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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 1 - Témoignages du 3 décembre 2007


OTTAWA, le lundi 3 décembre 2007

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 16 h 5, pour examiner les cas de discrimination présumée dans les pratiques d'embauche et de promotion dans la fonction publique fédérale, et pour étudier la mesure dans laquelle sont atteints les objectifs visant l'équité en matière d'emploi pour les groupes minoritaires.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, le comité poursuit son examen des cas de discrimination présumée dans les pratiques d'embauche et de promotion dans la fonction publique fédérale, et étudie la mesure dans laquelle sont atteints les objectifs visant l'équité en matière d'emploi pour les groupes minoritaires.

Notre premier groupe de témoins représente la Commission de la fonction publique du Canada. En effet, nous avons le plaisir d'accueillir Maria Barrados, présidente de la Commission de la fonction publique du Canada. Je vous remercie d'être venues, en cette journée si froide et si éprouvante, et de continuer à nous appuyer dans nos travaux. Merci aussi de faire le point sur les progrès réalisés à l'égard des quatre groupes désignés et de nous faire part de votre opinion en la matière.

Mme Barrados est accompagnée de Joanne Lalonde et de Paula Green. du 19 novembre 2007

Soyez les bienvenues toutes les trois.

Pour commencer, nous allons entendre votre déclaration d'ouverture. Ensuite, nous passerons aux questions. Comme vous le savez, nous avons produit un rapport dans lequel nous mettons de l'avant certaines recommandations concernant ce que nous pensions être utile, voire nécessaire, pour que soient enfin atteints tous les groupes désignés. Nous nous préoccupions particulièrement des minorités visibles et des difficultés à atteindre les cibles pour ce groupe. Néanmoins, nous sommes tout aussi conscients des problèmes qui existent ailleurs et qu'il faut bien sûr corriger.

J'ai confiance que dans votre allocution d'aujourd'hui, vous proposerez des solutions à ces problèmes persistants.

Maria Barrados, présidente, Commission de la fonction publique du Canada : Madame la présidente, je vous remercie de m'avoir de nouveau invitée à comparaître devant le comité pour discuter de l'équité en matière d'emploi dans la fonction publique fédérale.

[Français]

Le 13 novembre, la Commission de la fonction publique a déposé au Parlement son rapport annuel 2006-2007. Celui-ci couvre la première année complète d'activités en vertu de la nouvelle Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

Nous avons distribué de la documentation qui comprend deux extraits du rapport annuel. Ces extraits fournissent des statistiques récentes sur la représentation des groupes d'équité en emploi à la fonction publique fédérale, ainsi que les tendances du recrutement de membres des groupes désignés au cours des cinq dernières années.

[Traduction]

Trois des quatre groupes visés par l'équité en matière d'emploi sont bien représentés, mais un écart subsiste pour les membres des minorités visibles. La CFP a observé une hausse globale de l'embauche dans la fonction publique, mais pas de l'embauche de membres des minorités visibles. En général, le recrutement a augmenté de 9 p. 100, mais celui des membres des minorités visibles a reculé, passant de 9,8 à 8,7 p. 100. Ces chiffres indiquent que l'écart existant ne fera que se creuser.

La Commission cherche à comprendre pourquoi cet écart existe, sachant que les membres des minorités visibles souhaitent toujours travailler dans la fonction publique fédérale. En 2006-2007, 21 p. 100 des candidats ayant participé aux processus du recrutement externes étaient issus des minorités visibles. La proportion de candidats appartenant à ce groupe, qui possèdent les qualifications demandées et sont titulaires de diplômes postsecondaires, est supérieure aux autres groupes de candidats. En outre, les membres des minorités visibles ne sont pas éliminés à la présélection. Ils remplissent correctement leurs formulaires de demande d'emploi.

