Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule 6 - Témoignages du 9 avril 2008
OTTAWA, le mercredi 9 avril 2008
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui à 16 h 4 pour entreprendre son étude sur l'émergence de la Chine, de l'Inde et de la Russie dans l'économie mondiale et les répercussions sur les politiques canadiennes.
Le sénateur Consiglio Di Nino (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Le comité se penche cette semaine sur l'influence nouvelle de la Chine, de l'Inde et de la Russie dans le domaine économique et sur les politiques que le Canada a adoptées en réaction à cette influence.
Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui M. Stephen Poloz, premier vice-président, Affaires générales et économiste en chef de Exportation et développement Canada, M. Charles Burton, professeur associé, Département de sciences politiques, Université Brock ainsi que M. Alex Neve, secrétaire général de Amnistie Internationale Canada. Bienvenue au Sénat. J'inviterais M. Polov à faire quelques commentaires, ensuite M. Neve et M. Burton. Nous procéderons aux questions et réponses par la suite.
[Traduction]
Stephen Poloz, premier vice-président, Affaires générales, et économiste en chef, Exportation et développement Canada : Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, d'avoir invité à comparaître devant vous Exportation et développement Canada, ou EDC. L'intérêt que vous portez à nos activités est toujours apprécié.
[Français]
Je vous remercie de m'avoir invité; la plupart de mes remarques seront en anglais mais soyez à l'aise de poser vos questions en français.
[Traduction]
Les exportations sont la base de l'économie canadienne. EDC joue un rôle important en facilitant ce commerce. En 2007, EDC a servi 7 000 entreprises et investisseurs canadiens, dont 84 p. 100 étaient des PME, ou petites et moyennes entreprises. Nous avons facilité un volume de transactions internationales d'une valeur de 77 milliards de dollars, soit une augmentation de 17 p. 100 comparativement à 2006, même si ce fut une année au cours de laquelle les exportations canadiennes ont piétiné. Près de 19 milliards de dollars sur ce total étaient le fait de l'activité de petites et moyennes entreprises. Environ 10 milliards de dollars ont servi à la facilitation d'investissements canadiens en pays étrangers et les marchés émergents ont compté pour environ 21 milliards de dollars, soit une augmentation de 37 p. 100 par rapport à l'année précédente.
EDC ne reçoit aucun crédit du gouvernement. En fait, au cours des deux dernières années, nous avons reversé en tout 600 millions de dollars en dividendes à l'actionnaire, le gouvernement fédéral. Nous obtenons ces résultats du fait d'appliquer des principes commerciaux et d'offrir une vaste gamme de produits et de services aux entreprises canadiennes, notamment assurance pour comptes à recevoir — un outil fort important pour les petites entreprises — cautionnement de marchés, assurances et garanties, assurance risque politique pour les investissements canadiens à l'étranger et financement pour les acheteurs étrangers désireux d'acheter des produits canadiens.
Nous faisons par ailleurs des placements en actions, souvent en partenariat avec d'autres, ce afin d'encourager de très petites sociétés canadiennes. La grande majorité de nos services sont proposés en partenariat, sous une forme ou une autre, avec des institutions financières privées.
Le commerce international est extrêmement important pour le Canada, et nous savons, du fait de discussions antérieures, qu'a émergé un nouveau paradigme commercial, à l'intérieur duquel les entreprises canadiennes doivent se concentrer non seulement sur les exportations et le commerce traditionnels, mais également sur l'établissement de chaînes d'approvisionnement mondiales : en d'autres termes, elles doivent faire du commerce intégral, intégrant importations, exportations et investissements étrangers, en vue de créer une structure idéale créatrice d'emplois bons et stables au Canada.
Cela signifie que le Canada doit développer son commerce à l'intérieur de ces deux dimensions, soit les ventes traditionnelles d'exportation et les transactions d'approvisionnement. Certaines des meilleures possibilités de développement de ces deux dimensions se trouvent dans les pays sur lesquels vous avez choisi de vous concentrer : la Chine, l'Inde et la Russie. Ces pays sont en train de croître beaucoup plus rapidement que nos partenaires commerciaux traditionnels, et nos exportations traditionnelles à destination de ces autres pays peuvent donc y augmenter à un rythme supérieur à la moyenne. D'autre part, ces pays sont souvent des pays à faibles coûts où il est logique de vouloir y développer certaines de nos chaînes d'approvisionnement mondial. C'est le cas d'autres pays également, mais la Chine, l'Inde et la Russie ont certainement le potentiel de devenir de véritables puissances mondiales. EDC a été actif dans ces trois pays.
Je vais vous donner des chiffres pour illustrer l'envergure de ces activités au cours de l'année écoulée. EDC a par exemple facilité en Chine l'an dernier des transactions canadiennes d'une valeur de 1,7 milliard de dollars, soit une augmentation de 25 p. 100 par rapport à l'année précédente. Nous agissions pour le compte de 394 sociétés canadiennes. Nous avons établi notre premier bureau de représentation outre-mer à Beijing en 1997 et en avons ouvert un autre à Shanghai en 2006, afin d'aider les entreprises à établir des contacts avec des partenaires commerciaux.
En Inde, en 2007, EDC a facilité des échanges commerciaux canadiens d'une valeur de 1,2 milliard de dollars, soit une augmentation de plus de 60 p. 100 par rapport à l'année antérieure, quelque 180 clients d'entreprises canadiennes faisant affaire en Inde dans le cadre de programmes d'EDC. Nous avons deux représentants en Inde, l'un à New Delhi et l'autre à Mumbai. Cela nous fournit de l'information commerciale ainsi que la capacité de faire le lien avec les entreprises.
Enfin, en Russie, un autre de nos cinq grands marchés prioritaires, EDC a l'an dernier encadré pour le compte d'entreprises canadiennes des transactions d'une valeur de 1,5 milliard de dollars, soit une augmentation de 28 p. 100 par rapport à l'année antérieure.
Comment entendons-nous maintenir et augmenter cette activité? Comptent parmi les secteurs clés pour les entreprises canadiennes dans ces marchés le secteur de l'investissement dans l'énergie et les mines, ce qui englobe la vente de matériel ainsi que des services de génie l'accompagnant, de gros produits dans le secteur des transports, le secteur du matériel agricole, les télécommunications, d'autres volets de l'industrie légère, le secteur des ressources, bien sûr, de manière générale, et il y a également d'importants investissements dans l'infrastructure dans le cadre desquels nous contribuons le génie et l'expertise requis. Chez EDC, nos efforts sont centrés sur les investisseurs canadiens dans ces marchés, en vue de les aider à établir les bons contacts et à mettre à profit nos relations existantes dans le marché pour favoriser les achats canadiens et forger de nouvelles relations, de nouvelles liaisons, ou encore pour favoriser une multiplication des achats au Canada.
En conclusion, le Canada doit compter lourdement sur le commerce, et son avenir à cet égard n'est pas assuré. La part du commerce dans l'économie canadienne dans son entier est en recul depuis plusieurs années. Elle a atteint son apogée en 2000 et diminue depuis. Même si nous avons diversifié notre activité pour bénéficier des marchés émergents, notre diversification n'a pas tenu le rythme de celle d'autres pays. Nos investissements dans ces pays et leurs investissements au Canada ne suivent pas le rythme de ceux de nos autres partenaires commerciaux. Nous accusons donc sur ce plan du retard.
Les entreprises canadiennes, qu'elles soient petites ou grosses, doivent relever le défi du maintien de leur compétitivité dans cet environnement. Les marchés émergents dont nous discutons leur offrent de formidables possibilités de croissance, mais cela exige des efforts. Cela exige l'établissement de beaucoup de liens, requiert souvent l'investissement dans un endroit que l'on connaît mal et dont on ignore les règles et qui présente de nombreux risques, ainsi qu'une très bonne intermédiation financière de la part de banques et d'autres partenaires, comme EDC, et, dans bien des cas, des relations face à face. Les ententes de protection d'investissement et autres accords de type libre- échange offrent la possibilité de détendre la situation des entreprises canadiennes.
Enfin, l'examen décennal du mandat d'EDC étant maintenant en cours, nous envisageons avec plaisir de travailler avec les parties prenantes, y compris les députés et les sénateurs, pour veiller à ce que les entreprises canadiennes puissent continuer de travailler sur un terrain de jeu égal dans les années à venir.
Alex Neve, secrétaire général, Amnistie Internationale Canada : Bonjour, mesdames et messieurs les membres du comité. Je suis très heureux d'être ici.
Permettez-moi de commencer par rendre bien clair ce qui est sans doute une évidence. Je ne suis ni économiste, ni expert commercial. Là n'est ni le propre ni le propos d'Amnistie Internationale Canada. Je n'aurai pas pour vous de renseignements, de conseils ou de perspectives quant aux dollars qui sont en jeu, aux questions monétaires, aux nombres d'entreprises, aux balances commerciales, aux déséquilibres ou à d'autres défis ou possibilités économiques se présentant au Canada relativement aux économies mondiales émergentes que sont la Russie, la Chine et l'Inde.
Cependant, il y a un certain nombre d'importantes et très réelles considérations en matière de droits de la personne dont j'aimerais vous entretenir dans mes remarques cet après-midi. Cela fait beaucoup trop longtemps que les droits de la personne et l'économie font l'objet d'une attention tout à fait séparée et distincte de la part des responsables des orientations politiques du gouvernement. Cette situation est loin d'être unique au Canada, ce en dépit du fait que les pratiques d'affaires et politiques économiques irresponsables peuvent avoir et ont une incidence néfaste, voire désastreuse, sur la protection et la jouissance des droits de l'homme, alors qu'à l'inverse, les pratiques d'affaires et politiques économiques responsables et réfléchies peuvent véritablement faire une contribution sensible et durable à l'amélioration de la protection des droits de l'homme.
Je vais commencer par faire trois observations très simples mais essentielles en matière de droits de la personne relativement aux trois pays que vous êtes en train d'examiner.
Premièrement, il y a toute une gamme de sérieux problèmes internes de droits de la personne dans chacun de ces trois pays. Tout juste au cours des six dernières semaines, Amnistie Internationale a émis les communiqués de presse et appels à l'action urgents que voici : l'un au nom de 15 moines tibétains arrêtés lors des manifestations protestataires du mois dernier et dont on ignore où ils se trouvent et dont la sécurité est en péril; l'un pour le compte d'un courageux défenseur des droits de la personne qui a cherché à lancer un débat public au sujet des Jeux olympiques en Chine et qui a de ce fait été condamné à une peine d'incarcération de trois ans et demi; un autre exposant nos inquiétudes quant à la torture de trois journalistes arrêtés en Inde et accusés d'avoir sympathisé avec le Parti communiste du pays; et encore un autre documentant les vastes et écrasantes restrictions de la liberté d'expression et de la liberté de réunion en prévision des prochaines élections russes.
