Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 11 - Témoignages du 25 juin 2008
OTTAWA, le mercredi 25 juin 2008
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-33, Loi modifiant la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999) et le projet de loi C-474, Loi exigeant l'élaboration et la mise en œuvre d'une stratégie fédérale de développement durable et l'élaboration d'objectifs et de cibles en matière de développement durable au Canada, et modifiant une autre loi en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 9 h 14, pour étudier ces projets de loi.
Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, mesdames et messieurs. Je suis le sénateur Tommy Banks, et j'ai l'honneur de présider le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles.
Avant de commencer, je voudrais présenter à nos invités et au public qui nous suit à la télévision les sénateurs qui sont présents. À la droite immédiate de notre invité, nous avons le sénateur Nick Sibbeston, qui représente les Territoires du Nord-Ouest. À côté de lui, il y a le sénateur Cochrane, qui représente Terre-Neuve-et-Labrador. À la droite du sénateur Cochrane vous avez le sénateur Bert Brown, qui représente l'Alberta. À notre gauche, vous avez le sénateur Elaine McCoy, qui est également de l'Alberta. Assise à côté d'elle, il y a le sénateur Myra Spivak, qui représente le Manitoba; puis le sénateur Willy Adams, qui représente le Nunavut; vous avez ensuite le sénateur Lorna Milne, qui représente l'Ontario; le sénateur Jim Munson, qui nous représente tous à un moment ou à un autre, mais représente en fait l'Ontario; le sénateur Colin Kenny, qui représente l'Ontario; et notre vice-président, le sénateur Nolin.
Aujourd'hui, nous allons poursuivre notre examen du projet de loi C-33, Loi modifiant la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999). Ce projet de loi a pour objet de donner au gouvernement le pouvoir de réglementer le contenu renouvelable des carburants en modifiant cette loi.
Les témoins que nous entendrons aujourd'hui sont les suivants : M. Pat Mooney, directeur exécutif du Groupe ETC; M. Ian Lordon, agent des communications, Coalition au-delà de l'agriculture industrielle; Mme Colleen Ross, présidente de la Section des femmes, Syndicat national des cultivateurs.
Nous vous remercions d'avoir bien voulu vous libérer pour être avec nous aujourd'hui. Nous vous saurions gré de présenter vos remarques de manière aussi complète et concise que possible afin de réserver le maximum de temps pour la période de questions.
Sénateurs, nous sommes limités par le temps, comme vous le savez. Je serai donc extrêmement attentif et prêt à couper court. Nous sommes ici pour entendre les points de vue de nos invités et pour leur poser des questions. Nous aurons le temps nécessaire, plus tard, pour exprimer nos opinions personnelles au sujet du projet de loi. Mais pour aujourd'hui, la séance est réservée aux questions.
Le sénateur Kenny : C'est donc un changement radical, monsieur le président.
Le président : Oui, radical.
Monsieur Mooney, veuillez commencer. Vous avez la parole.
Pat Mooney, directeur exécutif, Groupe ETC : Je vous avouerai d'entrée de jeu que je ne suis pas un expert dans le domaine des biocarburants. J'ai l'impression que depuis quelques mois, ma vie est totalement accaparée par ces questions de biocarburants.
J'ai cependant une certaine connaissance de la sécurité alimentaire ainsi que des questions relatives à l'alimentation et à l'agriculture sur le plan mondial. Je pense que c'est donc la raison pour laquelle on m'a offert l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui, et je vous en remercie.
Peut-être devrais-je dire que la question des biocarburants m'a quelque peu surpris. J'ai assisté à trois rencontres internationales au cours de ces derniers mois; les biocarburants n'en étaient pas le sujet mais, tout d'un coup, sur le plan international, toutes les discussions ont commencé à tourner autour des biocarburants. Une de ces rencontres était une conférence très importante sur la biodiversité agricole, qui s'est déroulée à Bonn, en Allemagne, en mai. Il s'agissait d'une conférence de deux semaines, officiellement baptisée Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique (CDB) ou CoP 9, dont le Canada est l'hôte à Montréal, bien que la rencontre en question ait eu lieu en Allemagne.
Il s'est avéré que le débat tout entier a porté sur les biocarburants, sur la question de savoir s'ils étaient bons ou mauvais pour l'environnement et s'ils étaient bons ou mauvais lorsqu'il s'agissait de régler les problèmes d'énergie. Une chose est claire, une des préoccupations majeures exprimées par les gouvernements était que les biocarburants posent un réel problème pour la sécurité alimentaire. Il s'agissait pourtant d'une réunion concernant la convention sur la biodiversité.
Après les réunions de Bonn, je me suis rendu directement au Sommet de l'alimentation tenu à Rome, au début de juin. Les biocarburants et la bioénergie étaient inscrits à l'ordre du jour. Trois sujets ont été examinés, en tout premier lieu, la crise alimentaire et ses liens avec les questions de bioénergie et le changement climatique.
Cent quatre vingt un pays participaient à cet important sommet. Le débat a été accaparé par l'affrontement entre ceux qui pensaient que les biocarburants étaient bons pour la sécurité alimentaire et pour l'environnement, et ceux qui pensaient le contraire. J'ai vraiment eu l'impression que les autres questions avaient été laissées de côté. Les autres questions vraiment importantes, en particulier celle du changement climatique, n'ont pas été discutées.
J'ai été encore plus surpris à une réunion antérieure en avril. J'avais été invité par les organisateurs d'une grande conférence appelée BioVision, qui a lieu tous les ans. C'est une réunion mondiale à laquelle environ 2 000 scientifiques participent chaque année. Il y a une forte représentation de l'industrie et du gouvernement qui examinent l'état actuel de la biotechnologie. J'ai été invité à parler de la nanotechnologie, et non des biocarburants ou de la biotechnologie. Cependant, encore une fois, à cette réunion de 2 000 scientifiques du monde entier, la seule résolution adoptée à la fin de la conférence — à une conférence qui, censément, ne permet pas de présenter de résolutions — a été une déclaration d'opposition aux biocarburants. Il y avait une telle diversité de scientifiques et d'intervenants politiques à la table que j'ai été profondément surpris que les biocarburants deviennent l'essentiel du débat.
Je demande instamment au Sénat de retarder toute décision et de consacrer plus de temps à un examen de cette question. La scène change de jour en jour et de semaine en semaine. Une nouvelle ébauche de rapport provenant du Royaume-Uni a été rendue publique par le Guardian il y a deux ou trois jours. Ce rapport paraîtra demain ou sa sortie sera peut-être retardée jusqu'à lundi prochain. Apparemment, il obligera le Royaume-Uni à modifier considérablement sa position sur les biocarburants. Nous entendons aussi parler d'autres rapports qu'élaborent la Banque mondiale ou l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture. Je fais partie d'un comité de la FAO constitué pour examiner cette question, qui tiendra une réunion qui lui sera consacrée l'an prochain.
Je crois que la scène est en train de changer et qu'il importe de ne pas se précipiter pour prendre position sur une question suscitant des opinions qui changent constamment. Ni les partisans, ni les adversaires des biocarburants ne semblent capables de porter l'estocade définitive qui permettrait de dire : « Voici la preuve très claire, la preuve indiscutable, que les biocarburants sont vraiment une bonne chose; qu'ils seront bénéfiques. »
On pourrait penser, après toutes ces années de discussions et d'expérimentations au Brésil, au Canada et aussi dans les pays occidentaux, que s'il existait un argument indiscutable en faveur des biocarburants, il aurait été présenté et nous le saurions. Nous ne serions pas là à discuter pour savoir s'il s'agit d'un rapport de 2 à 1 ou 1,25 à 1; ce genre de discussion aurait été réglé. Or, ce n'est pas le cas. Le sujet revient constamment dans la presse et dans les revues scientifiques. Cela devrait nous inquiéter.
À la réunion de la Convention sur la biodiversité en Allemagne, nous avons eu l'étrange impression que l'Afrique tout entière demandait que le développement des biocarburants fasse l'objet d'un moratoire. Les pays africains disaient : « De grâce, n'allez pas plus loin. » Ils demandent qu'on mette fin aux subventions en Europe. Face à cela, il y avait l'Union européenne — et ses 27 pays — qui voulaient que les Africains changent leur position. Nous leur avons parlé individuellement. Ils voulaient retirer leur soutien aux biocarburants mais ils ne pouvaient pas le faire. Le groupe de Bruxelles avait pris la décision, des mois avant les négociations, et il était incapable de changer aussi rapidement de cap. L'un après l'autre, tous ces pays disent qu'ils savent que c'est un problème et qu'il faut le résoudre.
L'Afrique est le continent où règne la faim; le continent pour lequel les biocarburants posent un problème. Le reste du monde dit aux Africains qu'il s'agit là d'une industrie qu'ils pourraient développer et adopter complètement; à cela ils répondent : « Nous n'en voulons pas. Nous nous méfions des impacts que cela aura sur nous. »
L'Afrique a pratiquement été ignorée par tout le monde. C'était le Brésil, les États-Unis, le Canada et l'Union européenne qui poussaient à l'adoption de leur position; ce qui ne les empêchait pas de faire des mises en garde et de déclarer : « Nous ne sommes pas trop sûrs de cela; il faudrait étudier la question plus à fond », entre autres. Pourtant, ils n'ont pas accepté le moratoire.
La même situation s'est présentée au sommet de Rome sur l'alimentation. Le Brésil, les États-Unis et l'industrie des biocarburants étaient les protagonistes, et de l'autre côté, il y avait l'Europe qui, avec l'expérience acquise au bout d'une semaine, gagnée par la certitude, avait adopté une attitude de plus en plus effacée sur la question, ne voulant pas trop s'engager.
Encore une fois, les pays africains disaient qu'ils ne voulaient pas de l'industrie des biocarburants; que c'était dangereux pour eux et que cela constituait un grand risque pour leur sécurité alimentaire. Ils étaient opposés à ce que quiconque s'engage sur cette voie.
J'ai été invité par la FAO à discuter avec la British Petroleum et l'ancien président du Niger de toute la gamme des questions qui se posaient pour les gouvernements. Trois points sont ressortis de cette discussion et je propose que votre comité les examine et, je l'espère, que l'ensemble du public canadien le fasse également.
Premièrement, nous avons toujours tendance à vouloir dire que ce que nous faisons, nous ne le faisons que pour notre pays, que ce sera seulement pour le Canada ou pour le Brésil et qu'il n'y aura pas de répercussions ailleurs. Moi qui m'occupe des produits agricoles depuis 40 ans, je trouve cela remarquable. Toute décision prise par nous au Canada dans le domaine agricole a des répercussions dans le reste du monde. Ce que fait le Canada dans le domaine de la production de blé, de maïs ou de canola, et cetera, a toujours des répercussions sur les prix et sur les stocks de produits alimentaires dans le monde, et cela détermine qui fait pousser quoi et où.
Il y a quelques jours, j'ai parlé à un collègue du Paraguay qui m'a dit que la production de soja commence à empiéter sur les forêts du Paraguay. Comme le soja n'est pas utilisé pour les biocarburants, j'ai dit que je ne voyais pas le rapport. Ma collègue m'a répondu qu'il y a un rapport; on cultive le maïs dans les anciennes zones de production de soja pour produire des biocarburants si bien que la culture du soja est repoussée dans les zones occupées par la forêt.
Ce genre de liens et de rapports apparaissent dans le monde entier et peuvent avoir un impact énorme. À moins d'être certain que l'inimaginable s'est produit, c'est-à-dire, qu'il est devenu possible d'isoler l'agriculture canadienne du reste du monde, tout ce que nous décidons au Canada en ce qui concerne les biocarburants et les cultures vivrières, a un effet sur le reste du monde et un impact sur les prix des aliments.
Lorsqu'on considère les arguments invoqués au sujet de l'établissement des prix de l'approvisionnement alimentaire dans le monde et de l'influence des biocarburants ou d'autres facteurs sur ces prix, il faut tenir compte des sources de ces arguments. D'un côté, vous avez le gouvernement des États-Unis et l'industrie des carburants qui déclarent que les biocarburants ne sont responsables que de 2 à 3 p. 100 de l'augmentation des prix. De l'autre côté, vous avez le FMI, l'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires qui est appuyé par le Consultative Group on International Agricultural Research affilié à la Banque mondiale, et la Banque mondiale, qui disent que dans certaines conditions, les biocarburants peuvent contribuer à une augmentation de 30 à 65 p. 100 des prix des aliments.
Je ne comprends pas pourquoi la Banque mondiale et le FMI se retourneraient contre le gouvernement des États- Unis, s'ils n'étaient pas obligés de le faire. Si ces deux organismes font ce genre de déclaration, c'est parce que c'est la vérité. Les biocarburants ont un impact considérable sur le prix des aliments.
La logique veut que vous considériez qui dit ces choses et quels sont ses motifs. Je ne vois pas l'intérêt pour le FMI et la Banque mondiale de ne pas essayer d'appuyer la position des États-Unis. Si ces deux organismes disent cela, c'est parce que c'est la réalité; les biocarburants ont un impact considérable.
La seconde question est celle du changement climatique. Nous nous considérons dans une situation d'urgence en ce qui concerne la salubrité des aliments, situation qui, de l'avis de tous, durera des décennies. Il ne s'agit pas d'une année ou deux, mais des dix ou 20 prochaines années. Nous savons qu'au cours de cette période, cette situation d'urgence se présentera et nous savons que les stocks alimentaires sont plus bas qu'ils ne l'ont jamais été depuis des décennies. Nous savons cependant aussi que le changement climatique approche et nous ignorons l'effet qu'il aura sur la production alimentaire.
Il y a quelques jours, j'ai entendu un remarquable témoignage de représentants de l'industrie qui prétendaient qu'il restait encore beaucoup de terres à exploiter. Ils disaient que, selon la FAO, les terres cultivables existent en abondance. C'est vrai à condition de raser toutes les forêts et de nous débarrasser des zones protégées, des parcs nationaux et de la mouche tsé-tsé au Soudan. À ce moment-là, il y aura effectivement des terres arabes. Sinon, tout est déjà en culture.
Nous n'avons aucune idée de ce que sera la production agricole dans les années à venir. Lorsque j'étais à Rome, j'ai vu des données de la FAO qui montraient que d'ici 2030 — dans 20 ans — on ne cultivera plus le blé d'Inde ou le maïs. Il n'y aura plus de culture de maïs en Afrique. Cela parce que les conditions climatiques auront rendu cette culture impossible. Les rendements seront si faibles qu'il n'y aura plus aucune raison de faire pousser du blé d'Inde. Actuellement, c'est la principale denrée de base sur ce continent.
À propos des Prairies canadiennes, j'étais en Saskatchewan il y a quelques semaines. Des gens là-bas m'ont dit que la moitié sud de la province deviendra un bol de poussière.
Lorsque quelqu'un dit de ne pas s'inquiéter; que nous avons bien des terres à exploiter et que les opportunités existent, il n'en reste pas moins que nous ne savons pas quels seront les effets du changement climatique. Donc, ajouter un tout nouveau facteur à une situation où la sécurité alimentaire est extraordinairement fragile, est tout simplement très risqué et dangereux. C'est une nouvelle source de pression qui, une fois établie, sera impossible à inverser, parce que la demande dans l'industrie sera structurée en conséquence.
Il faut être sûr de ce que nous faisons, car si nous ne le sommes pas, les gens mourront de faim. Selon les estimations, il y a aujourd'hui 100 millions de personnes de plus qui souffrent de la faim dans le monde qu'il y a six mois. Selon certaines de ces estimations, ce chiffre passera à 290 millions d'ici la fin de l'année. Ajouter encore à cette pression et introduire le facteur des biocarburants dans l'équation me paraît aberrant.
Que ce soit à des conférences scientifiques, à des conférences sur la biodiversité ou encore au sommet de Rome sur l'alimentation, il semble, selon le consensus qui se dégage, que la situation actuelle n'est pas bonne. Les biocarburants de première génération ne sont pas très efficients, mais il n'est pas nécessaire de s'en inquiéter car ceux de la deuxième génération arriveront bientôt. Nous pouvons nous détendre car cela permettra de régler tous nos problèmes.
J'ai quelques doutes à ce sujet. Il était intéressant d'entendre les représentants de l'industrie expliquer comment convertir des déchets et des algues en carburant. Indiscutablement, c'est très intéressant. C'est absolument fascinant. J'espère que cela marchera, mais nous n'en sommes pas absolument certains.
Ce n'est pas ce que l'on fait actuellement. Nous parlons de la production des terres cultivées en maïs et en canola, qui est le gros problème. Il était inhabituel d'entendre un lobbyiste de l'industrie vous parler de ce qui n'existe pas encore. Il n'a pas parlé de ce qui se passe, c'est-à-dire de la production actuelle de maïs, de canola et de canne à sucre dans le monde. C'est cette production qui sera affectée au cours des 15 à 20 prochaines années. Les scientifiques et les gouvernements à qui je parle du développement de carburants de deuxième génération estiment que l'on est encore loin d'atteindre des rendements commerciaux — même à supposer que le processus fonctionne.
Nous continuerons encore longtemps à avoir le problème créé par l'utilisation des principales cultures vivrières pour produire des biocarburants. Tout cela se fera dans le contexte de la situation d'urgence actuelle en ce qui concerne la salubrité des aliments et du changement climatique.
Est-il donc raisonnable de tenir pour acquis qu'il y aura des carburants de deuxième génération? Je trouve cela inimaginable. Il me paraît impensable de compter sur cette solution théorique alors que nous ne savons pas exactement de quoi il s'agira. S'agira-t-il d'un enzyme artificiel qui « digère » la fibre cellulosique? S'agira-t-il d'une restructuration du plant de maïs lui-même de manière à ce que la tige soit plus consommable, comme celui qu'on cherche à développer en Californie?
Il y a plusieurs possibilités. Personne ne peut exactement mettre le doigt sur ce que cette seconde génération sera, sur la manière dont elle fonctionnera et sur ce que sera son impact mais on nous dit, ayez confiance, ayez foi dans cette solution et, pourquoi pas, croyez au père Noël. Cela ne tient pas debout.
Comment pouvons-nous nous mettre dans une telle situation? J'ai assisté et participé à de nombreux sommets sur l'alimentation au cours des dernières décennies. J'ai entendu toutes ces prévisions où on nous disait de ne pas nous inquiéter, que la faim ne sera pas un problème dans l'avenir et qu'on lui trouvera une solution. Lorsque je faisais mes études secondaires à Winnipeg dans les années 1960, j'ai entendu John F. Kennedy dire que nous avions les moyens et la capacité de faire disparaître la faim et la pauvreté de la face du monde en une seule génération; que tout ce dont nous avions besoin, c'était la volonté de le faire. Il avait tort. Ce n'est pas ce qui est arrivé.
J'ai assisté à la Conférence mondiale sur l'alimentation à Rome en 1974; c'était un sommet très politique, tenu pendant la dernière crise alimentaire, et j'ai entendu Henry Kissinger déclarer que d'ici dix ans plus un seul enfant n'irait se coucher le ventre creux. C'est faux. Ce n'est pas ce qui est arrivé.
J'étais au Sommet mondial sur l'alimentation en 1996 à Rome lorsque notre gouvernement s'est joint à d'autres gouvernements pour déclarer que d'ici 2015, le nombre de ceux qui ne mangent pas à leur faim aura diminué de moitié. Il devait tomber de 830 millions à 415 millions. Aujourd'hui, il est de 862 millions. Leur nombre a augmenté et non pas diminué.
Selon les estimations, d'ici 2020, il y aura 1,2 milliard de personnes souffrant de la faim sur cette planète. Au lieu de réduire leur nombre de moitié, nous l'augmenterons d'une fois et demie.
Les gouvernements disent depuis longtemps qu'ils résoudront le problème de la faim dans le monde, qu'il y a des terres cultivables en abondance, qu'ils augmenteront le rendement des récoltes ou qu'ils résoudront le problème de l'eau. Cela ne s'est jamais réalisé. Ce qui est arrivé, c'est que la consommation d'énergie a augmenté ainsi que le nombre des personnes souffrant de la faim. Je voudrais avoir la preuve que ce qui est décidé aujourd'hui, peut-être par le Sénat lui-même, sera vraiment quelque chose qui ne nuira pas à la santé et au bien-être des 1,2 milliard de personnes qui auront faim.
Je doute que cela arrive. Je crains que nous nous accrochions à des illusions et que nous espérions que notre utilisation des combustibles fossiles sera réduite de 0,65 à 0,7 p. 100 grâce à l'industrie des biocarburants et à ce projet de loi. C'est tellement peu de choses. Nous pourrions obtenir la même réduction en nous contentant de réduire la vitesse de nos véhicules d'un mille à l'heure. Pourtant, si ce projet de loi est adopté, cela coûtera 2,2 milliards de dollars. Il suffirait de mieux gonfler vos pneus pour obtenir le même résultat sans que cela coûte si cher.
Avec ce projet de loi, nous mettrions en place une infrastructure et une industrie qui ne permettront pas de résoudre le problème en cinq ou dix ans. Le problème continuera d'exister. Si la sécheresse frappait la Saskatchewan ou l'Alberta et que ces deux provinces ne puissent pas atteindre les productions requises, l'infrastructure disparaîtrait et nous serions obligés de nous tourner vers la Californie, le Brésil ou l'Indonésie. Certains des représentants des gouvernements africains au Sommet de l'alimentation nous ont suppliés de ne pas le faire.
Colleen Ross, présidente de la Section des femmes, Syndicat national des cultivateurs : Je vous remercie de prendre le temps nécessaire pour réfléchir aux impacts potentiels du projet de loi C-33 et vous livrer à une étude sur ce sujet. Comme je ne veux rien laisser de côté, je tiens absolument à faire plusieurs observations.
Je félicite le Sénat pour la récente publication de Au-delà de l'exode : Mettre un terme à la pauvreté rurale; ce rapport est venu en temps opportun. J'ai comparu devant le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts juste avant que le rapport soit rendu public et à cette occasion, j'ai parlé des profits des grandes sociétés et d'une génération marquée par des crises du revenu agricole. Aujourd'hui, je me retrouve devant vous pour parler du même sujet, mais dans un contexte différent.
Ce rapport de plus de 460 pages du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts contient plusieurs recommandations. Je renvoie le comité à celle dans laquelle il dit qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada et les principaux producteurs devraient effectuer une évaluation complète des impacts de l'industrie des biocarburants sur l'économie rurale. Le rapport contient trois autres recommandations : qu'on effectue une évaluation complète des incidences positives et négatives du développement des biocarburants sur l'économie rurale; qu'on fasse une analyse des avantages et des inconvénients qu'il présente pour les collectivités rurales et les agriculteurs; qu'on examine l'impact des bioraffineries dans les collectivités ainsi que les coûts d'opportunité de l'aide gouvernementale aux secteurs des biocarburants pour l'économie rurale.
Il est aujourd'hui évident qu'une telle évaluation n'a pas été faite et que les partisans les plus fervents de ce projet de loi ignorent des données d'une importance vitale, n'ont pas procédé à de plus larges consultations ou font la sourde oreille.
À l'heure actuelle, une partie des 2,2 milliards de dollars dont l'engagement est prévu pour ce projet de loi serait mieux employée dans des secteurs de l'agriculture et de l'environnement autres que les biocarburants, par exemple, dans l'étude de divers moyens de réduire notre consommation d'énergie et d'assurer la salubrité durable des systèmes alimentaires dans tout le Canada. Les stocks alimentaires dans le monde n'ont jamais été plus bas. Il faut nous donner le temps de réfléchir au message que nous transmettons aux leaders mondiaux et à nos partenaires dans le monde avant de prendre un engagement financier qui donnera l'impression que nous donnons la priorité au carburant sur l'alimentation. En 2006, le Syndicat national des cultivateurs a envoyé un rapport aux Nations Unies et au premier ministre dans lequel il les avertissait que les stocks alimentaires mondiaux étaient au plus bas. Nos avertissements ont été totalement ignorés. Et qu'avons-nous aujourd'hui? Nous avons une crise mondiale de l'alimentation.
Soutenir que l'industrie des biocarburants aura besoin que l'on détourne au moins 5 p. 100 de notre grain pour la production de carburant n'est pas suffisamment précis. Il semble que 5 p. 100 soit le chiffre magique en ce sens que la quantité de carburant qui sera remplacée par des biocarburants n'utilisera que 5 p. 100 de notre espace agricole et 5 p. 100 seulement de notre production de grain. S'agirait-il cependant de 5 p. 100 d'une récolte exceptionnelle au cours d'une année agricole parfaite, lorsque les surplus sont abondants, ou simplement de 5 p. 100 de notre récolte nette pour une année donnée et une période de temps indéterminée? Comment répondrions-nous à nos besoins alimentaires internes, à nos obligations commerciales et au nouvel engagement que nous avons pris d'alimenter les usines de production de carburant? Continuerions-nous à épuiser nos stocks de grain jusqu'à ce que les élévateurs soient vides?
Il y a encore une fois eu une forte hausse du prix du maïs lundi dernier, qui a atteint un niveau record de près de 8 $ le boisseau à la suite des inondations catastrophiques qui ont ravagé la « ceinture de maïs du Midwest américain ». Des millions d'acres de champs de maïs ont été inondées, faisant craindre des récoltes moins abondantes que prévu. À cause de cela, un plus grand nombre d'usines de production d'éthanol ferment temporairement ou, dans d'autres cas, les plans d'expansion et de construction de nouvelles usines sont mis en attente. Cette réaction aux inondations est due au fait que le succès de l'industrie est tributaire du faible prix du grain et d'autres intrants proposés. Il n'y pas d'ingrédients bon marché pour les agriculteurs ou pour l'environnement. L'extraction va du sol au traitement des biocarburants. Comme toujours, nous devons nous poser sérieusement la question suivante : « Qui paie? Qui sont les vrais bénéficiaires? »
Les deux millions d'acres de champs de maïs de l'Ontario produisent les deux tiers environ de la récolte de maïs du Canada. Si le temps persiste cette année, de nombreux agriculteurs pourraient réaliser de solides profits pour la première fois depuis le milieu des années 1970. Au cours de cette période, selon un graphique du revenu agricole net que l'on peut se procurer auprès du Syndicat national des cultivateurs, d'Agriculture et Agroalimentaire Canada ou de Statistique Canada, il y a eu un sursaut du revenu qui a duré deux ans environ. Le revenu agricole net est tombé au- dessous de zéro et est demeuré à ce niveau pendant plus de dix ans.
Il se peut que les agriculteurs aient un revenu suffisant pour payer certains de leurs importants coûts d'investissement ainsi que de nombreuses années de dettes accumulées et relativement parlant, non remboursées. Le succès de l'agroalimentaire et des exportations agricoles de notre pays a été soutenu par les subventions des agriculteurs sous forme de dettes et d'emplois à l'extérieur de la ferme. Pourtant, les coûts des intrants sont plus élevés que jamais. Le maïs est une culture très exigeante et la plupart des intrants, sinon tous, sont tributaires de l'industrie des carburants. À cause de la catastrophique augmentation des coûts des engrais et du carburant, on estime que 46 p. 100 du coût de la culture du maïs cette année sera représenté par les engrais et que le reste ira aux carburants et aux produits chimiques. Tout dépend donc de l'industrie des carburants. Ces coûts réduiront à néant toute possibilité de profit réel. Les carburants sont utilisés pour l'ensemencement, la fabrication, le transport et l'application d'engrais et de produits chimiques. Ils sont aussi utilisés pour sécher les récoltes et les transporter aux usines d'éthanol.
Ces coûts seront encourus et assumés par l'agriculteur qui, à la fin de la récolte, devra vendre celle-ci au prix établi par le CBOT, le Chicago Board of Trade. Nos agriculteurs ne peuvent pas entreposer leurs récoltes comme on le fait aux États-Unis pendant des périodes de temps illimitées en attendant que les prix montent. Ces dernières années, le prix du maïs est demeuré nettement inférieur au coût de production. Au cours des deux dernières années, le coût de production s'est élevé à au moins 135 à 140 $ la tonne. Il connaît une nette augmentation cette année. Nous n'avons pas les moyens de conserver les récoltes de maïs en espérant que les prix augmenteront. Elles doivent être vendues à la moisson, ou peu de temps après, pour que le fermier puisse payer les prêts pour l'achat des intrants, les hypothèques et autres factures non réglées.
J'ai entendu ce que disaient certains partisans du projet de loi C-33 et j'ai lu certains des débats publiés dans le hansard. Je n'ai pas vraiment beaucoup de temps à consacrer à ce genre de lecture, car je travaille à plein temps à la ferme. Comme M. Mooney, je ne suis pas une spécialiste des biocarburants; j'ai cependant plus de 25 années d'expérience dans le domaine de l'agriculture, où j'ai créé, au niveau local, des systèmes alimentaires durables et où j'ai participé à des travaux de développement.
J'ai entendu dire que les biocarburants représentent le changement le plus important subi par l'agriculture et la plus belle occasion offerte à l'agroindustrie au Canada depuis au moins une génération. Je dois donc poser la question suivante : Les biocarburants ont-ils plus d'importance que l'ALENA? En ont-ils plus que les accords commerciaux multilatéraux qui, comme on nous l'avait promis, seraient profitables pour tout le monde, des agriculteurs à l'OMC? En dépit des promesses de marchés ouverts, de déréglementation et de libre-échange, les agriculteurs n'en ont tiré aucun profit. Après plus de 20 ans de libre-échange, il y a eu près d'un trillion de dollars d'exportation de produits agroalimentaires, mais les agriculteurs n'en ont guère bénéficié à la ferme.
Les agriculteurs ont placé leurs espoirs ainsi que des capitaux importants dans leurs fermes. Cette année est prometteuse et les récoltes devraient être rentables. J'attends avec impatience de pouvoir récolter mon soja cette année et d'en tirer une bonne somme d'argent. J'ai signé un contrat de vente d'une partie de ma récolte; hier, j'ai parlé à la personne à qui je la vends localement; cette personne m'offre 75 $ de plus la tonne pour ce que je n'aurai pas vendu sous contrat, plus une prime mensuelle de 6 $ pour l'entreposer à ma ferme.
J'espère pouvoir rembourser une petite partie de ma dette personnelle cette année. Je sais cependant, que ce créneau — comme toujours, comme c'était le cas dans les années 1970 — n'est qu'une petite fenêtre qui va se refermer très rapidement. Le projet de loi C-33 n'est-il qu'une autre panacée qu'on nous propose? Comment peut-il tenir toutes ses promesses aux agriculteurs lorsque nous savons déjà parfaitement que le succès de l'industrie des biocarburants est totalement tributaire d'intrants bon marché, les agriculteurs en étant la source principale?
Je voudrais maintenant parler des coopératives agricoles car j'ai fait quelques lectures à ce sujet. Ces coopératives n'ont pas réussi à démarrer dans l'industrie des biocarburants. Plusieurs personnes, à ma connaissance, ont investi des milliers de dollars, en partie empruntés à la Société du crédit agricole, dans l'usine d'éthanol de la Seaway Valley Farmers' Energy Co-operative Inc., à Cornwall.
On m'a approchée. J'ai acheté ma ferme il y a 12 ans, lorsque je suis venue ici d'Australie avec ma famille; et au bout d'une semaine, quelqu'un est venu frapper à ma porte pour m'inviter à investir dans l'usine de biocarburants Seaway. À l'époque, nous pensions que ce n'était pas une mauvaise idée. Ma voiture marchait à l'éthanol. C'est une énergie renouvelable; nous cultivons des intrants, nous les transformons en carburant; j'apporte donc un soutien à l'environnement, à ma ferme et mes voisins qui cultivent du maïs. Je pensais que c'était une bonne idée.
Cependant, après avoir fait d'autres recherches, au fur et à mesure que plus d'informations devenaient disponibles, je n'utilise plus d'éthanol dans ma voiture. Il n'y a rien de mal à changer d'avis. Lorsqu'on lit certains des rapports du hansard, on a l'impression que changer d'avis après avoir obtenu un complément d'information est répréhensible, mais en fait, c'est une grande preuve de sagesse et de force.
Certaines des personnes qui ont investi dans l'usine Seaway n'ont jamais revu leur argent. L'entreprise n'a jamais vraiment démarré et on y a officiellement mis fin 12 ans après son lancement. Au départ, la ville de Cornwall pensait aussi que c'était une bonne idée; mais après avoir effectué une évaluation approfondie des impacts de la présence d'une usine d'éthanol, elle a changé d'avis. Elle a décidé qu'en fait, ce n'était pas une bonne idée pour les habitants de Cornwall, quels que soient les emplois qui pourraient être éventuellement créés.
Le député qui réside à Cornwall — un vaillant défenseur du projet de loi C-33 — n'a même pas pu convaincre sa ville des bienfaits marqués que cette entreprise offrait pour l'avenir.
Un investisseur qui participait au projet m'a dit que les concurrents des sociétés de biocarburant ne veulent pas avoir de coopératives agricoles chez eux, parce qu'ils ne tiennent pas à avoir une solide présence des fermiers à la base.
Le Syndicat national des agriculteurs estime que ceux-ci doivent être équitablement rémunérés pour leur travail. Les agriculteurs que je connais, et moi-même, ont besoin, comme toute entreprise, de réaliser un profit. Nous craignons que le coût ne soit trop élevé pour des agriculteurs et qu'il le soit également pour l'environnement. C'est ce qui s'est déjà produit, non seulement au Canada mais dans le monde entier. Il n'y a aucun avantage réel pour l'environnement et les ratios de conversion ne justifient pas l'extraction.
Je travaille comme gestionnaire de programme pour un organisme de développement international qui s'appelle Heifer International. Je suis chargée d'exécuter le mandat de l'organisme et de ses donateurs. Ce mandat est le suivant : mettre fin à la pauvreté et à la faim et préserver notre terre. Je crains que le projet de loi C-33 et tout ce qu'il implique n'aggrave encore la pauvreté et la faim et ne contribue à l'appauvrissement des terres. Il faut absolument que nous fassions preuve de prudence et que nous nous livrions à un second examen objectif.
Le président : Merci, madame Ross. Je veux être certain que vous êtes d'accord avec M. Mooney. Vous êtes actuellement opposée à l'adoption de ce projet de loi, c'est bien cela?
M. Mooney : Ce que nous disons, c'est que son adoption devrait être retardée.
Mme Ross : Elle devrait être retardée afin de permettre d'en discuter plus à fond.
Ian Lordon, agent des communications, Coalition Au-delà de l'agriculture industrielle : Merci de m'offrir cette occasion de comparaître devant vous aujourd'hui. J'espère que vous me pardonnerez si je lis mes remarques, car j'ai peur d'oublier d'attirer votre attention sur l'une ou l'autre de nos préoccupations.
Les questions soulevées par ce projet de loi sont extrêmement importantes pour l'avenir de l'agriculture au Canada. Je représente les points de vue de la Coalition Au-delà de l'agriculture industrielle, une organisation nationale de groupes de citoyens socialement responsables qui s'efforcent de promouvoir la production de bétail au Canada.
Nous aidons les collectivités qui ont des problèmes causés par les fermes industrielles et les propositions faites par celles-ci. Nous sommes partisans d'options autres que la production industrielle de bétail, et nous promouvons une forme de production qui, à notre avis, est sûre, équitable et salubre pour l'environnement, les agriculteurs, les travailleurs, les animaux, les collectivités et les consommateurs.
Peut-être demanderez-vous, en quoi tout cela a un rapport avec un projet de loi visant à promouvoir la production de biocarburants? En un mot, le rapport est total. Total, parce que la production de biocarburants, et tout particulièrement la production d'éthanol, implique ce que l'on peut justement décrire comme une relation symbiotique avec la production industrielle de bétail. En d'autres termes, il arrive rarement, pour ne pas dire jamais, qu'une usine de production d'éthanol soit construite sans accès à un énorme troupeau de bétail entassé dans un parc d'engraissement voisin.
La raison en est que le principal sous-produit de la production d'éthanol est constitué par de vastes quantités de drêche de distillerie, également appelée empâtage usé, dont il serait coûteux de se débarrasser s'il n'était pas utilisé pour l'alimentation des bêtes. Par exemple, l'usine d'éthanol qui produit 15 millions de litres par an d'éthanol doit se débarrasser chaque année de près de 15 000 tonnes courtes de drêche de distillerie.
Les drêches de distillerie se conservent mal, et les coûts du carburant étant ce qu'ils sont, les transporter ailleurs n'est pas une solution valable. En conséquence, le modèle d'entreprise proposé pour l'établissement de l'usine d'éthanol consiste à installer un parc d'engraissement à proximité et à intégrer les deux opérations.
Pour vous donner une idée de l'échelle d'une telle entreprise, une usine qui produit 15 millions de litres d'éthanol par an aura besoin de 28 000 têtes de bétail pour consommer la drêche de distillerie qu'elle produit. Les bêtes sont parquées dans un espace exigu près de l'usine; on leur fait absorber un supplément régulier d'antibiotiques pour empêcher des épizooties autrement inévitables et ces bêtes produisent d'énormes quantités de fumier — près de 60 000 tonnes par an.
Malheureusement, ce fumier a un caractère unique à plusieurs égards. Pour commencer, plusieurs études ont montré que nourrir du bétail avec de la drêche de distillerie double l'incidence et la concentration de la bactérie E. coli dans le fumier comparativement au bétail dont l'alimentation ne contient pas de drêche. Cette souche particulière de bactérie, la E. coli 0157, est la même que celle qui a causé la mort de six personnes à Walkerton, en Ontario, où elle avait contaminé la source municipale d'alimentation en eau en 2000. Au fil des années, cette bactérie a également été responsable d'un certain nombre de rappels de produits carnés dans toute l'Amérique du Nord, parce que le contenu des intestins des animaux était entré en contact avec la viande dans des usines de transformation et l'avait contaminée, comme cela arrive inévitablement de temps à autre.
Il s'ensuit que l'augmentation de l'incidence et de la concentration de l'E. coli 0157 dans le fumier de bovin augmentera également les risques d'une dangereuse contamination de la viande dans une usine de transformation. Au mieux, lorsque cette contamination est détectée, elle se traduit par une perte financière et un rappel coûteux. Au pire, cela peut provoquer une véritable catastrophe.
L'impact d'une proportion obligatoire d'éthanol dans le carburant, et donc l'utilisation accrue de la drêche de distillerie dans l'alimentation des bovins, augmente non seulement le risque pour les personnes mais aggrave l'impact des parcs d'engraissement industriels sur l'environnement. Outre l'E. coli 0157, le fumier du bétail nourri avec de la drêche de distillerie contient des niveaux plus élevés de phosphore. Une récente étude de l'Université de l'Iowa a montré que le bétail dont l'alimentation était constituée de 20 à 40 p. 100 de drêche de distillerie produisait du fumier dont le contenu en phosphore était de 60 à 120 p. 100 plus élevé que la norme.
Le phosphore libéré par un épandage de fumier excessif est une des principales causes de prolifération des fleurs d'eau, dont beaucoup sont toxiques, observée ces dernières années dans des centaines de lacs de notre pays. À cause de la très forte augmentation du nombre de têtes de bétail nourries avec de la drêche de distillerie; cette tendance se maintiendra. Si les cibles proposées par le projet de loi C-33 sont atteintes, si 5 p. 100 de l'essence consommée annuellement au Canada est remplacée par de l'éthanol domestique, cela signifie probablement aussi que 7,7 millions de tonnes de fumier riche en phosphore seront épandues chaque année.
La drêche de distillerie soulève une autre question importante à laquelle nous n'avons pas encore trouvé réponse. Celle de savoir quelles sont les conséquences potentielles de l'exposition du bétail à des bactéries résistantes aux antibiotiques. Les drêches de distillerie sont traitées avec des antibiotiques, tels que la virginiamycine et la pénicilline, avant sa fermentation afin d'empêcher les bactéries de se multiplier dans le mélange chaud et humide réservé pour la levure qui produit l'éthanol. Les bactéries acquièrent une résistance aux antibiotiques et peuvent venir contaminer le circuit alimentaire par le biais de la drêche de distillerie dont on a nourri le bétail. On ne sait rien non plus des conséquences pour la santé des personnes qui mangent de la viande provenant de bêtes nourries avec cette drêche.
Nous savons que le bétail déjà soumis à un régime d'antibiotiques, qui consomme une moulée contenant des quantités inconnues de souches résistantes aux antibiotiques, offrira certainement un milieu favorable au développement de souches résistantes de bactéries telles que la C. difficile. Ce pourrait être une expérience intéressante, mais je préférerais que cela se fasse dans des conditions plus rigoureusement contrôlées, et je ne suis pas sûr que cela justifie une subvention de 2 milliards de dollars.
Enfin, outre qu'il est une menace pour la santé et pour l'environnement, le projet de loi C-33 l'est également pour les fermes familiales au Canada. En subventionnant la production d'éthanol, ce projet de loi crée un marché concurrent pour l'alimentation animale qui contribue déjà à augmenter les coûts pour les petits éleveurs, à tel point que beaucoup d'entre eux réduisent la taille de leurs troupeaux ou renoncent purement et simplement à l'élevage.
Pis encore, après avoir payé plus cher pour nourrir leurs vaches, ils devront affronter la concurrence que représentent les animaux élevés dans des parcs d'engraissement lorsqu'ils voudront vendre leurs bêtes — des parcs qui sont intégrés à des distilleries d'éthanol subventionnées. En résumé, ce projet de loi risque de transformer l'industrie de l'élevage en éliminant du marché les petits éleveurs indépendants.
Il n'y a jamais eu de raison plus justifiée de procéder à un second examen objectif. Les Canadiens veulent-ils vraiment dépenser 2 milliards de dollars pour remplir 5 p. 100 de leurs réservoirs avec de l'éthanol à faible indice d'octane? Continueront-ils à penser que c'est une bonne idée, si cela signifie que les collectivités rurales seront transformées à la suite du remplacement des fermes familiales par des parcs d'engraissement industriels; si cela signifie que les fleurs d'eau proliféreront? S'il y a un risque plus grand d'infection par l'E. coli 0157? Si cela risque d'aboutir à l'apparition de maladies résistantes aux antibiotiques? Ce n'est pas une décision qu'il faut prendre à la hâte, et même si la Chambre des communes avait décidé de hâter les choses pour approuver cette loi, les membres de la Coalition Au- delà de l'agriculture industrielle, espèrent que le Sénat aura la sagesse de prendre le temps nécessaire pour obtenir des réponses satisfaisantes aux questions que nous avons soulevées aujourd'hui, avant de voter sur le projet de loi C-33.
Le président : Je remercie tous nos invités, et j'espère que vous êtes maintenant prêts à répondre aux questions des sénateurs.
Le sénateur Munson : Quel genre de délai réclamez-vous? Voulez-vous dire de ne pas approuver ce texte de loi?
Je ne siège pas normalement à ce comité, mais je fais partie du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, et je suis curieux. Ce projet de loi a plus à voir avec l'énergie. Ce dont il s'agit, c'est du détournement de nourriture destinée à nos tables pour produire du carburant. Si je comprends bien, ce projet de loi augmentera le nombre de ceux qui souffrent de la faim dans le monde entier mais n'apportera pas de solution durable aux agriculteurs du Canada.
Ai-je raison de penser qu'il ne s'agit pas simplement d'une question d'énergie, mais d'une question de droits de la personne; autrement dit, si nous lisons nos rapports aux Nations Unies, du droit à la nourriture?
M. Mooney : Le 16 octobre, Journée mondiale de l'alimentation, le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l'alimentation du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies prononcera une allocution à Ottawa. Cela devrait nous donner suffisamment de temps, ainsi qu'à d'autres, pour amener aux audiences du Sénat des représentants des agriculteurs d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine, de ceux qui vivent l'expérience des biocarburants au Brésil, en Indonésie, au Mali et au Senegal, pour qu'ils vous disent ce qui leur arrive aujourd'hui à cause de ces biocarburants.
Le précédent rapporteur spécial de l'ONU sur les droits de l'homme, Jean Ziegler, a déclaré qu'il s'agissait d'un vrai crime contre l'humanité avant de quitter son poste. Son successeur, le Belge Olivier De Schutter, a adopté la même position. Nous serions heureux qu'on lui permette de témoigner devant vous.
Le sénateur Munson : De nombreux sénateurs souhaitent poser des questions. J'ai voulu ouvrir le débat sur la question des droits de la personne. Si je vous comprends bien, vous croyez qu'octobre est le moment approprié, après avoir entendu ce rapport, pour revenir réévaluer ce texte législatif?
M. Mooney : Oui, c'est exact.
Le sénateur Spivak : Je ne peux pas résister à la tentation de dire ceci : lorsque j'étais enfant et que je gardais les vaches, les vaches mangeaient de l'herbe.
Quel est le pourcentage d'usines de biocarburant qui appartiennent aux fermiers? On nous a dit qu'il y en a beaucoup. On nous a dit que l'argent investi dans ces usines de biocarburant profiterait aussi aux fermiers parce qu'ils seraient des partenaires de ces entreprises.
Mme Ross : Je n'en connais aucune qui ait réussi en Ontario. Bien sûr, de nouvelles initiatives pourraient être prises dans les Prairies. La seule que je connaisse personnellement est la Seaway Valley Farmers Energy Co-operative Inc. Pendant 12 ans, elle a essayé de faire démarrer une usine d'éthanol. Le gouvernement conservateur leur a offert 10 millions de dollars, à condition de prouver que l'investissement des fermiers était suffisant. Cependant, pendant ces 12 années, ce projet n'est jamais parvenu à susciter suffisamment de confiance dans l'industrie ou chez les fermiers pour qu'ils investissent suffisamment d'argent dans l'usine. Le gouvernement conservateur a retiré les 10 millions de dollars avant que le projet ne soit même officiellement abandonné.
Les coopératives agricoles ne bénéficient pas de beaucoup de soutien, parce que lorsque ce sont des fermiers qui en sont propriétaires et qu'ils adoptent une structure d'intégration verticale, cela leur donne beaucoup de poids sur le marché. Il y a certes, des coopératives, mais c'est ce que l'on appelle des coopératives aux pratiques prédatrices; ce sont en fait des sociétés et non des coopératives agricoles. Je n'en ai jamais vu, certainement pas dans la ceinture de maïs de l'Ontario.
Ce qu'il y a d'intéressant, c'est que, où la Seaway Valley Farmers' Co-operative a fait faillite, il y a maintenant une usine d'éthanol en construction à moins de 100 kilomètres de cet endroit. Elle est en construction en ce moment même, juste en face des élévateurs à grains de Prescott.
Le sénateur Spivak : En ce qui concerne votre demande de report, étant donné que les États-Unis ont fixé un calendrier pour l'examen des avantages de l'éthanol cellulosique — parce que l'éthanol cellulosique a un potentiel considérable — pensez-vous, comme vous le suggérez, que nous devrions peut-être consacrer plus de temps à un examen et à une comparaison avec l'aspect alimentaire?
