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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans

Fascicule 4 - Témoignages du 6 mars 2008


OTTAWA, le jeudi 6 mars 2008

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui, à 10 h 59, pour examiner, en vue d'en faire rapport, les questions relatives au cadre stratégique actuel, en évolution, du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et océans du Canada.

Le sénateur Bill Rompkey (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : À ceux qui regardent cette audience à la télévision, nous sommes le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. En ce moment, nous étudions des questions se rapportant à l'Arctique et, plus précisément, à la Garde côtière du Canada.

Nous avons entendu un certain nombre de témoins. Pour l'instant, nous prévoyons nous rendre dans l'Arctique — peut-être dans la première semaine de juin, si nous pouvons régler les détails du voyage — pour entendre le témoignage des personnes habitant là-bas. Pour le moment, nous nous occupons d'entendre des témoins ici, à Ottawa.

Je me réjouis tout particulièrement d'accueillir aujourd'hui M. Michael Byers. Il y a quelque temps, j'ai eu le plaisir d'assister à une simulation de négociation entre le Canada et les États-Unis sur la sécurité dans l'Arctique. C'est l'une des activités les plus intéressantes auxquelles j'ai eu l'occasion d'assister, et j'espère que nous entendrons quelque chose à ce sujet aujourd'hui.

M. Byers est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en politique et en droit internationaux à l'Université de la Colombie-Britannique. Il est, selon moi, le plus grand expert canadien en droit international, et il est également chef de projet à ArcticNet et l'auteur d'Intent for a Nation : What is Canada For? M. Byers a voyagé dans l'Arctique. Il a navigué dans le passage du Nord-Ouest en octobre 2006. C'est avec grand plaisir que nous l'accueillons aujourd'hui.

Les membres du Comité permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles ont fait savoir qu'ils souhaitaient assister à cette audience, et je m'attends à ce que quelques-uns d'entre eux se présentent. En attendant, le sénateur Cochrane, qui est aussi membre du comité de l'énergie, se trouve parmi nous. Nous souhaitons que les deux comités se rendent ensemble dans l'Arctique afin qu'il y ait là-bas un nombre important de membres du Sénat qui réaliseront une étude exhaustive, ce qui fait partie du mandat de chaque comité.

Sans plus tarder, je voudrais accueillir M. Byers et lui demander de faire quelques commentaires, après quoi nous lui poserons nos questions.

Je voudrais seulement ajouter qu'on vous distribue, à l'instant, l'article de M. Byers qui a paru ce matin dans l'Ottawa Citizen. Il est très à propos et porte sur l'objet de la simulation de négociation qu'il a récemment dirigée.

Monsieur Byers, je vous souhaite la bienvenue.

Michael Byers, professeur, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en politique et en droit internationaux à l'Université de la Colombie-Britannique : Mesdames et messieurs les sénateurs, c'est un grand plaisir et un grand honneur d'être ici. En ma qualité d'universitaire, je suis à même d'apprécier l'importance absolue d'un deuxième examen objectif. Le Sénat joue un rôle essentiel dans notre démocratie parlementaire.

[Français]

Je dois dire que je parle français. Je vais parler en anglais aujourd'hui mais si quelqu'un désire poser une question en français, je suis bien capable de répondre.

[Traduction]

Je vais prendre trois ou quatre minutes pour donner un aperçu de mes principales préoccupations. Premièrement, je constate que les eaux arctiques du Canada deviennent de plus en plus accessibles à la navigation, et que cela se produit à un rythme que nul n'aurait cru possible auparavant. Lorsque j'ai navigué dans le passage du Nord-Ouest à la fin d'octobre 2006 à bord du brise-glace de recherche Amundsen, nous n'avons vu presque aucune glace. En fait, dans le détroit de Bellot, à 750 kilomètres au nord du cercle polaire arctique, l'un des points de passage obligé du passage du Nord-Ouest, il n'y avait aucune glace en date du 23 octobre 2006.

Entre cette date et l'automne 2007, la planète a perdu 1,2 million de kilomètres carrés de glaces marines de plus dans l'Arctique. Le taux de perte est sans précédent. Cette situation dépasse les pires scénarios envisagés par les experts des glaces marines de l'Arctique.

Je n'ai aucune idée de ce qui se produira dans les années à venir — personne ne le sait. Il est possible que les glaces marines se reforment un jour. Toutefois, il existe également une forte possibilité, un risque, que la fonte des glaces se poursuive et peut-être même s'accélère. Selon moi, pour qu'une politique gouvernementale soit adéquate, elle doit se fonder sur une analyse des risques. S'il y a une probabilité de 20 p. 100 que le passage du Nord-Ouest soit accessible au transport maritime, le gouvernement doit rapidement faire le nécessaire pour contrer les risques afférents et parer à toute éventualité. Je crois que la probabilité est supérieure à 20 p. 100; je crois qu'il s'agit presque d'une certitude. Mais il est très important de comprendre que nous ne pouvons attendre d'être certains. On ne peut attendre que les scientifiques affirment avec certitude que le passage du Nord-Ouest est navigable pendant une bonne partie de l'année ou même tout au long de l'année pour mettre en place la politique gouvernementale appropriée. Nous devons examiner les données scientifiques et l'évolution de la fonte des glaces pour aller au-devant des risques, et nous devons le faire maintenant.

Si je vous dis cela, c'est parce que l'administration fédérale a tendance à minimiser le risque et à faire ressortir la possibilité que la glace ne fonde pas. Je souhaite que les personnes qui avancent un tel argument aient raison, mais mon expertise me fait craindre qu'ils ont tort.

Deuxièmement, la disparition rapide des glaces nuit à l'agréable statu quo qui prévaut dans nos relations avec les autres pays lorsqu'il est question de la navigation dans l'Arctique. Tant qu'il y avait des glaces marines dures et épaisses, nos intérêts étaient protégés, et nous pouvions nous permettre d'être en désaccord avec d'autres pays. Il n'y a eu qu'une seule cause de friction entre le Canada et les États-Unis — l'affaire des brise-glace américains — quand les glaces étaient épaisses, et les deux pays ont conclu une entente en 1988. En effet, l'Accord sur la coopération dans l'Arctique, aussi appelé accord sur les brise-glace, a été signé par le premier ministre Mulroney et le président Reagan pour régler le seul point litigieux à survenir pendant les conditions de glace épaisse qui ont prévalu jusqu'à tout récemment. Nous avons réglé le différend, et nous pouvions convenir de ne pas nous entendre tant que les glaces étaient présentes.

Toutefois, en raison de la fonte des glaces, le statu quo, soit la possibilité de laisser les glaces protéger nos intérêts, ne constitue plus une politique viable à long terme. Il nous faut mettre au point une nouvelle forme d'engagement et de nouveaux moyens de coopération si nous voulons maintenir notre position juridique et, surtout, nous prémunir contre les risques et les embûches associés à une augmentation du transport maritime dans cette région. Les risques sont multiples. En effet, il y a des risques en matière d'environnement — imaginez qu'un scénario semblable à celui de l'Exxon Valdez se produise dans le détroit de Lancaster. Il y a aussi les répercussions possibles sur les peuples autochtones — songez aux conséquences que pourraient avoir les brise-glace près d'Igloolik sur le mode de vie traditionnel axé sur la chasse des Inuits du bassin Foxe.

Il y a également des préoccupations liées à la sécurité. À mon avis, ces risques sont relativement faibles, mais non moins réels. Il s'agit de l'immigration illégale et du trafic de stupéfiants, sans compter le risque, quoique minime, du trafic d'armes de destruction massive par cette nouvelle voie maritime internationale. Ces menaces à la sécurité préoccupent tout particulièrement nos amis américains. Quant à mes craintes, qui reflètent, selon moi, celles de nombreux Canadiens, elles s'articulent autour des dimensions relatives à l'environnement et aux peuples autochtones. Mais nos voisins du Sud se sentent beaucoup plus interpellés par la dimension se rapportant à la sécurité. Il n'y a rien de mal à avoir des préoccupations différentes, pourvu que nos inquiétudes se traduisent par des objectifs communs. Si c'est bel et bien le cas, la différence d'intérêts n'a pas tant d'importance.

Comme l'a mentionné le sénateur Rompkey, Paul Cellucci, ancien ambassadeur des États-Unis au Canada, ainsi que moi-même avons participé à une négociation fictive — exercice qui n'avait rien d'officiel et qui n'était, en aucun cas, contraignant ou définitif — simplement parce que nous espérions montrer qu'un groupe d'experts du Canada et des États-Unis pouvait discuter de façon constructive des possibilités de coopération à l'égard de la navigation dans l'Arctique, même s'il était impossible, à court terme, de résoudre le différend juridique sous-jacent en ce qui concerne la situation du passage du Nord-Ouest. Je suis satisfait des résultats. Vous avez lu les recommandations dont nous avons convenu ou, du moins, vous y avez accès. L'article que j'ai écrit dans l'Ottawa Citizen visait à faire connaître ces recommandations aux personnes qui n'ont pas assisté à la simulation ce jour-là.

En collaboration avec les États-Unis, nous pouvons entreprendre des démarches qui feront en sorte que ce pays aura confiance dans la volonté et la capacité du Canada de s'attaquer aux difficultés que présente le passage du Nord-Ouest en ces temps où l'état des glaces évolue rapidement. En renforçant la confiance des États-Unis, nous pourrons, au fil du temps, les amener à reconnaître et à accepter la position juridique du Canada.

Enfin, dans les prochains mois, il faut que le gouvernement prenne une décision relativement à une question très préoccupante qui porte sur le mandat élargi de votre comité et qui est d'une importance capitale en matière de souveraineté et de protection environnementale dans les eaux de l'Arctique. Je parle ici de la nécessité pour le gouvernement canadien de prendre une décision à l'égard de la vente de RADARSAT-2. Cet extraordinaire satellite de télédétection a été construit grâce à un partenariat public-privé entre le gouvernement du Canada et une entreprise canadienne, MacDonald, Dettwiler and Associates, et il a été lancé en décembre 2007. Le satellite a été conçu, d'abord et avant tout, pour cartographier les glaces marines et repérer les navires en mer, tant dans l'Arctique que sur les côtes Est et Ouest. Il s'agit d'une technologie incroyable.

