Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans
Fascicule 9 - Témoignages du 13 mai 2008
OTTAWA, le mardi 13 mai 2008
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui, à 18 h 36, afin d'examiner, en vue d'en faire rapport, les questions relatives au cadre stratégique actuel, en évolution, du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada. Sujet : Étude sur l'Arctique
Le sénateur Bill Rompkey (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Nous poursuivons notre étude du plan, en évolution, relatif aux pêches et aux océans, en mettant particulièrement l'accent sur l'Arctique et, notamment, sur la Garde côtière canadienne et les rôles qu'elle a assumés et qu'elle assumera dans le cadre des efforts que nous déployons pour évaluer l'impact des changements climatiques sur cette région. Nous nous rendrons en Arctique au cours de la première semaine de juin pour recueillir des témoignages.
À Ottawa, nous avons entendu de nombreux témoins, notamment le commissaire actuel de la GCC, M. George Da Pont; M. Michael Byers, de l'Université de la Colombie-Britannique; M. Rob Huebert, de l'Université de Calgary; M. Duane Smith, président du Conseil circumpolaire inuit; M. Scott Borgerson, du Council on Foreign Relations; des conseillers juridiques du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international; des représentants de Nunavut Tunngavik Incorporated et d'Inuit Tapiriit Kanatami; et d'autres témoins du Nunavut et d'ailleurs.
J'ai le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Louis Fortier, directeur scientifique d'ArcticNet. M. Fortier a étudié dans diverses universités, au Canada ou à l'étranger. Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la Réponse des écosystèmes marins arctiques au réchauffement climatique, il est membre du Conseil de recherche en sciences naturelles et génie du Canada depuis 2005. Les sénateurs ont en main la biographie de M. Fortier.
Les membres du comité sont les suivants : le sénateur Robichaud, du Nouveau-Brunswick; le sénateur Cochrane, de Terre-Neuve-et-Labrador; le sénateur Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard; et le sénateur Cook, également de Terre- Neuve-et-Labrador.
La présentation de ce matin ne sera donnée qu'en anglais à l'écran, mais les sénateurs ont devant eux les diapositives en anglais et en français. J'ai besoin de l'accord de ces derniers pour poursuivre, puisque la pratique parlementaire exige que l'on tienne les réunions dans les deux langues officielles. Êtes-vous d'accord, messieurs les sénateurs?
Des voix : Oui.
Le président : Merci.
Nous savons qu'ArcticNet effectue un travail colossal, et M. Fortier pourra peut-être nous en dire un peu plus sur le niveau relatif d'activité des ministères fédéraux en Arctique. Nous avons entendu dire que le budget de Pêches et Océans Canada n'avait peut-être pas augmenté au même rythme que celui d'autres organismes dans cette région. J'espère que M. Fortier pourra nous informer sur l'ensemble des efforts déployés par les Canadiens et, plus particulièrement, ceux d'ArcticNet.
Louis Fortier, directeur scientifique, ArcticNet : Je vous remercie, monsieur le président et honorables sénateurs. Je suis ravi d'être ici aujourd'hui, même si je m'inquiète un peu de témoigner après MM. Byers, Huebert, Borgerson, Da Pont et bien d'autres experts; je me demande bien ce qu'il reste à dire. Vous devez être au courant de la situation en Arctique et des rôles que la Garde côtière canadienne et le ministère des Pêches et des Océans jouent dans la renaissance de la recherche canadienne en Arctique.
Pour répondre à la question que vous avez soulevée, sachez que dans les années 1950 et 1960, le Canada assumait le leadership dans le domaine de la science arctique, particulièrement au cours de la précédente année polaire internationale. Dans les années 1970, 1980 et 1990, les ministères qui s'intéressent à l'Arctique ont vu leurs capacités considérablement réduites. Depuis, on a renversé la vapeur en raison des changements climatiques. La recherche a maintenant le vent dans les voiles, avec de nombreuses activités sont en cours et à venir.
Tout ceci est lié au réchauffement climatique, qui se fait sentir en Arctique comme nulle part ailleurs. L'une des premières conséquences du réchauffement de cette région est la fonte de la glace marine qui couvre l'océan Arctique. On croit souvent que cette couverture de glace est comme une patinoire, statique, immobile et immuable. En fait, elle s'apparente davantage à un organisme vivant, qui bouge constamment au gré des courants, des marées et des vents. Cette diapositive, qui présente des données actuelles, montre l'évolution de la couverture de glace marine sur l'océan arctique en 2005. La couverture prend de l'expansion en hiver et diminue en été; c'est un comportement très dynamique et thermodynamique. Nous passons maintenant à ce que l'on appelle la route du Nord, qui longe la Sibérie. En 2005, cette route était entièrement ouverte à la navigation pendant six semaines. Ensuite, en octobre et novembre, la glace se formait de nouveau, recouvrait la mer de Béring pour descendre jusque dans le Pacifique Nord. C'est une évolution extrêmement dynamique et difficile à étudier.
Les modèles climatiques nous indiquent que cette couverture de glace marine devrait déjà avoir commencé à s'amenuiser. Après des millions d'années d'existence, elle disparaît maintenant doucement.
Nous en arrivons à cette conclusion parce que nous mesurons l'étendue de la couverture de glace marine à son minimum annuel, à la fin de l'été, en septembre. Si nous observons la situation pour les 30 dernières années, nous voyons qu'au cours du siècle dernier, cette couverture de glace recouvrait l'océan Arctique sur une superficie d'environ six à sept millions de kilomètres carrés en septembre. Cette couverture de glace varie avec le temps. Elle tend cependant à diminuer, tendance qui s'accélère depuis 2000. Nous avons établi un record en 2005, année où il y a eu très peu de glace sur l'océan Arctique au mois de septembre.
La situation s'est quelque peu améliorée en 2006, puis nous avons eu une énorme surprise en 2007. Les meilleurs spécialistes du monde n'avaient rien vu venir. Selon nos projections climatiques, cette situation ne devait pas se présenter avant la moitié ou la fin du siècle; or, cela s'est produit en 2007 et les prévisions pour 2008 sont pessimistes. D'après nos prévisions, les striures empireront un peu ou beaucoup, selon ce qui se passera. Voici notre prévision pour septembre 2008.
D'un point de vue scientifique, il sera fascinant de voir ce qui se passera. Cependant, la situation est très alarmante pour ceux qui s'inquiètent des changements climatiques sur la planète. Pour notre part, nous nous préoccupons du réchauffement climatique et de la modification du climat dans l'hémisphère Nord, depuis la fin du siècle dernier jusque dans peut-être cinq ans. Les choses évoluent rapidement, extrêmement rapidement dans l'Arctique.
Nous commençons à comprendre qu'il existe deux types de glace marine sur l'océan Arctique : la glace annuelle, qui se forme et fond pratiquement complètement chaque année, et la glace pluriannuelle, qui peut rester cinq, six ou même dix ans. Cette dernière est très épaisse et résiste à la fonte chaque année. Cette glace constitue donc le capital de froid dont nous disposons dans l'océan Arctique, un capital qui disparaît à vue d'œil ces dernières années.
Sur cette animation, la marque blanche qui se déplace montre l'évolution de la glace pluriannuelle. Nous pouvons la voir envahir le détroit de Fram, au Nord du Groenland; or, elle disparaît tranquillement. Au fil des ans, particulièrement depuis les années 1990, on peut voir la glace pluriannuelle s'épandre de l'océan Arctique dans l'océan Atlantique, où elle fond. En septembre 2005, il restait très peu de cette glace dans l'océan Arctique. Nous avons perdu notre capital de glace marine, notre principale région froide.
À mesure que la glace pluriannuelle disparaîtra de l'océan Arctique, les conditions y seront de plus en plus semblables à celles que nous observons sur la Voie maritime du Saint-Laurent, où il ne se forme que de la glace annuelle. Cela permettra d'ouvrir l'archipel canadien à la navigation, parce que la glace pluriannuelle est le seul obstacle à la navigation dans l'océan Arctique actuellement. S'il ne reste que de la glace annuelle dans l'océan Arctique, cette région sera aussi navigable que la Voie maritime du Saint-Laurent. Il sera donc possible de traverser l'océan Arctique 12 mois par année.
Le fait que l'océan Arctique soit navigable aura d'énormes impacts environnementaux, stratégiques, géopolitiques, socioéconomiques et climatiques, dont vous avez discuté avec divers spécialistes. Vous avez pu apprécier toute la complexité des enjeux géopolitiques du passage du Nord-Ouest, qui sont totalement différents de ceux relatifs aux droits que le Canada réclame sur une grande partie de l'océan Arctique.
