux, des déchets de carottes et de pommes de terre pour fabriquer des carburants renouvelables. Ces nouvelles technologies peuvent produire des avantages encore plus grands sur le plan environnemental que les carburants renouvelables classiques.

Pour ceux qui s'inquiètent de l'utilisation des terres dans la production des biocarburants, les faits sont clairs. Dans les conditions canadiennes typiques, les matières premières servant à la production des biocarburants conventionnels proviennent de terres déjà utilisées pour l'agriculture. En réalité, d'après nos estimations, il faudrait cultiver seulement 5 p. 100 environ des terres agricoles du Canada pour répondre aux objectifs proposés de production des biocarburants.

Monsieur le président, un solide secteur canadien des biocarburants procurera des avantages à tous les maillons de la chaîne de valeur agricole. La prochaine génération de technologies permettra aux agriculteurs d'utiliser les déchets agricoles pour fabriquer des biocarburants et tirer parti de nouveaux débouchés commerciaux. Le principe essentiel de l'approche adoptée par le Canada face aux changements climatiques consiste à équilibrer la protection de l'environnement et la croissance économique.

Notre gouvernement, avec votre aide, peut veiller à ce que le Canada soit à la fine pointe des technologies propres pour réduire les émissions de GES et s'adapter aux changements qui surviennent dans l'environnement. Il est de notre devoir envers les Canadiens de protéger notre environnement pour les générations futures. Et nous avons rempli notre engagement en prenant des mesures pour produire de l'énergie de façon plus écologique. Je vous remercie de l'intérêt que vous portez à ce dossier.

Le président : Madame Orsborne, avez-vous quelque chose à ajouter?

Victoria Orsborne, chef intérimaire, Politiques sur les carburants, Office de l'efficacité énergétique, Ressources naturelles Canada : Non.

Le président : Monsieur McEwen?

Bruce McEwen, chef, Section du pétrole, Énergie et transports, Environnement Canada : Non.

Le président : Avant de céder la parole aux sénateurs, je tiens à rappeler au ministre et à nos invités qu'ici, au Sénat, contrairement à la Chambre des communes, vous n'avez pas besoin de vous adresser au président lorsque vous répondez aux questions. Vous pouvez directement répondre à la personne qui vous a interrogé.

Le sénateur Spivak : Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir accepté de comparaître aujourd'hui. J'ai trois questions. La première porte sur la superficie requise.

D'après votre témoignage devant le comité de la Chambre des communes, pour atteindre les objectifs de 5 p. 100 et de 2 p. 100, il faudrait 2,1 millions d'acres de blé, 0,9 million d'acres de maïs et 0,8 million d'acres de canola. Ces chiffres représentent respectivement 10 p. 100, 33 p. 100 et 6 p. 100 de la superficie cultivée de ces produits en 2006- 2007. Si je ne me trompe pas, c'est ce que vous avez dit. Ces chiffres sont-il exacts?

M. Ritz : J'ignore d'où viennent ces chiffres. Je ne crois pas que ce soit moi qui vous les ai donnés; 2,1 millions d'acres de blé, c'est peut-être vrai pour l'Ontario, mais en Saskatchewan, la culture du blé, du canola et des légumineuses couvre 47 millions d'acres de terres arables. Par conséquent, si je ne m'abuse, les chiffres dont vous parlez font uniquement référence à l'Ontario.

Le sénateur Spivak : Qu'en est-il des pourcentages?

M. Ritz : Encore une fois, vous parlez d'une province en particulier. Toutefois, si on fait la moyenne pour l'ensemble du pays, sachez qu'il nous faudra moins de 5 p. 100 de notre capacité de production pour y arriver.

Le président : Je suis désolé de vous interrompre, mais je pense avoir mal compris votre question, sénateur Spivak. Voudriez-vous la reformuler? Avez-vous demandé combien d'acres sont nécessaires pour atteindre l'objectif de 5 p. 100?

Le sénateur Spivak : Exactement. Combien d'acres de céréales devrons-nous cultiver pour réaliser les objectifs de 5 p. 100 et de 2 p. 100?

M. Ritz : Je ne crois que l'on puisse quantifier ce nombre en raison des conditions météorologiques imprévisibles.

Le sénateur Spivak : Je parle seulement des céréales.

M. Ritz : Selon les données que j'ai en main, il nous faudrait 4,2 millions d'acres, ce qui correspond à environ 4,7 p 100 de la superficie totale de 90 millions d'acres. C'est pourquoi nous en sommes arrivés à 5 p. 100.

Le sénateur Spivak : Ma deuxième question concerne les coûts-avantages. Vous envisagez de verser deux milliards de dollars en subventions aux producteurs. De cette somme, combien d'argent sera alloué aux usines de biocarburants et aux agriculteurs? Comment ventilez-vous ce chiffre?

M. Ritz : Les deux milliards de dollars ne seront pas entièrement consacrés aux subventions. Ils serviront à couvrir toutes les dépenses nécessaires pour stimuler l'industrie.

Pourriez-vous répéter la deuxième partie de votre question, s'il vous plaît?

Le sénateur Spivak : J'aimerais savoir combien de cet argent...

M. Ritz : ... ira dans les poches des producteurs?

Le sénateur Spivak : ... sera consacré aux usines? Combien sera remis aux agriculteurs?

M. Ritz : Cela dépend du propriétaire de l'usine. Il y a une usine dans ma circonscription qui appartient à Husky Oil et qui profite aux producteurs étant donné que ceux-ci ont signé des contrats avec elle afin de l'approvisionner en matières premières.

Il y a une plus petite usine de production d'éthanol d'une capacité annuelle de 25 millions de litres. C'est une filiale de North West Terminal Ltd., un terminal céréalier intérieur appartenant à des agriculteurs d'Unity. Ils se servent notamment de ses installations de nettoyage. Dans cette usine, les agriculteurs conservent la totalité des revenus puisqu'ils en ont la propriété exclusive. Ils parlent déjà de doubler leur capacité pour répondre à la demande.

Le sénateur Spivak : Vous pourriez peut-être nous envoyer la ventilation exacte par courriel. Je ne m'attends pas à ce que vous...

M. Ritz : Les profits des producteurs dépendent de chaque usine. Si ces derniers en sont les propriétaires, il est évident que tout l'argent leur revient. Ils ont un pourcentage de parts, et d'autres usines sont la propriété exclusive d'Husky Oil, comme je l'ai dit plus tôt.

Le sénateur Spivak : D'accord, mais j'aimerais tout de même connaître la ventilation.

J'ai deux autres questions. Tout d'abord, en ce qui concerne la production de première génération, c'est-à-dire les céréales, ces usines seront-elles en mesure de produire de l'éthanol cellulosique et de l'éthanol à partir de déchets?

Ensuite, à votre avis, combien de temps faudra-t-il pour produire de l'éthanol cellulosique? Lors de la dernière réunion de l'ONU, on a laissé entendre que cela prendrait environ dix ans. Je parle de quantités commerciales nous permettant d'atteindre nos objectifs.

M. Ritz : La production actuelle des usines équivaut au tiers de notre objectif, soit 1 milliard de litres.

Le sénateur Spivak : Avec le maïs?

M. Ritz : Avec l'éthanol à base de céréales, comme le maïs et le blé.

Le sénateur Spivak : J'aimerais savoir si on peut transformer ces usines pour produire de l'éthanol cellulosique et, le cas échéant, combien de temps cela prendra pour arriver à le faire sans céréales?

M. Ritz : Une société d'Ottawa du nom d'Iogen mène un projet pilote. Elle en est au dernier stade des négociations pour construire une installation à vocation commerciale de quelque 300 à 400 millions de litres près de Prince Albert, en Saskatchewan.

Le sénateur Spivak : Et une aux États-Unis.

M. Ritz : Peut-être une autre entreprise, mais pas Iogen. Elle avait envisagé d'en implanter une en Idaho, mais a plutôt opté pour la Saskatchewan.

À l'heure actuelle, il n'est pas possible de convertir une usine d'éthanol à base de céréales en installation de première génération ou de production d'éthanol cellulosique sans la technologie nécessaire pour mettre la matière à l'état liquide. Nous travaillons là-dessus.

Le président : Dans le meilleur des mondes, d'ici les 20 prochaines années, selon vous, quel pourcentage de l'éthanol sera dérivé des céréales, d'autres sources cellulosiques et matières premières comme les déchets?

M. Ritz : Je n'ai pas de boule de cristal, mais je pense que dans dix ou quinze ans, la grande majorité de l'éthanol sera produit à partir de céréales. À ce moment-là, d'autres sources entreront en ligne de compte. Un certain nombre de projets pilotes misent sur d'autres sources pour produire de l'éthanol ou du diesel à partir de déchets animaux, et cetera.

Lorsqu'on utilise des résidus, on peut créer de l'énergie autrement qu'à partir de l'éthanol ou du diesel. On récupère le méthane des déchets, qu'on utilise ensuite pour produire de l'électricité au moyen d'une turbine, par exemple.

Le président : Utilise-t-on des copeaux de bois?

