Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule 13 - Témoignages du 28 mai - Séance de l'après-midi
OTTAWA, le mercredi 28 mai 2008
Le Comité permanent des finances nationales, auquel a été renvoyée la teneur du projet de loi C-50, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget, déposé au Parlement le 26 février 2008 et édictant des dispositions visant à maintenir le plan financier établi dans ce budget se réunit aujourd'hui, à 14 h 5, pour étudier la teneur dudit projet de loi.
Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour à tous et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Je m'appelle Joseph Day, je représente le Nouveau-Brunswick au Sénat, et j'ai l'honneur de présider ce comité.
Le comité s'intéresse aux dépenses et aux opérations du gouvernement, notamment à l'examen des activités des agents du Parlement et des personnes et organismes qui aident les parlementaires à tenir le gouvernement responsable de ses actes.
Nous faisons cela par l'analyse des budgets de dépenses et des fonds mis à la disposition des agents du Parlement pour qu'ils s'acquittent de leurs tâches, ainsi que par l'examen des lois de mise en œuvre du budget et des autres questions renvoyées devant le comité par le Sénat.
Le 15 mai 2008, notre comité s'est vu confier par le Sénat l'étude de la teneur du projet de loi C-50, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 26 février 2008 et édictant des dispositions visant à maintenir le plan financier établi dans ce budget. Ce projet de loi est plus couramment appelé Loi d'exécution du budget de 2008. Nous allons entendre aujourd'hui deux groupes traitant d'un aspect précis du projet de loi, et nous poursuivrons notre étude demain et la semaine prochaine.
Je suis ravi de souhaiter la bienvenue à David Cohen, avocat de l'immigration, et à James Bissett, qui témoignent à titre personnel, à Victor Wong qui est directeur général du Conseil national des Canadiens chinois, et à Naveen Mehta, qui est avocat et directeur, Droits de la personne, équité et diversité de STATUS NOW! — Campaign in Defence of Undocumented Immigrants.
Je vous remercie tous d'être venus aider les honorables sénateurs que nous sommes à comprendre cet aspect de cette longue loi d'exécution du budget, le projet de loi C-50. Je me demande, monsieur Cohen, si chacun de vous pourrait commencer par un bref exposé, et nous passerions ensuite à la période de questions et de réponses.
Honorables sénateurs, lorsque le timbre retentira pour nous appeler à voter, à 15 h 15, je crois, nous pourrons poursuivre nos discussions pendant cinq à dix minutes pour en finir avec le sujet du moment car nous sommes prêts de la salle. Nous pourrons donc poursuivre nos débats jusqu'à 15 h 20 ou 15 h 25, puis nous nous absenterons le temps du vote et reprendrons ensuite nos discussions.
Monsieur Cohen, la parole est à vous.
David Cohen, avocat en droit de l'immigration, à titre personnel : Je me présente devant vous aujourd'hui en raison d'une histoire que mon défunt grand-père m'a racontée lorsque j'étais encore jeune et impressionnable. Il m'expliqua comment sa jeune sœur était parvenue à fuir la Pologne juste avant l'occupation nazie et à se procurer un permis de résidence en Angleterre, valide pour un an. Mon grand-père a alors tenté tout ce qui était humainement possible pour convaincre les responsables de l'immigration, à Ottawa, de l'autoriser à le rejoindre au Canada. Sa requête a échoué dans des oreilles sourdes. En fait, la porte d'entrée pour le Canada était fermée. À la suite de cet échec, sa sœur fut renvoyée en Pologne. Elle n'a plus jamais donné signe de vie.
Soyons honnêtes, nous n'avons pas toujours eu de raisons d'être fiers de notre politique d'immigration. Je pratique maintenant le droit de l'immigration depuis presque 30 ans et je peux dire candidement que les pouvoirs discrétionnaires et discriminatoires n'ont disparu de notre système d'immigration, pour les travailleurs qualifiés, qu'en 2002 avec l'adoption de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR}.
La LIPR, dans sa formulation actuelle, est un excellent texte de loi. Cela tient au fait que la sélection des immigrants se fait sur des critères purement objectifs. Cette loi repose sur le principe fondamental voulant que toute personne qui présente une demande pour venir vivre au Canada a droit à un traitement juste et équitable.
Le gouvernement est en train de proposer des amendements à la LIPR. Ceux-ci prévoient que la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration aura tout pouvoir pour transmettre aux agents de l'immigration des instructions sur le traitement des dossiers, en particulier, quant aux types de demandes à traiter rapidement, à celles à mettre en attente pour être traitées à une date ultérieure, et finalement sur les types de demandes à rejeter sans aucune considération.
Ces amendements, s'ils sont adoptés, se traduiraient par l'abandon d'un système accordant un traitement juste et équitable à tous les dossiers, dans l'ordre de leur réception, au profit d'un autre reposant sur un mode de sélection discrétionnaire et sans aucune considération. Nous risquerions de voir réapparaître les décisions arbitraires que l'adoption de la LIPR avait fait disparaître.
Vous devez bien comprendre que les choses ne vont pas changer, comme par magie, simplement parce que la ministre pourra dès lors donner ses instructions. Dans la réalité, elle doit déléguer l'exercice de ses pouvoirs discrétionnaires à des agents de l'immigration qui vont choisir les demandes à traiter. Cela créera inévitablement un système de sélection au Canada qui serait vulnérable aux penchants personnels, ou encore pire.
Le ministre déclare que ces amendements sont requis pour rendre plus efficace et pour moderniser le système d'immigration. En particulier, le gouvernement a l'intention d'utiliser les amendements pour gérer l'arriéré des demandes d'immigration, composé pour l'essentiel de 600 000 demandes de travailleurs qualifiés. De plus, le gouvernement prétend que les modifications sont nécessaires pour faire passer sur le haut de la pile les dossiers des candidats dont les compétences sont très recherchées au Canada.
En réalité, ces amendements ne sont pas nécessaires pour atteindre les objectifs visés. Dans sa formulation actuelle, la LIPR comporte les mécanismes nécessaires pour contrôler le flux des immigrants économiques et pour faire passer les candidats recherchés par les employeurs canadiens en tête de liste. La LIPR permet de le faire de façon objective et transparente. Permettez-moi de vous fournir rapidement quelques explications.
En termes simples, cet arriéré des demandes d'immigration existe à cause du nombre de nouvelles demandes reçues chaque année, qui dépasse le nombre de visas émis durant l'année. L'un des règlements d'application de la LIPR prévoit très précisément cette éventualité. Il permet à la ministre de fixer le nombre minimum de points exigés pour accepter un travailleur qualifié, tout en tenant compte du rapport entre le nombre de demandes déjà en cours de traitement et le nombre de visas à émettre. La ministre peut tout simplement augmenter la note de passage qui est actuellement de 67 points. Les travailleurs qualifiés savent calculer et n'acquitteront pas des frais de 550 $ pour voir leurs demandes rejetées au mérite.
Avec le règlement actuel, la ministre peut également recourir à ce qu'on appelle des professions d'accès limité.
Après consultations adéquates avec les gouvernements provinciaux et les autres intervenants, la ministre pourrait désigner certaines professions comme étant d'accès limité, soit celles pour lesquelles la demande est faible sur le marché canadien du travail.
Les demandeurs ayant exercé une profession d'accès limité ne recevraient pas de points au titre de l'expérience, et ne pourraient donc être considérés comme des travailleurs qualifiés lors de l'étude de leur dossier. Rien ne les inciterait donc à présenter des demandes. Cela permettrait au Canada de sélectionner un plus grand nombre d'immigrants répondant aux besoins actuels du marché de travail.
Enfin, la législation en vigueur contient déjà des dispositions sur ce que nous appelons l'« emploi réservé » au Canada. Une offre d'emploi authentique de la part d'un employeur canadien permet au demandeur d'obtenir immédiatement un permis de travail temporaire ou peut permettre d'accélérer le traitement de son dossier de résidence permanente. De cette façon, les meilleurs candidats seraient propulsés en tête de liste.
Pour résumer, dans sa forme actuelle, la LIPR comporte les mécanismes qui permettent au gouvernement d'atteindre tous ses objectifs, soit de réduire l'arriéré actuel de dossiers de travailleurs compétents et de traiter en priorité les dossiers des demandeurs ayant les types d'expérience recherchés. La LIPR est juste et fonctionne bien.
Je sais que j'ai utilisé l'essentiel du temps qui m'était imparti. J'aimerais prendre deux minutes de plus pour vous dire quelques mots de nature générale sur l'arriéré. Il est important de bien comprendre l'ensemble des amendements.
Le problème des arriérés est beaucoup plus compliqué qu'il ne semble à première vue. La proposition du gouvernement donne l'impression que l'arriéré est un fil simple de 600 000 demandes étendu aussi loin que l'on puisse voir. En fait, la réalité est entièrement différente. Certains bureaux des visas, comme celui de New Delhi, ont un arriéré énorme qui se traduit par un délai de cinq ans avant qu'une demande d'immigration soit étudiée.
D'autres bureaux des visas, comme celui de Buffalo, sont en mesure de traiter intégralement les demandes qu'ils reçoivent en un peu moins de deux ans.
Cela tient directement au fait que la ministre fixe le nombre de visas à délivrer par chaque bureau au cours de l'année, et lui attribue ensuite les ressources nécessaires pour atteindre son objectif.
Le nombre total de demandes à l'étude n'est donc pas le seul aspect de l'équation à prendre en compte. La répartition des ressources fait partie intégrante du problème et de la solution.
Il se peut que la situation impose de répartir différemment les ressources aux bureaux des visas prenant le plus de temps pour traiter les demandes au lieu d'accorder à la ministre le pouvoir de fermer complètement la porte d'accès au Canada.
Une fois que vous avez une société qui peut fermer ses portes de façon sélective aux candidats, même temporairement; il n'y a plus qu'un pas à faire pour devenir une société qui n'ouvre plus ses portes qu'à quelques-uns et pas aux autres.
Les Canadiens d'origines chinoise, juive et italienne ne seront pas exagérément surpris si cela se produit.
Le président : Il se peut que l'arriéré, et les effets éventuels de ce projet de loi sur celui-ci, soulèvent d'autres questions. Nous pouvons peut-être en débattre si les sénateurs le souhaitent.
Monsieur Bissett, avez-vous d'autres commentaires à ajouter pour l'instant.
James Bissett, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le président. Je remercie aussi les membres de ce comité de me permettre de m'adresser à eux.
Je crois que les changements proposés par le gouvernement sont nécessaires pour reprendre le contrôle du flux d'immigration qui nous a échappé. Nous sommes confrontés à un arriéré de plus en plus important de personnes qui ont respecté toutes les exigences pour venir au Canada, qui ont acquitté les frais et qui attendent une réponse. Certains d'entre eux attendront probablement jusqu'à six ans pour venir ici.
On estime actuellement que plus de 950 000 personnes attendent une réponse et le ministère lui-même prévoit que l'arriéré aura, d'ici deux ans, dépassé le nombre de 1,5 million de dossiers. C'est énorme. Si vous y ajoutez l'arriéré de 62 000 dossiers de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, dont beaucoup deviendront éventuellement des immigrants reçus, alors que nous avons environ 200 000 travailleurs temporaires au Canada, et à mon avis peu d'entre eux retourneront dans leur pays d'origine, nous parlons donc ici de nombres énormes.
Le système doit être corrigé parce qu'il est injuste pour les gens. Il ne s'agit pas seulement de chiffres, mais bien de gens. Les gens attendent parfois des années pour rejoindre leurs familles ici ou pour venir occuper des emplois qui leur ont été promis.
Le système doit être corrigé et le gouvernement a choisi la façon de le faire. Il peut y avoir d'autres problèmes, mais celui-ci est primordial. Il faut corriger le système et le faire rapidement.
Le système découle de l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration de 2001, la LIPR comme on l'appelle. Par de nombreux aspects, c'était une excellente loi, mais elle a négligé un élément essentiel. Elle ne comporte en effet aucun mécanisme pour contrôler les quantités. C'est là le problème. Toute personne respectant les critères de sélection est acceptée. Le problème est, bien sûr, qu'il y a encore des millions de personnes jeunes, en particulier en Asie, et plus précisément en Inde et en Chine, où les universités forment des milliers de jeunes gens brillants qui peuvent facilement respecter nos critères de sélection et qui sont très désireux de venir ici. Si nous ne faisons rien pour interrompre le flux, l'arriéré ne va cesser d'augmenter.
Le gouvernement libéral a adopté cette loi en 2001, et il a dû réaliser dans l'année qui a suivi qu'il était confronté à un problème sérieux parce que l'arriéré ne cessait d'augmenter. Beaucoup trop de gens respectaient les critères de sélection. Ils ont tenté de corriger le système en relevant la note de passage des personnes qui avaient déjà été considérées comme admissibles. Bien évidemment, les tribunaux ont déclaré que cela était injuste et ultra vires.
Rien n'a été fait depuis cette époque. Dans l'intervalle, bien évidemment, l'arriéré a presque atteint un million de dossiers. Il va continuer à augmenter parce que la ministre de ce gouvernement conservateur a annoncé que, en 2009, l'objectif serait fixé à 265 000 nouveaux immigrants, sans tenir compte de l'arriéré.
Dans les faits, nous ne pouvons tout simplement pas continuer à accepter toutes les personnes qui respectent les critères de sélection. Nous devons nous doter d'un mécanisme pour contrôler ce flux et le gérer afin d'être en mesure d'ouvrir et de fermer le robinet quand cela nous paraît nécessaire.
Rien dans le texte que nous avons sous les yeux ne laisse entendre que la ministre aura le pouvoir discrétionnaire d'ouvrir et de fermer la porte donnant aux gens accès au Canada. Il faudra, comme à l'habitude, procéder par règlement. Les modifications apportées au règlement seront publiées dans la Gazette du Canada, feront l'objet de discussions devant les comités parlementaires ainsi qu'avec les groupes ethniques d'immigrants et d'autres, comme cela se passe actuellement, si je comprends bien.
Ce projet de loi a donné lieu à beaucoup de spéculations et les gens se sont demandé s'il cache quelque chose. Un groupe d'avocats qui a comparu devant le pendant de votre comité à la Chambre des communes a déclaré que ce projet de loi machiavélique sent l'influence des fonctionnaires et de leur désir de pouvoir. La plupart de ces attaques sont absurdes. Le Canada est confronté à une situation critique et nous devons faire quelque chose pour la régler.
Il y a eu une tentative auparavant, mais elle a été déclarée illégale. Cette fois, je crois que la réforme doit aller de l'avant où ce système d'immigration, dont les Canadiens sont si fiers et qui a été copié par tant de pays à travers le monde, va devenir un fiasco. Nous ne disposons pas de beaucoup de temps pour modifier ce système.
La ministre a déclaré au Parlement et à la Chambre des communes que ces modifications n'auront pas de répercussions directes sur l'arriéré. Elle tentera de s'attaquer à celui-ci avec une hausse de son budget de 1,8 million de dollars étalés sur quelques années, qui devrait lui permettre d'accroître l'effectif du ministère et de s'attaquer à l'arriéré. Il faut toutefois faire quelque chose pour permettre au gouvernement de gérer le flux des nouveaux demandeurs ou l'arriéré va encore augmenter et les gens en souffriront.
Le sénateur Di Nino : Monsieur le président, vous avez présenté M. Bissett comme témoignant à titre personnel. Il pourrait être utile pour nous de savoir qui il est, quels sont ses antécédents et pourquoi il est ici. Si nous n'avons pas ces détails, il peut peut-être nous les donner.
Le président : Monsieur Bissett, pouvez-vous nous dire rapidement qui vous êtes?