De façon générale, la Garde côtière canadienne remplit son mandat pour l'instant. Cependant, même si cela peut sembler paradoxal, d'après nos projections les plus futuristes, les services de brise-glace deviendront de plus en plus nécessaires à mesure que la calotte glacière diminuera, en raison de l'augmentation de la navigation et de la formation continuelle de glace marine pendant l'hiver. Nous aurons ainsi besoin d'un plus grand nombre de brise-glaces en raison de l'augmentation de la navigation, de l'activité industrielle et de la recherche.
Le commissaire Da Pont et d'autres experts vous ont exposé la situation actuelle de la flotte de la GCC. Cependant, au risque de répéter leurs propos, je dirais que nous disposons de deux brise-glaces lourds, le Louis S. St-Laurent, construit en 1968, et le Terry Fox, qui prennent tous deux de l'âge. Le premier est bien équipé pour les activités scientifiques. Nous avons également quatre brise-glaces moyens, dont l'Amundsen, qui est le mieux équipé pour des expéditions scientifiques. Vous visiterez l'Arctique plus tard cette année à bord du Henry Larsen, qui est de la même classe que l'Amundsen. Nous possédons également un brise-glace léger. Nous avons donc quelques brise-glaces en activité dans l'Arctique. Nous avons appris récemment que le Louis S. St-Laurent sera remplacé par un brise-glace de classe polaire, ce que nous attendions depuis longtemps.
Si l'on regarde ailleurs, on voit que l'Allemagne, la Suède, la Chine et les États-Unis ont tous un brise-glace de recherche lourd pour l'instant, et la Corée en aura un bientôt. Cependant, le véritable champion, le pays le mieux équipé, c'est la Russie.
Ce pays dispose de trois brise-glaces à propulsion nucléaire de classe Lenine en activité. Ce sont des bâtiments énormes, comme le Yamal. Ils sont environ 10 fois plus gros que l'Amundsen, notre brise-glace pour la recherche. Ces navires à propulsion nucléaire ont une force équivalant à près de 100 000 chevaux-vapeur. Un navire avance normalement à une vitesse de 11 nœuds, et ces brise-glaces sont aussi rapides dans trois mètres de glace; ils pulvérisent littéralement la glace sur leur chemin. Voilà pourquoi la Russie a les moyens de ses ambitions sur une grande partie de l'océan Arctique. Elle peut facilement envoyer des navires au pôle Nord.
La Russie possède également plusieurs brise-glaces lourds traditionnels alimentés au carburant. Elle peut garder la route du Nord ouverte à la navigation interne dans l'océan Arctique, le long de la côte de Sibérie, et ce, depuis l'époque soviétique.
Actuellement, le Canada fait relativement bonne figure comparativement à de nombreux autres pays. Nous avons davantage de brise-glaces, ce qui est normal, puisque nous sommes actifs dans l'Arctique. Cependant, ces navires vieillissent et doivent être remplacés. Et le Canada ne se mesure pas à la Russie, qui est le pays le mieux équipé en brise- glaces au monde.
La Garde côtière canadienne possède une expertise incontestée pour patrouiller les eaux glacées de l'Arctique canadien. Cependant, elle n'a pas les infrastructures nécessaires pour remplir son mandat en Arctique, qui est de plus en plus étendu. La situation évolue très vite, mais la flotte vieillit aussi rapidement.
Les brise-glaces sont très bien entretenus. Ils sont cependant tous dans le dernier quart de leur cycle de vie prévu. Même s'ils sont en bon état, ils ne sont pas assez puissants. Ils n'ont pas été construits pour l'océan Arctique, mais pour la Voie maritime du Saint-Laurent. Ainsi, ils ne peuvent être actifs que de juin à novembre. Nous ne pouvons nous rendre dans les régions centrales; même si le Louis S. St-Laurent le peut, il sera bientôt mis au rancart.
Notre capacité à assurer la navigation toute l'année dans l'océan Arctique est limitée, particulièrement dans les bassins océaniques profonds. Nous éprouvons également des difficultés à réaliser des études essentielles sur le plateau continental. Même si nous y parvenons, ce n'est guère efficace. Il est difficile d'obtenir les résultats désirés.
À l'heure actuelle, notre capacité d'intervention efficace et rapide en cas d'accident ou de conditions de glace extrêmes est pratiquement inexistante. Si, par exemple, il se produisait une catastrophe semblable à celle du Exxon Valdez près de la baie Resolute, nous aurions beaucoup de mal à nettoyer les dégâts.
Nous avons une bonne base de départ, mais nous devons développer la capacité de la GCC dans l'Arctique, et ce, très rapidement. Si j'avais une recommandation à formuler, ce serait la suivante : il faudrait laisser à la Garde côtière canadienne le soin d'assurer les services de brise-glace et la surveillance dans l'Arctique, ou, si vous préférez, la présence fédérale dans l'Arctique canadien. Comme nous l'avons indiqué dans nos options stratégiques de 2006, nous devons disposer de deux brise-glaces de classe polaire pour assurer une présence à l'année dans tout l'archipel canadien et dans le bassin arctique profond.
Pour l'heure, on prévoit la construction d'un brise-glace « 9-3 », lequel peut être pleinement opérationnel en Arctique pendant neuf mois, puis servir pendant trois mois dans le Sud. Je crois, sans en avoir la certitude, que le gouvernement annoncera la construction d'un autre brise-glace. Le tout ne se concrétisera toutefois que dans une dizaine d'années. Si nous décidons maintenant de construire ces bâtiments, ils seront prêts dans 10 ans. D'ici là, la flotte continuera de vieillir, et, pendant plusieurs années, le Canada ne disposera pas de brise-glace lourd de grande taille.
Il est urgent de remplacer les quatre brise-glaces moyens par des navires plus puissants pouvant être utilisés au printemps et à l'automne. On prévoit toutefois que cela ne se fera pas avant 17 ou 20 ans. De l'avis de l'industrie, des chercheurs et des communautés du Nord, tous les nouveaux brise-glaces doivent être polyvalents. En plus d'ouvrir un chemin dans la glace, d'escorter les navires, de participer à des opérations de recherche et de sauvetage ainsi que d'effectuer du ravitaillement en mer, ces navires doivent être mieux en mesure d'assurer la sécurité environnementale.
En outre, le NGCC Amundsen a servi de clinique médicale ambulante en desservant divers villages inuits, une opération qui a remporté un énorme succès. Nous croyons donc que les nouveaux navires devraient avoir certains équipements médicaux afin d'appuyer le réseau de santé dans l'Arctique canadien. C'est un système qui a énormément besoin d'amélioration. Bien sûr, tous ces navires doivent également avoir des fonctions scientifiques, en plus de servir à appliquer les politiques en matière de pêche et de transport maritime défendues par le Canada.
La Garde côtière canadienne doit faire participer maintenant les communautés du Nord et leurs dirigeants à l'élaboration de son nouveau mandat dans l'Arctique. Actuellement, sans leur appui, on a pratiquement les mains liées.
De plus, il faut faire de l'industrie un de nos gros clients, car les activités d'exploration et d'exploitation augmentent. Plusieurs projets d'envergure se dessinent dans l'Arctique, et ils requièrent tous les services de brise-glace et de la Garde côtière. De façon générale, nous devrions nous appuyer sur le projet de la Voie maritime du Saint-Laurent pour évaluer l'ampleur et la complexité du défi. Vous vous rappellerez tous l'importance de cette gigantesque entreprise; c'est au même genre de défi que nous sommes confrontés dans l'Arctique.
Le président : Merci. Je me demande si vous pourriez éclaircir un point. Vous avez fait allusion, à quelques reprises, au mandat de la Garde côtière canadienne. Cependant, nous n'avons pu trouver son énoncé de mission. Pour autant que nous sachions, cette mission n'est définie dans aucun document.
Connaissez-vous le mandat de la Garde côtière?
M. Fortier : Je ne pourrai trouver le document en question. Je sais par contre que nous sommes mandatés pour offrir des services de recherche et de sauvetage, d'aide à la navigation, d'escorte et de brise-glace. Selon moi, notre mandat dans l'Arctique s'élargira rapidement. Nous observons déjà les premiers signes de l'augmentation du trafic. Plusieurs pays, comme la Corée et la Finlande, construisent de nouveaux navires brise-glaces. Leurs objectifs sautent aux yeux : ils veulent voyager de l'Asie à l'Europe en passant par l'océan Arctique.
Le trafic augmentera considérablement, et pas seulement dans le passage du Nord-Ouest. Même la navigation intérieure devient dense dans l'Arctique canadien. Ce qui nous ramène à l'essence de mon message : le mandat de la Garde côtière prendra nécessairement une nouvelle dimension.
Le président : Vous souhaiteriez que la Garde côtière assume un mandat élargi, mandat qui serait, je suppose, consigné par écrit.