M. Ritz : Absolument. La société Iogen a développé une enzyme lui permettant de transformer les copeaux de bois ou la paille en éthanol.

Le président : Étant donné que cette production sera faite à partir de céréales, pouvez-vous nous assurer que l'éthanol à base de céréales n'entraînera pas une hausse du coût de la nourriture?

M. Ritz : Je vous l'assure.

Le président : Cela n'aura-t-il pas une incidence sur les éleveurs de bétail et d'animaux de ferme qui ont besoin de céréales fourragères?

M. Ritz : Je vais commencer par parler du prix des aliments. Il faut moins de 5 p. 100 de notre capacité de production au Canada pour assurer les deux; les trois milliards de litres et cette ligne. Les exploitants agricoles vous diront certainement que la météo est un plus grand facteur que ces 5 p. 100. Nous devenons de plus en plus efficients dans ce que nous entreprenons. On parle de nouvelles variétés de céréales. À l'Université de la Saskatchewan, un scientifique des récoltes du nom de Brian Fowler a mis au point sept nouvelles variétés de blé d'hiver et de blé tendre. Toutefois, compte tenu de la DVG, celles-ci doivent être cultivées aux États-Unis. N'empêche que la situation est en train de changer et qu'il les importe désormais au Canada. Dans certains cas, nous arriverons à obtenir un rendement de 80 boisseaux l'acre en ayant recours à l'aridoculture. Comme le sénateur Brown peut vous le dire, il s'agit d'une bonne production à haute teneur en amidon, ce dont nous avons besoin pour nos variétés d'éthanol.

Nous tirons mieux profit de nos terres. Nos agriculteurs sont de bons intendants de la terre. Grâce à la culture sans labour, au semis direct, et à ce type de méthodes, nous faisons un bien meilleur usage de nos ressources qu'auparavant.

Je pense que le secteur agricole prendra bientôt un nouveau tournant en produisant autre chose que des denrées alimentaires. Comme les Nations Unies l'ont signalé, on est loin de manquer de nourriture dans le monde; il suffit d'acheminer la nourriture en temps voulu selon les besoins. Nous faisons plus que notre part à de nombreux égards, et l'agriculture n'est pas une exception.

Il n'y a assurément aucun problème avec le fait de miser sur les deux types de production et de continuer à exporter, comme nous le faisons avec un produit de qualité. Beaucoup de gens de l'industrie de la farine partout dans le monde ont indiqué qu'ils utilisaient 20 p. 100 de blé canadien et 80 p. 100 de blé d'ailleurs pour faire du meilleur pain. Les meuniers apprécient la qualité supérieure et constante de notre blé. Nous en ferons autant avec l'éthanol. Nous sommes innovateurs.

Cependant, en ce qui concerne le bétail, c'est un peu plus problématique. J'ai reçu plusieurs mémoires de la Canadian Cattlemen's Association et des producteurs de porcs. Ceux-ci sont actuellement aux prises avec d'importants problèmes de liquidités, principalement attribuables à la force du dollar et à une offre excédentaire causée par l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'ESB.

Par ailleurs, on me dit que des études ont révélé qu'il en coûte 90 $ de moins au Nebraska qu'il n'en coûte en Alberta pour nourrir un bouvillon. Étant donné que les producteurs du Nebraska ont accès à une grande quantité de drêche de distillerie dont ils peuvent se servir pour la ration de finition, cela diminue le coût de leurs matières premières.

Le sénateur Milne : Monsieur le ministre, vous avez commencé votre allocution en citant plusieurs projets qui ne verront jamais le jour si le projet de loi n'est pas adopté par le Sénat. En fait, vous nous avez menacés en nous demandant ce que nos voisins penseraient de nous si nous décidions de ne pas aller de l'avant avec cette mesure législative.

Est-ce que les gens à la tête de ces projets savent que le gouvernement n'a en tête aucune réglementation précise afin de promouvoir ce projet? D'après mon expérience, il faut au moins un an pour élaborer un règlement. Que proposez- vous alors?

M. Ritz : Vous m'avez posé plusieurs questions. Quand j'ai parlé de soutenir le regard de nos voisins, je m'adressais au gouvernement en général et non pas précisément à la Chambre des communes ou au Sénat. Nous serons tous visés d'une manière ou d'une autre.

Des projets seront compromis. Quelques-uns seront menés à bien, d'autres piétineront ou seront tués dans l'œuf si on attend trop pour mettre en œuvre cette mesure législative. Cela prend de un à deux ans pour construire une usine. Cela nous donnera amplement le temps d'apporter les précisions nécessaires.

On veut de l'assurance. Le secteur des combustibles fossiles doit miser sur l'éthanol. Ils sont les mieux placés pour le faire étant donné que leurs installations ont les capacités de mélange nécessaires. C'est d'ailleurs ce que vise ce projet de loi.

C'est bien pour une usine d'éthanol comme Husky Oil, située à Lloydminster, qui a également une unité de valorisation. On y mélange tout sur place. Cependant, la petite usine dont j'ai parlé, le North West Terminal, à Unity, en Saskatchewan, ne peut pas faire mélanger ailleurs les 50 millions de litres qu'elle produira. Par ce projet de loi, on veut que les usines deviennent plus actives dans le mélange.

Le sénateur Milne : On doit établir le règlement au préalable, autrement, on ne saura pas quel type d'installation construire.

M. Ritz : Sachez que les objectifs de 5 p. 100 et de 2 p. 100 sont les pourcentages minimums, et que de nombreuses provinces les dépassent déjà. Cela signifie que d'ici 2010, il y aura 5 p. 100 d'éthanol dans l'essence et 2 p. 100 dans le diesel à la pompe.

Le sénateur Milne : Je suis tout à fait d'accord avec vous quant à l'importance de produire de l'éthanol à partir de la cellulose. Le gouvernement entend-il soutenir la recherche qui permettra aux agriculteurs de produire notamment de l'éthanol à partir de la paille de blé?

M. Ritz : Iogen a mis au point une installation à cette fin.

Le sénateur Milne : Nous le savons. Nous avons déjà fait comparaître les représentants de cette société.

M. Ritz : Les agriculteurs leur fourniront la paille.

Pour ce qui est de la capacité des agriculteurs à produire de l'éthanol cellulosique, même s'ils doivent payer une redevance relativement au processus, c'est une possibilité. Je crois qu'on n'a pas encore discuté de la prochaine génération d'éthanol. Il y a peut-être quelque chose de mieux que la production cellulosique.

Le sénateur Banks a parlé des déchets. Il y a une tonne de déchets dans chaque collectivité. Comment pourrions- nous en faire un meilleur usage? Nous avons les installations en place. Nous avons remédié à la situation en allouant un demi million de dollars, par l'intermédiaire de Ressources naturelles Canada, à des projets pilotes innovateurs. Je suis confiant qu'au cours des dix prochaines années, nous assisterons à d'importants changements qui profiteront à tous.

Le sénateur Milne : Je sais que de nombreux experts sont d'avis qu'il est beaucoup plus éconergétique de récupérer le méthane des sites d'enfouissement ou les pastilles de combustibles de la biomasse pour remplacer les combustibles fossiles. Si cela se révèle plus efficace que de convertir des récoltes en éthanol, pourquoi ne faites-vous pas quelque chose à ce chapitre pour aider ces producteurs?

M. Ritz : Nous les aidons. Je dirais que certaines productions sont plus éconergétiques que d'autres. Plusieurs possibilités s'offriront à nous à mesure que nous progresserons. Le marché s'ajustera et les producteurs les plus efficients prendront les devants.

Il est beaucoup plus facile de transporter du biodiésel dans un camion-citerne que d'acheminer n'importe quelle quantité de biogaz à une installation, car comme on le sait, le Canada est un pays vaste et diversifié. Les boulettes de biocombustibles pourraient être une autre histoire. Les coûts du transport posent réellement problème. C'est pourquoi j'ai toujours privilégié des petites usines régionales afin de réduire les déplacements.

Je suis d'accord avec vous. On a entrepris différents projets pilotes, et le gouvernement agit en tant que catalyseur sur bon nombre de ces projets que nous finançons et examinons. Il y a des perspectives intéressantes en ce qui a trait aux résidus d'élevage, que ce soit un parc d'engraissement, une laiterie ou une usine de traitement. On y récupère les déchets et les matières premières et on crée de l'énergie pour faire fonctionner l'usine et réduire les coûts à cet égard. C'est une période emballante pour les agriculteurs, compte tenu de toutes les possibilités qui s'offrent à nous.

Le sénateur Mitchell : J'étais assis à vous écouter et j'ai été ému d'entendre un ministre conservateur dire quelque chose que je n'avais jamais entendu auparavant, c'est-à-dire qu'une stratégie saine pour l'environnement peut être également saine pour l'économie. Ce concept est essentiel, et je vous encourage à le répéter encore et encore au ministre de l'Environnement et au premier ministre. Il est totalement faux de penser que le Protocole de Kyoto et les mesures destinées à remédier aux changements climatiques peuvent anéantir notre économie. L'énergie propre est la prochaine révolution industrielle. Elle peut même sauver des économies comme celles du secteur agricole, alors je vous félicite sincèrement.

