Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans
Fascicule 10 - Témoignages du 2 juin 2008 - séance du matin
IQALUIT, Nunavut, le lundi 2 juin 2008
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui, à 9 h 33, afin d'examiner, pour en faire rapport, les questions relatives au cadre stratégique actuel, en évolution, du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada. Sujet du jour : l'étude sur l'Arctique.
Le sénateur Bill Rompkey (président) occupe le fauteuil.
[Note de l'édition : Une partie des témoignages a été présentée en inuktitut et la version retenue est celle de l'interprète.]
[Traduction]
Le président : Nous allons commencer nos travaux.
J'aimerais d'abord dire tungasugisi, qui veut dire quelque chose comme bienvenue. J'aimerais vous signaler que nous avons accès à des services d'interprétation en anglais, en français et en inuktitut. Nous avons des interprètes qui peuvent travailler dans les trois langues, ce qui vous permettra d'utiliser la langue qui vous convient quand vous voulez. Nous vous encourageons à utiliser la langue de votre choix.
Nous sommes le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. Je m'appelle Bill Rompkey. Je viens de Terre-Neuve-et-Labrador.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à mes collègues en commençant par la vice-présidente, le sénateur Cochrane, qui vient également de Terre-Neuve-et-Labrador. Le sénateur Hubley vient d'une autre île, l'Île-du-Prince-Édouard, une île qui est tout aussi importante pour le Canada. Il y a des pêcheurs dans sa province. Le sénateur Adams n'a pas besoin d'être présenté puisqu'il est un des vôtres. Le sénateur Robichaud vient du Nouveau-Brunswick, et est ancien ministre des Pêches. Il connaît très bien le secteur, tout particulièrement dans sa province. Le sénateur Cowan vient de la Nouvelle-Écosse quoique je dois m'empresser d'ajouter que sa famille vient de Terre-Neuve, alors il connaît très bien les pêches. Voici le groupe que vous rencontrez ce matin. Nous désirons vous souhaiter à tous la bienvenue.
Nous étudions actuellement la politique des pêches du gouvernement. Nous nous attardons particulièrement à l'Arctique, et à ma connaissance nous sommes probablement le seul comité de la Chambre ou du Sénat qui ait décidé de procéder à une étude aussi approfondie. D'autres comités ont étudié certains aspects de la question seulement.
Nous nous intéressons tout particulièrement au rôle de la Garde côtière. Évidemment, nous voulons également parler de pêche. Nous avons organisé des audiences sur les pêches par le passé, et nous avons rédigé un rapport qui n'a pas encore été publié mais qui le sera sous peu. Cependant, la question qui nous intéresse le plus vivement est celle de la Garde côtière et de la sécurité dans l'Arctique, compte tenu du réchauffement planétaire. Évidemment, cela touche également les pêches. Nous savons que c'est une question importante pour les gens de la région. Nous sommes prêts à écouter vos commentaires. Je veux que cela soit clair. Nous sommes ici pour vous écouter. Nous rédigerons et publierons un rapport plus tard, mais aujourd'hui et en fait pendant toute la semaine nous sommes venus écouter ce que vous aviez à dire.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à l'honorable ministre Olayuk Akesuk.
Monsieur le ministre, je vous demanderai de nous présenter ceux qui vous accompagnent et de faire votre allocution.
[Interprétation]
L'honorable Olayuk Akesuk, député, ministre de l'Environnement, gouvernement du Nunavut : Je tiens à vous remercier de m'avoir invité à être des vôtres aujourd'hui. Vous avez des interprètes et je parlerai donc en inuktitut. En 2002 ou en 2004, nous avions comparu devant votre comité. Les choses s'étaient bien déroulées, et nous sommes très heureux de vous accueillir à Iqaluit. Je suis très heureux d'avoir cette occasion de m'adresser à votre comité.
Je suis accompagné à ma droite de Simon Awa, sous-ministre de l'Environnement. À ma gauche se trouve Wayne Lynch, directeur de la Division des pêches et de la chasse au phoque. Il a comparu devant le comité sénatorial et lors d'audiences sur la chasse au phoque et les pêches. Je suis également accompagné de Earle Baddaloo, directeur de la Protection de l'environnement. Ils sont venus m'épauler aujourd'hui.
Je commencerai aujourd'hui par vous parler brièvement de notre travail sur le changement climatique — c'est une question qui nous préoccupe — puis je passerai au sujet principal de mon allocution, soit l'une des graves préoccupations du Nunavut, les pêches.
Le changement climatique n'est pas chose nouvelle pour les Nunavummiut. Le changement climatique existe depuis plusieurs années et nous commençons juste à en voir les effets. Toutefois, ces dernières années, nous avons observé des changements plus importants que ceux que nous avons normalement connus par le passé. Par exemple, aujourd'hui au printemps nous enregistrons des températures plus élevées que la normale, et le dégel se déroule plus tôt. Puis la glace se forme plus tard dans l'année. Nous avons donc un dégel qui se produit plus tôt et le gel, soit la formation des glaces, se produit plus tard et, bien sûr, des conditions météorologiques de moins en moins prévisibles. Donc il s'agit des changements que nous avons remarqués dans nos saisons. Cette année nous avons eu un hiver très froid, plus froid que d'habitude, mais le réchauffement s'est produit très rapidement et le printemps est apparu plus tôt que d'habitude.
[Traduction]
La glace de mer sur laquelle nous chassons est en train de devenir moins fiable, ce qui a des conséquences directes sur la capacité des chasseurs de pourchasser le gibier. Les scientifiques nous disent que, dans l'ensemble de l'Arctique, les températures moyennes augmentent presque deux fois plus vite qu'ailleurs dans le monde et que la couverture de glace de mer est au niveau le plus bas jamais enregistré depuis plus de 40 ans.
Le gouvernement du Nunavut participe activement aux efforts déployés face au changement climatique aux échelons national et international mais notre préoccupation immédiate est, bien entendu, son impact sur le Nunavut et les Nunavummiut.
Nos petites collectivités ne sont pas bien équipées pour faire face aux changements résultant des activités réalisées dans le Sud et sur lesquelles nous n'avons aucune mainmise. Pour cette raison, nous réalisons le programme d'adaptation du Nunavut, l'initiative en deux volets, soit le plan d'adaptation au changement climatique au Nunavut et la planification à l'échelon communautaire.
Monsieur le président, nous en sommes aux dernières étapes de la collecte d'informations sur les collectivités pour inclusion dans le plan d'adaptation.
L'an dernier, nous avons mis en branle des projets pilotes à Iqaluit, Clyde River et Hall Beach. Dans le cadre de ces projets, nous allons recueillir des données de base sur la hausse du niveau de la mer et faire des évaluations des impacts sur le littoral, une évaluation du terrain, une évaluation des répercussions sur la végétation et une évaluation communautaire des bassins versants. Les résultats de ces projets pilotes initiaux nous aideront à planifier des études similaires dans d'autres collectivités du Nunavut au cours des quelques prochaines années.
[Interprétation]
Monsieur le président, je sais que le comité comprend et appuie les efforts déployés au Nunavut en vue de développer le secteur de la pêche.
Par contre, depuis que mon prédécesseur vous a rencontré en mai 2007, le gouvernement fédéral a pris trois décisions qui montrent clairement qu'il ne soutient pas nos espoirs liés à la pêche. La conclusion que nous avions tirée lors d'une réunion en mai 2007 était que le gouvernement appuyait les initiatives ou la vision du Nunavut. Aujourd'hui, le Nunavut a accès à seulement 42 p. 100 des ressources en flétan noir et en crevette dans les eaux contiguës, comparativement aux 75 à 85 p. 100 accordés aux provinces de l'Atlantique et à la Colombie-Britannique dans les eaux contiguës. Cet écart représente pour le Nunavut un coût de renonciation annuelle d'environ 56 millions de dollars, puisque nous n'avons accès qu'à 42 p. 100 des ressources dans le Nord. Le MPO a régulièrement encouragé le Nunavut à reconnaître que des progrès ont été réalisés au cours des dix dernières années pour parvenir au niveau actuel, ce qui est bien beau. Ils disent que le Nunavut devrait être patient tandis que, au fil du temps, notre quota sera augmenté jusqu'au niveau qu'ils appellent la part du lion.
[Traduction]
Il est intéressant qu'ils aient adopté cette expression — la part du lion — qui pourrait correspondre à aussi peu que 51 p. 100 et certainement beaucoup moins qu'une part équivalente à la norme nationale. Toutefois, pour un certain nombre de raisons, il est difficile de considérer la patience comme une stratégie raisonnable ou prudente que le Nunavut devrait suivre.
Pour commencer, le ministre Hearn a dit qu'il n'enlèverait pas des allocations aux détenteurs de quotas actuels du Sud pour augmenter les quotas du Nunavut. Cette décision n'est pas utile du point de vue du Nunavut mais elle est au moins compréhensible. Mais qu'arrive-t-il lorsqu'une occasion se présente d'aider le Nunavut à accroître son quota sans enlever quoi que ce soit aux détenteurs de quotas actuels du Sud?
Cela m'amène à la première des décisions prises par le MPO. L'automne dernier, un quota de 1 900 tonnes est devenu disponible, et le ministre aurait pu l'offrir au Nunavut. Des entreprises du Nunavut étaient prêtes à acheter ce quota, mais le ministre Hearn a plutôt choisi de l'accorder à un groupe du Sud. Ensuite, le 9 mai de cette année, le ministre Hearn a annoncé que le MPO allait établir des allocations aux entreprises, soit 600 tonnes de flétan noir, dans la zone 0B. Cela signifie que chacun des détenteurs de permis actuels recevra une part des 600 tonnes... à l'exception du Nunavut, qui a été exclu. Cette mesure vient étayer davantage les demandes des intérêts de l'extérieur du Nunavut désireux d'obtenir des quotas dans les eaux du Nunavut. Troisièmement, il a été décidé au MPO d'accorder au Nunavut seulement un port pour petits bateaux tandis qu'on en compte plus de 1 100 dans le Sud du Canada, tous payés par le gouvernement fédéral.
Qu'en est-il de l'avant-projet de loi sur les pêches? Est-ce qu'il laisse entrevoir des progrès? Comme vous le savez, dans le projet de loi C-32, la contiguïté et l'attachement historique ne sont que deux des nombreux critères dont le ministre doit tenir compte pour prendre des décisions sur les allocations. La loi proposée contient de nombreux autres critères, mais aucune pondération n'est prévue pour ces critères. Cela signifie que la contiguïté ne sera pas nécessairement le premier élément pris en considération lorsque viendra le temps de décider des allocations individuelles. Par ailleurs, le libellé du projet de loi C-32 ne garantit pas non plus le traitement non discriminatoire des provinces et des territoires. De notre point de vue, les changements proposés à la loi ne permettent nullement de croire que les décisions futures en matière d'allocation favoriseront le Nunavut.
Actuellement, les dispositions de la loi appuieraient simplement les allocations existantes et rendraient encore plus difficile pour le Nunavut d'atteindre la parité avec le reste du Canada. À moins d'un changement, le Nunavut ne voudra pas appuyer le projet de loi C-32.
