Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule 5 - Témoignages du 11 mars 2008
OTTAWA, le mardi 11 mars 2008
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui à 17 h 34 afin de poursuivre son étude du projet de loi C-293, Loi concernant l'aide au développement officielle fournie à l'étranger.
Le sénateur Consiglio Di Nino (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je vous souhaite à tous la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Nous poursuivons aujourd'hui notre étude du projet de loi C-293, Loi concernant l'aide au développement officielle fournie à l'étranger.
Ce projet de loi vise à faire de la réduction de la pauvreté l'objectif de l'aide au développement officiel du Canada, pour veiller à ce que cette aide s'inscrive dans le cadre des obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne, et tienne compte du point de vue de ceux qui vivent dans la pauvreté.
Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Paul Jenkins, conseiller principal de l'administrateur pour le Canada, l'Irlande et les Caraïbes pour le Fonds monétaire international.
Monsieur Jenkins, bienvenue au Sénat du Canada.
[Traduction]
Je crois que vous allez d'abord nous présenter une déclaration préliminaire, après quoi, nous passerons aux questions. Je devrai vous quitter dans une heure pour m'acquitter d'autres obligations et je céderai alors le fauteuil au sénateur Corbin qui a gentiment accepté de me remplacer.
Paul Jenkins, conseiller principal de l'administrateur pour le Canada, l'Irlande et les Caraïbes, Fonds monétaire international : Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée d'intervenir aujourd'hui pour traiter du projet de loi C- 293. Avant tout, je souhaiterais vous présenter les excuses de l'administrateur, M. Jonathan Fried, qui regrette de ne pouvoir être présent. Il a en effet dû rester à Washington pour participer aujourd'hui à une réunion extrêmement importante du conseil d'administration du Fonds monétaire international, où il sera question des changements de structure des quotes-parts et des voix attribuées. Cette rencontre marque l'aboutissement d'un travail long de trois ans sur la réforme de ces composantes essentielles du dispositif de gouvernance du FMI, travail dans lequel le Canada a joué un rôle de premier plan. Vous comprendrez, j'en suis persuadé, combien il est important que M. Fried prenne part à ces délibérations.
Permettez-moi de me présenter brièvement. Je suis le conseiller principal de l'administrateur. Je suis canadien. J'ai occupé divers postes au ministère des Finances où j'ai dirigé la section chargée de l'appartenance du Canada au FMI. Je faisais partie du service que dirige actuellement M. Graham Flack qui a comparu récemment, je crois, devant votre comité. Depuis trois ans et demi, je travaille à Washington, dans le bureau de l'administrateur.
Mes propos porteront principalement sur l'alinéa 5(1)d) du projet de loi qui exigerait « un résumé des observations faites par les représentants canadiens au sujet des priorités et des politiques des Institutions de Bretton Woods »
Permettez-moi, pour commencer, d'apporter quelques précisions sur la représentation du Canada au FMI car je crois qu'elles apporteraient un éclairage fort pertinent sur ce passage. Il importe surtout de souligner la nature indépendante de la représentation du Canada au FMI. Cette relation indépendante est double.
En premier lieu, les administrateurs et leurs collaborateurs sont des agents du FMI et ont une responsabilité fiduciaire envers l'institution. Les administrateurs ont pour premier devoir légal d'agir dans l'intérêt général de l'institution. C'est un attribut fondamental de bonne gouvernance pour tout conseil d'administration, tant dans le secteur public que dans le secteur privé.
Agents du FMI, les administrateurs approuvent les politiques de l'institution par le jeu du processus décisionnel collégial du conseil d'administration. Une fois que ces politiques sont mises en place, chacun d'entre eux est tenu de les observer comme n'importe quel membre des services du FMI.
Je souhaiterais rappeler à cet égard que, depuis les débuts du FMI, les réunions du conseil d'administration ont, par principe, un caractère confidentiel afin de préserver la franchise des débats. C'est ce qui explique l'obligation faite aux membres du conseil d'administration, en application du code de conduite établi à leur intention, de protéger le caractère confidentiel conféré aux documents en application des politiques approuvées par le conseil.
En second lieu, les administrateurs représentent souvent un groupe de pays. Institution universelle, le FMI compte 185 pays membres. Vu l'importance de ce nombre, il n'est pas réaliste de leur accorder à tous une représentation directe au sein du conseil d'administration. En effet, hormis les cinq membres les plus grands, lesquels peuvent désigner directement un administrateur, les autres pays membres sont représentés au sein de groupes.
Le groupe auquel appartient le Canada comprend également l'Irlande et les pays des Caraïbes membres du Commonwealth, soit 12 pays au total. L'administrateur, quoique toujours ressortissant canadien, a donc pour devoir de représenter le groupe dans son ensemble, autrement dit les autorités irlandaises et les autorités caribéennes, de la même manière qu'il représente le Canada.
Pour illustrer la nature unifiée de la représentation qu'exerce un administrateur je mentionnerai les cas plutôt rares où doivent se tenir des scrutins et où, conformément aux statuts du FMI, un administrateur est tenu d'exprimer un même suffrage au nom de l'ensemble du groupe qu'il représente. Autrement dit, les votes séparés ne sont pas permis.
Compte tenu de cette double relation indépendante, l'obligation que prévoit le projet de loi de préparer un résumé des observations faites par les représentants canadiens au sujet des priorités et des politiques du FMI pose deux difficultés de nature juridique ou de politique générale.
La première tient à ce que le conseil d'administration a établi des principes qui régissent la divulgation par le FMI, comme institution, d'informations, y compris celles qui concernent les délibérations du conseil d'administration lui- même. Ces principes ont été définis très tôt dans l'histoire du FMI et obéissent à la nécessité de préserver les conditions propices à la franchise des débats, et de protéger l'examen d'informations économiques et financières délicates et de détails propres à la situation des pays membres.
Par ailleurs, depuis une quinzaine d'années notamment, le conseil a pris des mesures pour promouvoir une plus grande transparence. Aujourd'hui, le programme de travail du conseil d'administration pour les 6 à 9 mois à venir est rendu public. Il s'agit d'un document détaillé et commenté qui donne la teneur des débats futurs. Les ordres du jour des réunions sont publiés eux aussi plusieurs jours avant qu'elles ne se tiennent. De 75 à 90 p. 100 des documents préparés par les services du FMI et soumis à l'examen du conseil d'administration sont publiés un jour ou l'autre. Dans certains cas, il peut arriver que ces documents soient publiés sous une forme légèrement modifiée, afin de protéger des données délicates sur le plan commercial. En outre, dans la majorité des cas, les résumés du président sur les délibérations du conseil sont rendus publics. Ces résumés donnent des détails sur les grandes lignes des délibérations et renseignent sur le poids des opinions qui sous-tendent les diverses facettes des arguments. J'ajouterai d'ailleurs que le Canada est un des pays qui ont activement préconisé une plus grande transparence, depuis une quinzaine d'années environ.
