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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 8 - Témoignages du 29 avril 2008


OTTAWA, le mardi 29 avril 2008

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 17 h 33, pour étudier l'émergence de la Chine, de l'Inde et de la Russie dans l'économie mondiale et les répercussions sur les politiques canadiennes.

Le sénateur Consiglio Di Nino (président) occupe le fauteuil.

[Translation]

Le président : Bonjour à tous et bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Le comité se penche actuellement sur l'influence économique nouvelle de la Chine, de l'Inde et de la Russie, ainsi que sur les orientations que se donne le Canada à cet égard.

Nous entendrons aujourd'hui Piotr Dutkiewicz de l'Association d'affaires Canada Russie Eurasie, Peter Harder du Conseil commercial Canada-Chine, de même que Peter Sutherland du Conseil de commerce Canada-Inde. Au nom de tous mes collègues, je vous souhaite à tous la plus cordiale bienvenue.

Piotr Dutkiewicz, membre du conseil d'administration national, Association d'affaires Canada Russie Eurasie : Merci. C'est un plaisir et un honneur d'être avec vous ce soir, mesdames et messieurs. On m'a demandé de parler de la Russie, ce que je ferai avec plaisir. J'ai consacré à peu près 25 années de ma vie à étudier et à travailler avec les Russes.

La Russie est en plein essor. Depuis 2001, le PIB augmente. D'après la Banque mondiale, la croissance moyenne est de 7 ou 8 p. 100 environ. Selon les données de la Russie, c'est un peu plus — à peu près 10 p. 100 annuellement. La Russie a atteint cette année un niveau d'épargne de 500 milliards de dollars environ. C'est la réserve de devises étrangères à ce niveau, qui place la Russie en deuxième position derrière la Chine.

Comme vous le savez sans doute, la Russie possède le dernier plus grand gisement de gaz et extrait la plus grande quantité de pétrole au monde. Elle est le deuxième exportateur de pétrole en importance après l'Arabie saoudite. Le niveau de vie a constamment augmenté pendant le régime du président Vladimir Poutine. L'an dernier, les hausses de salaires ont été de 10 ou 12 p. 100 environ. Des travaux de construction sont effectués non seulement à Moscou, mais aussi ailleurs, et ce, même dans de nombreuses régions défavorisées. Autrement dit, la Russie est en plein essor.

Les sceptiques diront : « Attendez un peu. Ce n'est pas aussi rose qu'on le prétend parce que la Russie n'a pas encore atteint le niveau du PIB de 1989 ». On projette de l'atteindre en 2008. En outre, la Russie a encore de grandes zones de pauvreté. Environ 12 ou 13 p. 100 de la population vit sous le seuil de la pauvreté, touchant un revenu inférieur à 2 400 roubles par mois environ — à l'heure actuelle, 1 $ équivaut à 27 roubles.

Par ailleurs, l'infrastructure tombe en ruine. La Russie n'est pas en mesure d'accroître la production de pétrole et de gaz à cause du manque d'infrastructure. De nombreux problèmes sociaux sévissent également. Sur le plan économique, je dirais que la Russie est sur la bonne voie. Si on mettait en parallèle les points de vue des optimistes avec ceux des sceptiques, je me rangerais du côté des optimistes. Je me rallierais à la meilleure évaluation ou image que l'on voit de la Russie à l'heure actuelle.

De toute évidence, la nouvelle administration qui arrivera au Kremlin le 7 mai et qui sera dirigée par Dmitri Medvedev, le nouveau président russe, s'écartera assurément dans une certaine mesure des politiques précédentes du président Poutine. La marque de commerce du président Poutine était la stabilité. Après la crise des années 1990, l'une des plus grandes crises causées par l'homme de l'histoire économique mondiale, le PIB de la Russie a chuté de 45 p. 100 et le niveau de pauvreté a atteint 35 p. 100 environ. Après son arrivée au pouvoir, le président Poutine a tenté de centraliser la politique et de stabiliser l'économie. Il y est parvenu, et sa marque de commerce était la stabilité.

La nouvelle administration parle maintenant de modernisation. L'ennui, c'est comment y parvenir, qui doit s'en charger et à partir de quel type de ressources et de stratégies. Ce sont là les questions qui laissent perplexes presque tous les analystes qui essaient d'y trouver réponse. Ce sera certainement un type de pays différent sous la gouverne du président Medvedev — qui sera investi sous peu — que lorsque le président Poutine était au pouvoir.

Avant de parler de ce que cela signifie pour le Canada, je dirais que la Russie s'affirme davantage qu'avant. C'est certainement attribuable aux réalisations économiques mais aussi, comme le perçoivent les Russes, aux mesures unilatérales prises par d'autres grandes puissances. La Russie n'aime pas être derrière ce processus et souhaiterait avoir davantage voix au chapitre dans les tribunes internationales.

Le Canada, pour sa part, a traditionnellement entretenu de bonnes relations avec la Russie. Sur le plan politique, nos relations ont été excellentes. Sur le plan culturel, elles sont presque inexistantes et, sur le plan économique, elles sont plutôt modestes même s'il y a eu des améliorations visibles.

J'ai des statistiques récentes de 2007. Notre volume d'échanges était de 2,4 milliards de dollars, ce qui représente une nette amélioration comparativement à 2005; c'est 25 p. 100 de plus environ. Par ailleurs, les exportations de la Russie vers le marché canadien augmentent assez rondement. Elles se chiffrent à 1,3 milliard de dollars à peu près, ce qui correspond à une hausse de 10 p. 100 par rapport à l'année précédente.

Les Russes ont fait quelques grandes acquisitions. La plus importante est la mine de fer de 6,3 milliards de dollars. Pour ce qui est des Canadiens, l'acquisition dans le secteur des mines d'or est probablement la plus importante. Le plus grand investisseur en Russie est Kinross Gold Corporation, qui a déjà investi plus de 600 millions de dollars. C'est de loin l'investissement canadien le plus substantiel en Russie à l'heure actuelle.

Toutefois, il y a beaucoup d'autres occasions et possibilités. À mon avis, le Canada a tort dans une certaine mesure de ne pas s'affirmer autant qu'il le devrait. Je crois qu'il y a moyen de faire mieux dans les relations économiques entre le Canada et la Russie. À l'heure actuelle, l'AACRE est la seule organisation qui essaie d'améliorer activement et efficacement ces relations.

Je crois que le gouvernement pourrait accroître encore plus son intervention et sa coordination dans ce domaine — aussi bien verticales qu'horizontales. Il n'y a aucune coordination de la politique économique et aucune stratégie à l'égard de la Russie. Je terminerai sur cette remarque grave, et je répondrai à vos questions avec grand plaisir.

Peter Harder, membre du conseil d'administration, Conseil commercial Canada-Chine : Je félicite le comité d'entreprendre cette énorme tâche de déterminer le rôle du Canada dans ce qui est probablement le plus grand changement au niveau du pouvoir économique et politique mondial et le pouvoir politique depuis le début du XXe siècle.

Je parle au nom du Conseil commercial Canada-Chine (CCCC), une organisation sans but lucratif fondée en 1978 qui défend les intérêts de ses membres dans le but de faciliter le commerce et l'investissement entre le Canada et la Chine. En 30 ans, les échanges et les investissements entre le Canada et la Chine ont enregistré une croissance sans précédent et le CCCC a bénéficié d'un regard particulier sur les possibilités d'affaires et les défis des deux pays. L'organisation a établi en même temps des liens profonds avec tous les niveaux des secteurs privé et public en Chine.

Le Conseil offre à ses membres et, par leur entremise, au discours public, un point de vue exceptionnellement informé de la perspective chinoise sur les enjeux commerciaux sino-canadiens. Aucune autre organisation au Canada n'est en mesure d'offrir la profondeur et l'expérience directe du Conseil commercial Canada-Chine dans ce secteur, et aucune autre organisation ne dispose de la sagesse accumulée et de l'expérience des liens d'affaires sino-canadiens dont bénéficient le conseil d'administration du CCCC et ses membres.

Les membres de notre organisation sont des entreprises et, dans nos sections locales, des personnes actives dans le commerce et l'investissement entre la Chine et le Canada. Nous sommes environ 450 et nous comptons parmi nos membres un grand nombre de sociétés de renom du Canada et beaucoup de ses petites entreprises innovatrices.

Nos sections locales en Chine comprennent de nombreux jeunes entrepreneurs, canadiens et nés en Chine, qui représentent l'avenir des relations entre le Canada et la Chine. Au cours de mon récent séjour en Chine, j'ai été surpris de rencontrer de jeunes entrepreneurs canadiens qui ont préféré la Chine au Canada pour travailler parce que c'était un milieu plus dynamique, à leur avis.

Le Conseil a des bureaux à Toronto, à Vancouver, à Beijing et à Shanghai. Nos sections locales à Beijing et à Shanghai concentrent leurs efforts sur les questions d'affaires locales et les intérêts sociaux des membres de la section locale.

À l'heure actuelle, les membres du CCCC sont actifs dans les services financiers, la fabrication, la gestion environnementale, l'agroalimentaire, les services juridiques, la technologie de l'information et des communications, l'énergie, et cetera. Ils font des affaires partout au Canada et sur une grande étendue en Chine.

Le Conseil facilite sur une base journalière le commerce et l'investissement sino-canadiens en offrant des services de soutien directs à l'entreprise en Chine et au Canada. Il est un catalyseur du commerce et de l'investissement, offrant des liens à ses membres avec les chefs de file du secteur privé et du secteur public de la Chine et du Canada. Il favorise le commerce et l'investissement, éclairant le discours public sur les enjeux du commerce et de l'investissement entre les deux pays.

Nous travaillons avec des associations commerciales et d'investissement, des organismes et des entreprises pour organiser et gérer des missions commerciales en Chine. Par exemple, le Conseil a dirigé une mission dans l'Ouest de la Chine en avril 2008. En novembre, il y aura un événement important en Chine qui sera le point culminant des célébrations de notre 30e anniversaire.

Pour ce qui est des relations commerciales entre le Canada et la Chine, le commerce et l'investissement entre le Canada et la Chine augmentent. Notre chiffre d'exportations en Chine en 2007 était de 9,2 milliards de dollars et celui de nos importations, de 38,2 milliards de dollars. Mais il n'y a pas autant de commerce et d'investissement bilatéraux entre le Canada et la Chine qu'il devrait y en avoir. Cela représente à peine plus de 6 p. 100 du commerce total mondial de marchandises du Canada.

Le commerce entre le Canada et la Chine est modeste par rapport à nos relations d'affaires avec les États-Unis, par exemple. Le commerce canado-américain représente près de 80 p. 100 du commerce total de marchandises du Canada. Si le cours plus élevé des produits de base et la percée inflationniste ont accru la valeur totale des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis, le pourcentage de notre commerce vers les États-Unis est en décroissance. En 2002, le commerce entre le Canada et les États-Unis représentait plus de 87 p. 100 du commerce mondial total du Canada; en 2007, il était juste au-dessous de 80 p. 100. C'est presque un déclin de 10 p. 100, qui a été équilibré par une augmentation du commerce avec d'autres régions, notamment l'Asie et l'Union européenne.

