Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule 10 - Témoignages du 11 juin 2008
OTTAWA, le mercredi 11 juin 2008
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 16 h 1, pour étudier les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères en général.
Le sénateur Consiglio Di Nino (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je suis soulagé que vous soyez aussi nombreux cet après-midi, étant donné tout ce qui se passe aujourd'hui sur la Colline. Nous recevons en effet des témoins très intéressants. Je vais commencer par vous souhaiter à tous la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.
En février 2007, notre comité a déposé son rapport sur l'Afrique, qui s'intitulait Surmonter 40 ans d'échec : Nouvelle feuille de route pour l'Afrique subsaharienne. Le comité y affirme avec insistance que le gouvernement du Canada devrait établir une politique globale et cohérente pour l'Afrique, qui ne serait pas simplement une politique d'aide, et chercher avant tout à créer des débouchés économiques et des emplois pour les Africains.
Aujourd'hui, nous avons le plaisir d'accueillir devant notre comité M. Robert Greenhill, président de l'Agence canadienne de développement international, qui va nous parler des mesures que l'ACDI a prises à la suite de ce rapport. M. Greenhill est accompagné de M. Allan Culham.
Avant de passer aux questions, j'aimerais vous inviter, l'un ou l'autre ou les deux, à faire une déclaration liminaire.
[Français]
Robert Greenhill, président, Agence canadienne de développement international : Monsieur le président, je vous remercie de l'invitation et de la chance que vous me donnez de venir vous parler aujourd'hui.
[Traduction]
Je vous remercie de me donner l'occasion de vous parler de nos activités les plus récentes en Afrique et de vous expliquer comment les programmes d'aide du Canada sont en train de s'adapter au nouveau contexte.
Pour commencer, permettez-moi de vous donner un bref aperçu de l'évolution de la situation en Afrique. On peut diviser en trois périodes distinctes les 40 années qui viennent de s'écouler : les années 1950 et 1960, qui ont été marquées par la décolonisation, l'espoir et la croissance; les années 1970 et 1980, pendant lesquelles le continent a connu un développement économique général, suivi d'une stagnation et d'une détérioration de la situation; et les années 1990 jusqu'à nos jours, où une nouvelle dynamique politique et économique s'installe en Afrique, surtout depuis 1995, date de la libération des pays de l'Europe de l'Est.
Aujourd'hui, l'Afrique a retrouvé une certaine croissance économique, une certaine démocratie et, malgré d'énormes difficultés qu'il ne faut pas sous-estimer, une nouvelle confiance dans son potentiel de progrès.
Permettez-moi de vous parler, pour commencer, de la gouvernance politique, dont votre rapport souligne l'importance pour l'Afrique. Il y a des progrès. Le nombre d'élections démocratiques, qu'elles soient présidentielles ou parlementaires, est en nette augmentation depuis le début des années 1990. En 1982, seulement 10 p. 100 des dirigeants étaient élus, et pendant toute la décennie, on n'a recensé que 28 élections démocratiques.
Dans les années 1990, le nombre d'élections est passé à 160, et le nombre d'élections présidentielles et législatives jugées libres et justes, selon les normes de l'Union interparlementaire, en représentait les deux tiers.
Au-delà de la question des élections, le Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique, le NEPAD, qui a été créé en 2001, a permis aux dirigeants africains de définir leurs visions et leurs priorités pour leurs pays. Ils ont notamment entrepris un processus d'évaluation, par les pairs, de la gouvernance sociale, économique et démocratique de leurs pays.
Le Canada a été le premier pays donateur à appuyer cette initiative novatrice, dont le but est d'accroître la responsabilité, la transparence et l'efficience grâce à la collaboration régionale. À l'heure actuelle, 28 pays ont signé le protocole d'entente pour cette évaluation, et cinq pays ont terminé le processus d'évaluation, qu'on appelle Mécanisme africain d'évaluation par les pairs.
Parallèlement, le nombre des conflits, qui sont dans un certain sens l'opposé de la bonne gouvernance et qui ont ravagé le continent pendant une bonne partie des années 1980 et du début des années 1990, a considérablement diminué, même s'ils sont encore trop fréquents. Le nombre de réfugiés a baissé d'environ 60 p. 100 depuis 1994.
La croissance économique est une autre question que vous mentionnez dans votre rapport. En Afrique subsaharienne, le produit intérieur brut, le PIB, per capita a atteint son niveau le plus bas dans les années 1990. Au milieu des années 1990, il s'est en fait retrouvé au même niveau que 20 ans auparavant. Depuis, le PIB per capita est en hausse, et ce, dans la majeure partie du continent.
Comme l'a indiqué récemment le président de la Banque mondiale, 17 pays africains, qui ne sont pas des producteurs de pétrole mais dont la population représente le tiers de la population totale de l'Afrique, ont enregistré un taux de croissance d'environ 5,5 p. 100 entre 1995 et 2005. Après la stagnation des années 1970 et 1980, un tel taux de croissance pendant 10 ans s'est traduit par une croissance économique réelle per capita.
De plus, les pays producteurs de pétrole, dont le plus important est le Nigeria et qui représentent un autre tiers de la population totale de l'Afrique, ont connu une croissance annuelle de plus de 7 p. 100 pendant dix ans. Pour le troisième tiers de la population africaine, le taux de croissance a été de 4 p. 100 ou moins pendant la même décennie. En résumé, les deux tiers de la population africaine vivent dans des pays qui ont connu un taux de croissance supérieur à 5 p. 100 pendant 10 ans.
Sur le plan social, le taux de mortalité des nouveau-nés et des enfants de moins de cinq ans est en diminution depuis 1970 dans les pays de l'Afrique subsaharienne. En 1968, le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans était de 250 pour 1000. En 2006, il était légèrement supérieur à 150 pour 1000. C'est encore beaucoup plus élevé qu'au Canada, mais cela représente une réduction de 40 p. 100 par rapport à 1968.
Dix pays de l'Afrique subsaharienne se sont donné pour objectif d'ici à 2015 de veiller à ce que tous les garçons et les filles terminent le cycle de l'école primaire. Ils sont sur la bonne voie. Cela ne veut pas dire que les progrès sont uniformes dans tous les pays africains. Même les pays les plus performants font face à de graves difficultés.
Tous, sans exception, doivent composer avec des faiblesses et des fragilités importantes, des institutions relativement précaires, des défis démographiques, et une certaine vulnérabilité face aux crises d'ordre économique ou autre. Néanmoins, la tendance générale pour l'ensemble du continent, qui était négative dans les années 1970 et 80, est assurément positive aujourd'hui.
J'aimerais faire ici deux observations. De la même façon que les 40 dernières années ne sont pas un bloc monolithique, on ne peut pas non plus considérer un continent aussi complexe et aussi divers que l'Afrique comme un bloc monolithique. Plusieurs pays sont fragiles, certains sont même en déroute, aux prises avec des structures de gouvernance inefficaces et des conflits internes. La Somalie et le Soudan sont des exemples de pays fragiles. D'autres acquièrent petit à petit une solide réputation de pays performants. Des pays comme le Ghana, le Mali, le Mozambique et la Tanzanie sont considérés comme des pays performants.
Ces pays ont organisé de nombreuses élections démocratiques qui se sont déroulées dans le calme. Ils ont fait preuve de la volonté et du leadership nécessaires pour renforcer la gouvernance, faire prospérer leur économie et améliorer la santé et le bien-être de leurs populations. Au fur et à mesure qu'ils prennent le contrôle de leur propre développement, leurs programmes nationaux, que la Banque mondiale qualifiait de stratégies de réduction de la pauvreté, sont aujourd'hui de plus en plus considérés comme des stratégies de croissance économique et de réduction de la pauvreté. Ces pays déterminent eux-mêmes leurs priorités, pour eux et pour leurs populations.
[Français]
Comme l'ont déclaré la ministre Oda et d'autres personnes, l'ACDI, au nom du gouvernement du Canada, s'emploie à concentrer davantage l'aide canadienne et à accroître ses capacités de mieux en rendre compte. Le gouvernement du Canada est résolu à travailler avec ses partenaires internationaux canadiens et africains à l'atteinte des objectifs de développement.
Compte tenu des possibilités de l'Afrique et des problèmes de développement auxquels ce continent est confronté, l'aide canadienne à l'Afrique est en progression. Elle est mieux ciblée et donne suite à nos engagements internationaux.
[Traduction]
Le gouvernement canadien s'est engagé à doubler son aide à l'Afrique, par rapport à son niveau de 2003-2004, pour qu'elle atteigne 2,1 milliards de dollars en 2008-2009. Nous sommes sur la bonne voie et devrions respecter notre objectif pour cette année. Le premier ministre s'est engagé à augmenter notre aide bilatérale à l'éducation de base pour la faire passer de 100 millions de dollars par an, en 2005, à 150 millions de dollars par an en 2010. Comme vous le savez, l'éducation fait partie de ces interventions qui non seulement ont des ramifications sociales importantes, mais permettent également de donner au pays la population éduquée dont il a besoin pour alimenter une croissance économique soutenue. Les pays de l'Afrique subsaharienne ont obtenu des résultats extraordinaires en inscrivant 29 millions d'enfants supplémentaires dans les écoles primaires entre 1999 et 2005.
Nous augmentons nos contributions à l'aide alimentaire et à la santé par l'intermédiaire de partenaires comme le Programme alimentaire mondial des Nations Unies et le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Nous augmentons également de façon substantielle nos investissements dans l'agriculture et la sécurité alimentaire en Afrique.
Il faut, comme beaucoup le préconisent, que l'aide canadienne soit davantage ciblée. Des chiffres préliminaires pour 2007-2008 indiquent que les sept principaux pays bénéficiaires ont reçu 75 p. 100 de notre aide bilatérale, alors que ce chiffre était de 49 p. 100 en 2000-2001.
Nous ciblons notre aide non seulement sur le plan géographique, mais aussi au niveau sectoriel. Ainsi, pour chacun de ces grands programmes, nous ciblons trois ou quatre secteurs.
L'un des principaux secteurs est celui de la santé. Le premier ministre Harper a annoncé que le Canada allait lancer l'Initiative sur les systèmes de santé en Afrique, pour une durée de dix ans, et il s'est engagé, au sommet du G8 en 2006, à y consacrer une somme de 450 millions de dollars. La pierre angulaire de ce programme a été posée en novembre dernier par le premier ministre, en Tanzanie, et cette initiative menée par le Canada devrait permettre de sauver un million de vies. Il s'agit en l'occurrence d'attirer des donateurs dans les pays partenaires pour sauver chaque jour, pendant sept ans, la vie de plus de 500 enfants, à l'aide de méthodes concertées et éprouvées; on estime que le coût devrait être inférieur à 500 dollars par décès évité. L'initiative va permettre d'établir de nouvelles normes d'imputabilité et de transparence; les systèmes d'évaluation ont été mis en oeuvre en collaboration avec la John Hopkins University, et l'évaluation des résultats sur le terrain se fera chaque année.
L'initiative permettra de fournir des soins de santé primaires essentiels aux enfants et aux femmes enceintes. L'ACDI appuie aussi la réforme des soins de santé dans plusieurs pays africains, comme le Mali et le Mozambique.
Par ailleurs, d'autres facteurs vont nous permettre d'accroître l'efficacité de l'aide canadienne. Comme vous le savez, la Loi sur la responsabilité en matière d'aide officielle au développement va entrer en vigueur le 28 juin 2008. Les objectifs qui la sous-tendent, à savoir davantage de clarté, de détermination, de force et de responsabilité dans l'établissement de nouvelles normes de transparence, sont conformes aux objectifs du gouvernement en matière d'aide internationale.
Parallèlement, nous avons lancé une initiative de restructuration organisationnelle afin que l'approche de l'ACDI soit plus efficace et mieux coordonnée, et que nous puissions envoyer davantage de personnel responsable sur le terrain. Les annonces faites hier en Afghanistan par le gouvernement sont un bon exemple de ce que nous comptons faire pour envoyer davantage d'agents, avec les responsabilités voulues, sur le terrain.
Enfin, dans le but d'améliorer notre efficacité, nous avons décidé, notamment, d'ouvrir la totalité de notre budget pour l'aide alimentaire à des marchés publics internationaux. Dorénavant, la totalité de notre aide alimentaire sera non liée, alors que 90 p. 100 de cette aide était liée il y a à peine 36 mois. C'est un changement considérable, qui nous permet de nous adresser à des fournisseurs locaux et régionaux pour aider les agriculteurs africains. Cela nous fait gagner du temps et de l'argent, et nous aide à sauver des vies.
Notre collaboration avec les pays partenaires nous a permis d'obtenir des résultats tangibles. En Tanzanie, grâce à la collaboration entre les gouvernements et les donateurs, le nombre d'inscriptions dans les écoles primaires est passé de 59 p. 100 en 2000 à 97 p. 100 en 2007. Au Mozambique, près de la moitié du programme bilatéral de l'ACDI est consacrée à l'éducation. Plus de 75 millions de manuels scolaires ont été distribués à des millions d'écoliers au cours des dix dernières années, grâce à l'aide fournie par le Canada.