En revanche, les déclarations formelles des administrateurs durant les délibérations du conseil d'administration n'ont jamais été rendues publiques. Conformément aux politiques du conseil, ces vues restent confidentielles, dans le respect du souci initial de préserver la franchise des débats et d'éviter de divulguer des informations délicates sur le plan politique ou commercial au sujet de la situation économique ou financière des pays membres.
Les vues des administrateurs doivent également rester confidentielles pour une autre raison : la nature consensuelle des décisions du conseil d'administration. Comme je l'ai mentionné un peu plus tôt, les votes officiels sont rares, en raison même de cette politique. Généralement, un consensus se dégage au cours du débat. Une fois qu'une décision est prise, pour animés qu'aient été les échanges de vues préalables, la décision est réputée recevoir le soutien de tous les membres du conseil.
En fait, d'un point de vue général, les contraintes qui empêchent un administrateur de révéler les détails de ses positions ne sont pas très différentes de celles qui, dans plusieurs régimes politiques, pèsent sur les membres d'un cabinet ministériel au regard de ses délibérations.
D'un point de vue juridique, le code de conduite du FMI, que les administrateurs et leurs collaborateurs doivent observer, leur impose de préserver le caractère confidentiel des délibérations du conseil d'administration. Les informations relatives aux activités du conseil ne peuvent être révélées qu'en application des politiques que celui-ci a établies en la matière.
Qu'est-ce que cela signifie concrètement? À l'évidence, un administrateur peut parler en termes généraux de ses priorités au regard du FMI, y compris en donnant une idée de ses positions sur telle ou telle question de politique générale. Il peut en outre évoquer à grands traits les vues des autorités qu'il représente, avec leur consentement préalable. C'est ce que nous faisons en fournissant des informations sur ces grandes orientations au ministère des Finances du Canada, qui les inclut dans l'édition annuelle du Rapport sur les opérations effectuées en vertu de la Loi sur les accords de Bretton Woods et des accords connexes qu'il présente au Parlement.
En revanche, le code de conduite nous empêche de divulguer les observations effectivement faites durant les délibérations du conseil car, bien souvent, elles font intervenir des informations de nature confidentielle. Cela serait en effet contraire à la nécessité de créer les conditions propres à un débat franc et ouvert. Aussi sommes-nous préoccupés à la lecture du projet de loi car il nous imposerait des mesures qui iraient à l'encontre de nos responsabilités en qualité d'agents du FMI, au risque d'être en infraction du code de conduite du conseil.
Par ailleurs, le projet de loi risque de poser une autre difficulté du fait que nous représentons un groupe de pays. Normalement, nous ne formulons pas une déclaration au conseil au nom du Canada, pour ensuite adopter une autre nationalité et intervenir au nom de l'Irlande, et ainsi de suite. Notre souci est plutôt d'élaborer une seule déclaration qui soit représentative de l'ensemble des douze pays membres, travail qui va souvent de pair avec un profond souci de la nuance. Autrement dit, le produit final n'est pas une observation faite par un représentant canadien, mais plutôt une seule observation de l'administrateur qui représente le Canada, l'Irlande et les Caraïbes.
Il arrive d'ailleurs que les autorités d'un des pays membres du groupe nous demandent de communiquer spécifiquement leur position dans nos déclarations au conseil. Dans ces cas-là, il ne peut en être rendu compte qu'avec leur consentement.
Après avoir évoqué les obstacles juridiques et politiques, mes dernières remarques porteront sur les difficultés pratiques de la mise en application des obligations prévues à l'alinéa 5(1)d).
À toutes fins utiles, nous pouvons considérer que le conseil d'administration du FMI siège pratiquement en permanence. Sur une année, il peut être saisi, en séance formelle ou informelle, d'environ 120 dossiers que le FMI lui- même qualifie de « politique générale ». À cela peuvent s'ajouter environ 200 dossiers concernant des pays en particulier, allant des rapports annuels qui doivent être établis sur la situation et les politiques économiques des pays membres à l'examen de l'allégement de la dette ou des programmes financiers du FMI. Ces délibérations de nature nationale sont parfois, concrètement, le support qui sert à définir ou à réviser des politiques. D'où la question pratique des lourdes obligations qu'imposerait l'observation du contenu du projet de loi, puisqu'il pourrait être interprété comme exigeant la préparation de 200 à 300 synthèses par an.
Pour toutes les raisons que j'ai évoquées, notre démarche a toujours consisté à collaborer avec le ministère des Finances dans la préparation, chaque année, du Rapport sur les opérations effectuées en vertu de la Loi sur les accords de Bretton Woods et des accords connexes. Ce rapport, qui a été étoffé et amélioré au cours des dernières années, contient d'abondants détails sur les objectifs du Canada au regard des grandes questions de politique générale dont traite le FMI, et il renseigne sur les activités entreprises par l'administrateur pour promouvoir les intérêts du Canada, dans le respect des contraintes que je viens tout juste de décrire. À mon sens, cette démarche permet d'assurer la transparence des activités du Canada au FMI, objectif visé par le projet de loi.
Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.
Le sénateur Corbin : En mon nom personnel, j'aimerais remercier le témoin pour son exposé clair, pertinent, succinct et précis. Nous connaissons maintenant votre position par rapport aux exigences du projet de loi.
Recommanderiez-vous que l'article que vous avez mentionné soit supprimé complètement du projet de loi ou certains accommodements seraient-ils possibles?
M. Jenkins : Sénateur, j'hésite à vous faire des recommandations concernant le libellé précis du projet de loi. J'avoue qu'il est difficile pour moi d'imaginer comment le contenu de l'alinéa 5(1)d) pourrait être légèrement remanié de manière à éliminer les préoccupations que j'ai soulevées.
La mention des représentants canadiens pose problème, en raison de notre statut d'administrateurs du FMI et étant donné que nous représentons, avec égalité des droits, 12 pays. Ensuite, il est question du résumé des observations.
Je n'ai pas souligné dans ma déclaration préliminaire la généralité de la référence aux politiques et priorités. Sur le plan opérationnel, ce serait difficile pour nous d'interpréter cette référence, étant donné que le conseil d'administration siège pratiquement de manière continue et se penche chaque jour sur un grand nombre de dossiers. Dans certains cas, il est clair que le débat porte sur une question de politique. Dans d'autres cas, la question de politique découle d'un débat concernant un pays. Il serait difficile pour nous d'interpréter l'application de cet aspect de l'exigence dans nos activités quotidiennes.
Cela m'amène à réitérer le malaise que suscite le texte du projet de loi. Je pense que je vais en rester là. Je ne tiens pas à donner d'autres précisions sur la façon dont le texte devrait être rédigé pour être plus clair.
Le sénateur Corbin : Le FMI dispose-t-il d'un site web?