Or, MacDonald, Dettwiler and Associates a récemment décidé de vendre le satellite à un très gros fournisseur américain de produits militaires, Alliant Techsystems, qui est situé au Minnesota. On peut se demander dans quelle mesure le Canada conservera un accès prioritaire ou, comme on l'appelle parfois, un droit de regard, c'est-à-dire la capacité de réquisitionner le satellite aux fins des priorités canadiennes, surtout celles qui se rapportent à la sécurité nationale. Par exemple, on peut penser que, si un navire étranger pénètre dans les eaux arctiques du Canada, notre gouvernement voudra savoir ce qu'il fait là. Ce satellite a été conçu pour nous donner une telle capacité. Conserverons- nous cet accès prioritaire, ce droit de regard, une fois que le satellite aura été vendu à une entreprise étrangère, ou perdrons-nous toute autorité? Le pouvoir d'octroyer des licences sera-t-il cédé au gouvernement américain, et le Canada perdra-t-il essentiellement l'accès au satellite dans les situations urgentes, soit lorsqu'il en a le plus besoin?

Personne ne peut répondre à ces questions. Personne ne peut me dire si le Canada conservera son accès prioritaire, autrement dit, s'il continuera d'avoir un droit de regard.

En l'occurrence, deux ministres doivent intervenir : le ministre de l'Industrie, M. Prentice, sous le régime de la Loi sur Investissement Canada, et le ministre des Affaires étrangères, M. Bernier, qui, aux termes de la Loi sur les systèmes de télédétection spatiale de 2005, doit décider si la vente peut avoir lieu, compte tenu des répercussions possibles sur la sécurité nationale et sur la défense du Canada.

Il y a deux ministres, de sorte que l'issue repose sur deux critères : celui qui est prévu dans la Loi sur Investissement Canada et celui, beaucoup plus important, qui relève de M. Bernier. J'exhorte donc le comité à se pencher très bientôt sur cette question, car il est impératif que les deux ministres prennent les décisions qui s'imposent d'ici les deux à trois prochains mois.

Je crois que RADARSAT-2 est tout aussi important pour l'affirmation de notre souveraineté et pour la surveillance des navires étrangers dans l'Arctique, sur la côte Est, dans le Saint-Laurent et ailleurs, que le nouveau brise-glace polaire de 750 millions de dollars que le gouvernement s'est récemment engagé à construire.

Je terminerai mon exposé par cette question : autoriserions-nous la vente de ce brise-glace à une entreprise étrangère une fois qu'il est construit? Je ne crois pas. À bien des égards, on peut établir un parallèle entre le brise-glace et le satellite.

Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Je vous remercie beaucoup. Votre exposé était très intéressant.

[Français]

Le sénateur Robichaud : RADARSAT-2 laisse-t-il le Canada sans autres moyens de voir et de contrôler ce qui se passe dans l'Arctique?

[Traduction]

M. Byers : L'ancêtre de RADARSAT-2, appelé à juste titre RADARSAT-1, demeure en orbite. Il a dépassé sa durée de vie prévue et continue de produire des images. Je me suis fié à ces images dans le passage du Nord-Ouest, mais le satellite se fait vieux, et la technologie n'est plus à la fine pointe comme l'est celle de RADARSAT-2.

Pour répondre à votre question, je dirais que nous disposons d'une certaine capacité. Toutefois, on envisage maintenant de vendre à une entreprise étrangère l'engin que le gouvernement canadien a décidé de construire il y a dix ans pour remplacer RADARSAT-1, dans lequel il a investi 445 millions de dollars provenant des contribuables et qui a été lancé il y a tout juste trois mois. Or, il est extrêmement important de savoir si le Canada conservera un accès prioritaire aux données du satellite.

Envisageons le pire des cas. Nous avons lieu de croire qu'un navire américain s'approche du passage du Nord-Ouest sans notre accord. Si ce sont les États-Unis qui ont le pouvoir d'octroyer des licences, sommes-nous certains qu'ils nous donneront accès aux images de ce navire?

Imaginons maintenant une éventualité moins dramatique. Nous soupçonnons qu'un pétrolier monocoque battant pavillon libérien s'approche des eaux arctiques canadiennes. Nous voulons obtenir des images immédiatement, mais une guerre a éclaté au Moyen-Orient, et il y a une forte demande pour des images de la région touchée. Les États-Unis incitent Alliant Techsystems à réserver l'utilisation du satellite à la surveillance de la zone de guerre. Pourrions-nous alors invoquer la priorité d'accès et demander des images du détroit de Lancaster?

Comme l'indique ma collaboration avec M. Celucci, je suis prêt à coopérer avec les États-Unis. Toutefois, le pays ne peut tenir pour acquis qu'il disposera de l'accès dont il a besoin, quand il le voudra, s'il perd la mainmise que lui garantit la loi.

Le sénateur Cochrane : Pourriez-vous remonter dans le temps et m'en dire un peu plus au sujet des débuts du satellite?

M. Byers : RADARSAT-2 est un satellite de télédétection à micro-ondes capable d'offrir une imagerie d'une résolution de trois mètres, de jour comme de nuit et à travers les nuages. Il peut mesurer l'épaisseur de la glace et ses caractéristiques. Je crois savoir qu'il mesure aussi la densité.

On m'a dit que le satellite pouvait également suivre les courants marins et peut-être même le déplacement de navires se trouvant juste sous la surface de l'eau. Cette capacité peut se révéler très utile dans le passage du Nord-Ouest, étant donné la présence notoire de sous-marins étrangers.

Il est également extrêmement utile pour la réalisation de prévisions agricoles ainsi que pour la surveillance des récoltes et des forêts. En outre, il peut se révéler très utile en cas de catastrophe. Par exemple, RADARSAT-2 est un outil très précieux quand vient le temps d'organiser les secours après le passage d'un tsunami. Compte tenu de ses caractéristiques géographiques et du fait que divers incidents surviennent sur son territoire, le Canada, deuxième pays du monde par sa superficie, a décidé de s'équiper d'une telle technologie à des fins pacifiques semblables.

RADARSAT-2 est également d'une grande utilité pour ce qui est des applications militaires. Vous pouvez facilement imaginer les avantages que procure sa capacité de prendre des images de nuit et à travers les nuages.

RADARSAT-1, son ancêtre, a été construit par l'Agence spatiale canadienne, organisme fédéral qui en est toujours propriétaire. Toutefois, le gouvernement Chrétien a décidé, dans les années 1990, d'essayer une nouvelle formule pour concevoir RADARSAT-2, c'est-à-dire un partenariat public-privé dans le cadre duquel le gouvernement a acheté à l'avance l'équivalent de 445 millions de dollars d'imagerie. Il s'agissait non pas d'une subvention, mais plutôt d'une entente permettant au gouvernement de payer à l'avance l'accès au satellite.

MacDonald Dettwiler, dont l'investissement était plus modeste que celui du gouvernement, a construit le satellite, dont le lancement a finalement eu lieu en décembre 2007, après avoir surmonté de nombreux obstacles, dont une certaine résistance de la part des États-Unis, qui s'inquiétaient du fait que des images d'une si grande qualité soient accessibles sur le marché privé.

Le satellite a été envoyé dans l'espace, et, dans les semaines suivant le lancement, on a annoncé la vente possible du satellite à Alliant Techsystems. Il s'agit plus que d'une simple coïncidence. À l'évidence, le satellite vaut beaucoup plus d'argent en orbite parce que l'élément de risque tient au lancement.

Selon ce que j'ai entendu, le prix de vente dépasserait le milliard de dollars. C'est une bonne nouvelle pour MacDonald Dettwiler, et, en d'autres circonstances, cela ne poserait aucun problème. Toutefois, le satellite est un bien public qui a été conçu pour les Canadiens grâce à l'argent des contribuables. Dans la loi adoptée en 2005, qui vise plus particulièrement l'exploitation de RADARSAT-2, nous nous sommes donné la capacité d'annuler une telle vente. En effet, l'article 16 de la Loi sur les systèmes de télédétection spatiale habilite le ministre des Affaires étrangères à bloquer tout transfert de la licence.

Je sais également que MacDonald Dettwiler a étroitement participé à la rédaction de la loi. L'entreprise s'est donc engagée dans cette voie en toute connaissance de cause, sachant que la loi prévoit la capacité d'empêcher une telle vente. Elle ne peut donc affirmer qu'on la traite injustement s'il advient que M. Bernier ou M. Prentice s'en mêle.

C'est une question délicate, assurément. Aucun gouvernement ne souhaite intervenir dans l'économie si cela n'est pas nécessaire, surtout, dans le cas du gouvernement du Canada, quand il s'agit d'investissements étrangers, mais il est évident que, dans une situation semblable, on doit faire quelque chose.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Monsieur Byers, qu'est-ce qui vous fait croire que le gouvernement canadien ne va pas essayer de maintenir cet accès ou cette propriété sous l'autorité canadienne?

[Traduction]

M. Byers : Je veux être bien clair. Le gouvernement n'a pas encore pris de décision. Je ne veux en aucun cas avancer qu'il penchera pour une option ou une autre. Mais il est certainement au courant de la situation.

Hier, j'ai eu l'occasion de m'exprimer sur ce sujet devant le comité de l'industrie de la Chambre des communes. Il tient actuellement des audiences. Plusieurs membres du comité avaient l'intention de recommander que le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international se penche sur cette question.

Des journalistes ont assisté à la rencontre du comité hier. Je crois que les gens commencent à comprendre que la vente de ce satellite à une entreprise étrangère n'a rien de banal et qu'elle soulève des enjeux importants.