Les Canadiens sont conscients du changement de la dynamique du commerce. Selon un sondage d'opinion national publié dernièrement par la Fondation Asie Pacifique du Canada, 36 p. 100 des Canadiens croient que la Chine offre le plus de potentiel d'élargissement du commerce et de l'investissement, par rapport à 26 p. 100 qui optent pour les États- Unis.

La nature des relations commerciales du Canada avec la Chine a également évolué. À l'origine, le commerce bilatéral était principalement dans les produits agricoles. Aujourd'hui, les membres du Conseil font des affaires en Chine dans les domaines de l'énergie, de l'éducation, de l'environnement, des technologies de l'information et, de façon substantielle, des services financiers. Le commerce canadien avec la Chine est un microcosme de l'évolution des grands modèles mondiaux du commerce.

En fait, du point de vue du Canada, 2007 a été une année caractéristique de l'évolution de la Chine comme un des acteurs de la scène économique internationale. La Chine a supplanté le Canada l'an dernier à titre de premier exportateur mondial vers les États-Unis. La Chine demeure le deuxième marché d'exportation du Canada, derrière les États-Unis, et est le troisième importateur du Canada derrière les États-Unis et le Royaume-Uni.

L'évolution des activités de nos membres en Chine se déroule dans un contexte où la Chine est en train de devenir le plus gros marché pour la technologie, les services aux entreprises et le consumérisme de la classe moyenne, en pleine explosion et à la recherche d'une « qualité de vie ».

Par exemple, une entreprise membre du Conseil qui avait commencé en Chine dans une coentreprise de publication de livres d'école a démarré une nouvelle entreprise en coopération avec le ministère de l'Éducation de la Chine afin d'offrir des leçons interactives d'anglais en ligne à des millions d'étudiants universitaires chinois, gratuitement pour les étudiants.

Les réussites du Conseil en Chine démontrent quotidiennement que les entreprises canadiennes, quelle que soit leur taille et quand leurs efforts ne sont pas entravés, peuvent livrer concurrence aux meilleurs au monde et s'imposer dans le marché chinois.

Le comité a entendu d'autres témoins parler de la transformation des marchés mondiaux et du rôle central que la Chine jouera dans l'économie mondiale. Comme Paul Evans de la Fondation Asie Pacifique vous l'a dit, et j'insiste là- dessus, les économies de la Chine et de l'Inde ne font pas seulement qu'entrer dans l'économie mondiale, elles la transforment.

Le Fonds monétaire international rapportait dernièrement que la Chine a contribué à elle seule à près de 27 p. 100 de la croissance mondiale en 2007. Les économistes nous disent que la Chine contribuera à 25 p. 100 du produit intérieur brut (PIB) mondial d'ici la fin de la prochaine décennie — ce qui veut dire demain en économie — et elle aura atteint alors la parité avec les États-Unis. Au milieu de la décennie suivante, la Chine surpassera les États-Unis à titre de plus important pays contributeur au PIB mondial.

Il est essentiel pour la prospérité des Canadiens que notre pays participe à cette transformation du pouvoir économique mondial. Les États-Unis domineront probablement encore longtemps le commerce canadien des marchandises. Mais comme le Conseil l'a indiqué dans son récent exposé à l'intention du Groupe d'étude sur les politiques en matière de concurrence du gouvernement fédéral, l'histoire nous enseigne que le souffle des vents commerciaux provoque parfois des changements de cap. Le Canada ne peut pas se reposer sur ses lauriers dans le confort de ses havres sûrs d'aujourd'hui. Les entreprises canadiennes doivent naviguer constamment sur des mers plus difficiles si nous voulons rendre les générations qui vont nous succéder prospères.

Dans l'exposé en question à l'intention du Groupe d'étude sur les politiques en matière de concurrence, nous avons présenté de façon relativement détaillée nos points de vue sur les changements qu'il faut apporter à la réglementation pour renforcer les liens d'investissement entre le Canada et la Chine. Je ne m'étendrai pas plus longuement sur le sujet ici sauf pour vous renvoyer à notre site web et, bien entendu, à celui du groupe d'étude. Les renseignements et une copie papier peuvent être fournis au comité s'il le souhaite.

J'aimerais aborder brièvement aujourd'hui la nécessité que nos leaders politiques de plus haut niveau travaillent avec la Chine pour assurer l'avenir des relations entre le Canada et la Chine.

Le reste du monde se bouscule à la porte de la Chine. Des dizaines de missions commerciales des pays qui nous livrent concurrence se croisent à tout moment en Chine et s'adressent à tous les niveaux pour garantir leur place à l'horizon commercial de la Chine. Le Canada doit y être aussi pour assurer la prospérité à ses générations futures. Nous devons être meilleurs que les autres pour approfondir et renforcer nos liens commerciaux et d'investissement avec la Chine. À cette fin, sur une base de nation à nation, le Canada doit faire ce que nos concurrents font. Le Canada doit travailler avec la Chine.

Ce n'est heureusement pas un concept nouveau pour les Canadiens. Le Conseil aide activement depuis 30 ans les Canadiens à travailler avec la Chine. Participant aux nombreuses missions fructueuses d'Équipe Canada — et je me rappelle avoir pris part à l'une d'elles avec vous, sénateur Mahovlich — et aux missions commerciales des premiers ministres, et organisant ses propres missions commerciales et sectorielles en Chine, le Conseil a aidé le Canada et les Canadiens à nouer des liens avec la Chine aux plus hauts niveaux. Les présidents et les premiers ministres de la Chine se sont joints à de nombreuses occasions aux premiers ministres canadiens à titre d'invités distingués du Conseil et, ce qui est aussi important, pour s'entretenir de façon plus personnelle avec leurs homologues avant et après les événements.

On ne peut exagérer l'importance de ces expressions publiques de soutien et de confiance. La participation des présidents et des premiers ministres de la Chine et des premiers ministres du Canada montre aux entreprises chinoises l'importance que leurs leaders politiques accordent à la relation entre le Canada et la Chine et le degré de soutien politique dont bénéficieront le commerce et l'investissement. Le message est clair et sans équivoque.

Le contraire peut malheureusement être aussi convaincant.

Nous appuyons fermement les efforts du ministre du Commerce international du Canada, David Emerson, qui s'est rendu plusieurs fois en Chine, en plus de participer à une conférence de politique du Conseil en janvier de cette année.

Nous croyons également, en nous appuyant sur de nombreuses années d'expérience, qu'il serait très profitable que le premier ministre du Canada participe au travail avec la Chine. On demande régulièrement au Conseil si le refroidissement des rapports politiques en ce moment entre Ottawa et Beijing nuit aux entreprises canadiennes. Jusqu'à très récemment, nous répondions « pas encore ». Mais ce n'est plus le cas. Des membres du Conseil nous ont dit perdre des contrats directement à cause du refroidissement des relations entre nos dirigeants politiques de plus haut niveau. Ce n'est pas peut-être, c'est certainement.

Nos membres font également état du coût des « occasions perdues ». Les leaders mondiaux du G8, y compris les États-Unis, l'Allemagne, la France et les autres nations européennes, rencontrent le président et le premier ministre de la Chine en face à face; les grands chefs politiques de l'Amérique du Sud, de l'Australie et de l'Afrique aussi. Les présidents et les premiers ministres du monde mènent la charge dans les efforts de nos concurrents pour consolider leur place dans le marché de la Chine. La participation de ces dirigeants politiques aux efforts de leurs pays est très importante. Les dirigeants de la Chine, sa communauté des affaires et ses citoyens voient l'importance de cet engagement. Il mène directement, comme nos membres peuvent le confirmer à la lumière des réussites canadiennes du passé, à la signature d'ententes et à la conclusion de marchés.

Il n'est peut-être pas encore possible de chiffrer en dollars les affaires et les occasions perdues, mais nous pouvons certainement dire qu'il y a un coût réel. La facture finira par arriver.

Il est également important de dire que les membres du CCCC et toutes les entreprises canadiennes ont besoin que les politiques et les approches du gouvernement du Canada envers la Chine soient claires et rassurantes. Nous ne pouvons pas créer une démarche stratégique pour faire des affaires en Chine sans en comprendre le contexte.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, le Canada a eu une position privilégiée avec la Chine. Tous les enfants chinois apprennent à l'école qui était le Dr Norman Bethune. Les dirigeants chinois n'ont pas oublié que, lorsque le reste du monde refusait de le faire, le Canada a vendu du blé à la Chine au cours de la famine en 1959 et en 1960. En 1970, le Canada a été le premier pays occidental à reconnaître la nouvelle République populaire de Chine. Ce sentiment de mystère et de nostalgie est un héritage précieux, mais l'avenir de nos rapports exige de faire preuve d'un réalisme bien ancré et de bien envisager nos intérêts.

L'empreinte du Canada en Chine n'est pas proportionnelle à sa pointure réelle. Le Canada bénéficie donc d'un avantage modeste dans les efforts mondiaux pour approfondir les rapports avec la Chine. On ne doit pas douter qu'il est dans les meilleurs intérêts de tout le monde d'approfondir les rapports avec la Chine.

Quoi que puissent en penser certains, la Chine sera la prochaine superpuissance économique du monde. Elle surpassera les États-Unis comme moteur principal de l'économie mondiale au cours des deux prochaines décennies. Personne ne conteste le pouvoir et l'influence de la Chine. Sur le plan historique, il est important d'aider à encourager la Chine à exercer son pouvoir et son influence de façons avantageuses.

On a oublié, dans la controverse actuelle entourant la Chine, que le gouvernement de la Chine a un dossier louable de comportement responsable sur la scène internationale. La participation de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, garantit qu'elle adhère aux valeurs commerciales, à la primauté du droit et aux normes internationales. La Chine a fait de nombreux sacrifices et a travaillé fort pour entrer à l'OMC, et ces efforts se sont avérés avantageux pour ses partenaires commerciaux, y compris le Canada.

La participation de la Chine à la sensibilisation des États non membres du G8 et au Conseil de sécurité des Nations Unies sont des engagements importants qui démontrent son désir de respecter la primauté du droit international et de participer à la communauté mondiale. Son rôle dans les pourparlers des six nations avec la Corée du Nord est un exemple des efforts de la Chine pour jouer un rôle responsable dans les affaires du monde.

La Chine comprend ce qu'est la stabilité mondiale, et elle la recherche. Elle comprend aussi l'importance de l'ouverture au monde. En se proposant comme hôte des Jeux olympiques d'été de 2008, la Chine a pris un grand engagement d'ouverture. Malgré les difficultés qui ont entouré le Relais du flambeau olympique et la réponse publique malheureuse de la Chine, nous ne devons pas oublier qu'ouvrir ses portes au monde pour les Jeux olympiques est un acte courageux pour une nation qui suit un cours accéléré de capitalisme avec toutes les douleurs et les difficultés que cela comporte. Les critiques de la Chine sont nombreux à oublier que les pays occidentaux ont eu des centaines d'années pour apprendre comment être des démocraties capitalistes. La Chine n'a eu qu'une génération. Elle a accompli beaucoup, et il lui reste beaucoup à faire.