M. Jenkins : Oui.
Le sénateur Corbin : J'ai navigué à l'occasion sur le site de la Banque mondiale ou celui du FMI et je me souviens qu'on y trouve des comptes rendus des réunions que les journalistes peuvent consulter et ils sont libres de poser toutes les questions qu'ils souhaitent. Est-ce que c'est toujours le cas?
M. Jenkins : Le site web du FMI est assez gigantesque. En fait, je pense même que la grande quantité d'informations qu'il contient se retourne contre lui, car il est parfois difficile de trouver ce que l'on cherche.
Il propose notamment des webémissions dans lesquelles des membres du FMI présentent des comptes rendus aux journalistes. Par ailleurs, comme je l'ai mentionné, le site web contient aussi beaucoup de documents annexes, y compris des documents se rapportant au fonctionnement du conseil d'administration — ces documents ne sont pas toujours publiés immédiatement, dans les jours, les semaines et les mois qui suivent une réunion du conseil d'administration. On trouve parmi ces documents une grande majorité de documents de service qui sont soumis au conseil et qui servent de base aux délibérations de celui-ci. Ces documents sont affichés, parfois après correction de certains renseignements de nature délicate, mais la majorité d'entre eux sont publiés.
Il y a aussi les résumés des délibérations à l'intention du président. Ces résumés sont souvent assez détaillés, mais ils ne révèlent pas les points de vue des différents administrateurs. Les résumés du président peuvent par exemple indiquer que « de nombreux administrateurs partageaient ce point de vue, mais certains d'entre eux étaient d'un avis contraire », et donnent des détails sur le fond du débat. Par contre, ils ne dévoilent jamais les opinions des différents administrateurs.
Le sénateur Corbin : Je remercie le témoin et je vais m'arrêter là pour le moment.
Le sénateur Segal : Je partage le point de vue de mon collègue le sénateur Corbin et je tiens à vous remercier pour la franchise et la clarté de votre exposé.
Ma première question se rapporte à l'objet que les rédacteurs avaient en tête, en pleine connaissance de cause, lors de la rédaction de cette proposition. Le but visé est très clair. De nombreux intervenants dans le domaine du développement international et dans beaucoup d'ONG déplorent que, malgré tous leurs efforts et malgré les mesures prises par l'ACDI et d'autres organisations, il suffit d'une décision prise par le FMI sous couvert des règles de confidentialité pour contrarier gravement les pays cibles, aggraver leur dette ou leur imposer d'autres contraintes, nuisant ainsi aux efforts des organisations d'aide. Je ne dis pas que ce point de vue est juste, je précise simplement que la thématique est claire. J'aimerais entendre vos réflexions à ce sujet.
Deuxièmement, il me semble que l'interprétation que l'on donnerait à la disposition concernant la confidentialité et la divulgation, à laquelle vous avez fait allusion, devrait déterminer si oui ou non elle contrevient aux dispositions de confidentialité du FMI. En fait, si le Sénat, dans sa sagesse, souhaitait ajouter, par souci de clarté, une mention indiquant que cette disposition ne s'appliquerait pas, quelle que soit l'entente de confidentialité à laquelle les représentants du Canada et d'autres pays au FMI ont souscrit, on serait en mesure d'obtenir un certain progrès sans contrevenir à la prémisse. Je ne vous demande pas de rédiger un texte législatif de manière impromptue, mais je soulève cette question comme une des idées possibles à débattre.
Enfin, que feriez-vous, que ferait notre représentant si le projet de loi était adopté et promulgué dans sa forme actuelle? D'après vous, dans la mesure où notre participation au FMI entraînerait quelques problèmes, que se passerait-il si le projet de loi tel que libellé actuellement, sans aucune modification ni clarification, était adopté et devenait loi? Que feriez-vous? Quel conseil donneriez-vous et que feriez-vous de l'ordre du jour du gouvernement?
M. Jenkins : Pour répondre à la première question, il est clair que certains membres des organisations non gouvernementales internationales éprouvent un certain mécontentement à l'égard de ce qu'ils perçoivent être un manque de transparence chez les organes de décisions du FMI et de la Banque mondiale. Comme je l'ai mentionné, de nombreux efforts ont été déployés depuis une quinzaine d'années afin de remédier à ce manque de transparence. Il y a 15 ans, le public n'avait pratiquement pas accès aux informations concernant le fonctionnement de ces institutions. Désormais, ces institutions respectent la règle de présomption de divulgation qui a entraîné la publication de la grande majorité, soit entre 75 et 90 p. 100 de tous les documents internes ayant servi aux débats.
C'est à partir de ce moment-là également que furent publiés les résumés du président que j'ai déjà mentionnés. Je pense que ces résumés fournissent énormément de détails sur le processus de décision aux personnes qui sont vraiment intéressées à comprendre la décision qui a été prise et pourquoi elle a été prise grosso modo par le conseil en sa qualité d'entité collective.
Je suppose que certaines personnes qui nous reprochent un manque de transparence sont persuadées que le processus de prise de décisions est secret, que les documents qui sont du domaine public ne représentent que la pointe de l'iceberg et que beaucoup d'autres documents ne sont pas rendus publics. Cette interprétation est fausse, mais il est très difficile de prouver le contraire.
Nous avons été clairs avec les ONG qui nous ont contactés et nous traitons de manière très ouverte avec les ONG des pays de notre groupe, surtout celles du Canada et d'Irlande. Deux fois par année, avant les réunions du FMI au printemps et à l'automne, nous avons avec elles des rencontres semi-officielles et nous les invitons à communiquer avec nous dès qu'elles estiment nécessaire de poser des questions de suivi. Cela arrive à l'occasion, mais pas très fréquemment.
Je ne parviens pas à comprendre le mécontentement continu des représentants de la communauté internationale non gouvernementale à ce sujet. Je crois personnellement qu'il y a beaucoup de questions graves qui nécessitent notre attention, mais que ce problème n'est pas de première importance. Je reconnais toutefois que mon point de vue peut paraître complaisant.
La modification du libellé dont vous avez parlé, la possibilité de clarifier le texte de manière à le rendre plus conforme aux exigences de confidentialité de l'institution, aiderait un peu à clarifier nos obligations. Toutefois, le risque est bien certain que cela ne serve à rien et que le résumé des observations ne contienne que les informations les plus anodines, afin de nous conformer à nos obligations en vertu du code de conduite et il nous faudrait examiner attentivement cette question avec le personnel du FMI.
Cela, bien entendu, touche à votre troisième question concernant l'attitude que nous adopterions. J'y ai beaucoup réfléchi depuis deux semaines et j'en ai parlé avec M. Fried, ainsi qu'avec les fonctionnaires du ministère des Finances, évidemment.