M. Mooney : Un important rapport doit nous parvenir demain ou lundi prochain du Royaume-Uni et, à mon avis, il changera la position de l'Europe à l'égard des biocarburants. D'autres études ont déjà été rédigées; l'une est un rapport de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, la CNUCED, sorti il y a quelques jours. Je n'ai pas encore vu la version finale. Elle porte sur les biocarburants. D'autres études de l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture des Nations Unies, la FAO, portant sur les biocarburants devraient être publiées dans les deux prochains mois.
Nous sommes convaincus que si nous pouvons laisser passer l'été, et peut-être le mois de septembre, il sera possible de disposer de ces études pour les étudier, les évaluer et voir en quoi elles répondent aussi aux préoccupations du Canada. Cela nous permettrait également d'inviter d'autres personnes du monde entier. Nous prendrons les dispositions nécessaires pour qu'elles puissent — nous ne demanderons pas au Sénat d'assumer les frais, encore que nous serions ravis qu'il le fasse — témoigner et expliquer ce que signifie la production de biocarburants pour eux et quelles en sont les répercussions sur eux.
Je vous le rappelle, le 16 octobre est la Journée mondiale de l'alimentation et c'est la raison pour laquelle le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l'alimentation du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies viendra ici. Ce serait là une excellente occasion d'entendre dire, encore une fois, quel impact cela a sur les droits de la personne et sur la sécurité alimentaire.
Mme Ross : Puis-je poser une question?
De quelle source de cellulose parlons-nous dans le contexte du Canada?
Le sénateur Spivak : On parle d'à peu près tout, des algues, du panic raide, de la paille et des déchets de restaurant. La question est de savoir s'il y en aura suffisamment pour permettre une exploitation commerciale, si vous utilisez toutes ces sources.
Le président : Au cours des années, ce comité a entendu parler d'investissements gouvernementaux importants, par exemple, dans la Iogen Corporation, dont les processus de production font essentiellement appel à des sources cellulosiques comme aliments pour le bétail au lieu d'utiliser du grain. Ce que le sénateur Spivak voulait savoir, c'est si l'un d'entre vous connaît les processus cellulosiques, ou a une préférence marquée pour eux, au lieu de ceux qui produisent de l'éthanol dérivé du grain. Vous avez dit, je crois, que vous n'êtes pas des experts en biocarburants, mais c'était là le sens de la question.
Mme Ross : Si j'ai posé cette question au sénateur Spivak, c'est que l'on parle beaucoup de la biomasse, qui utilise la canne de maïs et la paille. Sols et biomasse vont de pair. Je suis une fermière, et on me pose la question tout le temps. Je cultive du blé et du seigle; j'ai de la paille propre d'une qualité extraordinaire et les gens veulent me l'acheter. Il est beaucoup plus profitable pour nous de retourner cette paille, cette biomasse à la terre pour enrichir le sol. Si on enlève constamment cette biomasse, on épuise le sol. Celui-ci en a besoin. Sur le plan économique, il n'est pas viable pour nous d'enlever cette biomasse. Il faut la ratisser, la compacter en balles et la transporter. Cette procédure entraîne de nombreux coûts.
M. Mooney : Il n'y a aucune raison pour que le Canada aille d'un système où le pétrole est exploité à outrance à un autre, où c'est le sol qui est exploité au maximum, et tout perdre.
Le sénateur Milne : Monsieur Mooney, en janvier, vous avez publié un communiqué intitulé : Food's Failed Estates = Paris's Hot Cuisine : Food Sovereignty — à la Cartel?
Vous dites que l'on prévoit que le marché mondial des biocarburants va passer de 22 milliards de dollars en 2006, à 150 milliards de dollars en 2020. C'est une énorme augmentation. Bien entendu, s'il est adopté, ce projet de loi sera un facteur supplémentaire d'augmentation.
Savez-vous si les chiffres que vous avez cités en janvier comprennent l'aide financière à la recherche sur la manière de rendre plus efficiente la production d'éthanol à partir de la biomasse ou de biosources?
M. Mooney : Oui. Les fonds affectés à ce genre de recherche sont très importants. L'étude que je cite était celle de Bio-Era, une firme de consultants établie à Cambridge, au Massachusetts. Elle était fondée sur son étude faite en 2007. Bio-Era a effectué une étude plus récente qui remonte à deux ou trois mois, mais je crois que les chiffres sont demeurés les mêmes.
Bio-Era estime que les investissements de capital de risque — essentiellement dans le domaine de la recherche — ont augmenté d'environ 46 p. 100 l'an dernier, et peut-être plus que cela à la fin de l'année. Cette firme pense que ces investissements continueront à croître. On fait certainement beaucoup de recherches dans ce domaine.
Je ne suis pas certain qu'il soit nécessaire d'investir l'argent de l'État dans cette recherche. Il est encourageant de voir que des sociétés se penchent sur ces questions, qu'elles étudient l'utilisation des algues et les moyens d'exploiter les déchets. Personne ne s'attend à ce que cela représente à l'avenir, ne serait-ce que 1 p. 100 du marché des biocarburants. Ce sera une toute petite part du marché, mais il est encourageant de voir qu'on fait ce genre de recherche.
Le sénateur Milne : Monsieur Lordon, vous nous parliez des mythes dans le domaine des biocarburants. À propos du sixième mythe, vous avez dit que la drêche sèche de distillerie était un produit précieux pour l'industrie de l'élevage mais qu'elle peut aussi être nocive pour les humains et pour le bétail.
Vous avez parlé du risque accru de présence de certaines souches d'E. coli et de phosphore, représenté par le premier P de l'équation A-P-P dans les engrais. Les deux autres sont l'azote, A, et le potassium, P.
Bon nombre des études effectuées par ce comité font état des inquiétudes que suscitent la production de NOx et de SOx et toutes les saletés que nous déversons dans notre atmosphère. Bien sûr, l'azote fait partie de l'équation NOx. Vous dites qu'il est plus nocif que le dioxyde de carbone. En avez-vous la preuve?
M. Lordon : Il y a eu plusieurs études qui ont été faites. Il y a eu une des Nations Unies intitulée Livestock's Long Shadow. Je crois qu'elle est citée en référence à la fin du second document qui a été distribué. Vous noterez que les auteurs des deux mémoires que je vous ai remis sont Glen Koroluk et Cathy Holtslander.
Le président : Le premier mémoire, y compris celui auquel vous vous référez maintenant, a été distribué parce qu'il existe dans les deux langues. Le second ne l'a pas été parce qu'il est uniquement en anglais.
Les sénateurs souhaitent-ils que nous distribuions le second document, qui existe seulement en anglais?
Le sénateur Milne : Oui, s'il vous plaît. Au moins pour moi.
Le président : Sommes-nous d'accord?
Le sénateur Milne : Je vais aller le chercher.
Le président : Êtes-vous d'accord, membres du comité, pour que ce document soit distribué, bien qu'il ne soit qu'en une seule langue? D'accord? Veuillez le distribuer. Merci.
Excusez-moi, sénateur, voulez-vous attendre une minute pour qu'on vous apporte le document auquel M. Lordon se référait? Il va arriver.
M. Lordon : Nous sommes une petite organisation et nous n'avions pas les moyens de le faire traduire avant l'audience.
Le président : Nous serons heureux de le faire traduire pour vous, monsieur Lordon, à condition qu'on nous donne suffisamment de préavis.
M. Lordon : Comme je le disais, les auteurs de ces deux rapports sont des employés de Au-delà de l'agriculture industrielle. Ils n'ont pas pu venir à cause d'engagements antérieurs.
D'après ce que je comprends — je vous avoue que je n'étudie ce mémoire que depuis une semaine —, l'azote contribue beaucoup plus aux émissions de gaz à effet de serre. En fait, l'élevage industriel produit une plus grande quantité de ces gaz que le transport. Dix-huit pour cent environ des gaz à effet de serre dans le monde sont dus directement à l'élevage, en particulier à l'élevage intensif. C'est parce que le bétail produit beaucoup d'azote et de méthane.
Le sénateur Milne : Ce sont des chiffres mondiaux. Connaissez-vous les chiffres pour le Canada où le transport joue un plus grand rôle que dans beaucoup d'autres pays?
M. Lordon : C'est vrai. Il est probable que les deux sources d'émissions seraient comparables, mais ce qu'il est important de retenir, c'est que les émissions de gaz à effet de serre sont considérables et posent un sérieux problème. Si l'un de vos objectifs est de réduire ce gaz dans l'atmosphère, encourager une industrie dont une des composantes est l'élevage intensif de bétail n'est peut-être pas la meilleure façon de procéder.
D'après certaines conclusions d'un débat qui fait actuellement rage, l'éthanol est peut-être un fiasco lorsque l'on considère les autres facteurs qui interviennent dans sa production, notamment les émissions de gaz à effet de serre. Il n'est peut-être pas préférable à l'essence, et c'est peut-être même une plus mauvaise solution.
Le sénateur Milne : Quel genre de preuve avez-vous qu'une augmentation de la production d'éthanol utilisant de la drêche sèche de distillerie porterait effectivement préjudice à une petite entreprise familiale de production de viande?
M. Lordon : Pour le moment, l'information est plutôt de caractère anecdotique. Je ne pense pas que des études sérieuses aient été faites sur le sujet. La production de biocarburants est une industrie nouvelle. Malheureusement, c'est le genre de situation dans laquelle il sera difficile de déterminer l'importance de l'impact de cette industrie sur les fermes familiales, une fois que le cheval est déjà sorti de l'écurie, comme on dit.
Le sénateur Milne : Il y a tant de fermes familiales qui font faillite qu'il est difficile de distinguer la cause de l'effet.
M. Lordon : Nous sommes fermement convaincus que cela contribuerait au maintien de cette tendance. En fait, cela l'accélérerait. La tendance ne serait certainement pas inversée.
Le président : Pouvez-vous nous parler un peu de la question soulevée par le sénateur Milne? Dans votre mémoire, vous dites que le dioxyde d'azote est plus dangereux que le dioxyde de carbone.
M. Lordon : Encore une fois, je vous demande de m'excuser : je n'ai pas le chiffre exact en tête, mais exponentiellement, l'azote est plus nocif. Je crois qu'il est à peu près 280 fois plus nocif que le dioxyde de carbone.
M. Mooney : Ce sont là des ordres de grandeur.
M. Lordon : Statistiquement, c'est très important.
Le président : Nocif parce qu'il contribue aux gaz à effet de serre? Est ce dans ce contexte que vous vous placez?
M. Lordon : Oui.
Le sénateur McCoy : Cela a été calculé dans l'inventaire canadien de gaz à effet de serre. Lorsque nous parlons d'équivalents du CO2, nous incluons les six gaz à effet de serre, n'est-ce pas?
Le président : Je voulais simplement m'assurer que le dioxyde d'azote paraissait plus nocif que le CO2.dans le contexte des gaz à effet de serre.
M. Lordon : C'est un gaz à effet de serre 296 fois plus puissant que le dioxyde de carbone.
Le président : Merci. Vous n'avez sans doute pas encore rencontré le sénateur Grant Mitchell, qui se trouve à ma gauche. Il représente l'Alberta.
Le sénateur Mitchell : Je remercie chacun d'entre vous d'avoir bien voulu comparaître. Nous avons affaire à une des questions et un des débats les plus difficiles qui soient. Je crois que vous savez que M. Mooney et moi-même nous sommes rencontrés la semaine dernière, et je le remercie de ses efforts.
Ma grande préoccupation est le changement climatique. Nous avons un gouvernement qui n'a rien fait, et nous en sommes maintenant au point où certains éléments de ce projet de loi pourraient contribuer à atténuer le changement climatique. Je ne dis pas que c'est là l'objet principal de ce projet de loi. Le gouvernement le présente parce qu'il croit qu'il est bon pour les agriculteurs. À mon avis, il l'est. Il est discutable, mais je crois qu'il est bon pour les agriculteurs.
Les deux aspects m'intéressent, mais ce qui me préoccupe au plus haut point, c'est le changement climatique. Je veux encourager le gouvernement à agir. La question est de savoir s'il réduit vraiment le bilan carbone. Je crois que oui. Je crois que l'essentiel du débat n'est pas de savoir s'il le réduit, mais de combien il le réduit. Il y a tout lieu de croire que si nous passons aux carburants de seconde génération et si nous commençons à utiliser la cellulose, les algues ou un tas d'autres choses, le bilan carbone s'en trouvera sensiblement réduit.
Je crois que M. Lordon a dit que c'est au moins un compromis. Mon argument est que si c'est le cas et si nous avons une chance de passer à la seconde génération, pourquoi ne pas forcer les choses et persister dans cette voie? Je crois qu'il y a de puissantes raisons économiques pour que les producteurs d'éthanol ne veuillent plus utiliser le maïs; il coûte cher.
N'est-il pas vrai, cependant, que la production d'éthanol est moins coûteuse que celle de l'essence? Le carburant n'est-il pas un intrant du prix de la nourriture et n'y a-t-il pas un rapport direct entre le coût du carburant et le coût des aliments? Si l'éthanol coûte moins cher, ne contribue-t-il pas à réduire le coût des aliments? Si on renonçait à l'utiliser, le prix de l'alimentation n'augmenterait-il pas du fait que le coût des intrants en carburant augmenterait également puisqu'on n'utiliserait plus que de l'essence? Ne serait-ce pas vrai?
M. Mooney : Non, pour être très franc.
Le sénateur Mitchell : Puisqu'il est moins cher, je ne comprends pas du tout vos calculs.
M. Mooney : Il faut tenir compte de l'identité du subventionneur et du destinataire de la subvention. C'est la raison pour laquelle le FMI a dit que 30 p. 100 de l'augmentation des prix des aliments est dû aux biocarburants. Une pression économique a ainsi été exercée, qui a contribué à une hausse des prix des aliments dans le monde entier, et cela va persister pendant un certain temps. C'est très clair comme hypothèse.
Il faut considérer tous les éléments du calcul. Tenons-nous compte de la demande d'eau pour les biocarburants? Tenons-nous compte du type de terres exploitées et de l'impact que ce changement d'utilisation aura sur l'environnement?
La semaine dernière, on nous a dit qu'il fallait trois litres d'eau pour obtenir un litre d'éthanol. Ce chiffre ne prend pas en compte l'eau nécessaire pour la culture. Peu importe que cette eau vienne de l'irrigation ou tombe du ciel sous forme de pluie.
Le président : Monsieur Mooney, je vous interromps pour vous poser une question. Lorsque vous parlez de l'eau qui est utilisée, parlez-vous de celle qui est utilisée dans le processus de conversion du grain en éthanol, ou de l'eau nécessaire pour faire pousser la récolte? Vous avez parlé des deux formes d'utilisation.
M. Mooney : Je parle de l'eau utilisée pour le cycle de vie complet, c'est-à-dire depuis le stade de la culture jusqu'à celui de la production d'éthanol.
Le président : Je ne voudrais pas vous interrompre, mais il y a quelque chose qu'il faut bien comprendre. On nous dit que, d'une façon générale, le maïs n'est pas irrigué au Canada, que la pluie suffit.
M. Mooney : Certainement. Cependant,...
Le président : Nous ne faisons donc pas d'économie d'eau si nous ne cultivons pas ce maïs.
M. Mooney : Non, mais la pluie tombe sur les sources alimentaires ou bien elle tombe sur le carburant, et elle tombe sur une source de carburant qui aurait pu être une culture vivrière. Il faut en tenir compte. Dire qu'il faut trois litres d'eau pour obtenir un litre d'éthanol, c'est une plaisanterie. Le cycle de vie doit partir du stade de culture. Si vous en tenez compte, il faut, en moyenne 1 000 litres d'eau pour produire un litre d'éthanol et, en moyenne, il faut 9 000 litres d'eau pour obtenir un litre de biodiésel.
Pour bien préciser les choses, cette information nous vient du PDG de la société Nestlé, interviewé dans The Wall Street Journal d'après son allocution à Davos en janvier de cette année. Certains ont dit, la semaine dernière, que cette information venait d'une ONG farfelue quelconque.
Prenez les études effectuées par le International Water Management Institute au Sri Lanka, qui est un des centres de la Banque mondiale. Cet institut étudie le coût de l'eau dans le développement des biocarburants. Selon lui, il faut 1 000 à 4 000 litres pour obtenir un litre de biocarburant. Cela représente un coût énorme qui, normalement, n'est pas calculé lorsque l'on étudie ces questions, alors qu'il devrait l'être.
Franchement, il y a environ deux mois, j'ai passé en revue 16 études de 16 pays différents traitant du changement climatique et de la manière dont les températures affecteront les principales récoltes dans ces pays. Dans chaque cas, si vous considérez les conditions dans lesquelles elles ont été produites au cours de la deuxième moitié du siècle dernier, de 1950 à 2000, et si vous considérez les futures conditions climatiques dans lesquelles elles pousseront, selon des estimations plus précises faites par l'Université Stanford, entre 2050 et 2070 les conditions seront totalement différentes. Dans le monde entier, les cultures connaîtront des températures auxquelles elles n'avaient jamais été soumises jusqu'à présent. Nous ne savons pas si ces cultures survivront ou si elles pourront se développer dans ces pays, en aucun cas.
Nous nous aventurons dans un environnement caractérisé par un changement climatique comme n'en a encore jamais connu l'agriculture, et nous ajoutons à cela le nouveau défi constitué par les biocarburants. Je crois qu'il est téméraire d'espérer qu'un projet de loi tel que celui-ci nous permettra de faire quelque chose de valable dans le domaine des biocarburants sans bien en comprendre tout l'impact sur le changement climatique.
Si nous partons du principe qu'avec 2,2 milliards de dollars, le projet de loi actuel permettra une réduction de 0,7 p. 100 de l'utilisation des combustibles fossiles, un simple calcul vous montrera qu'il est possible de sauver le monde avec 200 milliards de dollars environ. Ce n'est pas ainsi qu'il faut procéder. À mon avis, la voie à suivre est la suivante : conserver nos ressources; mieux gonfler nos pneus; rouler moins avec nos voitures et changer quelques-unes de nos façons de vivre. Il ne me paraît certainement pas logique de soumettre nos disponibilités alimentaires à de nouvelles pressions au moment même où le climat est si vulnérable.
Le sénateur Mitchell : Il me semble que le changement climatique est un des facteurs qui ont les impacts les plus marqués sur la production alimentaire. Nous n'en faisons pas suffisamment. Je crois que si nous faisons l'effort, nous parviendrons à la seconde génération. Je crois que cela arrivera beaucoup plus vite que vous le soutenez; je crois qu'en fait, c'est ce qui est en train de se produire maintenant. Plusieurs indices montrent que cela arrivera encore plus vite.
Toutes les mesures que nous prendrons dans le domaine du changement climatique exigeront probablement une intervention et un appui du gouvernement. La capture et l'entreposage du carbone ne pourront pas se faire sans son intervention. Il faut des subventions du gouvernement pour pouvoir espérer parvenir à la seconde génération, d'ailleurs, la plus grande partie de l'investissement gouvernemental vise la seconde génération.
Le président : Sénateur Mitchell, nous ne sommes pas ici pour avoir une discussion avec les témoins; nous sommes ici pour leur poser des questions.
Le sénateur Mitchell : Excusez-moi. Madame Ross, dans votre témoignage et dans le communiqué de presse que nous avons reçu, vous dites essentiellement — et c'est vrai — que le prix des intrants augmente avec celui du prix des aliments. Cela ne sert à rien que le prix du grain augmente puisque celui des intrants augmentera toujours aussi. C'est ce qui est dit ici.
Comment sortir de ce cul-de-sac? Si c'est bien le cas, comment les agriculteurs pourront-ils un jour gagner plus d'argent?
Mme Ross : Historiquement, le prix des engrais suit le prix du grain. Le graphique vous montre que lorsque le prix du grain augmente, celui des engrais suit. Tout profit possible est donc automatiquement « siphonné ».
Il me déplaît de dire que les agriculteurs que nous sommes sont relativement sans défense dans le marché, mais nous sommes des utilisateurs d'intrants. En fin de compte nous pouvons exercer très peu de contrôle sur le marché. C'est la triste réalité.
J'ai dit qu'au Canada nous avons exporté près d'un trillion de dollars depuis que nous avons signé l'ALENA et depuis les négociations commerciales avec l'OMC. Les fermiers en ont tiré très peu d'argent. Nous exportons 80 p. 100 de nos produits agricoles. Je ne comprends pas, lorsque j'entends ce que disent d'autres témoins et que je vois ce qu'ils écrivent dans leurs mémoires, que pour la première fois en une génération, deux belles opportunités s'offriront aux agriculteurs canadiens. Si nous n'avons pas profité de cette exportation de 80 p. 100 de nos produits, quel bénéfice tirerons-nous des 5 p. 100 qui seront utilisés par l'industrie des biocarburants?
Je ne vois pas les chiffres. L'industrie des biocarburants ne peut pas réussir si le prix du grain demeure ce qu'il est actuellement. Où est l'opportunité pour les fermiers, en dehors du fait qu'ils peuvent produire plus et vendre plus? Les économies d'échelle ne fonctionnent pas non plus. Autrefois, plus vous étiez gros, plus vous gagniez d'argent. Aujourd'hui, plus vous êtes gros, plus vous en perdez.
Le sénateur Mitchell : Comment vous en sortir? Soutiendriez-vous alors — ce dont je me garderais — qu'il faut que le gouvernement ou quelqu'un d'autre contrôle le prix des intrants, des engrais et des carburants?
Mme Ross : Oui. Plafonnez le prix des carburants. Lorsque j'exploitais une ferme en Australie, nous obtenions une remise sur le prix du diesel.
Dans un de ses rapports, la FAO déclarait qu'il devrait y avoir un prix garanti payé aux agriculteurs pour le grain utilisé dans les usines d'éthanol, mais cela ne marchera pas. En réalité, cela ne fonctionne pas de cette manière.
Voyez ce qui est arrivé à la Commission canadienne du blé. C'est la coopérative agricole la plus puissante du monde. Son importance est internationalement reconnue, mais les grandes sociétés ne l'aiment pas, car elles doivent se plier à sa volonté. Ce qu'elles font c'est la manger de l'intérieur.
Le sénateur Mitchell : C'est effectivement ce que fait ce gouvernement.
Mme Ross : C'est la raison pour laquelle ces gens-là ne veulent pas de coopérative agricole.
Le sénateur Mitchell : Monsieur Lordon, vous dites que l'élevage industriel intensif produit plus de méthane, plus de gaz à effet de serre que les fermes familiales, mais en fin de compte, s'il y a une demande X et qu'elle est actuellement satisfaite et s'il n'y avait pas d'exploitations industrielles, les fermes familiales seraient obligées de produire la même quantité de bœuf. Elles produiraient donc la même quantité de gaz à effet de serre.
Je voudrais maintenant passer aux fermes familiales. Il y a quelque chose de valable dans cette solution, mais je ne vois pas comment un retour aux fermes familiales changerait la situation sur le plan général. Je ne vois pas en quoi votre argument joue, dans ce cas particulier.
M. Lordon : Nous ne recommandons pas un retour aux fermes familiales. Nous disons que l'on n'encourage pas l'abandon des fermes familiales en appuyant ce projet de loi. D'ailleurs, lorsque vous subventionnez les parcs d'engraissement industriels, vous êtes tenus de réduire le prix de la viande par rapport à celui de la production actuelle. En réduisant le prix de la viande, vous allez augmenter la demande car c'est ainsi que joue la loi de l'offre et de la demande. Si vous baissez les prix, plus de gens pourront manger de la viande. Oui, cela pourrait fort bien avoir un impact plus prononcé qu'il y en aurait autrement.
Le sénateur Milne : Je veux être sûr de vous avoir bien compris, monsieur Mooney. Vous avez dit que la consommation d'eau pour la totalité du cycle de vie — depuis la semence dans le sol jusqu'à l'éthanol dans le réservoir — est de 1 000 litres pour un litre d'éthanol.
M. Mooney : Oui.
Le sénateur Milne : Pour le diesel, vous avez dit que c'était 10 000 litres.
M. Mooney : Non 9 000. C'est le chiffre qui a été donné par la société Nestlé. Les estimations utilisées par le International Water Management Institute utilisent la même fourchette mais indiquent qu'en général, le chiffre se situe plutôt entre 1 000 et 4 000 litres pour les biocarburants.
Le président : Le sénateur Brown est le parrain de ce projet de loi au Sénat. Vous avez la parole.
Le sénateur Brown : Merci, monsieur le président, et merci aussi aux témoins.
Monsieur Mooney, je crois que vous avez dit que le sud de la Saskatchewan deviendra un bol de poussière. Sur quelles recherches vous fondez-vous pour dire que cela se produira?
M. Mooney : C'est ce que m'a déclaré un scientifique du Saskatchewan Research Council en mars.
Le sénateur Brown : C'était une simple affirmation de sa part.
M. Mooney : Il avait en main l'étude que je n'ai pas lue. C'était ainsi qu'il résumait l'étude.
Le sénateur Brown : Madame Ross, vous semblez dire que les coopératives n'étaient pas la solution au problème des biocarburants ni aucun autre problème. Connaissez-vous les Federated Co-operatives à Saskatoon?
Mme Ross : Oui.
Le sénateur Brown : C'est une coopérative intéressante. Elle a un chiffre d'affaires de 5 milliards de dollars. Elle est gérée par des agriculteurs, et alimente 235 coopératives de la frontière du Manitoba aux côtes de la Colombie- Britannique, je crois. Elle est également propriétaire d'une usine de traitement, et c'est la première coopérative à produire ce que l'on appelle du « diesel rouge. » Apparemment, ce diesel accroît de 50 p. 100 la durée de vie des moteurs des tracteurs agricoles.
La Saskatchewan et l'Alberta ont de grosses récoltes de canola, et je crois que le Manitoba en cultive aussi un peu. Le canola récolté est utilisé dans les huiles à salade et autres produits du même genre. Lorsque le canola est congelé, il ne peut plus être consommé à cause de sa teneur en acide. Une des expériences a consisté à l'utiliser pour les biocarburants en Alberta, puisque ce n'est plus un produit alimentaire.
Quelle est la quantité de maïs utilisée pour notre consommation en Ontario, et combien en emploie-t-on pour le bétail, le porc et d'autres formes de consommation?
Mme Ross : Je vous remercie d'avoir posé ces questions. J'ai fait quelques lectures au sujet des gelées précoces dans les Prairies, qui sont fréquentes, et où les cultures gèlent au sol. Il y a quelques études sur les taux de conversion de canola vert en carburant. Elles sont encore peu avancées, et d'après les études de l'industrie des biocarburants que j'ai lues, on n'est même pas encore capable de déterminer l'efficacité de ces conversions. Lorsque le canola est congelé à ce stade, son contenu en sucre est encore faible et le taux de conversion pas très bon.
En ce qui concerne l'élevage, l'alimentation et le fourrage en Ontario, lorsque nous vendons notre récolte de maïs dans cette province, nous le faisons sous contrat par l'intermédiaire d'un courtier, ce que j'ai moi-même fait lorsque j'étais fermière. Je ne sais pas où va mon maïs. Il peut aussi bien être utilisé comme nourriture pour les humains que pour les animaux, ou encore comme carburant. Nous n'en savons rien. Je ne vends pas directement à l'utilisateur final, sauf lorsque je peux passer directement un contrat avec, par exemple, Casco; mon maïs est alors directement utilisé pour l'alimentation.
Récemment, dans le cas de Casco, qui se trouve sur le Saint-Laurent, où le prix du grain était légèrement plus élevé qu'aux États-Unis et, à l'époque où, le dollar canadien n'était pas aussi fort, cette société préférait acheter du maïs américain plutôt que canadien, et les agriculteurs ontariens ne pouvaient pas vendre leur maïs parce que les utilisateurs, que ce soit pour l'alimentation des humains ou celle des animaux, l'achetaient hors frontières, c'est-à-dire aux États- Unis. C'est la raison pour laquelle tant d'usines d'éthanol se trouvent sur le Saint-Laurent ou tout près de la frontière américaine; il est en effet beaucoup plus facile d'expédier le maïs de l'autre côté de la frontière et de le livrer aux usines de transformation.
Que le maïs soit destiné à l'alimentation des humains ou des animaux, ou à la production du carburant, les fermiers qui sont à la merci de l'acheteur final continuent à en tirer peu de profits.
En ce qui concerne les coopératives, je connais l'exemple de la Seaway Valley Farmers' Energy Co-operative et d'investisseurs de ma connaissance qui ont essayé de faire démarrer cette entreprise, sans aucun appui du gouvernement. Le gouvernement a repris les 10 millions de dollars qu'il avait promis à cette coopérative. Il ne voulait pas qu'elle démarre. C'était une coopérative agricole.
Les coopératives agricoles peuvent très bien fonctionner si elles sont bien gérées. Malheureusement, il arrive que les fermiers gèrent une coopérative comme ils gèrent leur propre exploitation. Ce n'est pas suffisant. Une gestion plus professionnelle est nécessaire et c'est la raison pour laquelle la Commission canadienne du blé a connu un succès si extraordinaire.
Sénateur Brown, vous connaissez bien la Commission canadienne du blé, n'est-ce pas?
Le sénateur Brown : Je la connais en effet très bien.
Mme Ross : Qu'en est-il de la Commission canadienne du blé? C'est un exemple fantastique. Lorsque j'ai voyagé à l'étranger et que j'ai parlé à la commission australienne du blé, celle-ci souhaitait aussi la disparition de la Commission canadienne du blé, parce qu'elle savait que c'était une force avec laquelle il fallait compter.
Le sénateur Brown : Excusez-moi, mais la Commission canadienne du blé n'est pas une coopérative. Elle est soumise à une réglementation gouvernementale qui lui a été imposée il y a bien des années.
Mme Ross : Son conseil d'administration est élu par les fermiers; en tout cas, c'est ce qui se passait auparavant.
Le sénateur Brown : Quoi qu'il en soit, ce n'est pas l'objet de ma question.
Mme Ross : Je croyais que nous parlions de coopératives.
Le sénateur Brown : Ce que je veux savoir, c'est le pourcentage du maïs en Ontario qui est appelé « maïs doux » et qui est destiné à la consommation humaine, et le pourcentage utilisé pour nourrir le bétail.
Mme Ross : Le maïs doux est différent. C'est le maïs frais que l'on mange sur l'épi. Je le cultive commercialement. Le maïs doux et le maïs denté n'ont rien de commun. Le maïs denté qui est destiné à la production commerciale est récolté lorsqu'il est sec, pour qu'on puisse en faire des maltodextrines ou des amidons perlés. Le maïs doux n'est pas utilisé dans cette production. Il est récolté lorsqu'il est au stade laiteux. Vous le faites bouillir et vous le mangez à table. C'est un type de maïs différent.
Le sénateur Brown : Je voudrais connaître le pourcentage.
Mme Ross : Le maïs doux est essentiellement une culture horticole. Le pourcentage est minime. Je vis à une heure d'ici, au sud, dans une ceinture de maïs. Le pourcentage est minuscule.
Le sénateur Brown : Le pourcentage est minuscule. C'est précisément où je voulais en venir.
Mme Ross : Le maïs doux ne figure même pas dans l'équation.
Le sénateur Brown : Quinze pour cent du maïs cultivé aux États-Unis est destiné à la consommation humaine; 85 p. 100 à la consommation des animaux. C'était l'information que j'essayais d'obtenir de Mme Ross.
Vous avez parlé d'engrais azotés. L'azote est le principal ingrédient des engrais utilisés par les fermiers de l'Ouest du Canada pour enrichir leur sol. C'est surtout l'engrais ammoniaqué qui contient de l'azote. La comparaison entre l'utilisation d'azote et le CO2 n'a, à mon avis, aucun rapport. Nous ne récolterions rien dans l'Ouest du Canada si nous n'utilisions pas d'engrais azotés. Les trois principaux composants de cet engrais sont l'azote, le phosphore et la potasse.
Je ne sais pas pourquoi nous faisons entrer les biocarburants dans l'équation et je ne sais pas si l'azote joue un rôle. Il y a de l'azote dans tous les engrais. Lorsque vous décomposez le fumier, comme vous l'avez dit, vous obtenez de l'azote. Cela ne fait pas partie du problème.
Ma question à vous tous est la suivante : Comment prouver si les biocarburants sont utiles et s'ils peuvent devenir une solution économique alors qu'ils représentent moins de 5 p. 100 du total, et poursuivre les expériences? Il y aura certainement des échecs et il y aura aussi des réussites. J'en ai déjà vu quelques-unes en Alberta et j'ai aussi été témoin de quelques échecs en Saskatchewan. Je crois que si nous voulons offrir la possibilité aux fermiers de tirer plus d'argent de leurs produits — j'ai moi-même été fermier jusqu'en 1999 — la seule façon de le faire est de poursuivre les expériences, d'essayer de développer le produit et de surveiller les coûts. Par exemple, le coût de l'eau dans la production est classé dans la rubrique : utilisation de l'eau et non dans celle de la consommation d'eau. Les plantes absorbent de l'eau et en rejettent.
Le président : Aurez-vous une question à formuler bientôt, sénateur?
Le sénateur Brown : Oui. Je veux savoir quelles recherches ont été faites pour démontrer que les biocarburants consomment de l'eau plutôt que d'utiliser de l'eau. Y a-t-il eu des recherches sur cette question?
M. Mooney : À mon avis, ce n'est pas la question. La question est plutôt de savoir si l'eau servira à faire pousser des aliments ou à faire pousser des produits qui seront transformés en biocarburants. Il ne s'agit pas de savoir si c'est de l'eau réutilisable. Elle est probablement réutilisable dans l'un et l'autre cas. La question, pour le moment, est de savoir si l'eau qui tombe du ciel servira à nourrir les gens. S'il s'agit d'eau qui sert à produire des biocarburants, cette eau ne servira pas à faire pousser de la nourriture. C'est la question fondamentale. Tout le reste, me semble-t-il, est pure illusion.
Je pensais que vous me demandiez de vous démontrer en quoi le projet de loi est utile, c'est-à-dire qu'une proportion de 5 p. 100 aura une certaine valeur. Il me semble que nous sommes bien avancés en ce qui a trait à ce projet de loi pour continuer de nous préoccuper de la réponse à cette question. Si vous en êtes toujours à ce stade, je vous incite à envisager un report de l'adoption du projet de loi jusqu'à ce que vous ayez une bonne réponse.
Le sénateur Brown : Je dis simplement que sans expérimentation à grande échelle de tous les produits d'origine végétale au pays, je ne pense pas que vous serez en mesure de prouver que le cycle est économique, utile, durable, et cetera. Je me demande surtout où se trouvent les travaux de recherche qui démontrent que nous devrions mettre un terme à ce projet de loi parce que ce n'est rien de cela — que ce n'est pas économique, que ce n'est pas sûr au plan environnemental et que ce n'est rien de bon pour les agriculteurs. Je veux avoir autre chose que des déclarations de personnes qui se contentent de dire qu'elles ne pensent pas que c'est bon. Je veux des travaux de recherche, parce qu'il y a des travaux qui sont faits pour démontrer que les biocarburants sont utiles, économiques et qu'ils sont avantageux pour les agriculteurs. Tant et aussi longtemps que je n'aurai pas vu de travaux de recherche qui démontrent l'autre côté de cette question, je ne vois pas comment nous pouvons dire : cessons nos travaux et n'essayons rien de tout cela. C'est comme de dire que les frères à Kitty Hawk, en Caroline du Nord, n'auraient pas dû essayer de voler.
M. Mooney : Je soutiendrais quand même qu'il revient à ceux qui veulent que l'on dépense 2,2 milliards de dollars d'obtenir des réponses claires plutôt qu'à ceux qui disent : Approfondissons la réflexion et assurons-nous d'avoir les bonnes réponses. Il existe une étude de la FAO portant sur les biocarburants dans trois pays — le Pérou, la Thaïlande et je n'arrive pas à me souvenir du nom de l'autre pays qui est en Afrique, je crois qu'il pourrait s'agir de l'Éthiopie — qui tente d'évaluer ce qu'a été l'impact des biocarburants dans ces trois pays et ce que seront les répercussions.
Plusieurs études ont porté sur les répercussions de l'utilisation de la canne à sucre au Brésil, du maïs aux États-Unis, et l'huile de palme en Indonésie et en Malaisie. Je ne suis pas un expert des biocarburants, comme je l'ai dit, mais je suis très surpris qu'il s'agisse encore d'une question qui suscite autant de débats. Comme l'a dit le ministre lors de sa première visite au comité, vous recevez une étude un jour, puis une autre le jour suivant, un groupe de scientifiques vous dira une chose et un autre groupe de scientifiques vous dira autre chose. Quelqu'un devrait bien être en mesure de vous donner une réponse claire, pour 2,2 milliards de dollars, mais il n'y a pas eu de réponse. La question fait toujours l'objet de débat, et rien n'est clair.
Le sénateur Brown : C'est précisément ce à quoi devrait servir le montant de 2 milliards de dollars, c'est-à-dire nous renseigner sur ce qui est bon et sur ce qui est mauvais. Au rythme où nous dépensons l'argent, à 150 $ le baril — 137 ou 140 $, selon le cours actuel — nous engloutissons des milliards de dollars chaque mois.
M. Mooney : Nous pouvons vous fournir tout cela au prix de gros. Nous pouvons le faire pour beaucoup moins que 2,2 milliards de dollars. Si vous faites une méta-évaluation des études qui ont été menées jusqu'à maintenant, si vous prenez quelques mois pour examiner ces évaluations, si vous consultez la FAO, la CNUCED et la Banque mondiale, vous obtiendrez ce résultat et les études dont vous avez besoin, sans problème et sans parti pris des organismes internationaux, et il ne vous en coûtera pas 2,2 milliards de dollars.
Le sénateur Brown : Cela ne prouve rien concernant son économie et si l'aventure sera avantageuse pour les agriculteurs en général. Toutes ces études doivent être faites à une échelle plus large que la simple expérience en laboratoire ou l'étude de base. Il n'y a qu'une façon de démontrer qu'une chose puisse fonctionner dans l'économie et c'est de l'utiliser dans la pratique.
M. Lordon : L'expérience est déjà en cours chez nos voisins du Sud. Peut-être vaudrait-il mieux attendre de voir les résultats de cette expérience. Le problème concernant l'investissement de 2,2 milliards de dollars, comme le prévoit ce projet de loi, se situe au niveau des changements structurels qui pourraient en découler. Qui sait, nous pourrions fort bien mettre en production des dirigeables remplis d'hydrogène. Tout cela pourrait avoir des conséquences pour l'économie, et j'estime qu'il vaut mieux adopter une approche prudente.
Le sénateur Brown : Comment pouvons-nous régler le problème immédiat? Il y a deux ou trois ans, nous consommions 75 millions de barils d'huile par jour à l'échelle mondiale. Aujourd'hui, nous en consommons 85 millions. J'en conviens, nous devons réduire cette consommation, mais nous devons également trouver des façons de nous procurer des carburants de remplacement, qu'il s'agisse de sources éoliennes, de biocarburants ou autres choses. Nous devons prendre des mesures pour faire beaucoup de choses. Le simple fait de gonfler nos pneus ne nous permettra pas d'économiser 10 millions de barils de pétrole par jour. Nous devons faire quelque chose qui aura des répercussions beaucoup plus importantes. Je sais qu'il y a des agriculteurs qui en profitent déjà parce que j'ai vu une partie des résultats. Je connais quelqu'un qui a un système de valve qui lui permet de passer d'un mélange de diesel à du diesel pur, un modèle breveté. Je sais qu'il est commercialisé à petite échelle.
Le président : Quelle est votre question?
Le sénateur Brown : Comment pouvons-nous prouver qu'il est viable au plan commercial, à grande échelle, à moins d'aller au-delà de ce que font les agriculteurs à titre individuel?
M. Mooney : La première génération a eu quelques décennies d'expériences dans les Prairies. Ne serait-ce pas là un bon point de départ?
Le sénateur Brown : Je n'ai pas d'exemples de ce que je considérerais comme un succès commercial à l'échelle du Canada. Premièrement, vous devez être en mesure de le livrer le produit là où vous pouvez le distribuer, par exemple dans une station-service. C'est un des grands problèmes. Si l'offre n'est pas suffisante, vous n'y arriverez jamais.
Le président : J'estime que la question a été posée et qu'il y a eu réponse, si je comprends bien. Avez-vous d'autres questions, sénateur Brown?
Le sénateur Brown : Non.
Le sénateur Cochrane : Monsieur Mooney, vous avez fait référence aux témoins qui sont venus ici la semaine dernière. Vous avez souligné que la viabilité commerciale des algues et des déchets n'est toujours pas une certitude.
Je me fais ici l'avocat du diable. Comment saurons-nous qu'il y a des opportunités si nous ne soutenons pas l'industrie? Je perçois le projet de loi C-33 comme un moyen d'encourager le développement d'une nouvelle technologie et de nouvelles connaissances.
N'êtes-vous pas d'accord avec cela? Comment aimeriez-vous que nous explorions le potentiel d'une telle technologie?
M. Mooney : Je crois que nous serons probablement d'accord, madame le sénateur, pour dire que nous devrions encourager ce type de recherche sur les algues et sur la conversion des déchets. Nous avons également entendu parler la semaine dernière de la possibilité d'utiliser le gras animal de cuisson comme carburant pour les automobiles, et ainsi de suite. Mais si nos voitures étaient frappées par la maladie de la vache folle? Tout cela pour dire que toutes les expériences de ce genre peuvent bénéficier d'un soutien et c'est ce qui se produit.
L'automne dernier, j'étais en Suisse avec un groupe de 35 sociétés financières d'innovation, et j'ai parlé avec elles de biocarburants et nous avons envisagé les problèmes de seconde génération. Ces sociétés cherchent à investir dans ce domaine et elles investissent. Elles ne savent pas exactement à quel moment leur investissement sera rentabilisé, mais elles y travaillent.
Laissons-les faire. C'est ce qu'elles font le mieux. Je trouve plutôt étonnant qu'après avoir parlé de carburants avec ces sociétés la semaine dernière nous discutions aujourd'hui de maïs, de canne à sucre et de canola. Ce sont des biocarburants. Cependant, la discussion de la semaine dernière avec l'industrie a porté presque exclusivement sur ce secteur inexploité — quand on considère les petites exploitations en Ontario et au Québec qui aspirent à devenir beaucoup plus importantes mais qui ne peuvent le faire à ce moment-ci, du moins c'est ce que me disent les gens de l'industrie. Les solutions, si jamais elles se manifestaient, ne viendront pas avant dix ou 15 ans.
La recherche est en cours. J'estime qu'il était illusoire que la discussion porte non pas sur le maïs, la canne et le canola, qui sont les principaux vecteurs de l'investissement, mais plutôt sur ce petit créneau.
Le sénateur Cochrane : Vous devez être d'accord avec moi pour dire que la plupart des industries sont d'abord de petites industries spécialisées, parce qu'elles commencent au bas de l'échelle. Je ne devrais pas dire « la plupart ». Toutefois, plusieurs industries sont petites au départ puis deviennent de très grandes industries. C'est ainsi que vont les affaires.
M. Mooney : La plupart de celles qui commencent petitement finissent par disparaître.
Le sénateur Cochrane : Je ne suis pas d'accord avec vous. Vous devez commencer quelque part. C'est ce que je voulais dire.
Le sénateur Nolin : J'ai deux questions à poser. Avez-vous obtenu une réponse à lettre du 18 avril?
M. Lordon : Il faudrait que je cherche, je ne sais pas. Je ne l'ai pas écrite.
Le sénateur Nolin : J'aimerais savoir s'il y a eu une réponse.
Deuxièmement, j'espère que vous avez tous les trois lu le projet de loi. Supposons que vous l'ayez fait pour les fins de ma question. Y a-t-il quelque chose dans le projet de loi que nous devrions modifier ou changer? Il s'agit essentiellement du pouvoir de réglementation d'Environnement Canada. Êtes-vous en accord avec le contenu du projet de loi et, dans le cas contraire, que devrions-nous changer?
M. Mooney : Je n'ai pas d'objection particulière au projet de loi en tant que tel, mais j'estime que nous n'avons pas suffisamment de renseignements. Il faudrait encourager l'idée de soutenir l'énergie renouvelable. Je ne crois pas qu'il y ait suffisamment de renseignements disponibles pour que nous puissions dire clairement qu'il s'agit d'une bonne ou d'une mauvaise approche.
Les choses évoluent si rapidement que même dans trois ou quatre mois, nous aurons un contexte différent pour ce qui est des données que nous pouvons analyser et comprendre. J'ai vu beaucoup de changements survenir depuis le mois d'avril de cette année. Les choses continueront d'évoluer.
Il s'agit véritablement d'une demande de report. Il ne s'agit pas de rejeter le projet de loi. Nous vous demandons de faire une pause et vous assurer d'avoir tous les renseignements nécessaires. J'estime que vous devez en entendre parler à tout moment : la période de réflexion du législateur. Et c'est la raison pour laquelle vous êtes ici.
Le sénateur Nolin : L'UE envisage l'adoption d'une loi qui n'autoriserait que les biocarburants certifiés. Avez-vous eu connaissance de ce projet?
M. Mooney : Oui.
Le sénateur Nolin : Devrions-nous modifier le pouvoir de réglementation pour qu'un tel programme ait cours ici au Canada?
M. Mooney : La certification serait un pas dans la bonne direction.
Le sénateur Nolin : C'est pourquoi je vous pose la question. Le projet de loi actuel ne contient rien de similaire. Devrions-nous le modifier pour aller en ce sens?
M. Mooney : Je crois avoir compris que lorsque le règlement fait l'objet de négociation — et cela serait une façon d'aller à l'encontre de la négociation — ces options sont toujours disponibles. N'est-ce pas le cas?
Le sénateur Nolin : C'est la raison pour laquelle je vous pose la question. Nous avons la possibilité de modifier le pouvoir de réglementation qui sera confié au ministère. Devrions-nous l'inclure dans un cadre d'autorisation qui serait similaire à celui que l'Union européenne envisage?
M. Mooney : Il faudrait leur demander d'examiner un programme de certification. Je m'en inquiète, monsieur le sénateur — et je ne cherche pas à éviter la question — parce que certains programmes de certification ont des effets négatifs. Tout dépend de la façon dont ils sont élaborés; ils peuvent entraîner tout autant de problèmes que de solutions. Soyons clairs : tout dépend de la façon dont la certification sera faite.
Le sénateur Nolin : Si je comprends bien, l'UE inclut un critère écologique. Devrions-nous faire de même?
M. Mooney : Oui, les pays de l'UE négocient entre eux ce qu'ils entendent par écologique.
Le sénateur Nolin : Nous pourrions avoir notre propre définition de ce qui est « écologique. »
M. Mooney : Il serait bien d'avoir une définition claire.
Le président : Monsieur Lordon, chercherez-vous à savoir si vous avez obtenu une réponse à cette lettre? Le cas échéant, pourriez-vous en envoyer une copie au greffier, je vous prie?