Cela dit, le Canada et le reste du monde doivent insister pour que la Chine honore ses engagements internationaux, y compris ceux qu'elle a présentés dans le processus de candidature olympique, par exemple l'accès sans restriction des médias à tous les événements liés aux Jeux olympiques en Chine jusqu'à la cérémonie d'ouverture et durant les Jeux en tant que tels. Se cacher derrière la rhétorique et restreindre l'accès des médias au cours des manifestations au Tibet concernant le Relais du flambeau olympique n'ont pas bien servi la Chine.

Il serait prudent pour le Canada de voir plus loin que les Jeux olympiques et au-delà des difficultés actuelles avec la Chine. Le Canada serait sage d'envisager ses rapports avec la Chine sur un horizon à long terme et d'adopter une démarche patiente, nuancée et sensible pour travailler avec la Chine.

Nous devons éviter de permettre qu'un enjeu ou un événement définisse les rapports entre le Canada et la Chine. C'est un point que le CCCC a fait valoir dans sa comparution l'an dernier devant le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international à l'autre endroit. Voici ce qu'a dit le président du CCCC, Sergio Marchi, au sous-comité :

La politique étrangère du Canada est constituée d'essentiellement deux ingrédients : les valeurs et les intérêts. Il y a un lien intime entre les deux. Et il est important de comprendre comment les deux sont liés inextricablement. Au fil des ans, les premiers ministres du Canada, les ministres et leurs représentants n'ont pas hésité à discuter avec les dirigeants chinois de l'importance que les Canadiens accordent au respect des droits de la personne en Chine et ailleurs dans le monde. Dans les rencontres en face à face avec les dirigeants chinois de plus haut niveau, le Canada a aidé à influer sur la pensée chinoise relative aux droits de la personne et à une gamme d'autres enjeux, outre le commerce, qui sont importants pour les Canadiens.

On ne peut défendre ses intérêts et ses valeurs au détriment les uns des autres, ni faire des uns la condition préalable aux autres. Ce n'est pas une question d'alternative. Les déclarations publiques négatives et les préconditions seront simplement rejetées. Notre expérience nous a appris qu'on ne peut progresser sur les deux fronts qu'en faisant des efforts sur les deux fronts.

L'évolution réussie et pacifique ne signifiera pas que la Chine deviendra une autre démocratie politique de style occidental. Cela ne se produira pas dans un avenir prévisible.

La Chine trouvera plutôt sa propre voie, une voie qui est adaptée à la taille énorme de sa population et à la diversité de sa géographie. Le Programme des Nations Unies pour le développement nous apprend qu'au cours des trois décennies du CCCC en Chine, plus de 200 millions de personnes en Chine sont passées au-dessus du seuil de pauvreté de l'ONU. Ce nombre représente les deux tiers du nombre de personnes dans le monde entier qui sont passées au- dessus du seuil de la pauvreté depuis 1978. Si nous avons le moindre espoir d'atteindre les objectifs du millénaire, c'est grâce aux progrès réalisés par l'Inde et la Chine, et non pas à cause des progrès réalisés par d'autres pays.

Nous devons comprendre la priorité énoncée par la Chine de croissance économique et de distribution de ses bénéfices dans la stabilité. Elle se trouve au cœur même du plan économique et politique actuel de la Chine.

L'Occident devrait être encouragé, lui aussi, par le succès des internationalistes en Chine. La Chine n'est pas un monolithe. Les factions sont nombreuses à s'affronter à l'intérieur de sa structure politique, et les points de vue sur la place de la Chine dans le monde diffèrent. La promotion, en mars, de Xi Jinping et de Li Keqiang en particulier aux plus hauts échelons de l'équipe de gestion économique de la Chine démontre que les internationalistes dominent en Chine.

Les deux hommes se sont engagés à accroître la participation de la Chine à l'économie mondiale et aux systèmes politiques du globe, et ils se dirigent rapidement vers les positions politiques les plus élevées de la Chine.

Travailler avec la Chine n'est pas sans risques. Mais le risque est l'envers de la médaille. Nous ne pouvons pas éviter les risques en affaires, mais nous pouvons les gérer. C'est la même chose pour les relations internationales du Canada.

Dans le cas de la Chine, gérer les risques veut dire travailler avec la Chine et, pour y arriver, nous devons être pragmatiques, réalistes et lucides dans la promotion des intérêts du Canada.

Pour terminer, j'aimerais vous rappeler les paroles prononcées devant votre comité par l'un de nos membres, George Haynal, de Bombardier Inc. : « Participation ne signifie pas acceptation, mais possibilité de façonner des programmes et d'agir de façon constructive. »

Si nous ne renforçons pas nos rapports avec la Chine, le Canada ne pourra pas jouer de rôle dans l'intégration de la Chine aux institutions économiques et géopolitiques mondiales. Ce sera au détriment des intérêts canadiens et à l'encontre de nos valeurs historiques.

En même temps, nous devons être réalistes, et non nostalgiques, dans nos rapports avec la Chine. La valeur sentimentale peut être un élément puissant dans notre relation. Toutefois, ce que j'encourage fortement, c'est d'envisager davantage nos intérêts et de faire preuve de plus de réalisme.

Le président : Je vous remercie de votre exposé. C'était plus long que prévu. Monsieur Sutherland, je ne suis pas sûr de vous donner autant de temps, mais je serai un peu plus indulgent si vous dépassez la limite.

Peter Sutherland, vice-président du conseil, Conseil de commerce Canada-Inde : Merci de me donner l'occasion de prendre la parole devant vous aujourd'hui. Je suis ici pour parler au nom du Conseil de commerce Canada-Inde, dont je suis le vice-président. Toutefois, je vais commencer par une comparaison entre la situation actuelle et la situation à l'époque où j'étais haut-commissaire du Canada en Inde, entre 2000 et 2003. J'ai eu la chance de retourner en Inde quatre ans plus tard, pour la première fois après mon mandat, en novembre dernier. J'y suis allé de nouveau en février, et je compte y retourner plus régulièrement. Certains éléments m'ont frappé sur le plan de la relation bilatérale, et il serait intéressant de montrer comment la relation a évolué ces cinq ou six dernières années.

Premièrement, l'intérêt que suscite l'Inde au Canada a augmenté de façon considérable. Je me souviens qu'à l'époque où j'étais haut-commissaire, je venais au Canada une ou deux fois par année pour parler de l'Inde à divers groupes. C'était comme si je prêchais dans le désert : les gens étaient intéressés, mais pas trop emballés. Ils doutaient que l'Inde soit un pays prometteur pour les affaires ou les échanges commerciaux. Ce n'est plus le cas. Chaque jour, lorsqu'on ouvre le journal, on trouve au moins un ou deux articles sur l'Inde. L'Inde suscite un très grand intérêt partout au Canada — pas seulement dans le milieu des affaires, mais dans tous les secteurs de la société. C'est un gros changement par rapport à la situation que j'ai connue lorsque j'étais en Inde.

Deuxièmement, l'activité commerciale s'est considérablement accrue. Lorsque j'étais là-bas, nous avions fixé comme objectif d'essayer de doubler nos exportations vers l'Inde sur trois ans. Il a fallu un peu plus de temps pour y arriver; mais cinq ans plus tard, nous avons bel et bien doublé nos exportations. Toutefois, aussi impressionnante que puisse être cette statistique, les exportations sont toujours modestes. Notre commerce bilatéral avec l'Inde, c'est-à-dire les importations et les exportations, représente 0,5 p. 100 du commerce total du Canada. M. Harder vient juste de dire que, pour la Chine, c'est 6 p. 100, comparativement à 0,5 p. 100 pour l'Inde. C'est pratiquement négligeable. Par conséquent, même s'il y a une croissance, elle demeure très faible.

L'investissement canadien en Inde commence à prendre de l'ampleur. Ce qui est plus impressionnant encore, surtout ces 18 derniers mois, c'est l'investissement indien au Canada. Il y a quelques très gros investissements qui représentent, en tout, près de quatre ou cinq milliards de dollars. Hindalco Industries Limited a acheté Novelis, Essar a acheté Algoma Steel Inc., le Groupe Tata a acheté Teleglobe Inc. et le Groupe Birla a établi une deuxième usine de pâtes et papiers au Nouveau-Brunswick, en plus d'acheter un grand centre d'appels au Canada pour l'impartition des processus administratifs, l'IPA.

L'Inde a fait beaucoup d'investissements très médiatisés au Canada. Comme il s'agit d'une question délicate, je tiens à ajouter que ce sont toutes des entreprises indiennes privées, et non des entreprises d'État. Il s'agit d'entreprises privées qui investissent au Canada, créant ainsi des emplois pour les Canadiens.

Un autre gros changement, c'est le va-et-vient des personnes qui continue d'augmenter. L'immigration était importante lorsque j'étais à Delhi de 2000 à 2003. L'immigration a repris de plus belle; toutefois, à cela s'ajoute maintenant le va-et-vient d'un plus grand nombre de visiteurs commerciaux et même de touristes — ce qui était rare lorsque j'étais là-bas. Les visiteurs officiels sont beaucoup plus nombreux à se déplacer au niveau fédéral, provincial et même municipal. Voilà toutes de très bonnes nouvelles.

À n'en point douter, les choses s'activent. Cependant, en chiffres absolus, la présence du Canada en Inde et notre relation avec l'Inde sont toujours relativement faibles comparativement à ce que font nos partenaires. Par conséquent, il y a encore beaucoup de place à l'amélioration.

Pourquoi devrions-nous considérer l'Inde comme un endroit où concentrer les ressources et avec qui essayer de bâtir une relation? Il y a toutes sortes de raisons, mais je vais en mentionner quelques-unes.

Tout d'abord, l'Inde compte environ 1,1 milliard d'habitants. C'est le deuxième pays le plus peuplé au monde. On prévoit qu'elle devrait dépasser la Chine d'ici 2050 pour devenir le pays le plus peuplé au monde. C'est également la plus grande démocratie au monde. L'Inde a une démocratie très bourrue, mais vivante. C'est aussi un pays de grande diversité. En effet, l'Inde compte la troisième population musulmane en importance au monde, après l'Indonésie et le Pakistan. C'est bien maîtrisé, et les relations entre les diverses communautés sont relativement harmonieuses à cause de la vitalité de la démocratie. Par conséquent, c'est un modèle important que le Canada et d'autres pays devraient observer et encourager. Il se trouve également que l'Inde est la plus grande fédération opérationnelle au monde, dans laquelle les États ont compétence sur d'importantes questions constitutionnelles.

Sur le plan économique, la croissance du pays est rapide, comme on peut le lire dans les journaux. Ces trois dernières années, le taux de croissance moyen de l'économie indienne s'est chiffré à environ 9 p. 100. Cette année, on prévoit une baisse; le taux devrait se situer entre 8 et 8,5 p. 100, ce qui est tout de même important. C'est assez important pour que Goldman Sachs prévoie que d'ici 2050, l'Inde sera l'une des trois grandes économies mondiales — les deux autres étant les États-Unis et la Chine.

Pour ce qui est de la classe moyenne en Inde, certains disent qu'elle compte déjà 200 millions de personnes. Cependant, je crois que le McKinsey Global Institute fait une évaluation plus juste en définissant la classe moyenne comme une famille qui dispose d'un revenu de 5 000 à 30 000 $, en valeur courante ou nominale. Si l'on tient compte de ce que les économistes appellent la parité du pouvoir d'achat, c'est un revenu d'environ 30 000 à 125 000 $.