M. Bissett : Je suis un ancien diplomate. J'ai été ambassadeur du Canada en Yougoslavie, en Bulgarie et en Albanie et Haut commissaire à Trinidad-et-Tobago. J'ai passé 36 ans dans la fonction publique, dont une grande partie à m'occuper d'immigration et de réfugiés. Entre 1985 et 1990, j'étais le responsable du Service canadien d'immigration. J'ai également travaillé pour un organisme appelé Organisation internationale pour les migrations, qui a son siège à Genève. J'étais son chef de mission à Moscou de 1992 à 1997. J'ai consacré l'essentiel de ma carrière aux questions d'immigration et de réfugiés.
Le président : Je vous remercie, c'est une expérience impressionnante. Le sénateur Di Nino avait raison, c'est une information utile.
Précisons toutefois, pour que cela figure au procès-verbal, que vous êtes ici aujourd'hui, monsieur Bissett, à titre personnel sans représenter un organisme ou un groupe particulier.
M. Bissett : Je suis ici à titre personnel, sans l'ombre d'un doute.
Le président : Je vous remercie. J'avais au moins raison sur ce point.
Maintenant, je vous présente à nouveau Victor Wong du Conseil national des canadiens chinois.
Victor Wong, directeur général, Conseil national des Canadiens chinois : Monsieur le président et honorables sénateurs, je vous remercie de nous accueillir aujourd'hui. Je représente le Conseil national des Canadiens chinois, qui a été mis sur pied il y a 28 ans. Nous sommes un organisme national et sans but lucratif comptant 27 chapitres à travers le pays. Notre mandat est de promouvoir l'égalité des droits et la pleine participation des membres de notre collectivité à tous les aspects de la société canadienne. Je suis accompagné de mes collègues de Montréal, Alice Choy et Danny Mah, de l'Association for Business and Community Development.
Nous sommes d'avis que la législation et les politiques publiques doivent traduire les valeurs démocratiques, humanitaires et de justice sociale couramment partagées par les Canadiens. De telles politiques doivent améliorer la capacité de tous, y compris des nouveaux venus, à contribuer de façon importante à l'avenir de ce pays.
D'après les données du recensement de 2006, plus de 1,3 million de Canadiens chinois vivent au Canada. Nous sommes la seconde communauté raciale en importance au pays.
La collectivité canadienne chinoise en est une qui est diversifiée, qui a un passé riche, même s'il a parfois été tragique, qui s'étend sur 150 ans d'histoire de ce pays. Elle a fait l'objet de toute une série de lois racistes qui se sont traduites par l'imposition d'une taxe d'entrée aux Chinois, d'une taxe d'entrée à Terre-Neuve et par la Chinese Exclusion Act. La collectivité a également été visée au niveau local par tout un ensemble de politiques, de programmes et de pratiques d'exclusion.
Mon grand-père a acquitté la taxe d'entrée. Il a consacré 60 ans de sa vie à réunir sa famille au Canada. Je suis son premier descendant né au Canada.
C'est l'expérience directe que nombre des membres de notre collectivité ont des législations d'exclusion en matière d'immigration qui nous guide dans notre analyse.
Nous devons reconnaître que l'immigration fait partie intégrante de l'édification d'une nation. Le premier ministre Stephen Harper a déclaré récemment que le gouvernement est en faveur d'une politique d'immigration agressive.
Nous devons adopter une approche visionnaire au lieu de nous contenter de gérer les questions au jour le jour. L'immigration n'a pas pour vocation de combler les pénuries sur les marchés régionaux du travail et Citoyenneté et Immigration Canada n'est pas une agence de placement. Nous devrions nous efforcer d'édifier une nation inclusive de citoyens actifs.
Nous avons trois recommandations.
Nous devons d'abord nous doter d'un plan d'ensemble en matière d'immigration, proposant un cheminement clair pour obtenir un statut juridique et la citoyenneté. Nous savons que la population du Canada vieillit. Le nombre de travailleurs prenant leur retraite augmente alors que les membres de la génération du baby-boom commenceront à franchir le cap des 65 ans en 2011.
Le taux de natalité est faible. Avec la vision qui convient, nous pourrons élaborer un plan adapté en nous appuyant sur une politique d'immigration agressive. Les modifications proposées en matière d'immigration dans le projet de loi C-50 ne sont pas la réponse à ce problème.
Lorsqu'elle a présenté pour la première fois les modifications qu'elle proposait en mars de cette année, la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, Diane Finley, a déclaré qu'elles étaient nécessaires pour s'attaquer à l'arriéré des demandes. Toutefois, les modifications proposées dans le projet de loi C-50 ne touchent que les demandes reçues à compter du 27 février 2008 et sont sans effet sur l'arriéré actuel des demandes.
Le gouvernement laisse entendre que ces modifications aideront à traiter plus rapidement les demandes. Toutefois, au cours des trois dernières années, le Canada a pour l'essentiel atteint son objectif en matière d'immigration. Nous avons reçu, en moyenne, 250 000 immigrants par année. Ils étaient 236 689 en 2007; 251 649 en 2006 et 262 236 en 2005. Ces demandes ont été traitées avec l'effectif actuel. En d'autres termes, nous avons déjà atteint notre capacité.
Même si le Canada est plus productif et parvient à traiter son objectif de 250 000 demandes d'immigration en neuf mois, par exemple, nous devrions nous arrêter au bout de cette période parce que nous aurions déjà atteint l'objectif. Nous en concluons donc que nous ne pourrons pas réduire l'arriéré sans accroître le nombre d'immigrants à accueillir.
Nous recommandons également que l'objectif actuel de 240 000 à 265 000 immigrants au Canada soit porté entre 300 000 et 330 000. Cela représente environ un pour cent de la population canadienne et permettrait de réduire cet arriéré.
Nous savons que, au cours des dernières semaines, vous avez entendu des groupes de la collectivité et de syndicats s'opposer vigoureusement au projet de loi C-50. Les modifications proposées à la législation accorderaient des pouvoirs très étendus à la ministre et aux personnes à qui elle délègue ces pouvoirs. Elles auraient pour effet de limiter le nombre de demandes justifiées par des raisons humanitaires et de compassion. Elles permettraient à la ministre d'ajuster les nombres de demandes relevant de certaines catégories d'immigration, comme celles des travailleurs qualifiés, de la catégorie de la famille, des réfugiés, et cetera. Les collectivités ont donc raison de craindre que le gouvernement réduise le nombre de demandes de la catégorie de la famille.
La ministre de l'Immigration a indiqué récemment que ces modifications sont nécessaires pour permettre de traiter plus rapidement les dossiers de demandeurs appartenant à certaines professions. Elle a donné l'exemple des médecins. Nous savons que l'Alberta, par exemple, a besoin de 1 000 médecins de plus. Il y a toutefois déjà des milliers de médecins formés à l'étranger qui vivent au Canada. Ils ne peuvent exercer dans leur domaine même s'ils ont subi à nouveau les examens et y ont été reçus. Ils doivent se battre pour obtenir l'un des rares postes en résidence.
Le projet de loi C-50 ne va pas résoudre la situation lamentable de ces médecins formés à l'étranger. Sans une stratégie d'ensemble, prévoyant la participation des provinces, des responsables de la santé, des universités et des organismes professionnels, nous ne parviendrons qu'à accroître l'arriéré des dossiers de médecins formés à l'étranger qui vivent au Canada.
Le manque de transparence du projet de loi C-50 a suscité un climat de méfiance. Le ministère de l'Immigration a disposé de plusieurs semaines pour présenter un plan d'immigration révisé qui nous permettrait d'analyser les répercussions de ces changements.
Au lieu de cela, qu'a fait le gouvernement? Il a décidé de dépenser trois millions de dollars en publicité pour promouvoir ces modifications en matière d'immigration avant même qu'elles n'aient force de loi.
Notre troisième et dernière recommandation consiste à demander à ce comité de recommander le retrait des modifications en matière d'immigration proposées dans le projet de loi C-50, et à demander au gouvernement de publier un document de travail sur le sujet et d'organiser une consultation nationale avant de rédiger un nouveau projet de loi.
Le Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration de la Chambre des communes a formulé cette recommandation la semaine dernière. Le système d'immigration pose de nombreux problèmes. La nouvelle catégorie canadienne des travailleurs expérimentés, instaurée par ce gouvernement, est à l'avantage des étudiants et des travailleurs hautement compétents. Elle exclut cependant les travailleurs moins compétents, des personnes qui, comme mon grand-père, sont venues au Canada.
Oui, nous avons besoin d'une politique d'immigration agressive. Il faut toutefois qu'elle respecte la dignité humaine et offre des choix réels à ceux qui veulent rester au Canada.
Le président : Je vous remercie, monsieur Wong
Naveen P. Mehta, avocat, directeur, Droits de la personne, équité et diversité, STATUS NOW! — Campaign in Defence of Undocumented Immigrants : Je vous remercie tous, monsieur le président et les membres du comité, de m'offrir l'occasion de m'adresser à vous.
Je suis ici le porte-parole de plusieurs organismes. Fort heureusement, mon analyse va vous le révéler, en particulier quand elle adopte un point de vue syndical. Dans le peu de temps dont je dispose, je tiens à vous décrire clairement ce qui se passe sur le terrain.
Je suis ici au nom de STATUS NOW! — Campaign in Defence of Undocumented Immigrants. Notre campagne regroupe plusieurs organismes nationaux, régionaux et locaux de défense des immigrants et des réfugiés, des organismes communautaires, des syndicats et d'autres organismes.
Je représente également ici l'Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce, les TUAC du Canada, un organisme membre de STATUS NOW! et l'un des plus importants syndicats du secteur privé au Canada. Avec près d'un quart de million de membres d'un océan à l'autre, et près de 1,3 million de membres au Canada et aux États-Unis, il y a un membre des TUAC dans tous les secteurs de l'économie.
Je suis également ici comme avocat et directeur, Droits de la personne, équité et diversité des TUAC du Canada. Je suis également un militant au sein de la collectivité du sud de l'Asie, qui a des liens dans tout le pays et qui est la plus importante minorité du Canada d'un point de vue racial.
Du point de vue des syndicats et des gens qui travaillent dans ce pays, et cela cadre avec les caractéristiques démographiques des Canadiens, une partie importante des membres des TUAC du Canada sont des immigrants, selon le cas de première, de seconde ou de troisième génération. Les réactions que nous avons recueillies de ces membres couvrent toute une gamme. Elles vont de l'inquiétude très réelle à l'outrage, en passant par le dégoût, face aux perspectives que laissent entrevoir les amendements proposés à la LIPR par le projet de loi C-50.
Nous savons que ces réactions reposent sur des justifications valides. Les amendements du projet de loi C-50 à la LIPR accordent des pouvoirs sans précédent à la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration pour lui permettre de contrôler les types de demande qu'elle acceptera, pour imposer des quotas, pour rejeter des demandes d'immigration et pour faciliter le traitement privilégié de certaines demandes. La ministre a indiqué qu'elle est désireuse de répondre aux besoins des entreprises. De mon point de vue comme de celui des TUAC, ce seront donc, de facto, les services de ressources humaines de nos grandes entreprises qui pourront décider qui viendra au pays et qui pourra y rester.
Le projet de loi C-50, avec les modifications qu'il apporte à la LIPR, aura pour effet de restreindre de façon importante les dossiers analysés pour des raisons humanitaires et de compassion alors que ces motifs sont actuellement la seule solution disponible pour de nombreuses personnes qui éprouvent des difficultés à réunir leur famille. Les nouvelles dispositions accordent à la ministre le pouvoir de refuser des visas à des personnes qui respectent tous les critères exigés pour immigrer.
Les amendements du projet de loi C-50 à la LIPR renforcent de plus la tendance actuelle voulant que les immigrants soient de plus en plus considérés et traités comme des unités économiques à faire venir au pays au moyen de visas temporaires au lieu de leur offrir des programmes visant la résidence permanente.
Tous dans cette pièce, à l'exception de nos sœurs et de nos frères des Premières nations, sommes ici à la suite d'une forme de stratégie d'immigration ou de régime d'immigration. Permettez-moi d'être franc. Cette législation place nettement les profits avant les personnes. Il s'agit de s'assurer que le travailleur moyen au Canada, qui bénéficie d'une rémunération décente, soit désormais soumis à la concurrence de travailleurs étrangers mal payés, fréquemment abusés et n'étant ici que de façon temporaire. Qui les employeurs vont-ils choisir : un défenseur de ses droits, né ici, qui connaît l'une des langues officielles ou quelqu'un qui est isolé et qui peut ne parler aucune de nos langues.
Cette législation vise à mettre en place un contexte nuisant à la vaste majorité des Canadiens. Les TUAC ont été les défenseurs des travailleurs agricoles et, en particulier, des plus vulnérables d'entre eux, ceux qui viennent travailler ici de façon temporaire, depuis plus de deux décennies maintenant. Chaque année, nous venons en aide aux plus de 20 000 personnes qui sont importées dans ce pays, qui travaillent dans les champs, qui sont entassées dans des logements invivables et qui sont abandonnées quand elles sont épuisées ou qu'on n'en a plus besoin.
Nous savons de première main les horreurs que ces travailleurs ont à subir. Grâce aux huit centres d'aide pour les travailleurs agricoles mis sur pied au Canada par les TUAC, nous avons défendu les droits de travailleurs agricoles migrants et combattu l'accès limité qu'ils ont à des soins de santé, les conditions de logement déplorables qu'on leur offre, les menaces de rapatriement, les assauts, les membres perdus et les décès.
Nos membres conviennent que le projet de loi C-50 va instaurer un contexte encore plus parfait dans lequel ces types d'abus ne va qu'augmenter et se diffuser comme une honte nationale pour le Canada, non seulement sur les exploitations agricoles mais de plus en plus dans les usines, les bureaux, et éventuellement dans tous les lieux de travail où les employeurs peu scrupuleux recherchent des employés isolés et plus facilement exploités.
Je peux vous dire à ce que j'ai appris de première main que de bons gouvernements par ailleurs ont fait un travail pitoyable pour protéger les droits humains et syndicaux fondamentaux de ces travailleurs. La façon dont ils sont traités est une honte nationale. Toutefois, ces amendements montrent bien que nous avons besoin d'une protection additionnelle. Comment le gouvernement fédéral va-t-il protéger les droits de 50 000 à 100 000 travailleurs agricoles étrangers et temporaires quand il ne parvient même pas à en protéger 20 000? Qu'en est-il des 180 000 travailleurs étrangers venant chaque année travailler de façon temporaire dans ce pays, alors que l'on dit que leur nombre pourrait atteindre 800 000 en 2012? Rien dans ces amendements ne constitue l'ombre d'un début de mesures pour faire face à ce qui est de plus en plus décrit comme une catastrophe nationale.
Ce projet de loi ne fait qu'accentuer le processus visant à reléguer des êtres humains au statut de simple produit, comme des engrais ou du fer, dans le processus de production. Importons ce dont nous avons besoin et rejetons ce qui ne nous intéresse pas. Au lieu de réduire l'arriéré en fixant des cibles en matière d'immigration, comme l'a mentionné M. Wong, à environ 330 000 personnes, ce qui représente environ 1 p. 100 de la population canadienne, ces amendements auront des effets tragiques sur les Canadiens de toutes origines : les immigrants, ceux ayant un statut juridique, ceux n'en ayant pas, les personnes subissant le racisme et les travailleurs.
Il semble que les gouvernements n'acceptent plus que les gens passent à travers le système. Avec le projet de loi C-50, le gouvernement actuel tente de mettre en place de façon systématique des couloirs conduisant à des abus et reste sans rien faire alors que des employeurs peu scrupuleux font venir sans vergogne de plus en plus de travailleurs étrangers.