Deuxièmement, chacun de ces pays a, à l'intérieur de sa politique étrangère, un important aspect droits de la personne. C'est certainement le cas de la Russie, compte tenu de l'influence qu'elle a auprès des pays d'Asie centrale. Quant à la Chine, elle exerce une forte influence auprès de pays aussi variés que la Corée du Nord, la Birmanie et le Soudan. Quant à l'Inde, elle est très influente auprès du Sri Lanka et du Népal.
Troisièmement, ces pays sont tous trois d'importants joueurs mondiaux dans des contextes multilatéraux où sont en jeu d'importantes décisions en matière de droits de la personne. C'est sans doute tout particulièrement le cas de la Russie et de la Chine, qui ont chacune un droit de veto au Conseil de sécurité des Nations Unies.
J'aimerais marquer ici un temps d'arrêt et dire quelques mots au sujet de la Chine plus particulièrement. Je le fais à cause, à la fois, de l'actualité très réelle des préoccupations en matière des droits de la personne en Chine, alors que les yeux de toute la communauté internationale suivent le difficile et contesté Relais du flambeau olympique, mais également parce que, parmi les trois pays sur lesquels vous vous penchez, c'est indéniablement à l'égard de la Chine où nous avons la plus longue et variée expérience et la plus importante masse de leçons apprises en ce qui concerne l'interface entre la politique économique et la politique en matière de droits de l'homme.
Le triste dossier de la Chine en matière de droits de la personne, qui fait de nouveau les grands titres dans de nombreux pays, n'a rien de nouveau. Même avant les mesures de répression troublantes prises au Tibet le mois dernier, la réalité des droits de la personne en Chine était bien sombre. Les groupes minoritaires tels les Tibétains et les peuples plus faibles dans l'Ouest du pays subissent certainement depuis bien trop longtemps la force de la répression chinoise; cela est également le cas des adeptes du Falun Gong, des militants pour la démocratie, des militants contre le VIH/sida, des blogueurs, des revendicateurs de droits pour les travailleurs, des avocats et militants œuvrant pour les droits de la personne, et d'autres encore. La torture est très répandue. Arrestations arbitraires et procès inéquitables sont la norme. Le recours massif à la fameuse rééducation en camp de travail continue de violer toute une gamme de droits fondamentaux, et l'on exécute chaque année en Chine plus de personnes que dans tout le reste du monde réuni.
Tout cela se fait dans un contexte de secret et de refus d'ouverture et de transparence en matière de droits de la personne. C'est ainsi que le monde a été interdit d'accès au Tibet à la veille du coup de filet. Les fonctionnaires canadiens n'ont aucun accès à Huseyin Celil, un citoyen canadien membre d'un groupe ethnique plus faible et qui est en prison en Chine depuis près de deux ans. Les procès ne sont pas ouverts au public. Les accusés sont rarement autorisés à être représentés par un avocat de leur choix. Les experts onusiens en matière de droits de la personne éprouvent énormément de difficulté à négocier un accès adéquat à la Chine, et les groupes indépendants de défense des droits de l'homme, comme par exemple Amnistie Internationale, ne se sont jamais encore vu accorder d'accès.
L'on avait espéré que la décision d'accorder les Jeux olympiques de cette année à la Chine serait peut-être le catalyseur d'une amélioration de ce triste tableau en matière de droits de la personne. La Chine avait fait cette promesse, et le Comité international olympique, ou CIO, y avait cru. Cependant, le CIO n'a tristement presque rien fait pour rappeler à la Chine sa promesse au cours des huit années qui ont suivi, pour souligner à quel point il était important que cette promesse ne soit pas trahie. À quatre mois seulement des Jeux olympiques, nous estimons que les Jeux eux-mêmes non seulement n'ont pas été de quelque manière que ce soit une panacée pour ce qui est des droits de la personne, mais ont même, cela ressort aujourd'hui clairement, contribué de manière importante et affligeante à des violations des droits de la personne dans le pays.
Et il faut maintenant ajouter à cela la puissance en matière de politique étrangère mondiale dont jouit de plus en plus la Chine et dont le moteur est en règle générale le désir d'acquérir le pétrole et les minéraux nécessaires à l'alimentation de l'économie survoltée du pays. Il y a très peu de preuves que l'on ait tenu compte le moindrement dans le cadre de cette politique des droits de la personne, alors que fonctionnaires et gens d'affaires chinois arpentent le globe pour se faire de nouveaux amis et négocier des contrats. Au Myanmar, la Chine vend des armes. Au Soudan, la Chine produit du pétrole. Les deux activités ont d'énormes ramifications sur le plan des droits de la personne, mais les ramifications sur le plan des droits de l'homme ne sont tout simplement pas un facteur dans l'approche commerciale de la Chine à l'égard de ces pays.
Le Canada a depuis dix ans une histoire troublée pour ce qui est de la poursuite de nos intérêts économiques en Chine dans un contexte de détresse manifeste en matière de droits de la personne. En 1997, il a été décidé de mettre de côté l'élément droits de la personne, de ne plus faire état publiquement de nos inquiétudes relatives aux droits de la personne et de poursuivre plutôt ces questions dans le seul cadre de discussions tranquilles en coulisse.
Au lieu de cela, la totalité de la puissance politique a été utilisée pour cultiver la relation commerciale, les missions commerciales de prestige devenant monnaie courante. La très réelle préoccupation était que les droits de la personne se voyaient repousser à l'arrière-scène, les intérêts commerciaux étant devenus la force guidant et déterminant la nature de la relation du Canada avec la Chine.
À quoi tout cela a-t-il abouti? Je vais conclure avec un certain nombre de recommandations. La première est une question de procédure, mais elle est importante, dans le contexte tout particulier de la Chine. Les membres du comité savent peut-être qu'une étude approfondie relativement à la relation Canada-Chine en matière de droits de la personne vient tout récemment d'être faite par le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Cette étude a inévitablement traité dans le détail de l'interaction entre les considérations économiques et les préoccupations relatives aux droits de la personne.
Le rapport est terminé; il a été déposé auprès du Comité des affaires étrangères lors de la dernière session parlementaire, mais est ensuite resté en plan, n'ayant pas été approuvé par le comité avant la fin de cette session. Il a tout récemment été à nouveau déposé devant le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, et nous espérons que le comité bougera cette fois-ci rapidement pour veiller à ce que le rapport soit diffusé.
Il renfermera sans aucun doute des constats et des recommandations qui vous seront également utiles à vous dans le cadre de votre travail. Tout effort que le comité ici réuni pourrait faire en vue de la distribution de ce rapport serait également le bienvenu.
Deuxièmement, Amnistie Internationale Canada et d'autres organisations canadiennes pressent depuis longtemps le Canada d'adopter une approche pangouvernementale exhaustive en ce qui concerne notre relation avec la Chine; une approche qui ne refoule pas les droits de la personne dans quelque recoin oublié, mais qui, au contraire, inscrit les droits de la personne au cœur même de tous les aspects de notre relation : affaires, culture, immigration, agriculture, politique étrangère et ainsi de suite. Ce serait également là une saine approche à l'égard de la Russie et de l'Inde.
Troisièmement, les droits de la personne doivent être bien en vue dans toutes les initiatives et ententes à caractère économique, qu'il s'agisse de la négociation d'accords de libre-échange ou de libéralisation du commerce, de l'adoption d'accords sur la protection des investissements étrangers, de la planification de missions commerciales de haute volée ou autres. Les droits de la personne ne peuvent pas continuer d'être un simple astérisque ou une simple réflexion après coup.
Quatrièmement, le gouvernement devrait commencer à exiger l'exécution d'évaluations de l'incidence sur le plan des droits de la personne avant la prise par le gouvernement ou par des entreprises de décisions au sujet d'importantes ententes ou initiatives commerciales.
Cinquièmement, il y a tout juste un peu plus d'un an prenait fin un processus remarquable de tables rondes d'examen d'options politiques en vue de la promotion de la responsabilité sociale des entreprises dans le secteur canadien d'extraction outre-mer. Ont participé aux tables rondes toutes les parties prenantes, incluant les milieux d'affaires, la société civile, des universitaires, des associations industrielles, des syndicats, des sociétés de placement et les pouvoirs publics. Un comité consultatif composé de représentants de ces secteurs a fait œuvre de pionnier en assoyant un consensus autour d'un ensemble exhaustif de recommandations en vue d'un nouveau cadre canadien de responsabilité sociale d'entreprise, ou RSE.
Un an plus tard, le gouvernement est toujours silencieux quant à ce qu'il entend faire des recommandations. Le nouveau cadre RSE, qui a été favorablement accueilli par les milieux d'affaires et les organisations non gouvernementales, ou ONG, aiderait à apaiser nombre des craintes en matière des droits de la personne relatives aux transactions commerciales entre le Canada et ces trois pays que vous examinez.
Enfin, passant maintenant à la scène internationale, nous voulons et devons voir élaborer de solides normes et approches en matière de responsabilité sociale d'entreprise au niveau national, mais c'est à l'intérieur d'une économie mondiale que nous fonctionnons. En bout de ligne, il nous faudra une approche internationale efficace pour veiller à ce que les droits de la personne ne soient pas sacrifiés dans l'intérêt du commerce et de l'investissement.
Les efforts visant à élaborer des normes en matière de commerce international et de droits de la personne au sein du système de droits de la personne des Nations Unies déployés au cours des dernières années se sont à ce jour avérés improductifs. Cependant, les Nations Unies continuent de suivre ce dossier. Un représentant spécial de haut rang du secrétaire général des Nations Unies, John Ruggie, professeur à l'École de droit de Harvard, est en train de boucler trois années de travail dans ce domaine.
Le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies doit décider en juin du renouvellement de ce mandat. D'après ce que nous avons compris, le Canada est en faveur d'un tel renouvellement. La question est cependant de savoir ce que visera ce renouvellement.
Nous croyons qu'il est essentiel que le Canada fasse pression pour que ce poste soit assorti d'un nouveau mandat en vue de l'élaboration de normes mondiales en matière de commerce et de droits de la personne. De telles normes seraient, bien sûr, d'application universelle, englobant ainsi la Russie, l'Inde et la Chine.