M. Fortier : À mon avis — et c'est une vision que partagent bon nombre de mes collègues —, la Garde côtière a un rôle majeur à jouer dans le développement contrôlé de l'Arctique. Si elle ne dote pas d'un mandat de maintien de l'ordre et d'application des lois, la région pourrait devenir un « Klondike » chaotique — où tous chercheraient à s'accaparer les ressources convoitées.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Monsieur Fortier, je ne vois pas dans vos recommandations que la Garde côtière canadienne deviendrait un ministère en soi, plutôt qu'un ajout au ministère des Pêches et Océans, comme c'est le cas présentement. Serait-ce souhaitable?
M. Fortier : Je préférerais ne pas me prononcer sur cette question.
Le sénateur Robichaud : Allez-y, il n'y a pas de gêne.
M. Fortier : Notre consortium est un collaborateur et un partenaire très intense avec le ministère des Pêches et Océans. Nous sommes aussi en étroit partenariat avec la Garde côtière canadienne. Ce sont nos complices dans l'Arctique. Nous avons vu à travers les années, en fait, cela fait une quinzaine d'années qu'on a ces partenariats, les opinions ont changé à savoir si la Garde côtière canadienne devrait se séparer et devenir une agence indépendante du ministère des Pêches et Océans. C'est très difficile à dire. Il faudra l'essayer à titre expérimental. Il y a certainement des tensions actuellement entre le mandat de la Garde côtière canadienne, qui gère les navires utilisés par Pêches et Océans. Donc, qu'entre les deux il y a des difficultés qe je qualifierais presque familiales. La seule façon de trancher serait d'y aller de façon expérimentale, c'est-à-dire de l'essayer pour une période de temps; que la Garde côtière canadienne devienne une agence ou un ministère séparé, c'est mon point de vue personnel.
Le sénateur Robichaud : Vous avez été invité pour nous faire part de votre expérience et de vos connaissances. D'après ce que je comprends, si vous tiriez les cordons de la bourse, vous seriez plus enclin à investir plus largement dans la Garde côtière canadienne que dans le ministère de la Défense nationale?
M. Fortier : Oui, de mon point de vue, définitivement; du point de vue de l'Arctique et surtout du mandat que le Canada a dans l'Arctique. Il s'agit d'un mandat multiple. Ce n'est pas seulement de patrouiller ou d'assurer une surveillance militaire. À ce moment, la Garde côtière, à mon avis, est mieux placée pour remplir la plupart de ces mandats que la Marine ne l'est. Ils ont l'expérience et la capacité. C'est une logistique assez différente, par exemple de mobiliser des brise-glaces, de former des capitaines et des équipages qui sont en mesure d'effectuer cette tâche qui est très difficile et compliquée. Je crois que la Garde côtière a beaucoup plus d'expérience que la Marine. La Marine a une excellente expertise, mais dans d'autres domaines.
Donc, j'ai l'impression que la Garde côtière remplirait à peu près sept ou huit des dix secteurs facilement, tandis que la Marine en remplirait peut-être un ou deux.
Le sénateur Robichaud : Avec la fonte des glaces, vous constatez une activité accrue de l'exploration minière, pétrolière, entre autres, et cela pourrait être considérable, n'est-ce pas?
M. Fortier : On en est aux tout premiers balbutiements, en fait, mais déjà, si vous permettez que je vous montre une image supplémentaire, on retrouve, par exemple, le projet de mine à Mary River, un développement gigantesque où 200 millions de dollars ont été investis cette année et qui demandera la construction d'un chemin de fer dans des conditions difficiles de pergélisol, qui demandera beaucoup d'escortes et de services de la Garde côtière pour assurer le transit des navires qu'ils chargeront dans cette région. Également, le port de Bathurst Inlet est en voie de développement ainsi que dans la mer de Beaufort où il y a plusieurs activités d'exploration. En fait, nous commencerons à faire des forages sérieux vers une exploitation.
Ce sont les premiers symptômes, si on veut, mais étant donné la quantité des ressources minérales dans cette région, en particulier de gaz et, jusqu'à un moindre point, de pétrole, l'activité, à mon avis, se développera nécessairement de façon spectaculaire; c'est peut-être la nouvelle frontière économique du Canada.
Le sénateur Robichaud : Vous dites que le développement devrait se faire avec la collaboration et l'assentiment des communautés inuites, travaille-t-on suffisamment en ce sens jusqu'à maintenant?
M. Fortier : Non. Nous devons évaluer dans une certaine perspective la problématique de ces gens. Il y a 50 ou 60 ans, ils évoluaient dans une superbe culture néolithique, sans métaux, un peu de cuivre dans le centre de l'Arctique, donc ces gens avaient une culture absolument phénoménale, alors que maintenant, ils sont aux prises avec une modernisation « gallopante », je dirais, à l'ère de Internet. Donc, le choc culturel et économique, le choc sur la santé également — nos études sur la santé mentale et physique du Nunavik ont révélé des conditions extrêmement pénibles et alarmantes —, tout cela démontre que la transition dans un monde moderne, à laquelle ils aspirent, à mon avis — le sénateur Adams le sait mieux que moi, certainement —, cette transition est très difficile. Ce sont des gens qui sont extrêmement adaptables, indépendants, capables de se prendre en main, mais il faut leur donner toutes les ressources pour qu'ils puissent le faire.
Le sénateur Robichaud : Le point que je veux soulever est celui-ci : ne parle-t-on peut-être pas un peu trop de brise- glace ou de machines pour se promener dans le Nord et peut-être trop peu des populations qui sont là? Ne semble-t-on pas croire qu'ils vont tout simplement regarder les bateaux passer en subissant la transformation sans qu'on se préoccupe d'eux?
M. Fortier : Cela pourrait exactement arriver, c'est-à-dire un développement un peu anarchique et incontrôlé de la région et un développement essentiellement industriel. La vision que j'en ai, ce serait plutôt que la Garde côtière en développant son mandat qu'elle n'a pas le choix de développer dans l'Artique, intègre les aspirations des Autochtones dans leur développement. L'ouverture du passage Nord-Ouest va créer de l'emploi, un peu comme la voie maritime du Saint-Laurent. Il faudrait que ces gens soient formés à administrer, à travailler dans ces secteurs et à en tirer profit directement, ce qui ne sera pas facile, parce que leur culture est totalement différente de la nôtre. Pour eux c'est une question d'adaptation extrêmement difficile. C'est une dimension qui leur vient du Sud, par exemple la navigation en haute mer. Ce sont d'excellents navigateurs, mais pas sur un brise-glace. Le potentiel est là, mais il faudra absolument que ce soit fait en intégrant leurs aspirations. Ils nous diront ce qu'ils veulent. Je n'ai pas l'impression qu'ils vont s'opposer nécessairement au développement industriel, surtout dans l'Arctique de l'Ouest où les gens sont très en faveur de cela. Je ne pense pas qu'il y aura une opposition très forte à ces développements, en autant qu'on le fasse avec eux et pour eux.
[Traduction]
Le président : Je ferais remarquer que le changement du mode de vie des Autochtones ne date pas d'hier. Déjà, dans la région du sénateur Adams et la mienne, certains Autochtones prennent la mer à bord de crevettiers et d'autres navires. Ils ont reçu une formation à cette fin et occupent des emplois permanents; ils tirent leur subsistance de la mer.
En raison de la construction de bases militaires durant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux Autochtones ont quitté leur région pour apprendre des métiers qu'ils occupent toujours aujourd'hui. Ces bases militaires, américaines et canadiennes, offraient les meilleurs outils de formation que l'on pouvait trouver.
L'expérience montre que nous pouvons nous adapter. Ce que je veux dire, c'est que les Inuits sont capables de s'adapter si nous leur donnons les outils dont ils ont besoin.
Le sénateur Robichaud : Voilà la question : il faut leur offrir les moyens.
Le président : Oui.
Le sénateur Cochrane : Vous avez indiqué que la Garde côtière devrait avoir un mandat de maintien de l'ordre. A-t- elle déjà assumé un tel mandat? Dans l'affirmative, quand l'a-t-elle eu et quand cela a-t-il changé?
M. Fortier : Ce n'est pas son mandat principal. Cependant, en ce qui concerne la chasse au phoque, par exemple, elle a comme tâche d'éviter les escarmouches entre les chasseurs et les médias ou des groupes comme Greenpeace.
Si je me rappelle bien, il y avait des cellules sur les brise-glaces à une certaine époque — comme à bord du C.D. Howe, je crois. Je n'irais pas jusqu'à dire que la Garde côtière a un mandat de maintien de l'ordre comme celui de la GRC, mais il ne fait aucun doute que dans le domaine des pêches, elle doit faire appliquer les politiques — par exemple, sur le plan de la surveillance et du contrôle de la surpêche ou de la pêche illégale.
Pendant ce que l'on a appelé la guerre du flétan, qui nous a opposés à l'Espagne, la Garde côtière et Pêches et Océans Canada ont arraisonné des navires et les ont escortés jusqu'au port. Ainsi, nous avons déjà eu une sorte de mandat de maintien de l'ordre.