Si la classe moyenne se définit en ces termes, elle compte aujourd'hui environ 50 millions de personnes. Ce n'est pas énorme dans une population de 1,1 milliard d'habitants, mais si on la compare à celle du Canada, qui est de 33 millions de personnes, c'est déjà considérable. Plus important encore, le McKinsey Global Institute affirme que si le taux de croissance actuel se maintient, la classe moyenne passera de 50 à 558 millions de personnes d'ici 2025 — ce qui fera de l'Inde le cinquième marché de consommation en importance au monde. C'est un énorme potentiel qui se développera au cours des 20 prochaines années.

Songez alors aux investissements entrant et sortant qui découleront de cette croissance en Inde. L'essor économique de ce pays n'est pas seulement le fait des grandes familles, comme le Groupe Tata, dont nous entendons tous parler, le Groupe Birla ou les Ambanis. Les petites et moyennes entreprises indiennes commencent elles aussi à se tourner vers l'étranger pour chercher des partenaires commerciaux.

Les Indiens ne le font pas simplement pour accéder au marché américain; ils le font surtout parce qu'il leur manque quelque chose, une technologie, un article pour élargir leur gamme de produits ou un intrant; les raisons abondent. Ils devraient donc avoir le Canada dans la mire, mais ils l'oublient bien souvent parce que nous ne sommes pas aussi connus en Inde que nous le devrions — ou que nous mériterions de l'être, en fait.

Quand on voit l'influence de l'Inde en Asie du Sud, il ne fait aucun doute que ce pays y est déjà une puissance, probablement la plus grande dans cette région du monde, au demeurant instable. L'Inde compte parmi ses voisins l'Afghanistan, le Pakistan et tous les pays qui finissent en « stan » au Nord, puis le Bangladesh et le Sri Lanka. C'est une région où la situation est explosive, et l'Inde y a un rôle important à jouer.

Fait plus important encore, le pays devient très rapidement une puissance mondiale, qui ne tardera pas à siéger au Conseil de sécurité des Nations Unies. Il fait déjà partie du G20 et est très influent dans les négociations du cycle de Doha. Il s'agit donc d'un partenaire politique et économique incontournable pour le Canada. Pourquoi? Parce qu'il se préoccupe de questions que le Canada et les Canadiens considèrent extrêmement importantes, comme l'environnement. Si le réchauffement climatique nous inquiète, nous devons nous intéresser à la position de l'Inde dans ce dossier.

Le terrorisme fait partie de la dure réalité en Inde. Il touche non seulement le Cachemire, par exemple, mais également le Nord-Est et la région qui borde la frontière orientale, en raison des maoïstes qui fomentent constamment des troubles dans cette partie de l'Inde. Les Indiens ont appris à composer avec le terrorisme et devront continuer d'y faire face. Ils sont confrontés quotidiennement au terrorisme transfrontalier ou international, une préoccupation que le Canada et le reste du monde partagent.

Au chapitre de la prolifération des armes nucléaires, il ne fait aucun doute que l'Inde est une puissance nucléaire, que cela nous plaise ou pas. Nous devons donc collaborer avec ce pays pour empêcher la prolifération des technologies et des armes nucléaires dans des régions moins stables du monde.

Pour ce qui est des pandémies, pensez au SRAS et à la grippe aviaire. Ce sont des menaces sérieuses en Inde, compte tenu de sa population et de sa situation géographique, et cela préoccupe également le Canada. Par conséquent, nous devons renforcer nos relations avec l'Inde, parce que c'est un pays important, mais aussi parce que c'est un joueur de premier plan dans des domaines qui comptent pour nous — pas seulement du point de vue économique, mais également dans d'autres secteurs dont je vous ai parlé.

Pour terminer, je proposerai quelques mesures que le gouvernement pourrait prendre afin de renforcer cette relation, dont nous pourrons parler plus tard dans notre discussion. Je crois que, de façon générale, le rôle du gouvernement consiste à créer un environnement dans lequel la société civile — qu'il s'agisse du milieu des affaires, des organisations non gouvernementales ou des institutions — peut établir et étendre des réseaux en Inde. Il importe donc que le gouvernement du Canada entretienne des relations fructueuses dans toutes les sphères de la société.

Je crois qu'aucun premier ministre canadien ne s'est rendu en Inde depuis au moins deux ans. Étant donné l'importance des rapports entre les deux pays, nous devons corriger très rapidement cette situation. Les chefs de gouvernement ou les ministres ne devraient pas se contenter de faire des visites ponctuelles; il faudrait que ces initiatives soient institutionnalisées pour que les hautes instances gouvernementales puissent s'attaquer aux questions importantes pour nos deux pays — comme l'environnement, le terrorisme, les pandémies et les mouvements de population. Nous devons collaborer avec l'Inde dans ces dossiers à tous les échelons.

Le gouvernement peut, particulièrement au chapitre économique, créer des outils qui aideront des gens d'affaires des deux pays à travailler ensemble et à cultiver des relations; on peut donner, à titre d'exemple, l'Accord de coopération scientifique et technologique signé il y a quelques années. Quant à l'Accord de protection et de promotion de l'investissement étranger, ou APIE, signé mais pas encore ratifié — nous espérons qu'il le sera bientôt —, il permettra d'encourager les gens d'affaires de nos deux pays d'affaires à investir chez l'autre.

L'autre accord important qu'il faudrait revoir — pour l'actualiser un peu — est l'entente sur la double imposition, car il est crucial pour les entrepreneurs qui souhaitent faire affaire dans les deux pays. Il ne s'agit plus seulement d'échanges commerciaux; les gens d'affaires doivent investir dans l'autre pays pour y établir des relations et même étendre leurs activités à des tiers.

Je crois qu'il est temps d'envisager de conclure un accord de libre-échange avec l'Inde. Compte tenu de l'importance de cette économie à l'échelle mondiale — et des débouchés qui s'offrent au Canada —, c'est une possibilité que nous devrions envisager très sérieusement.

Le gouvernement peut également jouer un rôle dans ce que j'appelle l'impartition au secteur privé, qui consiste à recourir à ce secteur pour faire de la promotion, organiser des missions et peut-être même établir des bureaux commerciaux en Inde, au lieu d'utiliser les ressources du gouvernement à ces fins. Le secteur privé pourrait utiliser ces ressources comme catalyseur, les augmenter et, du même coup, renforcer ses propres liens dans les deux pays.

J'espère que je vous ai donné quelques raisons de vous intéresser à l'Inde et peut-être quelques idées à examiner.

Le sénateur Smith : Pour ce qui est de la Russie, j'ai posé une question semblable à d'autres représentants des pays du Bloc de l'Est. C'est fascinant de voir le temps qu'il faut pour changer les mentalités. Lorsque les deux Allemagnes se sont réunifiées et qu'un grand nombre de personnes ont quitté le Bloc soviétique, elles ont dû s'adapter au système de libre entreprise et à la stricte éthique professionnelle, laissant derrière elles le socialisme, les chèques mensuels, et tout le reste. Comment les Russes s'en sortent-ils? Faut-il une génération ou deux pour s'adapter?

On voit, dans les médias, tous ces millionnaires russes qui fréquentent les boîtes de nuit, sortant de limousines couverts de bijoux. Mais combien de temps faut-il pour s'adapter — pas à la culture occidentale, mais à la communauté internationale? C'est la question que doit se poser la population russe.

Pour ce qui est de la Chine, je suis certainement d'accord avec M. Harder lorsqu'il dit qu'il faut collaborer davantage avec ce pays. La Chine ne va pas se transformer en démocratie occidentale, je le comprends bien. Je m'y suis rendu à quelques reprises. J'y ai accompagné M. Chrétien lors de sa première visite, en 1994, mais mon premier voyage remonte à l'époque du président Mao.

Les Jeux olympiques peuvent, d'une certaine manière, servir de catalyseur ou nous permettre de voir comment les Chinois composent avec la communauté mondiale. Ils ont toute une série de tabous, que n'ont pas d'autres pays. On peut aborder tous les sujets en Inde — j'y ai voyagé souvent. En Chine, on ne peut tout simplement pas aborder certains sujets, comme la situation au Tibet, à Taïwan et au Darfour; c'est très difficile. Je crois qu'on a réalisé un certain progrès, car le navire qui se dirigeait vers l'Afrique du Sud a rebroussé chemin.

La rencontre avec le représentant du dalaï-lama constitue un bon pas en avant. Lorsqu'il est question de la Chine, il faut toujours penser à long terme et faire preuve de patience. Il ne s'agit pas d'une autre société démocratique occidentale; cependant, la tenue des Jeux olympiques peut provoquer des développements qui ne se seraient peut-être pas produits autrement. J'aimerais avoir votre point de vue.

Quant à l'Inde, elle n'a aucun de ces sujets tabous. C'est tout un contraste. Je m'intéresse aux problèmes que l'on connaît actuellement en matière d''immigration, qui touchent autant l'Inde que les autres pays. Certaines personnes, qui veulent immigrer au Canada, doivent attendre cinq ou six ans avant d'obtenir une entrevue.

Il y a 10 jours, j'ai participé au gala de la Fondation Canada-Inde, au cours duquel le premier ministre a pris la parole — Michael Ignatieff et Bob Rae étaient également présents. Il y avait dans l'assistance d'influents gens d'affaires de la communauté indienne, qui étaient nés et avaient grandi en Inde. On n'aurait pas vu pareille assemblée dans une activité organisée par le Canada et la Chine, même s'il y aurait eu 10 fois plus de monde.

L'Inde a maintenant surclassé la Chine. Nous devons donc multiplier les échanges avec les gens d'affaires dynamiques de ce pays.

M. Dutkiewicz : Sénateur Smith, j'aurais trois petites observations à formuler. Premièrement, il existe trois ou quatre « Russies », toutes très différentes les unes des autres. Il y a celle de la jeune génération et celle de la vieille génération, celle qui est instruite et celle qui l'est moins, celle des régions riches et celle des régions moins favorisées, et cetera. On peut regarder ce pays d'une multitude de façons et voir chaque fois une image différente. Tout dépend de l'aspect étudié et de l'angle adopté. La Russie n'est donc pas une entité monolithique. Elle doit aussi composer avec les diverses minorités nationales et religieuses.

Deuxièmement, les Russes apprennent à vitesse grand V l'aspect social des relations d'affaires.

Troisièmement, le milieu des affaires russe est l'un des plus dynamiques, des plus agressifs et des plus audacieux du monde, en plus d'être très bien informé. Les hommes d'affaires russes, qui sont beaucoup plus nombreux que les femmes dans ce domaine, ont maintenant le regard tourné vers le reste du monde. On trouve des entreprises russes en Asie, en Afrique et en Amérique latine. À l'époque de l'Union soviétique, les politiciens russes recouraient aux armes, alors qu'aujourd'hui, les hommes d'affaires attaquent à grands coups d'argent parce qu'ils ont les moyens de leurs ambitions. La Russie ne se contente plus de recevoir des investissements étrangers directs, elle investit également à l'étranger parce qu'elle dispose des réserves et des capacités nécessaires. Les hommes d'affaires russes qui investissent à l'étranger sont probablement ceux qui prennent le plus de risques au monde. Ils n'ont pas froid aux yeux.