M. Lordon : Assurément.
Le président : Quand pourriez-vous le faire?
M. Lordon : Je pourrais le faire d'ici la fin de la journée.
Le sénateur Brown : J'aimerais poser une question au nom de ceux qui se préoccupent de savoir s'il est possible que la chose devienne économique. Êtes-vous au courant du cas de Brasilia et de la canne à sucre? La population de Brasilia, une ville du Brésil, compte plusieurs millions de personnes. Il s'agit de la première ville au monde à ne pas dépendre des combustibles à base d'hydrocarbures. Les carburants utilisés proviennent exclusivement de la canne à sucre et la ville utilise les résidus de la canne à sucre pour faire fonctionner les usines, pour produire de l'éthanol.
M. Mooney : C'est exact. La question demeure controversée au Brésil. Le MST, c'est-à-dire le Mouvement des paysans sans terre, est lui-même divisé quant aux avantages pour l'agriculture au Brésil. De petites organisations agricoles du Brésil s'opposent à la production de la canne à sucre. Un rapport publié par Human Rights Watch met en garde contre les répercussions de la production de canne à sucre sur le travail des enfants au Brésil. Je suis également au courant de ces études.
Le sénateur Brown : J'aimerais poser une question concernant les droits de la personne, sujet que vous avez soulevé. En tant qu'agriculteur, j'ai entendu des gens suggérer que la nourriture est un droit dans le monde. Je conviens que tout le monde a le droit d'avoir de la bonne nourriture. Cependant, les agriculteurs ont aussi le droit à la survivance économique. Tout le monde parle de la disparition des fermes familiales, mais personne ne se préoccupe de garder les agriculteurs en poste. Personne n'est venu frapper à ma porte pour me demander combien j'avais de prêts bancaires à un moment donné.
Je ne vois pas comment nous pourrions résoudre la crise alimentaire mondiale avant d'accepter de payer globalement pour les aliments qui sont nécessaires et livrer ces aliments à ceux qui en ont besoin.
Le président : Je pense que M. Mooney pourrait penser environ deux heures sur cette question.
Mme Ross : Le récent rapport de la FAO recommande un « changement radical » par rapport à l'agriculture industrielle en faveur d'une agriculture plus durable. Le communiqué disait que le vieux paradigme de l'agriculture industrielle, à forte consommation d'énergie et toxique, est une notion du passé.
Permettez-moi de revenir sur ce que le sénateur Munson a dit au sujet des droits de la personne. Il s'agit bel et bien de droits de la personne.
Il a été question d'un retour au modèle de ferme familiale. Je crois qu'il faut remonter dans le temps pour nous permettre d'aller de l'avant. Quand les frères Wright ont décollé, l'écrasement de leur avion n'aurait causé que leur mort. Il y a beaucoup plus en jeu ici.
Nous examinons les modèles du Brésil, de l'Indonésie, des Philippines, de la Papouasie et de la Nouvelle-Guinée qui produisent de l'huile de palme, de la canne à sucre, de la cellulose et de la biomasse sur des terres marginales. Le problème est qu'il n'y a plus de terres marginales. Les gens vivent sur les terres marginales et s'ils n'y vivaient pas, ils devraient se rabattre sur de telles terres pour chasser et se nourrir et y faire de l'agriculture à petite échelle.
Par conséquent, nous devons réfléchir. C'est la prémisse du projet de loi qui pose problème : mythes et fausses promesses selon lesquelles le projet de loi profitera aux agriculteurs. Il y a, au Canada et ailleurs dans le monde, des données historiques et des travaux de recherche qui montrent que ces programmes ne profitent guère aux agriculteurs au plan économique, n'offrent aucun avantage pour l'environnement et ne font rien pour l'agriculture.
Un modèle d'agriculture axé sur l'énergie propulsera cette idée et peu importe qu'il s'agisse de biodiésel ou d'éthanol, les indices de conversion n'y sont tout simplement pas.
Nous vous disons de ralentir puisqu'il y a tellement en cause. Le Canada se dit un leader international aux plans environnemental et social. Nous devons être des leaders sur le plan environnemental et social ainsi que des activistes des droits de la personne et dire qu'il faut réexaminer ce projet de loi. Nous devons en examiner les ramifications pour les Canadiens et pour les agriculteurs canadiens.
Si nous parlons toujours de ces choses aujourd'hui, c'est que le travail n'a pas encore été fait. Si l'idée est si géniale pour l'industrie, pourquoi n'y investit-elle pas son propre argent? L'industrie engrange déjà des bénéfices record et devrait investir ses propres fonds pour approfondir la recherche plutôt que de compter sur les 2 milliards de dollars provenant des contribuables.
Le sénateur Brown : Il est difficile pour une exploitation agricole familiale de financer l'achat d'une moissonneuse- batteuse de 400 000 $. Comment pourrait-on en revenir à l'exploitation agricole familiale?
Mme Ross : Il est possible d'avoir des incitatifs pour garder les gens à la ferme. Nous sommes en train de saigner le milieu agricole et nous perdons les jeunes de la relève. Comment pouvons-nous les garder à la ferme?
Aucun des plans qui ont été mis de l'avant jusqu'à maintenant n'offre d'incitatifs quelconques pour la relève agricole. Selon les données statistiques d'Agriculture Canada de la fin de 2007, ce sont les agriculteurs de moins de 40 ans qui constituent la plus forte proportion de ceux qui abandonnent. Je suis considérée comme une jeune agricultrice au pays.
Le pays doit créer des incitatifs pour que les gens reviennent à la terre, pour les garder à la ferme. Nous devons rendre cette aventure économiquement viable en élaborant des systèmes alimentaires viables au pays.
Le sénateur Munson : Récemment, un rapporteur spécial auprès de l'Assemblée générale des Nations Unies a présenté un rapport intérimaire sur le droit à l'alimentation en vertu duquel les gouvernements, dont le Canada, s'engageaient à réduire de moitié le nombre de personnes mal nourries dans le monde d'ici 2015. C'est la position de notre gouvernement.
Est-ce que la majorité des agriculteurs canadiens sont en faveur de votre argumentation?
Le président : Madame Ross, voudriez-vous commencer à répondre à la question en nous disant qui le Syndicat national des cultivateurs représente-t-il? Quelle proportion d'agriculteurs canadiens représentez-vous et où sont-ils situés?
Mme Ross : On retrouve nos agriculteurs de l'île de Vancouver jusqu'à Terre-Neuve et nous avons également des membres au Yukon. Nous comptons plus de 10 000 fermes familiales au Canada. Nous faisons également partie d'une organisation agricole internationale, La Via Campesina, qui compte plus de 500 millions de membres.
Je suis agricultrice et je fais ce travail depuis 25 ans. Je suis entourée d'agriculteurs. Vous êtes agriculteur par métier et par nature. Ce n'est pas seulement ce que vous faites, mais c'est aussi qui vous êtes. Je sais qu'il y a certains sénateurs autour de la table qui ont aujourd'hui un emploi à l'extérieur de la ferme, c'est-à-dire qu'ils ne sont plus des agriculteurs mais qui travaillent ici à Ottawa. Ils ont quitté l'industrie pour de très bonnes raisons et j'aimerais en entendre parler.
Les agriculteurs sont désespérés. Nous venons des générations d'agriculteurs et ce n'est pas simplement quelque chose que vous décidez de devenir. Il est difficile d'être agriculteur et de garder sa terre. Il y a de grandes difficultés à surmonter.
Les agriculteurs travaillent à longueur d'année. En 2008, les agriculteurs ne s'attardent pas à penser que leur production deviendra un biocarburant, ne pensent pas à l'aspect éthique de l'éthanol ni à la pénurie mondiale de nourriture. Ils sont tout simplement heureux que, pour la première fois en une génération, ils pourront faire un peu d'argent cette année, ce qui leur permettra de continuer à cultiver la terre l'an prochain.
Ils ne s'attardent pas aux taux de conversion. Ils ne lisent pas les données que j'ai passé beaucoup de temps à fouiller et que mes collègues ici aujourd'hui vous présentent.
Les agriculteurs sont occupés, ils travaillent d'arrache-pied pour que leurs fermes demeurent viables. Ce n'est pas que nous ne voulions pas de l'opportunité de demeurer au sein de l'industrie. Il s'agit bien d'une année qui leur permettra de demeurer dans l'industrie. Peu importe que leurs céréales servent à l'alimentation du bétail, des humains ou à produire du combustible, elles permettent surtout de payer les factures.
M. Mooney : Je voudrais ajouter quelque chose étant donné que le droit à l'alimentation en tant que droit de la personne a été soulevé. Pour les Nations Unies, il y a le droit à l'alimentation et les droits des agriculteurs. Cela a été établi en 2004 dans le cadre du Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture (OAA). Le traité comprend la notion de droits des agriculteurs mais elle n'est pas bien développée. J'ai participé à ces négociations et l'expression « droits des agriculteurs » en est une qui a été formulée par mon organisation en 1985 et qui se retrouve dans le traité.
Le Canada a été le premier pays à ratifier le traité. Cependant, il n'a pas fait un bon travail pour défendre les droits des agriculteurs lors des négociations. Le traité permet d'examiner l'équilibre entre le droit à l'alimentation et le droit des agriculteurs d'avoir un moyen d'existence décent et durable.
J'inviterais les sénateurs à examiner la notion de droits des agriculteurs et peut-être aussi à demander aux gouvernements actuels et à d'autres gouvernements d'insister un peu plus sur les droits des agriculteurs.
Le sénateur Sibbeston : Je suis curieux d'en savoir davantage au sujet de l'étude du Royaume-Uni à laquelle M. Mooney a fait référence plus tôt et qui fait état d'avantages futurs potentiels des biocarburants.
Je suis du Nord. Alors que nous parlons de régions du pays qui deviendraient des bols de poussière advenant la progression du réchauffement de la planète, le Nord — c'est-à-dire environ le tiers du territoire continental du Canada — deviendrait propice à l'agriculture d'ici 20 à 50 ans. Je ne sais pas ce qu'en pense le sénateur Adams. À l'heure actuelle, ce territoire est couvert de glace et de neige. Comme on dit, on ne fait pas pousser des patates là-bas.
Est-ce que vous laissez entendre que cette étude pourrait être déterminante quant à la façon dont les autres pays agissent en matière de biocarburants?
M. Mooney : C'est ce que l'on m'a dit.
Deux sources différentes m'ont parlé de cette étude. Lors du Sommet de l'alimentation tenu à Rome, il y a eu une séance d'une demi-journée pour les gouvernements portant sur la question des biocarburants. Le gouvernement du Royaume-Uni y a présenté un résumé oral du rapport au moment de la publication. Peu de détails ont été fournis mais on soutenait que les nouvelles étaient bonnes comme l'ont souligné les représentants du gouvernement, parce que les biocarburants représentaient un avantage dans des conditions idéales en ce qui a trait à l'environnement et au changement climatique. Cependant, ils n'en ont pas dit davantage. Ils estiment qu'il y aurait des retombées dans des conditions idéales, ce que je n'entrevois pas. Je ne crois pas que les agriculteurs aient jamais des conditions idéales. Les mauvaises nouvelles concernaient le coût et les répercussions sur le prix des aliments, qui seraient graves. L'étude a été fournie au journal The Guardian la semaine dernière et mes collègues du Royaume-Uni ont été autorisés à lire une copie de l'article. Selon eux, l'étude aura des retombées importantes sur la position du Royaume-Uni et sur celle de l'Union européenne. Peut-être en saurons-nous davantage si elle est publiée demain comme prévu, mais on nous dit que la publication pourrait être retardée jusqu'à lundi.
Le sénateur Sibbeston : Le Canada semble en voie d'établir une industrie des biocarburants malgré que nous ayons une abondance de combustibles fossiles. Est-ce là une indication de notre savoir-faire, de notre force ou de notre développement que d'aller en ce sens? Les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Europe semblent être beaucoup plus avancés que le Canada dans l'examen de cette question. Nous sommes des néophytes parce que nous décidons subitement que nous devrions faire quelque chose au sujet des biocarburants. Est-ce vrai que le Canada est à la queue du peloton en ce domaine?
M. Mooney : Oui. Le sénateur Mitchell a raison de dire que les gouvernements au Canada n'ont rien fait d'utile au sujet du changement climatique depuis fort longtemps. Le problème est beaucoup plus évident pour les agriculteurs et les sociétés de l'Union européenne et de l'Europe en général que pour les agriculteurs d'Amérique du Nord.
Je ne sais pas quelle action serait un signe de raffinement. Il semblerait que la conscientisation au problème est beaucoup plus poussée aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Europe qu'elle ne l'est au Canada. Pour ce qui est du désir de trouver des solutions de remplacement, l'Allemagne cherche à passer à 20 p. 100 de carburants provenant de sources d'énergie renouvelable et la Suède cherche à réaliser le même objectif, je crois. La recherche intense qui se fait en Europe ne semble pas avoir pris racine au Canada.
Il faut aussi user de prudence. En Amérique du Nord, nous semblons penser que tout problème a une solution technologique et que nous n'avons pas à élaborer de politiques ni à faire d'efforts considérables en termes de justice sociale. Nous semblons penser qu'il n'y a qu'à demander à un ministère d'inventer une solution pour nous et si la solution n'est pas acceptable, nous lui demanderons d'inventer une deuxième solution. Je trouve déprimant que nous n'ayons pas à faire d'efforts sérieux. L'ancien président Kennedy, des États-Unis, avait raison en 1963 quand il a dit que sa génération pouvait mettre un terme à la faim dans le monde, mais il n'y a jamais eu d'efforts sérieux en ce sens. Aujourd'hui, deux générations ont passé et le problème n'est toujours pas résolu.
Le sénateur Sibbeston : Certains pays n'ont pas de combustibles fossiles et je comprends leur besoin d'élaborer d'autres sources de carburant. Cependant, le Canada compte tant de pétrole et de gaz qu'il faut se demander pourquoi nous nous lançons dans le développement de biocarburants.
M. Mooney : Sénateur, voilà un excellent point, mais les agriculteurs ont besoin d'aide. Cela ne fait aucun doute. Je sais que les agriculteurs du pays n'ont pas toujours été bien traités pendant des décennies, mais je ne chercherais pas à inventer une solution technologique pour régler ce problème. Je chercherais plutôt à savoir qui dans l'industrie a fait des profits. Le prix des aliments à l'échelle mondiale qui était de 5,5 billions de dollars en 2004 passerait à 8,5 billions de dollars l'an prochain. Pourtant, les agriculteurs ne toucheront rien de cette augmentation parce que toutes les retombées iront aux détaillants, aux grossistes, aux compagnies de pesticides, aux compagnies d'engrais et aux compagnies de semences. Si nous voulons vraiment faire quelque chose pour les agriculteurs, donnons-leur une meilleure part de ces profits. C'est là où la politique sociale entre en ligne de compte. Nous n'avons pas besoin d'une solution technologique.
Le président : Honorables sénateurs, étant donné que nous avons commencé en retard ce matin, nous ferons un second tour de table. Je permettrai à chacun de poser une brève question et aux témoins de donner une réponse courte.
Madame Ross, avez-vous quelque chose à dire, brièvement?
Mme Ross : Je veux revenir à la discussion précédente concernant le droit à l'alimentation. Il est curieux de dire que l'alimentation de base est un luxe et de la placer au même rang que le droit des agriculteurs de gagner leur vie. Quelle est la différence entre subsistance de base, substance nutritive et respiration? Cela veut-il dire que, parce que nous avons un droit à l'air et à l'eau, nous avons aussi un droit à l'alimentation? Si nous donnons un droit à quelqu'un, nous pouvons lui reprendre ce droit. Nous parlons ici de subsistance de base et non de surproduction.
Dans mon exposé, j'ai parlé de la pénurie d'aliments à l'échelle mondiale. Cela étant dit, le moment est mal choisi pour le Canada d'adopter un projet de loi qui pourrait injecter 2,2 milliards de dollars dans la recherche portant sur la production d'aliments destinés à la production de biocarburants. L'image ne serait guère flatteuse pour le Canada, un leader progressiste en matière de justice sociale et de droits de la personne.
Le sénateur Spivak : J'ai une brève question. Je connais un peu la situation des coûts-avantages des agriculteurs depuis quelques années; j'ai été membre du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts pendant 15 ans et j'ai appris que les agriculteurs ne sont pas très versés en affaires.
Savez-vous quelle part du montant de 2,2 milliards de dollars ira à chacun des agriculteurs?
M. Mooney : Voilà une très bonne question à poser aux témoins qui nous viennent de l'industrie.
Le sénateur Spivak : D'accord.
Mme Ross : Quand j'ai lu les commentaires du ministre Ritz, j'ai compris qu'il ne pourrait répondre à cette question. L'argent n'est pas destiné aux agriculteurs mais bien au développement de cette technologie. C'est une autre solution dorée ou technologique que l'on promet aux agriculteurs. Le Syndicat national des cultivateurs et moi avons un problème face à ce projet de loi.
Les agriculteurs se débrouillent très bien pour adopter les technologies. Nous ne sommes pas des luddites, mais le problème est que nous avons adopté ces technologies et qu'elles n'ont pas su nous apporter les retombées économiques prévues. L'ALENA et l'OMC n'en ont pas profité et toutes les autres technologies que nous avons adoptées n'ont rien rapporté aux agriculteurs au plan économique. Comme vous le savez, sénateur Spivak, les données statistiques indiquent un tel résultat.
Le sénateur Spivak : J'ai une autre courte question. En autant que je sache, 22 études scientifiques ont été faites sur les émissions connexes. Monsieur Mooney, est-ce que vous laissez entendre qu'il y aura davantage d'émissions? La plupart des études ont démontré qu'il n'y a pas d'augmentation appréciable des émissions de gaz à effet de serre. Sur quelles études vous fondez-vous?
M. Mooney : Je crois que le ministre a abordé cette question au début de son exposé, lors de la dernière réunion du comité, et il a conclu que chaque étude fait l'objet d'un rapport différent. Nous nous dirigeons vers un consensus plus important. Ces derniers mois, les rapports publiés dans les revues scientifiques ont montré qu'il y avait un mouvement en ce sens. Le travail fait par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) et par l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) se veut une méta-évaluation des rapports pour nous aider à mieux les comprendre.
Le président : Les agriculteurs ne profitent-ils pas de la vente de leurs récoltes aux producteurs d'éthanol? Y a-t-il des doutes sérieux en ce qui a trait au fait que cette production soit avantageuse pour les agriculteurs?
Mme Ross : Ce ne sont pas tous les agriculteurs qui vendent leurs récoltes aux producteurs d'éthanol.
Le président : Ceux qui vendent leurs récoltes aux producteurs d'éthanol se débrouillent bien, n'est-ce pas?
Mme Ross : Ces agriculteurs se débrouillent fort bien depuis la fin de la campagne agricole de 2007 et encore cette année. Cette période ressemble au soubresaut enregistré dans les années 1970 en matière de revenu agricole.
Le président : Nous ne le savons pas, n'est-ce pas?
Mme Ross : Oui, nous le savons.
Le président : Vous savez qu'il s'agit d'un soubresaut?
Mme Ross : Le prix des céréales a augmenté, particulièrement dans le Midwest des États-Unis, après les inondations, et le maïs se vend 8 $ le boisseau. Dès lors, les usines d'éthanol ont fermé leurs portes et ont cessé tous travaux de construction parce qu'elles ne pouvaient plus se permettre de poursuivre leurs activités étant donné le prix élevé du maïs. Il faut que le prix des céréales diminue pour que les usines d'éthanol demeurent en production, parce qu'elles comptent sur des céréales à bas prix.
Le sénateur Munson : Est-ce que la Fédération canadienne de l'agriculture partage votre point de vue?
Mme Ross : J'ai apporté le mémoire de la Fédération canadienne de l'agriculture.
Le président : L'organisme doit comparaître devant un autre comité à un autre moment. Nous leur poserons la question.
Le sénateur Munson : Je veux savoir ce que l'organisation a à dire.
Le président : Êtes-vous en accord avec leur position, madame Ross?
Mme Ross : Leur position est basée sur plusieurs mythes et sur de faux espoirs donnés aux membres.
Le président : Nous le leur rappellerons.
Le sénateur Munson : C'est très bien. Je ne cherchais qu'une histoire intéressante.
Le sénateur Milne : Vous avez beaucoup parlé des sommes que le gouvernement investit dans les biocarburants, mais cet argent existe déjà. Il a déjà été engagé, peu importe que nous adoptions le projet de loi.
Quand je lis le projet de loi, je ne vois rien au sujet de l'exigence de 5 p. 100 pour le carburant. On n'y trouve rien au sujet des fonds. Ce projet de loi n'est qu'une loi habilitante.
Le projet de loi contient également un article qui prévoit un examen, un an après son entrée en vigueur et tous les deux ans par la suite. Un examen complet des aspects environnementaux et économiques de la production de biocarburants au Canada devrait être entrepris. Où est le danger?
M. Mooney : Le danger a été exprimé l'autre jour, me semble-t-il, par le ministre et par l'industrie. Selon eux, si le projet de loi n'est pas adopté immédiatement, l'industrie croira que l'on cherche à refroidir leurs ardeurs au sujet de l'avenir. On nous a dit qu'il fallait que le projet de loi soit adopté dès maintenant.
J'ai l'impression que plusieurs sénateurs assis ici autour de la table étaient sceptiques quant à cette affirmation. Toutefois, l'adoption du projet de loi leur donnerait semble-t-il le feu vert — ils croient à l'existence d'un marché — pour aller de l'avant.
Il est fort possible qu'après la première année nous ne soyons guère plus avancés. Toutefois, dans deux, trois ou cinq ans, il y aura un examen et il est difficile d'imaginer que quelqu'un dira qu'il faut cesser la production alors que les infrastructures auront été mises en place et que les investissements auront été faits. Je ne crois pas que cela se produira. De toute évidence, les sénateurs ont plus d'expérience que je n'en ai en la matière, mais il me semble plutôt rare de lancer quelque chose comme cette production, avec une toute nouvelle structure pour de l'énergie, puis de s'en retirer.
Le sénateur Milne : Si Mme Ross a raison, le projet n'ira pas de l'avant. L'industrie ne sera pas capable de se payer du maïs ou du blé, quel qu'en soit le prix, pour produire de l'éthanol.
M. Mooney : Je croyais qu'elle avait dit que le prix du maïs diminuerait.
Mme Ross : Il diminuera. Encore une fois, les agriculteurs vendront leurs récoltes à un prix inférieur à leurs coûts de production. C'est la tendance, et c'est une tendance historique. Nous subventionnerons les usines d'éthanol avec la dette agricole et avec nos revenus agricoles.
Le président : J'ai une dernière question avant d'entendre les témoins suivants. La version actuelle du projet de loi mentionne qu'il serait bien de faire un examen de la loi à l'occasion. Il n'est dit nulle part qu'il y en aura un. On dit qu'il devrait en avoir un.
Avez-vous un point de vue à cet égard?
M. Mooney : Il devrait y avoir un examen, et il devrait y avoir une disposition de temporisation dans la loi qui pourrait se manifester dans dix ou 15 ans et des évaluations périodiques. À moins d'un effort délibéré de la part du gouvernement pour l'évaluer attentivement et d'une mention claire à cet effet, cet examen n'aura pas lieu.
Le président : Plutôt que d'avoir un projet de loi qui dit que ce serait une bonne idée que d'avoir des examens périodiques, vous estimez qu'il serait beaucoup mieux si l'on y trouvait les mots « il y aura» ou « il doit y avoir » des examens, est-ce exact?
M. Mooney : Oui, tout à fait.
Le président : Je vous remercie de votre intervention. Malheureusement, nous n'aurons pas le temps de vous écrire si nous avons besoin de renseignements supplémentaires puisque nous traiterons de ce projet de loi assez rapidement. Toutefois, merci du temps que vous nous avez consacré.
Honorables sénateurs, nous accueillons maintenant M. Mark Fried, coordonnateur des politiques d'Oxfam Canada.
Monsieur Fried, merci de votre patience. Nous avons commencé plus tard en raison d'une difficulté technique, et pour cette raison, je demanderai aux sénateurs d'accepter de poursuivre cette réunion jusqu'à 12 h 15.
Est-ce que cela vous convient, monsieur Fried?
Mark Fried, coordonnateur des politiques, Oxfam Canada : Oui, cela me convient tout à fait.
Le président : Honorables sénateurs et monsieur Fried, je vous rappelle d'être rigoureux et le plus bref possible, afin que nous ayons du temps pour les questions. Je vous rappelle également que nous ne sommes pas ici pour débattre de la question. Il y aura un temps pour cela plus tard. Nous sommes ici pour entendre ce que les témoins ont à nous dire et pour leur poser des questions. Les témoins ont peu d'intérêt à connaître notre point de vue. Il nous appartient de nous concentrer sur leurs points de vue.
Monsieur Fried, vous avez la parole.
M. Fried : Je vous remercie tous de l'opportunité que vous m'offrez de comparaître devant votre comité.
[Français]
Je vous remercie beaucoup de cette opportunité de partager avec vous le point de vue d'Oxfam sur le thème des biocombustibles.
[Traduction]
Je suis particulièrement heureux que vous ayez abordé cette question parce que, selon nous, elle exige une réflexion plus approfondie. Comme vous le savez sans doute, Oxfam Canada est un organisme de développement international. Nous apportons un soulagement humanitaire dans des situations d'urgence. Cela s'est produit à plusieurs reprises, particulièrement au cours des derniers mois et des dernières années en raison du changement climatique, selon plusieurs personnes.
Nous nous adonnons également au développement communautaire à long terme, une initiative qui est mise à mal par le changement climatique. Nous nous adonnons aussi à la défense des intérêts concernant des questions qui, selon nous, sont associées à des politiques qui posent problème ou qui peuvent offrir une solution clé pour les partenaires avec lesquels nous travaillons dans les collectivités.
Les biocarburants sont une de ces questions que nous jugeons urgentes. Nous devons en poursuivre l'examen parce qu'elle aura des répercussions dramatiques sur les collectivités où nous travaillons à l'étranger. J'ai demandé au greffier de vous distribuer un document de politique que nous avons publié aujourd'hui. Il s'agit d'un document tout neuf d'Oxfam portant sur la question des biocarburants.
[Français]
La version française sera disponible plus tard aujourd'hui sur le site web, et je la ferai parvenir au greffier.
[Traduction]
Je regrette que le document n'ait pas été prêt ce matin.
Ce document de recherche est le fruit d'une année et demie de recherche, d'examen des avancées scientifiques récentes en matière de biocarburants et de changement climatique en particulier, de l'examen des répercussions pour les pays en développement de l'expansion de la production des biocarburants dans les pays industrialisés, de même que du potentiel pour les biocarburants de faire partie d'une solution positive à la nécessité d'obtenir de l'énergie sûre dans les pays en développement. Notre document fait état d'une étude approfondie en Tanzanie, en Indonésie et au Brésil, de même que d'une recherche sur place menée dans divers autres pays en développement.
Je ne suis pas l'auteur du rapport. Je dois le confesser. Il a été rédigé par l'un de mes collègues du Royaume-Uni, mais j'ai participé à l'examen du mandat et de plusieurs versions provisoires et au débat qui a porté sur les conclusions qui devaient se dégager du document. Mes observations aujourd'hui sont basées sur les résultats contenus dans le rapport.
Vous vous demandez sans doute pour quelle raison Oxfam s'intéresse aux biocarburants. Deux choses nous préoccupent. La première est la répercussion du développement des biocarburants sur le prix des aliments, chose qui a été mentionnée par certains de vos témoins ce matin. La deuxième est la répercussion sur le changement climatique. Chacun de ces aspects peut avoir un effet considérable sur les gens qui vivent dans la pauvreté.
Nous estimons que les biocarburants présentent un certain gage de promesse pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre et pour la fourniture d'énergie dans les collectivités isolées. Produits selon les technologies courantes pour une utilisation de carburant pour le transport, comme le Canada prévoit le faire, ils généreront peu d'économies au chapitre des émissions de gaz à effet de serre et ils auront des effets secondaires graves sur le prix des aliments.
Plus grave encore, nous craignons que de compter sur les biocarburants comme solution primaire du Canada pour faire face au défi du changement climatique ne fera que reporter des décisions urgentes concernant l'adoption d'une économie à faible émission de carbone.
En ce qui a trait à ce projet de loi particulier, le projet de loi C-33, il nous paraît bien intentionné et nous sommes favorables à la promotion de carburants renouvelables. Comme c'est le cas de plusieurs projets de loi, il n'aborde pas les répercussions sur les gens pauvres et sur ceux qui vivent dans la pauvreté. Plus sérieusement, la position du gouvernement nous semble reposer sur des données scientifiques périmées concernant le changement climatique. En bout de ligne, le projet de loi pourrait faire plus de tort que de bien aux gens les plus vulnérables, chez nous comme à l'étranger.
Les répercussions imprévues sur le prix des aliments sont un problème important. Les biocarburants absorbent une très grande partie des récoltes de produits agricoles et les retirent du marché de l'alimentation de telle sorte que la demande en biocarburants crée une rareté et pousse les prix à la hausse. La Banque mondiale estime que le prix de la nourriture s'est accru de 83 p. 100 au cours des trois dernières années. Le Fonds monétaire international vous dira que la moitié de l'augmentation de la consommation des cultures vivrières majeures l'an dernier a été attribuable aux biocarburants. Selon la Banque mondiale, 65 p. 100 de l'augmentation du prix serait attribuable à la demande de biocarburants. Le FMI est un peu plus conservateur et dit que près de 30 p. 100 de l'augmentation du prix est attribuable à de nouveaux mandats en matière de biocarburants aux États-Unis et dans l'Union européenne. Naturellement, si ce projet de loi était adopté, le Canada devrait être ajouté à la liste.
Le président : Est-ce que vous prétendez que l'augmentation du prix de la nourriture jusqu'à maintenant correspond au degré d'utilisation de céréales pour les biocarburants?
M. Fried : Nous nous préoccupons uniquement de l'année 2007.
Le président : Il ne s'agit donc pas d'une projection, mais plutôt d'une estimation?
M. Fried : C'est exact, du moins jusqu'à maintenant.
Naturellement, l'obligation d'un contenu minimum de biocarburant et d'essence n'est pas la seule cause de l'augmentation du prix des aliments, mais elle constitue un élément suffisant parce que les cultures vivrières et les terres agricoles sont destinées à la production d'aliments et qu'elles servent maintenant à la production de biocarburants.
Les subventions généreuses et les exemptions d'impôt offertes aux États-Unis et au sein de l'Union européenne, qui ont atteint environ 15 milliards de dollars l'an dernier, ont fait en sorte que la valeur des récoltes pour les biocarburants soit plus grande que la valeur des récoltes pour l'alimentation. Il ne faut donc pas se surprendre si les récoltes abondantes pour un certain nombre de produits agricoles font en sorte que les réserves mondiales de céréales sont à leur niveau le plus bas.
L'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires a mentionné le soutien exagéré pour les biocarburants offerts par les États-Unis et l'Union européenne, et il ajoutera le nom du Canada si le projet de loi est adopté, une loi qui agit comme une taxe sur les aliments parce qu'elle contribue à l'augmentation des prix que nous payons pour les aliments. Cette taxe sera un fardeau particulier pour les gens les plus pauvres parce qu'ils doivent utiliser une plus grande part de leurs revenus pour s'alimenter, c'est-à-dire entre 50 et 75 p. 100.
Comme il a été mentionné plus tôt, les biocarburants sont non seulement directement produits à partir de denrées mais entraînent une concurrence pour l'utilisation des terres, de l'eau et d'autres intrants, ce qui provoque une hausse des prix. Le problème ne se situe pas uniquement au niveau des récoltes pour les biocarburants, le maïs et le canola dans le cas du Canada. De toute évidence, les biocarburants utilisent les cultures vivrières. Comme le prix du maïs est gonflé artificiellement par les politiques des gouvernements riches, les agriculteurs délaissent d'autres cultures vivrières en faveur du maïs. Plus particulièrement, ils ont délaissé le soya en faveur du maïs, ce qui a entraîné une hausse du prix du soya. Puisque le maïs et le soya servent à alimenter le bétail, cela affecte à la hausse les prix de la volaille et du porc.
Selon certaines estimations, si la ruée vers les biocarburants se poursuivait au rythme actuel — et je réponds ainsi à l'hypothèse formulée par le président, un peu plus tôt —, elle pourrait se traduire par une augmentation d'environ 600 millions de personnes affamées dans le monde d'ici 2025. À l'heure actuelle, le monde compte 800 millions de personnes qui ont faim, des personnes qui n'ont pas suffisamment à manger. Les estimations sont basées sur une augmentation de 16 millions de personnes affamées pour chaque pourcentage d'augmentation du prix des aliments.
Les biocarburants ne sont pas le seul facteur, mais ils en sont un sur lequel nous pouvons agir. Contrairement à la météo ou à l'augmentation constante de la demande des consommateurs en Chine et en Inde, la demande de biocarburants est une création politique. Elle fait suite à l'adoption de politiques — comme celle qui est incorporée au projet de loi que vous étudiez présentement — aux États-Unis, au sein de l'Union européenne et bientôt au Canada qui ont essentiellement pour but de créer une demande. Si la demande est issue d'une décision politique, nous pourrions également la réduire à la suite d'une décision politique.
Le deuxième effet secondaire imprévu de la demande de biocarburants est la course aux terres qui risque de déplacer des collectivités vulnérables, souvent des populations autochtones, et plus souvent qu'autrement des femmes, situation qui touche déjà l'Indonésie. Le droit des femmes à la propriété est peu protégé dans la plupart des pays en développement.
En Indonésie, on a déjà identifié 20 millions d'hectares en vue de la production d'huile de palme. Une bonne partie de ces terres se trouvent actuellement dans des collectivités ou dans la forêt pluviale tempérée et servent à la production alimentaire. Ce changement de vocation est occasionné par l'appui que l'Union européenne donne à la culture du canola, ce que l'on appelle là-bas de l'huile de colza. Le canola sert à produire des biocarburants, de sorte que l'huile de palme remplace maintenant le canola dans l'alimentation. L'expansion de la culture de l'huile de palme menace l'accès aux terres des collectivités vulnérables pour cette raison.
Le mandat du Canada pour la production de biodiésel à partir de canola ne ferait qu'ajouter à la situation.
Le deuxième élément majeur est le changement climatique. Cette question préoccupe beaucoup Oxfam Canada parce que les personnes vulnérables dans les pays pauvres paient déjà un prix élevé en raison de notre inaction en matière de changement climatique. Les températures extrêmes entraînent des décès, des blessures, des maladies et des migrations de masse dans des pays partout dans le monde. Les typhons récents au Myanmar et aux Philippines sont les plus récents événements dans cette veine.
Au départ, on disait que les biocarburants étaient sans effet sur la production de carbone en autant que les émissions de gaz à effet de serre étaient concernées. On nous disait qu'ils corrigeraient une bonne partie des émissions de carbone dans l'atmosphère, carbone qui ne serait libéré qu'au moment de l'utilisation. Un des grands avantages était que nous aurions non seulement la sécurité au plan énergétique, parce que nous pourrions faire pousser nos propres sources de biocarburant, mais que nous pourrions nous attaquer aussi au changement climatique.
Bien entendu, tel n'est pas le cas parce qu'il faut considérer non seulement l'utilisation, mais aussi tout le processus : le cycle de vie du produit à partir du moment de la culture, de l'ajout d'intrants à la production — particulièrement les engrais et les pesticides — de l'utilisation de machinerie, le transport et la transformation, et cetera.
Certains biocarburants émettent beaucoup moins de dioxyde de carbone que l'essence, même quand on les compare au cycle de vie total. Le modèle du gouvernement canadien, du moins à la lumière de l'exposé fait par le gouvernement, est basé sur des études scientifiques qui datent de quatre ans, à l'époque où l'éthanol semblait être en mesure de nous épargner les émissions de gaz à effet de serre. Il y avait alors des économies implicites d'environ 13 à 37 p. 100 par litre au chapitre des émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, la science a progressé et ce secteur se développe rapidement.
Aujourd'hui, nous en savons davantage au sujet des biocarburants et de leurs répercussions véritables. Les études scientifiques récentes jettent des doutes sur les économies réelles concernant les gaz à effet de serre. Je fais référence au travail de M. Paul Crutzen, lauréat du prix Nobel, qui a été mentionné plus tôt ce matin au sujet des émissions d'oxyde nitrique associées au fractionnement des engrais à base d'azote. L'oxyde nitrique est un gaz à effet de serre qui est 296 fois plus puissant que le dioxyde de carbone, du moins en ce qui a trait aux effets sur le changement climatique. M. Crutzen a constaté que le taux d'émissions est de trois à cinq fois plus élevé que ce qui avait été constaté dans ses analyses précédentes.
Ces résultats font suffisamment pencher la balance, selon nous, pour nous laisser croire que l'utilisation des biocarburants produits à partir de maïs ou de canola, cultivés à l'aide d'engrais, comme cela se fait ici au Canada, pourrait augmenter les émissions de gaz à effet de serre plutôt que de les réduire.
Il y a aussi la question du changement de vocation des terres, qui, comme je l'ai noté plus tôt, fait l'objet d'études scientifiques plus poussées. La demande de biocarburants étend rapidement les limites des terres agricoles aux pays pauvres, directement comme indirectement. La conversion de forêts, de terres humides et de prairies en terres à usage agricole libère des quantités considérables de carbone, carbone qui était précédemment contenu dans le sol.
C'est ainsi que toute économie de gaz à effet de serre grâce aux biocarburants par rapport à l'essence s'en trouve diminuée et vos calculs doivent en tenir compte. Les analyses faites il y a plusieurs années et sur lesquelles le gouvernement se fonde ne tiennent pas compte de ces renseignements.
Il y a aussi le problème des changements à l'utilisation indirecte des terres. Le transfert de production de nos agriculteurs, qui se tournent vers le maïs plutôt que vers le soya à cause de la demande de biocarburants, stimulera les agriculteurs brésiliens à faire pousser davantage de soya dans les forêts pluviales tempérées. Déjà, les Brésiliens produisent de l'éthanol à partir de canne à sucre qui ne pousse pas dans les forêts pluviales tempérées, mais la production de soya se fera dans ces forêts.
Dans le rapport, nous faisons état de calculs qui portent sur la période de récupération des émissions de gaz à effet de serre lors de l'expansion des limites des terres agricoles. Dans le cas présent, la période de récupération serait de 320 ans. Cela signifie que l'avantage de l'utilisation d'éthanol plutôt que d'essence — si avantage il y a — pour réparer les dommages causés par l'expansion des limites des terres agricoles se manifestera dans 320 ans.
Des éléments semblables ressortent de la conversion de culture de canola en biocarburants au Canada, notamment la production d'huile de palme en Indonésie.
D'autres méthodes sont beaucoup moins avantageuses pour aborder le problème des émissions de gaz à effet de serre, particulièrement dans le cas du transport. Des normes d'efficacité pour les véhicules, des méthodes de conduite plus efficaces et des limites de vitesse coûtent beaucoup moins cher et comportent beaucoup moins de risques. Souvenez-vous que même si la totalité de la production mondiale de céréales et de sucre était convertie en éthanol et en biodiésel — de toute évidence, il ne nous resterait plus rien à manger — elle ne couvrirait qu'environ 40 p. 100 des besoins mondiaux en carburant. Les biocarburants ne sont pas une réponse à nos problèmes de carburant. Ils posent trop de risques pour le changement climatique et pour le prix des aliments.
Cela étant dit, nous voyons un certain potentiel pour les biocarburants. Il y a une partie de notre document qui concerne les avantages et les inconvénients pour les pays en développement de poursuivre un programme de biocarburants dans le cadre de leurs stratégies de développement. Nous constatons que même l'industrie brésilienne de l'éthanol à partir de canne à sucre — qui est la plus grande histoire de succès — a dû faire face à une myriade de problèmes. Aujourd'hui, cette industrie connaît du succès, mais à quel prix, un prix que seul un pays aussi riche que le Brésil peut se permettre de payer. De fait, on ne sait pas pendant combien de temps encore cette industrie demeurera économiquement viable.
Le plus grand potentiel semble être d'aborder le manque d'énergie dans les collectivités pauvres et isolées, celles qui ne sont pas reliées à un réseau national de distribution d'électricité. Il y en a un exemple dans les villages du Nord de la Tanzanie où l'on ramasse des graines de ricin. Cette graine peut être pressée pour en extraire de l'huile. Les enfants les ramassent pendant la relâche scolaire et les parents en tirent de l'huile. Cette huile peut servir à alimenter les génératrices et à fournir un éclairage en soirée pour les études. Il s'agit d'une bonne solution à petite échelle, pour une collectivité donnée.
De même, l'huile peut servir en cuisine, pensons-nous, dans les collectivités où le bois ou la bouse de vache servent principalement de combustible pour la cuisson. Alors qu'une femme peut consacrer jusqu'à cinq heures par jour au ramassage de bois et de bouse de vache, l'utilisation de cette huile constitue un effort positif. La clé est qu'il s'agit d'une initiative à petite échelle et d'une source locale là où elle est justifiée.
Nous croyons également qu'il est important de poursuivre la recherche sur les biocarburants de seconde génération — des biocarburants qui ne sont pas produits à partir d'aliments —, qui pourraient être beaucoup plus rentables et efficaces au plan énergétique et entraîner moins d'émissions de carbone. Bien entendu, il est possible que ces biocarburants ne voient jamais le jour. La seconde génération pourrait faire face aux mêmes problèmes que ceux de la première génération, principalement notre système d'agriculture extensif et axé sur l'énergie qui représente une grande partie de nos émissions de gaz à effet de serre découlant de l'utilisation de biocarburants.
Nous favorisons l'investissement dans des technologies qui n'exigent pas de monoculture intensive et qui, par conséquent, ne mettent pas en péril la production alimentaire ni l'utilisation des terres de populations vulnérables. Il pourrait s'agir de sources associées par exemple aux déchets municipaux, aux résidus de culture ou aux matières premières ne provenant pas de terres arables comme les algues, ainsi qu'il a été mentionné plus tôt ce matin.
Je note que certains supposent qu'un appui aux biocarburants de première génération — avec la technologie que nous avons aujourd'hui — pourrait favoriser l'investissement et la recherche dans la seconde génération. Cela pourrait avoir l'effet opposé parce que l'investissement a déjà été fait pour la première génération : l'usine existe, la technologie est en place, les récoltes sont planifiées et le système est prêt. La transformation d'une technologie coûte cher et quand on investit on s'en tient généralement à son investissement, qui a des effets résiduels.
Ainsi que l'ont mentionné certains sénateurs plus tôt ce matin, au-delà des arguments concernant le changement climatique et la sécurité énergétique, le projet de loi consiste à accorder un soutien aux agriculteurs canadiens. Oxfam Canada croit que le gouvernement canadien devrait soutenir les agriculteurs du pays pour assurer une économie rurale saine et dynamique, mais nous estimons aussi que le fait d'offrir des subventions considérables à l'industrie des biocarburants et de créer un mandat pour une teneur minimale de biocarburants dans l'essence est une mauvaise façon de procéder. Certaines des populations les plus vulnérables de la planète écoperont d'effets secondaires imprévus, notamment l'augmentation du prix des aliments et l'aggravation du changement climatique.
Si les biocarburants sont une excuse pour éviter de prendre les décisions qui s'imposent de toute urgence pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre et ainsi aborder le problème du changement climatique, nous en paierons tous le prix fort.
Si les travaux scientifiques récents pouvaient nous démontrer que l'on peut avoir un effet positif sur les émissions de gaz à effet de serre, nous pourrions recommander de chercher à aborder le problème du prix des aliments d'une autre façon et dire que l'économie des émissions en vaut la peine, parce que le changement climatique constitue un défi de taille. Toutefois, le fait est que les biocarburants n'y arriveront pas.
Nous avons quatre recommandations à formuler. Nous vous suggérons de fixer des normes élevées pour les biocarburants, pour deux raisons. Premièrement, ils doivent permettre une réduction réelle des émissions de gaz à effet de serre selon le cycle de vie complet du produit et selon les plus récentes constatations scientifiques disponibles, y compris les émissions attribuables au changement de vocation des terres et à l'utilisation d'engrais. Deuxièmement, ils ne doivent pas nuire à la sécurité alimentaire des peuples pauvres; en d'autres mots, les biocarburants ne doivent pas être produits d'abord et avant tout à partir d'aliments.
Nous espérons que ces critères pourront être incorporés à votre projet de loi. Nous espérons que vous rejetterez le mandat d'une teneur minimale en biocarburants dans l'essence tant et aussi longtemps que les biocarburants ne pourront pas répondre à ces deux critères. Nous espérons que vous prendrez des mesures pour abolir les subventions et les exemptions d'impôt pour les biocarburants qui ne répondent pas à ces critères, parce qu'ils risquent de nuire au mode de vie des peuples pauvres.
Nous espérons que vous pourrez utiliser une partie des économies découlant de l'abolition des subventions et des exemptions d'impôt pour promouvoir la recherche et le développement sur les biocarburants de seconde génération en faisant en sorte que ces technologies ne menacent pas la sécurité des terres ni la sécurité alimentaire des peuples vulnérables, et qu'elles supposent des méthodes plus rentables pour réduire les gaz à effet de serre découlant du transport.
Je vous remercie de votre attention et de votre patience. Il me fera plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Fried. Vous avez raison, les investisseurs veulent généralement que la durée de vie d'une usine soit amortie sur une période suffisante pour qu'ils puissent récupérer leur investissement sous forme de profits raisonnables, et je crois, que cette attente est raisonnable. C'est un facteur.
Le sénateur Nolin : Après avoir lu rapidement votre document, est-ce que je comprends bien que vous dites que les récents travaux scientifiques indiquent que la production d'éthanol au Canada entraîne l'émission d'une plus grande quantité de gaz à effet de serre que l'essence?
M. Fried : J'ai dit que les travaux scientifiques les plus récents donnent à penser que cela est vrai.
Le sénateur Nolin : Quelles sont les études qui le démontrent plus particulièrement dans le cas du Canada?
M. Fried : Les études portent notamment sur les émissions associées aux engrais à base d'azote et aux oxydes nitriques.
Le sénateur Nolin : Au Canada?
M. Fried : L'étude ne porte pas sur le Canada; mais plutôt sur le phénomène lui-même. Les études scientifiques ne s'intéressent pas à l'endroit.
Le sénateur Nolin : Par cycle de production...
