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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans

Fascicule 3 - Témoignages du 28 février 2008


OTTAWA, le jeudi 28 février 2008

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui, à 10 h 50, pour examiner, en vue d'en faire rapport, les questions relatives au cadre stratégique actuel, en évolution, du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada. Le sujet porte sur une étude arctique.

Le sénateur Bill Rompkey (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je déclare la séance ouverte pour poursuivre notre étude de la Garde côtière, plus particulièrement, et de son rôle par rapport à notre étude arctique. Nous avons entendu un certain nombre de témoins, comme le commissaire de la Garde côtière, George Da Pont; le sous-commissaire, Charles Gadula, et Gary Sidock. Des représentants du ministère des Pêches et des Océans et du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ont aussi comparu.

Nous espérons pouvoir nous rendre en Arctique en mai. C'est ce qui est prévu pour l'instant, même si ce n'est pas encore coulé dans le béton. Comme vous vous souviendrez, nous voulons mener ce projet conjointement avec le comité de l'environnement.

Je suis très heureux d'accueillir parmi nous aujourd'hui Michael Turner, qui est l'ancien commissaire de la Garde côtière. Je ne lirai pas sa longue biographie, mais il a apporté une grande contribution au pays, dans différents postes, pour lesquels il a reçu de nombreux prix. Vous avez sa biographie sous les yeux. Je suis ravi qu'il soit parmi nous aujourd'hui et je lui souhaite la bienvenue.

Avant de lui demander de faire sa déclaration préliminaire, je tiens à préciser que nous n'avons pas beaucoup de temps. J'aimerais lever la séance d'ici midi parce que M. Turner, comme d'autres personnes, a un autre engagement. Nous voulons prendre le temps de discuter avec lui, car cette audience sera l'une des plus importantes que nous avons eues. M. Turner a occupé le poste de commissaire et peut nous aider en nous relatant ses expériences. Je vais lui demander de formuler quelques observations préliminaires et nous passerons ensuite aux questions.

Michael Turner, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le président.

[Français]

Honorables sénateurs, il me fait plaisir de comparaître devant votre comité aujourd'hui. J'aimerais mentionner que la plupart de mes commentaires se feront en anglais.

[Traduction]

Honorables sénateurs, je veux d'abord vous remercier sincèrement de m'avoir invité d'apporter une petite contribution à votre travail. Je sais que nous jouons un rôle mineur dans ce grand projet que vous tentez d'élaborer.

On m'a demandé aujourd'hui d'exprimer mon point de vue et j'insiste sur le fait qu'il peut y avoir à l'occasion des erreurs dans la documentation que je présente puisque j'ai fait attention de ne mettre à contribution d'aucune façon les fonctionnaires en poste de la Garde côtière canadienne. Je veux qu'il soit tout à fait clair qu'il s'agit simplement de mes opinions personnelles. Je ne parle au nom d'aucun ministère ou organisme gouvernementaux. Toutefois, vous savez sans doute que mon intérêt dans ce dossier découle de plus d'un quart de siècle d'expérience à la Garde côtière canadienne, dont plusieurs années comme sous-commissaire et commissaire intérimaire.

Même si j'ai quitté le MPO et la Garde côtière en 1999 pour un autre ministère, puis pour prendre ma retraite il y a plus de deux ans, je continue de m'intéresser beaucoup à nos eaux arctiques et à leur gestion. Quiconque a visité l'Arctique le moindrement sait à quel point la région est inoubliable.

Bien sûr, je continue de suivre également les travaux de l'organisme auquel j'ai consacré la majeure partie de ma carrière et qui fait face à des défis de taille. Cet intérêt constant pour l'Arctique m'a poussé à exprimer mes préoccupations dans une lettre publiée dans le Ottawa Citizen le 13 juillet dernier, peu après l'annonce par le gouvernement actuel, d'un contrat de conception et de construction d'une série de navires de patrouille des forces armées pour nos eaux arctiques extracôtières.

Vous vous demandez peut-être pourquoi cette annonce me préoccupe. Je peux vous assurer que je ne doute pas de la compétence et du professionnalisme des officiers et des membres de la Marine canadienne. Je ne conteste pas non plus la nécessité d'une présence marine renforcée dans nos eaux nordiques. C'est plutôt parce que les décisions semblent négliger les nombreuses années et les ressources considérables consacrées par les gouvernements successifs au développement d'un service maritime professionnel civil, que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de Garde côtière canadienne. Cet organisme a pour mandat premier la sécurité maritime, mais assure également d'autres responsabilités fédérales et des activités d'appui dans les eaux canadiennes, y compris dans l'Arctique.

La Garde côtière canadienne, qui ne porte ce nom que depuis 1962, s'enorgueillit d'une longue histoire qui remonte aux débuts du ministère de la Marine et des Pêcheries, en 1867. Transférée au ministère des Transports à sa création en 1936, elle relève de nouveau du ministère des Pêches et des Océans depuis 1995. Pendant toute son histoire, la Garde côtière et ses prédécesseurs ont acquis des connaissances maritimes et une capacité de travail dans l'Arctique, qui est reconnue et admirée dans le monde entier.

Par ailleurs, ce n'est que depuis 1957 que la Marine canadienne dispose d'un navire pleinement capable de naviguer dans les glaces, conçu et construit pour l'Arctique canadien. À cause des décisions prises par le gouvernement il y a plus d'un demi-siècle, toute la capacité d'opération de notre pays dans les glaces relève aujourd'hui de la Garde côtière et d'une poignée de compagnies privées qui disposent d'officiers ayant les compétences et l'expérience suffisantes pour manœuvrer en toute sécurité dans ce milieu difficile.

Pour avoir entendu d'autres témoignages, vous êtes au courant, honorables sénateurs, du grand rôle assuré par la Garde côtière, aux côtés du ministère de la Défense : opérations de sauvetage, responsabilités en cas de pollution marine, aide à la navigation, gestion du trafic et des voies navigables; exploitation des brise-glaces à l'appui de la marine marchande. Je n'empiéterai donc pas sur votre temps précieux pour décrire ces opérations en détail.

Comme il arrive si souvent, les organismes fédéraux semblent incapables de fonctionner de façon harmonieuse et de maximiser les moyens de chaque organisme ou ministère. Dans l'annonce de juillet dernier, il est regrettable que le gouvernement semble avoir jugé que la modernisation du reste de notre flotte vieillissante de brise-glaces, qui assure de multiples missions, était moins importante que la construction d'un groupe de navires ayant un rôle limité et une capacité beaucoup moindre de navigation dans nos eaux arctiques. Je note cependant avec plaisir l'annonce, dans le budget de cette semaine, de fonds pour remplacer le NGCC Louis S. St. Laurent, le plus gros et le doyen de nos brise- glaces canadiens.

Je suis déçu que le gouvernement n'ait pas jugé qu'il existe « une meilleure façon » d'accroître la présence fédérale dans les eaux arctiques, mais ce n'est peut-être pas surprenant. Au sein de la Garde côtière elle-même — et de son ministère d'attache, le MPO —, la gestion a tendance à avoir, de mon point de vue, une perspective assez étroite du rôle de l'organisation depuis la fusion de 1995. Pendant dix ans après la fusion, on a mis l'accent presque uniquement sur les économies et l'efficacité, alors que de nombreux bateaux étaient à quai en permanence ou pour une partie de plus en plus longue de l'année, faute de fonds pour leur exploitation.

Durant cette période, les problèmes du MPO, qui manquait de ressources pour ses attributions, ont empêché le ministère de s'occuper d'autres choses que des insuffisances de son budget annuel, avec le résultat que la planification des activités se faisait essentiellement à court terme, pour des programmes autonomes particuliers exigeant les capacités opérationnelles de la Garde côtière. La vérificatrice générale a formulé des observations sur ce fait, soit dit en passant.

