Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule 3 - Témoignages du 13 décembre 2007
OTTAWA, le jeudi 13 décembre 2007
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui à 9 h 11 pour étudier la teneur du projet de loi C-28, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 mars 2007 et de certaines dispositions de l'énoncé économique déposé au Parlement le 30 octobre 2007.
Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonjour à tous et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Je m'appelle Joseph Day. Je représente la province du Nouveau-Brunswick au Sénat et je suis président du comité.
[Traduction]
Bienvenue à cette neuvième réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Le comité s'intéresse aux dépenses et aux opérations gouvernementales, y compris les activités des hauts fonctionnaires du Parlement et des diverses personnes et divers groupes qui aident les parlementaires à en rendre le gouvernement redevable. Nous le faisons en examinant les budgets des dépenses des hauts fonctionnaires du Parlement et les crédits qui leur sont affectés pour exécuter leur mandat, ainsi que les lois de mise en œuvre des budgets et les autres questions qui nous sont renvoyées.
Aujourd'hui, nous examinons la teneur du projet de loi C-28, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 mars 2007 et de certaines dispositions de l'énoncé économique déposé au Parlement le 30 octobre 2007. Nous étudions la teneur du projet de loi avant son dépôt au Sénat afin d'avoir une bonne connaissance de son contenu lorsque le Sénat en sera saisi.
Comme c'est souvent le cas avec les projets de loi d'exécution du budget, le projet de loi C-28 est un vaste projet de loi omnibus. Comptent parmi les mesures qui y sont proposées la réduction de l'impôt sur le revenu des particuliers et des entreprises, une nouvelle réduction de la TPS, l'établissement d'une prestation fiscale pour le revenu de travail, un régime enregistré d'épargne-invalidité et des régimes d'épargne pour les producteurs agricoles. Le projet de loi, s'il est adopté, confirmera par ailleurs l'entente entre le gouvernement fédéral et les provinces de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve-et-Labrador relativement à leurs paiements de péréquation en vertu de la nouvelle formule de péréquation et des accords de 2005 sur les hydrocarbures extracôtiers.
Le comité a déjà entendu des témoignages au sujet de ces éléments et d'autres aspects encore du projet de loi. Nous avons déjà mené une étude exhaustive sur la péréquation et nous sommes intéressés à en savoir davantage au sujet des changements survenus récemment dans le contexte des accords de péréquation.
Je suis heureux d'accueillir deux invités qui vont participer à notre panel de ce matin et qui se joignent tous les deux à nous par vidéoconférence, compte tenu du temps qu'il fait dans l'Est du Canada ainsi que du court préavis que nous leur avons donné. M. Paul Hobson, de l'Université Acadia, est professeur au Département de sciences économiques de l'université. Il fait partie du corps professoral de l'Université Acadia depuis 1981. Il est en ce moment président de l'Association d'économique du Canada Atlantique. M. Hobson a beaucoup traité, dans des discours et dans des publications, de la question du fédéralisme fiscal canadien, ainsi que de l'impôt sur la propriété foncière et de questions de finances publiques locales.
Je souhaite également la bienvenue parmi nous au professeur Wade Locke, de l'Université Memorial, à St. John's, Terre-Neuve. M. Locke enseigne l'économie et y s'est spécialisé dans l'économie, les ressources, les finances publiques, la politique publique, les indicateurs d'innovation, la productivité, l'évaluation de l'incidence économique et les analyses coûts-avantages propres à Terre-Neuve. Il a entrepris des recherches sur les ramifications économiques des activités gazières et pétrolières à Terre-Neuve et dans le Labrador et dans toute la région de l'Atlantique, toutes questions qui intéressent en ce moment le groupe ici réuni.
Messieurs, merci à tous les deux de vous joindre à nous ce matin. L'un ou l'autre d'entre vous souhaiterait-il faire quelques remarques liminaires avant que nous n'entamions une discussion?
Wade Locke, professeur, Université Memorial : Je remercie le comité de nous avoir invités à participer à ses délibérations. Je n'ai rien de plus à ajouter.
Paul Hobson, professeur, Université Acadia : Je me fais l'écho de ce que vient de dire mon collègue. Je suis ravi de pouvoir discuter à nouveau avec les sénateurs de ces questions importantes, et j'envisage avec plaisir une discussion animée.
Le président : Je présenterai les sénateurs avant qu'ils ne vous posent leurs questions, afin que vous sachiez avec qui vous vous engagez dans une discussion. L'un ou l'autre d'entre vous pourrait-il nous faire un petit historique des développements en matière de péréquation, en commençant avec l'accord de 2005 avec les provinces, pour nous amener jusqu'aux derniers développements avec les initiatives prises par l'actuel gouvernement?
M. Hobson : Sénateur Day, si vous voulez que nous remontions jusqu'en 2005, je suppose que cela mettra les choses en contexte. Il se passait deux choses en 2005. Nous avions déjà en place ce qui a depuis été appelé le cadre fixe pour la péréquation. Ce cadre a été établi sous le gouvernement Martin. Puis, il y a eu les questions entourant l'accord et le renouvellement en 2005 des arrangements avec Terre-Neuve et le Labrador et avec la Nouvelle-Écosse. Ces deux choses étaient en place à l'époque.
Il n'avait jamais été prévu que ce cadre fixe soit un régime permanent. Le comité O'Brien sur la péréquation a été créé, encore une fois sous le gouvernement Martin. Il a fait rapport il y a plus d'un an au gouvernement Harper. A découlé de ce rapport, dans le budget de 2007, la proposition en vue d'un nouveau programme de péréquation.
Ce programme devait être axé sur une formule, comme cela avait été le cas par le passé. Il était proposé d'inclure seulement 50 p. 100 des revenus en provenance de ressources naturelles dans le calcul de ce que nous appelons maintenant les droits pré-plafond. Le nouveau programme incluait également un plafond quant à la capacité fiscale, de telle sorte qu'aucune province bénéficiaire de péréquation ne pourrait avoir une capacité fiscale, englobant les paiements de péréquation et au titre des accords et 100 p. 100 des revenus en provenance des ressources, supérieure à celle de la province non bénéficiaire qui serait classée le plus bas, et qui était à l'époque, et demeurera pendant un avenir prévisible, l'Ontario.
Ce programme supposait des changements à l'accord de 2005. Plus particulièrement, le déclencheur pour les droits au titre de l'accord a été modifié dans la loi budgétaire. Nous nous souvenons tous de la fureur qu'avait soulevée l'accord tant en Nouvelle-Écosse qu'à Terre-Neuve et au Labrador.
Le problème fondamental est la façon dont les revenus visés par l'accord sont maintenant liés aux paiements de péréquation par le biais du processus de plafonnement dans la péréquation.
Pour Terre-Neuve et le Labrador, il a été pris des dispositions spéciales permettant aux deux provinces de demeurer sous une version du cadre fixe, toujours avec l'option d'intégrer à tout moment à l'avenir le nouveau programme. Ces dispositions ont été interprétées comme honorant l'entente liant l'accord de 2005 au programme de péréquation en place à l'époque.
Enfin, l'accord de 2005 stipulait que les paiements versés en vertu de lui seraient calculés sur la base du programme de péréquation tel qu'il existait à l'époque, et cela aussi a fait l'objet de certains différends. Tous ces différends — en tout cas au niveau politique — semblent avoir été réglés du point de vue de la Nouvelle-Écosse, et cette résolution politique est justement renfermée dans le projet de loi que nous examinons aujourd'hui.
M. Locke : J'ajouterais qu'en plus de la formule O'Brien, le budget de 2007 prévoyait l'option d'une règle d'inclusion à zéro pour cent, de telle sorte que l'on pouvait compter 50 p. 100 des ressources ou aucune ressource quelle qu'elle soit, selon ce qui allait donner le résultat supérieur pour la province. Le gouvernement fédéral allait calculer cela, et cette formule cadrait avec l'engagement pris par le gouvernement fédéral d'exclure toutes les ressources naturelles non renouvelables tout en incluant toujours un plafond.
D'autre part, l'accord avec la Nouvelle-Écosse, dont nous discutons ce matin, tend à prévoir des fonds additionnels pour le gouvernement de la Nouvelle-Écosse, et celui-ci a choisi de participer. Par ailleurs, il y a à peine deux jours, Terre-Neuve et le Labrador ont fait savoir qu'ils exerceraient eux aussi leur option de participer à la nouvelle formule. Cela n'a rien à voir avec les dispositions pour la Nouvelle-Écosse, mais concerne le montant d'argent reçu.
Si cela intéresse les sénateurs, nous pourrions vous expliquer pourquoi Terre-Neuve a choisi cette option, étant donné que la province est clairement mieux servie par le cadre fixe lorsqu'entrent en ligne de compte tous les revenus combinés.
Le président : Cela nous intéresserait d'entendre de chacun de vous les raisons pour lesquelles vous pensez que chaque province a fait ce qu'elle a fait, afin que nous puissions comprendre les ramifications du projet de loi sur lequel nous nous penchons.
Merci beaucoup de cet historique et d'avoir mis les choses en contexte. Nous nous concentrons en ce moment sur le projet de loi C-28 et sur ce que celui-ci apporte dans ce dossier.
Le sénateur Cowan : Bienvenue, et merci d'avoir accepté de participer encore à cette saga qui se poursuit.
J'aimerais vous demander votre opinion sur les chiffres qui ont été affichés sur le site web du gouvernement de la Nouvelle-Écosse quant aux effets de cet accord à long terme, c'est-à-dire au cours des 15 ou 20 prochaines années, pour la Nouvelle-Écosse. La Nouvelle-Écosse a déclaré que cet accord viendra enrichir la province d'un nombre appréciable de millions de dollars par rapport à sa situation en vertu de l'accord ou du budget de 2007.
Lors des audiences que nous avons eues avec les fonctionnaires fédéraux, ceux-ci se sont refusés à se prononcer sur la validité ou la justesse de ces chiffres, disant que ceux-ci étaient conjecturaux, en tout cas pour ce qui est du plus long terme. Avez-vous, l'un ou l'autre, eu l'occasion d'examiner les chiffres qui sont affichés sur le site web du gouvernement de la Nouvelle-Écosse et, dans l'affirmative, auriez-vous quelque commentaire à faire quant à leur justesse ou leur fiabilité?
M. Hobson : Il serait peut-être utile que je fournisse aux sénateurs quelques brèves explications au sujet des chiffres tels qu'ils ont été présentés, après quoi M. Locke pourrait intervenir.
J'ignore si les sénateurs ont devant eux copie de ces chiffres. Ceux-ci peuvent être obtenus auprès du ministère des Finances de la Nouvelle-Écosse ou à partir de la page d'accueil du site du gouvernement de la Nouvelle-Écosse. La province a publié ses estimations des droits à péréquation et des versements au titre de l'accord sur les ressources extracôtières pour chaque année jusqu'en 2019-2020, sous une série de scénarios.
Le premier scénario est l'interprétation faite par la province de l'accord de 2005 combiné à la formule O'Brien. Comme je l'ai expliqué plus tôt, la formule O'Brien établit un droit à péréquation pré-plafond qui est calculé en utilisant 50 p. 100 des revenus en provenance des ressources naturelles. S'applique alors un plafond de capacité fiscale, et c'est ainsi qu'est établi le paiement de péréquation post-plafond. Il se fait également un calcul distinct du droit à versement en vertu de l'accord sur les ressources extracôtières. L'interprétation du gouvernement néo-écossais est également que, pour que l'accord de 2005 soit honoré, toute récupération de revenus en provenance de ressources par le biais de l'application du plafond pour la capacité fiscale devrait être rendue à la province, et ensuite intégrée dans le calcul du paiement au titre de l'accord sur les ressources extracôtières, que vous trouverez à la partie A des tableaux.
Vous verrez que les chiffres du gouvernement de la Nouvelle-Écosse sont ensuite comparés aux chiffres du gouvernement fédéral en provenance du document budgétaire de 2007 pour ce qui est de la péréquation pré-plafond, la capacité fiscale, la réduction des plafonds et les droits à péréquation post-plafond.
Les chiffres pour ce qui est des paiements au titre de l'accord sur les ressources extracôtières divergent du fait que la Nouvelle-Écosse reprenne en définitive toutes les recettes en provenance de ressources récupérées par l'application du plafond. Ce calcul est la partie B du tableau.
À la partie C, vous trouverez un calcul fondé sur la formule de péréquation de rechange. Ce calcul renvoie à un prolongement du cadre fixe tel qu'il existait en 2005 lors du renouvellement de l'accord, mais il intègre des calculs de base qui correspondent au cadre fixe tel qu'il existait en 2005.
Dans le budget 2007, la prolongation du cadre fixe comportait une variation dans la méthode de calcul de ces bases. En calculant les bases à partir des calculs de 2005, la Nouvelle-Écosse recevra des droits additionnels en vertu du cadre fixe comparativement à ce qui était offert dans le budget 2007.
Ces droits sont ce qui a bonifié l'entente d'une manière qui satisfait le gouvernement de la Nouvelle-Écosse, d'après ce que je comprends de sa position. Voilà la structure du tableau.
M. Locke : En ce qui concerne les chiffres, il est clair que le cadre fixe, comme on l'appelle, dans le budget de 2007, accordait définitivement des revenus supérieurs à la Nouvelle-Écosse. Retournant en arrière et effectuant les calculs dans le contexte du cadre fixe tel qu'il aurait existé avant le budget de 2007, la province recevrait encore plus d'argent dans le contexte du cadre fixe.
En conséquence, l'accord pour la Nouvelle-Écosse lui a permis de recevoir non seulement l'argent supplémentaire au titre de l'accord fixe, mais également les montants additionnels au titre d'un cadre fixe qui aurait été calculé avant le budget de 2007, soit 500 millions de dollars supplémentaires pendant la durée de vie du projet, d'après les chiffres de la province.
Pour ce qui est de la précision des chiffres du ministère des Finances fédéral, ceux-ci cadrent avec les chiffres que nous, nous avons obtenus. Ils sont légèrement inférieurs, mais le ministère dispose de données plus récentes sur la capacité fiscale, ce qui explique peut-être la différence. Cependant, les chiffres sont plausibles et raisonnables.
Le président : Nous avons devant nous les chiffres des récapitulations A, B, C et D que le professeur Hobson a parcourues avec nous.
Pourriez-vous expliquer l'expression « meilleur bilan cumulatif », car c'est ce qu'emploie la Nouvelle-Écosse? Que signifie cette expression en termes économiques?
M. Hobson : Lorsque nous nous sommes vus la dernière fois, nous avons souligné que, dans les années suivant 2008- 2009, la Nouvelle-Écosse se porterait mieux financièrement avec la prolongation du cadre fixe. Cela vaut toujours avec les calculs révisés des provinces à cet égard.
Ce qui diverge maintenant de la situation avec le budget de 2007 est que la province peut choisir d'adhérer au nouveau programme et bénéficier des avantages découlant de ce programme pour 2007-2008, comme elle l'a fait par défaut pour 2006-2007, sans le bénéfice de la prolongation du cadre fixe.
La formule fonctionne de manière telle que, bien que le paiement de péréquation soit calculé sur la base de la formule O'Brien contenue dans le budget de 2007, des paiements de péréquation supplémentaires peuvent être consentis dans les cas où le versement en vertu de la prolongation du cadre fixe aurait dépassé le paiement de péréquation calculé en utilisant la formule O'Brien.
Chaque année, un calcul est fait de cette différence. Si la différence est positive, alors la province reçoit un paiement de péréquation additionnel. Je soulignerai en passant que la même option est offerte à Terre-Neuve avec le libellé du projet de loi C-28.
Ce calcul sera effectué chaque année jusqu'en 2020. La conciliation finale de ces chiffres devrait avoir lieu cette dernière année. Le paiement se fait selon une formule cumulative dans le temps. Un calcul est effectué chaque année, et une différence positive donne lieu à un paiement de péréquation additionnel pour la province.
Dans le cas d'un résultat qui serait néfaste pour la province, son paiement de péréquation serait réduit en conséquence. Les chiffres établis pour la période laissent entendre que la province sera sensiblement mieux servie par suite de ces versements de péréquation additionnels.
M. Locke : Ce que vous dites est juste. Le gouvernement fédéral effectuera deux ensembles de calculs, l'un pour la péréquation normale, et l'autre pour la péréquation dont la province aurait bénéficié si elle avait été assujettie au cadre fixe tel qu'il existait avant le budget de 2007.
Le gouvernement fédéral comparera annuellement ce que la province reçoit au titre de la péréquation en vertu de la formule O'Brien et ce qu'elle aurait reçu avec l'ancien cadre fixe. Si le montant établi sur la base de l'ancien cadre fixe est supérieur au montant cumulatif que la province aurait reçu entre le point de repère et le point à l'horizon, alors la province reçoit un chèque égal à cette différence. Si le montant diverge, la province recevra plus au titre de la formule O'Brien pour l'année en question, et il y aura un rajustement à la baisse du montant reçu par la province au titre de la péréquation.