L'une des plus grandes critiques, c'est le fait que la production de l'éthanol gaspille de la nourriture, et beaucoup de gens attribuent la hausse du prix des aliments à la production de l'éthanol et à l'utilisation de céréales fourragères. Je dirais que ce n'est pas immédiatement évident, mais la vigueur des cours du pétrole et les changements climatiques y sont probablement pour quelque chose dans la hausse des prix de la nourriture. Vous conviendrez que les gens ont tendance à blâmer tout de suite les agriculteurs pour le prix élevé des aliments. Pourtant, personne n'attribue aux compagnies pétrolières la montée en flèche des prix alimentaires. Personne ne le reproche non plus aux fabricants d'engrais. Mais on ne s'empêche pas de casser du sucre sur le dos des agriculteurs. C'est une bonne chose que les agriculteurs aient un produit à vendre et des productions diversifiées.

Cela dit, il semble que ce soit l'approche du gouvernement qui pose problème. Au moment même où la production d'éthanol donne des résultats, en améliorant l'environnement, vous vous limitez à l'éthanol 5, c'est-à-dire à l'essence ayant une teneur en éthanol de 5 p. 100. Pourquoi ne pas envisager de passer à l'éthanol 10 ou même à l'éthanol 15?

M. Ritz : Nous adoptons une approche équilibrée et pragmatique. Nous avons fixé des objectifs en fonction de ce que pouvait accomplir l'industrie dans le délai prescrit. Ce sont des pourcentages minimums. Certaines provinces ont une capacité de loin supérieure. Je mets déjà de l'essence ayant une teneur en éthanol de 10 p. 100.

L'argument le plus solide que nous pouvons invoquer, en tant que producteurs et représentants du gouvernement, c'est que les Canadiens ne réalisent pas à quel point l'épicerie représente une infime partie de leur revenu disponible. Si les gens étaient honnêtes, ils avoueraient qu'ils dépensent probablement plus d'argent au restaurant en un mois qu'à l'épicerie.

Au Canada, nous payons beaucoup moins cher qu'ailleurs pour des aliments durables et de qualité supérieure. Personne n'a encore connu la faim. En fait, bien entendu, il y a des gens qui ne mangent pas à leur faim, mais ce que je veux dire, c'est que les épiceries ne sont pas prêtes de manquer de nourriture. Encore une fois, ce revenu disponible nous permet d'acheter des aliments de qualité.

D'après une étude américaine, dont je n'ai pas eu le temps d'évaluer la validité, le prix de l'essence et du diesel serait 20 p. 100 plus élevé si ce n'était des biocarburants. Je ne suis pas contre cette affirmation.

Le sénateur Mitchell : Vous pouvez dire que les biocarburants sont moins chers et que, par conséquent, cela réduit le prix de l'essence et, par le fait même, le prix des aliments, étant donné qu'il y a un lien direct entre les deux.

M. Ritz : Il y a également la concurrence.

Le sénateur Mitchell : Si cette initiative est aussi valable que vous ne le dites, et je suis moi-même d'avis qu'elle est très prometteuse — les technologies servant à la production de l'éthanol sont dans la deuxième génération —, pourquoi alors abrogez-vous l'exemption de la taxe d'accise? Les sables bitumineux bénéficient de toutes sortes d'avantages fiscaux, et ce produit profite aux agriculteurs, sans parler de l'environnement et, pourtant, vous annulez l'exemption de la taxe d'accise.

M. Ritz : Cela fait partie de mesures incitatives. Je vais laisser le soin au représentant d'Environnement Canada de vous répondre.

M. McEwen : Lorsqu'on a abrogé l'exemption de la taxe d'accise, on a aussitôt pris d'autres mesures incitatives pour favoriser la production des combustibles renouvelables.

M. Ritz : C'est un compromis.

Le sénateur Mitchell : Vous dites qu'il faudra entre dix et 15 ans pour mettre au point des technologies de seconde génération. J'ai l'impression que cela se produira plus vite que les gens ne le pensent. Étant donné que les producteurs d'éthanol doivent payer plus cher pour leurs matières premières, ils essaieront de trouver des façons d'économiser. Je crois fermement que lorsque nous prenons la question des changements climatiques au sérieux, comme ce fut le cas dans de nombreuses initiatives environnementales d'envergure internationale, nous progressons plus rapidement et à moindre coût que les gens ne peuvent l'imaginer. Cependant, nous devons commencer quelque part, et je vous encourage à continuer de favoriser le développement de cette technologie avancée qui aura des conséquences bénéfiques pour l'environnement et qui nous empêchera de causer du tort à l'industrie alimentaire.

M. Ritz : Je partage entièrement votre point de vue. D'ici dix à 15 ans, nous disposerons des installations commerciales viables nous permettant de produire les milliards de litres dont nous aurons besoin. Iogen envisage d'implanter une usine ayant une capacité de quelque 300 millions de litres. Il lui faudra deux ans pour la construire. J'espère qu'on entreprendra les travaux très bientôt.

Le sénateur Mitchell : En revanche, vous avez une tâche ardue, car chaque fois que les compagnies pétrolières et les agriculteurs parviennent à un compromis, il semble que ces derniers soient toujours perdants.

M. Ritz : Ce qui est dommage, c'est que les producteurs partout au pays sont des preneurs de prix. Nous avons besoin d'un plein accès au marché et nous ne devons pas avoir peur; il n'y a rien de mal à ce que les agriculteurs réalisent des profits. Ils doivent assumer des coûts de production énormes et engager d'importantes dépenses notamment pour l'équipement et les terres. Grâce à l'assiduité et à l'innovation de notre secteur agricole, nous cultivons beaucoup plus qu'avant avec une plus petite superficie. Cette situation ne fera que s'améliorer.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je me suis sentie comme si j'avais un fusil sur la tempe, et je me demande, compte tenu de l'importance de ce projet de loi, pourquoi celui-ci a été présenté aussi tard. Autrement dit, pourquoi serions- nous ceux qu'on accuse de retarder le projet de loi et, par le fait même, de ralentir les développements industriels au pays? C'est une question.

Je dois réagir à votre affirmation, monsieur le ministre, selon laquelle personne n'a connu la faim.

M. Ritz : J'ai rapidement rectifié le tir.

Le sénateur Trenholme Counsell : Oui, je sais. Cela me rappelle lorsque j'ai été élue membre de l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick pour la première fois en 1987. L'une de mes priorités, à l'époque, c'était d'ouvrir une banque alimentaire à Sackville, au Nouveau-Brunswick, parce que je savais, en tant que médecin, à quel point c'était nécessaire, et beaucoup de gens m'ont appuyée dans cette initiative.

Je tenais à vous en parler. J'ai écouté plusieurs émissions, sur les ondes de Radio-Canada, si je ne me trompe pas, où l'on traitait de la question morale de la nourriture, de la faim et de la pénurie alimentaire mondiale. On y montrait des scènes, par exemple, d'Haïtiens désespérés qui mangeaient la moitié ou le tiers des céréales ou des aliments qu'ils mangeaient il y a quelques mois ou l'année dernière. J'aimerais que vous nous parliez de la situation à l'échelle planétaire en matière de morale et d'éthique.

M. Ritz : La réponse à cette question serait probablement digne d'un prix Nobel de la Paix. Nous avons étudié la situation pendant des années, et rien ne semble changer. J'ai eu l'occasion d'aborder ce problème avec des collègues de partout dans le monde. Comme l'ONU l'a indiqué, il n'y a pas de pénurie de nourriture. Mais encore faut-il réussir à acheminer la nourriture aux gens qui en ont besoin, et dans certains cas, c'est un problème d'infrastructure ou de structure de gouvernance. Par exemple, récemment, au Myanmar, nos approvisionnements ne se sont pas rendus à destination car le gouvernement au pouvoir ne les a pas autorisés. Nous éprouvons encore des difficultés à cet égard.

La contribution du Canada au chapitre de l'aide alimentaire est la troisième en importance dans le monde. Elle se chiffre à 230 millions de dollars, en plus d'une autre aide de 100 millions de dollars destinée à enseigner à la population comment s'approvisionner et subvenir à ses besoins. Ainsi, il n'est plus nécessaire d'expédier les produits canadiens en Afrique. Compte tenu des coûts élevés du transport, nous fournissons désormais une aide non liée pour que les produits soient achetés sur place.

À l'occasion de la réunion de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, la FAO, tenue à Rome, le Canada a été reconnu comme un chef de file mondial. La seule chose, c'est qu'on ne peut pas acheter les produits des États-Unis, par exemple, qui font de la surproduction en raison des subventions. Cela a été une excellente occasion d'aller de l'avant.

Beaucoup d'organisations gouvernementales, telles que la Banque de céréales vivrières du Canada, ont fait et continuent de faire un travail remarquable partout dans le monde. Plusieurs initiatives sont en branle, et ce n'est pas encore suffisant.