M. Fried : Au Canada, les engrais à base d'azote sont utilisés couramment et largement dans ces centres. Les agriculteurs savent qu'ils sont utilisés partout. Les renseignements fournis dans le document viennent de l'étude de Paul Crutzen et je pense qu'ils sont tirés du Journal of Physics, mais je ne puis me souvenir du nom exact de l'article.
Le sénateur Nolin : N'est-ce pas spécifiquement sur le cycle de production de l'éthanol uniquement au Canada?
M. Fried : Non, ce n'est pas au Canada seulement.
Le sénateur Spivak : Je m'intéresse à l'utilisation des terres et je me demande si vous pourriez commenter cette question. Bien sûr, les États-Unis cherchent à libérer les agriculteurs de l'obligation d'avoir des terres en jachère, et au Brésil on parle — et je ne sais pas si c'est réalité ou fiction — de la possibilité d'utiliser la forêt pluviale tempérée pour la production de biocarburants. Je ne suis pas sûre de cela.
Étant donné que nous nous intéressons au Canada, est-ce que votre étude a porté sur la superficie des terres marginales qui sont disponibles et sur les répercussions que cela pourrait avoir disons sur la forêt boréale ou sur les bassins hydrographiques, et cetera? Je m'intéresse à la question de l'utilisation des terres.
M. Fried : Je puis simplement vous dire que le Bibliothèque du Parlement a fait une étude à laquelle nous faisons référence dans notre document. Pour répondre à l'exigence minimale de 5 p. 100, il faudrait que plus de la moitié de la superficie actuelle consacrée à la culture du maïs au Canada serve à cultiver du maïs destiné à la production d'éthanol, en plus d'utiliser de 10 à 12 p. 100 de la superficie consacrée au blé. Il s'agit donc de superficies importantes.
Le président : Les travaux de recherche que nous avons en main et auxquels vous semblez vous référer précisent 49 p. 100 pour le maïs et le reste pour le blé.
Le sénateur Spivak : Je connais ces chiffres. Si les subventions sont maintenues, les agriculteurs se précipiteront pour cultiver tout ce qu'ils pourront. Vous êtes-vous arrêté à la superficie des terres marginales disponibles, vous êtes-vous demandé si elles sont adaptées et de quelle manière cette disponibilité pourrait affecter l'utilisation générale des terres?
M. Fried : C'est une bonne question. Oxfam ne s'est pas penché sur la question de l'utilisation des terres au Canada. Nous pouvons vous dire que l'utilisation pose un problème de taille au Brésil et en Indonésie, du moins à la lumière des deux études de cas que nous avons entreprises aux fins de ce rapport.
Le sénateur Spivak : Est-ce un problème?
M. Fried : C'est un grave problème. La demande de biocarburants repousse les limites des terres agricoles jusque dans les terres humides et dans les forêts pluviales tempérées, non pas directement pour la production de biocarburants, mais pour la production de cultures vivrières déplacées par les biocarburants.
Le sénateur Milne : En ce qui a trait à la production de biocarburants, vous avez parlé de l'Indonésie et des terres qui servaient autrefois à la production de riz et qui servent aujourd'hui à la production d'aliments destinés à divers biocarburants. Vos données statistiques semblent provenir de sources extérieures au Canada.
Est-ce que vous savez quelles superficies de terre consacrées à la production de riz ou d'aliments ont été converties pour produire d'autres types de récoltes?
M. Fried : Je n'ai pas ces chiffres à l'esprit pour le moment.
La production de biocarburants déplace directement non seulement la production d'autres cultures vivrières, mais le fait indirectement parce qu'elle déplace la production d'aliments en général. Il ne s'agit pas de terres qui sont consacrées à la production de récoltes destinées à la fabrication de biocarburants, mais de terres qui servent à produire d'autres cultures vivrières pour remplacer les biocarburants qui ont des effets importants pour le changement climatique et pour les émissions de gaz à effet de serre. L'expansion des terres agricoles est source de préoccupations en Indonésie.
Le sénateur Milne : Vous avez dit qu'il faudrait quelque 130 années...
M. Fried : Oui, 320 ans.
Le sénateur Milne : Il faudrait donc 320 ans pour récupérer les émissions de carbone découlant de l'abattage de la forêt pluviale tempérée dans des pays comme le Brésil.
Si le Brésil peut produire de l'éthanol à partir de canne à sucre à un coût moins élevé qu'ici au Canada — il s'agit d'une culture beaucoup plus efficiente pour produire de l'éthanol —, il me semble que nous subventionnons la production d'éthanol au Brésil, parce que l'éthanol y est beaucoup moins coûteux que si l'on y consacrait diverses cultures canadiennes. Comment venons-nous en aide aux agriculteurs canadiens?
M. Fried : Il y a un aspect que je n'ai pas abordé dans mon exposé mais qui est abordé dans le rapport, et c'est la question des droits tarifaires sur l'éthanol brésilien. Les droits tarifaires du Canada ne sont pas élevés mais ceux de l'Union européenne et des États-Unis le sont pour l'éthanol en provenance du Brésil.
Soit dit en passant, l'éthanol brésilien fabriqué à partir de canne à sucre est beaucoup moins dommageable du point de vue du changement climatique. Il est porteur de gains réels en matière d'émissions de gaz à effet de serre en raison de la nature même de la récolte, du processus suivi et de la technologie employée. La production d'éthanol à partir de canne à sucre ne nuit pas de la même manière à la sécurité alimentaire parce que le sucre n'est pas un aliment de base.
Selon les études qui ont été menées là-bas, l'éthanol brésilien présente plusieurs aspects positifs et sa production est efficiente et peu coûteuse. Si le Canada songe à avoir une teneur minimale de 5 p. 100, il devrait songer à importer du Brésil plutôt que de cultiver chez nous, une décision qui aurait des répercussions importantes pour les peuples pauvres dans le monde.
Le sénateur Milne : Les subventions annoncées par le gouvernement auront cet effet, vous avez raison. Les subventions ne sont pas inscrites dans ce projet de loi. Elles avaient déjà été annoncées par le gouvernement et je suppose que le gouvernement les a déjà prévues au budget. Si le Canada devait servir au dumping d'éthanol du Brésil, est-ce que cela contribuerait à éliminer la production d'éthanol au Canada en faveur du Brésil?
M. Fried : Loin de moi l'idée de parler d'un dumping.
Le sénateur Milne : Toutefois, si nous avions des droits tarifaires plus faibles que ceux des États-Unis et de l'Europe...
M. Fried : Essentiellement, le gouvernement a proposé de subventionner l'industrie pour qu'elle soit concurrentielle et qu'elle puisse vendre aux États-Unis.
Le président : Toutefois, si nous devions importer les aliments pour le bétail du Brésil, est-ce que nous subventionnerions alors les agriculteurs du Brésil?
M. Fried : Nous fournirions un marché, assurément. Nous créerions alors un marché. Pour atteindre le minimum de 5 p. 100, nous devrions cultiver près de la moitié des superficies consacrées au maïs et 10 p. 100 des superficies consacrées au blé, de telle sorte que nous devrions importer des biocarburants pour atteindre la norme minimale de 5 p. 100.
Le sénateur Milne : Toutefois, ce mandat ne fait pas partie du projet de loi. Le projet de loi ne contient aucun chiffre.
M. Fried : À la lecture des notes explicatives contenues dans la version de la Chambre des communes, j'ai compris que ces changements réglementaires sont nécessaires pour que le gouvernement puisse établir un seuil minimum.
Le sénateur Milne : Le gouvernement procéderait par règlement et non pas par voie législative.
M. Fried : Si je comprends bien, il sera impossible d'adopter un règlement sans modifier le projet de loi. Je suis loin d'être un expert en la matière.
Le président : J'ai deux questions supplémentaires, l'une du sénateur Spivak et l'autre du sénateur Kenny.
Le sénateur Spivak : Si l'on abaissait les droits tarifaires de l'UE et des États-Unis pour l'éthanol brésilien, le Brésil en viendrait à éradiquer complètement les forêts pluviales tempérées pour répondre à la très forte demande.
M. Fried : La canne à sucre ne pousse pas dans les forêts pluviales tempérées, elle pousse dans des divers endroits du pays. L'industrie brésilienne de l'éthanol fait sans doute face à des problèmes, principalement en qui concerne l'exploitation des travailleurs dans les plantations de canne à sucre. Toutefois, le problème du changement climatique est prioritaire. Nous devons trouver une solution et nous pensons que l'éthanol brésilien fait partie de cette solution.
Le sénateur Kenny : J'aimerais revenir à votre commentaire concernant le fait que nous subventionnerions les agriculteurs brésiliens. Si nous achetons leur produit, nous ne les subventionnons pas. Nous achetons leur produit.
Deuxièmement, je n'ai pas bien saisi le commentaire du sénateur Milne au sujet de la protection des agriculteurs canadiens. Nous ne parlons certes pas de droits tarifaires pour protéger les agriculteurs canadiens s'ils ne produisent pas d'éthanol de manière aussi efficiente qu'ailleurs.
Où cela laisserait-il les consommateurs canadiens? Nous devrions nous préoccuper d'eux et leur fournir des carburants au prix le plus bas possible. L'idée de droits tarifaires me révolte. Pourquoi ne pas chercher à offrir du carburant au prix le plus bas possible?
Le président : C'est la question, monsieur Fried.
M. Fried : C'est le sénateur qui a dit qu'il s'agissait d'un problème, pas moi.
Le sénateur Kenny : Je veux que vous la défendiez.
Le président : Permettez-moi de situer le contexte. J'ai dit que les Canadiens subventionneraient une industrie qui pourrait acheter les aliments pour nourrir ses animaux d'une autre source à l'étranger.
M. Fried : C'est exact. Cela pourrait bien se produire.
Le sénateur Kenny : Quand on subventionne quelqu'un, on lui envoie de l'argent en plus des coûts pour produire le produit.
Le président : Sénateur, vous ne pouvez pas changer la vocation des dollars.
Le sénateur Kenny : Le fait d'acheter un produit de quelqu'un d'autre ne constitue pas une subvention.
M. Fried : Nous subventionnerions l'acheteur, le processus, le développement, la distribution, et cetera. Toutefois, je suis d'accord avec le sénateur Kenny qui dit que des droits tarifaires plus faibles auraient un certain sens. Nous ne devrions pas augmenter ces droits. Nous soutenons dans le rapport que l'Europe et les États-Unis devraient abaisser leurs droits tarifaires sur l'éthanol.
Le sénateur Kenny : Les droits sur les produits agricoles sont un fléau partout dans le monde. Ils créent des distorsions sur les marchés et sont source de problèmes sans nom.
Le président : Monsieur Fried, les droits tarifaires ne sont-ils pas la raison principale pour laquelle les petits agriculteurs de certaines parties du monde ont réduit leur production agricole locale? Les agriculteurs de l'UE et des États-Unis bénéficient de subventions agricoles si importantes que le dumping devient réalité et pousse les agriculteurs locaux d'Amérique du Sud et d'Afrique à abandonner leurs terres.
M. Fried : C'est un problème majeur qui incite Oxfam à faire campagne et à faire beaucoup de travail d'élaboration de politiques, surtout ces cinq dernières années. Le problème est que les subventions abaissent le prix des récoltes. Nous avons maintenant vu le revers de la médaille, qui est une augmentation marquée des prix des aliments malgré le maintien de subventions élevées et de droits tarifaires élevés en Europe et aux États-Unis.
Le sénateur Sibbeston : Oxfam est une organisation mondiale qui s'occupe de pauvreté chez les populations du monde. Je comprends qu'une bonne partie de votre document porte sur l'état de la pauvreté; les prix élevés des aliments ont acculé 100 millions de personnes et plus à la pauvreté et ainsi de suite.
Je me demande si nous, en tant que Canadiens, face à un projet de loi comme celui-ci, devrions être plus ou moins préoccupés par la situation canadienne et nous préoccuper davantage de la situation mondiale. Cela serai-il équitable ou correct? Est-il contraire à l'esprit canadien de penser davantage au Canada? Si nous devions nous concentrer sur la situation telle qu'elle existe au Canada, quelle serait cette situation?
Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de pauvreté dans notre pays. Il y a les Autochtones qui ont besoin de beaucoup d'aide. Si nous nous contentions de les aider, ne serait-ce pas là une bonne approche? Plutôt que de nous préoccuper de la situation dans le monde, ne devrions-nous point nous préoccuper de la situation chez nous?
Avez-vous réfléchi à la situation au Canada plutôt qu'à la situation qui prévaut ailleurs dans le monde?
M. Fried : Oxfam Canada administre un programme au Canada et se préoccupe de pauvreté au pays. La raison pour laquelle nous ne pouvons nous concentrer uniquement sur le Canada est que les problèmes de carburant et d'alimentation ont des ramifications mondiales et que le changement climatique est aussi un problème mondial. Les décisions que vous prendrez concernant ce projet de loi auront des répercussions sur les collectivités pauvres avec lesquelles nous travaillons en Afrique, en Asie et en Amérique latine.
Vous avez la possibilité d'exacerber le changement climatique et de causer des phénomènes météorologiques extrêmes ou de commencer à intervenir sur le changement climatique. Vous pouvez pousser à la hausse le prix des aliments ou vous pouvez dire que tel ne sera pas le cas, et que vous ferez quelque chose de différent. Malheureusement, je crois que vous devez tenir compte de la situation mondiale.
Le sénateur Sibbeston : Je comprends cela. Toutefois, est-il contraire à l'esprit canadien de penser d'abord et avant tout à nous? Préoccupons-nous de notre pays et de notre situation, mais évitons de trop nous préoccuper de la situation dans le monde. Faisons ce que nous pouvons ici au Canada, occupons-nous de nos problèmes. Occupons-nous de la situation des Autochtones au pays avant de donner de l'argent à d'autres populations pauvres dans le monde.
Est-ce là une approche équitable? Je vis dans le Nord, je vis confortablement et je suis heureux dans le Nord, loin des foules et des millions de personnes qui habitent dans le Sud. J'y suis heureux. Je perçois le monde de ce point de vue.
Je comprends que la société dans son ensemble pense au reste du monde et soit affectée par la situation qui y règne. Toutefois, plusieurs estiment qu'on ne voit que ses voisins ou les gens qui habitent à 50 milles de chez soi. Les gens ne voient pas ce qui se passe en Asie et en Afrique. Je me demande si vous n'êtes pas trop mondialiste dans les arguments que vous invoquez pour convaincre les Canadiens de la situation qui existe dans le monde.
Pourquoi ne pouvez-vous tout simplement pas vous concentrer sur le Canada et sur la situation qui prévaut ici? Pourquoi vos arguments ne concernent-ils pas la situation au Canada plutôt que de parler des millions de personnes dans le monde qui ont faim?
M. Fried : J'ai eu l'occasion de visiter le Nord le mois dernier. Je suis allé au Yukon et dans les Territoires du Nord- Ouest où les gens ont exprimé de graves préoccupations concernant le changement climatique.
Le sénateur Sibbeston : C'est bien le cas, mais les gens ne crèvent pas de faim dans le Nord. Vous pouvez aller sur le territoire et vous trouverez du poisson.
Le président : Il faut laisser aux témoins le temps de répondre à votre question, sénateur Sibbeston.
M. Fried : Je vous dirais que les Canadiens ont une approche plus globale. Les gens avec lesquels j'ai parlé se préoccupent de la situation dans le monde.
Toutefois, Oxfam est ce qu'elle est. Nous nous préoccupons de la pauvreté ici au Canada et ailleurs dans le monde. C'est ainsi que nous sommes.
Le sénateur Sibbeston : Je comprends bien.
Le sénateur Munson : Les témoins précédents nous ont demandé de reporter l'adoption du projet de loi au moins jusqu'en octobre pour favoriser des discussions plus approfondies et pour proposer une approche plus équilibrée à nos échanges d'aujourd'hui. Êtes-vous en faveur d'un report de l'adoption de ce projet de loi?
M. Fried : Si vous n'êtes pas disposé à le rejeter dès maintenant, je serais bien sûr en faveur d'un report.
Je crois que le gouvernement fait fausse route dans la promotion des biocarburants de première génération. Ces biocarburants ont des répercussions négatives graves sur la sécurité alimentaire et sur le changement climatique à l'échelle mondiale. Je dirais qu'il faut davantage d'études avant d'aller de l'avant. Par conséquent, je suis favorable à un report.
Le sénateur Munson : Quel échéancier recommanderiez-vous pour l'adoption d'un gel sur la mise en œuvre de nouveaux mandats pour les biocarburants?
M. Fried : Cela est lié aux deux critères que j'ai proposés à la fin de mes observations. Premièrement, quand on pourra faire la preuve que les recherches scientifiques les plus récentes montrent que l'ensemble du cycle de vie des biocarburants contribue de manière importance à réduire les émissions de gaz à effet de serre plutôt que de les accroître; deuxièmement, quand on pourra démontrer que cela n'aura pas d'effets négatifs sur les aliments à l'échelle mondiale.
Quand nous pourrons faire la preuve de ces deux choses, il sera alors possible d'aller de l'avant avec la technologie, si elle existe.
Le sénateur Munson : Vous avez parlé du droit à la sécurité alimentaire, et nous avons discuté des pays en développement. Quand les pays sont en développement, ils n'ont pas d'aliments et parfois la sécurité alimentaire pose problème. Ce problème est beaucoup plus important que celui de la production d'énergie, puisqu'il touche les écosystèmes, les industries et l'économie.
Selon vous, s'agit-il d'un problème qui ligue les entreprises de production — les mégafermiers — et les producteurs d'énergie contre les petites fermes agricoles familiales?
M. Fried : Le rapport n'analyse pas la situation de cette manière. Bien entendu, les intérêts corporatifs poursuivent leurs propres fins et cela touche les petits agriculteurs. Nous nous préoccupons de ce qui se passe dans le cas des petits producteurs.
Il est possible que les petits agriculteurs tirent des avantages de la production de biocarburants. Nous en voyons des exemples dans d'importantes industries au Brésil et en Indonésie. Dans ce dernier pays, il y a eu des retombées importantes pour les petits agriculteurs associés à la production d'huile de palme, qui est vendue à l'industrie du biodiésel. Toutefois, les risques sont grands et des politiques nationales sont nécessaires pour atténuer les risques.
Les petits agriculteurs n'ont jamais les ambitions commerciales des grandes entreprises. À moins d'une volonté politique de la part du gouvernement pour défendre les intérêts des petits agriculteurs, ceux-ci ont tendance à écoper.
Le président : À quel risque particulier faites-vous référence?
M. Fried : Le risque d'être expulsé de vos terres et de toucher un prix inférieur à votre coût de production.
Le sénateur Mitchell : Monsieur Fried, j'apprécie votre participation au débat. Je me préoccupe de changement climatique. Je veux faire tout ce qui est en mon possible pour corriger la situation.
Si la production d'éthanol se faisait selon des technologies de seconde génération et exclusivement à partir de la canne à sucre, est-ce que la plupart, sinon la totalité de vos préoccupations ne s'en trouveraient pas alléguées?
M. Fried : Tout dépend de la façon dont ces technologies évoluent.
Le sénateur Mitchell : Il est prévu qu'elles réduisent les émissions de carbone et probablement qu'elles ne livrent pas concurrence aux aliments. Je fais référence à la seconde génération de biocarburants, par exemple ceux qui proviendraient de déchets municipaux et que certaines compagnies canadiennes, notamment GreenField Ethanol, cherchent à mettre au point; je pense aussi développement de la biomasse cellulosique, des algues, et cetera.
M. Fried : Je vous dirais que ces sources présentent un grand potentiel. Nous devrions favoriser la recherche et le développement dans ces domaines.
Le sénateur Mitchell : C'est vrai qu'il y a eu un excédent de 20 p. 100 de la production de maïs par rapport à la demande aux États-Unis l'an dernier, et la crise alimentaire courante — il y a toujours eu une crise alimentaire — semble s'être manifestée exactement au même moment.
Je ne cherche pas à minimiser la crise alimentaire, je la trouve inacceptable.
Toutefois, comment attribuez-vous le fait qu'il y a eu émergence de la crise alimentaire au même moment où nous avons eu une production excédentaire de maïs?
Si vous dites que d'une manière ou d'une autre l'éthanol consomme toute la production de maïs — le jeu de mots est intentionnel — et est à l'origine de cette crise, il y aurait donc contradiction entre les forces économiques.
M. Fried : Ce n'est pas Oxfam qui présente cet argument; ce sont plutôt le Fonds monétaire international et la Banque mondiale.
Le sénateur Mitchell : Je vous pose la question parce que vous avez beaucoup à dire sur le sujet.
M. Fried : Je ne suis pas économiste.
Toutefois, je crois comprendre que le marché à terme pour les produits de base fluctue. Il n'est pas basé sur une campagne agricole ni sur ni sur un pays en particulier, mais plutôt sur un marché mondial. Une récolte importante aux États-Unis au cours d'une année donnée ne semble pas avoir diminué la spéculation, qui est sans doute fondée sur le fait qu'il y a un mandat aux États-Unis et au sein de l'Union européenne pour augmenter considérablement la consommation de biocarburants. Cela donne aux producteurs et aux investisseurs l'impression que la demande sera forte et que les prix augmenteront.
Le sénateur Mitchell : Je vous dirais qu'il est fort probable que la spéculation a peu à voir avec le fait que l'éthanol fasse augmenter le prix des aliments. Il y a un rapport troublant entre l'augmentation des prix des carburants et l'augmentation des prix des aliments et l'émergence manifeste du changement climatique. Le changement climatique diminue la production alimentaire à grande échelle partout dans le monde.
Je dirais que la spéculation pourrait contribuer à l'augmentation des prix des aliments et que l'éthanol est une portion relativement modeste de l'équation.
M. Fried : Il s'agit d'un argument avancé par l'industrie des biocarburants il y a quelques semaines pour attaquer Oxfam. En réalité, le programme de production d'éthanol a utilisé le quart de la production de maïs des États-Unis l'an dernier. Cette année, on s'attend à ce que le programme d'éthanol consomme le tiers de la production.
Le FMI estime que la production d'éthanol a représenté la moitié de l'augmentation de la demande de cultures vivrières l'an dernier. Ce n'est pas Oxfam qui le dit, mais bien le FMI.
Le sénateur Mitchell : Il est toujours possible de contester les données statistiques. Vous avez certaines données et d'autres intervenants ont les leurs.
Je ne voudrais pas paraître trop frivole, mais une très forte portion de la production de céréales sert à produire de la bière. Par conséquent, la bière livre concurrence aux aliments également, mais on n'en parle jamais.
M. Fried : Je n'ai pas l'intention d'en parler ici à Ottawa.
Le sénateur Mitchell : C'est un argument intéressant. Tous les types de produits agricoles servent à quelque chose d'autres que l'alimentation.
M. Fried : La question en est une de quantité.
Le sénateur Mitchell : Vous avez raison. Est-ce qu'il vous arrive souvent de vous déplacer en automobile pour aller chercher de la bière?
Le problème dans l'équation de la faim dans le monde n'est pas qu'il manque de nourriture — bien que ce soit souvent le cas — mais la difficulté politique de livrer ces aliments aux endroits où ils sont nécessaires, n'est-ce pas?
C'est ce que nous constatons à répétition. Les forces politiques, bien souvent dans les pays en développement, se servent de la nourriture comme d'une arme politique et ne livrent pas à leurs populations les aliments fournis par les organisations caritatives et les gouvernements du monde.
Le président : Est-ce que vous considérez cela comme une question, monsieur Fried?
M. Fried : Oui, bien sûr. Lors de crises humanitaires en particulier, les problèmes politiques sont souvent graves et nuisent à la livraison de l'aide alimentaire. Le problème que nous avons avec l'augmentation des prix des aliments aujourd'hui est qu'il ne touche pas nécessairement des pays en particulier, mais bien l'ensemble de la planète. C'est vrai qu'il y a suffisamment d'aliments dans le monde pour nourrir toute la population, mais le problème en est un de distribution. Qui mange et qui a l'argent nécessaire pour acheter la nourriture?
Le fait est qu'aujourd'hui il y a davantage de gens obèses dans le monde qu'il n'y a de gens affamés. La situation a changé il y a quatre ou cinq ans. Je dirais qu'il ne s'agit pas d'une décision politique de bloquer l'aide alimentaire mais plutôt le système politique qui fait en sorte que les gens demeurent pauvres et ne peuvent se permettre d'acheter des aliments.
J'espère que les changements de politique requis pour corriger le problème favoriseront la production d'aliments pour la consommation plutôt que pour la production de carburant pour les automobiles.
Le sénateur Mitchell : Je ne sais pas si les journaux en ont fait état parce que je n'ai pas eu le temps de les lire, mais je crois comprendre qu'Oxfam a dit que les subventions pour la production de biocarburants au Canada pourraient atteindre un milliard de dollars d'ici 2010. Selon mes renseignements, sur une période de neuf ans environ 1,5 milliard de dollars vont aux producteurs d'éthanol, un biocarburant qui peut être préparé à partir de céréales et d'autres éléments, et que 500 millions de dollars seront consacré spécifiquement à la recherche sur des méthodes de production de seconde génération et non sur la production alimentaire pour l'éthanol.
D'où tirez-vous le chiffre d'un milliard de dollars par année?
M. Fried : De mémoire, je ne puis vous expliquer la provenance de ce chiffre. Si le chiffre n'est pas exact, il me fera un plaisir de le corriger.
Le sénateur Mitchell : Si les prix des aliments et des céréales sont en hausse, n'est-il pas possible que les producteurs de céréale du tiers monde toucheront davantage et que cela pourrait être bon pour leurs économies?
M. Fried : L'augmentation du prix des aliments est une arme à deux tranchants. Depuis plusieurs années, nous militons en faveur d'une augmentation du prix des aliments. C'est la raison pour laquelle nous voulons que les subventions en Europe et aux États-Unis soient réduites, afin que les prix augmentent et que les agriculteurs puissent faire davantage d'argent. Le problème est plutôt le rythme auquel l'augmentation s'est produite.
Dans les faits, la plupart des agriculteurs pauvres dans le monde sont également des consommateurs nets d'aliments. Ils produisent des aliments, mais ils doivent acheter une bonne partie de leurs aliments, en fait en acheter davantage qu'ils n'en produisent. Le prix de certains produits agricoles a triplé au cours des six derniers mois. C'est insoutenable et cela provoque une crise humanitaire à court terme.
À plus long terme, il est bien que les prix à la ferme puissent augmenter lentement, afin que les agriculteurs en profitent. Cela se produira et cela favorisera davantage d'investissements dans l'agriculture. Je crois que l'Agence canadienne de développement international (ACDI) consacrera davantage d'argent à l'agriculture.
Le sénateur Mitchell : Les prix des aliments ont triplé au cours des six derniers mois.
M. Fried : Tel est le cas pour certains produits agricoles.
Le sénateur Mitchell : J'ai du mal à comprendre comment vous pouvez relier cela de manière aussi ferme à l'éthanol. Assurément, la production d'éthanol n'a pas triplé au cours des six derniers mois.
M. Fried : Il n'y a pas de rapport direct. Il s'agit d'un phénomène complexe. La Banque mondiale dit que 65 p. 100 de l'augmentation du prix des aliments est attribuable à la demande de biocarburants. Peut-être que c'est seulement 20 à 30 p. 100, mais peu importe le pourcentage, il est élevé et c'est le problème auquel nous devons faire face aujourd'hui. La demande est le résultat d'une volonté politique et elle peut être réduite par une volonté politique.
Le sénateur Spivak : Apparemment, le surplus alimentaire de l'an dernier était à son niveau historique le plus bas, soit environ un million de boisseaux. Le problème n'en est pas qu'un de distribution mais également d'offre. Qu'avez- vous à dire au sujet de la réduction des surplus alimentaires?
M. Fried : C'est vrai. Les réserves internationales de céréales sont à leur plus bas niveau depuis des décennies.
Le sénateur Brown : Tout le monde peut convenir que l'économie mondiale repose sur un système d'offre et de demande. Comment Oxfam propose-t-elle de renverser cette équation d'offre et de demande? Je pose la question parce que les prix des aliments ont augmenté en réponse à l'absence de stocks de réserve.
Par le passé, il y a toujours eu plus d'aliments que nécessaire dans le monde, mais la tendance s'est renversée au cours des sept dernières années. Comment les Canadiens peuvent-ils soutenir les agriculteurs si ceux-ci n'ont pas accès à des marchés différents pour leurs produits, afin que le nombre d'agriculteurs cesse de diminuer?
Éventuellement, il semble inévitable que nous ne serons plus capables de produire suffisamment de nourriture pour répondre aux marchés d'exportation. Il y a aujourd'hui en Saskatchewan davantage d'agriculteurs qui ont plus de 70 ans qu'il n'y a d'agriculteurs de moins de 35 ans. Nous perdons des agriculteurs chaque année.
Vous semblez aller à l'encontre des faits en disant que nous ne devrions pas permettre à nos agriculteurs de s'engager dans des marchés de rechange qui leur permettraient de continuer de produire. Certains agriculteurs n'adopteront jamais la culture unique. Cela ne se produira jamais pour eux parce qu'ils ne peuvent se le permettre. Ils ont trop d'expérience avec les fluctuations du marché. Les agriculteurs sont assez intelligents pour s'intéresser aux prix des produits agricoles. Nous avons des spécialistes des produits agricoles qui s'intéressent au prix de l'huile et à l'augmentation des prix et nous avons des agriculteurs qui s'intéressent aux produits agricoles et à l'augmentation du prix des aliments.
M. Fried : La question qui concerne l'offre et la demande est bonne et je suis heureux que vous l'ayez posée.
Naturellement, les prix sont tributaires de l'offre et de la demande. L'augmentation de la demande d'aliments s'est manifestée si rapidement qu'elle est en partie attribuable à la demande de biocarburants et à la conversion de cultures vivrières en faveur de la production de carburants. Cette demande ne vient pas du marché. Elle est plutôt associée au niveau minimum qui a été incorporé à la réglementation de l'Union européenne et des États-Unis. Il s'agit d'une décision politique et si le Canada entrait dans la ronde, ce serait également une décision politique. Il ne s'agit pas d'une question de libre-marché, mais bien d'une question d'intervention dans un marché libre pour créer une demande. Selon nous, le fait qu'il y ait des répercussions négatives pour certaines des populations les plus vulnérables du monde indique que ce n'est pas la façon appropriée d'intervenir. Il existe de bien meilleurs moyens de soutenir les agriculteurs du Canada. Je suis d'accord avec vous : nous devons soutenir les agriculteurs du Canada, mais nous devons aussi trouver de meilleures façons de le faire.
Le sénateur Brown : J'aimerais que vous nous proposiez une meilleure façon de procéder. Nous luttons contre les subventions des Européens et des Américains depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce projet de loi est le premier élément que nous ayons vu qui puisse avoir un effet positif pour les agriculteurs canadiens, qui leur permette de trouver d'autres marchés. Plutôt que de condamner l'idée, proposez-nous une meilleure solution.
M. Fried : Je suis mal placé pour vous dire comment soutenir les agriculteurs canadiens. Je dirais que la gestion de l'offre des produits laitiers, de la volaille et des œufs semble avoir donné d'assez bons résultats pour les agriculteurs et que la Commission canadienne du blé semble avoir donné de bons résultats pour certains agriculteurs.
Le président : Tout dépend si vous vivez au nord ou au sud de Red Deer, en Alberta.
Le sénateur Brown : Je ne puis ignorer cela.
M. Fried : Je vous dirais que nous avons tout avantage à équilibrer les avantages en faveur des agriculteurs canadiens par rapport aux dommages qui sont causés à d'autres populations pauvres et vulnérables. Nous devons trouver une façon qui ne nuise pas davantage aux populations vulnérables.
Le président : Monsieur Fried, vous avez lu le projet de loi. S'agit-il d'un projet de loi sur l'énergie ou d'un projet de loi sur l'agriculture?
M. Fried : Franchement, j'ai du mal à répondre. Je dirais qu'il y a deux motivations et que l'on cherche à le vendre avec une troisième motivation. Selon la première motivation, il semble être favorable aux agriculteurs canadiens.
Le président : N'est-ce pas là une bonne idée? Pour faire suite à la question du sénateur Brown, nos agriculteurs livrent une concurrence injuste aux subventions des États-Unis et de l'Europe. Peut-être est-ce là une occasion pour nos agriculteurs de participer au marché. N'est-il pas temps que nous en arrivions là?
Le sénateur Kenny : Vous ai-je entendu parler d'office de commercialisation?
M. Fried : Les agriculteurs canadiens méritent sûrement le soutien du gouvernement. Je crains surtout que d'autres personnes ne soient écartées et affectées dans le processus. Premièrement, les personnes affamées dans le monde souffrent de l'augmentation des prix des aliments. Deuxièmement, nous en souffrirons tous si cela devait être une excuse pour ne pas agir de manière responsable en matière de changement climatique.
Le sénateur Brown : Il est contradictoire de ne pas chercher à aider les agriculteurs à accéder à d'autres marchés d'alimentation. Si vous fermez cette avenue, les agriculteurs devront trouver d'autres marchés et pourraient ne pas produire des aliments exportables. Les arguments qui sont avancés ici commencent à se concentrer très étroitement sur les dommages ou sur l'aide aux agriculteurs canadiens. Une façon de faire, consiste à leur donner accès à un autre marché.
J'en reviens à l'équation de l'offre et de la demande. Selon cette équation, vous devez produire davantage pour que les prix des aliments baissent partout dans le monde. Je ne vois pas comment on peut s'attendre à ce que les fermiers y arrivent sans s'assurer qu'ils ont un revenu.
Nous avons connu trois générations depuis la fin de la Seconde Guerre et cela ne s'est toujours pas produit.
Le président : La question est la suivante : êtes-vous d'accord avec cela, monsieur Fried?
Le sénateur Brown : Ma question est plutôt de savoir comment y parvenir? Nous avons besoin de réponses, et non de problèmes.
M. Fried : Je dirais que la réponse ne devrait pas être de créer une demande artificielle de carburant — de convertir des aliments en carburant.
Le président : Honorables sénateurs, nous entendrons maintenant M. Tony Macerollo, vice-président, Affaires publiques et gouvernementales, Institut canadien des produits pétroliers.
Nous avons un peu de travail d'ordre administratif à faire avant d'entendre le témoin suivant. Nous avions prévu procéder à l'étude article par article du projet de loi C-474, Loi canadienne sur le développement durable, à 17 heures aujourd'hui. Je vous suggère, étant donné que nous sommes en retard, de continuer à entendre les témoins jusqu'à 16 h 15. Si cela vous convient, nous pourrons alors passer directement à l'étude article par article afin de terminer plus tôt.
Nous mettrons un terme à notre examen du projet de loi C-33 aujourd'hui et nous passerons immédiatement après à l'étude article par article le projet de loi C-474. Êtes-vous d'accord avec cela, honorables sénateurs?
Le sénateur Spivak : Pourquoi ne pas leur accorder 15 minutes de plus? Nous pourrions commencer la phase suivante à 16 h 30 ou à 16 h 45. Cela ne fait pas une grande différence.
Le président : Je suggère tout simplement qu'à la fin de notre examen du projet de loi C-33 aujourd'hui — ce que nous ferions au moins jusqu'à 16 h 15 — nous passions directement à l'étude du projet de loi C-474 plutôt que d'avoir un interrègne.
Je vous demanderais votre assentiment pour procéder de la même façon demain en matinée lorsque nous entendrons les témoins concernant le projet de loi C-33. À la fin de la période réservée aux témoins, nous devrions passer directement à l'étude article par article du projet de loi C-33 plutôt que d'attendre la période prescrite. Est-ce que cela vous convient, honorables sénateurs?
Nous aurons deux groupes de témoins demain matin, l'un à 9 heures et l'autre à 10 heures. Nous devrions en avoir terminé vers 11 heures, ce qui nous permettrait de commencer immédiatement l'étude article par article. Est-ce que cela vous convient?
Le sénateur Nolin : Est-ce que nos témoins de demain savent que nous passerons à l'étude article par article immédiatement après leur témoignage?
Le président : Je crois qu'ils le savent, mais nous ferons en sorte qu'ils soient mis au courant.
Le sénateur Milne : Si nous devons commencer l'étude article par article et que nous avons un groupe à 9 heures et un autre à 10 heures, cela signifie qu'il ne s'agit pas de groupes importants. Nous n'aurons pas beaucoup de temps pour les questionner.
Le président : Nous pouvons tricher de quelques minutes. Le premier groupe n'en est pas vraiment un, puisqu'il s'agit d'une personne. Dans le deuxième cas, il y aura deux ou trois personnes.
Lorsque nous en aurons terminé, lorsque nous serons satisfaits, je vous propose de passer à l'étude article par article. Comme l'a rappelé le sénateur Nolin, nous expliquerons à nos témoins de demain que nous passerons directement à l'étude article par article, immédiatement après la période de questions.
Le sénateur Spivak : Est-ce que cela empêchera la tenue d'une discussion avant l'étude article par article?
Le président : Non.
Le sénateur Nolin : Nous pouvons en discuter tant et aussi longtemps que nous le voulons.
Le président : Cela ne signifie pas que je vous demanderai si vous êtes en faveur et qu'ensuite nous terminerons notre travail. Nous passerons immédiatement à l'étude article par article.
Honorables sénateurs, est-ce que cela vous convient? D'accord, merci.
Nous reprenons maintenant notre examen du projet de loi C-33. Nous accueillons un groupe de l'Institut canadien des produits pétroliers (ICPP) : M. Tony Macerollo, vice-président, Affaires publiques et gouvernementales; M. Gilles Morel, directeur national; M. Don Munroe, conseiller principal, Environnement et qualité des produits; et M. Michael Kandravy, directeur, Affaires réglementaires.
Monsieur Macerollo, vous avez la parole.
Tony Macerollo, vice-président, Affaires publiques et gouvernementales, Institut canadien des produits pétroliers : Avant de commencer l'exposé officiel, et avec votre permission, nous avons des documents particuliers concernant le projet de loi C-33 à vous remettre. Malheureusement, je n'ai pas eu le temps de faire traduire le texte de mon exposé, mais tous les autres documents sont entièrement bilingues. Nous aimerions vous les distribuer.
Le président : Est-ce que cela convient à tous les membres?
Des voix : C'est d'accord.
Le sénateur Nolin : Exceptionnellement, nous sommes tous d'accord.
M. Macerollo : Honorables sénateurs, je vous remercie de l'opportunité que vous nous offrez de vous rencontrer aujourd'hui pour discuter de questions très importantes concernant le projet de loi C-33. Les effets de ce projet de loi sont importants pour plusieurs intervenants, le plus grand groupe étant celui des consommateurs.
Essentiellement, le projet de loi C-33 est une législation habilitante pour permettre au gouvernement fédéral de réglementer les carburants de transport au niveau du terminal et d'établir une réglementation que les fournisseurs de carburant puissent respecter en ce qui a trait à la moyenne du groupe.
Les répercussions de ce projet de loi ne peuvent être bien comprises que si on le considère dans son ensemble, c'est-à- dire l'intention du gouvernement d'utiliser ce nouveau pouvoir pour établir les teneurs en éthanol et en diesel renouvelable dans l'essence et le diesel que les Canadiens achètent pour leur utilisation courante. Par conséquent, le projet de loi doit, à plusieurs égards, être perçu dans le contexte de l'intention qu'il vise.
L'Institut canadien des produits pétroliers (ICPP) est une association nationale de grandes compagnies canadiennes qui s'occupent de raffinage, de distribution et de mise en marché de produits pétroliers pour le transport, l'utilisation résidentielle et l'utilisation industrielle. Collectivement, nous exploitons 15 raffineries qui représentent plus de 80 p. 100 de la capacité de raffinage canadienne, et nous approvisionnons plus de 7 000 détaillants de grande marque en carburant de transport partout au pays. Les membres de l'ICPP, de même que deux autres exploitants et importateurs, auront le plus grand ensemble de responsabilités pour la mise en œuvre de cette politique. La seconde responsabilité sera celle de tous les détaillants qui vendent directement aux consommateurs sur une base quotidienne.
Mon exposé sera bref dans toute la mesure du possible et je m'attarderai aux réalités auxquelles mes membres sont confrontés, aujourd'hui et non il y a six mois. Il y a des choses nouvelles à ajouter à votre étude.
En règle générale, l'ICPP n'est pas favorable aux mandats parce que nous estimons qu'ils sont douteux dans le meilleur des cas, à moins d'être appuyés par des mesures claires et scientifiques pour l'amélioration de la santé, de l'environnement ou de la sécurité des Canadiens. Les questions économiques devraient, dans la mesure du possible, être laissées aux forces du marché.
Dans le cas des mandats visant l'éthanol, l'ICPP a soutenu l'Association canadienne des combustibles renouvelables et a travaillé avec elle parce que la prolifération des mandats provinciaux et la création de marchés de carburants spécialisés perturbent les réseaux de distribution et ajoutent des frais inutiles aux produits qui sont offerts aux Canadiens.
Face à cette situation, l'ICPP prie le gouvernement fédéral de prendre le leadership et de suivre le cadre qui est proposé dans notre document préparé conjointement avec l'ACCR : leadership fédéral, environnement concurrentiel, progrès technologiques et absence d'effets, politiques qui favorisent la capacité de carburants renouvelables à abaisser le niveau des émissions de gaz à effet de serre — analyse des cycles d'émissions — et ouverture des frontières.
Honorables sénateurs, ce n'est pas un menu, mais plutôt un cadre de travail complet. Nous estimons qu'il faut réunir toutes les conditions pour connaître du succès. Pour le moment, je n'aborderai que deux problèmes.
Outre le leadership fédéral, il est essentiel d'avoir un contexte concurrentiel. Pour le moment, nous ne l'avons pas. Comme je l'ai dit dans notre exposé devant le comité de la Chambre des communes dans le cadre du budget de 2007, renseignements qui ont par la suite été confirmés par la Chambre des communes, la Loi sur la taxe d'accise a été modifiée pour éliminer les exemptions fiscales pour les carburants renouvelables, y compris le biodiésel et les carburants à base d'alcool, et pour s'assurer que les carburants renouvelables font partie de la structure de la taxe d'accise qui s'applique à l'essence et au diesel.
Pendant les neuf ans que le programme d'écoÉNERGIE pour les biocarburants a été en vigueur, au moins 1,5 milliard de dollars ont été coupés, un montant qui aurait aidé au maintien du coût des biocarburants à un niveau comparable à celui de l'essence régulière et du diesel. De fait, cela a entraîné une absence d'investissement net dans la production de biocarburants.
Contrairement à nous, les États-Unis ont un régime de subventions qui a fourni 30,6 milliards de dollars au cours de cette même période de neuf ans pour favoriser la production, soit environ 9 milliards de dollars directement aux agriculteurs et 2,5 milliards de dollars aux producteurs d'éthanol. Suivant une règle de un pour dix, au moins 3,1 milliards de dollars en subventions canadiennes sont requis pour maintenir des règles du jeu équitables. Comme il a été démontré aux États-Unis, les mesures fédérales d'incitation à la production sont la méthode préférée pour soutenir la production d'éthanol. L'équivalent canadien de ces mesures a pris fin le 1er avril de cette année.
Nous ne gagnerons jamais une guerre de subvention avec les États-Unis, et par principe, l'ICPP ne favorise pas les subventions parce qu'elles causent des distorsions sur le marché. Toutefois, faute d'arrangements comparables avec notre plus grand partenaire commercial, nous n'avons pas de contexte concurrentiel. Nous pourrions fort bien ne pas répondre aux attentes selon lesquelles les carburants renouvelables au Canada livrent une concurrence facile à des produits similaires au sud de la frontière.
L'autre élément essentiel au succès du cadre pour les carburants renouvelables est le progrès technologique et l'absence d'effets négatifs. Le caractère neutre de la technologie a été à la base des politiques du gouvernement canadien dans tous les domaines d'innovation, des télécommunications jusqu'aux carburants de transport.
J'attire votre attention sur l'énoncé de politique de l'ICPP-ACCR : bien qu'aujourd'hui l'éthanol soit le carburant renouvelable dominant, il en existe d'autres comme le biodiésel. Ces carburants se retrouveront sur le marché au fur et à mesure de l'évolution du contexte économique, de l'acceptation par les consommateurs et de la mise en œuvre de la technologie de production. Nous sommes favorables au fait que le gouvernement exige un contenu renouvelable de 5 p. 100 par rapport à des produits spécifiques en fonction du volume d'essence d'ici 2010, et de 2 p. 100 de contenu renouvelable basé sur le diesel et les combustibles pour le chauffage des maisons, au plus tôt en 2010 et au plus tard en 2012, sous réserve que le programme de mise à l'essai mis au point par tous les intervenants connaisse du succès.
Une politique nationale doit reconnaître et favoriser les nouvelles technologies de production de carburants renouvelables. À cette fin, l'exigence devrait être suffisamment souple pour englober toute technologie de carburant renouvelable qui pourrait ne pas être commercialement ou techniquement viable dans le marché d'aujourd'hui.
Au moment où nous nous parlons, de nouvelles technologies vertes arrivent sur le marché. La plupart du temps il est question d'éthanol à base de cellulose et de diesel renouvelable. De même, des technologies évoluées pour les biocarburants font leur apparition sur le marché, c'est-à-dire des carburants qui vont au-delà des produits à base de céréales ou d'éthanol cellulosique et de biodiésel. Ce sont des combustibles comme ceux que produit une compagnie d'Ottawa, Ensyn Technologies Inc., selon un processus thermique pour convertir les résidus forestiers, le bois de post- consommation et la biomasse agricole en bio-huile.
Je vous invite à écouter leurs points de vue et à en tenir compte lors de l'examen du projet de loi qui donne au gouverneur en conseil des pouvoirs considérables en vertu de la Loi sur l'environnement pour mettre en vigueur ce qui est essentiellement une stratégie économique. Avant d'être commercialisés, ces produits doivent subir des essais qui leur accordent une fiabilité similaire à celle de carburants existants, et ils doivent être concurrentiels pour le consommateur.
Nous faisons de la recherche de pointe et nous préparons et présentons des ateliers d'information pour les Canadiens qui veulent que les biocarburants leur servent.
Le 30 mars 2005, un atelier sur le biodiésel, « Questions qu'un gestionnaire de parc automobile devrait poser avant d'opter pour un mélange de biodiésel », s'est tenu à Vancouver. Le but était de nous assurer d'un rendement sans faille lorsque les nouveaux produits seraient ajoutés dans un réservoir d'essence.
C'est le 22 janvier que la plus grande démonstration sur route par temps froid d'utilisation de diesel renouvelable a été officiellement lancée en partenariat avec l'ICPP, le gouvernement fédéral et le gouvernement de l'Alberta et un groupe diversifié de plusieurs intervenants.