On ne saurait nier que cette situation est analogue à celle où le gouvernement fait construire un nouveau brise-glace polaire, décision que j'appuie, soit dit en passant. De temps à autre, le gouvernement de ce pays fait le choix d'investir dans des infrastructures qui lui permettent d'affirmer sa souveraineté et d'avoir un droit de regard sur le transport maritime dans le nord du Canada. À l'heure actuelle, le gouvernement a pris la décision de se procurer un brise-glace polaire. Dans les années 1990, il avait opté pour RADARSAT-2. Ce sont des décisions importantes et onéreuses. Toutefois, elles sont dans l'intérêt du public : il est essentiel que le Canada protège les 40 p. 100 de ses côtes qui se trouvent dans l'Arctique. Nous possédons le littoral le plus long du monde, et la plupart des côtes sont situées dans l'Arctique.

J'espère que le gouvernement actuel, lorsqu'il comprendra quelles sont les répercussions et fera le parallèle avec ses propres décisions concernant le brise-glace et les navires de patrouille renforcés, se rendra compte que RADARSAT-2 ne ressemble pas aux autres satellites. En effet, RADARSAT-2 est un appareil qui vise à défendre la souveraineté canadienne, mais qui peut servir à d'autres fins, lorsqu'il est effectivement disponible pour ces autres usages, et qui peut rapporter beaucoup d'argent à l'entreprise canadienne qui a couru le risque de s'associer avec le Canada pour construire cet engin de très haut niveau technologique.

Je suis très fier de RADARSAT-2. Je suis fier que MacDonald Dettwiler et le gouvernement canadien aient conclu un partenariat pour le concevoir. C'est exactement ce qu'un grand pays de l'Arctique comme le Canada devrait faire. Je sonne maintenant l'alarme parce que nous risquons de perdre cet outil. Toutefois, nous le perdrons seulement si les gens ne se rendent pas compte à quel point le parallèle entre le satellite et l'énorme brise-glace rouge que tant d'entre nous souhaitons voir est frappant.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Vous parlez de souveraineté que nous sommes en fait en train d'étudier. Vous avez lié RADARSAT-2 à une façon de faire valoir la souveraineté du Canada sur tout ce territoire qui est remis en question par, principalement, les États-Unis, n'est-ce pas?

Pouvez-vous élaborer un peu plus dans cette direction? Vous dites : on va avoir un brise-glace d'une certaine capacité. Si on devait perdre les droits sur RADARSAT, cela pourrait diminuer son efficacité.

[Traduction]

M. Byers : Si j'utilise le terme « souveraineté », c'est en partie parce que les gens comprennent que la souveraineté est importante. Cette notion interpelle les gens à certains égards. Lorsque je parle de la contestation de la souveraineté du Canada dans l'Arctique, je parle des eaux territoriales. Les îles nous appartiennent toutes, sans conteste, à l'exception de la minuscule et insignifiante île Hans, qui n'existe que pour permettre aux politiciens canadiens et danois de s'y rendre juste avant une campagne électorale. Elle ne sert à rien d'autre.

Ce qui me préoccupe, ce sont les eaux. Les eaux qui baignent les îles sont également canadiennes. La question est de savoir si les navires étrangers ont le droit de naviguer dans ces eaux presque sans restriction. L'analogie que j'utiliserais est celle d'un domaine à la campagne, en Angleterre. Les terres appartiennent à un aristocrate local, mais les gens ont le droit de le traverser en empruntant un sentier s'y trouvant depuis des temps immémoriaux. Les avocats appelleraient ce privilège une servitude. Les États-Unis soutiennent qu'ils ont un droit de passage, ou une servitude, qui les autorise à naviguer dans nos eaux, compte tenu qu'elles représentent, dans la terminologie du droit international, un détroit international. Tôt ou tard, nous devrons résoudre le désaccord qui subsiste entre le point de vue des États-Unis et le nôtre, à savoir que les eaux arctiques sont des eaux intérieures, au même titre que le lac Winnipeg ou le golfe du Saint- Laurent. Nous pouvons y parvenir en collaborant avec les États-Unis pour gagner leur confiance et les amener à coopérer.

En quoi RADARSAT-2 a-t-il une incidence sur ce dossier? Pour être en mesure d'exercer une surveillance sur les navires étrangers, il est essentiel que nous sachions où ils se trouvent. L'Arctique est un vaste territoire qui s'étend sur des milliers de kilomètres. Lorsque j'ai navigué de Kugluktuk à Iqaluit, j'ai parcouru une distance qui équivaut à celle entre Banff, en Alberta, et la ville de Québec. Cela nous a pris 11 jours, à une vitesse de 14 nœuds maintenue 24 heures sur 24. Le Canada possède, je vous le rappelle, le littoral le plus long du monde. Peu importe combien d'argent nous investissons dans des brise-glace ou dans des navires de patrouille renforcés pour naviguer dans les glaces marines, nous devrons décider où ils sont déployés à tout moment. Si nous pouvons disposer d'une caméra dans le ciel qui surveille la région entière, nous économiserons de l'argent, nous serons plus efficients et nous pourrons miser sur un effet dissuasif, car les navires étrangers sauront que nous les observons.

Nous avons déjà dépensé cet argent. C'est là où je veux en venir. Je ne parle pas de dépenser des sommes supplémentaires. Mon discours n'est pas un plaidoyer pour obtenir de nouveaux fonds du gouvernement. Il vise simplement à inciter le gouvernement canadien à maintenir sa politique de longue date grâce à laquelle le pays a investi, au cours des dix dernières années, dans l'équipement qui nous permet d'avoir une caméra de surveillance dans le ciel de l'Arctique. Cette politique est maintenant menacée par une entreprise canadienne qui aurait l'occasion de réaliser à court terme un profit considérable, mais qui sait pourtant que le gouvernement canadien s'est réservé le droit d'empêcher une telle vente. Dans les circonstances, je crois que nous devrions sérieusement envisager de bloquer cette vente le temps d'étudier attentivement quelles en seraient les répercussions.

Le sénateur Robichaud : RADARSAT fournit-il des images à Google Earth, qui me permet de voir qui était stationné dans mon entrée à la date précise où le satellite est passé au-dessus de chez moi?

M. Byers : Je crois que Google Earth montre aux personnes ordinaires qui connaissent peu les nouvelles technologies — dont je fais partie — à quel point les techniques doivent être avancées si ces images sont du domaine public. Google Earth n'offre aucune image de nuit, prises à travers les nuages. L'Arctique est souvent recouvert de nuages. En outre, il y a souvent beaucoup de brouillard au-dessus de l'eau.

De plus, RADARSAT-2 peut cartographier les glaces, mesurer leur épaisseur, suivre les courants, observer le sillage des navires et surveiller les navires.

Il s'agit d'un satellite fait au Canada. Les technologies dont est doté RADARSAT-2 sont sophistiquées, et nous les avons mises au point. Nous avons conçu ce satellite. Il nous appartient. Qui peut reprocher à cette importante entreprise américaine, Alliant Techsystems, de vouloir se l'approprier? Elle sait que cet appareil lui sera extraordinairement profitable parce que les données qu'il produit sont très recherchées sur le marché, particulièrement des grands acheteurs de produits militaires.

Pour justifier la vente du satellite, on soutient, entre autres, que l'entreprise américaine qui serait propriétaire de RADARSAT-2 pourrait accéder plus facilement qu'une entreprise canadienne aux activités de haut niveau et classifiées qui sont menées par le Pentagone.

Le sénateur Robichaud : Reste à savoir si le Pentagone nous autoriserait à recevoir de telles données.

M. Byers : Oui, effectivement. Je précise également que le Pentagone peut se procurer les images de RADARSAT-2 déjà offertes sur le marché. Nous ne l'empêchons pas d'acheter ces données. Il faut se demander si nous pourrions réquisitionner le satellite pour de courts moments lorsque nous en aurions besoin, autrement dit, si nous pourrions passer devant les autres. Les images sont disponibles sur le marché. Je ne peux le certifier, mais je crois que c'est probablement le gouvernement américain qui a acheté le plus d'images de RADARSAT-2 au cours des derniers mois. Ça ne me dérange d'aucune façon, pourvu que nous soyons maîtres à bord.

Le sénateur Robichaud : Nous avons la priorité d'accès.

M. Byers : Effectivement.

Le sénateur Cochrane : Je sais qu'on a amélioré la technologie des satellites, et je vais vous expliquer comment je l'ai appris. En janvier, ma fille a donné un GPS à mon mari pour Noël. C'est extraordinaire. Nous sommes montés dans la voiture, sans savoir où nous allions. Nous avons programmé l'endroit où nous voulions nous rendre, et, aux dix minutes environ, le GPS nous disait : tournez à droite, tournez à gauche, ralentissez, vous allez trop vite. C'était incroyable. Un satellite au-dessus de nos têtes nous indiquait le trajet.

Les images de nuit sont importantes, évidemment, surtout lorsqu'il est question de la souveraineté du Canada dans l'Arctique.

Quel pourcentage détient MacDonald Dettwiler et quel pourcentage détient le gouvernement? Il s'agit d'un partenariat, n'est-ce pas?

M. Byers : Pour ce qui est des images de nuit, l'Arctique est bien sûr plongé dans la noirceur totale pendant un certain nombre de mois chaque année. Ce type d'imagerie de nuit est particulièrement important dans une région qui se retrouve dans l'obscurité totale pendant une assez longue période.

Je vais vous faire part de quelques chiffres. Les données sont tirées d'un livre que j'ai publié l'an dernier, alors elles ne sont pas les plus à jour. Le gouvernement Chrétien a commencé par acheter à l'avance l'équivalent de 242 millions de dollars d'imagerie. C'était la contribution du gouvernement canadien. L'entreprise a investi 80 millions de dollars de son propre argent. Le ratio initial était donc de 3 pour 1 — trois dollars provenant de l'argent des contribuables pour chaque dollar investi par le secteur privé.