Charles Burton, professeur associé, Département de sciences politiques, Université Brock, à titre personnel : C'est un honneur pour moi de pouvoir m'adresser ainsi à un comité parlementaire dans le cadre de notre démocratie canadienne. J'entends limiter mes commentaires à l'essor de la Chine dans l'économie mondiale et les répercussions de cela sur la politique canadienne, car, bien franchement, je n'ai pas suffisamment de connaissances pour me prononcer sur autre chose.
Il me faut dire qu'il s'agit d'un sujet très spécial du fait de l'importance pour la Chine elle-même de son propre essor. La place croissante de la Chine dans l'économie mondiale n'est qu'un aspect de ce que les décisionnaires chinois considèrent comme l'accession de la Chine aux divers leviers du pouvoir. Aussi, l'essor économique de la Chine s'intègre dans une stratégie globale visant à faire de celle-ci une grande puissance politique en matière de relations internationales et à promouvoir l'influence culturelle de la Chine dans le monde. Que ce soit au gouvernement ou dans la population en général, la plupart des Chinois considèrent donc que l'essor économique de la Chine sert un objectif plus grand sur les plans politique et culturel.
Il importe de comprendre comment le peuple chinois envisage la position de la Chine en matière de relations internationales dans le contexte de son histoire. En règle générale, les Chinois sont très conscients de la glorieuse histoire de leur pays et ils sont extrêmement fiers de leur histoire et de la grandeur de la civilisation et de la culture chinoises. Ils ont aussi un grand sens de l'histoire; pour eux, la Chine a eu un passé glorieux et florissant, suivi d'un déclin de son importance relative dans le monde au XIXe siècle et elle a maintenant une réelle occasion de se hisser parmi les grands du monde au XXIe siècle.
Quand Marco Polo a écrit ses fameux comptes rendus de ses voyages en Chine au XIIIe siècle, la Chine qu'il décrivait était supérieure à l'Occident sous presque tous les rapports. À cette époque, la Chine était un leader mondial sur le plan technologique — porcelaine, fines soieries et beaucoup de produits que l'Occident n'était pas en mesure de produire avec le même degré de perfectionnement — et dans les arts, la culture, la gouvernance et le commerce. Marco Polo a dit du port de Quanzhou, dans le Sud du Fujian, que son importance, comme centre de commerce international, dépassait même celle du grand port d'Alexandrie en Égypte. Le peuple chinois s'en souvient, car il a une longue histoire, et quelques centaines d'années, c'est bien court dans l'ordre des choses.
Cependant, au XIXe siècle, la Chine a pris du retard sur la montée remarquable des pays occidentaux en matière de commerce et de technologie. En 1840, la Chine a dû faire d'humiliantes concessions aux Britanniques, notamment avec la cession, comme colonie, de Hong Kong à la Grande-Bretagne, à l'issue de son affrontement avec celle-ci au sujet de la vente par la Grande-Bretagne d'opium en Chine, vente qui avait été interdite par le gouvernement chinois. La faiblesse de la Chine n'a pas tardé à susciter des convoitises et d'autres puissances impériales ont réussi à obtenir cession de territoire chinois.
La Chine était devenue « le grand malade de l'Asie ». Pour les Chinois, le fait que le Japon participe lui aussi à ce mouvement de pillage a porté un dur coup à la fierté nationale, notamment en 1932, lorsque le Japon a réussi à arracher la totalité de la Mandchourie dans le Nord de la Chine pour en faire un État fantoche.
La Chine et le Japon ont traditionnellement eu, du point de vue des Chinois, une relation de type grand frère, petit frère. Les Japonais se comportaient d'une manière qui contrariait la Chine.
Le nouveau régime de 1949 avait pour objet de rétablir la grandeur passée de la Chine. Le président Mao avait proclamé la République populaire de Chine en déclarant « Les Chinois se sont levés! ». Le nouveau et fort régime promettait une revanche sur les humiliations passées infligées à la Chine par les pays occidentaux et les Japonais, et le rétablissement de la grandeur passée de la Chine en faisant de celle-ci ce que les Chinois appelaient un pays moderne fort.
C'est cette psychologie qui informe la très vive réaction nationaliste aux critiques occidentales des récentes violations des droits de la personne commises par la Chine au Tibet et qui suscite énormément de détresse chez les Chinois lorsqu'ils constatent que le flambeau olympique ne se fait pas bien accueillir dans sa tournée mondiale — ou en tout cas pas par tout le monde.
Après 30 ans de croissance économique soutenue, la Chine occupe aujourd'hui une place importante dans l'économie mondiale et joue un très grand rôle dans la prospérité du Canada, bien sûr. Je suis heureux de voir que le comité sénatorial étudie les répercussions de l'essor de la Chine sur la politique canadienne. La montée de la Chine a de très importantes conséquences pour le Canada et pour l'ordre économique et politique mondial, et il importe donc de prendre la situation très au sérieux.
Je partage les inquiétudes de M. Neve quant au fait que le Comité permanent des affaires étrangères de la Chambre des communes n'ait pas pu faire inscrire au programme des travaux l'étude d'un important rapport sur la Chine qui lui a été soumis par un sous-comité.
Suivant une école de pensée populaire parmi les nationalistes chinois, la Chine va se retrouver dans une situation de prééminence au niveau mondial dans les années à venir. D'après les tenants de cette thèse, les États-Unis, qui s'épuisent dans des équipées militaires en Irak et en Afghanistan et ailleurs, et s'enlisent dans une dette étrangère débilitante, dont, comme nous le savons, une bonne partie est détenue par la Chine, sont une puissance en déclin. L'argument est que, les États-Unis allant s'affaiblissant, la Chine pourrait éventuellement les supplanter comme première superpuissance mondiale. Elle pourrait ainsi exploiter ce levier stratégique pour résoudre le problème avec Taïwan — amenant Taïwan à réintégrer la mère patrie, comme disent les Chinois. Dans cette vision nationaliste, en l'absence des États-Unis pour freiner l'ascension de la Chine, celle-ci retrouverait la place historique qui lui revient en tant que civilisation mondiale prééminente. Dans cette optique, l'hégémonie de près de 200 ans des pays anglophones sur les affaires mondiales prendrait fin et serait remplacée par une nouvelle ère chinoise, une nouvelle hégémonie chinoise.
Cette vision d'un avenir dominé par la Chine dépend de plusieurs facteurs qui ne se présenteront peut-être pas dans les années à venir, mais il est néanmoins important de ne pas minimiser les préoccupations que suscite l'essor continu de la Chine, celle-ci devenant plus assurée dans ses relations bilatérales et sa participation aux institutions internationales comme l'OMC et les Nations Unies, du fait qu'elle soit aujourd'hui beaucoup plus puissante qu'elle ne l'était il y a quelques années à peine.
Ces préoccupations tiennent à l'attitude de la Chine à l'égard de ses responsabilités en tant que « citoyen du monde » et des conventions en matière de relations internationales. D'aucuns ont en effet des réserves quant à l'interprétation que fait la Chine de ses obligations aux termes des pactes des Nations Unies sur les droits de la personne qu'elle a signés et la manière moins que satisfaisante dont elle joue son rôle au sein du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies. Certains estiment aussi que l'interprétation que fait la Chine des règles de l'OMC dans certains domaines, notamment quant aux attentes au niveau de la transparence et de l'ouverture, passe outre au consensus accepté à ce sujet. Par ailleurs, la Chine se traîne les pieds au sujet de sa part de responsabilité quant aux questions environnementales dans le monde.
Je continue de craindre que, à mesure qu'elle consolide son pouvoir dans le monde, la Chine ne tente d'infléchir l'interprétation des modalités des traités et pactes régissant les relations internationales dans le sens de ses propres intérêts plus que des intérêts de l'ensemble de la communauté internationale. La prospérité et la sécurité du Canada, de même que son aptitude à promouvoir la démocratie et les droits de la personne, pourraient aussi être compromises par l'essor d'une Chine qui n'internaliserait pas la notion de citoyen du monde et les valeurs qui y sont rattachées.
J'estime qu'il est important que le Canada accorde une attention et des ressources particulières à ses relations avec la Chine, un pays déjà important pour le Canada et qui le sera vraisemblablement de plus en plus dans les années à venir. Nous ne voulons pas d'une Chine puissante et non démocratique qui tenterait d'imposer des valeurs non démocratiques à l'ordre international dans le contexte d'une mondialisation croissante à laquelle le Canada serait de plus en plus intégré. En revanche, nous aurions tout à gagner, sur le plan de la prospérité mondiale, de la protection de l'environnement que nous partageons tous et de la promotion des droits de l'homme à l'échelle internationale, d'une Chine riche, puissante et démocratique.
En conclusion, je crois qu'il est important que le Canada interpelle la Chine, dans un contexte bilatéral et dans un contexte multilatéral, sur ses obligations internationales relativement aux pactes et traités des Nations Unies qu'elle s'est engagée à respecter et sur le respect des modalités de son accession à l'OMC. À cet égard, l'avènement de la démocratie en Chine est dans l'intérêt à la fois de la Chine et du Canada.
Le président : Permettez-moi de mettre à l'avant-scène ce dont les deux derniers intervenants ont traité. Quel rôle les valeurs, libertés, droits, et cetera devraient-ils jouer dans le cadre de notre relation économique avec la Chine? J'aimerais entendre l'avis de chacun de vous trois.
M. Neve : Notre perspective est que les valeurs en matière de droits de la personne, sur lesquelles nous insistons souvent lors de débats au sujet de la Chine ou du reste du monde, et l'applicabilité des droits de la personne, sont telles que ce qu'il faut c'est essayer d'appliquer les valeurs canadiennes ou les valeurs occidentales à d'autres pays. Lorsque nous nous intéressons aux droits de la personne, il est important de souligner que nous parlons de valeurs universelles qui remontent à la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies au sujet de laquelle il serait intéressant de souligner, aux fins de notre discussion ici aujourd'hui, que c'est le délégué chinois aux Nations Unies à l'époque qui a été l'un des principaux joueurs dans l'émergence d'une solide Déclaration universelle des droits de l'homme. C'est une très robuste voix chinoise qui a joué un rôle essentiel dans l'élaboration de ce document.
Voilà quelles sont les valeurs qui sont selon nous en jeu ici. D'un point de vue droits de la personne, il est essentiel, qu'il s'agisse de questions économiques, de sécurité ou de toute autre dimension de la politique gouvernementale, que les droits de la personne s'y trouvent au cœur. Les droits de la personne l'exigent et le méritent car, dans le monde des affaires, comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires, le risque que de mauvaises décisions aient une incidence désastreuse sur les droits de la personne est très réel. La chose est également dans l'intérêt du commerce.