Je viens de vous donner quelques exemples de progrès réalisés. Je voudrais maintenant vous faire un bref récapitulatif de deux époques. En 1990, il y avait des obstacles à la bonne gouvernance — il n'y avait que 10 p. 100 des dirigeants qui étaient élus —, à la sécurité et au développement. À cette époque, le taux de croissance était de 1 p. 100, ce qui équivalait, étant donné la croissance démographique, à une croissance négative per capita pendant une bonne partie de cette période. Depuis, un certain nombre d'événements, en majorité positifs, sont survenus, et nous voyons que pour 2007 et 2008, aux mêmes rubriques de la bonne gouvernance, de la sécurité et du développement, la situation s'est améliorée. Encore une fois, tout n'est pas rose, mais en comparaison de la situation en 1990, les choses ont considérablement évolué et, dans la plupart des cas, de façon positive.
Il reste bien sûr des problèmes importants à résoudre. Le VIH/sida continue d'avoir un impact important sur le développement de l'Afrique. C'est en Afrique subsaharienne que vivent près des deux tiers des personnes atteintes du VIH/sida dans le monde, alors que cette région n'abrite que 11 p. 100 de la population mondiale. Phénomène inquiétant, la pandémie touche de plus en plus les femmes. En Afrique subsaharienne, 25 millions de personnes vivent avec le VIH/sida, dont 60 p. 100 sont des femmes et des jeunes filles.
La démographie est un autre problème, surtout dans les pays où la productivité agricole est insuffisante. Dans certaines régions de l'Afrique, l'extrême fécondité des femmes, et le taux de mortalité maternelle et infantile qui y est associé, accélère la croissance démographique. La santé des mères est un grave problème. Une femme de l'Afrique subsaharienne a une chance sur 16 de mourir de complications pendant la grossesse et l'accouchement, alors que pour une femme d'un pays industrialisé, ce risque est de un sur 7 300. À l'heure actuelle, 27 p. 100 des besoins des femmes de cette région en matière de contraception ne sont pas satisfaits.
La sécurité alimentaire devient problématique, et menace de freiner le développement de l'Afrique. Si l'on ajoute à cela l'explosion démographique, cela signifie que de nombreux pays, notamment le Niger, risque d'être aux prises avec une famine persistante.
En réponse à la crise alimentaire mondiale, l'ACDI fournit 230 millions de dollars d'aide alimentaire pendant cet exercice financier, soit une augmentation de 50 millions de dollars par rapport à l'exercice financier précédent. Nous cherchons également le moyen d'assurer la sécurité alimentaire à long terme de cette région, afin d'améliorer la situation dans des pays comme le Soudan, l'Éthiopie et le Mozambique.
Le secteur privé, qui est un élément important de notre programme d'aide, manifeste un regain d'intérêt pour l'Afrique, surtout pour les activités minières. Les pays en développement qui disposent de ressources naturelles importantes vont rencontrer des difficultés, à long terme, pour la gestion de ces ressources. La hausse récente et rapide des prix, comme celui du pétrole, présente à la fois des défis et des débouchés pour ces pays.
En renforçant la gouvernance, l'ACDI encourage l'utilisation efficace et durable des ressources naturelles en Afrique. Le gouvernement du Canada cherche également à promouvoir la responsabilité sociale des entreprises afin que les industries des ressources naturelles puissent jouer un plus grand rôle dans la réduction de la pauvreté. De plus, nous avons participé à des approches novatrices dans le cadre de partenariats avec des organisations comme le Réseau Entrepreneurial Enablis, qui est dirigé par Charles Sirois, afin de proposer de nouvelles approches en matière d'entrepreneuriat et d'innovation économique, dans des régions clés de l'Afrique.
[français]
En terminant, beaucoup de changements se sont opérés en Afrique ces 40 dernières années. L'optimisme de l'ère postcoloniale a cédé la place au fait que le développement serait une entreprise plus difficile qu'on le croyait au départ.
[Traduction]
Le continent a pris beaucoup de retard dans les années 1970 et 1980. Mais nous recommençons à voir des signes d'espoir, forts de l'expérience des années passées. Bon nombre de gouvernements africains se sont engagés à avoir des économies viables et à atteindre les objectifs de développement du millénaire, et la communauté internationale s'est engagée de son côté à accompagner le continent dans la poursuite de ces objectifs.
Nous nous efforçons d'aider les pays africains à améliorer le quotidien de leur population, et de les amener à rendre des comptes à leurs citoyens. Le Canada peut apporter une contribution réelle à l'Afrique, surtout dans les pays qui ont la volonté et la capacité d'utiliser notre aide de façon efficace, dans le buter d'améliorer leur gouvernance et d'assurer la prospérité sociale et économique de leur peuple.
Le gouvernement du Canada a réitéré son engagement de doubler son aide à l'Afrique. Comme je l'ai indiqué, nous poursuivons activement cet objectif, de façon concertée et efficace.
Je suis maintenant disposé à répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Greenhill.
J'aimerais commencer par vous féliciter, ce que nous ne faisons pas souvent dans nos comités. En effet, vous avez dit quelque chose que j'ai été ravi d'entendre, à savoir que, dorénavant, la totalité de l'aide canadienne sera non liée. Bravo.
M. Greenhill : Merci. J'espère que vous n'allez pas retirer tous vos compliments, car, en fait, c'est la totalité de notre aide alimentaire qui est non liée.
Pour ce qui est de notre aide globale, les deux tiers étaient liés il y a six ans et, aujourd'hui, près des trois quarts sont non liés. Par conséquent, nous avons également fait des progrès pour l'aide globale, mais c'est pour l'aide alimentaire que nous en avons fait le plus
Le président : D'accord, et je ne retire pas mes compliments. Il y a donc encore des progrès à faire car il faudrait éliminer cela complètement.
Je me souviens d'avoir interrogé un ancien ministre responsable de l'ACDI, il y environ six ans, qui m'avait répondu qu'environ les deux tiers ou les trois quarts de notre aide étaient encore liés. Je trouvais cela inadmissible.
Je vous félicite, et j'espère que ça va continuer.
Le sénateur Stollery : Dans notre rapport sur l'Afrique, nous reprochons à l'ACDI de garder 81 p. 100 de ses employés dans la région d'Ottawa, plutôt que de les envoyer sur le terrain, dans les pays bénéficiaires de l'aide.
Nous avons rédigé notre rapport avant de pouvoir prendre connaissance du rapport intitulé Our Common Interest : Report of the Commission for Africa, qu'on appelle le rapport Blair. Monsieur Greenhill, vous avez parlé du Rwanda. Selon le rapport Blair, le fait que les organismes humanitaires ne surveillaient pas assez la destination ultime de l'aide qu'ils accordaient est un facteur qui a contribué au génocide. À mon avis, c'est un argument très fort, qui devrait vous inciter à envoyer davantage de personnel sur le terrain. En tout cas, c'est ce que dit le rapport Blair, je ne l'invente pas.
Qu'en est-il de la situation actuelle?
M. Greenhill : Notre personnel est composé d'agents du développement, qui sont des fonctionnaires canadiens, et de spécialistes du développement très dévoués, qui travaillent dans nos unités d'appui aux programmes et qui sont engagés localement. Environ 40 p. 100 du total combiné de ces deux groupes sont des employés sur le terrain. Par ailleurs, environ 20 p. 100 de notre personnel basé au Canada sont des fonctionnaires envoyés sur le terrain.
Le sénateur Stollery : Cela fait donc un total de 80 p. 100.
M. Greenhill : Oui, 80 p. 100 de ce groupe, mais s'agissant de l'ensemble de l'effectif, 40 p. 100 des employés sont sur le terrain et 60 p. 100 sont ici, au Canada. Au ministère britannique du développement international, le DFID, c'est 50/ 50.
Je suis prêt à vous expliquer ce que nous faisons pour améliorer la situation, mais je ne voudrais pas trop empiéter sur votre temps.
Le sénateur Stollery : Si je vous pose la question, c'est parce que nous avons été très choqués lorsque nous avons appris cela, dans le rapport Blair. Nous avons dû y regarder à deux fois. Il est clairement dit que le fait d'avoir donné de l'aide à des personnes qui ne devaient pas la recevoir est un facteur qui a contribué au génocide — je n'ai pas dit que c'était le seul facteur. Je connais l'Afrique relativement bien, et je pense que les agents de développement recrutés localement peuvent avoir des intérêts locaux que les agents canadiens n'ont pas. C'est ce qui s'est produit au Rwanda.
Comme vous le savez, le comité a dénoncé le fait que 81 p. 100 du personnel de l'ACDI était basé à Ottawa. Si j'ai bien compris, ce chiffre est maintenant de 80 p. 100 du personnel canadien, à l'exclusion du personnel local. C'est bien cela?
M. Greenhill : C'est à peu près cela.
Le sénateur Stollery : Vous avez parlé des taux de croissance économique en Afrique. De nombreux témoins nous ont dit, comme vous, que la croissance se situait entre 5 et 5,5 p. 100 en Afrique subsaharienne. Mais nous avons eu aussi d'autres témoins, notamment des représentants de la Banque mondiale, qui nous ont dit que si on excluait de l'équation les pays riches en pétrole comme le Nigeria et l'Angola, bon nombre de pays accuseraient, encore aujourd'hui, un taux de croissance négatif. Le taux de natalité y est d'environ 4,5 p. 100. D'après de nombreux témoins, la stagnation continue de caractériser la plupart de ces pays.
Vous n'êtes peut-être pas d'accord, et c'est votre droit. Cependant, la croissance démographique est un facteur qu'il ne faut pas négliger, et on sait bien que les revenus de la production pétrolière ne sont pas une solution étant donné qu'ils sont en grande partie usurpés.
Nous faisons remarquer, dans notre rapport, que le mandat de l'ACDI fait partie intégrante de la Loi sur le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Nous y recommandons avec insistance que l'ACDI ait sa propre loi, qui définirait clairement son mandat, assorti d'objectifs précis et mesurables que les parlementaires pourraient surveiller. Qu'est-il advenu de cette recommandation?
M. Greenhill : Je vais répondre à vos trois questions.
Pour ce qui est du Rwanda, je ne peux rien vous dire, si ce n'est que ce n'est pas l'interprétation que j'ai entendue.
Le sénateur Stollery : C'est pourtant ce que dit le rapport Blair, ce n'est pas moi qui l'invente.
M. Greenhill : Je ne peux pas vous répondre.
Je peux par contre vous parler du recrutement d'agents de développement canadiens dans des pays comme le Mozambique, par exemple. C'est un pays qui a été déchiré par la guerre mais dont le fonctionnement devient de plus en plus démocratique, stable et efficace. Cela nous conforte dans notre engagement à avoir suffisamment de personnel sur place, avec les délégations de pouvoir nécessaires, pour accroître l'efficacité de notre action.
Depuis 2003, nous avons augmenté d'environ 60 p 100 les missions sur le terrain de notre personnel canadien. Il y a cinq ans, nous envoyions en moyenne 35 personnes par an sur le terrain. Lors de notre dernier déploiement, nous avons affecté 60 personnes sur le terrain et avons relocalisé une demi-douzaine de nos programmes les plus importants en Afrique. Le chef du programme de développement, qui était jadis à Ottawa, est maintenant sur le terrain.
Pouvons-nous faire encore mieux? Sans doute. Mais nous sommes sur la bonne voie.
Pour ce qui est maintenant des taux de croissance économique, j'aimerais faire une distinction importante. Vous avez tout à fait raison, les pays producteurs de pétrole enregistrent depuis dix ans un taux de croissance de près de 7,5 p. 100. Mais il est intéressant de constater que les 17 pays qui performent bien sans avoir beaucoup de ressources, comme le Ghana et la Tanzanie, ont enregistré des taux de croissance moyens de 5,5 p. 100.
Tous les pays d'Afrique, à l'exception d'une poignée, ont affiché un taux de croissance économique positif l'an dernier. La plupart d'entre eux ont bénéficié d'une croissance importante per capita. Je reconnais cependant qu'avec un taux de croissance démographique de 2 ou 3 p. 100 par an, il faut déjà un taux de croissance économique de 3 p. 100 rien que pour rester à flot. Autrement dit, une croissance globale de 5 p. 100 correspond à une croissance de 2 p. 100 seulement per capita. C'est un taux positif, mais ce n'est pas suffisant quand même.
Sur le plan législatif, la Loi sur la responsabilité en matière d'aide officielle au développement a été adoptée; elle a reçu la sanction royale et va entrer en vigueur le 28 juin prochain.
Le sénateur Stollery : C'est le projet de loi C-293?
M. Greenhill : Oui. Aux termes de cette loi, toute notre aide au développement doit contribuer à la réduction de la pauvreté, tenir compte des points de vue des pauvres et être compatible avec les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne. Tous les deux ans, nous devons procéder à une consultation globale de nos principaux partenaires et faire rapport des résultats de cette consultation. Comme vous le savez, ce texte législatif aura une incidence considérable sur nos activités.
