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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans

Fascicule 7 - Témoignages du 15 avril 2008


OTTAWA, le mardi 15 avril 2008

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui, à 18 h 20, afin d'examiner, pour en faire rapport, les questions relatives au nouveau cadre stratégique, en évolution, du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada. Sujet : étude sur l'Arctique.

Le sénateur Ethel Cochrane (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Je suis le sénateur Cochrane, de Terre-Neuve-et-Labrador, et je vais présider la séance de ce soir.

Je vais présenter les membres du comité. Il y a le sénateur Comeau, du Nouveau-Brunswick, le sénateur Eyton, de l'Ontario et le sénateur Watt, du Nord du Québec. Le sénateur Robichaud vient du Nouveau-Brunswick, le sénateur Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard, et le sénateur Adams, du Nunavut.

Nous étudions aujourd'hui le nouveau cadre stratégique en évolution pour la gestion des pêches et des océans du Canada. Nous abordons plus précisément le sujet de l'Arctique. Récemment, le comité a entendu le témoignage de plusieurs spécialistes des questions liées à la souveraineté de l'Arctique, au rôle de la Garde côtière canadienne dans le Nord du Canada, aux changements climatiques et aux enjeux qui entraînent des changements profonds dans l'Arctique.

Voici les témoins que nous avons entendus jusqu'à maintenant : le commissaire de la Garde côtière canadienne, George da Pont, ainsi que l'ancien sous-commissaire, Michael Turner; des conseillers juridiques d'Affaires étrangères et Commerce international Canada; M. Michael Byers, de l'Université de la Colombie-Britannique; M. Rob Huebert, de l'Université de Calgary; M. Duane Smith, président de l'Inuit Circumpolar Council; M. Scott Borgerson, du Council on Foreign Relations.

Aujourd'hui, j'ai le plaisir d'accueillir Paul Kaludjak et Gabe Nirlungayuk, qui sont respectivement président et directeur, Service de la faune, de Nunavut Tunngavik Incorporated. Nous recevons également John Merritt, conseiller principal en matière de politiques, Inuit Tapiriit Kanatami.

D'après ce qu'on m'a dit, vous avez de brèves déclarations préliminaires à faire. Je vous cède la parole.

Paul Kaludjak, président, Nunavut Tunngavik Incorporated : Merci, madame la présidente.

[Le témoin s'exprime dans sa langue maternelle.]

Je suis content d'être ici, à Ottawa. Il fait encore moins 30 chez moi, au Nunavut, tandis qu'il fait chaud — plus 10 — chez vous. C'est beaucoup trop chaud pour nous. J'ai demandé à mon personnel de fermer Ottawa pendant un bout de temps pour que la ville puisse refroidir, mais mon personnel ne m'écoute pas, pour une raison qui m'échappe.

Je m'appelle Paul Kaludjak. À ma gauche se trouve Gabe Nirlungayuk, directeur du Service de la faune. John Merritt joue de nombreux rôles. Il est également conseiller juridique pour Nunavut Tunngavik Incorporated. Derrière moi se trouve M. Comeau, membre du personnel de NTI.

Honorables sénateurs, merci de m'avoir offert de témoigner ce soir, pour présenter au nom de NTI nos points de vue sur certaines des questions qui ont trait à la souveraineté de l'Arctique ainsi que sur d'autres éléments que j'aimerais mettre en lumière. Il s'agit de préoccupations importantes pour les Inuits à l'heure actuelle. Je vais également dire quelques mots au sujet des pêcheries du Nunavut.

Il nous arrive très souvent d'avoir l'impression que personne d'autre que la nature nous écoute lorsque nous nous exprimons, de parler sans être entendus. Nous sommes néanmoins heureux de constater que, dans bien des cas, la Chambre de second examen objectif semble prendre le temps de nous écouter avec davantage de sérieux qu'on ne le fait ailleurs. Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, par exemple, étudie à l'heure actuelle la mise en œuvre des accords sur les revendications territoriales. Il a entendu les représentants de NTI le 4 décembre de l'an dernier, ainsi que le 26 février et le 2 avril de l'année courante. Son enquête accorde au processus de mise en œuvre l'attention qu'il mérite. Nous avons hâte qu'il termine son rapport et hâte de voir ce qui en découlera. Ce qu'il faut, c'est que ce rapport soit suivi de mesures concrètes.

Par ailleurs, j'ai été ravi d'apprendre que, le 9 avril dernier, le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement a recommandé la mise sur pied d'un projet pilote sur l'utilisation de l'inuktitut au Sénat dans les meilleurs délais. J'ai aussi été ravi d'apprendre que ce projet pilote sera peut-être étendu au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones ainsi qu'à votre comité.

J'accueille favorablement cette initiative et j'attends avec impatience l'adoption du rapport.

Nunavut Tunngavik Incorporated a de nombreux désaccords avec le gouvernement du Canada. J'affirme d'emblée, toutefois, que le premier ministre et son gouvernement méritent des félicitations pour la priorité qu'ils accordent au dossier de la souveraineté de l'Arctique. Le premier ministre a effectué des visites dans le Nord en 2006 et en 2007, et la souveraineté de l'Arctique a été le premier point abordé dans le discours du Trône l'automne dernier. Il est évident pour moi que le premier ministre a pris l'engagement personnel d'affirmer la souveraineté du Canada dans l'Arctique.

Une préoccupation que partagent tous les Canadiens, c'est la prévention des déversements de pétrole et d'autres accidents lorsque les changements climatiques permettront aux pétroliers et aux autres navires de circuler dans le passage du Nord-Ouest. Le déversement de l'Exxon Valdez en Alaska en 1989, qui a pollué 28 000 kilomètres carrés d'océan, a été un avertissement de ce qui risque de se produire si aucun contrôle n'est exercé sur l'activité maritime. Ce déversement s'est produit dans une zone isolée où il a été impossible de réagir immédiatement. De plus, les techniques employées, comme l'écrémage, la combustion, les dispersants chimiques et les traitements à l'eau chaude ont été inefficaces ou ont eu des effets secondaires néfastes. Le déversement a finalement pu être nettoyé au moyen de barrages flottants, de matelas absorbants et de jets d'eau froide, mais il reste encore aujourd'hui des traces de la catastrophe.

La meilleure façon de nous protéger et de protéger l'environnement demeure, pour le Canada, la gestion et la réglementation du transport maritime dans le passage du Nord-Ouest en appliquant des normes et des procédures extrêmement rigoureuses. Pour ce faire, le Canada doit exercer une souveraineté pleine et entière sur le passage du Nord-Ouest. La présence des Inuits dans le Nord et la capacité du Canada d'affirmer sa souveraineté dans l'Arctique sont indissociables. L'utilisation et l'occupation par les Inuits de 3,8 millions de kilomètres carrés de terre et d'océan dans les Territoires du Nord-Ouest ont été attestées par le gouvernement du Canada en 1977 dans des documents, des cartes et des publications qui confirment l'utilisation par les Inuits des détroits de Lancaster et de Lancaster et de Barrow, l'extrémité orientale du passage du Nord-Ouest, que les Américains et les Européens prétendent être un détroit international. Nous ne sommes pas de cet avis.

En 1985, le gouvernement du Canada a tracé des lignes autour des îles de l'Arctique et déclaré que les eaux à l'intérieur de ces lignes faisaient partie des eaux intérieures du Canada tout comme les eaux de la baie d'Hudson. Le ministère de la Justice a invoqué, entre autres choses, l'occupation inuite pour étayer cette position, laquelle est confirmée par l'article 15 de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, qui précise que :

La souveraineté du Canada sur les eaux de l'archipel arctique est renforcée par l'utilisation, l'exploitation et l'occupation des Inuits.

De façon plus générale, les droits et les avantages dont bénéficient les Inuits aux termes de l'accord du Nunavut sont, et je cite le texte de l'accord :

[...] en reconnaissance de la contribution des Inuits à l'histoire, à l'identité et à la souveraineté du Canada dans l'Arctique.

En appliquant intégralement l'Accord du Nunavut, le gouvernement du Canada démontrerait sa souveraineté sur les terres de l'Arctique. Le problème est qu'il n'applique pas tous les articles de l'accord ni n'en respecte l'esprit et la lettre. Nous l'avons expliqué au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones lorsque nous avons comparu devant celui-ci le 4 décembre, le 26 février et le 2 avril, et notre point de vue est étayé par les conclusions de la vérificatrice générale et de consultants indépendants. Permettez-moi de citer quelques exemples d'échec de la mise en œuvre de l'accord que j'estime particulièrement pertinents pour votre comité.

L'article 12 de l'accord oblige le gouvernement à élaborer, en collaboration avec la Commission d'aménagement du Nunavut, un plan de surveillance de l'intégrité environnementale ainsi que du bien-être social, culturel et économique des Inuits. Il faut que vous sachiez ce qui se passe dans le territoire sur lequel vous affirmez votre souveraineté afin de démontrer votre présence aux autres. Pourtant, 15 ans se sont écoulés depuis la ratification de l'accord, et cet article n'est toujours pas appliqué.

L'article 15 prévoit l'établissement d'un conseil du milieu marin du Nunavut en vue de convaincre les organismes et les ministères gouvernementaux de s'occuper en priorité de la zone au large des côtes. De par son existence même, le conseil du milieu marin du Nunavut démontrerait que la zone au large des côtes constitue une partie intégrante du Canada, mais à cause de l'inaction du Canada et de l'absence de financement, cet article n'est toujours pas appliqué lui non plus.

Pour ce qui est de la pêche, l'article 15.3.7 de l'accord reconnaît le principe de la continuité dans l'attribution des permis de pêche commerciale. Au cours des 15 dernières années, NTI a entrepris de nombreuses démarches de lobbying, et parfois des poursuites judiciaires, en vue de convaincre les différents ministres des Pêches qui se sont succédé et leurs fonctionnaires d'augmenter le précieux quota commercial du Nunavut pour le flétan noir dans la division 0B pour le faire passer au même niveau que celui des administrations contiguës du reste du Canada.