Je ne pense pas que quelqu'un ait la réponse. Un seul pays ne peut être la panacée. Les Nations Unies — qui représentent la grande majorité des pays — s'efforcent d'améliorer la situation à l'échelle mondiale. Je vois les mêmes problèmes que vous.

Vous connaissez tous le vieux dicton : Donnez un poisson à un homme, il mangera une journée; apprenez-lui à pêcher, il mangera toute sa vie. C'est l'attitude adoptée par l'ACDI, l'Agence canadienne de développement international. Nous privilégions la construction de barrages et de systèmes d'irrigation, plutôt que la livraison de grandes quantités de blé. Nous fournissons quand même le blé à ces gens, mais nous les aidons aussi à apprendre à s'en sortir.

J'ai eu la chance de me rendre à Cuba en avril dernier. J'ai pu y assister au début difficile d'un nouveau régime qui a dû composer avec la perte de 50 p. 100 des terres agraires du pays qui ont été envahies par des plantes nuisibles. Comment vont-ils récupérer ces terres? Ils sont à la recherche d'un mentor et c'est un rôle que les Canadiens ont toujours rempli à merveille. Nous avons instauré des programmes en Afrique et nous avons aussi aidé des pays comme Cuba qui essaient de tourner la page — même si la volonté n'est pas toujours là. Je crois que nous devrions en faire davantage à ce chapitre.

Le sénateur Trenholme Counsell : Est-ce que nous faisons parvenir autant ou davantage de grain et de nourriture aux pays en détresse cette année, comparativement à il y a cinq ans ou même à l'an dernier?

M. Ritz : Si mon souvenir est exact, et qu'on me corrige si je me trompe, nos dépenses à ce titre ont augmenté de 100 millions de dollars par année au fil des six dernières années.

Le sénateur Trenholme Counsell : Est-ce pour les céréales destinées à l'alimentation?

M. Ritz : Pour l'aide alimentaire. Parliez-vous de la Banque de céréales vivrières du Canada?

Le sénateur Trenholme Counsell : Non, je parlais bien d'aide alimentaire.

M. Ritz : Oui, 100 millions de dollars d'augmentation au cours des six dernières années.

Le sénateur Trenholme Counsell : Mais qu'en est-il de cette année?

M. Ritz : Cette année, l'aide augmentera encore.

Le sénateur Brown : Monsieur Ritz, c'est bien de voir quelqu'un qui travaille pour défendre les agriculteurs; cela me donne presque le goût de reprendre l'agriculture, mais pas tout à fait.

Dans votre exposé, vous avez peut-être négligé le fait qu'une grande partie de ces grains peuvent très bien être utilisés pour produire du biodiésel ou du bioéthanol. Lorsque les récoltes sont frappées par le gel, ces céréales ne sont pas propres à la consommation humaine. Ainsi, le canola, une céréale dispendieuse à 15 $ ou plus le boisseau peut voir son prix chuter jusqu'à 1 $ le boisseau lorsqu'il est victime du gel, car cela le rend amer. Par conséquent, lorsqu'on l'utilise alors pour produire du biodiésel, on ne le retire pas de la chaîne alimentaire.

J'aimerais également savoir si ce blé tendre blanc, une fois soumis au gel, peut tout de même être utilisé pour produire des biocarburants lui aussi, ou s'il devient impossible de s'en servir à cette fin. Dans la plupart des cas, on ne l'emploie pas pour fabriquer du pain; il est destiné à l'alimentation du bétail.

M. Ritz : La situation doit être évaluée dans chaque cas. Il faudrait faire des tests. Pour l'éthanol, il faut utiliser des produits riches en amidon afin que la teneur en sucre soit élevée. À l'heure actuelle, le blé de printemps des Prairies canadiennes est la meilleure céréale que nous produisions. Nous avons entrepris cette production dans le cadre d'un contrat avec la Commission canadienne du blé et Cargill. Je pense que Cargill était à l'origine de l'offre au début des années 1970 lorsque cette variété a été conçue. Comme nous étions producteurs de semences, nous en recevions suffisamment pour ensemencer au moins 100 acres l'année suivante afin de constituer le stock de semences.

C'est encore notre meilleure variété. La création de nouvelles variétés a été freinée par les exigences relatives à la distinction visuelle des grains (DVG), mais ce problème ne se pose plus. Pour autant que le blé soit riche en amidon, peu importe qu'il soit frappé par le gel, charbonné ou tacheté, on peut l'utiliser pour produire de l'éthanol.

Le canola victime du gel demeure utilisable. Il produit un carburant de couleur plus foncée. La dernière fois que j'ai vérifié, mon tracteur ne se préoccupait pas de la couleur du carburant. Pour autant que le pouvoir lubrifiant soit là et que la combustion se fasse adéquatement, tout baigne dans l'huile. Des tests rigoureux ont été réalisés. J'ai entendu parler d'une variété d'orge pouvant servir à la production de biodiésel. Toutes ces possibilités sont fort intéressantes.

Le sénateur Brown : Dans le même ordre d'idées, j'ai cru comprendre que le pouvoir lubrifiant du biodiésel pouvait doubler la durée de vie d'un moteur si le mélange utilisé dépasse une concentration de 20 p. 100. Je sais qu'un proche de ma famille a participé au processus d'obtention du brevet pour la valve permettant de passer du diésel régulier au biodiésel. On a également effectué des essais avec l'Université de Calgary et, si je ne m'abuse, la division scolaire de Rocky View, auxquelles on a fourni du biodiésel pour leurs camions de service. L'expérience semble avoir donné de bons résultats.

Quant à la production d'éthanol cellulosique, je crois que le Brésil ne laisse rien se perdre. En plus de ce qui est utilisé pour produire directement l'éthanol, on se sert des déchets pour alimenter les chaudières qui font fonctionner l'usine.

M. Ritz : D'après ce que je puis comprendre, l'intégration totale est un gage de réussite pour la production d'éthanol. Je peux à ce titre vous donner l'exemple d'une entreprise qui n'utilise pas de gaz naturel pour chauffer ses chaudières.

L'entreprise de ma circonscription dont je vous parlais tout à l'heure — celle qui produit 25 millions de litres — a conçu son propre système en s'inspirant d'un système de combustion allemand. Elle demande aux agriculteurs d'ouvrir un peu leurs tamis entre les contre-batteurs et les moissonneuses-batteuses. On se retrouve ainsi avec un contenu en paille supérieur qui atteint une proportion de 10 à 15 p. 100 dans le blé. Transporter uniquement de la paille, c'est comme transporter des balles de ping-pong. On ne peut pas en charger assez sur un camion pour que cela soit rentable. Cependant, en produisant du blé avec une teneur en paille de 10 à 15 p. 100, on n'engage aucun coût supplémentaire et on n'occupe pas d'espace additionnel dans les camions. La paille est utilisée pour chauffer les chaudières au fil de l'opération de nettoyage. Il y a beaucoup d'innovation dans ce secteur.

Il y a deux éléments qui jouent en notre faveur par rapport aux Américains et à leur biodiésel à base de soya. Le nôtre a un meilleur pouvoir lubrifiant et permet des démarrages à plus basse température. Le biodiésel à base de soya est efficace jusqu'à environ moins cinq degrés. D'après les résultats d'études que j'ai consultés, notre biodiésel à base de canola ne commence à s'encrasser qu'à partir de moins 25 degrés. C'est une différence importante qui nous rapproche davantage de la norme européenne.

Il y aurait une légère variation à cet égard si les matières à risques spécifiées peuvent être réutilisées pour produire du biocarburant. La production doit inclure également une partie de ces mélanges. La vaste majorité proviendrait du canola.

Le sénateur Brown : J'ai un dernier commentaire. C'est en quelque sorte une exhortation à la prudence que j'adresse à l'industrie. Je suis satisfait du minimum de 5 à 10 p. 100 retenu pour l'éthanol et de 2 p. 100 pour le diésel. Je ne crois pas que ce système ait fait ses preuves comme solution à nos problèmes globaux de surconsommation de carburants fossiles.

Je pense toutefois que c'est un pas dans la bonne direction. J'estime que cela va probablement nous amener vers l'utilisation de produits qui ne sont pas actuellement utilisables, ce qui sera profitable tant pour nous que pour l'économie. Je ne voudrais surtout pas que l'on s'engage à utiliser des biocarburants dans des proportions gigantesques. Je pense que les Américains sont allés un peu trop loin et qu'ils doivent maintenant composer avec les problèmes qui s'ensuivent. Je crois que le petit pas que nous faisons est préférable à un pas de géant.

M. Ritz : Personne ne veut aller dans une direction pour devoir rebrousser chemin par la suite. Les Américains sont confrontés à une telle situation cette année avec 10 p. 100 des terres maïsicoles qui sont immergées. Ces terres ne seront même pas ensemencées. C'est une part importante de leur production totale. Il faudra attendre pour voir comment la situation va évoluer.

Nous avons collaboré étroitement avec l'industrie des carburants renouvelables ainsi qu'avec le secteur pétrolier lui- même; nous avons cherché des solutions réalistes et applicables. Les taux de 5 p. 100 et 2 p. 100 sont clairement ressortis comme les avenues à privilégier.