Le sénateur Stollery : Ce n'est pas une loi sur l'ACDI. Nous suivons tout cela avec intérêt, mais ce n'est pas une loi sur l'ACDI, qui lui donnerait un mandat clair comme nous le demandions, et qui serait comparable au système britannique. Mais quittons ce sujet car nous pourrions en discuter toute la nuit. Croyez-moi, nous sommes très bien informés.
Savez-vous que le ministre du DFID, au Royaume-Uni, participe activement aux négociations commerciales? Je suis sûr qu'ils en ont eu eux-mêmes l'idée, et qu'ils n'ont pas attendu notre recommandation pour dire au ministre qu'il devrait participer aux négociations commerciales. Quoi qu'il en soit, le ministre britannique y participe activement. Comme c'est un ministre, il siège au Cabinet, notamment quand il est question de négociations commerciales; tout le monde sait que développement signifie développement économique, et que les négociations commerciales en sont un élément très important. Je sais que le sujet est vaste, mais que pensez-vous de tout cela? Où allons-nous?
M. Greenhill : Depuis un certain nombre d'années, l'ACDI aide les pays en développement à participer à des négociations commerciales. Ainsi, dans le cadre du programme Aide au commerce, nous conseillons les pays qui signent de nouveaux accords commerciaux sur la façon de mettre en œuvre la réglementation adéquate et de surmonter les obstacles qui peuvent freiner la croissance. Nous le faisons soit directement, dans le cadre de nos programmes, soit par l'intermédiaire de la Banque mondiale ou de la Société financière internationale, l'IFC. L'objectif est donc de permettre à ces pays de profiter pleinement des débouchés commerciaux qui s'offrent à eux.
Quant à votre question sur la participation d'un ministre en particulier à ces négociations, en ma qualité de fonctionnaire, je ne peux pas vous répondre.
Le sénateur Stollery : Bien sûr, je comprends. Pourtant, les Britanniques l'ont fait, et pas nous.
Le président : Le sénateur Stollery fait allusion à une recommandation importante de notre rapport, selon laquelle l'ACDI devrait avoir son propre ministère et son propre ministre, qui siégerait au Cabinet.
En est-il vraiment question? Si vous estimez que vous ne pouvez pas me répondre, je comprendrai, car il s'agit d'une décision politique. Pouvez-vous quand même me dire si l'ACDI s'oriente dans cette direction?
M. Greenhill : Le ministre Oda est un ministre du Cabinet à part entière.
À l'heure actuelle, l'ACDI n'a pas sa propre loi, c'est vrai. Quant à savoir si le gouvernement envisage de modifier cela, je ne peux pas vous dire. C'est une décision qui ressort aux ministres.
Le sénateur Dawson : Je reviendrai inévitablement sur certaines de ces questions, mais s'agissant de la loi, ceux qui disent que cela ne relève pas d'eux sont souvent payés plus que le ministre... bref, c'est une autre histoire. Nous avons eu dix ministres en 15 ans. Tout le monde s'accorde pour dire que nous ne nous sommes pas bien acquittés de nos responsabilités pour ce qui est de l'aide en général, et pas seulement de l'aide à l'Afrique. Notre comité va donc devoir continuer d'insister là-dessus : si nous voulons que le sujet soit pris au sérieux, il va falloir que l'idée d'un ministère soit elle aussi prise au sérieux.
Je sais bien que certaines questions ne relèvent pas de vous, et je ne vous le reproche pas, mais en attendant, il n'y a toujours pas de loi. Vous avez fait une analyse des 30 ou 40 dernières années, vous avez dit que la situation avait changé, mais étant donné qu'aucune loi ne régit l'ACDI, nous n'avons rien pour faire une comparaison. Autrement dit, nous n'avons pas de critères qui nous permettraient de dire que, oui, nous nous sommes adaptés à l'évolution de la situation.
Cette semaine, vous avez annoncé une aide supplémentaire de 600 millions de dollars pour l'Afghanistan. Si on vous demandait, sur une échelle de 1 à 10, si la situation y est problématique, je suppose que vous répondriez oui. Par contre, c'est sans doute davantage une aide militaire qu'une aide axée sur le développement, en comparaison de ce que nous avons proposé et de ce qui a été proposé pour l'Afrique.
Une loi sur l'ACDI nous permettrait de demander au gouvernement si une telle aide s'inscrit dans le mandat de l'ACDI, ou bien s'il s'agit simplement d'une mesure prise à l'improviste, dictée par des contraintes militaires, ce qui n'est pas, à mon avis, l'objectif de l'aide au développement. Lorsque l'ACDI a été créée, elle avait pour vocation l'aide au développement; cela n'a rien à voir avec le rôle de pompier qu'on lui fait jouer, surtout quand on a soi-même allumé les incendies.
Ne vous serait-il pas utile, et encore une fois, je ne vous demande pas de prendre une décision politique, d'avoir un mandat plus clair? Il vous serait alors plus facile de justifier les fonds qui vous sont attribués, plutôt que de les dépenser au gré des circonstances.
Le communiqué de presse de cette semaine indiquait que cette aide de 600 millions de dollars avait été signée par trois ministres. Moi, je préférerais qu'une seule personne soit responsable de l'aide au développement. Pas vous?
M. Greenhill : Je ne suis pas en mesure de vous dire s'il serait souhaitable que l'ACDI ait sa propre loi. Je peux par contre vous répondre en ce qui concerne l'objectif de notre aide, tout particulièrement dans le contexte de l'Afghanistan, et vous dire à quoi va servir l'aide au développement que nous accordons à ce pays.
De nos jours, la sécurité et le développement sont beaucoup plus interdépendants qu'il y a 20 ans. En fait, c'est presque toujours dans des pays qui sont menacés, qui sont au bord d'un conflit ou qui en sortent à peine que vivent ceux qui font partie du « milliard de gens les plus démunis ». La sécurité et le développement sont donc beaucoup plus interdépendants qu'il y a 20 ans.
Lorsqu'un pays acquiert une plus grande stabilité, et le Mozambique en est un exemple flagrant, nous pouvons obtenir d'excellents résultats sur le plan du développement. Au début des années 1990, les indicateurs sociaux du Mozambique ressemblaient beaucoup à ceux de l'Afghanistan aujourd'hui, mais ce pays a réussi à sortir de dix années de guerre civile. Le taux d'alphabétisation de sa population était, avant la guerre, de 11 p. 100, et les quelques institutions que les Portugais avaient laissées après la période coloniale ont été détruites pendant la guerre civile.
Grâce à l'aide internationale et au leadership national, le Mozambique a pu organiser quatre élections démocratiques. Le premier ministre est une femme. Alors que son taux d'alphabétisation était jadis de 11 p. 100, aujourd'hui, 70 p. 100 des enfants vont à l'école, et depuis 10 ans, le pays a enregistré un taux de croissance moyen de 8 p. 100 par an. C'est parce que les objectifs liés à la sécurité et au développement étaient intimement liés que le pays a pu obtenir ces résultats, dans l'intérêt de sa population.
L'Afghanistan se situe à peu près au 174e rang sur 176, selon les indicateurs de développement humain. Si notre objectif est de réduire la pauvreté, il est alors tout à fait justifié d'y concentrer nos efforts. En matière d'éducation, le nombre d'enfants scolarisés est passé de 700 000 à six millions; les filles, qui n'étaient jadis pas admises, représentent aujourd'hui 40 p. 100 des écoliers.
Le taux de mortalité des enfants de ce pays a diminué de près du quart au cours des quatre dernières années. Chaque année, notre aide permet de sauver la vie à 40 000 enfants de plus. Dans un certain sens, l'annonce qui a été faite hier reflète les besoins de ce pays et les possibilités que nous avons de l'aider.
Quant à la nécessité d'avoir une aide plus ciblée et plus efficace, j'aimerais vous dire que, au cours des six ou sept dernières années, nous avons beaucoup progressé dans ce sens; en effet, notre aide, qui était l'une des plus diluées au monde, est devenue, peut-être pas la plus ciblée, mais beaucoup plus ciblée. Ainsi, il y a six ans, à peine 55 p. 100 de notre aide financière allait à nos 15 pays prioritaires, dont Haïti et l'Afghanistan faisaient partie. Aujourd'hui, ce pourcentage atteint presque 70 ou 72 p. 100.
Je vais vous donner un autre chiffre. Les pays les moins avancés, les PMA, c'est-à-dire ceux qui ont le plus besoin d'aide, recevaient en 2001 seulement 21 p. 100 de nos programmes bilatéraux. Aujourd'hui, ce chiffre est de 38 p. 100 et même plus. Nous ciblons donc davantage notre aide, et nous avons presque doublé la proportion de notre aide qui va « au milliard de gens les plus démunis ».
Je ne peux pas vous dire si l'ACDI a besoin d'une loi ou pas, mais je peux vous dire par contre que le programme d'aide du Canada est aujourd'hui plus ciblé qu'il y a 15 ans, et qu'il cible davantage ceux qui en ont le plus besoin.
Le sénateur Dawson : Le bureau de recherche nous a fourni une longue liste de questions; nous devrions la déposer et demander au ministère de nous fournir des réponses. Je ne sais pas si cela est possible, mais bon nombre de ces questions méritent une réponse.
Le président : C'est possible, et c'est ce que nous allons faire.
Le sénateur Dawson : Je suis content que nous puissions officiellement poser ces questions et obtenir des réponses.
J'aimerais maintenant parler du Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique, le NEPAD, et de la Chine. Nous respectons le NEPAD et les choix qu'il fait, nous essayons de collaborer avec cet organisme, mais la Chine, de son côté, semble être indifférente à ce qu'il pense d'un pays en particulier. Quand elle décide d'aider un pays, elle lui offre tout l'argent qu'il veut, et ne respecte pas la coopération internationale avec les autres pays.
Que pensez-vous de cette attitude de la Chine, qui fait fi de certains accords internationaux, alors que vous, pendant ce temps-là, vous continuez de lui donner de l'aide? La Chine donne de l'argent à certains pays africains, alors que cela va à l'encontre de nos accords internationaux. Ne sommes-nous pas en porte-à-faux avec nous-mêmes?
M. Greenhill : C'est une excellente question, elle est fondamentale. La Chine n'est pas la seule à être présente en Afrique; l'Inde y a de nombreux programmes, surtout dans le secteur privé. C'est toute la question des pays donateurs qui ont un point de vue différent du nôtre.
Pour ce qui est de la Chine, la situation est assez complexe, et vous en avez parlé. Cependant, il faut aussi reconnaître la capacité et les compétences incroyables des entreprises chinoises dans divers domaines. La question est de savoir comment on peut canaliser ces capacités et ces compétences de façon positive.
En dernière analyse, ceux qui sont les mieux placés pour le faire sont les pays eux-mêmes. Ce que nous devons faire, c'est nous assurer qu'une gouvernance efficace est mise en place, que ce soit pour les marchés publics, pour la réglementation de l'industrie minière ou la transparence de l'industrie extractive, et de cela, le Canada est un ardent partisan. Si ces systèmes sont en place, toutes les entreprises, y compris les donateurs, seront encouragées à travailler de la façon la plus constructive possible. L'une des difficultés qui se posent au Comité consultatif sur le développement, de l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, est de bien connaître les obstacles à la concurrence. La concurrence est une bonne chose, à certains égards, mais les monopoles ne sont jamais une bonne chose. Nous sommes confrontés à de nouveaux modèles de comportement, et ceux qui ont des conséquences nuisibles devraient être modifiés. Il y a toutefois cet aspect de la compétence et de la rapidité d'exécution auquel nous allons devoir réagir. Certains pays décident de travailler avec une entreprise, même s'ils savent que le travail ne sera pas de la meilleure qualité, parce qu'elle promet de construire la route en 12 mois, alors que nous, il nous faut cinq ans. Il va falloir que nous réussissions à travailler plus vite et tout aussi bien.
C'est un défi qui va prendre de plus en plus d'importance. Si nous savons le relever, nous nous retrouverons avec un nouvel ensemble d'intervenants qui seront en mesure de jouer un rôle très constructif dans le développement de l'Afrique.
Le sénateur Johnson : À votre avis, comment le rôle de l'ACDI va-t-il évoluer au cours des prochaines années? À l'heure actuelle, d'après votre site Internet, vos priorités sont le développement social, le bien-être économique, la durabilité environnementale et la bonne gouvernance. Vous nous avez dit aujourd'hui que beaucoup de progrès avaient été faits dans ces domaines-là, notamment en ce qui concerne la santé des mères et des enfants.
Au cours des cinq prochaines années, vos priorités seront-elles les mêmes ou bien allez-vous intervenir davantage dans d'autres domaines? L'ACDI va-t-elle réorienter ses activités, vu les résultats enregistrés dans certains domaines? Faut-il s'attendre à des changements au cours des prochaines années?