Le Canada a fait des progrès sur le plan de la pêche émergente et exploratoire du flétan noir. Les Inuits du Nunavut détiennent maintenant la totalité du quota exploratoire du flétan noir dans la division 0A de l'Organisation des pêches de l'Atlantique du Nord-Ouest, ou OPANO. Malheureusement, on ne peut en dire autant de la pêche commerciale au flétan noir qui bat son plein dans la division 0B de l'OPANO, où les pêcheurs du Nunavut ne détiennent que 27,3 p. 100 du quota commercial et aucun permis sous le régime d'allocation d'entreprise. Dans toutes les autres régions du Canada, les entreprises de pêcheurs des administrations contiguës reçoivent entre 80 et 95 p. 100 du quota de leurs eaux avoisinantes.

Récemment, le ministre Hearn a raté une excellente occasion de corriger l'injustice subie par les Inuits en ce qui concerne l'accès à la division 0B et l'attribution des quotas lorsqu'il a transféré de façon permanente 1 900 tonnes du quota de flétan noir de Seafreez à des sociétés du Sud, c'est-à-dire de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse. Ce transfert s'est fait sans consultation, en violation de l'article 15.3.4 de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. En vertu de cet article, le ministre doit obtenir l'avis du Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut à l'égard de toute décision de gestion qui influe sur les droits et les possibilités de récolte des Inuits dans les zones marines du Nunavut. Cela n'a pas été fait.

Après des années de négociations frustrantes avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien au nom du gouvernement du Canada, et après que des négociateurs fédéraux ont quitté la table de négociations, NTI a intenté des poursuites judiciaires en décembre 2006 face au refus du gouvernement du Canada d'appliquer intégralement l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Nous nous retrouvons aujourd'hui devant les tribunaux parce que le gouvernement du Canada n'a pas mis en œuvre l'accord, lequel, s'il était respecté intégralement, renforcerait la souveraineté du Canada dans l'Arctique et permettrait aux deux parties de s'acquitter de leurs responsabilités.

Après s'être contenté de tout nier, le gouvernement fédéral a jugé bon de présenter une motion en vue de nous obliger à nommer le gouvernement du Nunavut comme codéfendeur. Le juge Earl Johnson, de la Cour de justice du Nunavut, a rejeté la motion le 11 avril dernier, c'est-à-dire il y a quelques jours, en faisant valoir, à l'instar de NTI, que l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut a été conclu entre les Inuits du Nunavut et la Couronne.

L'année dernière, le premier ministre a annoncé la construction de navires de patrouille renforcés pour la navigation dans les glaces, le recrutement d'un plus grand nombre de patrouilleurs et la construction d'un port en eaux profondes à Nanisivik. De plus, dans le discours du budget de cette année, le gouvernement a annoncé qu'il allait remplacer le plus ancien et le plus gros brise-glace du Canada, le NGCC Louis Saint-Laurent, mais le premier ministre a ajouté l'an dernier : « Quand il s'agit de défendre notre souveraineté dans l'Arctique, le Canada a fait un choix : soit de l'exercer, soit de la perdre. Et soyons clairs, notre gouvernement entend l'exercer. »

Les Inuits sont de fiers citoyens du Canada et ils exercent cette souveraineté en exploitant l'Arctique depuis des milliers d'années. Nous avons conclu avec le Canada un accord protégé par la Constitution qui le confirme. Ainsi, le message fondamental que je tiens à transmettre est que le gouvernement du Canada devrait utiliser l'accord dans le cadre d'une stratégie visant à affirmer et à exprimer la souveraineté du Canada dans l'Arctique. L'activité des forces armées et de la Garde côtière ainsi que la surveillance par satellite doivent faire partie de la stratégie, mais ces mesures sont inefficaces prises isolément.

En terminant, permettez-moi de porter à votre attention le fait que nous avons eu une occasion en or de bien faire les choses. Dans le discours du Trône, le gouvernement a promis qu'il élaborerait une stratégie intégrée pour le Nord dans laquelle figureraient des mesures de renforcement de la souveraineté et de la sécurité. Nous avons hâte d'être consultés au sujet de cette stratégie, qui devrait inclure l'engagement de faire appel aux Inuits et d'utiliser l'accord sur le Nunavut pour affirmer notre souveraineté dans l'Arctique.

Au nom de mon personnel de la population du Nunavut, merci beaucoup de votre attention et de l'invitation à témoigner.

John Merritt, conseiller principal en matière de politiques, Inuit Tapiriit Kanatami : Je remercie les honorables sénateurs de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui au nom d'Inuit Tapiriit Kanatami. Veuillez m'excuser si vous n'avez pas les versions écrites en anglais et en français de mes observations. Si c'est le cas, c'est que j'ai tardé à faire parvenir les documents à votre greffière, mais je pense que le texte sera distribué lorsqu'il sera dans les deux langues officielles.

D'après ce que la greffière a expliqué à ITK, le comité s'intéresse de près aux liens entre les politiques relatives aux pêcheries et la souveraineté dans l'Arctique. Je m'appelle John Merritt, et je suis conseiller en matière de politiques à ITK. Je travaille également à mi-temps pour le président de Nunavut Tunngavik Incorporated. La présidente, Mary Simon, n'a pas été en mesure de se joindre à nous aujourd'hui. Elle participe à une importante conférence sur l'éducation à Inuvik avec tous les membres du conseil d'administration d'ITK sauf le président, M. Kaludjak. Il y avait un conflit d'horaire impossible à régler. Je vais faire de mon mieux pour vous expliquer le point de vue de l'ITK. Je vais essayer de vous donner des suggestions précises quant à ce qui ce peut être fait, par rapport aux liens entre la souveraineté et les politiques relatives aux pêcheries, dans l'intérêt du pays et des Inuits.

Je ne vais pas répéter ce qu'a dit le président de NTI, mais tout débat sur les politiques relatives aux pêcheries de l'Arctique doit tenir compte pleinement de l'importance capitale des quatre accords de revendications territoriales et inuites par rapport aux quotas et à la gestion des stocks.

Les dispositions de ces accords qui portent sur les droits de pêche et sur la gestion des pêcheries varient, comme vous pouvez l'imaginer, d'une région à l'autre, en fonction de facteurs biologiques et sociaux, ainsi que de facteurs liés aux territoires. Cependant, tous ces accords garantissent aux Inuits le droit de participer à des ententes de cogestion qui doivent tenir compte des priorités en matière de conservation, des droits d'accès des Inuits et de l'obligation de préserver la confiance de la population et de lui rendre des comptes.

Du point de vue d'ITK, la souveraineté est un facteur qui touche autant l'élaboration des politiques nationales que celle des politiques étrangères. La force de la souveraineté du Canada dépend de l'efficacité de ses politiques sociales dans l'Arctique autant que de ses démarches et activités militaires et diplomatiques.

Comme le président d'ITK l'a résumé à un certain nombre de reprises dans les allocutions et les articles de journaux au cours de la dernière année, la souveraineté doit d'abord se faire sur place. Plutôt que de répéter les arguments que ITK a avancés à l'appui de cette conclusion, je signalerais à votre attention les différents articles parus dans les journaux nationaux au cours des derniers mois, en remontant jusqu'à l'été dernier, au moment où Mme Simon a bien expliqué cela à la population canadienne. Les représentants d'ITK sont heureux de vous fournir tout document qui pourrait vous être utile à cet égard.

Les Inuits sont inquiets, parce que les politiques du gouvernement fédéral sur l'Arctique occultent de plus en plus la réalité des Inuits sur les plans historique, démographique, économique, social et sur ceux de leurs droits et de leurs aspirations. Nous envisageons cela de différentes manières. Les politiques fédérales décrivent habituellement les terres des trois territoires comme étant toutes les terres qui forment l'Arctique, y compris le Nord du Québec et le Labrador. Cette description est une source de confusion et elle nuit aux efforts d'élaboration de politique. Les possibilités d'exploitation à grande échelle de nouvelles ressources non renouvelables dans l'Arctique suscitent l'enthousiasme, mais on fait fi de l'écart consternant entre les Inuits et le reste du Canada sur le plan de l'accès aux soins de santé de base, à l'éducation et au logement.

Le gouvernement du Canada ne répond pas spontanément aux offres répétées des Inuits de conclure de véritables partenariats pour mettre sur pied des initiatives ingénieuses et stimulantes, dans le but d'obtenir des résultats intéressants pour tout le monde, c'est-à-dire, pour les Inuits comme pour l'ensemble des Canadiens. Cette absence de réaction ne passe pas inaperçue chez les Inuits ni n'est exempte de conséquences. Voici ce qu'on pouvait lire, par exemple, le 27 mars de l'année courante dans un journal d'Iqaluit :

Les délégués de l'industrie de la pêche qui ont participé la semaine dernière à Iqaluit à un colloque de trois jours ont formulé deux motions de blâme envers Ottawa, qui fait fi du besoin du Nunavut de construire de nouveaux ports pour petits bateaux et d'obtenir des quotas de pêche commerciale plus élevés.

Voici une citation dans la citation :

« Le seul moment où nous nous sentons Canadiens, c'est à la fin de l'année, lorsque nous payons nos impôts », a déclaré George Qulaut, de la Qikiqtaaluk Corporation, entreprise qui a fait de gros investissements dans la pêche à la crevette en haute mer au cours des dernières années...

Lorsqu'un leader respecté comme George Qulaut, qui, entre autres choses, a siégé à la commission que le gouvernement fédéral a chargée de superviser la création du gouvernement du Nunavut, se sent obligé de dire quelque chose du genre, alors les intérêts du Canada en matière de souveraineté ne sont pas bien servis.

Que peut-on faire? Plus précisément, que peut faire le comité?

Tout d'abord, ITK est d'avis que le comité a déjà fait preuve d'un esprit d'initiative qui est le bienvenu pour ce qui est d'examiner les liens entre les politiques relatives aux pêcheries et la souveraineté dans l'Arctique, et ITK félicite le comité d'avoir entrepris cet examen.

Ensuite, ITK invite le comité à réfléchir à la possibilité d'adopter les cinq positions suivantes et à les communiquer au gouvernement et à la population du Canada.

Premièrement, lorsqu'il élabore des politiques, le gouvernement du Canada doit envisager la réalité géographique de l'Arctique comme il faut. L'Arctique est constitué de toutes les terres et de toutes les eaux qui forment la région inuite du Canada, y compris le Nord du Québec et le Labrador. Il convient de signaler que l'Assemblée nationale du Québec a adopté une résolution conforme à cette idée. Plus précisément, cette résolution de l'Assemblée nationale du Québec précise qu'une stratégie sur le Nord devrait inclure le Nord du Québec.