Monsieur le président, le gouvernement du Nunavut considère comme discriminatoire que le Canada n'accorde pas au Nunavut une part des quotas de pêche dans les eaux contiguës comparables aux parts allouées aux provinces de l'Atlantique. Nous pensons que l'exclusion du Nunavut des programmes fédéraux de transferts des allocations auxquels ont accès les peuples autochtones ailleurs au Canada est légalement discriminatoire. De plus, nous considérons que l'énorme disparité entre les investissements du gouvernement fédéral dans les infrastructures de pêche dans le Sud du Canada et au Nunavut est également discriminatoire.
Monsieur le président, le Nunavut répète encore et encore depuis de nombreuses années que nous ne cherchions pas une solution aux dépens des intérêts établis dans le Sud. Nous avons demandé au MPO un accord qui accorderait le droit de premier refus des allocations devenant disponibles, un programme de transferts des allocations auquel le Nunavut peut participer et un programme concernant les ports pour petits bateaux. De fait, il semble que le MPO fait cap dans la direction opposée.
Monsieur le président, permettez-moi de placer ceci dans un contexte national élargi. La Cour judiciaire du Canada à l'appui de la souveraineté dans l'Arctique repose sur l'utilisation et l'occupation de cette région par les Inuits. Cependant, l'approche suivie par le MPO en ce qui concerne la pêche au Nunavut va tout à fait à l'encontre de la stratégie du Canada en matière de souveraineté. Pour que le Canada ait une présence durable dans l'Arctique, il doit, utiliser les ressources naturelles de la région, y compris les stocks de poisson, afin de fournir des emplois aux personnes qui y demeurent. En empêchant le développement de la pêche du Nunavut, qui, pour plusieurs de nos collectivités, constitue en gros l'unique base économique à l'État, le MPO menace la viabilité à long terme de ces collectivités et, de ce fait, le fondement de la stratégie canadienne en matière de souveraineté. Il place aussi le gouvernement du Canada dans une situation profondément hypocrite par rapport à sa stratégie pour le Nord. Monsieur le président, la succession des décisions adverses prises par le MPO au cours des six derniers mois ne peut rester sans suite.
[Interprétation]
Comme vous le savez, la semaine dernière, la frustration et la colère ressenties par les Nunavummiut à cause de ces décisions ont été exprimées de façon marquée ici à Iqaluit par les personnes les plus directement touchées, l'industrie de la pêche et les personnes dont les emplois sont directement menacés. Le gouvernement du Nunavut comprend et partage cette frustration. Nous avons à de nombreuses reprises tenté de conclure un accord négocié sur les allocations et d'implanter un programme d'infrastructure des pêches qui placerait le Nunavut sur un pied d'égalité avec le reste du Canada et qui mettrait un terme au régime discriminatoire actuel.
Je vous demande de rapporter à Ottawa un message clair quant à la frustration que nous ressentons ici au Nunavut. Je vous exhorte à communiquer les messages suivants à vos collègues, soit que nous sommes très frustrés ici au Nunavut en raison des pratiques discriminatoires du gouvernement en matière d'allocation et de ressources halieutiques et j'espère que le message que vous transmettrez en notre nom donnera lieu à la prise de mesures positives pour les Nunavummiut. Je suis convaincu que vous saurez bien défendre les intérêts du Nunavut. Nous savons que vous avez un travail important à faire et que vous allez tenir compte des préoccupations et doléances du Nunavut.
Je vous remercie de m'avoir offert cette occasion de m'adresser à votre comité, monsieur le président.
[Traduction]
Le président : Nakurmiik. Merci, monsieur le ministre.
Nous passerons maintenant aux questions, en commençant par le sénateur Robichaud.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Merci, monsieur le ministre, pour votre présentation. J'ai bien compris votre message et je suis prêt, avec les autres membres du comité, à faire ce que nous pouvons pour essayer de vous aider dans vos réclamations vis-à-vis ces quotas de pêche. J'aimerais que vous me donniez un peu plus de détails.
Vous parlez, à la page 5, de votre mémoire que la première décision de DFO en ce qui a trait aux 1 900 tonnes, lorsque ce quota a été disponible il aurait pû être offert à Nunavut. Les compagnies étaient prêtes à l'acheter, mais on l'a vendu à quelqu'un d'autre. Je ne comprends pas. Je croyais que lorsque ces quotas devenaient disponibles, et que s'il y avait des intérêts dans la communauté qui étaient prêts à en faire l'achat, qu'on se servirait de cette occasion pour essayer de rétablir le pourcentage. Savez-vous sur quelle base ce quota a été alloué à quelqu'un d'autre?
[Traduction]
Le président : Monsieur le ministre.
M. Akesuk : Je m'excuse, je suis habitué à entendre « Allez-y, monsieur le ministre » du président du comité ou du président de l'assemblée législative.
[Interprétation]
Pour ce qui est des pêches du Nunavut, le flétan noir...
[Difficultés techniques audio]
Les représentants du secteur des pêches essaient depuis déjà longtemps d'obtenir des allocations et nous avons rappelé à plusieurs reprises au ministre M. Hearn que les allocations, ou de nouvelles allocations, devaient être accordées en priorité au Nunavummiut, mais on nous a dit que l'allocation qui avait été libérée avait déjà été réservée pour un groupe du Sud. Nous avons écrit au ministre à trois reprises signalant que toute nouvelle allocation devrait être réservée au Nunavummiut. Nous avons écrit au ministre M. Hearn. Ni le ministre, ni le ministère, auquel nous avions d'ailleurs écrit également, n'ont répondu à nos lettres. Nos communications portaient sur les 1 900 tonnes qui étaient disponibles et qui pouvaient être accordées à divers intérêts.
[Difficultés techniques audio]
[Traduction]
Le sénateur Cowan : Vous parlez de la zone 0B.
M. Akesuk : C'est exact.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Monsieur le ministre, vous dites que cette allocation avait été promise à d'autres intérêts et, d'après vous, est-ce qu'elle avait été promise avant qu'elle devienne disponible? Je trouve curieux qu'on fasse de telles promesses.
[Traduction]
M. Akesuk : Je crois que la situation est attribuable au simple fait que nous avions envoyé des lettres au MPO, au directeur général, au ministre M. Hearn, et que nous n'avions pas reçu de réponse. Comme je l'ai dit un peu plus tôt, je crois qu'ils avaient promis les allocations qui avaient été libérées pour la zone 0B. Ainsi, ces deux quotas de 1 900 tonnes et les 600 tonnes qui se trouvent dans les eaux contiguës ont été accordés à des compagnies du Sud; si ces quotas avaient été accordés au Nunavut, la région aurait pu atteindre environ 50 p. 100 des allocations de ressources halieutiques dans la zone contiguë.
C'est plutôt frustrant, même si les autres zones ont accès à 75 à 80 p. 100 des quotas en zone contiguë. Si vous jugez que nous devrions également être inclus dans ces mesures, cela nous permettrait peut-être de rattraper le temps perdu. Nous sommes une jeune région, et depuis la création du gouvernement dans le territoire, nous avons fait beaucoup d'efforts pour lancer le secteur des pêches. Je crois que nous avons fait du très bon travail. Nous nous occupons de notre propre recherche que nous finançons nous-mêmes, même si les autres régions reçoivent de l'argent pour effectuer des recherches scientifiques sur les ressources dans leurs eaux. Ainsi, le gouvernement du Nunavut, le territoire, aide financièrement les petites collectivités pour qu'elles puissent faire de la recherche. Je crois que nous ne sommes pas traités de façon juste et équitable par le gouvernement.
[Français]
Le sénateur Robichaud : L'entreprise qui a reçu cette allocation de 1 900 tonnes pratiquait-elle déjà la pêche dans 0B ou est-ce que c'était une entreprise qui arrivait nouvellement sur les lieux dans cette zone?
[Traduction]
Wayne Lynch, directeur, Division des pêches et de la Chasse au phoque, ministère de l'Environnement, gouvernement du Nunavut : Je veux simplement apporter un éclaircissement : Les 1 900 tonnes dont nous parlons consistaient en un transfert entre Seafreeze et Clearwater Fine Foods. Ces entreprises ne sont pas propriétaires des bateaux qui font ces prises. Le poisson est vendu moyennant des redevances. Ni Clearwater ni Seafreeze ne possèdent de bateaux de pêche et le transfert de ce poisson se fait entre ces entreprises, et c'est pourquoi je ne sais pas quelle en est la valeur.
Il s'agit d'une ressource publique, et nous estimons que nous aurions dû avoir l'occasion d'abord d'acheter ce poisson. Au lieu d'avoir deux entreprises qui s'échangent le poisson entre elles dans le Sud, nous aurions pu nous servir de ce poisson comme stimulant économique pour le Nunavut.
Nous avons pris connaissance de la décision le 13 février en dépit de notre correspondance répétée avec le ministre invitant ce dernier à nous consulter. En effet, nous avons envoyé trois lettres au MPO pour lui demander de tenir des consultations, mais le ministère ne l'a jamais fait. Nous avons toujours dit que nous ne voulions pas que le poisson soit pris chez-nous, mais quand cela est devenu possible, nous voulions être les premiers à en profiter. Cela ne s'est pas produit. C'est pourquoi le gouvernement et le ministre ont été très déçus des deux dernières décisions concernant les 1 900 et les 600 tonnes.
Le sénateur Robichaud : Vous êtes en train de dire que le Nunavut n'a même pas eu l'occasion de faire une offre.
Le sénateur Cochrane : Merci de votre message. Croyez-moi, nous vous entendons haut et fort.
Je veux parler des changements climatiques, et je veux changer le ton quelque peu. Monsieur Baddaloo, vous êtes le spécialiste du changement climatique, n'est-ce pas?
Earle Baddaloo, directeur, Protection environnementale, ministère de l'Environnement, gouvernement du Nunavut : Oui.
Le sénateur Cochrane : D'accord. J'aimerais vous poser une question concernant le dossier du changement climatique, puisque c'est la question qui occupe l'esprit des gens maintenant. Les eaux ici pourraient-elles devenir plus productives en raison des changements de température et des conditions de la glace, et cetera? Pourrions-nous devenir plus productifs ici au chapitre des pêches?
M. Baddaloo : Cette question touche le changement climatique et les pêches. Je vais tenter de répondre au volet concernant le changement climatique et laisser à mon collègue, Wayne Lynch, le soin de répondre au volet sur les pêches.
Le réchauffement de la température s'accompagne d'une augmentation de la productivité, et certaines espèces de poissons pourraient proliférer. Cela étant, il faut se rappeler que nous avons des pêches très singulières ici, c'est-à-dire des espèces de poissons uniques en leur genre comme l'omble arctique, et les données scientifiques montrent que des changements très infimes de température pourraient avoir des effets néfastes sur cette espèce. Par ailleurs, l'augmentation de la température pourrait nous apporter des espèces en provenance du sud du pays, de la côte Ouest et de la côte Est, des espèces très agressives comme les divers types d'oncorhynchus, qui est le saumon de la côte Ouest. Ces poissons sont très agressifs, mais cela risque donc d'avoir des effets néfastes sur les populations d'omble arctique également.
M. Lynch : Ces dernières années, nous avons constaté deux choses : la première est positive et la deuxième négative. À Pangnirtung, nous avons de la pêche à la palangre qui se fait l'hiver à travers la glace, et cette saison de pêche devient de plus en plus courte, car la glace se brise de plus en plus tôt. Ces pêcheurs se ressentent donc de la durée de la saison. Par contre, nous voyons que la saison de pêche 0A commence de plus en plus tôt et que les bateaux de pêche peuvent s'aventurer de plus en plus vers le Nord. Il y a donc tant des aspects positifs que négatifs.