Nombre des questions qui nous préoccupent relativement aux droits de la personne tournent autour de la question de la règle de droit. Il importe de pouvoir compter sur le système judiciaire pour protéger les droits et sur les tribunaux pour veiller à ce que les droits ne soient pas violés. Tout cela sert également les affaires, en veillant à ce que les contrats soient réalisables, à ce que les relations d'affaires soient respectées et à ce que tout cela s'appuie sur la règle de droit et la justice.
De notre point de vue, c'est une situation gagnante de part et d'autre. Les droits de l'homme exigent qu'en ce qui concerne nos relations d'affaires nous réservions une place centrale aux valeurs relatives aux droits de la personne. C'est cependant également la bonne chose à faire dans l'intérêt des affaires.
M. Burton : Je dirais, en guise de complément, que le Parti communiste chinois était autrefois le parti des travailleurs, des paysans et des soldats. Il défendait le peuple. Il est depuis devenu le parti du pouvoir et de l'argent.
Il n'est pas souhaitable que de grosses entreprises canadiennes intègrent des réseaux d'affaires communistes chinois corrompus. Il est important que les entreprises canadiennes à l'étranger se comportent d'une manière éthique et qui reflète nos valeurs canadiennes. Elles ne devraient pas pouvoir s'adonner à des activités qui seraient illégales chez nous.
Ces questions surviennent du fait de l'incompatibilité entre nos deux cultures d'affaires, celle de la Chine et celle du Canada. Les États-Unis ont peut-être été davantage proactifs en la matière que le Canada. De nombreux Canadiens se font beaucoup d'argent en Chine sans qu'il ne nous apparaisse clairement comment ils ont pu acquérir de telles richesses.
Le président : Monsieur Poloz, lorsque vous êtes en relation avec des entreprises qui ont besoin de vos services, imposez-vous quelque condition à cette relation? Nous avons parlé de la règle de droit. Nous avons parlé du droit du travail et des questions environnementales. Ces éléments font-ils partie de la négociation lorsque vous évaluez une occasion potentielle?
M. Poloz : Oui. Chez EDC, nous appliquons un jeu très exhaustif de principes de RSE, notamment en ce qui concerne l'environnement. Pour ce qui est de l'environnement, nous sommes reconnus comme étant un chef de file parmi les intermédiaires financiers internationaux, signataire des principes de l'Équateur et soumis à nos propres obligations juridiques en vertu de la directive en matière d'examen environnemental.
Pour ce qui est de tout l'aspect RSE, nous avons un solide volet en matière de diligence raisonnable, notamment en ce qui concerne les droits de la personne. Comme le confirmeront, j'en suis convaincu, mes collègues, il s'agit du volet le moins développé dans la documentation en matière de RSE. Nous prisons les droits de la personne et tenons à ce que, dans le contexte d'activités que nous facilitons en pays étrangers, le maximum soit fait pour veiller à ce qu'il n'y ait aucun risque de résultats néfastes en matière de droits de la personne du fait de ces activités. C'est pourquoi nous assumons une responsabilité de diligence raisonnable et de contrôle encore plus poussée dans les zones ou dans le cadre de projets où nous estimons qu'il y a un risque supérieur à la moyenne de problèmes en matière de respect des droits de la personne.
C'est ainsi que nous avons à l'heure actuelle une approche de type « meilleur de sa catégorie », mais nous convenons que cela est en évolution constante. Nous suivons par exemple les activités de M. Ruggie. Nous nous sommes entretenus avec lui et nous suivons ces dossiers et sollicitons l'avis de notre propre conseil consultatif en matière de RSE, qui est composé d'un certain nombre de Canadiens de renom, dans l'élaboration de nos politiques d'ensemble et de nos méthodes.
Le sénateur Stollery : Faisant suite à la question du sénateur Di Nino, j'ai entendu deux chiffres pour ce qui est du nombre de Chinois qui ont été sortis de la pauvreté ces dernières années du fait du boom économique. Le premier chiffre est de 200 millions de personnes, et l'autre est de 300 millions de personnes. Pourriez-vous me dire lequel des deux est le plus crédible?
M. Burton : Tout dépend de ce que vous entendez par « sorti de la pauvreté ». Un grand nombre de personnes en Chine, et il est difficile de les compter, mais disons qu'elles sont au nombre de 80 millions environ, ont toujours de la difficulté à trouver suffisamment de calories pour se remplir l'estomac et des vêtements pour garder leur corps au chaud. Il me semble que, selon les estimations passées, lorsque j'étais étudiant en Chine dans les années 1970, par exemple, il aurait plutôt été question de 300 millions d'âmes; c'était à l'époque où la population n'était que de 800 millions, par opposition au 1,4 milliard d'aujourd'hui. À l'époque, une part importante de la population avait toujours de la difficulté à trouver de quoi se nourrir, de quoi assurer sa sécurité et de quoi se procurer suffisamment de combustible et de vêtements. Ce nombre là a en fait sensiblement diminué. Tout dépend de la manière dont vous définissez la « pauvreté ». Le niveau de vie que connaissent, bien sûr, la plupart des gens en Chine serait de beaucoup inférieur aux normes acceptées ici au Canada.
Le sénateur Stollery : Je me suis moi aussi retrouvé en Chine dans les années 1970 et en Asie vers la fin des années 1950. Les gens vivaient à l'extérieur de l'économie monétaire. Il s'agit bien sûr là d'un tout autre sujet. Il est intéressant de constater à quel point ils ont réussi.
M. Burton : D'autre part, en ce qui concerne le régime, il est important de se rappeler que lorsque le Parti communiste chinois est arrivé au pouvoir, la population se chiffrait peut-être à environ 500 millions. Elle a presque triplé depuis. Les superficies disponibles pour l'agriculture sont demeurées les mêmes et les gens doivent continuer de se procurer suffisamment d'aliments pour vivre, ce qui laisse entendre que le régime a plutôt bien réussi ses projets d'irrigation et la révolution verte en vue d'améliorer la productivité de la terre. L'on peut reprocher beaucoup de choses au régime communiste chinois, mais celui-ci a néanmoins un certain nombre de réalisations remarquables à son actif et qui sont une inspiration pour le tiers monde, et c'en est une.
Le président : Sénateur Stollery, nous aurons l'occasion de nous entretenir avec d'autres qui sont plus au courant de cet aspect-là.
Le sénateur Downe : J'aimerais explorer plus avant la surveillance par EDC de son investissement dans certains de ces pays. En tant que société d'État indépendante, vous êtes néanmoins tenus, je présume, par l'orientation d'ensemble du gouvernement. Par exemple, en ce qui concerne la Birmanie, où la dictature militaire oppressante a causé d'énormes problèmes pour les citoyens, le gouvernement a adopté des lignes directrices et un cadre pour les opérations entre les Canadiens et l'entreprise. Pouvez-vous nous dire si EDC les suit fidèlement?
M. Poloz : Absolument, à la lettre. Nous fonctionnons de manière tout à fait conforme aux politiques gouvernementales. Nous sommes un bras du gouvernement du Canada à part entière et rendons compte au ministre Emerson par l'intermédiaire du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Toutes ces politiques s'appliquent à nous exactement comme elles s'appliqueraient ailleurs.
Le sénateur Downe : Votre conseil d'administration n'a pas à en discuter. Vous les adoptez automatiquement lorsque le gouvernement en fait l'annonce. Est-ce bien cela?
M. Poloz : C'est exact.
Le sénateur Downe : Monsieur Burton, j'ai apprécié le survol historique que vous nous avez livré dans le cadre de votre exposé. Quels signes voyez-vous, s'il y en a, que la Chine puisse devenir une démocratie dans un avenir rapproché? Y a-t-il quelque mouvement en ce sens?
M. Burton : J'ai une certaine expérience de la chose. J'ai par deux fois été envoyé travailler à l'ambassade du Canada à Beijing, le plus récemment pour y être responsable des programmes en matière de droits de la personne et de démocratie. Je ne vois aucune indication que le régime politique chinois soit en train d'évoluer vers un système libéral et démocratique dans un avenir proche. Je crois par ailleurs que dans les circonstances actuelles nous sommes témoins d'une situation davantage polarisée du fait que, avec la récente crise tibétaine, les droits de la personne et le nationalisme se soient heurtés.
Les Chinois ont des convictions très profondes à l'égard de ce qu'ils appellent leur continent sacré et réagissent de façon très émotive à toute suggestion que Taïwan ou que le Tibet se séparent de la Chine, et cela a amené les Chinois à réagir très négativement à l'ouest. Ils croient que les médias occidentaux tentent d'étouffer la montée de la Chine en vue du rétablissement de sa grandeur passée. En conséquence, une fois les Jeux olympiques terminés, comme l'a dit M. Neve, au lieu que la situation des droits de la personne en Chine ne soit meilleure, nous constaterons peut-être que nous aurons encore moins de poids auprès des autorités chinoises pour ce qui est de notre désir de voir la Chine adhérer davantage aux biens internationaux que sont la démocratie et les droits de la personne.
Je ne suis nullement optimiste en la matière, tant et aussi longtemps que l'actuel régime demeure au pouvoir. En temps normal, l'on se serait attendu à ce qu'avec le progrès technologique il y aurait eu davantage de démocratie ou à ce qu'avec la montée de la classe moyenne les gens auraient souhaité participer davantage au processus politique pour protéger leurs intérêts économiques. Or, nous constatons que la technologie — télévision et Internet — est en train d'être utilisée pour consolider ce nationalisme, ce nationalisme anti-Occident et anti-démocratie. La classe moyenne semble avoir été prise en otage par le Parti communiste chinois et, au lieu d'appuyer la démocratie, elle craint de perdre ses privilèges si la sous-classe devait arriver au pouvoir. Les choses ne sont pas en train d'évoluer comme nous autres politicologues nous l'étions imaginé. Cela m'ennuie profondément de devoir vous le dire.
Le sénateur Downe : J'apprécie votre opinion professionnelle. Je suis intéressé par le chiffre que vous avez mentionné : les 80 et quelque millions de personnes qui ont de la difficulté à trouver de quoi se nourrir. Nous entendons sans cesse parler d'émeutes et autres parmi cette catégorie d'habitants de la Chine, mais ceux-ci continuent de se faire opprimer par le gouvernement. Est-ce bien ce qui se passe?
M. Burton : Lorsque les gens sont confrontés à une pauvreté abjecte, ils sont enclins à se concentrer sur leur simple survie. Cependant, au fur et à mesure que leurs conditions de vie s'améliorent quelque peu, ils s'intéressent davantage à la justice. Ces situations que vous évoquez pourraient, en fait, être dues à une légère habilitation de la classe marginale. Ces personnes peuvent ainsi se concentrer sur les problèmes auxquels elles se trouvent confrontées et l'on commence alors à constater cette réaction du genre « nous sommes fâchés au plus haut point et nous n'accepterons plus ce qui nous arrive ».