Deuxièmement, les politiques relatives aux pêcheries de l'Arctique doivent, pour des motifs qui se renforcent mutuellement de souveraineté, de développement socioéconomique durable pour les habitants de l'Arctique et d'équité pour l'ensemble des Canadiens, être orientées vers la création d'une pêcherie commerciale réservée pour résidents qui soit viable et de plus en plus importante. Cela suppose, entre autres choses, la création d'un réseau de petits ports et le fait d'accorder aux Inuits un accès approprié et fiable aux pêcheries commerciales.

Troisièmement, pour faire suite au deuxième point — et j'ajoute ici quelque chose à ce qu'a dit déjà M. Kaludjak —, les politiques actuelles en matière de pêcheries sont discriminatoires à l'égard des régions de l'Arctique, et donc à l'égard des Inuits, puisqu'elles accordent systématiquement aux collectivités adjacentes des quotas moins élevés qu'ailleurs au Canada. Il faut que ces politiques changent pour mettre fin rapidement à cette discrimination.

Je sais que les représentants de NTI ont déjà comparu devant le comité et vous ont déjà dit qu'ils pensent que ces politiques sont contraires à la Charte canadienne des droits et libertés dans la mesure où elles ne sont pas égalitaires comme le garantit l'article 15 de la Charte.

Quatrièmement, il faudrait demander au ministère des Pêches et des Océans et au ministère de la Justice de réviser la nouvelle Loi sur les pêches proposée dans le but de faire trois choses. ITK sait que le projet de loi n'est pas devant vous, mais il va vous être renvoyé à un moment donné, j'en suis sûr, et certains éléments de ce projet de loi et du projet de loi précédent vont sans aucun doute faire partie du projet législatif auquel on travaillera.

ITK aimerait vous faire part à l'avance de ses idées au sujet de trois éléments du projet de loi qui, selon nous, devraient être modifiés dès maintenant, tandis que le projet de loi est encore relativement jeune. Premièrement, le projet de loi devrait citer le traitement égalitaire des régions contiguës au Canada comme un principe directeur. Toutes les régions du Canada devraient être traitées de façon équitable, ce qui, dans ce cas-ci, signifie de la même façon, pour ce qui est d'avoir accès à 85 p. 100 des stocks de poisson des eaux contiguës.

Deuxièmement, le projet de loi devrait permettre aux peuples autochtones d'être aussi bien placés pour conclure volontairement — j'insiste là-dessus — des accords de cogestion avec le ministère des Pêches et des Océans que le sont les gouvernements provinciaux et territoriaux. Les peuples autochtones devraient avoir aussi la possibilité de conclure des accords. Bien entendu, le ministère des Pêches et des Océans devrait donner son aval, mais les peuples autochtones devraient être aussi bien placés que les gouvernements provinciaux et territoriaux pour conclure des accords de cogestion.

Troisièmement, le projet de loi devrait refléter le contenu du récent rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles sur la rédaction des dispositions de non-dérogation. Les organisations inuites ont participé de façon très active aux travaux du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, et le comité a publié un excellent rapport sur les dispositions de non-dérogation plus tôt au cours de l'année. Nous aimerions voir les conclusions de ce rapport respectées dans le cadre de la rédaction non seulement du projet de loi sur les pêches, mais également de tous les projets de loi fédéraux futurs.

La dernière recommandation que ITK vous ferait aujourd'hui, c'est de demander au gouvernement fédéral de convertir la stratégie pour le Nord qu'il a promis d'élaborer dans le discours du Trône de 2007 en une stratégie pour l'Arctique et de donner forme à cette stratégie dans le cadre d'un partenariat dynamique et ouvert avec les Inuits.

La vice-présidente : Monsieur Nirlungayuk, voulez-vous dire quelque chose vous aussi?

Gabe Nirlungayuk, directeur, Service de la faune, Nunavut Tunngavik Incorporated : Non, le président a parlé. S'il y a des questions, je suis ici pour l'aider à y répondre.

Le sénateur Comeau : J'aimerais simplement obtenir deux ou trois éclaircissements pour voir si je vous ai bien compris. Premièrement, monsieur Merritt, selon vous, il faut que nous envisagions la réalité géographique comme il faut, et le Québec semble l'avoir fait pour ce qui est du Nord du Québec. Pourriez-vous nous expliquer cela plus à fond? Où le gouvernement du Canada s'est-il trompé, et en quoi le gouvernement du Québec a-t-il raison?

M. Merritt : Le gouvernement fédéral a tendance à voir les politiques concernant le Nord et l'Arctique comme des politiques ayant trait aux trois territoires, et il a tendance à voir les territoires comme étant formés de terres seulement. Il y a une ambiguïté dans les recueils de lois quant à la question de savoir si les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut incluent de larges zones marines. L'avis le plus éclairé, c'est qu'il inclut ces zones, mais le ministère de la Justice du Canada ne l'a jamais admis.

Si l'on envisage le point de départ du gouvernement fédéral, les politiques relatives à l'Arctique ont tendance à être interprétées comme étant des politiques élaborées par le gouvernement fédéral pour les trois gouvernements territoriaux. Si on limite les territoires aux masses terrestres, par définition, on exclut de vastes zones marines dans l'ensemble de l'archipel et à l'est et à l'ouest de celui-ci. Du point de vue des Inuits, ce qui est encore plus préjudiciable, c'est que cela laisse de côté le Nord du Québec et le Labrador.

Les régions en question se trouvent au nord de la limite des arbres, et n'importe quel géographe vous dirait que les frontières intérieures du Canada ne circonscrivent pas l'Arctique dans les trois territoires. Les Inuits vivent dans deux provinces et dans trois territoires. À cause de son point de vue biaisé, le gouvernement fédéral a tendance à estimer que la stratégie pour le Nord devrait être une stratégie intergouvernementale élaborée par Ottawa et les trois gouvernements territoriaux. D'après NTI et ITK, ce point de vue ne tient pas compte des caractéristiques géographiques essentielles du Nord.

L'Assemblée nationale du Québec l'a reconnu récemment dans le cadre d'une résolution. Je pense que cette résolution a été proposée par la Société Makivik, qui représente les Inuits du Nord du Québec. La possibilité s'offre ici d'élaborer une nouvelle stratégie, et la résolution proposait que le gouvernement fédéral envisage les choses comme il faut et adopte une stratégie incluant explicitement le Nord du Québec et le Labrador.

Lorsqu'on envisage une stratégie pour le Nord qui se limite aux masses terrestres des trois territoires, aucune des questions litigieuses relatives à la souveraineté ne se pose. On ne remet pas en question la souveraineté du Canada dans les zones terrestres des trois territoires.

Le sénateur Comeau : M. Merritt, pouvez-vous nous dire quel genre d'organisation est ITK et quels sont ses objectifs?

M. Merritt : ITK, qui signifie Inuit Tapiriit Kanatami, est une organisation nationale constituée en société sans but lucratif. Les membres de l'organisation sont les quatre organisations de revendications territoriales inuites, dont NTI, et le conseil d'administration d'ITK est composé des présidents de ces organisations et de plusieurs autres membres, dont la présidente de la CCI. Il s'agit essentiellement de l'organisation nationale inuite du Canada.

Les quatre régions sont les suivantes : la région de l'Arctique de l'Ouest, occupée par les Inuvialuits, la région du Nunavut, qui correspond au territoire, la région du Nunavik, dans le Nord du Québec, et le Nunatsiavut, qui est la région de la côte du Labrador visée par un accord de revendications territoriales.

Le sénateur Comeau : Monsieur Kaludjak, vous avez mentionné dans votre exposé le fait qu'il n'existe pas de plan d'exploitation et de surveillance du milieu naturel du Nunavut ainsi que d'évaluation du bien-être culturel et économique des Inuits. Je pense que vous parlez de l'article 12. Cet article précisait bel et bien qu'il fallait élaborer un plan, et, une fois le plan élaboré, je présume qu'il serait appliqué.

Est-ce que j'ai bien compris qu'on n'a pas élaboré de plan jusqu'à maintenant?

M. Kaludjak : Oui, c'est exact, à moins qu'il existe un plan dont nous n'avons pas entendu parler.

Le sénateur Comeau : Un plan secret que quelqu'un quelque part aurait mis au point.

M. Kaludjak : Oui, mais personne n'a élaboré quoi que ce soit d'après ce que nous savons.

Le sénateur Comeau : C'est quelque chose de très important à nos yeux. À la page 7 de votre mémoire, vous mentionnez le transfert permanent de 1 900 tonnes de flétans noirs du quota alloué à Seafreez vers d'autres entreprises du Sud, notamment vers des entreprises de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse. Est-ce que Seafreez a perdu ces 1 900 tonnes? Comment l'organisation a-t-elle pu laisser ce transfert se produire, ou pourquoi l'a-t-elle fait?

M. Kaludjak : D'après nos renseignements et nos dossiers là-dessus, c'est le ministère des Pêches qui a alloué le quota de sa propre initiative, sans nous avoir consultés. Voilà qui prouve encore une fois que, peu importe ce qui se passe dans le domaine de l'allocation des pêcheries, le Nunavut n'a pas vraiment son mot à dire quant aux quotas qu'il obtient, quant à ceux que les pêcheurs du Sud obtiennent et quant à ces possibilités qui sont perdues pour nous.

Nous exigeons du ministre Hearn qu'il donne suite à ce dossier et qu'il s'assure que ce genre de chose ne se reproduise plus.

Le sénateur Comeau : Il s'agit de la division 0B de l'OPANO, c'est-à-dire de la zone litigieuse sur laquelle nous nous sommes penchés souvent au fil des ans.

Cependant, il est évident que Seafreez possédait ce quota depuis un certain nombre d'années et que, d'une façon ou d'une autre, l'organisation a permis le transfert du quota à d'autres entreprises ou l'a perdu. C'est ce que j'essaie de comprendre. Je suis à peu près sûr que vous auriez aimé voir le quota transféré à vos collectivités. Je peux très bien comprendre cela.

M. Kaludjak : C'est quelque chose que nous allons devoir continuer d'examiner, parce que nous ne savons pas ce qui s'est passé exactement.

Le sénateur Comeau : Ce serait très important. Le comité s'est penché précisément sur cette question à un certain nombre de reprises au fil des ans. Nous avons affirmé dans le passé que si des transferts devenaient possibles, nous aurions des recommandations précises à cet égard. Je me demande donc pourquoi votre groupe n'a pas pris part à ce débat.