L'efficacité est toujours un objectif louable, mais la vision plus large d'une Garde côtière capable de missions multiples et assumant les responsabilités non militaires du Canada en mer a été sérieusement érodée durant cette période. Puisque l'accent est mis l'efficacité des opérations internes au sein du MPO, il se peut que les fonctionnaires aient oublié que c'est la Garde côtière qui assure tous les jours le contrôle et la gestion du Canada dans les eaux pour lesquelles on réclame la propriété ou la compétence, en appliquant nos lois et programmes et en fournissant les services maritimes. La capacité de dissuader un ennemi éventuel d'utiliser ou d'occuper le territoire d'un pays et de contrer une agression par la force est certainement un aspect important de notre souveraineté, mais ce n'est pas le seul ni même peut-être le plus important.

Les dix premières années au sein du MPO ont certes été difficiles, mais la Garde côtière est finalement devenue un organisme de service spécial, restructuré pour agir comme une organisation unifiée d'un océan à l'autre, avec une gestion plus souple dans certains domaines. En contrepartie, nous avons perdu la responsabilité de certains aspects de la sécurité maritime, transférés de nouveau à Transports Canada.

Mais surtout, d'importants changements sont en cours pour que la Garde côtière soit mieux capable d'appuyer une multitude de responsabilités fédérales dans les eaux canadiennes, dans l'Arctique comme dans le Sud. Ainsi, les budgets sont réaménagés pour établir clairement les coûts de la « présence fédérale » en mer, outre ceux qui relèvent de programmes précis. On a approuvé les crédits pour les nouveaux navires de la Garde côtière, afin de venir en aide à la GRC pour assurer la sécurité maritime dans les Grands Lacs. En outre, la Garde côtière appuiera les Centres d'opérations de sécurité maritime de la Défense nationale qui sont en cours d'établissement sur les côtes Est et Ouest.

Je constate que nos vieux patrouilleurs des pêches semi-hauturières seront remplacés par des navires de plus grande capacité pouvant également aider la GRC. Je suis très heureux de constater à quel point la Garde côtière appuie maintenant la recherche scientifique dans l'Arctique, comme en témoignent non seulement le travail de notre navire- amiral, le NGCC Louis S. St-Laurent, mais également les opérations du NGCC Amundsen, pour un groupe de recherche dirigé par l'Université Laval.

Tous ces exemples me confirment que la Garde côtière revient maintenant à son rôle de soutien multimissions pour l'ensemble de l'État fédéral, pour lequel elle avait été conçue. Il est donc ironique que le gouvernement mette de côté son service maritime professionnel au moment même où celui-ci se restructure pour mieux servir tous les ministères. À une époque où le soutien de la recherche scientifique dans l'Arctique a considérablement augmenté et où la Garde côtière est nettement mieux placée pour la surveillance arctique et le contrôle de la souveraineté, on veut confier ces fonctions aux patrouilleurs extracôtiers et arctiques. Il est décevant qu'on n'ait pas envisagé le remplacement du reste des brise-glaces vieillissants de la Garde côtière canadienne par un nombre suffisant de brise-glaces multimissions de classe arctique, exploités par la Garde côtière pour le compte de tous les ministères et organismes fédéraux, y compris la Défense nationale.

Nous pouvons sûrement faire mieux pour le contribuable canadien. Cela offrirait de toute évidence un soutien plus efficace à une gamme complète de programmes fédéraux dans l'Arctique : cartographie géophysique, soutien médical aux Inuits, surveillance des bateaux étrangers, protection de l'environnement marin, soutien à nos forces armées dans les eaux arctiques, et j'en passe. Cela aurait été une démonstration plus convaincante de la souveraineté canadienne.

Si les sénateurs ont des questions ou souhaitent une précision sur les propos que j'ai exprimés, je serai heureux d'y répondre.

Le président : Merci beaucoup pour cet exposé utile.

Le sénateur Cowan : Monsieur Turner, nous savons que vous étiez prêt à venir l'autre soir, mais la séance était en même temps qu'une réunion de caucus à laquelle certains d'entre nous devaient assister. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir réorganisé votre emploi du temps pour nous rendre service.

Pouvez-vous nous parler de la capacité des navires dont l'acquisition a été annoncée il y a environ un an, et qui sont décrits comme étant des patrouilleurs pour les eaux extracôtières et arctiques, comparativement aux navires existants, comme le Louis S. St-Laurent et le Terry Fox? Par ailleurs, dans le budget déposé l'autre jour, on a annoncé ou proposé des crédits pour remplacer le Louis S. St-Laurent. Pouvez-vous relier tous ces éléments? A-t-on changé d'avis? Est-ce un ajout? Comment tout cela est-il rattaché?

M. Turner : Je vais faire de mon mieux pour répondre, mais vous comprendrez que je ne suis pas en mesure de parler au nom du gouvernement ou du ministère.

Les informations dont je dispose sur ce qui est prévu concernant les navires de patrouille de la Défense nationale pour les eaux arctiques et extracôtières sont tirées de leurs propres communiqués annonçant qu'ils construiraient huit de ces navires ayant une capacité limitée pour naviguer en haute mer, une vitesse limitée et, bien entendu, une capacité limitée de briser la glace. Le but, c'est que les nouveaux navires puissent naviguer de manière indépendante et efficace dans notre zone économique, y compris dans l'Arctique, à certaines périodes de l'année. Ils seraient dotés de coques renforcées contre les glaces pour circuler dans les glaces moyennes de première année, comme on les appelle, ce qui pourrait comprendre de vieilles glaces qui sont plus denses et peuvent frapper la coque du navire. On parle d'une autonomie d'environ 6 000 milles marins, d'équipement électronique à la fine pointe et d'une vitesse économique de 14 nœuds, d'une vitesse maximale de 20 nœuds, d'un armement quelconque et d'une capacité d'effectuer des manœuvres en mer. Ces navires seraient en mesure d'avoir un hélicoptère à bord, de même que le matériel d'entretien et l'équipage pour le piloter.

En ce sens, même les plus légers des brise-glaces de la Garde côtière qui sont utilisés dans l'Arctique sont beaucoup plus performants pour y naviguer que les navires proposés pour la marine. Les navires de type 1100 qui vont dans l'Arctique, que l'on appelle de classe arctique 2 — deux ou trois de ces bateaux se rendent habituellement dans l'Arctique l'été pour un certain temps —, pourraient circuler sur une couche de glace continue sur la moitié ou les deux tiers d'un mètre peut-être et se frayer un chemin dans des ondins sur quelques mètres, ce qui laisse entendre évidemment qu'ils ont une plus grande capacité que celle des navires proposés.

Les navires beaucoup plus grands dont vous parlez, le Terry Fox et le Louis S. St-Laurent, sont les bateaux les plus puissants de la Garde côtière. Le Louis S. St-Laurent s'est déjà rendu dans le passé au pôle Nord, de même qu'un brise- glaces américain. Il peut couvrir une étendue considérable de l'Arctique durant les mois d'été, mais pas partout, naviguer sur des couches de glace continue sur un peu moins de deux mètres et avancer dans des ondins et des chevauchements de trois mètres et parfois davantage. Tout comme le Terry Fox, c'est un navire conçu pour ces fins et ce, même s'il est un peu plus petit et n'a pas d'hélicoptère à bord. Soit dit en passant, tous les autres brise-glaces de la Garde côtière semblables aux navires de la Défense nationale proposés ont des hélicoptères à bord. Le Terry Fox, qui a été construit à l'origine pour les travaux de forage dans la mer de Beaufort, peut circuler dans des glaces de 1 à 1,5 mètre d'épaisseur. Même s'il n'a pas d'hélicoptère, il est certainement un navire très performant à d'autres égards. Il a été grandement utile à la Garde côtière en ce sens.

Les brise-glaces qu'utilise la Garde côtière à l'heure actuelle, y compris les navires du type 1200, que vous avez tous les deux mentionnés, sont les deux ou trois navires les plus légers que l'on appelle des bateaux multimissions — les 1100 —, car ils servent à mener d'autres expéditions dans le Sud l'été et l'hiver; ils sont beaucoup plus résistants aux glaces. Ils peuvent circuler sur une étendue beaucoup plus vaste de l'Arctique que ceux que semblent proposer la marine. Je me fonde uniquement sur leurs données.