Le sénateur McCoy : Merci. Je suis également vice-présidente de l'organisme Climate Change Central qui effectue actuellement des tests sur le biodiésel, grâce surtout au soutien financier de Ressources naturelles Canada.

Je vais m'adresser à Mme Orsborne. Nous avons comme convention de ne pas faire de déclarations, mais plutôt de poser des questions. Vous voyez ce que je veux dire?

Mme Orsborne : Oui.

Le sénateur McCoy : Veuillez expliquer ces tests au comité. Cela nous intéresse parce que vos notes d'information laissent entendre que c'est une première étape essentielle avant de passer au développement d'un marché du biodiésel.

Mme Orsborne : Je vais faire de mon mieux, mais il se pourrait que j'aie à vous fournir des détails par la suite. La démonstration du biodiésel s'appuyait sur du financement en provenance de Ressources naturelles Canada et d'Agriculture et Agroalimentaire Canada.

Le sénateur McCoy : Je m'excuse, monsieur le ministre, mais j'ignorais que votre ministère y participait.

Mme Orsborne : Agriculture et Agroalimentaire Canada a versé des fonds également. Il y a deux étapes, dont la mise à l'essai des propriétés comme biodiésel de différentes sortes de céréales comme le canola, le soja et l'huile de palme. La partie la plus intéressante de la démonstration était le fruit d'une collaboration de Climate Change Central, qui assume la direction du projet, du gouvernement de l'Alberta, des associations de camionnage de la région et des fournisseurs de carburant. Une des sources de préoccupation relatives à l'utilisation sur la route de ce carburant était la connaissance qu'en ont les Canadiens et son acceptation sur le marché. Ils ont fait la démonstration de son utilisation sur la route. Le projet est toujours en cours de sorte que les essais de démonstration sur la route d'un système d'alimentation en carburant devraient produire des résultats dès 2008.

Le sénateur Sibbeston : Je ne connais pas bien les biocarburants et je ne me sens pas à l'aise d'en parler parce que, dans l'Arctique, nous ne cultivons pas de pommes de terre et ne faisons pas d'autres cultures du genre. Je remarque qu'une bonne partie des travaux sont axés sur les biocarburants produits à partir de céréales; de l'éthanol à base de maïs et des biodiésels à base de soya. Les déchets de bois pourraient aussi servir à produire des biocarburants. Vous avez mentionné que le gouvernement n'en exclut pas l'utilisation éventuelle. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet? À Yellowknife et dans le Nord de l'Alberta, on a produit des granulés de bois. Beaucoup de gens achètent le produit, et je crois comprendre qu'une grande partie de celui-ci est envoyée outre-mer. Un promoteur que nous avons rencontré il y a quelques semaines nous a dit qu'il avait fait la transition aux granulés de bois et qu'il économisait ainsi 6 000 $ par semaine. Voilà qui représente une jolie réduction des coûts et des gaz à effet de serre.

Pour la population du Nord, le granulé de bois pourrait être la solution de rechange au fuel-oil domestique. Naturellement, il n'y a pas d'arbre dans l'Arctique, mais dans la région subarctique, on trouve d'immenses forêts d'arbres de plus petite taille qui pourraient servir à produire ce genre de combustible.

M. Ritz : On assistera au cours des prochaines années à beaucoup d'innovations. Une étude dont nous n'avons pas parlé porte sur le biodiésel produit à partir d'algues vertes qui, certaines saisons, envahissent les eaux plus chaudes. Elles sont très prometteuses en tant que ressources renouvelables.

Les quantités énormes de bois attaqué par le dendroctone du pin en Colombie-Britannique et en Alberta portent tout le monde à se demander comment on pourrait utiliser une ressource aussi abondante. Une grande partie de ce bois est transformée en granulés, mais il comporte également de la matière fibreuse qui pourrait être traitée de manière à produire de l'éthanol. Yellowknife est entièrement alimenté par des groupes électrogènes au diésel, comme vous le savez. Nous ferions bon accueil à tout ce qui nous permettrait de réduire notre dépendance à l'égard de ce combustible, en raison du coût de son transport et des préoccupations environnementales qu'il suscite. Beaucoup de temps et de talents seront investis dans ces nouvelles idées.

Nous ne devrions pas nous limiter au strict potentiel pour adopter des manières différentes de chauffer nos maisons et d'alimenter nos automobiles. Je crois savoir que Honda introduira son automobile à l'hydrogène en Californie, cet été. Le constructeur a déjà franchi cette étape. Il a fait le raisonnement que c'était la voie à suivre parce qu'il n'a pas la base voulue pour produire de l'éthanol et du biodiésel. Tant mieux!

Nous ne sommes pas seuls dans ce combat. Des projets sont en cours à l'échelle mondiale. J'ai pu rencontrer le ministre de l'Agriculture et de la Forêt de Finlande et nous avons discuté de ce que fait ce pays des déchets de bois produits par les scieries. Les possibilités sont énormes. L'important n'est peut-être pas la taille d'un arbre, mais l'essence de bois et la manière dont elle peut être transformée. Plus on avance vers le Nord, plus les anneaux de croissance se rapprochent et plus le bois est dense, ce qui pourrait être problématique au moment de la transformation.

Le sénateur Sibbeston : Le Comité de l'énergie s'est rendu dans le Nord, à Yellowknife, à Inuvik, à Tuktoyaktuk et à Whitehorse. Le voyage a convaincu de nombreux membres de la réalité du réchauffement de la planète. Le Nord est affecté de manière très réelle par ce phénomène. La question ne se pose plus parce qu'on peut en voir les effets. Il n'y a pas d'exploitation agricole dans l'Extrême-Nord de l'Arctique, mais je vous encourage à visiter la région et à constater par vous-mêmes. Voilà qui vous sera sûrement utile dans votre étude. Vous pourrez ensuite parler avec persuasion de la nécessité de faire tout ce que vous tentez de faire.

M. Ritz : J'ai eu l'énorme chance d'aller là-bas il y a un an, bien que je ne me sois pas rendu jusque dans l'Extrême- Arctique. Toutefois, je suis allé à Yellowknife et à Inuvik. C'est une magnifique contrée dont la population est très accueillante.

Le président : Si le réchauffement de la planète se poursuit, sénateur Sibbeston, la région pourrait bien finir par compter des terres agricoles.

Monsieur le ministre, ma question s'adresse à vous. Vous pourrez peut-être faire appel à Mme Orsborne pour y répondre. Il semble acquis qu'il y a moyen de réaliser des gains d'efficacité en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre grâce à l'introduction et à l'utilisation d'éthanol dans l'essence et le diésel. Cependant, deux revues scientifiques ont publié des études selon lesquelles la demande croissante en biocarburants, l'utilisation du biodiésel et le coût de son transport augmentent les émissions de gaz à effet de serre. Peut-on m'expliquer cette divergence? Connaissez-vous les revues dont je parle?

M. Ritz : Je connais plusieurs études à ce sujet, sénateur. Je vais m'en remettre à l'opinion de mes collègues d'Environnement Canada et de Ressources naturelles Canada, parce qu'ils en ont vu plus que moi. J'examine cette question sous l'angle du producteur. Pour chaque étude qui dit une chose, il en existe une autre qui dit le contraire. Il est difficile de dresser un plan concis et cohérent. Je peux seulement faire remarquer les études menées par le gouvernement — Climate Change Central, Environnement Canada et les autres. Toutefois, de nombreuses études scientifiques ne se fondent pas sur notre modèle, mais sur d'autres études mondiales. Elles nous offrent des pistes de solution ou des paramètres de travail, mais elles ne portent pas particulièrement sur la situation à laquelle est confronté le Canada.

Je m'en remettrai volontiers à l'opinion de ces personnes.

Mme Orsborne : Nous sommes effectivement conscients de l'article scientifique et nous l'avons analysé, analyse que nous fournirons volontiers au comité.

Le président : Veuillez la laisser auprès du greffier du comité. Nous vous en serions reconnaissants.

Mme Orsborne : Dans une perspective globale, nous constatons des différences dans l'analyse, et elles portent habituellement sur les paramètres qui sont utilisés pour évaluer les avantages sur le plan énergétique et sur le plan des émissions de gaz à effet de serre. Ressources naturelles Canada utilise le modèle des émissions de gaz à effet de serre et sa méthodologies pour évaluer les biocarburants. D'après la grande majorité des études, l'éthanol tout autant que le biodiésel sont, pour leur cycle de vie, avantageux sur le plan de l'énergie comme des émissions de gaz à effet de serre.

Les paramètres qui changent comprennent des considérations relatives à la façon dont fonctionnent les intrants agricoles, si l'on utilise de l'engrais respectueux ou non du sol, si l'on remplace 5 p. 100 ou 100 p. 100 des combustibles fossiles utilisés. Toutes ces différences de paramètres ont un énorme impact.