M. Kaludjak : Exactement. C'est ce que nous voulions : faire partie du processus et nous assurer d'obtenir la part du gâteau qui nous revient.

Pour faire un petit jeu de mots, lorsque nous parlons des pêcheries, plus nous entrons dans le détail, plus les eaux sont troubles. Je pense qu'il s'agit probablement d'une question de ce genre.

Le sénateur Adams : C'est la troisième fois que vous comparaissez devant le comité. J'aimerais féliciter Paul Kaludjak d'avoir obtenu un second mandat comme président de NTI en mars. Il fait du bon travail.

Je ne sais pas comment nous allons faire pour obtenir davantage de pouvoir par rapport à la souveraineté dans l'Arctique. Lorsque Paul Martin était encore premier ministre, il parlait de transformer les trois territoires en provinces. Est-ce que c'est quelque chose que NTI a envisagé? Nous devrions le demander. Peut-être M. Merritt peut-il nous dire ce qu'il en pense. Qu'est-ce qui distingue un territoire d'une province lorsqu'il s'agit d'appliquer les revendications territoriales et autre chose du genre? Nous pourrions nous tourner vers les Nations Unies pour obtenir une reconnaissance. Nous habitons l'Arctique depuis 1 000 ans, alors pourquoi devons-nous encore agir dans le cadre d'accords de revendications territoriales? Pourquoi sommes-nous toujours un territoire? Nous devrions avoir droit de regard sur les eaux contiguës. À l'heure actuelle, c'est l'OPANO et d'autres pays qui exercent ce droit de regard.

M. Merritt : Sénateur Adams, peut-être puis-je vous donner un point de vue juridique là-dessus et laisser au président le soin de vous donner une interprétation politique. Pour que les territoires deviennent des provinces, il faudrait modifier la Constitution. Il est clair qu'on va s'attaquer à quelque chose de gros si, à un moment donné, comme je soupçonne que cela va arriver, les territoires s'organisent pour demander le statut de province. Dans le passé, il y a eu plus de discussions sur l'idée d'en faire un objectif à court terme au Yukon que dans les autres territoires. Je pense qu'aucune organisation inuite n'a pris officiellement position en faveur de l'obtention rapide du statut de province, que ce soit au Nunavut ou dans les Territoires du Nord-Ouest, dans le cas des Inuvialuits. Cependant, on a beaucoup insisté sur l'accélération du processus de négociation du transfert des responsabilités liées à l'exploitation des ressources naturelles et à une part plus importante des bénéfices découlant de l'exploitation minière, pétrolière et gazière au Nunavut et dans les Territoires du Nord-Ouest.

On s'est dit déçu que le gouvernement fédéral semble réticent à négocier avec les territoires des ententes de transfert des responsabilités touchant les zones maritimes. Vous avez entendu NTI et ITK dire que les Inuits pensent que la stratégie pour le Nord ou pour l'Arctique que le gouvernement a promis d'élaborer devrait être mise au point entièrement en collaboration avec les organisations inuites, qui souhaitent participer de façon constructive au processus qui permettra de corriger cette situation. Jusqu'à maintenant, il n'y a eu que très peu d'occasions de contribuer à cela, sinon aucune. C'est quelque chose qui a causé énormément de frustration.

M. Kaludjak : Nous avons parlé des choses compliquées. C'est l'homme simple qui parle maintenant. Je vais vous raconter une histoire liée à la question de la propriété qui va vous permettre de comprendre un peu ce que pense une personne qui a vécu au Nunavut toute sa vie, qui est unilingue et qui ne parle que l'inuktitut. Lorsque nous avons obtenu la création du Nunavut, les habitants du territoire pensaient qu'ils possédaient déjà les terres. Ils ne pensaient pas que le gouvernement possédait les terres avant, puisqu'ils récoltaient depuis toujours les produits de la terre et faisaient ce qu'il fallait pour survivre. C'étaient leurs terres. Lorsqu'on a créé le Nunavut, ce qu'on entendait dire, entre autres, c'était : je pensais que nous possédions les terres. Nous pensions qu'il nous appartenait de gouverner sur ces terres et de les utiliser à notre guise.

Pour ce qui est de ces derniers mots, « à notre guise », l'approche simple qui est la nôtre, c'est celle de la propriété, et, à côté des eaux où nous pêchons se trouvent les ressources des quotas des zones de pêche dont nous avons parlé. Nous sommes divisés entre le Groenland, comme vous pouvez le voir sur la carte, et le Nunavut. Nous croyons en la propriété, en l'idée de s'honorer les uns les autres, alors nous avons divisé l'océan en deux points. Nous croyons qu'il faut partager les eaux. Pour nous, il n'y a pas de zones de pêche. Il n'y a qu'une entente simple conclue entre deux groupes inuits. Je suppose que ce serait la bonne façon d'aborder la question, plutôt que de l'aborder du point de vue des pays, parce que nous entretenons des liens avec les Inuits du Grand Nord, du Groenland, de l'Alaska et de la Russie depuis de nombreuses années. Voilà les choses auxquelles nous croyons. Il n'y a pas d'entente fondée sur les frontières.

Le sénateur Adams : Nous ne savons pas comment régler la question de la souveraineté dans l'Arctique. Nous avons rencontré les représentants de certains ministères. Des fonctionnaires des Affaires étrangères ont comparu devant le comité il y a deux ou trois mois. Ils ne savaient pas ce qui allait advenir de la souveraineté dans l'Arctique. Il y a des négociations en cours à cet égard avec d'autres pays — la Russie, les États-Unis et le Danemark — pour l'avenir. Ils se sont rendus là-bas pour voir. Dans l'intervalle, ils nous disent qu'ils ne peuvent rien faire parce qu'ils sont encore en train de cartographier les fonds marins. Je leur ai demandé pourquoi les Russes ont placé un drapeau dans le fond de l'océan Arctique. Ils nous ont répondu que ce n'était que pour prendre des photos, et qu'ils ne se préoccupaient pas de ce qui se passait dans les eaux là-bas. Je leur ai demandé s'il s'agissait des ressources pétrolières et gazières, et ils m'ont répondu que non et qu'il ne s'agissait que de nous aider à cartographier le fond de l'océan.

Ce n'était pas une vraie réponse. C'est ce qu'ils nous ont dit ici, pendant une réunion du comité. J'essayais de savoir combien de pays n'étaient pas prêts à admettre que les terres appartiennent au Canada. En 1953, le gouvernement Diefenbaker a installé deux collectivités là-bas. Le gouvernement du Canada a déplacé ces deux collectivités pour assurer la souveraineté dans l'Arctique. Je dirais que nous avons réglé la question de la souveraineté dans l'Arctique en 1953. Pourquoi en parlons-nous encore aujourd'hui? Les revendications territoriales sont réglées, et on devrait considérer que les terres appartiennent aux Inuits.

John Merritt a parlé du Nord du Québec et du Labrador. Nous avons tous des liens les uns avec les autres. Le sénateur Watt et moi avons un lien, parce que nous vivons au Nunavut. Nous devrions être plus forts, puisque nous sommes liés, dans le Nord du Québec, au Labrador et au Nunavut. Le gouvernement refuse-t-il de le reconnaître parce qu'il y a différents accords de revendications territoriales? Je ne le sais pas.

Comme pour le reste du Canada, nous devons commencer par obtenir une reconnaissance dans les provinces. C'est peut-être comme ça que nous allons obtenir la reconnaissance. Nous parlons la même langue, et le reste du Canada doit s'occuper du français et de l'anglais. Nous sommes tous des Canadiens. Pouvez-vous répondre à cela?

M. Kaludjak : À titre informatif, je précise que nous nous sommes réunis pour discuter de cela il y a deux semaines. Notre conseil d'administration s'est réuni il y a deux semaines pour en parler, et la question du drapeau qu'on a laissé tomber au pôle Nord a été abordée. J'ai dit à mes amis inuits qui vivent là-bas de s'y rendre. Nous avons des crochets pour récupérer les phoques qui ont calé. Nous fabriquons ces crochets nous-mêmes. Je leur ai dit de prendre l'un de ces crochets et de sortir le drapeau de l'eau, de l'amener dans la baie d'Hudson, pour le laisser tomber dans le fond là-bas, pour que les Russes puissent le suivre et venir le récupérer. À ce moment-là, nous pouvons confisquer un sous-marin.

La vice-présidente : Je dois dire que vous êtes très créatif.

M. Nirlungayuk : Je m'adresse au sénateur Adams. Comme j'appartiens à la nouvelle génération, je comprends les liens étroits qui unissent les Inuits des autres territoires et provinces. Mais, pour me faire l'avocat du diable, je dois dire que le gouvernement danois s'occupe très bien de ses nations de pêcheurs qui vivent dans le Nord.

J’ai le regret de dire que la situation est malheureusement bien différente au Canada. Il faut tenir compte de la recherche scientifique, entreprise il n’y a pas si longtemps — du moins de mon vivant — à l’appui de la nouvelle industrie du flétan noir et de la crevette, une activité commerciale dans la région. J’ai même dit à la blague que nous devrions probablement nous adresser aux Danois qui traitent très bien leur population. Nous pourrions avoir de petits ports et de l’argent pour la recherche afin d’augmenter notre quota.

M. Merrit : J’aurais deux commentaires à ajouter. Au sujet du problème de souveraineté, ce que le sénateur Adams a dit est vrai. J’ai lu des témoignages présentés par les juristes des Affaires étrangères qui affirment, pour rassurer les Canadiens, que notre position est solide sur tous les plans, mais il reste que, dans les faits, d’autres pays contestent notre position sur les droits de passage. Notre entente avec les Américains, signée en 1986 ou en 1987, était liée au préavis de la Garde côtière américaine concernant le trafic maritime et il était bien précisé que c’était sans préjudice de leur position.

Ensuite, le Canada oublie régulièrement qu’il n’y a pas seulement les États-Unis qui sont en désaccord avec nous. D’autres pays ont été beaucoup plus discrets, et je n’ai jamais vu la liste complète des pays qui ont exprimé leurs objections à notre égard, mais je crois comprendre qu’il y en a un bon nombre qui, en coulisse, ont indiqué qu’à l’instar des Américains ils contestaient notre point de vue, ce qui est vraiment un problème.