Le sénateur Cochrane : Dites-vous que la Garde côtière a toujours eu ce mandat?
M. Fortier : Il faudrait poser la question au commissaire de la GRC. Je ne sais pas si c'est le cas. Je ne peux répondre.
Le sénateur Cochrane : L'objectif principal d'ArcticNet est de traduire notre compréhension grandissante de l'Arctique en mutation. Est-ce que Pêches et Océans Canada collabore avec ArcticNet?
M. Fortier : Oui, nous collaborons activement avec cinq ministères, ainsi qu'avec plusieurs organismes. Notre principal partenaire fédéral est Pêches et Océans, mais nous travaillons étroitement avec Ressources naturelles Canada, Environnement Canada, Santé Canada, la Défense nationale, Parcs Canada, le Musée de la nature, et cetera. ArcticNet collabore avec tous les ministères et organismes qui s'intéressent d'une façon ou d'une autre à l'Arctique.
Le sénateur Cochrane : Quel rôle jouent les Inuits dans votre étude?
M. Fortier : ArcticNet a comme principe fondamental de faire participer les habitants du Nord, les Inuits, à ses projets. Culturellement parlant, nous avons limité nos rapports aux Inuits pour commencer. ArcticNet s'intéresse particulièrement à la région côtière de l'Arctique maritime, où ces gens vivent. Nous leur avons demandé quel genre de recherche ils voulaient, et les avons invités à se joindre au réseau à tous les niveaux. Nous avons des représentants inuits au sein des conseils d'administration du comité de gestion de recherche. Il y a également un facilitateur inuit dans les quatre régions inuites, et les choses se déroulent très bien.
Le sénateur Cochrane : Quel est leur rôle?
M. Fortier : Ils facilitent les échanges entre les communautés et les chercheurs. C'est extrêmement important, car ArcticNet ne touche pas seulement aux sciences naturelles, mais également aux sciences sociales et sanitaires. Lorsqu'il est temps d'aller dans ces communautés, que ce soit pour des enquêtes sur la santé ou sur l'économie, il importe de coordonner nos actions.
Vint un temps où les Inuits en ont eu assez des scientifiques et de servir de sujets d'étude. Ils disent à la blague que la famille inuite typique comprend cinq membres : la mère, le père, deux enfants et un anthropologue. Ça vous donne une idée du rôle dont on nous affuble.
L'Arctique canadien n'intéresse pas que les scientifiques canadiens, mais également tous nos collaborateurs internationaux. Il faut se rappeler qu'il n'y a que 75 000 Inuits environ au Canada; donc, si trop de scientifiques étudient cette région, il risque d'y avoir un problème.
Le sénateur Cochrane : Êtes-vous en train de nous dire que les Inuits se sentent exploités?
M. Fortier : Je n'irais pas jusque là.
Le sénateur Adams : Ce n'est pas si grave, même si certains scientifiques peuvent aller jusqu'à leur demander combien dorment dans le même lit.
M. Fortier : Ces temps-ci, le nombre d'études sur le mode de vie, la santé et l'environnement de ces gens est ahurissant.
Le sénateur Cochrane : J'aimerais que de nombreux Inuits fassent carrière grâce à l'industrie d'ArcticNet. Ce rêve se concrétisera-t-il?
M. Fortier : Cela ne fait pas partie de notre mandat, mais nos partenaires inuits exercent de telles pressions en ce sens que nous cherchons des moyens de les contenter. On a notamment réussi à former 12 avocats inuits dans une université de la côte Ouest — je crois que c'est à l'Université de la Colombie-Britannique. C'est donc faisable.
Le gros problème, c'est qu'il est extrêmement difficile de former de jeunes Inuits dans les universités du Sud, car on les arrache à leur univers. Ils sont donc confrontés à toutes les difficultés que doivent affronter les jeunes dans les grandes villes. Durant le deuxième cycle de financement de notre mandat, nous chercherons des façons de corriger cette situation avec Mary Simon et le conseil d'administration d'ArcticNet.
Nous pourrions d'abord regrouper les collèges situés dans les différentes régions de l'Arctique, faciliter leurs échanges avec le réseau universitaire et, par exemple, les rendre admissibles aux contributions des conseils de recherche, ce qu'ils ne sont pas pour l'instant. Nous pouvons leur fournir un certain financement, mais en étirant au maximum la définition de « dépenses admissibles ».
Nous pourrions ensuite envisager la création de nouveaux centres d'études. Il y en a un à Ottawa, où des jeunes du Nord peuvent se retrouver entre eux et obtenir de l'aide pour résister à l'intégration urbaine pendant leurs études. Nous aimerions en établir un à Québec, ce qui est réalisable. Dans le domaine juridique, on a formé plusieurs avocats, et cela a très bien réussi. Cependant, les choses sont plus difficiles dans les secteurs des sciences naturelles et de la santé.
Le sénateur Cochrane : Nous poursuivons toutefois nos efforts.
M. Fortier : Oui, ArcticNet continue d'essayer.
Le président : Plutôt que d'amener les Inuits à l'université, ne pourrions-nous pas amener l'université aux Inuits? Avec la technologie actuelle, ce serait possible. Par exemple, à Terre-Neuve-et-Labrador, on offre des services médicaux aux communautés éloignées par l'entremise d'une communication télévisuelle. J'ai entendu, ce matin, une entrevue sur un médecin qui a collaboré avec un conseil pour réaliser une opération à distance. La technologie évolue à un rythme tel qu'il nous serait possible d'emmener l'université aux étudiants de l'Arctique plutôt que le contraire.
M. Fortier : Il existe déjà l'Université internationale de l'Arctique, qui fonctionne selon le principe que vous venez d'expliquer. Cependant, je crois comprendre que ce sont des jeunes du Sud qui fréquentent cet établissement. Un étudiant qui a déjà fréquenté le collège peut aisément rester assis à écouter un professeur sans s'endormir. Cependant, les habitants du Nord sont habitués à un enseignement bien plus interactif et physique, ce qui ne serait peut-être pas très efficace en l'occurrence. Il faudrait essayer l'enseignement virtuel, mais cette méthode ne m'inspire pas beaucoup confiance.
Nous avons besoin d'une méthode vraiment adaptée. Celle dont nous avons parlé avec Mary Simon et Duane Smith s'apparente davantage au mode d'apprentissage inuit, qui repose sur l'interaction entre un professeur ou un aîné et son élève. Il faut développer un cours universitaire adapté à leur culture. Tant que nous continuerons d'essayer d'intégrer leur culture ou leurs compétences dans notre système, nous courrons à l'échec.
Le sénateur Adams : Nous y arrivons tranquillement. Cette année, nous construirons une université à Rankin Inlet pour former des gens de métier au Nunavut. Il y a quatre ou cinq ans, des avocats et des infirmiers se sont rendus dans le Sud pour étudier. On construit maintenant à Rankin Inlert le campus du collège Arctique du Nunavut au coût de 10 millions de dollars, ainsi qu'un centre correctionnel de 50 millions de dollars. Les jeunes prennent le chemin soit de la prison, soit de l'école. Les choses sont différentes là-bas. Certaines personnes nous sont envoyées pour des problèmes d'alcool. Nous avons pris des jeunes sous notre aile pour qu'ils puissent apprendre à chasser avec un fusil. Nous avons dû leur montrer à se débrouiller.
Aujourd'hui, le gouvernement et les scientifiques doivent échanger davantage avec les politiciens du Nunavut. L'Assemblée législative du Nunavut compte 19 membres à Iqaluit et un premier ministre. Le collège Arctique du Nunavut collabore de plus en plus avec d'autres universités situées dans le Sud.
Les Inuits ont de la facilité à apprendre. Le président a évoqué l'établissement du réseau de DEW en 1954, à l'occasion duquel des membres de la communauté ont été engagés comme opérateurs d'équipements lourds. Les gens du Sud, comme ceux de Winnipeg ou de Toronto, trouvaient qu'il faisait trop froid pour conduire un camion à chenille sans cabine. Ce sont donc des gens de la région qui ont construit les pistes et les routes.
C'est l'élément qui fait défaut au gouvernement du Canada. Il y a quelques semaines, un témoin de l'Université d'Ottawa, maintenant à la retraite, nous a dit que les Inuits devraient apprendre à diriger la Garde côtière dans l'avenir. On trouve, d'un océan à l'autre, des Inuits pour qui l'eau et la glace n'ont pas de secret. Eux n'ont pas besoin d'instruments pour prédire le déplacement de la glace, alors que nous, nous devons nous fier à un radar satellite pour le savoir.