En même temps, l'importance accordée à l'édification de la nation et a la réunification des familles sera amoindrie. Nos membres des TUAC et ceux des organismes membres de STATUS NOW! sont fatigués de cette situation.
Cette semaine, je représente les TUAC du Canada à l'assemblée générale annuelle du Congrès du travail du Canada qui se tient à Toronto. Le CTC est la plus importante organisation démocratique au pays avec plus de 3,2 millions de membres. Je me suis bien sûr absenté de cette assemblée pour être parmi vous aujourd'hui. Au cours des discussions officielles et informelles qui se sont déroulées entre les 2 000 délégués sur les amendements proposés, il est manifeste pour nous que ces propositions tentent simplement de tirer parti du désespoir et de l'isolement ressentis par de trop nombreux travailleurs étrangers temporaires. Nous jugeons ces amendements inacceptables, contraires aux valeurs canadiennes et manifestement antidémocratiques.
Cela nous amène à formuler respectueusement deux recommandations à ce comité. Sachez tout d'abord en même temps que nous appuyons pleinement les recommandations du Conseil national des canadiens chinois et des deux groupes que vous entendrez cet après-midi lors de la deuxième partie de cette séance, la Canadian Arab Federation et le Conseil ethnoculturel du Canada.
Tout d'abord, nous vous proposons respectueusement que le Sénat étudie et analyse ce projet de loi article par article. La législation sur l'immigration est l'une des plus importantes qu'un gouvernement peut vouloir adopter car elle sert de base pour déterminer quelles sont les personnes qui viendront dans ce pays et en deviendront des citoyens. Il est donc essentiel que le Sénat procède à un examen article par article.
Étant donné les répercussions néfastes que ces amendements pourraient avoir sur des milliers de gens au pays et sur des millions à l'étranger, il serait déraisonnable de vouloir forcer les Canadiens à avaler cette législation avec une telle précipitation.
En second lieu, nous recommandons respectueusement la tenue de consultations nationales. Les amendements proposés à la LIPR vont à l'encontre de la façon dont notre pays a été édifié. Il l'a été par des immigrants et des membres des Premières nations, de John A. Macdonald à Walter Gretzky et à mon père, et à vous tous, qui êtes venus ici élever vos familles, y payer des impôts et vous battre sur ce sol. La nouvelle version de la LIPR accorderait une importance indésirable aux travailleurs étrangers temporaires qui sont parmi les travailleurs les plus facilement exploités dans ce pays.
Ces amendements malencontreux n'ont rien à voir avec l'édification d'une nation au XXIe siècle. Nous vous demandons respectueusement de rejeter ces amendements.
Étant donné l'importance déterminante de l'immigration pour l'édification d'un pays, et d'un pays construit sur le dos des immigrants, il faut tenir des auditions plus ouvertes et transparentes, plus complètes et à l'échelle nationale sur l'immigration. Il faut avoir des consultations qui se tiennent, et non pas une législation sur l'immigration reposant uniquement sur les besoins que pensent avoir les entreprises canadiennes ou, pire encore, sur les lubies d'une ministre de l'Immigration déconnectée de la réalité.
Nous sommes d'avis que le Sénat pourrait organiser des auditions à travers le pays, en ne se contentant pas de ce que les gens d'Ottawa ont à dire. Voici donc ce que j'avais à vous dire, sous réserve des questions que vous pourriez vouloir me poser.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Mehta. Nous avons apprécié vos commentaires à leur juste mesure, mais je dois tous vous informer qu'il va y avoir un autre vote, en vérité sur un amendement. Nous devrons donc voter deux fois, à 15 h 15 et à 15 h 30. J'ai deux petits points à régler, et je vous propose donc de faire une pause en espérant que vous puissiez rester, si vous en avez le temps, pour une période de questions et de réponses.
Nous entendrons un autre groupe peu de temps après 15 h 30, lorsque nous reviendrons, et nous pourrons alors avoir une discussion avec tous ceux d'entre vous qui seront encore là ainsi qu'avec des membres du second groupe après leurs exposés. Je suis ravi que nous ayons pu prendre connaissance de vos exposés. Le sénateur Di Nino souhaite apporter une autre précision.
Le sénateur Di Nino : Monsieur le président, le témoin a parlé des TUAC. Il me paraît important de préciser, pour que cela figure au procès-verbal, qu'il s'agit, je crois, de l'Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce. Vous pouvez peut-être nous dire si c'est bien d'eux qu'il s'agit.
M. Mehta : Toutes mes excuses. Le sénateur a raison. C'est bien l'Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce du Canada.
Le président : Je vous remercie. J'aimerais apporter une autre précision. M. Wong a évoqué une recommandation du Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration de la Chambre des communes. J'ai une copie de cette lettre dans une seule langue mais, à moins que M. Wong en ait une dans les deux langues officielles, adressée à Rob Merrifield, député, par Norman Doyle, député en date du 15 mai. Je vais demander à notre greffier de s'en procurer une auprès de la Chambre des communes afin que nous puissions tous consulter tous les documents dont vous avez fait état.
Honorables sénateurs, dans cinq minutes nous devrons voter sur un amendement à la législation sur la Commission canadienne du blé, et ensuite voter sur la motion initiale. Dès que le second vote sera terminé, je vous demande de revenir rapidement et nous commencerons à entendre le second groupe. J'espère que la plupart des participants au premier seront encore là.
La séance est suspendue.
La séance reprend.
Le président : Je souhaite la bienvenue à nos nouveaux témoins. Je vais les présenter dans un instant. Nous avons eu une brève suspension de séance pour nous permettre de voter sur des propositions de loi et je remercie ceux d'entre vous qui étaient là avant cette interruption pour leur compréhension. Merci d'être restés. Si cela vous convient, nous pourrons passer à la période de questions et réponses après les exposés. J'espère que nous disposerons d'une heure et demie.
Je m'appelle Joseph Day, je préside ce comité et je suis originaire du Nouveau-Brunswick. Le comité s'intéresse aux dépenses et aux opérations du gouvernement. Nous faisons cela par l'analyse des budgets de dépenses et des fonds mis à la disposition des agents du Parlement pour qu'ils s'acquittent de leurs tâches, ainsi que par l'examen des lois de mise en œuvre du budget et des autres questions renvoyées devant le Comité par le Sénat.
Nous nous penchons actuellement sur la teneur de la Loi d'exécution du budget de 2008, le projet de loi C-50. Ce projet de loi est encore à l'étude à la Chambre des communes. Le 15 mai 2008, notre comité s'est vu confier par le Sénat l'étude de la teneur de ce projet de loi et nous nous attendons à recevoir le projet de loi lui-même au début de la semaine prochaine. L'ensemble de vos témoignages et de l'information que vous nous fournissez nous aidera dans notre étude article par article de ce projet de loi.
Nous remercions ceux d'entre vous qui étaient là plus tôt, M. Cohen, M. Bissett, M. Wong et M. Mehta. Je souhaite la bienvenue à M. Mouammar, président de la Canadian Arab Federation, à M. Pang, président par intérim de la Chinese Canadian Community Alliance, et à M. Ferreira, président du Conseil ethnoculturel du Canada.
Je vais demander à chacun de vous de commencer en formulant quelques remarques préliminaires. Commençons par le représentant de la Canadian Arab Federation.
Khaled Mouammar, président, Canadian Arab Federation : Je vais commencer par vous présenter la Canadian Arab Federation. Notre organisme existe depuis 1967. Nous sommes un organisme national représentant 22 organisations arabes à travers le pays. La collectivité arabe est composée d'environ 650 000 personnes installées dans toutes les régions du pays et composée également de musulmans et de chrétiens. Je suis moi-même chrétien.
Nous vous remercions de cette occasion que vous nous offrez de vous faire un exposé sur les amendements proposés par le projet de loi C-50 à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Nous voyons d'un bon œil que le gouvernement veuille s'attaquer à l'arriéré des demandes d'immigration. Nous sommes toutefois d'avis que la façon dont il s'y prend, aussi bien dans la manière que sur le fond, n'est pas la bonne.
Je fais aussi ici appel à mon expérience à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié à laquelle j'ai siégé pendant 11 ans. Nous avions alors un arriéré de demandes de statut de réfugié. Nous nous y sommes attaqués en étudiant les modalités du système et ses goulots d'étranglement, en dégageant ces goulots d'étranglement et en faisant appel à un plus grand nombre de commissaires pour simplifier les modalités.
Ce sont ces mesures qui, à mon avis, nous ont permis de réussir à réduire cet arriéré.
La collectivité arabe a fait de plus en plus l'objet de racisme, de discrimination, et d'exclusion depuis septembre 2001. J'ai préparé un exposé avec un document joint qui vous seront remis un peu plus tard. Un sondage réalisé par Sun Media, en janvier 2007, révèle que 47 p. 100 des Canadiens entretiennent certaines visions racistes envers la collectivité arabe. Nous sommes la collectivité perçue le plus négativement par le Canadien moyen. Cela est compréhensible à la suite de la couverture des médias et des développements sur la scène mondiale.
Les étudiants musulmans, parmi lesquels il y a des musulmans arabes, sont confrontés au quotidien à la discrimination sur les campus, comme l'a révélé un rapport de la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants en mars de l'an dernier.
Nos réserves envers ce projet de loi tiennent au fait qu'il accorde des pouvoirs très larges à la ministre pour émettre des instructions. En même temps, les modifications apportées à la formulation révèlent que la ministre pourra refuser des demandeurs qui satisfont aux exigences du système à points. La ministre et les agents de l'immigration, si on se fie aux amendements qui remplacent la notion d'obligation par celle de possibilité, pourra refuser un demandeur respectant les critères et ne pas lui émettre de visa. Cette modification du texte ne prévoit pas que de tels demandeurs pourront faire appel.
C'est là une modification très grave. Les décisions peuvent être prises sans aucune surveillance parlementaire et sans aucun débat. Les dispositions permettant à la ministre de définir les catégories à traiter plus rapidement et à indiquer les dossiers qui doivent être traités en priorité pourront être données sans que le Parlement le sache ni n'exerce sa surveillance.
Cette situation nous préoccupe beaucoup. Des incidents au cours des dernières années ont montré que les agents du gouvernement peuvent avoir un parti pris. Je fais ici allusion au cas Maher Arar. M. Arar était un citoyen canadien qui a été emprisonné pendant longtemps en Syrie avant que le gouvernement n'intervienne pour demander sa libération. On peut également citer le cas d'un enfant, Omar Khadr, qui se trouve maintenant à Guantánamo, que les gouvernements qui se sont succédé ont négligé depuis son arrestation.
Nous avons récemment entendu parler d'un citoyen canadien d'origine soudanaise qui a été retenu au Soudan pendant cinq ans. Une fois encore, notre gouvernement n'a pas traité son dossier rapidement. Et pourtant, dans le cas de Brenda Martin, qui a été condamnée par les autorités mexicaines et emprisonnée, le gouvernement est intervenu immédiatement. Un jet a été nolisé par le gouvernement pour aller la chercher mais ce gouvernement n'a encore rien fait pour un Canadien d'origine soudanaise, pour un Canadien d'origine égyptienne et pour un Canadien d'origine somalienne. Le Canadien d'origine somalienne est en prison depuis un an. Il n'a même pas eu droit aux visites consulaires.
Nous avons tous des partis pris. J'ai des partis pris. Tout le monde en a. J'ai travaillé à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et je sais que les gens sont progressistes, mais qu'ils ont des partis pris. Il se peut qu'ils n'aiment pas les gens qui sont grands, gros ou barbus. Nous laissons cette décision dans les mains des agents de l'immigration qui peuvent rejeter quelqu'un, même si cette personne respecte les critères exigés des demandeurs, et personne ne peut contester cette décision devant un tribunal.
En résumé, le projet de loi C-50 peut instaurer un système d'immigration reposant sur la discrimination, qui reproduira les erreurs antérieures que nous avons connues avec la Chinese Exclusion Act et la Indian Exclusion Act, qui touchait les personnes originaires de l'Inde. Il est important de retirer ces dispositions du projet de loi, comme l'a recommandé le Comité permanent des finances de la Chambre des communes. Il faut faire la distinction entre ces questions et en discuter comme il convient dans le cadre de consultations avec toutes les collectivités et toutes les parties concernées.
Sans cela, notre système reposera sur la discrimination. En même temps, il met l'accent sur les travailleurs temporaires, ce qui signifie que nous allons faire venir des gens de façon temporaire qui, pour la plupart, n'ont pas de qualifications. S'ils en avaient, ils pourraient présenter des demandes dans le cadre du système à points. Nous allons faire venir des travailleurs sans compétences, les former pendant quelques années puis les laisser partir. Nous allons y perdre parce que cela va coûter de l'argent aux Canadiens pour former ces gens qui repartiront. En même temps, nous poussons ainsi les salaires des travailleurs canadiens à la baisse et cela n'est pas juste.
En conclusion, le projet de loi C-50 accorde de vastes pouvoirs discrétionnaires et laisse place à des instructions ministérielles qui feront de la loi révisée un outil de sélection et d'exclusion sur des bases raciales, sans que les parlementaires en aient connaissance et puissent assumer leurs responsabilités et sans que le public canadien en soit informé.
Le président : Je vous remercie, monsieur Mouammar, de vos commentaires. Qu'il soit clair pour ceux qui suivent nos délibérations que l'article que vous avez évoqué au sujet du remplacement du mot « doit » par « peut » est l'article 116 du projet de loi, page 107, qui modifie le paragraphe 11(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.
M. Mouammar : Cet amendement s'applique également aux demandes au titre de principes humanitaires et de compassion présentées à l'extérieur du pays. Actuellement, la ministre ne peut refuser celles-ci immédiatement et doit fournir une explication. Toutefois, avec ce changement de « doit » à « peut », un ministre pourra rejeter les demandes sans autre forme de procès.
Tom Pang, président intérimaire, Chinese Canadian Community Alliance : La Chinese Canadian Community Alliance, CCCA, est une association sans but lucratif implantée à Toronto. Notre président est malheureusement décédé en novembre dernier et j'assume depuis cette époque ces fonctions à titre intérimaire.
L'un des principaux objectifs de la CCCA est de jeter des ponts entre la collectivité chinoise et les autres volets de la société. Les politiques d'immigration présentent donc beaucoup d'intérêt pour nous. Depuis que les amendements en matière d'immigration ont été présentés, il y a eu beaucoup de débats au sein de la collectivité sur les avantages et els inconvénients de ces amendements. Après avoir étudié la question et discuté de ces amendements, la CCCA est en mesure de les appuyer.
L'un des principaux problèmes posés par le statu quo est la liste d'attente. Il y a quelques jours, le Toronto Star a publié un article racontant l'histoire d'une personne qui a présenté une demande en 2001, à sa sortie d'université. Six ans plus tard, cette personne est mariée, a un fils, une carrière intéressante et attend toujours une réponse du Canada. Les dossiers de plus de 920 000 personnes sont sur la liste d'attente, et c'est un problème que nous devons résoudre. Il faut de quatre à six ans d'attente avant qu'une demande d'immigration soit traitée. Beaucoup de choses peuvent changer pendant cette période. Malheureusement, certains peuvent mourir. Certains peuvent réorienter leur carrière. D'autres, comme dans le cas cité par le Toronto Star, peuvent mener une carrière intéressante là où ils sont et ne plus désirer venir au Canada. Il y a un autre élément : pendant la période d'attente, si les enfants franchissent la barre des 21 ans, ils ne seront plus admissibles comme personnes à charge. Avec toutes ces attentes, des gens finissent par venir au Canada en laissant certains membres de leur famille derrière eux, dans leur pays d'origine.