M. Greenhill : À propos des domaines dans lesquels nous avons enregistré des résultats tangibles, je peux vous dire, même si on en parle peu, que l'éducation de base a fait des progrès spectaculaires dans le monde entier, mais surtout en Afrique où, comme je l'ai dit, le nombre d'enfants scolarisés augmente par millions, et, au niveau du continent, par dizaines de millions. Le Canada participe activement à l'initiative internationale appelée Initiative de mise en œuvre accélérée pour le programme Éducation pour tous, ce qui lui permet d'avoir une approche plus efficace et plus responsable vis-à-vis de l'éducation.
Auparavant, dans bon nombre de ces pays, à peine la moitié des enfants étaient scolarisés, et aujourd'hui, le taux de scolarisation atteint 80, 90 et même 95 p. 100, ce qui pose maintenant le problème de la qualité et de l'éducation au niveau secondaire. C'est donc un domaine dans lequel nous avons eu de réels succès, et pour lequel le premier ministre Harper s'est engagé, il y a quelques mois, à faire passer notre aide de 100 à 150 millions de dollars.
Dans le domaine de la santé, nos efforts ont notamment porté sur la lutte contre la tuberculose, ce qui nous a permis de sauver la vie d'un demi-million de personnes au cours des dernières années.
Le sénateur Johnson : Est-ce la priorité pour les cinq prochaines années?
M. Greenhill : Non, ce sont les éléments clés de notre programme. Les priorités sectorielles seront déterminées par le ministre.
Le sénateur Johnson : La santé est votre budget le plus important pour 2007-2008, suivie de la bonne gouvernance dans le secteur privé et de l'éducation. Qu'en est-il de l'environnement?
M. Greenhill : Dans ce domaine, nous avons des projets précis, comme celui de la gestion du bassin hydrographique du delta du Nil et du delta du Congo. Pour être approuvé, chacun de nos projets doit avoir fait l'objet d'une évaluation de l'impact environnemental.
Le sénateur Johnson : Le projet du delta du Congo était une initiative importante. Où en est-on?
M. Greenhill : Je ne pourrais pas vous le dire maintenant, mais je pourrais vous communiquer ces informations plus tard.
Le sénateur Grafstein : Au chapitre de la sécurité en général, et j'en parlais justement avec le sénateur Dawson, on peut dire que, depuis 2002, la doctrine Bush est efficace en Afrique.
La doctrine Bush est essentiellement la même que celle de Louis St-Laurent en 1946. Je l'appelle la « doctrine St- Laurent-Harry Truman-Bush ». Selon cette doctrine, le Canada et les États-Unis ont pour rôle de répandre la démocratie et la liberté dans le monde. Si l'on en juge par le nombre de conflits armés qui ont éclaté depuis 2002 jusqu'à récemment, ainsi que par le nombre de démocraties qui ont vu le jour, on peut dire que la doctrine St-Laurent- Truman-Bush est efficace.
M. Greenhill : Je ne sais pas si post hoc ergo propter hoc, et m'abstiendrai donc de parler d'une relation de cause à effet. Je constate quand même que, grâce à un engagement international plus sérieux, depuis les horreurs du Rwanda, les pays africains se montrent beaucoup plus responsables. Comme vous le savez, le Canada a aidé le Mali et le Ghana à constituer des forces de maintien de la paix. À l'heure actuelle, le quart des soldats de maintien de la paix de l'ONU sont africains. Et nous avons des Sénégalais et d'autres forces de police et de maintien de la paix qui nous aident dans notre travail à Haïti.
Le sénateur Grafstein : Je tenais à le dire car, comme vous l'indiquez dans votre mémoire, l'Afrique a subi une profonde mutation entre 1990 et 2008, et je veux parler essentiellement de la démocratisation de l'Afrique subsaharienne. La sécurité n'est plus le problème numéro un, ce qui nous permet de nous intéresser à nouveau à la sécurité et à la croissance économiques.
M. Greenhill : Certes, il y a encore quelques pays qui sont fragiles ou qui sont en déroute, mais ils sont aujourd'hui une minorité.
Le sénateur Grafstein : Selon votre mémoire, le nombre de conflits armés est passé de 16 à cinq. C'est une bonne nouvelle.
Cela dit, j'aimerais revenir à la question de notre mandat et de la nouvelle loi, qui est la relation entre la réduction de la pauvreté et le commerce. Étant donné que le projet de loi C-293 prescrit essentiellement à votre agence de concentrer ses efforts sur la réduction de la pauvreté, pensez-vous pouvoir le faire par l'entraide et la croissance économiques? Quand un pays sort du cycle de la pauvreté et commence à se prendre en main, le commerce est effectivement une bonne transition.
M. Greenhill : Vous avez raison, et je pense que la majorité des dirigeants africains voient les choses de cette façon, ce qui est très important. Bon nombre d'entre eux ont adopté des stratégies de croissance économique et de réduction de la pauvreté.
Le sénateur Grafstein : Si j'ai bien compris, le NEPAD est le cadre institutionnel qui va permettre d'y parvenir en Afrique. Est-ce une sorte d'accord de quasi libre-échange?
M. Greenhill : Non, le NEPAD est un cadre de gouvernance. Il existe déjà en Afrique des zones, non pas de libre- échange, mais disons plutôt de libéralisation des échanges. Nous avons toujours beaucoup encouragé une plus grande ouverture du commerce non seulement au niveau national, mais aussi au niveau régional en Afrique.
Le sénateur Grafstein : Je vois que nous sommes sur la même longueur d'ondes, mais je voulais simplement savoir si, comme moi, vous estimez que la libéralisation des échanges est une façon d'améliorer rapidement la productivité et la croissance, comme cela s'est produit avec l'ALENA.
M. Greenhill : En fait, les économies ouvertes ont tendance à afficher une croissance économique supérieure si les capacités et les infrastructures institutionnelles permettent aux pays en question de profiter de l'ouverture du marché. C'est ça le principe du programme Aide au commerce.
Le sénateur Grafstein : Et il faut aussi que cela se répercute sur les producteurs.
J'aimerais pousser l'argument un peu plus loin et vous demander quelle est la position du Canada en ce qui concerne l'importation de produits agricoles en provenance de l'Afrique subsaharienne. Y a-t-il des barrières tarifaires qui empêchent les pays d'Afrique subsaharienne, dont l'économie est essentiellement agricole, d'exporter leur production sur notre marché? Le rapport mentionnait des expériences, plus ou moins réussies, et je n'aborderai pas cette question. Par contre, j'aimerais savoir si des barrières tarifaires ou des subventions empêchent un pays africain dont l'économie est essentiellement agricole d'exporter sur notre marché des produits qui sont pourtant conformes à nos normes. Comment pourrait-on aider ce pays à exporter son produit sur notre marché?
M. Greenhill : La grande majorité des barrières tarifaires et non tarifaires ont été réduites ou éliminées pour les pays moins avancés, mais il y a des exceptions, notamment pour les produits agricoles. Il faudrait que je me renseigne pour pouvoir vous donner plus de détails.
J'aimerais toutefois vous signaler qu'au cours des trois dernières années, le Canada a pris d'importantes mesures pour encourager la production agricole africaine. En effet, sur les 230 millions de dollars que nous avons versés en aide alimentaire, 150 à 175 millions sont allés à l'Afrique, et nous sommes maintenant en mesure d'acheter ces aliments au prix le plus bas, même en tenant compte du coût du transport. Dans la grande majorité des cas, il s'agit de producteurs dans des pays touchés par la famine. Autrement dit, s'il y a une famine dans une région du pays et un excédent de production dans une autre, au lieu de leur envoyer des aliments du Canada, nous achetons ces aliments sur place. C'est un changement important, qui encourage la productivité agricole en Afrique.
Le sénateur Grafstein : Cela s'inscrit dans notre objectif général de réduction de la pauvreté sur tout le continent. Cela nous permet aussi de nous éloigner de l'autre politique, ce qui nous ramène au questionnaire auquel vous voudrez bien nous répondre à propos de la façon dont nous pouvons délier notre aide afin de pouvoir utiliser nos fonds de cette façon.
[Français]
Le sénateur Nolin : Ma connaissance de l'Afrique n'est pas aussi étendue que celle de mes collègues. Ils se sont penchés avec beaucoup de professionnalisme sur cette réalité et ont produit un rapport qui soulève certainement des discussions dans vos milieux comme dans les nôtres.
Ma connaissance de l'Afrique est limitée. Plus précisément, ma connaissance de l'Afrique subsaharienne est récente. J'ai accepté de participer, en janvier 2007, au moment où mes collègues corrigeaient leur rapport, avec le Président de la Chambre des communes, à une mission de rencontres interparlementaires avec des Africains de trois pays, soit le Bénin, le Burkina Faso et le Mali. Il y avait un élément de progression dans la programmation de la visite de ces trois pays. En rencontrant des parlementaires de ces trois pays, j'y ai découvert un fil conducteur, le rôle des femmes. On passait environ trois jours dans chacun des pays.
Le Mali, faute de trouver une meilleure expression et sans heurter personne, était le meilleur des trois et le Bénin était le moins nanti des trois. Je me suis aperçu qu'au Bénin, les femmes, du moins dans ma perception, manifestent plus un désir de participer aux défis qui confrontent ce pays.
J'ai été heureux de découvrir le rôle de l'ACDI dans un programme de gestion des déchets urbains par des femmes, où il n'y a aucun homme. Je regarde les chiffres que vous nous avez soumis, l'évolution de ces trois pays et les totaux. Ce ne sont pas des dollars constants, ce sont des dollars de 2001-2002 versus des dollars de 2007-2008. Il faut faire une comparaison avec un bémol rattaché à l'inflation. On ne peut pas comparer cela dollar pour dollar. Toutefois, on remarque une nette progression dans l'implication du Canada dans ces trois pays. J'ose croire que le Canada a aidé à faire en sorte que les femmes de ces trois pays prennent part à ces défis, entre autres, de gouvernance.
Votre agence partage-t-elle ma perception ou n'ai-je pas compris ou ai-je été ébloui par la culture locale? Je suis resté sur cette impression. Je dois vous dire que j'ai rencontré des hommes qui ne m'ont pas souvent rassuré sur les standards éthiques en matière de gouvernance publique. Les femmes parlementaires que j'ai rencontrées m'ont semblé beaucoup plus déterminées à rejeter tous les vieux concepts postcoloniaux que les Européens, nos grands amis et alliés, avaient avec beaucoup d'allégresse répandus dans leurs colonies. Les femmes n'ont pas été affectées tellement par cela et sont aujourd'hui prêtes à faire table rase et à relever le défi. Si mon impression est bonne, que pouvons-nous faire pour les aider?
M. Greenhill : C'est une excellente observation. Le rôle des femmes est essentiel dans tout le contexte du développement. La valorisation et la responsabilisation de leur rôle politique et économique sont très importantes. On sait, par exemple, que plus la femme est éduquée, moins élevé est le taux de mortalité infantile.
On sait que, dans les ministres les plus performants de plusieurs pays, on voit des femmes jouer un rôle de plus en plus important. L'ACDI a été très impliquée dans les questions des rôles d'égalité des filles et des femmes, depuis des années. Le Canada est considéré comme un leader à cet égard.
Qu'est-ce que cela veut dire de façon très terre à terre? L'éducation est primordiale. Plus les jeunes filles sont éduquées, plus elles auront une liberté de choix économique, politique et personnelle lorsqu'elles se marieront et décideront combien d'enfants elles auront et quand.
[Traduction]
Il n'y a pas de solution magique, mais s'il fallait en inventer une, ce serait l'éducation des filles.
[Français]
Le sénateur Nolin : Je vous encourage à intensifier vos efforts auprès de ces communautés, quitte à heurter les perceptions de nos confrères masculins. On doit miser massivement sur l'effort des femmes. Entre autres, au Mali, on a visité une communauté rurale, et je n'ai pas vu un homme travailler, juste des femmes. Elles extraient le beurre de karité pour l'industrie du cosmétique en Occident. Ce sont des femmes qui montent dans les arbres pour cueillir les grosses gousses et en extraire la purée qui, je présume, sera vendue à prix fort aux fabricants de cosmétiques nord-américains et européens. Les hommes sont bien assis et fument la pipe. Dans les palabres, ils sont parfaits, mais dans l'efficacité du travail, les femmes m'ont impressionné. Je vous encourage à miser sur elles, parce que j'ai l'impression que la solution, en Afrique, repose entre leurs mains.
M. Greenhill : J'aimerais commenter le rôle du microfinancement à cet égard, qui est une façon de responsabiliser les individus et les communautés. Dans plusieurs pays, la majorité des participantes, et souvent celles qui participent le mieux, ce sont les femmes.
Le sénateur Nolin : Dans ce village, d'ailleurs, il y avait une petite caisse, Desjardins International, construite selon le modèle des caisses populaires bien connues au Québec. L'actif de leur caisse était, en dollars canadiens de 3 000 dollars après trois ans. C'était fabuleux de les écouter parler. Les taux d'intérêt étaient fixés presque quotidiennement, basés sur les frais de fonctionnement de la caisse. Personne ne contestait cette norme. Voilà une communauté qui s'est prise en mains avec des femmes déterminées.