Le terme « cumulatif » signifie que chaque année les calculs seront faits pour la province et l'on ajoutera ce que celle- ci aurait reçu en vertu de l'ancien cadre fixe et ce qu'elle a reçu au titre de la nouvelle formule O'Brien. Si le montant pour chaque année est supérieur avec l'ancien cadre fixe, alors c'est ce montant que touchera la province.
Le président : Ai-je bien compris, monsieur Locke, que ce qui se passera avec le projet de loi C-28, c'est que l'on fera une comparaison du montant cumulatif que la province aurait touché en vertu de l'ancien programme versus la formule O'Brien, et la différence est ce que la province touchera sous forme de supplément, au lieu que l'on fasse un examen annuel sur la base des deux programmes, c'est-à-dire l'ancienne formule fixe et la formule O'Brien, pour ensuite verser le complément?
M. Locke : D'après ce que je comprends, l'on utilise une base cumulative. Ce n'est pas le cadre fixe dans le budget de 2007 qui est pertinent; c'est le cadre fixe tel qu'il existait avant le budget de 2007, lorsque la province a négocié l'accord de 2005. Les cadres sont différents. Il sont calculés différemment, et il en ressort davantage d'argent pour la Nouvelle- Écosse.
Le sénateur Murray : Merci à vous deux pour tout le travail que vous avez fait et continuez de faire au sujet de cette question complexe, et merci aussi de votre générosité en partageant avec nous votre temps et votre savoir, comme vous l'avez si souvent fait.
Le sénateur Murray : Voici le problème avec ces chiffres auxquels voulait en venir le sénateur Cowan, si vous permettez que j'ose cette affirmation. Nous avons ces tableaux produits par le ministère des Finances de la Nouvelle- Écosse, et ces tableaux indiquent que la Nouvelle-Écosse recevra moins d'argent que ce qu'elle aurait touché en vertu de l'approche du groupe d'experts et de l'Accord atlantique de 2005. La province accusera un retard jusqu'en l'an 2015- 2016 environ. C'est ce que dit la Nouvelle-Écosse.
Puis, la province commence à rattraper son retard, et, à la fin de 2019-2020, par suite du rattrapage des cinq années antérieures, elle sera en avance de 228 millions de dollars pour toute la période, soit de 2004-2005 à 2019-2020. Voilà ce que disent ces chiffres, n'est-ce pas? Vous avez le tableau, monsieur. Je pense avoir sous les yeux le même tableau que vous.
M. Locke : Vous regardez le bas du tableau D.
Le sénateur Murray : Si vous regardez les autres tableaux, vous verrez que la Nouvelle-Écosse, comme la province le reconnaît, serait en retard par rapport à la situation qu'elle aurait connue autrement, et ce jusqu'en 2015-2016. Puis il y a un rattrapage et la province en sort gagnante.
Le problème est que, alors que la Nouvelle-Écosse établit ces projections pour les années ultérieures, le ministère des Finances fédéral se refuse absolument à prévoir quoi que ce soit au-delà de 2008-2009 ou peut-être 2009-2010. On comprend pourquoi. J'avais critiqué la façon de faire des responsables fédéraux lors d'une séance de breffage informelle, leur disant qu'à moins qu'ils ne soient prêts à appuyer ou à valider les chiffres mis de l'avant par la Nouvelle-Écosse, ils allaient laisser le premier ministre provincial MacDonald et son gouvernement dans une position impossible.
De tels propos n'impressionnent pas beaucoup les fonctionnaires. Ils ne font pas de projections au-delà d'un horizon d'une ou deux années pour des raisons que nous comprenons. Même avec la formule fixe, à laquelle je m'étais à l'époque opposé, il y avait de nombreuses variables, d'où le refus du ministère de faire des prévisions pour les exercices ultérieurs.
Comment la Nouvelle-Écosse peut-elle justifier sa position voulant faire des projections jusqu'en 2019-2020 alors que le gouvernement fédéral s'y refuse?
M. Locke : Pour évaluer ce qui a été offert à la Nouvelle-Écosse, il faut examiner toute la période jusqu'en 2019- 2020, et il est dommage que les fonctionnaires fédéraux n'aient pas voulu ou n'aient pas pu fournir des prévisions ou une simulation de cette période de temps, ce qui aurait rassuré le gouvernement de la Nouvelle-Écosse.
Le gouvernement de la Nouvelle-Écosse accepte beaucoup de choses parce qu'il fait confiance et croit que les choses se dérouleront comme il pense qu'elles le devraient. Si les choses se passent autrement, alors les aspects positifs de cette entente offerte à la Nouvelle-Écosse ne seront peut-être pas aussi formidables que le pense à l'heure actuelle la province.
Les chiffres de ses projections ne sont pas entièrement incompatibles avec ce que nous nous projetterions. Nos chiffres auraient peut-être été légèrement supérieurs, mais ils n'auraient pas été fondamentalement différents. Nous avons intégré au processus des simulations pour le futur. Nous comprenons qu'il y a des incertitudes et que beaucoup de choses peuvent changer. Le régime de péréquation lui-même peut changer dans l'intervalle, modifiant ainsi les avantages tels que les gens les perçoivent aujourd'hui.
La Nouvelle-Écosse a obtenu l'argent supplémentaire, si vous voulez, grâce à l'ancienne méthode de calcul du cadre fixe, et c'est là-dessus qu'elle se base. Elle reçoit l'argent supplémentaire, et elle adhère à ce nouveau cadre compte tenu de cet espoir ou de cette promesse de revenus supplémentaires à l'avenir.
Le sénateur Murray : Il s'agit là d'une bonne nouvelle pour la Nouvelle-Écosse. Vous validez en quelque sorte ses chiffres, et j'en déduis que c'est là votre position, monsieur Hobson, n'est-ce pas?
M. Hobson : C'est exact. Nous envisageons ces genres d'exercices comme étant des exercices de simulation. Il ne s'agit pas de prévisions détaillées. La Nouvelle-Écosse a essayé de tenir compte de nombreux aspects de la situation fiscale d'autres provinces, notamment l'Ontario, dans l'établissement de ces chiffres, mais nous ne pouvons y voir que des simulations. Les chiffres nous disent que cette nouvelle entente pourrait être une bonne entente sur le plan financier pour la Nouvelle-Écosse, même par rapport à sa position initiale relativement au fait d'honorer l'accord de 2005. Nous ne connaîtrons la vraie réponse qu'en 2019-2020. Les chiffres ne rentreront que cette année-là, et nous serons alors tous des vieux.
Le sénateur Murray : Ce que vous dites rassurera ceux qui veulent du bien à la Nouvelle-Écosse, mais, comme vous dites, nous ne saurons cela que plus tard. Le ministère des Finances fédéral dit qu'au-delà d'un an ou deux les chiffres de la Nouvelle-Écosse ne sont que « conjecturaux ».
Il y a une tout autre question que je devrais soulever avec un des témoins ou les deux, si nous en avons le temps.
Le président : Faisant suite à la question du sénateur Murray, professeur Hobson ou professeur Locke, pensez-vous l'un ou l'autre que la Nouvelle-Écosse ou Terre-Neuve et le Labrador accepteraient d'adhérer à ce genre d'arrangement sur la seule base de leurs propres projections, et sans en avoir reçues du gouvernement fédéral?
M. Hobson : Il s'agit là d'une question à laquelle il est difficile pour un simple universitaire de répondre. C'est une question à laquelle doit répondre le ministère des Finances de la Nouvelle-Écosse.
M. Locke : Je suis d'accord avec M. Hobson. Nous ne sommes pas en mesure de répondre à cette question.
Je suis certain que des discussions sont en cours au ministère, mais j'ose espérer qu'on y a envisagé de nombreuses différentes possibilités, celle-ci étant la meilleure parmi plusieurs, y compris des consultations avec les fonctionnaires fédéraux. Les avantages de cette entente sont conditionnels aux simulations qui seront faites.
Le sénateur Di Nino : Vous avez partiellement répondu à ma question. Il y a tellement d'incertitude en ce qui concerne ces chiffres du fait de toutes les variables. C'est difficile. L'on peut toujours préparer des simulations en s'appuyant sur certains facteurs, mais n'importe lequel de ces facteurs, voire leur totalité, peut changer. Indépendamment de cela, nous convenons que c'est une bonne nouvelle, et une bonne chose pour la Nouvelle- Écosse. Quelle peut être la fiabilité des chiffres que nous projetons pour dans 15 ou 20 ans si nous ne connaissons réellement pas les facteurs dont nous avons besoin pour faire des prévisions qui soient justes?
M. Locke : Permettez-moi de répondre au sénateur Di Nino. La précision des estimations pour dans cinq, dix, 15 ou 20 ans, ou même pour dans deux ans, est soumise à quantité d'incertitudes. Nous ne savons pas ce qui se produira pendant cet intervalle. Nous ne savons pas ce qui va arriver l'an prochain. Si l'on avait interrogé les gens sur le prix du pétrole il y a cinq ans, la réponse aurait été différente de celle qu'on obtiendrait en posant la question aujourd'hui.
Pour prendre la décision qu'on demande au gouvernement de la Nouvelle-Écosse de prendre, décision qu'elle doit prendre, il lui faut se pencher sur toute la période visée. La province doit établir quelque simulation pour essayer de deviner au mieux ce qui pourrait se passer pendant cet intervalle, reconnaissant que la situation pourrait changer. Si elle devait changer, ce pourrait être ou à son avantage ou à son détriment. Il n'y a pas d'autre moyen de procéder que de préparer une telle simulation. Si le gouvernement fédéral propose l'adoption d'une loi visant à offrir un meilleur système de péréquation et un meilleur régime pour le Canada, et si celui-ci s'inscrit dans un échéancier, alors il faudra implicitement ou explicitement que le gouvernement fédéral ait préparé quelque genre de simulation couvrant une période donnée.
Dans le budget de 2007, la déduction implicite, voulant que tout le monde allait mieux se porter, ne devait pas ne concerner qu'une période de deux ans. Au contraire, tout le monde croyait qu'il s'agissait de mieux se porter pour le long terme également. En conseillant le ministre des Finances, quelqu'un a dû déterminer ce à quoi ces choses allaient devoir ressembler à long terme pour le Canada et pour chacune des provinces. Quant à savoir si ces renseignements doivent être rendus publics, il s'agit là d'une tout autre question. Cette simulation doit être effectuée et, malheureusement, la nature même de cet exercice est telle que les choses changent.
M. Hobson : Si vous permettez que j'ajoute à cette explication, monsieur le président, cela ne nous étonne guère, compte tenu des calculs que nous vous avons présentés en juin, qu'une prolongation dans le temps du cadre fixe offrira au total plus d'argent que l'application de la formule O'Brien. Elle offrira plus d'argent du simple fait de la croissance annuelle de 3,5 p. 100 inscrite dans le volet péréquation du cadre fixe. Ces 3,5 p. 100 sont garantis par le projet de loi C- 28, alors les ordres de grandeur que nous voyons ne nous étonnent guère. La vraie question est celle de savoir si ces chiffres en bout de ligne, d'ici à 2019-2020, seront supérieurs à ce qu'aurait reçu la Nouvelle-Écosse en vertu de la formule O'Brien, si l'accord avait été pleinement respecté. En d'autres termes, des récupérations par le biais de l'application du plafond ont-elles été rendues à la province en tant que versements supplémentaires au titre de l'accord?
Encore une fois, nous ne connaîtrons la réponse à cette question qu'en 2019-2020, car seul le temps nous dira ce qu'il en est. Ce n'est pas une surprise que toute prolongation du cadre fixe, en tout cas avec un taux de croissance annuel de 3,5 p. 100, bénéficiera au total à la Nouvelle-Écosse dans le temps, comme cela bénéficierait au total, dans le temps, à toute province.
M. Locke : Oui, c'est exact.
Le président : Vous avez mentionné le plafond. Pourriez-vous examiner les chiffres que nous regardions sous l'option D? Ils n'indiquent l'intervention d'aucun plafond.
D'après ce que je comprends, avec cet arrangement, c'est la formule O'Brien qui s'applique, avec un rajustement cumulatif visant à veiller à ce que la province ne souffre pas en vertu de cette formule et un complément possible du fait du facteur d'indexation du cadre fixe. Il demeure néanmoins toujours, je présume, un plafond. Pourquoi ne figure-t-il aucun plafond dans la troisième colonne?
M. Hobson : Je ne comprends pas très bien cette approche transitoire dont il est question dans la partie D. Je comprends les parties A, B et C des tableaux. Cette approche transitionnelle comporte un genre d'arrangement de transition entre le gouvernement fédéral et la province dans le passage au nouvel arrangement, mais je ne comprends pas tout à fait le tableau D. Que je sache, ce tableau n'a nulle par été discuté sur le site web du gouvernement de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Murray : C'est ce que prévoit l'accord, non?
M. Locke : Mon interprétation de ce tableau est qu'il a été garanti à la province qu'elle recevrait l'argent qu'elle aurait reçu en vertu de l'ancien cadre fixe sans plafond, et les accords auraient donc fonctionné comme ils auraient fonctionné lors de leur négociation en 2005. Même si les paiements de péréquation que touchera la province au titre de la formule O'Brien seront plafonnés, ils se compareront aux versements de péréquation que la province aurait reçus en vertu de l'ancien cadre fixe, et la différence lui sera versée. En définitive, il n'y aura aucun plafond car il n'y a aucun plafond dans l'ancien cadre fixe, et la différence entre le nouveau droit à péréquation avec le plafond et le droit à péréquation sous l'ancien cadre fixe sans plafond sera le paiement que la province touchera. Par conséquent, le plafond n'aura en l'espèce aucun effet; ou plutôt le montant d'argent sera augmenté de telle sorte que le plafond sera sans incidence. Il déterminera tout simplement le montant d'argent devant être reçu à titre de complément.
Le président : C'est ce que je comprends moi aussi. C'est la formule O'Brien qui s'applique, mais on regarde ensuite le montant cumulatif qui aurait été prévu en vertu du cadre fixe, et il se pourrait qu'il y ait un complément si le montant correspondant au cadre fixe de 2005 est supérieur à ce que la province toucherait en vertu de cette formule.
M. Locke : C'est ainsi que je comprends les choses, et c'est pourquoi ils n'indiquent pas un plafond.
Le président : La province ne recevrait certainement pas plus avec ce rajustement qu'elle ne recevrait en vertu d'un programme ou de l'autre. Or, les chiffres qu'elle nous livre disent que la nouvelle solution, sur la base de l'entente du 10 octobre intervenue entre la Nouvelle-Écosse et le gouvernement fédéral, indique qu'elle recevra plus qu'elle ne recevrait en vertu de l'un ou l'autre des deux programmes. Comment cela est-il possible?
M. Locke : Cela est possible du fait de la façon dont la péréquation est calculée en vertu du programme de 2005. Elle était établie sur la base d'une moyenne de deux choses : la péréquation déterminée à partir de la capacité fiscale par tête d'habitant et la péréquation fondée sur la moyenne des droits à péréquation. Le cadre fixe de 2007 ne tenait compte que du droit fiscal par tête d'habitant, alors qu'auparavant, le calcul s'appuyait sur les droits moyens des trois années antérieures et la capacité fiscale moyenne des trois années antérieures. Si nous revenions à ce régime, la Nouvelle- Écosse recevrait plus d'argent qu'elle ne recevrait en vertu de l'accord de 2007. Voilà qui rend la chose plus attrayante pour la Nouvelle-Écosse. Elle avait la possibilité de prendre le cadre fixe de péréquation de 2007 en vertu du budget de 2007. Si elle avait retenu cette option, elle aurait reçu plus d'argent, et elle aurait relevé d'un régime de péréquation fiscale différent du reste du Canada.
Le gouvernement fédéral semble avoir accepté de revenir à la façon dont les choses se passaient lors de la négociation de l'accord de 2005, et de plafonner la péréquation de cette façon. Si l'on procède ainsi, la Nouvelle-Écosse recevra plus d'argent en vertu du cadre fixe de 2005 qu'elle ne recevrait en vertu de l'arrangement de 2007. Le complément d'argent qu'elle recevra en appliquant l'ancienne méthode est le petit plus poussant la Nouvelle-Écosse à adopter la formule O'Brien. Il ne s'agit pas de choisir entre la formule O'Brien et l'arrangement de 2007; il s'agit plutôt de choisir entre la formule O'Brien et un complément par rapport à ce qui se faisait avant 2007 au titre du cadre fixe de 2005. Je ne sais pas si mon explication est claire, sénateur.
Le président : Elle est en train de le devenir. Nous avons deux formules : une avant le cadre fixe et la formule O'Brien en 2007. La Nouvelle-Écosse a le meilleur des deux mondes et elle peut toucher un complément de 3,5 p. 100 par an sur la base du cadre fixe.
M. Locke : C'est sur la base de l'ancien cadre fixe de 2005. Oui, la province a le meilleur des deux mondes.
Le président : Tous les mondes figurent dans le projet de loi C-28. Dans la première ronde, après le budget, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve et le Labrador étaient tenus de choisir. Ces provinces n'ont pas apprécié, disant qu'elles pourraient mieux se porter à un moment donné sous la formule qu'elles n'auraient pas retenue, du fait de l'évolution des choses. Le nouvel accord qu'a ratifié la Nouvelle-Écosse le 10 octobre — le nouvel arrangement de rechange — a été offert à Terre-Neuve et au Labrador. Il figure dans le projet de loi C-28 et leur offre l'option de sauter d'une formule à l'autre ou de toujours être admissible à un versement complémentaire sur une base cumulative. Est-ce bien cela?