Il y a quatre ou cinq ans, le sénateur Comeau et moi-même sommes allés de Resolute à Kugluktuk, qui s'appelait Coppermine, à bord du Louis S. St-Laurent. Nous avons besoin d'un plus gros brise-glace, parce que dès que nous sommes entrés dans la zone couverte par la glace pérenne, nous sommes restés coincés à quelques reprises. Le Louis S. St-Laurent est allé de Baffin Inlet à Cambridge Bay. C'était un périple fascinant, surtout au-delà de la baie de Resolute, où le jour dure 24 heures, la glace ne fond jamais et les ours polaires arpentent la banquise.
Il faudra collaborer davantage dans l'avenir. Affaires indiennes et du Nord Canada a ouvert un pensionnat à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest, en 1966. Ignorant à l'époque ce que l'avenir nous réservait, nous n'enseignions que l'anglais dans ces écoles. Toutes les communautés changent maintenant, et il est maintenant possible d'y étudier jusqu'en 12e année. La situation s'améliore.
Il y avait beaucoup de décrochage dans les années 1950, 1960 et 1970. Les jeunes ne voulaient pas rester dans les pensionnats, mais retourner chez eux. Il faut cependant avoir terminé ses études secondaires pour obtenir un emploi au gouvernement.
Les gens du Nord fonctionnent différemment. De nombreuses entreprises ne comptent pas une seule personne de la communauté dans leurs effectifs parce qu'elles exigent des preuves de qualification, comme un permis de mécanicien. On peut trouver une centaine de mécaniciens et d'opérateurs d'équipements lourds inuits au sein des communautés et des municipalités. Cependant, si ces derniers veulent travailler pour une entreprise privée, ils doivent posséder un diplôme de fin d'études secondaires, un permis de conduire ou un certificat. C'est problématique.
Les habitants des régions septentrionales sont parfaitement capables de réparer leurs véhicules défectueux, comme des Ski-Doo ou des quatre-roues. Je peux le faire moi-même, sans faire appel à un mécanicien.
Le gouvernement fédéral et le Nunavut tentent de s'entendre pour déterminer qui est propriétaire des gisements de minerai, de pétrole et de gaz. Les entreprises disent qu'ils appartiennent au Canada. Et nous, dans tout cela? Nous vivons dans cette région. Les Inuits doivent avoir un avenir là-bas.
Les rangers de l'Arctique patrouillent de plus en plus d'une année à l'autre. Les Inuits voudraient le faire eux-mêmes dans l'Arctique. Le premier ministre a dit, il y a quelques années, que nous travaillions sur la question de la souveraineté dans l'Arctique; pourtant, rien n'a été fait.
Nous devrions collaborer avec les Inuits. Ils sont capables d'apprendre aussi bien que les gens du Sud. S'ils vont à l'école, ils peuvent le faire.
M. Fortier : Nous voyons souvent des exemples d'Inuits qui décrochent les plus hauts diplômes universitaires dans tous les domaines. Cependant, il y a encore plusieurs obstacles qui empêchent la majorité de le faire.
Le sénateur Adams : Dans la GRC, actuellement, des Inuits se font embaucher pour maintenir l'ordre dans 25 communautés du Nunavut. Depuis que le Nunavut s'est séparé des Territoires du Nord-Ouest, 70 p. 100 des agents engagés par la GRC dans la communauté sont Inuits.
D'autres ministères, comme ceux qui s'occupent des travaux publics ou des services sociaux, embauchent principalement des gens du Sud dans des postes de charpentiers, d'électriciens, d'opérateurs d'équipements, et cetera. C'est une pratique courante, en raison de la réglementation gouvernementale.
J'ignore comment nous pouvons changer cela. Peut-être pourrions-nous nous pencher sur cette question le mois prochain ou avant. Près de 100 p. 100 des Inuits qui travaillent dans l'administration municipale sont issus de la communauté, à l'exception d'une secrétaire qui vient du Sud; tous les autres sont Inuits.
Je ne sais pas s'il y aura une étude environnementale sur le projet d'exploitation minière de Mary River, près de Pond Inlet. On parle d'un tronçon d'environ 100 kilomètres de voie ferrée, mais c'est un terrain accidenté. Je m'y suis rendu en avion à quelques reprises.
Quelle est votre opinion à ce sujet? Cela fonctionnera-t-il?
M. Fortier : Ça m'a l'air assez avancé.
Le sénateur Adams : Je suis allé à Igloolik et à Hall Beach. Si on se rapproche de ces communautés, de l'autre côté de l'île de Baffin, il y a une plus grande étendue d'eaux libres.
M. Fortier : Oui.
Le sénateur Adams : Je ne sais pas si vous êtes allé là-bas en hiver.
M. Fortier : Non.
Le sénateur Adams : Entre ces deux communautés, les gens peuvent aller en mer chasser un morse et revenir en une heure.
Le président : J'aimerais souligner qu'il existe un accord sur les revendications territoriales qui a une incidence sur l'embauche des gens. Les entreprises privées doivent respecter cet accord et conclure une entente sur les répercussions et les avantages afin d'accorder la priorité dans l'embauche, les fonds pour l'éducation, et cetera. Le gouvernement, par contre, n'a probablement pas les mêmes contraintes que le secteur privé, n'est-ce pas?
M. Fortier : Cela va bien au-delà de ma compétence. Je ne pourrais répondre. Toutefois, le gouvernement est sans doute limité dans une certaine mesure, car il a signé l'accord sur les revendications territoriales.
Le président : Oui, il est signataire. C'est une question sur laquelle nous devrions nous pencher.
Le sénateur Cook : Merci. Je souhaite la bienvenue aux témoins. J'en suis à ma deuxième séance au sein de ce comité. Je suis arrivée au milieu d'une étude, et le comité a peut-être déjà traité de certaines de mes questions.
Nous parlons de la gestion du changement. Je suis en train de regarder une carte et je me rappelle qu'à l'école, on nous disait toujours que l'Amazonie est le poumon de la planète. Comment appelle-t-on la calotte polaire, alors? Si nous disons que la forêt tropicale amazonienne est essentielle à l'humanité parce qu'elle est le poumon de la Terre puisqu'elle nous alimente en oxygène, quel est l'impact de la fonte de la calotte polaire?
M. Fortier : C'est une question très intéressante. La couverture de glace sur l'océan Arctique, différente du glacier du Groenland, joue le même rôle pour le climat que les réflecteurs que nous utilisons lorsque nous garons notre voiture dans un stationnement durant l'été, pour empêcher que la température ne devienne trop élevée à l'intérieur du véhicule. C'est l'analogie que j'utilise souvent. La couche de glace renvoie 90 p. 100 de l'énergie solaire dans l'espace. Sous cette couverture de glace, il y a l'océan, qui est bleu foncé et qui absorbe environ 55 p. 100 de l'énergie.
Nous pouvons facilement comprendre qu'en perdant plusieurs millions de kilomètres carrés de cet énorme réflecteur, ce que nous appelons l'équilibre radiatif de l'hémisphère Nord s'en trouve modifié; en fait, cela provoque un réchauffement dans cette partie du globe.
Au-delà de tous les impacts environnementaux, géopolitiques et stratégiques, la plus grave conséquence pour la planète, c'est que la disparition de ce couvert de glace — en particulier durant les mois d'été — accélère les changements climatiques. C'est le point tournant ou le facteur qui nous apportera un nouvel équilibre climatique dans l'hémisphère Nord et le reste de la planète. Le problème, c'est que les scientifiques ne savent pas exactement ce que cela signifie. Certains pensent que ce sera très difficile; d'autres, que nous pourrons probablement nous y adapter.
Nous sommes généralement d'avis que si nous ne commençons pas dès maintenant à réduire nos émissions de gaz à effet de serre, la situation va sérieusement se compliquer. Les gens pensent souvent qu'une fois que nous aurons cessé d'utiliser les carbones fossiles, les choses reviendront très rapidement à la normale. Or, d'après ce que nous savons, il faudra 10 000 ou 15 000 ans pour retrouver le climat que nous avions.
Les changements n'affecteront pas que la prochaine génération ou la suivante, mais toutes les générations à venir.
Le sénateur Cook : Il y a approximativement 30 000 Inuits canadiens au Nunavut. Ces gens n'auront plus jamais le même mode de vie. Si nous — les gens du Sud — ne les écoutons pas, comment pourrons-nous gérer ce changement bien réel?
Je suis également préoccupée par la question des champs de compétence : qui est propriétaire de quoi là-bas? Y a-t-il une carte sur laquelle nous pouvons trouver cette information? J'entends parler du Haut Arctique et de l'Arctique de l'Est. Nous avons des problèmes en ce qui concerne le partage des compétences.