Ils ont tellement bien appris à brasser des affaires qu'ils ont non seulement rattrapé le peloton, mais, à bien des égards, ils en ont pris la tête.

M. Harder : Sénateur Smith, ce que vous dites mérite qu'on s'y attarde. Les incidents qui ont jalonné le parcours de la flamme olympique auront au moins permis de mettre la Chine sous les feux de la rampe sur le plan des relations publiques internationales. Les autorités chinoises ont même dû faire des concessions la semaine dernière, ce qu'elles n'auraient jamais fait avant sans que quelque chose ne les y pousse.

Ce que j'essaie de dire, c'est que nous devrions au moins demander à la Chine de respecter les engagements d'ouverture qu'elle a pris lorsqu'on lui a accordé les Jeux olympiques. J'espère qu'à l'heure des bilans, nous pourrons dire que ces jeux auront été pour la Chine l'occasion de se révéler au monde, non seulement dans le domaine du sport, mais également en raison de son rayonnement culturel et de la place qu'elle occupe sur la scène internationale.

M. Sutherland : Il existe plusieurs moyens pour remédier à la question de la diaspora indienne au Canada, et il y a lieu de se demander pourquoi celle-ci n'a pas été plus proactive jusqu'à présent pour renforcer ces liens d'affaires. D'un point de vue historique, on peut comparer la situation à celle des États-Unis. Les premiers pionniers et immigrants indiens au Canada étaient des agriculteurs arrivés principalement du Panjab. Ils se sont donc surtout installés en Colombie-Britannique, où ils ont établi des terres agricoles et des scieries des plus florissantes. C'est un secteur qui leur a très bien réussi, mais leur ambition était davantage de faire des affaires au Canada.

Ce n'est qu'assez récemment que certains d'entre eux, aujourd'hui des gens d'affaires prospères, et d'autres professionnels et entrepreneurs immigrés depuis peu au Canada en provenance d'autres parties de l'Inde, ont commencé à envisager la possibilité de bâtir ce genre de relations.

Nous pouvons comparer la situation avec celle des États-Unis, dont les premiers investissements en Inde provenaient dans bien des cas de Silicon Valley. Nombre d'Indiens qui se sont installés aux États-Unis et qui y ont fait leurs études ont très bien réussi. Ils ont gagné beaucoup d'argent et ont décidé de faire quelque chose pour aider à bâtir l'Inde. Ils voulaient également mettre à profit les nombreux diplômés en TI issus d'établissements d'enseignement de renom en Inde. Ils ont commencé à investir là-bas. Certains sont aussi retournés s'y établir pour lancer leurs entreprises. D'autres secteurs du milieu des affaires indo-américain ont par la suite suivi la vague.

On commence à constater le même phénomène au Canada. Il y a deux semaines, la Canada Indian Foundation, une organisation fondée il y a un peu moins d'un an, a tenu une soirée de gala pour récompenser des entrepreneurs indo- canadiens qui ont su se démarquer du lot.

On pourra voir des entrepreneurs prospères ayant gardé des contacts en Inde décider de tirer parti de leur expérience pour nouer des relations d'affaires. C'est ce que l'avenir nous réserve. Pour des raisons historiques, le processus est plus long au Canada qu'il ne l'a été aux États-Unis.

Le sénateur Oliver : Monsieur Harder, vous n'avez pas vraiment utilisé le terme « droits de la personne »; vous avez plutôt parlé des droits de la personne par rapport au commerce. J'aimerais donc savoir si vous croyez qu'un État souverain devrait ou non rester fidèle à ses valeurs relativement à la primauté du droit et aux droits de la personne, et quel impact cela pourrait avoir sur des relations commerciales avec un pays comme la Chine.

En ce temps de crise alimentaire mondiale, la Chine demeure un important producteur de riz. Que pourraient faire les Canadiens pour tirer parti de la situation, tout en contribuant à apaiser la crise?

Quant à nos délégués commerciaux envoyés dans les pays auxquels on a fait référence, reçoivent-ils la formation nécessaire pour traiter avec un monde commercial international plus complexe, et quelles mesures le Canada pourrait-il prendre pour s'assurer qu'ils sont suffisamment qualifiés?

Est-ce que nos délégués commerciaux de race blanche comprennent bien le dossier de la diversité?

M. Harder : Ce sont là d'excellentes questions. Pour ce qui est des droits de la personne, je suis allé en Chine pour la première fois en 1980 et j'y suis probablement retourné une dizaine de fois depuis dans le cadre de différentes fonctions. Au fil de mes visites, j'ai pu discuter à maintes reprises avec des hauts dirigeants et des ministres chinois des questions de la transparence, de la saine gouvernance, de la primauté du droit, des droits de la personne et des autres questions se rattachant aux valeurs qui nous tiennent à cœur. Je peux vous confirmer que les pratiques de la Chine à cet égard ont évolué de façon considérable.

La dernière fois que je me suis rendu en Chine, c'était à titre de sous-ministre des Affaires étrangères et de coprésident du groupe de travail Canada-Chine. J'ai reçu un message me disant que le vice-ministre exécutif des Affaires étrangères voulait me rencontrer seul à seul au bar de mon hôtel. J'étais content de pouvoir le rencontrer, parce que c'est le principal intervenant politique. Je croyais qu'on aurait une conversation intéressante, mais je ne m'attendais pas à parler de démocratie. Aussitôt assis, il a déclaré « Je veux vous parler de la démocratie chinoise. » Nous avons discuté d'Alexis de Tocqueville et de ce que représente le régime parlementaire au Canada. Nous avons aussi discuté des défis que pose la gestion de la diversité en Chine, de l'évolution du pays, de même que des changements dynamiques qui se produisent et du besoin de stabilité. Nous avons parlé de la responsabilisation et des moyens pour obliger les représentants du secteur public à rendre des comptes. Nous avons parlé d'une réforme institutionnelle.

Ce fut une conversation extrêmement intéressante sur la primauté du droit et les droits de la personne. J'oserais dire que beaucoup de choses qu'a faites le Canada par le passé ont permis d'établir un dialogue avec des hauts placés chinois et les personnes avec lesquelles nous avons interagi. Je mentionnerai simplement le programme que le ministère de la Justice Canada a mis en place pour créer l'équivalent de l'aide juridique en Chine, afin que les citoyens chinois puissent avoir accès à la transparence accrue que procurent les instruments juridiques et la primauté du droit.

Je ne dis pas qu'il n'y a pas place à amélioration; je tiens seulement à indiquer que si l'on examine la situation au fil du temps, comme j'ai eu le privilège de le faire, on remarque que les choses ont évolué énormément. J'encourage les gens à faire preuve de patience et de stratégie, parce qu'il est tout à notre avantage que la Chine s'intègre efficacement aux institutions mondiales de l'économie et de la géopolitique, tout en se donnant la stabilité et l'intégrité voulues.

Je répondrai à votre question sur la production de riz. Je tiens à préciser que c'est la première année que le Canada ne conclut pas d'entente sur le blé avec la Chine. Nous pourrions commenter les raisons motivant cette décision, mais disons seulement que la Chine est devenue une puissance agricole mondiale du point de vue de la production alimentaire. Elle a atteint cette position grâce à des investissements dans la technologie et aux partenariats avec le secteur de l'agriculture que le Canada a contribué à établir. Toutefois, la Chine d'aujourd'hui, qui peut contribuer à répondre à la demande alimentaire mondiale, est bien différente de celle d'il y a 30 ans. C'est une voie qu'il faut encourager et il est important que la Chine participe aux programmes internationaux d'aide alimentaire.

J'aimerais parler un peu du rôle fascinant que jouent l'Afrique et la Chine sur le continent africain. Il y avait plus de dirigeants africains — présidents et premiers ministres — à Beijing pour le sommet annuel Afrique-Chine qu'il n'y en avait à Addis-Abeba dans le cadre de la conférence de l'Union africaine à l'intention des chefs de gouvernement. Je ne m'avancerai pas sur les raisons derrière tout ça, mais on peut se les imaginer.

J'étais en Afrique juste avant de quitter le ministère et j'ai eu une très intéressante conversation avec le chef d'État à propos du rôle de la Chine en Afrique. La personne à qui j'ai parlé m'a affirmé qu'une belle dynamique était en train de s'installer. C'est un peu inquiétant à mon avis; j'ai d'ailleurs dit aux représentants chinois qu'ils devaient faire attention de ne pas devenir les nouveaux colonisateurs de l'Afrique. Quoi qu'il en soit, la Chine est un joueur mondial et nous devons favoriser du mieux que nous pouvons les développements dont vous parlez.

En ce qui a trait au Service des délégués commerciaux du Canada, le principal changement conceptuel qui a été effectué — et M. Sutherland y a travaillé — englobe deux réalités. La première est que l'espace économique est plus important que l'espace politique. C'est donc dire que nous devons envisager notre espace économique dans une perspective plus globale. Il n'est pas question de commerce bilatéral, mais de chaînes d'approvisionnement mondiales et de la place qu'occupent nos entreprises sur le marché international. Trop souvent, nous perdons notre temps à discuter de l'importance du Canada et de l'Amérique du Nord et de la nécessité de consolider nos liens avec les États- Unis. Dans les faits, ce qui importe le plus, c'est la capacité de l'Amérique du Nord de s'intégrer aux chaînes d'approvisionnement mondiales de l'industrie. Où se situe le Canada par rapport à tout ça? Que faisons-nous pour optimiser ces liens sur la scène internationale?

Je noterai que les États-Unis et le Mexique ont conclu beaucoup plus d'accords de libre-échange que nous avec les partenaires dont il est question ici. Une réalité qui a grandement déçu ceux d'entre nous qui croyaient que l'ALENA constituerait une plateforme pour les régimes commerciaux nord-américains. Nous aurions préféré qu'on nous serve le fameux « bol de spaghetti ».

En ce qui concerne la diversité, vous en trouverez au sein du Service des délégués commerciaux du Canada. J'étais en Chine récemment et j'ai pu constater qu'il y avait une belle diversité de talents parmi les délégués commerciaux, qui comptent notamment des membres sino-canadiens. Je suis persuadé que Marie-Lucie Morin, la très compétente sous- ministre du Commerce international, serait heureuse de vous fournir des chiffres très précis et de vous expliquer de quelle façon la formation et le recrutement font partie intégrante du processus.

J'ai été délégué commercial plus tôt dans ma carrière et j'ai été très fier d'appartenir au Service des délégués commerciaux. Le Service possède toute une histoire et est respecté par des organisations semblables partout dans le monde et, surtout, par le milieu des affaires canadien.

La nature du travail a changé. À mes débuts, nous n'étions pas des vendeurs de brosses, mais presque : nous avions quelques tactiques que nous utilisions pour vendre les produits canadiens. De nos jours, les délégués commerciaux doivent mieux comprendre en quoi consistent l'économie et le commerce mondiaux. Plusieurs dimensions se sont ajoutées au travail de délégué commercial depuis mes premiers pas dans le domaine.