Vous m'avez posé une question sur l'annonce faite cette semaine. Je n'ai aucune autre information que celle figurant dans les documents budgétaires. Ces documents indiquent clairement qu'on économise de l'argent pour remplacer le Louis S. St-Laurent, que l'on prévoit mettre hors service en 2017 environ, mais il faudra plusieurs années pour concevoir et construire un nouveau brise-glaces de classe arctique. Il y était aussi indiqué que le navire serait plus performant que le Louis S. St-Laurent, ce qui supposerait qu'il serait de type Polar 6 plutôt que de classe arctique 4 ou 5, ce que le Louis est actuellement, à mon avis.

Le sénateur Cowan : Je ne me souviens pas des chiffres précis, mais d'après ce que le commissaire nous a dit, il reste — tout au plus — 10 à 12 ans de vie utile au Louis S. St-Laurent, et il faudra presque autant de temps pour concevoir, commander et construire un navire de remplacement.

M. Turner : C'est tout à fait exact. Il s'agit de navires complexes et uniques en leur genre, dont la conception et la construction nécessitent beaucoup de temps. S'il a parlé de 10 ans, c'est peut-être un peu long parce que durant cette période, il faut aussi solliciter des fonds, et on semble avoir franchi cette étape avec succès. Autrement dit, l'horloge s'est mise en marche il y a quelque temps déjà. Il y a également le processus d'approvisionnement qui, comme vous le savez tous, peut parfois s'avérer onéreux pour de gros projets aussi coûteux et particuliers que celui-ci.

Vous avez soulevé un point très important, à savoir que l'ensemble de la flotte des brise-glaces de la Garde côtière est en train de prendre de l'âge rapidement. Comme les humains, les navires vieillissent d'année en année. Le dernier brise-glaces qu'on a construit est le Henry Larsen, qui a maintenant 20 ans; le Louis S. St-Laurent aura 40 ans l'année prochaine, ce qui est incroyable. La modernisation de mi-durée, qui remonte au début des années 1990, a porté fruit, mais on ne peut pas se servir indéfiniment d'un vieux navire. Je dois admettre que mes collègues de la Garde côtière ont fait un excellent travail. Les navires de catégorie arctique dont dispose maintenant la Garde côtière approchent de la fin de leur durée de vie utile ou nécessitent une importante modernisation de mi-durée, comme c'est le cas des brise- glaces de type 1200 et 1100 respectivement.

Le sénateur Cowan : D'après ce que j'observe de façon plutôt empirique de la fenêtre de mon bureau, à Halifax, qui donne sur la base de la Garde côtière, ces navires semblent passer beaucoup de temps à la base et dans les chantiers pour subir des réparations. C'est comme pour nos voitures. L'usure aidant, leur séjour chez le garagiste est chaque fois plus long et plus coûteux, et tôt ou tard, il faut les remplacer.

M. Turner : C'est un phénomène auquel nous ne semblons pas échapper, nous non plus. J'en suis de plus en plus conscient : à mesure que notre corps vieillit, on doit s'occuper de réparer et de remplacer ce qui fait défaut.

Le sénateur Cowan : En effet, ce n'est pas seulement le lot des brise-glaces.

Le sénateur Robichaud : Monsieur Turner, dans le dernier paragraphe de la première page de votre exposé, vous dites :

Comme il arrive si souvent, les organismes fédéraux semblent incapables de fonctionner de façon harmonieuse et de maximiser les moyens de chaque organisme ou ministère. Dans l'annonce de juillet dernier, il est regrettable que le gouvernement semble avoir jugé que la modernisation du reste de notre flotte vieillissante de brise-glace[...]

Pouvez-vous expliquer plus en détail en quoi les organismes fédéraux sont incapables de fonctionner de façon harmonieuse, et préciser les organismes ou ministères auxquels vous faites allusion?

M. Turner : Je tiens à souligner, sénateur, que je ne pointe pas du doigt des ministères en particulier. Tout ce que je dis, c'est que d'après ma vaste expérience au gouvernement, les ministères ont une tendance naturelle et innée à fonctionner en vase clos. Ce n'est pas étonnant puisque dans le système de cabinet britannique que nous connaissons tous très bien, les programmes et les services d'un ministère donné, assortis de leurs lois habilitantes, relèvent d'un sous-ministre et d'un ministre qui sont, à leur tour, responsables devant le Parlement. Ce système en tant que tel crée un certain isolement et centre le ministère sur lui-même, ce qui est une bonne chose. Toutefois, dans notre monde de plus en plus complexe, la coopération, la coordination et la collaboration entre les ministères sont essentielles.

Durant mon mandat au gouvernement, après avoir quitté la Garde côtière, j'ai participé au projet Gouvernement en direct afin de permettre aux Canadiens d'accéder aux services gouvernementaux par Internet. Nous avons déployé beaucoup de temps et d'efforts pour amener les ministères à collaborer et à travailler ensemble à la réalisation de ce projet. Des efforts similaires sont toujours nécessaires chaque fois que l'on veut amener des ministères gouvernementaux à travailler ensemble et à collaborer.

Un petit exemple qui m'a étonné l'autre jour, c'est que le ministère des Pêches et des Océans exploite sous contrat, depuis un bon moment, des aéronefs pour la surveillance aérienne des pêches. Lorsque la Garde côtière s'est jointe à l'organisation et a fusionné avec le reste du MPO, ces aéronefs ont également servi à certaines activités de surveillance antipollution. Maintenant que la responsabilité du programme a été transférée de nouveau à Transports Canada sur le plan de la réglementation — puisque c'est ce ministère qui s'est toujours occupé de la pollution causée par les navires —, j'ai remarqué que, depuis la dernière année, Transports Canada exploite ses propres aéronefs de surveillance pour repérer des navires pollueurs en mer. C'est formidable, c'est une démarche très positive, et nous devons faire davantage à cet égard. Toutefois, nous avons ici un ministère qui a une responsabilité verticale et qui a choisi de dépenser son argent pour faire voler des avions de Transports Canada à la recherche de déversements de pétrole ou de rejets intentionnels faits par des navires. Si le ministère travaillait en collaboration avec l'organisme commun chargé des services maritimes, à savoir la Garde côtière, je suis sûr qu'on aurait pu mettre en œuvre plus efficacement les activités entre plusieurs programmes et ministères, y compris les aspects liés à la surveillance des pêches. C'est un peu décevant parce que la surveillance des pêches, la lutte contre le trafic de drogue, les pêches, la patrouille de souveraineté générale — le fait d'arborer le drapeau, pour ainsi dire — ainsi que la surveillance antipollution actuelle sont autant d'activités qui peuvent très souvent être menées efficacement par une seule plateforme multidisciplinaire et multimissions.

Il y a une grande différence entre le fonctionnement traditionnel de la Garde côtière et celui du ministère des Pêches et des Océans. La Garde côtière vise à construire et à exploiter des plateformes aptes à assurer des missions multiples à chaque trajet, alors que le MPO — et maintenant Transports Canada, semble-t-il — a tendance à mettre l'accent sur la responsabilité à l'égard d'un programme particulier assigné à une unité opérationnelle donnée.

Je dois admettre que je n'ai pas examiné le programme de Transports Canada dans ses moindres détails, même si j'ai déjà travaillé pour ce ministère à une certaine époque. Toutefois, il est surprenant de voir que Transports Canada utilise un aéronef de ce genre, plutôt qu'un avion du gouvernement du Canada ou de la Garde côtière qui pourrait assurer de multiples missions pour différents ministères.

Le sénateur Robichaud : Il y a quelques semaines, j'ai vu à l'émission The National, un documentaire bien fait sur un avion chargé de surveiller les rejets en mer. Je l'ai écoutée avec un intérêt particulier parce que le pilote était le fils de mon voisin que je connais très bien. Êtes-vous en train de dire que cet avion est maintenant exploité par Transports Canada? J'avais l'impression que c'était la Garde côtière canadienne.