Depuis longtemps maintenant, le régime promet que les avantages de la réforme leur reviendront. Or, maintenant que cette réforme s'opère en Chine depuis 30 ans, un nombre important de personnes estiment que la réforme ne vient pas pour elles et qu'elles vivent toujours des situations difficiles sans grand espoir de quelque changement que ce soit.
M. Neve : Je vais reprendre l'observation de M. Burton sur cette lueur d'habilitation que l'on constate parfois autour de ces situations, et dont je conviens. Nombre de ces cas de protestations, où les contestataires sont écrasés et où il y a eu des pertes de vie et des incarcérations, sont inquiétants d'un point de vue droits de la personne. L'on constate à l'intérieur de ces collectivités en Chine, et de manière plus générale, qu'il y a des militants et des avocats qui commencent à parler de ces questions et qui se tournent même vers l'appareil judiciaire pour essayer de faire avancer certains de ces dossiers. Ils essaient, de manière astucieuse, d'attirer non seulement l'attention internationale — il y a toujours eu ce réflexe de sensibiliser le monde au problème —, mais également l'attention nationale. Cela est encourageant, et ce n'est qu'un début. Ces personnes sont assiégées, braves et courageuses; elles forment un petit groupe de militants et d'avocats qui méritent, et j'insiste là-dessus, l'appui et l'attention de la communauté internationale, car si ce front tient bon, il nourrira beaucoup d'espoirs.
[Français]
Le sénateur Nolin : J'aimerais reprendre un des points soulevés par M. Neve , dont celui du respect de la règle de droit. Quelle évaluation faites-vous du respect de la règle de droit en Chine?
M. Poloz : Cela dépend du projet. On doit tenir compte du contexte socioéconomique ainsi que des traditions locales entourant le projet. Il faut analyser non seulement l'ensemble des conditions économiques du pays, mais également toutes les circonstances pouvant influencer le projet afin de voir comment elles pourraient affecter positivement ou non les droits de la personne et améliorer ou non les conditions de vie locales. S'il y a risque de répercussions négatives, le projet sera avorté ou reporté à plus tard, jusqu'à ce que les organisateurs y aient apporté les améliorations nécessaires.
[Traduction]
Le sénateur Nolin : Je comprends votre désir d'être très respectueux des intérêts canadiens là-bas, mais donnez-nous un peu plus de substance. Je vous demanderais d'être un petit peu plus précis.
Je comprends la théorie dans ce à quoi vous êtes confronté, mais quelle est la situation à l'heure actuelle? Qu'en est-il du respect de la règle de droit? Quelle en est votre interprétation? Supposons, par exemple, que je veux investir un milliard de dollars là-bas. Comment devrais-je traiter le contrat? Qu'en est-il des tribunaux? Qui est responsable des règles? Comment ces règles ont-elles changé? En serais-je informé si ces règles venaient à changer? Voilà les genres de préoccupations que pourraient avoir les investisseurs canadiens.
M. Poloz : Vous avez tout à fait raison.
Le sénateur Nolin : J'ai en tête l'expérience russe. Je suis certain que vous avez suivi la chose et que vous pourriez nous éclairer quant à l'expérience en Russie.
M. Poloz : Il n'y a absolument aucun doute que les exportateurs et investisseurs canadiens sont très préoccupés par les questions que vous soulevez. Le fait est, cependant, que les investisseurs canadiens se sont montrés disproportionnellement préoccupés par ces questions comparativement aux investisseurs d'autres pays. Le Canada a moins investi en Chine, proportionnellement à la taille de son économie et à l'envergure de sa relation commerciale que, par exemple, les investisseurs américains ou européens. Il n'y a aucun doute que les entreprises canadiennes sont davantage préoccupées par ces questions que les entreprises d'autres pays. Je ne peux pas vous en donner l'explication.
Nous avons constaté que la situation s'est continuellement améliorée au cours des huit ou dix dernières années en ce que ces hauts fonctionnaires ou autres qui interviennent, tout comme les gens d'affaires indépendants ordinaires, comprennent qu'il leur faut de l'investissement étranger pour pouvoir accroître leur économie comme ils l'entendent et qu'il ne leur sera pas possible d'obtenir tout ce qu'ils veulent si leur réputation en la matière est mauvaise.
Ce processus d'amélioration endogène, si je peux l'appeler ainsi, est aujourd'hui en train de s'opérer, je pense. Répond-il à nos normes? Non.
Le sénateur Nolin : Ce n'est pas ce que je demande. Je vous demande de répondre en votre qualité d'important représentant canadien, qui appuyez les entreprises et les intérêts canadiens dans ces trois pays que nous étudions. Bien sûr, vous avez un rôle à jouer sur le plan mise en garde et établissement des marqueurs à surveiller.
Aurais-je raison de résumer votre rôle comme étant en quelque sorte déchiré entre la réponse que vous livre votre travail de diligence raisonnable et la volonté de la quasi-totalité des gens d'affaires au Canada souhaitant faire affaires en Chine?
M. Poloz : Le contexte habituel en est un où une entreprise canadienne est en train d'envisager de faire un investissement dans un endroit comme la Russie, par exemple, et aborde EDC pour lui demander conseils, avis, contacts, et cetera. Nous avons des gens sur place dans le marché. Nous avons quelqu'un à Moscou qui consacre tout son temps à la Russie. Nous connaissons des gens dans le marché, alors nous nous rendons sur place avec les clients, discutons avec les gens et faisons notre travail de contrôle préalable. L'entreprise sera souvent à la recherche d'assurance risque politique pour son investissement. Il s'agit alors pour nous de déterminer si nous sommes en mesure de prendre en charge cette décision pour elle et de la protéger contre toute une gamme de risques politiques.
Il nous faut faire le travail difficile de déterminer si le risque est acceptable; nous exigeons de l'intéressé qu'il paye une prime pour la police d'assurance, puis nous la mettons en place. Il s'agit d'un programme réussi qui lève pour les gens les barrières à l'investissement, mais cela exige de notre part un important travail de vérification. Je ne peux pas faire de déclaration générale quant à ce qui est bon et ce qui ne l'est pas, mais lorsque nous prenons en mains un dossier, nous en faisons un examen attentif et en assumons la responsabilité.
M. Neve : J'aimerais simplement ajouter une note plutôt sombre au sujet de la règle de droit en Chine. Ce que je vais dire ne s'inscrit pas dans un contexte d'affaires, mais s'inscrit tout à fait dans une perspective proprement canadienne. Je veux parler de l'expérience de Huseyin Celil, un citoyen canadien d'origine ouïgoure, qui a été illégalement et brusquement renvoyé de l'Ouzbékistan en Chine en juin 2006. Il a alors été gardé au secret, son lieu de détention n'étant pas divulgué et son arrestation et son emprisonnement n'étant jamais reconnus par les autorités chinoises, pendant quatre ou cinq mois. Puis, sa présence en Chine a été reconnue par le gouvernement chinois et un processus judiciaire d'un genre ou d'un autre a été lancé, mais les détails de ce processus n'ont jamais été communiqués à sa famille; sa famille n'a jamais pu lui rendre visite, pas plus que les fonctionnaires consulaires canadiens.
Puis, au printemps 2007, il a appris qu'il avait été condamné à une peine d'incarcération à vie. Cela a été suivi d'un processus d'appel pro forma rapide qui a reconfirmé sa peine d'emprisonnement à vie. Tout au long du procès initial et de la procédure d'appel, l'avocat chinois courageux dont les services avaient été retenus par la famille afin qu'il tente de le représenter ne s'est vu accorder aucun accès à la procédure judiciaire et n'a même pas été autorisé à intervenir au nom de son client.
Nous venons tout récemment d'apprendre que l'on ignore où se trouve présentement Huseyin Celil, maintenant condamné à la prison à vie. La prison dans laquelle il avait été détenu a dit à sa famille en mars qu'il ne s'y trouve plus, et personne ne veut lui dire où il est présentement détenu. Voilà où en est en ce moment la règle de droit en Chine dans le cas de ce citoyen canadien. Il ne s'agit pas d'une affaire d'exécution de contrat, mais c'est un important rappel quant à la façon dont les choses peuvent se passer, même pour un citoyen canadien.
Le sénateur Nolin : Monsieur Poloz, lorsque vous évaluez le risque, pour lequel vous demandez une prime pour le couvrir, il doit y avoir une série de facteurs qui influencent ou qui aggravent la situation dans laquelle s'inscrit votre évaluation du risque. Lorsque vous entendez une histoire comme celle que l'on vient de nous raconter, je suis convaincu que cela a une incidence sur votre analyse : si pareille chose est possible, alors qu'en est-il des contrats? Ce sont les mêmes personnes, c'est la même mentalité. Si c'est dans leur intérêt de changer les règles, qu'en est-il de l'évaluation des risques? Êtes-vous influencé par cela?
M. Poloz : Bien sûr, il est très troublant d'entendre des histoires comme celle-là. Il me faudrait juxtaposer cela à notre expérience avec les entreprises que nous connaissons, avec les gens qui gèrent les entreprises que nous connaissons et avec lesquelles nous avons fait affaires par le passé et avec lesquelles nous n'avons eu aucun problème en matière de paiements ou de contrats. Cette expérience demeure, puis nous entendons parler de situations comme celle qu'on vient de nous décrire. Cela est troublant, mais est tout à fait distinct de la situation sur laquelle vous vous penchez.
Cela m'ennuie-t-il? Bien sûr. Cependant, lorsque nous faisons l'analyse de valeur et de rentabilité, lorsque nous examinons les risques réels qui sont intervenus dans le temps, je maintiens ce que j'ai dit précédemment, soit que sur le plan respect des contrats et fiabilité des relations d'affaires, les choses sont en amélioration constante d'après mon expérience en Chine — et dans le cas tout particulier de la Russie, les choses ont bougé encore plus vite.
Le sénateur Nolin : En Russie, il y a eu une amélioration de la qualité au cours des cinq ou six dernières années.
M. Poloz : Oui, il y a eu une amélioration.
Le sénateur Nolin : Vous êtes en train de dire que si nous pouvons éviter les tribunaux, alors ayons de bonnes relations d'affaires. Il n'y a rien qui soit à l'épreuve des balles, mais la relation avec de tels partenaires commerciaux chinois est bonne, et il nous faut donc espérer que tout se passera pour le mieux et qu'il n'y aura pas de problème.