Le sénateur Cochrane : Qu'en est-il des pêches 0B?
M. Lynch : La pêche 0B — et c'est pourquoi mon ministre était mécontent — est une des pêches les plus lucratives. Nous ne détenons que 27 p. 100 de ce quota dans la région. C'est une pêche qui se pratique davantage en eau libre, plus au sud, près de l'endroit à partir duquel nous expédions nos produits du Nunavut, et près du sud, où c'est plus économiquement viable. Les saisons de pêche là-bas ont connu le même phénomène, peut-être y a-t-il un peu moins de glace, mais la glace vient de plus en plus vite de l'Arctique et se brise plus vite, voilà ce que nous constatons.
Le sénateur Cochrane : La saison est-elle plus longue là-bas?
M. Lynch : Un peu plus longue dans la zone 0B, mais dans la zone 0A, c'est plus dramatique. Nous avons prolongé la saison de quelques mois dans la zone 0A et nous tirons des leçons au fur et à mesure. Les saisons sont donc prolongées quelque peu, mais nous constatons que la zone 0A est plus ouverte. Elle a déjà été fermée par la glace. Elle commence à s'ouvrir davantage. Nous y parvenons maintenant plus vite et nous y restons plus longtemps, mais la saison demeure néanmoins plus courte que dans la zone 0B. La zone 0B est davantage une zone en eau libre et plus viable, du point de vue économique, que la zone 0A.
Le sénateur Cochrane : Monsieur le ministre, vous avez évoqué les changements que nous allons mettre en œuvre, notamment en raison du temps imprévisible, de la fonte du printemps précoce, ainsi que des températures supérieures à la normale. Comme vous l'avez indiqué, votre gouvernement a pris des mesures pour s'attaquer à ces questions en instaurant le plan d'adaptation du Nunavut et un plan d'adaptation au changement climatique du Nunavut. Qu'a fait le gouvernement fédéral à ce chapitre? Est-ce que vous recevez l'appui du gouvernement du Canada pour aider à atténuer les effets du changement climatique?
[Interprétation]
M. Akesuk : Oui, le gouvernement fédéral nous a prêté main-forte.
[Difficultés techniques audio]
Nous avons fait des recherches sur le changement climatique. Au Nunavut, nous avons trois régions : Kivalliq, Kitikmeot et Qukiqtaaluk. Les trois régions ont entrepris des travaux de recherche divers sur le changement climatique, et le changement climatique se manifeste à différents niveaux dans les trois régions en raison de leur situation géographique.
[Traduction]
Nous avons des exemplaires des travaux faits dans les trois régions. Cela dit, nous recevons du financement du gouvernement fédéral au chapitre du programme d'adaptation.
M. Baddaloo : En ce qui concerne votre question relative à l'aide du gouvernement fédéral, à la conférence de Bali des CP, le ministre de l'Environnement, M. Baird, a annoncé que le gouvernement s'engageait à verser 14 millions de dollars aux programmes du Nord sur le changement climatique. C'est le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien qui administre cet argent. Il est en train d'élaborer des activités, des plans de recherche divers de sorte que cet argent soit utilisé dans le nord du Canada. Donc, oui, nous recevons de l'aide.
Un des aspects du changement climatique qui revêt, à nos yeux, une importance capitale pour les Nunavummiut, c'est la souveraineté. Le passage du Nord-Ouest s'ouvrira sous peu, et nous avons déjà eu des navires des diverses régions du monde qui l'ont emprunté sans permission ou privilège. Nous craignons que des navires rouillés empruntent ce passage et qu'il y ait des risques de déversement graves ou encore que des navires sombrent dans les eaux arctiques. Les Nunavummiut doivent jouer un rôle plus actif sur ces questions en particulier.
Le Nunavut est le fruit d'une revendication territoriale, et c'est donc lui qui détient les entités et les pouvoirs dans le Nord. Le gouvernement fédéral devrait donc promouvoir la participation des Nunavummiut. Les Nunavummiut habitent dans le Nord, et ont une revendication territoriale dans cette région. Ils participent à des activités dans le passage du Nord-Ouest, et cette participation profitera non seulement au Nunavut, mais au Canada aussi en ceci qu'elle assurera la présence canadienne dans l'Arctique et dans les régions septentrionales du Canada.
Le président : Permettez-moi de vous dire quelques mots sur la procédure. Tout d'abord, la réponse à la dernière question du sénateur Robichaud n'a pas été consignée.
Pourriez-vous poser votre question à nouveau brièvement, sénateur Robichaud, pour qu'on puisse obtenir une réponse.
Le sénateur Robichaud : J'ai demandé à M. Lynch si on avait proposé au Nunavut d'acheter les 1 900 tonnes de quotas, et il s'est contenté de faire oui de la tête. Nous voudrions savoir, verbalement, si la réponse est oui ou non.
M. Lynch : Non, on ne nous a pas fait d'offres. Le ministre n'a jamais répondu à nos lettres et nous n'avons pas pu obtenir de rencontre à ce sujet, en dépit de nos appels répétés.
Le président : J'aimerais poser une question au ministre avant qu'il ne parte. Je voudrais qu'on étoffe la réponse donnée à la question du sénateur Cochrane qui portait sur la souveraineté et l'importance des Inuits dans l'Arctique dans le contexte des arguments juridiques du Canada visant la souveraineté dans l'Arctique. Quelle est votre perception de la situation? Si la présence des Inuits est effectivement importante, comment les arguments devraient-ils être présentés et comment percevez-vous la chose?
[Interprétation]
M. Akesuk : Lorsque l'Assemblée législative du Nunavut siège, nous discutons des pêches et obtenons une mise à jour de la situation. Nous encourageons fortement le développement économique reposant sur l'exploitation de nos eaux et de notre terre à Grise Fiord ainsi qu'à Resolute Bay. Il s'agit de communautés qui sont touchées par cette question de souveraineté et qui ressentent le plus les répercussions des changements climatiques. Les activités ayant rapport avec la souveraineté auront un impact sur elles. Nous sommes très préoccupés par la question et voudrions qu'on nous tienne au courant de tout nouveau développement dans le dossier de la souveraineté, pour le bien de ces deux communautés dans l'Extrême Arctique.
Simon Awa, sous-ministre, ministère de l'Environnement, gouvernement du Nunavut : Nous nous souvenons tous de 1953, quand les Inuits du Nord du Québec ont été obligés de quitter le Nunavik pour s'installer dans l'Extrême- Arctique. C'est ainsi que sont nées les communautés de Resolute Bay et Grise Fiord. On a déplacé ces gens pour que le Canada puisse asseoir sa souveraineté dans la région en la peuplant.
Nous savons aussi que les habitants de Pond Inlet ont également été déplacés pour servir de personnes-ressources et d'assistants auprès des habitants du Nord du Québec. Nous avons maintenant oublié ces gens qui ont été déplacés à des fins de souveraineté. On peut d'ores et déjà les appeler le peuple oublié.
Permettez-moi d'insister sur le fait que cette question cadre bien avec le transfert des responsabilités dont parle le gouvernement du Nunavut. Nous sommes maintenant en pleins pourparlers relativement au transfert de responsabilité avec le gouvernement fédéral. J'estime qu'il ne faudrait pas passer sous silence la question de la souveraineté des communautés comme Resolute Bay et Grise Fiord dans le cadre de ces discussions.
J'en aurais beaucoup à dire sur la souveraineté des communautés et les exilés du Nord du Québec qui ont été déplacés, mais je m'arrêterai là-dessus en vous rappelant simplement que le gouvernement canadien a peuplé l'Extrême Arctique pour des raisons reliées à la souveraineté.
Le sénateur Adams : J'ai moi aussi reçu les lettres que vous avez adressées au ministre Hearn, puisque j'en ai reçu copie. Par contre, je ne peux pas y répondre parce que je suis un sénateur nommé. Mais comme je reçois des exemplaires des lettres envoyées au ministre, je sais pertinemment que vous lui avez envoyé des courriers qui sont restés sans réponse. Merci de m'avoir fait parvenir cette correspondance.
Avant l'époque des revendications territoriales, les quotas étaient attribués à des entreprises de pêche du Sud. Je pense que la société NTI, Nunavut Tunngavik Incorporated, a commencé à s'intéresser à obtenir sa part du quota lorsqu'elle s'est lancée dans le domaine des pêches après les revendications territoriales du Nunavut. À Ottawa, le MPO a décidé que la solution serait de restructurer la répartition des quotas. Ainsi, une partie serait attribuée aux Inuits du Nunavut tandis que le reste serait accordé aux entreprises de pêche du Sud. Ça fait longtemps que ça dure, ce n'est pas nouveau. Par contre, parce que nous habitons au Nunavut, nous devrions avoir un statut préférentiel en vertu des accords relativement aux revendications territoriales en matière de développement économique. J'aimerais que vous vous en souveniez.
M. Akesuk : Lorsque le territoire faisait partie des Territoires du Nord-Ouest, au début des années 1980, il n'y avait qu'une entreprise de pêche inuite, établie à Pangnirtung. Il s'agissait de la seule communauté qui participait de façon active à la pêche mais quand le gouvernement du Nunavut a été mis en place, il y a eu la répartition des quotas. Des quotas avaient déjà été attribués à des entreprises du Sud exploitant dans la zone 0B. La zone 0A a fait l'objet de nouveaux quotas après la création du Nunavut. Ça ne nous pose pas de problème. Je pense qu'il ne s'agit là que d'une pêche exploratoire, mais dans la zone 0B la distribution des quotas avait déjà été négociée. Lorsque les quotas de la zone 0B se sont libérés, ils ont tout simplement été attribués à des entreprises déjà détentrices de quotas et aux anciennes entreprises de pêche du Sud, excluant ainsi les habitants du Nunavut, en dépit du fait que nous avions exprimé notre désir de bénéficier de quotas et avions fait les premiers pas à cet égard.
Nous jouissons maintenant de beaucoup plus d'expérience dans le domaine des pêches et souhaitons nous tailler une plus grande place. Nous allons continuer d'être présents et de tenter d'obtenir notre juste part.
[Traduction]
Le président : Merci, monsieur le ministre d'avoir accepté notre invitation et de nous avoir parlé aussi franchement. Vous avez bien expliqué votre position et votre perception de la politique qui existe à l'heure actuelle. Nous allons repenser à tout ce qui nous a été dit pour ensuite rédiger un rapport. Merci à vous et à vos fonctionnaires de vos témoignages. Merci beaucoup. Nakurmiik.
L'honorable Patterk Netser, député, ministre du Développement économique et des Transports, gouvernement du Nunavut : Merci, monsieur le président. M'accompagnent à ma droite Mme Rosemary Keenainak, sous-ministre et à ma gauche, M. John Hawkins, directeur de ministère des Transports.
Permettez-moi de commencer mon exposé en vous souhaitant, comme l'ont fait mes collègues, la bienvenue aux sénateurs et au personnel à Iqaluit et Nunavut, notre terre. Je suis ravi qu'en plus de votre arrêt dans la capitale du Nunavut vous allez vous rendre dans une autre collectivité de notre territoire.