À l'époque, le PDG de MacDonald Dettwiler, Daniel Friedman, avait prédit que RADARSAT-2 allait générer des recettes de un milliard de dollars au cours de sa durée de vie. C'est l'entreprise qui profite de cet argent, et non le gouvernement canadien. Nous achetions les images; nous n'investissions pas pour obtenir un rendement financier. Un investissement de 80 millions de dollars qui se traduit par des recettes de un milliard de dollars représente une très bonne affaire pour MacDonald Dettwiler, quoique l'entreprise ait assumé une part du risque.

En raison de divers retards, causés en grande partie par les craintes du gouvernement américain à l'égard de la très grande capacité du satellite, les coûts ont augmenté. En 2000, le gouvernement canadien a investi 167 millions de dollars de plus, et l'entreprise a décidé d'ajouter 12 millions de dollars de sa poche. Le ratio était alors d'environ 12 ou 13 pour 1.

En 2001, le gouvernement canadien a consenti six millions de dollars supplémentaires au projet, et, à ce que je sache, l'entreprise n'a rien déboursé de plus. J'avais alors avancé que le Canada avait contribué l'équivalent de 82 p. 100 du coût total du satellite.

Par la suite, des fonds supplémentaires ont été alloués. En comptant les investissements des derniers mois, je suis parvenu à un total de 445 millions de dollars. Ce montant ne comprend pas les autres sommes que le gouvernement a engagées, dont celles consacrées à l'embauche, par MacDonald Dettwiler, d'un certain nombre d'experts qui ont en fait été formés et initialement employés par l'Agence spatiale canadienne. Si on prend également en compte les autres initiatives mises en place par le gouvernement pour appuyer l'acquisition d'une expertise, l'investissement total du gouvernement dépasserait grandement les 445 millions de dollars.

Certaines personnes, plus particulièrement des membres du gouvernement actuel, sont un peu préoccupés par le fait que tant de fonds publics soient consacrés à des activités semblables. Je leur répondrais qu'il y a certaines choses que le secteur privé ne voudra pas entreprendre tout seul. Le secteur privé ne va pas construire et exploiter tout seul les brise- glace de la Garde côtière canadienne. Il ne dirigera pas une marine tout seul. Il n'exploitera pas des satellites de télédétection à des fins d'affirmation de la souveraineté tout seul. Un partenariat public-privé représentait une façon créative de faire collaborer l'industrie et le gouvernement pour accomplir ce but, mais on doit comprendre que, peu importe si on est en faveur du libre marché ou non, certaines choses ne peuvent se faire sans la participation financière du gouvernement, et ce satellite, aux fins que je viens de mentionner, en fait justement partie.

Le sénateur Cochrane : Avons-nous des preuves que ce satellite a permis d'accomplir de grandes choses?

M. Byers : Oui. Vous pouvez vous rendre sur le site web de l'Agence spatiale canadienne et consulter la section sur RADARSAT-2. L'ASC y mentionne à peu près toutes les applications de RADARSAT-2. La cartographie des glaces est la plus importante. Le satellite sert également à la surveillance des terres agricoles et des forêts ainsi qu'à la gestion des catastrophes. Nous connaissons son efficacité réelle parce que RADARSAT-1 a été profitable. Il a été lancé en 1995, de sorte qu'on a pu constater pendant près de 13 ans quelles étaient les capacités de ce type de satellite.

RADARSAT-1 n'était pas censé durer aussi longtemps, et il est loin d'être aussi puissant que RADARSAT-2. Le premier satellite est encore extraordinairement utile, et on l'utilise encore couramment. Personnellement, j'ai pu me tenir sur la passerelle de l'Amundsen en compagnie du capitaine et regarder les images — prises la veille — des eaux dans lesquelles nous allions naviguer dans les prochains jours. Nous pouvions voir s'il y avait présence de glace ou non, ou si les glaces étaient des glaces minces et lisses de première année. Nous pouvions même observer un peu de glace pluriannuelle bloquée dans une baie.

L'ancien satellite nous a grandement rendu service. C'est pour cette raison que RADARSAT-1 a été un tel succès financier. Propriété du gouvernement canadien, il a produit, en 2004, des images qui ont été vendues à 600 clients dans le monde et qui ont généré des recettes de 26 millions de dollars pour le gouvernement canadien. Il s'agit du vieux satellite.

Si RADARSAT-1 nous permet encore de faire cela, imaginez ce que nous pourrions faire grâce à RADARSAT-2. Il rapportera beaucoup d'argent à MacDonald Dettwiler. Si nous empêchons la vente, MacDonald Dettwiler tirera encore des profits considérables du satellite.

Les deux satellites sont dotés de la même technologie, mais celle de RADARSAT-2 est beaucoup plus avancée. Ce qui les différencie également, c'est que RADARSAT-1 appartient à l'Agence spatiale canadienne. RADARSAT-2, le nouveau satellite, est la propriété d'une entreprise canadienne, MacDonald Dettwiler. Le premier satellite est uniquement le résultat d'une initiative gouvernementale, tandis que le second est le fruit d'un partenariat public-privé.

Le sénateur Cochrane : Il n'y a aucun moyen d'actualiser RADARSAT-1 pour qu'il ait la même capacité que RADARSAT-2, n'est-ce pas?

M. Byers : Il faudrait que nous trouvions le moyen de le faire descendre sur la Terre.

Le sénateur Cochrane : Ce qui est impossible.

M. Byers : En effet. Vous les lancez dans l'espace, et ils durent le temps qu'ils durent.

On a envisagé de poursuivre dans cette lignée et de construire un satellite de troisième génération, RADARSAT-3. Il est possible que MacDonald Dettwiler ait analysé la situation, et qu'elle ait conclu que le soutien du gouvernement canadien pour la prochaine génération de satellites serait probablement moindre que ce qu'elle a reçu pour RADARSAT-2.

Il y a certainement des gens dans ce pays qui considèrent, à tort, que le financement de l'Agence spatiale canadienne ne devrait pas faire partie du mandat du gouvernement. Je ne sais pas quel genre de délibérations se sont tenues chez MacDonald Dettwiler, mais, pour mettre au point ce type de technologie et mener à bien certaines activités, il faut être disposé à investir des fonds publics dans ce système.

Soit dit en passant, d'autres pays font de même. Les États-Unis investissent massivement dans la conception de satellites. Bon nombre de ces satellites sont la propriété exclusive d'organismes du gouvernement américain qui en assurent également l'exploitation. Un pays qui s'adonne à des activités spatiales et qui n'investit pas d'argent pour faire prospérer ce secteur, ça n'existe pas.

Le sénateur Cochrane : Monsieur Byers, j'ai une autre question. M. Alan Kessel, qui est conseiller juridique pour Affaires étrangères et Commerce international — votre sourire me donne à penser que vous le connaissez — a récemment comparu devant le comité et a déclaré que la souveraineté du Canada s'étendait à tout le pays, y compris l'Arctique. Selon lui, nul ne conteste la souveraineté du Canada ainsi que son autorité sur les terres et les îles de l'Arctique. La seule exception, je dois le dire, étant l'île Hans, que revendique également le Danemark. C'est ce qu'il a dit. Pourriez-vous nous faire part de votre opinion à ce sujet?

M. Byers : Je partage le point de vue selon lequel notre souveraineté sur le territoire est incontestée. Je partage également l'opinion selon laquelle nos droits de propriété sur les eaux situées à moins de 12 milles de nos terres sont également incontestés. Toutefois — et je soupçonne que M. Kessel a dû mentionner cela par la suite dans son exposé —, le statut de divers détroits et chenaux qui se trouvent parmi nos îles arctiques et qui relient la baie de Baffin à la mer de Beaufort fait l'objet d'un désaccord.

Si j'ai bien compris, la politique actuelle des Affaires étrangères dans ce dossier consiste tout simplement à ne pas faire de vagues : on cherche à préserver le statu quo afin que les autres États acceptent graduellement notre autorité au fil du temps. Ainsi, en ce moment, aucun d'entre eux n'attaque ouvertement notre position juridique. C'était, je devrais le préciser, la façon de faire de ce ministère dans les années 1980 et 1990, et c'est toujours le cas aujourd'hui.

Cette position était acceptable lorsque les glaces tenaient les navires étrangers à distance. Toutefois, d'été en été, il y a de plus en plus de navigation dans le passage. En 2005, je crois que sept navires l'ont emprunté. En 2006, il y en a eu 11, tandis qu'il y en a eu 12 en 2007.

Le vrai problème se posera lorsque toutes les glaces marines de l'Arctique disparaîtront brièvement à la fin d'un été. Tant que les glaces ne fondent pas complètement, il se forme ce que nous appelons de la glace pluriannuelle, qui devient dure comme du béton à mesure que le sel de mer s'en échappe. La glace qui survit à au moins un été représente le principal risque à la navigation.

Une fois que la glace aura complètement fondue, situation qui, selon des experts des glaces marines de l'Arctique, devrait se produire dans les dix prochaines années, ce risque disparaîtra. Il ne restera alors que de la glace de première année, comme c'est le cas dans le golfe du Saint-Laurent ou dans les Grands Lacs. À ce moment-là, il y aura, en plus des étés sans glace, des hivers où seule de la glace de première année se formera, et cette glace peut être brisée et traversée par des navires renforcés.

J'attire votre attention sur la possibilité que, plutôt que de se résumer à un trafic assez léger — sept, onze, douze navires —, à un moment donné, le transport maritime dans l'Arctique pourrait s'intensifier énormément une fois que la glace pluriannuelle aura disparu.

Sans glace, le passage du Nord-Ouest offre une route de Shanghai au New Jersey de 7 000 kilomètres de moins que la route actuelle par le canal de Panama. Certains navires se dirigeront directement vers le pôle Nord et ne pénétreront pas dans les eaux canadiennes. Mais certains de ces navires, qui font route de la côte Ouest à la côte Est de l'Amérique du Nord et de l'Asie à la côte Est de l'Amérique du Nord, pénétreront dans nos eaux. À un certain moment, ce seront des centaines, pour ne pas dire des milliers, de navires qui le feront chaque année.