M. Poloz : C'est exact. Au fond, la transaction commerciale ne se fait pas entre le Canada et la Chine. Elle se fait entre deux personnes. Vous apprenez à connaître la personne, et il y a certainement un élément de confiance — tout comme c'est le cas de n'importe quelle transaction au Canada.
Le président : Il vous faut certainement examiner la capacité de récupérer l'élément d'actif ou de récupérer votre investissement au moyen de la règle de droit. Cela doit bien jouer un rôle dans votre processus décisionnel, n'est-ce pas?
M. Poloz : Absolument. En cas de problème — par exemple quelqu'un en Chine qui ne paie pas une créance canadienne, et nous avons assuré cette créance —, nous verserions à l'exportateur canadien 90 p. 100 de la valeur du contrat. Nous chercherions alors réparation, en règle générale en combinant notre travail et les efforts d'un cabinet d'avocats local.
Le président : Vous vous assurez que les institutions sont bien là.
M. Poloz : En effet.
Le président : Afin d'être en mesure de le faire, vous déterminez vous-même dans quelle mesure la chose est possible. Est-ce bien cela?
M. Poloz : C'est exact. Souvent, l'individu qui a peut-être décidé qu'il ne lui faut pas payer cette petite entreprise canadienne ne savait pas que se tenait derrière cette petite société canadienne une grosse organisation de plusieurs milliards de dollars.
Le président : Vous.
M. Poloz : Oui, je trouve que cela est parfois très utile.
Le sénateur Corbin : Dans votre déclaration liminaire au comité, vous avez parlé d'un examen décennal. Vous avez dit des parlementaires des deux Chambres que ce sont des partenaires dans le travail que vous faites. D'après ce que vous en savez, quand cet examen sera-t-il terminé?
M. Poloz : Cet exercice vient tout juste de commencer. Il s'agit d'un réexamen décennal, le dernier examen ayant été fait en 1998. Ce travail vient tout juste d'être lancé.
Le ministre a chargé un expert-conseil externe d'examiner Exportation et développement Canada au cours des quelques mois à venir — printemps et été. Je pense que c'est à la mi-novembre que le ministre Emerson est censé déposer le rapport sur EDC.
Il y aura, pendant ce temps, des occasions pour le public de s'entretenir avec l'expert-conseil, d'exprimer ses vues, et cetera.
Le sénateur Corbin : Dans quel contexte et de quelle manière? S'agira-t-il de réunions ouvertes? Le public sera-t-il généralement invité à des réunions régionales? Comment cela va-t-il fonctionner?
M. Poloz : Les détails n'ont pas encore été finalisés. Le consultant va cependant tenir une série de réunions en tribune ouverte dans les différentes régions du pays et il sollicitera activement l'opinion des gens qui pourront, par le biais du site Web ou par d'autres moyens, fournir par écrit leurs opinions, le but étant de réunir le plus grand nombre d'idées au sujet, surtout, de ce dont les entreprises canadiennes auront vraisemblablement besoin au cours des cinq à dix prochaines années face à cette économie de plus en plus mondiale. La question de savoir si EDC pourra ou devra jouer un rôle est une question distincte. Cependant, il s'agira de cerner ces besoins et, dans ce contexte, il sera fait un examen du mandat et des règlements d'EDC afin de déterminer s'il y aurait lieu de les rajuster.
Le sénateur Corbin : Et à quel stade doit intervenir le Parlement?
M. Poloz : Après le dépôt du rapport. Le ministre va déposer le rapport à la mi-novembre, et ce sont ensuite les comités parlementaires qui s'en chargeront.
Le sénateur Corbin : Feront-ils alors leur travail, pour en faire ensuite rapport au Parlement?
M. Poloz : Il faudra sans doute compter encore une année environ à partir de maintenant avant que ce processus ne soit bouclé.
Le sénateur Corbin : Pourriez-vous me dire quelque chose au sujet de l'interaction entre votre organisation et les autres services gouvernementaux qui s'occupent de commerce et d'échanges en général?
M. Poloz : Nous sommes des partenaires très actifs aux côtés de nos collègues du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, le MAECI. En fait, les membres du service des délégués commerciaux détachés dans les ambassades passent leur journée entière à essayer de faire le lien entre les entreprises canadiennes et des acheteurs et des possibilités d'investissement. EDC travaille main dans la main avec ces délégués pour amener à la table le financement ou les produits d'assurance lorsque cela peut être utile. Il se fait à ce niveau une collaboration active.
Nous sommes également en collaboration active avec la Corporation commerciale du Canada et la Banque de développement du Canada, ou BDC, qui, bien sûr, est principalement une institution nationale — mais, encore une fois, dans le cas des petites entreprises, il peut y avoir de l'exportation, alors il y a là place à de la collaboration.
Nous collaborons également étroitement avec des gens d'Industrie Canada et du ministère des Finances. Le gros du travail de collaboration se fait cependant avec le MAECI.
Le sénateur Corbin : Sur le plan national ou régional, parlant du Canada, d'où proviennent la majorité de vos clients? Avez-vous une ventilation des personnes en provenance du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse ou de l'Île-du-Prince-Édouard, par exemple, qui font appel à vous? Je suis certain que vous avez des chiffres pour le Québec, l'Ontario, l'Alberta et la Colombie-Britannique.
À quoi ressemble la situation sur ce plan-là? Les personnes en zones périphériques sont-elles aussi bien informées, par exemple, que les gens qui fréquentent Bay Street, à Toronto?
M. Poloz : Oui. Comme je l'ai mentionné dans ma déclaration, près de 7 000 entreprises canadiennes ont fait appel aux services d'EDC en 2007. À mon avis, la distribution de ces sociétés à l'échelle du Canada se rapproche de très près de la distribution à travers le pays de l'activité économique. Il est certain que l'Ontario et le Québec occupent une place prépondérante, du fait de la prépondérance chez elles du secteur manufacturier. Cependant, je crois que l'an dernier c'est l'Ouest du Canada qui a pris la tête du peloton, du fait de l'énorme croissance qu'elle a connue au cours des deux ou trois dernières années. La région de l'Atlantique est très bien représentée. Il y a des entreprises partout au Canada.
Nous avons des bureaux régionaux d'un bout à l'autre du pays, ce afin de veiller à ce que ce soit le cas et à ce que les gens soient bien informés. Chaque province compte au moins un bureau doté de représentants d'EDC qui rendent visite aux entreprises pour y faire des rencontres face-à-face et discuter avec les gens de leurs plans d'affaires pour déterminer si EDC pourrait assumer certains des risques à leur place afin que ce soit plus facile pour eux de se lancer à l'échelle mondiale.
[Français]
Le sénateur Prud'homme : J'ai trouvé que mes collègues ont vu grand, lorsque j'ai vu le mandat de ce comité. Une étude sur l'émergence de la Chine, de l'Inde et de la Russie, c'est énorme comme mandat. On peut aller dans toutes les directions sans même commencer à effleurer le sujet. J'ai beaucoup d'admiration pour mes collègues qui ont cette patience. Je suis peut-être plus terre-à-terre parce que je suis le plus ancien — pas le plus vieux mais le plus ancien — et j'ai vu des évolutions.
J'ai créé l'Association Canada-Russie au moment où la Russie s'appelait l'Union soviétique. J'ai créé l'Association Canada-Chine au moment où Mao Tsé-Toung était au pouvoir. Je suis un peu mal à l'aise car j'ai vu une évolution que, peut-être, de nouveaux collègues ne voient pas.
Je vais m'inspirer de l'étude de M. Charles Burton. En quelques mots vous avez très bien saisi et résumé les choses. Pour ma part, l'émergence de la Chine ne me fait pas peur. Qu'est-ce qui me dit que ce sont les États-Unis d'Amérique, nos voisins et amis, qui devraient être l'exemple mondial? J'aime la compétition et c'est pour cela que j'aime bien cette émergence de la Russie et de la Chine — je mets clairement mes cartes sur la table — entre autres parce que j'aime l'équilibre mondial et qu'il est malsain qu'il n'y ait qu'une seule grande puissance, quelle qu'elle soit, même si elle est notre voisine et amie. Pour moi, c'est fondamental.
Très souvent, lorsqu'on parle de la Chine, on prend un ou deux exemples, il y a quelques exemples, mais on les passe trop souvent sous silence. Ayant dénoncé mon intérêt, qui est purement canadien, pas québécois, c'est un intérêt très précis pour la Chine et la Russie, je trouve qu'on devrait être plus souvent témoins des changements qui se produisent là-bas et voir l'influence que nous pourrions vraiment avoir.
Ce sera l'objet de ma question : ne croyez-vous pas que nous pourrions avoir une influence différente?
Par exemple, pour l'Association Canada-Russie, nous avons une diplomatie parlementaire très intense. J'appelle cela la diplomatie parlementaire, c'est un mot que j'ai appris de mon professeur, Julio Andreotti — imaginez, je remonte aux années 1970. C'est lui qui a inventé ce mot et il me l'a donné. La diplomatie parlementaire, maintenant, tout le monde en parle. C'est l'importance des relations parlementaires jointes aux connaissances du ministère des Affaires étrangères et de vous, les spécialistes, les professeurs, les défenseurs des droits de l'homme et de la personne; et c'est l'importance d'être les témoins de ce qui se passe. Jamais je n'ai vu autant d'activités entre les parlementaires de la Russie et du Canada.
Monsieur le président, le sénateur Di Nino est souvent appelé à aller rencontrer des collègues dans tous les domaines d'activité : militaire, économique, parlementaire; ils veulent savoir comment fonctionnent nos comités, et cetera. On voit donc qu'on peut avoir, non pas une influence verbale, mondiale et connue, mais discrète et efficace. C'est la même chose avec la Chine.
Malheureusement, les gens ne semblent pas connaître la sensibilité des Chinois — permettez-moi de vous le dire, en tant que « vieux » ici — qui reçoivent très mal les critiques publiques mais qui acceptent très bien de recevoir des messages, entre parlementaires, par exemple, entre les gens du Congrès populaire chinois et nos parlementaires. Beaucoup de problèmes peuvent être réglés à ce niveau.
J'aimerais connaître vos commentaires et savoir si je devrais rectifier mon tir en vieillissant — il ne me reste pas beaucoup d'années. Les Chinois sont plus sensibles aux critiques de l'extérieur, alors qu'ils sont prêts à des réformes; mais c'est énorme, la Chine. Imaginez si notre gouvernement avait à faire face au besoin de créer des villes de 10 millions d'habitants, tous les 10 ans, par dizaines. C'est un problème immense.