Quand vous serez à Pangnirtung, je vous encourage à suivre de près les différentes activités du village. Vous verrez que les gens se déplacent entre la communauté et les régions de pêche et de chasse. J'aimerais tant être chez moi — mais il est vrai que la saison de pêche et de chasse est interrompue en raison de débâcle mais reprendra aussitôt que la glace aura fondu.
Comme le sénateur du Nunavut pourra le confirmer, il ne vous suffit que de vous promener le long des plages de n'importe laquelle de nos collectivités, même en cette période de débâcle où l'accès à l'eau libre est difficile, pour comprendre que la pêche et la chasse en mer, c'est un mode de vie au Nunavut. Dans beaucoup de nos communautés, il y a plus de bateaux que de voitures. Toutes nos collectivités sont côtières. Nous sommes un peuple de marins. Bien avant l'établissement des communes, les gens d'ici allaient en mer dans des bateaux comme les umiaqs ou encore les kayaks, fabriqués à partir de peaux de phoque. Ces gens allaient en mer pour y gagner leur vie. C'est toujours vrai aujourd'hui et nous estimons que ce mode de vie devrait continuer indéfiniment.
Pour nous, la pêche est un des piliers de notre économie. Ça a toujours été le cas et ça continuera certainement dans l'avenir. Conscient de l'importance du secteur, nos communautés, les organisations et corporations inuites, le secteur privé et le gouvernement du Nunavut font d'importants investissements axés sur la recherche halieutique, les bâtiments, l'éducation et la formation. Ces investissements constituent une partie importante des fondements d'un secteur durable au sein d'une économie en pleine croissance, mais il manque un élément important.
Comme vous le savez sans doute, et comme nous l'avons dit dans la Stratégie économique du Nunavut, la croissance économique est tributaire de nos ressources naturelles, des connaissances et de l'éducation de notre peuple, de nos capacités organisationnelles et de nos infrastructures physiques. Les trois premiers de ces quatre piliers essentiels à la croissance économique sont en place au Nunavut et nous faisons de notre mieux pour faire évoluer les choses dans le bon sens.
Les infrastructures physiques dont nous avons besoin pour assurer notre croissance économique font défaut. Il nous est impossible de régler ce problème sans l'aide du gouvernement fédéral. Dans le secteur des pêches, les investissements sont uniquement axés sur la recherche, les bâtiments et la formation. Comme vous l'ont dit les représentants du ministère de l'Environnement, les bienfaits découlant de nos investissements risquent de ne se faire ressentir qu'en marge de notre territoire, laissant presque le Nunavut pour compte. Sans les infrastructures nécessaires, les ports adéquats pour amarrer nos bateaux et décharger nos prises, la croissance économique générée par le secteur des pêches pour le Nunavut risquent de nous passer sous le nez.
Monsieur le président, plus de deux ans se sont écoulées depuis la publication du rapport sur les ports pour petits bateaux pour le Nunavut, rédigé par mon ministère en collaboration avec le ministère des Pêches et des Océans. Dans ce rapport, on a clairement fait état des bienfaits qu'amèneraient à nos communautés ces infrastructures portuaires. Face au port, on pourrait créer un secteur des pêches côtières, ce qui permettrait aux propriétaires et aux pêcheurs locaux de prospérer. Ces développements économiques à l'échelle locale nous permettraient de préserver nos liens familiaux et culturels. Grâce aux ports, on pourrait créer des emplois, ce dont on a grandement besoin. En effet, dans le rapport sur les ports pour petits bateaux pour le Nunavut, on prévoit la création de l'équivalent de 198 emplois à temps plein après la construction des sept ports identifiés dans le document.
Dans ce même rapport, on explique que s'il y avait plus de ports il y aurait moins de dommages causés à nos bateaux. En effet, chaque année, les pêcheurs doivent débourser des centaines de milliers de dollars pour compenser la perte ou les dommages causés à leurs embarcations. La construction de nouveaux ports permettrait d'accroître la sécurité. Même dans les limites de nos communautés, nous avons eu des cas de mort ou des quasi-noyades de gens qui essayaient d'accéder à leurs bateaux amarrés dans les zones non protégées. Dans d'autre cas, des pêcheurs ont dû attendre la fin du mauvais temps parce que les infrastructures qui permettraient d'amarrer nos bateaux sans danger sont inexistantes.
J'insiste sur le fait que c'est parce que nos communautés sont parsemées le long de la côte de l'océan Arctique, de la baie d'Hudson et de l'Atlantique Nord qu'on ne peut se permettre de sous-estimer l'importance de ports sécuritaires à titre de moteur de notre économie.
En plus des pêches, la chasse commerciale et de subsistance, les activités minières et le secteur du tourisme grandissant dépendent tous d'un accès sûr à la mer. Vous connaissez sans doute le cas de Baker Lake où il faut faire des va-et-vient en barges le long de la rivière et où il n'y a nulle part où se refugier en cas de tempête. D'après ce que j'ai pu comprendre, pas moins de 18 barges vont naviguer dans ce chenal cet été. Comme le sénateur Adams pourra vous le dire, il y a un fort vent de l'est et celui qui se fait prendre par une tempête a peu de chance d'y échapper. Ai-je bien décrit la situation? Oui? Merci.
Comme vous le savez, comme nous sommes une région du Canada sans route, presque partout sur le territoire, nous dépendons du transport maritime en été pour nos activités commerciales. Mais en dépit du rôle important que jouent les infrastructures portuaires dans notre économie, la réponse du ministère des Pêches et des Océans au rapport sur les ports pour petits bateaux pour le Nunavut a été mitigée. Il faut dire que la plupart des fonctionnaires ont reconnu les ports au Nunavut pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire un progrès notable des programmes des ports pour petits bateaux au Canada. Par contre, la réaction positive des fonctionnaires n'est pas traduite par l'approbation du budget fédéral. Au lieu de cela, on nous dit que le réseau de 1 170 ports pour petits bateaux au Canada est adéquat, que 400 d'entre eux sont utilisés à des fins créatives et devraient être déchus dès que le ministère des Pêches et des Océans ne construit plus de ports et se contente d'entretenir ceux qui existent déjà. Nous estimons que cette réponse n'est pas acceptable.
Par le passé, lorsqu'il y avait des ressources halieutiques dans des zones contiguës à des communautés établies, on a construit des ports adéquats pour y avoir accès. C'est ce qu'on doit faire au Nunavut également. Les habitants du Nunavut sont des Canadiens, après tout. Nous avons, à portée de main, des ressources halieutiques qui offrent un énorme potentiel. Et pourtant, les infrastructures physiques dont nous avons besoin, c'est-à-dire les ports, pour exploiter ces ressources, font toujours défaut.
Honorables sénateurs, très récemment, nous avons vu la porte de l'appui fédéral à l'infrastructure s'ouvrir quelque peu et nous voulons glisser notre pied dans cet espace avant que la porte ne se referme de nouveau. Le gouvernement fédéral a annoncé dans son budget de 2008 l'approbation de seulement un port, alors que le rapport sur les ports pour petits bateaux pour le Nunavut recommandait la construction de sept ports. Le port desservira la population de Pangnirtung très bien. Il fera ressortir l'importance de l'infrastructure pour le développement économique local et territorial. Nous devons donc voir en cette annonce fédérale un progrès important. Au Nunavut, où il n'y a pas de port, nous sommes en train d'en construire un, mais si nous pouvons en construire un, nous pouvons assurément en construire d'autres. Nous ne pouvons pas admettre que le gouvernement fédéral a l'intention de construire un seul port au Nunavut où 25 collectivités longent les deux tiers de la côte canadienne. Mais pour construire ces autres ports, il faudra déployer le même type d'effort consenti par le gouvernement fédéral dans le financement de l'infrastructure portuaire de Pangnirtung et des autres ports ailleurs au pays.
Je veux préciser au comité que nous allons continuer de faire pression sur le gouvernement fédéral pour qu'il nous fournisse l'infrastructure dont nous avons besoin au Nunavut pour bâtir une économie durable pour notre avenir.
Je vous remercie encore une fois de m'avoir permis de m'exprimer sur cette question vitale pour le Nunavut, et je vous demande votre appui pour relayer mon message à Ottawa. J'espère que vous allez trouver votre court séjour avec nous instructif et plaisant, et vous remercie, monsieur le président, de m'avoir donné l'occasion de parler aux membres du comité et à vous.
Le président : Pour votre gouverne, sachez que nous avons tous une expérience des petits ports et connaissons tous l'importance des quais, des brise-lames et des installations de pêche, de même que nous sommes nombreux à avoir consacré une bonne partie de nos carrières à essayer d'obtenir ce genre de chose pour les petites collectivités. Nous comprenons entièrement leur importance pour vous.
J'aimerais simplement vous dire aussi, comme vous le dites d'ailleurs, que nous allons nous rendre à Pangnirtung, et à ce que je sache, ce sera la première fois que nous tiendrons des audiences formelles dans une collectivité autre qu'Iqaluit. Nous nous réjouissons de cette visite, et nous savons, d'après votre description, que c'est tout à fait justifié, puisque c'est un merveilleux endroit.
[Interprétation]
Le sénateur Adams : Merci, monsieur le ministre, de votre bref exposé sur les questions ayant trait au rapport.
[Difficultés techniques audio]
[Traduction]
Mon microphone est éteint. Il y a quelque chose qui n'arrête pas de changer, et je ne sais pas pourquoi l'équipement ne marche pas. L'interprétation passe de l'anglais à l'inuktitut et vice versa. L'équipement ne fonctionne pas.
Le président : Pouvons-nous garder l'anglais sur le canal 1? Ce serait très utile pour nous tous.
Essayez encore, sénateur Adams.
Le sénateur Adams : Vous voulez que je le fasse en inuktitut ou en anglais?
Le président : Comme bon vous semble.
[Difficultés techniques audio]
[Interprétation]
Le sénateur Adams : Combien coûterait, approximativement, la construction de ces petits ports dans d'autres petites collectivités? Avez-vous une estimation?
M. Netser : Pour les sept collectivités désireuses d'avoir des petits ports que nous avons recensées et avec lesquelles nous collaborons sur cette question depuis 2001, nous disons que le coût total serait de 45 millions de dollars, en excluant Pangnirtung, car Pangnirtung dispose maintenant de un million de dollars pour la construction de son port. Mais pour ce qui est des petits ports, le gouvernement fédéral n'a pas pris d'engagement, mais nous lui avons néanmoins fourni des coûts estimatifs.
[Traduction]
Le président : Savez-vous quand la construction est supposée commencer à Pangnirtung, et pourriez-vous faire quelques commentaires sur l'amarrage à Iqaluit même?
M. Netser : Je crois savoir que l'appel d'offres sera lancé l'été de l'année prochaine, et la construction est supposée commencer en 2010. Pour Iqaluit, c'est ce que vous demandiez, n'est-ce-pas?
Le président : Oui.
M. Netser : Je peux demander à John Hawkins ou à mon sous-ministre de répondre à cette question. Je n'ai pas assez de renseignements là-dessus.
John Hawkins, sous-ministre par intérim, Division des transports, ministère du Développement économique et des Transports, gouvernement du Nunavut : En ce moment-ci, nous allons de l'avant avec le concept préliminaire pour le port de Pangnirtung. L'appel d'offres doit être lancé en 2009, et la construction commencerait...