Je ne sais pas quand une telle situation se produira. Je sais toutefois qu'elle pourrait arriver bien plus tôt que ce à quoi nous nous attendons. La position du ministère des Affaires étrangères, soit celle de ne pas faire de vagues, aurait été tout à fait appropriée il y cinq ou dix ans, mais, selon moi, on doit maintenant la remettre en question.

J'ai pris l'initiative de me faire l'avocat du diable pour mettre cette position à l'épreuve parce que, entre autres choses, une bonne politique gouvernementale se forme grâce aux personnes qui l'examinent d'un œil critique et qui, amicalement, poussent et incitent les décideurs à réévaluer leurs croyances. C'est le rôle que j'ai assumé ici.

Certaines personnes diraient que je suis alarmiste. Je fais de mon mieux pour être le plus objectif possible dans mon analyse. Toutefois, je m'emploie également à ne pas m'accrocher aux idées reçues et à constamment remettre en cause mes idées. Vous êtes en mesure de constater les résultats.

Le sénateur Watt : Le sujet dont vous nous avez entretenus est très intéressant. Permettez-moi de reprendre là où vous en étiez en ce qui concerne la surveillance. Le satellite dont vous parlez existe déjà, si je ne m'abuse.

M. Byers : Oui.

Le sénateur Watt : Vous craignez que l'appât du gain n'amène les responsables à commercialiser les données à l'extérieur du Canada. Est-ce bien ce que vous dites?

M. Byers : Non, je ne me fais aucun souci à l'égard de la commercialisation des images.

Le sénateur Watt : Je ne parle pas de l'imagerie; je parle du satellite en tant que tel.

M. Byers : Je crains que le gouvernement canadien ne perde son rôle de responsable de l'octroi des licences en ce qui concerne le satellite.

Le sénateur Watt : Relativement à la souveraineté?

M. Byers : Le fait que nous soyons le titulaire de la licence nous donne ce que l'on appelle un droit de regard. Nous sommes ainsi en mesure, au besoin, de dire aux responsables de l'entreprise à quoi servira le satellite.

Dans la plupart des cas, nous ne leur disons rien. Nous les laissons utiliser le satellite à leur convenance, et nous attendons notre tour pour obtenir les images pour lesquelles nous avons payé à l'avance. Cependant, dans certains cas, par exemple si une catastrophe naturelle survient ou s'il y a violation de nos compétences sur les eaux du Nord, nous aurons besoin d'images sans délai. Nous payons donc entre autres pour avoir cet accès prioritaire, en plus des images habituelles dont nous nous servons.

Si le satellite est vendu à une entreprise étrangère, on ne sait pas si le Canada conservera son pouvoir. La Loi sur les systèmes de télédétection spatiale de 2005 repose entièrement sur le fait que c'est le Canada qui exerce le pouvoir d'octroyer des licences. Toutes nos mesures de contrôle, y compris des dispositions très détaillées sur l'envoi d'inspecteurs dans les stations terrestres, s'appuient sur le fait que c'est le gouvernement canadien qui octroie les licences.

Je soulève cette question, celle de la perte de la licence, pour deux raisons. D'abord, dans une disposition très courte de la loi, il est dit que la licence ou le contrôle peut être transféré. Le transfert doit toutefois être approuvé par le ministre des Affaires étrangères, qui doit tenir compte, selon la loi, de la sécurité nationale et de la défense du Canada. Certaines personnes ont compris que le type de scénario que nous étudions aujourd'hui pourrait se concrétiser, ce qui donnerait au gouvernement la capacité juridique de bloquer la vente aux termes de la loi.

Ensuite, j'ai demandé à des spécialistes, au sein du ministère des Affaires étrangères, ce qu'ils pensent qu'il arrivera à la licence et à notre droit de regard, mais ils n'en savent rien. Je me suis rendu jusqu'au bureau du ministre, mais personne n'a pu me répondre. En fait, une personne m'a confirmé qu'ils ne le savaient pas. Nous pouvons imaginer que nous devrons conclure un accord nous permettant de conserver le pouvoir d'octroi de licences même si le satellite appartient à une entreprise américaine — nous conserverons un droit de regard. J'aimerais en savoir plus sur cet accord pour savoir s'il dissipe mes préoccupations.

Comme nous ne possédons pas de connaissances précises obtenues à la suite d'une analyse approfondie nous garantissant que nous n'abandonnons pas ce pourquoi nous avons payé, la vente ne devrait pas avoir lieu. Quand j'obtiendrai des réponses claires à mes questions concernant le fait que nous conserverons ou non le pouvoir d'octroi de licence, de même qu'un droit de regard et un accès prioritaire — des réponses appuyées par des preuves crédibles — je cesserai de m'acharner sur cette question.

Le sénateur Watt : Pourquoi pensez-vous qu'ils ne considèrent pas qu'il s'agit d'un outil important dont le Canada a besoin pour avoir un aperçu de la situation, du début à la fin? Pourquoi pensez-vous que c'est le cas? Pensez-vous que c'est à cause du manque d'information concernant l'importance de cet instrument?

M. Byers : Une des explications, c'est que les gens ont habituellement un point de vue plutôt traditionnel sur les questions de la politique étrangère canadienne et de la souveraineté canadienne. Nous pensons à de gros brise-glace rouges, à des Rangers canadiens qui plantent des drapeaux. Un satellite est une réalité un peu plus abstraite et tient presque de la science-fiction, même s'il s'agit d'un élément bien concret. Le satellite est là-haut présentement et il capte des images à l'heure où on se parle.

Nous devons nous affranchir de notre façon traditionnelle de définir l'infrastructure canadienne aux fins de la déclaration de la souveraineté. C'est la façon du XXIe siècle, ou l'une des façons qui suppose que nous faisons ce que nous avons toujours fait. Pour les gens de ma génération et les gens plus âgés, cela exige un effort réfléchi puisque nous sommes pris au piège dans nos vieilles habitudes.

La politique publique canadienne est vaste et profonde et comporte de nombreux enjeux distincts. Il arrive parfois que des enjeux qui se révèlent importants passent inaperçus pendant un certain temps. En fait, personne ne surveillait cette affaire en particulier, et personne ne s'attendait à ce que MacDonald Dettwiler annonce cette vente. En fait, le gouvernement canadien a diffusé des communiqués de presse festifs en décembre dernier à propos du lancement de RADARSAT-2, qui expliquait à quel point tout cela était merveilleux, et de quelle façon cela représentait en quelque sorte une déclaration de la souveraineté du Canada dans le Nord. Le gouvernement actuel était très fier de ce lancement, de sorte que nous n'avons pas prévu que cette vente aurait lieu. Elle nous a pris par surprise. Si certains d'entre vous apprenez des détails à ce sujet seulement aujourd'hui, c'est peut-être parce que cette vente ne s'inscrit pas dans notre façon traditionnelle d'envisager la souveraineté dans le Nord, et qu'elle a été effectuée rapidement, à un moment inattendu.

Cependant, nous nous retrouvons avec un délai très court puisque MacDonald Dettwiler a demandé la permission de vendre, et que deux ministres doivent prendre des décisions. MacDonald Dettwiler dit aux intervenants du marché qu'elle souhaite obtenir une décision au plus tard ce printemps.

Le sénateur Watt : Au-delà de vos préoccupations, le choix du moment constitue un enjeu. Vous avez présenté des exposés aux comités de la Chambre des communes, et vous présentez un exposé devant nous, aujourd'hui, pour faire valoir l'importance de demeurer propriétaire de l'œil qui surveille notre pays. Il appartient au Canada et doit être considéré comme le principal élément de notre infrastructure

Nous nous aventurons actuellement sur un terrain inconnu. C'est un enjeu important. Le satellite ne doit pas être vendu à des intérêts étrangers. Nous perdrions alors tout contrôle ou toute influence sur tout ce qui touche le satellite.

À ce sujet, vous avez présenté des exposés à la Chambre des communes, mais vous n'avez pas obtenu de réponse. Vous avez rencontré des membres du gouvernement; ils ne vous ont pas répondu. Qu'aimeriez-vous que notre comité fasse? De temps à autre, nous formulons des recommandations à l'intention du gouvernement. Il nous écoute parfois, mais pas toujours. J'aimerais que vous nous expliquiez clairement et précisément ce que vous aimeriez que notre comité fasse.

M. Byers : D'abord, je n'ai pas rencontré M. Prentice, ni M. Bernier à ce sujet. Certaines de mes interrogations ont été adressées à des fonctionnaires dans un contexte confidentiel, puisqu'il s'agit certainement d'une question particulièrement délicate.

Le comité de l'industrie m'a écouté hier. Il a aussi écouté le point de vue de Marc Garneau, l'ancien astronaute et ancien dirigeant de l'Agence spatiale canadienne. Il s'est présenté à titre de témoin hier et a formulé des points de vue semblables aux miens. Tout se passe très vite. On m'a demandé de m'adresser au comité de l'industrie dans un délai de seulement trois ou quatre jours. Vous n'êtes pas les seuls à vous être rendu compte récemment de cet enjeu. Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international doit s'occuper de cette question de toute urgence, puisque c'est le ministre des Affaires étrangères qui détient le pouvoir concernant la loi en question, la Loi sur les systèmes de télédétection spatiale de 2005.

En ce qui concerne ce que le comité pourrait faire, je mentionne, d'abord, que l'enjeu correspond carrément à votre mandat. Ce n'est pas simplement un enjeu qui touche l'Arctique; il touche aussi les pêches sur la côte Est et la côte Ouest. L'un des objectifs précis de RADARSAT-2, c'est de faciliter la surveillance des pêches et l'exécution de la loi à ce sujet. Le satellite permet de voir les chalutiers, de voir d'où ils viennent, et où ils s'en vont, et ce, même si le temps est nuageux ou si c'est la nuit. Vous pouvez savoir s'ils ont pénétré dans la zone économique exclusive de 200 milles. Vous n'avez plus à survoler la région en avion. Le satellite constitue un outil assez fantastique pour ce qui est de l'application de la législation sur les pêches. Cela s'inscrit tout à fait dans votre mandat. Vous devriez le souligner clairement chaque fois que vous vous adressez à quelqu'un à ce sujet. Vous ne pourriez pas être plus directement touchés par cette question.