Comme l’ont souligné les Inuits au cours des années, un atout de taille pour le Canada à propos du passage du Nord-Ouest est son utilisation et son occupation de longue date par les Inuits. De vastes recherches, qui font maintenant partie des Archives nationales, ont confirmé l’utilisation et l’occupation des zones marines par les Inuits, et que cette présence est aussi importante sur terre qu’en mer. Plus particulièrement, divers détroits du passage du Nord-Ouest sont utilisés depuis très longtemps pour la chasse et la pêche quand ils sont recouverts de glace.

En revanche, si le Canada veut que l’utilisation et l’occupation des Inuits soient un facteur déterminant pour expliquer pourquoi sa souveraineté ne devrait pas être contestée par la communauté internationale, alors la communauté internationale va s’attendre à ce que le Canada respecte avec honneur ses engagements à l’égard des Inuits. Le concept de l’honneur de la Couronne, que la Cour suprême du Canada rappelle régulièrement dans ses décisions au gouvernement fédéral, peut être défendu seulement s’il existe un véritable partenariat avec les Inuits, ce qui suppose le respect des accords sur les revendications territoriales et l’élaboration d’une stratégie pour le Nord, faisant appel à la collaboration des Inuits sans les laisser à l’écart. Il y a un malentendu là-dessus.

Le sénateur Adams : J’ai entendu dire par le MPO que, tant qu’il y a de la glace, on peut pêcher jusqu’à 60 milles au large. Est-ce reconnu par le MPO? Si c’est une zone d’eau libre, l’accès est limité à 12 milles au large. Est-ce vrai?

M. Merrit : D’après l’accord sur les revendications territoriales du Nunavut, la région du Nunavut coïncide tout à fait avec la limite de 12 milles des côtes. Fait particulièrement intéressant, les droits des Inuits au Nunavut, tels qu’ils sont décrits sur le plan géographique, correspondent parfaitement aux limites territoriales revendiquées par le Canada.

C’est probablement une bonne chose, et ce n’est pas seulement une coïncidence. Les Inuits ont voulu en toute connaissance de cause s’assurer que la position du Canada serait en tous points conforme à la leur mais, comme je viens de le dire, cette adéquation s’accompagne de la responsabilité de tenir toutes les promesses faites dans l’accord sur les revendications territoriales et pas seulement celles sur les limites géographiques.

Le sénateur Hubley : Ma question fait suite aux commentaires de M. Merritt. Un témoin américain que nous avons entendu tout récemment a fait un brillant exposé sur le Nord, ses eaux, les différents intervenants et la situation dans la région. Notre comité est intervenu pour parler de la population du Nord et de ses ressources. Je ne pense pas que c’est une priorité importante pour les Américains qui sont venus témoigner devant nous. Je n’ai pas eu l’impression — mais je peux me tromper — que c’était très important pour eux et, pourtant, ils étaient bien renseignés sur bien des aspects.

Nous avons en quelque sorte senti qu’ils venaient prendre les commandes, si je puis dire, en ignorant le fait qu’il y a des gens qui vivent dans le Nord, et ils s’en remettaient un peu aux chiffres. Ce n’est pas une guerre de chiffres; nous avons affaire à des gens qui ont un mode de vie traditionnel, qui utilisent la terre — et on ne peut pas les mettre dans un enclos — et les plans d’eau. Que répondez-vous à cela?

M. Merritt : J’ai deux ou trois réponses à donner. Premièrement, les opinions exprimées par les Américains dépendent beaucoup des témoins que vous avez reçus. Je suis certain qu’il y a des Américains qui ont un point de vue bien différent et qui auraient peut-être beaucoup plus tendance à dire que la position des peuples autochtones est aussi importante sur le plan national que sur le plan international.

J’ajouterais que les États-Unis se sont effectivement distingués, tout comme le Canada, la Nouvelle-Zélande et l’Australie, en rejetant la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en septembre dernier. Si je ne m’abuse, le gouvernement australien a indiqué depuis qu’il changerait d’avis. Cependant, les États-Unis et le Canada ont depuis un an adopté une position contraire au reste du monde sur l’importance des droits autochtones dans le contexte du droit international et de la politique internationale.

On doit dire qu’il s’agit là d’un point de vue minoritaire sur la scène internationale. Indépendamment du gouvernement au pouvoir à Washington, je pense que la communauté internationale dans son ensemble voudra connaître l’avis des Inuits du Canada et des autres peuples circumpolaires sur toutes les questions de souveraineté et de collaboration internationale.

Comme vous le savez, le Conseil de l’Arctique réunit de façon informelle les pays de l’Arctique, et les peuples autochtones sont des participants permanents de cette tribune. C’est une belle innovation qui est aussi le reflet d’une tendance qui prend de l’ampleur. Elle ne s’est peut-être pas beaucoup manifestée récemment, mais la tendance à plus long terme sur 30 ans montre que le rôle des peuples autochtones dans les affaires internationales de l’Arctique suscite de plus en plus l’attention et l’intérêt. C’est la tendance à long terme, et il serait insensé de la part du Canada de l’ignorer.

M. Kaludjak : Pour revenir à ce que M. Merritt a dit sur les Inuits du Nunavut, dans tout l’Arctique, que ce soit à l’Ouest, à l’Est ou au centre — dans les quatre régions —, je suis renversé d’entendre le premier ministre dire qu’il faut exercer notre souveraineté au risque de la perdre. Je rappelle que nous sommes là, les Inuits du Nunavut, nous vivons sur le territoire et je me demande comment on peut oser faire de tels commentaires quand nous tirons notre subsistance de cette terre depuis des milliers d’années. C’est une considération secondaire, comme les Américains l’ont dit. Ils s’intéressent uniquement aux ressources et au territoire, et la population qui y vit, c’est un détail pour eux. Je suis content que quelqu’un leur ait demandé ce qu’il en était de la population.

Nous, les Inuits, avons fait des efforts pour accueillir les visiteurs. Parce que nous l'avons fait, il semble que ça nous dépasse. Nous sommes contents des changements importants qui se sont produits dans nos collectivités. La culture a changé; la pression était si grande pour que cette culture change que, dans un sens, cela nous a forcés à changer, ainsi qu'à accepter et à accueillir quiconque voulait venir dans la collectivité. Ce changement a été très profond et s'est produit très rapidement, et c'est ce qui cause tous les problèmes sociaux dans les différentes collectivités. Encore une fois, c'et une chose à laquelle nous devons travailler avec beaucoup d'ardeur, pour essayer de joindre les membres de notre collectivité et de sauver cette collectivité avant de la perdre. C'est pour vous dire à quel point le changement qui s'est produit dans la collectivité a été spectaculaire.

La vice-présidente : Sénateur Watt, vous avez la parole.

Le sénateur Watt : Merci, madame la présidente.

[L'honorable sénateur s'exprime dans sa langue maternelle.]

Vous avez deux saisons là-bas, et nous en avons quatre dans le Nord. Par où dois-je commencer?

Nous, les Autochtones, devons être francs les uns envers les autres, et également envers les autres pouvoirs. D'après l'expérience personnelle que j'ai accumulée au fil des ans, il me semble que nous sommes assez bons pour tourner autour du pot, pour dire les choses sans détour. Les gens qui me connaissent savent que je parle toujours ainsi. Le fond du problème auquel nous sommes confrontés dans l'Arctique, en rapport avec la souveraineté dans l'Arctique et avec les revendications territoriales, peu importe la région, c'est que nous n'avons pas suffisamment de pouvoir pour faire bouger les choses sur le plan économique ainsi que sur le plan politique. C'est un point faible, et c'est en grande partie attribuable à ce que nous avons déjà cédé trop de choses. Nous comptons sur la générosité du gouvernement pour récupérer ce que nous avons perdu. Il faut attaquer les problèmes en question de front. Nous ne les abordons pas de front.

Il y a des organisations inuites, dans les rangs desquels je me compte, qui existent depuis un certain nombre d'années et qui n'ont probablement pas été honnêtes face à elles-mêmes ou face à notre peuple. En d'autres termes, nous ne sommes pas honnêtes face à notre peuple, face à nos travailleurs, et les gens ordinaires qui comptent sur le gouvernement et sur leurs chefs pour faire tout ce qui est en leur pouvoir pour défendre ce qui leur est cher.

Je dis cela, et par moments, nous sommes persuadés de nous occuper de choses qui semblent importantes à l'instant où nous nous en occupons, mais nous constatons par la suite que nous avons perdu quelque chose dans le processus. Nous devons exercer notre influence au bon moment. Lorsqu'il y a des questions pertinentes à régler, nous n'avons plus de pouvoir. C'est ça, notre plus gros problème.

J'aimerais vous signaler ce que j'ai appris — je crois que c'est la semaine dernière — lorsque nous avons reçu le jeune Américain spécialiste de l'Arctique. C'est aujourd'hui un homme d'affaires qui a pris sa retraite de la Garde côtière. Il est venu nous parler des raisons pour lesquelles ce que nous allions faire ne fonctionnerait pas. Pourquoi est-ce quelque chose qui déclenchera l'intervention de l'armée d'une manière ou d'une autre? Pourquoi ne pourrions-nous pas envisager la chose du point de vue de la dépendance mutuelle et pourquoi ne pas envisager la possibilité d'harmoniser les relations entre le Canada et les États-Unis?

D'après ce que j'ai compris, il était vraiment contre l'idée de débattre la question de la souveraineté dans l'Arctique. Au début, en tout cas. Le débat avait trait au prétendu corridor d'accès au Passage du Nord-Ouest. J'ai continué de l'interroger, parce que je soupçonnais que son intérêt pour la question était beaucoup plus vaste. Est-ce que ça exclut les fonds marins, le plateau continental et la pente continentale? Il a répondu que non. Il ne s'agit pas seulement de discussions du côté américain au sujet du défaut de reconnaître la souveraineté canadienne; ils aimeraient mettre en place un régime, une politique, qui présenterait des avantages par rapport à ce Passage du Nord-Ouest. En même temps, j'ai compris très clairement que leur intérêt concerne également le pétrole, le fond de l'océan, le plateau continental.

Nous sommes là, un peuple qui vit dans l'Arctique depuis des années et des années, et nous allons nous retrouver pris entre deux puissances, pour ainsi dire. Quelle est la place qui nous revient? Comment allons-nous faire pour tirer parti de la situation au maximum comme peuple autochtone, qu'il s'agisse des gens qui vivent au Nunavut, au Nunavik ou au Labrador ou encore des Inuvialuits?