Il est important que les gens que l'on recrute au sein de ce service reçoivent de la formation à cet égard, et je crois que c'est d'ailleurs le cas, afin qu'ils soient en mesure de comprendre l'environnement mondial dans lequel ont cours les échanges commerciaux. Le commerce est un terme générique qui englobe entre autres les investissements, les partenariats et les ententes de coentreprise, et la façon dont tous ces éléments s'emboîtent pour établir une relation d'affaires, plutôt qu'une expertise sectorielle. Le travail de délégué commercial pour le Canada exige de nombreux déplacements, ce qui entraîne parfois une responsabilité sectorielle très différente. Dans tous les cas, on ne vous demande pas d'être un expert; les gens d'affaires sont les spécialistes. Votre travail est de cerner des occasions et de réunir des experts qui pourront faire des affaires ensemble. Pour être en mesure de le faire, il faut être ouvert sur le monde et bien connaître les possibilités offertes et la façon dont fonctionnent les choses dans le pays dans lequel vous travaillez. Vous utilisez ensuite ces connaissances pour mettre en contact des partenaires commerciaux.

Je suis d'accord avec ce que M. Harder a dit à propos de la diversité parmi les délégués commerciaux. Ils ont des origines et des bagages professionnels différents, des capacités linguistiques diverses, et cetera, et c'est très bien ainsi. Ils ne voient pas la couleur des gens avec qui ils traitent. Ils font appel aux personnes les plus qualifiées pour faire des affaires dans le pays où ils travaillent. De plus, nous avons recruté des délégués commerciaux locaux. Ces derniers peuvent offrir l'expertise continue et les connaissances locales sur lesquelles doivent s'appuyer les délégués commerciaux canadiens qui sont postés à l'étranger pendant deux ou trois ans. Ce sont des acteurs du marché même.

M. Dutkiewicz : Pendant un bon moment, j'ai insisté pour que la formation des délégués commerciaux soit assurée en Russie, pas seulement par des Russes au Canada, mais bien en Russie. J'estime que c'est une bonne façon de leur permettre de bien comprendre les particularités du marché russe.

Je suis certain qu'ils font du bon travail. Toutefois, je crois que l'Agence canadienne de développement international, par exemple, finance la venue de bon nombre de personnes de la Russie au Canada pour leur donner une formation sur le commerce, les règlements et ainsi de suite. Mais nous ne faisons pas l'inverse; nous pourrions utiliser les mêmes fonds pour envoyer nos représentants en Russie pour leur permettre de mieux comprendre le marché local.

Par exemple, une des particularités du marché russe réside dans la grande politisation des échanges commerciaux, auxquels on impose certaines restrictions. Les délégués aimeraient pouvoir faire des affaires comme ils le font habituellement dans d'autres pays; parfois sans l'aide directe d'Ottawa et du gouvernement canadien, ils se retrouvent impuissants devant les entreprises de Russie hautement politisées et gérées par l'État.

Le sénateur Dawson : Certains des points que je voulais aborder ont été soulevés par d'autres sénateurs. J'aurais toutefois un commentaire général à faire. D'abord, je vous encourage à suivre l'évolution du dossier, car nous aurons la lourde tâche d'établir des priorités dans le cadre de la production de notre rapport. Je crois qu'une des difficultés que pose la situation, c'est que ce sont toutes de belles occasions qui s'offrent à nous, mais nous devons décider comment nous allons attribuer les ressources politiques, et déterminer dans quels pays nous nous rendrons et avec qui nous y irons. Il nous faut faire des choix quant à la dotation des bureaux commerciaux.

Nous ne suivons pas toujours le marché. Nos échanges commerciaux avec la Chine évoluent tellement vite, les importations croissent en effet à une vitesse phénoménale, qu'il est difficile de maintenir le rythme pour soutenir nos opérations.

Le sénateur Johnson et moi-même traitons de la question des containers au sein du comité des transports. Chaque mois, nous retournons en Chine des milliers de containers vides, alors que nous pourrions y placer les grains que nous exportons maintenant. Nous ne réagissons toutefois pas assez rapidement. Transports Canada ne veut pas prendre acte de la croissance rapide du marché des containers. Même si Affaires étrangères et Commerce international reconnaît que la situation est problématique, on ne réagit pas assez vite pour profiter de l'occasion de remplir ces containers vides qui passent par les territoires céréaliers au Canada.

Nous devrons établir nos priorités relativement à ces trois pays, à ces trois marchés, alors pourquoi l'un d'eux devrait-il avoir préséance sur les autres? Je ne vous demande pas de me répondre maintenant. C'est une réalité que nous devrons prendre en compte dans la poursuite des efforts du comité pour établir ses priorités.

Voilà déjà quatre ans que nous sommes à toutes fins utiles en situation de gouvernement minoritaire et tout indique que cela va perdurer pendant quelques années encore. Nous sommes perpétuellement en campagne électorale, ce qui fait que nos ministres, nos premiers ministres et nos politiciens n'ont pas vraiment la possibilité d'acquiescer à vos demandes. Nous aimerions qu'il y ait davantage d'échanges au plus haut niveau, de gouvernement à gouvernement, entre nos politiciens et leurs homologues chinois, indiens et russes. Malheureusement, cela ne risque pas de faire partie de leurs priorités à court terme, car ce n'est pas en se rendant en Chine, en Russie ou en Inde qu'on arrive à se faire élire à Saint-Agapit.

Nous avons besoin de votre aide pour décider d'un ordre de priorités dans notre rapport. Il faudra nous dire lequel d'entre vous trois nous devrions choisir. Ce n'est pas à nous de faire ce choix, mais nous devons tout de même fixer des priorités. J'aimerais que vous nous indiquiez dans quelle mesure le gouvernement est apte à favoriser votre adaptation dans le contexte de cette croissance phénoménale du transport par container.

M. Harder : Permettez-moi de commencer, car c'est une question qui m'intéresse tout particulièrement.

Je ne pense pas qu'il soit déraisonnable de s'interroger quant aux priorités à fixer pour les trois pays que nous représentons ici, et on pourrait même ajouter le Brésil. C'est un exercice à faire au sein d'une fédération; si vous examinez les responsabilités constitutionnelles, quelle priorité devez-vous accorder aux relations internationales et au commerce extérieur? Je peux vous dire que nos services extérieurs à l'étranger sont moins bien nantis, compte tenu de la taille de notre pays, que ceux de tout membre comparable de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques, l'OCDE. Nous dépensons moins que la Nouvelle-Zélande pour la formation visant l'acquisition d'une troisième langue. Notre ministère des Affaires étrangères a un budget inférieur à celui de son équivalent aux Pays-Bas, une nation dont la population se situe à environ 60 p. 100 de la nôtre, mais qui a l'avantage d'appartenir à l'Union européenne.

Selon moi, le Sénat devrait s'intéresser d'abord et avant tout à la véritable priorité pour le Canada : nous devons nous donner les moyens d'agir de manière plus décisive sur la scène internationale. Il y a bien sûr tout lieu de s'interroger sur les activités à prioriser dans le contexte de cet objectif. Pour ma part, je dirais que nos institutions et nos structures organisationnelles sont trop nombreuses pour un pays de notre taille et de notre format. Nous devons privilégier une meilleure intégration d'un moins grand nombre d'instruments pour affirmer notre rôle à l'échelle internationale, plutôt que d'en déployer une quantité importante pour montrer que nous sommes un grand pays.

Il nous sera impossible d'y arriver sans la volonté politique et l'engagement de nos dirigeants. Les questions de politique publique prennent toute leur importance dans le contexte international, peut-être davantage que ne le traduisent nos efforts concrets en ce sens.

Nous ne faisons pas partie de l'Union européenne dont les différents pays membres ont la possibilité, tant grâce à leur proximité géographique qu'à l'expérience acquise, de s'appuyer les uns les autres. Il suffit de penser aux visites et aux missions de l'Union européenne. Les États-Unis, de par leur taille même, s'assurent une présence à l'échelle internationale. Le Canada n'adhère toutefois à aucune structure organisationnelle au sein de laquelle il pourrait exercer de l'influence; et le goulag, la structure des Nations Unies où le Canada se retrouve, ne convient pas vraiment non plus à notre situation. Nous sommes donc doublement défavorisés lorsqu'il s'agit de projeter notre présence dans le monde.

Vous êtes tout à fait justifié de vous interroger au sujet des priorités, mais je vous dirais qu'il faut poser la question à un niveau plus élevé, car le gouvernement fédéral doit avoir pour rôle de faire avancer les intérêts du Canada dans le monde. Nous ne faisons pas le nécessaire à cet égard; il nous faut prendre conscience des possibilités et des risques associés à notre présence sur la scène planétaire.

M. Dutkiewicz : Je ne sais pas si je vais pouvoir répondre avec autant d'ardeur que M. Harder.

Le président : Votre sagesse nous sera tout aussi précieuse.

M. Dutkiewicz : Sénateur Dawson, je crois que nous avons déjà tout ce dont nous avons besoin. Nous disposons des ressources humaines et financières requises. Ce n'est pas un problème de manque de ressources. Il s'agit plutôt de mieux les rationaliser, d'en faire un usage plus efficace et mieux intégré et de faire en sorte que les établissements en place collaborent plus étroitement, en étant reliés horizontalement et verticalement à la chaîne d'intervention stratégique. Il nous faut procéder à une telle rationalisation et faire tout simplement le nécessaire pour que le système fonctionne plus efficacement.

Par exemple, nous avons signé cinq protocoles d'entente avec la Russie au cours des deux dernières années. Ces protocoles n'ont débouché sur à peu près aucune action concrète. Ce n'est pas un problème de ressources. C'est un problème de volonté politique insuffisante pour faire avancer les dossiers. Par conséquent, ce n'est pas de priorités dont on a besoin mais plutôt d'autre chose, comme M. Harder vous l'a déjà indiqué.

Le président : Monsieur Sutherland, d'autres pistes à nous proposer?

M. Sutherland : Je conviens avec M. Harder que nous devons adopter une approche moins lourde et plus déterminée en reconnaissant l'importance des relations internationales, sans se limiter aux seules relations commerciales. Le Canada est à son mieux dans son rôle de pays de taille moyenne, et si nous souhaitons occuper une position significative, voire simplement maintenir celle que nous avons actuellement dans le monde, il nous faut établir des alliances et des partenariats avec d'autres pays comme l'Inde, la Russie et la Chine.

Il s'agit de reconnaître que les relations internationales constituent pour le gouvernement une priorité de premier plan à laquelle il faut allouer les ressources nécessaires pour atteindre nos objectifs politiques et économiques.

Voilà un certain moment déjà que je m'efforce de faire valoir l'importance de l'Asie dans nos relations internationales. C'est un continent auquel nous n'accordons pas suffisamment d'attention.

On peut comprendre facilement pourquoi l'Asie devrait être au rang de nos priorités dans nos relations étrangères : l'Inde et la Chine comptent à elles seules 37 p. 100 de la population du globe; on retrouve en Asie les économies les plus importantes et celles qui connaissent la croissance la plus rapide au monde; les points chauds de la planète — le détroit de Taïwan, la Corée, le Cachemire — sont aussi sur ce continent; et le terrorisme, les pandémies et le réchauffement climatique sont pour les Canadiens autant de questions importantes pour lesquelles on ne pourra trouver de solutions valables sans la contribution de l'Inde.