M. Fortier : Je n'ai pas la carte des quatre régions inuites.
Le sénateur Cook : Ce sont des questions, des changements que nous devons gérer. Lorsque vous parlez du mandat de la Garde côtière canadienne, monsieur le président, sachez qu'on a porté des accusations contre le capitaine de l'Estai en vertu de la Loi sur les pêches. J'étais sur le quai, ce jour-là, lorsque le navire est arrivé à St. Johns, et qu'une unité de la GRC est montée à son bord.
Actuellement, notre Garde côtière fournit un soutien très utile. Toutefois, nous devons aller plus loin et établir un mandat clair pour la Garde côtière canadienne, qui collabore avec différents ministères maintenant. Nous devons gérer le changement et écouter les 30 000 Canadiens qui vivent dans le Nord. Nous avons sûrement tiré des leçons de l'affaire des pensionnats; nous avons essayé de changer une culture et regardez les résultats.
Nos gouvernements doivent entendre les gens du Nord et faire ce qui est le mieux pour eux. Si je me fie au peu de connaissances que j'ai sur le sujet, je crois qu'ArcticNet a adopté une bonne approche scientifique en matière de gestion du changement. Mais tout cela ne servira à rien si nous n'écoutons pas les gens qui vivent là-bas.
M. Fortier : L'approche que nous tentons d'adopter est appelée Étude d'impact régionale intégrée. C'est un processus itératif dans lequel on pose les questions suivantes à la population : Qu'en pensez-vous? Que signifient les changements climatiques pour vous? Qu'est-ce que la modernisation? Qu'est-ce qui est important, quelles questions vous préoccupent?
Une fois que nous avons ces informations, nous commençons à faire des recherches sur ces questions, en collaboration avec les gens. Après un certain temps, le cycle recommence. Nous évaluons la situation, puis nous disons : « C'est ce que nous croyons qu'il arrivera dans 5, 10 ou 25 ans, d'après nos connaissances; selon l'évolution de l'environnement, la fonte du pergélisol et des glaces, et la modification des routes migratoires du caribou. Voilà ce qui vous rend vulnérables, comment vous pouvez vous adapter, où ce sera difficile; bref, vous devez vous préparer. »
C'est un grand laboratoire. Nous nous servons de l'Arctique, en un sens, pour vérifier si l'approche de l'étude d'impact régionale intégrée est efficace. L'étude porte non seulement sur les effets sur l'environnement, mais aussi sur la santé de la population et l'économie. Si elle fonctionne pour l'Arctique, cette approche pourra probablement servir dans le Sud d'ici 20, 30 ou 50 ans.
Parfois, c'est une leçon d'humilité. Nous nous demandons ce que nous pouvons faire pour l'ours polaire, à quel rythme le saumon migrera vers l'océan Arctique, et quels seront les résultats positifs et négatifs de tout cela.
Si nous extrapolons, nous voyons ce qui pourra arriver dans le reste du monde dans quelques décennies. Imaginons que le niveau des mers monte de trois mètres d'ici la fin du siècle, et que nous ayons à déplacer la moitié des 120 millions de Bangladais vers l'Est du Pakistan. Où irons tous ces gens? Si les choses continuent d'évoluer au même rythme, ce siècle sera peut-être celui des déplacements massifs de populations.
Nous croyons aussi qu'il est important d'essayer de nous adapter aux changements dans l'Arctique canadien pour voir comment en profiter et éviter leurs impacts négatifs. Toutefois, nous pensons que les choses peuvent tellement changer dans le reste du monde qu'à un certain moment, ce sera un peu inutile.
C'est un tableau très sombre. Je ne suis pas certain que ce que nous apprenons dans l'Arctique ou dans le Nord nous aidera à prévoir ce qui va se produire partout ailleurs. Ce n'est peut-être pas la fin du monde qui s'annonce.
Le sénateur Cook : La fin du monde que nous connaissons, certainement. Selon vous, que signifie la souveraineté dans l'Arctique pour les Canadiens, individuellement ou collectivement? Où seront les limites de la Russie, de la Finlande et de l'Amérique? Où se situent maintenant les frontières, et jusqu'où devrons-nous déplacer nos populations, sachant qu'il y a 30 000 personnes qui vivent le long de cette route maritime?
M. Fortier : Pour moi, la souveraineté canadienne dans l'Arctique représente deux choses tout à fait distinctes. Comme vous le savez, la souveraineté sur le territoire et dans les îles ne pose aucun problème; elle a été établie dans les années 1930.
Actuellement, les gens pensent que nous faisons face à un grave problème concernant la souveraineté dans le Passage du Nord-Ouest. Or, il ne s'agit que d'un aspect technique, c'est-à-dire du droit de passage inoffensif dans le Passage du Nord-Ouest. C'est une question importante, mais ce qui l'est davantage et qui est totalement différent, c'est la requête, la demande que nous adresserons au tribunal international pour obtenir cette partie de l'océan Arctique. C'est l'enjeu primordial en ce moment, et c'est là que nous devons défendre notre souveraineté dans l'Arctique.
Le sénateur Cook : S'il y a une chose que je demande aux personnes expertes comme vous et à ArcticNet, c'est d'écouter les gens. C'est là qu'ils vivent depuis longtemps. Si des changements surviennent, nous avons la responsabilité d'accompagner les populations, de voir à ce qu'elles aient la meilleure vie possible; chacun a le droit de vivre où bon lui semble.
M. Fortier : Absolument. Nous ne faisons pas de différences entre eux et nous.
Le sénateur Hubley : Vous avez évalué notre capacité en matière de brise-glace dans l'Arctique — je crois que nous avons sept navires du genre. Vous avez aussi mentionné que leur remplacement peut prendre de 10 à 20 ans, ce qui semble indiquer qu'il y a quelques lacunes dans le système.
A-t-on mis en place une stratégie pour le Nord afin de s'assurer d'une présence continue là-bas? Pour aller dans le même sens que la question du sénateur Cook, pensez-vous que la souveraineté dans l'Arctique soit assurée par la présence de navires militaires ou quasi militaires, ou ArticNet compte-t-elle davantage sur la population qui vit sur place?
À ce propos, j'aimerais aussi vous demander s'il y a d'autres outils à notre disposition. Pourriez-vous nous parler de RADARSAT-2 ou de la surveillance par satellite, et nous dire s'il y a d'autres mesures que nous pourrions envisager maintenant pour nous assurer que la transition se fera le plus en douceur possible?
M. Fortier : C'est une question très vaste. Pour en revenir au premier aspect, je crois que ce serait possible. Comme vous l'avez mentionné, il faudra beaucoup de temps pour renouveler cette flotte de brise-glace. Nous devons donc nous assurer de garder en bon état ceux qui le sont déjà. Et si nous investissons un peu en ce sens, je crois que nous pourrons assurer une présence continue dans l'Arctique, une bonne visibilité, jusqu'à ce que les gros navires arrivent.
En ce qui a trait à l'affirmation de notre souveraineté dans l'Arctique, il y a plusieurs moyens à notre disposition. RADARSAT en est un, et je crois que nous garderons ce satellite; il le faut. Je simplifie peut-être un peu trop la situation, mais cela me rappelle le chasseur Avro Arrow, que nous avons détruit à la demande des Américains.
C'est la même chose pour RADARSAT. C'est une chose que nous devons conserver. C'est l'un des meilleurs satellites que nous ayons dans l'Arctique. Il est extrêmement utile et nous devons garder cette technologie ici.
Chaque année, lorsque nous traversons le passage du Nord-Ouest dans le cadre du programme ArcticNet, ou comme ça s'est fait lorsque l'Amundsen a passé une année entière dans la mer de Beaufort, des centaines de scientifiques étrangers montent à bord des navires. Leurs activités font l'objet d'entrevues à la radio, à la télévision et dans les revues dans leur pays. L'Amundsen a fait la une du Washington Post et de tous les journaux secondaires — nous avons aussi fait l'objet d'un reportage sur Al Jazeera. Tout cela, c'est pour la recherche scientifique, mais je crois que cela a davantage d'impact, pour montrer la présence canadienne dans l'Arctique, que les expéditions que nous avons faites avec les rangers canadiens. Je ne veux pas avoir l'air de les critiquer, mais l'important, c'est d'avoir beaucoup de publicité dans les médias, afin de montrer notre présence dans l'Arctique.
Actuellement, la BBC tourne une série sur l'Amundsen. Nous avons à bord un journaliste de l'un des magazines scientifiques les plus lus dans le monde, le New Scientist. Les gens à l'étranger voient ces choses. Nous n'avons pas d'armes, pas de canons ni quoi que ce soit d'autre, mais nous avons beaucoup de visibilité et de couverture médiatique.
Le sénateur Cochrane : Vous dites que nous partageons l'information. Permettez-moi de revenir en arrière, en 2005, lorsque la route maritime a été ouverte durant un mois et demi. Qu'avez-vous vu à ce moment-là? Quelque chose s'est- il produit? Avez-vous vu des navires d'autres pays faire la navette ou tenter d'imposer leur présence dans l'Arctique?