Un comité sénatorial est très bien placé pour poser des questions au gouvernement. Vous faites partie du Parlement et êtes donc tout à fait en position d'exiger des réponses du gouvernement, et je crois savoir qu'un membre du Cabinet siège aussi au Sénat. Il existe diverses avenues, que vous découvrirez sûrement et que je connais moins.

Pour ce qui est de la possibilité de faire témoigner des membres du ministère des Affaires étrangères à propos de la licence et de son transfert, je ne veux pas me montrer antagoniste puisqu'il ne s'agit pas d'une situation d'antagonisme. Ils ne se sont probablement attardés à cette question que tout récemment. Les questions amicales et les critiques constructives font partie des éléments essentiels au bon fonctionnement du gouvernement. Quand ils auront compris que cet enjeu est lié à des préoccupations, et qu'il est très important pour les parlementaires et le grand public en général, vous pourrez être sûrs qu'ils vérifieront si les préoccupations ont été dissipées, et qu'ils n'hésiteront pas à recommander au ministre d'empêcher la vente, s'il y a lieu.

Je souligne aussi qu'un gouvernement qui choisirait d'empêcher la vente pourrait présenter cette décision comme une décision très favorable pour le pays et qui s'inscrit dans le cadre de son initiative en matière de souveraineté dans l'Arctique. Cette décision serait tout à fait compatible avec l'annonce d'un financement de 750 millions de dollars offert pour un nouveau brise-glace polaire. Ce n'est pas une question de protectionnisme; il s'agit plutôt de garder le contrôle d'un dispositif d'affirmation de la souveraineté.

Le sénateur Watt : Je ne veux pas aborder une autre question tant que nous ne serons pas allés au fond des choses. Ce que nous devrons faire valoir, c'est que le satellite est un œil qui nous survole, ce qui est important.

Je me préoccupe aussi du manque d'infrastructures et d'équipements si le trafic devait augmenter rapidement au cours des prochaines années, comme je pense que cela arrivera.

M. Byers : Même si cela n'arrivait pas, jusqu'à un certain point, il y a des politiques inattaquables que je recommande. Si l'augmentation du trafic est moins rapide que je le prévois, l'infrastructure finira tout de même par être utilisée. Nous avons déjà un manque d'infrastructures dans l'Arctique. Le fait de conserver RADARSAT-2, de créer des dispositifs de navigation et de conclure de nouvelles formes de collaboration avec les États-unis : voilà autant de politiques inattaquables. Dans un certain sens, nous nous protégeons des risques, tout en agissant de façon responsable à titre de grand pays arctique.

Le sénateur Watt : Y a-t-il des entreprises, des personnes ou des scientifiques — des gens comme vous — qui comprennent l'importance de ce satellite en particulier? Êtes-vous le seul à exprimer les idées dont vous nous avez fait part aujourd'hui? Y a-t-il d'autres gens que nous pourrions appeler à témoigner? Nous aurons besoin d'une puissance.

M. Byers : J'ai déjà mentionné le nom de Marc Garneau. Il pourrait présenter un témoignage très pertinent sur l'aspect spatial, et vous pourriez souhaiter le consulter. Une autre personne qui a participé à l'aventure RADARSAT-2 à ses tout débuts, et qui a les mêmes préoccupations que moi, c'est Lloyd Axworthy. En fait, il a dû s'occuper des préoccupations du gouvernement américain au moment où le projet RADARSAT-2 était mis sur pied. Il a pris part à un exercice diplomatique de haut niveau avec Madeleine Albright au sujet de ce satellite. Ce n'est pas un enjeu récent; c'est simplement qu'il n'avait pas attiré l'attention des médias jusqu'à ce jour. C'est le nom de ces deux personnes qui me vient à l'esprit spontanément, mais il y a d'autres, disons, spécialistes du monde scientifique, que je ne peux vous nommer pour l'instant, mais qui pourraient certainement venir vous parler des capacités techniques du satellite.

Il y a, bien sûr, des gens de chez MacDonald Dettwiler. Hier, quand je me suis adressé au comité de l'industrie, un employé de MacDonald Dettwiler était présent; il avait accepté de faire part au comité de ses préoccupations personnelles à propos de la vente. Ses préoccupations concernaient davantage les répercussions de la vente sur l'industrie spatiale canadienne, en ce qui concerne l'acquisition et le maintien de connaissances spécialisées au Canada, et il avait aussi des préoccupations personnelles à propos de certaines des autres activités de l'entreprise d'achat américaine. Il s'agit d'un très grand producteur de munitions en uranium appauvri, de bombes à dispersion et de mines terrestres. Cela n'a aucune répercussion légale sur la vente, mais il s'agit, pour certaines personnes, d'une question éthique. Nous avons investi une quantité incroyable d'argent provenant des contribuables canadiens dans un appareil qui sera maintenant utilisé par une entreprise qui commet des actes que certains jugent immoraux.

C'est moi qui ai souligné l'aspect de la question qui touche la souveraineté dans le Nord. C'est simplement parce que c'est mon domaine. À titre de chef de projet à ArcticNet, c'est la question du passage du Nord-Ouest qui a retenu mon attention.

Le sénateur Cochrane : Vous avez dit que MacDonald Dettwiler avait annoncé qu'elle vendrait le satellite, n'est-ce pas?

M. Byers : Oui.

Le sénateur Cochrane : Le gouvernement du Canada compte pour 82 p. 100 du montant total investi dans cette entreprise. Comment cela est-ce possible?

Le sénateur Robichaud : Nous avons acheté des services.

M. Byers : C'est là que le bât blesse. Nous ne sommes pas un investisseur au sens propre, puisque nous n'espérons pas de rendement financier. Nous avons acheté une très grande quantité d'imagerie à l'avance.

Je ne suis pas un spécialiste de la structure des partenariats publics-privés. Il s'agit d'un accord complexe, mais je sais que l'une de ses conséquences, c'est que l'entreprise est propriétaire du satellite. En échange, pour protéger notre investissement, nous avons obtenu la loi, et le fait que le ministre des Affaires étrangères peut refuser tout transfert du contrôle du satellite. MacDonald Dettwiler a accepté la possibilité que les ministres s'opposent à une vente, qui se retrouverait bloquée par le gouvernement canadien. C'est pourquoi MacDonald Dettwiler s'adresse maintenant au gouvernement canadien pour qu'il approuve la vente.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Est-ce la même compagnie qui veut acheter le bras canadien?

[Traduction]

M. Byers : Oui, c'est cette même entreprise qui a pris part au projet du bras canadien, mais j'ai appris hier que le bras canadien appartient maintenant à la NASA. Nous ne parlons pas, aujourd'hui, de la vente du bras canadien.

Le sénateur Robichaud : Non, mais c'est cette entreprise canadienne qui s'en est occupée.

M. Byers : Oui, c'est cette entreprise, même si nous ne sommes actuellement pas confrontés à la perte du bras canadien. Même si une feuille d'érable apparaît sur le bras canadien, celui-ci appartient véritablement à la NASA.

[Français]

Le sénateur Robichaud : C'est toute la technologie qu'on a développée au Canada. On va peut-être perdre une certaine capacité, n'est-ce pas?

[Traduction]

M. Byers : Ce n'est pas ce que je connais le mieux, mais ce que l'on craint, c'est que les compétences canadiennes diminueront au fil du temps puisque l'entreprise, une fois vendue, utilisera cette technologie pour accéder à des contrats classifiés avec l'armée américaine. Nous ne savons donc pas si des citoyens canadiens pourront s'occuper de ces projets. Cela va plus loin que l'ITAR et concerne des questions plus délicates.

Je suppose que l'entreprise affirme qu'elle doit procéder à cette vente pour survivre et croître, mais je demeure un peu sceptique. Jusqu'à un certain point, le marché militaire est le plus facile d'accès. Il s'agit simplement d'une décision de l'entreprise de tenter de pénétrer le marché le plus facile. Les usages pacifiques sont si importants, et les arguments en faveur d'un engagement continu du gouvernement canadien sont si solides que je suis convaincu que MacDonald Dettwiler, le satellite RADARSAT-2 et les satellites qui lui succéderont seraient promis à un brillant avenir au Canada.

Nous aurions besoin d'une politique de l'espace, c'est-à-dire une entente entre les divers partis qui précisent le genre de chose qu'un grand pays doit faire. Cependant, le gouvernement actuel prend des décisions audacieuses, comme la décision de payer un nouveau brise-glace de 750 millions de dollars. Je ne constate aucune incohérence entre ce que je recommande et ce que j'ai vu au cours des deux dernières années.

Le sénateur Hubley : Merci beaucoup, monsieur Byers. Votre exposé nous donne certainement, ce matin, des renseignements tout à fait nouveaux. Des questions pertinentes ont été posées, et je pense que nous en aurons d'autres à mesure que nous progresserons.

D'après ce que vous nous avez expliqué, je crois comprendre que RADARSAT-2 est important pour nous parce qu'il nous permet de réagir rapidement pour affirmer notre souveraineté. Vous mentionnez une question maintes fois abordée quand vous parlez du travail de surveillance des pêches et du travail dans le secteur des pêches en tant que tel qui peut être fait; il y a aussi probablement de nombreuses autres applications dont nous n'avons pas encore parlé.

De toute évidence, l'Agence spatiale canadienne était propriétaire de RADARSAT-1. Pour RADARSAT-2, nous avons décidé de traiter avec une entreprise privée, mais nous avons prévu quelques mises en garde pour protéger nos intérêts. Pour MacDonald Dettwiler, la vente constitue une priorité, mais qu'en est-il pour le Canada à l'heure actuelle? Que pouvons-nous faire pour nous assurer de conserver la maîtrise de la technologie qui a été élaborée au Canada à l'aide de l'argent des contribuables?