Une fois que cela aura été fait, nous pourrons nous demander comment répartir les ressources entre les différents pays. Nous devons toutefois d'abord franchir cette première étape en reconnaissant que, dans l'ordre actuel des choses, l'avenir du Canada, comme celle d'une grande partie du monde, doit passer par l'Asie.

Le Canada bénéficie de certains avantages. Du point de vue géographique, dans le contexte nord-américain, nous sommes plus rapprochés de l'Asie et notre importante communauté asiatique, laquelle représente actuellement 10 p. 100 de notre population et continue de croître, nous fournit une occasion magnifique de nouer des liens. Il semble bien que nous n'y soyons pas parvenus aussi bien que nous l'aurions dû. Nous n'avons pas su tirer parti de quelques-uns de ces atouts naturels, et il est grand temps de le faire.

Le sénateur Mahovlich : Les démocraties existent depuis 2 000 ans et bon nombre d'entre elles ont échoué. Lorsque la Chine pense démocratie, elle se tourne vers les États-Unis et se dit que le pays n'existe que depuis 400 ans; il faut lui donner du temps. Il faudra des siècles pour instaurer la démocratie en Chine.

Croyez-vous que nous devrions cesser d'essayer de changer la Chine pour tout simplement nous adapter à la situation actuelle?

Combien y a-t-il d'entreprises d'État au Canada? Est-ce qu'une société appartenant à l'État indien contrôle une entreprise au Canada?

J'ai visité l'Afrique et je sais que la Chine est présente là-bas; les Chinois y construisent des routes. Je suis allé un peu partout dans le monde et j'ai pu constater avec étonnement qu'ils étaient les meilleurs pour la construction des routes. Nous faisons du bon travail à ce chapitre; les Américains également. Cependant, j'ai vu en Afrique tout un contingent de Chinois dépêchés là-bas pour aider à réparer des routes qui étaient lourdement endommagées.

Les Romains étaient les plus grands constructeurs de routes. Leurs ouvrages sont encore utilisés aujourd'hui. Pourquoi les Italiens ne construisent-ils pas des routes en Afrique? Les femmes, là-bas, doivent parfois parcourir 20 milles pour aller remplir un seau d'eau. Voilà à quel point la situation est critique.

M. Harder : Cela me rappelle le président Mao; lorsqu'on lui a demandé ce qu'il pensait de la Révolution française, il a répondu qu'il était trop tôt pour le dire.

En ce qui concerne votre question sur la démocratie en Chine, je crois que nous faisons une analyse inexacte de la situation. À mon sens, c'est une question de primauté du droit, de transparence, d'obligation redditionnelle des fonctionnaires et des institutions publiques, et de satisfaction des besoins des citoyens. Cela n'a rien à voir avec la taille du Parlement ou le mode de scrutin. Toute l'évolution de la Chine repose sur une plus grande transparence de ses institutions et la prévisibilité de ses règles de droit.

Ce que j'essaie de dire, c'est que les Chinois ont une compréhension très approfondie de la démocratie, dont vous pouvez discuter avec eux. Mais ils disent tout simplement qu'ils veulent bâtir leur propre modèle de démocratie. Voilà ce qui ressort des discussions, et nous pouvons les aider de nombreuses façons dans leur quête.

Pour ce qui est des entreprises d'État, je n'ai pas le nombre précis. Toutefois, j'invite le comité à se pencher sur la question des fonds souverains, car je crois que nous passons à côté d'une nouvelle réalité dans l'économie mondiale, et c'est le rôle que joueront les fonds souverains dans l'avenir. Cela ne signifie pas que nous ne voulons pas de fonds souverains, car nous ne souhaitons pas nous priver d'investissements étrangers.

Un des principes à appliquer, à l'égard des entreprises d'État ou des fonds souverains — et je crois que nous avons un travail stratégique à faire — c'est d'essayer de calmer le jeu et de bien analyser la situation. En passant, nous avions aussi des entreprises d'État qui avaient des intérêts à l'étranger. Nous les appelions des sociétés d'État et nous disions qu'elles faisaient du bon travail sur les marchés internationaux. Petro-Canada International en est un exemple. La question n'est pas de savoir si c'est bon ou mauvais, mais de connaître les règles du jeu et de voir comment tirer profit de cette nouvelle donne.

M. Sutherland : La seule entreprise d'État que je connais en Inde est la State Bank of India, qui a ouvert une filiale au Canada. D'autres banques d'État envisagent de faire la même chose. L'objectif premier est d'offrir des services à l'importante communauté indo-canadienne de notre pays.

En ce qui a trait aux constructeurs de routes indiens à l'étranger, parmi les pays membres du Conseil de coopération du golfe au Moyen-Orient, Abu Dhabi, le reste des Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite ont énormément de travailleurs indiens. Ces derniers sont là pour des raisons strictement commerciales.

M. Harder pourra me corriger si j'ai tort, mais dans le cas de la Chine, certaines grandes entreprises de construction sont financées, du moins en partie, par des prêts concessionnels accordés par le gouvernement chinois. C'est différent en Inde où, actuellement, on ne bénéficie pas de ce type de plan d'aide.

Pour ce qui est des fonds d'investissement souverains, l'Inde a annoncé récemment qu'elle voulait aussi en créer un. Je suis d'accord avec M. Harder : ce n'est pas un phénomène passager. Il y aura davantage de fonds de ce genre; par conséquent, nous devons nous doter d'une politique en la matière. Si nous réagissons de manière impulsive et rejetons ces fonds, ils iront ailleurs, et nous en sortirons perdants.

M. Dutkiewicz : En Russie, plus de 75 p. 100 des entreprises appartiennent à des intérêts privés et environ 30 p. 100 à l'État, mais ces dernières font partie du secteur stratégique des mines, du pétrole et du gaz.

Le président : Au Canada, avons-nous ces deux modèles, ou seulement des entreprises privées?

M. Dutkiewicz : Je crois que les sociétés d'État sont un exemple d'organismes gouvernementaux.

Le sénateur Stollery : À ses débuts, la Commission canadienne du blé était une société d'État. Je me rappelle de l'entente conclue avec la Chine en 1959 ou 1960.

Il y a de nombreuses années, je suis allé en Chine, et comme je ne connaissais rien de ce pays, j'ai lu un livre de 2 000 pages sur son histoire, son système politique et sa culture. C'était très intéressant. Les nombreux auteurs disaient que l'idéologie politique de la Chine est fondée, depuis toujours, sur la recherche de l'ordre et que c'est le moteur de l'histoire de ce pays.

Monsieur Dutkiewicz, je m'intéresse aux relations entre la Russie, la Chine et l'Inde. La Russie, comme nous le savons, est un important pays d'Asie, comptant 11 fuseaux horaires. J'imagine qu'elle sera un fournisseur essentiel de gaz et de pétrole pour ces deux autres pays. Ils se sont industrialisés, bien sûr, mais avec les grands changements qui ont lieu, il me semble que la Russie joue un rôle central dans leur développement.

On nous a dit que la Chine avait acheté la société pétrolière du Kazakhstan et que le dossier de l'oléoduc était problématique. Si vous pouviez nous en parler, ce serait très utile.

J'adresse mon autre question à MM. Harder et Sutherland. Vos témoignages ont été fascinants et sont très importants pour ce pays.

J'ai été député de la circonscription dans laquelle se trouve le quartier chinois à Toronto durant la vague d'immigration des années 1970 et 1980. Actuellement, je crois que nous avons environ 1 million de Canadiens d'origine chinoise et bien sûr aussi beaucoup d'Indiens.

Lorsque je me rends dans cette partie du monde, je revois certains de mes anciens électeurs, qui réussissent très bien. Plusieurs sont retournés là-bas parce qu'ils aiment le dynamisme à Hong Kong, en Chine et à Taïwan. La communauté chinoise d'outre-mer, même celle de Singapour et de Hong Kong, a une énorme influence. Le développement du commerce et des échanges avec la Chine est effréné. Je me rappelle de cette effervescence, car j'étais député de Spadina, un secteur qui compte une importante communauté chinoise.

Il me semble que ce n'était pas aussi vrai, mais je peux me tromper, pour la communauté indienne. La communauté chinoise d'outre-mer a été plus dynamique que l'indienne en ce qui concerne le commerce, les investissements et les affaires. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus.

M. Dutkiewicz : C'est une question plutôt complexe. Je vais tenter de simplifier ma réponse.

Si vous regardez la carte des gazoducs et des oléoducs, vous serez probablement très surpris de constater qu'il n'y en a aucun qui va de la Russie à la Chine. En ce sens, la Russie est très tournée sur l'Europe, dont elle dépend. Manifestement, cela ne plaît pas beaucoup aux politiciens russes, et c'est pourquoi ils cherchent à développer une collaboration plus étroite avec la Chine dans le dossier de l'énergie. Ils aimeraient tout simplement approvisionner en pétrole non seulement l'Europe, mais aussi la Chine.

Les relations entre la Russie et la Chine sont très compliquées. Dans les années 1960, il y a eu des escarmouches à la frontière entre les deux pays, et selon certains témoins oculaires, des milliers de personnes y ont trouvé la mort. La Chine est le pays qui partage la plus longue frontière avec la Russie. Pour le président Poutine, il était très important de stabiliser les relations frontalières et de signer tous les traités relatifs aux frontières, afin qu'il n'y ait pas de zones potentielles de conflits aux limites du pays. Cela a été fait dans le cadre de l'Organisation de coopération de Shanghaï, qui a été conçue pour ce type de négociations avec la Chine sur les questions frontalières.

Depuis que les Russes ont pris cette mesure, l'organisation est devenue un organisme de sécurité et de collaboration politique et économique, qui comprend la Chine et la Russie, ainsi que le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan. Par conséquent, la Russie voit la Chine dans le contexte élargi de l'Asie centrale. Elle regarde la Chine dans la perspective des relations russes avec l'Asie centrale et, plus particulièrement, des pays riches en pétrole et en gaz comme le Kazakhstan.

On constate également une certaine ambivalence dans ces relations en ce sens que, pour beaucoup de Russes, la Chine n'est devenue un point de référence intéressant que très récemment. De nombreux Russes ont traité la Chine, au cours de l'ère socialiste et communiste, comme une sorte de parent pauvre qu'il fallait constamment surveiller et garder sous sa tutelle, en quelque sorte. Maintenant, ils se rendent compte que ce n'est plus le cas. À bien des égards, la Chine connaît un essor beaucoup plus rapide que la Russie, donc la coopération s'accroît. Il y a deux ans, la Russie a déclaré que c'était l'année de la Chine; l'idée était de reconnaître les forces de ce pays et de faire en sorte que les Russes pensent à l'Asie avant l'Europe.

Toutefois, malgré cette réorientation forcée, les Russes demeurent très méfiants à l'égard de la Chine, en raison des problèmes de migration. Officiellement, 500 000 Chinois habitent en Russie. Officieusement, on en dénombre quelques millions. Les Russes craignent que, progressivement, la Chine envahisse certaines parties de l'Extrême-Orient russe qui, pour diverses raisons, n'est pas bien développé. Les Chinois y investissent et y font preuve de dynamisme, d'où les préoccupations russes.