M. Hobson : Je ne dirais pas qu'il leur est possible de sauter d'une formule à l'autre. Elles choisissent d'adhérer à la formule O'Brien. Des versements additionnels sont alors faits en fonction de la comparaison des deux choses. Elles exercent leur droit d'adhésion; elles ne sautent pas d'un régime à l'autre. Cependant, elles en retirent un avantage équivalent à celui qui leur reviendrait du fait de pouvoir le faire.
Le président : Elles ne sautent pas d'un régime à l'autre, mais elles en retirent l'avantage qui leur reviendrait si c'était le cas. Elles peuvent examiner les résultats de chaque année.
Le sénateur Ringuette : Nous sommes toujours heureux d'entendre votre perspective.
Pour ce qui est des quatre tableaux que nous avons devant nous, ce que nous examinons véritablement au bout du compte c'est le tableau D, la formule de transition.
Ce devrait être là le résultat final sur la base des comparaisons année après année.
M. Locke : Oui, c'est ce que nous comprenons nous aussi.
Le sénateur Ringuette : Entre 2004 et 2011-2012, il y a toujours, comparativement, un écart de 306 millions de dollars. En bout de ligne, au cours des quatre prochaines années, la Nouvelle-Écosse perdra toujours 306 millions de dollars en transferts fédéraux.
M. Locke : C'est ce que nous comprenons, à la lecture des tableaux que vous êtes vous aussi en train de lire.
Le sénateur Cowan : J'aimerais revenir à la discussion que nous avons eue au printemps au sujet de la différence entre les ententes de péréquation et les ententes de développement économique.
L'Accord atlantique a été décrit comme étant une entente non pas de péréquation, mais de développement économique. Il y a une formule de péréquation, dont nous comprenons qu'elle est révisée de temps en temps, et c'est ce qui est offert aux provinces. Selon le calcul de leur capacité fiscale de temps à autre, les provinces sont ou des bénéficiaires ou des non-bénéficiaires de péréquation en vertu de la formule telle qu'elle existe de temps en temps. Il n'y a pas une seule formule en place à jamais. Cela évolue, et les provinces y sont ou n'y sont pas, selon le calcul de leur capacité fiscale.
L'Accord atlantique a dit que les paiements compensatoires en vertu de l'accord ne seraient pas inclus dans le calcul de la capacité fiscale de la Nouvelle-Écosse ou de Terre-Neuve-et-Labrador. Les paiements étaient des paiements de développement économique et non pas des paiements de péréquation.
Je tiens à veiller à ce que cette caractérisation et ce traitement de ce que sont maintenant des versements complémentaires soient maintenus dans ces arrangements. Est-il vrai que les paiements complémentaires reçus seront exclus du calcul de la capacité fiscale de la Nouvelle-Écosse sur la période visée aux fins de la détermination des droits à péréquation de la Nouvelle-Écosse, quelle que soit la formule en place de temps à autre?
M. Locke : Oui, c'est ce que je comprends, soit que les versements complémentaires ne feront pas partie de la capacité fiscale. Rien dans l'actuelle loi ne laisse entendre que cela en fait partie. Le seul moyen de faire le calcul est de faire comme si cela n'était pas inclus, car le calcul est fait avec les paiements — avec la péréquation en vertu de la formule O'Brien et avec la péréquation en vertu du cadre fixe; c'est la différence entre les deux que reçoit la province.
Si la province faisait partie de la capacité fiscale aux fins de la péréquation, le gouvernement fédéral serait aux prises avec un vrai problème, car il ferait le calcul et devrait alors y remettre la province. Il lui faudrait ensuite verser un autre paiement à la province compte tenu du fait qu'en faisant l'ajout, cela aurait diminué le montant, et le cadre fixe serait alors plus élevé encore.
Cela ne pourrait pas fonctionner de cette façon d'un point de vue mécanique, et je ne pense pas que cela fonctionne ainsi.
Le sénateur Chaput : Revenant encore aux chiffres de la partie D, comme l'a dit il y a un moment ma collègue, le sénateur Ringuette, et si j'ai bien compris, entre 2004-2005 et 2011-2012, il y a une perte. La province perd 306 millions de dollars, mais elle compte rattraper cela d'ici à 2020, lorsqu'il y aura 535 millions de dollars en plus.
Ces chiffres sont-ils nets? S'appuient-ils sur la croissance annuelle? Dans l'affirmative, quel est le pourcentage? Est- ce 3 p. 100? Quelles autres variables amènent une incertitude quant à ces chiffres, de telle sorte qu'ils pourraient être pires que ce que nous voyons ici?
M. Locke : Le taux de croissance de 3,5 p. 100, dans ce projet de loi particulier et dans le projet de loi antérieur dont nous avons discuté, est bien là. Ce taux de croissance de 3,5 p. 100 pour ce qui est des bases ou des droits à péréquation en vertu du cadre fixe est là, mais beaucoup de choses peuvent venir changer cela.
Par exemple, si l'Ontario connaît une croissance très marquée ou alors affiche de mauvais résultats, cela pourrait changer l'issue. Si le prix du pétrole s'effondrait, cela pourrait changer le résultat. Beaucoup de choses pourraient survenir pour changer le résultat, ou dans un sens ou dans l'autre.
Le sénateur Chaput : Il n'y a aucune garantie.
M. Locke : Il n'y a aucune garantie.
Le sénateur Murray : Je pense qu'il importe de dire ici encore, afin que cela figure au procès-verbal, que les 3,5 p. 100 ne sont pas une augmentation de 3,5 p. 100 pour la Nouvelle-Écosse. Il s'agit d'une augmentation de 3,5 p. 100 de la caisse, du fonds. Il s'agit de la part néo-écossaise de ce que serait une augmentation de 3,5 p. 100 du fonds, prenant en compte les droits à péréquation de toutes les autres provinces, si cette formule était en vigueur.
M. Locke : C'est exact.
Le sénateur Murray : J'ai une question qui n'a rien à voir ni avec l'Accord atlantique ni avec la péréquation, mais qui concerne le projet de loi.
Dans ce projet de loi omnibus de mise en œuvre du budget, il y a une disposition visant la création d'un bureau des P3. Vous savez ce qu'est un P3 — c'est un partenariat public-privé — et le gouvernement a réservé 1,25 milliard de dollars en vue d'un fonds de P3 dans le cadre des initiatives fédérales d'infrastructure.
Hier, j'ai demandé aux fonctionnaires s'ils avaient préparé une analyse de la façon dont ces partenariats P3 avaient fonctionné — en d'autres termes s'ils fonctionnaient bien ou pas ailleurs, et notamment dans les provinces.
Peut-être que c'était le fait d'une impression superficielle découlant de ce que j'avais vu dans les médias, mais je pense que la Nouvelle-Écosse compte parmi les provinces qui ont tenté ce type de partenariat avec, au mieux, un succès discutable. En savez-vous quelque chose? Avez-vous suivi le dossier?
M. Locke : Mon interprétation aussi est que ces choses fonctionnent parfois raisonnablement bien, mais que parfois elles ne fonctionnent pas du tout. Il nous faut y aller au cas par cas.
C'est comme la privatisation d'une société d'État. Parfois, cela réussit, mais parfois pas. Tout dépend des différents éléments. La chose n'est ni positive ni négative, car il est plutôt question des avantages et des coûts allant dans un sens ou dans l'autre.
Le sénateur Murray : Y a-t-il des leçons à tirer de ce qui s'est passé ailleurs? Êtes-vous au courant du cas de la Nouvelle-Écosse, professeur Hobson?
M. Hobson : Pour ce qui est du cas de la Nouvelle-Écosse vers la fin des années 1980, pendant la période de sévères compressions budgétaires, le gouvernement néo-écossais a tenté des expériences avec des partenariats publics-privés, notamment pour la construction de nouvelles écoles. Le sentiment était que le programme était trop coûteux du point de vue de la province. En même temps, la province a revu les arrangements P3 antérieurs et, dans son récent discours du Trône, elle s'est engagée à forger de nouveaux arrangements P3. Il est évident que la province est d'avis que ce genre de partenariat peut fonctionner de façon bénéfique pour ce qui est de la création d'éléments d'infrastructure essentiels.
Le sénateur Di Nino : Je vais poursuivre cette question des P3 qu'a soulevée le sénateur Murray. D'après ce que je comprends, le concept qui sous-tend les partenariats publics-privés est l'effet de levier et l'effet multiplicateur de l'argent dont disposerait le gouvernement pour un projet donné avec une combinaison de partenariats avec d'autres paliers de gouvernement et, surtout, le secteur privé. Permettez que je prenne l'exemple des 3,5 milliards de dollars que l'actuel gouvernement a réservés aux fins de projets d'infrastructure pour les années à venir. Si l'on devait engager d'autres paliers de gouvernement ainsi que l'entreprise privée, le total pourrait atteindre jusqu'à 100 millions de dollars pour ces projets. Ai-je bien compris?
Deuxièmement, comme c'est le cas de toute autre initiative, il nous faudrait mettre en place certains mécanismes de contrôle ou règles administratives pour veiller non seulement à ce que les fonds ne soient utilisés que pour les fins prévues mais également à ce qu'ils soient utilisés comme il se doit. Ce n'est que censé sur le plan administratif. Rien ne réussit jamais à 100 p. 100, mais, de façon générale, mon impression est que, où que de tels partenariats aient été tentés dans ce pays, ils ont bien réussi. Des gouvernements provinciaux ont pu multiplier par deux ou par trois l'investissement du gouvernement fédéral pour livrer encore plus au public.
Ai-je raison dans ce que je dis?
M. Locke : Nous ne sommes pas des experts en matière de P3. Il importe de tenir compte de quantité de facteurs. Il est vrai que ces partenariats permettent d'obtenir davantage de fonds, mais la question est celle de savoir qui est mieux en mesure d'emprunter bon marché et ce qu'il en résulte pour ce qui est des coûts d'exploitation permanents et des droits à imposer au public. La question est complexe et il nous faut l'examiner au cas par cas. Certains scénarios fonctionnent mieux que d'autres. Nous avons en Nouvelle-Écosse des routes à péage qui semblent fonctionner plutôt bien. Les routes à péage à Toronto semblent moins bien fonctionner. Ce n'est cependant pas notre domaine de spécialisation.
Le sénateur Di Nino : Je comprends cela.
Monsieur le président, mon autre question concerne l'accord. Terre-Neuve et le Labrador ont récemment choisi de participer, bien que pour une période de temps donnée. Je me demande si l'un de nos deux invités ne pourrait pas se prononcer sur cette situation. Cependant, lorsque l'annonce a été faite par, me semble-t-il, le ministre des Finances de Terre-Neuve-et-Labrador, il a été question d'un surplus plutôt robuste dans le budget de la province, et l'on espère que Terre-Neuve et le Labrador pourront continuer de l'augmenter. Quelle incidence cette situation aurait-elle sur la formule de péréquation si les surplus d'une quelconque province sont supérieurs à ce que la province a aujourd'hui ou, en définitive, si la province passe d'un bilan négatif à un bilan positif?
M. Locke : Terre-Neuve a adhéré volontairement à la formule O'Brien. Cela n'a rien du tout eu à voir avec ce projet de loi particulier. Nous avions prévu cela, et les choses n'ont pas changé. Il est important que les sénateurs comprennent la situation.
Terre-Neuve a reçu tout de suite au départ un versement de 2 milliards de dollars lorsque la province a adhéré à l'accord en 2005. Tout paiement au titre de l'accord de 2005 sera déduit du versement de 2 milliards de dollars et ne sera pas inscrit comme montant en argent comptant; cela sera déduit des 2 milliards de dollars. Il ne s'agit pas d'un versement en argent comptant à la province mais plutôt d'une déduction par rapport aux 2 milliards de dollars reçus précédemment. Jusqu'ici, nous avons ainsi pu déduire du total quelque 600 millions de dollars au moyen des versements faits en vertu de l'accord de 2005. Ceux-ci totalisent environ 300 millions de dollars pour cette année. Si nous retirons les 300 millions de dollars au titre de nos versements en argent comptant de nos prévisions, alors le montant d'argent que la province pourrait recevoir en vertu du cadre fixe serait de l'ordre de 666 millions de dollars. Si nous y ajoutons les 305 millions de dollars, cela donne les 971 millions de dollars dont nous avons parlé pour cette année particulière en vertu du cadre fixe. La province a l'option d'adhérer à la formule O'Brien et le zéro pour cent pour les royalties. Si la province opte pour cette formule, alors elle recevra, d'après le budget fédéral, 732 millions de dollars en argent comptant ou en paiements de péréquation pour cette année.
Le montant d'argent qu'elle recevra sera de 732 millions de dollars, ce qui est inférieur au montant des paiements au titre de l'Accord atlantique de 1985, de l'Accord atlantique de 2005 et de la péréquation qu'elle recevrait en 2007-2008. Il sera inférieur d'environ 230 millions de dollars.
Cependant, une fois retirés les 305 millions de dollars qui seront déduits des 2 milliards de dollars, Terre-Neuve s'en tirera mieux avec l'option à zéro pour cent sous le budget de 2007 du fait qu'elle disposera de plus d'argent comptant. Elle aura en définitive 66 millions de dollars de plus en optant pour le nouveau système, bien que le paiement initial de 2 milliards de dollars ne soit pas réduit du fait de retenir l'option zéro pour cent.
En conséquence, Terre-Neuve a simplement ajouté les chiffres pour voir lequel lui donnait le plus d'argent comptant pouvant être utilisé pour revêtir des routes. Les crédits de 300 millions de dollars au titre de l'accord de 2005 ne permettront pas de recruter de nouveaux bureaucrates, d'acheter davantage de papier, d'acheter de nouveaux ordinateurs, de payer de meilleurs services de soins de santé ou d'éducation, et c'est pourquoi le gouvernement a décidé qu'il prendrait l'argent comptant supplémentaire, du simple fait qu'il soit exclu que la province épuise le paiement initial de 2 milliards de dollars entre aujourd'hui et le moment où elle n'aura plus besoin de péréquation.
Il n'y a aucune possibilité que ce montant soit épuisé et la province compte ne plus être bénéficiaire de la péréquation dès l'an prochain, et c'est pourquoi elle a opté pour un plus important montant comptant. Oui, elle avait un excédent budgétaire de plus de 888 millions de dollars. Cet excédent est principalement le fait des prix élevés du pétrole. Il est prévu que les éléments ayant contribué à cet excédent demeurent en place pendant longtemps encore.
Le président : Professeur Hobson, auriez-vous quelque chose à ajouter du point de vue de la Nouvelle-Écosse? Ce versement forfaitaire initial qu'a reçu la Nouvelle-Écosse au titre de l'accord sur les ressources extracôtières est-il intervenu dans la décision de la Nouvelle-Écosse?
M. Hobson : Pas d'après ce que j'en sais. Je ne sais trop où nous en sommes pour ce qui est des crédits portés contre ce montant, mais il ne semble pas que cet argent soit intervenu dans cette décision particulière.
M. Locke : La Nouvelle-Écosse se trouve dans une situation dans laquelle il est extrêmement peu probable qu'elle n'ait plus à bénéficier de la péréquation pendant la période couverte par l'accord et la prolongation de l'accord. Elle finira par rembourser le paiement initial tout en retenant quelque chose, alors il est dans l'intérêt de la province de faire ce qu'elle fait. Il se trouve qu'il est dans l'intérêt de Terre-Neuve-et-Labrador de dire, étant donné que la province ne pourra pas rembourser avant d'en avoir fini avec la péréquation, qu'elle préfère, pour servir son propre intérêt, prendre autant d'espèces sonnantes et trébuchantes que possible dans le court terme. Cela en dit long sur les distorsions créées à l'intérieur du système de péréquation par suite de toutes ces machinations.
Le président : Nous avons tous très bien saisi cela en écoutant vos propos.
Le sénateur Ringuette : Messieurs, je me souviens que lorsque nous avons échangé nos points de vue en juin, il avait été exprimé beaucoup de préoccupations au sujet d'un autre genre de transfert, celui des programmes sociaux et d'éducation postsecondaire.
À cet égard, le sénateur Murray avait répété que ce budget retire de ces transferts ce que l'on appelle la « péréquation auxiliaire », pour chaque province sauf l'Alberta et l'Ontario. Cette suppression n'intervient pas dans le cadre de ce budget-ci, mais débute l'an prochain, et cela créera d'énormes difficultés. Par exemple, le Nouveau- Brunswick va, au cours des dix prochaines années, perdre 1,2 milliard de dollars au titre de ces deux transferts. Pour une petite province comme le Nouveau-Brunswick, cette perte va amener le chaos. De mon point de vue, cela viendra creuser les disparités entre les nantis et les démunis ainsi que les disparités entre certaines provinces, qui se portent un petit peu mieux, et les provinces de l'Atlantique.