Je pense que souvent on monte en épingle un ou deux événements. Je ne suis pas un homme d'affaires ni un lobbyiste, je veux que ce soit bien clair. Je ne suis sur la liste de paye de personne! Je pense que la façon dont ou pourrait avoir de l'influence n'est peut-être pas celle par laquelle on procède. Peut-être qu'il nous faut les deux, celui qui donne le coup de marteau et celui qui met du baume sur la plaie.
Professeur, je dois vous dire que j'ai été enchanté de lire votre témoignage. Mon collègue me rappelait que nous envoyons des juges. Qui sait qu'en Chine, le système juridique est prêt à recevoir nos juges canadiens pour enseigner? Ce programme existe, j'imagine que vous êtes au courant, mais cela ne peut pas se faire dans l'espace d'une nuit. Le danger, c'est que, par nos critiques acerbes, on risque de mettre fin à ces programmes, à cause de la fierté qu'on peut voir chez le peuple chinois. C'est le dilemme face auquel je me trouve, professeur.
[Traduction]
M. Burton : Il est merveilleux d'entendre parler de votre expérience sur un si grand nombre d'années avec la Russie et la Chine. Je conviens avec vous que l'idée d'un engagement est une excellente idée.
Pour ce qui est du programme d'échanges parlementaires entre le Parlement du Canada et le Congrès national du peuple, ma crainte est qu'il y ait là perception d'une équivalence morale entre ces deux institutions. Le Parlement du Canada repose sur de solides principes démocratiques et s'acquitte de son rôle conformément à la Constitution canadienne.
Le Congrès national du peuple de la République populaire de Chine est une organisation qui, bien qu'elle soit décrite dans la Constitution chinoise comme étant l'organe suprême du pouvoir de l'État, ne se réunit en gros que deux semaines par an, en mars. Ses membres n'ont aucune responsabilité à l'égard d'un quelconque électorat. Ils ne sont pas élus dans le cadre d'élections libres et démocratiques.
Le sénateur Prud'homme : Cela ressemble au Sénat.
M. Burton : Je suis en vérité davantage un partisan du Sénat que d'aucuns pourraient le penser, mais cela déborde de mon domaine de compétence, du simple fait que j'aie rencontré un certain nombre de sénateurs. De toute manière, ce n'est pas vraiment la même chose.
Il est important de continuer de travailler avec ces personnes. Cependant, cela fait de nombreuses années que nous avons des programmes avec le Congrès national du peuple et nous nous étions beaucoup attendus à ce qu'il constate le fonctionnement de notre système politique et à ce que, une fois qu'il l'aurait compris, il se soit dit : « C'est un système formidable. Nous devrions essayer d'établir la même chose chez nous, dans notre pays ».
Cependant, sur le plan pratique, les années se succèdent et l'on ne constate pas grand démocratie en Chine.
Il semble que nombre de ces activités aient été conçues par les autorités communistes chinoises pour donner l'impression qu'elles prennent au sérieux nos préoccupations. Cependant, sur le plan pratique, elles ne sont guère prêtes à mettre en œuvre ce que nous pensons qu'elles devraient faire.
En ce qui concerne le programme des juges, j'aime bien ce programme. Dans notre pays, un juge jouit de beaucoup de prestige au sein de la collectivité. En Chine, les juges n'ont pas ce même statut. Ils tendent pour la plupart à être des subalternes et, en conséquence, la règle de droit n'est pas aussi importante en Chine pour ce qui est de qui vous êtes et de la façon dont vous pouvez vous défendre en recourant à des personnes qui exercent influence et pouvoir.
Si vous voulez faire affaires en Chine et que vous vous choisissez un partenaire qui a la capacité de remplir le contrat, alors c'est sans doute là une meilleure garantie que vous réaliserez un rendement sur votre investissement que si vous comptez sur le système judiciaire chinois pour vous livrer un jugement juste et impartial dans une affaire intéressant un Chinois et un étranger. Typiquement, l'étranger ne gagnera pas si une personne chinoise parvient à saisir un tribunal d'une affaire.
Je m'efforce depuis 30 ans d'obtenir de la Chine qu'elle s'engage. Je ressens — à l'occasion — un certain désespoir, mais je n'entends pas baisser les bras. Il me reste encore 20 années de vie active et je vais continuer d'essayer de faire avancer la cause du Canada en Chine, et peut-être qu'il en ressortira quelque chose de bon. Il nous faut être conscients du fait que le processus ne correspond pas toujours à la façon dont il est dépeint dans les invitations que nous font les Chinois.
M. Neve : Vous nous avez livré une éloquente esquisse de l'un des grands dilemmes de la diplomatie relativement aux droits de la personne, qu'il s'agisse de la Chine ou d'un quelconque autre pays. Je veux parler de la notion d'un engagement tranquille et constructif d'un côté et de critiques publiques — je pense que vous avez employé le terme « acerbes » — de l'autre.
Malheureusement, ce que nous entendons souvent, qu'il s'agisse de la Chine ou de quantité d'autres pays, est que c'est presque l'un ou l'autre. Ou tout se passe à huis clos ou tout se déroule en tribune publique, où les gens s'enflamment et le ton monte. Bien sûr, la réponse se situe quelque part entre les deux. L'équilibre entre les deux doit être bien calibré et il change tout le temps, parfois quotidiennement, qu'il s'agisse d'un pays en particulier ou d'un dossier particulier que vous poursuivez avec un pays.
Dans le cadre de notre relation avec la Chine, donc, nous avons voulu éviter que les choses ne basculent vers l'extrême. En 1997, nous avons décidé formellement que tout le travail se ferait par le biais d'avenues d'engagement calme et privé. Nous ne nous opposons pas à ces genres de processus. La communauté de défense des droits de la personne est un fervent défenseur de la notion d'engagement, tant et aussi longtemps qu'il s'agit d'un engagement sincère envers des objectifs concrets et appuyé par des stratégies efficaces pour y parvenir.
Le comité ne le sait peut-être pas, mais le professeur Burton a fait une superbe évaluation de l'approche canadienne au dialogue et à l'engagement avec la Chine. Cette évaluation fait ressortir les nombreuses et profondes failles du processus de dialogue, mais ce sont des failles qui pourront être corrigées à condition qu'il y ait, de part et d'autre, la volonté politique requise.
Même avec ces améliorations, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas un rôle pour la diplomatie en matière de droits de la personne qui soit davantage public à certains moments, car il est surtout question de maintenir le bon niveau de pression qui permettra, entre autres choses, de mieux garantir l'aboutissement de certains des processus privés. Il ne s'agit pas de monter sur une caisse nous servant de tribune et de haranguer la foule en criant des insultes au gouvernement chinois. Cependant, des commentaires publics réfléchis et bien sentis prononcés au bon moment, soulignant des inquiétudes au sujet de questions pressantes en matière de droits de la personne, doivent faire partie de cette stratégie d'ensemble.
Le président : Monsieur Poloz, aimeriez-vous faire quelques commentaires?
M. Poloz : J'aime ce que j'entends ici. Merci beaucoup, monsieur le président.
Le sénateur Mahovlich : Vous avez mentionné plus tôt que la Chine compte 1,5 milliard d'habitants. La croissance démographique est-elle maintenant sous contrôle?
M. Burton : Je pense que la politique chinoise de contrôle des naissances a réussi dans la mesure où elle a empêché une catastrophe démographique. La récente politique gouvernementale est en fait un assouplissement de celle qui l'a précédée et elle permet dans bien des cas aux parents d'avoir plus d'un enfant. La population de Shanghai, par exemple, était en déclin du fait de l'efficacité de cette politique. Il est maintenant possible d'avoir plus qu'un enfant unique.
L'une des caractéristiques d'un régime autoritaire est qu'il vous permet d'appliquer des politiques qui ne seraient pas possibles en régime démocratique.
Le sénateur Mahovlich : Je sais que les Canadiens sont nombreux à aller en Chine adopter des enfants chinois. Est-ce parce que les couples ont deux ou trois enfants et veulent en faire adopter un?
M. Burton : Vous constaterez que la plupart de ces charmants enfants chinois qui font le bonheur de couples canadiens qui n'ont pas pu eux-mêmes faire d'enfant sont des filles. Cela est dû au fait qu'avec cette politique de l'enfant unique, et parce que les garçons s'occupent des parents dans leurs vieux jours et qu'on marie les filles, il y a un sérieux problème d'abandon de filles. Les orphelinats comptent de nombreuses filles abandonnées. Ces fillettes apportent ainsi beaucoup de joie dans la vie de Canadiens. C'est une chose merveilleuse.
Le sénateur Mahovlich : J'aimerais discuter maintenant des manifestations qu'occasionne le Relais du flambeau olympique et de la question des droits de la personne. Je vois aussi qu'il va y avoir un problème en Chine relativement à l'environnement. Si nous ne parvenons pas à contrôler la Chine dans le contexte des droits de la personne, comment donc allons-nous jamais pouvoir la contrôler lorsque l'environnement sera devenu un gros problème?
M. Burton : À mon avis, si la Chine était un pays davantage démocratique, elle prendrait plus au sérieux les obligations internationales qui lui reviennent du fait de traités internationaux. Mon souci est que le gouvernement chinois ne sera peut-être pas aussi ouvert et transparent que le Canada dans ses rapports aux organisations responsables de traités internationaux, et qu'en conséquence l'on ne voie pas le même genre de respect de ces obligations nécessaires qui limitent la souveraineté d'un pays. Cela m'inquiète.
La situation environnementale chinoise est de plus en plus inquiétante. Au fur et à mesure de leur développement économique, les pays tendent à consommer davantage d'énergie, ce qui crée davantage de pollution. La Chine est en plein essor, et la pollution va augmentant.
Le sénateur Mahovlich : Je me suis rendu là-bas en 1988, et il y avait alors beaucoup de bicyclettes. J'entends dire qu'il n'y en a plus autant aujourd'hui.
M. Burton : Je suis d'accord. L'on ne voit pas autant de vélos, et, pour un cycliste comme moi, c'est un bien plus dangereux endroit où faire du vélo, du fait qu'il y ait moins de cyclistes circulant dans les rues.
Je suis allé à l'université en Chine, et la quasi-totalité de mes anciens camarades de classe sont aujourd'hui de récents propriétaires d'automobile, alors qu'ils étaient autrefois des cyclistes.
M. Neve : Pour ce qui est de toute la gamme de problèmes sociaux en Chine, les inquiétudes en ce qui concerne l'environnement et les droits de la personne ont tendance à s'entrecroiser du fait qu'en Chine les personnes — leur nombre est limité, mais il augmente sans cesse — qui cherchent à soulever certaines de ces questions, à déclencher le débat ou à davantage sensibiliser le public à certains de ces défis et problèmes environnementaux s'exposent à la répression. Encore une fois, les politiques du gouvernement canadien et d'autres doivent viser à protéger et à appuyer le travail de ces personnes — militants, leaders, avocats — qui s'efforcent de faire en sorte que ces questions pressantes soient comprises et examinées en Chine.