À de nombreux égards, nous sommes en un sens à la merci de notre gouvernement et nous dépendons de sa bonne volonté. Comme vous l'avez déjà dit très clairement, vous avez poursuivi le gouvernement canadien parce qu'il n'avait pas honoré le traité qui, selon vous, devait être honoré. Je ne sais pas ce qui va se passer là-bas.

Nous, le peuple inuit, avons déjà fait, dans un sens, l'expérience d'une chose très désagréable. Il faut que la situation soit corrigée. Je n'ai pas toutes les réponses. C'est peut-être la façon américaine d'envisager les choses. Évitons de faire quelque chose qui va nous mettre en danger et de vous transformer en quelque chose que vous ne voulez pas vraiment être. Regardez tous les accords; nos droits sont éteints. Comme peuple inuit, l'accord ne nous confère aucun droit particulier, mais, au départ, il ne devait pas en être ainsi. Nous devons régler ce problème. Tant que nous ne l'aurons pas fait, nous allons demeurer — comment diriez-vous cela en français — dans le trou, si vous me permettez l'expression.

Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez? Je suis comme vous. Je sais ce que les gens de mon peuple pensent. Vous savez ce que les gens de votre peuple pensent. Ils ont décidé de devenir des spécialistes de certaines choses, mais ils ne cherchent pas à régler ce problème particulier.

M. Kaludjak : Merci, madame la présidente, et merci, sénateur Watt.

Je sais qu'il y a un compte rendu de la séance, alors on verra au compte rendu que je suis direct. Nous faisons du lobbyisme pour notre peuple, les bénéficiaires, pour être très directs. Nous ne tournons pas autour du pot. Nous nous adressons directement à vous. Nous nous occupons en ce moment de la poursuite judiciaire parce que nous n'avons rien pu faire d'autre ces dernières années pour essayer de faire appliquer pleinement les revendications. Nous avons été forcés d'utiliser ce recours. Nous n'arrivons pas à faire en sorte que le gouvernement agisse comme il aurait dû le faire.

Nous, les Inuits, sommes toujours à la recherche de solutions dans tous les aspects de notre vie. Nous préférons éviter de nous battre. Nous avons accueilli les gens qui voulaient travailler avec nous pour nous aider à régler le problème, mais le problème en question est devenu insoluble, et nous avons forcé le gouvernement à comparaître devant un tribunal il y a deux ans.

La situation est en train de s'aggraver, parce qu'on a créé des obstacles pour nous empêcher de recourir aux tribunaux. Les tribunaux du Nunavut nous ont indiqué clairement que le gouvernement du Nunavut ne sera pas le codéfendeur du gouvernement fédéral. Il n'y aura que deux parties : les Inuits et la Couronne. Cette situation aussi va empirer, et nous espérons que les choses vont bouger un peu plus rapidement dans le cas de cette action.

Comme le sénateur l'a dit, nous, à NTI, et le peuple du Nunavut essayons d'attaquer le problème de front et de ne pas tourner autour du pot. Nous essayons de régler les problèmes du mieux que nous pouvons et essayons de faire comprendre notre situation aux gens.

À l'heure actuelle, notre organisation compte de 25 000 à 26 000 membres environ, et la population du Nunavut est d'environ 33 000 habitants. Nunavut Tunngavik représente ces 25 000 à 26 000 personnes, et nous faisons du lobbyisme en leur nom par rapport à tout problème qui survient, y compris celui dont nous discutons présentement.

Nous sommes confrontés à de nombreux défis. La Société Makivik, les Inuvialuits et les gens du Nunatsiavut ont aussi leur part de défis à relever. Peu importe où vous irez, vous verrez que les gens appliquent des tactiques de négociation. Nous essayons de négocier nous aussi. Nous étions incapables, il y a 15 ou 16 ans, de présenter la meilleure revendication possible, et nous souhaiterions avoir obtenu un bien meilleur résultat. J'aurais aimé être là il y a 15 ou 16 ans, mais je n'y étais pas. Il y a un mot inuktitut qui signifie vouloir avoir été là à ce moment-là.

Aujourd'hui, il nous appartient, au peuple du Nunavut, à mon organisation et à moi, de faire appliquer nos revendications. Notre seule et unique tâche, c'est de faire de notre mieux pour qu'elle fonctionne. Les accords sont signés, et nous avons maintenant l'occasion de les faire fonctionner de notre mieux. Nous nous lançons le défi, nous vous le lançons aussi, de faire tout ce qu'il est possible de faire pour assurer le succès de cette revendication. Nous avons besoin de votre aide pour obtenir ce qui nous revient.

Le sénateur Watt : Je vais vous proposer un levier, ce qui est peut-être ce que nous cherchons tous. Lorsque vous vous êtes occupé de l'aspect géographique de votre revendication territoriale, je ne sais pas dans quelle mesure vous avez tenu compte de l'océan. Y a-t-il une disposition de l'accord qui stipule que celui-ci exclut la haute mer, le Passage du Nord-Ouest, qui ne soit pas visée par la disposition de non-affirmation? Le terme « extinction » n'est pas utilisé dans votre accord. C'est plutôt « non-affirmation », ce qui a le même effet. La possibilité de revoir cela existe-t-elle, pour voir si c'est quelque chose qui peut être utilisé comme levier?

Les gens de l'extérieur ne comprennent qu'une seule chose. Si vous avez des recours juridiques, vous pouvez faire bouger les choses. Sans cela, c'est très difficile. Vous souhaiterez peut-être revoir cela, parce que vous devez participer à ce qui est sur le point de se produire dans le dossier de la souveraineté dans l'Arctique. Vous ne pouvez en être exclu, ou ça va être un vrai bordel. Je m'excuse d'utiliser ce terme.

M. Kaludjak : L'option que vous proposez mérite qu'on y prête attention. Il y a une chose que vous devez comprendre. Bon nombre d'entre vous connaissez Churchill, qui est située sur le bord de la baie d'Hudson et qui est la capitale de l'ours polaire. Les Inuits ont le droit de récolte à partir de la laisse de haute mer à Churchill, au Manitoba, jusqu'au centre de la baie d'Hudson. Nous avons conclu une entente qui nous permet de récolter les produits de la mer à partir de la laisse de haute mer au large du Nunavut, du Manitoba et du Québec. Nous devons déterminer jusqu'où nous avons droit de récolte autour de l'île de Baffin et d'autres îles.

C'est la raison pour laquelle nous continuons de dire aux gouvernements que ces eaux relèvent de nous et qu'il s'agit de nos intérêts jusqu'à la ligne tracée entre le Groenland et le Nunavut. Nos intérêts sont fondés sur l'utilisation que nous faisons des eaux. Cependant, cela n'a pas encore fait l'objet d'une interprétation juridique. Nous devons analyser cet aspect pour nous assurer que nos intérêts sont protégés à cet égard.

M. Merritt : Pour répondre à la question du sénateur Watt au sujet de l'étendue géographique, l'accord confrère aux Inuits du Nunavut des droits sur tous les détroits du Passage du Nord-Ouest, notamment des droits de chasse, des droits de pêche et des droits liés au fonctionnement des différents conseils de gestion. Ainsi, en principe, le gouvernement canadien pourrait, pour défendre ces droits, déclarer qu'il est inacceptable à ses yeux que des navires internationaux passent par là, parce que cela aurait une incidence sur la chasse que les Inuits y pratiquent sur la glace.

À mon sens, peu importe ce que cela suppose sur le plan juridique, ce serait probablement quelque chose qui permettrait de susciter beaucoup plus de sympathie politique dans le monde, si c'était affirmé avec sincérité, que bien d'autres arguments beaucoup plus compliqués et fondés sur le droit international. Le fait que le Canada se porte à la défense des droits de chasse des Inuits dans les régions qui font partie du Passage du Nord-Ouest pourrait réellement avoir une incidence sur les événements à venir.

Il faudrait imaginer de quelle nature ces événements vont être. De quel genre de navire s'agirait-il; quel pavillon ces navires battraient-ils? Certains pays ne font pas très attention à l'opinion publique internationale, mais je pense que c'est une idée pertinente.

Par ailleurs, aucun des accords de revendications territoriales nordiques dont j'ai entendu parler ne suppose que la partie autochtone compromette son droit fondamental à l'autonomie gouvernementale. Ces accords de revendications territoriales ont trait à un échange lié à des droits territoriaux, ou, pour le dire autrement, à des droits de propriété. Ils ne remettent pas en question le fait que les peuples autochtones peuvent continuer de faire valoir leurs droits à l'autonomie gouvernementale. Le portrait juridique n'est pas celui dans lequel le gouvernement fédéral peut présumer que les peuples autochtones n'ont que les droits que leur confèrent les accords, mais pas de droits à l'autonomie gouvernementale en vertu de la common law. Pratiquement tous les grands enjeux de politique publique qui touchent ces régions concernent les peuples autochtones.

Le sénateur Watt : J'ai une toute petite question. Je comprends votre point de vue, monsieur Merritt. C'est une question qui est un peu délicate pour tous, y compris les membres de la profession juridique, le gouvernement, les Inuits et ainsi de suite. Néanmoins, notre problème le plus important, à ce moment-ci, c'est le gouvernement canadien qui le pose. Ce serait bien que le gouvernement canadien vienne nous voir, ait une illumination et dise : « Nous serions mieux de défendre leurs droits. Il y a de plus gros animaux de l'extérieur qui s'en viennent. » Si le gouvernement fédéral tirait cette conclusion, ce serait bien, mais nous n'en sommes pas rendus là. Nous devons continuer de discuter entre nous, entre Autochtones, et avec les gouvernements qui sont prêts à nous écouter, à trouver des façons de ne pas être laissés pour compte.

Vous êtes des négociateurs; j'en suis un. Le gouvernement ne bouge que lorsqu'on le pince là où ça fait mal. Nous devons déterminer ce qui est possible de ce côté-là.

Le sénateur Eyton : Le sénateur Watt a sondé l'aspect qui m'a intrigué dans votre exposé et qui m'intrigue dans la question sur laquelle nous nous penchons. Il y a une dichotomie entre l'Accord de revendications territoriales du Nunavut et les problèmes qui empêchent son application intégrale, ce qui représente un dialogue entre la nation du Nunavut et le Canada, et c'est donc en réalité un débat intérieur, ou si l'on veut, un débat national. Ensuite, nous essayons de catapulter ce débat dans la sphère internationale, et de le rendre pertinent et susceptible de donner lieu à un engagement.