M. Turner : Non, je crois qu'il est exploité par des gens de Transports Canada. Ils font du beau travail; ils sont très professionnels. Les opérations aériennes de Transports Canada ont été un pilier et un élément primordial des opérations de la Garde côtière elle-même. Pendant des années, les responsables des opérations aériennes de Transports Canada ont exploité les hélicoptères de la Garde côtière, ainsi que tous les navires qui vont en Arctique ou dans le golfe en hiver, les brise-glaces, en plus de s'occuper de certaines missions le long des côtes, qui nécessitent l'utilisation d'hélicoptères. Ces hélicoptères, que possède et utilise la Garde côtière, sont pilotés et entretenus par les employés de Transports Canada qui montent à bord et qui agissent comme membres de la Garde côtière pendant leur séjour sur le navire. C'est un exemple qui illustre bien une intégration étroite et serrée, et Transports Canada l'a fait à maintes reprises dans le passé.

Le sénateur Cochrane : Êtes-vous en train de nous dire qu'il y a un conflit entre la Garde côtière et le MPO?

M. Turner : La Garde côtière fait partie du MPO. Je n'ai pas dit qu'il y avait un conflit. J'ai dit que la première décennie de son intégration au MPO a été une période éprouvante et difficile pour les deux organisations. La Garde côtière, surtout en ce qui concerne les opérations, utilisait sa flotte de manière différente des patrouilleurs de pêche et des chercheurs scientifiques du MPO. Cela a créé des défis de taille pour la Garde côtière et le MPO durant les premières années où l'on essayait de déterminer la façon de procéder.

Cela s'explique en partie, comme je l'ai indiqué dans mes observations préliminaires, par le manque de financement dans l'organisation responsable des pêches. Le sous-ministre de l'époque a fait exactement ce que tout bon sous- ministre doit faire, c'est-à-dire qu'il a réaffecté son financement selon l'ensemble des priorités du ministère; ainsi, une partie des fonds ont été retirés de la Garde côtière au profit d'autres priorités du MPO. Le sous-ministre a pris la bonne décision.

Toutefois, il leur a fallu beaucoup de temps avant d'en arriver à un modus operandi permettant de financer adéquatement les navires de la Garde côtière. Il existe toujours des problèmes de planification à long terme pour l'utilisation et le remplacement méthodique des navires. Ce n'est pas parce qu'il y a un conflit à l'intérieur du MPO. C'est la conséquence d'un certain nombre de facteurs, y compris les défis liés au financement à relativement court terme, défis auxquels le MPO semble faire face très souvent.

En ce qui concerne la façon dont la flotte était exploitée auparavant, il faut dire que le MPO avait tendance à utiliser les navires pour des missions uniques, sous la direction d'agents qualifiés. Très souvent, l'équipage du navire était composé d'employés embauchés pour une période déterminée afin de s'acquitter d'une mission particulière, sous la direction et le commandement de l'agent des pêches ou de l'expert scientifique en chef, par exemple, sauf dans les affaires de sûreté maritime.

La méthode de fonctionnement de la Garde côtière, pour sa part, a toujours consisté à former les agents des navires pour qu'ils deviennent des gestionnaires de programmes à part entière afin de gérer non seulement leurs propres budgets, mais aussi les aspects liés à l'exploitation du navire et à l'exécution du programme. Ces agents sont entrés dans l'organisation en pensant qu'ils allaient faire quelque chose de similaire à Pêches et Océans, c'est-à-dire qu'ils se verraient confier des responsabilités relatives à des programmes en matière de surveillance des pêches, des projets scientifiques et de gestion des océans pour s'en acquitter au mieux de leurs aptitudes. À cela s'ajouteraient d'autres tâches à accomplir en mer, car les navires sont conçus pour assurer des missions multiples. Ce n'est pas la façon dont le ministère des Pêches et Océans avait l'habitude de fonctionner. Ses employés étaient préoccupés, à juste titre, du coût opérationnel considérable associé à l'utilisation de navires qui étaient généralement plus gros que ce dont ils avaient besoin ou plus complexes que ce qui était nécessaire pour leurs fonctions particulières pendant une semaine donnée. Ils cherchaient essentiellement la plateforme la moins coûteuse possible pour jouer ce rôle.

J'ai dit que la Garde côtière fonctionne maintenant comme un organisme distinct. On a de plus en plus tendance à recentrer le budget, à reconnaître l'importance d'une présence fédérale en mer et à diviser le coût des programmes financés, comme l'application de la législation sur les pêches ou la recherche scientifique. Il y a une façon plus logique et responsable d'exploiter la flotte de la Garde côtière. Toutefois, tout cela se passe au MPO. Mais il n'y a pas de querelles entre les deux puisqu'ils ne font qu'un.

Le sénateur Cochrane : J'ai utilisé le mauvais terme en disant « conflit ».

Le sénateur Robichaud : Faut-il comprendre que les annonces faites auraient pour conséquence de réduire notre capacité globale à faire le travail que nous faisons maintenant et que les nouveaux navires ne seraient pas aussi efficaces que les plateformes que nous avons à l'heure actuelle?

M. Turner : Les nouveaux navires en question qui sont construits pour le MPO sont des patrouilleurs hauturiers et arctiques. Ils ne sont pas conçus pour remplacer les brise-glaces de la Garde côtière. Toutefois, le gouvernement dépense beaucoup d'argent pour construire ces nouveaux navires qui, par nécessité, seront de conception inédite étant donné qu'ils devront être en service pendant peut-être huit ou neuf mois en eaux libres et trois ou quatre mois dans la glace. Ce qui m'inquiète, c'est que cette dépense des deniers publics, même si elle crée une présence supplémentaire assez superficielle en Arctique pendant quelques mois, pourrait entraîner une réticence à financer le remplacement méthodique de la flotte de brise-glaces de la Garde côtière par une flotte adéquate pour les vraies opérations dans l'Arctique.

Je fais aussi remarquer, dans mes observations et l'article que j'ai écrit dans le journal, que la triste réalité, c'est qu'aussi bon que puisse être notre effectif naval, la seule expérience qu'il ait des opérations en des eaux recouvertes de glace, c'est quand il va à bord d'un navire de la Garde côtière ou un navire commercial pour un voyage. La Garde côtière est pour l'instant la seule à posséder de l'expertise des opérations en des eaux recouvertes de glace.

Le sénateur Robichaud : Vous dites bien que ce nouveau bâtiment appartiendra au MDN, pas à la Garde côtière?

M. Turner : Je ne parle pas du bâtiment qui remplacera le Louis S. St-Laurent, dont l'annonce a été faite cette semaine. Je parle des huit patrouilleurs de l'Arctique et du large qui ont été annoncés en juillet dernier. Le coût estimatif d'acquisition de ces patrouilleurs est de 3,1 milliards de dollars, et il faudra en plus 4,3 milliards de dollars pour leurs opérations et leur entretien sur toute leur durée de vie.

Je répète que je ne m'exprime pas au nom du ministère ou de la Garde côtière, mais je veux simplement dire que ce n'est pas le meilleur usage qui puisse être fait des ressources limitées du gouvernement du Canada, de l'argent des contribuables. Nous devrions nous assurer que la Marine soit munie de patrouilleurs du large optimisés pour tenir ce rôle dans des eaux recouvertes de glace, y compris dans les petites portions de l'Arctique qui ne sont pas glacées en été, comme c'est le cas maintenant, tandis que la Garde côtière devrait recevoir les ressources nécessaires pour renouveler et moderniser la flotte de brise-glaces utile à tous les ministères, y compris à celui de la Défense nationale. Par exemple, pour vous donner un exemple de scénario, le personnel de la Marine de la Défense nationale pourrait former un détachement pouvant à un certain moment être transporté à bord de certains des grands brise-glaces de la Garde côtière. Le navire peut bien être armé, mais l'aspect de l'armement serait sous le contrôle et la direction du MDN, et non pas du personnel de la Garde côtière à bord. Il y a des solutions, et d'autres pays ont trouvé des moyens efficaces de conjuguer ces responsabilités.

Ce que je crains, c'est que nous nous retrouvions avec une série de huit bâtiments de guerre coûteux transportant un poids phénoménal de métal additionnel et ayant la capacité de navigation dans les glaces qui naviguent sur des eaux ouvertes pendant deux tiers de l'année et inversement, qui vont dans l'Arctique pendant les mois d'été, mais ne peuvent rien faire d'autre que de naviguer sur des eaux recouvertes d'une mince couche de glace. Cela ne semble pas être la solution optimale.