L'initiative Alberta Renewable Diesel Demonstration, gérée par Climate Change Central, survient après quelques mois d'essais en laboratoire de diverses matières premières du combustible et du processus de production. Shell Canada est le fournisseur de diesel à faible teneur en soufre pour les fins de la démonstration et le mélangeur et distributeur du diesel renouvelable dans le cadre de l'installation temporaire du projet exploitée par Shell Canada à son terminal de Sherwood.
Plus de 60 camions de diverses tailles ont pris la route en Alberta, là où le climat pose certains des défis les plus extrêmes pour l'utilisation de biodiésel renouvelable. Cette démonstration constituera une expérience directe dans des conditions de température froide pour les mélangeurs de combustible, les distributeurs, les parcs de camions de transport sur de longues distances et les conducteurs. Nous sommes fiers de faire partie de ce groupe diversifié de partenaires.
À l'heure actuelle, nous collaborons avec Ressources naturelles Canada et Environnement Canada à un programme de recherche sur le biocarburant conçu pour mieux comprendre et aborder les questions de mélange de biocarburants dans le cadre des conditions climatiques canadiennes particulières. Les installations de mise à l'essai sous toutes conditions climatiques au laboratoire de recherche d'Imperial Oil Limited, à Sarnia, serviront à vérifier l'opérabilité à basse température dans des moteurs à haut rendement, l'entreposage du combustible pour diverses applications et la stabilité thermique et l'oxydation des combustibles de chauffage dans le cadre de conditions saisonnières.
La recherche n'est pas complète mais elle est importante parce que même si les Canadiens acceptent d'obtenir un peu moins de rendement à la suite de l'ajout de biocarburants, ils veulent tout de même une fiabilité à toute épreuve.
Honorables sénateurs, vous savez peut-être que des recours collectifs ont été entamés en Californie contre certains fournisseurs de combustible américains, où on allègue notamment que l'éthanol en tant qu'additif a été lié au mauvais fonctionnement de composantes de transport maritime. L'ICPP estime que les fournisseurs de carburant devraient être exemptés des conséquences non intentionnelles et l'ICPP ferait bon accueil à une mention dans votre projet de loi qui donnerait une certaine forme de protection en cas de responsabilité pouvant découler de l'imposition de mandats par le gouvernement dans le cadre d'un règlement.
Par votre entremise, monsieur le président, j'attire l'attention de votre comité sur la date de l'énoncé de politique de l'ICPP-ACCR — décembre 2006 — en prévision d'un mandat qui commencerait en 2010. Les membres de l'ICPP ont toujours soutenu que ce type d'initiative exige trois bonnes années de planification afin que l'on puisse procéder aux investissements économiques. Les raffineurs et les responsables de la commercialisation ne feront ces investissements qu'au moment de la promulgation de la loi ou du règlement. En supposant que vous adoptiez ce projet de loi maintenant, et que la réglementation puisse être prête d'ici la fin de l'année, les membres de mon organisme disposeront de moins d'un an pour faire les investissements nécessaires et être prêts pour le mandat de 2010. L'ICPP ne peut promettre que cela est faisable.
Dans certaines parties du pays, l'éthanol n'est pas facile à trouver localement; en outre, l'éthanol ne voyage pas par pipeline. Cela est particulièrement lourd de conséquences dans la région Atlantique du Canada. Les raffineurs régionaux et les spécialistes de la mise en marché n'auront pas les mêmes capacités de respecter les moyennes nationales. Par conséquent, il sera essentiel que le règlement soit élaboré avec soin afin de maintenir un niveau concurrentiel et des règles du jeu équitables.
Enfin, n'oublions pas que le Parlement étudie ce projet de loi qui vise à établir une réglementation efficiente et à favoriser la production de biocarburants en respectant l'environnement et l'économie comme le précise le sommaire du projet de loi.
Bien que des pays comme les États-Unis appliquent des politiques de combustible renouvelable en fonction d'une indépendance en matière d'énergie et d'une sécurité, ce n'est pas le cas pour le Canada et cela ne risque pas d'être le cas dans un proche avenir.
Le Canada a une abondance de ressources naturelles qui, grâce à saine gestion, nous assurera la sécurité en matière d'énergie, des emplois à valeur ajoutée et une croissance économique pour le bénéfice de toutes les régions.
Une stratégie nationale pour les combustibles renouvelables n'est pas une panacée pour les défis qui se posent en matière de changement climatique — un jour peut-être. Pour le moment, je crois que nous pouvons accepter que les scientifiques, les ingénieurs, les praticiens de la santé et les experts en modélisation continuent de travailler à la recherche de solutions réelles au changement climatique; nous sommes déjà un partenaire de cette recherche.
À ce titre, nous faisons bon accueil à l'exigence législative d'un examen périodique et d'un examen plus approfondi de ces dispositions. Cela permettra de mettre à jour les nouvelles découvertes scientifiques et, de manière générale, de déterminer grâce à l'analyse du cycle de vie, des options qui apportent une contribution réelle au changement climatique. Cela permettra aussi aux intervenants d'identifier toutes les conséquences imprévues.
Je vous remercie, honorables sénateurs, pour votre temps et aussi de porter attention à notre point de vue. Il me fera plaisir de répondre aux questions que vous aurez à me poser.
Le président : J'aimerais que votre position soit claire pour nous tous. Jusqu'à maintenant, nous avons beaucoup parlé d'éthanol et de l'exigence de 5 p. 100 de contenu d'éthanol dans l'essence vendue aux Canadiens d'ici une certaine date.
Vous semblez dire que ce ne devrait pas être uniquement de l'éthanol, bien que ce projet de loi ne dise rien à ce sujet. Le projet de loi habilite le gouvernement à prendre un règlement. Est-ce que vous nous dites que la démarche est un peu précipitée pour ce qui est du moment visé, pour permettre à votre industrie de faire la bonne chose?
M. Macerollo : Je vous présente deux problèmes pratiques. Le premier est formulé du point de vue de l'ICPP. En principe et compte tenu de l'absence d'effet de la technologie, nous sommes plutôt partisans d'un contenu renouvelable de 5 p. 100 plutôt que d'un produit particulier. Cela donne aux gens le choix de prendre des décisions qui leur permettraient d'atteindre l'objectif du cadre de travail. Deuxièmement, en ce qui a trait à l'échéancier pour la planification ou la construction d'une raffinerie, il faut du temps pour acheter les matériaux requis et pour mettre l'infrastructure en place. Si nous intervenons tous en même temps, nous constaterons rapidement qu'il n'est pas possible de tout faire à certains moments. Si nous voulons progresser de manière correcte, il faut compter environ trois ans.
Le président : Est-ce que l'Institut canadien des produits pétroliers est d'avis que l'échéancier présenté dans le projet de loi — s'il y a un échéancier dans le projet de loi ou dans les mesures qui sont envisagées dans le cadre du projet de loi — est un peu trop hâtif pour vous permettre d'agir?
M. Macerollo : L'échéancier est serré parce qu'il y a des mandats en matière d'éthanol qui sont en place dans certaines provinces, plus particulièrement en Ontario, et qu'une partie du travail d'infrastructure est déjà fait.
Par exemple, la Colombie-Britannique aura non seulement un mandat fédéral, mais elle envisage également un mandat provincial pour 2010 — au moment même où se tiendront les Jeux olympiques — visant la mise en place d'une infrastructure importante dans un très court laps de temps. Bien que je ne puisse commenter les stratégies de compagnies individuelles, je puis toutefois vous dire que nous sommes vraiment à la limite de ce qu'il est possible de faire.
M. Morel pourrait avoir des choses à ajouter.
Gilles Morel, directeur national, Institut canadien des produits pétroliers : Jusqu'à maintenant au Canada, environ 2,5 p. 100 des biocarburants sont déjà incorporés au mélange. En général, l'inclusion dans le mélange de produit se fait là où c'est le plus avantageux de le faire. Par exemple, dans les grands centres, il suffit de modifier un grand terminal pour pouvoir capturer une grosse part d'un marché. Cinquante pour cent du marché en Ontario se situe autour de Toronto. Des modifications minimales à l'infrastructure nous permettent d'avoir accès à une quantité importante de biocarburants.
Selon les détails, la complexité et la portée du règlement proposé, ces économies d'échelle ne seront plus disponibles et il faudra commencer à réinvestir dans de plus petites installations partout au pays. À cet égard, notre industrie a besoin de beaucoup plus de temps pour bien comprendre les exigences, puis pour être capable de livrer un produit sans problème à la population.
Le président : Je m'excuse d'insister, mais je veux que nous comprenions ce qui se dit ici. Je crois comprendre — et j'estime que tout se retrouvera dans le règlement —que le plan semble être d'établir une mesure à l'échelle d'un groupe.
Il y a des endroits au pays où sont établies des sociétés membres de votre institut. Pourtant, M. Morel et vous nous dites que ces sociétés n'ont pas d'accès facile à un réseau de distribution ni d'accès aux biocarburants comme le voudrait le mandat. Est-ce que je comprends bien que le délai est beaucoup trop serré pour agir?
M. Macerollo : Oui.
Le président : Qu'arrivera-t-il dans le cas de l'un de vos membres, par exemple la North Atlantic Refining Limited? Cette société est établie sur une île.
M. Macerollo : Oui.
Le président : Est-ce que cela poserait problème que de faire en sorte que cette entreprise réponde aux normes nationales dans le délai proposé?
M. Macerollo : Je ne puis parler au nom d'une compagnie en particulier, mais je puis vous dire, car c'est du domaine public, qu'il n'existe aucune installation de production d'éthanol à Terre-Neuve. Il n'existe pas de technologie massive pour ce type de biodiésel. La seule façon d'assurer l'approvisionnement en éthanol à court terme sera par bateau, et il faudra user de prudence parce que l'éthanol, par nature, se mêle très bien à l'eau. C'est pourquoi nous aimons bien un cocktail occasionnel avec l'eau. L'éthanol ne peut être retiré de l'eau, et la North Atlantic Refining Limited ne sera pas capable de profiter de la moyenne du regroupement national parce qu'elle n'a pas d'installation nationale.
Le président : Cela me paraît poser problème.
Monsieur Macerollo, vous avez dit que vous faites bon accueil aux exigences réglementaires en vue d'un examen périodique et d'un examen approfondi. Le projet de loi actuel ne contient aucune exigence réglementaire.
M. Macerollo : Je croyais comprendre qu'une telle exigence y était incorporée.
Le président : On y dit qu'il « devrait » y en avoir. On ne dit pas qu'il y en « aura », ce qui est fort différent.
M. Macerollo : Nous dirions que dans le contexte d'un cadre qui évolue très rapidement il doit y avoir un examen régulier. Il y a eu pendant de nombreuses années un débat de principe sur l'approche que le gouvernement devrait adopter — loi ou règlement — et sur le droit de regard que cela accorderait au Parlement. Il s'agit ici de pouvoirs considérables que vous donneriez au gouverneur en conseil et la seule occasion de faire un examen réglementaire serait de recourir au Comité mixte permanent d'examen de la réglementation. Si ce comité devait s'astreindre à tous les examens réglementaires, il siègerait en permanence.
Alors que vous envisagez de donner ce pouvoir au gouvernement, nous recommanderions un examen obligatoire.
Le président : Je tiens à attirer l'attention des honorables sénateurs sur l'article 8 du projet de loi actuel, qui se lit ainsi :
Il y aurait lieu, dans l'année suivant l'entrée en vigueur du présent paragraphe et par la suite tous les deux ans que le comité soit du Sénat, soit de la Chambre des communes, soit mixte [...] procède à un examen approfondi des aspects environnementaux et économiques de la production de biocombustibles au Canada.
Cela n'est pas obligatoire. Si je comprends bien votre position, monsieur Macerollo, vous voudriez que ce soit obligatoire.
M. Macerollo : Si vous prévoyez donner ce pouvoir de réglementation au gouverneur en conseil, je vous dirais oui.
Le sénateur Munson : Pour faire suite à ce que vous avez dit, je me demande pourquoi nous sommes si pressés. La stratégie visant à incorporer 5 p. 100 de biocarburants a été déposée en décembre 2006, n'est-ce pas?
Le président : Le projet de loi actuel a toutefois été présenté en décembre 2007.
Le sénateur Munson : Nous sommes fin juin et nous fonçons tête baissée pour essayer de respecter l'échéancier de quelqu'un et d'adopter le projet de loi avant de quitter. Je m'interroge. Nous avons entendu ce matin des témoins d'Oxfam Canada et d'autres groupes qui ont leurs propres points de vue à formuler. Un groupe voulait un gel et un autre voulait un report au moins jusqu'en octobre, jusqu'à ce que nous ayons pu entendre d'autres arguments de la collectivité internationale concernant les biocombustibles.
Est-ce que vous seriez d'accord avec un tel échéancier, disons le mois d'octobre, ou une suspension des travaux avant de faire quoi que ce soit?
M. Macerollo : En 2006, nous disions à tout le monde de se dépêcher parce que nous devions faire les prévisions pour les investissements. C'est à ce moment que nous vous disions d'aller de l'avant. Aujourd'hui, que vous vous dépêchiez ou non, nous sommes pressés par le temps.
Le sénateur Munson : Combien de temps vous faut-il pour vous adapter, une année, deux autres années?
M. Macerollo : Idéalement, à compter de la date de la promulgation du règlement, il nous faut trois ans. La raison en est que nous avons l'intention de respecter notre promesse, ce que vous politiciens connaissez très bien, mais parfois il y a des conséquences imprévues. Les membres de notre institut n'investiront pas d'argent tant que la loi ne les obligera pas à le faire. C'est l'élément de certitude.
Ils n'étaient pas en mesure de faire ces investissements, et ils ne feront pas ces investissements tant que la loi ne les obligera pas à le faire. Je puis vous dire qu'il est risqué de tout mettre en œuvre en un an pour un fonctionnement sans entrave, sans conséquence imprévue. Je vous donne un exemple. Quand nous préparons un mélange d'éthanol et d'essence, le produit de départ est de l'essence qui est raffinée, qui est acheminée vers les terminaux, puis livrée dans une station-service, puis pompée dans votre automobile. Avant d'ajouter de l'éthanol, il faut reconfigurer les propriétés de l'essence et en faire une essence de base reformulée destinée à être mélangée à des composés oxygénés, que l'on appelle communément RBOB. Il est impossible de simplement mélanger de l'essence et de l'éthanol. Il s'agit de RBOB et de l'éthanol. Le RBOB ne peut fonctionner par lui-même dans une automobile et l'éthanol non plus. Sans ces deux éléments, il n'y a pas de combustible.
Le président : Je suis désolé de vous interrompre, mais je dois m'assurer de ce dont il est question ici.
Si nous recommandons au Sénat d'adopter le projet de loi demain, il deviendra loi. Ensuite, vous connaîtrez l'échéancier que le gouvernement envisage. Si nous ne le faisons pas et si nous apportons des modifications au projet de loi, cela ne pourra se faire avant septembre 2008, dans le meilleur des cas.
M. Macerollo : C'est là où se situe le problème. L'échéancier de trois ans est déjà dépassé. Nous serons pressés par le temps, peu importe que le gouvernement maintienne son désir de procéder avec un mandat en 2010.
Le président : Je tiens à rappeler aux sénateurs que le projet de loi ne contient aucune date. Nous parlons ici de vœux pieux, jusqu'à un certain point. Le projet de loi autorise le gouvernement à prendre un règlement, et nous croyons tous savoir ce que ce règlement pourrait contenir. Ce règlement et la date dont vous parlez ne se trouvent aucunement mentionnés dans ce projet de loi.
Le sénateur Munson : Je voudrais revenir sur un aspect que nous avons abordé ce matin, c'est-à-dire les droits de la personne, le droit à l'alimentation et au combustible et au droit des agriculteurs de faire ce qu'ils veulent dans une société démocratique, compte tenu de tous ces droits combinés.
Est-ce que l'Institut canadien des produits pétroliers estime qu'en période de pénurie et d'inflation des prix le projet de loi est trop risqué, particulièrement puisque les avantages au plan du changement climatique sont sujets à débat? Avez-vous une opinion sur cet aspect du casse-tête?
M. Macerollo : Nous avons tous une opinion personnelle sur des questions d'horizon plus large, sur ce qui s'est déroulé d'une façon quelque peu controversée partout dans le monde. Le champ de spécialisation de l'ICPP est de savoir comment maintenir notre réputation collective auprès des consommateurs, de leur livrer un produit prévisible et fiable.
Nous n'avons pas d'opinion officielle sur les motivations profondes, qu'elles soient agricoles ou autres. S'il s'agit de changement climatique et de pollution de l'air, nous sommes bien d'accord pour affirmer que la science n'apporte pas de réponse ferme.
Le sénateur Munson : J'ai un autre argument concernant le gros et le petit agriculteur. En d'autres mots, la course est amorcée pour tenter d'épargner la ferme familiale, et pourtant le gros producteur cherche à sauver sa propre existence et ses profits et ainsi de suite.
M. Macerollo : Je crois qu'il faut prendre un peu de recul. Certaines compagnies, y compris l'un de nos membres, Suncor Energy, ont des activités qui exigent d'importantes installations de production d'éthanol, par exemple chez Husky Energy. Toutefois, il n'y a pas d'industrie comme telle au pays. Il faudra bien du temps encore pour qu'une telle industrie puisse s'établir et fonctionner.
Dans la mesure où il y a une politique économique axée sur l'agriculture de la part du gouvernement, nous nous en remettrons à ceux qui ont plus d'expérience que nous en ce domaine.
Le président : Je tiens à vous rappeler que je vis en Alberta, tout comme quatre des membres de notre comité. Depuis 1989, je fais le plein de mon réservoir avec de l'essence qui contient 10 p. 100 d'éthanol. Par conséquent, il y a eu un certain développement au sein de cette industrie, qui est maintenant capable d'offrir un carburant contenant jusqu'à 10 p. 100 d'éthanol, soit le double de ce qui est requis.
M. Macerollo : Cela ne fait aucun doute. Toutefois, nous n'en sommes pas encore au point d'être capable de respecter un mandat qui exige le nombre de litres auquel je faisais référence dans mon exposé.
Le président : Pour faire suite à la question du sénateur Munson, pourriez-vous élaborer sur la prétention que vous avez formulée, selon laquelle il s'agit d'un projet de loi à saveur économique?
M. Macerollo : Il s'agit d'un projet de loi économique. Dressons donc la liste des priorités à l'aide de la lentille. Si vous agissez principalement en fonction du changement climatique plutôt que pour la création d'une nouvelle industrie au Canada, nous vous recommandons d'attendre que la science et la technologie évoluent davantage.
Si vous agissez dans le but de faire croître l'industrie, il s'agit d'une mesure économique. Vous le faites par le biais d'une législation portant sur l'environnement. Toutefois, je suis sûr que vous avez entendu dire de la part d'autres promoteurs qu'il s'agit d'une mesure pour faire croître l'industrie et pour offrir d'autres sources de revenu; dans un cas comme dans l'autre, nous n'avons pas d'opinion particulière à ce sujet. Toutefois, par définition j'estime qu'il s'agit d'un instrument économique plutôt que d'un instrument environnemental.
Le sénateur Spivak : J'ai quelques questions à poser. Premièrement, vous dites que vous obtiendrez un peu moins d'énergie en ajoutant de l'éthanol à l'essence. Est-ce que cela a quelque chose à voir avec le développement de véhicules multicarburants ou est-ce une question distincte?
M. Macerollo : Il y a un certain rapport entre les deux. Permettez-moi de vous expliquer. L'éthanol n'a pas la même valeur énergétique que l'essence. Soyons plus précis : si vous conduisez un véhicule de type E85, vous devrez soit avoir un réservoir plus considérable, soit faire le plein plus souvent. Pour plus de précisions, je vous référerai à M. Morel qui pourra vous parler des propriétés en cause.
M. Morel : En général, si vous vous arrêtez surtout au volume du produit, vous constaterez que l'éthanol génère 30 p. 100 moins d'énergie par litre. Par exemple, pour parcourir 1 000 kilomètres avec un véhicule utilisant normalement 100 litres d'essence, vous auriez besoin de 130 litres d'éthanol. Il ne s'agit pas d'une relation d'un à un. Étant donné la masse volumique, vous avez besoin d'environ 30 p. 100 plus d'éthanol pour parcourir une même distance.
Dans un mélange contenant 5 p. 100 d'éthanol, cette portion de 5 p. 100 dans l'essence est moins efficiente, ce qui entraîne une légère baisse de rendement. Avec 10 p. 100 d'éthanol, vous perdez peut-être 2 ou 3 p. 100 de la distance parcourue.
Le président : Monsieur Morel, quand vous parlez de 130 litres par rapport à 100 litres, vous faites référence à un véhicule E85, n'est-ce pas?
M. Morel : Il s'agit d'éthanol pur. E85 est un rapport — 85 p. 100 par rapport à 100 p. 100.
Le sénateur Spivak : Par conséquent, cela n'a aucun rapport avec le prix de l'essence, n'est-ce pas? Comment évaluez-vous que la réduction des émissions dans le cas présent — et je sais qu'il y a plusieurs différences — par rapport à ce qui a été considéré comme une norme d'efficacité énergétique plus élevée pour les automobiles et même pour les pneus? Vous êtes-vous attardé à cela?
M. Morel : Je pourrais peut-être référer le sénateur à une publication du gouvernement fédéral. Ressources naturelles Canada publie une fois par année un EnerGuide pour les automobiles qui tient compte des diverses efficiences. Vous avez raison de dire qu'il y a certains avantages associés à un véhicule E85. Toutefois, RNCan publie les économies de carburant pour tous les véhicules vendus au Canada, peu importe qu'il s'agisse de véhicules à essence seulement, de véhicules E85 ou de véhicules utilisant un mélange d'essence.
Le sénateur Spivak : Je parle des normes pour les automobiles. Voici ce que je vous demande : si nous avions des normes plus élevées comme celles de la Corporate Average Fuel Economy (CAFE) pour les automobiles, est-ce que cela entraînerait plus ou moins d'émissions de gaz à effet de serre que de modifier la composition des carburants utilisés dans les automobiles avec tout ce que cela comporte pour le cycle de vie? Voilà ma question.
M. Macerollo : Vous parlez ici d'une variété de choix qui s'offrent au gouvernement pour tenter d'obtenir des résultats de politique. Le CAFE est une question controversée sur laquelle les constructeurs automobiles ont assurément des points de vue très particuliers.
Je puis vous dire qu'il y a des problèmes à exiger un mandat pour des énergies renouvelables comme l'éthanol dans l'essence. Nous le savons, la recherche scientifique montre qu'il y a des bioproduits de deuxième et de troisième générations qui présentent beaucoup de potentiel. Toutefois, le débat fait rage quant au degré d'amélioration qu'il est possible d'obtenir avec la technologie que nous connaissons aujourd'hui et qui peut s'appliquer commercialement par rapport à certains autres modèles que le gouvernement pourrait envisager.
Je passe maintenant à la question du prix de l'essence. Les États-Unis ont un programme de subventions très élaboré. Sans subvention, l'éthanol coûte beaucoup plus cher à produire. Les subventions que versent les États-Unis visent spécifiquement à ramener le prix de l'éthanol au niveau du prix de l'essence pour le rendre attrayant sur le marché.
Le sénateur Spivak : Quel est le coût unitaire pour produire de l'éthanol par rapport à de l'essence. Un litre pour un litre?
M. Morel : Bien des gens ont tenté de répondre à cette question, mais il n'ya pas de réponse claire parce que tout dépend de l'endroit. Par exemple, les Brésiliens soutiennent qu'ils pourraient produire de l'éthanol à partir de canne à sucre à un coût variant entre 14 cents et 18 cents le litre. Certains fabricants aux États-Unis en produisaient au coût de 40 cents à 50 cents le litre. Toutefois, comme il est question d'un produit de base, le coût a peu rapport avec ce que le consommateur verrait et ce que le marché représente. Le marché détermine la valeur d'un produit. Que ce produit coûte 2 cents de plus à produire ou non, en bout de ligne cela a probablement moins d'effet que le marché international lui-même.
Le sénateur Spivak : Oui, mais je parle ici de produits agricoles. Je parle de soja, de maïs, de blé et de canola. Vous me dites que vous n'avez pas de coût comparatif?
M. Morel : Une des raisons principales pour cela est que quiconque prévoyait construire une installation pour mélanger de l'éthanol il y a trois ou quatre ans par exemple, a fondé ses prévisions sur le prix du canola ou du maïs à cette époque. Aujourd'hui, les prévisions ne correspondent plus à ce prix. Les fluctuations économiques influencent l'évaluation — par exemple, personne n'avait prévu que le prix du blé serait de 8 $ le boisseau. Il est difficile de prévoir quoi que ce soit et il est encore plus difficile de faire des analyses en prévision d'investissements futurs.
Le président : Est-ce qu'il s'agissait de coût direct, monsieur Morel, ou de coûts internalisés tenant compte de tous les autres coûts qui ne sont pas engagés à l'usine?
M. Morel : Pas nécessairement. Toutefois, pour répondre de manière différente à votre question, je dirais que nous suivons l'évolution des prix de l'éthanol et de l'essence aux États-Unis depuis trois ou quatre ans. En règle générale, ces prix sont étroitement liés au prix de l'essence plus les subventions versées au mélangeur auxquelles mon collègue a fait référence plus tôt. Si le prix de l'essence était de 2,50 $ le gallon, le prix de l'éthanol serait d'environ 2,50 $ le gallon, plus 54 cents le gallon, ce qui correspond à la subvention pour le mélangeur à cette époque.
Historiquement, il y a un rapport étroit. Je ne veux pas dire par là qu'au cours d'une période de fluctuations considérables l'écart ne pourrait pas s'élargir ou s'amoindrir. Toutefois, le prix de l'éthanol aux États-Unis, où se trouve le marché le plus important, suit le prix de l'essence plus la valeur de la subvention.
Le président : Est-il toujours plus élevé que le prix de l'essence?
M. Morel : Je ne saurais vous dire s'il est toujours plus élevé, mais il y a eu des exceptions. Au cours de la première semaine de juillet 2007, il y a eu une anomalie par rapport à la tendance à long terme. Toutefois, le prix est généralement plus élevé.
Le sénateur Nolin : Vous nous avez parlé de la protection contre la responsabilité. J'aimerais que vous élaboriez sur le sujet. Quel est le type de protection que vous recherchez?
J'ai lu les observations que vous avez livrées au comité de la Chambre des communes et je n'y ai pas vu de référence.
Savez-vous à quelle partie de vos observations je fais référence?
M. Macerollo : Oui, je le sais.
Le sénateur Nolin : Où verriez-vous cette modification dans le projet de loi? Avez-vous un texte à nous proposer?
M. Macerollo : Il s'agit d'un exemple de ce qui s'est produit depuis le début de la discussion. C'est la raison pour laquelle cela n'a pas été proposé à la Chambre des communes.
Le sénateur Nolin : Je ne dis pas que vous auriez dû le faire à ce moment-là. Ce n'est pas un problème.
M. Macerollo : Je vous donne simplement la raison. Depuis, d'autres renseignements se sont ajoutés qui attirent davantage l'attention des médias en Colombie-Britannique. Je m'en remettrai à M. Morel concernant les aspects techniques. Toutefois, de manière générale il y a des problèmes avec plusieurs pièces d'équipement plus vieilles. Plus particulièrement, ce n'est pas tout le monde qui possède un bateau neuf. Il faut faire de grands efforts pour informer les consommateurs, pour éviter qu'ils ne commettent des erreurs. Le manque d'information s'est manifesté lors de poursuites contre des fournisseurs américains de carburant. Je n'ai pas de texte particulier à vous proposer. Dans un monde idéal, l'intention serait que nous travaillions de concert avec le gouvernement pour diffuser les renseignements requis pour que les consommateurs qui possèdent une vieille souffleuse à neige, un vieux bateau ou une vieille tondeuse comprennent bien la situation.
Le sénateur Spivak : Ou une motomarine.
M. Macerollo : Ou une motomarine. Faute de ces renseignements, j'estime que nous devenons une cible injuste parce que ce n'est pas notre faute. Je m'en remettrai à M. Morel concernant les questions techniques particulières.
[Français]
Le sénateur Nolin : Monsieur Morel, vous allez pouvoir répondre à ma question. Je me souviens, il y a peut-être une dizaine d'années, nous avons étudié un projet de loi qui, justement, examinait la reformulation de l'essence. Souvenez- vous de la question des additifs. J'avais et j'ai encore la nette impression que cette formulation est statutaire. Autrement, un organisme de l'État vous dit quelle est la recette et vous allez la produire. Donc la responsabilité est sur les épaules de l'organisme qui vous dicte la recette. De là mes questions sur ce type de protection que vous voudriez voir dans le projet de loi.
M. Morel : Permettez-moi de répondre à votre question. Il y a deux aspects. Le premier est la question de la norme de qualité qui existe et le Canada, sous l'égide de l'ONGC, Office national de standardisation, ou CGSB, détermine quelles sont les qualités de produits nécessaires, pour les produits pétroliers, de façon à ce que ces produits soient acceptables pour l'ensemble des consommateurs. Il existe une norme nationale qui détermine la qualité des produits pétroliers.
Le sénateur Nolin : Vous nous dites qu'il y a un résultat, une performance associée à un produit, et c'est cette norme que vous respectez?
M. Morel : Exactement.
Le sénateur Nolin : Et cette performance, vous devez l'atteindre?
M. Morel : Oui, on doit l'atteindre. Maintenant, il existe sous la protection de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, des provisions supplémentaires auxquelles vous avez fait référence entre autres avec les essences reformulées, qui spécifie, selon la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, des qualités additionnelles concernant les produits toxiques, le souffre dans l'essence et dans les carburants diesels, par exemple. Ce sont les éléments qui avaient un impact sur les émissions d'échappement des voitures.
C'est ce qu'on a fait depuis dix ans. L'industrie a travaillé beaucoup là-dessus. Maintenant, lorsqu'on arrive avec les biocarburants et les composés d'éthanol, l'objectif que notre industrie essaie d'atteindre est de s'assurer que lorsque la règlementation sera finalement mise en place, on aura exactement des normes à rencontrer et on sera en mesure de fournir un produit qui respectera l'ensemble de toutes les demandes. On sait très bien qu'il y a quelques applications où le produit n'est pas nécessairement recommandé, par exemple pour les vieilles installations, les petits avions, qui servent pour l'épandage d'engrais dans les fermes et les applications marines. La différence est lorsqu'on a un mandat, c'est le gouvernement qui, par l'entremise de la législation, impose un produit qu'on sait d'avance non compatible avec toutes les applications. Il est compatible dans 98, 99 p. 100 des cas, mais dans le cas où il y aura une application inappropriée, comme on a vu en Californie, il peut y avoir des poursuites judiciaires de plusieurs centaines de millions de dollars contre les compagnies pour avoir offert ces produits, alors que tout ce que les compagnies faisaient était de respecter une réglementation gouvernementale. On n'a pas de texte de loi ou d'amendement à proposer.
Le sénateur Nolin : Votre demande est majeure. Vous nous dites que vous produisez commercialement et nous serons responsables si votre produit cause un problème aux gens qui consomment le produit.
M. Morel : On a suggéré dans notre texte qu'il devrait y avoir des provisions pour prévenir des poursuites judiciaires contre le producteur ou le distributeur de produits, puisqu'il ne fait que rencontrer une exigence légale.
Le sénateur Nolin : Quelle différence y a-t-il pour un produit que vous produisez dans le but d'atteindre une performance? Vous n'avez pas de protection statutaire qui vous protège contre une mauvaise fabrication ou élaboration de votre produit.
Une loi n'utilise pas le mot « mandat » il peut y avoir une politique gouvernementale, mais il n'y a aucune loi qui vous oblige à le faire. En tout cas, pas dont nous sommes saisis. Vous nous dites que le gouvernement veut tel type de mélange et qu'il devrait nous protéger. Je ne vois pas le lien.
[Traduction]
Comprenez-vous ma préoccupation? Nous parlons ici de sommes considérables. Je ne pense pas que ce projet de loi tienne compte de dépenses semblables. Vous soulevez ici un problème constitutionnel de taille. Et je ne veux pas entrer dans ce débat, mais telle est la situation.
M. Macerollo : Il s'agit d'une question de gouvernance que vous devrez envisager et c'est l'autorité considérable que vous donnez au gouverneur en conseil de prendre un règlement au lieu de permettre au Parlement d'avoir un droit de surveillance sur les intentions. Nous connaissons les intentions, mais il faudrait que les pouvoirs soient beaucoup plus larges. Nous connaissons le but précis de l'autorisation pour une seule question. Si les détails du règlement étaient contenus dans le projet de loi, nous pourrions alors parler de questions particulières en rapport avec nos préoccupations.
Je n'ai pas de solution magique à vous proposer, mais j'estime que cette approche peut avoir des conséquences inattendues, une activité non économique, comme cela a été le cas en Californie.
Le sénateur Nolin : Je comprends vos préoccupations, mais vous devez également comprendre les nôtres.
M. Macerollo : Je comprends.
Le sénateur Nolin : Vous nous demandez de vous offrir une protection pour la production d'un produit et nous disons que la réglementation est en place. Vous respectez déjà le règlement pour la production et maintenant le gouvernement vous demande d'ajouter une substance à ce produit et vous conserverez votre responsabilité en tant que fabricant.
M. Macerollo : Un marché entièrement fonctionnel est efficace quand tout le monde a accès aux renseignements requis pour que le consommateur puisse faire des choix éclairés.
Le sénateur Nolin : Je parlais d'une autre question.
M. Macerollo : Si nous devions aller de l'avant rapidement, les consommateurs n'auraient pas tous les renseignements nécessaires et ils pourraient commettre des erreurs qui entraîneraient un bri de leur matériel.
Le sénateur Nolin : Nous devrions donc nous assurer d'avoir des citoyens informés afin qu'ils puissent faire des choix éclairés.
M. Macerollo : Avec tout le respect que je vous dois, vous devez équilibrer ces considérations par rapport au motif essentiel d'agir en premier lieu. Nous pouvons également apprendre des erreurs commises dans d'autres secteurs de compétence. Nous avons le luxe de pouvoir profiter de l'expérience américaine dans un cadre de travail. Il y a des problèmes dont nous pouvons apprendre sans exposer nos citoyens à ces mêmes problèmes.
Le président : C'est là une question importante. À titre d'exemple, si j'avais une embarcation munie de deux moteurs internes Chevrolet à essence et que la seule essence que je puisse acheter, en raison des obligations imposées par le gouvernement, abîme mes moteurs, je poursuivrais le type qui m'a vendu l'essence. Est-ce là où nous voulons en venir?
M. Macerollo : Il est possible que cela se produise.
Le sénateur Cochrane : J'attire votre attention à la page 5 de votre mémoire, où l'on peut lire :
Dans certaines parties du pays, l'éthanol n'est pas facile à trouver localement; en outre, l'éthanol ne voyage pas par pipeline. Cela est particulièrement lourd de conséquences dans la région Atlantique du Canada. Les raffineurs régionaux et les spécialistes de la mise en marché n'auront pas les mêmes capacités de respecter les moyennes nationales.
Il a été question de piles à combustible et de Ballard Power Systems Inc. Quand nous étions en Colombie- Britannique, il y a de cela plusieurs années, nous avons eu à faire face à un problème similaire puisqu'il n'y avait pas d'endroit où recharger les piles à combustible. Je crois que seul Vancouver a des autobus munis de piles à combustible aujourd'hui. Le problème ne s'est pas répandu. Je m'en réfère à la page 2 de votre exposé où l'on y lit : « Les membres de l'ICPP, de même que deux autres exploitants et importateurs, auront le plus grand ensemble de responsabilités pour la mise en œuvre de cette politique. »
Je vous prie d'expliquer.
M. Macerollo : Tout simplement, monsieur le sénateur, les activités de raffinage serviront à préparer l'essence à laquelle seront mélangés l'éthanol, le biocombustible et les mélanges de diesel renouvelable, puis le produit sera acheminé aux stations-service et, dans plusieurs cas, il sera vendu aux consommateurs. Nous le transformons en un produit de consommation et nous le livrons aux consommateurs.
D'autres intervenants économiques dans la stratégie sont responsables de fabriquer l'éthanol, mais non de préparer le mélange. Ces gens fabriquent les additifs. Les membres de notre institut, Irving, Federated Co-Op et les importateurs de produits s'assureront que nous serons tenus responsables du respect de la moyenne générale de 5 p. 100 d'éthanol ou d'une proportion de biodiésel de 2 p. 100. Personne d'autre que mes membres ne seront responsables de ce fait.
Le sénateur Cochrane : Que voudriez-vous que nous fassions avec ce projet de loi?
M. Macerollo : J'aimerais qu'on y trouve l'exigence d'un examen régulier et une note concernant la responsabilité à laquelle j'ai fait référence, mais je reconnais qu'il s'agit là d'un problème beaucoup plus considérable. Je le comprends fort bien. Je ne sais pas si cela est possible parce que la Chambre des communes a ajouté une référence spécifique aux biocarburants dans le projet de loi en précisant qu'il devrait y avoir un examen. Nous dirions qu'il doit y avoir un examen. J'aimerais aussi que l'on fasse référence à l'absence d'effets de la technologie, mais je devrais me confiner à cet article. En 24 heures, je n'ai pu vous fournir d'énoncé exact, bien que je puisse m'y attaquer dès demain.
Le sénateur Cochrane : Cela serait fort bien, merci.
Le président : Nous pourrions aller dans ce sens.
Le sénateur Mitchell : Lesquelles de vos compagnies membres produisent de l'éthanol ainsi que du pétrole?
M. Macerollo : Suncor a une installation majeure dans le Sud de l'Ontario et Husky Oil a une grande installation à Lloydminster, en Saskatchewan.
Le sénateur Mitchell : Est-il juste de dire que vos membres perçoivent l'éthanol comme un concurrent de l'essence?
M. Macerollo : Non, parce qu'il s'agit d'un additif. Le E85 pourrait devenir une option concurrentielle, mais le système de livraison serait toujours le réseau des stations-service qui vendent de l'essence au détail. Le E85 exige des modifications de l'ordre de 150 000 $ à 200 000 $ aux stations-service. Il reste beaucoup à faire pour vendre ce produit.
Le sénateur Mitchell : À la page 5 de votre document, on peut lire : « Une stratégie nationale pour les combustibles renouvelables n'est pas une panacée pour les défis qui se posent en matière de changement climatique [...] ».
Est-ce que votre organisation a une politique publique particulière concernant l'existence du changement climatique et sur ce qui le cause? Est-ce que vous avez une opinion sur le sujet?
M. Macerollo : De la raffinerie à la pompe à essence, il est question de notre approche au climat, laquelle prend la forme d'un énoncé de politique complet. Il y a eu de nombreux débats sur les éléments majeurs du changement climatique, sur ce qui se produit naturellement par rapport au résultat d'une activité humaine, et sur ce qui devrait être fait pour l'atténuer et sur ce que nous devrions faire pour nous adapter. La discussion fait rage sur la quasi-totalité de ces points. Nous sommes associés aux discussions courantes sur le plan du gouvernement concernant le changement climatique. Il s'agit d'un processus long et exhaustif. La réduction de 18 p. 100 représente une exigence importante. La duplication des cadres de travail fédéral et provinciaux nous cause des problèmes en raison du double fardeau potentiel. La pollution de l'air nous cause également des problèmes au plan local et le changement climatique pose des problèmes à l'échelle mondiale. La politique sur le changement climatique devrait être tout aussi rigoureuse que le cadre de l'OMC afin que nous puissions aller de l'avant.
Le sénateur Mitchell : Les membres de votre institut semblent ambivalents face aux raisons du changement climatique.
M. Macerollo : « Ambivalent » ne serait pas le bon mot.
Le sénateur Mitchell : Vous dites être associé aux diverses facettes du débat.
M. Macerollo : Je dis que nous convenons qu'il y a changement climatique. Nous disons aussi qu'il faut une politique adaptée, mais nous n'avons pas de solution magique.
Le sénateur Mitchell : Avez-vous pris position quant à une préférence entre une taxe sur le carbone et un système de plafond et d'échange?
M. Macerollo : Non. Nous examinons toutes ces options pour le moment, mais je puis vous dire que s'il y a une certitude relative sur le marché, il y aura des décisions qui découleront du point de vue de la logique commerciale.
Le sénateur Mitchell : En général est-ce qu'une taxe sur le carbone donne un certain degré de certitude?
M. Macerollo : Oui, cela introduit, en effet, un degré de certitude, mais tout dépend de ses modalités. Dans quelques jours, en Colombie-Britannique, plusieurs de nos membres vont en faire l'expérience. En Alberta, l'activité des raffineries s'inscrit dans le cadre d'un plan certes destiné à lutter contre les changements climatiques mais fondé sur plusieurs hypothèses différentes. Le produit est acheminé jusqu'en Colombie-Britannique ce qui, sans doute, est une bonne chose étant donné l'efficacité des opérations, mais compte tenu de cette véritable mosaïque de plans destinés à lutter contre le réchauffement de la planète, nous avons un peu l'impression de servir de cobayes.
Le sénateur Mitchell : Une des raisons d'être de ce projet de loi est, justement, cette juxtaposition de programmes de production d'éthanol et de biodiésel. D'ailleurs, dans une certaine mesure, les dispositions de ce projet de loi sont assez théoriques, car même si le texte n'est pas adopté, l'Ontario et l'Alberta, ainsi que d'autres provinces encore, se sont déjà lancés dans cette voie, et d'autres vont bientôt suivre leur exemple. Or, dans la mesure où le mouvement est lancé, il est sans doute préférable d'éviter les disparités. Je dis cela en réponse à votre argument.
M. Macerollo : C'est bien pour cela que, déjà en 2006, nous prônions une accélération des efforts.
Le sénateur Mitchell : Vous venez de nous dire qu'une baisse de 18 p. 100 est quelque chose de considérable. Jugez- vous également considérable une augmentation de 2 p. 100 de la température?
M. Macerollo : J'imagine qu'il s'agit là d'un phénomène très sérieux.
Le sénateur Mitchell : C'est quelque chose d'extrêmement considérable. Il faut absolument réagir. La branche que vous représentez a pris des initiatives, mais il lui faut en faire davantage. Elle ne doit pas à cet égard manifester la moindre ambivalence mais devrait, au contraire, se situer au tout premier rang des efforts en ce sens. Le changement climatique pose en effet un très sérieux problème.
M. Macerollo : Mais, sénateur, on ne saurait nous reprocher la moindre ambivalence. Je peux vous dire que nous ne manquerons aucune occasion d'œuvrer utilement.
Le sénateur Mitchell : Votre organisation a-t-elle, en ce qui concerne le captage et le stockage du carbone, lancé un programme? Où en êtes-vous dans ce domaine? Certains prétendent qu'on est très loin de parvenir, en ce qui concerne l'éthanol, au carburant de seconde génération. Je ne suis pas certain que ce soit vrai. Combien de temps faut-il à vos membres pour parvenir à des résultats raisonnables en matière de captage et de stockage du carbone.
M. Macerollo : En matière de captage et de stockage du carbone, les dispositions fédérales actuelles s'appliquent soit en amont, soit en aval. Le raffinage étant une activité d'aval, les possibilités ne sont pas, pour nous, très grandes en ce domaine. Nous ne sommes certes, pas exclus du champ réglementaire, mais ces diverses dispositions ne nous sont pas d'un grand secours. Il semble, en effet, que le gouvernement entende prescrire l'adoption de certains types d'équipement, en plus de fixer un certain nombre d'objectifs, et, par conséquent, nous n'allons peut-être pas pouvoir bénéficier de toutes ces mesures.
Le président : La question était épineuse et la réponse est habile.
Le sénateur Milne : Je tiens pour ma part à évoquer la question de l'alcool. Je suis au courant des problèmes que pose l'utilisation de l'éthanol car je passe pas mal de temps à me déplacer au Canada assise comme passagère dans une vieille Ford Model A. Lorsque je fais le plein en Saskatchewan, le moteur commence à toussoter. C'est une voiture de 1931 qui n'aime pas beaucoup l'éthanol.
Monsieur Macerollo, vous avez, tout à l'heure, évoqué la possibilité d'une exonération de la taxe d'accise. Or, le 1er avril dernier, il a été décidé de supprimer progressivement cette exonération.
M. Macerollo : C'est exact.
Le sénateur Milne : Vous avez également évoqué les 1,5 milliard de dollars qui ont été retirés au programme écoÉNERGIE. Cela vous a manifestement affecté.
Lorsque de la comparution du ministre de l'Agriculture, je l'ai interrogé au sujet des mesures d'incitation que le gouvernement s'était engagé à adopter à l'intention des producteurs. Il n'a pas été en mesure de me dire en quoi cela pourrait consister. Savez-vous quel serait ce programme d'incitation à l'intention des producteurs, censé remplacer l'exonération fiscale dont vous bénéficiez jusque-là?
M. Macerollo : D'un coup de plume, le gouvernement a opéré un transfert de crédits. Il n'y a, en fait, eu aucune augmentation des crédits affectés à la stratégie des biocarburants. C'est simplement que l'argent a été prélevé sur les crédits destinés à favoriser le recours à des mélanges de carburant, pour le transférer aux producteurs. C'est donc devenu une subvention à la production.
Le sénateur Milne : Mais le producteur, c'est l'agriculteur.
M. Macerollo : Le producteur n'est pas nécessairement l'agriculteur. Il s'agit en l'occurrence du producteur d'éthanol. Il est vrai que l'agriculteur peut posséder une unité de production d'éthanol.
Le sénateur Milne : Ce qui n'est, bien sûr, pas toujours le cas, comme nous avons pu voir ce matin.
M. Macerollo : D'après nous, l'aide devrait plutôt être accordée à ceux qui effectuent le mélange des carburants mais, à vrai dire, dans le cadre de la stratégie globale que nous avons adoptée, de concert avec l'Association canadienne des carburants renouvelables, nous estimons que les deux devraient se voir accorder une aide financière. Les deux nous paraissent nécessaires. Aux États-Unis, les mesures d'incitation à la production relèvent des divers États, mais le mélange bénéficie, de la part du gouvernement fédéral, d'une subvention importante, et je dis bien importante puisqu'elle est de 51 cents le gallon. Si cette subvention intervient à l'étape du mélange, c'est pour la rendre plus acceptable aux yeux du consommateur puisque cela permet de vendre le mélange au même prix essentiellement l'essence ordinaire.
Si l'on subventionne le mélange, c'est pour encourager le consommateur à l'employer. Or, le consommateur n'y aura recours que s'il ne voit guère de différence par rapport au carburant qu'il utilisait jusque-là.
Aux États-Unis, c'est le consommateur, en fait, qui finance cette subvention. Il s'agit d'une subvention cachée, puisque le prix du mélange est le même que celui de l'essence ordinaire alors que le mélange a un contenu énergétique moindre. C'est le consommateur qui assume le coût de cette différence.