M. Fortier : Nous avons vu des choses étranges. Pour vous donner une idée de l'absence de surveillance, cette année- là ou la suivante, nous avons vu un brise-glace de recherche en provenance de Chine entrer, je crois, à Kugluktuk.
Le sénateur Adams : Je voulais vous dire que vous avez oublié d'indiquer Kugluktuk sur la carte.
Le sénateur Cochrane : Il y avait un brise-glace chinois.
M. Fortier : Oui, et on a dû... je ne dirais pas les intercepter, mais les informer du fait qu'ils pénétraient dans ce que nous considérons comme les eaux nationales. Cela vous montre combien cet endroit est éloigné.
Chaque année, depuis le début des années 2000, nous voyons des voiliers venant de Scandinavie, des familles qui décident de traverser le passage du Nord-Ouest sur leur bateau pour faire du tourisme. En 2007, il y en a trois qui ont réussi, car le passage était libre de glaces.
En 2007, l'Amundsen a traversé le détroit de Bellot, un passage très étroit entre la péninsule de Booth et l'île Somerset. Depuis très longtemps, il est extrêmement difficile à traverser, mais l'année dernière, l'Amundsen l'a franchi, tout comme le détroit de Fury et Hecla, sans voir un seul morceau de glace. Les changements se produisent rapidement.
Lorsque la glace pluriannuelle disparaîtra, une route de navigation se dégagera. Le transport maritime intercontinental pourra alors probablement passer par le bassin arctique et le pôle Nord, plutôt que d'emprunter la route du nord qui traverse la Russie, où les choses se compliquent, ou encore prendre le Passage du Nord-Ouest et son dédale de chenaux.
Le sénateur Cochrane : À l'époque, qui a dit au brise-glace chinois qu'il était dans des eaux nationales?
M. Fortier : Je ne m'en souviens pas. Était-ce la Garde côtière canadienne ou la GRC?
Le sénateur Adams : Je ne m'en rappelle pas non plus.
M. Fortier : Je crois que c'était la Garde côtière.
Le sénateur Cochrane : Combien coûte la recherche dans le Nord? À combien s'élèvent les dépenses annuelles d'ArcticNet?
M. Fortier : Nous avons un budget annuel de 6,4 millions de dollars, qui grâce à un effet de levier nous permet d'avoir 20 millions en investissements divers. En général, les chercheurs d'ArcticNet apportent leur propre financement aux activités du réseau. Nous arrivons à recueillir beaucoup d'argent de cette façon.
Le sénateur Cochrane : Il s'agit de fonds publics.
M. Fortier : Ils proviennent en effet pour la plupart du gouvernement fédéral, mais également un peu des provinces. Jusqu'à présent, l'industrie n'a pas contribué de façon notable, mais nous travaillons là-dessus.
Le sénateur Cochrane : Prévoyez-vous qu'elle le fera bientôt?
M. Fortier : Oui, nous essayons de recréer la relation entre l'Arctic Marine Ecosystem Research Network, ARCTOS, en Norvège, et ConocoPhillips. Un représentant de cette entreprise siège d'ailleurs au conseil d'administration d'ArcticNet. Nous essayons d'établir une entente du même type, grâce à laquelle le secteur privé financerait la recherche fondamentale approuvée par le comité de gestion de la recherche. En échange, nous pourrions effectuer pour le secteur privé de la recherche appliquée que celui-ci n'est pas en mesure de faire.
Le sénateur Cochrane : De quel genre de recherche ConocoPhillips aurait besoin?
M. Fortier : Nous avons mis au point des hydrophones d'acoustique passive qui enregistrent les vocalisations des mammifères marins. Pour l'instant, il y a peu d'activité industrielle dans la mer de Beaufort et le delta du Mackenzie, mais grâce aux hydrophones, nous pouvons détecter les mouvements des bélugas, des phoques, des baleines et autres animaux. Cette technologie pourrait être utile lors de l'installation de plates-formes pétrolières et de pipelines. Si la circulation maritime s'accroît, on peut comparer la situation actuelle avec celle qui prévaudra dans cinq ou dix ans, ce qui nous permettra de déterminer les répercussions du développement industriel sur la répartition et la migration des mammifères. C'est un exemple de ce qui intéresse cette entreprise, mais qu'elle ne peut pas faire, alors que nous, si.
Le sénateur Cochrane : Elle s'y intéresse.
M. Fortier : L'Amundsen est doté du meilleur système sonar au monde, ce qui nous permet de produire rapidement une carte du plancher océanique et de sa structure. C'est le genre de données qu'elle souhaite également obtenir.
Le sénateur Cochrane : Est-ce que d'autres entreprises ont manifesté leur intérêt?
M. Fortier : Un représentant de NorTerra Inc., un consortium du Nord, siège également à notre conseil d'administration. Ce groupe possède des infrastructures de navigation et des aéronefs.
Le président : En écoutant le sénateur Cochrane poser ses questions, je me suis rendu compte que nous n'avions entendu aucun témoin du secteur privé à ce sujet. J'aimerais savoir ce qui se passe de ce côté, si ce secteur fait participer la population locale, s'il considère qu'il s'agit là d'une obligation, et si oui, comment il s'en acquitte.
Si nous devions inviter des témoins du secteur privé, qui recommanderiez-vous?
M. Fortier : Je proposerais Carmen Loberg, président-directeur général de NorTerra, qui ferait un excellent témoin; un responsable de Manitoba Hydro, partenaire important d'ArcticNet; et un représentant de ConocoPhillips.
Le président : Peut-être que nous devrions les recevoir tous en même temps.
Il serait intéressant d'entendre le point de vue de l'industrie.
Le sénateur Cochrane : Je suis d'accord.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Vous nous dites que la glace fond à un rythme alarmant et que nous n'avons plus cette glace de plusieurs années, qui est une glace épaisse et dure. Pourquoi donc avoir des brise-glace de classe polaire, qui ne seront disponibles que dans dix ans, s'il n'y aura pratiquement plus de glace?
M. Fortier : Parce que la glace annuelle va continuer à se former et elle a tendance à s'empiler, ce qui forme souvent des crêtes de pression qui sont très épaisses et difficiles à traverser.
Le sénateur Robichaud : Mais a-t-on besoin d'un brise-glace de l'ordre des brise-glace Lénine comme vous avez mentionné?
M. Fortier : Non, je n'irais pas jusqu'à la classe Lénine, ce serait peut-être exagéré. J'opterais plutôt pour la classe polaire qui peut maintenir trois nœuds dans six, sept ou huit pieds de glace. Ce sont des classes un peu ésotériques. Disons qu'au Canada, si on veut couvrir non seulement l'archipel canadien et la fraction de l'océan Arctique qui va nous revenir en 2013, et si on veut être capable d'intervenir, de patrouiller, de surveiller, de nettoyer lorsqu'il y a des problèmes, il nous faudra des brise-glace de classe polaire. Ils seront utiles non seulement pendant les mois d'été quand il n'y aura presque plus de glace, mais aussi en hiver.
Vous avez vu sur l'animation que c'est la glace pluriannuelle qui reste dans l'océan Arctique et qui s'appuie sur l'archipel canadien. Le peu de glace pluriannuelle qui restera, c'est chez nous qu'elle restera. Donc si on veut étudier, gérer et préserver les régions arctiques, il nous faut ce type de brise-glace, surtout si le trafic maritime à travers l'océan Arctique augmente.
Le sénateur Robichaud : Si on a besoin d'intervenir, je comprends, mais pour ce qui est de la surveillance, on a RADARSAT-2 qui est beaucoup plus efficace que dix brise-glace disponibles dans cette région.
M. Fortier : Tout à fait. Pour l'aspect de détection et surveillance, c'est nécessairement par satellite que cela se fait. Imaginons qu'on a le pétrolier-poubelle Prestige, sous pavillon du Libéria avec un équipage phillipin et affrété par un Russe, qui décide de passer par le pôle Nord et qu'on a un changement dans la direction des vents, que la glace ou les courants le rejettent le long de l'archipel canadien, et qu'il se casse en deux. Avec le Prestige, on a un déversement de pétrole comme celui qui s'est produit sur la côte espagnole avec l'Exxon Valdez, on pourrait très bien le détecter avec RADARSAT mais on ne pourrait strictement rien faire pour intervenir.
Supposons qu'on a un Boeing 747 qui passe au-dessus de l'Arctique canadien. C'est une zone de 400 kilomètres par 400 kilomètres où lorsqu'un le Boeing rentre, s'il ne ressort pas au bout d'un certain temps, on ne sait absolument pas ce qui s'est passé. Et s'il s'écrase n'importe où dans l'Arctique, on n'a aucune capacité d'intervention, en particulier pendant les mois d'hiver.