Dans le cadre de sa recherche continue sur la situation, la Commission est en voie de prendre plusieurs mesures pour mieux comprendre ce qui se produit. La CFP a commencé un sondage, en mars 2007, afin de connaître l'opinion des candidats sur les différentes étapes du processus de recrutement, ainsi que sur l'expérience qu'ils ont vécue à chacune des étapes. Les résultats seront diffusés dans le prochain rapport annuel de la Commission.

La CFP fera également le suivi de l'évolution des membres des groupes visés par l'équité en matière d'emploi participant aux processus de recrutement, aux étapes de présélection, d'évaluation et de sélection.

Des données précises seront recueillies auprès des ministères et organismes, puis analysées au moyen d'une méthode d'échantillonnage, et ce, à partir de mars 2008.

Les résultats de diverses recherches et ceux tirés de sources de données seront compilés et analysés pour dégager des tendances quant à la performance des groupes visés par l'équité en matière d'emploi — plus particulièrement les minorités visibles — dans le processus de recrutement externe. La Commission estime pouvoir diffuser son rapport à la fin de l'exercice 2008-2009.

La CFP a également demandé à Statistique Canada de mener une étude pour déterminer quel pourcentage annuel de recrutement parmi les minorités visibles — y compris au sein du groupe de la direction — serait nécessaire pour que la fonction publique fédérale devienne représentative de la société canadienne dans un avenir raisonnable. L'étude devrait être terminée d'ici mars 2008.

[Français]

La CFP sait que la Loi sur l'emploi dans la fonction publique offre des occasions d'améliorer la représentation. Comme il a été noté dans le rapport annuel, la plupart des organisations n'ont pas encore élaboré les stratégies de dotation nécessaires à l'utilisation efficace des occasions qui présentent la nouvelle définition du mérite, tels que les exigences et les besoins opérationnels actuels et futurs, y compris l'équité en emploi. Ces besoins identifiés sont le fondement de stratégie de dotation qui aborderait les écarts dans la représentation. Sans stratégie cohérente, l'information liée à la planification est largement concentrée sur des mesures de dotation individuelles. Cela ne suffit plus pour appuyer la nouvelle définition du mérite. À ce jour, seuls 12 ministères et organismes ont élaboré des stratégies de dotation qui inclut un plan visant à combler les lacunes liées à la représentation de l'équité en emploi. Une liste de ces organisations est jointe au document du mot d'ouverture.

En vertu de son régime de délégation complète, la CFP surveille comment les ministères et les agences font valoir leurs responsabilités conformément à LEFP, y compris l'équité en emploi. La commission est également en voie de revoir ses politiques et lignes directrices pour s'assurer qu'elle fournit aux organisations le soutien dont elles ont besoin. En octobre 2007, j'ai envoyé une note aux administrateurs généraux afin de leur offrir des conseils pratiques quant à l'utilisation des dispositions habilitantes de la LEFP et à l'application des politiques de la CFP sur l'équité en emploi dans le processus de nomination.

[Traduction]

Cela m'amène maintenant à vous parler des avantages d'une approche concertée. La Commission a déterminé que des initiatives de dotation collective bien définies, combinées à un leadership solide, peuvent permettre d'améliorer grandement la représentation des groupes visés par l'équité en matière d'emploi.

La CFP a fait des efforts considérables, à l'échelle du gouvernement, pour augmenter la représentation des minorités visibles au niveau de la direction. Elle a réussi à créer un bassin de 41 candidats préqualifiés au niveau EX-01. Jusqu'à présent, les ministères ont effectué 27 nominations à partir de ce bassin, ce qui a entraîné une augmentation importante du nombre de membres des minorités visibles dans le groupe EX.

Le premier bassin de candidats préqualifiés de la CFP sera épuisé en février 2008. La Commission est en voie d'élaborer des plans pour en créer un second.

La CFP a aussi travaillé, en collaboration avec l'Agence de la fonction publique du Canada et le Conseil des ressources humaines, à une initiative de dotation collective pour le groupe des PE (personnel administratif). Nous avons distribué un diagramme illustrant les étapes nécessaires au processus de recrutement postsecondaire pour embaucher des PE-01 et des PE-02. Les considérations liées à l'équité en matière d'emploi ont été intégrées à ce processus. Les résultats sont impressionnants : 21,4 p. 100 des nominations visent des membres des minorités visibles.