Le sénateur Milne : Mais cette baisse énergétique n'est pas de 30 p. 100, comme le disait M. Morel. Elle est de l'ordre de 30 p. 100 du 5 p. 100, c'est-à-dire de 1,5 p. 100.
M. Macerollo : C'est exact. Nous reconnaissons qu'il s'agit d'une baisse marginale, mais cela finit néanmoins par compter.
M. Morel : Si vous partez de la consommation totale d'essence au Canada, c'est-à-dire 40 milliards de litres, 5 p. 100 donne 2 milliards de litres de carburant 30 p. 100 moins efficace. Ce qui veut dire que pour obtenir, dans la conduite de véhicules automobiles, un même niveau d'activité économique, il vous faudra 41 milliards de litres de ce mélange, au lieu des 40 milliards de litres d'essence.
Le sénateur Milne : Dans votre exposé, vous avez également proposé que l'on modifie le texte du projet de loi afin de tenir compte des 5 p. 100 de contenu renouvelable que devrait, en moyenne, avoir le mélange. Consultez le texte du projet de loi et vous ne voyez que les mots « carburant » ou « biocarburant ». Le mot « éthanol » n'y figure pas.
Je crois comprendre, monsieur le président, qu'il est essentiellement question, cet après-midi, des inquiétudes concernant la teneur des règlements qui seront adoptés au titre de ce projet de loi. Or, sur ce plan-là, il n'y a, pour l'instant, pas grand-chose que nous puissions faire.
Le président : C'est toujours le cas, s'agissant d'une loi-cadre.
Le sénateur Milne : La seule chose que nous puissions faire serait peut-être — et vous allez me dire ce que vous en pensez — de modifier le texte du projet de loi afin que là où il prévoit actuellement :
(6) Il y aurait lieu, dans l'année suivant l'entrée en vigueur du présent paragraphe et par la suite tous les deux ans, que le comité, soit du Sénat, soit de la Chambre des communes, soit mixte, que le Parlement ou la Chambre en question, selon le cas, désigne ou constitue à cette fin [...] de supprimer la formule « il y aurait lieu », puis le mot « que » qui vient tout juste avant « le comité » et d'employer le mot « désigne » ou « constitue » pour marquer une obligation plus forte.
M. Macerollo : Selon l'expérience que j'ai acquise à une étape antérieure de ma carrière, lorsque j'œuvrais en politique et au sein de l'administration, la distinction qu'un gouvernement peut faire entre une formulation optative et une formulation impérative ne correspond pas nécessairement à l'interprétation qu'en feront les responsables de la bureaucratie. L'optatif fixe le plan de travail, mais il faut l'impératif pour le mettre en œuvre.
Le sénateur Milne : Pour l'instant, la formulation employée dans le texte est « il y aurait lieu ».
Le sénateur Spivak : Mais même si vous employez une formule impérative, vous n'obtiendrez pas « procède à un examen ». Cela ne voudra en effet pas dire que le gouvernement pourra modifier la réglementation en vigueur, car cela ne dépend pas de lui.
M. Macerollo : Mesdames et messieurs les sénateurs, voilà bien le dilemme et c'est pour cela que j'ai évoqué la question. Au niveau des principes, il s'agit de savoir quelle est l'étendue des pouvoirs que vous conférez à un gouvernement et quel est l'usage qu'il est censé en faire. La question s'est posée de la même manière au sujet de la Loi sur les prêts aux petites entreprises. On est passé à l'époque d'un projet de loi extrêmement dense à un texte allégé qui a donné naissance à de nombreux règlements. Je me souviens qu'à l'époque le comité de la Chambre des communes a fait part de ses préoccupations à cet égard. Il s'agit pour vous de bien réfléchir à l'étendue des compétences que vous allez accorder et à la portée de la loi-cadre que vous allez mettre à la disposition du pouvoir exécutif. C'est un vrai dilemme.
Le sénateur Milne : Mais faute de propositions concrètes, il n'y a pas grand-chose que nous puissions y faire si ce n'est de modifier, ça et là, la manière dont est formulé le projet de loi.
M. Macerollo : Avec un petit changement par ci, un petit changement par là, on parvient parfois à modifier sensiblement les choses.
Le sénateur McCoy : Désolée que la question ait été débattue en français mais, parfois, il y a une panne technique et je n'ai donc pas compris ce qui a été dit. Il s'agit, me semble-t-il, de décréter l'adjonction d'éthanol ou de biodiésel à l'essence, mais j'aimerais être plus fixée sur la répartition des tâches.
Le document que vous nous avez remis explique la ventilation des coûts de l'essence à la pompe. J'aimerais me faire une idée un peu plus précise de tout cela. Si je comprends bien, les membres de votre association sont des entités ou des filiales des mêmes entreprises que les sociétés gazières ou pétrolières qui opèrent en amont, et, par conséquent, Pétro- Canada fait partie de votre association, tout comme Shell, la Compagnie pétrolière impériale, et cetera. Ces sociétés possèdent 15 raffineries. Doivent-elles se procurer auprès d'autres entreprises la matière de base à l'aide de laquelle on obtient de l'essence? Pétro-Canada se procure-t-elle cette matière première auprès d'un autre établissement du groupe Pétro-Canada? Est-ce comme cela que l'on procède?
Don Munroe, conseiller principal, Environnement et qualité des produits, Institut canadien des produits pétroliers : Oui, c'est bien comme cela que nous procédons. Le brut que nous achetons n'est pas toujours pour notre propre compte. Ce brut, nous le payons au prix du marché. Les bénéfices de nos activités d'amont sont distincts des bénéfices que nous faisons en aval.
Le sénateur McCoy : Ainsi, il y a votre principale matière de base, votre principal intrant, et puis vos activités de raffinage. Mais, pour obtenir de l'essence ou du carburant d'aviation, il vous faut employer d'autres produits, si j'ai bien compris.
M. Munroe : C'est exact.
Le sénateur McCoy : Selon quelles normes opérez-vous?
M. Munroe : Tous nos carburants sont élaborés conformément aux normes de l'ONGC, l'Office des normes générales du Canada.
Le sénateur McCoy : Qu'il est question de modifier.
M. Munroe : C'est fait.
Le sénateur McCoy : Dans quel sens?
M. Munroe : Par l'adjonction d'éthanol ou de biodiésel.
Le sénateur McCoy : Les normes ont donc déjà été modifiées.
M. Munroe : Oui, nous y travaillons depuis plusieurs années déjà. Il y a une norme prévoyant 5 p. 100 de moins de biodiésel. Donc aucune norme ne prévoit, en matière de biodiésel, une teneur de plus de 5 p. 100 et, pour l'éthanol, la norme prévoit une teneur de 10 p. 100. À l'heure actuelle, il n'y a pas de norme prévoyant une plus forte teneur en éthanol.
Le sénateur McCoy : N'est-il pas exact que d'ici à 2010, vous serez tenu d'acquérir sur le marché, une certaine quantité d'éthanol.
M. Munroe : Oui.
Le sénateur McCoy : Et cet éthanol sera ajouté à votre produit?
M. Munroe : Oui. Ce que la plupart des gens ne savent pas, et ce qui n'est pas facile à comprendre, c'est qu'avant de pouvoir y ajouter de l'éthanol, il nous faut modifier la formule de l'essence. Comme M. Macerollo le disait tout à l'heure, on ne peut plus simplement vendre de l'essence. En effet, si les normes varient d'une province à l'autre, le carburant va, lui aussi, varier d'une province à l'autre, en fonction de sa teneur en éthanol.
Le sénateur McCoy : Aidez-moi à comprendre. L'éthanol n'est ajouté qu'en fin de processus, c'est-à-dire à l'essence, qui serait le produit final si l'on ne devait pas, justement, y ajouter de l'éthanol. Il s'agit d'une étape supplémentaire.
M. Munroe : Oui, il nous faut ajouter quelque chose à notre produit.
Le sénateur McCoy : Donc, vous produisez de l'essence, comme vous le faites depuis longtemps, puis, il faut apporter à cette essence une certaine modification et, ensuite, y mélanger l'éthanol que vous avez acheté, et écoulé le tout par le biais de votre système de distribution?
M. Munroe : Oui, mais je précise que si l'essence et le carburant diesel peuvent être acheminés par un des oléoducs qui sillonnent le territoire national, il n'en va pas de même pour le biodiésel et l'éthanol.
Le sénateur McCoy : L'E85 peut-il être acheminé par l'oléoduc?
M. Munroe : Non, le carburant E85 contient surtout de l'éthanol et ne peut pas être transporté par oléoduc.
Le sénateur McCoy : L'essence mélangée peut-elle être acheminée par oléoduc?
M. Munroe : Non.
Le sénateur McCoy : Pas du tout?
M. Munroe : Non.
Le sénateur McCoy : Il y a donc aussi l'aspect distribution. Vous voilà, donc, avec votre essence ou votre carburant diesel. Vous vous êtes procuré un stock d'éthanol et tout cela se retrouve dans vos bilans. Vous devez maintenant modifier votre essence afin de lui permettre d'accueillir l'éthanol. On suppose, par conséquent, qu'il vous a fallu installer dans votre raffinerie de nouveaux biens d'équipement afin de pouvoir produire cette essence reformulée, c'est- à-dire une essence oxygénée adaptée au nouveau mélange.
M. Munroe : C'est exact. Cela a été, pendant les trois années en question, le gros de notre tâche. Il faut en outre, au sein de notre réseau de distribution, modifier les terminaux.
Le sénateur McCoy : Pourriez-vous me préciser en quoi consiste l'opération permettant d'obtenir cette essence reformulée ou essence oxygénée? Nous reviendrons dans quelques instants sur la question de la distribution, mais j'ai un peu de peine à comprendre.
M. Munroe : L'addition d'éthanol rend l'essence plus volatile. On entend par volatilité le taux d'évaporation. L'éthanol ajouté à l'essence fait que celle-ci s'évapore plus vite. Il nous faut donc employer une essence moins volatile afin que le carburant ait, après l'addition d'éthanol, la volatilité convenant à son emploi en tant que carburant.
Le sénateur McCoy : Il vous faut donc installer, dans votre usine, une nouvelle colonne. En quoi cela consiste-t-il?
M. Munroe : Ce sera, selon la raffinerie, un débutanisateur ou un dépentanisateur. Il s'agit là d'éliminer les particules très fines qui resteraient en suspension dans l'essence.
Le sénateur McCoy : C'est donc un autre projet d'investissement.
M. Munroe : Oui.
Le sénateur McCoy : Dans ma région d'origine, c'est en général au centre industriel de l'Alberta que nous songeons. C'est là que sont installées la plupart de nos raffineries et de nos usines de traitement. Nous souhaiterions obtenir des crédits CSC également pour nos usines de traitement dont, pourtant, l'activité se situe en aval.
M. Macerollo : Dans l'optique du gouvernement fédéral, il s'agit d'activités d'amont.
Le sénateur McCoy : Oui, c'est comme cela que le gouvernement fédéral envisage les choses et cela se justifie sans doute d'un certain point de vue.
Donc, vous avez dû doter votre raffinerie d'une colonne supplémentaire. Vous avez ajouté l'éthanol, l'avez mélangé et êtes maintenant prêt à distribuer le carburant. Quelle et l'étape suivante?
M. Munroe : Le mélange s'effectue au terminal final, ce qui veut dire que l'éthanol doit y être acheminé par camion ou par rail alors que l'essence y est arrivée par oléoduc. Le mélange s'effectue donc au terminal final, dans le parc de mélange, d'où le carburant part en camion-citerne pour être livré à nos détaillants ou à nos grossistes.
Le sénateur McCoy : Par camion-citerne?
M. Munroe : Oui.
Le sénateur McCoy : Quelle est, à l'heure actuelle, la quantité de carburant livré par camion-citerne? Est-ce à dire que toutes les livraisons sont actuellement effectuées par camion?
M. Munroe : À partir de cette étape, le mode de distribution n'a pas à être modifié puisqu'on a simplement ajouté de l'éthanol à l'essence. Pour en revenir à ce que M. Morel disait tout à l'heure, la légère augmentation de volume due à la baisse de valeur énergétique n'a guère d'incidence sur le volume total. Cela veut dire que l'ajout d'éthanol n'exige aucune augmentation du nombre de rotations des camions-citernes.
Le sénateur McCoy : Car votre système de distribution est déjà en place?
M. Munroe : Oui.
Le sénateur McCoy : Quelqu'un a-t-il dit qu'il faudra en outre aménager les stations-service?
M. Macerollo : C'est moi qui en ai parlé, mais je vais demander à M. Morel de vous répondre sur ce point. Selon des études ne portant que sur le carburant E85, chaque station-service exigerait un investissement de 150 000 $ à 200 000 $. Quels seraient, M. Morel, les investissements nécessaires pour pouvoir accueillir les carburants E5 ou E10?
M. Morel : D'une manière générale, pour les carburants E5 ou E10, les infrastructures actuelles suffisent. Il faudra apporter quelques modifications au niveau des filtres et de la vidange des citernes mais, essentiellement, ce ne sont là que des opérations normales d'entretien. Au niveau de l'industrie du raffinage, les règlements imposant une teneur en carburant renouvelable de 5 p. 100 dans l'essence et de 2 p. 100 dans le diesel exigeront, en réponse aux attentes de la clientèle, que nous modifiions le gros de notre production.
L'adjonction de 10 p. 100 d'éthanol à l'essence entraîne une modification du volume de notre production à la raffinerie. L'adjonction de 2 p. 100 de biocarburant au diesel donne, en effet, un type de carburant diesel différent. Cela constitue une complication de plus pour processus. Le problème n'est pas de produire 500 millions de litres de biodiésel à 2 p. 100 ou de produire deux milliards de litres d'éthanol. C'est que notre secteur industriel doit repenser tout ce qui concerne les 40 milliards de litres d'essence acheminés par oléoduc, mais qui sont complètement inutiles tant qu'on n'y aura pas ajouté l'éthanol. C'est à ce niveau là que se situe le risque.
Le produit fini exige donc des modifications tant au niveau de la raffinerie que du transport du produit et de l'adjonction d'éthanol. C'est bien pour cela que, comme M. Macerollo le disait tout à l'heure, il va nous falloir un certain temps. Tout cela ne se fait pas en effet du jour au lendemain. Il ne suffit pas de prendre l'essence dont on dispose aujourd'hui et d'y ajouter de l'éthanol. Avec un tel mélange, les automobiles ne fonctionneraient pas de manière satisfaisante.
Le sénateur McCoy : Donc, vous avez dû installer une nouvelle colonne dans votre raffinerie — enfin faire tous les aménagements nécessaires — car, comme vous venez de nous le dire, il faut adapter l'essence ou le diesel à ce nouveau mélange. Ça, je le comprends. Mais qui assume les frais de tout cela? Est-ce vous?
M. Munroe : Ceux-là mêmes qui ont payé pour désoufrer l'essence; c'est-à-dire les acteurs industriels.
Le sénateur McCoy : Ai-je bien compris que vous n'envisagiez pas d'augmenter le prix de détail de l'essence?
M. Munroe : Ce que je peux dire, c'est que le prix de l'essence ne dépend aucunement de moi. Je ne sais pas du tout comment il est fixé.
Le sénateur McCoy : Ce règlement va donc faire augmenter les coûts de raffinage.
M. Munroe : Oui, nos prix dépendent du marché.
M. Macerollo : Il faut, en effet, tenir compte de l'état du marché. Si tous les acteurs subissent une augmentation de leurs coûts de production, il est, bien sûr, plus facile de répercuter cette augmentation sur le consommateur. Je ne dis pas que c'est comme cela que les choses vont se passer mais, d'une manière générale, cela est plus facile lorsque tous les acteurs industriels subissent un même accroissement de leurs coûts.
N'oublions pas non plus que le carburant est un produit fongible. Il est exporté aux États-Unis en grandes quantités. Il bénéficie, au sud de la frontière, d'une subvention de 51 cents, ce qui est très intéressant. En effet, cette subvention n'est pas réservée aux mélanges d'origine américaine. Cela, par contre, provoque parfois des mouvements non économiques de marchandises dans le seul but de toucher la subvention. Ainsi, par exemple, il arrive que des cargaisons d'huile de palme traversent le Pacifique pour arriver aux États-Unis, où on y mélange un petit quelque chose simplement pour bénéficier de la subvention pour le diesel, avant d'être réexpédiées en Europe.
M. Morel : Et en Europe, le mélangeur va à nouveau toucher une subvention.
Le sénateur McCoy : C'est ce que le sénateur Brown a appelé le bon côté du mécanisme de l'offre et de la demande. Le marché joue en cela son rôle et les décisions sont prises en fonction de ces diverses considérations. Il est donc juste de dire que ces frais seront intégrés aux coûts de production. Il est également juste de dire, je pense, que lorsque, en décembre 2006, vous avez annoncé l'accord auquel vous étiez parvenu, vous aviez accepté d'assumer ces nouveaux faits.
M. Macerollo : À vrai dire, nous avons pris le train en marche.
Le sénateur McCoy : Effectivement, les trains fonctionnent, eux aussi, au carburant.
M. Morel : Certains sénateurs représentent l'Alberta et les provinces de l'Ouest. Or, comme vous le savez, l'essence est produite dans la raffinerie d'Edmonton et, de là, elle doit être distribuée sur un vaste territoire allant de Colombie- Britannique à l'Ontario. Or, si chaque province ou territoire prévoit, en matière de carburant, une composition différente, tout cela devient extrêmement difficile et le système perd une grande partie de son efficacité. Depuis 30 ans, notre industrie tente d'accroître son efficacité dans le cadre d'un système couvrant l'ensemble du territoire national. Or, tout d'un coup, il y a un morcellement.
Le sénateur Spivak : On parviendrait donc à une véritable ligne de démarcation entre les diverses zones.
Le sénateur Brown : Pourriez-vous nous dire depuis combien de temps Husky et Suncor produisent de l'éthanol?
M. Morel : Suncor produit de l'éthanol depuis 2004, mais je crois pouvoir dire qu'elle en ajoute à l'essence depuis 1997 ou 1998. Je pourrais me tromper d'un an ou deux, mais cela fait environ dix ans que Suncor vend de l'essence contenant de l'éthanol.
Le sénateur Brown : Qu'en est-il de Husky?
M. Morel : Husky produit de l'éthanol depuis les années 1990. Je ne peux pas vous donner une date plus précise que cela. Cela a commencé avec la compagnie Mohawk, qui possédait une petite usine d'éthanol. Cette compagnie a fusionné avec Husky, dont elle a pris le nom. La compagnie commercialise...
Le président : Depuis 1989, je pense.
M. Morel : Merci, sénateur.
Le sénateur Brown : Le mélange d'éthanol prolonge-t-il la vie des moteurs?
M. Munroe : Je n'ai rien qui me permette de me prononcer dans un sens ou dans l'autre. L'éthanol est un solvant et donc la carburation est plus propre. Je ne dispose d'aucun élément indiquant si cela prolonge la vie des moteurs.
Le sénateur Brown : On pourrait penser que dans la mesure où ce mélange carbure plus proprement, cela prolonge en même temps la vie du moteur. Qu'en est-il du biodiésel? L'utilisation du biodiésel est-elle bonne pour les moteurs?
M. Macerollo : C'est pour cela, entre autres, que nous avons lancé en Alberta ce projet de démonstration. Nous tentons de mettre sur pied un projet pilote à la raffinerie de la Compagnie pétrolière impériale. Les camionneurs canadiens hésitent en général à adopter ce mélange. Il suffit d'un seul accroc pour inquiéter tout le monde. Les gens ont tendance à rappeler ce qui s'est passé au Minnesota. Un jour où il faisait très froid, les camions ont refusé d'avancer. L'exemple n'est pas très probant mais nous avons lancé ces projets de démonstration afin d'accroître la confiance.
Le sénateur Brown : Si je comprends bien, le problème est dû à un mauvais mélange car il y a un mélange diesel pour l'été et un mélange pour l'hiver. Ce problème existe depuis longtemps car les tracteurs s'arrêtaient si on n'avait pas mis dans le réservoir un diesel adapté à l'hiver.
M. Macerollo : Tout à fait.
Le sénateur Brown : J'avais autrefois un camion équipé d'un moteur diesel et, lorsque la température baissait, il refusait d'avancer si son réservoir n'avait pas été rempli avec un mélange adapté.
Un producteur australien de biodiésel affirme que l'utilisation du carburant B20, mélange comportant 20 p. 100 de biocarburant, double la vie du moteur d'un camion de transport. Êtes-vous au courant de cela?
M. Munroe : La plupart du temps, lorsque quelqu'un fait état d'une étude de ce genre, c'est simplement parce que le biodiésel a un pouvoir lubrifiant plus grand que le diesel ordinaire. À une certaine époque, nous produisions un carburant diesel à très faible teneur en soufre et le pouvoir lubrifiant de ce carburant était sensiblement plus bas. Si vous prenez un carburant diesel à très faible teneur en soufre, et que vous y ajoutez du biocarburant, vous obtenez une meilleure lubrifiance. Les gens prétendent en général que c'est pour cela que les moteurs durent plus longtemps.
Ce que les gens oublient de dire, c'est que nous sommes conscients de cela et que nous mélangeons certains additifs à notre diesel à très faible teneur en soufre afin de lui rendre son pouvoir lubrifiant. Nous faisons donc en sorte que la lubrifiance soit aussi élevée qu'au départ. Or, le biodiésel augmente naturellement le pouvoir lubrifiant du carburant alors que nous, nous obtenons le même résultat en mettant un additif. Le pouvoir lubrifiant du biodiésel réduit l'usure du moteur.
Le sénateur Brown : Il n'y a donc aucun inconvénient à utiliser un carburant auquel est mélangé du biodiésel, puisqu'on n'a pas besoin d'y mettre un additif.
M. Munroe : Non, il n'y a aucun inconvénient. Le biodiésel augmente la lubrifiance.
Le sénateur Brown : Si ce projet de loi n'est pas adopté, pensez-vous que Suncor et Husky cesseront de produire de l'éthanol?
M. Macerollo : Il faudrait leur demander. Je peux simplement dire que le dispositif qu'elles ont mis en place est antérieur à l'adoption de certains règlements et que les décisions économiques correspondantes ont été avalisées par leur conseil d'administration respectif.
Il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit, en l'occurrence, d'une industrie qui n'existe pas encore. Certes, il y a déjà des compagnies actives en ce domaine, mais leurs opérations ne suffisent pas encore à constituer un secteur industriel. Nous savons que les produits en question ont en outre d'autres usages et donc je ne vois pas très bien comment l'activité des producteurs dépendrait du sort de ce projet de loi.
Le sénateur Brown : Je vous interroge au sujet de Husky-Mohawk car, par l'intermédiaire des stations-service Mohawk, la compagnie, me semble-t-il, commercialise une essence contenant de l'éthanol depuis 20 ans déjà. J'en ai moi-même achetée. Je ne m'approvisionne pas en général dans ces stations-service car je fréquente plutôt une coopérative de Calgary, mais je ne sais pas qui la fournit en essence. Si je me trouve en dehors de Calgary, je fais parfois le plein dans une station Mohawk. Je n'ai jamais constaté de différence au niveau du carburant et je n'ai jamais entendu quelqu'un s'en plaindre.
M. Macerollo : C'est bien ce que nous disons, car les producteurs agissent en fonction de facteurs économiques. Ce ne sont pas eux qui ont créé le besoin. Ils ont agi non pas en raison des règlements, mais en raison de l'état du marché qui, d'après nous, est le meilleur mécanisme de régulation économique.
La discussion prendrait un tour différent si nous partions des seules considérations environnementales.
Le sénateur Brown : N'est-il pas possible, actuellement, d'acheter de l'éthanol et de l'ajouter à son essence?
M. Macerollo : Vous voulez dire de l'ajouter vous-même?
Le sénateur Brown : Oui.
M. Macerollo : Je ne pense pas que cela soit recommandé.
Le sénateur Brown : Je vous demande si c'est possible.
M. Morel : Vous voulez dire pour un particulier?
Le sénateur Brown : Oui, je parle d'un bidon d'éthanol qui vous permettrait de faire votre propre mélange.
M. Morel : Au cours des dix ou 15 dernières années, on peut dire qu'en général, dans les zones où le mélange n'était pas fait au terminal même, le mélange s'effectuait par barbotage. Le producteur, ou celui qui disposait d'une citerne, pouvait ajouter de l'éthanol à l'essence chargée à bord d'un wagon-citerne, ou l'inverse, et livrer ce mélange aux diverses stations-service.
Cette pratique n'est pas recommandée par l'ONGC car elle peut entraîner un certain nombre de problèmes en raison des conditions atmosphériques. Si le mélange n'est pas bien fait, l'éthanol et l'essence peuvent se séparer. Par nuits froides, par exemple, vous pouvez vous retrouver avec de l'eau dans votre réservoir à essence ou d'autres problèmes encore.
Ce qui est en général préférable, c'est que le mélange soit effectué correctement au terminal afin d'éviter toute séparation. C'est généralement comme cela qu'on procède aux États-Unis et dans la plupart des régions Canada.
Le sénateur Brown : Si je vous pose la question, c'est parce que je crois savoir que certaines personnes le font. Vous avez dit tout à l'heure qu'il vous fallait abaisser la volatilité de votre essence afin, justement, qu'elle ne devienne pas trop volatile après l'ajout d'éthanol. Mais je me demande pourquoi les gens procéderaient ainsi s'ils n'y trouvaient pas avantage.
M. Munroe : Eh bien, ils n'y trouveront aucun avantage mais, par contre, par temps chaud, s'ils ont beaucoup roulé avec leur voiture ce jour-là, la volatilité de l'essence risque d'obstruer la conduite de carburant, s'ils ferment le moteur et essaient de le faire redémarrer. Le problème se pose davantage pour une voiture datant de 1931 que pour une voiture équipée d'un moteur à injection, mais l'obstruction de la conduite de carburant n'est pas chose rare et c'est pour cela que, l'ONGC fixe des normes en matière de volatilité. Je pense que les gens qui effectuent eux-mêmes leur mélange prennent un risque.
Le sénateur Mitchell : Tout cela est du plus grand intérêt. M. Macerollo a attiré mon attention sur cette très intéressante étude sur le changement climatique. Je relève que l'industrie du raffinage a réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 7,5 p. 100 par rapport à 1990, résultat qui dépasse ce que prévoit l'accord de Kyoto. Votre industrie en a-t-elle pâti? Selon vous, cela a même permis d'accroître l'efficacité et constitue donc, pour les entreprises, un avantage.
M. Macerollo : La conservation d'énergie et l'efficacité énergétique sont des éléments essentiels d'un bon plan d'activités. Je ne peux pas vous fournir de détails précis au niveau des diverses entreprises, mais les représentants de Pétro-Canada pourraient vous citer un exemple très instructif.
Notre secteur prend tout cela très au sérieux depuis un certain temps déjà. Peut-être que Don Munroe voudra vous en dire un peu plus dans l'optique de Pétro-Canada.
M. Munroe : L'intensité énergétique de nos opérations est un indicateur que nous suivons depuis longtemps. Je suis dans le raffinage depuis 25 ans et je peux dire que cet aspect-là a toujours été l'une de nos principales préoccupations. Notre industrie est parmi les plus grands utilisateurs de carburant à base de pétrole. Le fonctionnement d'une raffinerie exige en effet beaucoup d'énergie. Économiquement, nous avons tout intérêt à réduire nos émissions de gaz à effet de serre, et je pense que cet aspect de la question a été à l'origine de la plupart de nos efforts.
Le sénateur Mitchell : Cela confirme ce que je disais. Pourtant, on a entendu à maintes reprises des représentants de ce secteur — je ne parle pas nécessairement de vous — affirmer que les objectifs fixés dans l'accord de Kyoto vont être la ruine de l'industrie, la ruine de notre économie. Cela ressort implicitement de l'ambivalence, voire de la répugnance qu'a notre gouvernement à engager des efforts pour atténuer les changements climatiques. Et pourtant, on constate que l'Association forestière a pu réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 44 p. 100 par rapport à 1990, et que tant elle que les entreprises de produits chimiques, les fabricants, les entreprises de raffinage disent que tout cela est en fait dans l'intérêt des entreprises.
Je vois ici que vous consommez 12 p. 100 de moins de carburant qu'en 1990, mais que vous produisez 7,5 p. 100 d'émissions de gaz à effet de serre en moins. Pourquoi n'avez-vous pas obtenu une baisse de 12 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre, dans la mesure où vous avez pu abaisser l'intensité énergétique de votre entreprise et accroître votre efficacité énergétique?
M. Munroe : Cela provient probablement des pertes occasionnées par le désoufrage de l'essence et du carburant diesel. Il s'agit, en effet, d'une opération qui coûte cher et qui consomme beaucoup d'énergie car le désoufrage exige de fortes pressions et de hautes températures.
M. Macerollo : En ce qui concerne ce que nous ont dit les représentants de diverses entreprises, je pense que tout cela dépend, en grande partie, de la prévisibilité sur laquelle peuvent compter les décideurs. Pendant très longtemps, notre pays agissait en fonction d'une hypothèse reliée à 1990 et aux engagements pris dans le cadre de l'accord de Kyoto. La signature de cet accord a transmis un signal au monde des entreprises qui s'est basé sur cela pour élaborer ses stratégies commerciales.
Le sénateur Mitchell : Donc, lorsqu'en 2006, le gouvernement a fait marche arrière, j'imagine que cela a obligé tout le monde à revoir ses plans.
M. Macerollo : Ce qui a été décidé en 2006, nous a effectivement posé des problèmes car nous nous étions engagés notamment dans le désoufrage, opération qui, comme M. Munroe le disait tout à l'heure, a fait augmenter nos émissions de CO2. Si cela correspond à des exigences environnementales, et que les données scientifiques le confirment, il n'y a pas à hésiter. Les décisions prises en 2006 posent donc un problème, alors que ce qui avait été décidé en 1990 était un signal de prix que les entreprises avaient intégré dans leurs plans.
Le sénateur Mitchell : Oui, et cela a donné de bons résultats.
Le président : Je dois dire, entre parenthèses, au cas où certains d'entre vous ne seraient pas au courant, et je suis certain que M. Munroe est en cela du même avis que moi, que votre industrie avait résisté vigoureusement au désoufrage mais que, selon l'évolution du prix des matières premières, cela s'est révélé une très bonne chose pour quelques raffineurs qui ont pu commercialiser le soufre. Est-ce exact?
M. Macerollo : Le marché du soufre est-il très porteur?
M. Munroe : Non, pas pour les sous-produits du soufre, mais c'est tout de même un produit de base qui trouve acheteur.
Le président : Nous vous remercions de vos témoignages, auxquels nous avons pris un grand intérêt.
Nous accueillons maintenant Roger Samson, directeur exécutif, Resource Efficient Agricultural Production Canada (REAP-Canada) et Bob Friesen, président, Fédération canadienne de l'agriculture.
Roger Samson, directeur exécutif, Resource Efficient Agricultural Production Canada (REAP-Canada) : Resource Efficient Agricultural Production Canada est un organisme de recherche et de pédagogie spécialisé dans le développement durable de biocarburants et dans l'agriculture durable. Depuis 18 ans, nous consacrons une grande partie de nos efforts au Canada au développement durable de biocarburants. Depuis 11 ans, nous travaillons également outre-mer, dans des pays en développement, où nous avons lancé des programmes d'atténuation de la pauvreté.
Plusieurs d'entre vous ont sans doute reçu le mémoire que j'ai distribué hier aux membres du Comité permanent de la Chambre des communes, et j'ai donc préparé à votre intention un document plus concis. J'aimerais évoquer devant vous le thème de la durabilité, dans l'optique des dispositions de ce projet de loi.
En cela, j'insisterai sur cinq points. Comme vous le savez, un problème se pose au niveau de la durabilité de l'approvisionnement en matières premières. De plus en plus, le Canada va dépendre du maïs américain pour produire l'éthanol qu'exige la mise en œuvre du projet de loi C-33. En effet, le maïs cultivé aux États-Unis est actuellement, pour les producteurs d'éthanol, le moins cher et le plus riche en fécule des céréales et le Canada ne dispose pas de réserves de terres qui permettraient d'accroître notre production de maïs.
Je précise que le gouvernement du Québec a renoncé à sa politique favorisant l'emploi du maïs pour produire de l'éthanol en raison des mauvaises perspectives environnementales et des problèmes que pose actuellement dans cette province la prolifération des algues bleu-vert.
Depuis longtemps, la culture du maïs soulève, en Amérique du Nord, des problèmes de production. Depuis 1970, on a, par quatre fois, éprouvé une baisse de 30 p. 100 des récoltes. C'est dire qu'une année sur neuf des facteurs climatiques provoquent un effondrement de la production de maïs.
Les cultures annuelles, comme le maïs, sont extrêmement sensibles aux écarts météorologiques. Si, depuis 18 ans, nous nous attachons à développer des herbes adventices comme le panic raide, c'est qu'il s'agit d'une culture résiliente qui résiste bien aux inondations et à la sécheresse.
Le second point concerne la durabilité financière. Vous avez sans doute pu lire dans les journaux d'aujourd'hui, qu'il y a actuellement une crise de l'industrie de l'éthanol produit à partir du maïs, car les cours du maïs dépassent maintenant 7 $ le boisseau, alors que le gaz naturel — un des principaux intrants — coûte 12 $ par million de BTU. Si le prix de ces matières premières ne baisse pas, une grande partie de l'industrie américaine de l'éthanol de maïs devra cesser ses activités cet été ainsi qu'à l'automne. Le maïs est un accro des intrants. On ne peut pas dire qu'il n'a besoin que d'énergie solaire. Les deux intrants principaux sont les combustibles fossiles et le maïs. Le maïs a, en effet, besoin de combustibles fossiles, le gaz naturel, par exemple, qui servent à fabriquer les engrais nécessaires pour l'assécher. C'est bien pour cela que nous envisageons dès maintenant d'autres solutions.
Mais alors, que va faire le gouvernement canadien si on ne peut plus s'approvisionner en éthanol. En effet, le gouvernement a décrété l'ajout d'éthanol, mais il ne semble pas que l'industrie soit à même de le fournir. Va-t-on augmenter les subventions et par-là même le prix des céréales et des oléagineux, ce qui alimenterait l'inflation du prix des denrées alimentaires, ou va-t-on simplement quand même payer l'industrie des biocarburants même si elle n'est pas en mesure de fonctionner à un certain niveau de prix des intrants?
Mais même avant la crise financière qui frappe l'industrie de l'éthanol de maïs, l'utilisation d'un oléagineux vierge pour produire des biocarburants n'était pas financièrement durable à grande échelle, même avec une subvention de 20 cents le litre de biocarburant. Le gouvernement fédéral compte-t-il accroître ses mesures d'incitation si le prix des céréales et des oléagineux reste aussi élevé qu'il l'est actuellement? Certains d'entre vous ont peut-être eu l'occasion de lire le mémoire que nous avons distribué aux membres du comité permanent de la Chambre des communes. Dans ce document de 14 pages, nous faisons état d'un rapport que nous avons récemment rédigé. Selon nos calculs, compte tenu des incitatifs actuellement accordés aux producteurs d'éthanol de la province, en Ontario, les mesures d'atténuation coûtent environ 378 $ la tonne. Il suffit de multiplier le montant de la subvention par les gains d'efficacité et on obtient 378 $ la tonne. Quel prix n'accepterait-on pas de payer pour la baisse des émissions de CO2 due à l'emploi de l'éthanol et des biocarburants dans la mesure où l'on souhaite amorcer la pompe et lancer cette nouvelle industrie?
Mon troisième point concerne la situation alimentaire mondiale. En 2007-2008, de nombreux pays ont subi la flambée du prix des denrées alimentaires, cela étant particulièrement vrai des pays en développement où les gens ne consomment que peu d'aliments transformés. Selon le rapport publié par l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) sur son site Internet, les récoltes mondiales de céréales ont augmenté l'année dernière de 4,6 p. 100. C'est dire qu'il n'y a pas, à l'échelle mondiale, de pénurie. Cette année, les agriculteurs n'ont pas eu à se plaindre.
Cela dit, on constate une baisse de 5,2 p. 100 au niveau du report des stocks. Le problème se situe donc au niveau de la demande et non pas de l'approvisionnement. C'est néanmoins comme si les stocks mondiaux de céréales avaient baissé de 22 millions de tonnes.
Si nous partons de l'hypothèse que la production de biocarburants en a consommé 100 millions de tonnes — c'est le chiffre cité par la FAO — on peut conclure que les surplus de céréales auraient augmenté de 12 p. 100 si nous n'avons pas eu recours aux biocarburants. Ceux qui prétendent qu'il n'y a pas de lien entre les cours mondiaux des céréales et l'utilisation des biocarburants ne savent pas calculer. En toute logique, l'augmentation de 12 p. 100 des stocks alimentaires aurait dû entraîner une baisse sensible des cours mondiaux des céréales.
Il est clair que l'état des récoltes et la fabrication de biocarburants ont une incidence sensible sur l'inflation des prix alimentaires puisque la consommation ou non de biocarburants influence si fortement le niveau des réserves mondiales en céréales.
Quel sera cette année le taux d'inflation des prix alimentaires alors que nous nous trouvons face à un problème de production? En effet, nous sommes actuellement dans une de ces années de vaches maigres, les problèmes au niveau de la production agricole entraînant de fortes augmentations des prix du maïs et de la viande. L'inflation des prix alimentaires continue à augmenter.
A-t-on dressé des plans afin de lutter contre la faim que va entraîner l'inflation des prix alimentaires provoquée par les mauvaises récoltes. Selon la FAO, il faudrait 30 milliards de dollars pour contribuer à l'alimentation des populations qui ont faim. Les dispositions du projet de loi C-33 ne tiennent pas compte des conséquences des mauvaises récoltes.
Le quatrième point que je tiens à évoquer concerne la situation au Canada. Selon les prévisions d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, les récoltes de maïs au Canada vont baisser de 15 p. 100 au cours de la campagne 2008-2009, alors que la production d'éthanol va augmenter de 14 p. 100. Au Canada, les surplus de maïs devraient baisser de 22 p. 100, malgré une baisse de 14 p. 100 dans l'emploi du maïs pour nourrir le bétail. Ces chiffres s'expliquent mal. En 2008, il semble que le Canada entend bâtir cette industrie de l'éthanol soit en important les matières de base nécessaires soit en les prélevant sur nos réserves de céréales. Étant donné l'insuffisance des récoltes mondiales de maïs en 2008, les contribuables canadiens subventionnent l'activité des entreprises qui puisent dans les réserves alimentaires mondiales, c'est-à-dire en fait, qui prennent des aliments destinés à certaines populations pour les transformer en carburant.
Cela est un facteur d'inflation qui pèse sur le budget alimentaire des ménages. En moyenne, les ménages canadiens consacrent environ 7 000 $ par an à l'alimentation. Si l'inflation au Canada atteint, comme dans les autres pays industrialisés, 5 à 10 p. 100 pour les produits alimentaires, chaque ménage devra augmenter de 350 à 700 $ le budget prévu pour l'alimentation. Or, il y a au Canada 12,5 millions de ménages. Cela donnerait, sur les neuf ans du programme inscrit dans le projet de loi C-33, un surcoût se situant entre 40 et 80 milliards de dollars.
L'impact économique, sur les ménages, de la flambée des prix des denrées alimentaires, va réduire considérablement les coûts de 2 milliards de dollars engendrés par le projet de loi C-33 pour les neuf prochaines années.
Mon cinquième point concerne les meilleurs choix que nous pourrions faire. En fin de document, je cite deux chiffres que vous pouvez consulter. Il s'agit des résultats d'analyses que nous avons menées de concert avec des chercheurs européens qui se sont penchés sur la situation en Ontario. Ces chiffres correspondent aux gains énergétiques nets, partant de l'hypothèse que nous avons épuisé nos sources de combustibles fossiles. Dans quelle mesure pouvons-nous capter efficacement l'énergie solaire, la récolter sur nos terres agricoles afin d'assurer l'alimentation énergétique de notre société? Vous pouvez constater, d'après le tableau, que la chaleur biologique et l'emploi du biogaz — ces techniques figurent à gauche — sont plus efficaces que les biocarburants liquides qui ont actuellement la faveur du gouvernement.
Vous verrez du côté droit les mesures proposées dans le cadre du projet de loi C-33. Ce qui figure en plus clair, et qui, dans l'exemplaire que j'ai sous les yeux est représenté en jaune, correspond aux gains énergétiques nets. C'est, nous pourrions dire, les bénéfices de l'opération. En rouge, vous voyez les dépenses, c'est-à-dire les quantités de combustible fossile consommées. Ce qui figure en plus clair — et en blanc dans l'exemplaire que vous avez sous les yeux — correspond aux bénéfices énergétiques. Vous voyez bien qu'en cultivant des herbes destinées à la fabrication de granules, on obtient un gain énergétique de 700 p. 100 plus élevé qu'avec l'emploi de biocarburants liquides. Avec le biogaz — en cours de développement en Allemagne — les gains énergétiques sont de 600 p. 100 plus grands.
Passons maintenant au dernier tableau et voyons un peu ce que cela donne au niveau de l'atténuation des émissions de gaz à effet de serre. Le projet de loi est censé aider les agriculteurs, et contribuer à une amélioration de l'environnement et de notre sécurité énergétique. Voyez maintenant les possibilités d'atténuation. L'emploi de granules d'herbe nous donne, par hectare, de 7 à 13 tonnes d'atténuation au niveau des émissions de CO2. Maintenant, regardez à gauche et vous voyez qu'en Ontario, avec l'emploi de l'éthanol de maïs, on n'obtient que 1,5 tonne d'atténuation. C'est-à-dire qu'avec la même acre ou le même hectare de terre agricole, et le même avantage pour l'agriculteur canadien, l'atténuation des émissions de gaz à effet de serre varie de 5 p. 100 à 800 p. 100 en plus.
Revenons maintenant au cinquième point, c'est-à-dire aux mesures qui seraient plus avantageuses. En les soutenant par des dispositions législatives adaptées, on pourrait obtenir des gains énergétiques nets qui sont de 700 p. 100 supérieurs aux résultats des mesures envisagées dans le projet de loi au niveau des émissions de gaz à effet de serre. Or, ces techniques-là peuvent très bien être mises en œuvre dans des fermes canadiennes.
Hélas, les conseillers du ministre canadien de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire semblent mal informer leur ministre, étant donné que, prenant la parole devant votre comité, il a affirmé que son ministère apportait au biogaz et aux granules un soutien considérable.
En tant que scientifique qui se consacre à la question depuis 18 ans, je suis bien placé pour vous dire que jamais les crédits affectés aux recherches dans ce domaine n'ont été aussi faibles. Par rapport aux subventions généreuses accordées au développement des biocarburants liquides, les techniques dont je viens de faire état ne bénéficient en fait d'aucun incitatif et de très peu de travaux de recherche.
Afin de corriger cela, nous proposons l'adoption d'une approche plus progressiste afin d'égaliser les mesures incitatives accordées aux carburants renouvelables. Il ne s'agit aucunement de décréter l'emploi de tel ou tel carburant, ou de se prononcer en faveur de telle ou telle approche. Il s'agit simplement d'instaurer un cadre d'action qui égalise les règles du jeu en matière de développement d'un secteur des bioénergies et des carburants renouvelables. Nous avons appelé cela le programme 12345. Ce programme est essentiellement fondé sur un système de primes proportionnelles au nombre de gigajoules d'énergie produits. Un gigajoule est une mesure métrique d'énergie analogue au BTU.
Dans ce programme 12345, 1 symbolise un programme national d'énergie renouvelable permettant d'atténuer le réchauffement climatique; 2 correspond aux 2 $ par gigajoule de chaleur verte; 3 pour les 3 $ le gigajoule produit au moyen de biogaz; 4 représente les 4 $ accordés pour chaque gigajoule produit à l'aide d'énergie et de carburants liquides verts; et 5 représente la baisse de 50 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre que permet le passage à un combustible susceptible de bénéficier de cette prime.
D'après nous, ces modestes mesures incitant à la baisse des émissions de carbone et à l'utilisation d'énergies renouvelables sont le meilleur moyen de favoriser au Canada la création d'une industrie des bioénergies et des énergies renouvelables à la fois dynamique et concurrentielle.
Je suis persuadé que le projet de loi C-33 entraînera de sérieux problèmes sur les plans sociaux et environnementaux ainsi qu'au niveau de la durabilité économique. Il y a moyen de le modifier en en améliorant le texte, mais le Sénat du Canada va devoir d'abord demander au gouvernement fédéral pourquoi celui-ci n'a procédé à aucune analyse de durabilité des dispositions inscrites dans le texte. Il est évident, pourtant, que les chiffres communiqués au public canadien concernant l'atténuation des gaz à effet de serre ne se fondent sur aucune donnée scientifique. On n'a rien prévu en cas de conditions météorologiques exceptionnelles ou de pénuries alimentaires. Le gouvernement n'a procédé à aucune analyse de la flambée du prix des denrées alimentaires qu'entraînera la transformation d'aliments pour fabriquer du carburant. Le gouvernement du Canada impose au Québec une réglementation nationale qui, selon les responsables de cette province, ne présente aucun intérêt sur le plan de l'environnement.
Peut-on vraiment dire qu'en tant que nation, le Canada progresse, alors que nous mettons en place des politiques qui ne vont pas dans le sens du développement durable, c'est-à-dire d'un développement qui permette de satisfaire les besoins de la génération actuelle sans compromettre ceux des générations à venir?
Dans l'intérêt des Canadiens ainsi que dans celui des pays plus pauvres, nous espérons que le Sénat du Canada, dans son examen de ce projet de loi, agira en fonction des connaissances disponibles et en toute objectivité, et qu'il mettra les intérêts du Canada et de sa population avant d'autres considérations.
Le président : Pour reprendre l'exemple du panic raide, quelle serait la superficie des cultures nécessaires? On nous a parlé de l'utilisation des terres et des superficies nécessaires pour faire pousser du maïs, mais faudra-t-il également de grandes étendues pour faire pousser du panic raide?
M. Samson : Une acre de panic raide a, pour l'atténuation des émissions de gaz à effet de serre, le même effet que sept acres de maïs. Si le projet de loi vise effectivement à atténuer les gaz à effet de serre, il vous faut une surface sept fois moins grande que pour le maïs.
Un autre avantage du panic raide est qu'il pousse bien dans des terres médiocres et que sa culture ne fait donc pas concurrence aux cultures vivrières. La concurrence se situe uniquement au niveau des terres marginales. Ainsi que M. Friesen nous l'expliquera dans quelques instants, les agriculteurs qui exploitent ces terres sont déjà en mauvaise posture. Leurs revenus sont trop faibles, car le rendement de leurs terres ne compense guère leurs coûts de production.
Le président : Le panic raide pousserait-il dans le Triangle de Palliser?