L'analyse effectuée par Ressources naturelles Canada s'appuie sur le modèle GHGenius, qui est d'un usage courant — plus de 1 800 personnes s'en servent, y compris des chercheurs universitaires, des organismes gouvernementaux et des groupes environnementaux. Il a été démontré que, sur le cycle de vie, les émissions de gaz à effet de serre sont réduites de 40 p. 100 dans le cas de l'éthanol s'il est substitué à l'essence et de 50 p. 100 sur le plan des énergies fossiles. Dans le cas du biodiésel, ces taux sont encore plus élevés; l'avantage sur le plan énergétique est de 80 p. 100 dans le cas du biodiésel et de 60 p. 100 dans le cas des réductions de gaz à effet de serre. Si l'on se tourne vers la génération suivante, selon l'intrant et la technologie utilisés, on pourrait réduire jusqu'à 90 p. 100 les émissions de gaz à effet de serre.

Le président : Si vous pouviez envoyer à notre greffier le document portant sur ces différences de paramètres et de méthodologie dont vous avez parlé, ce serait très utile. Vous êtes les premiers témoins que nous entendons au sujet du projet de loi à l'étude, mais il y a en aura d'autres, de sorte qu'il serait utile aux membres d'avoir cette information.

M. Ritz : Un autre point qui n'est souvent pas mis en valeur quand on parle d'analyse coût-avantages, c'est l'énorme quantité de carbone retirée de l'air et de l'atmosphère par la nouvelle culture qu'amorce le cycle d'agriculture. Il s'agit aussi d'un net avantage; le carbone pénètre le sol et y est retenu — je parle de la séquestration du carbone.

Le président : Compte tenu des gains d'efficacité que nous examinons, il est facile d'affirmer, si nous en utilisons 5 p. 100 dans notre essence, qu'on économisera 5 p. 100 de l'essence consommée, mais ce n'est pas vrai. Pourriez-vous, je vous prie, nous parler de l'affaiblissement à l'insertion, si je puis m'exprimer ainsi — c'est-à-dire l'avantage net sur le plan énergétique — parce que la production d'éthanol exige également des intrants?

Pouvez-vous nous dire quel modèle vous utilisez pour déterminer quel est l'avantage net sur le plan énergétique? Certains d'entre nous croient savoir que le rapport réel est d'environ 1,25. En d'autres mots, la production de cinq unités d'énergie à partir de l'éthanol exige quatre unités de combustible fossile. Est-ce une affirmation juste, exacte ou erronée?

Mme Orsborne : Vous trouverez la réponse à cette question dans l'analyse que je vous enverrai. Plutôt que de nous lancer dans un débat sur les chiffres, je préfère vous envoyer l'analyse qui a servi à élaborer la stratégie relative aux combustibles renouvelables. Il s'agit d'un modèle, de sorte que je vous enverrai l'information pour que vous ayez à portée de la main les faits et les données justes.

Le président : Les nombres que je vous ai cités ne sont-ils pas bons?

Le sénateur Mitchell : Je croyais vous avoir entendu préciser à combien se chiffreraient les réductions de gaz à effet de serre.

Mme Orsborne : Durant le cycle de vie, mais je crois que l'honorable président parle de facteurs différents. Il est question de gains d'efficacité à différents stades du cycle de vie. Ce dont j'ai parlé concernait un cycle qui va de la production de la culture jusqu'au moment où le produit aboutit dans une automobile sous forme d'éthanol ou de biodiésel; c'est-à-dire 50 ou 40 p. 100, les nombres que je vous ai cités. Les facteurs de conversion sont des détails que nous aurions intégrés au modèle pour la stratégie relative aux combustibles renouvelables et au facteur d'efficacité. Nous pouvons vous fournir tout cela dans un résumé.

Le président : Quand vous le ferez, pouvez-vous nous le préciser en termes de bilan énergétique net dont il est tant question?

M. Ritz : De nombreuses discussions portent également sur les coûts de production en amont et en aval.

Le président : Et où tire-t-on la ligne?

M. Ritz : Justement : des quantités énormes de combustible fossile sont utilisées pour la découverte, le développement et la mise en production de combustibles fossiles. J'ignore comment, mais on oublie de les intégrer à l'équation parfois. On dit que l'agriculteur a utilisé telle quantité dans son tracteur pour ensemencer et telle autre dans la moissonneuse-batteuse pour faire la récolte, mais on ne tient pas compte du forage et de la prospection du côté des combustibles fossiles. Si l'on veut faire des comparaisons valables, il faut intégrer plus d'éléments à l'équation.

Le président : Les Nations Unies ont proposé récemment qu'il devrait y avoir un moratoire sur le développement et l'utilisation plus poussée d'éthanol en particulier et d'autres biocombustibles en règle générale jusqu'à ce qu'on ait déterminé si la culture de céréales à des fins de production de combustibles ne nuit pas à leur culture à des fins d'alimentation. Le gouvernement a-t-il tenu compte de cette proposition? Je sais que vous avez abordé la question tout à l'heure, mais je parle plus particulièrement du moratoire demandé par les Nations Unies.

M. Ritz : Je ne crois pas que nous soyons disposés à ce stade-ci à tourner le dos à nos cibles de 5 p. 100 et de 2 p. 100. Nous avons une approche pragmatique qui est équilibrée. C'est en partie la raison pour laquelle nous n'avons pas vu trop grand au départ. Il faut apprendre à marcher avant de pouvoir courir. Il faut faire en sorte que tout fonctionne bien. Je sais que le modèle américain en matière de biodiésel était ambitieux et que les États-unis ont dû y mettre les freins et repenser une grande partie de leur programme.

La demande faite par les Nations Unies à cet égard ne me pose pas de problème. Je crois que d'autres pays vont peut-être devoir réévaluer leur stratégie. Une comparaison de notre stratégie et de notre rythme de transition à ceux des autres serait très avantageuse. Nous avons refusé d'aller trop vite et de poser trop d'exigences à l'industrie pour réaliser cet objectif — un objectif de 5 p. 100 est parfaitement raisonnable.

Comme je l'ai dit, le facteur qui joue le plus dans la production d'aliments est beaucoup plus d'ordre météorologique que cette cible de 5 p. 100. Je ne vois pas pourquoi il faudrait mettre la pédale douce.

Le sénateur Spivak : Je vous entends avec plaisir parler des faits nouveaux qui surviennent sur le plan de la production de combustibles à partir de déchets et ainsi de suite. Entre-temps, nous utilisons des cultures non pas pour nous alimenter, mais pour produire du combustible.

Je comprends ce dont vous parlez concernant l'approche canadienne, et elle est probablement équilibrée. Toutefois, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture a déclaré l'an dernier que la production mondiale de céréales avait augmenté de 4,6 p. 100, mais que la demande, elle, avait bondi de 5 p. 100. C'était presque l'équilibre.

Simultanément, une quantité record de 100 millions de tonnes de céréales a été utilisée pour la production de biocombustible. Si les céréales n'avaient pas servi à cette fin, nos stocks de céréales auraient progressé de 12 p. 100 environ. À l'échelle mondiale, ce ne sont pas seulement les cours du pétrole qui s'envolent, mais également ceux des céréales, dont les réserves baissent.

M. Ritz : En tant que stocks utilisables? Nous avions l'habitude d'avoir des réserves de trois mois et tout le reste.

Le sénateur Spivak : Je ne laisse pas entendre que le Canada, avec son modeste équilibre, est dans cette situation. Je parle du fait que l'utilisation de céréales pour produire du combustible n'est pas sans danger.

J'aimerais poser une autre question. Le département de l'Énergie des États-Unis a calculé qu'il faut 10 000 litres d'eau pour produire 5 litres d'éthanol et peut-être 1 ou 2 litres de biodiésel. Je répète que ces chiffres nous viennent du Département de l'Énergie des États-Unis. J'ignore ce qu'il en est au Canada.

Je remarque que vous avez récemment débloqué de l'aide pour les agriculteurs de la Saskatchewan qui sont aux prises avec une sécheresse. Avez-vous tenu compte de l'eau — nous parlons de progrès environnemental — utilisée pour faire pousser les céréales qui servent à la production d'éthanol et de biodiésel?

M. Ritz : Plusieurs facteurs jouent dans la crise alimentaire mondiale. La plus grande pénurie observée, chez les plus pauvres de la planète, concerne le riz, qui n'est pas utilisé comme base d'éthanol. La culture du riz est en baisse dans le monde entier. Dans les économies nouvelles et émergentes que sont la Chine et l'Inde notamment, la classe moyenne qui est en train de se former préfère d'autres aliments que le riz.

Quand j'étais à Cuba, j'y ai rencontré le ministre du Commerce international, il tentait d'acheter du riz du Vietnam du Sud. Or, ce pays avait décrété un moratoire sur les exportations de riz parce qu'il souhaitait éviter des pénuries intérieures.

Le ministre m'a demandé ce qu'il devait faire, car le cours du riz avait grimpé à 1 200 $ la tonne et pourrait même atteindre un sommet encore plus élevé d'ici la livraison à Cuba. Je lui ai répondu qu'il fallait que les Cubains changent leur alimentation. S'ils ne peuvent pas acheter de riz, il faut qu'ils commencent à envisager la consommation de substituts.