Le moteur qui sert à broyer ces fameuses gousses de karité, c'est le Canada qui l'a fourni. Le modèle de moteur n'était pas récent, mais il semblait faire l'affaire.
[Traduction]
Le président : On ne peut qu'être d'accord avec la position du sénateur Nolin, à savoir que l'autonomisation des femmes, entre autres, va probablement changer radicalement l'Afrique d'ici à la prochaine génération.
[Français]
Le sénateur Corbin : En 1972, les premiers parlementaires canadiens à être formellement reçus par l'assemblée et le gouvernement du Sénégal avaient participé à la mise sur pied d'un programme de motorisation des pirogues de pêche. Ce programme était devenu une réalité grâce à l'aide de l'ACDI.
On nous a dit que la deuxième étape de cet effort devrait être l'établissement d'une chaîne du froid, c'est-à-dire la réfrigération des produits de la pêche. Entre-temps, le phénomène de la surpêche au large du Sénégal s'est manifesté. D'autres pays côtiers de l 'Afrique ont aussi épuisé la ressource halieutique. Il y a encore des stocks de poisson, mais de moins en moins. On est en train de répéter au large de l'Afrique ce qu'on a fait au large de Terre-Neuve-Labrador, du golfe du Saint-Laurent et ailleurs.
Les pirogues n'attrapent plus de poissons sauf pour une faible consommation domestique. Elles servent surtout aux jeunes, aux adolescents qui veulent fuir leur pays pour pouvoir mettre un pied en Europe, où l'avenir leur sourit; ils ne voient plus le soleil au Sénégal et ailleurs. Beaucoup d'entre eux vont mourir sur des plages ou se noient dans les vagues des plages des îles Canaries. N'essayez pas de me faire croire que cela marche en Afrique. Je ne le crois pas.
J'ai fait plusieurs séjours en Afrique, le dernier avec les membres ce comité. Nous avons produit un rapport. Qu'en pensez-vous? Vous l'avez lu, j'en suis sûr, ou du moins, votre personnel vous a préparé un résumé. Êtes-vous d'accord avec ce rapport, et pourquoi?
M. Greenhill : En ce qui a trait à votre question, pour obtenir une réponse officielle au rapport, je ne suis pas en mesure de le faire, car la demande n'a pas été faite. Je ne suis pas la bonne personne pour répondre à cette question.
Le sénateur Corbin : On se parle de personne à personne, laissons la bureaucratie, le lourd appareil gouvernemental.
M. Greenhill : Il ne s'agit pas de mes antécédents ni de mon style. Il s'agit de la réalité de mon rôle, de ce que je peux dire clairement et de ce que je ne peux pas dire. Je peux commenter, par exemple, le fait qu'il y a encore des réfugiés qui vont essayer d'aller en Europe du Sénégal. Certains peuvent perdre la vie en le faisant. C'est une catastrophe pour eux et leur famille.
Cela veut-il dire que ce continent n'a pas connu de progrès depuis 15 ans? Je pense que les faits montrent une réalité dynamique et non pas une position statique. La position statique de centaines de milliers de gens en Afrique est-elle pire qu'on l'aurait souhaitée? Absolument. C'est un endroit où, effectivement, jusqu'à récemment, le taux de pauvreté était en progression au lieu de régresser. Maintenant, on commence à sentir une régression, mais le taux de pauvreté est très élevé.
Le sénateur Corbin : Je ne suis pas d'accord avec vous. La base de ces données est tellement faible que le moindre sursaut fait apparaître une statistique faramineuse qu'on a tendance à interpréter comme étant un progrès. Cela veut dire la différence entre un repas par jour dans certains milieux et un repas et un quart ou un repas et demi, c'est tout ce que cela signifie.
Les statistiques peuvent être interprétées, on peut leur faire dire ce qu'on veut, mais lorsqu'on on va sur place, on ne voit pas des statistiques mais des visages, des petits garçons de quatre ou cinq ans qui cassent des roches sur le bord de la route au Congo, par exemple, qui courent après les touristes dans les villes, le ventre creux, qui demandent de l'argent pour se mettre quelque chose sous la dent. Ce ne sont pas des statistiques, ce sont des réalités. C'est ce qu'on voit en Afrique. Les statistiques ne m'ont jamais beaucoup impressionné, parce que j'ai appris avec le temps qu'on peut leur faire dire n'importe quoi.
Maintenant, je voudrais m'attarder sur une affirmation que vous avez faite à la toute fin de votre présentation; je ne peux vous citer textuellement, je n'ai pas le texte sous les yeux. Vous avez parlé d'un processus de transformation.
À quoi faites-vous allusion? Par hasard, serait-ce lié à une réunion importante, que vous allez tenir ces jours-ci, de l'ensemble de l'ACDI?
M. Greenhill : Ce matin, nous avons eu une rencontre avec tous nos gens. Étant donné le contexte, les défis et les opportunités de l'aide internationale, la volonté d'avoir une approche plus ciblée, plus harmonisée, il y a aussi beaucoup plus de choses à aligner avec les réalités et les demandes des pays eux-mêmes. Nous avons évalué notre structure, qui était en place depuis des années. Nous nous sommes dit qu'il fallait changer notre façon de faire.
Le sénateur Corbin : Quand avez-vous commencé à faire cela?
M. Greenhill : Nous avons commencé en juin 2007 les changements structurels. Les transformations structurelles sont un aspect de ce que nous faisons pour améliorer l'efficacité de l'ACDI.
Le sénateur Corbin : C'est important, c'est fondamental, notre rapport le dit d'ailleurs. Cette initiative suit le dépôt de notre rapport. Donc, notre rapport aurait eu un effet.
M. Greenhill : Cela donne un contexte dans lequel il est plus facile de changer les choses.
Le sénateur Nolin : C'est une bonne façon de répondre oui.
M. Greenhill : Depuis 12 mois, nous avons rassemblé tous les groupes géographiques qui existaient de façon séparée depuis 20 ans ou plus à l'ACDI, l'Afrique, l'Amérique latine et l'Asie. On a une cohérence géographique. Un vice- président principal étudie notre façon de faire, notre processus trop lourd et comment on peut réduire de 60 p. 100 le temps requis pour mettre en place des projets, s'assurer d'avoir une approche beaucoup plus structurée, ciblée et coordonnée.
Un nouveau vice-président est responsable d'une approche beaucoup plus stratégique de notre politique, intégrée à nos évaluations et à nos communications pour avoir une stratégie plus claire, basée sur les faits et pour mieux les communiquer aux Canadiens.
Nous avons rassemblé tous nos experts dans des secteurs précis. Cela fait un bon moment que nos gens disent que nous devons avoir une connaissance plus approfondie dans des secteurs importants tels que l'éducation. Nous avons mis en place un groupe des secteurs et des partenariats globaux pour avoir une compétence plus approfondie dans ces domaines.
Ce sont des changements organisationnels; tels quels, cela ne donne pas de résultats, mais cela crée une organisation mieux structurée pour produire des résultats. Les résultats que nous pensons obtenir seront de soutenir un programme beaucoup plus ciblé et mieux élaboré dans chaque zone géographique, par secteur, pour ne pas juste dire qu'on a fait des bonnes activités et dépensé de l'argent mais qu'on a des résultats clairs, chiffrés, pour pouvoir vraiment le montrer aux Canadiens et à nos partenaires dans ces pays.
Nous aurons ainsi une fondation organisationnelle pour obtenir une décentralisation plus accrue avec plus de gens ayant plus de responsabilités sur le terrain. Si j'ai fait référence à l'Afghanistan, c'est parce que c'est l'endroit où nous avions à la fois la nécessité et l'opportunité de faire des choses différemment. Nous avons mis en place des programmes beaucoup plus créatifs là-bas que dans d'autre cas. Nous y avons mis en place le système de micro financement le plus performant au monde actuellement. Nous avons mis plus de gens avec plus de responsabilités sur le terrain et, avec l'annonce du ministre hier, les fonds accordés sur le terrain sont passés de 100 000 dollars à deux millions.
Le sénateur Corbin : Je comprends tout cela. Permettez-moi une dernière question; je vais passer à autre chose. Le projet de loi C-293, je ne l'ai pas appuyé, je l'ai critiqué tout au long. Quand on regarde les promoteurs de ce projet de loi, on avait nettement l'impression que c'était un programme de missionnaires. Je pourrais vous demander quelle interprétation vous donnez à l'expression « réduction de la pauvreté ». J'ai l'impression que, là encore, comme les statistiques, on peut retourner la question dans tous les sens pour essayer de satisfaire tout le monde.
Ce qui me chicote, c'est que je ne crois pas cela changera grand-chose, comme idéal, même si c'est pondu dans un texte de loi. J'ai lu que la Chine est entrée au Congo et a conclu un accord de 6 milliards de dollars. Ils ont fait ça récemment, il y a deux, trois mois. En échange de l'accès au cuivre, ils construiront des infrastructures d'un bout à l'autre du Congo, ils vont relier l'Est à la capitale, et cetera; je suis sûr que vous êtes au courant de cet objectif. Vous parlez de la présence de sociétés minières canadiennes au Congo. Qu'est-ce qu'elles font au Congo, est-ce qu'elles laissent quelque chose derrière elles lorsqu'elles ont épuisé le gisement? La Chine va laisser quelque chose derrière elle. C'est fondamental pour l'avenir de cette nouvelle démocratie. C'est là que je trouve que le Canada est très faible.
Ce ne sont pas en soi des programmes de réduction de la pauvreté qui vont faire avancer ces pays, c'est la création d'emplois, c'est mettre de l'argent dans les poches des gens qui pourront le dépenser, faire vivre une économie régionale, nationale éventuellement. Ce ne sont pas les petits programmes de réduction de pauvreté, même si c'est tout à fait louable, honorable et tout ce que vous voudrez. Je ne suis pas contre cela en principe, mais la vraie pauvreté, on va l'éliminer en créant des emplois.
M. Greenhill : C'est exact.
Le sénateur Corbin : Est-ce que l'ACDI contribue à créer en Afrique des emplois permanents stables? La part de l'ACDI dans l'ensemble de l'aide au développement, la part du Canada n'est pas si considérable que cela. Vous nous avez peint dans vos remarques un tableau que les auditeurs de cette séance à la télévision pourront avaler tout rond, mais je m'excuse, monsieur Greenhill, le Canada ne joue pas un rôle si important que cela en Afrique. Je crois qu'il a tout à gagner en modifiant ses cibles et son approche. C'est ce que nous disons dans notre rapport d'ailleurs.
J'espère que les transformations et la réorganisation institutionnelle que vous êtes en train de faire pourront traiter ces problèmes cruciaux. Autrement, vous perdez votre temps et vous gaspilliez des milliards de dollars. C'est mon opinion, à prendre ou à laisser.
M. Greenhill : Je voudrais simplement vous assurer que nous allons faire de notre mieux pour éviter soit de perdre notre temps, soit de perdre de l'argent. Vous avez souligné les grands défis à relever : pour avoir une réduction permanente de la pauvreté, il faut avoir une croissance soutenue. Comment mettre cela en place? Comment s'assurer qu'on a un contexte de sécurité, de bonne gouvernance et l'infrastructure pour le faire? Comment s'assurer que nous avons une population éduquée pour le faire? Comment faire face, comme vous l'avez mentionné dans votre rapport, aux maladies infectieuses qui peuvent avoir non seulement un coût social important, mais aussi un coût économique très élevé? Comment bien coordonner cela?
Une des choses que je trouve les plus valables ces dernières années, c'est que les pays eux-mêmes se prennent en main de plus en plus dans deux ou trois secteurs fondamentaux.
Le premier, c'est que, de plus en plus, on voit des programmes de développement beaucoup plus intégrés qui comprennent l'éducation, la santé, les infrastructures et le développement institutionnel. Les pays ont leurs propres programmes de croissance et de réduction de la pauvreté au lieu de choses éparpillées.
Le deuxième aspect est qu'ils se concentrent sur la croissance économique et sur l'augmentation de leurs revenus par des impôts, pour être de plus en plus capables de payer eux-mêmes pour leur propre développement.
Le troisième se situe dans le contexte d'une responsabilité démocratique de plus en plus claire. Les gens chargés de mettre ces programmes en place sont appelés aux urnes, tous les quatre ans, pour s'assurer qu'ils livrent la marchandise.
Dans ce contexte, nous nous harmonisons avec le programme. Nous investirons, par exemple, en éducation et santé, mais dans un programme où de plus en plus de fonds seront mis de côté à partir du revenu provenant des autres bailleurs de fonds pour la croissance économique directe. Dans d'autres cas, nous investissons les fonds dans la croissance économique directement ou par l'entremise d'organisations comme la Banque d'Afrique. Dans le cadre de sa dernière stratégie, cette institution cible surtout l'infrastructure et le secteur privé.