Afin que ce soit plus clair, je vais vous donner plus de détails sur la façon dont nous présentons des observations au FMI. C'est sous forme écrite que se font la plupart des observations. Avant la grande majorité des réunions du conseil, nous préparons un document qui est remis par l'intermédiaire du secrétaire aux administrateurs et à tous les autres présidents présents au conseil. Ce document devient ensuite le point de départ des débats du conseil et il présente souvent les conclusions du débat : selon la question examinée, quelques questions appelant des éclaircissements peuvent être soulevées au cours d'une réunion et donner lieu à un débat actif; mais, souvent au cours des réunions du conseil, un membre du personnel ou de la direction du FMI répond aux questions qui ont été collectivement posées à la direction dans les documents écrits que l'on appelle les gris. À l'origine, ces documents étaient imprimés sur du papier gris.
Ces documents, s'ils expriment nos points de vue, ceux des administrateurs, sont des documents du FMI et portent clairement la mention « Document du Fonds monétaire international » et « Réservé à l'organisation ». Lorsque je me suis préparé à venir témoigner, j'ai travaillé en étroite collaboration avec le bureau de l'avocat général du FMI et le bureau du secrétaire du conseil d'administration. Ils ont indiqué clairement que les règles du FMI protègent ces documents et les considèrent comme des documents confidentiels de l'institution. En tant qu'agents de l'institution, nous n'avons pas le pouvoir de les divulguer.
Par ailleurs, j'aimerais signaler que si une telle situation serait difficile pour nous, elle pourrait l'être également pour le Canada, en raison des statuts du Fonds monétaire international qui protègent l'inviolabilité des archives du fonds. Un traité contraint le Canada à reconnaître ces statuts. L'avocat général m'a expliqué que cela signifie essentiellement que le FMI ne peut pas être tenu de divulguer des renseignements qu'il a décidé, selon ses principes internes, de ne pas rendre publics. En plus de représenter une obligation découlant d'un traité pour le Canada, les statuts ont été intégrés à la législation canadienne par des lois habilitantes, en particulier la Loi sur les accords de Bretton Woods et des accords connexes.
Dans le cas de figure le plus extrême, si le projet de loi C-293 était adopté tel quel et invoqué pour nous contraindre à divulguer l'intégralité de nos observations écrites, nous nous trouverions dans une situation où le droit intérieur canadien serait en contradiction avec les obligations découlant d'un traité, étant donné que les statuts ont été signés par le Canada et qu'ils ont valeur de traité international. Voilà le scénario le plus radical.
Pourrions-nous fournir un résumé de ces « gris » ou résumer les commentaires supplémentaires que nous pourrions faire au cours d'une réunion du conseil? Comme je l'ai dit, un administrateur est libre d'exposer de manière générale ses priorités pour le FMI. À ce niveau, cela ne poserait aucune difficulté. Le problème viendrait du fait que ces observations écrites constituent le principal mécanisme juridique qui nous permet de participer à la gouvernance du FMI et que ces documents sont résolument confidentiels. À partir de quel moment le résumé d'un document confidentiel deviendrait-il lui-même confidentiel? Voilà un aspect que nous devons examiner de près avec le bureau de l'avocat général.
Ce qui me préoccupe, c'est que nous serions tenus d'obtenir pratiquement à chaque fois l'autorisation d'un responsable de l'institution. Il y a plusieurs choses que nous devrions éviter. Nous devrions éviter dans le résumé toute référence au point de vue d'un autre administrateur. Bien entendu, ces énoncés écrits sont très interactifs. Ils circulent tous en même temps. Chacun, en rédigeant ses observations, réagit aux déclarations des autres. On écrit par exemple : « Je suis d'accord avec M. X sur tel sujet; je ne partage pas le point de vue de Mme Y sur tel autre sujet. » Il faudrait éliminer de tels détails. Deuxièmement, il faudrait éliminer toutes les allusions aux déclarations de la direction ou du personnel du FMI. Troisièmement, il faudrait faire preuve de la plus grande vigilance relativement aux renseignements rendus publics, étant donné que ces discussions s'appuient généralement sur des documents de service. Avec le temps, les documents de service sont souvent rendus publics, mais ce n'est pas nécessairement le cas tout de suite ou peu de temps après la réunion du conseil. Il faudrait bien s'assurer que la divulgation d'un exposé de principes n'entraînerait pas la divulgation de renseignements qui n'ont pas encore été rendus publics.
Voilà les principales questions auxquelles nous devrions faire face.
Le président : Sénateur Segal, est-ce que cela vous convient?
Le sénateur Segal : Oui, merci beaucoup.
Le président : Monsieur Jenkins, dans votre exposé, vous avez évoqué précisément l'alinéa 5(1)d). Est-ce que d'autres éléments du paragraphe 5(2) et des alinéas 5(3)a) et b) vous préoccupent également ou est-ce que vos inquiétudes portent uniquement sur le passage que vous avez mentionné dans votre exposé? Le paragraphe 5(3) propose de compléter le rapport disponible par les éléments suivants :
a) la prise de position du Canada dans le cadre des résolutions adoptées par le Conseil des gouverneurs des Institutions de Bretton Woods;
b) un résumé de la façon dont les activités du Canada aux termes de la Loi sur les accords de Bretton Woods et des accords connexes ont favorisé l'application de la présente loi.
Ces exigences vous préoccupent-elles ou vous paraissent-elles acceptables?
M. Jenkins : Il est certain que l'alinéa 5(3)b) ne présenterait aucune difficulté du point de vue du bureau d'un administrateur. Par contre, j'y vois une certaine redondance avec le rapport d'activités présenté aux termes de la Loi sur les accords de Bretton Woods et des accords connexes. D'après mon interprétation, tout au moins, ce texte n'impose aucune obligation supplémentaire et ne pose aucun problème par lui-même.
Nous avons soulevé l'alinéa 5(3)a) lors de nos discussions avec le bureau de l'avocat général du FMI. Nous lui avons demandé son point de vue sur l'ensemble du projet de loi. Je n'ai pas insisté sur ce point qui me paraît quelque peu pédant, même s'il est juridiquement correct. L'avocat général a souligné que lorsque le ministre des Finances, qui est le gouverneur du Canada pour les besoins du FMI — le représentant du Canada au Conseil des gouverneurs — vote sur une résolution, il n'agit pas, d'un point de vue juridique — je rappelle que le Conseil des gouverneurs est un conseil d'administration — en tant que représentant canadien, mais plutôt en sa qualité de gouverneur du FMI.
Je suis convaincu du bien-fondé de ce raisonnement sur le plan juridique. Sur le plan opérationnel, ce n'est probablement pas très important et il est certain que le Conseil des gouverneurs ne fonctionne pas avec la même présomption de confidentialité que le conseil d'administration. Le Conseil des gouverneurs se réunit seulement une fois par an, en automne, au moment des réunions annuelles. Les votes concernant certaines résolutions se font souvent par le courrier. Notre point de vue sur les résolutions n'est pas confidentiel, aussi, ma préoccupation à ce sujet est quelque peu pédante puisqu'elle associe le ministre des Finances à quelqu'un qui vote sur le point de vue du Canada.