Le président : Qui lancera l'appel d'offres?
M. Netser : Le ministère des Pêches et des Océans. Ils s'attendent à donner le contrat en 2009, et la construction commencerait en 2010.
Le président : Est-ce qu'il y a une planification pour des installations d'amarrage à Iqaluit?
M. Hawkins : Non, ceci serait à Pangnirtung.
Le président : Pouvez-vous nous dire quelque chose au sujet d'Iqaluit?
M. Hawkins : Pour le moment, il n'y a pas de projet d'installations d'amarrage à Iqaluit.
Le président : Avez-vous fait des propositions?
M. Hawkins : Nous avons participé avec la ville dans des études de faisabilité, et certains concepts préliminaires, mais tout cela n'a pas été présenté au ministère des Pêches et des Océans. Cela ne fait pas partie du programme des ports pour petits bateaux. Nous parlons ici d'une installation qui sera probablement plus grande, et qui ne fait pas du tout partie de ce programme.
Le sénateur Cochrane : Vous n'avez vraiment pas émis de proposition pour un port à Nunavut.
Le président : Pour un port à Iqaluit.
Le sénateur Cochrane : Oh, pardon, bien sûr, pour Iqaluit. Oui, je comprends. Rosemary?
Rosemary Keenainak, sous-ministre, ministère du Développement économique et des Transports, gouvernement du Nunavut : Les sept communautés identifiées en vertu du Programme des ports pour petits bateaux étaient associées au ministère des Pêches et des Océans. Le port d'Iqaluit a été identifié comme port stratégique dans le document Northern Connections émis par les gouvernements des trois territoires. Néanmoins, Iqaluit n'est pas l'un des ports pour lequel une demande de financement a été présentée au MPO. Les seuls ports mis de l'avant étaient les sept déjà mentionnés, mais Iqaluit a certainement été identifié comme un port stratégique pour le Nunavut.
Nous espérions que l'annonce de l'année dernière aurait inclus le port d'Iqaluit, mais le gouvernement fédéral a annoncé que ce serait Nanisivik, un port qui existe déjà. Nous espérons encore que le port d'Iqaluit sera identifié. En été, il y a beaucoup d'activités à Iqaluit, et il faut attendre la marée et toutes sortes d'autres choses pour décharger les bateaux et tout cela prend beaucoup de temps, mais Iqaluit a été identifié comme un port stratégique qui devrait exister.
Le sénateur Cochrane : Si je comprends bien, dans votre plan vous avez identifié sept ports, et Iqaluit n'en fait pas partie.
Mme Keenainak : Non, Iqaluit n'est pas un des sept, mais a été identifié séparément. Les sept communautés étaient Pangnirtung, Qikiqtarjuaq, Clyde River, Pond Inlet, Chesterfield, Kugaaruk et Repulse Bay.
Le sénateur Cochrane : Quel est le statut de ces ports proposés?
Mme Keenainak : Comme le ministre l'a indiqué dans sa présentation au début de la réunion, le gouvernement fédéral n'a identifié que Pangnirtung. Nous espérions que sept ports soient identifiés, et nous aimerions qu'un jour toutes nos communautés de Nunavut aient des brise-lames.
Le sénateur Cochrane : Comment est-ce que le ministre justifie le fait que les autres six n'aient pas été ajoutés?
Mme Keenainak : J'estime que c'est une question que vous devez poser au gouvernement fédéral. Nous espérions que le gouvernement fédéral aurait identifié sept ports.
Le sénateur Cochrane : Nous allons poser la question au gouvernement.
Le sénateur Hubley : Je dois dire que c'est un grand plaisir pour nous d'être ici et de rendre visite à vous et aux membres de votre communauté.
Depuis un certain temps, nous entendons parler de l'importance des infrastructures et des ports pour petits bateaux pour le développement économique dans le Nord, comme vous l'avez indiqué dans votre exposé. Les ports permettent un accès sécuritaire à la mer et à ses ressources. Je suis heureux d'apprendre qu'il y aura un port, même si ça aurait été mieux d'en avoir sept. Ça va prendre du temps.
Je voudrais parler de l'importance des ports pour petits bateaux dans la stratégie canadienne sur la souveraineté. Si on établissait des installations dans une communauté, croyez-vous que cela renforcerait la stratégie canadienne sur la souveraineté dans le Nord?
M. Netser : Je crois que ça contribuerait grandement aux efforts du gouvernement fédéral pour faire avancer les questions de souveraineté dont il parle souvent.
J'ai parlé plus tôt d'un boom minier au Nunavut, et avec l'exploration minière qui est à la hausse on entend dire que d'ici quelques années le Nunavut deviendra la capitale minière du Canada. Sans cette infrastructure, les barges et les navires arrivent pour approvisionner la ville, mais ils doivent souvent laisser leurs fournitures dans des endroits où elles seront accessibles durant l'hiver. Ce n'est qu'une question de temps. Il ne s'agit pas de se demander s'il y aura un accident, mais bien quand il se produira. Nous voyons des accidents se produire partout sur la planète. Il y en aura aussi au Nunavut. En mettant en œuvre ces programmes pour les ports, on pourrait prévenir beaucoup d'accidents.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Si la décision avait été la vôtre, en tant que ministre du Développement économique et des Transports, est-ce que vous auriez choisi de développer le port de Nanisivik plutôt que celui d'Iqaluit?
[Traduction]
M. Netser : Le gouvernement fédéral a créé le port dont vous parlez. Pour ce qui est d'Iqaluit et de Nanisivik, nous n'y avons pas vraiment participé. Mais ces localités ont été identifiées dans la stratégie que nous avons élaborée comme étant des endroits prioritaires pour accueillir un port. Iqaluit ne fait pas partie des endroits pour établir des ports en eau profonde, et c'est une question à part.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Vous dites que c'est une question distincte mais c'est quand même une question qui, je crois comprendre, est très importante si on veut voir certains développements économiques dans la région, n'est-ce pas? Ma question est la suivante : est-ce que vous vous attendez à ce que, dans un avenir assez rapproché, on puisse voir le port d'Iqaluit figurer sur les plans de développement du gouvernement fédéral?
[Traduction]
M. Netser : Je crois qu'on s'est mal compris. Je pense que le port en eau profonde annoncé par le gouvernement fédéral relève de la souveraineté, mais je pense que si le port était situé ici à Iqaluit, ça serait très avantageux pour le gouvernement du Nunavut au plan de l'activité économique et de la croissance. Le Nunavut bénéficierait certainement de l'établissement d'un port en eau profonde à Iqaluit. Dans la stratégie que nous avons publiée, Iqaluit a été proposé pour accueillir un port en eau profonde.
Le sénateur Robichaud : Selon vous, le port de Nanisivik, c'est pour des raisons de souveraineté, tandis qu'Iqaluit serait le cœur du développement économique de toute la région, c'est bien ça?
[Interprétation]
M. Netser : Oui, si on avait un port à Iqaluit, ça serait fantastique.
[Traduction]
Nous ne sommes pas habitués au Nunavut d'entendre trois langues différentes en même temps, toutes mes excuses.
Iqaluit profiterait vraiment d'un port en eau profonde. Les commerçants locaux en profiteraient. Il y a beaucoup de navires qui arrivent ici avec nos approvisionnements annuels, et si on avait un port en eau profonde, les navires pourraient accoster et les compagnies pourraient engager des entrepreneurs locaux pour les décharger. Alors oui, l'établissement d'un port en eau profonde ici serait vraiment profitable au gouvernement du Nunavut et à la ville d'Iqaluit.
Le sénateur Robichaud : Quel serait l'impact sur les approvisionnements, notamment sur la nourriture et tous les articles dont a besoin la communauté? Combien auraient-ils à payer pour ces biens? Est-ce que l'effet positif serait de ne pas avoir à payer autant que maintenant?
M. Netser : Je pense qu'on profiterait vraiment d'un tel port parce que, comme j'ai dit plus tôt, les navires arrivent et doivent mouiller l'ancre au large pendant à peu près une semaine pour décharger leur marchandise, parce que ça doit coïncider avec la marée basse et la marée haute et ils sont forcés d'attendre entre les marées. Si nous avions un port en eau profonde, on pourrait réduire les temps d'attente de 70 à 80 p. 100, ce qui ferait baisser les coûts de transport. Donc oui, nous profiterions vraiment d'un port en eau profonde à Iqaluit.
Le président : D'abord, si vous me le permettez, je vais résumer la situation pour bien comprendre. Vous avez demandé sept ports pour petits bateaux. On vous en a accordé un. Pour ce qui est d'Iqaluit, avez-vous soumis une proposition? Avez-vous présenté une demande au gouvernement fédéral pour qu'il finance des installations portuaires à Iqaluit?
Mme Keenainak : Je crois que lorsque le premier ministre a fait son annonce l'été dernier, le gouvernement du Nunavut espérait que l'annonce porterait sur Iqaluit. L'annonce a été faite pour Nanisivik, et comme vous l'avez indiqué, pour des raisons de souveraineté.
Le président : Oui, c'est vrai, et nous comprenons cela, mais Iqaluit est toujours sans installation portuaire. Si ce n'est pas déjà chose faite, allez-vous présenter une proposition ou une demande au gouvernement fédéral pour l'établissement d'installations portuaires à Iqaluit?
Mme Keenainak : Comme je l'ai indiqué plus tôt, le gouvernement, en collaboration avec les Territoires du Nord- Ouest et le Yukon, vient de publier un rapport sur le transport multimodal intitulé Northern Connections, dans lequel on a identifié des emplacements stratégiques terrestres, maritimes et aériens, incluant Iqaluit pour l'île de Baffin.
M. Netser : J'aimerais ajouter que, à mon avis, il vous serait très utile de parcourir ce vaste territoire. Il est immense; il est gigantesque. Nous avons trois régions. Un port en eau profonde à Iqaluit serait profitable au Nunavut et à la région de Baffin, et je pense que Rankin Inlet a été identifié comme l'une des communautés stratégiques pour l'établissement de port en eau profonde dans les années à venir. Ça serait profitable pour les habitants de la région de Kivalliq. On n'a pas seulement besoin d'un port en eau profonde ici à Iqaluit, on en a aussi besoin à Rankin Inlet pour permettre le développement de Nunavummiut et mettre en œuvre la stratégie sur la souveraineté dont parle le gouvernement ces dernières années.
Le président : Ministre Netser, je veux simplement vous remercier pour votre franc-parler. Vous avez été très utile et vous avez clarifié bon nombre de choses. Nous vous remercions, ainsi que votre personnel, de votre présence. Merci beaucoup.
M. Netser : J'ai oublié de dire que nous aimerions aussi un port en eau profonde dans la région de Kitikmeot.
J'aimerais vous laisser un exemplaire du rapport sur les ports pour petits bateaux pour le Nunavut, sur lequel nous avons travaillé depuis 2001 jusqu'à en perdre le souffle.
Le président : Honorables sénateurs, nous allons maintenant accueillir M. Peter Kattuk, le député de l'Assemblée législative des îles Belcher dans la baie d'Hudson, tout près de la région où habite Willie Adams. Bienvenue. John MacDougall représente le NTK, un nom que je ne peux prononcer, mais peut-être le pouvez-vous, John?