Un autre problème que connaissent bien nombre des membres de la collectivité chinoise est que les gens, en arrivant au Canada, ne peuvent trouver le type d'emploi qu'ils avaient dans leur pays d'origine. Ils finissent par travailler dans des restaurants, à faire la vaisselle, ou comme manœuvres, alors qu'ils étaient parfois professeurs d'université, ingénieurs ou médecins auparavant. Ils ne peuvent trouver un emploi comparable à celui qu'ils avaient avant. Nous pensons que les amendements apportés à la législation sur l'immigration résoudront ces deux problèmes.
Malheureusement, comme l'a mentionné M. Mouammar, la discussion et le débat ont porté essentiellement sur les pouvoirs de la ministre, et en particulier sur l'emploi du mot « peut » au lieu de « doit ». La Chine compte 1,3 milliard d'habitants. Que se passerait-il si seulement 1 p. 100 d'entre eux devaient présenter des demandes et s'avéraient respecter les critères exigés pour venir au Canada? Nous parlons d'environ 13 millions de personnes. Sommes-nous prêts à accepter un aussi grand nombre d'immigrants au Canada? La ministre a-t-elle le pouvoir de dire, nous pourrions les laisser venir au lieu de nous allons les laisser venir?
Le président : Je vous remercie, monsieur Pang. Les points de vue divergent sur cette question. Nous sommes ravis d'entendre les deux points de vue sur le sujet.
Peter Ferreira, président, Conseil ethnoculturel du Canada : En plus d'être président du Conseil ethnoculturel du Canada, j'étais auparavant agent principal d'immigration et je suis actuellement conseiller parajuridique.
Le Conseil ethnoculturel du Canada, le CEC, est une coalition sans but lucratif et non partisane, créée en 1980, qui regroupe des organismes parapluies et ethnoculturels au niveau national qui, eux-mêmes, représentent toute la gamme des groupes ethnoculturels du Canada. Ces organismes sont environ 32. Nous tenons des élections dimanche prochain et sept autres organismes nationaux demandent à joindre le CEC.
Les objectifs du CEC sont de veiller à protéger, à améliorer et à partager le patrimoine culturel des Canadiens, à éliminer les barrières qui empêchent certains d'entre eux de participer pleinement et également à la société, d'éliminer le racisme et de préserver un Canada uni.
C'est un cliché mais qui mérite cependant qu'on le répète : Nous sommes bénis de vivre dans un pays merveilleux avec une telle diversité de gens. Ils sont à l'origine de notre force et notre diversité va continuer à nous définir alors que nous nous efforçons de développer et de renforcer notre économie.
L'économie du Canada continue à être forte, mais nul n'ignore que notre population vieillit. Nous pourrions être confrontés à des pénuries sur le marché du travail qui ralentiraient cette croissance. Par le passé, nous avons répondu à ce défi en nous tournant vers l'immigration. Les nouveaux venus d'aujourd'hui arrivent prêts à travailler mais peuvent être confrontés à des défis plus complexes alors que nous nous dirigeons d'une économie basée sur les ressources vers une économie du savoir.
Les barrières systémiques à l'inclusion complète des collectivités ethniques et raciales du Canada sont encore présentes. Les barrières linguistiques, le manque de possibilités de formation et de reconnaissance des accréditations à l'étranger sont des exemples des obstacles qui empêchent des immigrants de se joindre à la main-d'œuvre. Lorsque l'on vient à bout de ces obstacles, le manque d'expérience canadienne, et même la discrimination indirecte, nuisent encore à la création d'une main-d'œuvre totalement intégrée.
Les immigrants compétents jouent un rôle déterminant pour assurer le dynamisme de notre économie et l'immigration est depuis longtemps la principale source de croissance de la population au Canada. Le fait de recourir aux compétences des nouveaux venus profite à pratiquement tous les secteurs d'activité.
Étant immigrant moi-même, je vois les deux côtés de la médaille. Je sais que l'immigration est également bonne pour ceux qui choisissent de quitter leur pays d'origine et de venir vivre ici. Ils peuvent même sacrifier des emplois très bien rémunérés pour cela.
Le Canada peut-il faire plus pour attirer davantage d'immigrants? Oui, et nous devons le faire. Nous devons reconnaître qu'il faut beaucoup de courage pour déraciner une famille et venir ici. Je pense que nous avons besoin d'une réforme de l'immigration qui instaurera un contexte encore plus accueillant, avec une réduction des temps de traitement excessifs des demandes, une formation linguistique améliorée et tous les autres éléments qui peuvent aider à faciliter la transition des nouveaux venus pour qu'ils deviennent des membres productifs de notre société.
En plus de faire concurrence au niveau mondial dans le domaine du commerce, le Canada doit se battre également pour attirer des gens. Il y a un manque de travailleurs compétents partout dans le monde, une tendance qui s'accroît depuis des années. À titre d'exemple, nombre de nos organismes membres ont dit au gouvernement depuis les années 1980 que nous avons besoin de davantage de monde dans les secteurs de la construction, et que l'immigration est une façon de répondre à ce besoin.
Aujourd'hui, les immigrants éventuels que nous pourrions utiliser dans ce secteur, qui se trouvent dans des pays comme l'Irlande et le Portugal, pour n'en nommer que deux, restent chez eux parce qu'il y a également une pénurie de main-d'œuvre dans l'Union européenne. Nous devons promouvoir la venue au Canada comme une solution plus attrayante, et c'est en réalité le cas.
L'immigration profite aussi bien aux personnes qui choisissent de déménager chez nous qu'au Canada dans son ensemble. Comme citoyen canadien, je suis ravi et fier que nous offrions tant à ceux qui viennent chez nous, et j'espère que nous ferons encore mieux dans un avenir proche pour un plus grand nombre de nouveaux venus.
Le gouvernement du Canada fait la promotion du controversé projet de loi C-50 dont la partie 6 comprend des amendements à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Le gouvernement promet que ces amendements réduiront l'arriéré actuel d'environ 950 000 demandes, permettront de traiter plus rapidement les demandes et rendront notre système plus sensible aux besoins du marché du travail du Canada. Pour atteindre ces objectifs, le gouvernement propose d'accorder à la ministre de l'Immigration de nouveaux pouvoirs sans précédent. Le gouvernement continue à affirmer que la ministre a besoin de ces pouvoirs pour choisir en priorité les candidats dont nous avons besoin ici.
Notre législation actuelle précise que le Cabinet fédéral peut promulguer tout règlement concernant les catégories de résidents permanents ou de citoyens étrangers, y compris les critères de sélection, la pondération, s'il y en a, à accorder à certains ou à tous ces critères, les procédures à suivre dans l'évaluation de certains ou de tous ces critères, le nombre de demandes à traiter ou à approuver au cours d'une année, et cetera.
Le fait est que notre législation actuelle autorise la ministre à fixer des niveaux cibles et à accorder des priorités à certaines catégories de demandeurs sans même promulguer de nouveaux règlements. Je prétends respectueusement que notre législation actuelle accorde à la ministre les pouvoirs d'apporter pratiquement tous les changements qu'elle veut, sous réserve du respect de la Charte.
Le CEC est préoccupé par l'adoption de ce projet de loi car il nous paraît que les propositions mises de l'avant relèverait d'une loi sur l'immigration parce que nous avons eu jusqu'à maintenant si peu de débat sur le genre de programme d'immigration dont le Canada a besoin. Si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, la ministre et ceux qui lui succéderont seront libres de gouverner par décret et d'éliminer tout débat public sur les politiques d'immigration. Nous ne croyons pas que la publication des instructions de la ministre dans la Gazette du Canada peut remplacer un débat ouvert et libre.
Le CEC est d'avis que la meilleure façon d'éliminer l'arriéré et d'accélérer le traitement des demandes d'immigration est d'y consacrer davantage de ressources, d'accroître les niveaux de celles-ci, et de simplifier les modalités. Ce projet de loi ne s'occupe pas des processus. Il se contente simplement de transférer les pouvoirs du Cabinet à la ministre.
Le président : C'et bien et je vous remercie de vos commentaires. Avant de passer à la liste des sénateurs qui veulent poser des questions, au cours de la première partie de notre réunion, quelqu'un a posé une question sur la date d'entrée en vigueur de certains aspects du projet de loi. Un certain nombre de nos témoins ont dit que celui-ci devait entrer en vigueur le 27 février.
Cette date d'entrée en vigueur pour une partie du projet de loi est donnée à l'article 120 du projet de loi C-50, à la page 97. Cet article indique que l'article 87.3 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ne s'applique à l'égard des demandes faites à compter du 27 février 2008, sous réserve que le projet de loi soit adopté. C'est l'article qui accorde de vastes pouvoirs discrétionnaires à la ministre.
L'autre point que je voulais porter à votre attention est la lettre mentionnée par M. Wong et par d'autres. Cette lettre a maintenant été remise à tous dans les deux langues officielles. Elle émane du Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration de la Chambre des communes et est adressée au Comité permanent des finances de la Chambre des communes, qui est le principal responsable de l'étude du projet de loi à la Chambre des communes, comme c'est le cas de notre Comité des finances ici au Sénat.
Le Comité de l'immigration a pris sur lui d'émettre des avis concernant le volet touchant à l'immigration, soit la partie 6. Cette partie comprend les articles 116 à 120 d'un projet de loi qui en comporte 164, mais ce sont les articles sur lesquels nous nous penchons lors de ces auditions.
Je vais maintenant donner la parole à nos sénateurs et, pour commencer, au sénateur Di Nino, de Toronto.
Le sénateur Di Nino : Je n'ai jamais vu autant de témoins que nous en avons aujourd'hui en une seule fois. Merci à tous d'être venus. Je ne vais pas m'adresser à vous un par un, car j'épuiserais tout mon temps de parole.
Tout d'abord, je veux préciser quelque chose qu'a dit M. Mouammar quand il a parlé de notre situation, c'est-à-dire les cas Khadr et Martin. Il est bien évident qu'aucun de ces cas n'a quoi que ce soit à voir avec ce projet de loi.
Cela dit, pour être précis, Mme Martin a été jugée coupable par un tribunal mexicain, condamnée à la prison dans un pays étranger avec lequel nous avions une entente nous permettant de demander, une fois qu'elle était condamnée et que toutes les procédures étaient terminées, qu'elle exécute sa peine au Canada. Nous avons une entente en la matière avec le Mexique comme nous en avons, je crois, avec les États-Unis et avec un certain nombre d'autres pays dont je ne connais pas le nombre. Les deux autres personnes dont nous avons parlé ne sont pas dans une situation comparable. Je ne crois pas que nous puissions comparer leurs situations, même si rien dans leur cas ne les relie à ce projet de loi lui- même.
Permettez-moi de parler de ce qu'on appelle les pouvoirs de la ministre. Ce pouvoir est un peu un faux-fuyant. J'aimerais demander, uniquement à quelques-uns j'espère, de ceux qui ont soulevé cette question de répondre à la mienne. Tout d'abord, il est bien évident que toute loi est soumise à la Charte canadienne des droits et des libertés. Ensuite, tout ministre ayant le pouvoir de mener les affaires d'un ministère a besoin de l'approbation du Cabinet avant de prendre des décisions. Il y a donc là deux étapes que l'on peut mentionner.
En troisième lieu, la publication se fait au cours de la période pendant laquelle le texte de la loi est préparé alors qu'il fait l'objet de discussions ou de plaintes du public. Après cette période, les lois, à moins qu'il ne s'agisse de règlements, et peut-être même les règlements, sont examinées par le Parlement. Les lois sont ensuite analysées et éventuellement adoptées par le Parlement.
Ne s'agit-il pas là d'un système démocratique? Est-ce là conférer des pouvoirs excessifs à la ministre?
Deux ou trois d'entre vous ont soulevé cette question. Quelqu'un veut-il faire un commentaire?
M. Cohen : Je veux répondre, avec votre permission. Nous commençons au Canada avec une loi qui est présentée au Parlement et adoptée. En règle générale, cette loi contient les objectifs du ministère concerné. Nous nous fions à la réglementation pour atteindre ces objectifs.
C'est la façon dont les choses se déroulent en général au Canada, l'usage courant dans les démocraties, et c'est la façon dont la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés a fonctionné jusqu'à maintenant. Nous avons la loi et nous atteignons les objectifs de celle-ci en mettant en œuvre la réglementation. Tout ce processus se déroule devant le Parlement de façon ouverte et transparente.
Dans le projet de loi C-50, le paragraphe 87.3(2) qui est proposé se lit comme suit :
Le traitement des demandes se fait de la manière qui, selon le ministre, est la plus susceptible d'aider l'atteinte des objectifs fixés pour l'immigration par le gouvernement fédéral.
Au lieu de la réglementation que nous avons actuellement, qui peut permettre d'atteindre tous les objectifs voulus par la ministre, nous nous en remettons maintenant à son opinion. C'est là, à mon avis, une différence majeure par rapport à la façon dont nous procédions jusqu'à maintenant, et à la façon dont les choses doivent être faites dans une démocratie ouverte.
Le sénateur Di Nino : Vous conviendrez sûrement que la loi peut faire l'objet d'une contestation en arguant de la Charte canadienne des droits et des libertés.
M. Cohen : Je reconnais que les lois du Canada doivent être interprétées en fonction de la Charte. Toutefois, je ne vois pas très bien ce que cela...
Le sénateur Di Nino : Il y a un recours si quelqu'un le juge utile...
M. Cohen : C'est un recours coûteux pour quelqu'un qui s'estime pénalisé, une personne qui se trouve en général en dehors du pays. Cela serait un recours difficile pour cette personne. Oui, la Charte est bien là, comme elle est là pour toutes les autres lois.
M. Mouammar : Certains prétendent que la Charte ne s'applique pas en dehors du Canada. Outre le fait qu'il faudrait encourir cette dépense, il se peut que la Charte ne s'applique pas aux personnes se trouvant à l'extérieur du pays.
Le sénateur Di Nino : Pensez-vous aux cas motivés par des raisons humanitaires ou de compassion quand vous dites cela?
M. Mouammar : Cela s'applique également aux cas de la catégorie économique.
Le sénateur Di Nino : Bien sûr! Toutefois, la Charte ne peut s'appliquer en dehors du pays.
M. Mouammar : Dans ce cas, comment ces gens pourraient-ils contester la décision de la ministre? Ils ne peuvent pas le faire.
M. Ferreira : C'est impossible.
M. Mouammar : J'aimerais revenir sur le commentaire que vous avez fait plus tôt en prétendant qu'il n'y a pas lieu de faire de comparaison entre les deux cas que j'ai mentionnés.
Le sénateur Di Nino : Par rapport à cette législation, il n'y a pas de comparaison.
M. Mouammar : Oui. J'essayais de montrer qu'il y a déjà du parti pris dans le système. Nous savons de par notre expérience que le traitement des demandes de gens des pays arabes prend déjà deux fois plus de temps que celui des demandeurs d'autres pays. Avec ces amendements, nous craignons qu'il y ait davantage de retard et, dans la plupart des cas, peut-être des refus.
C'est une situation qui préoccupe beaucoup notre collectivité. Je suis sûr que cela touche également les gens originaires d'Afrique.
Voilà le problème : les bureaux des visas ont été conçus en fonction des modèles d'immigration en vigueur dans les années 1980. À cette époque, 75 p. 100 des immigrants venaient d'Europe. Il y a eu depuis une évolution. Les choses se déroulent à l'inverse. Il n'y a pas assez de bureaux en Afrique, en Asie et en Amérique latine pour traiter les demandes. C'est pourquoi nous avons cet arriéré.