M. Samson : Vous pourriez y faire pousser d'autres herbes qui s'accommodent de la sécheresse et qui poussent à l'état naturel dans le sud de la Saskatchewan. C'est le cas du panic raide. L'herbe appelée « Prairie sandreed » pousse à l'état naturel en Colombie-Britannique. Dans chacune de nos zones agricoles, il y a des herbes qui poussent à l'état naturel et renferment davantage d'énergie. Elles utilisent l'énergie solaire de manière efficace.
Bob Friesen, président, Fédération canadienne de l'agriculture : J'avoue éprouver, cet après-midi, une certaine perplexité. Peut-être aurais-je dû arriver un peu plus tard car maintenant, je ne suis pas sûr si je dois m'en tenir aux notes que j'avais préparées ou, plutôt, réfuter les arguments qu'on vient de faire valoir.
Je tiens à préciser que ce que M. Samson nous a dit me paraît à la fois intéressant et juste. Nous souhaitons, afin d'améliorer la production de biocarburants, utiliser tous les atouts de la science. Je suis moins d'accord avec ce que nous ont dit les intervenants précédents, mais j'aurai l'occasion, chemin faisant, de revenir sur les arguments qu'ils nous ont présentés.
Permettez-moi d'abord de rappeler que la Fédération canadienne de l'agriculture, la FCA, parle au nom d'agriculteurs de toutes les régions du Canada. Nous comptons parmi nos membres une association agricole générale dans chaque province ainsi que de nombreuses associations de producteurs. Je pense pouvoir dire que les propos que je vais vous tenir ici ont l'aval des Producteurs de grains du Canada ainsi que de la Canadian Canola Growers Association. Ce que je vais vous dire bénéficie de très nombreux appuis.
Les membres de la FCA prennent leurs responsabilités très au sérieux et souhaitent améliorer la situation des agriculteurs et leur trouver de nouvelles sources de revenus. Ils prennent très au sérieux le besoin de faire de chaque agriculteur un centre d'initiative en mesure d'apporter des solutions car, à l'époque actuelle, c'est justement ce qu'il faut. Dans quelle mesure nos agriculteurs peuvent-ils nous permettre de mieux faire face aux difficultés qui se profilent? Il est en outre, de plus en plus important d'instaurer des passerelles entre les agriculteurs, le secteur agroalimentaire et le public.
Sur le plan de l'environnement, les agriculteurs ne reculent aucunement devant leurs responsabilités et souhaitent pleinement contribuer aux solutions nécessaires. Au plan de la durabilité environnementale, de nombreuses occasions se présentent compte tenu des solutions offertes par l'énergie solaire, l'énergie éolienne, les biodigesteurs, la production de biocarburant et les crédits-carbone.
Nous souhaitons que le Sénat adopte le projet de loi C-33 dans les meilleurs délais. J'ai assisté à une partie de ce qu'ont dit les derniers intervenants et, en les écoutant, j'ai eu l'impression d'être revenu à une époque où l'on pensait encore que la terre est plate. D'après moi, il n'y a pas à avoir le moindre doute sur la question. Ils possèdent, en effet, sur le plan technique, tous les moyens nécessaires, même s'ils prétendent le contraire. Si nos ancêtres avaient hésité autant qu'eux devant le progrès, rien ne se serait fait. En matière de production de biocarburants, de technologies, d'innovations et d'occasions offertes au secteur agricole en matière de production de biocarburants, d'autres pays nous ont déjà largement dépassés.
Comparé à ce qui se fait ailleurs, ces proportions de 5 et de 2 p. 100 me paraissent négligeables. Cela fait déjà longtemps qu'on aurait dû y parvenir. Si on avait moins tardé, le Brésil n'aurait pas pris sur nous une telle avance. Il s'agit d'un pays qui est en avance par rapport aux États-Unis alors que les États-Unis ont une grosse avance sur nous. Sur le plan de l'environnement, le public s'attend à ce que nous assumions nos responsabilités. J'aurais d'ailleurs l'occasion d'y revenir un peu plus tard.
Je voudrais maintenant exposer certaines des raisons justifiant, d'après moi, ce projet de loi. D'abord, le Canada doit se doter d'une politique qui, en ce domaine, est davantage concurrentielle. On dit parfois que nos agriculteurs ne sont pas aussi concurrentiels que les agriculteurs d'autres pays. Je ne pense pas que le problème se situe là. En effet, nos agriculteurs comptent parmi les plus concurrentiels du monde, mais ce qui est vrai, c'est que nous n'avons peut-être pas su nous donner une politique nous permettant d'affronter la concurrence des autres pays. En matière de politique agricole, les États-Unis se sont révélés plus compétitifs que nous et il va nous falloir réagir beaucoup plus rapidement.
Songez aux revenus des agriculteurs américains. Les cultivateurs canadiens, en termes de revenu agricole net, ont traversé les quatre pires années de leur histoire, alors qu'à la même époque, les agriculteurs américains enregistraient leurs quatre meilleures années. Alors que les cultivateurs américains n'avaient jamais été moins endettés, les cultivateurs canadiens ne l'avaient jamais été autant.
Quelles sont les solutions adoptées aux États-Unis? On est tenté de dire que les agriculteurs américains ont touché de plus fortes subventions, mais l'écart au niveau des subventions a beaucoup diminué. Le niveau des aides accordées respectivement aux agriculteurs américains et aux agriculteurs canadiens se rapproche de plus en plus, mais c'est un fait que les États-Unis ont, en matière de soutien à l'agriculture, une approche beaucoup plus stratégique et cela est en partie attribuable aux mesures qu'ils ont prises à l'égard de l'industrie des biocarburants. Nous trouvons évidemment injuste qu'ils aient donné autant d'argent afin de mettre sur pied une industrie des biocarburants. Alors que chez eux, cette industrie est florissante, nous avons pris un retard considérable. Il s'agit d'offrir davantage d'occasions aux agriculteurs et de leur offrir de nouvelles sources de revenus.
Il s'agit également de donner aux agriculteurs un plus grand pouvoir d'initiative et, pour cela, il n'y a pas de meilleur moyen que d'élargir l'éventail des possibilités afin que les agriculteurs puissent saisir les occasions les plus propices.
Sur le plan de l'environnement, nous avons un double objectif. D'abord, nous voulons réduire notre dépendance vis- à-vis de ressources non renouvelables. Cet objectif m'est naturellement venu à l'esprit lorsqu'un des intervenants précédents a dit que les entreprises de son secteur consomment une grande partie de ce qu'elles produisent. C'est tout à fait vrai. Pour obtenir 1 BTU d'énergie provenant de l'essence, il faut 1,23 BTU d'énergie fossile. C'est dire qu'ils consomment en effet une grande partie de ce qu'ils produisent.
En ce qui concerne la production de biocarburants, le rapport varie entre 1 BTU d'intrant pour obtenir 1,36 BTU d'énergie et 1 BTU pour 3,5 BTU d'énergie. Cela dit, des données scientifiques nous permettent de dire que, sur le plan énergétique, la production de biocarburants et d'éthanol se justifie, car ces deux types de carburant entraînent une moindre production de gaz à effet de serre. Sur le plan de l'environnement, c'est donc une bonne chose.
On peut donc, scientifiquement, démontrer un léger avantage. En ce qui concerne le cycle de vie, il n'y a, pour ainsi dire, en matière de production de biocarburants, pas de limite. Nous sommes en mesure de beaucoup augmenter les rendements et cela est vrai de la production de maïs. En plus, nous pouvons largement augmenter l'efficacité au niveau des engrais.
Rappelons en outre que le public s'attend à ce que nous assumions nos responsabilités à la fois en réduisant notre dépendance vis-à-vis des ressources non renouvelables et en réduisant nos émissions de gaz à effet de serre. Là encore, nos agriculteurs peuvent contribuer aux solutions indispensables. Nous pouvons, en effet, établir des passerelles entre les agriculteurs et le public et ne pas hésiter à dire que nous sommes fiers du fait que nous ne cherchons pas à éluder nos responsabilités et que nous contribuons aux nécessaires solutions.
La question de la production de biocarburants concerne également le développement rural. On peut dire que plus la production de biocarburants augmente au Canada, plus la situation des agriculteurs s'améliore. Nous préférons une large répartition de la tâche entre producteurs à l'existence d'une ou deux très grosses entreprises. Nous souhaiterions en effet que la production soit largement distribuée sur l'ensemble du territoire car cela contribuerait au développement global et réduirait la longueur des trajets. Nous y voyons, là encore, un avantage.
Une autre chose intéressante a été dite et, en l'entendant, je n'ai pas pu m'empêcher de penser que c'est un peu comme la question de la sécurité alimentaire ou du bien-être des animaux, c'est-à-dire, à quoi s'attend, au juste, le public canadien? Il est incontestable que le public voit d'un bon œil la production de biocarburants, une moindre dépendance vis-à-vis de ressources non renouvelables et une baisse des émissions de gaz à effet de serre. C'est ce que veut le public.
S'agissant du bien-être des animaux ou de la sécurité alimentaire, ce ne sont pas nos acheteurs qui ont imposé la prise de certaines mesures, mais les clients qui ont déclaré qu'ils s'attendaient à ce que l'on donne telle ou telle consigne aux agriculteurs. Je pense qu'il en ira de même de la teneur en éthanol ou en biocarburants. Le public canadien exigera que les sociétés pétrolières l'ajoutent à l'essence. Voulons-nous, dans le contexte de nos objectifs sociaux et des attentes de la population, produire nous-mêmes les matières de base et les produits finis, ou allons-nous importer cela de pays tels que le Brésil ou les États-Unis?
Dans ce domaine, il va nous falloir réagir plus vite et saisir les occasions qui se présentent alors même que, comme M. Samson le disait, nous améliorons en la matière, nos connaissances scientifiques. Il est clair qu'il nous faut améliorer nos connaissances, mais en matière de cellulosique, nous avons déjà les connaissances permettant de produire des biocarburants avec de la biomasse. C'est une possibilité que nous devons exploiter, et cela aussi rapidement que possible.
Permettez-moi maintenant d'évoquer la crise mondiale de l'alimentation. Il y a deux semaines, j'ai assisté, en Pologne, à une réunion de la Fédération internationale des producteurs agricoles. Cent pays y étaient représentés. Environ 75 p. 100 de ces pays sont des pays en développement. Personne n'a proposé, lors de cette réunion, une baisse de la production de biocarburants. Au contraire, on a beaucoup parlé des moyens de saisir les occasions qui se présentent. En ce qui concerne les pénuries alimentaires, tous les représentants de ces divers pays ont affirmé posséder d'importants stocks de denrées alimentaires, précisant que le problème se situe plutôt au niveau de la distribution, l'insuffisance des infrastructures ne permettant pas d'acheminer ces denrées aux consommateurs. Un autre problème provient du fait que de nombreuses terres sont en jachère en raison de l'augmentation du coût des divers facteurs de production et de l'insuffisance des infrastructures.
Tous étaient d'accord pour dire que nous avons suffisamment de sols productifs et que nous avons suffisamment de connaissances et de moyens techniques pour assurer en même temps la production de biocarburants et la production de denrées alimentaires. Je relève qu'il a également été question d'augmenter le pouvoir d'initiative des agriculteurs et certains dirigeants agricoles de pays en développement nous ont interrogés au sujet de l'augmentation du prix des denrées agricoles. Selon eux, les courtiers et les intermédiaires exploitent les agriculteurs de ces divers pays en ne leur révélant pas le prix des denrées. Je n'en dirai pas plus pour l'instant, mais pour ceux qui s'intéressent aux problèmes liés à la crise alimentaire et au fait que certains se sont vus contraints de réduire leurs achats de nourriture, je tiens à ajouter que nous allons devoir à la fois trouver le moyen d'assurer la rentabilité des exploitations agricoles et faire en sorte que les denrées alimentaires demeurent abordables. Il est tout à fait inacceptable qu'il y ait des gens qui ne puissent pas s'alimenter correctement ou qui ont faim. J'indiquerai un peu plus tard, lorsque nous en viendrons aux questions, comment la Banque mondiale, la FAO, le Fonds international de développement agricole (FIDA), et le Fonds monétaire international (FMI), contribuent aux difficultés en ce domaine.
C'est très volontiers que je répondrai à vos questions.
Le président : Pourriez-vous nous expliquer en quoi le FMI et ces divers autres organismes contribuent à nos difficultés?
M. Friesen : Le représentant de l'Inde a dit — en présence d'un représentant de la Banque mondiale — que cet organisme ne peut pas répartir lui-même les crédits à l'intérieur des pays en développement. Ces crédits, en effet, doivent être transférés aux gouvernements. La Banque mondiale se voit contrainte de procéder ainsi.
Selon le représentant de l'Inde, la Banque mondiale a, depuis des années, versé à l'Inde des milliards de dollars, mais rien de tout cela n'est allé à l'agriculture. Selon lui, de 30 000 à 50 000 agriculteurs se suicident chaque année en Inde, s'estimant obligés par l'honneur de le faire lorsque leur ferme fait faillite. D'après lui, les agriculteurs n'ont rien touché des crédits accordés par la Banque mondiale.
Le FIDA fait de bonnes choses dans les pays en développement mais, dès qu'un projet est terminé, il repart sans laisser sur place les moyens qui permettraient de pérenniser le projet en question. Il faudrait donc que ses représentants restent sur place afin, si vous voulez, d'assurer la continuité.
Avant que le FMI n'accepte d'accorder des crédits à un des pays les moins avancés, ce pays est obligé d'introduire la déréglementation et de supprimer son système d'aides. À une époque, justement, où le secteur agricole a le plus besoin de régulation et d'aide au développement, le pays se voit contraint de supprimer ces deux volets de sa politique intérieure. Il perd ainsi tout espoir de développer une industrie agricole. En fait, les sceptiques vous diront même que c'est justement ce que souhaitent les bailleurs de fonds du FMI, afin de s'accaparer le marché. Disons simplement qu'ils ne s'intéressent guère au développement d'une industrie agricole.
Avec la FAO, le problème est qu'elle ne consulte pas les agriculteurs. L'organisme, en effet, ne consulte pas les membres de la Fédération internationale des producteurs agricoles. L'unique fois où la FIPA a été consultée, a été lorsque ses représentants ont fait irruption dans une salle de réunion du FAO pour expliquer quels étaient les problèmes qu'ils éprouvaient effectivement et quelles seraient les solutions adaptées.
Tous ces organismes jouent un grand rôle dans l'amélioration de la distribution des denrées alimentaires à l'échelle mondiale. Ils veillent à modérer les prix et à encourager la durabilité des industries agricoles des pays développés, mais ils doivent ancrer davantage leurs politiques dans les réalités des pays individuels.
Le sénateur Mitchell : Monsieur Friesen, deux thèses sont en présence ici et nous avons entendu aujourd'hui des représentants des deux bords. Je crois comprendre qu'il existe des technologies de seconde génération acceptables même aux yeux de ceux qui s'opposent à l'actuel mode de production de l'éthanol. Tout porte à penser que ces technologies permettraient de réduire l'empreinte carbone.
Ceux qui sont contre, soutiendront que cela n'aboutira à rien, que leur développement prendra trop longtemps et qu'il faudra attendre 15 ou 20 ans avant d'en éprouver les bienfaits. Pouvez-vous nous dire où on en est à l'égard de ces technologies de seconde génération? Certaines d'entre elles en sont déjà à l'étape de la production.
M. Friesen : Je ne sais pas à quel point nos connaissances ont progressé et je ne peux pas dire si ces technologies pourront bientôt entrer en service. Je peux simplement affirmer que si nous n'allons pas de l'avant avec la production d'éthanol et de biocarburants dans l'état actuel de nos connaissances, nous ne serons pas en mesure de profiter des nouvelles connaissances qui permettront de faire progresser l'industrie.
Un peu plus tôt, certains ont affirmé que nous ne possédons pas la technologie nécessaire et que les adaptations que nous allons devoir apporter à nos installations actuelles coûteront très cher. On devrait assurer, par règlement, que les compagnies gazières financent, au moyen de leurs milliards de dollars de bénéfices, les adaptations nécessaires et veiller à ce que ces coûts ne soient pas répercutés sur le consommateur.
Certains affirment que nous n'avons pas les technologies nécessaires. Comment se fait-il que nous n'aurions pas encore les moyens d'assurer correctement le mélange? D'autres pays possèdent déjà les connaissances voulues. Notre industrie aurait dû être plus prévoyante.
Mais si nous attendons d'avoir amélioré d'autres aspects de la situation, nous allons, encore une fois, nous laisser dépasser par les autres pays.
Le sénateur Mitchell : J'ai déjà dit qu'il me semble curieux que, juste au moment où les agriculteurs commencent à être récompensés de leurs efforts, nous leur demandions de subventionner l'alimentation des populations mondiales. Personne n'a jamais demandé aux sociétés pétrolières ou aux producteurs d'engrais ou à quelque autre secteur industriel de se restructurer afin de nourrir la population mondiale. Je trouve injuste d'en demander autant à nos agriculteurs.
Le fait que l'éthanol ne puisse pas être acheminé par oléoduc est un autre aspect de la question sur lequel j'aimerais obtenir des précisions supplémentaires.
Il va falloir que les raffineries s'installent plus près des installations de mélange. Allons-nous parvenir à éviter le problème des raffineries de pétrole qui, souvent, sont installées dans des lieux qui paraissent peu pratiques pour l'ensemble de la population? De fait, les raffineries sont loin des gisements de sables bitumineux. Cela favoriserait les projets locaux.
M. Friesen : Nous serions partisans d'une telle approche.
Vous avez raison de dire qu'en construisant les raffineries plus près des centres de mélange, on réduirait les trajets et on augmenterait les possibilités offertes aux agriculteurs des diverses régions.
En outre, ce serait un formidable facteur de développement rural. Cela multiplierait les possibilités offertes aux agriculteurs d'une région et favoriserait l'emploi.
Cela fait des années que nous tentons d'améliorer le développement de nos régions rurales. La population de ces zones est en baisse et nous cherchons les moyens de renforcer leur développement. Or, le meilleur moyen de favoriser le développement rural et d'améliorer la rentabilité du secteur primaire est de créer des emplois en zones rurales. Cela me semble un excellent moyen d'y parvenir.
Le sénateur Mitchell : Monsieur Samson, vous nous avez parlé des cinq moyens de stimuler la production de biocarburants ou de carburants alternatifs. Les 2 $ le gigajoule de chaleur verte et les 3 $ le gigajoule pour le biogaz, seraient-elles des subventions directes?
M. Samson : Oui, ce seraient des subventions accordées aux producteurs de carburant.
Nous avons effectué une analyse financée par la Fondation BIOCAP Canada, basée à l'Université Queen's. Il s'agissait de calculer le coût de l'atténuation d'une tonne de gaz à effet de serre et les moyens de mieux protéger les investissements des contribuables canadiens en soutenant le développement d'énergies renouvelables. Nous nous sommes penchés sur toute la gamme de solutions possibles et avons retenu, dans cette étude, le cas de l'Ontario qui est, de toutes les provinces et territoires, la plus grande consommatrice d'énergie.
Cette analyse nous a permis d'établir un éventail de coûts. Maintenant, sous l'égide d'une autre fondation, nous effectuons un travail analogue pour les autres régions du Canada. En Ontario, il faut, pour faire baisser d'une tonne les émissions de gaz à effet de serre, dépenser 378 $ par tonne d'éthanol de maïs. La somme correspondante est de 100 $ par tonne de biodiésel, alors que des technologies telles que l'énergie éolienne, le biogaz et l'emploi de granules d'herbe pour remplacer le charbon coûtent, au maximum, 50 $ la tonne.
Chacun souhaite la prospérité des agriculteurs et, afin d'assurer cette prospérité, nous voudrions voir augmenter la demande. Cela dit, on peut également investir dans d'autres technologies qui contribuent à divers autres objectifs retenus par le gouvernement, tels que le biogaz qui permet de réduire les odeurs et la pollution liée au fumier, la production de granules à partir d'herbes cultivées sur des terres marginales afin de chauffer les serres et, partant, modérer l'augmentation des prix agricoles. Cela paraît tout à fait possible.
Notre première analyse de la situation au Canada portait sur les mesures d'incitation prises par le gouvernement et sur les coûts d'une atténuation des gaz à effet de serre. Ces coûts sont fonction de deux choses : la prime accordée pour chaque gigajoule produit et l'efficacité du moyen employé. L'éthanol de maïs permet de réduire les émissions de 21 p. 100. Les granules d'herbes entraînent une réduction de 90 p. 100 alors que l'énergie éolienne, elle, permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 98 p. 100.
Il nous faut améliorer nos connaissances au sujet des gaz à effet de serre et apprendre à mieux dépenser l'argent du contribuable. En fait, nos connaissances techniques sont plus avancées que nos politiques et il nous reste à définir les mesures qui permettraient de réduire de manière efficace les émissions de gaz à effet de serre. C'est bien pour cela que beaucoup de gens pensent qu'il faut fixer un prix aux émissions de CO2 et c'est d'ailleurs ce que prônent actuellement certains partis politiques.
D'après nous, il faut fixer à la production d'énergie renouvelable un prix. Décidons du prix du gigajoule et tentons d'établir une équivalence avec le carburant que l'on souhaite remplacer.
Si nous avons fixé à 4 $ le prix du gigajoule pour la chaleur verte et les biocarburants liquides, c'est parce que, c'est ce qui a le plus de valeur sur le marché. Le biogaz remplace le gaz naturel et a, par conséquent, une valeur moindre. Les granules d'herbe remplaceraient le charbon et le gaz naturel. C'est pour cela que nous avons prévu cet éventail de prix, le gigajoule étant coté à 2, 3 ou 4 $. Plutôt que de voir le gouvernement opter pour tel ou tel carburant de remplacement, il s'agit d'établir la parité entre le carburant de remplacement et le carburant remplacé.
Le sénateur Mitchell : Êtes-vous partisan de taxes sur les émissions de carbone?
M. Samson : Selon nous, c'est un bon moyen de réduire les émissions de gaz à effet de serre. C'est également un moyen de protéger l'industrie et de l'inciter à produire des énergies renouvelables. C'est un peu le système du bâton et de la carotte.
Le sénateur Mitchell : Eh puis, selon vous, les granules d'herbe permettent d'éviter le problème provenant d'une utilisation industrielle de terres agricoles puisque l'herbe nécessaire serait cultivée dans des zones qui ne sont pas vraiment propres à l'agriculture.
M. Samson : REAP-Canada a mis au point, pour les zones tempérées, le moyen le plus efficace d'utiliser les terres agricoles pour atténuer les émissions de gaz à effet de serre. En cultivant des herbes qui poussent à l'état naturel sur des terres médiocres, on parvient à améliorer sensiblement la prospérité des agriculteurs. Nous savons déjà comment, par un procédé bon marché, les transformer en granules combustibles. Nous savons déjà que pour la construction d'une usine à granule le coût en capital s'élève à 5 $ par gigajoule. Or, pour l'usine qu'on envisage de construire en Saskatchewan pour produire de l'éthanol à partir de déchets cellulosiques, le coût en capital est 50 fois plus élevé, soit 278 $ par gigajoule.
Le sénateur Mitchell : Monsieur Friesen, vous avez parlé des crédits-carbone. Il existe, pour ces crédits, un formidable marché. Un tel marché commence même à se constituer en Alberta en raison d'un début de mécanisme de plafond et d'échange de crédits instauré par le gouvernement provincial.
Est-il vrai, par exemple, que si nous instaurons un tel marché au Canada, les agriculteurs pourraient vendre à la fois des granules d'herbe et les crédits découlant de la baisse des émissions de gaz à effet de serre que permet leur utilisation?
M. Friesen : Je suis partisan de ce qui s'est fait en ce domaine. Je ne sais pas, au juste, si M. Samson faisait allusion à ce qui s'est fait au Québec, où le gouvernement offre une subvention aux agriculteurs qui constituent des zones tampons plus importantes que celles prévues dans le règlement applicable. Ces grandes zones tampons créent une passerelle entre le public et l'agriculteur puisque, dans ces zones entourant les lacs, les agriculteurs font pousser du panic raide qu'ils transforment en granules. Il s'agit d'un combustible de substitution qui donne droit à des crédits- carbone. Nous sommes favorables à ce qui nous permettrait d'accroître nos connaissances en ce domaine.
En ce qui concerne les crédits-carbone, vous avez raison. L'Alberta est en avance par rapport au reste du pays. Depuis longtemps, nous demandons qu'on instaure un tel système de crédits-carbone afin d'accroître le revenu des agriculteurs. Aux États-Unis, les organisations agricoles favorisent depuis un certain temps déjà l'échange de ces crédits dans l'intérêt des agriculteurs. Sur ce point, le Canada est, là encore, en retard.
Le sénateur Mitchell : Si vous prenez le prix des crédits-carbone actuellement vendus par les agriculteurs de l'Alberta — c'est-à-dire l'argent qui est donné aux agriculteurs pour qu'ils l'investissent dans leurs exploitations et soient mieux à même de subvenir aux besoins de leurs familles — nous pourrions, pour 1,5 ou 2 milliards de dollars par an, respecter les objectifs fixés dans l'accord de Kyoto.
Le gouvernement fédéral nous affirme que cela nous mènerait à la faillite. C'est faux. Au contraire, c'est tout à fait dans ce sens-là que nous devrions nous orienter.
Le président : M. Friesen s'est, sur ce point, exprimé très clairement. Il souhaite que le comité recommande au Sénat d'adopter sans tarder le projet de loi. Monsieur Samson, êtes-vous du même avis?
M. Samson : Il faudrait que le gouvernement canadien procède à une analyse approfondie de la durabilité des mesures proposées dans ce projet de loi. Le Sénat devrait présenter une demande en ce sens car je ne pense pas que vous disposiez actuellement des éléments d'information vous permettant de décider en pleine connaissance de cause.
J'ai pris part à une séance du comité de la Chambre des communes à l'occasion de laquelle, j'ai proposé que le gouvernement encourage également le recours à d'autres technologies. De telles mesures de soutien aideraient les agriculteurs à produire du biogaz et des granules d'herbe, contribuant ainsi aux objectifs fixés. Or, en ce qui concerne la réduction des émissions de gaz à effet de serre que procure l'emploi de telles technologies, nos connaissances sont plus avancées. Il nous faudra, par contre, approfondir notre analyse des incidences de telles techniques sur l'augmentation du prix des denrées alimentaires. Les chiffres dont j'ai fait état n'ont rien d'irréaliste et je pense, effectivement, qu'une augmentation de 5 à 10 p. 100 du prix des denrées alimentaires correspond à une augmentation globale de 40 à 80 milliards de dollars, Je n'ai pas à insister sur le fait que c'est considérable.
En ce qui concerne mon second point, je peux dire, en l'état actuel de nos connaissances, que l'éthanol de maïs permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 21 p. 100, les chiffres correspondant étant de 80 p. 100 pour le biogaz et de 90 p. 100 pour les granules d'herbe. En favorisant ces technologies-là, on accroît l'efficacité de nos investissements.
Au lieu, donc, de nous en tenir à cet ajout de 5 p. 100 et de 2 p. 100 d'éthanol, je pense qu'il conviendrait plutôt de procéder à de nouvelles études. Nous ne sommes pas en mesure, en l'état actuel de nos connaissances, de décider quelle est, en matière de développement durable, la meilleure politique. D'après moi, si vous voulez favoriser l'industrie des carburants liquides, et à condition que l'opinion vous suive, envisagez plutôt d'abaisser vos exigences et d'opter non pas pour 5 et 2 p. 100, mais pour 2 et 1 p. 100 respectivement. Vous pourrez toujours augmenter plus tard la proportion si la viabilité de cette politique est démontrée. En ce qui concerne la réduction des émissions de gaz à effet de serre, des solutions plus efficaces s'offrent au gouvernement, solutions qui favoriseraient les agriculteurs et qui feraient moins augmenter le prix des denrées alimentaires.
M. Friesen : Les membres de mon équipe m'en voudraient beaucoup s'ils m'entendaient invoquer une telle analogie car j'ai dû l'user jusqu'à la corde. Un jour, on a demandé à Wayne Gretzky comment il expliquait la qualité de son jeu. Il répondit qu'il avait appris à se trouver là où la rondelle allait arriver. On pourrait discuter de tout cela pendant encore cinq ou dix ans. En attendant que nous décidions de ce que nous souhaitons faire et que nous nous entendions sur les données objectives du problème, les autres pays seront déjà passés à l'étape suivante. Il nous faut agir sans attendre car nous avons pris déjà trop de retard. Faisons avancer nos connaissances scientifiques, comme nous y encourage M. Samson, et remplaçons le maïs et le canola par la biomasse. Faisons cela sans tarder et, en même temps, attachons-nous à améliorer nos connaissances. Sans cela, nous allons manquer toutes les occasions qui se présentent.
Le sénateur Spivak : M. Friesen, les témoins qui vous ont précédé, et dont vous ne partagez pas l'avis, estiment qu'en fait ce projet de loi est une subvention accordée aux producteurs. Il y en a un qui a touché 6 millions de dollars pour construire l'unité de production de Lloydminster. J'ai posé la même question à tous les témoins : des 2 milliards de dollars prévus, combien un agriculteur peut-il espérer toucher? Combien seront-ils à construire leurs propres unités de production?
M. Friesen : Disons, en premier lieu, que tant que le consommateur canadien verse aux compagnies de pétrole 150 $ par baril, je ne pense pas qu'il y ait lieu d'envisager des subventions. Deuxièmement, je crois savoir que les mesures d'incitation annoncées par le gouvernement doivent intervenir au niveau de la transformation. Nous avons évoqué la possibilité de mesures incitatives encourageant les producteurs à participer à la transformation. C'est ce qui a été fait aux États-Unis, où les primes étaient majorées lorsque les producteurs participaient à plus de 51 p. 100 au niveau de la transformation. Cela peut se faire de différentes manières. À l'heure actuelle, les primes d'incitation qui ont été annoncées sont des primes à la transformation. Les agriculteurs n'en perçoivent aucune part.
Le sénateur Spivak : C'est, en effet, un sérieux problème, comme on a pu d'ailleurs le voir tout à l'heure.
L'augmentation du prix des céréales est dans l'intérêt de tous et, bien sûr, dans celui des agriculteurs. Quel est votre avis sur ce point? Vous êtes-vous livré à des analyses prospectives afin de voir un peu comment, en matière de denrées alimentaires, la demande va peser sur les prix à la ferme au cours des cinq ou même des deux ou trois prochaines années? Si je vous pose la question, c'est parce qu'en Chine et en Inde les populations sont en train d'améliorer sensiblement leurs habitudes alimentaires.
M. Friesen : Tout cela est, en effet, très intéressant. Je disais tout à l'heure que nous avons assez de terres fertiles et de connaissances techniques pour à la fois produire des denrées alimentaires en quantités suffisantes et alimenter une industrie des biocarburants. L'actuelle flambée des prix des produits agricoles est due à la spéculation. L'augmentation de la demande a, certes, fait augmenter les prix, mais depuis plusieurs années la sécheresse en Australie a également contribué à ce phénomène. Dans deux ans, il est possible que nous nous demandions comment nous avons pu conclure à une pénurie alimentaire?
En outre, il faut bien comprendre ce qu'on entend par ce terme. C'est un peu comme si l'on ouvre la porte de son frigidaire et que l'on s'aperçoit qu'au lieu d'avoir des provisions pour une semaine, on n'en a que pour trois jours. Nous ne manquerons pas de denrées alimentaires mais il est vrai que cela fait très longtemps que nos axes de ravitaillement n'ont pas été, si l'on peut dire, aussi minces. Le rapport entre nos réserves et le taux de consommation a rarement été aussi bas mais, si tout s'arrange, la situation pourrait se retourner très rapidement.
Le sénateur Spivak : Pensez-vous que le prix des denrées alimentaires va demeurer élevé?
M. Friesen : Il y a deux aspects à cette situation. Au Canada, les prix alimentaires ont augmenté de 0.5 p. 100. En Europe, l'augmentation dépasse légèrement les 7 p. 100, contre 5 à 6 p. 100 aux États-Unis. Les prix alimentaires demeureront élevés tant que le prix des produits agricoles n'aura pas baissé.
Le sénateur Spivak : J'aimerais bien connaître votre point de vue, que vous pourriez peut-être me transmettre par écrit sur la question de savoir comment le prix des produits agricoles pourrait améliorer le revenu des agriculteurs sans affecter en sens inverse le revenu des autres catégories de la population. Il s'agit d'une question qui touche à l'avenir et sur laquelle il n'y a peut-être pas lieu de s'arrêter aujourd'hui.
Monsieur Samson, on a parlé ici de biomasse et de l'importance qu'elle revêt pour nos terres agricoles. On a parlé aussi de drêche et d'antibiotiques. Cela fait-il partie des recherches que vous avez menées sur la biomasse?
M. Samson : Je me suis, avec d'autres chercheurs, penché sur la quantité de paille que l'on peut soustraire des champs et sur la question de savoir si cela pourrait se faire durablement. Nous avons constaté que l'incidence est modeste au niveau de l'érosion des sols et de leur appauvrissement à long terme. Dans l'Ouest du Canada, nous pouvons en prélever des quantités modestes. Je veux dire par là deux à trois millions de tonnes par an. Il y a, cependant, un problème du fait qu'une année sur dix nous récoltons de la paille courte. Les producteurs de semence sont constamment en train de découvrir d'autres variétés de paille demi-naine afin d'augmenter le rendement des récoltes. Ainsi, la quantité de matière première que nous pouvons prélever est en diminution constante.
Une unité de production d'éthanol cellulosique consomme de 500 à 600 000 tonnes de biomasse et l'approvisionnement en matière de base exige un aller-retour de 400 kilomètres. Or, si, à la place, vous construisez une usine à granules ou à briquettes, vous pouvez vous approvisionner à 60 kilomètres. Il y a donc une très forte différence au niveau de l'énergie consommée par une petite unité de production de biogaz ou de granules.
J'ai, en 1991, rédigé des études sur l'éthanol cellulosique et j'avais présenté au Comité permanent de l'agriculture de la Chambre des communes un mémoire prônant l'emploi de cet éthanol pour atténuer les émissions de gaz à effet de serre. Vous retrouverez cela dans le compte rendu des délibérations du comité. Je ne pense pas que les cellulosiques permettent d'atténuer sensiblement les émissions de gaz à effet de serre. En 1991, des chercheurs, dans un article publié dans le American Journal of Science, avaient calculé que de là à l'an 2000, l'éthanol cellulosique pourrait être commercialisé au même prix que l'essence. Or, nous sommes actuellement en 2008, le prix de gros occasionnel de l'essence est de 3 $ le gallon et l'éthanol cellulosique n'est pas prêt à être commercialisé. La seule usine commerciale qui fonctionne actuellement est située dans le Nord et elle est affectée à la production d'alcool méthylique à usage médical. L'éthanol cellulosique n'a pas dépassé l'étape de la recherche.
Le sénateur Spivak : L'entreprise en question est la Iogen Corporation.
M. Samson : Oui, et il y a, aux États-Unis, dix ou 12 entreprises qui souhaitent se lancer dans ce type de production, mais il n'en a qu'une actuellement qui opère commercialement. Il y a, dans le monde, 442 usines fabriquant, à une échelle commerciale, des granules. Aucun problème ne se pose au niveau de la recherche. Nous souhaiterions, bien sûr, voir augmenter les crédits de recherche, mais je peux dire que, d'une manière générale, les techniques sont au point. Nous savons comment cultiver les herbes, les transformer en granules et les employer comme combustible.
Le problème se situe, plutôt, au niveau des politiques publiques. En effet, nous n'avons pas l'infrastructure permettant de mettre en place des politiques assurant la compétitivité de notre industrie. Notre concurrent est, lui, subventionné, alors que, nous, nous ne le sommes pas.
Tout cela est assez frustrant pour moi étant donné que je travaille sur ce dossier depuis 18 ans. Je sais que c'est le meilleur moyen d'améliorer la condition des agriculteurs et de l'environnement mais, malgré tout, ni le gouvernement fédéral, ni même certaines provinces n'ont mis en place les mesures incitatives nécessaires. Je comprends fort bien ce que vous ressentez.
Le sénateur Spivak : Pourriez-vous nous dire quelque chose de la drêche?
M. Samson : Je n'ai pas, en chimie, les connaissances qui me permettraient de le faire.
M. Friesen : Les éleveurs de bovins utilisent déjà les sous-produits de l'éthanol. Cela convient moins bien à l'alimentation des porcs. Là, on ne peut l'employer que dans une certaine proportion, mais pour l'élevage bovin, il ne se pose aucun problème.
Le sénateur Spivak : C'est vrai, mais il y a tout de même ce problème de la présence d'antibiotiques dans la drêche. C'est ce qu'on nous a dit ce matin.
M. Friesen : D'antibiotiques?
Le sénateur Spivak : Oui, on utilise beaucoup d'antibiotiques pour éviter les complications.
M. Friesen : Je ne pense pas, à ce que je sache, qu'il y ait à augmenter la quantité d'antibiotiques, si ce n'est pour éviter les infections bactériennes dans un troupeau.
Le sénateur Spivak : Cela favorise le développement de nouvelles variétés de bactéries particulièrement résistantes aux antibiotiques.
M. Friesen : Je ne vois pas le rapport avec l'éthanol.
Le sénateur Spivak : C'en est un sous-produit.
M. Samson : J'ai travaillé un peu dans le secteur de l'alimentation animale. Les quantités d'antibiotiques employées sont faibles. Idéalement, on n'en ajouterait pas du tout car cela peut provoquer une résistance chez les êtres humains.
M. Friesen : On n'utilise pas les antibiotiques dans la culture du maïs. On les utilise parfois à titre préventif, et parfois à titre thérapeutique. Ce n'est pas le maïs de distillerie qui expose les animaux à de plus fortes doses d'antibiotiques, car les antibiotiques ne sont pas employés dans la culture du maïs.
Vous disiez que cela n'avait aucune incidence sur le prix des aliments et notamment sur leur augmentation, mais cela ne me semble pas exact.
Le sénateur Spivak : Je n'ai pas dit que cela n'avait aucune incidence.
M. Friesen : C'est pourquoi je souhaiterais répondre sur ce point. La question est intéressante car on a reproché aux producteurs d'éthanol l'augmentation du prix des aliments et, plus particulièrement, l'augmentation du prix du pain. Je tiens à préciser que lorsque le prix du blé double et passe de 5 à 10 $ le boisseau, cela n'entraîne qu'une augmentation de 10 cents du prix d'un pain, ce qui n'est pas grand-chose. Une grande boulangerie avait déclaré aux journaux que l'augmentation du prix du blé à la ferme allait l'obliger d'augmenter de 40 cents le prix de ses pains, mais cela n'est pas exact. Je dis bien que le doublement du prix du blé n'entraîne qu'une augmentation de 10 cents dans le prix d'un pain.
Le sénateur Spivak : Je m'intéressais moins au prix payé par le consommateur qu'à la question de savoir si l'augmentation du prix des produits agricoles aurait pour effet d'accroître la part revenant à l'agriculteur, c'est-à-dire au producteur. Comment faire en sorte qu'il en soit ainsi.
Le sénateur McCoy : Monsieur Friesen, j'ai quelques difficultés à me faire une idée claire de la manière dont tout cela fonctionne. La Bibliothèque du Parlement nous a fait parvenir des renseignements concernant les surfaces qui seront consacrées à la culture du maïs, du blé et du canola pour fabriquer de l'éthanol et du biodiésel en quantité suffisante pour répondre aux nouvelles normes en matière de carburant renouvelable.
Je ne sais pas si vous avez pris connaissance de ces données. J'ai un peu de mal à en comprendre la signification. Cela veut-il dire que si nous récoltons 4,6 mégatonnes de maïs au Canada en 2010, cela va devoir se faire en quelque sorte au détriment de nos autres récoltes? Est-ce une conclusion qui s'impose?
M. Friesen : Depuis l'augmentation du prix des produits agricoles, les agriculteurs se sont mis à labourer des champs qui, avant, n'étaient pas rentables. L'augmentation du prix des produits agricoles a entraîné un accroissement des terres mises en culture.
Je crois pouvoir dire qu'actuellement 11 p. 100 de nos récoltes de maïs est consacré à la production d'éthanol. Si nous augmentons notre production de biocarburants, il est clair que cela entraînera une augmentation des surfaces consacrées au maïs.
N'oublions pas non plus que nos provinces de l'Ouest exportent environ 80 p. 100 de leur production de céréales et d'oléagineux. Nous pourrions donc consacrer aux besoins de notre industrie de gros volumes qui, actuellement, sont exportés.
Le sénateur McCoy : Mais, il y a d'un côté la théorie et, de l'autre, la réalité. Est-ce un fait ou un mythe qu'au Canada, au cours des cinq ou dix prochaines années, on peut dire qu'une augmentation de la production de blé, de maïs et de canola serait une mauvaise chose? Je n'ai connaissance d'aucune analyse concluante sur ce point. Ainsi que vous le disiez, cela pourrait effectivement faire augmenter nos récoltes de maïs. Nous pourrions mettre en culture des terres qui ne sont, pour l'instant, pas utilisées et augmenter ainsi notre production. Y aurait-il à cela un inconvénient?
M. Friesen : Non. Nous n'y voyons aucun inconvénient.
Le sénateur McCoy : Nous ne disposons d'aucune analyse sur ce point. Nous ne possédons pour l'instant que certains éléments du problème, mais aucune analyse de ce qu'il nous faudrait faire et des incidences de ce que nous ferions.
M. Friesen : Ce que vous voudriez connaître, c'est le pourcentage de nos terres arables qu'il faudrait consacrer à la production de biocarburants.
Le sénateur McCoy : Mais aussi, quelles seraient les conséquences d'une telle utilisation de nos terres. L'augmentation du volume de biocarburants entraînera-t-il une baisse de la quantité de nos denrées alimentaires? Voilà la question. En sera-t-il ainsi? C'est ce que j'aimerais savoir et, pour l'instant, personne n'a donné de réponse.
Vous excuserez mon ignorance sur ce point. L'industrie de l'élevage fait-elle partie de la Fédération canadienne de l'agriculture?
M. Friesen : Le Conseil canadien du porc en fait partie.
Le sénateur McCoy : Et quelle est sa position à cet égard?
M. Friesen : Ses membres estiment que les producteurs de céréales et d'oléagineux devraient profiter des occasions qui se présentent. Ils estiment simplement que les mesures d'incitation qui pourraient être décrétées en faveur des producteurs de maïs, d'autres céréales ou d'oléagineux consacrées à la production de biocarburant ne doivent entraîner aucune augmentation du prix des aliments pour bétail. Les mesures prises aux États-Unis n'ont pas eu pour effet de faire augmenter ces prix. Les subventions ont été accordées à l'ensemble de la production agricole, et n'a donc entraîné aucune différence entre le prix payé par les éleveurs de bétail et le prix payé par les producteurs d'éthanol. Autrement dit, d'après les membres de la FCA, si l'on entend accorder une prime à la production de maïs, il ne faut pas la verser uniquement aux producteurs qui destinent leurs récoltes à l'industrie de l'éthanol.
Le président : Je ne comprends pas très bien la préoccupation dont a fait état le sénateur Spivak au sujet des antibiotiques dans les aliments pour bétail. Pourquoi n'y aurait-il pas de problème à cet égard si l'on nourrit le bétail avec de la drêche contenant des antibiotiques? Comment serait-ce possible que cela ne se retrouve pas dans la viande?
M. Friesen : Je ne connais pas le procédé scientifique au moyen duquel on produit de l'éthanol à partir de maïs, mais je n'ai jamais entendu parler d'antibiotiques dans le maïs.
Le président : Quelqu'un expliquait ce matin que, dans la production d'éthanol, on a recours aux antibiotiques afin de contrôler les bactéries. C'est pour cela que la drêche de distillerie, sous-produit de l'éthanol, qui sert normalement d'aliment pour bétail, contient des antibiotiques. On nous a dit que cela pouvait poser un problème.
M. Friesen : Si c'est vrai, la solution est évidente et il faut simplement arrêter.
Le président : Arrêter quoi?
M. Friesen : Arrêtez de donner cet aliment au bétail un certain nombre de jours avant leur expédition. C'est ce que les éleveurs font actuellement lorsqu'ils utilisent des antibiotiques soit à des fins thérapeutiques, soit à des fins de prévention. Ils arrêtent les antibiotiques un certain nombre de jours avant d'expédier les animaux et les bêtes font l'objet d'une inspection rigoureuse afin, justement, de s'assurer que les viandes musculaires ne contiennent pas de traces d'antibiotiques lorsque la bête passe à la consommation. Il y a donc moyen de régler le problème.
Le président : L'Agence canadienne d'inspection des aliments y veille sans doute déjà.
M. Friesen : C'est possible.
Le sénateur Munson : Je vous remercie. Il se fait tard et demain, nous allons devoir nous prononcer sur ce projet de loi. Je ne vois pas très bien qui défend les intérêts des agriculteurs. Ce matin, des représentants du Syndicat national des cultivateurs ont vigoureusement fait valoir qu'en leur imposant l'emploi d'un carburant contenant 5 p. 100 d'éthanol, on ne va qu'aggraver la crise mondiale de l'alimentation sans améliorer l'environnement ou la situation des agriculteurs.
Cet après-midi, vous défendez vigoureusement une autre thèse : agissons sans tarder. Nous avons pris du retard et il faut le rattraper.
Il y a donc ce double message qui émane des agriculteurs canadiens.
M. Friesen : Je ne suis pas ici pour m'opposer à d'autres organisations agricoles. Je peux simplement vous dire qui sont les membres de notre organisation, et combien ils sont. Après cela, c'est à vous de décider.
Le sénateur Munson : Mais, à supposer que nous options effectivement pour des amendements, c'est-à-dire en ne recommandant pas immédiatement l'adoption du projet de loi, comme certains, dont vous, voudraient que nous le fassions, et de poursuivre notre examen jusqu'en octobre, entendant d'autres témoins et, peut-être, procédant à un débat plus approfondi de la question. Que se passerait-il alors? Selon vous, allons-nous prendre encore davantage de retard et perdre toute chance d'affronter la concurrence internationale?
M. Friesen : Il est clair que cela retarderait ce que nous devrions faire pour saisir les autres occasions qui s'offrent au secteur agricole, mais permettez-moi de vous poser la question suivante : pensez-vous que l'adoption de ce projet de loi fera obstacle aux mesures prônées notamment par M. Samson, c'est-à-dire l'approfondissement des travaux de recherche, le suivi de la situation au sein du secteur et l'amélioration constante de nos techniques, y compris de nos connaissances scientifiques?