L'honorable Peter Kattuk, membre de l'assemblée législative pour la Baie d'Hudson, Assemblée législative du Nunavut : Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis très heureux et fier de vous parler de mes préoccupations en tant que député de l'assemblée législative pour la baie d'Hudson. Ce n'est pas la première fois que je prends part à ce genre de forum. Encore une fois, je suis très fier de vous adresser la parole ce matin.
Le président : Peter, vous comprenez que vous pouvez parler anglais ou inuktitut. Nous avons l'interprétation en anglais, en français et en inuktitut. Vous pouvez donc utiliser la langue que vous voulez, celle dans laquelle vous vous sentez le plus à l'aise. Si vous préférez parler l'inuktitut, allez-y.
M. Kattuk : Oui, je vais m'exprimer dans ma propre langue.
[Difficultés techniques audio]
Le président : Un moment, s'il vous plaît. Nous n'entendons pas l'interprétation. Pouvons-nous avoir l'anglais sur le canal 1? Le français est sur le canal 2, et l'inuktitut sur le canal 3. Je n'entends pas l'anglais. Je ne sais pas combien d'autres participants l'entendent, mais moi je n'entends pas l'interprétation. Pouvez-vous essayer encore une fois, s'il vous plaît?
[Interprétation]
M. Kattuk : Je vais répéter ce que j'ai déjà dit à Willie. Mais je remercie Willie de pouvoir nous asseoir ensemble dans un forum comme celui-ci.
Je vais présenter mes notes en anglais. C'est plus facile pour moi maintenant, parce que je n'ai pas appris l'alphabet syllabique quand j'étais jeune. Il n'y avait pas moyen de l'apprendre. J'ai dû l'apprendre en lisant la Bible, et j'ai dû apprendre chaque symbole un à un. C'était donc très difficile pour moi. Je vais donc parler anglais.
Merci beaucoup de m'avoir invité à comparaître devant vous aujourd'hui. Je suis très heureux de voir que nos sénateurs s'intéressent tellement aux enjeux touchant l'Arctique, et je suis très heureux de voir que vous êtes ici pour voir notre environnement de vos propres yeux. Bienvenue au Nunavut.
Je suis content d'avoir cette possibilité aujourd'hui d'exprimer mon point de vue sur les activités maritimes, et sur les défis que représente le changement climatique dans l'Arctique. J'aimerais commencer par vous dire quelque chose sur moi-même.
Je suis né et j'ai été élevé dans la région du Sanikiluaq. Sanikiluaq est dans les îles Belcher, au sud-est de la baie d'Hudson.
Pendant les 50 dernières années, les Inuits de Sanikiluaq ont vu des grands changements dans leur mode de vie. En l'espace de quelques générations seulement, nous avons arrêté notre mode de vie de nomades, et nous habitons maintenant des villages permanents.
Ma langue maternelle c'est l'inuktitut. Mais j'ai fait l'école et mon éducation en anglais. De mon père, j'ai appris la chasse au phoque, le trappage et la pêche.
Je suis un ancien maire de Sanikiluaq, et j'ai le privilège d'avoir été le premier à être élu à l'Assemblée législative du Nunavut en 1999. Je représente les gens de ma communauté. Les Inuits de Sanikiluaq sont les seuls résidents permanents de la baie d'Hudson et de la baie James. Nous prenons très au sérieux notre responsabilité de protéger l'environnement maritime qui se trouve autour de chez nous, dans les îles Belcher. Cet environnement est la source d'une grande proportion de notre nourriture, et fait partie de notre culture et de notre mode de vie.
Les Inuits sont déterminés à protéger leur culture unique et leur langue tout en continuant à être des citoyens canadiens à part entière, tout comme vous. Les Inuits paient des impôts sur le revenu, tout comme vous. Nous voulons le meilleur avenir possible pour nos enfants.
Nos aînés nous ont toujours dit que les jeunes doivent tirer leur force de notre culture, de notre langue et de nos valeurs. De nombreuses études universitaires confirment ce que nous avons toujours su — une culture forte et une bonne fondation nous aident beaucoup à attaquer des problèmes comme les suicides parmi les jeunes.
Notre culture a ses racines dans les traditions de chasse. Il est essentiel que notre environnement soit protégé, pour que nous continuions à avoir nos droits de récolte, et pour que nous puissions véhiculer nos valeurs à la prochaine génération.
J'ai entendu beaucoup de scientifiques et de chercheurs parler de l'importance et de la valeur des connaissances traditionnelles, ou qaujimajatuiqangit inuit.
[Traduction]
Le gouvernement du Nunavut travaille fort pour incorporer le qaujimajatuiqangit inuit dans ses politiques et ses opérations. J'espère que le qaujimajatuiqangit inuit va aussi être pris en considération quand les politiques et pratiques de surveillance sont évaluées par le gouvernement fédéral.
En tant que membre de l'Assemblée législative du Nunavut, j'ai pu exprimer les préoccupations de ma communauté sur certains problèmes relatifs à notre environnement. Beaucoup de mes collègues de l'assemblée législative joignent leur voix à la mienne pour s'exprimer sur des enjeux comme le réchauffement planétaire et le changement climatique. Comme vous allez comprendre, cette question préoccupe tout le monde, étant donné que nos foyers et nos communautés arctiques sont sur la ligne de front en ce qui concerne le changement climatique. Le changement climatique affecte la santé et les migrations des animaux que nous chassons ou pêchons. Il affecte aussi notre accès à ces animaux, étant donné le changement des glaces et le fait que la glace fond plus tôt.
J'ai observé des changements dans l'environnement maritime autour des îles Belcher. Les impacts du réchauffement planétaire exercent des pressions additionnelles sur l'environnement maritime de la baie Hudson et de la baie James. Ces impacts réagissent avec ceux des activités humaines, y compris l'intrant d'eau douce provenant des développements hydroélectriques. Il y aura sans doute beaucoup d'autres changements à long terme à cet environnement, un environnement duquel dépendent beaucoup d'autres.
Je peux vous dire qu'il est extrêmement important pour les gens de Sanikiluaq d'avoir accès à leurs régions de chasse et de pêche traditionnelles. Ils veulent s'assurer que les espèces qui y habitent restent en bonne santé.
Mes commettants dépendent de l'eau située près de leur foyer pour attraper des bélugas, des phoques, des morses, des ours polaires, des sauvagines et des poissons. À leur tour, ces animaux dépendent de l'eau et des îles pour leur migration, leur mue et leur reproduction. La santé de l'écosystème maritime doit être protégée — c'est critique. Un écosystème maritime en bonne santé est essentiel au développement de notre potentiel économique à long terme dans les domaines comme le tourisme et la récolte commerciale. Pour un avenir durable, il faut absolument que les activités maritimes soient surveillées de façon continue.
En conclusion, je dois dire que je suis très heureux d'avoir eu la possibilité de vous rencontrer aujourd'hui et de partager mon point de vue sur ces questions importantes. Votre comité appuie beaucoup le Nord, et je vous encourage de continuer vos efforts pour sensibiliser la population sur des questions comme le changement climatique, qui ont un impact direct sur les gens du Nord et sur notre mode de vie.
Le président : Merci beaucoup, Peter.
John MacDougall, Nunavuummi Tasiujarjuamiuguqatigiit Katutjiqatigiingit (NTK) : Qujannamiik. J'aimerais remercier le président et le comité de m'avoir invité à vous rencontrer aujourd'hui. Je remercie aussi Peter d'être ici aujourd'hui. Peter a beaucoup appuyé notre groupe pendant des années, et il joue un rôle très direct dans toutes nos activités.
Le président : Allez-vous nous expliquer ce que fait et ce que représente le groupe NTK?
M. MacDougall : Je vais faire un effort pour vous l'expliquer. Les membres anglais de notre groupe appellent NTK le groupe de travail interinstitutions de la baie d'Hudson, mais nous avons officiellement adopté un nom inuktitut, Nunavuummi Tasiujarjuamiuguqatigiit Katutjiqatigiingit.
J'ai préparé un petit texte, si je puis me permettre. Nous avons aussi apporté une carte. Je ne sais pas si elle a été circulée. Sur la carte, vous verrez la communauté de Sanikiluaq, là où habite Peter. Vous la voyez là, dans la courbe, cette jolie courbe de la baie d'Hudson. C'est là que se situent les îles Belcher, et Sanikiluaq est juste à la pointe nord des îles, pas trop loin de la côte ouest du Québec où est situé le projet hydroélectrique dont je parlais. Le projet est à peu près à 160 kilomètres des îles Belcher. Vous verrez le nom Chisasibi, sur la côte de la baie James. Là, c'est l'embouchure de la grande rivière, qui est le site du projet La Grande dont, je parlerai dans cette présentation.
Le président : Afin de nous situer, cet endroit se trouve à 55 degrés de latitude, n'est-ce pas?
M. MacDougall : Pardon?
Le président : Les îles Belcher sont au Nunavut, n'est-ce pas?
M. MacDougall : Oui, monsieur.
Le président : À quelle latitude commence le Québec? Est-ce au sud du 55e parallèle?
M. MacDougall : Le Québec se situe entièrement à l'est de la baie d'Hudson. Le Nunavut se trouve surtout du côté nord-ouest. Chose intéressante, et ce qui explique notre présence ici aujourd'hui, c'est que Sanikiluaq et les îles Belcher, qui sont dans la baie d'Hudson, font partie de Nunavut. Ils sont à environ 160 kilomètres seulement du projet d'hydroélectricité.
Le président : Donc le projet se trouve au Québec?
M. MacDougall : Oui, monsieur.
Le président : Vous êtes situés au Nunavut.
M. MacDougall : Nous sommes situés au Nunavut.
Le président : On comprend maintenant la situation géographique.
M. MacDougall : Très bien.
Merci de me donner l'occasion d'attirer votre attention sur une question environnementale importante qui touche la baie d'Hudson. Au nom du Nunavuummi Tasiujarjuamiuguqatigiit Katutjiqatigiingit ou, le NTK, je vous exhorte à réagir rapidement à l'inaction du gouvernement du Canada face à une recommandation cruciale de la Commission d'examen fédérale au sujet du projet Eastmain-1-A et dérivation Rupert.
Fondé en 2003, le NTK est un groupe de travail sur l'environnement dans la région de la baie d'Hudson. Il est composé de la municipalité de Sanikiluaq, du gouvernement du Nunavut, de Nunavut Tunngavik Incorporated et de la Qikiqtani Inuit Association. Je travaille pour cette association.
Notre objectif est de prôner, protéger et faire avancer l'intégrité et la viabilité écologiques de la baie d'Hudson. Le nom du groupe signifie « peuple de la baie travaillant ensemble ».
Nous avons beaucoup participé aux audiences publiques concernant le projet Eastmain-1-A et dérivation Rupert, le plus récent ajout important au complexe La Grande. Le 5 décembre 2006, le gouvernement du Canada a publié les conclusions d'une commission d'examen fédérale, qui contenaient 83 recommandations. L'une d'entre elles, la recommandation no 34, porte directement sur nos préoccupations.