Le sénateur Smith : Monsieur Jenkins, merci d'être venu et de nous avoir fourni tant d'informations générales et de données contextuelles sur ce sujet. Je vais poursuivre un peu plus loin l'examen de cette question. J'aimerais souligner en passant que l'alinéa 5(1)d) fait état d'un « résumé des observations ». Je crois que vous avez utilisé un moment le mot « textuel ». Il n'est pas question ici d'exiger un compte rendu textuel mais simplement un « résumé des observations ». Il s'agit d'un compte rendu très général.
Étant donné que les parlementaires canadiens souhaitent une plus grande transparence, il s'agit peut-être d'un changement marginal. On peut comprendre que l'on exige une plus grande transparence lorsqu'il s'agit de l'utilisation des deniers des contribuables. D'autres pays se sont penchés sur cette question et j'aimerais examiner l'attitude adoptée par quatre autres pays.
Je crois qu'en Grande-Bretagne, le Trésor compare chaque année l'approche réservée aux questions relevant du FMI par rapport à l'année précédente, et le ministère du Développement international présente un compte rendu sur les politiques clés ainsi que les objectifs du gouvernement relativement à la Banque mondiale. En France, le gouvernement publie un rapport annuel exposant ses positions dans divers secteurs de politique. En Suède, le gouvernement présente au Parlement un rapport sur les priorités suédoises à la Banque mondiale et au FMI. En Italie, un rapport annuel fournit des informations sur les positions prises par les représentants italiens sur certaines questions.
Étant donné que l'alinéa 5(1)d) utilise le terme « résumé », soit un compte rendu général, par opposition à un compte rendu textuel, le Canada serait-il tenu, en vertu de cette loi, d'adopter une attitude radicalement différente de celle des gouvernements britannique, français, suédois et italien? Est-ce une approche véritablement nouvelle ou une attitude compatible, cohérente et semblable, sinon identique, à celle de ces quatre autres pays respectables?
M. Jenkins : Dans le cas des trois premiers pays que vous avez mentionnés, soit le Royaume-Uni, la France et la Suède, les exigences que vous avez décrites ne me semblent pas poser problème à notre bureau, principalement parce qu'elles ne paraissent pas très différentes de celles que le Canada applique déjà en vertu du Rapport sur les opérations effectuées en vertu de la Loi sur les accords de Bretton Woods et des accords connexes. Si j'interprète correctement ces exigences imposées par la loi, elles ne présentent aucune difficulté puisqu'elles n'entraînent aucune augmentation des informations qui sont déjà divulguées c'est-à-dire, ex ante, l'expression des priorités d'une institution et, ex post, un compte rendu de la situation des institutions et des observations produites par les représentants du Canada auprès de ces institutions.
Les exigences italiennes me paraissent légèrement différentes en ce sens qu'elles portent sur un rapport annuel des positions prises par les représentants italiens. À mon sens, cela risque de poser problème pour la même raison. Les positions et les observations me semblent être deux choses très similaires.
Le sénateur Smith : Un autre point : je vais citer un document de la Banque mondiale intitulé World Bank Disclosure Policy : Additional Issues, page 14, paragraphe 29 :
Si les déclarations des administrateurs ne sont normalement pas divulguées [...] les gouvernements des pays membres sont libres de rendre publics leurs points de vue sur des questions examinées par le conseil d'administration. Toutefois, ces énoncés publics ne doivent contenir aucun renseignement confidentiel et non publiable ou qui n'ont pas encore été divulgués en conformité de la politique de divulgation de la Banque.
Permettez-moi de répéter la phrase que je tiens à souligner :
[...] les gouvernements des pays membres sont libres de rendre publics leurs points de vue sur des questions examinées par le conseil d'administration.
Ne pensez-vous pas que le libellé de l'alinéa 5(1)d) qui utilise le terme « résumé » n'est pas tout à fait compatible ni au diapason avec cette politique articulée dans le propre document de la Banque mondiale?
M. Jenkins : Il est clair que la Banque mondiale applique un cadre juridique légèrement différent de celui du FMI à plusieurs égards. Je comprends seulement quelques-unes de ces différences.
Je remarque une chose qui est commune au FMI et à la Banque mondiale et qui se rapporte au point soulevé. La citation que vous venez de lire concerne les positions des pays membres sur certaines questions et ce texte précise essentiellement que si le Canada a une position sur une question qui va être débattue au conseil, le ministre des Finances peut exprimer un point de vue à ce sujet ou exposer sa position. En effet, si les autorités canadiennes que sont le ministre des Finances ou la Banque du Canada nous font parvenir leur avis, elles peuvent rendre cet avis public. Tout naturellement, leurs propres points de vue leur appartiennent.
Cette liberté est tempérée par le fait que la publication de ces points de vue est possible, comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, dans la mesure où un administrateur est libre d'exprimer son opinion. Les autorités sont libres d'exprimer leurs points de vue en se rendant au conseil d'administration. Ce faisant, elles ne peuvent pas divulguer des informations appartenant au FMI qui ne sont pas déjà du domaine public. Dans la pratique, l'application de ce principe peut poser problème.
Par exemple, le conseil d'administration peut se pencher sur un exposé de principes qui énonce une proposition. Cette proposition sera peut-être rendue publique dans six mois ou peut-être dans un mois. Au moment de la réunion du conseil elle n'est pas encore divulguée. Le ministère des Finances prépare une note de service qui résume sa position et publie cette note. Naturellement, cet exposé de principes évoquera la proposition interne qui ne fait pas partie du domaine public. En fait, ce serait sans doute pour nous aider à déterminer nos réactions que l'on nous ferait parvenir ce document. Voilà le type de difficulté opérationnelle que j'entrevois.
Le sénateur Smith : Laissons le gouvernement italien tranquille. Vous avez parlé des gouvernements anglais, français et suédois. A-t-on déjà rencontré des problèmes de ce type avec eux? J'ai l'impression que le sujet qui nous préoccupe est de cette nature.
M. Jenkins : Je n'ai pas connaissance de difficultés concernant les Britanniques, les Français ou les Suédois, mais j'ai l'impression que leurs pratiques et leurs exigences, comme vous les avez décrites, sont semblables à celles que nous appliquons déjà au Canada. À mon avis, c'est différent de l'objectif visé par l'alinéa 5(1)d) qui se rapporte à des observations précises et des réunions précises du conseil d'administration.
Lorsque vous avez posé votre question, vous avez fait la distinction entre l'observation et un résumé de l'observation. C'est une zone grise, étant donné que pour nous, la question pratique est de savoir, comme je l'ai dit dans ma réponse au sénateur Segal, à quel moment le résumé d'un document confidentiel devient lui aussi confidentiel.