Nous avons augmenté d'une façon importante notre investissement dans la Banque d'Afrique, car nous croyons que l'infrastructure est un des goulots d'étranglement pour la croissance de l'Afrique. Au lieu d'être tous des bailleurs de fonds bilatéraux qui faisons notre propre programme d'infrastructure, nous avons estimé qu'il était préférable que ce soit coordonné par l'entremise d'organisations comme la Banque mondiale et la Banque d'Afrique.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : Il y a longtemps, ma femme et moi sommes allés en Afrique, en Tanzanie, si je me souviens bien. C'était encore très primitif, il y avait encore des tribus. Je me suis souvent demandé si on arriverait jamais à éduquer ces gens-là et si nous devrions même essayer de le faire. Ils vivent comme nos Autochtones vivaient il y a une centaine d'années.
Ils semblaient très heureux. Je suis allé dans des villages, et le chef avait cinq ou six femmes. Ils vivaient dans des huttes faites en bouse de vache. À mon avis, ces gens-là avaient besoin qu'on leur apprenne des choses, mais je ne suis pas sûr que nous devrions essayer de les changer.
C'était des agriculteurs, et ils élevaient du bétail. Ils semblaient très satisfaits de leur mode de vie. L'ACDI essaie-t- elle de les éduquer, ou les laisse-t-elle à leur mode de vie?
Comment l'ACDI mesure-t-elle l'efficacité de son aide, et dans quelles conditions l'aide est-elle la plus efficace?
Le milieu des affaires au Canada recommande que l'ACDI achemine son aide directement aux pays bénéficiaires, et passe moins par l'intermédiaire d'institutions multilatérales comme la Banque mondiale et les Nations Unies. De cette façon, les entreprises canadiennes seront mieux informées des projets envisagés et seront donc mieux en mesure de participer aux programmes d'aide.
Je me suis rendu en République démocratique du Congo il y a quelques années avec le comité. La Chine et quelques autres pays y construisaient des routes. Je me suis dit que s'il y a un pays qui sait construire des routes, c'est bien le Canada. Or, nous n'avions aucune équipe là-bas. Pourtant, je suis sûr que ça leur serait très utile. Pourquoi n'y a-t-il pas d'entreprises canadiennes qui construisent des routes là-bas?
Que pensez-vous de la Chine et de sa présence accrue en Afrique? Quelles conséquences cela pourrait-il avoir pour le Canada?
M. Greenhill : Notre participation au développement d'un pays dépend de l'efficacité de notre aide. Compte tenu des difficultés, des échecs et des succès des 40 ou 50 dernières années, nous avons entrepris une sérieuse réflexion à la fin des années 1990 et fait le bilan de ce qui marchait et de ce qui ne marchait pas. Il était évident que l'effort et la bonne volonté ne suffisaient pas. C'est à la suite de cet exercice que nous avons énoncé une série de principes sur l'efficacité de l'aide, qui ont été consacrés en 2005 dans la Déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide et que nous nous efforçons tous de respecter depuis.
Selon le premier de ces principes, le développement doit d'abord être la responsabilité de la communauté et du pays lui-même. S'il n'y a ni volonté, ni vision, ni détermination, notre argent et nos idées ne serviront à rien. Si le pays a la volonté et la détermination de progresser, c'est en respectant ce qu'il considère comme ses priorités que nous pourrons être les plus efficaces, que ces priorités soient l'éducation, la santé ou le développement économique. Bref, c'est le pays lui-même qui doit piloter son développement.
Selon le deuxième principe, pour être efficace, l'aide doit être coordonnée et harmonisée. La Tanzanie en est un bon exemple. Une étude réalisée par un chercheur canadien il y a une dizaine d'années indiquait que près de 1 500 projets étaient en cours, mais qu'il n'y avait aucune coordination entre eux, et que les chevauchements étaient nombreux.
S'agissant de l'éducation des enfants tanzaniens, vous avez peut-être constaté qu'il y avait des projets canadiens, français, britanniques, suédois et allemands fort intéressants. Chaque projet était plein de bonnes intentions et on y faisait sans doute du bon travail. Le problème est qu'il n'y avait aucune coordination entre tous ces programmes, qu'ils n'étaient pas durables et qu'ils ne renforçaient pas les compétences locales. À la fin du projet canadien, l'initiative disparaissait tout simplement.
Le sénateur Mahovlich : Nous allons devoir nous excuser auprès de ces gens.
M. Greenhill : Nous avons fait mieux que ça.
Nous leur avons dit simplement que nous devions faire les choses différemment. Dans le cas de la Tanzanie, par exemple, le Canada et d'autres pays donateurs, conscients des problèmes qui se posaient en éducation, ont annoncé, il y a environ six ans, qu'ils étaient prêts à renforcer les compétences locales dans ce domaine.
Ainsi, quatorze agences ont mis de l'argent en commun pour élaborer un programme d'éducation primaire en Tanzanie. Nous leur avons demandé : quelles matières voulez-vous enseigner aux enfants? Avec quels manuels scolaires? Quels seront les critères? Combien d'enfants y aura-t-il dans chaque classe, sachant qu'il ne faut pas avoir plus de trois enfants à chaque pupitre, et qu'il faut au moins deux manuels scolaires par enfant? Quel examen administrera-t-on à la fin de l'année pour mesurer les progrès? Comment pouvons-nous être sûrs que l'argent ira bien là où il est censé aller, et que l'évaluation annuelle sera communiquée aux membres du public, et pas seulement aux donateurs et au gouvernement?
Un autre élément du programme est le droit de regard de la communauté. Si un village est censé recevoir deux enseignants, 40 pupitres et 150 manuels scolaires, la liste est affichée à la porte de l'école. Si un seul enseignant se présente, ou si l'école ne reçoit que 30 ou 75 manuels, vous pouvez être sûr que la communauté en est informée et qu'elle prend les choses en mains.
La vérificatrice générale dit toujours que la lumière est le meilleur antiseptique. Eh bien, ce droit de regard existe au niveau local.
Résultat : la Tanzanie dispose maintenant d'un système d'éducation primaire très bien structuré. Au cours des six dernières années, 1,4 million d'enfants de plus ont été scolarisés, 38 000 enseignants ont été recrutés et environ 40 000 salles de classe ont été construites.
Le programme est aujourd'hui plus rentable, plus efficace et plus durable parce qu'il relève du gouvernement tanzanien, qui en assure de plus en plus le financement.
En effet, un programme est beaucoup plus efficace lorsqu'il est piloté par le gouvernement, car celui-ci veille à ce que le programme soit harmonisé et à ce que chaque partie rende compte des résultats obtenus, d'une façon tangible et objective. Quand toutes ces conditions sont réunies, il est possible de faire bouger les choses. Ce sont donc là les principes fondamentaux de l'efficacité de l'aide autour desquels nous articulons notre action.
Les entreprises canadiennes jouent un rôle de plus en plus important en Afrique. Nos entreprises minières, comme Barrick Gold Corporation et d'autres, sont d'importantes sources d'emplois, d'investissements et de formation dans un grand nombre de pays africains. Le groupe SNC-Lavalin y fait un travail d'ingénierie exceptionnel. Chose curieuse, l'ACDI ne fait pas partie de ses principaux clients. Ce sont plutôt des entreprises privées, des gouvernements et des organisations multilatérales.
Le sénateur Mahovlich : Et pourquoi pas l'ACDI?
M. Greenhill : Je vais vous donner l'exemple de l'infrastructure. Nous ne finançons pas beaucoup de projets d'infrastructure directement. C'est plutôt le rôle de la Banque africaine de développement et de la Banque mondiale.
Dans ces cas-là, nous accordions une aide financière non liée, comme plusieurs d'entre vous l'ont dit tout à l'heure; ensuite, il y avait un appel d'offres, et c'est l'entreprise qui présentait la meilleure offre au meilleur prix qui remportait le contrat. Très souvent, la meilleure offre au meilleur prix était celle d'une organisation canadienne.
Le sénateur Mahovlich : En Éthiopie, ils ont un grave problème de drogue. Les aide-t-on à faire face à ce problème? Y envoyons-nous des ingénieurs?
M. Greenhill : Oui, nous participons à des projets d'irrigation, de forage de puits simples et de systèmes de recueillement des eaux de pluie. Lorsqu'il pleut, les eaux ruissellent et s'infiltrent rapidement; et l'objectif est donc d'installer des systèmes de captation de ces eaux. Dans beaucoup de cas, ce n'est pas des ingénieurs qu'il faut. Je ne sais pas si l'organisme Ingénieurs sans frontières Canada est présent en Éthiopie, mais je sais qu'ils ont des ingénieurs dans différents régions de l'Afrique. Il y a beaucoup d'activités très simples dont les communautés peuvent se charger elles- mêmes.
Nous participons très activement à ce genre de projets en Éthiopie, car la sécurité alimentaire y est un enjeu principal; or, la clé de la sécurité alimentaire, c'est l'eau.
Le sénateur Mahovlich : Je sais que c'est un climat désertique, et l'évaporation doit y être un grave problème. Il faut donc trouver le moyen de capter l'eau sous terre.
M. Greenhill : C'est exact.
Le président : Monsieur Greenhill, vous constaterez que l'opinion du sénateur Corbin au sujet du projet de loi C-293 est partagée par un grand nombre de membres de ce comité mais aussi du Sénat. C'est ça, la réalité politique. Nous partageons les mêmes inquiétudes, comme l'a si bien dit le sénateur Corbin. Bref, je tenais simplement à vous dire qu'un grand nombre de ses collègues partagent son opinion.
Le sénateur Corbin vous a aussi demandé votre avis sur notre rapport. Manifestement, vous hésitez à le donner, ce que je comprends, mais j'aimerais que vous informiez le ministre qu'à la première occasion, nous allons l'inviter à comparaître et à nous dire ce qu'elle pense du rapport. Nous avons consacré plusieurs années à la préparation de ce rapport, et il est important que nous ayons de la rétroaction.
Justement, après avoir consacré tant de temps à l'étude de cette question, je suis aujourd'hui convaincu, comme d'autres d'ailleurs, qu'à long terme, l'aide crée une dépendance. À notre avis, ce n'est pas la bonne façon de faire sortir les gens de la pauvreté.
À mi-chemin de notre rapport, il y a environ un an et demi, j'ai écrit un article qui a été publié dans un quotidien national. Cet article était intitulé « Pity, aid is not the answer ». L'ancien président de la Tanzanie m'a appelé de la Tanzanie à ce sujet, et en fait, quelques mois plus tard, il a demandé à me rencontrer alors qu'il était de passage au Canada. Il était tout à fait d'accord avec moi et avec les autres membres du comité pour dire que, si nous ne nous engageons pas davantage dans l'activité économique, nos programmes d'aide perdront de leur utilité auprès des pays d'Afrique subsaharienne, par exemple, vu les difficultés auxquelles ils font face. Cela m'amène à la question que je veux vous poser et qu'on a déjà abordée tout à l'heure.
Vous avez un peu parlé du rôle que l'ACDI joue dans le développement économique de l'Afrique subsaharienne, pas par l'intermédiaire de tierces parties comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ou d'autres organisations, mais directement. Le microcrédit en est un exemple. J'aimerais savoir précisément si vous participez directement à des partenariats public-privé qui, d'après ce que j'entends, existent dans de nombreuses régions de l'Afrique subsaharienne, où il suffit parfois d'un peu d'argent au départ pour faire démarrer des projets ou pour avoir un effet multiplicateur sur un investissement. Où en est-on?
M. Greenhill : Notre rôle est évidemment de finir par nous rendre inutiles. En effet, nous voulons que les pays soient vraiment capables de prendre en main leur destin économique, social et politique. C'est le cycle normal : on passe de l'État en déroute à l'État fragile pour ensuite devenir un État à revenus faibles, comme au Mozambique; l'étape suivante est celle de l'État où les revenus se rapprochent des revenus moyens, comme beaucoup de pays d'Amérique latine et d'Europe de l'Est, qui sont à leur tour devenus des pays donateurs. C'est ça, notre objectif. Aujourd'hui, nous avons parlé essentiellement de l'Afrique, mais si nous examinons la situation en Asie, en Thaïlande et en Malaisie, dans bon nombre de nos partenaires clés en Europe de l'Est, dans les nombreux pays qui recevaient de l'aide dans le passé, comme le Chili et l'Argentine, qui sont maintenant nos partenaires à Haïti, nous voyons que cet objectif est non seulement possible mais qu'il est réalisable. Des dizaines d'exemples le prouvent.
Pour ce qui est de l'Afrique, cet objectif n'a jusqu'à présent été atteint que dans un très petit nombre de pays. Le Botswana en est un exemple. D'autres pays comme le Ghana espèrent parvenir au statut d'État à revenus moyens d'ici à 2015. Avec leur taux de croissance actuelle, ils sont sur la bonne voie.