Au lieu de s'attaquer à cet arriéré en ouvrant davantage de bureaux sur ces continents, nous essayons d'adopter une solution arbitraire, qui pourrait conduire à la discrimination et qui pourrait traduire le parti pris des agents de l'immigration et de toutes les personnes participant au système.
Le sénateur Di Nino : Aucun système n'est parfait mais permettez-moi de demander un commentaire à M. Bissett. L'Australie et la Nouvelle-Zélande également je crois ont modifié récemment leurs systèmes en adoptant des mesures comparables à celles que nous essayons de mettre en œuvre.
Je crois savoir que leur arriéré était énorme jusqu'à ce qu'ils modifient leur système. C'était un système inefficace.
Cela ne fait qu'un ou deux ans, si j'ai bonne mémoire, qu'ils ont été modifiés. Puisque vous avez beaucoup d'expérience dans ce domaine, avez-vous eu l'occasion d'analyser ces changements et pouvez-vous nous dire, à votre avis, pourquoi leurs systèmes sont devenus beaucoup plus efficaces? Pourquoi leurs arriérés ont-t-ils pratiquement disparu lors qu'ils adopté un système proche de celui que nous proposons avec le projet de loi C-50?
M. Bissett : Je ne suis pas un spécialiste du système australien, mais ils ont ce qui me paraît des avantages par rapport à notre système.
Tout d'abord, ils ont copié notre système à points. Ce fut la première étape dans la modernisation du système australien. Ils exigent, par exemple, que tous les demandeurs professionnels fassent reconnaître leurs titres professionnels par des autorités australiennes avant de venir en Australie. Cela a pour conséquence que de nombreuses demandes émanant de professionnels sont rejetées.
Au Canada, de nombreux professionnels viennent chez nous et découvrent bien évidemment qu'ils ne peuvent exercer leur métier parce qu'ils ne respectent pas les exigences de permis des diverses provinces pour s'adonner à leurs métiers.
Les Australiens choisissent également leurs immigrants en fonction de leurs compétences et de leurs métiers, ce que nous avons fait une fois par le passé. Lorsque la loi de 2001 est entrée en vigueur, l'élément des compétences professionnelles a été abandonné et remplacé par l'éducation. Il en découle qu'un grand nombre de travailleurs compétents, de menuisiers, de mécaniciens, de fabricants d'armoire et de rembourreurs ne peuvent respecter nos critères sélectifs parce qu'ils n'ont pas la scolarité voulue. En Australie, ils choisissent ce genre de personnes.
Le point essentiel, en un sens, a été que les Australiens ont adopté notre système. J'ai fait partie du premier groupe de travail de quatre personnes qui a conçu le système à points.
Notre problème était que nous essayions d'ouvrir l'immigration au monde. Avant cette époque, notre politique d'immigration visait essentiellement des blancs. Il fallait alors déterminer, si nous ouvrions l'immigration, comment nous allions contrôler les nombres? Si nous nous contentions de fixer des critères de sélection pour tout le monde, comme l'a montré M. Pang, des millions de personnes pourraient respecter les critères de sélection. Il nous fallait une façon de réguler le flux et de refuser des gens, même si c'étaient de bons candidats.
Nous y sommes parvenus en tenant compte de la demande professionnelle, un critère qui valait jusqu'à dix points. Si les gens obtenaient zéro point à ce titre, peu importe combien ils obtenaient de points pour d'autres éléments, leurs demandes étaient rejetées.
Si nous recevions trop de demandes, nous communiquions une longue liste de professions avec une demande nulle. Cela coupait le flux. Alors que l'heure était à l'optimisme, les taux de chômage étaient faibles et nous avions besoin de plus de gens, nous avons attribué des points à certains métiers et rouvert le robinet.
La nouvelle loi a laissé tomber cette liste. Comme je l'ai dit dans mon exposé, cette lacune doit être corrigée. Le gouvernement précédent a essayé de le faire en procédant de façon rétroactive, c'est-à-dire en l'appliquant aux demandes qui ont déjà été soumises. Les tribunaux ont décidé que cette solution n'était pas défendable et ce gouvernement essaie de corriger la situation de façon différente.
Ce qui permet aux Australiens de contrôler le flux de leur immigration est qu'ils ont un mécanisme intégré qu'ils peuvent ouvrir et fermer. C'est la raison pour laquelle ils n'ont pas d'arriérés importants.
D'après les évaluations mêmes du ministère, nous aurons encore environ un million et demi de dossiers en retard si ce changement n'est pas appliqué. Il peut y avoir diverses façons de procéder, mais le gouvernement doit, pour l'essentiel, décider de procéder de cette façon.
Je ne partage pas l'avis des gens qui ont dit que cela confère des pouvoirs injustifiés à la ministre. Dans la LIPR, le ministre a toujours eu des pouvoirs. Toutefois, le ministre tient ces pouvoirs, comme quelqu'un l'a rappelé, du Cabinet qui promulgue des décrets. Ses instructions définissent clairement le pouvoir en question. Les instructions du ministre seront publiées dans la Gazette du Canada et feront l'objet de discussions et de débats et devront être approuvées par le Cabinet. Il n'est pas possible pour la ministre d'avoir le pouvoir absolu de refuser des gens sans s'en être vu accorder précisément le pouvoir par le Cabinet et, au bout du compte, par le Parlement.
J'aimerais ajouter un commentaire sur la différence entre le cas Martin et les autres qui ont été mentionnés par le témoin précédent. La principale différence ne tient pas uniquement à ce que vous avez dit, mais également au fait que les autres personnes avaient la double nationalité. Mme Martin est une citoyenne canadienne et n'est en rien citoyenne mexicaine. Les autres personnes ont la double citoyenneté. Comme c'est indiqué sur les passeports canadiens, pour les personnes qui se trouvent dans le pays de leur citoyenneté d'origine, la Convention de Vienne sur les relations consulaires précise que le pays qui leur a accordé leur seconde citoyenneté n'a pas le pouvoir d'intervenir en leur nom. La plupart des pays autorisent ces interventions, mais pas tous. Les moyens d'intervention pour nos agents sont donc limités pour découvrir ce qui se passe réellement quand une personne est détenue dans le pays de sa première citoyenneté.
M. Mouammar : C'est un Canadien somalien dans une prison éthiopienne.
Le président : Avant de passer à votre question suivante, M. Ferreira a quelque chose à dire sur vos questions précédentes.
M. Ferreira : L'équité, la perception de l'équité ou le mot « équité » est essentiel, et nous sommes tous pour la démocratie mais nous ne devons pas confondre les deux. L'équité est une chose et le principe démocratique en est une autre. Même si la publication des instructions dans la Gazette du Canada peut être considérée comme démocratique chez les sénateurs et les députés, je ne crois pas qu'elle soit équitable pour les millions de personnes qui ont attendu de six à dix ans. Dans quelle mesure cela est-il juste pour eux maintenant?
Imaginez ceci : la ministre va bientôt expédier 50 000 lettres persuadant des gens d'abandonner leur projet de venir au Canada. Combien d'autres centaines de milliers de lettres va-t-elle devoir expédier en disant : Je suis navrée, cette nouvelle loi a été adoptée et j'ai donné des instructions qui ne vous autorisent plus à venir au Canada. Je ne refuse pas votre candidature, mais je vous dis merci beaucoup d'avoir attendu pendant si longtemps et si patiemment mais, à mon avis, vous n'êtes pas admissible.
Toutefois, elle ne rejette pas leur candidature. Pourquoi? Parce qu'elle ne veut pas d'appels devant la Cour fédérale. Dans quelle mesure cela est-il juste?
Nous pouvons parler de démocratie aussi longtemps que nous le voulons. J'ai commencé à travailler au ministère de l'Immigration en 1975. Nous avions alors la Loi sur l'immigration de 1952, dont M. Bissett se souvient, avec sa turpitude morale. Dans quelle mesure cela était-il démocratique? Le Canada était un pays démocratique en 1952, et cela ne nous empêchait pas de nous poser des questions sur la sagesse des politiciens de l'époque. Je ne veux pas minimiser les décisions des députés et des sénateurs qui ont adopté cette législation, mais dans quelle mesure cette loi était-elle démocratique? C'est incroyable.
Je me souviens avoir travaillé pendant huit ans à l'aéroport. Tout ce que j'avais à faire était de regarder le visage de quelqu'un et de me demander essentiellement si j'allais laisser cette personne entrer au pays. Non. Elle était renvoyée. C'est comme cela que les choses se passaient.
Dans quelle mesure cela était-il démocratique? C'était dans le courant des années 1970 et 1980, et cela se produit encore aujourd'hui, mais ce n'est pas aussi évident.
À la fin de la journée, les instructions publiées dans la Gazette du Canada ne sauraient remplacer pour moi le principe d'équité. C'est une question importante et le président, il y a une minute, a précisé de combien de pages nous parlons dans ce projet de loi de finances et du nombre d'amendements touchant tant d'autres domaines. La meilleure solution serait de retirer ces dispositions du projet de loi C-50 et de demander aux députés et aux sénateurs de procéder à des consultations à leur sujet partout au pays pour recevoir les points de vue des diverses collectivités. Je ne veux pas politiser cette question, même si certains peuvent penser que cette approche est trop politique alors que d'autres diront qu'elle est tout à fait démocratique. La question qui se pose est de savoir dans quelle mesure cela est démocratique.
M. Mehta : Je tiens à aborder la question limitée de la Charte. Comme avocat, j'ai souvent entendu parler par des membres du cabinet de la ministre et par des conservateurs de cette Charte aux hautes aspirations morales que nous avons, pour laquelle j'ai énormément de respect, en disant que c'est elle qui va tous nous sauver. Bien évidemment, au bout du compte, et cela pourrait fort bien être dans 20 ans, un comité comme celui-ci, avec des gens comme moi pouvaient dire : le système d'immigration a introduit une discrimination systématique à la suite des modifications apportées par le projet de loi C-50.
Vingt ans plus tard, il se peut que nous découvrions une forme de discrimination systématique, ayant par exemple pour effet de réduire le nombre de Canadiens d'origine arabe ou le nombre de personnes originaires du sud de l'Asie ou de la Chine immigrant dans ce pays. Il se peut que, d'une certaine façon, même en respectant la Charte, le traitement réservé à certains groupes ait eu des effets plus marqués. Ce serait une discrimination systémique. Elle n'est pas liée à une personne, mais propre au système. Que ferions-nous alors? Nous lancerions un recours collectif.
Le problème est toutefois que les dommages ont été causés 20 ans auparavant quand les gens essayaient de venir dans ce pays. La Charte ne s'applique en rien aux personnes qui peuvent attendre assises dans un bureau des visas à Hong Kong. Elle ne les touche pas. Il aurait fallu veiller à cet aspect des choses dans la législation qui était proposée. Avec tout le respect que je vous dois, à mon avis, évoquer la Charte n'a aucun sens pour l'instant.
La Charte s'applique à la législation proposée, mais 20 ans plus tard, il est difficile de quantifier les dommages qui ont été causés à la vie de personnes. Voilà ce que j'avais à dire.
Le sénateur Di Nino : Bien évidemment, quand nous entendons parler de la Loi sur l'immigration de 1952 et de toutes les modifications qui ont été apportées par la suite, des débats avec les avantages et les inconvénients de chaque solution qui ont eu lieu depuis lors, on constate en dernière analyse que cette loi a fonctionné. Regardez le Canada d'aujourd'hui. Monsieur Ferreira, vous et moi, ainsi que le grand nombre de Canadiens de religions, de nationalités et de cultures variées qui composent ce pays aujourd'hui. Ce type de débat a donné de bons résultats.
Il est probable que toutes les personnes qui participent à notre débat d'aujourd'hui conviennent que notre système fonctionne mal. Il y a des gens qui sont décédés alors que leurs dossiers étaient encore sur la liste d'attente. Certains ont attendu cinq ou six ans, ou même plus, comme l'a rappelé M. Pang, et ont fini par abandonner l'idée de venir au Canada. Ce projet de loi essaie en partie de corriger ce problème. Je ne crois pas que quiconque ici le conteste. Les gens peuvent ne pas être tout à fait d'accord, mais l'objectif est de faire cesser l'hémorragie. En d'autres termes, l'arriéré n'augmentera plus et commencera à diminuer. La ministre a injecté 109 millions de dollars pour essayer de résoudre ce problème en y consacrant davantage de ressources à tous les endroits dans le monde qui ont un arriéré.
La question que je vous pose est de savoir si vous convenez qu'il y a un problème qu'il faut corriger? La solution n'est peut-être pas parfaite mais au moins la ministre est convaincue qu'elle va contribuer à régler ce problème.
Le président : Sénateur, vous avez soulevé beaucoup d'intérêt de natures diverses.
M. Wong : Mon commentaire sera bref. Les modifications proposées, monsieur le sénateur, n'ont rien à voir avec l'arriéré actuel. Elles s'appliqueront à compter du 27 février 2008, si elles sont adoptées.
L'arriéré de 925 000 dossiers est déjà là. Nous avons recommandé dans notre exposé que le gouvernement relève les cibles et c'est en procédant de cette façon que nous réussirons à réduire l'arriéré. C'est notre réponse.
Le sénateur Di Nino : Je n'ai pas dit que cela allait modifier l'arriéré, mais simplement l'empêcher d'augmenter.
Le sénateur Stratton : Cela fait toute une différence.
Le président : Comme l'a signalé M. Wong, tant que le nombre cible d'immigrants de chaque année reste le même, le système va continuer à éprouver un problème.
Monsieur Mehta avez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet?
M. Mehta : Le sénateur a signalé que le but de la ministre est de corriger le système d'immigration. Je suis tout à fait d'accord avec lui. La ministre essaie de corriger le système d'immigration, mais l'analyse ne peut s'arrêter là. À l'étape suivante, nous devrons nous demander pour qui nous le corrigeons? Il ne s'agit pas de le corriger dans l'intérêt des immigrants victimes de racisme, ni de ceux qui travaillent, mais de le corriger dans l'intérêt des entreprises.
Si vous deviez faire une analyse de la presse et voir quels sont les médias qui appuient la législation, et ceux qui ne l'appuient pas, vous allez constater que le milieu des affaires est de loin celui qui est le plus en sa faveur. Est-ce uniquement parce que ce sont des gens qui ont grand cœur? Non, c'est parce qu'ils ont intérêt à avoir accès à de la main-d'œuvre à bon marché.
Qui s'oppose à la législation?
Le sénateur Di Nino : Je m'oppose à ce genre de discussion. C'est une insulte à notre pays. On nous parle de victime de racisme et de main-d'œuvre bon marché. Nous ne sommes pas dans un pays du tiers monde.
Le président : Nos témoins doivent être en mesure de s'exprimer et avoir le sentiment qu'ils peuvent formuler leurs avis comme ils l'entendent.
Le sénateur Di Nino : Je ne peux laisser inscrire cela au procès-verbal sans le contester.
Le président : Je vous remercie. Cela figurera donc au procès-verbal.
M. Mehta : Je n'avais pas fini. Une fois encore, à qui cette législation vient-elle en aide? Si vous regardez les groupes qui ne l'appuient pas, vous constatez que ce sont les groupes qui sont victimes de racisme. Vous constatez que ce sont les groupes de la catégorie des gens qui travaillent. Vous constatez que ce sont des syndiqués.
Il y a, bien sûr, des groupes d'immigrants qui appuient ce texte. Si vous creusez un peu, vous allez constater qu'ils sont composés de représentants d'entreprises qui travaillent au sein de leurs collectivités. Ce n'est pas un texte de loi à l'avantage du Canadien moyen. Il n'a que des effets nuisibles.