Le sénateur Mahovlich : Le but de ce projet de loi est la réduction de la pauvreté. Pouvez-vous m'indiquer ce que vous entendez par réduction de la pauvreté?
Quelle serait la nouvelle répartition géographique de l'aide au développement officielle canadienne dans le monde si ce projet de loi était adopté?
M. Jenkins : Monsieur le sénateur, je ne suis pas un spécialiste de la réduction de la pauvreté. Je ne sais pas grand- chose sur la répartition de l'assistance internationale et de l'aide étrangère du Canada.
Je tiens à souligner que le Fonds monétaire international n'est pas un organisme de développement. C'est un organisme monétaire international. Il dispose de la Facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance, établie longtemps après la création du FMI, comme mécanisme destiné à accorder des prêts assortis de conditions libérales aux pays très pauvres. Cependant, il s'agit d'une activité tertiaire du FMI.
Je ne me sens pas apte à répondre à votre question, mais un représentant de l'ACDI ou du gouvernement, ou d'autres spécialistes pourraient vous répondre.
Le président : J'aimerais rappeler que M. Jenkins nous a précisé au début qu'il était ici pour nous parler des aspects de confidentialité, en particulier en ce qui a trait à l'alinéa 5(1)d). Par conséquent je le remercie de sa franchise.
Le sénateur Grafstein : Je prie le témoin de m'excuser. Le sénateur Di Nino et moi-même accueillons le président de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l'OSCE, la plus grande association parlementaire des droits de la personne dans le monde. J'ai été retardé parce que le sénateur Di Nino et moi nous occupons de ce visiteur. Je n'ai pas pu entendre l'ensemble de votre témoignage, mais j'ai lu votre déclaration.
Je suis intrigué par cette réticence diplomatique à nous donner des renseignements sur une importante politique au Canada. Le sénateur Smith a soulevé un des points qui me préoccupent, à savoir la plus grande volonté ou liberté de formuler des opinions sur les affaires qui concernent les autres pays. Ce comité tente de définir le meilleur modèle réglementaire de distribution des énormes richesses dont dispose le Canada.
Permettez-moi de vous parler d'une expérience que j'ai vécue récemment. Votre ancien directeur administratif, Rodrigo de Rato y Figaredo, a quitté ses fonctions en septembre de l'année dernière. Son successeur est Dominique Strauss-Kahn, l'ancien ministre des Finances de France. C'est bien cela?
M. Jenkins : Oui.
Le sénateur Grafstein : J'aimerais vous parler de M. de Rato. C'est une question de transparence, d'information et d'opinion. Sans invitation de notre part, je crois, il est venu récemment au Canada pour offrir son point de vue sur deux sujets importants sur lesquels le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se penchait. Je préside ce comité dont le sénateur Eyton est membre.
Notre sujet d'étude était la productivité au Canada par comparaison aux États-Unis et à d'autres pays. Il est venu nous rencontrer et il a livré un arrogant témoignage dans lequel il affirmait pour plusieurs raisons qu'il a examinées en détail, que le Canada devrait être plus productif.
J'étais fort étonné qu'il vienne de lui-même nous entretenir d'une question de politique qui concerne le Canada. Il avait peut-être consulté les membres canadiens de son conseil. Or, dans le cas présent, je note une certaine hésitation à être plus franc et à nous donner des opinions.
Je vais vous donner un autre exemple qui est encore plus révélateur. On a assisté aujourd'hui à la Chambre des communes à un vigoureux débat du Bloc québécois sur une question que le sénateur Eyton, moi-même et d'autres personnes étudions depuis quelque temps. Il s'agit de la mise en place d'une autorité unique de réglementation au Canada. Cette fois encore, M. de Rato a présenté son point de vue avec force, affirmant que le Canada est le seul pays occidental développé qui ne possède pas une autorité unique de réglementation et nous encourageant vivement à en mettre une en place, faute de quoi nous risquerions de perdre notre avantage concurrentiel.
Si ce compte rendu de l'intervention du directeur administratif est exact, pourquoi ne pouvons-nous pas obtenir des informations franches de la part du FMI pour nous aider dans cette tâche particulière? Pourquoi cette réticence et cette restriction législative qui nous empêchent d'obtenir des opinions franches sur une question de grande importance pour la position concurrentielle du Canada ainsi que pour l'utilisation des deniers des contribuables canadiens?
M. Jenkins : Les conseils que le FMI prodigue au Canada sont contenus dans les rapports économiques annuels qu'il consacre au Canada. C'est une obligation pour tous les membres du FMI d'être soumis à un examen par le personnel du FMI qu'il est convenu d'appeler « examen en application de l'article IV ». Les membres du personnel permanent de l'institution, c'est-à-dire pas des gens comme moi, consultent une vaste gamme de personnes. Ils préparent un rapport interne qui est assez détaillé. Ce rapport est présenté et étudié au conseil d'administration.
Dans le cas du Canada, ce rapport est publié dans son intégralité. Comme je l'ai dit dans ma déclaration, il fait partie des 75 à 90 p. 100 qui sont publiés. Les statuts du FMI ont été rédigés il y a 60 ans. Selon eux, le fonds agit auprès de ses membres à titre de conseiller confidentiel.
Le sénateur Grafstein : Monsieur Jenkins, les incidents que j'ai rapportés n'étaient pas confidentiels. M. de Rato a donné publiquement son opinion sur la gestion de nos ressources publiques par le Parlement dans deux domaines tout à fait sérieux. Ce n'était pas confidentiel et je pense que c'était unilatéral.
M. Jenkins : Oui, je comprends.
Le sénateur Grafstein : Alors, pourquoi cette hésitation maintenant?
M. Jenkins : Ce que j'essaie d'expliquer, c'est que par comparaison avec d'autres instruments du fonds, on trouve le même degré de transparence que dans la déclaration du directeur administratif. Le rapport du FMI sur le Canada réclamant la création d'une autorité unique de réglementation est un document caractéristique. Voilà plusieurs années qu'ils le réclament. Ces rapports sont publiés et disponibles sur le site web du FMI.
On trouve également sur le site web du FMI un résumé des délibérations du conseil d'administration au sujet du rapport concernant le Canada. Je ne l'ai pas vérifié, mais je serais surpris qu'il n'y soit pas. Le rapport doit signaler que les administrateurs ont reconnu que le Canada devrait disposer d'une autorité nationale de réglementation. Ils ont donné leurs opinions sur cette question précise.
Cette opinion exprimée par le conseil est publique. Les documents analytiques préparatoires rédigés par le personnel sont du domaine public. Voilà où normalement devrait se trouver une opinion relative à une autorité nationale de réglementation. Cette opinion porte sur des questions relatives à la productivité et à la hausse des niveaux de vie.
La contrainte législative s'applique à la diffusion isolée d'observations présentées au conseil. Ces observations sont réputées confidentielles en vertu des décisions du conseil d'administration remontant, je crois, aux premières réunions, en 1946, et à leurs interprétations ultérieures.