Je lui ai dit que le Canada produisait beaucoup de pommes de terre dans la région atlantique et en Alberta et qu'il pourrait en vendre à Cuba pour moitié moins cher, à apport nutritif égal. Toutefois, il faudrait que la population remplace le riz par la pomme de terre dans son alimentation. Il existe des moyens de contourner le problème.

Sur le plan de l'utilisation de l'eau, une grande partie de cette eau est récupérée et réutilisée. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il faut 10 000 litres pour produire...

Le sénateur Spivak : Je vous rappelle que ces chiffres émanent du département de l'Énergie des États-Unis.

Mme Orsborne : Une des distinctions à faire entre le Canada et les États-Unis lorsqu'il est question du cycle de vie — je n'ai pas vu l'article, mais je suppose qu'à ce niveau, on tient compte du cycle de vie —, c'est que le ministère parle d'irrigation des cultures et des cultures utilisées pour produire des biocombustibles. Notre production agricole est différente de la leur.

Le sénateur Spivak : La Saskatchewan n'a-t-elle pas recours à l'irrigation?

M. Ritz : Elle n'y a pas beaucoup recours.

Le sénateur Spivak : Et l'Alberta?

M. Ritz : À nouveau, elle en fait une utilisation sporadique.

Le sénateur Spivak : Vous dites que la Saskatchewan y a très peu recours?

M. Ritz : Sans aller jusqu'à tenter d'en faire une approximation, l'irrigation représente un faible pourcentage du nombre total d'acres cultivés. En Alberta, l'irrigation est surtout utilisée dans la partie méridionale de la province.

Le président : L'irrigation en Alberta ne sert pas à la production de céréales, mais bien à d'autres cultures.

Le sénateur Spivak : Je ne dis pas que vous n'êtes pas en train de faire un pas modeste. Je crois que c'est le cas.

Toutefois, l'idée que la production agricole soit détournée des fins d'alimentation pour la production de combustibles à ce stade-ci inquiète de nombreux Canadiens qui s'interrogent sur les conséquences morales, quand on sait que la demande de produits alimentaires ne baissera pas, étant donné l'inclusion dans l'équation de la Chine et de l'Inde. Il faudrait peut-être en tenir compte.

Dans quelle mesure le gouvernement tient-il compte de la demande croissante de produits alimentaires quand il envisage l'avenir et l'utilisation de déchets et de matières fibreuses pour produire des biocombustibles? C'est ce que nous aimerions tous savoir.

M. Ritz : Je ne pourrais en convenir davantage avec vous. Nous parlons là de la génération suivante. Cela ne fait pas de doute.

Nous sommes également une société qui gaspille. Autant nous recyclons, autant il y a d'ordures dans chaque petite localité du Canada. Dans les grands centres urbains, c'est là un des grands problèmes. La bonne chose à faire et la chose responsable à faire pour les gouvernements, c'est de trouver des moyens de réutiliser ces ordures et de les transformer en énergie dont nous avons tant besoin.

Les cibles de 5 et de 2 p. 100 sont un premier petit pas.

Le sénateur Spivak : D'après le sénateur Brown, vous ne les augmenterez pas.

M. Ritz : Il est possible de les augmenter, mais à mesure que nous le faisons, la dépendance à l'égard des combustibles fossiles baisse parce que nous la remplaçons par une dépendance sur les biocombustibles.

Le cours du pétrole frise actuellement les 140 $ le baril. À quel prix faut-il qu'il grimpe avant que les Canadiens prennent au sérieux le covoiturage et toutes les autres mesures dont on parle constamment, mais qu'on n'adopte jamais?

Je crois que des changements majeurs vont survenir à l'échelle mondiale. Le Canada est un citoyen mondial responsable quand il est question de production alimentaire et d'autres problèmes auxquels nous sommes confrontés. Le Canada est un pays démocratique doté d'une conscience et nous avons la feuille de route pour le prouver. Nous continuerons de nous imposer comme un leader.

Le président : Comme vous l'avez dit tout à l'heure, une des sources de la pénurie mondiale d'aliments n'est-elle pas le fait que les États-Unis et certaines parties de l'Europe pratiquent le dumping à des prix qui entraînent la disparition des producteurs locaux?

M. Ritz : C'est là la genèse du cycle de négociation de Doha de l'Organisation mondiale du commerce. Nous réalisons des progrès. Nous en sommes incontestablement à de micro-étapes. Nul ne peut prédire s'il en sera question au sommet ministériel prévu pour le printemps prochain ou le début de l'été. Plus la négociation prendra du temps, moins il y aura de chance pour qu'elle aboutisse.

Les exigences des grands joueurs par rapport aux autres changent au jour le jour. Il faut attendre d'en connaître le résultat final. Toutefois, le cycle de négociation de Doha représente la genèse de beaucoup de discussions concernant la façon d'uniformiser les règles et de faire en sorte que les agriculteurs tiers-mondistes ont des chances de réussir.

Le président : Il faut espérer que ce sera le cas.

Le sénateur Milne : En février, quand le projet de loi se trouvait à l'étude du comité de la Chambre des communes — c'est-à-dire il y a quatre mois —, le gouvernement offrait une exemption de la taxe d'accise si l'éthanol était utilisé en tant que carburant sur la route, quelle que soit sa source. En d'autres mots, les producteurs canadiens pouvaient l'acheter des États-Unis ou du Brésil s'ils le souhaitaient.

Je crois savoir que l'exemption a pris fin le 1er avril. Quand M. McEwen a comparu devant ce comité-là, il a fait remarquer que des incitatifs seraient offerts aux producteurs en vue de remplacer l'exemption de la taxe d'accise. Tout à l'heure, M. McEwen a dit qu'il ignorait encore quelle serait la suite.

Il y a sûrement du nouveau dans ce dossier après quatre mois, et soit le ministre soit vous, monsieur McEwen, savez ce que projette le gouvernement.

M. McEwen : J'espère que je n'ai pas dit que le gouvernement ignorait ce qu'il ferait de ce dossier. Mon collègue de Ressources naturelles Canada peut nous dire à quel stade il en est.

Le sénateur Milne : Vous êtes celui qui en a parlé en février. Madame Orsborne, peut-être pouvez-vous nous donner la réponse que ne peut nous fournir M. McEwen.

Mme Orsborne : M. McEwen fait probablement allusion au programme ÉcoÉnergie pour les biocarburants. Le premier ministre l'a annoncé l'été dernier, et le programme d'un million et demi de dollars a débuté en avril. Nous avons reçu 23 demandes que nous sommes en train d'examiner.

Le sénateur Milne : Vous avez des demandes. Combien de temps faudra-t-il pour les examiner et pour qu'une action se concrétise?

Mme Orsborne : Nous avons 23 propositions qui font l'objet d'un examen dans le cadre du programme actuellement. Si elles satisfont aux critères, elles seront intégrées au programme.

Le sénateur Milne : Monsieur le ministre, le Canada cessera-t-il d'acheter de l'éthanol des États-Unis?

M. Ritz : C'est possible. L'ALENA laisse la porte grande ouverte aux acheteurs et aux vendeurs qui sont disposés à le faire. Nous avons également des ententes de libre-échange avec d'autres pays qui produisent de l'éthanol. Une fois que nous aurons signé ces ententes, les échanges commerciaux débuteront. Que l'éthanol fasse partie ou non des accords, il s'agit d'un bien commercialisable. Autant nous pouvons importer, naturellement, autant nous pouvons exporter également. C'est là la nature d'un accord de libre-échange.

Le sénateur Milne : Si les producteurs canadiens joignent le geste à la parole et commencent à produire de l'éthanol à la suite du projet de loi à l'étude, pourront-ils aussi faire du commerce avec le Brésil?

M. Ritz : Oui. Tout dépend du mélange qu'ils utiliseront et de ce qu'en fait l'utilisateur final.

Le sénateur Milne : Si l'éthanol en provenance d'autres pays est meilleur marché que le nôtre, le projet de loi à l'étude ne les aidera pas beaucoup, n'est-ce pas?

M. Ritz : Il existe toujours des moyens de contourner le problème. La qualité de leur éthanol doit être la même que celui qui est produit au Canada. Nous avons une certaine norme que nous appliquons. Il existe également différentes qualités d'essence dans le monde. Il faudrait y aller cas par cas.

Incontestablement, il y a beaucoup de place à la croissance. Ce que je crains le plus, c'est que, plus nous mettons du temps en tant que gouvernement à adopter la mesure législative, plus le marché avide sera alimenté par des sources externes. Une fois que nous ouvrons le robinet et qu'une canalisation commence à en transporter dans un sens particulier, il est difficile de le fermer, de refouler cette source.

Le sénateur Milne : Il me semble que le pipeline fonctionne déjà, que le robinet est déjà ouvert.

M. Ritz : Pas tant que cela. Il y a du produit disponible ici et là. Le biodiésel est utilisé dans les mines souterraines depuis quelque dix ou 15 ans dans le cadre d'un projet pilote. Ce combustible a été importé parce que nous n'en produisions pas du tout à ce moment-là.