Savez-vous s'il y a eu des discussions à ce sujet entre la Nouvelle-Écosse et le gouvernement fédéral? Cela fait 24 mois qu'il y a un nouveau gouvernement ou un vieux gouvernement qui ne s'est pas encore réuni dans le cadre d'un forum autour du premier ministre du Canada et des premiers ministres provinciaux.
Savez-vous s'il y a eu quelque discussion entre la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve au sujet de ces deux autres transferts essentiels pour les provinces?
M. Hobson : Sénateur, je ne suis au courant d'aucune discussion du genre. Bien sûr, rien de tout cela n'est soulevé dans le contexte du projet de loi C-28. Nous avions discuté de la question en juin. Vous avez tout à fait raison de dire que l'adoption d'une formule de transfert égal par habitant viendra creuser les écarts sur le plan de la capacité fiscale d'ensemble des provinces. Il se pose là des questions, mais je ne suis au courant d'aucune discussion entre le gouvernement de la Nouvelle-Écosse et Ottawa, bien que de telles discussions puissent très bien avoir eu lieu.
M. Locke : Je ne suis au courant d'aucune discussion du genre à Terre-Neuve non plus.
Le sénateur Ringuette : Je suis inquiète car, en juin en tout cas, à trois différentes occasions, des fonctionnaires du ministère des Finances ont dit, en réponse à des questions que j'ai posées, qu'il n'y avait aucune analyse du coût de l'éducation et des services sociaux dans les provinces, et qu'il n'y avait aucunement besoin de mesurer la capacité fiscale.
Je suis en train de parcourir mes notes résumant leurs paroles, et les dispositions en matière de soins de santé seront vraisemblablement touchées dans un avenir proche.
Je sais que cette question ne fait pas partie du projet de loi C-28, mais elle compte pour une grosse partie de ce qu'il nous faut examiner dans le contexte des transferts aux provinces.
M. Locke : Il s'agit d'une question sérieuse, qui deviendra plus sérieuse au fil du temps. Nous ne sommes pas au courant des genres de dialogue pouvant se dérouler entre les différents paliers de gouvernement, mais cela n'enlève rien au sérieux de la question. Celle-ci deviendra plus importante, et les gens en apprécieront la portée avec le passage du temps. Nous avons été accaparés par la péréquation, et cette question en est un élément tout aussi important.
Le président : Nous savons votre intérêt pour cette question également, bien qu'elle ne fasse pas partie du projet de loi C-28, comme cela a été souligné par le sénateur Ringuette.
Le sénateur Ringuette : J'espère qu'en acceptant ce nouvel arrangement, il y a eu une entente non écrite avec les provinces en vue de l'examen de ces futurs transferts inégaux, insuffisants et injustes.
M. Hobson : Encore une fois, sénateur, nous ne savons pas quelles discussions ont eu lieu à ce sujet. Il y a eu dans le budget de 2007 une reconnaissance explicite du fait qu'il devrait y avoir une nouvelle péréquation à l'extérieur de la péréquation. Cela a été déclaré dans le rapport O'Brien et compte donc parmi les éléments qui ont amené ce projet de loi.
Tout ce que nous pouvons offrir c'est de dire que nous avons préparé des analyses numériques de la chose. Elles finiront par faire l'objet d'un rapport. Une fois que nous aurons ce rapport, nous nous ferons un plaisir de le fournir au comité.
Le président : Merci de ces explications. Cela est intéressant.
J'ai tout à l'heure mentionné la Saskatchewan. La Saskatchewan, sous une administration antérieure — la province a, depuis, changé de gouvernement —, avait intenté des poursuites contre le gouvernement fédéral relativement à la péréquation, en ce qui concerne, surtout, l'inclusion des ressources naturelles dans les calculs. Savez-vous où en sont les choses pour ce qui est de cette poursuite?
M. Locke : Non, je ne sais pas.
M. Hobson : Non, je ne sais pas où en sont les choses à ce sujet.
Le président : Le premier ministre de la Nouvelle-Écosse, M. MacDonald, a comparu devant le comité à environ la même époque que votre dernière comparution, lorsque nous discutions de la mise en œuvre du budget de mars de cette année. M. MacDonald avait alors déclaré ceci :
En bout de ligne, tout ce que nous voulons c'est ce qui a été signé en 2005. Je veux parler de l'Accord atlantique. Au lieu de cela, le gouvernement fédéral l'a unilatéralement déchiré le 19 mars lorsqu'il a déposé son budget. Nous voulons l'accord. Voilà quelle est ma position.
L'on sait qu'il l'a signé le 10 octobre. Pouvez-vous tous les deux dire que les droits des provinces, soit la Nouvelle- Écosse et Terre-Neuve et le Labrador, ont été rétablis par les dispositions de ce projet de loi et par l'accord qui a été conclu avec la Nouvelle-Écosse le 10 octobre de cette année?
M. Hobson : Oui, ce qui a bien sûr été négocié ici est différent de l'interprétation par la Nouvelle-Écosse de l'accord de 2005, tel que représenté dans la partie A du tableau que vous avez sous les yeux. Il est certain qu'avec le nouvel arrangement, par le biais de la formule O'Brien, il y a une certaine récupération des paiements de péréquation, et notamment des revenus en provenance des ressources extracôtières, par le biais du plafond. Cela ne correspond pas à l'accord de 2005. Le principe de l'accord n'est pas respecté dans ce nouvel arrangement mais, financièrement, les chiffres laissent entendre que la province se porte mieux encore que si le principe de l'accord avait été respecté. Cela semblerait expliquer pourquoi la province a accepté cette proposition.
M. Locke : Je suis d'accord avec M. Hobson pour dire que, dans le cas de la Nouvelle-Écosse, la province reçoit plus d'argent. L'accord ne fonctionne toujours pas comme il était censé, mais la Nouvelle-Écosse reçoit plus d'argent, et elle en reçoit plus que si le cadre fixe de 2007 était demeuré en place, alors je suppose que la proposition est une bonne chose. C'est un compromis. Elle permet au gouvernement fédéral de dire que toutes les provinces s'inscrivent maintenant sous le même régime de péréquation, chose qu'il n'aurait pas pu faire si la Nouvelle-Écosse avait opté pour le cadre fixe dans le budget. Ce choix aurait créé des problèmes pour le gouvernement fédéral.
Pour ce qui est de Terre-Neuve-et-Labrador, je ne pense pas que ce soit le cas. Je ne pense pas que Terre-Neuve et le Labrador adhéreraient à ce projet de loi particulier. Il ne s'y trouve rien pour eux. La seule chose pour eux, c'est un petit peu plus d'argent qu'ils verront cette année et peut-être l'an prochain. Non, ce régime ne règle pas les problèmes de Terre-Neuve-et-Labrador et ne règle pas le fait que cet accord ne fonctionne pas comme il était censé fonctionner. Cependant, Terre-Neuve ne sera plus bénéficiaire de la péréquation d'ici un an ou deux, et la question sera donc sans intérêt pratique aucun.
Le président : Cependant, ce que Terre-Neuve et le Labrador ont annoncé au cours des deux ou trois derniers jours ne se réalisera que si le projet de loi C-28 est adopté, n'est-ce pas?
M. Locke : Non, ce n'est pas le cas.
Le président : Comment pourront-ils avoir l'arrangement qu'ils pensent avoir en ce moment en vertu du budget si le projet de loi n'est pas adopté?
M. Locke : D'après ce que je comprends, ils avaient dans le budget l'option de retenir la formule O'Brien, et le gouvernement fédéral allait calculer laquelle des options O'Brien, soit le 50 p. 100 soit le zéro pour cent, allait être dans leur intérêt, ou alors ils pouvaient préciser quel chiffre ils voulaient. Cette option a été adoptée avec la dernière ronde de discussions budgétaires. Ils sont en train de dire : « Nous choisissons le chiffre 732 millions de dollars, s'il vous plaît », et cette option n'a rien du tout à voir avec le projet de loi. Cela a à voir avec ce qui était disponible avant et ce qu'ils reçoivent en argent comptant versus ce qu'ils reçoivent en crédits appliqués contre les 2 milliards de dollars. Le projet de loi n'a aucun effet sur ce qu'ils font maintenant.
Le sénateur Di Nino : Je pense que le projet de loi offre le cadre législatif nécessaire à la mise en œuvre de cette option. Je pense que si vous vérifiiez, vous verriez que c'est le cas.
D'autre part, le premier ministre MacDonald a également récemment fait une déclaration à l'effet que l'accord qui avait été signé était avantageux pour la Nouvelle-Écosse, alors je pense qu'il en est heureux.
Le président : Oui, mais le premier commentaire du sénateur Di Nino est contraire à ce qu'a dit M. Locke. Ils n'ont pas besoin du projet de loi C-28 pour retenir l'option qu'ils ont choisie sous la formule O'Brien. Est-ce bien le cas?
M. Locke : Nous parlons de Terre-Neuve-et-Labrador. Terre-Neuve n'avait pas besoin de ce projet de loi pour opter pour la formule O'Brien. Terre-Neuve avait cette possibilité. Lorsqu'a été adoptée la Loi d'exécution du budget 2007, Terre-Neuve aurait pu choisir d'adhérer à la formule O'Brien, ce que fait la province maintenant, et elle a choisi un montant d'argent, soit les 723 millions de dollars qui étaient à sa disposition au titre de paiements de péréquation, même si les 732 millions de dollars sont inférieurs aux 971 millions de dollars figurant dans le budget. Les 971 millions de dollars correspondaient à de la péréquation, aux paiements en vertu de l'accord de 2005 et aux paiements en vertu de l'accord de 1985. La province a dit : « Compte tenu des options à notre disposition, bien qu'aucune d'entre elles ne soit attrayante, c'est celle-ci que nous choisissons. »
Le président : Y a-t-il quelque chose découlant de ces questions?
Le sénateur Di Nino : J'ai des notes laissant entendre que le projet de loi C-28 offre le cadre législatif nécessaire. Je me trompe peut-être. Nous devrions vérifier cela.
Le président : Je pense que le professeur Hobson a indiqué que le projet de loi C-28, celui que nous sommes en train d'examiner, est nécessaire pour que la Nouvelle-Écosse ait l'arrangement qu'elle souhaite avoir.
M. Hobson : Le libellé du projet de loi C-28 englobe Terre-Neuve et le Labrador, mais la décision de la province n'est pas fondée sur le même arrangement auquel a adhéré la Nouvelle-Écosse.
Le président : Je pense qu'il y a maintenant un consensus parmi nous sur cette question. Nous comprenons ce que vous avez dit.
S'il n'y a pas d'autres questions, honorables sénateurs, il ne me reste plus qu'à remercier nos deux témoins, M. Locke, de l'Université Memorial, et M. Hobson, de l'Université Acadia. Cela nous intéresserait de rester en contact avec vous. Nous nous intéressons au transfert par habitant au titre du Transfert canadien en matière de santé et du Transfert canadien en matière de programmes sociaux. Nous communiquerons vraisemblablement en temps et lieu avec vous à ce sujet. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir participé à notre séance par téléconférence pour discuter de cet important projet de loi d'exécution du budget, le projet de loi C-28. Merci beaucoup et joyeuses fêtes.
Je suis heureux d'accueillir maintenant deux nouveaux témoins pour cette séance. Premièrement, Bob Friesen, président de la Fédération canadienne de l'agriculture, est ici pour nous entretenir de l'aspect protection du revenu des agriculteurs du projet de loi. Une partie de ces renseignements se trouve à l'onglet 11 de votre documentation.
Fondée en 1935, la Fédération canadienne de l'agriculture est la voix des agriculteurs du Canada à Ottawa. La Fédération canadienne de l'agriculture est la plus importante organisation d'agriculteurs au pays. Comptent parmi ses membres des organisations provinciales, des organisations agricoles générales et des organisations nationales et interprovinciales de producteurs de toutes les provinces.
Le deuxième témoin est Rob Rainer. M. Rainer est directeur exécutif de l'Organisation nationale anti-pauvreté. Il va nous entretenir de la prestation fiscale pour le revenu de travail qui est proposée dans le projet de loi. Ces renseignements se trouvent dans la partie 3 de la documentation.
L'Organisation nationale anti-pauvreté est une organisation non partisane sans but lucratif qui œuvre en vue de l'élimination de la pauvreté au Canada.
Bonjour, messieurs, et merci à tous les deux de vous être joints à nous. Avant d'entendre vos déclarations d'ouverture, le sénateur Ringuette aimerait faire une intervention.
Le sénateur Ringuette : Oui, j'invoque le Règlement. J'aimerais savoir si mes collègues ont reçu les mêmes renseignements que ceux que j'ai reçus ce matin du greffier relativement à la question que j'ai posée hier aux fonctionnaires du ministère des Finances.
Le président : Nous avons reçu la documentation. Elle a été reproduite et elle va tout de suite être distribuée à tous les membres du comité.
Le sénateur Ringuette : À ce sujet, serait-il possible que le comité demande la présence des fonctionnaires du ministère des Finances pour examiner cette question injuste de la suppression de l'endettement d'un certain groupe de personnes mais pas d'un autre groupe, notamment les aînés, et je songe ici tout particulièrement aux fiducies de revenu?
Monsieur le président, allons-nous recevoir à nouveau les fonctionnaires du ministère des Finances?
Le président : Je n'ai pas encore lu la documentation. Comme je l'ai indiqué, nous ne l'avons que tout récemment reçue. Les fiducies de revenu ne sont pas visées par ce projet de loi, d'après ce que je comprends, à moins que vous puissiez me renvoyer à un article précis du projet de loi. Il va sans dire que cette question est importante, mais il importera d'en tenir compte aux fins de discussions futures par le comité. Cette documentation nous aidera à déterminer quels seraient les bons témoins à entendre.
Le sénateur Ringuette : Je suis d'accord avec vous là-dessus.
Le président : Le comité directeur tiendra compte de ces renseignements.
Monsieur Rainer et monsieur Friesen, avez-vous chacun des remarques liminaires à nous faire?
Bob Friesen, président, Fédération canadienne de l'agriculture : Oui, j'aimerais aborder un certain nombre de choses qui ont été annoncées dans le budget.
Premièrement, merci de ces mots de présentation. Oui, notre organisation existe depuis 1935. Elle a été créée pour intervenir au nom des agriculteurs et les habiliter. Même si nombre de mes collègues me disent que j'ai l'air vieux, je peux vous assurer que ce n'est pas en 1935 que j'ai vu le jour.
Merci de l'occasion qui nous est ici donnée de comparaître devant vous. Le greffier s'est excusé du court préavis. Permettez-moi de vous assurer que cela nous importe peu que le préavis soit long ou court. Nous sommes heureux de parler de l'agriculture à chaque fois que l'occasion se présente.
Permettez-moi de commencer par vous lire un extrait du communiqué de presse que nous avons diffusé après le budget de ce printemps : « Je pense que ce budget reflète une bonne compréhension des questions et constitue un pas réel en vue de leur résolution ». Cette opinion concernait, bien sûr, l'agriculture.
Nous sommes toujours vivement intéressés par les consultations prébudgétaires, désireux que nous sommes de discuter de certains des besoins qui existent dans le secteur agricole. Comme vous le savez, l'agriculture est un secteur extrêmement important pour l'économie canadienne, comptant pour près de 9 p. 100 du produit intérieur brut et 14 p. 100 de l'emploi. Vous savez peut-être également que l'agriculture connaît ses problèmes. Certains secteurs se portent parfois bien, et à d'autres moments, certains secteurs se portent moins bien.
Pour ce qui est plus précisément du budget, nous sommes heureux de l'augmentation de l'exemption pour gains en capital. Nous attendions cette exemption depuis quelque temps. Étant donné surtout l'environnement agricole d'aujourd'hui, les agriculteurs ont besoin de tous les mécanismes possibles afin de pouvoir transmettre leur exploitation à de nouveaux entrants ou à leurs enfants, et ce de la meilleure façon possible.
Vous savez peut-être que l'âge moyen des agriculteurs continue d'augmenter au Canada. Le nombre d'agriculteurs âgés de moins de 35 ans est passé de 21 p. 100 de la population agricole il y a de cela quelques années à moins de 10 p. 100 aujourd'hui. Voilà ce que nous réserve l'avenir. L'augmentation de l'exemption pour gains en capital facilitera l'encaissement par les agriculteurs de leurs avoirs, leur procurera l'assurance d'une certaine stabilité et leur permettra de céder plus facilement leur ferme à leurs enfants ou à de nouveaux entrants.
Dans ce budget, il y avait également une allocation de quelque 600 millions de dollars à ce que nous appelons aujourd'hui le palier Agri-investissement. Nous avions demandé cela au ministre. Nous avions demandé à faire une analyse pour déterminer le mérite de la transformation du palier supérieur du Programme canadien de stabilisation du revenu agricole, ou PCSRA, en un palier plus stable et plus prévisible. Lorsque le ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire, Chuck Strahl, a fait l'annonce, il m'a dit ceci : « Vous avez continué de demander une analyse là- dessus. Plus je discute avec des agriculteurs, plus ils me demandent de mettre en œuvre ce changement. »
L'élément positif de cette annonce est que lorsque le gouvernement a annoncé ce changement au palier supérieur, il l'a annoncé en même temps que 600 millions de dollars en fonds de démarrage ou de lancement.