M. Byers : MacDonald Dettwiler a décidé de vendre RADARSAT-2 si elle obtient l'approbation du gouvernement. Cela ne signifie pas que MacDonald Dettwiler cessera d'utiliser RADARSAT-2 si le gouvernement empêche la vente.

Je vous explique : je pense que RADARSAT-2 permettra à son propriétaire de faire beaucoup d'argent, qu'il soit vendu à une entreprise américaine ou qu'il demeure au Canada. C'est un appareil très rentable, et c'est pourquoi Alliant Techsystems est prête à dépenser autant pour l'acquérir.

Si la vente devait être bloquée, on peut s'attendre à ce que MacDonald Dettwiler soit si insatisfaite qu'elle tentera de trouver un autre acheteur. Je ne vois pas pourquoi une autre entreprise canadienne qui serait nouvelle dans le secteur ou qui voudrait prendre la relève ne pourrait pas acheter cette technologie en particulier.

Dans le pire des cas — et je ne pense pas qu'on en soit rendu là, ni qu'il soit souhaitable qu'on y arrive — l'une des options qui pourrait être envisagée serait de renvoyer RADARSAT-2 là où se trouve actuellement RADARSAT-1, c'est-à-dire au sein de l'Agence spatiale canadienne. Je ne crois pas que nous souhaitions nationaliser le satellite. Il s'agit d'une industrie suffisamment rentable où une initiative privée peut réussir.

Je crois simplement que MacDonald Dettwiler souhaite vendre, si elle obtient l'approbation, tout en sachant qu'elle ne pourra peut-être pas l'obtenir, en s'appuyant sur un plan B très rentable, qui supposerait qu'elle conserve le satellite et collabore avec le gouvernement canadien au satellite de la prochaine génération. Comme je l'ai dit, l'entreprise a peut-être l'impression qu'il sera plutôt difficile d'obtenir un financement du gouvernement pour cette prochaine génération compte tenu de la configuration politique actuelle.

Encore une fois, je pense que les arguments sont vraiment solides, surtout si on établit un lien avec la souveraineté dans le Nord et si on convainc le gouvernement canadien du fait que c'est ce qui doit être fait, avec non seulement RADARSAT-2, mais aussi RADARSAT-3.

Nous devons, environ tous les dix ans, faire ce type d'investissement et prendre ce type d'initiative si nous voulons que le Canada demeure un pays industrialisé, que l'on prend au sérieux. Il s'agit d'un bien public essentiel pour un pays qui vient au deuxième rang mondial au chapitre de la superficie.

Le sénateur Milne : Je m'excuse d'être arrivée en retard. Vous en avez peut-être parlé pendant votre exposé, mais je siège au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui se réunissait aussi au même moment.

Le MPO a dit au comité que le Canada était en voie de réussir à cartographier sa partie du plateau continental d'ici 2013, ce qui contredit ce que m'ont dit les responsables des affaires étrangères en septembre dernier. Ils m'ont dit : « Non, le Canada ne sera pas capable de respecter les délais parce que nous n'avons simplement pas assez de personnes qualifiées pour y parvenir; nous n'avons pas les navires dont nous aurions besoin. Cependant, la Russie a vu son délai être prolongé sans aucun problème, et le Canada pourrait aussi obtenir une prolongation de son délai. » J'aimerais connaître votre point de vue et savoir ce que vous pensez de cette déclaration.

M. Byers : Je n'ai pas encore traité de cette question ce matin, mais je suppose que, comme il s'agit du comité des pêches et des océans, vous savez que, selon la Convention sur les droits de la mer des Nations Unies, les pays riverains peuvent revendiquer la compétence exclusive sur les fonds marins jusqu'à 200 milles nautiques de la côte s'ils peuvent prouver que ces fonds marins constituent le prolongement naturel du plateau continental.

Nous prévoyons revendiquer une grande partie des fonds marins de la côte Est. Nous pourrions aussi revendiquer une assez grande partie des côtes au nord de l'archipel canadien, mais nous devons prouver qu'il s'agit d'un prolongement naturel de notre territoire. Cela signifie que nous devons non seulement cartographier la forme du plancher océanique, mais aussi procéder à des travaux de prospection géosismique pour connaître la nature des sédiments.

Il est difficile d'effectuer de tels travaux dans l'Arctique. C'est une région éloignée très venteuse, où il fait souvent noir et froid, et où il y a d'importantes quantités de glace dans les secteurs qui nous intéressent. J'ai qualifié cette mission de « mission lunaire du Canada ». Je crois que nous pouvons y arriver, mais ce sera très difficile.

Honnêtement, les gouvernements qui se sont succédé n'en ont pas fait une priorité parce que le délai n'est qu'en 2013. Ce n'est que tout récemment qu'ils se sont mis à se préoccuper de la question.

Les scientifiques du gouvernement du Canada ont fait du bon travail : ils ont cartographié la région située au nord de l'île d'Ellesmere à l'aide d'hélicoptères et d'avions à ski Twin Otter, ils se sont joints à des voyages de brise-glace russes affrétés par le Danemark afin de cartographier les régions au Nord du Groenland, le long de la dorsale Lomonosov, et ils ont mis à l'essai le navire Louis S. St-Laurent, notre plus grand brise-glace, qui a 40 ans, pour effectuer des travaux de prospection géosismique dans la mer de Beaufort.

L'an dernier, Randy Boswell, du Ottawa Citizen a cité le responsable du programme de cartographie des fonds marins du Canada, qui se trouve à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse, et qui a dit que si tout se déroulait à la perfection, les travaux seraient terminés dans les délais prévus — mais rien ne se déroule jamais à la perfection, surtout dans l'Arctique.

D'une certaine façon, le gouvernement canadien a compris le message. Le dernier budget prévoit plus d'argent pour la cartographie. Nous pouvons certainement terminer le travail à temps. Je m'en remets aux experts techniques pour ce qui est de la meilleure façon d'y parvenir. On pourrait devoir affréter un navire étranger, et il y a des brise-glace polaires disponibles à cette fin.

Le plus important, c'est que le gouvernement semble maintenant se soucier de cette question. Les personnes qu'il faut consulter sont celles qui s'occupent du programme de cartographie : elles pourront nous dire si elles disposent des ressources dont elles ont besoin pour faire face aux difficultés qui ne manqueront pas de survenir.

La dernière chose que j'aimerais souligner à ce sujet, c'est que ce n'est pas simplement une question de cartographie scientifique, même si l'aspect scientifique joue un rôle essentiel dans nos revendications. Nous devrons aussi faire un travail diplomatique très important parce qu'il y aura inévitablement des chevauchements avec les revendications d'autres pays.

Nous aurons un problème dans la mer de Beaufort.

Le sénateur Milne : Dans les secteurs qui font l'objet d'un différend.

M. Byers : Oui, dans ces secteurs. Quand la frontière est située dans un périmètre de 200 milles nautiques des côtes, il faut déterminer à quel endroit elle dépasse les 200 milles nautiques des côtes. Il faudra s'en occuper rapidement, et de façon diplomatique.

Depuis que le président Bush a demandé au Sénat de consentir à la ratification de la Convention sur le droit de la mer des NU, il s'agit davantage d'une priorité.

On m'a dit que les négociations avec les Danois concernant la frontière maritime dans la mer de Lincoln progressent, et c'est une bonne nouvelle. Nous devrions maintenant faire face à un risque de chevauchement entre nos revendications et celles de la Russie au milieu de l'océan Arctique, dans la dorsale Lomonosov, près du pôle Nord. Nous devrons donc entreprendre des négociations diplomatiques avec nos amis russes. Il ne s'agit pas simplement d'effectuer une cartographie scientifique; il faut aussi offrir à notre corps diplomatique des encouragements et de l'aide dans ses rapports avec nos voisins, puisque les trois pays dont j'ai parlé sont nos voisins.

Le sénateur Milne : Il ne se passe rien, actuellement, particulièrement avec les Américains, dans cette région controversée — la prolongation de la frontière terrestre entre l'Alaska et le Yukon et la limite équidistante.

M. Byers : Je n'ai pas entendu parler de discussions à ce sujet dans le milieu diplomatique. Pour ma part, je pense qu'il est presque toujours préférable de parler que de se taire. Je n'ai rien contre le fait que le Canada discute de cette question et d'autres questions avec les États-Unis, à condition que nous le fassions en toute connaissance de cause et avec la volonté de défendre nos intérêts.

Le sénateur Milne : Il y a beaucoup de pétrole dans cette région.

M. Byers : Dans la mer de Beaufort, le pétrole ne constitue pas vraiment un enjeu parce que nous avons conclu, pour le meilleur et pour le pire, un marché énergétique nord-américain. Il faut toutefois déterminer qui touche les redevances. Il n'y aura probablement pas beaucoup de redevances puisque les deux pays offriraient probablement une importante exemption temporaire du versement de redevances à toute entreprise qui entreprendrait ce type de travaux au large des côtes.

Dans le contexte du marché énergétique nord-américain, où des entreprises canadiennes peuvent soumissionner pour des concessions américaines et où les entreprises américaines peuvent soumissionner pour des concessions canadiennes, le pétrole et le gaz naturel n'entraînent pas vraiment de division ou, à tout le moins, ne devraient pas le faire. J'ai fait une proposition provocante : j'ai dit que nous pourrions même envisager un échange avec les États-Unis et leur donner ce qu'ils réclament dans la mer de Beaufort, à condition qu'ils nous accordent la ligne A-B dans l'entrée Dixon, à l'extrémité sud de l'Enclave de l'Alaska. C'était une proposition facétieuse — le document s'intitulait « Échangeons du pétrole contre du poisson » — mais je pense que nous ne devons pas hésiter à sortir des sentiers battus.

Le président : Le comité étudie actuellement la Garde côtière canadienne; pourriez-vous nous donner votre point de vue sur la Garde côtière, compte tenu de sa structure actuelle et de l'équipement dont elle dispose? Elle possède un mandat, mais quel devrait être son mandat à la lumière de ce qui se passe dans l'Arctique, et de ce qui s'y passera dans l'avenir, et du fait que le Canada doit assurer sa présence dans cette région et exercer un certain pouvoir?