Le sénateur Mahovlich : Il me semble qu'ils ont là-bas un joli club et qu'il y sera difficile d'instaurer une démocratie.
M. Burton : Très bien dit. Je pense que M. Neve faisait état du fait que la loi chinoise ne permet à l'heure actuelle pas l'éclosion d'une société civile. La plupart des organisations non gouvernementales sont illégales.
Le citoyen militant préoccupé par l'environnement et désireux d'organiser des amis pour mieux sensibiliser la population chinoise au problème risquerait l'arrestation et l'emprisonnement du fait de ne pas avoir fait enregistrer l'organisation. Les critères d'enregistrement d'organisations non gouvernementales sont tels que le gros des organisations qui existent en Chine relèvent du Parti communiste chinois.
Le sénateur Mahovlich : Monsieur Poloz, il y a de cela plusieurs années, j'étais à Moscou. J'avais l'habitude de fréquenter un hôtel appartenant à des Canadiens et qui avait un chef canadien. Après mon retour à la maison, j'ai ramassé le journal un jour et j'y ai appris que quelqu'un avait mis les Canadiens dehors là-bas. Les Russes avaient repris l'affaire. Comment cela s'est-il terminé? Votre association ou une agence gouvernementale a-t-elle tiré toute l'affaire au clair? Je pense que les investisseurs étaient de la côte Est. Savez-vous de quel hôtel je parle?
M. Poloz : Oui, nous sommes tous au courant de cette affaire. Je ne connais pas tout le détail de son issue. Je pense que la chose a été réglée, mais je n'en ai pas le détail. Excusez-moi.
Le sénateur Johnson : Je serais curieuse de savoir ce que chacun d'entre vous pense de la volonté des Chinois de travailler avec nous autres Occidentaux sur les questions dont nous discutons, surtout l'aspect commercial de la vie. Au Canada, nous sommes prudents quant à notre activité commerciale ailleurs dans le monde. Il nous faudra donner un coup de gaz et débloquer les choses.
En matière de droits de la personne, dans bien des cas, nous autres dans cette partie du monde n'accordons pas crédit à l'histoire d'autres cultures et ne les comprenons pas suffisamment bien. Pour ce qui est de l'économie mondiale, ce que nous vivons est le siècle de l'Asie. C'est presque comme si la boucle se bouclait et que l'on revenait à Marco Polo.
Que disent-ils de leur côté? Pensez-vous qu'il existe la volonté dont je viens tout juste de parler? Nous ne pourrons pas réussir si les gens n'en veulent pas, et notamment si les Chinois ne travaillent pas avec nous. Du fait qu'ils aient tellement d'atouts à leur jeu, leur faut-il vraiment encore travailler avec nous? Cet aspect-là est-il un élément du problème?
M. Burton : Pour en revenir en partie à ce que disait le sénateur Prud'homme, les Chinois ne veulent pas se retrouver dans une situation dans laquelle ils pourraient être perçus comme prenant conseil auprès d'étrangers. Leur perception des droits de la personne est qu'il s'agit d'une chose qui a son origine en Occident et qui est en train de leur être imposée du fait de la force de l'Occident par rapport à une Chine plus faible. Il y a lieu de s'inquiéter de l'avenir.
La Chine a signé la Convention des Nations Unies relative aux droits économiques, sociaux et culturels en 1997 et l'a ratifiée en 1998. En 1998, elle a signé le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies, mais son Congrès populaire chinois ne l'a jusqu'ici pas encore ratifié. Il y a dix ans, j'étais encouragé à l'idée que la Chine pensait peut-être que le respect des droits de la personne était la bonne voie pour elle. Avec le passage du temps, je commence à me demander quand ce jour-là finira par venir.
Pour ce qui est de ces autres questions, la Chine agira en bout de ligne en fonction de ce qu'elle perçoit comme étant dans son intérêt national. Il semble de plus en plus, notamment avec ce problème entourant les Jeux olympiques, qu'elle nous considère davantage comme une force hostile à son égard. Cela pourrait l'amener à se replier davantage sur elle-même et à faire cavalier seul, si vous voulez. Ce serait là une mauvaise nouvelle pour la communauté internationale et la collaboration internationale. La Chine est un important joueur, et nous aimerions qu'elle se joigne au reste du monde dans le cadre d'une relation de collaboration et non pas de confrontation.
M. Neve : Je me ferais l'écho de certains des propos qu'a tenus tout à l'heure M. Burton, notamment en ce qui concerne le fait qu'avec l'actuel gouvernement chinois, les perspectives en matière de changements conséquents sont presque inexistantes. C'est un constat plutôt décourageant. Les Jeux olympiques sont un bon exemple du crédit que méritait la rhétorique de Beijing en 2000, lorsque les Jeux olympiques ont été accordés à la Chine, et selon laquelle ces Jeux allaient en fait être une bonne chose pour les droits de la personne. Chacun avait son avis là-dessus mais, huit ans plus tard, il est assez clair que ce n'était que des mots.
Cela étant dit, cependant, il y a quantité de — je pense avoir employé plus tôt le terme « lueurs » — lueurs d'espoir de-ci de-là à l'intérieur de la Chine. C'est là-dessus que doit se concentrer notre attention. Il est important de maintenir la pression, le dialogue, l'engagement, les échanges et tout le reste depuis l'extérieur de la Chine, mais c'est depuis l'intérieur même de la Chine — et cela vaut pour tout pays, mais c'est tout particulièrement le cas pour la Chine — que viendra le réel changement. Et je reviendrai ici sur certaines des choses que j'ai dites à différents moments au sujet de l'émergence précoce d'une communauté des droits de la personne à l'intérieur du pays, d'une communauté des droits de la personne indigène locale, abordant ces questions depuis une perspective chinoise, en utilisant des valeurs internationales universelles qui fonctionnent. Cela est très encourageant.
Il y a eu des signes de mouvement au sujet d'un certain nombre d'importants dossiers en matière de droits de la personne, comme par exemple la peine de mort. Il s'agit là d'un énorme problème en Chine. Nous commençons à relever des améliorations; l'an dernier, le gouvernement chinois a par exemple rétabli le réexamen des peines de mort par une cour supérieure. Il appert que le recours à la peine de mort est en train de diminuer en conséquence. Il est toujours supérieur à ce qu'il est dans le reste du monde réuni, mais il y a une certaine amélioration. Il est important qu'il y ait eu des pressions exercées depuis l'extérieur de la Chine faisant ressortir les préoccupations des gens au sujet de la peine de mort, mais ce qu'il y a vraiment eu d'intéressant est le débat entamé à l'intérieur même de la Chine au sujet de la peine de mort. Il est certain que c'est en cela que réside l'espoir et que c'est là qu'il nous faut chercher bon nombre de nos idées en matière de politique et d'aide et d'appui à assurer dans le cadre de ce développement intérieur.
M. Poloz : Cela ne vous étonnera pas d'apprendre que je suis très partisan de la puissance des rouages économiques. L'économie finit en règle générale par l'emporter sur la politique. Ce que j'ai constaté est que la volonté chez les gens d'affaires est en vérité plutôt vive. La nouvelle et jeune classe bureaucratique, qui est très instruite et qui a souvent reçu une éducation occidentale, entretient en Chine un vaste dialogue autorenforçant. Nous savons tous que la Chine est un important exportateur. La Chine est un énorme négociant, l'atelier du monde. Soixante-cinq pour cent des exportations de la Chine ne sont pas le fait d'entreprises chinoises mais de multinationales implantées en Chine.
Il se passe manifestement quelque chose de bien là-bas. Lorsque nous avons ainsi chacun besoin de l'autre, ce qui se passe est que nous avons un message direct quant à ce que nous représentons. C'est là le mécanisme de transmission.
Plus particulièrement, en ce qui concerne l'environnement, vous avez tout à fait raison quant à la provenance de la pression qui doit être exercée. Elle doit venir de l'intérieur. La sensibilisation à l'environnement en Chine est de loin en avance sur ce qu'était la nôtre à ce même stade de développement. Les Chinois n'aiment pas plus l'air et l'eau sales que n'importe qui d'autre. La sensibilisation au problème parmi les gens d'affaires est étonnamment élevée.
Il y a trois ans, EDC a pris l'initiative de faire traduire en mandarin le Manuel sur la prévention et la lutte contre la pollution — MPLP — de la Banque mondiale et l'a offert en cadeau, de la part du Canada, à un grand nombre de pays. Les gens se l'ont arraché. Ils n'avaient pas accès à ce genre d'information en matière de normes mondiales. Je pense que ce genre de chose fonctionne. Le verre n'est peut-être qu'à moitié plein, mais au moins il est à moitié plein sur ce plan-là, du côté des milieux d'affaires.
Le président : Il n'avait certainement pas été prévu que l'on se concentre principalement sur la Chine dans le cadre de cette réunion. Il y a dans le cas de l'Inde et de la Russie des questions semblables à celles sur lesquelles nous nous penchons en ce qui concerne le Chine, mais nous y reviendrons à un autre moment.
Mon sentiment personnel est que je suis sans doute un peu plus positif que nous avons semblé l'être dans le cadre de nos délibérations d'aujourd'hui. J'estime que les Chinois sont, fondamentalement, un peuple composé de gens bien, honnêtes et travailleurs.
J'aperçois des lumières éclatantes au loin, plutôt que de simples lueurs, monsieur Neve. Oui, les problèmes existent, mais n'oublions pas que nous avons nous aussi des problèmes.
M'adressant maintenant à M. Poloz, je conviens que la relation entre la Chine et le reste du monde, et en définitive entre l'Inde ou la Russie et le reste du monde, est très utile. L'ère que nous vivons est l'ère du cyberespace. La communication est vaste. Certes, les relations interpersonnelles peuvent également favoriser l'établissement de rapports qui amènent les gens à apprendre les uns auprès des autres. Cela est toujours utile.
Je ne voulais pas conclure la réunion sur une impression particulièrement négative. Il se passe un certain nombre de bonnes choses et j'envisage avec plaisir d'entendre de nombreux autres intervenants qui viendront comparaître devant nous pour nous éduquer et nous aider à faire avancer le dossier.
Je tiens à vous remercier tous les trois d'avoir fait précisément cela. Votre contribution a été précieuse. Nous vous en sommes reconnaissants et avons déjà hâte de vous revoir.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.