Nous avons un secteur agricole diversifié et, malheureusement, lorsqu'on apporte un changement au niveau de la politique, même si celui-ci peut être positif à court terme pour un secteur, il peut avoir une incidence néfaste à court terme sur un autre secteur.
Nous sommes confiants et convaincus que ce changement sera bon pour tout le monde à long terme. Il n'aurait pas pu survenir à un meilleur moment pour le secteur des céréales et des oléagineux, et cela est positif, mais il n'aurait pas pu survenir à un pire moment pour le secteur de l'élevage. Nous ne disons pas que ce n'est pas une bonne idée. Nous disons, prévoyons quelque chose afin que le secteur de l'élevage, du fait de la terrible crise qu'il vit, se voie offrir le choix de retenir l'ancien palier supérieur ou le nouveau palier supérieur, au moins pour 2007-2008. Il nous faut espérer que la crise sera d'ici là terminée et que toute l'agriculture pourra alors bénéficier de ce palier supérieur plus stable et plus prévisible.
En même temps, le gouvernement a annoncé 400 millions de dollars dans le contexte d'une approche axée sur les coûts de production, ce pour atténuer certains des problèmes que connaît l'agriculture. Si je me souviens bien, il s'agissait de 400 millions de dollars tout de suite et de 100 millions de dollars de plus chaque année pendant cinq ans. Bien que cela ne s'inscrive pas dans une formule de coût de production, il y a une nette reconnaissance que les défis des agriculteurs ne sont pas le fait uniquement de bas prix pour leurs produits, mais également de coûts des intrants qui ne cessent d'augmenter. Nous avons vu dans ce qui a été proposé une bonne compréhension de la façon d'aborder de différents points de vue les défis auxquels l'agriculture est confrontée.
Je tiens également à souligner et à reconnaître les possibilités et le potentiel que nous estimons avoir dans tout le domaine des biocarburants et des bioénergies. Encore une fois, je pense que notre réussite éventuelle dépendra de l'établissement d'une politique concurrentielle par rapport à l'industrie des biocarburants aux États-Unis ainsi qu'au Brésil. Nous savons que nous accusons un gros retard par rapport aux Américains. Les États-Unis sont très en retard par rapport au Brésil. Cependant, nous estimons qu'il s'agit d'un pas dans la bonne direction pour créer d'autres possibilités pour les producteurs primaires ainsi que pour l'industrie en aval. C'est également une occasion d'utiliser ce potentiel pour favoriser la rentabilité et l'instauration d'un environnement plus positif pour l'agriculture.
Cela étant dit, je tiens à souligner un certain nombre de questions dans le contexte de l'énoncé économique d'octobre et du budget à venir. L'une de ces questions est la crise dans l'élevage. Cette situation est telle que nous sommes aujourd'hui confrontés à une crise d'une envergure sans précédent. Cela ne se limite pas aux seuls agriculteurs. La crise touche les fournisseurs d'intrants, notre secteur de transformation et notre infrastructure rurale. Je suis moi-même producteur de dindons et de porc au Manitoba, et cette crise menace également la santé de nos petites collectivités, car si un secteur de l'industrie de production primaire souffre, cela a des ramifications négatives pour les petites localités, les entreprises des petites localités et ainsi de suite, et il nous faut donc nous attaquer à ce problème.
Je me suis entretenu la semaine dernière avec le ministre Gerry Ritz au sujet de l'industrie du tabac. Il s'agit là encore d'une autre industrie pour laquelle il nous faut trouver des solutions et faire disparaître le problème.
J'aimerais maintenant vous parler de deux choses positives, monsieur le président, après quoi je conclurai. Nous allons être à la recherche d'un petit montant d'argent pour deux initiatives, petit si vous songez à tout l'argent qui est investi dans l'agriculture par les deux paliers de gouvernement.
L'une est une initiative proprement canadienne dans le cadre de laquelle nous demandons de l'argent en vue d'une stratégie de commercialisation positive pour le consommateur canadien et pour le marquage du Canada au Canada. Nous avons fait pas mal d'études de marché. Nous savons quels sont les sentiments des consommateurs canadiens à l'égard de la production canadienne et nous savons qu'ils veulent appuyer l'agriculture. Je serai prêt à répondre à toutes vos questions là-dessus tout à l'heure.
Une autre initiative excitante est le renforcement ou l'habilitation des agriculteurs sur le marché, et nous nous efforçons de faire un maximum pour rendre l'agriculture plus rentable. Nous appelons cela un plan d'investissement dans des coopératives, et nous nous sommes tournés vers le Québec pour ce modèle. Nous estimons qu'une concession fiscale de 20 millions de dollars à l'échelle du pays pour les agriculteurs canadiens résulterait en des centaines de millions de dollars d'investissement direct dans des coopératives — et les coopératives servent à habiliter les agriculteurs — et en des investissements supplémentaires de centaines de millions de dollars par ces coopératives dans les régions rurales. Nous parlons sans cesse de développement rural et d'amélioration des régions rurales, et nous croyons que cette initiative est elle aussi positive.
Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis à votre disposition pour répondre à toutes vos questions sur ces sujets.
Rob Rainer, directeur exécutif, Organisation nationale anti-pauvreté : Merci de cette invitation à prendre la parole devant le comité aujourd'hui.
J'ai été invité à court préavis et nous serons ravis de parler de la prestation fiscale pour le revenu du travail, qui est une initiative spécifique introduite par le gouvernement dans le dernier budget dans le but d'aider les Canadiens à faible revenu. Dans mes remarques liminaires, j'aimerais faire le point de la situation actuelle au Canada et inscrire en contexte cette question particulière.
Pour ceux d'entre vous qui connaissent Ottawa, vous savez que l'un de nos foyers d'accueil affiche au-dessus de sa porte : « Au service des sans-abri depuis 1906 ». Cette description représente un constat frappant de tout ce que nous n'avons pas su faire dans ce pays au cours des 100 dernières années. J'espère que nous ne verrons plus ce panneau dans 100 ans, disant toujours « Au service des sans-abri depuis 1906 », soit au bout de 200 ans. Il faut se demander pourquoi le Canada n'a pas mieux progressé dans la solution d'un problème de droit humain élémentaire, le droit à la sécurité du revenu.
Il est vrai que l'incidence de la pauvreté au Canada a baissé ces dernières années. Par incidence de la pauvreté, j'entends le pourcentage des personnes vivant en dessous ou au niveau du seuil de la pauvreté au Canada. Nous n'avons pas un seuil de pauvreté officiel au Canada et l'on peut se demander pourquoi, mais nous avons les chiffres fournis annuellement par Statistique Canada. Nous savons que le pourcentage des personnes vivant à la ligne de pauvreté ou en dessous, et c'est une ligne rigide, a baissé, mais la réalité de l'indigence est néanmoins très présente. Il suffit pour s'en convaincre de voir le nombre de banques alimentaires au Canada, qui ne cesse d'augmenter d'année en année. Elles sont au nombre de 673, après que la première ait été fondée à Edmonton en 1981.
Nous avons également un chiffre estimatif de 150 000 à 300 000 personnes absolument sans abri qui vivent dans des foyers et dans la rue. Nous les rencontrons ici à Ottawa, bien sûr, à proximité de la colline du Parlement, et dans tous les grands centres urbains du pays.
Toute cette pauvreté existe dans une économie en expansion, qui jouit d'une croissance énorme. Le Canada est maintenant devenu la neuvième plus grosse économie du monde.
Il faut se poser un certain nombre de questions profondes. Pourquoi la pauvreté reste-t-elle omniprésente en dépit de tous les efforts déployés depuis 1906 et auparavant? En dépit de tous ces efforts, nous avons toujours un problème de pauvreté dans ce pays, un pays prospère jouissant d'une économie en expansion massive.
Parallèlement à la pauvreté se pose le problème croissant de l'insécurité du revenu. Là encore, il importe d'inscrire le problème en contexte. Il se manifeste des disparités croissantes de revenu et de richesse. Les données du Congrès du travail du Canada et du Centre canadien de politiques alternatives, le CCPA, montrent que les cadres dirigeants les mieux rémunérés du pays gagnent en 13 heures l'équivalent du salaire minimum payé à un travailleur pour toute une année. C'est là un écart énorme.
Des données impressionnantes du CCPA sur ce qu'il appelle le fossé grandissant montre la disparité persistante de revenu et de patrimoine entre les Canadiens les mieux et les moins payés. J'ai quelques chiffres, que je ne puis distribuer, car ils n'ont pas encore été publiés, mais qui illustrent cet écart incroyable. Si l'on divise le pays en décile, c'est-à-dire des tranches de population de 10 p. 100, en 1904, le plus faible décile avait un patrimoine médian de moins 2 100 $. En 2005, 21 ans plus tard, ce patrimoine avait chuté à moins 9 600 $. Les 10 p. 100 supérieurs des Canadiens, sur le plan de la richesse, avaient en 1984 un patrimoine médian de 535 000 $. Ce chiffre avait presque doublé en 2005, pour atteindre près de 1,2 million de dollars.
Nous avons donc ce fossé incroyable qui va s'élargissant, les trois déciles inférieurs reculant sur le plan de l'accumulation de richesse. Ils perdent du patrimoine. Les trois ou quatre déciles moyens sont plus ou moins stagnants. Seuls les deux ou trois déciles supérieurs affichent une augmentation, mais surtout le décile supérieur. Cet écart devient un problème de société dans notre pays. Si nous nous targuons d'offrir l'égalité, l'équité et des chances pour tous, nous devons remédier à ce fossé croissant, ainsi qu'au problème de la pauvreté.
Je voulais inscrire cela en contexte car la prestation fiscale pour le revenu du travail est à peu près la seule initiative nouvelle annoncée par le gouvernement actuel dans le dernier budget qui tente de répondre à certaines des préoccupations des Canadiens à faible revenu. Lorsqu'on entre un peu dans le détail, il devient clair que cette mesure laisse à désirer. C'est un geste minuscule qui détourne aussi dans une certaine mesure l'attention d'autre chose qu'il faudrait faire pour améliorer la sécurité du revenu.
Le président : Merci à tous deux de vos remarques.
Premièrement, monsieur Friesen, je connais l'agriculture au Nouveau-Brunswick et de nombreux cultivateurs y sont également propriétaires de boisés. Vous savez que l'industrie forestière traverse une crise grave. Vous avez indiqué que le secteur de l'élevage connaît un marasme et l'industrie forestière traverse également une grave crise en ce moment.
Quel effet le repli de l'industrie forestière aura-t-il sur ces agriculteurs? Je soupçonne que dans des régions autres que le Nouveau-Brunswick, des agriculteurs exploitent également des boisés et sont actifs dans l'industrie forestière.
M. Friesen : C'est une bonne question et je parlais justement à un propriétaire de boisés de Nouvelle-Écosse il y a quelques semaines. Les propriétaires de boisés du Québec ont exprimé également leur inquiétude.
Cependant, cette question n'a pas été évoquée à notre table, et notre organisation membre du Nouveau-Brunswick ne l'a pas mise en discussion autour de notre table, pas plus que le Québec, où le problème est soulevé de temps à autre. Cependant, vu la discussion que j'ai eue il y a quelques semaines, je pense qu'il y a lieu de se pencher sur cet aspect.
Le président : J'espère que vous le ferez, car de nombreux agriculteurs dépendent de leur terre à bois pour compléter l'élevage ou la céréaliculture. Ces activités vont de pair et si l'une souffre si terriblement, toute l'exploitation s'en ressent.
M. Friesen : C'est une excellente remarque. Une chose que l'on prêche toujours lorsqu'un secteur va mal, et une chose qu'il est toujours facile de dire c'est : « Eh bien, vous devez diversifier. » Ce monsieur de Nouvelle-Écosse auquel j'ai parlé avait une grosse exploitation de naissage-engraissage et l'avait récemment dépeuplée entièrement à cause de la crise dans l'élevage. Comme propriétaire de boisé, il dépendait pour ses revenus futurs de sa forêt. La diversification ne sert pas à grand-chose si tous les secteurs ne sont pas forts.
Je vous remercie de cette remarque et nous nous pencherons sur la question.
Le président : Mon autre question s'adresse à M. Rainer et porte sur la prestation fiscale pour revenu de travail. Nous apprécions les données générales et le contexte que vous avez esquissé pour nous, à savoir la prospérité croissante au Canada et le segment du Canada qui reste sur le bord de la route.
Je pense que nous avons tous conscience de ce mur de l'assistanat, le fait que les prestataires de l'aide sociale ne peuvent s'en passer du fait des diverses prestations qu'ils reçoivent comme assistés et qui les empêchent de retourner sur le marché du travail. Toute initiative pouvant faciliter cette transition mérite d'être explorée.
Pensez-vous que cette initiative particulière va faire une différence notable? C'est une prestation fiscale pour ceux qui travaillent. Si j'ai bien saisi, elle offre un crédit d'impôt remboursable équivalent à 20 p. 100 de chaque dollar de salaire gagné au-dessus du seuil de 3 000 $, pour une prestation maximale de 500 $. Pour quelqu'un qui ne peut se priver de l'aide sociale, car celle-ci comprend l'assurance médicale et hospitalisation, est-ce qu'un programme offrant une prestation maximale de 500 $ va faire une différence?
M. Rainer : Non. L'un des points que nous faisons valoir dans notre mémoire est que le niveau de la prestation est bien trop faible. Au point trois de mon mémoire, j'indique que le seuil de faible revenu pour une famille à deux parents et deux enfants était de 38 610 $. Cette famille moyenne à faible revenu avait besoin de 11 100 $ de plus pour atteindre ce seuil en 2005. Cela met en jeu la profondeur de la pauvreté. En ce sens, la prestation fiscale pour revenu de travail effleurera à peine la surface du problème.
Le niveau de la prestation pourrait manifestement être augmenté. Le Caledon Institute of Social Policy a préconisé de la multiplier par deux. Dans un rapport influent publié l'an dernier, le groupe de travail sur la modernisation de la sécurité du revenu pour les adultes en âge de travailler, qui se concentrait principalement sur la situation ontarienne mais intégrait dans ses calculs la contribution fédérale pour voir comment moderniser la sécurité du revenu, a proposé une prestation de 2 400 $. Si nous commençons à 500 $, nous sommes bien en dessous de ce que d'autres analystes ont déjà dit être nécessaire.
Aux États-Unis, la prestation maximale est de 4 400 $ américains et il semble qu'elle ait fait une différence aux États- Unis s'agissant de sortir les enfants de la pauvreté.
Cependant, cette mesure est controversée et un argument essentiel que nous faisons valoir dans le mémoire, au point deux, est que si la prestation a pour but de sortir les gens de l'assistanat, pourquoi ne pas verser un salaire minimum qui permette aux travailleurs à temps plein de dépasser le seuil de pauvreté?
Cela nous ramène au principe énoncé par Harry Arthurs dans son rapport sur les normes de travail fédérales de l'an dernier. Je ne sais pas ce qu'il est advenu de ce rapport — c'est un document très volumineux — mais il avait pour mission de se pencher sur les normes de travail fédérales pour le XXIe siècle. Sa thèse centrale était que le gouvernement devrait accepter le principe selon lequel :
... aucun travailleur canadien ne doit continuer à vivre dans la pauvreté alors qu'il a travaillé à temps plein pendant un an. Ce principe devrait être mis en pratique sur une période transitoire plusieurs années pendant lesquelles on relèverait le salaire minimum fédéral jusqu'à ce qu'il atteigne l'indice du seuil de faible revenu (SFR). Ensuite, le salaire minimum devrait être augmenté à intervalles fixes selon une formule convenue. Il s'agit d'une question de décence fondamentale dont aucun pays moderne et prospère comme le Canada ne peut faire abstraction. Heureusement, il est possible d'établir un salaire minimum sans que cela n'ait de répercussions graves pour l'emploi dans le secteur assujetti à la législation fédérale.
Nous faisons valoir que ce principe devrait s'appliquer également aux secteurs autres, tels que le secteur provincial, le secteur privé, et cetera. Nous avons assisté à une augmentation des salaires minimaux dans maintes juridictions ces dernières années. Les gouvernements semblent être plus sensibles à cet enjeu, mais universellement, partout, les salaires minimaux restent toujours au-dessus du niveau qu'ils devraient avoir.
Si ce principe énoncé par M. Arthurs devait être appliqué, cela signifie qu'en 2006 le salaire minimum à travers le pays aurait dû se situer entre 9,35 $ l'heure et 13,60 $ l'heure pour une personne travaillant 30 heures par semaine pendant 52 semaines, en tenant compte des différences de coût de la vie entre les zones rurales et les grandes villes. Or, aujourd'hui, le salaire minimum au Canada va d'un minimum de 7,25 $ de l'heure au Nouveau-Brunswick à 8,50 $ de l'heure au Nunavut.
Le gouvernement de la Saskatchewan a récemment annoncé son intention d'augmenter son salaire minimum jusqu'à hauteur de ce principe Arthurs, pratiquement. Les personnes qui travaillent à temps plein pendant un an au salaire minimum devraient pouvoir satisfaire leurs besoins fondamentaux.