Monsieur Kaludjak, dans votre exposé, vous avez bien essayé de faire le lien, mais c'est quelque chose de compliqué, et il est difficile de prendre ce qui revient à un débat ici, au pays et de dire que cela a une incidence importante sur la question de la souveraineté et sur les enjeux internationaux qui sont liés à cette question.

Lorsque je suis mal pris ou que je n'ai pas la moindre idée de ce qu'il faut faire, j'essaie de trouver quelqu'un qui est déjà passé par là et qui s'en est bien sorti. Nous parlons d'une question complexe. Il est certain qu'il doit y avoir des gens qui l'ont déjà réglée quelque part, d'une façon quelconque. Qui s'en est le mieux tiré? Que pouvons-nous apprendre en examinant cela?

M. Kaludjak : Qui s'en est le mieux tiré? Je pense qu'il n'y a pas de nomination dans cette catégorie à l'heure actuelle.

Le sénateur Eyton : C'est difficile.

M. Kaludjak : C'est très difficile. Notre propre revendication a été très difficile à régler.

Le sénateur Eyton : Le monde est grand, et il y a beaucoup de gens qui revendiquent la souveraineté. Partout dans le monde, il y a des Premières nations ou des populations indigènes équivalentes. Il est clair que la question a dû se poser quelque part; mais dites-vous qu'on ne l'a pas réglée mieux ailleurs que nous sommes en train de la régler ici, au Canada?

M. Kaludjak : Je ne peux vous parler que de ce que nous avons, c'est-à-dire l'Accord de revendications territoriales du Nunavut. En 1993, lorsque l'accord a été signé, nous pensions avoir gagné la guerre. Nous pensions que nous étions en train de faire des progrès. C'était le gouvernement fédéral qui travaillait avec nous à l'époque. Ce sont les Progressistes conservateurs de Brian Mulroney qui ont signé l'accord. Nous pensions avoir conclu une entente qui serait utile aux gens et qui aurait un effet positif sur la vie des Inuits et des habitants du Nunavut pour l'éternité, mais tout n'a pas été si parfait. On dirait que quelqu'un au gouvernement a placé l'accord sur une tablette une fois qu'il a été signé, et qu'il ne fait maintenant que ramasser de la poussière. Chaque fois que nous venons dans le Sud, nous essayons de réveiller les gens : « Écoutez, nous avons conclu un accord, et il faut que cet accord fonctionne. »

Par rapport à la souveraineté, comme le sénateur Watt l'a mentionné, nous pouvons encore faire fonctionner l'accord. Il n'est pas trop tard. Nous ne demandons qu'à être inclus dans le processus de la planification. Je pense qu'il n'est pas trop tard et que nous pouvons encore en tirer parti au mieux. Nous pouvons avoir recours aux gens là-bas et apprendre des choses des Inuits qui occupent les terres. Ce sont les experts des techniques de survie dans les régions froides. Aucun Américain ne peut vous aider, ils sont loin derrière. Les Inuits sont des experts sur leur propre territoire. Je ne peux que me fier sur eux. Moi-même, je suis loin derrière eux. Parlez avec nos aînés; ce sont eux les experts de la façon dont les terres se forment, par rapport au gel, à la glace et à la neige, de ce qu'il faut utiliser pour construire un igloo et la façon d'utiliser la glace. Ce sont eux les experts. Ils ont fait l'expérience directe de tout cela. Ils ont réussi à survivre à tout cela. Je suis ici aujourd'hui grâce à leur volonté et à leur habileté.

La vice-présidente : Voudriez-vous répondre à cette question, monsieur Nirlungayuk?

M. Nirlungayuk : C'est une bonne question. D'après ce que j'ai appris de l'histoire américaine, lorsqu'on est américain, qu'on soit un Inuit, un Noir ou un Blanc, on est américain, un point c'est tout. Dans notre région du monde, il y a quelque chose à dire là-dessus, parce que le fait d'avoir conclu un accord de revendications territoriales signifie que nous avons une obligation légale face au Canada. Le fonctionnement politique est différent aux États-Unis. Les Alaskiens envient les Inuits du Canada.

Cependant, si nous tournons notre regard vers l'est et le Groenland, les habitants de cette île ont leur propre gouvernement, leur propre assemblée dirigeante dont les membres sont élus. Ils ont cependant aussi des problèmes avec le gouvernement danois. C'est une question compliquée. Peut-être sera-t-elle réglée un jour, longtemps après nous, mais je ne pense pas.

Encore une fois, le Danemark s'est bien occupé de ses citoyens, en mettant à leur disposition des infrastructures comme des ports et des navires de pêche. Un Norvégien qui est venu à Iqaluit s'étonnait de voir qu'on déchargeait un gros navire lorsque la marée a baissé. Il a dit que la dernière fois qu'il avait vu ça, c'était en Jamaïque, quelque part au tiers monde, et pourtant, c'est quelque chose qui se produit au Canada.

M. Merritt : Je crois que les Nations Unies estiment qu'il y a 370 millions d'Autochtones dans le monde. Ça dépend de la définition. Quiconque lit les rapports d'Amnistie ou du Groupe international de travail pour les peuples autochtones sait que les conditions dans lesquelles différentes minorités autochtones vivent un peu partout dans le monde ne sont pas reluisantes, et certaines des choses qui se passent dans d'autres pays ne seraient pas tolérées au Canada, alors il est possible de tracer la ligne à différents endroits.

Pour ce qui est du bien-être matériel, si l'on jette un coup d'œil sur la situation des Lapons, qui vivent en Scandinavie, on ne verrait pas des problèmes sociaux aussi importants qu'au Canada, sur les plans de l'accès au logement, à l'éducation et aux soins de santé. On peut certainement regarder ce qui se passe ailleurs dans le monde et essayer de déterminer quels sont les meilleurs résultats ou les pratiques les plus prometteuses, peu importe la façon dont on additionne tout cela, mais j'en reviendrai à ce qu'a dit M. Kaludjak. Les accords de revendications territoriales modernes ont été négociés en grande partie dans l'idée qu'il était possible de faire les choses différemment, et mieux qu'à l'époque coloniale et que dans le cas des vieux traités.

En ce moment, une coalition de groupes de revendications territoriales, parties autochtones à des accords de revendications territoriales, s'active auprès d'un autre comité sénatorial pour essayer de faire réformer les politiques fédérales de façon qu'elles fonctionnent adéquatement. Certains des témoignages livrés pendant les réunions de cet autre comité sénatorial ont été très frappants : quelqu'un a dit que le gouvernement fédéral et les peuples autochtones ont tendance à envisager ces accords dans le contexte du droit familial, mais que les Autochtones ont tendance à les voir comme des contrats de mariage, et le gouvernement fédéral, comme des ententes de divorce. Un mariage est une chose difficile à faire fonctionner, et le couple doit y travailler, mais si les deux personnes doivent partager le même espace, elles doivent faire en sorte que le partenariat fonctionne. On peut soit s'en retirer soit y participer pleinement, et on entend toujours les groupes autochtones dire qu'ils sont déterminés à faire en sorte que ces ententes fonctionnent, peu importe les obstacles.

Le sénateur Robichaud : Ne serait-il pas préférable de remplacer l'expression revendications territoriales par autre chose qui reflète mieux la réalité des gens qui vivent dans le Nord? Lorsque nous pensons au territoire, nous ne pensons qu'aux terres, et je voulais dire cela par rapport au point que M. Merritt a soulevé. Il y a longtemps, à l'occasion d'une réunion avec des gens du Nord, l'un des témoins a dit : « Vous voyez, vous n'envisagez pas les choses de la même façon que nous. Pour nous, les terres, la glace et la mer sont d'importance égale, puisque nous passons autant de temps dans l'un et l'autre endroits. » Il affirmait que lorsqu'un brise-glace passe, il se trouve coupé de sa maison, ou encore de l'endroit où il va à la chasse.

Dans l'affirmation de notre souveraineté, nous avons raté l'occasion d'utiliser la définition de « territoire » des gens qui vivent dans le Nord. Nous avons tendance à voir le territoire comme étant les terres et la mer comme étant autre chose. Si nous adoptions la définition « l'utilisation du territoire », qui englobe les terres et les glaces — et vous l'avez souligné, monsieur Merritt — peut-être aurions-nous un peu plus de crédibilité lorsque nous tentons de faire une impression chez les autres nations du monde qui veulent utiliser ce territoire. Pour eux, ce n'est que de l'eau, et ils pensent qu'ils peuvent traverser ces eaux n'importe quand, mais nous leur répondrions : « Non, il y a des gens qui vivent là-bas, et il ne s'agit pas que des terres, puisqu'ils vivent à la surface de l'océan, sur la glace. Cela fait partie de leur mode de vie. » Seriez-vous d'accord avec cette idée?

M. Kaludjak : Avant de vous donner la meilleure estimation que je peux vous donner pour ce qui est de la propriété, je dois vous dire que Nunavut signifie « notre terre » et que Tunngavik signifie « notre fondation ». C'est quelque chose que vous devez savoir, parce que vous parliez du fait qu'il devrait y avoir une meilleure façon d'interpréter « propriété des terres ». Vous avez expliqué de façon très descriptive comment nous utilisons le territoire. C'est très bien, parce que nous utilisons les terres l'été surtout, et nous utilisons la glace lorsqu'elle se forme. Lorsque nous parlons de l'eau, de l'utilisation de l'eau, les gens du milieu juridique me contrediraient peut-être, mais l'eau est soutenue par la terre, puisqu'il y a de la terre sous l'eau. C'est ce qui explique que l'eau reste là, parce qu'il y a quelque chose pour la soutenir. Nous parlons des terres qui se trouvent sous la masse d'eau. Si vous parlez d'interprétations, voilà une façon de dire que la terre soutient l'eau. Si vous voulez faire une interprétation juridique de cela d'une façon ou d'une autre, c'est ainsi que vous devriez élaborer les politiques et les règles, ou définir la propriété. Si c'est ainsi que vous voulez faire les choses, je pense que ce serait une bonne façon de décrire les glaces qui appartiennent aux Inuits, en parlant de l'utilisation de l'eau, parce qu'il y a des terres sous tel ou tel lac ou sous la mer que nous exploitons.