À ceux qui pensent que les gens de l'ACDI qui consacrent leur vie au développement cherchent à créer une dépendance et adoptent une approche statique face à la pauvreté, je tiens à dire que notre objectif à tous est d'aider ces pays à se développer et à se prendre en main, et que, pour nous, le succès se mesure à la réalisation de cet objectif.
La question est plutôt de savoir comment atteindre cet objectif, par quelle combinaison d'interventions nous y parviendrons et quel rôle nous devons jouer, directement ou indirectement. Cela me ramène à ce que je disais tout à l'heure, au sujet de l'existence, ou non, d'une infrastructure dans le pays.
La Tanzanie s'est dotée d'une stratégie de croissance économique et de réduction de la pauvreté, tout comme le Ghana. La grande majorité de nos programmes dans ces deux pays sont conformes aux priorités de développement de chacun, y compris au programme de croissance économique.
Notre agence devrait-elle participer davantage à des investissements axés sur la croissance économique? Ce n'est pas une question facile, et je n'essaierai pas de vous donner une réponse simpliste.
Dans le domaine de la formation professionnelle, par exemple, nous pourrions et nous devrions faire davantage. Le ministre Oda a souligné l'importance d'avoir une formation pour occuper les emplois disponibles en période de croissance économique. Par conséquent, dans nos rapports sur la planification et les priorités, nous avons indiqué l'an dernier que nous devrions étudier la possibilité d'intensifier nos activités dans le domaine de la formation professionnelle. En participant davantage à ce secteur d'activité, nous contribuerons à créer les conditions nécessaires pour qu'une croissance dynamisée par le secteur privé fonctionne de façon plus efficace.
J'aurais une petite réserve à ce sujet, car avant d'être fonctionnaire j'ai travaillé dans le secteur privé; nous savons par expérience que les gouvernements sont bien placés pour réunir les conditions nécessaires à l'entreprise privée, mais que ce n'est pas à eux de choisir les gagnants et les perdants ni de participer à des projets précis.
Les gens qui travaillent pour nous sont très compétents et très dévoués, mais j'ai du mal à croire qu'ils sont davantage capables de choisir des projets commerciaux précis en Afrique que nous ne le sommes au Canada. Les conditions nécessaires dont je viens de parler comprennent l'infrastructure, les institutions ou la formation professionnelle, et ce sont des secteurs où l'intervention du gouvernement au Canada a été efficace, c'est donc pour cela que nous investissons dans ces mêmes secteurs pour aider l'Afrique.
Le président : Merci de votre réponse; ce n'est pas tout à fait celle que j'attendais, mais elle revient pratiquement à dire que, sans développement et croissance économiques, on va parler de ce problème encore pendant 40 ans.
Le sénateur Stollery : Il y a tellement de questions qu'on pourrait en parler toute la nuit. C'est certainement un sujet que certains d'entre nous connaissent bien.
À mon avis, le sénateur Corbin a tout à fait raison. J'ai constaté pendant tout ce débat — et j'ai connu l'Afrique coloniale il y a 50 ans — que les gens parlent des Africains de façon différente qu'ils parleraient d'eux-mêmes et de leur propre pays.
Bien sûr, on aimerait bien que les gens deviennent plus riches et aient davantage d'argent. Mais est-ce qu'on parlerait de « réduction de la pauvreté » en Ontario? Lorsque le gouvernement justifie sa subvention à une usine automobile, est-ce qu'il dit qu' « on réduit la pauvreté » ou bien qu' « on crée des emplois pour les Canadiens »?
Pourquoi utilise-t-on un vocabulaire différent lorsqu'on parle de paysans noirs ou de nous? Quand j'étais jeune, je me souviens qu'il y avait des gens qui étaient racistes, mais je constate que, bizarrement, ça n'a pas beaucoup changé.
M. Greenhill : J'espère que vous ne sous-entendez pas que je suis raciste.
Le sénateur Stollery : Absolument pas. Je vous dis simplement que le vocabulaire qu'on utilise pour un groupe, on ne l'utilise pas pour un autre groupe. Comme l'a dit le sénateur Corbin, nous savons que 7 000 personnes se sont noyées il y a deux ans. C'étaient des paysans du Mali, de l'ancien Soudan et du Burkina Faso, et ils essayaient de se rendre aux îles Canaries. Sept mille personnes se sont noyées, et il y en a d'autres qui ont réussi à rejoindre la terre ferme.
La semaine dernière, nous avons vu des reportages sur des massacres en Afrique du Sud, parce que les Sud-Africains ne veulent pas des émigrants du Zimbabwe, du Mozambique et des pays voisins. Comme je connais très bien la région, j'ai beaucoup réfléchi à la question et je pense que les gens du sud de l'Afrique ont tendance à vouloir aller en Afrique du Sud, et les gens du nord de l'Afrique, à vouloir aller en Europe. Il me semble que c'est la tendance.
C'est un sujet très vaste. Les gens qui s'occupent de développement ont tendance à se limiter à leurs pays favoris, comme la Tanzanie et le Mozambique. S'il y a un pays africain dont la situation catastrophique a une incidence sur un très vaste territoire, c'est bien la République démocratique du Congo. Or, le Congo ne figure plus sur la feuille que vous nous avez donnée et qui s'intitule « Increasing our focus in sub-Saharan Africa ».
Vous n'ignorez pas que la République démocratique du Congo est passée de la cinquième à la 15e place. J'aimerais donc vous demander pourquoi le Congo n'est plus sur votre liste.
J'ai lu votre notice biographique et j'ai constaté qu'il y a trois ans, vous avez déclaré, devant le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes, qu'il faudrait augmenter l'aide internationale. L'objectif était alors de 0,07 p. 100.
Lorsque notre comité s'est rendu à deux reprises en Afrique, nous avons constaté qu'en Éthiopie, le Canada fait maintenant de l'assistance budgétaire et donne de l'argent au gouvernement. Je ne me souviens plus exactement des détails. Nous avions rencontré le premier ministre, et je me souviens que l'ambassadeur s'inquiétait pour nous parce qu'il y avait des émeutes. Juste après notre départ, je me souviens qu'un grand nombre de personnes ont été tuées et beaucoup d'autres, arrêtées.
J'ai l'impression que, si on fait de l'assistance budgétaire, cela veut dire que l'ACDI ne sait pas vraiment quoi faire des fonds dont elle dispose. Je suis allé en Éthiopie en 1959, mais quand j'y suis retourné avec le comité il y a deux ou trois ans, beaucoup de gens m'ont dit que, dans les régions rurales, la situation était pire qu'en 1960. C'est vraiment ce qu'on m'a dit, et j'ai essayé d'aller le vérifier par moi-même, puisque je suis arrivé un jour ou deux avant mes collègues.
Dans un certain sens, nous mettons l'ACDI dans une situation sinon impossible tout au moins difficile. Nous avons dit ce que nous pensons dans notre rapport, et vous avez réagi en juin de l'an dernier. Vous n'avez pas dit que c'était à cause de notre rapport, mais c'était sous-entendu.
Je crois que l'Afghanistan est le pays qui reçoit le plus d'aide du Canada. Je trouve cela incroyable. Combien de millions de gens ont été tués dans les régions du Kivu et de l'est du Rwanda?
Le président : Encore à l'heure actuelle, un millier de personnes sont tuées chaque jour en République démocratique du Congo.
Le sénateur Stollery : Ça continue, et nous avons cessé d'aider ce pays. Je suis allé deux fois à Kinshasa. Le célèbre comité international s'est intéressé à l'un des candidats : il préfère le président Joseph Kabila à Jean-Pierre Bemba. L'un vient d'une région, et l'autre, d'une autre. En attendant, je ne sais plus si c'est le sénateur Mahovlich ou le président qui l'a dit, la Chine y investit 6 milliards de dollars. Parlons d'héritage colonial. Je ne vois pas pourquoi on critique les Chinois puisque c'est eux qui amènent l'oseille, personne d'autre ne le fait.
Je suis en train de vous sortir ce que j'ai sur le coeur, et j'en suis conscient. C'est tout simplement que je n'accepte pas ce qu'on nous raconte. Je ne vous accuse pas d'induire le comité en erreur, car très franchement, je ne le pense pas.
Toutefois, nous avons entendu beaucoup de témoins sur la question, et nous connaissons le dossier relativement bien. Personnellement, je ne pense pas que la situation se soit beaucoup améliorée. Certes l'attention de la communauté internationale a sans doute été accaparée par l'Afghanistan, et ce n'est certainement pas votre faute. On vous demande de faire des choses que je sais, par expérience, être pratiquement impossibles. Quoi qu'il en soit, je pense qu'on est en train d'abandonner l'Afrique; on y retourne régulièrement et puis on l'oublie. Les chiffres pour la République démocratique du Congo sont renversants.
J'ai beaucoup parlé, et je pourrais continuer, au risque d'excéder tout le monde, mais je vais m'arrêter là. Tout n'est pas de la faute de M. Greenhill. Les représentants de la Banque mondiale ont dit à notre comité, à Washington, que la politique avait changé six fois depuis 1962.
Le président : Monsieur Greenhill, la question était très vaste, mais j'espère que vous pourrez faire quelques commentaires.
M. Greenhill : Permettez-moi de me concentrer sur le concept de réduction de la pauvreté, ce qu'il signifie et qui emploie cette expression. C'est un sujet qui intéresse un certain nombre de membres du comité.
L'expression « réduction de la pauvreté » n'est pas celle que nous employons au quotidien. Concrètement, l'objectif, pour nous, c'est de nous assurer que les gens ont de quoi manger car ils disposent de plus d'un dollar par jour; que les enfants ne meurent plus avant cinq ans et qu'ils reçoivent une éducation; et que les mères ne meurent plus en couches. Notre objectif est également de concevoir nos interventions de telle façon qu'elles ne nuisent pas à l'environnement. Voilà ce que veut dire la réduction de la pauvreté dans la vie des gens au quotidien, et c'est d'ailleurs ce que reflètent les Objectifs de Développement du millénaire de l'ONU, les ODM, qui sont assortis d'indicateurs tangibles de succès ou de réussite en fonction de l'impact sur la vie des gens.
Qui emploie cette expression?
Pratiquement tout le monde dans les pays en développement. Ce n'est pas une expression qui a été imposée par le Nord. Le concept de réduction de la pauvreté et celui des ODM ont été endossés par les Nations Unies, dont la majorité des membres représentent des pays en développement.
Bon nombre de ces pays utilisent cette expression dans leur stratégie nationale de croissance économique et de réduction de la pauvreté parce que c'est une expression qui veut dire quelque chose. Est-ce qu'elle inclut la création d'emplois? Non. La seule façon de se sortir de la pauvreté, c'est par la croissance insufflée par le marché et le secteur privé. C'est une variable fondamentale de l'équation. Un indicateur important de cette croissance est le nombre d'enfants qui meurent avant l'âge de cinq ans, soit bien avant qu'ils n'arrivent sur le marché du travail. Ou le nombre de filles qui sont scolarisées ou qui sont mariées à l'âge de 14 ans, soit bien avant qu'elles n'arrivent sur le marché du travail. Voilà les questions que sous-entendent l'expression « réduction de la pauvreté ». Ce n'est absolument pas une expression imposée par les bureaucrates, mais plutôt la description d'une réalité souvent pénible à laquelle la communauté internationale tout entière essaie de remédier.
J'aimerais ajouter quelque chose suite aux commentaires qui ont été faits autour de cette table. Le travail que nous faisons est extrêmement difficile. Il n'y a pas de réponse facile aux défis qui se posent à de nombreux pays. Nous tirons des leçons non seulement de nos succès mais aussi de nos nombreux échecs dans le domaine du développement, afin d'améliorer nos pratiques. Pour y parvenir, il faut respecter les priorités établies par le pays, coordonner les activités afin de ne pas se marcher sur les pieds, et mesurer les résultats de ce que nous faisons afin de pouvoir vous démontrer, à vous, honorables sénateurs et à d'autres, combien de vies nous avons réussi à sauver, combien d'enfants nous avons éduqués et quelle croissance nous avons obtenue. C'est cela notre rôle.
Cela nous amène à la question des cibles que nous devons nous fixer. Si vous ciblez un pays, cela signifie qu'à un certain moment, vous allez cesser de le cibler. C'est une décision extrêmement difficile à prendre. À l'heure actuelle, les pays les plus ciblés sont, d'abord, le Mozambique, dont la société a été complètement détruite; depuis 1991, ce pays a fait des progrès extraordinaires, à tel point que la Banque mondiale et d'autres organismes le citent en exemple comme un pays qui a réussi à sortir d'une situation très difficile. Nous y avons donc augmenté nos investissements. Le deuxième pays est la Tanzanie, qui est passé d'un système socialiste unipartite pendant des années à un système politique de plus en plus pluraliste, avec une économie de plus en plus dynamique et tirée par le secteur privé. Les résultats sont impressionnants. Le troisième pays est le Ghana, qui est en train de devenir une vraie démocratie multipartite.