Si nous voulons que les gens aillent sur le marché du travail, il faut rendre celui-ci attrayant, et l'on peut y parvenir soit par des compléments de revenu, tels que la prestation fiscale pour revenu de travail, qui impose un fardeau aux contribuables, ou bien on peut faire peser le fardeau sur les salaires payés par les employeurs.
Je pense pour ma part, et c'est peut-être une position idéologique, que lorsque l'on considère cet écart croissant et la concentration de la richesse, ceux qui possèdent les entreprises ayant du capital voient en général augmenter leur part du gâteau, en quelque sorte. Par conséquent, il nous semble plus juste de demander à ces entités de payer à leurs employés un salaire minimum qui leur permette de satisfaire leurs besoins élémentaires. C'est là l'une des questions fondamentales en jeu.
D'autres analystes ont estimé que, en sus d'une augmentation des salaires minimaux, il faudrait envisager une réforme du système d'assurance-emploi, une réforme des programmes d'assistance sociale, et cetera. Dans la mesure où nous investissons dans la prestation fiscale pour revenu de travail, cette initiative réduit quelque peu la nécessité de faire ces autres choses.
D'aucuns font valoir que si nous avions une prestation fiscale pour revenu de travail robuste, les employeurs risqueraient de dire que, puisque celle-ci complète les revenus, ils n'ont pas besoin de verser un salaire minimum permettant de dépasser le seuil de pauvreté.
Je sais que cela a été une réponse longue et sinueuse à votre question, mais voilà le contexte général.
Le président : C'est un équilibre délicat à trouver entre l'emploi des deniers publics par l'intermédiaire d'une initiative financée par le contribuable ou l'employeur. C'est intéressant.
Le sénateur Nancy Ruth : Mon cœur souscrit à beaucoup de choses que vous dites dans votre texte. Le salaire minimum est du ressort provincial, n'est-ce pas?
M. Rainer : Il y a un salaire minimum fédéral pour les travailleurs fédéraux.
Le sénateur Nancy Ruth : Cependant, nombre des personnes dont vous parlez relèvent des provinces.
M. Rainer : C'est un programme principalement provincial et territorial, oui.
Le sénateur Nancy Ruth : Le genre d'architecture sociale que vous proposez serait agréable, mais elle n'existe pas.
Préféreriez-vous ne pas avoir de prestation fiscale pour revenu de travail si elle n'est pas du montant que vous souhaitez, ou bien un premier pas vaut-il mieux que rien?
M. Rainer : Notre réaction initiale était que cette prestation constitue un pas dans la bonne direction car, concrètement, elle apporte un peu d'argent à certains. Pour ceux qui se débattent dans la pauvreté, tout apport d'argent est le bienvenu. Mais réfléchissant de plus près à cette initiative et au contexte d'ensemble, il est troublant de mettre davantage l'accent sur les compléments de revenu plutôt que de s'attaquer à d'autres causes profondes de l'insécurité.
C'est une affaire d'équilibre, de phase de transition. Peut-être le gouvernement doit-il rechercher un meilleur équilibre. Dans le budget fédéral, cette prestation était à peu près la seule initiative majeure en faveur des personnes à faible revenu. Le coût initial a été chiffré à 555 millions de dollars en 2008-2009. On peut se demander pourquoi cet argent n'a pas été consacré aux garderies.
Le sénateur Nancy Ruth : Il me semble que c'est un surcroît de 555 millions de dollars en 2008-2009, pour un total de 1,245 milliard de dollars.
M. Rainer : D'accord, le gouvernement doit opérer ces choix. Nous savons que l'assistance à la garde des enfants est cruciale si l'on veut aider les chefs de famille en difficulté à travailler. S'ils n'ont pas accès à des garderies de qualité et abordables, cela va les empêcher d'occuper un emploi. Il est crucial d'investir dans les garderies, et peut-être cet argent serait-il plus efficace dans ce domaine. En même temps, on pourrait obliger les employeurs à continuer d'augmenter le salaire minimum.
Le sénateur Nancy Ruth : Mais ce ne sont pas là des montants dépensés.
Le président : C'est un crédit d'impôt.
Le sénateur Nancy Ruth : Oui, c'est un crédit. C'est un manque à gagner pour le Trésor mais ce n'est pas comme donner aux provinces 250 millions de dollars de plus ou porter le crédit d'impôt pour enfant à 200 $ par enfant au lieu de 100 $. Ce crédit est une sorte d'argent différente.
M. Rainer : Oui.
Le sénateur Nancy Ruth : Je ne suis pas sûre qu'ils soient comparables. On pourrait bien combiner les deux.
À ma connaissance, même 100 $ par enfant représente une dépense de 2 milliards de dollars par an. C'est une somme extraordinaire. Soit on rembourse la dette soit on ne le fait pas. Il faut faire des choix. Cependant, je suis heureuse de vous entendre dire que c'est au moins un pas dans la bonne direction, même s'il ne va pas aussi loin que vous le souhaitez.
M. Rainer : C'est une adhésion réservée. Dans le premier point de notre mémoire, nous disons que nous avons du mal à être enthousiastes à ce sujet. Notre préférence serait certainement une augmentation des salaires minimaux suffisante pour appliquer ce principe, que nous considérons pratiquement comme faisant partie des droits de la personne. Est-ce que quelqu'un ici n'aimerait pas voir ses enfants indépendants, âgés de 20 ou 21 ans, travailler à temps plein pour un salaire qui ne leur permet même pas de satisfaire leurs besoins élémentaires? C'est cela que signifie le seuil de pauvreté. Il renvoie à la nourriture, au logement et à l'habillement.
S'ils sont à 10 000 $ en dessous du seuil de pauvreté, vous pouvez imaginer les choix que les gens sont obligés de faire. Ils coupent l'électricité et n'achètent pas de nourriture. Ils payent le loyer et n'achètent pas de nourriture, ou bien de la mauvaise nourriture. Les banques alimentaires n'offrent souvent pas une nourriture de la meilleure qualité, s'ils doivent faire appel à elles.
Est-ce que l'un d'entre nous ici aimerait voir ses enfants vivre dans de telles conditions s'ils travaillent? Nous avons un énorme pourcentage de personnes qui travaillent dans ces conditions. Nous avions 2,1 millions de salariés gagnant moins de 10 $ de l'heure en 2006. Nous savons que 37 p. 100 de tous les emplois dans ce pays sont à temps partiel, temporaires, à contrat ou autonomes. C'est un chiffre qui va croissant. De nombreux changements dynamiques sont à l'œuvre dans la population active.
Il y a une énorme précarité dans le travail et dans la sécurité du revenu, et ce crédit ne va pas faire grand-chose pour remédier à cette insécurité.
Le sénateur Nancy Ruth : Est-ce que votre organisation préconise un salaire minimum de 12 $?
M. Rainer : Beaucoup de groupes, initialement, se sont prononcés pour 10 $ de l'heure, ce qui généralement permettrait à un célibataire de satisfaire ses besoins fondamentaux. D'autres organisations ont proposé légèrement plus.
La B.C. Federation of Labour prône 11 $ de l'heure pour le Lower Mainland, par exemple. Même à ce taux, un adulte indépendant aura du mal à subvenir à ses besoins, mais cela vaudrait beaucoup mieux que 7,25 $ ou 8 $ de l'heure.
Le sénateur Murray : Le gouvernement fédéral a budgétisé un demi-milliard de dollars pour cette dépense fiscale, et le sénateur Nancy Ruth a dit qu'un autre demi-milliard de dollars s'y ajouterait l'an prochain. Lorsque nous connaîtrons les chiffres d'utilisation de ce crédit, quelle conclusion pourrez-vous en tirer? Serez-vous en mesure d'effectuer une analyse? Est-ce que le ministère des Finances ou quelqu'un d'autre pourra effectuer une analyse faisant apparaître l'avantage social produit par cette mesure?
M. Rainer : Je ne suis pas sûr. Notre organisation ne pourra pas créer l'analyse et je ne sais pas si le gouvernement prévoit de recueillir des données et d'étudier les effets possibles. Intuitivement, le niveau de la prestation est si faible qu'il sera difficile de dire de manière concluante dans un an ou deux si elle aura fait une différence substantielle dans la vie des gens. Cette différence pourrait être annulée par une augmentation sensible de l'électricité, comme celle qui vient d'être décidée au Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Murray : Le montant est-il si faible, monsieur Rainer, que le crédit est susceptible d'être inefficace?
M. Rainer : Je pense qu'il sera inefficace.
Le sénateur Murray : Il ne sera pas beaucoup utilisé.
M. Rainer : Je pense qu'il sera inefficace. C'est une conclusion logique. Encore une fois, la profondeur de la pauvreté est si grande. Comment combler cet écart dans une famille qui se situe à 10 000 $ au-dessus du seuil de la pauvreté? Ce crédit ne comblera que 5 p. 100 de l'écart.
C'est un début. Il faudrait le coupler à d'autres mesures ciblant la sécurité du revenu et c'est peut-être ce qui fait défaut. Le gouvernement fédéral n'a pas de stratégie pour assurer la sécurité du revenu, particulièrement des Canadiens démunis. Nous savons aussi qu'il y a une grande masse de gens au milieu inquiets de leurs perspectives économiques. Nous le savons d'après les sondages que le Centre canadien de politiques alternatives a commandés à Environics, notamment.
Laissant de côté cette question pour le moment, il faut pour les Canadiens démunis une stratégie globale visant à assurer la sécurité du revenu. Voilà un volet. Peut-être vaudrait-il mieux cibler les travailleurs occupant des postes à temps partiel et temporaires, qui n'ont pas un travail régulier à temps plein, qui vivent la précarité. Peut-être vaudrait-il mieux cibler le crédit sur ce groupe démographique mais il faut le coupler avec d'autres mesures s'inscrivant dans une stratégie globale.
Le sénateur Murray : J'aurais aimé avoir les fonctionnaires ici ou la possibilité de leur demander quelle sorte d'analyse préalable ils ont effectuée quant au taux d'utilisation probable d'une mesure comme celle-ci. Peut-être ne le savent-ils même pas. Nous pourrons les faire revenir dans un an environ, pour revenir sur la question et voir si le crédit a plus ou moins l'effet désiré. On apprend par l'expérience.
Le gouvernement actuel a décidé, à un moment donné, de placer plusieurs de ses œufs concernant la garde des enfants dans le panier de subventions, prenant une forme ou une autre, pour encourager les employeurs à offrir des places de garderie, avec de gros crédits d'impôt, mais cela n'a rien donné. Le gouvernement a retiré le programme et l'a refondu, je crois, dans le projet de loi actuel.
Vous avez proposé une solution de remplacement, soit l'augmentation du salaire minimum, ce qui ne coûterait rien ou pas grand-chose au gouvernement fédéral. Je suppose que vous considérez que l'augmentation du salaire minimum dans le secteur fédéral servira d'étalon et que les provinces réagiront positivement à votre bon exemple. Je suppose que vous avez quelques indications à cet effet, n'est-ce pas?
M. Rainer : Si le gouvernement fédéral acceptait les recommandations de Harry Arthurs, les principes qu'il a énoncés, et les mettait en pratique en augmentant le salaire minimum fédéral en conséquence, ce serait un modèle pour le reste du pays.
Le sénateur Murray : Notre collègue, le sénateur Grafstein, a déposé une motion ou une résolution au Sénat à ce sujet. Il a été atterré de voir que l'Ontario n'a pas bougé suffisamment vite ou n'a pas augmenté suffisamment son salaire minimum. Il espérait que nous, le secteur fédéral ou le Parlement fédéral, prendrions l'initiative à cet égard.
Monsieur Friesen, combien des programmes de soutien du revenu agricole ou autres sont-ils de nature fédérale- provinciale?
M. Friesen : Ils le sont tous. L'agriculture est une compétence partagée, et maintenant, avec le cadre de politique agricole, il faut l'accord de sept provinces combinant au moins 50 p. 100 de la production du Canada pour effectuer un changement de politique dans cette sphère.
Le sénateur Murray : Les programmes de soutien sont-ils à frais partagés?
M. Friesen : C'est juste.
Le sénateur Murray : Le partage est-il typiquement 50-50, 80-20, 70-30 ou 60-40?
M. Friesen : Typiquement de 60-40.
Le sénateur Murray : Soixante pour cent pour le niveau fédéral et 40 p. 100 pour le niveau provincial?
M. Friesen : C'est juste. Il se passe une chose dans certaines des provinces qui ont plus de moyens que d'autres, par exemple l'Alberta et le Québec. Au Québec, je crois que le gouvernement provincial verse 1,60 $ pour chaque 60 cents qu'il reçoit du gouvernement fédéral. En Alberta, ces dernières années, c'était typiquement 60 cents pour chaque 60 cents. Ensuite, une province comme la Saskatchewan, voisine de l'Alberta, ne verse que 40 cents pour chaque 60 cents qu'elle reçoit du gouvernement fédéral.
C'est l'une des raisons pour lesquelles nous demandons ce que nous appelons une composante AgriFlex. C'est quelque chose qui n'existe pas encore. Nous demandons une enveloppe de financement séparée qui permette aux provinces, si elles contribuent leurs 40 cents, d'établir un volet provincial spécifique pour la gestion des risques commerciaux afin de régler un problème provincial spécifique qui n'est pas couvert par notre programme national.
Le sénateur Murray : Pour l'information du public et plus particulièrement pour ma gouverne, pourriez-vous également nous expliquer la crise de l'élevage? Quel en est le moteur? Est-ce le coût? Est-ce la faiblesse des prix? Est-ce la surproduction?
M. Friesen : Plusieurs facteurs se sont combinés. D'aucuns ont appelé cela la tempête parfaite. Je vais parler plus précisément de l'élevage porcin, mais la plupart de ces données s'appliquent également à l'élevage bovin.
L'industrie du porc a été construite sur un dollar à 65 cents, ou du moins toute son expansion des dernières années en provient. Lorsque le dollar a commencé à augmenter, nous avons calculé que, pour chaque cent de hausse de notre dollar par rapport au dollar américain, l'industrie agroalimentaire perdait 230 millions de dollars d'exportations vers les États-Unis. Cette perte a été très durement ressentie.
L'autre facteur aujourd'hui est que les producteurs de céréales et d'oléagineux reçoivent enfin le prix qu'ils méritent, mais cela a doublé le coût de la nourriture du bétail. Dans le secteur porcin, la faiblesse du prix a été exacerbée en outre par le fait que les États-Unis ont abattu ces dernières semaines un nombre record de porcs. Bien entendu, cela gonfle les stocks.
Le sénateur Ringuette : J'ai une question pour M. Rainer, mais j'aimerais d'abord faire quelques remarques.
Pour ce qui est de l'augmentation du salaire minimum, à laquelle je souscris totalement, cet accroissement est la seule façon d'avoir un impact direct sur les démunis. Lorsque les économistes prétendent que pour chaque augmentation X du salaire minimum ou X p. 100 d'augmentation du salaire minimum, nous perdons X nombre d'emplois, cette prémisse est fausse. Ce n'est pas un scénario d'offre et de demande directs.
Les bons gestionnaires vont employer la quantité voulue de ressources humaines pour avoir la production maximale. C'est une réalité incontournable. Par conséquent, la prémisse voulant que si l'on augmente le salaire minimum les employeurs vont embaucher moins est fausse. Je suis totalement d'accord avec ce que vous dites.
Ma question porte sur la pauvreté et la disparité grandissante entre revenus faibles et élevés, par rapport aux transferts aux provinces pour les programmes sociaux et l'éducation postsecondaire. Les coupures imposées à huit provinces sur dix au cours des dix prochaines années feront qu'il deviendra énormément plus difficile aux citoyens d'accéder aux programmes sociaux et à l'éducation postsecondaire. Or, c'est là un ingrédient nécessaire pour qu'ils puissent gagner un salaire décent.
C'est comme si quelqu'un, quelque part, ne comprenait rien à la situation. Je n'accuse pas particulièrement un gouvernement ou un autre. Je crains peut-être que ce soit dû au fait que les renseignements fournis aux politiciens de toute couleur par l'administration sont erronés. C'est pourquoi ils nous arrivent avec ces menus programmes qui ne valent pratiquement rien dans la réalité.
Avez-vous examiné l'impact de la réduction du transfert pour les programmes sociaux et l'éducation postsecondaire dans ces huit provinces? En quoi cette réduction va-t-elle exacerber encore le problème actuel?
Avez-vous rencontré des responsables qui ont le pouvoir de diffuser l'information et de concevoir les bons programmes et les bonnes incitations?
M. Rainer : Pour répondre à votre première question, nous n'avons pas effectué cette analyse. Notre organisation n'est pas la mieux placée pour cela. Je recommanderais un groupe comme le Centre canadien de politiques alternatives, ou le Caledon Institute, qui sont beaucoup plus axés sur la recherche et seraient mieux en mesure d'effectuer ce genre d'analyse.
Le sénateur Ringuette : En ce qui concerne ma deuxième question — tout se tient — les administrateurs du ministère des Finances nous ont dit au moins trois fois en juin dernier qu'il n'était pas nécessaire de mesurer la capacité fiscale en rapport avec ces deux transferts et pas nécessaire d'effectuer une analyse du coût de ces programmes.