Le président : Je pense qu'ils sont appelés par moquerie des « brise-gadoue ».

M. Turner : Pas par moi, je m'empresse de le préciser.

Le sénateur Cochrane : Et qu'en est-il de ce nouveau brise-glaces polaire qui a été annoncé hier? Qu'en pensez-vous?

M. Turner : C'est le remplacement direct du Louis S. St-Laurent. Je suis ravi que le gouvernement ait annoncé le remplacement du bâtiment amiral de la Garde côtière canadienne. Il aura 40 ans l'année prochaine. Il a rendu d'énormes services. Ce vaisseau a eu d'énormes succès. Cependant, il en est au point où une planification ordonnée et son remplacement deviennent essentiels si le Canada veut continuer d'assurer sa présence là-haut, d'une manière qui sera prise au sérieux.

Le Louis S. St-Laurent est malheureusement le seul grand brise-glaces que nous ayons de cette catégorie. À ce que j'ai compris de ma lecture de l'annonce qui a été faite avec le budget, le remplaçant de ce bâtiment de la Garde côtière aura de plus grandes capacités que le navire actuel. J'en déduis que ce sera peut-être un navire Arctic de classe 6, et je serais heureux que ce soit encore mieux. Cela soulève des questions sur la logique de construire un bâtiment qui a de bien plus grande capacité et de pouvoir que les autres. Peut-être devrait-il y en avoir deux. Cela me donne aussi espoir que le gouvernement actuel n'a pas oublié les autres navires qui sont là-bas, la flotte de la Garde côtière et les brise- glaces de la Garde côtière, parce que les autres navires — les vaisseaux de type 1200 qui sont un peu plus petits que le Louis S. St-Laurent et moins puissants et moins capables sur la glace — vieillissent eux aussi. Ils en sont au point où il faudrait commencer à planifier leur remplacement, à eux aussi. Le navire le plus récent de la flotte en Arctique qui a été construit à cette fin a déjà 20 ans. Même le Terry Fox, qui s'y trouve en ce moment, n'a pas été conçu pour durer 30 ou 40 ans, alors il est essentiel de le remplacer.

Je suis heureux que l'annonce ait été faite de ce qui est qualifié de remplacement du Louis S. St-Laurent, et qu'on ait dit que le nouveau bâtiment aura de plus grandes capacités que le Louis S. St-Laurent.

Le sénateur Cowan : Pour revenir sur une question et une réponse que vous avez données au sénateur Robichaud, ces navires qui ont été annoncés en juillet appartiendront au MDN, pas à Transports Canada?

M. Turner : Effectivement, ce ne seront pas des bâtiments de Transports Canada. Ce ne seront pas des navires de la Garde côtière et de Pêches et Océans Canada. Ce seront des navires du MDN, qui seront exploités par notre marine.

Le sénateur Cochrane : Divers médias, ces derniers temps, ont montré un intérêt marqué pour l'exercice de cartographie auquel s'adonne actuellement le Canada, mais aussi aux démarches similaires des États-Unis, de la Russie et de la Chine, entre autres. D'après ce que je lis et j'entends, c'est un dossier de plus en plus pressant. À votre avis, avons-nous des ressources suffisantes en place pour appuyer nos efforts pour assurer notre souveraineté dans l'Arctique? Que faisons-nous correctement, sur ce plan, et que faudrait-il faire de plus? Enfin, croyez-vous, personnellement, que notre souveraineté dans l'Arctique est menacée?

M. Turner : Vous avez posé plusieurs questions. Permettez-moi de parler brièvement des processus en cours sous le régime de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, relativement à la délimitation de caractéristiques sous-marines qui permettraient à un pays de revendiquer la gestion d'une région parce que ces caractéristiques sont une prolongation du plateau continental. C'est l'argument qui est posé quand on voit les bateaux russes se rendre là pour dresser la carte de la région et déposer des boîtes au fond de l'océan, au pôle Nord.

Le Canada a entrepris une démarche similaire. Il procède de manière ordonnée et méthodique et ce sont des professionnels de divers organes gouvernementaux qui en sont chargés. La Garde côtière participe à la fonction de soutien de certains de ces exercices de cartographie. Le plus gros de tout cela se fait de façon assez discrète, sans fanfare, avec divers navires, et même dans le cadre de projets internationaux de recherche, à partir d'avions et par des équipes qui sont sur les glaces de mer. Cela peut se faire de diverses manières, mais d'après ce que j'ai compris, la Garde côtière y est engagée et participe à l'appui de ce processus de cartographie. En tout cas, elle n'en assume certainement pas la responsabilité. C'est un élément essentiel d'une revendication visant la compétence juridique sous-marine relativement à la responsabilité de la gestion des ressources dans certaines parties de l'Arctique.

D'autres pays prennent cela très au sérieux. Les Russes ont une flotte de brise-glaces de capacité nettement supérieure pour appuyer ce genre de missions de recherche. Ils l'ont démontré lors d'un voyage récent très médiatisé au pôle Nord. De fait, en 1994, quand le bâtiment de la Garde côtière Louis S. St-Laurent, a fait un voyage au pôle Nord avec la Garde côtière américaine pour une mission de recherche scientifique, sur qui se sont-ils tombés en arrivant au pôle Nord, si ce n'est un énorme brise-glaces nucléaire très puissant de la Russie? Il était là non pour faire de la recherche scientifique mais pour filmer une émission télévisée avec un tas d'enfants, sur la glace. Il est intéressant qu'ils puissent consacrer ce genre de ressources pour filmer une émission de télévision.

Les Russes ont une capacité énorme comparativement à celle d'autres pays, avec leur flotte de brise-glaces nucléaires et leurs brise-glaces conventionnels. Les Américains ont trois navires qui sont plus puissants que les navires canadiens, dont les deux bâtiments polaires classiques, le Polar Sea et le Polar Star. Le Healy, leur plus récent brise-glaces de recherche, a aussi de grandes capacités.

En ce qui concerne la plus vaste question de la souveraineté, il s'agit beaucoup plus que de démontrer qu'on peut naviguer sur des eaux recouvertes de glace. Il faut pouvoir cartographier ces eaux et les caractéristiques sous-marines, ou pouvoir défendre ces eaux en repoussant les intrus avec force. Dans un article que j'ai publié dans un journal il y a quelques mois, je disais que les experts vous parleraient d'une règle de proportions de 80-20, et je m'empresse d'ajouter que je ne suis pas expert du droit de la mer ni des questions de souveraineté. En gros, 80 p. 100 de la capacité d'un pays de démontrer sa souveraineté sur ses eaux et les terres adjacentes est partie inhérente de la gestion et de l'application de ses lois, programmes et services dans cette région. Les 20 p. 100 sont liés à la capacité de décourager, de défendre, et il est certain que c'est un élément important.

Je soutiendrais que nous ne devrions pas négliger la nécessité d'avoir la capacité d'assurer notre présence dans l'Arctique et d'avoir des citoyens qui vivent en Arctique, comme ils le font maintenant; d'avoir, dans les ministères, les moyens d'appuyer nos programmes et services; et de pouvoir, y compris pour la Garde côtière, appliquer nos règlements et nos lois relativement à la pollution maritime, au passage des navires dans les eaux de l'Arctique et à la protection de l'environnement. Ce sont des aspects de la souveraineté qui revêtent une importance extrême.

Je crois bien qu'il y avait un troisième volet à votre question.

Le sénateur Cochrane : Je pense que vous avez répondu à tout. Je me préoccupais de la souveraineté.

M. Turner : Vous avez demandé si la souveraineté était menacée.

Elle est menacée, avec un petit « m », depuis plusieurs années dans le sens où la souveraineté que le Canada affirme sur toutes les eaux de l'Arctique n'est pas reconnue par plusieurs autres pays — principalement nos bons amis et collègues, les États-Unis. Bien des pays considèrent encore les eaux entre les îles de l'archipel Arctique comme constituant un détroit international dans lequel n'importe quel vaisseau devrait être libre de naviguer, dans la mesure où il respecte les règles internationales relatives à la sécurité et à la pollution maritimes.