Les relations entre les deux pays sont positives, croissantes et de plus en plus étroites, mais une certaine méfiance demeure parce que de nombreux Russes s'interrogent sur les motivations de la Chine. Je crois qu'avec l'arrivée au pouvoir du nouveau président, les années à venir seront marquantes; ce sera probablement le point tournant. Le commerce et les investissements bilatéraux avec la Chine s'accroîtront alors, et on en reconnaît de plus en plus la nécessité.

M. Harder : Plus l'économie mondiale s'intégrera, plus nous verrons le phénomène que vous décrivez, c'est-à-dire que les gens mobiles possédant les compétences nécessaires se rendront dans les pays offrant le plus de débouchés pour y apporter leur expertise et leur esprit d'entrepreneuriat. C'est une différente conception de la citoyenneté. S'il s'avère que le pouvoir ou l'espace économique est plus grand que le politique, ceux qui se préoccupent davantage des intérêts économiques se déplaceront beaucoup plus, surtout l'élite; ce capital humain sera essentiel à la réussite des États.

M. Sutherland : Je vais m'en tenir à la question portant précisément sur la diaspora indienne. J'en ai parlé plus tôt en ce qui a trait au Canada. Toutefois, de façon plus générale, l'Inde s'intéresse grandement à la Chine, qui a réussi à attirer des investissements de ses ressortissants disséminés dans la région du Pacifique. Des sommes considérables sont investies en Chine depuis Taïwan, Singapour et ailleurs, en grande partie par des Chinois d'origine. Les Indiens, au cours des dernières années, ont évalué leur diaspora dans le monde à environ 20 à 24 millions de personnes. Elle est plus éparpillée que la chinoise en ce sens qu'elle ne se concentre pas dans la région du Pacifique. L'Inde organise maintenant diverses activités officielles pour encourager les Indiens à l'étranger, les non-résidents, les Indo-Canadiens ou les Indo-Américains, selon le cas, à contribuer non seulement à l'essor de leur nouvelle patrie, mais également à l'établissement de liens avec leur pays d'origine, l'Inde; elle s'efforce également de valoriser leur apport. Le pays tâche en outre de créer un environnement propice à l'investissement de ses ressortissants à l'étranger, puisque par le passé, le problème était qu'on ne savait pas à quoi servait l'argent. C'est maintenant plus facile, et la diaspora est sollicitée activement. Vous constaterez que les Indiens non résidents de partout sur la planète réinvestissent de plus en plus en Inde, ne serait-ce qu'en raison de l'économie florissante de ce pays. C'est un bon endroit où investir.

Le sénateur Corbin : Nous avons parlé du transfert au Canada d'argent, de fonds souverains et de certaines activités bancaires. Quelle est la relation entre les banques, les institutions financières et les Canadiens qui veulent faire des affaires dans ces trois pays? Quels sont les points forts et faibles? Y a-t-il place à l'amélioration? Donnez-moi un bref aperçu de la façon d'évaluer les risques associés au financement dans ces pays où l'environnement est tellement différent de celui de l'Amérique du Nord.

M. Harder : Brièvement, en ce qui a trait à la Chine, les banques prennent constamment des décisions en évaluant les risques politiques ou économiques liés à un investissement, comparativement aux risques associés à la non- participation à cet énorme marché en expansion. J'ai parlé de la croissance du secteur des services financiers dans ce pays et de ses institutions, qui, essentiellement, investissent à long terme dans la croissance et la stabilité futures de la Chine. Paradoxalement, les États-Unis financent le service de leur dette grâce aux capitaux provenant des économies émergeantes dont nous parlons, soit la Chine, l'Inde, dans une certaine mesure, et la Russie. Il est question d'investissements publics et privés, qui reposent sur des milliers d'évaluations des risques.

M. Sutherland : Pour les entreprises canadiennes qui veulent faire des affaires en Inde, le financement n'est pas un problème. Diverses banques indiennes sont disposées à prêter des fonds aux entrepreneurs qui présentent un bon plan d'affaires, et c'est de plus en plus le cas des banques canadiennes également. La Banque de Nouvelle-Écosse compte cinq succursales en Inde, et veut prendre de l'expansion. La Banque royale du Canada a ouvert un bureau dans ce pays, et d'autres institutions canadiennes envisagent de pénétrer aussi ce marché. Certains pourraient dire que c'est un peu tard, mais mieux vaut tard que jamais.

Le financement n'est donc pas un problème pour les entreprises canadiennes qui veulent mener des activités là-bas. J'en profite pour faire la promotion d'Exportation et Développement Canada, EDC, qui offre une assurance contre les risques politiques et commerciaux, de même que du financement. Cet organisme fait un excellent travail, qui profite énormément aux petites et moyennes entreprises, en particulier.

M. Dutkiewicz : La Banque de Nouvelle-Écosse a ouvert une nouvelle succursale le mois dernier, ce qui est un grand pas en avant. De nombreuses entreprises canadiennes retiendront probablement les services de cette banque dans le cadre de leurs opérations en Russie.

Pour le reste, EDC fait en effet du très bon travail. Je crois que le Canada devrait également s'inspirer de l'expérience de l'Allemagne. Dans une certaine mesure, les investissements allemands en Russie sont garantis par l'État.

Le sénateur Corbin : Est-ce que vous nous dites que l'obtention de capitaux n'est pas un problème?

M. Dutkiewicz : Pas du tout, il y en a trop.

Le sénateur Johnson : J'aimerais aborder un sujet qui n'a pas été soulevé, soit l'environnement.

Nous savons évidemment que les économies de ces trois pays sont en pleine croissance et représentent 25 p. 100 du PIB mondial. Maintenant, j'aimerais savoir comment elles comptent établir un équilibre entre leur développement et la protection de l'environnement, comme l'air et l'eau. En fait, les ressources en eau de ces pays risquent d'être le problème du siècle. Par ailleurs, la pénurie alimentaire est généralisée. Que pourriez-vous nous dire sur chacun de ces pays?

J'aimerais également parler des universités canadiennes et de la recherche, mais seulement s'il nous reste du temps après la question de l'environnement.

En outre, n'est-ce pas un domaine où les entreprises canadiennes pourraient jouer un rôle de premier plan?

M. Harder : L'idée derrière le plan quinquennal du Congrès national du peuple de la Chine était justement toute cette notion de croissance durable et de gouvernance en matière d'environnement. Évidemment que les Chinois réagissent à la dégradation de leur environnement causée par le développement économique. L'environnement est maintenant un facteur dont doivent tenir compte toutes les sociétés d'État et le gouvernement dans l'ensemble de leurs activités.

J'aimerais également souligner que l'un des domaines à connaître une croissance des plus rapides en Chine est celui des énergies renouvelables et de remplacement. En matière d'énergie solaire, deux pays se démarquent : l'Allemagne et la Chine. Ce sont les politiques publiques qui font bouger les choses. Je pourrais vous présenter un tableau montrant que depuis 10 ans, beaucoup des acteurs importants dans ce secteur sont chinois.

Dans cette industrie, l'innovation n'est peut-être pas chinoise, mais la production et la commercialisation de panneaux solaires — peut-être moins efficaces —, si. À mon avis, d'énormes débouchés s'offrent aux entreprises canadiennes dans le domaine des énergies renouvelables et des technologies connexes, comme celles de l'information et des communications, étant donné cette réorientation stratégique vers une croissance économique plus durable.

Le sénateur Johnson : C'est merveilleux.

M. Sutherland : En Inde, l'environnement est un enjeu important, qui préoccupe la population. L'une des priorités du gouvernement consiste à régler les problèmes d'hygiène et de santé, de même que de pollution. Celui-ci a annoncé dans son plus récent budget des investissements accrus à cet égard pour améliorer les conditions de vie de ceux qui habitent dans les zones rurales de l'Inde et représentent 67 p. 100 de la population. L'eau potable est l'une des principales préoccupations.

Le pays a également manifesté son inquiétude sur la scène internationale. Comme vous le savez probablement, au cours des négociations sur la deuxième phase de Kyoto, l'Inde était l'un des pays les plus réticents. Elle soutenait que dans les circonstances, les pays en développement ne devraient pas être forcés à prendre des engagements, alors que le problème a été créé par les pays développés. Il faudra donc tenir des pourparlers internationaux. Cette question fait également l'objet d'un débat au sein du pays, qui alloue maintenant davantage de ressources pour corriger la situation.

Quant aux entreprises canadiennes, il ne fait aucun doute que celles disposant de bonnes technologies pourront saisir de nombreux débouchés.

Le sénateur Johnson : Est-ce qu'elles le font?

M. Harder : Absolument.

Le sénateur Johnson : Peut-être qu'on pourrait nommer ces entreprises dans notre rapport.

M. Dutkiewicz : Vous touchez un point névralgique, parce que nous n'avons pas de ministère fédéral responsable de l'éducation ou des sciences. Par conséquent, il est extrêmement difficile pour le Canada de signer un accord harmonisé avec la Russie en matière d'éducation ou de recherche, par exemple.

Nous n'avons pas conclu avec ce pays d'entente sur la mobilité des étudiants et des chercheurs, comme c'est le cas avec l'Europe et dans le cadre de l'ALENA. Ce serait probablement merveilleux de pouvoir le faire avec la Russie, la Chine ou l'Inde.

Quant à votre première question, la débâcle économique des années 1990 et l'effondrement presque total des principales industries polluantes de la Russie ont rendu le pays encore plus écologique que prévu. Il l'est devenu par défaut, en quelque sorte.

Il investit aussi beaucoup dans l'énergie nucléaire. Ce qu'on appelle les centrales nucléaires portatives remportent un franc succès sur le marché russe. On fait la queue pour se les procurer en Chine, mais l'offre ne suffit pas à combler la demande.

Le sénateur Downe : Plutôt que de poser une question, je vais formuler une observation, étant donné le peu de temps qu'il me reste.

J'aimerais que le comité envisage de faire le suivi de certains des commentaires que nous avons entendus aujourd'hui. Je pense surtout au fait que le gouvernement canadien n'investit pas suffisamment dans les ambassades à l'étranger et les représentations commerciales, entre autres. J'en ai déjà parlé à ce comité. Aujourd'hui, on nous a dit que 80 p. 100 de nos échanges commerciaux se font avec les États-Unis; par le passé, nous avons appris que le Mexique dispose de plus de représentants aux États-Unis que nous. On nous dit que dans ces pays en développement, nous n'affectons pas suffisamment de délégués commerciaux, et qu'on pourrait aller en chercher dans des économies européennes matures pour les envoyer en Inde et en Chine.

Je crois qu'il s'agit d'une possibilité que le comité doit étudier plus en profondeur pour déterminer ce que les autres pays font, comprendre pourquoi nous n'en faisons pas davantage et savoir combien cela coûterait.

Le président : Merci beaucoup, nous en avons pris bonne note.

Malheureusement, M. Harder doit se rendre à une réunion, et nous avons promis de le libérer à temps.

Je tiens à vous remercier. De toute évidence, nous aurions pu continuer une heure de plus. Peut-être que la prochaine fois nous pourrons prendre plus de temps, quoiqu'il soit difficile de prévoir des séances de plus de deux heures. Je vous remercie d'avoir comparu.

La séance est levée.


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