En ce qui concerne les commentaires du sénateur, il a manifestement mal compris ce que j'ai dit, mais je ne suis pas certain de ce que cela peut être.
Le président : Je vais inscrire sur une liste les noms des diverses personnes qui veulent faire des commentaires et nous essayerons de permettre à tous les points de vue de s'exprimer, mais le sénateur Stratton va intervenir maintenant parce qu'il aimerait revenir sur quelque chose qui a déjà été dit.
Le sénateur Stratton : Je vous remercie de m'autoriser à intervenir maintenant. J'ai dû m'absenter brièvement pour assister à une autre réunion.
Dans ma province, le Manitoba, il y a 11 000 emplois à combler. Les employeurs n'y parviennent pas. Ils ont essayé. L'économie du Manitoba, et les Manitobains, ont absolument besoin de combler ces emplois. C'est ce que ce projet de loi va permettre de faire.
Êtes-vous en train de me dire que nous ne devrions pas combler ces emplois? Si nous ne pouvons pas les combler maintenant avec le système actuel, comment pouvez-vous affirmer que le nouveau système va empêcher de les combler?
Le président : Vous voulez tous répondre. Nous allons commencer avec M. Wong et passer ensuite aux autres intervenants. Je crois que certains voulaient faire des commentaires sur la dernière question du sénateur Di Nino. N'hésitez pas à intervenir pour faire vos commentaires, mais essayez d'être aussi succincts que possible, en gardant à l'esprit que nous ne sommes pas là pour amender toute la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés pour l'instant, mais seulement deux petits articles.
M. Wong : J'ai un bref commentaire à faire. Les modifications concernant l'immigration ne prévoient aucune augmentation de la cible. Comme je l'ai mentionné précédemment dans mon exposé, au cours des trois dernières années, nous avons reçu environ 250 000 immigrants chaque année et nous sommes donc à capacité pour l'instant.
Pour répondre à la préoccupation du sénateur concernant sa province d'origine, si celle-ci veut 11 000 travailleurs de plus, nous devons relever la cible. Si nous la portons d'une fourchette actuelle de 240 000 à 265 000, soit les prévisions pour 2008, à peut être 300 000 ou 330 000, ce qui est plus proche de 1 p. 100 de la population, nous accueillerions alors davantage d'immigrants et pourrions faire face à la situation qui se présente au Manitoba.
Le président : Sénateur Stratton, laissez-le finir, s'il vous plaît.
Le sénateur Stratton : Je ne suis pas d'accord avec vous parce que, si c'était le cas, ces emplois seraient comblés maintenant. La raison pour laquelle ils ne peuvent pas être comblés est parce que les demandeurs inscrits sur la liste d'attente le sont dans l'ordre de leur inscription et le reste. Donc, s'ils n'ont pas les compétences nécessaires et ne peuvent pas combler les emplois par manque de compétences, les emplois ne sont pas comblés.
L'idée est donc de sélectionner sur la liste les gens qui ont les compétences voulues qui leur permettent de combler ces emplois, et de leur donner ces emplois. C'est l'objectif visé.
Le président : Merci, sénateur Stratton. Je ne veux pas que cette discussion se transforme en débat entre M. Wong et le sénateur Stratton. N'importe lequel d'entre vous ou tous, vous pouvez être en désaccord avec le sénateur Stratton tout comme il peut être en désaccord avec vous, et vous sentir libre de faire part de votre désaccord. Pouvez-vous terminer, monsieur Wong?
M. Wong : Je terminerai en rappelant que la province du Manitoba s'est dotée d'un programme de candidats et qu'elle dispose donc d'un mécanisme. Il leur suffit d'accroître les nombres de personnes qu'ils sont prêts à accepter, même dans le cadre du Programme des candidats d'une province. Ils peuvent utiliser ce programme pour faire face aux préoccupations du sénateur.
M. Mouammar : À mon avis, la question des travailleurs compétents est illusoire. Le Canada a une pénurie de médecins. Il y a 250 médecins arabes d'Afrique du Nord à Montréal qui sont au chômage. Le problème n'est pas que nous ne recevons pas de travailleurs compétents, il y en a qui viennent chez nous mais nous ne leur trouvons pas d'emploi, et c'est donc à ce problème que nous devrions nous attaquer.
Ce n'est pas que nous ne recevons pas les travailleurs compétents dont nous avons besoin. Nous avons 250 médecins au chômage à Montréal, et ils parlent français et anglais. Ils sont bilingues.
Le président : Vous avez tout à fait raison de nous souligner cette situation, mais le problème est que cela ne relève pas de ce projet de loi.
M. Mouammar : Je comprends, mais tout ce que je dis est que c'est un problème. Nous faisons venir des immigrants avec les compétences nécessaires, mais ensuite il n'y a pas d'emplois pour eux et nous devrions donc nous attaquer à ce problème.
En ce qui concerne l'arriéré, M. Wong en a parlé. L'arriéré d'avant février ne sera pas résolu par ce projet de loi. Pour empêcher un arriéré additionnel, nous augmentons le quota d'immigrants chaque année.
Le président : Je vous remercie. C'est un point tout à fait valide. Si la ministre devait exercer ses pouvoirs discrétionnaires de façon à résoudre le problème auquel nous sommes confrontés maintenant avec les médecins qui sont acceptés ici mais qui ne peuvent travailler comme médecins, alors que nous avons une pénurie de main-d'œuvre qualifiée, peut-être que le problème du sénateur Stratton, et du Manitoba, serait résolu.
Quelqu'un a-t-il d'autres commentaires à faire sur ce qu'ont dit les sénateurs Stratton et Di Nino avant que nous ne passions à la question suivante?
M. Ferreira : Permettez-moi de dire qu'il y a toujours eu un arriéré. Celui-ci n'a pas été créé il y a deux ans ou cinq ans. Je travaille dans le domaine depuis 32 ans. Il a toujours mal fonctionné.
J'ai rencontré de nombreux ministres qui s'en préoccupaient, qui déclaraient publiquement vouloir corriger le système. Ce problème n'est pas apparu en 2007 ou en 2008. Il est là, devant nous, depuis longtemps.
Comment sommes-nous parvenus là? Tout d'abord, nous avons réduit notre effectif en poste dans les missions à l'étranger. Il ne faut pas être un grand spécialiste pour comprendre que si nous réduisons le personnel, nous allons bien évidemment faire face à un goulot d'étranglement, avoir de la difficulté à atteindre les objectifs, que ceux-ci soient fixés par les libéraux ou par les conservateurs. Au bout du compte, nous ne nous sommes jamais approchés des objectifs.
Il y a quelques mois, la ministre a indiqué qu'elle était fière que le Canada ait accepté le plus important nombre d'immigrants de la dernière décennie. Elle a précisé que nous avions accepté 430 000 immigrants. Dans quelle mesure cela est-il erroné? Nous n'avons pas accepté 430 000 immigrants. Nous en avons accepté environ 230 000 et le reste était des étudiants ou des gens ayant un permis de travail.
Au cours des deux dernières années, on a noté une réduction de 35 000 immigrants compétents. D'un côté, on nous dit que nous avons besoin d'immigrants ayant des compétences, le Manitoba et l'Alberta ont besoin d'immigrants, et que faisons-nous de l'autre côté? Nous réduisons le nombre d'immigrants. Oui, les politiciens vont de réception en réception et ils disent à toutes les collectivités qu'elles ne sont pas assez nombreuses. Qu'il faut faire venir leurs frères et leurs sœurs. Et que se passe-t-il ensuite? Nous sommes confrontés à des réductions des budgets. Nous parlons maintenant d'environ 108 millions de dollars, je crois, sur cinq ans. Nous ne parlons pas de 108 ou de 120 millions de dollars pour corriger le problème maintenant.
Que faisons-nous avec l'arriéré? Envoyons-nous un millions de lettres disant aux gens merci, mais nous ne pouvons pas faire face. Nous n'allons pas dépenser un milliard de dollars pour vous faire venir ici, bien que nous ayons besoin de vous. Nous avons besoin de vous mais nous n'avons pas besoin de vous.
Il y a deux semaines, devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes, j'ai comparé la situation à celle-ci : l'un de vous, messieurs les sénateurs, achète un billet pour aller au cinéma. Vous faites la queue, vous avez payé votre billet et vous attendez patiemment d'entrer dans la salle de cinéma. Il y a beaucoup de places pour vous. Un gardien de sécurité ou le directeur vient vous voir et vous dit, bien que vous ayez un billet, nous n'allons pas vous laisser entrer.
Dans quelle mesure cela est-il juste? C'est la situation à laquelle nous aboutissons. Allons-nous croire que la ministre va traiter 975 000 ou un million de dossiers? Je ne le crois pas. Je crois que la ministre va donner des instructions pour expédier des lettres disant aux gens d'oublier le Canada. Pendant ce temps, le Canada dit que nous avons besoin de davantage de gens et qu'il faut en faire venir 300 000.
Que faisons-nous avec les dossiers dont le nombre dépasse le million? Nous les traitons rapidement. La plupart de ces gens, s'ils n'ont pas subi une vérification de sécurité, vont en subir une. Pourquoi ces vérifications prennent-elles six mois à deux ans dans certains cas? La raison en est que le Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, dispose peut-être de deux personnes pour travailler à ces vérifications de sécurité. Comment pouvons-nous espérer faire venir 300 000 personnes au pays si l'administration ne nous aide pas?
Si le gouvernement veux davantage de gens, et c'est ce que j'entends dire tous les jours, nous devons faire quelque chose.
Le président : Je vous remercie.
Je vais maintenant passer à la question suivante. J'espère que ceux d'entre vous qui voulaient faire des commentaires sur la dernière question auront l'occasion de le faire. C'est quelque chose que nous savons bien faire ici. Je vais maintenant donner la parole au sénateur Ringuette, du Nouveau-Brunswick, qui est membre du comité de direction de ce comité.
Le sénateur Ringuette : Je vous remercie d'être venus et de nous avoir fait part de vos commentaires sur le projet de loi.
Le travail, la formation et les immigrants compétents sont des questions que je connais bien ayant fait des recherches sur ces questions.
Le sénateur Di Nino a indiqué précédemment que la ministre avait précisé vouloir augmenter le budget de ses ressources humaines de 109 millions de dollars, probablement sur un an, pour traiter les demandes.
Le président : Il semble que ce soit sur cinq ans.
Le sénateur Di Nino : Ces ressources seront consacrées à des secteurs nécessitant un soutien additionnel. Je crois que le montant sera étalé sur cinq ans.
Le sénateur Ringuette : Nous pouvons donc nous attendre à un montant de l'ordre de 20 millions de dollars de plus par année.
J'adresse ma question à M. Bissett, qui a 36 ans d'expérience dans le domaine. En vous fiant à votre expérience, monsieur Bissett, cette législation va permettre à la ministre de déléguer ses pouvoirs de sélection aux agents de l'immigration qui sont dans nos bureaux à travers le monde. Est-ce exact?
M. Bissett : Oui.
Le sénateur Ringuette : La ministre a précisé qu'elle va accroître le budget de ses agents d'environ 20 millions de dollars pour exercer ce pouvoir de sélection qu'elle leur délègue.
À ce que vous avez vu au cours de vos 36 années d'expérience, combien de ces agents d'immigration qui travaillent à l'étranger sont des citoyens canadiens?
M. Bissett : Tous les agents en poste à l'étranger sont des citoyens canadiens.
Le sénateur Ringuette : Tous nos agents d'immigration à l'étranger sont des citoyens canadiens?
M. Bissett : Tous les agents des visas sont des citoyens canadiens. Oui! Il y a au sein des ambassades du personnel recruté localement dans le pays concerné.
Le sénateur Ringuette : À quoi travaillent ces employés?
M. Bissett : Ils assument pour l'essentiel des fonctions de bureau et administratives. En règle générale, ils n'ont pas le droit d'émettre de visa à quiconque. Un visa doit être émis par un agent canadien.
Le sénateur Ringuette : Ce sont les employés de première ligne qui reçoivent les demandes et formulent les premiers commentaires sur le dossier?
M. Bissett : C'est souvent le cas, c'est vrai. Ce sont des gens qui sont souvent employés comme réceptionnistes et qui reçoivent les demandes transmises par le public.
Le sénateur Ringuette : Au cours de vos 36 années d'expérience avec ces employés recrutés localement qui s'occupent des demandes d'immigration, avez-vous jamais entendu ou constaté un parti pris ou des commentaires indésirables sur ces demandes?
M. Bissett : Bien évidemment, au cours des années, il y a eu des plaintes du public à l'effet que certains employés recrutés localement avaient un parti pris ou faisaient subir des préjudices à certains. Nous avons eu des cas dans lesquels certains de ces employés étaient impliqués dans des fraudes ou demandaient de l'argent. Toutefois, dans l'ensemble, ces cas sont rares.
J'ai été témoin, à Belgrade, du cas d'un employé recruté localement qui acceptait de l'argent. C'est le seul cas dont j'ai été personnellement témoin.
Cela se produit.
Le sénateur Ringuette : Je suis une francophone du Nord du Nouveau-Brunswick, où il n'y a pas beaucoup d'immigrants. Nous aimerions que davantage d'immigrants viennent chez nous mais ils sont rares. Je n'ai donc pas souvent à m'occuper de dossiers d'immigration. Toutefois, je peux faire état d'une expérience que j'ai vécue l'an dernier avec le dossier d'un immigrant philippin installé dans mon coin de pays qui voulait faire venir sa fille adoptive au Canada.
L'agent local qui s'occupait du dossier a signalé sur la demande concernant la fille qu'il y avait des rumeurs dans le village qu'il ne s'agissait pas de sa fille adoptive mais d'une fille illégitime. Donc, en plus de la considérer comme non admissible, nous devrions renvoyer cette femme aux Philippines, qui est maintenant une citoyenne canadienne, parce qu'elle a fait une demande frauduleuse.
Cette femme a subi un test d'ADN pour prouver à l'agent local que la rumeur était fausse.
C'est toute une expérience.
M. Bissett : Je comprends cela, et je ne suis pas...
Le sénateur Ringuette : J'imagine que si nous augmentons le nombre d'employés en mesure d'appliquer la délégation de pouvoir de la ministre pour recevoir des demandes d'immigrant, nous allons gonfler de 20 millions de dollars par année la liste de paie d'employés recruté localement pour s'occuper des citoyens de leur pays qui veulent immigrer au Canada de cette façon. De ce point de vue, j'émets de sérieuses réserves.
Je souhaite maintenant passer aux commentaires concernant les compétences dans le domaine du travail. Il y a trois ans, j'ai parcouru le pays pour m'occuper de la question des travailleurs saisonniers. En Ontario, j'ai rencontré des travailleurs travaillant dans les fermes. Nombre d'entre eux venaient d'Amérique centrale et du Sud. Je suis allée ensuite à Vancouver pour voir comment les choses se passaient dans l'industrie vinicole qui emploie également de travailleurs étrangers. L'entente conclue entre les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral en ce qui concerne la venue de travailleurs saisonniers, en particulier dans le secteur agricole, est une honte mais elle existe.
Leurs conditions de travail sont honteuses. Certains d'entre vous ont affirmé que cette entente contribue à réduire le niveau de rémunération d'éventuels travailleurs canadiens et cela est manifestement vrai également.