Ce n'est pas l'avis du Canada. Peut-être des experts du domaine pourraient-ils vous expliquer l'historique de tout cela. Cependant, la menace existe dans le sens où si nous ne démontrons pas que nous pouvons gérer, contrôler et administrer ces régions, y compris les eaux et la glace qui les recouvrent — ce qui en est une composante essentielle — alors, il y a certainement menace dans le sens juridique.

Y a-t-il menace, avec « M » majuscule, au sens militaire? Je ne suis pas officier de l'armée, mais même ceux dont j'ai lu les propos ou avec qui j'ai parlé on dit que non, il n'y a pas de menace militaire immédiate, à leur connaissance. Vous devriez tout de même en discuter avec le MDN.

Le sénateur Cochrane : Dans le budget qu'a présenté le ministre Flaherty mardi, 20 millions de dollars sont réservés sur les deux prochaines années à des activités de collecte de données, ainsi qu'à des travaux juridiques pour permettre au Canada de préparer un dossier convaincant à présenter aux États-Unis sur les limites du plateau continental. Tout d'abord, que pensez-vous de cette somme de 20 millions de dollars? Et ensuite, qu'arriverait-il si le Canada manquait l'échéance de 2013?

M. Turner : Pour répondre aux questions en ordre, je suis heureux de constater cet apport de fonds additionnels. Il est essentiel, si on veut que les organisations et les ministères qui travaillent dans le domaine puissent s'acquitter de leurs tâches. Il ne servirait à rien d'arriver à cette date magique de 2013 en n'ayant fait que la moitié du travail. Cela ne passerait tout simplement pas. Toute revendication que nous pourrions vouloir faire dans de telles circonstances ne pourrait être qu'extrêmement faible, et peu susceptible d'être acceptée.

Quant à savoir si 20 millions suffisent, c'est une autre question. Les opérations, dans la région de l'Arctique, sont extrêmement coûteuses, vous le savez. Il ne s'agit absolument pas de la Garde côtière en tant que telle; il s'agit plutôt des programmes dans le sens plus large, bien qu'une portion de cette somme pourrait devoir être consacrée au soutien aux navires pour exécuter ces programmes. Je ne dirai pas que ce n'est qu'un acompte, mais je soupçonne que c'est une portion seulement du travail et des coûts associés à l'exécution de ces initiatives.

Les autres pays qui mènent de ces travaux trouveraient que c'est un investissement extrêmement modeste. Eux investissent beaucoup plus pour définir les limites sous-marines du plateau continental, pour en cartographier les caractéristiques et établir le bien-fondé de l'argument que ces caractéristiques sont une prolongation du plateau continental existant de leur pays, et par conséquent, qu'ils devraient pouvoir aller de l'avant d'ici à l'échéance et présenter un solide dossier de revendications.

Les ressources que l'on pense trouver dans ces régions, sous la mer, seraient importantes, pour ne pas dire énormes. Bien évidemment, tout pays a intérêt à s'assurer d'avoir autant de contrôle sur elles qu'il peut en revendiquer légitimement.

Si le Canada ne présente pas un tel dossier d'ici à l'échéance, je crois comprendre qu'il perdra la chance de pouvoir revendiquer son droit sur cette région à ce moment-là et toute action rétrospective ultérieure ne saurait avoir autant d'effet. Elle n'aurait pas à être reconnue dans le cadre du processus officiel qu'a établi la commission.

Je répète qu'il y a à Ottawa des gens qui sont beaucoup plus au fait de la question que moi, avec qui vous pourriez parler des implications du travail qui se fait, ainsi que du moment choisi pour le faire, et de la présentation du dossier à la Commission.

Le sénateur Robichaud : J'aurais une question au sujet de la souveraineté et de cette règle de 80-20, quand vous dites qu'une part de 80 p. 100 est liée à notre capacité de fournir les services et d'administrer les lois. Est-ce que vous entrevoyez quelque part où on pourrait contester notre capacité, relativement à ces 80 p. 100?

M. Turner : Encore une fois en tant que citoyen qui ne fait que suivre ce qui se passe dans notre région de l'Arctique, il n'y a aucun doute qu'on pourrait y contester nos droits. Il y a eu ralentissement dans certains secteurs d'activités en Arctique, comme la fermeture de la mine de Nanisivik, et de certains projets de développement, en Arctique.

Une très faible proportion de notre population est très éparpillée en Arctique — les Inuits, surtout. D'un autre côté, on constate une croissance importante de la navigation de navires étrangers dans cette région, généralement des navires de tourisme en été, et aussi l'occasionnel bâtiment commercial.

Personne n'en est au point d'essayer de faire du passage Nord-Ouest une voie maritime commerciale entre le Japon et l'Europe, mais c'est toujours possible, surtout si la glace continue de s'amincir dans les eaux de l'Arctique. Le défi qui se pose pour nous, c'est que l'Arctique est une région tellement vaste et si peu peuplée. En tant que Canadiens, nous avons tendance à affronter ce genre de problèmes un peu au jour le jour. Si un grand problème éveille l'attention des journaux et des médias, les gouvernements du jour — quelle que soit leur allégeance politique — tendent à y porter plus d'attention. Des démarches sont entreprises à court terme pour essayer de renforcer notre présence et d'appuyer nos gens qui vivent là-bas.

En tant que Canadiens, je pense qu'il nous faut investir plus dans notre Arctique, dans nos citoyens et nos collectivités. La clé de notre souveraineté dans l'Arctique, ce sont les gens qui habitent les terres et vivent et travaillent sur les glaces de l'Arctique. Ce n'est pas une question de jeter de l'argent dans des programmes publics pour naviguer sur ces eaux-là ou les faire occuper par un bâtiment équipé d'un gros canon. Ce qu'il faut, c'est démontrer chaque jour que cette région fait partie du Canada, et nous devons la gérer en tant que telle. Les habitants de cette région estiment qu'elle fait partie du Canada et nous devons affirmer ce fait au quotidien. Nous devons administrer nos lois, offrir nos programmes et fournir des services aux citoyens et aux compagnies qui sont dans la région, comme nous le ferions s'ils se trouvaient au centre-ville de Toronto, pour donner un exemple extrême. C'est ce genre d'investissement et de détermination à affirmer non seulement notre souveraineté, mais notre capacité de vivre et d'exploiter le territoire, les terres, les eaux et la glace de l'Arctique qui sera un important plaidoyer en notre faveur plus tard.

L'initiative actuelle de cartographie est un enjeu très particulier et spécifique. Cependant, le défi au quotidien consiste à démontrer comment nous, en tant que Canadiens, sommes aussi un peuple de l'Arctique. Nous devons assumer sérieusement nos responsabilités à l'égard des habitants de l'Arctique, qui tirent leur subsistance de l'Arctique, sur terre et sur la glace. Ce sont des citoyens canadiens au même titre que tous les autres. Je pense que c'est un aspect essentiel de la souveraineté sur l'Arctique.

Les services publics que fournissent les organisations comme la Garde côtière, dans le cadre des services de Pêches et Océans, y contribuent. C'est une contribution importante. La réalité est beaucoup plus vaste et elle consiste à démontrer comment on gère, on administre, et on sert les habitants de la région.

Le président : Avant de laisser la parole au sénateur Watt, à propos de la souveraineté, nous allons accueillir la semaine prochaine le professeur Michael Byers, de la Colombie-Britannique, qui est l'un des — sinon « le » — grands experts canadiens du domaine. J'ai assisté il y a une dizaine de jours, sur son invitation, à un séminaire qui a eu lieu ici, à Ottawa. C'était une négociation modèle entre le Canada et Paul Cellucci, des États-Unis.

Je voulais vous expliquer ce que je viens de faire distribuer et pourquoi. Je m'excuse que ce soit seulement en anglais. Ce sont ici les résultats de la négociation modèle qui s'est déroulée entre les équipes canadienne et américaine. C'était un jeu. Personne ne représentait personne, et personne n'avait le moindre pouvoir. C'était simplement un jeu qu'ils ont joué. Au bout du compte, ils ont produit ce document. Je voulais le donner aux membres du comité avant la semaine prochaine pour que nous sachions de quoi il s'agit. Peut-être cela nous aidera-t-il à discuter de cette question avec le professeur Byers quand il comparaîtra devant le comité.