M. Merritt : On a bien essayé, dans l'Accord de revendications territoriales du Nunavut, de tenir compte de cette idée que vous avez expliquée, c'est-à-dire l'importance de l'intégration des terres et des zones marines de l'Arctique. Si l'on jette un coup d'œil, par exemple, du côté du conseil de gestion de la faune du Nunavut, celui-ci joue un rôle d'importance égale par rapport à la gestion des poissons et des mammifères marins que par rapport à celle des mammifères terrestres. Dans certaines régions du monde, ce sont deux choses distinctes. Si l'on envisage la façon dont nous faisons les choses dans le sud du Canada, ce sont généralement des personnes différentes qui s'occupent du poisson et des écosystèmes marins, d'une part, et des écosystèmes terrestres, de l'autre. L'intégration de la gestion de la faune et de la gestion du poisson faisait partie intégrante de l'accord, et on constate la même chose du côté des autres conseils de gestion lorsqu'il s'agit de déterminer qui est responsable des évaluations environnementales, et cetera. Cela présente d'énormes avantages. Si l'on regarde, même, par exemple, les projections concernant les grands projets d'exploitation des ressources, il est probable que beaucoup de ces projets comportent des volets maritime et terrestre, alors il est préférable que les organismes soient intégrés.

Il y a eu de la frustration du côté du Nunavut, parce que le gouvernement fédéral semble vouloir revenir en force, si je puis dire. Dans les négociations sur le transfert des responsabilités, on semble vouloir exclure les zones maritimes dès le début, même si le gouvernement fédéral avait déjà pris un engagement envers un haut degré d'intégration par rapport aux éléments des revendications territoriales du Nunavut.

Le gouvernement du Canada a lui-même été très novateur dans le passé. Je ne suis pas sûr des dates, mais je pense que la Convention sur le droit de la mer de 1970 parlait de mesures d'exception dans le cas d'eaux recouvertes de glace par rapport à la gestion internationale des mers. Dans le passé, le Canada a insisté, du moins à quelques occasions, sur le fait qu'il faut prendre des mesures spéciales dans les régions d'aspect différent et où les gens ont utilisé les ressources différemment, et où la glace est non pas un simple obstacle à l'utilisation de l'eau, mais plutôt une plate-forme sur laquelle les gens vivent et qui leur assure leur subsistance.

M. Nirlungayuk : Merci de votre question.

Je voulais souligner aussi que nous avons des noms traditionnels pour désigner ces régions que les Européens ont nommées lorsqu'ils ont « découvert les nouvelles terres ». Je pense que le gouvernement du Canada pourrait apprendre de nos aînés ce que cela désigne et aussi les noms utilisés dans la région.

La vice-présidente : J'aimerais savoir ce que vous pensez des changements climatiques et de ce qu'ils signifient pour les gens de votre peuple. Quelle est la position de votre organisation en ce qui concerne les changements climatiques? Diriez-vous que votre approche en est une qui vise à ralentir les changements climatiques et à les réduire au minimum, ou est-ce que votre peuple s'adapte à l'évolution de l'environnement et tente de trouver de nouvelles possibilités et de nouvelles façons de faire les choses?

M. Kaludjak : C'est une très bonne question. Pour ce qui est des changements climatiques, bien entendu, nous n'avons d'autre choix que d'accepter les changements qui sont en train de se produire, parce que nous connaissons des étés plus longs, des automnes plus longs, des printemps plus longs et des hivers plus courts; c'est évident. Cela varie d'une saison à l'autre.

Je suis allé à Iqaluit, sur l'île de Baffin, et, au cours des trois dernières années, il y a fait moins 20, moins 25 au cœur de l'hiver, ce qui est doux pour cette région du pays. Cette année, nous avons connu des températures records d'environ moins 50 dans la même région. C'est pour ça que je dis que ça varie.

Les chasseurs nous disent que la limite du courant n'a pas été aussi éloignée de la collectivité depuis 20 ans. Ça varie d'une saison à l'autre et d'une année à l'autre. Cette année, la glace est plus épaisse que d'habitude. Elle est plus épaisse que d'habitude, et il y a huit pieds de glace dans certains des lacs où nous pêchons. Il s'agit de certains des lacs où nous pêchons. Habituellement, dans la région où je vis, il y a en moyenne quatre ou cinq pieds de glace. Bien sûr, plus on va vers le nord, plus il fait froid et plus la glace est épaisse.

Dans l'ensemble, il y a des changements, et les Inuits acceptent ces changements. Nous soutenons que nous sommes des indicateurs de ces changements, et nous faisons savoir à quiconque veut apprendre des choses sur les changements climatiques que nous continuons d'accepter les changements à mesure qu'ils surviennent. Nous poursuivons la tradition de la chasse comme nous l'avons toujours fait; ces choses continuent. Le seul vrai changement, c'est que le printemps, l'été et l'automne sont plus longs, alors que l'hiver est plus court.

La vice-présidente : Est-ce que votre peuple pense que ces changements vont améliorer leur qualité de vie? Sera-t-il en mesure d'en tirer parti d'une quelconque façon et de découvrir de nouvelles possibilités, ou préférerait-il que les choses restent telles qu'elles?

M. Kaludjak : Personnellement, j'aimerais bien que les choses restent telles quelles, mais nous devons aller de l'avant. Nous venons de tenir un colloque sur l'exploitation minière, la semaine dernière, à Iqaluit, dans le cadre duquel nous avons discuté de la possibilité d'utiliser les terres que nous exploitons pour l'activité minière.

Dans un sens, nous sommes proactifs. À Nunavut Tunngavik, nous soutenons que nous devons trouver l'équilibre, en ce sens que nous demandons aux gens qui exploitent des mines de respecter les droits et les zones de récolte des Inuits. Nous devons maintenir un respect mutuel entre les deux : exploiter le territoire et préserver la faune et les mammifères marins qui l'entourent.

Pour ce qui est de la vie moderne, nous profitons des possibilités que les changements apportent. Nous voulons préserver nos traditions. Nous voulons maintenir notre mode de vie pour ce qui est de chasser les animaux que nous mangeons chez nous, au Nunavut. Nous voulons que la faune soit protégée comme nous l'entendons.

Le sénateur Watt : Je vais donner suite à ce que le sénateur Robichaud disait au sujet d'appeler cela autrement que des « revendications territoriales » et de la question de savoir s'il y a une autre façon de régler le problème.

Je pense que M. Kaludjak serait d'accord avec moi pour dire que les accords ont force obligatoire. C'est tellement vrai que le concept de « propriété » du territoire, et la façon dont M. Kaludjak l'a formulé... il est évident que les Inuits ont toujours été perçus comme étant les propriétaires du territoire. Les autorités gouvernementales voient-elles cela comme un obstacle? Ce que je veux dire, c'est que, si c'est un obstacle, il faut le supprimer. C'est une question de titre. C'est le fondement d'une revendication territoriale. Ils remplacent cela — encore une fois, un peu de la même façon que j'appelle cela, la propriété — par la pleine propriété. Vous avez le droit d'occuper les terres tant et aussi longtemps que les autorités vous le permettent; voilà ce que ça veut dire.

Comme Autochtones — et je ne suis pas le seul; il y a beaucoup de gens qui pensent tout bas ce que je suis en train de dire —, nous devons aborder cette question pour régler les problèmes auxquels nous sommes actuellement confrontés. Sans cela, les problèmes ne vont pas disparaître.

J'aimerais poser une question à M. Kaludjak, et M. Merritt pourra y répondre aussi.

Si, à l'issue des délibérations, vous n'êtes pas en mesure de surmonter l'obstacle auquel vous êtes confrontés — la réticence du gouvernement à appliquer l'accord dont vous êtes titulaires —, vous avez déclaré déjà que vous étiez prêts à vivre avec cela et à aller de l'avant. Pourtant, ce n'est pas ce qui se produit. Envisageriez-vous de reprendre ce que vous avez perdu, et de faire du bruit, et même de vous adresser à la Cour suprême du Canada, si vous devez le faire? Je pense que nous en sommes à un point tournant.

M. Kaludjak : C'est très difficile de répondre et de dire précisément quelle sera la prochaine étape de notre démarche, parce que les procédures judiciaires doivent suivre leur cours. La directive de mon conseil d'administration, c'est de maximiser l'activité devant les tribunaux, de faire ce qu'il faut pour s'assurer que quelque chose cède du côté du gouvernement. C'est ça l'intention. Comme vous l'avez dit, il faut porter un coup quelque part. Il faut que quelque chose cède, et c'est ce que nous espérons.

Par contre, comme négociateurs, nous devons toujours avoir quelque chose en réserve. C'est comme au poker; il faut s'assurer d'avoir suffisamment de jetons pour pouvoir jouer au prochain tour. Nous le faisons. Comme nous en sommes à l'étape des procédures judiciaires, nous ne sommes pas obligés de divulguer ce que nous avons en réserve. Je peux cependant vous dire que nous avons deux ou trois options devant nous, que nous allons exercer lorsque l'occasion va se présenter. Si aucune de ces options ne donne de résultats, il est très probable que nous nous adresserions à la Cour suprême si cela est nécessaire. Vous voyez que nous sommes sérieux.

La vice-présidente : Merci. Je veux dire que nous, les membres du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans allons nous rendre dans le Nord et allons visiter plusieurs collectivités. Nous allons commencer par le Nunavut, et nous allons nous rendre jusqu'à Resolute Bay, et, en route, nous allons visiter différentes collectivités. Nous allons faire ce voyage pendant la première semaine de juin. Nous vous verrons peut-être là-bas. On ne sait jamais.

M. Kaludjak : Nous en serions ravis.

La vice-présidente : Ensuite, je veux vous donner le nom de l'Américain qui a comparu devant nous la semaine dernière. Il s'agit de M. Borgerson. Si vous voulez obtenir une transcription de la séance, cela ne pose aucun problème. Les transcriptions sont affichées sur le web, non? Oui. Vous pouvez donc obtenir la transcription à n'importe quel moment.

Je veux remercier les sénateurs d'avoir passé autant de temps ici, mais surtout nos invités. Vous avez été extraordinaires. Ça a été agréable de vous écouter. Espérons que nous nous reverrons tous à un moment donné.

M. Kaludjak : Espérons-le. Merci.

La séance est levée.


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