Monsieur le président, je pourrais disserter sur cette question jusqu'à minuit. Pour l'essentiel, je suis d'accord avec ce que vous dites. Nous proposons un amendement à la législation en sachant fort bien que l'intention du gouvernement actuel est de pratiquer une immigration sélective pour combler rapidement les emplois à faible rémunération, comme dans le cas des métiers non syndiqués, pour répondre aux besoins de certaines économies provinciales et de certaines entreprises. J'accueille favorablement vos commentaires.
M. Cohen : Je suis d'accord avec ce que vous avez dit, sénateur. Vous avez parlé du personnel recruté localement dans les missions à l'étranger. En règle générale, j'ai traité essentiellement avec des agents d'immigration pendant 30 ans et, comme groupe, c'est un ensemble de personnes très professionnelles et très justes. Toutefois, c'est un groupe. Comme tous les êtres humains, ils peuvent avoir leurs préjugés et leurs partis pris, c'est la nature humaine.
J'ai joint à mon exposé qui vous a été remis un document affiché sur le site web de notre cabinet d'avocats qui vient a priori d'un agent d'immigration, qui fait part des sentiments de nature générale de cette personne envers les immigrants. Je suis personnellement convaincu sur la foi des éléments dont nous disposons que cette personne est bien un agent de l'immigration. Celui-ci commence par dire j'en ai assez. Je suis fatigué d'avoir à faire face à ces menteurs, ces tricheurs, ces fraudeurs et cetera. Il poursuit ainsi pour dénigrer une collectivité ethnique précise. Il termine en disant que cela fait du bien de divaguer un peu et qu'il le fera encore probablement mais que, pour l'instant, il doit refuser l'entrée au pays à quelques personnes.
Le système actuel est purement objectif dans le choix des immigrants de la catégorie économique. Lorsque vous autorisez ce que nous avions avant, des catégories comme la convenance personnelle qui permettaient à un agent de décider le nombre de points attribués à quelqu'un, entre zéro et dix points, on voit alors le parti pris s'implanter dans le système. Cet agent de l'immigration peut avoir affiché un document, mais nous ignorons ce que les gens ont dans leur cœur. Personne ne sait ce que l'autre pense, et la seule façon de protéger la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés est d'y apporter les modifications que nous reconnaissons comme nécessaires. C'est le point sur lequel je veux insister. Tout cela est faisable. Tout ce que la ministre veut, réduire l'arriéré et sélectionner les immigrants qui vont venir, certains avant d'autres, tout cela est possible en relevant la note de passage et en utilisant une liste restrictive de métiers. Préparer une liste des métiers ouverts au Canada, et autoriser les gens qui ont de l'expérience dans ce domaine à poser leur candidature. Tout ce qui doit être fait peut être fait avec la législation actuelle.
Je tiens maintenant à m'adresser au sénateur du Manitoba, maintenant qu'il est revenu, au sujet des 11 000 emplois dont aurait besoin le Manitoba. Il est possible, avec la loi actuelle, de faire venir des gens rapidement, c'est-à-dire en quelques jours, en quelques semaines ou au maximum en quelques mois, en leur accordant des permis de travail ou en ayant recours aux dispositions sur les emplois réservés comme résident permanent.
Tout cela est possible et il n'est pas nécessaire d'accorder de vastes pouvoirs à la ministre pour déléguer aux gens sur le terrain le choix et pour qu'ils décident qui sera placé en avant, au milieu ou à l'arrière de la file d'attente. Ces pouvoirs constituent plutôt une invitation à faire preuve de parti pris.
La façon de procéder serait d'utiliser le système actuel pour combler ces emplois. Cela peut être fait facilement en ayant recours au Programme de candidats des provinces, et le Manitoba en a un excellent, grâce à l'émission de permis de travail et à des employeurs embauchant des gens de l'étranger.
Le sénateur Stratton : Les 11 000 emplois sont là vides, malgré tout ce que vous avez dit.
M. Cohen : Oui.
Le sénateur Stratton : Les 11 000 emplois restent vacants et vous me dites que le système actuel fonctionne.
M. Cohen : Je vous dis précisément que les 11 000 emplois peuvent être comblés avec le système actuel, en faisant l'hypothèse qu'on offre une rémunération décente.
Le sénateur Stratton : Je parle ici d'emplois hautement spécialisés. J'étais à Thompson, au Manitoba, à la mine Inco, où il y a une pénurie de travailleurs miniers. Diversification de l'économie de l'Ouest a consacré de l'argent à la formation des gens de la région pour qu'ils puissent travailler dans les mines parce qu'Inco ne peut trouver de la main- d'œuvre qualifiée. Et vous me dites que le système actuel fonctionne. Je ne suis pas de cet avis.
M. Cohen : Absolument, il fonctionne. Il est possible d'accorder des permis de travail pour travailler dans les mines et ils peuvent trouver des gens en moins de 30 jours.
M. Mehta : Rapidement, dans le prolongement de ce qu'a dit M. Cohen au sénateur du Manitoba, une importante usine d'emballage de la viande à Brandon, au Manitoba, est l'une des plus importantes au pays. Avec le système actuel, ils sont parvenus à trouver rapidement des centaines de travailleurs pour cette usine. Avec tout le respect que je lui dois, je ne comprends pas la question du sénateur.
Avec le système actuel, il est possible de faire venir des travailleurs pour combler ces 11 000 emplois hautement spécialisés. Il y a éventuellement un dilemme. J'entends parler de ce dilemme de façon générale par les conservateurs : laissons le marché résoudre la question. Ils ne veulent pas les payer assez alors laissons le marché suivre ses règles. Il se pourrait qu'Inco doive augmenter les rémunérations?
Le sénateur Stratton : C'est 100 000 $ par an...
M. Mehta : Est-ce ainsi que cela fonctionne au Sénat?
Le président : Non, ce n'est pas le cas et je m'en excuse. La parole est à vous.
M. Mehta : La question porte précisément sur les salaires, et s'ils ne peuvent faire venir des gens, c'est qu'ils ne les paient pas assez. Si les citoyens canadiens ont besoin de suivre une formation, on peut la leur donner, mais la rémunération n'est tout simplement pas suffisante.
M. Wong : Merci, sénateur Ringuette, pour vos questions et votre intervention. En ce qui concerne les travailleurs étrangers temporaires, le Canada se sert d'un modèle d'affaires ou d'un modèle de travail juste en temps pour recruter une main-d'œuvre peu qualifiée et pour la traiter comme un simple produit.
Nous recommandons dans notre exposé de nous doter d'une politique visionnaire de l'immigration, une qui mène à un statut juridique et à la citoyenneté. La catégorie canadienne actuelle des travailleurs d'expérience permet aux étudiants étrangers et aux travailleurs étrangers hautement qualifiés et temporaires de suivre le chemin ainsi tracé, mais cela ne s'applique pas aux travailleurs étrangers temporaires peu compétents.
Mesdames et messieurs les sénateurs, dans mon exposé d'aujourd'hui, j'attire votre attention sur le fait que les amendements touchant l'immigration apparaissant dans le projet de loi C-50 n'ont rien à voir avec le budget de 2008. J'invite avec insistance les sénateurs à étudier les recommandations du Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration de la Chambre des communes à retirer ces amendements du projet de loi C-50. Il vous reste à étudier les modifications touchant à l'assurance-emploi mais le reste du projet de loi budgétaire peut aller de l'avant. Nous pouvons tenir des consultations nationales sur les modifications touchant l'immigration.
M. Ferreira : M. Cohen avait raison de dire que la LIPR fonctionne bien. Je crois qu'elle ne fonctionne pas de la façon dont elle aurait dû fonctionner parce que des décisions ont été prises à Ottawa au cours des dernières années qui ont fait qu'elle a mal fonctionné, et cela indépendamment du parti au pouvoir. Le système n'a pas pu fonctionner et c'est pourquoi je dis qu'il fonctionne mal.
J'ai des centaines de clients parfaitement compétents qui veulent aller au Manitoba. Le sénateur du Manitoba affirme que le système est inefficace parce qu'il y a 11 000 emplois à combler et que nous devrions permettre à ces gens de venir au Canada. Le sénateur de l'Ontario parlait de l'édification de la nation. Nous sommes tous en faveur de cette édification. Vous êtes des édificateurs de nation et vos ancêtres l'étaient aussi.
Toutefois, quand j'entends expliquer pourquoi nous ne pouvons pas combler ces emplois et quand j'entends les arguments avancés, je trouve cela époustouflant. Il y a là plus d'un million de personnes qui voudraient et pourraient combler ces emplois. Elles ne sont toutefois pas autorisées à venir.
Je crois que c'est M. Pang qui a parlé d'une personne hautement qualifiée qui se trouve au Moyen-Orient. Elle a attendu pendant six ans. Il est fort probable qu'elle oubliera le Canada. Nous ne facilitons pas les choses pour les immigrants. Nous leur compliquons la tâche. C'est ce que j'ai dit dans mon exposé.
Je suis ravi que nous ayons entendu parler de cet exemple aujourd'hui du 1 p. 100 de Chinois venant au Canada. Il y a deux semaines, j'ai entendu parler de 10 p. 100, et j'ai dit que c'était là un chiffre à faire peur et que les demandes étaient fausses. Imaginez 130 millions de Chinois à notre porte. Ce serait impossible. Je n'ai aucune arrière-pensée en disant cela. Je dis simplement que, qu'il soit Chinois ou Éthiopien, nous ne pourrions pas les accueillir.
Notre système actuel ne fonctionne plus. Je suis d'accord avec tous les sénateurs qui estiment qu'il est en panne. Toutefois, il me semble que vous accordez beaucoup de foi à cette ministre qui vous demande de lui faire confiance. C'est quelque chose que je corrigerais.
Le sénateur Di Nino : Oui, nous lui faisons confiance.
Le président : Sénateur Ringuette, la parole est à vous. Vous l'avez peut-être oublié.
Le sénateur Ringuette : En naviguant sur Internet, j'ai trouvé quelques sites de cabinet d'avocats. J'ignore combien d'entre vous êtes avocats. Ces cabinets s'occupent des demandes d'immigration et du courtage des emplois. Ils font la publicité d'emplois au Canada et utilisent ensuite les emplois qui n'ont pas été comblés pour s'adresser à Ressources humaines et Développement social Canada, au ministère du Travail des provinces et à Citoyenneté et Immigration Canada pour dire nous n'avons pas de Canadiens pour combler ces emplois. C'est là l'une des activités de ces cabinets.
L'autre est qu'il demande des visas de travail pour les gens qu'ils veulent faire immigrer au Canada.
L'un d'entre vous sait-il comment ces choses marchent?
M. Cohen : Je vais essayer de vous l'expliquer. Je ne suis pas sûr qu'il y ait un modèle. Pouvez-vous l'expliquer à nouveau?
Le sénateur Ringuette : Pour que Citoyenneté et Immigration Canada accorde un visa de travail, ils doivent recevoir un accusé de réception du ministère du Travail...
M. Cohen : Service Canada, c'est exact.
Le sénateur Ringuette : ... de RHDSC attestant qu'aucun Canadien ne peut combler les emplois pour lesquels ils ont fait de la publicité.
M. Cohen : C'est exact.
Le sénateur Ringuette : Ils utilisent cette attestation pour se présenter à Citoyenneté et Immigration Canada et demander un visa de travail pour des immigrants qui ont les compétences nécessaires.
M. Cohen : C'est exact. Vous décrivez exactement la façon dont les choses se passent.
Le sénateur Ringuette : Connaissez-vous ces entreprises qui d'un côté sont des cabinets d'avocats s'occupant de dossiers d'immigration et, de l'autre, sont des agences de placement?
M. Cohen : Je ne connais aucun cabinet d'avocats qui se comporte comme une agence de placement et comme un cabinet d'avocats en même temps. Toutefois, le processus que vous avez décrit est bien celui que l'on observe. Tout d'abord, Service Canada doit être convaincu que le travailleur étranger venant au Canada n'aura que des effets neutres ou favorables sur le marché du travail canadien. Ce n'est qu'à partir de là qu'il est possible de faire une demande de permis de travail.
Le président : Il nous reste sept minutes et le sénateur Murray n'a pas encore eu l'occasion de poser de questions.
Le sénateur Di Nino : J'ai quelque chose d'important à dire. M. Cohen nous a fait un bon exposé, mais qui a été obscurci, à mon avis, par ce qu'il appelle son affichage sur un site web étranger.
C'est là une déclaration scandaleuse de la part de quelqu'un qui laisse entendre qu'il est un agent d'immigration du Canada. Cela n'est pas prouvé. Absolument rien ne peut prouver que c'est la réalité. À ce que j'en sais, ce pourrait être une mystification ou la réalité. Si c'est vrai, je crois que nous devrions faire quelque chose à ce sujet et nous avons des règles et des lois pour cela.
Toutefois, que M. Cohen le fasse figurer au procès-verbal avec ce commentaire à connotation raciale est regrettable. Ce n'est pas bien de la part de quelqu'un de dire je crois que j'ai reçu ceci d'un agent de l'immigration et voici ce qu'il dit.
Le président : Merci, sénateur Di Nino. Monsieur Cohen, je vous donnerai l'occasion de répondre après notre prochain orateur parce que je crois qu'il serait injuste que chacun d'eux n'ait pas l'occasion, s'il ou elle le souhaite, de poser une question.
Le sénateur suivant sur la liste est le sénateur Murray, un ancien président de ce comité.
Le sénateur Murray : Je vous remercie, monsieur le président.
La question à laquelle nous avons toujours été confrontés ici avec les forums parlementaires est l'ampleur des pouvoirs que nous voulons déléguer aux cabinets, aux ministres, aux fonctionnaires, et cetera.
Je ne sais pas où je me situe sur cette question en ce qui concerne ce projet de loi. Il n'est pas possible d'assurer une gestion micro de la politique d'immigration à partir du Parlement. Par contre, un grand nombre de projets de loi que nous avons à étudier confère ce qui me paraît être comme des pouvoirs réglementaires excessifs, non seulement pour le Cabinet mais également parfois pour un ministre donné. Je suis enclin à analyser ces délégations de pouvoirs avec scepticisme.
En second lieu, je suis d'accord avec les gens qui disent que ces dispositions ne devraient pas se trouver dans un projet de loi de mise en œuvre budgétaire. Je sais bien qu'il s'agissait d'une page ou deux dans le plan budgétaire. Je l'ai lu. Il concerne la politique d'immigration.
L'une des raisons pour lesquelles ces dispositions se retrouvent dans ce projet de loi est imputable à la tendance observée depuis longtemps des gouvernements à vouloir tout mettre dans un projet de loi de mise en œuvre du budget avec l'espoir que les dispositions les plus controversées passeront inaperçues parce qu'il y en a qui retiennent davantage l'attention et qui doivent être adoptées avec un échéancier à respecter.
Si la Chambre des communes décide de scinder en plusieurs parties ce projet de loi, c'en est fini. Si elle vote contre ce partage en plusieurs documents, je crois qu'il n'y a pas beaucoup de raisons pour nous de le faire et de lui renvoyer le projet de loi. Ce serait tout simplement une provocation. Je serais plutôt partisan de scinder le document en plusieurs et je voterai en ce sens si je siégeais à la Chambre.
Monsieur Bissett, le point soulevé par M. Cohen est important. Il a déclaré par écrit et à nouveau oralement il y a quelques minutes que la LIPR prévoit déjà de façon spécifique des mécanismes ayant pour but de réguler les flux d'immigrants. Il a fait état de ces mécanismes, par exemple relever la note de passage en recourant au paragraphe 76(2) du règlement d'application de la LIPR.
Le ministre pourrait aussi utiliser la provision de « Profession d'accès limité », comme prévu aux règlements R73 et 75(2) de la LIPR. Finalement, la législation en vigueur contient déjà des dispositions sur l'« Emploi réservé » au Canada.