D'après nous, tout cela est nécessaire, mais nous estimons qu'un retard dans l'adoption des dispositions concernant la teneur en éthanol, n'aura en fait aucun effet. Le public attend une telle mesure, et en pratique, cela se fait déjà en pratique ici et la chose est courante dans de nombreux autres pays. D'après nous, il s'agit d'un moyen proactif de saisir une occasion qui se présente. Cela dit, nous allons continuer en même temps à améliorer nos connaissances scientifiques, à réduire l'empreinte carbone et les émissions de gaz à effet de serre.
Le sénateur Munson : Je siège au Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Si je me trouve ici aujourd'hui, c'est en tant que remplaçant d'un autre sénateur. Au Comité des droits de la personne, nous avons recueilli de nombreux arguments concernant le droit à l'alimentation et, ici, vous semblez défendre un droit au carburant.
Je dois dire que l'actualité internationale m'inspire de grandes inquiétudes, notamment lorsque j'entends parler de tous ces pays qui souffrent d'une pénurie alimentaire. Nous sommes ici à débattre du droit au carburant et du droit qu'ont nos agriculteurs d'améliorer leurs revenus. Rien de cela ne me gêne, mais je crains tout de même que les mesures envisagées aggravent le sort des personnes les plus pauvres. D'après moi, cela pourrait même entraîner des risques sécuritaires. Nous vivons au sein d'une société mondiale et nous ne pouvons pas nous retrancher derrière nos frontières, nous contentant de gagner de l'argent et d'améliorer nos bénéfices.
Que pensez-vous de tout cela dans l'optique les droits de la personne, notamment des droits de ceux qui comptent sur le Canada pour leur alimentation. Comment équilibrer ce droit à l'alimentation et le droit qu'ont nos agriculteurs de produire du carburant?
M. Friesen : Je ne pense pas que l'un exclut l'autre. Et puis, je pense que les membres de la FCA vous diront que rien de cela n'augmente notre droit au du carburant. Au contraire, ce que nous voulons, c'est réduire notre utilisation de combustible non renouvelable et de le remplacer en partie par un autre type de carburant.
En ce qui concerne l'augmentation des prix alimentaires, je ne pense pas, là non plus, qu'on ait à choisir entre la nourriture et le carburant. Nous avons les moyens de répondre à ces deux besoins. Il est naturellement inacceptable que des personnes n'aient pas les moyens de se nourrir. Cela ne fait aucun doute, mais j'estime que la manière de régler le problème n'est certainement pas d'en rejeter la responsabilité sur les cultivateurs qui cherchent simplement à diversifier leurs sources de revenu, ou de prétendre que les agriculteurs ne peuvent améliorer leur revenu qu'au détriment de l'alimentation de la population et qu'il va falloir choisir entre les deux. Je ne pense pas qu'un pareil choix s'impose. Nous estimons que les agriculteurs peuvent avoir un revenu décent et en même temps faire en sorte que les denrées agricoles restent à la portée de la population et éviter toute pénurie alimentaire.
À chaque fois que nous participons à une réunion de la FIPA, nous rencontrons des gens, du Zimbabwe par exemple, qui nous racontent avec désolation comment il fut un temps où leur pays était un grand exportateur de produits agricoles. Or, aujourd'hui, en matière agricole, ce pays est un pays importateur net et sa population est affamée. Il est possible de faire en sorte que les gens aient suffisamment à manger et que les denrées alimentaires demeurent abordables.
Le sénateur Munson : Un jour, M. Mugabe devra répondre de tout cela.
Monsieur Samson, que pensez-vous de cette question des droits?
M. Samson : D'après moi, il ne s'agit pas de choisir entre l'alimentation et le carburant mais, plutôt, de voir quel est le meilleur moyen d'utiliser nos terres agricoles afin de satisfaire les besoins d'une société mondiale. Dans la mesure où nous investissons, dans les pays en développement, dans la recherche et le développement afin d'améliorer leur sécurité alimentaire, je pense que nous devrions pouvoir en faire autant ici. Il est infiniment regrettable que l'ACDI se soit désintéressée de l'agriculture, et je pense que le Sénat devrait recommander une augmentation des crédits destinés à la recherche et au développement agricoles. Comme M. Friesen, je suis convaincu que la prospérité des agriculteurs des pays en développement contribuera à l'amélioration de la situation économique dans ces pays.
Dans tous les pays, nous œuvrons en faveur des agriculteurs, mais nous désavantageons les pauvres en zone urbaine qui subissent le contrecoup de l'utilisation de denrées alimentaires pour produire du carburant. En effet, dans ces pays, ce ne sont pas des aliments transformés qu'ils mangent, comme des flocons de maïs ou d'avoine, mais le maïs ou le blé lui-même. C'est pour cela que la flambée des denrées alimentaires a, dans des pays comme le Sri Lanka, des effets beaucoup plus graves qu'au Canada. Nous nous nourrissons ici d'aliments transformés alors que les populations de ces pays mangent des aliments n'ayant subi aucune transformation.
Dans l'Afrique subsaharienne, les populations consacrent environ 60 p. 100 de leur budget à l'alimentation, alors que nous, nous n'y consacrons que 10 p. 100. Au Canada, les ménages les plus démunis dépensent 15 p. 100 de leur revenu pour s'alimenter. Si donc, nous provoquons une augmentation des prix alimentaires, ce sera très grave pour la vie des ménages. J'ai eu l'occasion de travailler dans des pays en développement et passer six mois par an dans des zones rurales aux Philippines. Je sais ce qu'est la sécurité alimentaire. J'ai vu des enfants affamés et, dans certains villages, la taille des gens ne dépasse pas cinq pieds car, depuis de nombreuses années, ils ne parviennent pas à s'alimenter correctement.
Si, donc, nous entendons utiliser des denrées alimentaires pour produire du carburant, il faut être conscient des répercussions internationales que cela peut avoir. Des chercheurs comme moi, ou d'autres spécialistes de la phytotechnique sont contre l'utilisation de denrées alimentaires pour produire du carburant car, du point de vue énergétique, ça n'a aucun sens et, en plus, étant donné les répercussions sur des plans entiers de la population mondiale, c'est très mauvais du point de vue de la politique étrangère du pays.
Pourquoi envisageons-nous d'adopter de telles mesures incitatives? Vous avez vu les données dont j'ai fait état. D'autres chercheurs sont, sur ce point, du même avis que moi. Au lieu d'investir dans des techniques à forte conversion, nous allons, au contraire, favoriser des techniques à faible rendement. Les partisans du projet de loi C-33 sont décidés à investir dans ces diverses techniques des sommes qui devraient, au contraire, être consacrées à des techniques plus efficaces. Après 18 ans de recherches, il est tragique de constater que, bien que nous ayons su développer les techniques les plus efficaces de tous les pays tempérés, nous restons, du point de vue des subventions fédérales, le parent pauvre.
Le sénateur Milne : Monsieur Friesen, lorsque, déjà au sujet de ce projet de loi, vous avez témoigné devant le comité de la Chambre des communes, vous avez soutenu qu'en remplissant le mandat qui leur est confié dans le cadre de ce projet de loi, nos agriculteurs vont contribuer notablement à l'environnement. Pourtant, tout ce que nous avons entendu aujourd'hui, y compris de la part de M. Samson, va dans le sens contraire. Aujourd'hui, on nous dit de retarder l'adoption du projet de loi et peut-être de l'amender. Que faire?
M. Friesen : Les données objectives démontrent que, du point de vue énergétique, il est plus efficace de produire de l'éthanol que de l'essence. Le rapport énergétique est de 1 à 1,23 en faveur de l'éthanol.
Avec d'autres chiffres, on obtient un rapport de 1 à 1,36. Donc, même là, la science démontre un léger avantage. Selon le mode de calcul, le rapport pourrait être plus important mais, même dans l'hypothèse la moins favorable, l'éthanol présente un avantage qui, d'ailleurs, ira croissant. Que ce soit du point de vue du rendement, d'une meilleure utilisation des engrais ou d'autres modes de production, et notamment le recours à la biomasse, il n'y a aucune limite aux améliorations que nous pouvons apporter à nos procédés mais l'éthanol présente, dès aujourd'hui, un avantage.
Le sénateur Milne : C'est, d'après moi, déjà un avantage que les unités de production de l'éthanol puissent être situées plus près des installations de mélange car cela permettra une meilleure répartition géographique des sites de production. Selon M. Samson, en Ontario, on pourrait produire de l'éthanol à partir de panic raide. Qu'emploierait-on à Terre-Neuve?
M. Samson : Chaque région du pays a ses avantages, mais Terre-Neuve n'est, à cet égard, pas très bien placée pour produire de l'éthanol, étant donné qu'elle ne dispose pas d'une source de biomasse bon marché. À Terre-Neuve, ce serait plutôt la fabrication de granules de bois. On devrait y encourager la production de granule de bois comme substitut de l'huile de chauffage. Ce serait, dans cette province, le meilleur moyen de réduire les émissions de gaz à effet de serre en remplaçant le pétrole.
Comme le démontrent les chiffres dont j'ai fait état, l'éthanol de maïs produit 1,25 fois plus d'énergie que les combustibles fossiles. Je m'empresse de préciser que le gaz, lui, en produit cinq à huit fois plus, alors que les granules de panic raide permettent d'obtenir quatre fois plus d'énergie. Si c'était une course de chevaux, je dirais que le gouvernement fédéral est en train de parier sur un âne. C'est l'argument que j'utilise lors de nos réunions, et les agriculteurs voient tout de suite ce que je veux dire.
Notre site web enregistre actuellement de très nombreuses demandes car les gens commencent à parler de cela et se rendent compte qu'on dispose déjà de techniques assurant un bon rendement. Aux États-Unis, l'industrie de l'éthanol de maïs est en train de s'effondrer et les investissements s'amenuisent. Les investisseurs, en effet, sont à la recherche de meilleurs placements. Ils consultent notre site Internet et celui d'autres organisations afin de se mettre au courant des nouvelles possibilités.
Le sénateur Milne : Sommes-nous prêts à équiper chaque maison qui, aujourd'hui, est chauffée au charbon, au gaz ou à l'huile, d'une fournaise alimentée par des granules? Pourrait-on bientôt remplacer le Nanticoke par des granules de panic raide?
M. Samson : Il y a actuellement, dans le monde entier, 442 usines qui fabriquent des granules destinées au chauffage.
Le sénateur Milne : Combien y en a-t-il au Canada?
M. Samson : Au Canada, il y en a à peu près 25, mais je ne suis pas certain du chiffre exact.
Le sénateur Milne : Elles se trouvent sans doute en Colombie-Britannique.
M. Samson : Oui, mais il y en a aussi au Québec. En ce qui concerne les chaudières à granules, la Suède par exemple, en a déjà 70 000 d'installées, l'Allemagne aussi. Il s'agit d'équipements relativement simples qui peuvent assez facilement être mis à échelle. Cela conviendrait parfaitement à l'Ontario.
Le sénateur Milne : Les chaudières servent à chauffer l'eau, ce qui veut dire qu'il faudrait entièrement transformer l'installation de la maison.
M. Samson : Nous commençons par chauffer des serres. Il y a deux ans, nous avons commencé à chauffer des serres à l'aide de résidus agricoles concassés agglomérés en granules car, à l'époque, les aliments pour bétail étaient bon marché. Pour chauffer ces serres, on est passé du gaz naturel aux granules agricoles, puis au charbon américain après la baisse du dollar américain. Le prix du charbon a baissé et le prix des aliments pour bétail a augmenté et donc on ne pouvait plus vraiment utiliser les résidus agricoles concassés. Si on nous accordait des primes incitatives, on pourrait facilement cesser d'utiliser, dans les serres du sud de l'Ontario, le charbon. En l'absence de règles les décourageant de le faire, les agriculteurs de l'Ontario vont, pour chauffeur leurs serres, passer du gaz naturel au charbon.
Le sénateur Milne : Monsieur Friesen, quelle est l'étendue des terres sur lesquelles nous pourrions, au Canada, planter du maïs? La culture du maïs se fait actuellement surtout dans le sud de l'Ontario et dans le sud du Québec et, sur la plupart des terres qui s'y prêtent, on fait déjà pousser du maïs.
Quelle est l'étendue des terres sur lesquelles nous pourrions commencer à planter du maïs?
M. Friesen : À une certaine époque, on cultivait pas mal de maïs au Manitoba, aux environs de ma ferme, mais c'est devenu rare. Nous pourrions en faire pousser davantage.
Le sénateur Milne : On peut donc faire pousser du maïs également dans le sud du Manitoba? Je n'en ai jamais vu dans cette région.
M. Friesen : Plus précisément, dans le sud-ouest du Manitoba.
Le sénateur McCoy : Il y a de vastes terres dans le sud de l'Alberta.
Le sénateur Milne : Et, en outre, des betteraves à sucre.
Le président : On fait pousser beaucoup de maïs en l'Alberta, mais c'est au détriment de quoi? Quels sont les autres végétaux que vous ne cultivez pas?
M. Friesen : Il y a également la culture du canola destiné à être transformé en biocarburant, une activité très rentable.
Le sénateur Cochrane : J'ai les mêmes préoccupations que le sénateur Munson, c'est-à-dire que je m'attache à l'aspect humain du problème. J'aimerais que vous nous disiez, tous les deux, si vous partagez nos préoccupations à ce sujet. Ce matin, quelqu'un a affirmé que si ce projet de loi est adopté et si nous continuons sur la même voie, nous risquons de doubler l'incidence de la bactérie E. coli dans notre agriculture. Au risque d'aboutir à de la viande contaminée avec tous les risques que cela représente pour la santé des êtres humains.
Cet aspect de la question a été évoqué ce matin. Êtes-vous d'accord sur ce point? On ne peut pas faire abstraction de l'aspect humain du problème.
M. Samson : Je pense, en ce qui me concerne, que le plus grand risque pour la santé des populations provient de la malnutrition. Nous savons qu'il y a actuellement, dans le monde, 100 millions de plus de personnes que l'année dernière souffrant de malnutrition. Selon la FAO, il faudrait 30 milliards de dollars pour les nourrir. D'où va venir l'argent? Ajoutons que si le prix des denrées alimentaires continue de grimper, bon nombre de personnes se trouvant déjà dans la précarité n'auront plus les moyens de s'alimenter. Sur le plan humain, le prix à payer est très grand pour le faible avantage environnemental qu'on escompte.
L'augmentation du prix des denrées agricoles joue en faveur des agriculteurs canadiens. Il nous faut, bien sûr, continuer à favoriser cette amélioration de la situation économique de nos agriculteurs mais, en même temps, parvenir à atténuer les incidences négatives de cette nouvelle prospérité. Pour cela, il nous faut, pour assurer le développement de notre industrie de la bioénergie, faire pousser des cultures autres que vivrières sur des terres relativement médiocres afin d'ajouter de la valeur à notre secteur agricole sans effectuer de gros prélèvements sur les ressources alimentaires du monde.
Actuellement, le Canada importe des États-Unis 1,5 million de tonnes de maïs. Si cette année, les États-Unis ont une mauvaise récolte, nous ferons en fait concurrence aux populations les plus pauvres qui s'alimenteraient avec le maïs que nous allons transformer en carburant. Pour le contribuable ontarien, cela donne, compte tenu des primes fédérales et des primes provinciales accordées aux producteurs d'éthanol, une subvention de 16,7 cents le litre, soit environ 64 $ la tonne de maïs. On accorde à l'entreprise une subvention l'encourageant à acheter du maïs. En l'occurrence, le contribuable lui verse 64 $ pour chaque tonne de maïs qu'il se procure aux États-Unis, en concurrence avec les populations les plus pauvres. Cela ne paraît pas normal.
M. Friesen : Je connais quelqu'un qui utilise toute la drêche, le sous-produit de la fabrication d'éthanol, pour nourrir le bétail dans les parcs d'engraissement. Je n'ai jamais entendu dire qu'il y ait eu de problèmes d'E. coli ou d'infections bactériennes. Il y a en effet des moyens de les éviter. Je n'ai jamais entendu dire qu'il ait constaté une augmentation de cette bactérie. En ce qui concerne la résistance antimicrobienne, les experts de tous les pays du monde s'accorderaient pour dire qu'elle est due à un mauvais usage des produits pharmaceutiques destinés aux êtres humains et non pas à l'élevage.
D'après nous, la faim dans le monde n'a rien à voir avec la production de carburant. D'abord, la plupart du maïs consommé par des êtres humains à l'état naturel est du maïs blanc et non du maïs jaune. Cela n'empêche pas, certes, les prix d'augmenter, mais le choix n'est pas entre l'alimentation humaine et la prospérité des agriculteurs. Ces deux choses ne s'excluent nullement. Il est tout à fait inacceptable qu'il y ait, dans le monde, des gens qui ne peuvent pas se payer de quoi manger, mais, d'après nous, l'adoption de ce projet de loi va simplement permettre aux agriculteurs canadiens de bénéficier des diverses occasions qui se présentent à eux, mais pas au détriment de l'alimentation.
Le sénateur Spivak : Monsieur Friesen, savez-vous, comparé au Canada, quel est le nombre de personnes qui, aux États-Unis, ont souffert d'un empoisonnement alimentaire? Je ne parle pas seulement de la bactérie E. coli, mais également de ces bactéries super résistantes qui se développent en raison d'un emploi excessif d'antibiotiques, non seulement pour les êtres humains, mais également pour les animaux. Ce n'est peut-être pas la cause unique du phénomène, mais je ne vois pas pourquoi il faudrait y contribuer.
M. Friesen : J'ai assisté à une réunion de l'Organisation mondiale de la santé consacrée à la résistance antimicrobienne. Les gens semblent généralement d'accord pour dire que cette résistance est davantage due à un mauvais usage des médicaments prescrits aux êtres humains qu'à leur emploi en élevage.
Au Canada, une réglementation sévère interdit d'affecter à l'alimentation du bétail chez qui l'on trouve des restes d'antibiotiques. Les inspections sont très rigoureuses. Je dois dire qu'en ce qui concerne cela, les pays étrangers vers lesquels nous exportons du bœuf et du porc sont encore plus sévères que nous, et nous ne pouvons pas nous permettre le moindre écart.
Le sénateur Spivak : J'aimerais bien voir des travaux de recherche portant sur cette question. Les études que j'ai consultées démontrent plutôt le contraire. Si vous avez des informations à cet égard, je vous prierais de me les faire parvenir.
Le président : Demandez-vous à M. Friesen de nous obtenir les données dont il a fait état?
Le sénateur Spivak : Oui, je voudrais qu'il nous les transmette.
Le président : Est-il juste de lui demander cela?
M. Friesen : Vous voulez dire les résultats d'inspections des animaux de boucherie afin de déceler des restes d'antibiotiques, ou des études sur la résistance antimicrobienne?
Le sénateur Spivak : Toute étude que vous pourriez obtenir nous serait utile.
Le président : Monsieur Friesen, pourriez-vous les transmettre à notre greffier? Je vous en remercie.
Le sénateur Brown : Monsieur Friesen, avez-vous lu le texte du projet de loi C-33?
M. Friesen : Pas récemment, non.
Le sénateur Brown : L'avez-vous lu dans sa version initiale?
M. Friesen : Il y a pas mal de temps, oui.
Le sénateur Brown : Y avez-vous repéré les dispositions restreignant les quantités de matières agricoles de base pouvant être transformées en biocarburants? J'ai moi-même pris connaissance des diverses dispositions du projet de loi.
M. Friesen : Non, nous n'avons rien relevé qui limite ce qui peut être affecté à la production d'éthanol ou de biocarburants. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai dit tout à l'heure que l'adoption de ce projet de loi ne nous interdira aucunement de poursuivre nos recherches.
Le sénateur Brown : Nous insistons surtout, aujourd'hui, sur le maïs. En Alberta, tout le maïs que nous produisons — et les récoltes du sud-est de l'Alberta sont considérables — sert à l'alimentation de la population. C'est du maïs doux qui sert à l'alimentation humaine et non pas à l'alimentation du bétail ou à la production de biocarburants.
Si le prix du pétrole continue à augmenter, qu'est-ce qui va se passer au niveau des prix alimentaires? Selon certains, le pétrole pourrait atteindre plus de 150 $ le baril, et d'autres retiennent un scénario catastrophique, où le pétrole grimpe jusqu'à 200 $ le baril. Quelle serait l'incidence de cela sur nos agriculteurs et sur leur capacité de production alimentaire?
M. Friesen : Tout d'abord, on a constaté une flambée du prix des engrais et des carburants, deux facteurs de production qui comptent pour plus de 50 p. 100 des coûts des producteurs de céréales et d'oléagineux. Le printemps dernier, les agriculteurs ont dû investir trois fois plus qu'il y a un an et il leur faut donc, naturellement, de prix agricoles plus élevés et de bons rendements.
La production d'éthanol aux États-Unis a contribué à l'augmentation du prix du maïs, mais ce n'est pas le seul facteur. En effet, le prix du pétrole, les sécheresses qui ont frappé certaines régions du monde et la spéculation sur le marché des matières premières ont beaucoup contribué à cette augmentation des prix.
Le sénateur Brown : Le renseignement chiffré le plus intéressant que vous nous ayez cité aujourd'hui est que, pour produire 1 BTU d'énergie, il faut 1,23 BTU d'énergie fossile. Est-ce exact?
M. Friesen : Oui, selon les données dont nous disposons.
Le sénateur Brown : Diverses universités semblent s'opposer sur ce point car, selon une étude de l'Université de Chicago, et du département américain de l'Énergie, il faut 0,7 BTU de biocarburants pour produire 1 BTU d'énergie. Il y a, entre les deux chiffres, une différence sensible.
M. Friesen : C'est aussi l'étude selon laquelle il faut 1,23 BTU d'énergie fossile pour produire 1 BTU d'énergie.
Le sénateur Brown : D'après moi, la question n'est pas de savoir si les agriculteurs ont droit au carburant, mais s'ils ont le droit de produire, de manière rentable, davantage de denrées alimentaires. On ne peut pas s'attendre à ce que les agriculteurs continuent à produire des denrées s'ils ne peuvent pas le faire de manière rentable en raison de la flambée des prix des facteurs de production. Ne serait-il pas exact de dire que la production de biocarburants est un bon moyen d'augmenter le volume de carburant disponible et, par conséquent, d'exercer tout de même une certaine pression au niveau du marché qui dépend de l'offre et de la demande, et parvenir en fin de course à faire baisser le prix? En utilisant le panic raide et les diverses autres sources de biocarburants, ne va-t-on pas exercer sur les prix du pétrole une pression à la baisse?
M. Friesen : C'est du moins ce qu'on espère. Avant de répondre, j'aimerais dire à nouveau qu'il est parfaitement inacceptable qu'il y ait, dans le monde, des gens qui ont faim et qui n'ont pas les moyens de se nourrir, mais nos homologues américains vous diront que s'ils ont commencé à produire de l'éthanol, c'est en partie parce que la culture du maïs leur faisait perdre de l'argent lorsqu'elle était destinée soit à l'alimentation du bétail, soit à l'alimentation humaine. Ils vous diront qu'il fallait bien faire quelque chose pour continuer d'exister en tant qu'agriculteurs.
Plus on multiplie les possibilités qui s'offrent aux agriculteurs, plus on renforce la concurrence. Le meilleur moyen de redonner aux agriculteurs un pouvoir et un sentiment d'initiative est d'obliger les producteurs d'éthanol à être présents, en tant qu'acheteurs, sur le marché du maïs en concurrence avec tous les autres acheteurs. Ces diverses possibilités ne s'excluent aucunement et, d'après nous, il est possible à la fois de cultiver des denrées agricoles et de fabriquer des biocarburants.
Le sénateur Brown : Savez-vous que le gouvernement fédéral a créé un fonds d'appui technologique au développement durable doté d'un capital de 500 millions de dollars? Si vous êtes au courant de cela, savez-vous ce qu'il permet de faire?
M. Friesen : Non, je ne sais pas de manière précise ce qu'il autorise, et je ne sais pas non plus le montant des crédits engagés jusqu'ici, ou leurs destinataires, mais nous connaissons l'existence de ce fonds.
Le sénateur Brown : Il autorise les investissements et financements extérieurs destinés à favoriser la commercialisation de l'éthanol cellulosique ainsi que la seconde génération de biocarburants fabriqués à partir de déchets.
C'est plus une observation qu'une question. Quelqu'un a évoqué, également, les crédits accordés aux agriculteurs européens pour la constitution de zones vertes autour des villes. Je pense qu'on commence à faire cela au Canada. Ce qui me gêne un peu, ce ne sont pas les crédits, car je pense que les agriculteurs ont effectivement droit à ce genre d'incitation à protéger l'environnement.
Mais, les 27 pays européens se sont entendus sur l'échange de ces crédits. Le prix d'un crédit a atteint 50 $ mais, selon l'Université de Liverpool, la valeur est retombée à 3 $, lorsqu'on a commencé à distribuer des crédits gratuitement pour promouvoir le concept. La semaine dernière, un certain Greg Weston a indiqué que ces crédits s'échangent maintenant pour quelques cents.
Avez-vous réfléchi à l'avenir de ces crédits de carbone et à la question de savoir si l'on devrait en prévoir à l'intention de tous ceux qui réduisent effectivement leurs émissions de carbone, ou si l'on devrait permettre aux entreprises qui souhaitent continuer à émettre des substances polluantes de compenser leurs émissions par des achats de crédit?
M. Friesen : Selon nous, les agriculteurs devraient être payés pour la séquestration du carbone résultant de leur adoption de nouvelles pratiques en matière de labourage, ou pour la couverture de bassins d'épandage ou l'emploi de biodigesteurs, enfin pour l'adoption de toute technique qui permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre. D'après nous, les agriculteurs devraient bénéficier d'incitatifs financiers.
Le président : En réponse à l'avant-dernière question que vous a posée le sénateur Brown, vous avez dit qu'il y avait, aux États-Unis, des agriculteurs pour qui la culture du maïs n'était pas payante et qu'il a donc fallu créer un nouveau marché pour que la culture du maïs redevienne pour eux une activité rentable. On a dit, également, que la substitution de biocarburants relève moins de considérations énergétiques que de considérations liées à nos politiques économiques et agricoles.
Ce que vous venez de dire me semble aller dans le même sens. Si trois acheteurs se font concurrence pour acquérir ma marchandise, cela est dans mon intérêt en tant qu'agriculteur. Ces mesures ont-elles été décrétées en réponse à un problème environnemental ou simplement comme une forme de subvention à la culture du maïs?
M. Friesen : Je pense qu'il y a à cela plusieurs aspects. C'est, effectivement, une question d'ordre économique et, toutes choses étant par ailleurs égales, la mesure se révèle tout de même avantageuse même si elle améliore la situation des agriculteurs. Dans la mesure où de telles mesures parviennent effectivement à un tel résultat, c'est encore mieux. C'est pour ça que, plus tôt, j'ai dit que les agriculteurs sont tout à fait disposés à contribuer à la solution des problèmes environnementaux. En même temps, cela améliore leur situation économique. En améliorant leur situation économique, en leur offrant de nouveaux débouchés, on améliore l'environnement soit en atténuant les émissions de gaz à effet de serre, soit en réduisant notre dépendance vis-à-vis des sources non renouvelables d'énergie.
Le président : Voulez-vous dire que l'intérêt environnemental de la chose est tout à fait accessoire?
M. Friesen : Non pas du tout. C'est une approche stratégique de la politique agricole qui permet aux agriculteurs à la fois de contribuer à la solution des problèmes environnementaux et d'améliorer leur situation économique. C'est la même chose pour les programmes de salubrité alimentaire à l'intention des agriculteurs. Par l'instauration de tels programmes, nous renforçons aussi la réputation internationale du Canada. La santé du consommateur n'est pas du tout une considération accessoire, mais nous poursuivons en même temps un objectif social et l'amélioration de notre place sur le marché.
Le président : J'aurais une dernière question à poser. D'après vous, cela ne nous empêchera aucunement de faire ces diverses autres choses et, par exemple, de poursuivre nos recherches et d'approfondir nos connaissances en matière de développement. Nous comprenons tous que si nous voulons que l'industrie participe au développement de nouvelles technologies, il faut qu'elle y trouve son compte.
Vous n'ignorez pas comment le monde fonctionne. Vous savez que si quelqu'un décide de construire une usine et parvient à attirer des investisseurs, il faut que cette usine puisse tourner un certain temps afin d'en amortir les coûts de construction. Autrement, nous n'aurions pas d'industries.
Cela ne va-t-il pas nuire au développement de nouvelles technologies? Je sais qu'à un certain point, il faut bien se décider, mais si nous créons des infrastructures fondées sur le maïs et le canola, cela ne va-t-il pas ralentir la recherche d'autres solutions.
M. Friesen : Je dis simplement que nous avons là des mesures qui sont avantageuses pour l'environnement, à la fois en atténuant les émissions de gaz à effet de serre et en réduisant notre indépendance vis-à-vis de ressources non renouvelables, et qui contribueront au développement de notre économie agricole. C'est tout avantage. Si nous commençons sans tarder, le gouvernement trouvera bien les moyens d'orienter selon les besoins le développement de ces industries. À partir du moment où nous avons toutes les connaissances scientifiques voulues, je suis certain que, par un nouveau projet de loi, il sera possible d'orienter notre action dans le sens voulu.
En attendant, ne perdons pas de temps à discuter des diverses éventualités, car nous sommes déjà à même d'apercevoir les avantages de ce que nous allons faire, de voir ce qui se passe dans les autres pays et ce que nous allons inévitablement devoir finir par faire. Les mesures envisagées ne comportent aucun inconvénient et, en outre, ne nous empêcheront aucunement de continuer à progresser.
Le président : Pour les agriculteurs, l'intérêt de ces mesures est immédiat et incontestable, est-ce exact?
M. Friesen : C'est vrai.
Le sénateur Mitchell : Monsieur Friesen, y a-t-il moyen de surmonter cette contradiction apparente? En effet, si le prix des céréales commence à grimper, les agriculteurs gagneront davantage, mais si le prix de l'alimentation du bétail augmente, les éleveurs en pâtiront. Y a-t-il moyen de ne léser personne? Qu'en pensez-vous?
M. Friesen : La question mérite d'être posée. Dans un secteur industriel aussi diversifié que le nôtre, il serait bien que chacun puisse gagner de l'argent en même temps. Le problème est délicat. Si, au cours des 18 derniers mois, les éleveurs de porc n'avaient pas eu à abattre un nombre sans précédent d'animaux, et si notre dollar n'avait pas rejoint la valeur du dollar des États-Unis, les éleveurs de porc auraient pu gagner de l'argent malgré le prix élevé des aliments pour bétail.
Actuellement, malgré le prix de l'alimentation animale et le cours du dollar canadien, les éleveurs de porc s'y retrouvent à peu près. Mais c'est seulement parce que le prix du porc a un peu augmenté. La question mérite d'être posée, mais il n'est pas facile d'y répondre.
Le sénateur Mitchell : Monsieur Samson, comment se présenterait l'industrie des granules? Leur fabrication est-elle actuellement rentable? Selon vous, ce n'est pas le cas, et il faudrait davantage d'investissements. Comment voyez-vous l'avenir? S'agit-il d'installer, à 60 kilomètres des sources de la matière de base, une centrale énergétique alimentée par granules? C'est un projet intéressant.
M. Samson : On part de l'idée, qu'au Canada, c'est principalement d'énergie thermique dont nous avons besoin. Chez nous, le chauffage et la chaleur industrielle prennent plus d'énergie que le transport. Le transport compte pour environ 25 p. 100 de notre consommation énergétique. Dans la plupart des pays industrialisés, l'énergie thermique compte pour environ 50 p. 100 de la consommation énergétique. Logiquement, si c'est là notre principal poste de consommation énergétique, c'est là que nous devrions concentrer nos efforts d'atténuation. J'ajoute tout de suite qu'il est beaucoup plus facile d'employer un carburant de substitution pour chauffer un immeuble que pour faire voler un avion.
Nous devrions donc conserver nos combustibles fossiles et choisir nos sources énergétiques en fonction de l'emploi qui va en être fait. Ce qu'il y a de plus difficile, dans tout cela, c'est de changer ce que nous faisons pousser afin de cultiver des plantes qui permettent de produire un carburant liquide pouvant servir au transport. Or, c'est justement ce que nous prônons. Peut-être que les solutions que nous envisageons sont trop simples. Il s'agit, en effet, de faire pousser des herbes, de les transformer en granules et de les utiliser comme combustible.
Le sénateur Mitchell : Ce combustible pourrait-il alimenter la fournaise que j'ai dans mon sous-sol, ou simplement une usine de chauffage collectif?
M. Samson : Je chauffe ma maison à l'aide d'un poêle à granules. C'est avec des granules qu'en Ontario on chauffe les serres, les pénitenciers de Kingston, les usines à fromage et des usines d'éthanol. Au lieu d'installer, au Québec, des centrales alimentées au gaz naturel liquide, et à importer du gaz au Québec et dans l'est de l'Ontario, nous pourrions, dans l'est de l'Ontario et au Québec, cultiver des herbes qui nous permettraient d'alimenter des usines à éthanol. Une énergie thermique bon marché contribuera à la prospérité non seulement des agriculteurs mais de l'économie nationale et, en particulier, de l'économie de l'Est du Canada. L'Est du Canada éprouve actuellement de graves difficultés car il n'est plus concurrentiel au niveau de ses coûts énergétiques. Un moyen d'améliorer la situation serait de fonder une industrie des énergies de substitution.
Si la solution est si simple, c'est parce que nous savons déjà comment fabriquer des granules. Nous avons, au Canada, depuis 45 ans, une industrie de déshydratation de la luzerne. Les moyens techniques sont sensiblement les mêmes. Il suffit simplement de changer les filières à extrusion et d'adapter le procédé afin de produire des granules.
Le sénateur Mitchell : Peut-on espérer en produire suffisamment pour chauffer Toronto?
M. Samson : Il s'agit de procéder méthodiquement, comme les Chinois le font. Nous travaillons actuellement de concert avec des entreprises chinoises pour développer des granules d'herbe qui pourront, en Chine, remplacer le charbon. La Chine utilise 1,5 milliard de tonnes de charbon. C'est dire que la substitution ne se fera pas en un an. Il faut y aller progressivement. Le Canada pourrait commencer par adopter des mesures d'incitation qui permettraient aux producteurs de granules de prendre place sur le marché et, éventuellement, de remplacer le charbon pour chauffer les serres de l'Ontario.
Le président : Est-ce que ces granules pourraient un jour remplacer complètement le charbon, ou seulement une partie?
M. Samson : Selon nous, les grands moyens énergétiques actuels tels que l'huile de chauffage et le gaz naturel sont appelés à perdre leur avantage concurrentiel par rapport à la biochaleur ou aux granules pour le chauffage, car il est relativement facile de chauffer une prison au moyen de granules, plus facile que d'importer au Québec du gaz naturel de Russie, ou de construire en Ontario une usine à gaz naturel liquide qui sera ensuite acheminé, par oléoduc, jusqu'à Kingston, pour chauffer le pénitencier. Nous pourrions, selon moi, cultiver sur les terres agricoles du centre de l'Ontario, suffisamment d'herbe pour chauffer le pénitencier.
Le sénateur Mitchell : N'est-ce pas dire qu'à un certain moment, au niveau des terres agricoles, vous allez concurrencer les cultures vivrières?
M. Samson : Comme je l'ai dit dans mon mémoire, pour ce qui est de l'atténuation des gaz à effet de serre, une acre d'herbe donne un aussi bon résultat que sept acres de maïs. Pour cultiver ces herbes, il n'est pas nécessaire d'utiliser nos meilleures terres agricoles. On peut utiliser des terres relativement médiocres. Or, de ces terres-là, nous en avons actuellement en abondance. On ne doit pas, pour cultiver les herbes, utiliser des terres sur lesquelles on cultive actuellement du maïs, car sans cela, on ruinera les éleveurs de porc.
Dans l'Est canadien, l'élevage bovin est une industrie en perte de vitesse. Or, nous pourrions encourager les éleveurs à cultiver de l'herbe destinée à la fabrication de granules.
Le président : Vous avez tous les deux fait preuve de beaucoup de patience. Je suis désolé de vous avoir retenus aussi longtemps. Je vous prie d'accepter les excuses du comité.
À la demande de plusieurs sénateurs, nous allons revenir à ce que nous avions prévu initialement et faire une pause- santé d'un quart d'heure. À 17 heures, la séance reprendra et nous procéderons à l'étude article par article du projet de loi C-474.
La séance est suspendue.
Le comité reprend sa séance en public.
Le président : Honorables sénateurs, la séance est ouverte. Il va nous falloir changer de vitesse. Conformément à l'accord auquel nous sommes parvenus, nous allons maintenant passer à l'examen du projet de loi C-474 et décider de la recommandation que nous entendons transmettre au Sénat.
Avant d'entamer la question principale, je souhaite attirer votre attention sur deux choses. Des documents vous ont été distribués et j'aimerais que vous preniez connaissance de la partie intitulée « Observations sur le dixième rapport du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. » La phrase commence : « Votre comité est tout à fait favorable à l'objectif [...] ». Vous verrez bien de quoi il s'agit.
Je rappelle à mes collègues sénateurs que, lors de notre dernière réunion, le comité a décidé, au sujet du projet de loi C-474, qu'il permettrait à nos greffiers et à nos recherchistes ainsi qu'à moi-même de proposer que certaines observations soient jointes à notre rapport. Si nous en avons décidé ainsi, c'est parce que nous avions convenu de recommander l'adoption du projet de loi C-474, malgré les réserves que nous inspiraient certaines de ses dispositions.
Je vous demande donc de lire les observations qui ont été ajoutées. Vous pouvez voir que les miennes sont soulignées. Puis, je vous demande de lire une lettre du Bureau de la vérificatrice générale du Canada, dont vous avez reçu une copie. Vous y trouverez une recommandation concernant les quelques amendements qu'ils souhaiteraient voir apporter au texte du projet de loi.
Il s'agit d'une recommandation simple concernant les époques auxquelles le commissaire sera tenu de rendre son rapport. Il s'agit de la lettre de la vérificatrice générale en date du 25 juin et proposant un amendement au texte. Dans sa version actuelle, le paragraphe 23(4) prévoit que :
Le commissaire inclut dans le rapport visé au paragraphe (2)...
Selon l'amendement proposé, on ajouterait après le mot « inclut » le mot « soit », puis après le mot « paragraphe » le membre de phrase « soit dans celui visé à l'article 7 ». Voilà l'ajout qui est demandé.
Le paragraphe continuerait ainsi :
[...] les résultats de toute vérification effectuée en application du paragraphe (3) depuis le dépôt du dernier rapport à la Chambre des communes en application du paragraphe (5).
Compte tenu des observations que nous envisageons de joindre au rapport, je pense que nous devrions ajouter quelque chose à ce qui est proposé. L'amendement que suggère la vérificatrice générale ne parle, en ce qui concerne le paragraphe (5), que de la Chambre des communes.
Si j'ai bien compris le consensus auquel nous sommes parvenus au sein du comité, nous entendons recommander au Sénat l'adoption du projet de loi C-474, et nous joignons à notre recommandation les observations que vous avez sous les yeux. Il est entendu que vous m'autorisez, moi et le vice-président du comité, à modifier l'amendement proposé par la vérificatrice générale, par souci de cohérence, afin d'y mentionner le Sénat, et d'incorporer cette modification à nos observations. C'est faire savoir que nous entendons proposer à l'automne un projet d'amendement allant dans le sens suivant. Nous y ajouterions les amendements proposés par la vérificatrice générale.
Si nous sommes convenus de tout cela, je voudrais maintenant entamer nos travaux. Mais, avant de passer à l'étude article par article du projet de loi, je tiens à vous ménager le temps de prendre connaissance des documents en question, de poser des questions et, de manière générale, de discuter du projet de loi. Quelqu'un a-t-il une question à poser?
Le sénateur McCoy : J'improvise un peu, mais lorsque, l'autre soir, nous nous sommes réunis avec M. Godfrey, j'avais souligné ceci. J'ai parcouru le projet de loi C-474 avec lui. Les articles 10 et 11 ne rencontrent-ils pas les mêmes objections? Excusez-moi, je suis un peu strabique. Ce que je veux dire, c'est que, dans nos observations, nous ne parlons que des articles 5, 7 et 9, et je me demande si nous ne devrions pas voir si le problème ne surgit pas dans certains autres articles.
Le président : Le paragraphe 10(3) devrait être modifié dans le même sens.
Le sénateur McCoy : Ainsi que les paragraphes 11(2) et (3).
Le président : N'essayons pas, pour l'instant, de formuler les amendements.
Le sénateur McCoy : Entendu, mais dans la mesure où vous venez de dire que les articles 9 et 7 du projet de loi ne parlent que de la Chambre des communes, vous les avez, en fait, énumérés. D'après moi, nous devrions soit éviter toute énumération, soit préciser tous les articles qui vont devoir être modifiés. J'estime que la version préliminaire de nos observations est incomplète.
Le président : C'est exact.
Le sénateur McCoy : Permettez-moi d'être directe plutôt que polie.
Le président : Nous allons donc reformuler le paragraphe et citer chacun des articles qui sont à modifier.
Le sénateur Nolin : Ou alors, nous pouvons simplement ajouter les mots « par exemple », et énumérer tous les autres articles qui ne font aucune mention du Sénat.
Le sénateur McCoy : Quelle que soit la méthode employée, tâchons d'être exacts. Je ne pense pas que vous avez été bien servi car, sous sa forme actuelle, ce qui est écrit n'est pas exact.
Le président : Vous avez raison. Nous en avons manqué certains. Nous pouvons donc nous exprimer de manière plus générale, en ne citant aucune disposition précise, et remettre à plus tard la formulation de l'amendement. Je pense que c'est en fait comme cela que nous devrions procéder.
Nous allons donc modifier le sens de nos observations, afin de tenir compte de l'objection formulée par le sénateur McCoy. Nous y ajouterons un paragraphe concernant les recommandations formulées par la Vérificatrice générale.
Sachez que l'amendement proposé par la Vérificatrice générale vise uniquement à préciser les délais de remise du rapport du commissaire, dans l'hypothèse où le rapport en question ne coïnciderait pas avec un des rapports réguliers qu'il est tenu de remettre. C'est le commissaire lui-même qui a demandé à Mme Fraser d'intervenir en ce sens.
Le sénateur Brown : Vous pourriez peut-être faire les deux en insérant les mots « par exemple » entre les articles que vous énumérez. Les articles cités seront donc cités seulement à titre d'exemples et puis vous pourriez ajouter le membre de phrase « Ainsi que dans toutes les autres dispositions où il n'est pas fait mention du Sénat ».
Le président : En effet, procédons comme cela.
Je vous demanderais donc de me permettre de poursuivre dans la voie dont nous avons convenu. Le comité devra, demain à 16 heures, formuler une recommandation et nous allons recommander l'adoption du projet de loi. Nous ajouterons à notre recommandation les observations et je vous demande d'autoriser le sénateur Nolin et moi-même à rédiger. Elles seront ajoutées à ce que propose la vérificatrice générale ainsi qu'aux observations que nous venons de faire. Le sénateur Cochrane propose qu'il en soit décidé ainsi.
Le sénateur Nolin : Devrions-nous d'abord passer à l'étude article par article?
Le président : Nous le devrions, mais je voulais être certain qu'avant cela nous avions réglé un certain nombre de points.
Le sénateur McCoy : Je tiens à faire savoir que je ne suis pas d'accord sur cette manière de procéder. Je comprends qu'on veuille assurer le passage du projet de loi présenté par M. Godfrey, d'autant plus qu'il a renoncé à son siège. Je sais que c'est une mesure à laquelle il tient particulièrement et à laquelle il a consacré des efforts considérables. J'ai beaucoup d'estime pour M. Godfrey.
Compte tenu de tout cela, il serait bon que nous puissions obtenir la sanction royale pour ce projet de loi dont il a si vaillamment négocié le passage par la Chambre des communes. Je reconnais l'importance des efforts qu'il y a consacrés.
Cela dit, je comprends mal cette impasse sur le nécessaire rapport au Sénat. Membre de cette assemblée, je préférerais nous voir ajouter un amendement qui rappelle, dans les dispositions concernées, le rôle du Sénat.
Voilà, selon moi, comment nous devrions procéder.
Le sénateur Nolin : C'est normalement comme cela que nous faisons.
Le président : Oui, normalement, nous procéderions ainsi.
Le sénateur McCoy : Je tenais simplement à ce que mon avis soit consigné au compte rendu. Je comprends fort bien pourquoi nous allons en l'occurrence faire autrement, et je comprends fort bien pourquoi la plupart des membres du comité vont appuyer la motion.
Le président : Merci. Vous avez tout à fait raison.
Le sénateur Milne : Je propose donc que nous procédions à l'étude article par article du projet de loi C-474.
Le président : Est-il décidé que nous allons procéder à l'étude article par article du projet de loi C-474?
Le sénateur McCoy : Avons-nous déjà mis aux voix la motion proposée?
Le président : Non. Ce qu'on proposait de faire, c'est de discuter à nouveau des observations après avoir terminé l'examen du projet de loi.
J'accueillerais volontiers une motion proposant que nous donnions notre aval au projet de loi dans son ensemble, comme il nous est déjà arrivé de le faire, plutôt que de procéder à son étude article par article et puis, qu'après cela, nous discutions des observations que nous entendons joindre à notre recommandation.
Le sénateur Nolin : Sans doute allons-nous en convenir avec dissidence.
Le président : Nous verrons ce qui est proposé dans le cadre de la motion.
Le sénateur Mitchell propose que nous recommandions l'adoption du projet de loi C-474 dans son ensemble et sous sa forme actuelle. Est-ce convenu?
Des voix : C'est convenu.
Le président : Il est convenu avec dissidence.
Le comité décide de recommander au Sénat que le projet de loi soit adopté demain en troisième lecture.
Est-il convenu, honorables sénateurs, que nous devrions envisager de joindre nos observations au rapport?
Des voix : D'accord.
Le président : Est-il convenu que le président et le vice-président soient autorisés à approuver la version finale des observations devant être jointes au rapport, compte tenu de ce qui s'est dit ici aujourd'hui et des modifications de forme que peuvent imposer la grammaire ou la traduction?
Des voix : D'accord.
Le président : Dois-je donc, à la première occasion, faire rapport du projet de loi, accompagné de nos observations, au Sénat?
Des voix : D'accord.
Le président : Merci, honorables sénateurs.
Le sénateur Nolin : Y a-t-il d'autres questions?
Le président : Nous nous réunirons à nouveau demain matin, à 9 heures.
Honorable sénateurs, afin de régler une question importante, je demande à quelqu'un de proposer que nous procédions un moment à huis clos. Je vous demande une motion en ce sens.
Qui est pour?
Des voix : D'accord.
Le président : Qui est contre?
Nous poursuivons donc nos travaux à huis clos.
La séance se poursuit à huis clos.