J'aimerais souligner essentiellement qu'une énorme quantité d'informations se rapportant aux points de vue et recommandations du FMI font partie du domaine public. De manière générale, l'expression d'une opinion par le directeur administratif ne marque pas une rupture par rapport à ce qui se passe dans d'autres secteurs de l'institution.
Le sénateur Grafstein : Supposons par exemple que le gouvernement du Canada éprouve quelques hésitations au sujet de ce projet de loi et sollicite l'avis du FMI. Est-ce que le FMI répondrait à sa demande et publierait des documents ou des études consacrés à certaines questions sur lesquelles le gouvernement souhaiterait avoir un point de vue comparatif?
Vous connaissez le sujet qui nous intéresse aujourd'hui. Le FMI serait-il prêt à fournir au gouvernement son point de vue en s'appuyant sur des études comparatives avec d'autres pays?
M. Jenkins : Vous voulez parler d'une opinion juridique demandée par le gouvernement du Canada au FMI?
Le sénateur Grafstein : Non, une opinion économique. Le directeur administratif a présenté des opinions économiques sur les politiques économiques du Canada. Nous parlons d'économie. Est-ce que le FMI serait prêt à présenter une telle opinion?
M. Jenkins : Pour parler clairement, selon votre exemple, le gouvernement du Canada demanderait un rapport sur la situation et les perspectives économiques du Canada?
Le sénateur Grafstein : Sa situation économique et son incidence sur l'ACDI, car cela représente une part importante de notre PIB, de nos recettes.
M. Jenkins : Le gouvernement du Canada pourrait demander au FMI d'évaluer l'efficacité du programme d'aide canadien.
Le sénateur Grafstein : Oui.
M. Jenkins : Cependant, il reste à savoir si le FMI se sentirait suffisamment compétent pour préparer un rapport de ce type. J'ai dit un peu plus tôt que le FMI est un organisme de surveillance plutôt qu'un organisme d'aide. Et d'abord, vous me demander de me prononcer au nom de la direction du FMI plutôt qu'au nom du conseil d'administration.
Le sénateur Grafstein : Donnez un point de vue plutôt qu'une opinion.
M. Jenkins : Je pense que le FMI refuserait, car nous ne sommes pas compétents pour faire ce genre de choses. Peut- être que la Banque mondiale a les compétences. Il y a aussi les organismes de l'OCDE. Le Comité d'aide au développement, le CAD, de l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, prépare ce type de rapports sur l'efficacité des programmes d'aide des divers pays.
En revanche, je pense que le FMI répondrait qu'il est un organisme de surveillance. Dans ce sens, nous jouons un peu le rôle d'une banque centrale. Je crois que nous refuserions d'effectuer une telle analyse, car ce genre d'exercice ne relève pas de nos compétences.
[Français]
Le sénateur Dallaire : Ma question s'adresse à vous, monsieur Jenkins, et je vais utiliser les termes qui me sont présentés pour être certain qu'on comprenne bien.
[Traduction]
Vous êtes bien le conseiller principal de l'administrateur représentant le Canada, l'Irlande et les pays des Caraïbes?
M. Jenkins : Oui.
Le sénateur Dallaire : Êtes-vous le conseiller principal du représentant canadien?
M. Jenkins : Je dirais que non, pour les raisons que j'ai mentionnées plus tôt.
Le sénateur Dallaire : Je vais y revenir. L'administrateur du groupe canadien est-il le représentant canadien? Cette personne exerce-t-elle les deux rôles? J'espère que notre échange va permettre de préciser les choses, parce qu'ici, nous jouons avec les mots.
Vous savez que l'objet de notre débat est un résumé des observations faites par les représentants canadiens. Le projet de loi ne demande pas que le groupe canadien soit porté à l'attention du gouvernement du Canada; il s'agit plutôt de l'apport du représentant canadien à l'établissement des priorités et des politiques. Dans votre déclaration, vous avez précisé clairement qu'il est l'administrateur du groupe canadien et qu'il doit collaborer avec les autres membres du groupe.
Je demeure convaincu que nous essayons de cibler une personne précise qui a un rôle et une responsabilité précis vis- à-vis des Canadiens. Ce qui m'intéresse, c'est le point de vue du représentant canadien dans les dossiers qui sont présentés par le Canada à ces organismes. Il semble que c'est à cela que nous voulons en venir quand nous réclamons plus de transparence.
J'aimerais ajouter par ailleurs, pour faciliter votre réponse, que nous réclamons « un résumé des observations faites par les représentants canadiens ». Nous ne demandons pas de connaître ces observations avant qu'elles soient faites, mais seulement après. Nous voulons avoir une idée. Nous voulons savoir ce qui se passe, peut-être six mois plus tard. Selon la façon dont ces rapports seront présentés, ce pourrait même être un an après les faits. Je ne pense pas que les obligations de confidentialité soient encore pertinentes après un tel laps de temps.
Je veux savoir ce qui se passe et comprendre pourquoi nous ne pouvons pas obtenir cette information.
M. Jenkins : Il est plus facile, je crois, de répondre à la deuxième partie de votre question et c'est ce que je vais faire, avant de m'occuper de la première partie.
J'ai parlé de la différence entre le résumé et le document lui-même. Ce sont des notions complexes que je pense avoir expliquées du mieux que je le pouvais.
Je pense que la question de temps n'est pas pertinente au sujet qui nous préoccupe. Les observations écrites dont j'ai parlé demeurent toujours confidentielles. Elles sont confidentielles au moment où elles sont rédigées, au moment où elles sont déposées et pendant des années par la suite.
Le FMI a établi une politique d'accès à ses archives, mais ces dernières ne sont disponibles que de nombreuses années après les faits. Je ne connais pas bien les détails de cette politique, mais je sais qu'il faut attendre de nombreuses années. Je pense que ce sont un peu les mêmes normes qui s'appliquent à l'accès aux documents protégés au Canada.
J'ai gardé pour la fin la dernière partie de votre question car, si elle est très simple, il n'est pas facile d'y répondre. Vous avez utilisé l'expression « le représentant du Canada au FMI ». Selon moi, il est difficile d'affirmer de manière aussi catégorie que vous le faites, que le Canada a un représentant au FMI.
Le Canada est autorisé à présenter la nomination d'un administrateur aux membres de notre groupe qui par la suite votent pour le choix d'un candidat. C'est un dispositif purement informel qui n'est pas nécessairement le même dans les autres groupes. Certains procèdent par rotation ou appliquent toutes sortes d'autres systèmes. Dans le cas du Canada, pays très grand par rapport aux autres États membres, il a été convenu que nous pouvons toujours mettre en nomination un candidat au poste d'administrateur. Ce dernier est élu par les autres membres.