Monsieur Bissett, vous êtes un spécialiste de ces questions. Le point soulevé par M. Cohen est-il valide? Je vous pose la question parce que lorsque vous vous êtes exprimé, et cela ne figure pas dans vos notes écrites, j'ai cru vous entendre dire qu'il y aurait eu d'autres façons pour le gouvernement d'atteindre les objectifs qu'il prétend vouloir atteindre avec ce projet de loi.
Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez à ce sujet de l'exposé de M. Cohen, et si vous le pouvez, nous indiquer les autres moyens que le gouvernement pourrait utiliser pour atteindre ces objectifs?
M. Bissett : Oui, je ne suis pas avocat, mais je crois que l'essentiel ici est que la ministre veut remplacer le mot « doit » par « peut », ce qui lui confère le pouvoir de faire preuve de beaucoup plus de souplesse dans le choix des nouveaux candidats qui viennent au Canada.
Je ne saurais vous dire pourquoi ils ont jugé nécessaire d'apporter ce changement. Toutefois, si la ministre dispose de tous les pouvoirs dont elle a maintenant besoin. Il me paraît assez inhabituel que les avocats du ministère de la Justice aient demandé à ce qu'elle se présente avec ses modifications apportées à la loi.
Avec l'ancienne...
Le sénateur Murray : Je ne veux pas rentrer dans les motifs de chacun, mais cela amène à se demander si les objectifs déclarés sont réellement les objectifs qu'elle veut atteindre.
M. Bissett : Je ne suis pas en mesure de faire des commentaires sur ses motivations, mais je crois que les révisions à la réglementation qui sont proposées sont l'une des façons d'aborder ce problème énorme que nous avons, soit un trop grand nombre de personnes dans le monde en mesure de respecter nos critères de sélection. Actuellement, avec les textes en vigueur, s'ils respectent les critères de sélection, ils doivent être acceptés. Cela modifie une façon d'aborder cette question. Il peut y en avoir d'autres, mais pourquoi a-t-elle choisi celle-ci, je n'en sais rien.
Le sénateur Murray : Je m'en tiendrai là à moins que M. Cohen n'ait d'autres commentaires à formuler.
M. Cohen : C'est ce que je pense. Tout d'abord, tout ce que la ministre veut faire peut être fait avec la loi actuelle. En second lieu, c'est une question qui concerne intégralement l'immigration, et elle est présentée dans le cadre d'un projet de loi d'exécution du budget ce qui m'amène à m'interroger sur la bonne foi qui préside à ces changements.
Qu'est-ce qui motive ces changements? En ce qui me concerne, c'est une raison de nature politique. C'est un défi au Parti libéral qui compte depuis longtemps parmi ses électeurs les Canadiens nouvellement arrivés à qui l'on dit : votez contre ces changements s'ils vont à l'encontre de vos principes ou votez avec nous. En votant pour nous vous ne vous comportez pas dans le meilleur intérêt des électeurs dont vous dépendez.
À mon avis, c'est une motivation politique parce qu'elle peut être réalisée avec la loi actuelle. Encore une fois, à mon avis, cette manœuvre politique se joue sur le dos des immigrants.
M. Wong : Très rapidement, je veux aller dans le même sens que M. Cohen. J'incite vivement le Sénat à réfléchir attentivement aux modifications proposées. En 2000, la Chambre des communes a adopté la Loi sur la citoyenneté et le Sénat l'a retenue parce qu'elle posait des problèmes. Je vous demande donc d'utiliser vos pouvoirs dans le meilleur intérêt des collectivités d'immigrant et pour le bien de tous les Canadiens.
Le président : Monsieur Cohen, je vous promets que vous aurez l'occasion de répondre à l'intervention précédente du sénateur Di Nino. Par la suite, le sénateur Stratton aura le dernier mot de cette séance.
M. Cohen : Je vous en remercie. Merci beaucoup pour cette occasion. Je vais m'efforcer d'être bref.
Je réalise bien que vous n'êtes pas content que ce message vienne d'un agent canadien de l'immigration.
Le sénateur Di Nino : Absolument pas, monsieur. Ce n'est pas ce que j'ai dit.
M. Cohen : Moi, par contre, j'en suis satisfait étant donné les éléments de preuve dont je dispose. La question ne concerne pas cet agent en particulier. La question est de se doter d'un système qui permet au parti pris d'une personne d'influencer des décisions qui sont prises sur le choix des demandeurs.
Nous avons tous nos propres partis pris. Ce qui est important, c'est de disposer d'un système qui dit que peu importe vos opinions et vos partis pris personnels, les points que vous avez obtenus sont ceci et ceci; vous avez le droit à ces points et c'est tout à fait objectif. Peu importe vos sentiments personnels sur une personne ou un groupe de personnes ou une collectivité en particulier. C'est la raison pour laquelle j'ai fourni cette information.
Le sénateur Di Nino : Je crois qu'elle choque beaucoup de gens.
Le sénateur Stratton : J'ai du mal à vous croire quand je vous entends dire que le système fonctionne alors que dans l'Ouest du pays, au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta, on a absolument besoin de travailleurs compétents qu'on ne peut pas trouver.
Le problème que nous avons ou auquel nous serons confrontés au cours des cinq ans à venir, est que les membres de la génération du baby-boom prennent leur retraite, et que le besoin va encore s'accroître. Je ne parviens pas à comprendre comment vous pouvez me dire que le système fonctionne. S'il avait fonctionné, nous n'aurions pas ce problème de travailleurs compétents.
Je vais vous donner un exemple, par exemple, monsieur Mehta, je crois que vous avez suggéré de les payer davantage. Un mineur à Thompson, au Manitoba, qui travaille dans la mine peut gagner 100 000 $ ou plus par année, et il reçoit en plus de son salaire annuel une prime. L'incitatif à travailler dans la mine est donc énorme. Les entreprises ont encore de la difficulté à trouver une main-d'œuvre compétente dans ces mines, dans la mesure où Diversification de l'économie de l'Ouest, comme je vous l'ai dit, met sur pied un programme de formation à Thompson, dans la collectivité, pour essayer de former des gens à travailler dans ces mines, pour qu'ils puissent participer à ces possibilités et se voir offrir un bon salaire.
Comment pouvez-vous m'expliquer que, si le système fonctionne en l'état, on ait tant besoin de gens dans ces trois provinces? Comment pouvez-vous expliquer cela? Je ne peux le comprendre.
M. Wong : Je serai bref. Nous avons déjà cette capacité maintenant, sénateur. Il y a 250 000 immigrants qui sont venus au pays chaque année au cours des trois dernières années avec l'ensemble actuel des ressources dont nous disposons. Si nous voulons nous attaquer aux pénuries de main-d'œuvre que nous observons dans l'ouest du pays, en Colombie-Britannique et dans les provinces des Prairies, il faut augmenter les objectifs. Vous devez faire venir un plus grand nombre de personnes pour faire face à ces pénuries. Il n'y a pas d'autres façons.
Même si nous devions accepter tous les amendements qui sont proposés, Nous continuerions encore à accepter les mêmes 250 000 personnes. Les amendements ne vont pas résoudre la pénurie dans ces autres provinces.
M. Ferreira : Personnellement, je n'ai entendu aucun témoin affirmer que le système fonctionne. Au contraire, le système est en panne, et je ne sais donc pas très bien pourquoi le sénateur fait l'hypothèse que certains d'entre nous auraient dit qu'il fonctionne. Il est en panne. Il est en panne depuis 32 ans. J'ai été au service du gouvernement et à l'extérieur pendant 32 ans et le système a toujours été en panne.
Quand je vous entends dire que nous, quelqu'un qui se trouve ici, a dit que le système fonctionne, qui l'a dit? Personne ne dit qu'il fonctionne. S'il a fonctionné, il ne le peut plus pour des raisons politiques. C'est là le problème.
Il y a un autre exemple, celui de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, la CISR. Mon collègue à ma droite a siégé à la CISR. On l'appelait auparavant la Commission d'appel de l'immigration, la CAI. Plus de 65 postes n'ont pas été comblés depuis des années. C'est la faute du gouvernement canadien, la faute de tous ceux qui ont prétendu que ce système est parfait. Il n'est pas parfait. Il est en panne.
Nous voulons des modifications, mais nous voulons qu'on laisse le système fonctionner. Il n'y a pas de mécanisme d'appel à la CISR. La Division des appels, à laquelle on a songé il y a six ou sept ans, n'existe pas. En même temps, vous dites que le système est en panne. Il est évident qu'il est en panne. Les gouvernements qui se sont suivis l'ont mis en panne, et s'ils l'ont fait ces pour des raisons politiques.
Le président : Est-ce que la CISR et la Commission d'appel de l'immigration sont la même chose?
M. Ferreira : Oui. Je peux poursuivre. Dans le cas des juges à la citoyenneté, combien d'enregistrements de rendez- vous ont été faits au cours des cinq à dix dernières années? Les gens attendent plus d'un an pour la citoyenneté. Nous leur souhaitons la bienvenue, leur disons qu'ils peuvent obtenir la citoyenneté, mais nous n'avons pas suffisamment de juges à la citoyenneté. Nous devons en nommer de 60 à 80 de plus à travers le pays. C'est la même chose avec la CISR.
N'oublions pas qu'un tiers du personnel outre-mer a été coupé il y a six ans. Un tiers de notre personnel est parti. Pourquoi ces coupures : pour équilibrer les livres, ce fut un exercice financier. Le gouvernement de l'époque voulait serrer la ceinture. Comment a-t-il procédé? Il a fait des petites coupures ça et là dans tous les ministères.
J'ai visité ces postes à l'étranger. J'ignore combien d'entre vous l'ont fait. Comment ancien agent principal de l'immigration, je sais que nombre de mes anciens collègues sont frustrés par le système. S'ils étaient devant vous aujourd'hui, ils pourraient vous dire que le système n'a jamais fonctionné, jamais parce que les politiciens n'ont jamais permis qu'il fonctionne.
M. Bissett : Je suis d'accord. Le système ne fonctionne pas et cet effort pour le corriger est ce qu'il faut faire. Si la question revient au comité de l'immigration, le projet se perdra dans la nuit des temps. Il faudra compter encore deux ans avant que ces règlements ne soient modifiés.
Afin de répondre aux préoccupations du sénateur du Manitoba, l'une des raisons pour laquelle nous n'accueillons pas de travailleurs compétents, mis à part le parrainage provincial, est que nombre des gens de métier hautement compétents ne parviennent pas à respecter nos critères de sélection, qui mettent beaucoup l'accent sur l'éducation. Un grand nombre de mineurs, de menuisiers et d'ébénistes n'ont aucun espoir de respecter les critères de sélection actuels et ils ne présentent donc pas de dossier. S'ils le font, leur demande est déclinée.
À mon avis, la seconde raison est que la plupart des immigrants d'aujourd'hui viennent des pays d'Asie. Ils ont tendance à s'implanter dans deux villes, Vancouver et Toronto, parce que c'est là que se trouvent les gens de même origine qu'eux et que s'implantent les familles élargies. Peu d'Asiatiques sont prêts à aller à Thompson travailler dans les mines. Les statistiques montrent que 16 p. 100 de la population du Canada est composée de minorités visibles, mais que 60 p. 100 de ces 16 p. 100 vivent dans deux villes, Vancouver et Toronto. Le Manitoba, comme les autres provinces des Prairies, fait concurrence à deux ou même peut-être trois grands centres urbains.
Le sénateur Stratton : J'étais à The Pas, au Manitoba, où j'ai vu un livreur qui parlait avec un accent britannique. Il venait d'Angleterre. Je sais que des entreprises de camionnage du sud du Manitoba font venir des chauffeurs d'Angleterre, mais il n'y en a pas assez. Le mécanisme de la liste d'attente ne permet pas d'en faire venir suffisamment.
M. Ferreira : Je suis d'avis qu'un tiers de tous nos immigrants ont des compétences. Nous avons également des réfugiés de la catégorie de la famille, qu'il ne faut pas oublier. Si nous prenons 230 000 immigrants, nous ne pouvons pas prendre 230 000 travailleurs compétents.
M. Mouammar : Pour aller dans le sens de ce que vient de dire M. Ferreira, à une époque la Commission de l'immigration et du statut de réfugié avait un arriéré et elle a alors porté le nombre de ses membres à 120 dans la région de Toronto. L'arriéré a disparu. Par la suite, quelqu'un a eu l'idée de résoudre le problème en limitant le nombre de réfugiés, et ils ont alors signé une entente appelée, l'Entente sur les tiers pays sûrs à la frontière terrestre entre le Canada et les États-Unis. Cela veut dire que toute personne qui arrive aux États-Unis en premier et vient au Canada ensuite sera renvoyée aux États-Unis. Récemment, la Cour fédérale a jugé que cela va à l'encontre de la Charte.
Nous avons maintenant un arriéré parce que le nombre de membres de la commission a été ramené à 60. Même si nous avions moins de réfugiés pendant cette période d'application de l'Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis, parce que le nombre de membres avait été réduit, nous avons à nouveau un arriéré dans le système des réfugiés.
Nous ne devons rien faire qui soit jugé inconstitutionnel en regard de la Charte, comme l'a dit M. Mehta. Toutefois, cela peut prendre 20 ans. Dans l'intervalle, de nombreuses personnes seront victimes de ce processus.
Nous ne mettons pas en doute les intentions de la ministre. Celle-ci peut avoir de bonnes intentions maintenant, mais rien ne nous garantit que les agents de l'immigration et les ministres de demain n'auront pas de parti pris en fonction du pays d'origine, de la race, du sexe ou de la religion des demandeurs. Nous devons nous doter d'un système objectif qui existe avec la législation actuelle, au lieu d'un système subjectif reposant sur des préférences individuelles.
Le président : Merci à tous pour vos commentaires. Un certain nombre d'entre vous ont fait référence à notre système. M. Bissett, je crois, nous a dit que notre système de points a été copié par les Australiens. Il a également dit que l'éducation peut constituer une barrière avec ce système actuel. Ai-je raison de faire l'hypothèse que si le projet de loi est adopté, les pouvoirs discrétionnaires accordés à la ministre de donner pour instruction au ministère de ne pas appliquer ce système plus longtemps mais d'en appliquer un autre? Est-ce que ces instructions seront publiées dans la Gazette du Canada? Est-ce bien ce que tout le monde comprend?
M. Ferreira : Oui.
M. Bissett : C'est ce que je comprends.
Le président : Le processus réglementaire qui existait auparavant avec le système à points pourrait ne pas continuer à s'appliquer, selon ce que la ministre décidera dans les instructions qu'elle donnera au ministère?
M. Cohen : C'est exact. L'avis de la ministre remplacera la réglementation.
Le président : C'est exact.
M. Cohen : C'est exact.
Le président : Le processus réglementaire a ses mécanismes de contrôle et ses équilibres.
M. Cohen : C'est tout à fait exact.
Le président : Ce n'est pas ce qui est envisagé ici.
M. Ferreira : C'est démocratique.
M. Bissett : Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne chose. Il est manifeste dans les amendements que ce qu'on appelle les instructions de la ministre prendront la forme de décret.
Le président : Non, je ne crois pas, monsieur.
M. Cohen : Ce n'est pas ce que dit le texte.
Le président : Je vous remercie de vos commentaires. Ceux d'entre vous qui souhaitent nous remettre des documents écrits sont invités à le faire et nous serons contents de disposer également de cette information. Nous ferons traduire ces documents dans les deux langues officielles et les transmettrons à nos membres. Vous pouvez également adresser des commentaires additionnels au greffier du comité.
La séance est levée.