Le sénateur Watt : Merci, monsieur le président.

Monsieur Turner, je ne peux que vous dire combien je suis d'accord avec vous sur bien des questions que vous avez soulevées. Je pense que l'Arctique a souffert du fait qu'en tant que gouvernement, nous avons tendance à ne réagir que lorsqu'il y a une crise. Nous devons nous préparer et nous mettre en bonne position pour pouvoir déterminer comment composer avec les enjeux concernant l'Arctique. Nous n'y avons jamais investi suffisamment d'efforts, sans parler du manque constant d'argent pour pouvoir réaliser quoi que ce soit.

En ce qui concerne l'état de préparation, en notre qualité de parlementaires, je ne crois pas que nous soyons prêts pour l'éventualité d'une crise en Arctique. Par exemple, s'il survenait un énorme déversement de pétrole, je ne peux même pas m'imaginer avec quel pays nous communiquerions d'abord, qui pourrait avoir l'expertise nécessaire pour faire face à pareille situation. Il y a aussi le problème du transport du matériel nécessaire en Arctique s'il arrivait une crise. J'aimerais savoir ce que vous pensez de cet aspect particulier. Nous n'avons aucune plateforme pour nettoyer les dégâts s'il y avait un déversement dans les glaces de l'Arctique. Nous savons tous que la glace s'amincit. Il restera toujours une certaine quantité de glace en bordure des baies. Le dégagement de la mer libre se fera certainement avant que la glace disparaisse dans les coins et dans ces baies.

Voici donc la première question que je vous pose. J'ai d'autres sujets de préoccupation, dont j'aimerais vous parler ensuite.

M. Turner : Sénateur, je serais d'accord qu'avec l'augmentation de la circulation maritime, le risque d'un déversement accidentel de pétrole en Arctique augmente. L'historique de cette question remonte aux modifications à la Loi sur la marine marchande du Canada, quand des dispositions ont été prises et des négociations menées avec les compagnies pétrolières du secteur privé pour qu'elles financent, au moyen d'un régime de droits, la création d'un dépôt de matériel d'intervention contre la pollution par le pétrole, et pour former leurs gens à l'utilisation de ce matériel dans le sud du Canada. Il n'y a rien de tel pour l'Arctique. C'est la Garde côtière qui assume cette responsabilité en Arctique.

La Garde côtière a des dépôts à divers endroits en Arctique, avec le matériel d'intervention contre la pollution, mais je pense qu'elle serait la première à admettre qu'elle aurait bien du mal à intervenir de manière adéquate s'il survenait un important déversement dans les eaux recouvertes de glace, à cause de défis opérationnels que cela présenterait.

C'est certainement un domaine dans lequel plusieurs ministères pourraient intervenir. C'est peut-être là l'ironie de la situation. Je faisais une critique, tout à l'heure, en disant qu'il n'y a rien comme une crise pour stimuler la coopération et la collaboration entre les peuples. Ils réagissent promptement et font un excellent travail. Je pourrais donner de nombreux exemples de situations dont j'ai été témoin dans mon temps, où la collaboration entre les ministères a été superbe.

La Garde côtière entretient d'excellentes relations de travail avec le MDN, par exemple. Vous constateriez que toutes les ressources du Canada entreraient rapidement en œuvre. Un avion du MDN, comme le Hercules, transporterait du matériel supplémentaire vers le Nord et le parachuterait dans le secteur approprié. Je ne saurais trop insister sur la nécessité pour la Garde côtière d'avoir une plateforme flottante et des brise-glaces capables de naviguer dans le secteur. On ne peut pas faire grand-chose sans une plateforme d'où lancer les opérations.

Nous devons prendre garde aux limites de notre capacité de réagir à un grave déversement en Arctique. Il est certain que s'il survenait un important déversement, ses répercussions sur l'environnement pourraient être graves. Je sais, par expérience, qu'il est extrêmement difficile de nettoyer du pétrole et de la glace. Nous devons faire un effort. Nous devons faire tout en notre pouvoir. Ce ne sera pas une excuse acceptable pour les Canadiens de tout le pays — pas seulement en Arctique — que de dire « Oh, nous n'avions pas assez de matériel en stock ». Peut-être le gouvernement devrait-il réfléchir au financement de la Garde côtière, qui est directement responsable de l'intervention contre la pollution maritime en Arctique.

Le sénateur Watt : Nous comptons aussi toujours sur la source de recettes fiscales du gouvernement, si on peut le dire ainsi, alors nous tendons à nous fier au gouvernement, à bien des égards. Cependant, avec les énormes responsabilités qu'assume parfois le gouvernement, il faut admettre que la caisse est vide.

Que pensez-vous de la possibilité de faire intervenir les fonds privés, d'une manière ou d'une autre? Autrement dit, le secteur privé devrait aussi jouer un plus grand rôle dans les activités en Arctique parce que le temps va nous manquer, selon moi. Que penseriez-vous d'une entente de partenariat entre le secteur privé et le gouvernement?

M. Turner : Sénateur, il serait extrêmement difficile de compter sur les exploitants du secteur privé pour financer une forte amélioration de la capacité d'intervention contre les déversements en Arctique. Le secteur privé part du principe qu'il doit avoir des activités commerciales d'importance dans une région pour accepter le principe d'être taxé, selon sa vision des choses, pour assurer une capacité d'intervention en cas d'incident comme un déversement de pétrole. C'est pourquoi le système qu'il y a dans le sud du Canada fonctionne tel qu'il le fait maintenant. J'ai personnellement dirigé les négociations avec les compagnies pétrolières du secteur privé pour créer la capacité que nous avons maintenant. Quant à savoir si c'est suffisant, c'est une autre question.

En Arctique, vous auriez énormément de difficulté à vous faire entendre par un groupe de compagnies pétrolières auxquelles vous voudriez suggérer que ce serait à elles de payer pour nettoyer un déversement de pétrole, parce que dans la plupart des cas, ce ne serait pas elles qui auraient amené le pétrole jusque là. Il est certain qu'elles ne font pas traverser l'Arctique à leurs navires pétroliers. Elles répondraient que la cause plus probable d'un déversement de pétrole serait un navire de croisière d'un autre pays transportant des touristes étrangers, et les compagnies pétrolières se demanderaient pourquoi on compterait sur elles pour en assumer les frais.

Je pourrais suggérer qu'il y a possibilité de financement, à même la plus vaste gamme des recettes et des dépenses publiques, pour réaliser des activités d'une envergure que les Canadiens jugeraient appropriée. La question qu'il faut se poser est qu'est-ce que nous taxons et comment, et que faisons-nous avec ces recettes? Les Canadiens doivent prendre la décision, à savoir si l'Arctique revêt pour eux assez d'importance pour investir immédiatement afin de nous assurer d'avoir un niveau adéquat de protection; autrement dit, pour acheter une assurance contre tout déversement important. C'est ce que c'est : une assurance. Ce ne sera tout de même jamais assez, dans le sens où il y aura toujours des dommages s'il y a un déversement important.

Je crois que mes anciens collègues de la Garde côtière feront de leur mieux. Ils appelleront à l'aide tous les experts du monde, y compris d'autres ministères du Canada, mais il sera coûteux d'entretenir là-bas une capacité suffisante. Elle sera aussi le complément de la capacité du Sud. Avant de dire que nous ne pouvons nous le permettre en tant que pays, peut-être devrions-nous penser à ce que cela coûterait de ne rien faire s'il survenait un accident.

Le sénateur Watt : Seriez-vous porté à faire des études de faisabilité?

M. Turner : Il serait temps de mettre à jour les données sur le niveau des opérations maritimes en Arctique en regard de nos préoccupations sur les incidents potentiels de pollution importante. Non seulement la Garde côtière et le MPO devraient y participer, mais aussi Transports Canada et Environnement Canada. Nous devrions examiner de près ce qui se passe, en quoi les modèles de navigation ont changé, qui circule dans la région, quel est le degré de risque, quelle est notre capacité et ce que font d'autres pays dans des situations similaires.