Autrement dit, c'est un immense territoire dans lequel on n'a pas le contrôle ou de capacité d'intervention. On voit ce que les Russes sont capables de faire parce qu'ils ont des brise-glace de classe polaire et de classe Lénine. C'est un peu ironique parce que la glace disparaît beaucoup plus rapidement de leur côté que du nôtre.
Le sénateur Robichaud : Il faut dire aussi que les Russes n'avaient pas les capacités d'aller secourir leurs marins dans un sous-marin, qui était à je ne sais pas quelle profondeur d'eau et quelqu'un d'autre a dû intervenir, n'est-ce pas?
M. Fortier : Oui.
Le sénateur Robichaud : Est-ce que la couche glaciaire du Groenland diminue à un rythme aussi alarmant que la glace sur l'océan?
M. Fortier : C'est ce qu'on craint. Le GIEC, le Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat, parlait d'une contribution de la fonte de l'Islandsis du Groenland de 25 à 30 centimètres au rehaussement du niveau de la mer d'ici la fin du siècle. On parle beaucoup plus de un à deux mètres et certaines études parlent même de trois mètres.
À trois mètres d'augmentation du niveau de l'eau, ça commence à causer des problèmes. Si l'ensemble de l'Islandsis se déstabilisait, il se mettrait à couler pour se répandre sous forme d'iceberg dans l'océan Atlantique Nord. Et si l'ensemble de cette immense masse de glace se déstabilisait, on verrait jusqu'à sept mètres d'augmentation du niveau de la mer.
Avec sept mètres d'augmentation du niveau de la mer, les projections sont qu'un peu plus de 30 p. 100 de la population de la planète devra déménager ou se faire pousser des branchies. Vous allez me dire que c'est de la science- fiction, que cela ne peut pas se produire.
Le sénateur Robichaud : Cela sonne quasiment comme de la science-fiction, d'avoir autant d'eau répandue à la grandeur de la planète lorsqu'on regarde la superficie du Groenland.
M. Fortier : La banquise dont on parle maintenant est d'une épaisseur moyenne de deux mètres — autrefois c'était trois mètres, maintenant c'est un peu moins de deux mètres — et elle flotte déjà sur l'eau. Qu'elle fonde ou pas, cela ne change rien au niveau de la mer. À certains endroits, l'Inlandsis du Groenland est d'une épaisseur de trois kilomètres et la majorité de cette masse de glace se trouve au-dessus du niveau de la mer.
Le glacier se déplace, on l'entend. On utilise des microphones pour entendre le glacier commencer à se déplacer et c'est inquiétant. S'il n'y avait que le glacier du Groenland, ce serait pas mal, mais il y a deux Inlandsis similaires en Antarctique. Si ces deux glaciers se déstabilisent, le rechaussement du niveau de l'océan serait de 70 mètres. Donc avec celui du Groenland, cela nous fait 77 mètres.
Vous allez dire que c'est de la science-fiction, mais cela s'est produit il y a 18 000 ans, lors de ce qu'on appelle « la transgression flandrienne», alors que le niveau de l'océan s'est relevé de 100 mètres. Mais à l'époque, il y a 18 000 ans, on était des nomades, on était comme les Inuits il y a 50 ans. On se promenait d'un endroit à l'autre, donc on ne s'en est probablement pas aperçu.
Tout ce qui reste de la tradition, c'est probablement l'idée du déluge, de la grande inondation. Sinon, cela n'a probablement pas eu beaucoup d'impact sur les populations. Mais actuellement, beaucoup de nos infrastructures et de nos villes sont installées sur le bord de la mer.
Le sénateur Robichaud : Est-ce qu'il faut commencer à construire notre arche?
M. Fortier : Non. Mais le prochain rapport du GIEC va probablement porter sur la situation en Antarctique. Évidemment, on parle d'une élévation du niveau de l'eau de deux à trois mètres d'ici la fin du siècle, principalement due à l'Inlandsis du Groenland qui se déstabilise et aussi à la couche de surface des océans qui se réchauffe et qui prend de l'expansion.
Sur un siècle, on peut s'adapter à la situation et se déplacer. Pour ce qui est de l'Inlandsis de l'Antarctique, c'est vraiment inquiétant mais on ne pense pas que cela puisse se produire à court terme, mais plutôt d'ici plusieurs milliers d'années.
Le sénateur Robichaud : Oui, mais on ne pensait pas qu'à court terme la glace allait fondre aussi vite.
M. Fortier : Sénateur Robichaud, vous venez de mettre le doigt sur le problème. Nos modèles d'évolution du climat nous réservent souvent des surprises. L'accélération de la déstabilisation de l'Inlandsis du Groenland est une autre surprise qu'on a en réserve. On commence à regarder par-dessus notre épaule. Sachez que je ne veux pas faire peur aux membres du comité.
Le sénateur Robichaud : On n'est pas peureux, on est plutôt préoccupés par ce qu'on entend.
[Traduction]
Le sénateur Adams : Pourriez-vous nous montrer la carte de nouveau afin que nous puissions localiser Kugluktuk? Il manque une collectivité.
M. Fortier : Vous avez tout à fait raison.
Le sénateur Adams : On y trouve maintenant un radar pour les compagnies aériennes commerciales. Pourriez-vous entreprendre une étude à ce sujet? Je ne sais pas dans quelle mesure l'armée et la Garde côtière prévoient collaborer. De 300 à 400 personnes seront dans cette région au beau milieu de l'hiver. Comment vont-elles survivre dans le froid? Est- ce que l'armée s'en préoccupe?
À Rankin Inlet, dans la baie d'Hudson, dès que le ciel se dégage, les touristes affluent d'Europe et de New York. Ils passent au-dessus de l'Arctique en avion. La circulation s'est donc accrue dans cette région. Est-ce que cela relève de l'armée ou de la Garde côtière? Pourrez-vous étudier la circulation aérienne commerciale?
M. Fortier : L'armée ne nous tient pas au courant.
Le sénateur Adams : Pas même lorsqu'il est question de transport?
M. Fortier : Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il y a une certaine réticence, mais la collaboration n'a jamais été très intense entre la Garde côtière canadienne et l'armée dans l'Arctique. Elles s'entraident au besoin, mais demeurent indépendantes.
Le sénateur Adams : Même des aéronefs privés atterrissent presque tous les jours à Iqaluit pour faire le plein avant de poursuivre leur route vers l'Europe. Étant donné l'accroissement du trafic dans cette région, il faut assurer la formation de plus de gens sur place; ils doivent être prêts.
La Commission canadienne des affaires polaires nous a dit qu'à chaque incident, on devait contacter North Bay. C'est très loin de Resolute Bay et de Grise Fiord.
Le président : J'aurais une dernière question au sujet de notre capacité à étudier la plate-forme continentale, comme vous le disiez.
Brièvement, que sommes-nous en mesure de faire? Sommes-nous capables de conduire la recherche nécessaire pour appuyer notre revendication à l'égard de la plate-forme continentale?
M. Fortier : En ce moment, nous pouvons assumer notre mission, qui consiste à réexaminer le bord de la plate- forme. Il est question de la distribution des sédiments au-delà de la limite de la plate-forme. Ces données sont essentielles pour étayer notre revendication sur une section de l'océan Arctique.
Une fois ceci terminé, nous aurons encore beaucoup de difficulté à cartographier l'intérieur de la plate-forme continentale elle-même, soit la région entre le bord du continent et la plate-forme, le long de l'archipel. En effet, lorsque nous aurons formulé notre revendication et déterminé quelle zone nous appartient, il nous faudra encore dresser une carte de cette région. Et nos moyens sont limités.
La question est donc de savoir si nous voulons le faire, et si c'est urgent.
Le président : Il est impératif de présenter une revendication d'ici 2013.
M. Fortier : Oui, je sais. Cependant, je parlais de la cartographie du territoire à l'intérieur des limites que nous aurons établies en 2013. Est-il pressant de dresser le plan de toute cette région?
Il est possible qu'on y trouve de nombreuses réserves de pétrole et de gaz naturel. Il faut bien comprendre la structure géologique de cette région. C'est la seule partie du Canada qu'il nous reste à étudier.
Le sénateur Cook : Pourriez-vous nous indiquer sur la carte où se situe le bord de la plate-forme continentale?
M. Fortier : Je ne peux vous donner qu'une approximation, parce que nous n'avons pas de certitude. Je suis convaincu que les Russes et les Américains disposent de renseignements beaucoup plus précis.
Le sénateur Cook : Vous m'en direz tant.
Le président : Je vous remercie d'être venu. Vous avez contribué énormément à nos travaux en prenant le temps de nous communiquer vos connaissances. Merci également d'avoir répondu en détail à toutes nos questions.
M. Fortier : Ce fut un plaisir pour moi. Je vous souhaite à tous un excellent voyage dans l'Arctique.
La séance est levée.