La recommandation 34 se lit comme suit :
La question des effets cumulatifs touche plusieurs juridictions, dont le gouvernement fédéral, les provinces de Québec, de l'Ontario et du Manitoba, le territoire du Nunavut ainsi que plusieurs ministères rattachés à ces différents paliers de gouvernement. L'évaluation des effets cumulatifs va donc bien au-delà de la responsabilité d'un seul promoteur. Dans ce contexte, il sera impératif que le gouvernement fédéral mette en place un programme de recherche et de suivi à grande échelle sur les écosystèmes des baies James et d'Hudson. Un tel programme pourrait être coordonné par un organisme indépendant dont la structure s'apparente à celle de la Commission mixte internationale. Une telle structure serait de nature à favoriser la mise en commun des efforts et des ressources de tous les organismes gouvernementaux concernés, mais aussi du milieu universitaire qui travaille déjà sur différentes problématiques touchant les effets cumulatifs dans ce secteur. Quelle que soit la structure qui sera retenue avec eux, il sera primordial que les différentes communautés autochtones concernées soient partie prenante de ce programme de recherche et de suivi, de façon à y intégrer le savoir traditionnel et l'expertise du milieu.
Le 7 décembre 2006, nous avons écrit au ministre des Pêches et des Océans pour lui demander quand il allait mettre en œuvre la recommandation 34. Le 18 décembre 2006, le premier ministre Harper a annoncé que le gouvernement du Canada approuvait sans condition le projet Eastmain-1-A et dérivation Rupert. Il n'a fait aucune mention ni de la recommandation 34 ni d'aucune des 83 recommandations faites par la commission. À la suite de l'annonce du premier ministre, le ministère des Pêches et des Océans a affiché sur son site web la déclaration suivante concernant la recommandation 34 :
Le gouvernement du Canada est d'accord avec l'esprit de la recommandation de la Commission. Les ministères fédéraux concernés par les effets cumulatifs des activités anthropomorphiques sur les environnements physique, biophysique et humain du Canada vont procéder, lorsqu'approprié, au suivi et/ou à la coordination d'activités de recherche dans la grande région de la baie James et de la baie d'Hudson, avec les responsables provinciaux et les communautés autochtones.
Comme nous n'avons pas reçu de réponse du ministre à notre lettre du 7 décembre, nous lui avons écrit de nouveau le 8 juin 2007 pour lui poser trois questions. Nous avons demandé ce que le gouvernement veut dire lorsqu'il dit qu'il est « d'accord avec l'esprit des recommandations de la commission »? Nous avons demandé quel était l'échéancier du gouvernement pour la mise en œuvre de la recommandation 34. Nous avons demandé comment le programme de recherche et de suivi serait structuré.
Sept mois plus tard, le 6 décembre 2007, le ministre nous a enfin répondu :
La réponse du gouvernement du Canada à la recommandation 34 de la commission affirme qu'il « est d'accord en principe avec l'esprit de la recommandation 34 de la commission ». Cela veut dire que nous sommes d'accord avec l'intention de la recommandation, d'une approche coordonnée pour évaluer les impacts cumulatifs, en faisant intervenir le fédéral, les provinces et les territoires ainsi que les intervenants concernés. La structure exacte et le calendrier de cette coordination sont encore à l'étude.
J'aimerais signaler que les fonctionnaires du ministère travaillent avec leurs vis-à-vis d'Environnement Canada et avec d'autres ministères fédéraux, provinciaux et territoriaux et d'autres organismes pour mettre au point une approche coordonnée à cette question, en gardant à l'esprit les recommandations du rapport de la Commission d'examen et d'évaluation en matière d'environnement et du Comité d'examen des répercussions sur l'environnement et le milieu social. Les détails des programmes de recherche et de suivi sont encore en développement, et des consultations exhaustives de tous les intervenants seront nécessaires avant la mise en œuvre.
Un an et six mois après que le gouvernement du Canada a publié les recommandations de la commission d'examen, et cinq mois après la lettre du ministre des Pêches et des Océans du 6 décembre 2006, ni le NTK ni aucun de ses organismes membres, y compris le gouvernement du Nunavut, n'a reçu aucune communication du ministère des Pêches et des Océans ou de tout autre ministère du gouvernement du Canada.
Contrairement aux dires du ministre des Pêches et des Océans, le ministère ne travaille pas avec le gouvernement du Nunavut pour préparer une approche coordonnée pour l'évaluation des effets cumulatifs. Le ministère ne consulte aucun intervenant autochtone. Si le ministère des Pêches et des Océans consulte d'autres ministères fédéraux, provinciaux ou territoriaux, ou tout autre intervenant, nous n'en sommes pas au courant.
Il est urgent de mettre en œuvre la recommandation 34. Hydro-Québec va de l'avant avec la construction du projet Eastmain-1-A dérivation Rupert. Les travaux d'excavation aux sites des centrales sont bien avancés, tout comme le bétonnage des déversoirs, les remblais de terre sur les digues, le dynamitage pour créer la voûte de transfert, et le déboisement dans la zone de la dérivation. Ce mois-ci on a commencé à construire des digues temporaires qui permettront l'excavation de la prise d'eau et de la conduite forcée de la centrale Eastmain-1-A.
Voilà pourquoi nous ne pouvons plus nous contenter d'envoyer des lettres au ministre des Pêches et des Océans pour demander la mise en œuvre de la recommandation 34. Nous pensons qu'il serait très utile si vous, le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans au Nunavut, soulève cette question auprès du gouvernement.
Pour être plus précis, nous aimerions poser trois questions au ministre des Pêches et des Océans. Quand a-t-il l'intention de mettre en œuvre la recommandation 34? Quel est l'échéancier du gouvernement pour la mise en œuvre de la recommandation 34? Comment le programme de recherche et de suivi sera-t-il structuré?
Des milliers d'Inuits dépendent des mammifères marins, des poissons et de la sauvagine de l'écosystème de la baie d'Hudson pour se nourrir et maintenir leur mode de vie traditionnel. Ils se préoccupent beaucoup de l'incidence des changements environnementaux. La recommandation 34 répond à leur inquiétude. Tout ce que vous pouvez faire pour faciliter la mise en œuvre de la recommandation 34 sera très utile aux gens de la baie.
Qujannamiik. Merci.
Le sénateur Robichaud : Vous dites qu'il faut exercer des pressions sur le ministre des Pêches et des Océans pour répondre à vos revendications, car quelque chose doit être fait, si je vous comprends bien. Puisqu'il est déjà très tard, ne serait-il pas préférable de nous adresser directement au premier ministre?
D'après ce que vous dites, beaucoup de travail a été fait, et à moins de prendre des mesures dans un avenir rapproché, le projet sera terminé et la recommandation 34 n'aura eu aucun effet.
M. MacDougall : Ce que vous dites est juste. Il faut se rappeler que le projet La Grande est massif. Il faudra au moins trois ans pour que le projet entre en service. On prévoit que les centrales à faire construire ne seront commandées qu'en 2011. Une phase importante du travail a déjà été accomplie, et Hydro-Québec procède sans perdre de temps.
Si ce comité a l'oreille du premier ministre, nous vous exhortons respectueusement à attirer son attention sur la recommandation 34 et à demander qu'elle soit mise en œuvre.
Le sénateur Robichaud : Peut-être que je suis allé un peu trop vite, puisque, réflexion faite, je ne crois pas que le premier ministre écouterait le comité du Sénat, mais nous pouvons toujours lui poser la question.
Vous dites que la recommandation 34 n'a pas été prise en compte du tout par rapport aux Inuits. Je crois comprendre que toutes les îles de la baie d'Hudson sont dans le territoire du Nunavut, n'est-ce pas? Je suis sûr qu'il y a eu des consultations avec toutes les collectivités côtières du Québec qui seront touchées par ce projet.
M. MacDougall : Je crois que vous avez raison. Selon Hydro-Québec, leur projet ne touche que les Cris. À ma connaissance, ils ont bien mené leur consultation auprès des Cris.
Le hic dans tout cela, selon nous, c'est que, d'après Hydro-Québec, la zone de l'évaluation des incidences environnementales se limite à l'embouchure de la rivière La Grande. Donc, si vous regardez votre carte, elle s'arrête juste là à Chasasibi. Nous avons présenté beaucoup d'éléments de preuve à la commission d'examen puisqu'il y a tellement d'eau douce dans la baie d'Hudson. Cinq cents rivières se jettent dans la baie d'Hudson. Trois grandes rivières — La Grande, la Rupert, et la Eastmain — font partie du projet principal. La baie d'Hudson, dans son ensemble, est grandement touchée quand on commence à jouer avec le moment des pulsations d'eau douce. C'est ce que ce projet fera. En effet, ce projet réglera l'eau douce des trois grandes rivières qui se jettent dans la baie d'Hudson en provenance du Nord du Québec. Ils régleront cette pulsation. La pulsation ne sera plus une pulsation naturelle. Elle sera liée aux thermostats de Montréal. En hiver, quand les gens montent leurs thermostats pour monter le chauffage, les vannes s'ouvriront pour augmenter le débit d'eau dans les turbines et produire plus d'électricité, et cela mettra plus d'eau douce dans l'écosystème de la baie d'Hudson à un moment inhabituel. Cela se produira tout le temps selon ce qui se passe à Montréal.
Les Inuits sont très touchés par ce projet, et nous avons du mal à en persuader Hydro-Québec. Au bout du compte, nous n'avons pas eu de problème à en persuader la commission d'examen; voilà pourquoi elle a formulé la recommandation 34.
M. Kattuk : Je tiens à dire quelque chose. C'est moi qui serai touché. Je suis l'utilisateur en aval. À l'heure actuelle, c'est l'eau douce qui nous préoccupe. Dans les années 1990, c'était l'environnement lui-même dans la baie d'Hudson qui nous préoccupait, maintenant, c'est l'eau douce. Comme John l'a dit, il y a plus de thermostats dans le sud, ce qui fera augmenter le débit de la rivière La Grande. Cela veut dire davantage d'eau douce en hiver, au mauvais moment. Au printemps, davantage d'eau devrait s'écouler de la rivière. Il s'agit de l'écoulement printanier habituel. Le débit sera maintenant plus lent, parce qu'ils n'auront pas besoin de leurs thermostats à ce moment-ci de l'année. C'est le mauvais moment. Il y aura donc davantage d'eau douce. Cela aura une incidence sur mes habitudes de chasse. La glace d'eau douce est plus dangereuse que la glace d'eau salée. Il y a une différence. Voilà ce qui nous préoccupe actuellement. Nous voulons continuer à chasser à notre façon, alors qu'on se conforme à la recommandation 34 au profit de la population du Nunavut.
Le sénateur Robichaud : Est-ce que cette pulsation d'eau douce nuira à certaines espèces à différents moments de l'année? Pouvez-vous m'éclairer à cet égard?
M. Kattuk : Les gens des îles Belcher ou de Sanikiluaq dépendent de beaucoup de produits de la mer et de sel de mer et il y en a beaucoup dans les îles Belcher qui ne survivraient pas dans de l'eau douce. Donc, s'il y a moins d'eau salée, ces espèces disparaîtront, et cela touchera mon alimentation, puisqu'avec moins d'eau salée, comme je l'ai dit, elles disparaîtront. Je l'ai déjà vu. En outre, la glace d'eau douce fond plus vite que la glace d'eau salée, donc cela touchera les mammifères marins dans notre région. Les deux choses qui nous inquiètent sont les coquillages et les animaux qui seront touchés par l'eau douce.
Le président : Peut-être que vous pourriez nous donner des exemples précis. Est-ce que les pétoncles seraient touchés, par exemple? Y a-t-il d'autres espèces comme cela? Pourriez-vous nous nommer certaines espèces?