Si nous avons ciblé ces pays, c'est parce que nous croyons qu'une aide financière du Canada les aidera à améliorer leur situation et en fera aussi des exemples pour le reste du continent. Il est vrai qu'on pourrait dire : pourquoi ce pays et pas un autre? Quoi qu'il en soit, c'est pour les raisons que je viens de vous expliquer que nous avons décidé de cibler davantage certains pays, conformément aux recommandations que vous avez faites.
Permettez-moi d'insister, car je ne voudrais pas que les gens s'imaginent que nous sous-estimons les défis que cela représente. Il faut être réaliste face à ce qui se passe en Afrique. En comparaison des années 1970 et 80, certains signes sont prometteurs, mais ce n'est pas valable pour tout le continent. Même dans les pays qui semblent prometteurs, il y a une fragilité réelle. Je ne voudrais donc pas que vous pensiez que nous sous-estimons les défis qui se présentent. Les gens qui ont consacré toute leur carrière au développement font tout leur possible, croyez-moi, pour que leurs interventions aient des résultats positifs.
Le sénateur Smith : Je me souviens quand nous étions en Afrique du Sud et au Kenya. Vous parliez de progrès, mais il y a environ 50 ans, l'Afrique représentait environ 3 p. 100 de l'économie mondiale; aujourd'hui, elle en représente environ 1 p. 100. Je ne suis pas sûr que ce soit le chiffre exact, mais en tous cas c'est beaucoup moins qu'avant.
Quand nous étions là-bas, nous avons beaucoup discuté de la difficulté de s'assurer que l'aide va bien à ceux qui en ont besoin, et qu'elle contribue vraiment à réduire la pauvreté et non pas à remplir les poches des fonctionnaires ou de qui que ce soit.
Je suis content que vous ayez parlé du Mozambique parce que l'an dernier, j'étais le seul Canadien sur les 11 membres d'un comité de la Banque mondiale qui s'est rendu au Mozambique. On nous a montré de vastes projets qui, soi-disant, étaient des modèles à suivre si l'on veut s'assurer que l'aide va bien à ceux qui en ont besoin. Il s'agissait entre autres de reconstruire le système ferroviaire, qui avait été dévasté pendant la guerre civile, d'assurer le transport des marchandises et d'agrandir les quais afin qu'elles puissent être expédiées là où elles rapporteraient de l'argent. Il y avait aussi des installations hydroélectriques. Le barrage principal se trouve à proximité de la frontière avec le Zimbabwe; environ la moitié de l'électricité était exportée vers l'Afrique du Sud, à un certain tarif, et une autre partie était exportée vers le Zimbabwe, mais celui-ci ne payait pas ses factures et le Mozambique était de plus en plus impatient. Il y avait aussi des projets qui avaient été mis sur pied dans le but d'accueillir des orphelins dont les parents étaient morts du sida. C'étaient des journées très émouvantes pour tout le monde, nous avions souvent la larme à l'oeil.
Nous avons eu plusieurs réunions. Lorsque nous étions près de la frontière avec le Zimbabwe, nous entendions constamment des histoires d'horreur. J'aimerais savoir ce que vous pensez des élections qui se déroulent actuellement : c'est une farce grotesque, d'après tout ce que j'ai pu lire à ce sujet. Je serais surpris que les adversaires du président Robert Mugabe remportent ces élections. J'en serais ravi, car nous ne voulons pas que l'aide destinée à la réduction de la pauvreté serve à remplir les poches des thuriféraires du président Mugabe. Que pensez-vous de la situation au Zimbabwe, qui est malheureusement tout à fait classique?
L'autre exemple négatif est celui du Cameroun, dont le gouvernement est corrompu par les pétrodollars. On raconte des histoires d'horreur épouvantables. Comment réagit un pays comme le Canada, qui ne veut penser qu'au bien-être du peuple du Zimbabwe et à la réduction de la pauvreté dans ce pays, mais ne veut pas que son aide aille remplir les poches des thuriféraires du président Mugabe?
M. Greenhill : Ce sont des observations et des questions intéressantes.
Votre comparaison est tout à fait opportune, et c'est triste d'avoir à le dire. En effet, si l'on songe au Zimbabwe et au Mozambique il y a 15 ans, qui aurait pu imaginer tout ce qui s'est passé depuis, notamment le déclin du Zimbabwe pour ce qui est de la durée de vie, de la croissance économique et des libertés civiles et politiques?
Comment réagir à cela? Il est évident que nous ne donnons aucune aide financière au gouvernement ou par son intermédiaire. Notre action dans ce pays est concentrée sur l'aide humanitaire, notamment pour le VIH-sida et l'aide à la société civile; nous collaborons avec des organismes comme CARE qui fournissent une aide de base dans des circonstances très difficiles. Notre action et nos investissements y sont limités. Le premier principe de l'efficacité de l'aide est la présence d'un partenaire responsable et efficace dans le pays. Malheureusement, les organisations non gouvernementales présentes dans ce pays n'ont qu'un rôle très limité, et elles n'en n'ont aucun au niveau national.
Il est intéressant de comparer ce pays avec le Mozambique. Qui aurait pensé, en 1991, que le Mozambique aurait fait tous les progrès qu'il a faits depuis? Certes, c'est toujours un pays fragile et très pauvre, mais quand on se souvient que c'était un pays complètement anéanti dans bien des domaines, on voit aujourd'hui qu'il est capable de faire des progrès sur le plan démocratique, sur le plan économique et même au niveau de sa capacité d'intervention face à des désastres naturels.
Ce pays connaît des inondations et des famines, et sa capacité d'intervention dans ce domaine est bien plus grande qu'il y a cinq ou dix ans. C'est vraiment prometteur.
Nous avons triplé ou quadruplé notre aide au Mozambique au cours des huit dernières années. Nous avons envoyé notre responsable du programme sur le terrain, et nous collaborons étroitement avec ce pays, non seulement avec le gouvernement mais aussi avec le secteur agricole, qui présente un énorme potentiel. C'est là le genre de débouchés dans lequel nous voulons investir, dans l'intérêt de la population de ce pays. Mais il est vrai que c'est aussi un travail d'éclaireurs.
Quand on examine l'évolution de l'Afrique, on peut se demander si ce continent a eu 40 années de déclin, ou bien 25 années de déclin suivies de 15 années de progrès relatif. Il est vrai que, dans un cas comme dans l'autre, on en arrive au même point. Toutefois, selon la façon dont on définit et interprète ces 40 dernières années, on peut avoir une perspective très différente sur l'avenir.
Si c'est la première interprétation qui prévaut, cela signifie que rien ne marche et qu'il faut recommencer à zéro. Si c'est la deuxième, cela signifie qu'on reconnaît les progrès réalisés aux chapitres de la croissance économique per capita, de la démocratisation, de la gouvernance, de l'éducation et des soins de santé, même si bon nombre de ces indicateurs sont encore inférieurs à ce qu'ils étaient dans les années 1960, et qu'il faut savoir interpréter ces progrès.
Il y a sans doute des erreurs que nous faisons et dont nous devrions tirer des leçons, mais est-ce que la situation s'améliore? Les Africains ont-ils mis eux-mêmes en place des institutions nationales et locales que nous devrions encourager? Si certaines agences de développement, y compris, pourquoi pas, notre propre agence, commencent à obtenir de bons résultats, faut-il les féliciter d'avoir modifié leur approche, leurs politiques et leurs programmes au cours des cinq à dix dernières années?
Je vous laisse le soin de réfléchir à la question, Messieurs les sénateurs.
[Français]
Le sénateur Nolin : Monsieur Greenhill, le respect de la primauté du droit est un des éléments qui nous permet d'évaluer la qualité de la gouvernance publique. Vous me corrigerez si j'ai tort. En Afrique subsaharienne, 22 p. 100 de vos décaissements vont à l'effort de gouvernance. Je présume que vous devez partager cette responsabilité avec d'autres pays donateurs, plutôt que d'y aller à la pièce.
M. Greenhill : Oui.
Le sénateur Nolin : J'aimerais savoir ce que vous faites en matière de protection pour les amener à respecter la primauté du droit, donc à respecter un système de justice indépendant. Par ailleurs, combien y a-t-il de femmes juges dans cette région du monde?
M. Greenhill : C'est une excellente question. Nous pourrons vous fournir d'autres exemples concrets. Toutefois, en étant très terre à terre, nous travaillons, par exemple, avec la Cour suprême du Ghana pour renforcer non seulement leur rôle mais également leur efficacité. En anglais, on dit souvent : « justice delayed is justice denied ». Alors nous travaillons à améliorer cet aspect.
On travaille au Mali pour mettre en place un bureau efficace de vérificateur général. Pour avoir un gouvernement plus responsable, il faut un système de reddition de comptes. Nous travaillons au soutien de groupes de libertés civiles qui s'assurent que les droits de la personne et les droits politiques soient respectés. On peut penser, entre autres, à l'organisme Lawyers for Civil Rights. On peut parler du contexte institutionnel d'un pays, l'un des aspects les plus fondamentaux. Nous vous fournirons d'autres exemples concrets de ce que nous faisons.
Le sénateur Nolin : Si la réponse écrite peut alimenter, à tout le moins ma réflexion, j'aimerais bien obtenir de plus amples informations à ce sujet. Et je tiens à ma question sur le nombre de femmes juges.
M. Greenhill : Nous vous fournirons cette information. C'est une bonne question.
Le sénateur Nolin : C'est une question de respect.
[Traduction]
Le président : Nous demandons fréquemment des précisions complémentaires à nos témoins car nous comprenons bien que vous ne puissiez pas fournir immédiatement des réponses à toutes nos questions, qui sont parfois complexes. Nous vous prions de faire parvenir vos réponses à la greffière, ainsi que toute autre observation que vous aimeriez ajouter. La greffière veillera ensuite à communiquer vos réponses à chacun des membres du comité.
Le sénateur Stollery : Hier soir, monsieur Greenhill, nous avons eu une réunion très intéressante sur la Russie. Notre ancien ambassadeur à Moscou nous a donné un témoignage extraordinaire, et il nous a appris qu'en dix ans, la Russie était passée du stade d'un État en faillite à celui d'un État à revenus moyens, de 20 millions d'habitants. Nous n'avons jamais rien vu de pareil en Afrique. La Russie a peut-être eu la chance que les experts en développement ne se soient pas occupés d'elle.
Le président : Je vais vous donner la chance de dire le dernier mot.
M. Greenhill : Je voudrais remercier les sénateurs de l'intérêt qu'ils portent à l'Afrique, car il est évident que c'est l'un des plus grands défis qui se posent à la communauté internationale, à l'heure actuelle. Il n'y a pas de solution facile.
Je vous ai parlé des secteurs qui me semblent porteurs de progrès, mais j'aimerais souligner deux éléments. Premièrement, il est très difficile de faire des progrès dans chacun de ces pays, même dans les pays qui obtiennent de bons résultats. Deuxièmement, je vous ai dit que nous avions tiré des leçons des expériences passées et que nous avions rajusté nos façons de faire, mais cela ne veut pas dire que tout ce que nous faisons est parfait. Nous avons encore beaucoup de travail à faire pour que nos actions soient mieux ciblées, plus efficaces et plus responsables.
J'ai parlé de certains changements organisationnels, mais nous repensons également nos façons de faire dans chaque pays, nos modes d'intervention, afin d'en accroître l'efficacité. Il y a déjà de bonnes choses que nous allons développer davantage, mais je pense que nous pouvons tous espérer que d'autres changements positifs interviendront d'ici peu. C'est ce que je tenais à vous dire ce soir, messieurs les sénateurs. Je vous remercie de m'en avoir donné la possibilité.
Le président : Monsieur Greenhill, je me dois de préciser, en premier lieu, que les opinions que nous avons exprimées ont été forgées à la suite des nombreux témoignages que nous avons entendus sur la question depuis plus de deux ans que nous avons entrepris cette étude.
Le sénateur Stollery : Les témoignages de 400 témoins, il faut le préciser.
Le président : Nous les interprétons peut-être à notre façon, mais c'est ce que nous avons entendu, surtout en Afrique.
Deuxièmement, je ne pense pas que mes collègues vous visaient personnellement, vous ou vos collaborateurs, car c'est davantage les politiques qu'ils dénoncent. Nous sommes en effet convaincus qu'il faut les réorienter si nous voulons améliorer l'aide que nous dispensons.
Troisièmement, vous avez dû vous sentir sur la sellette, si je peux m'exprimer ainsi. Je le comprends. C'est un dossier complexe et difficile, mais vous avez dû vous rendre compte qu'il nous tient à cœur, et que nous avons acquis, sinon une certaine expertise, tout au moins une bonne connaissance de la question.
Nous vous remercions d'avoir comparu devant nous aujourd'hui et d'avoir enrichi notre discussion. Dites bien à la ministre que mon invitation est sérieuse, et que j'espère qu'elle viendra nous dire ce qu'elle pense de notre rapport à la première occasion. Merci, et à la prochaine.
Chers collègues, étant donné l'incertitude qui plane sur le calendrier parlementaire, le président vous communiquera la date de notre prochaine réunion.
La séance est levée.