M. Byers : Mon contact avec la Garde côtière se limite à peu près à mon contact avec le navire Amundsen et son équipage à la fin d'octobre 2006. Ils m'ont beaucoup impressionné : ils font preuve d'un grand professionnalisme et d'un profond engagement et d'un très grand enthousiasme à propos du travail scientifique. L'équipage de la Garde côtière comprenait les recherches scientifiques et souhaitait ardemment y participer. J'ai un très grand respect pour eux et pour ce qu'ils réussissent à accomplir avec un navire plutôt âgé. Ils me rendent très fier.

Pour moi, il ne fait pas de doute que l'organisme canadien qui devrait être responsable de l'activité maritime dans le Nord est la Garde côtière, qui dispose de plates-formes polyvalentes pour soutenir la recherche dans l'Arctique, pour entretenir les dispositifs de navigation, pour effectuer des recherches et des sauvetages, et pour briser la glace pour les navires commerciaux. Les brise-glace de la Garde côtière exécutent de nombreuses tâches dont la marine ne veut pas s'occuper, et dont elle ne s'occuperait pas, de toute façon. C'est donc, un peu, un organisme orphelin, ou, à tout le moins, cela l'a déjà été. Elle s'acquitte de ses responsabilités avec des ressources financières relativement limitées.

On ne peut simplement favoriser le statu quo parce que nos activités maritimes augmenteront et que nous devrons assurer une présence. Nous aurons besoin de bien meilleurs dispositifs de navigation, de meilleures cartes spécialisées et de plus grandes capacités de recherche et de sauvetage. Nous voudrons probablement aussi briser la glace pour les navires commerciaux. L'une des façons d'inciter d'autres pays à accepter votre autorité, c'est de leur offrir un service qui a une grande valeur pour eux.

Nous devrions envisager un projet de porte d'entrée de l'Arctique semblable au projet de porte d'entrée du Pacifique actuellement en cours dans l'Ouest. Nous devrions, quand nous pensons au Nord et à nos côtes les plus longues, envisager non seulement les défis à relever, mais aussi les occasions à saisir. La Garde côtière sera appelée à jouer un rôle vraiment important.

Cela n'écarte pas l'importance de la force militaire. Les nouveaux patrouilleurs renforcés pour la navigation dans les glaces joueront un rôle important. Ils remplaceront, dans une certaine mesure, les patrouilleurs côtiers actuels. Ces navires renforcés pour naviguer dans les glaces seront utilisés dans le golfe du Saint-Laurent, par exemple, dans la baie de Baffin, dans la baie d'Hudson et, dans l'Arctique, où il y a de moins en moins de glace, mais ils ne remplaceront pas la Garde côtière.

En ce qui concerne le montant de 750 millions de dollars engagé pour acheter un nouveau brise-glace polaire, je suis d'accord. Je suis rempli d'espoir, mais je suis aussi un peu cynique quand je pense au gouvernement Mulroney qui nous avait promis, en 1985, le Polar 8, et qui a annulé le contrat trois ans plus tard. Nous avons besoin de nouveaux brise- glace. Je le croirai quand je serai sur le pont. Nous avons besoin de plus qu'un brise-glace. C'est certainement un début, et je suis content de voir que le gouvernement reconnaît qu'il y a un besoin et commence à agir.

Le dernier point que je veux aborder concerne la capacité de la Garde côtière de s'occuper de l'exécution de la loi. L'un des arguments utilisés contre la Garde côtière, c'est qu'elle n'est pas armée, comme l'est celle de nos alliés américains. Il y a une solution toute simple à ce problème : au besoin, vous placez des membres de la GRC ou des Forces canadiennes à bord des brise-glace, en très petit nombre, probablement. Vous conservez l'équipage de la Garde côtière. Vous pouvez même installer un support d'armes sur le pont et une mitrailleuse légère dans un placard verrouillé sous le pont de façon à transformer le navire en navire armé, au besoin. On parle, dans certains cas, de double chapeau. Cela se produit à l'heure actuelle. Un équipage de la Garde côtière peut devenir temporairement un équipage des Forces canadiennes ou un équipage du ministère des Pêches et des Océans. Nous plaçons des agents du MPO sur des frégates canadiennes. Nous pouvons faire l'inverse, au besoin.

Le président : Si je ne me trompe pas, certains employés du MPO sont aussi agents de la paix?

M. Byers : Si l'on fait preuve d'imagination, on peut trouver plusieurs façons d'utiliser une plate-forme de la Garde côtière. C'est l'un des sujets que j'ai abordés avec M. Cellucci, l'ancien ambassadeur, quand nous avons discuté du modèle de négociation. On pourrait même utiliser un programme d'observateurs. Un employé du gouvernement américain pourrait monter à bord d'un brise-glace canadien, et un employé canadien pourrait monter à bord d'un navire équivalent des États-Unis, ce qui permettrait d'effectuer des mesures d'exécution de la loi dans les eaux nationales de l'autre pays. Nous procédons déjà de cette façon dans les Grands Lacs et dans la région de Juan de Fuca. Il existe des possibilités de collaboration entre des ministères fédéraux, entre des ministères fédéraux, provinciaux et territoriaux, ainsi qu'avec des gouvernements étrangers, qui permettraient d'utiliser ces plates-formes polyvalentes à d'autres fins, au besoin.

Ce qui compte, c'est de mettre l'accent sur la nature polyvalente de la plate-forme. Ça ne sert à rien d'investir dans un navire conçu pour l'Arctique et de le donner à la marine parce que la marine ne l'utilisera pas de façon polyvalente, et non parce que la marine n'est pas un organisme assez compétent. J'ai beaucoup de respect pour les Forces canadiennes. Cependant, c'est la Garde côtière qui exécute les diverses tâches maritimes canadiennes dans le Nord. Elle le fait très bien à l'aide de l'équipement dont elle dispose, et elle le fera encore mieux quand elle obtiendra l'équipement dont elle a besoin.

Le président : La seule autre question dont nous n'avons pas discuté est celle que vous abordez dans votre article du Ottawa Citizen ce matin. Vous pourriez peut-être formuler quelques commentaires à ce sujet avant que je ne lève la séance.

M. Byers : Je n'ai pas besoin d'en parler en détail puisque vous avez l'article ainsi que les recommandations adoptées, je crois. Vous êtes capables de le lire aussi bien que moi.

Ce que je peux dire, c'est que nous voulions déterminer si une équipe américaine et une équipe canadienne pouvaient s'associer de façon constructive pour cerner des possibilités de collaboration. Aucune de nos recommandations ne remet en question la souveraineté canadienne de quelque façon que ce soit. Aucune d'entre elles n'entraîne une diminution des critères. Toutes les recommandations visent à accroître les critères en matière de normes environnementales, par exemple. En fait, dans certains cas, nos recommandations visent à pousser les États-Unis à agir.

Par exemple, dans notre première recommandation, nous demandons aux États-Unis de créer une zone d'avertissement et d'interception dans le Nord de l'Alaska. À l'heure actuelle, les États-Unis n'exigent pas que des navires qui se rendent au nord de l'Alaska avertissent le gouvernement américain et ne disposent d'aucun système pour intercepter les navires suspects. Ce serait très utile, pour nous, si les Américains mettaient en place un système d'avertissement — un système obligatoire — pour deux raisons : d'abord, cela voudrait dire qu'ils sauraient ce qui s'en vient vers nous, et qu'ils pourraient nous le dire. Ensuite, s'ils mettaient sur pied un système d'avertissement obligatoire solide, ils ne pourraient plus se plaindre du fait que nous rendions obligatoire notre système volontaire actuel. Le fait de renforcer les critères aux États-Unis permettrait en partie de renforcer les critères au Canada.

Pendant ces négociations — regroupant un ensemble imposant de spécialistes, dont des personnes assez proches de l'administration Bush — nous nous sommes tous entendus pour dire que les problèmes étaient assez graves et assez urgents pour que nous trouvions des façons de collaborer. À long terme, les États-Unis pourraient même en venir à reconnaître la revendication de souveraineté du Canada. Ils ne le feront pas tout de suite, pour une simple et bonne raison. Ils ne sont pas convaincus que nous sommes prêts à assumer nos responsabilités et à véritablement exercer le pouvoir requis pour protéger leurs intérêts. Pour eux, ce qui pourrait arriver de pire, ce serait qu'ils reconnaissent la souveraineté du Canada puis que nous ne prenions aucune mesure. S'ils reconnaissent notre souveraineté sur le passage du Nord-Ouest et que nous restons les bras croisés ou que nous n'agissons pas suffisamment, ils auront perdu. Pour l'instant, il vaut bien mieux, pour eux, maintenir le différend juridique et collaborer avec nous pour nous encourager à agir, à renforcer notre confiance en nos capacités, à prouver que nous sommes un grand pays de l'Arctique et que la situation deviendra sans effort pour eux si leur partenaire au sein de NORAD et de l'OTAN fait le travail le long de la côte Nord du Canada et qu'il faudrait lui offrir plus de soutien, en reconnaissant la revendication fondée en droit du Canada.

Nous pouvons y arriver, et c'est ce à quoi sert le présent exercice. Il sert à cerner des façons de collaborer qui sont utiles en tant que telles et qui peuvent aussi aider le Canada à avoir davantage confiance en ses capacités, ce qui pourrait nous permettre de convaincre les États-Unis d'agir en notre faveur et de nous soutenir sur le plan juridique.

C'est un peu osé. C'est original. Ce n'est pas de cette façon que les ministères et les gouvernements prudents agissent habituellement, et c'est pourquoi je pense qu'il faut parfois que des personnes extérieures au système mettent ces méthodes à l'essai.

Le président : Nous avons tous connu un avant-midi très intéressant et fascinant. Je vous remercie d'être venu.

M. Byers : Ça a été pour moi un grand plaisir. Merci.

La séance est levée.


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