Naturellement, cet administrateur fait valoir le point de vue canadien dans le cadre de ses fonctions, ne serait-ce que parce qu'il est un ressortissant canadien. En revanche, il n'a aucune responsabilité officielle de représenter le Canada comme le ferait par exemple un ambassadeur. Le caractère indépendant de la relation est établi très soigneusement et les notes du conseil général du FMI rappellent aux nouveaux administrateurs cette relation d'indépendance.
Les personnes qui siègent au conseil d'administration n'ont pas le drapeau de leur pays devant elles. Les administrateurs sont appelés par leur nom. Ce sont des personnes qui ont un certain lien avec un pays. La façon de procéder varie d'un groupe à l'autre et les administrateurs peuvent, s'ils le souhaitent, faire valoir leurs affiliations nationales. Cependant, ils ne représentent pas directement leur pays, comme votre question le laissait supposer.
Le sénateur Dallaire : Supposons que le groupe canadien soit dirigé par un Irlandais. Comment cet administrateur s'y prendrait-il pour présenter, défendre et citer la perspective canadienne devant cette entité juridique?
M. Jenkins : Tout dépend de la question. Les interventions proviendraient d'Ottawa, du ministère des Finances, du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, de l'ACDI ou de la Banque du Canada, selon la question traitée. Ces interventions seraient transmises à l'administrateur irlandais, soit par téléphone, soit par écrit. Ils les évalueraient et les compareraient aux instructions ou recommandations reçues de Dublin et ils tenteraient de présenter une position commune.
Cette position ne plairait pas nécessairement à tous les membres du groupe. Dans certains cas, le plus grand pays membre prend position et appuie l'administrateur, dans votre exemple l'Irlande. En revanche, on ne peut pas procéder trop souvent de la sorte, car une telle attitude conduirait à l'éclatement du groupe.
Le sénateur Dallaire : Tout ce que nous voulons savoir, c'est ce que le représentant canadien a donné comme information au représentant irlandais relativement aux priorités et aux politiques qui doivent faire l'objet de débats et de décisions. Nous ne demandons pas à l'administrateur du groupe auquel appartient le Canada de nous donner des informations de cet ordre. Nous voulons connaître la contribution du représentant canadien à l'évolution du débat tel que nous le concevons, qu'il soit concluant ou non, ainsi que les éléments qui ont été privilégiés.
Comme vous l'avez dit, les informations que nous réclamons se trouvent peut-être déjà dans des rapports accessibles dans le cadre des activités du gouvernement par l'intermédiaire du ministère des Finances et d'autres organismes. Une difficulté que nous avons rencontrée dans l'étude de ce projet de loi concernait le tri des informations ou, si vous voulez, la difficulté à les organiser de manière plus logique. Actuellement, les données sont dispersées dans tous les sens et il est impossible de les réunir, étant donné que les divers ministères présentent des rapports différents à des moments différents. Nous ne parvenons pas à faire ce que nous voulons, soit focaliser notre développement international en prenant connaissance de ce qui se trame, y compris dans des institutions comme celles de Bretton Woods.
Ne sommes-nous pas justifiés à vouloir présenter ces informations au ministre qui a pour obligation de prendre en compte ce que nous considérons être nos priorités et nos politiques et les idées qui sont débattues au FMI?
M. Jenkins : Ce n'est pas de cette manière que nous avions interprété le sens de l'alinéa 5(1)d). Si je vous ai bien compris tout à l'heure, ce que vous entendez par « représentants canadiens », ce n'est pas l'administrateur canadien à Washington, mais plutôt nos interlocuteurs à Ottawa au ministère des Finances, à la Banque du Canada, à l'ACDI et au ministère des Affaires étrangères. Ce sont les représentants canadiens visés par les observations mentionnées à l'alinéa 5(1)d).
Le sénateur Dallaire : Nous aimerions savoir également s'il existe un ensemble de documents exposant la position canadienne au FMI.
M. Jenkins : Selon la première interprétation, il s'agit d'un recueil des conseils, recommandations, instructions et ordres que nous recevons d'Ottawa et je ne peux pas me prononcer à ce sujet, puisque dans un sens, ce sont des documents ministériels. Ces documents seraient sans doute assujettis aux politiques de divulgation, y compris aux règles d'accès à l'information et de protection des renseignements personnels. Il y aurait des problèmes dans la mesure où ces interventions se rapportent à des documents du FMI, présentent des opinions sur des documents du fonds qui ne sont pas publics, comme c'est généralement le cas. Par exemple, on pourrait avoir un commentaire comme celui-ci : « Nous ne partageons pas le point de vue énoncé au paragraphe 17. » Cela poserait problème si le paragraphe 17 se trouve dans un document du FMI, étant donné que le document publié serait soit incompréhensible, soit divulguerait des éléments relatifs aux documents du FMI que le Canada n'a pas la latitude de rendre publics.
Je ne suis pas certain d'avoir bien compris la deuxième partie de votre question qui concernait le corpus des observations.
Le sénateur Dallaire : En ce qui a trait à l'administrateur membre du groupe canadien et à l'évolution des processus de discussion et de décision en matière de priorités et de politiques au sein du FMI, est-ce qu'il existe un organe interne vers lequel nous pouvons nous tourner? La question concerne les représentants canadiens. Ces représentants seraient par exemple les fonctionnaires du ministère des Finances qui rencontrent l'administrateur afin de s'informer sur les politiques et les décisions et les points à soulever. Vous nous dites que tout cela est déjà contenu dans un rapport et que ce rapport touche à tous les aspects, mais cela n'est semble-t-il pas suffisant pour nous tenir au courant de la situation. Nous voulons trouver une façon d'obtenir les renseignements dont nous avons besoin après les faits, afin de donner de la transparence aux mesures qui sont prises et une certaine cohérence aux politiques réclamées par ce projet de loi, qui deviendra bientôt loi, en matière de réduction de la pauvreté.
Malgré la présence d'un « représentant canadien », il y a manifestement un problème de structure, ne pensez-vous pas?
M. Jenkins : En effet.
Le sénateur Dallaire : Le problème n'est pas dans la définition de l'expression « représentant canadien »; il est dans la façon dont la position canadienne est exposée, dans les décisions qui sont prises et, en bout de ligne, dans le retour d'information. Voilà le problème que nous voulons résoudre. Nous ne voulons pas nous immiscer dans le FMI et mettre au jour tous ses secrets. Nous cherchons à savoir quel impact nous avons et quelle influence nous pouvons exercer.
Le président : Voilà qui conclut la réunion d'aujourd'hui. Au nom du comité, je remercie sincèrement M. Jenkins pour sa contribution à nos délibérations. Votre participation a été extrêmement utile. J'espère vous revoir un jour, probablement dans un autre contexte.
Avant de lever officiellement la séance, j'aimerais souligner aux membres de notre comité que notre témoin de demain sera M. David Horton, directeur général du Corps international canadien pour le déminage. Merci et bonsoir à tous.
La séance est levée.