Nous avons le potentiel et la capacité de nous en sortir gagnants. Notre partenaire commercial le plus rapproché et le plus important sont les États-Unis. Ils ont tellement besoin d'énergie qu'en dépit de l'ambition de leur calendrier et de leurs cibles, ils sont encore à court.

Le président : Monsieur le ministre, vous avez mentionné l'échéancier. J'aurais dû vous informer plus tôt que notre comité siégera le mercredi 25 juin et le jeudi 26 juin et qu'il fera rapport au Sénat le 26 juin de ses recommandations au sujet du projet de loi à l'étude.

Le sénateur Mitchell : Madame Orsborne, nous allons devoir prendre notre décision très rapidement. Par conséquent, pourriez-vous nous envoyer ces études au plus tôt?

Mme Orsborne : Oui, je le ferai.

Le sénateur Mitchell : Nous en avons besoin d'ici demain.

Le président : À cet égard, chers collègues, vous plaît-il que Mme Orsborne nous envoie ces données et qu'elles soient intégrées au compte rendu officiel des délibérations?

Le sénateur Mitchell : J'aimerais creuser la question un peu plus maintenant.

Le sénateur Spivak : Pouvez-vous nous fournir également des données du Library of Congress des États-Unis pour les émissions attribuables au maïs qui entre dans la production d'éthanol?

Mme Orsborne : J'ignore si nous avons la capacité de le faire d'ici demain. Je n'ai pas examiné ces données.

Le président : Nous pouvons demander à nos attachés de recherche et à nos analystes de nous fournir l'information, sénateur.

Le sénateur Spivak : Je croyais que vous auriez peut-être une analyse comparative.

Le sénateur Mitchell : Je tiens à éclaircir ce que vous avez dit tout à l'heure parce que vous nous avez fourni certains chiffres. Je ne pense pas pécher par excès d'optimisme quand j'affirme vous avoir entendu dire qu'il y a une réduction importante des émissions nettes de carbone et des combustibles fossiles utilisés. J'ai raison?

Mme Orsborne : Oui. Il en ressort un avantage important sur le plan du style de vie, du point de vue des énergies fossiles et des émissions de gaz à effet de serre, quand nous remplaçons un litre d'essence par un litre d'éthanol et un litre de diésel par un litre de biodiésel.

Le sénateur Mitchell : Est-ce l'équivalent d'une unité thermique britannique, de 1 BTU? Un litre d'éthanol fournit-il la même quantité d'énergie qu'un litre d'essence?

Mme Orsborne : Il existe des différences sur le plan de l'efficacité.

Le sénateur Mitchell : À quel point sont-elles grandes?

Mme Orsborne : Ces données font partie de l'analyse globale. Je puis vous fournir le renseignement.

Le sénateur Mitchell : Il subsiste encore des gains nets de carbone...

Mme Orsborne : C'est la base des facteurs de réglementation dont tient compte Environnement Canada pour calculer l'avantage sur le plan des gaz à effet de serre.

Le sénateur Mitchell : Avez-vous vu les études et les estimez-vous fiables?

Mme Orsborne : Nous gérons le modèle GHGenius, et c'est le seul de son genre au Canada. Il est bien vu.

Le sénateur Brown : Avez-vous déjà entendu parler de la vedette d'Hollywood qui a déclaré que les produits agricoles doivent servir à nourrir la population, non pas à réaliser des profits? Je crois que nous avons établi il y a longtemps que, dans le monde des moissonneuses-batteuses à 400 000 $ l'unité, il faut que les agriculteurs réalisent un profit. Je ferais la même réponse aux Nations Unies.

Le Canada est et a toujours été considéré comme un exportateur de denrées agricoles. Nous exportons, je crois, 80 p. 100 de nos cultures et n'en consommons que 20 p. 100. La situation aux États-Unis est tout à fait à l'opposé : ils consomment 80 p. 100 de leur production et exportent les autres 20 p. 100. C'est ce qui a mis les agriculteurs canadiens en légère difficulté au fil des ans parce que les Américains ont toujours été capables de produire leurs denrées à meilleur coût.

Je voulais mettre fin une fois pour toutes à l'idée que les denrées agricoles ne sont pas destinées à réaliser des profits, parce que les agriculteurs en ont besoin.

M. Ritz : Le plus grand facteur à l'origine de la montée des cours des aliments récemment a été la spéculation. Le cours du pétrole et des combustibles fossiles ne pourra monter plus haut. Par conséquent, les spéculateurs cherchent par d'autres moyens à réaliser des profits. C'est le cas notamment des oranges, selon le gel et tout le reste. C'est la spéculation sur les aliments qui fait grimper les prix, non pas ce que l'agriculteur en tire.

Actuellement, l'agriculteur fait 19 cents par miche de pain vendue 3 $. Nous ne sommes pas les méchants. Chacun reçoit sa part. Il y a beaucoup d'intermédiaires. Le coût de transport est un facteur qui pèse lourd sur les agriculteurs. On ne connaît pas tous les dessous de la croissance des cours.

Le sénateur Brown : L'intrant le plus important pour les agriculteurs est le coût des combustibles fossiles parce qu'ils sont essentiels à tout ce qu'ils font.

M. Ritz : En tant qu'agriculteurs, nous sommes captifs des hydrocarbures. Ils servent de base à la fabrication d'engrais et d'autres produits chimiques, au transport, à l'alimentation de l'équipement et ainsi de suite. Nous sommes d'importants utilisateurs, et c'est un excellent moyen pour les agriculteurs de recycler le carbone en faisant une culture qui est utilisée dans les usines d'éthanol.

Le président : Monsieur le ministre, j'ai une dernière question pour vous : le comité a vertement critiqué le gouvernement antérieur et le vôtre et a même fortement protesté contre leur stratégie de développement d'énergies renouvelables. Notre dernier rapport a été déposé au Sénat la semaine dernière. Vous ne l'avez peut-être pas vu encore, mais il correspond aux vues exprimées au cours des dernières années — au sujet de gouvernements successifs — par les commissaires respectifs de l'environnement et du développement durable.

L'Union européenne envisage de mettre en œuvre une loi qui n'autoriserait l'entrée sur le marché que des biocombustibles « certifiés ». Cette mesure législative joue-t-elle dans la politique que présentera notre gouvernement et dans la réglementation qui sera promulguée?

M. Ritz : Parlez-vous de cela par opposition au marché noir de l'éthanol? Que voulez-vous dire par « certifiés »?

Le président : Les biocombustibles sont certifiés, en ce sens qu'ils doivent rapporter un niveau repère ou un niveau minimal d'économies sur le plan des émissions de gaz à effet de serre et qu'ils doivent répondre à d'autres critères en matière de durabilité.

M. Ritz : Ils ont assorti la production d'éthanol ou de biodiésel d'une norme d'économie de gaz à effet de serre? Nous sommes à la recherche d'un gain. S'il n'y a pas de gain net, pourquoi le ferions-nous? La raison d'être de cette stratégie est d'avoir un plafond solide et, d'ici 2020, d'avoir atteint une certaine cible. Une bonne partie de notre formule repose sur son adoption. Trois milliards de litres d'éthanol, c'est comme si l'on retirait 1 million d'autos de la route. Si nous n'atteignons pas cette cible, dans une certaine mesure, nous aurons fait tout cela pour rien.

Il existe un gain important à réaliser. Il sera parfois difficile de faire une évaluation qualitative et quantitative des données réelles, mais en règle générale, nous sommes dans la bonne voie.

Le président : Le projet de loi à l'étude, qui a été amendé par le comité de la Chambre des communes, laisse entendre que les comités parlementaires devraient étudier son efficacité régulièrement. Cependant, le projet de loi n'exige pas de pareil examen.

Êtes-vous à l'aise avec l'idée d'un examen serait facultatif plutôt qu'obligatoire?

M. Ritz : Je suis un partisan des examens. Nous passons au projet suivant et oublions le précédent. Il y a tant de travail à faire. Je n'ai rien contre l'idée de passer en revue le projet de loi pour voir si son impact est favorable. Donnons aux Canadiens l'assurance qu'il n'y a pas de perte dans la chaîne alimentaire. Je ne suis pas opposé à l'idée de faire des examens.

Le président : Notre comité fait beaucoup d'examens, monsieur le ministre, et vous pouvez compter sur lui pour faire celui du projet de loi à l'étude.

Vous aimeriez peut-être savoir quand auront lieu nos réunions portant sur le projet de loi à l'étude. La première aura lieu jeudi matin, à 8 h 30. Nous entendrons toute une série de témoins.

Les réunions suivantes sont prévues pour le mercredi 25 juin, à 9 heures, à 13 heures et à 17 heures. De plus, nous siégerons le jeudi 26 juin, à 9 heures, à 13 heures et à 17 heures, au besoin. C'est ce jour-là que nous nous prononcerons, que nous ferons l'étude du projet de loi article par article et que nous en ferons rapport au Sénat.

M. Ritz : Excellent!

Le président : Chers collègues et monsieur le ministre, je vous remercie de votre patience. Monsieur McEwen et madame Orsborne, merci également d'être demeurés des nôtres.

La séance est levée.


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