Le sénateur Watt : Si on voulait que le gouvernement agisse plus rapidement dans le secteur, est-ce que cela devrait faire partie, selon vous, des recommandations de ce comité?

M. Turner : Il est clair que ce n'est pas à moi de dicter vos recommandations, mais je serais heureux de le voir dans votre rapport. Ce serait excellent.

Le sénateur Adams : Je vis avec le peuple du Nunavut, et lui aussi a des questions.

La première fois qu'il a été question de souveraineté dans l'Arctique, c'était en 1953. Le C.D. Howe a transporté des Inuits en Extrême Arctique, à Resolute et au fjord Grise. J'ai emmené ma famille à Churchill. Peut-être était-ce avant votre temps dans la Garde côtière.

M. Turner : Oui, sénateur.

Le sénateur Adams : En ce qui concerne la souveraineté dans l'Arctique, vous dites que nous sommes tous Canadiens. Nous en parlons entre nous et le gouvernement du Canada, mais la souveraineté dans l'Arctique ne semble rien donner, d'après ce que j'ai pu voir. À mon avis, les gens là-bas devraient aller devant les Nations Unies et dire « Pourquoi vous battez-vous pour la souveraineté dans l'Arctique? Nous avons une revendication territoriale qui est réglée, et c'est nous qui vivons là ». Au moins les habitants de cette région savent que ce sont des terres canadiennes. L'Arctique a été peuplé par d'autres pays aussi — les États-Unis, la Russie et le Danemark.

Les Nations Unies devraient pouvoir dire quelque chose aux peuples autochtones qui ont passé toute leur vie dans cette région. Je répète, en ce qui concerne la souveraineté dans l'Arctique, pourquoi nos terres et nos eaux devraient- elles nous être enlevées?

M. Turner : J'insiste encore une fois que je ne suis pas expert du domaine, mais à ce que je comprends, ce qui se passe dans l'Arctique suscite beaucoup d'intérêt mais il n'y a absolument aucun débat sur la souveraineté du Canada sur les îles et les terres. Le débat, si je peux l'appeler ainsi, porte sur les eaux recouvertes de glace qui sont entre les terres. Comme nous le savons tous au Canada, il y a une distinction dans la manière dont on traite l'eau qui est durcie, si je peux le dire ainsi, sur laquelle on peut se déplacer, travailler et chasser, et l'eau liquide, sur laquelle on navigue. Bien souvent, dans l'Arctique, c'est le premier régime, celui de l'eau glacée, qui gouverne la vie et les actions de la population, particulièrement dans les colonies autochtones.

Le vrai problème, en ce qui concerne la souveraineté, c'est le fait que le Canada a choisi de revendiquer les eaux qui sont entre les îles, les eaux de l'archipel arctique, ou de clairement déclarer sa souveraineté sur elles. D'autres pays, en faisant fond sur le droit maritime qui est avalisé et formulé entre les Nations Unies, disent « Non, à ce que nous comprenons de l'interprétation du droit maritime actuel, ces régions constitueraient de fait un détroit international dans lequel nous devrions pouvoir naviguer librement ».

Le problème, quand on saisit les Nations Unies de ce type de question, c'est qu'on risque de ne pas obtenir la réponse que l'on souhaite, dans le sens où ces lois qui définissent clairement ce qui est censé être un détroit ou une voie de navigation internationaux ont été, de fait, formulées par les Nations Unies. Un sage que j'ai eu pour patron m'a déjà dit « Assure-toi d'être prêt à entendre la réponse avant de poser la question ».

Personnellement, je pense que le Canada a une position beaucoup plus solide s'il démontre sa gestion active, son administration et sa souveraineté sur les eaux plutôt que de soutenir devant les Nations Unies qu'il devrait être considéré souverain.

Le sénateur Adams : Il nous a fallu 30 ans pour régler cette revendication territoriale.

M. Turner : C'est vrai.

Le sénateur Adams : À ce sujet, je me souviens que l'ITC, avant le NTI est allé aux Nations Unies parce qu'il nous fallait résoudre ces revendications territoriales avec le gouvernement du Canada. Les Nations Unies ont dit « vous avez les terres, et vous avez droit de revendication sur elles ». C'est pourquoi je vous ai posé cette question sur les Nations Unies.

M. Turner : C'est un excellent exemple de ce à quoi je veux en venir. Dans cette situation, le droit et la pratique en vigueur, qui sont acceptés à l'échelle internationale, ont clairement reconnu que vous aviez ce droit de revendication parce que vous habitiez les terres. Le climat international, l'environnement et le cadre juridique qui ont été collectivement créés dans le monde entier, particulièrement depuis un demi-siècle, appuyaient clairement cette action. Cependant, on voudrait être sûrs que le cadre sous lequel vous vous appuyez soutient la position que vous voulez défendre dans le cas des eaux de l'Arctique du Canada.

Le sénateur Adams : Vous avez dit ne pas être d'accord pour que l'armée et la marine dépensent plus de 3 millions de dollars dans le futur. Selon vous, qu'est-ce qui vaudrait mieux pour la souveraineté dans l'Arctique?

M. Turner : Pour revenir à mon domaine d'expertise, les opérations de la Garde côtière, ce que je préférerais serait de dire à la marine que nous allons financer la construction d'un nombre suffisant de vaisseaux de patrouille optimisés au large, peut-être avec un certain degré de capacité de navigation sur les glaces minces, pour tenir compte du fait que pendant une bonne partie de l'année, nous avons de la glace même dans les eaux du sud, sans essayer de concevoir un navire hybride qui puisse naviguer dans les eaux de l'Arctique, dans les glaces, pendant trois ou quatre mois de l'année.

En ce qui concerne le quiproquo, ou l'envers de la médaille, j'investirais l'argent du gouvernement, aussi, dans la modernisation et la mise à jour des navires de la Garde côtière canadienne, et je m'assurerais que les brise-glaces de la prochaine génération construits pour l'Arctique soient tout à fait capables d'appuyer tous les ministères, tous les organismes, et que l'on puisse mettre sur pied et appuyer un détachement armé de la Défense nationale ou de la GRC, par exemple. Ainsi, les navires pourraient être d'une utilité optimale pour tout le gouvernement.

Le président : J'ai une dernière question au sujet de la structure. Vous avez dit que la Garde côtière est maintenant un organisme dépendant, mais il relève encore du MPO, n'est-ce pas?

M. Turner : Oui. J'hésiterais à le qualifier d'indépendant. Il est appelé un organisme de service spécial. C'est un arrangement administratif avec les représentants du Conseil du Trésor et le Cabinet dans lequel une organisation au sein de la structure normale du gouvernement peut être désignée comme une agence. Il arrive qu'ils aient des lois spécifiques pour les appuyer. L'Agence de revenu du Canada et l'Agence des services frontaliers du Canada en sont de bons exemples.

La Garde côtière n'est pas une société d'État. Elle fait encore partie du ministère des Pêches et Océans à tous les points de vue, mais elle jouit d'une plus grande flexibilité administrative, ce qui est une bonne chose.

L'inconvénient à cela, cependant, c'est que dans ce cas, la désignation de la Garde côtière comme organisme de services spéciaux s'est accompagnée d'un transfert à un autre ministère de la responsabilité des programmes concernant la sûreté maritime et d'autres domaines que la Garde côtière appuyait déjà. Je ne suis pas sûr que ce soit nécessairement la bonne chose à faire parce que cela donne l'impression qu'on essaie de faire de la Garde côtière un organisme de prestation de services opérationnels, et rien que cela.

Le président : J'avais pensé examiner la structure de la Garde côtière. J'espérais que nous pourrions discuter de toute la question de savoir où en est la Garde côtière maintenant, où elle devrait être et ce qu'elle devrait faire. Nous n'en avons pas le temps maintenant, alors j'en prends note pour une prochaine occasion.

Je vous remercie d'être venu. Vous nous avez été très utile. Il pourrait être bon que vous puissiez revenir à un stade plus avancé de nos délibérations. Quand nous aurons avancé et nous serons fait une meilleure idée de la situation, vous pourriez revenir faire une critique de nos idées et nous dire si elles sont bonnes ou non.

La séance est levée.


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