Ces gens-là ne sont pas touchés. La plupart d'entre eux se situent dans le décile supérieur. Ils sont loin de la réalité, et ce sont eux qui renseignent les pouvoirs publics.
M. Rainer : C'est une bonne remarque. Il est vrai que les auteurs de ces politiques et programmes peuvent avoir de la difficulté à s'identifier avec le problème qu'ils cherchent apparemment à résoudre. Dans une large mesure, nous sommes devenus un pays qui n'a plus d'identité partagée. Cette question du fossé croissant doit être appréhendée dans ce contexte. Pouvons-nous nous identifier avec nos compatriotes qui vivent dans des conditions différentes des nôtres et les comprendre?
Je dis parfois que nous sommes devenu un pays qui tolère l'existence de malheureux bon à jeter, bons à contourner et bons à enjamber. Dans les grandes villes, nous voyons des gens couchés dans la rue, des miséreux ne possédant rien et nous les contournons et les enjambons. Nous les ignorons, alors qu'ils sont nos semblables. Ils sont aussi nos compatriotes. Est-ce là le Canada pour laquelle nos soldats se sont battus au cours de la Première et de la Seconde Guerres mondiales? Je ne le pense pas. Nous avons là des défis fondamentaux à relever.
Toute la réflexion sur la façon de construire une infrastructure sociale plus forte est absente. Ce travail de conceptualisation laisse à désirer à tous les niveaux de gouvernement.
Si vous le permettez, j'aimerais payer tribut au gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador. Nombre d'entre nous travaillant dans le domaine de l'éradication de la pauvreté estimons que ce gouvernement provincial est un exemple pour d'autres gouvernements, en ce sens qu'il a adopté une approche globale de la pauvreté. Il a pour vision de ne plus être la province connaissant le plus grand pourcentage de pauvres dans sa population et de devenir celle qui en a le moins d'ici 2014, et il s'est doté d'une stratégie complète pour y arriver. Ce genre de vision manque au niveau fédéral et dans la plupart des autres provinces et territoires.
Il faut une réflexion globale, conceptuelle, pour trouver les solutions. Une bonne partie du problème se ramène à la sécurité du revenu et à d'autres formes de soutien social : comment financer et distribuer l'aide et, en quelque sorte, partager la richesse. Nous devenons une société de plus en plus réticente à partager la richesse générée, et ces problèmes en sont le résultat.
Nous pouvons agir dans ce domaine par altruisme, mais aussi par intérêt bien compris, car la pauvreté impose un coût massif à notre société. Un rapport de recherche américain publié au début de cette année a estimé le seul coût de la pauvreté chez les enfants à 500 milliards de dollars américains par an. Les auteurs de l'étude se sont penchés sur les répercussions sur les soins de santé, le système de justice pénale et la perte de productivité.
C'est là un chiffre énorme. Si nous l'extrapolons au Canada, qui compte environ 10 p. 100 de la population américaine, nous pouvons dire d'emblée que le coût de la pauvreté des enfants est d'environ 50 milliards de dollars par an pour la société canadienne. J'ai entendu dire que les responsables de la politique sanitaire ou ceux du ministère des Finances s'inquiètent beaucoup des effets du coût des soins de santé sur la capacité du gouvernement à financer diverses autres choses.
Si la pauvreté comporte un impact majeur sur le système de santé, alors clairement c'est une raison en soi de s'attaquer à la pauvreté. La conclusion est qu'il nous faut une réflexion conceptuelle plus générale, suivi par des investissements plus importants, plus efficaces, ciblés et intelligents dans l'infrastructure sociale du pays.
Le sénateur Ringuette : Vous n'avez pas mentionné le niveau de pauvreté chez nos personnes âgées, une catégorie qui grossira en pourcentage de la population canadienne totale au cours des dix prochaines années.
Merci beaucoup. J'ai une question pour M. Friesen. J'ai siégé au Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts et il y était question des coopératives. Vous avez mentionné les coopératives. La notion de « coopérative nouvelle vague » a été introduite. Je me souviens qu'une coopérative d'élevage de bœuf a été introduite dans l'Î.P.-É. Je crois savoir que sa situation financière est actuellement précaire. C'est une question de survie et le gouvernement fédéral n'a pas encore fourni d'aide financière au titre d'aucun programme.
Pourriez-vous me renseigner sur ce sujet?
M. Friesen : Si je puis répondre à une chose que vous avez dite dans votre échange avec M. Rainer, je ne puis m'empêcher de réagir.
Il se peut que d'aucuns à Ottawa soient coupés de la réalité. Je crois que l'une des bonnes choses est que maints députés connaissent bien l'agriculture, pour parler de mon domaine. Nous avons en ce moment une excellente équipe à la haute direction de l'édifice Sir John Carling, notamment la sous-ministre et son équipe. Je crois qu'ils comprennent les enjeux et qu'ils ont le cœur placé au bon endroit.
En revanche, lorsqu'il s'agit des retombées économiques de la hausse du dollar, il a fallu attendre six mois après que les agriculteurs aient commencé à se plaindre de ses effets négatifs pour que les autres commencent à s'y intéresser. Les agriculteurs en parlaient dans les cafés et il a fallu six mois avant qu'un économiste à Ottawa s'aperçoive que la majoration du dollar pourrait nous faire plus de mal qu'on ne le pensait à première vue. Je n'ai pu résister à l'envie de mentionner cela. Comme je l'ai dit, les gens dans les conseils consultatifs de l'agriculture et de la pêche ont le cœur bien placé et je crois qu'ils comprennent la situation.
En ce qui concerne les coopératives, je crois que vous parlez là des coops de nouvelle génération. J'étais dans l'Î.-P.- É. pour traiter de la crise de l'élevage il y a une semaine et demie, environ. Oui, je crois qu'ils recherchent une assistance parce que l'abattoir est en difficulté. Je ne sais pas exactement où en sont les choses. Ils étaient confiants que le ministre Ritz ferait quelque chose pour eux, mais je n'ai pas eu l'occasion d'en parler avec le ministre.
Pour ce qui est du plan d'investissement dans les coopératives dont je parlais, voici comment cela fonctionne typiquement au Manitoba, où je cultive la terre. Si je suis membre d'une coop, je paye peut-être une cotisation de 10 $ pour devenir membre. Je peut toucher une ristourne en fonction du volume que je lui achète, si la coopérative est un fournisseur d'intrant, ou bien si elle est une coopérative de commercialisation, du volume que je vends par son intermédiaire. Typiquement, je ne puis aller voir la coopérative et dire : « J'aimerais renforcer cette entreprise; je vais investir 10 000 $. » Aucun mécanisme ne permet de payer un retour sur cet investissement de 10 000 $.
Au Québec, 6 millions de dollars de concessions fiscales pour l'investissement dans les coopératives ont résulté en un investissement direct de capital de 20 à 30 millions de dollars dans des coopératives, et 100 millions de dollars de plus dans les coopératives en zones rurales. Comme vous l'avez dit, si nous créons un environnement qui encourage l'investissement dans les coops, cet environnement va renforcer la coopérative et accroître le poids des agriculteurs sur le marché, et cela dans une certaine mesure allégera le problème de notre population vieillissante. Les coopératives peuvent attirer le capital d'investissement au même titre que les sociétés auxquelles elles font concurrence, et nous pensons créer ainsi un cadre où les agriculteurs auront plus de latitude.
Le sénateur Ringuette : J'ai encore une question. En ce qui concerne la taxe sur les gains en capital et la majoration de la déduction de 500 000 $ à 750 000 $ dans certaines situations, je trouve que c'est là une mesure positive. Cependant, je m'inquiète au sujet des petites exploitations qui ont un gros potentiel sur le marché mondial, du point de vue des produits cibles et marchés cibles.
Quelqu'un peut considérer cette augmentation du crédit d'impôt et décider de vendre l'exploitation à un agriculteur plus gros, par exemple, si bien qu'à l'avenir on aura des exploitations de plus en plus grosses. Avez-vous examiné le risque que cela élimine les petites exploitations? Si nous nous retrouvons avec des exploitations toujours plus grosses et plus coûteuses, nous empêcherons aussi les jeunes d'acquérir une ferme et de se lancer dans l'agriculture au Canada.
M. Friesen : Sur ce dernier point, j'ai mentionné plus tôt que le crédit d'impôt pourrait faciliter le transfert de l'exploitation soit aux enfants soit à de nouveaux entrants. Si un cultivateur bénéficie d'une exemption de gains en capital plus importante, il pourra vendre sa ferme moins cher car une moindre partie du prix de vente partira en impôts.
En ce qui concerne l'augmentation du prix des fermes ou la concentration des exploitations, je crois savoir que l'exemption des gains en capital s'applique uniquement à la terre ou à un quota. Dans le cas de la terre, 750 000 $ de terre n'est pas considéré comme une grosse exploitation dans de nombreuses régions du Canada, si bien que l'augmentation de l'exemption pour gains en capital ne sera pas nécessairement un encouragement à agrandir l'exploitation. L'agrandissement des fermes tient aux faibles marges bénéficiaires par unité de production, si bien que les agriculteurs doivent accroître le nombre d'unités produites pour pouvoir vivre.
Même si un agriculteur ne dégage pas un profit, son exploitation représente un capital. Même si son profit est mince, nous disons qu'il faut permettre au cultivateur de garder un peu plus de cet avoir lorsqu'il décide de transférer la ferme ou de la vendre. Incidemment, et cela n'est pas entièrement étranger à la discussion, les producteurs canadiens sortent de leurs pires cinq années de revenu net de toute l'histoire de l'agriculture au Canada. Les producteurs américains ont enregistré les quatre meilleures années de revenu net de leur histoire. Dans le secteur du porc, les éleveurs américains ont affiché des profits records l'an dernier. Le problème ne tient pas seulement au niveau des subventions qu'ils touchent mais aussi à la manière stratégique dont cet argent est distribué. Alors que nous avons construit notre élevage du porc sur un dollars à 65 cents et sur des marchés mondialisés que l'on espère profitables, les États-Unis ont construit leur élevage sur des subventions croisées par le biais des subventions versées au secteur des grains et oléagineux. Ces subventions permettent de bien meilleures marges bénéficiaires pour les éleveurs américains. L'élevage américain s'est également construit sur ce que nous jugeons être du protectionnisme car chaque fois que nous levons le petit doigt, les États-Unis contestent notre industrie bovine ou porcine. Nous continuons à nous heurter à ces restrictions.
Le sénateur Ringuette : Le gouvernement avait une stratégie gagnante sur le plan du protectionnisme dans l'industrie forestière, mais nous avons perdu cet avantage. Nous aurions pu l'utiliser éventuellement pour d'autres produits de base.
M. Friesen : Curieusement, je suis éleveur de dindes et de porcs. La gestion de l'offre a été qualifiée de « protectionniste ». Comme producteur de dindes, je cède 5 p. 100 de la consommation canadienne pour donner accès au marché à d'autres pays qui exportent des dindes vers le Canada.
Comme producteur de porc, j'exporte 0,5 p. 100 vers l'Union européenne. Même si l'UE donnait seulement au porc le même accès au marché que la gestion de l'offre canadienne accorde à d'autres pays, nous aurions un énorme accès profitable au marché en Europe. C'est un autre défi auquel nous sommes confrontés dans le secteur porcin — l'accès au marché à faible contingent tarifaire, chez nous, et les tarifs élevés que nous devons payer à l'étranger, ainsi que les mesures sanitaires et phytosanitaires. Les pays se disent prêts à négocier le libre-échange et ensuite ils trouvent toutes sortes de façons nouvelles de restreindre l'accès à leur marché au moyen de mesures sanitaires et phytosanitaires.
Le président : Ce sont des barrières non tarifaires.
M. Friesen : C'est juste.
Le sénateur Di Nino : Je commence par me séparer de ma collègue, le sénateur Ringuette. À mon avis, elle a brossé un portrait erroné des hommes et des femmes dans l'administration en les présentant comme indifférents et ignorants. Je ne suis pas d'accord. Ces questions sont des enjeux de politique publique et des choix politiques. Il ne faut pas s'en prendre aux hommes et aux femmes qui travaillent pour nous, car c'est injuste.
Le président : Je suis sûr qu'elle ne voulait pas dire cela.
Le sénateur Di Nino : Lisez ses propos.
Monsieur Rainer, je doute que quiconque dans cette salle ou même à Ottawa soit en désaccord avec votre principe. Tout cela revient à des choix politiques. Les gouvernements successifs de toutes les couleurs, y compris les gouvernements provinciaux, sont confrontés à ce défi. Il ne semble pas que quiconque ait trouvé une solution au problème, ce que je trouve réellement triste.
Surmonter ce problème représente une tâche formidable. Vous avez raison de dire qu'elle requiert un examen conceptuel complet afin que l'on puisse rechercher des solutions à l'échelle nationale. Ce ne peut être fait par une province seule ou par le gouvernement fédéral seul. Nous avons l'Ontario, dirigé par un parti politique différent de celui au pouvoir à Ottawa, lequel est lui-même différent du gouvernement précédent, mais le problème n'est pas là. Votre remarque était juste mais je peux vous assurer que le problème doit être pris à bras le corps, pour toutes les bonnes raisons que vous avez mentionnées et bien d'autres encore.
Parlant du projet de loi C-28, la prestation fiscale pour revenu de travail — et je suis d'accord avec vous — représente un petit pas dans la bonne direction. À cela s'ajoute une autre réduction de la TPS, qui est probablement la seule réduction fiscale qui bénéficie à tout le monde, aussi petite que soit la différence. Chaque Canadien qui consomme trouvera un avantage.
Trois autres choses dans ce projet de loi se répercuteront sur la pauvreté. Premièrement, il y a l'augmentation de l'exemption personnelle de base, qui est rétroactive à 2007. Cette majoration avantage particulièrement les travailleurs pauvres, le groupe de Canadiens qui me tient le plus à cœur. Il y a aussi la réduction à 15 p. 100 du taux de l'impôt personnel. Je crois que le sénateur Murray a mentionné une disposition du projet de loi qui encourage des employeurs à créer des places de garderie sur le lieu de travail, ce qui encore pourrait aider un peu.
Je sais qu'elle ne règle pas le problème, mais ce projet de loi C-28 portant exécution du budget comporte un certain nombre de mesures favorables. Aimeriez-vous dire quelques mots sur ces autres aspects, en sus de la prestation fiscale pour revenu de travail? Trois ou quatre autres éléments de ce projet de loi contribuent à la cause que vous épousez si éloquemment.
M. Rainer : La meilleure façon dont je puisse répondre est de dire que les gouvernements doivent, fondamentalement, décider s'ils vont privilégier la réduction du fardeau fiscal — comme on l'appelle — dans l'espoir que cette réduction va d'une façon ou d'une autre améliorer nos perspectives sociales et économiques, ou bien maintenir et peut-être accroître le niveau d'imposition dans l'idée que cette mesure renforcera la structure sociale et économique du pays.
Je vous renvoie à un rapport intéressant sur cette alternative. Il émane du Centre canadien de politiques alternatives et a été rédigé par des fiscalistes de Toronto. Ils ont examiné la performance sociale et économique des pays développés à haute imposition et à faible imposition — les pays les plus imposés, particulièrement les Scandinaves, et les plus faiblement imposés, particulièrement les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni. Concernant la majorité des indicateurs sociaux et économiques, ils ont constaté que les pays les plus imposés ont de meilleurs résultats que les pays les moins imposés.
Ce constat semble indiquer que les pays, nations et sociétés prêts à investir davantage dans leur régime fiscal et à distribuer davantage la richesse au sein de la société enregistrent une meilleure performance en général, tant sur les plan social qu'économique.
Je pense que nous vivons à une époque où la réduction constante des impôts est une idée fixe. L'expression « allègement fiscal » a fait son entrée dans le discours comme si l'impôt représentait un fardeau sur nos épaules. En réalité, l'impôt est un investissement dans l'infrastructure — l'infrastructure grise, physique — les usines d'épuration et les routes — ou l'infrastructure sociale ou d'autres formes d'infrastructure.
À cet égard, un choix fondamental s'impose. Vous avez mentionné la baisse de TPS, avec une seconde réduction d'un point. Avec chaque point de pourcentage, nous retirons environ 6 milliards de dollars de revenus fédéraux qui pourraient être alloués à l'investissement dans un domaine social ou dans d'autres domaines comme l'environnement.
À notre sens, le gouvernement réduit constamment sa capacité financière à régler ces problèmes. Un montant de 6 milliards de dollars suffirait largement à financer un programme universel de garderies. Il aiderait à résoudre en bonne partie la crise croissante du logement abordable. Lorsque les gouvernements font ce genre de choix, ils produisent des résultats.
Je ne suis pas un expert en fiscalité ni de la TPS en particulier, mais j'ai lu les critiques, qui semblent indiquer qu'il ne s'agit pas là d'une réduction d'impôt efficace. Elle favorise la consommation mais non l'épargne. Elle encourage ceux qui ont de l'argent dans la poche à acheter davantage. Il est douteux que cette mesure bénéficie aux Canadiens à faible revenu.