M. Kattuk : Nous avons des pétoncles, des oursins, des concombres de mer, des moules et des coquillages. Ce sont ce genre de choses. Il y en a plus, mais j'ignore les noms anglais.
[Interprétation]
Le sénateur Adams : Lorsque nous nous sommes réunis en février, j'ai entendu votre exposé sur les ours polaires et sur l'incidence des changements climatiques sur ces ours-là. On nous dit que selon le gouvernement, le nombre d'ours polaires est en baisse, et les Américains, bien sûr, imposent un moratoire sur la chasse sportive aux ours polaires. Vous avez dit que dans votre région de Sanikiluaq, vous avez maintenant des ours polaires là où vous n'en aviez pas auparavant.
J'ai habité Kuujjuaq, au Nunavik, pendant un certain temps. C'est situé au bord d'une rivière. L'eau douce a une incidence réelle sur le béluga. Le béluga jette sa peau chaque année, comme nous le savons. Nous savons que quand le béluga jette sa peau, il va dans l'eau douce. Je crois qu'il en a peur, puisque l'eau salée lui profite bien. Plus on a de l'eau douce au Nunavik et dans la baie d'Hudson, moins de bélugas il y aura à chasser. Ils migreront vers des eaux plus salées.
M. Kattuk : Pour ce qui est premièrement des ours polaires, on me dit que nous en avons de plus en plus dans notre région. Mon père m'a dit qu'il n'y avait pas d'ours polaires du tout dans les îles Belcher à l'époque de mes grands- parents et de mes parents. Mais vers la fin des années 1960, nous avons commencé à voir arriver dans notre région des ours polaires, et on nous a dit que les ours polaires deviendraient plus nombreux, mais qu'ils migreraient ailleurs. Donc, selon les connaissances traditionnelles, ils se déplacent d'un endroit à l'autre.
Quant aux Américains et leur interdiction de la chasse sportive aux ours polaires, oui, ils sont inquiets.
[Traduction]
Le sénateur Cochrane : Monsieur MacDougall, pour ce qui est de votre organisme, avez-vous rencontré ou avez- vous des échanges avec des gens à la frontière québécoise concernant les questions qui vous préoccupent? Comme vous le savez, l'union fait la force.
M. MacDougall : En fait, Peter serait sans doute mieux placé pour en parler, puisqu'il s'est entretenu avec des Cris dans quelques-unes de ces collectivités. Avant de lui céder la parole, je dirai simplement que nous avons communiqué avec la Société Makivik, qui représente les collectivités côtières inuites. La Société Makivik siège souvent avec notre groupe de travail lorsqu'on discute de ces questions.
M. Kattuk : Nous avons exprimé nos préoccupations auprès des organismes inuits ou cris, mais quand il s'agit du gouvernement du Québec ou d'Hydro-Québec, c'est tout à fait typique, puisque Hydro-Québec nous a dit qu'ils ne vont pas à l'extérieur du Québec. Nous sommes du Nunavut, ils ne nous parlent pas directement parce que nous ne sommes pas du Québec. Si nous avons eu des préoccupations dans le passé, il nous a fallu parler au gouvernement fédéral. C'est ainsi que nous l'avons fait. Le gouvernement du Québec a refusé de nous parler.
Le sénateur Cochrane : Avez-vous essayé de parler au ministre de l'Environnement du Québec?
M. Kattuk : Nous avons essayé, mais ils ne veulent pas nous parler. C'est tout ce que j'en sais jusqu'ici. C'est difficile pour nous. C'était difficile quand nous avions des inquiétudes concernant l'environnement au moment du lancement de la construction de la dérivation de la rivière Eastmain. C'est très dur. Nous devons exprimer directement notre point de vue au gouvernement fédéral ou aux commissions environnementales.
Le sénateur Cochrane : J'aimerais aller plus en détail sur un autre sujet. Quelles incidences du changement climatique dans le Nord canadien considérez-vous être les plus importantes, celles qui méritent une attention prioritaire?
M. Kattuk : Je pense que nous sommes témoins des changements déjà.
Le sénateur Cochrane : Quelles en sont les incidences les plus importantes?
M. Kattuk : Ma compréhension est basée sur ce que je vois autour de moi. Je vois mon environnement presque tous les jours, et je l'utilise tous les jours. Je sais ce qui se passe autour de moi. Mais je ne peux pas décrire les effets d'un point de vue technique ou les causes des changements observés. Je crois que le système de surveillance mis en service là- bas répondra à nos inquiétudes. Comme je vous ai dit, je vois les changements tous les jours. J'utilise mon environnement quotidiennement, et il est en train de changer beaucoup. Les conditions ne sont pas les mêmes que quand j'étais jeune, il y a 50 ans.
Le sénateur Cochrane : C'est la condition de la glace?
M. Kattuk : C'est la température. L'automne commence plus tard et le printemps plus tôt, ce qui veut dire que l'hiver est plus court. Dans ma région, la neige commence généralement en septembre. Maintenant c'est plutôt à la fin octobre ou au début novembre que l'hiver commence. Le temps chaud dure plus longtemps, ce qui signifie que l'hiver est plus court chez nous maintenant. C'est le changement que j'ai constaté.
Le sénateur Cochrane : Est-ce que les gens de votre milieu expriment des inquiétudes; prévoient-ils des changements à leurs activités? Comment réagissent les gens autour de vous?
M. Kattuk : C'est la raison pour laquelle nous avons établi le NTK : les gens peuvent maintenant exprimer leurs préoccupations. Le comité se réunit, et nous voulons réagir aux préoccupations exprimées, mais nous ne pouvons pas faire de représentation directement au gouvernement fédéral. Il faut passer par le comité.
Le sénateur Hubley : Monsieur MacDougall, vous avez mentionné dans votre exposé que vous avez beaucoup participé aux auditions publiques en prévision de l'aménagement du complexe La Grande. Le processus doit avoir compris des études sur les incidences environnementales et autres.
J'aimerais que vous réfléchissiez à cela. Dans la situation actuelle, où les coûts de l'énergie sont très élevés, les pressions seront énormes pour que ces projets puissent aller de l'avant. Je suis donc convaincu que vous allez devoir composer avec cela. Puisqu'il est évident, pour moi en tout cas, qu'il y a des incidences très fortes sur le mode de vie et l'environnement des peuples autochtones, je me demande à quelle étape du processus vous allez devoir recourir aux tribunaux.
M. MacDougall : Vous soulevez un bon point, et nous reconnaissons que la demande d'électricité est déjà forte et sera encore plus forte à l'avenir. L'hydroélectricité est une source d'énergie propre. Lorsque nous avons comparu devant la commission, on voulait savoir quel recours nous visions? Nous leur avons dit que nous ne voulions pas bloquer le projet, même si nous avions eu cette possibilité. Nous ne cherchions pas à bloquer le projet ou à obtenir une injonction. Nous ne demandions même pas de dédommagement, ce que Hydro-Québec croyait sans doute être notre objectif.
Nous avons simplement demandé un programme de surveillance afin de signaler toute incidence éventuelle sur l'environnement de la baie d'Hudson, dans l'espoir que des mesures correctives pourraient être mises en œuvre le cas échéant. La recommandation 34 indique en effet qu'il devrait y avoir un programme de surveillance sous la responsabilité conjointe des territoires et des provinces concernés et du gouvernement fédéral, un peu comme ce qui existe déjà dans la région des Grands Lacs. L'idée n'est pas nouvelle. Nous demandons simplement à ce que le mécanisme de surveillance soit établi et mis en œuvre. C'est l'objectif de la recommandation 34.
Nous avons songé à des recours judiciaires, mais cela coûte cher. Hydro-Québec va de l'avant si rapidement qu'il vaut sans doute mieux que nous fassions des représentations à des gens comme vous, en espérant que vous pouvez convaincre le ministre de l'Environnement ou quiconque de mettre en œuvre la recommandation 34 dans un avenir plus rapproché.
Le sénateur Cowan : La population de la région côtière, surtout les Cris, ne subiraient-ils pas de conséquences négatives à cause de ce projet? Pourriez-vous nous parler des consultations éventuelles entre les Cris et Hydro-Québec
M. Kattuk : Je ne veux pas parler en leur nom, mais ils avaient certainement des préoccupations par le passé. C'est tout ce que je peux dire. Je crois qu'ils ont été obligés d'accepter l'indemnisation offerte. Ils sont inquiets. J'ai eu des discussions avec eux, et nous sommes sur la même longueur d'onde. Ils s'opposent au projet, mais le gouvernement ne va pas écouter, même si nos deux groupes ont des inquiétudes concernant le projet. Je ne peux vraiment pas parler en leur nom, mais je sais qu'ils ont déjà exprimé leur opposition au projet.
Le sénateur Cowan : Je sais bien que vous ne les représentez pas, et je suis conscient du fait que la situation est délicate. Cela dit, je tiens pour acquis que votre groupe, qui habitait les îles, et la population de la côte avaient traditionnellement et historiquement un mode de vie similaire. Les gens des îles et de la côte avaient le même mode de vie traditionnelle, n'est-ce pas?
M. Kattuk : À certains égards, oui, mais je ne suis pas familier avec le mode de vie des gens de la côte; je connais seulement nos traditions sur les îles. Nous avons des amis ou des parents qui sont partis des îles Belcher pour aller vivre dans certaines de ces collectivités. J'ai un cousin à Chisasibi. Je sais que d'autres familles des îles Belcher ont des parents là-bas.
En réponse à votre question, je dirais simplement que nos deux groupes seront affectés, mais je ne sais pas vraiment comment les gens de la côte utilisent leur environnement et les mammifères ou comment ils s'alimentent.
Le sénateur Adams : J'ai une question complémentaire à celle du sénateur Cowan.
En 1975, la société Makivik et les Cris ont conclu une entente avec Hydro-Québec. Ils se sont entendus sur les indemnités à verser. Ils ont fait de nouveau des représentations auprès du gouvernement et d'Hydro-Québec, mais ils ne peuvent rien obtenir en raison de l'entente qui existe.
Les Cris étaient quelque peu différents des habitants de Sanikiluaq : les Cris n'utilisent pas la baie d'Hudson seulement pour chasser des baleines, mais aussi des phoques. Les indemnités versées aux Cris visaient surtout à les dédommager de la perte des activités de chasse et de piégeage de renards, de castors et d'autres animaux semblables. Ils ont reçu une indemnisation, tandis que les habitants du Nunavut n'ont rien reçu.
Le sénateur Robichaud : Je pense qu'on a bien précisé que les Cris qui ont subi des incidences de mégaprojets ont pu participer à des consultations avec Hydro-Québec et la province; les gens du Nunavut, que vous représentez, n'ont pu participer que dans les consultations menant au rapport contenant la recommandation 34, qui n'a pas été mise en œuvre. Il faut que vous répondiez, puisque si vous dites oui de la tête, ce ne sera pas consigné dans le procès-verbal.
M. MacDougall : Oui. Exactement.
Le sénateur Robichaud : Merci.
Le président : Nous tenons à vous remercier beaucoup, Peter et John. Vous nous avez beaucoup aidés et vous avez précisé beaucoup de choses. Soyez assurés que nous allons réfléchir à ce que vous nous avez dit et nous allons faire ce que nous pouvons. Merci beaucoup d'être venus.
La séance est levée.