Vous avez raison de dire que certaines autres mesures budgétaires, en théorie, pourraient aider un ménage à faible revenu. Cependant, dans l'ensemble, je pense que l'approche suivie actuellement va conduire à un élargissement de la disparité croissante des revenus et de la richesse. Elle conduira à un accroissement de la pauvreté, non un recul. Nous verrons une croissance continue du nombre des banques alimentaires et des sans-abri tant que nous n'alignerons pas mieux nos politiques et nos programmes.
Le sénateur Di Nino : Combien de personnes cesseront de payer des impôts du fait de la seule augmentation de l'exemption personnelle?
M. Rainer : Je n'ai pas ce chiffre.
Le sénateur Di Nino : Il s'agira là de Canadiens à faible revenu ou de travailleurs pauvres. Ils seront littéralement des milliers, voire des dizaines de milliers ou plus.
M. Rainer : Je n'ai pas le chiffre précis. Peut-être était-il mentionné dans le budget. Je ne suis pas sûr.
Le sénateur Di Nino : Je cherchais le chiffre tout en parlant, mais je voulais prêter attention en même temps à ce que vous disiez. Toutes ces mesures seront utiles.
Nous ne parlons pas ici de politique. C'est un problème différent. Je rejette fondamentalement la notion que la consommation ne soit pas bonne pour l'économie. Tout tourne autour de la consommation. L'économie est contrôlée par le consommateur. Lorsque le consommateur achète un produit, cela crée des emplois et tout le reste. Nous avons là une divergence politique fondamentale.
Le président : Pourrions-nous les laisser répondre s'ils le souhaitent?
M. Rainer : Lorsque vous avez commencé à parler, vous avez indiqué que le problème est difficile. Oui, le problème est difficile, mais à certains égards, le droit à la sécurité du revenu n'est pas bien établi dans notre société. La Charte canadienne des droits et libertés parle de la sécurité de la personne, mais qu'entend-on par sécurité? Est-ce la sécurité physique? J'ai le droit de ne pas être agressé dans la rue; oui, cela est bien défini, mais est-ce que les citoyens ont aussi le droit à une certaine sécurité économique?
Les plus vulnérables — les enfants et ceux qui ne peuvent se débrouiller par eux-mêmes — ont-ils un droit fondamental à la sécurité du revenu et, dans l'affirmative, comment défendons-nous ce droit? Je pense que c'est vers cela que notre pays doit aller. Il faut mieux établir ce droit puis choisir un ensemble de politiques, de lois et de programmes pour donner expression à ce droit.
Nous ne pouvons nous contenter de l'excuse que ce problème est difficile et que beaucoup de gouvernements ont cherché à le résoudre. Nous ne devons pas invoquer l'excuse que c'est la faute du citoyen à faible revenu, ce qui est malheureusement l'opinion de beaucoup qui pensent que la pauvreté est le résultat de défaillances humaines.
Le sénateur Di Nino : Nous n'allons pas régler ce problème avec le projet de loi C-28. Je n'ai rien contre votre philosophie. L'objectif est le même, bien que nous ayons une divergence d'opinion sur la façon de l'atteindre.
Le sénateur Chaput : Ma question s'adresse à M. Friesen. Elle porte sur le programme agricole. Les programmes existants dans le domaine agricole ont été remplacés par ce que l'on appelle des programmes de gestion des risques commerciaux. Comment les agriculteurs ont-ils accueilli ces programmes? Les trouvent-ils facilement accessibles et ont- ils été consultés avant qu'ils viennent remplacer les anciens? Je suppose que cela fait trois questions en une.
M. Friesen : Premièrement, il serait faux de dire que les anciens programmes ont été remplacés. La manière dont nous avons abordé cela, c'est que nous leur avons ajouté des éléments ou changé des éléments du programme antérieur.
Par exemple, le palier supérieur du PCSRA — je ne sais pas dans quelle mesure je devrais entrer dans les détails mais, en gros, le programme PCSRA se divise en deux paliers. La première tranche de 15 p. 100 de baisse du revenu est couverte à 50 p. 100 par le producteur et à 50 p. 100 par les pouvoirs publics. La tranche suivante de 15 p. 100 est couverte à 70 p. 100 par les pouvoirs publics et à 30p. 100 par les producteurs; et la dernière tranche de 70 p. 100 est couverte à 80 p. 100 par les pouvoirs publics et à 20 p. 100 par les producteurs.
Nous disons, pourquoi ne pas rendre le premier palier plus stable et prévisible? Ce changement a été apporté à la demande des cultivateurs. Il n'y a eu aucune contestation.
Comme je l'ai dit précédemment, tout changement de politique risque toujours de pénaliser un secteur. Même s'il est bon à long terme, à court terme certains producteurs se trouveront dans une situation où le changement n'est pas bon pour eux, dans l'immédiat. Nous disons que les éleveurs devraient avoir le choix cette année et l'année prochaine de recourir à l'ancien programme ou au nouveau.
Nous avons travaillé en concertation avec les gouvernements. Nos organisations membres travaillent avec les gouvernements provinciaux et nous avec le gouvernement fédéral. Je pense que le partenariat fonctionne mieux qu'il ne l'a fait depuis longtemps. Nous travaillons en partenariat pour ajouter de nouveaux composants afin d'améliorer toute la série de programmes. Nous modifions également certains éléments. Nombre d'améliorations ont déjà été apportées. La couverture des marges négatives est meilleure et le calcul des stocks est meilleur. En outre, nous envisageons de couvrir des désastres tels que l'encéphalopathie spongiforme bovine, EBS, et cela a été accepté lors de la dernière réunion fédérale-provinciale-territoriale sur un programme d'agri-relance.
Encore une fois, nous recherchons la composante AgriFlex. Avec cela, les provinces pourraient établir des programmes qui leur seraient propres pour répondre à des besoins non couverts par un programme national. Parallèlement, ces programmes propres aux provinces contribueraient également aux objectifs nationaux en place. L'un de ces objectifs nationaux est l'équité pour tous les agriculteurs à travers le Canada.
Le président : Monsieur Friesen, avant d'ouvrir un deuxième tour, pouvez-vous nous dire en quoi le nouveau programme du projet de loi C-28 est meilleur?
Il me semble que, en pratique, ce soit le programme de stabilisation du revenu agricole qui existait antérieurement sauf que l'une des deux catégories sera maintenant sous le contrôle de l'agriculteur qui investit plutôt que du gouvernement. Est-ce là ce qui rend le programme meilleur?
M. Friesen : Il y a trois aspects. Disons, par exemple, que le secteur des grains et oléagineux ait connu une longue période de prix bas et des coûts d'intrants en hausse. Une marge de référence sert à comparer la marge de l'année courante pour décider si le programme va être déclenché. Sa marge de référence est basse. Si la marge de référence du secteur est de presque zéro, peu importe à quel point l'année courante est mauvaise. Ils déclenchent le programme sur la base de leur marge de référence comparée à celle de l'année courante. Étant donné que cette marge de référence était faible, ils touchaient très peu d'argent.
Maintenant que le prix augmente cette année, ces producteurs de grains et d'oléagineux ont une énorme perte cumulée les années antérieures. Du fait de la hausse de prix, ils ne pourront pas du tout déclencher le programme pendant plusieurs années, jusqu'à ce que leur marge de référence remonte et que leur année courante soit pire que la marge de référence reconstituée. Il faudra des années avant qu'un céréaliculteur puisse déclencher le programme.
Avec Agri-investissement, une contribution gouvernementale sera basée sur les ventes nettes admissibles d'un producteur, sa marge VNA. Dans ce programme, même si le producteur n'aurait pas déclenché la tranche supérieure de l'ancien PCSRA, il recevra une contribution gouvernementale chaque année à condition d'apporter la contrepartie.
C'est davantage comme l'ancien Compte de stabilisation du revenu net où chaque année un agriculteur cotise à un compte et où le gouvernement contribue l'équivalent. Il peut accumuler dans ce compte même si autrement il n'aurait pas déclenché la tranche supérieure du PCSRA.
C'est bon également parce que les cultivateurs peuvent s'en servir selon leurs besoins. S'ils ont besoin de renflouer leur caisse, ils pourront tirer dessus. S'ils n'en ont pas besoin, ils peuvent laisser l'argent là.
Cela atténue également l'effet du Programme d'assurance pour l'ensemble de l'exploitation. Ce dernier représente essentiellement une moyenne. Par exemple, si ma production de blé est mauvaise mais que ma production de porc marche bien, ils font une moyenne et je ne déclenche pas le programme.
Au palier supérieur, ils pourront obtenir une contribution gouvernementale quoi qu'il advienne de leur production diversifiée.
Le président : J'ai une autre question qui m'est inspirée par l'idée de M. Rainer d'accroître le salaire horaire.
A-t-on étudié l'effet d'une augmentation du salaire horaire sur le coût de la vie? Si le coût de la vie augmente à cause de la hausse salariale, est-ce que cela fera passer davantage de gens en dessous du seuil de pauvreté qu'auparavant? En outre, est-ce qu'une augmentation du salaire horaire aurait un effet sur les producteurs et le nombre d'emplois? Si le salaire horaire augmente, M. Friesen vous dira que ses producteurs verront tous leurs coûts d'intrants augmenter. Je parle de l'électricité, du problème du dollar, et cetera. Ajoutez à cela des coûts salariaux accrus. Le résultat sera-t-il qu'un certain nombre d'employés perdront leur travail?
M. Rainer : Pour ce qui est de votre première question, je ne suis pas en mesure de vous dire quelle analyse a été effectuée.
Encore une fois, le CCPA a effectué beaucoup de recherches sur les effets des augmentations de salaire minimum sur l'emploi. Je vous incite à prendre connaissance de ces documents. Son rapport du début de l'année, qui se penchait sur les résultats d'augmentation des salaires minimaux dans un certain nombre de juridictions — pas seulement au Canada — montrait que les effets sur l'emploi global étaient négligeables. Il y a un certain impact sur l'embauche des travailleurs les plus jeunes, mais rien de vraiment inquiétant.
Le président : Qu'en est-il du coût de la vie? Y a-t-il eu des études à ce sujet?
M. Rainer : Je n'ai connaissance d'aucune. Cependant, le pourcentage des travailleurs touchant le salaire minimum n'est pas si élevé. Je crois que c'est 4 p. 100 de la population active. Intuitivement, il est difficile d'imaginer que l'augmentation de leur salaire aurait un effet majeur sur le coût de la vie dans la société d'ensemble.
M. Friesen pourra parler de l'aspect agricole. Je serais intéressé de savoir dans quelle mesure l'automatisation dans le secteur retentit sur l'embauche de travailleurs pour les travaux qui étaient couramment effectués par des êtres humains dans le passé. Je sais que l'automatisation gagne du terrain dans l'agriculture.
M. Friesen : Nous ne sommes absolument pas opposés à ce que quiconque gagne un salaire plus élevé. La plus grosse difficulté est dans l'horticulture car la main-d'œuvre y est le plus gros facteur de coût.
Même avec le programme des travailleurs étrangers, si le salaire minimum augmente, il faudra verser ce montant également aux travailleurs étrangers.
Nous ne leur reprochons pas du tout de vouloir une augmentation de salaire. Le problème ici est la concurrence étrangère. S'ils ont un salaire minimum de 10 $ de l'heure, notre horticulture est en concurrence contre les produits venant de Chine, où les salaires sont de quelques cents de l'heure. Voilà la difficulté.
Hormis cela, nous ne sommes pas opposés à une augmentation des salaires. Peut-être existe-t-il une façon différente de combattre ce problème. Nous avons des suggestions pour un programme d'accompagnement pour l'industrie horticole qui pourrait atténuer ce problème.
J'ai mentionné plus tôt notre initiative Cultiver au Canada. Nous expliquons, de manière positive, au consommateur canadien pourquoi les produits canadiens devraient être clairement marqués comme tels au niveau du détail, afin que le consommateur canadien puisse choisir un produit canadien. Nous faisons ainsi la promotion de nos produits canadiens. Ce marquage pourrait également stimuler la demande de nos produits horticoles sur les rayonnages.
J'ai pris la parole lors d'une conférence sur la sécurité alimentaire il y a un an. Un monsieur, représentant l'un de nos grands distributeurs de produits alimentaires au Canada, a dit aux cultivateurs dans la salle : « Nous n'achèterons plus jamais rien auprès d'un producteur qui ne suit pas un programme de salubrité des aliments à la ferme. » Il a ajouté dans le même souffle : « Nous importons 80 p. 100 de ce que nous vendons et nous aimerions changer ce chiffre. »
Le sénateur Murray : J'ai un commentaire et quelques questions précises pour M. Rainer.
J'ai été membre d'un gouvernement qui a mené une campagne vigoureuse pour le libre-échange, l'ouverture des marchés, la déréglementation et tout le reste. Je ne regrette pas un instant que toutes ces choses aient été réalisées. Cependant, il faut regarder en face le fait que tout ce que les gens regroupent sous la notion de mondialisation et de technologie a engendré une énorme richesse, mais que cette richesse n'a pas été distribuée de manière équitable.
Si nous ne réglons pas ce problème avec des solutions imaginatives et globales, le danger est que le consensus en faveur de ces politiques s'évapore. Le danger politique sera qu'à tous les autres clivages que nous connaissons dans ce pays — géographique, ethnique, linguistique, et cetera — s'ajoute la classe sociale. Nous n'avons pas besoin de ce problème.
Les gens veulent bien que les riches s'enrichissent aussi longtemps qu'ils perçoivent que la situation de tous s'améliore — que nous sommes tous dans le même bateau et avançons tous ensemble. Cependant, ce n'est pas le cas.
Je suis heureux de voir des investissements fédéraux dans l'infrastructure. Nous sommes presque dans une analyse de type Galbraith des années 1950 d'une société riche dont l'infrastructure physique s'effrite. Parallèlement, nous avons cette énorme richesse générée par la mondialisation, la technologie, l'ouverture des marchés et tout le reste.
Certaines solutions au problème peuvent résider dans ce que vous prescrivez ici. Il en existe d'autres, mais il faut s'attaquer à cet état de choses. Derrière les gros excédents budgétaires et les indications d'une économie toujours en expansion, il se passe des choses étranges. Nous perdons des sièges sociaux et plus nous en perdons, plus grand sera le danger de perdre les gens compétents qui peuvent contribuer à la croissance et à la prospérité de notre pays.
Nombre des problèmes ne pourront être résolus avec les solutions traditionnelles, qu'elles soient de gauche ou de droite, mais il faut s'y attaquer.
Monsieur Rainer, l'une des critiques que vous adressez dans votre mémoire à la prestation fiscale pour revenu de travail est qu'elle n'intervient qu'au-dessus d'une première tranche de 3 000 $ de revenu. Vous demandez pourquoi nous n'avons pas fait comme les États-Unis, où l'incitatif commence dès le premier dollar gagné et est d'un montant supérieur à celui proposé ici, soit jusqu'à 4 400 $ américains pour une famille de deux enfants ou plus. Vous voudrez peut-être nous donner un complément d'explication.
Ma dernière question est de savoir à quels changements du programme d'assurance emploi vous songez?
M. Rainer : J'apprécie que le sénateur Murray souligne le reproche que nous formulons, à savoir que la prestation fiscale pour revenu du travail n'intervient qu'au-delà de 3 000 $ de salaire. Cela semble illogique, sachant que l'objectif du programme est d'encourager les gens à faire la transition entre l'assistanat et le travail. Pourquoi ne pas appliquer cet encouragement dès le premier dollar gagné, comme c'est le cas aux États-Unis?
Je ne sais pas pourquoi les concepteurs du programme ont fait ce choix. Peut-être pourrait-on toujours leur poser la question, mais il me paraît logique de commencer dès le premier dollar gagné.
En ce qui concerne l'assurance-emploi, AE, je ne connais pas très bien le sujet. Des changements ont été apportés au fil du temps, avec notamment une admissibilité restreinte et des prestations réduites. L'AE, en tant que l'un des piliers de l'assistance au Canada, a été érodée.
Le sénateur Murray : Il y a quelques années, on a commencé à mettre davantage d'argent dans les programmes de formation et les programmes de supplément du revenu au détriment des versements directs aux chômeurs.
M. Rainer : Je conviens avec vous que les solutions du passé ne sont peut-être plus viables, ou sont devenues moins viables, aujourd'hui. Il faudrait une réflexion nouvelle, et notamment s'inspirer de l'expérience d'autres pays et des solutions qu'ils ont appliquées. Le Canada devrait avoir une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. Le Conseil national du bien-être social, un organe consultatif auprès du ministre des Ressources humaines et du Développement social, s'est penché sur ce que d'autres pays, comme le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et l'Irlande, ont fait ces dernières années. Le conseil a cerné les éléments fondamentaux de l'action requise pour avancer dans ce domaine. Je sais que cela dépasse la portée de ce projet de loi sur la prestation fiscale pour revenu de travail, mais les solutions existent. Je ne pense pas que ce problème soit aussi difficile à résoudre que d'autres. Il suffit simplement d'une plus grande détermination pour y arriver.
Le président : Nous vous remercions tous deux d'avoir comparu et de nous avoir aidés à comprendre ces deux aspects du projet de loi C-28.
La séance se poursuit à huis clos.