Je me réjouis de la création du Comité des champions sur les minorités visibles, réalisée sous la direction de Morris Rosenberg, sous-ministre à Santé Canada. Je crois que cette forme de leadership, au plus haut niveau, est essentielle.

La Commission continuera de travailler avec les ministères et organismes pour leur fournir des conseils, des évaluations, des outils et des ressources. Elle ne cessera d'insister sur l'importance d'élaborer des stratégies d'équité en matière d'emploi qui encouragent les gestionnaires délégataires à faire preuve de leadership, en choisissant de combler leurs besoins à long terme plutôt que de se limiter au court terme. La CFP veut des résultats concrets.

Je serai ravie de répondre à vos questions.

La présidente : Merci, madame Barrados, pour cette entrée en matière.

Dans votre rapport, vous dites qu'il a été difficile de motiver les gestionnaires. Lorsqu'on fixe des objectifs, si les gens ne comprennent pas qu'ils devront rendre des comptes et qu'ils seront jugés et évalués en fonction de leurs résultats, on n'ira nulle part. Nous recommandons que toute promotion ou augmentation de salaire pour la haute direction soit conditionnelle à la réussite de ses membres dans l'établissement de politiques, de pratiques et de cibles au chapitre de l'équité en matière d'emploi. Allez-vous jusque-là? Je vois des encouragements, mais rien de contraignant.

Mme Barrados : Merci pour cette question. La loi confère un rôle très clair à la CFP, notamment en matière de dotation et d'évaluation ainsi que de neutralité dans la fonction publique. Il n'est nullement question d'accorder une rémunération au rendement aux sous-ministres ou aux gestionnaires. Cependant, nous donnons de la rétroaction aux sous-ministres sur la façon dont ils assurent la dotation et sur les résultats qu'ils obtiennent dans leurs efforts pour réduire les écarts au chapitre de l'équité en matière d'emploi. Nous n'écrivons pas au greffier du Conseil privé pour lui faire part de nos évaluations sur les secteurs qui réussissent mieux que d'autres. Nous nous félicitons de l'initiative du greffier consistant à demander à tous les ministères d'afficher leurs plans sur leur site Web. Il y a maintenant des efforts concertés pour que la dotation se fasse de manière planifiée, ce qui est très important pour que chacun, dans son organisation, comprenne ce qu'on attend.

La présidente : J'ai vu que vous aviez cité 12 organismes ayant présenté des stratégies de dotation. Y a-t-il une limite, dans le temps, pour la mise en œuvre et la réalisation de ces stratégies?

J'aimerais avoir une information. Je vois sur votre liste le nom du Bureau du commissaire à la magistrature fédérale; dois-je comprendre que le ministère de la Justice ne s'est pas encore conformé aux normes?

Mme Barrados : La liste indique les noms des organismes qui ont établi des stratégies de recrutement axées sur l'équité en matière d'emploi. Ceci est tout nouveau, et la première chose que nous avons demandée aux ministères était qu'ils élaborent un plan, et ils ont beaucoup progressé à ce chapitre, ce dont il faut se réjouir. Quatre-vingt-huit pour cent d'entre eux ont maintenant un plan, et les autres en auront un bientôt.

La deuxième série d'exigences vise la nécessité de se doter de stratégies d'embauche qui cadrent avec ces plans. C'est ainsi que nous pouvons voir si l'équité en matière d'emploi est respectée. Voilà pourquoi le nombre d'organismes sur la liste est plutôt limité. En effet, nous n'en avons trouvé que 12 dont les stratégies visaient l'équité en matière d'emploi.

Au départ, nous n'avions pas placé la barre très haut en ce qui concerne ces stratégies; nous voulions la preuve que des mesures étaient en place. Ceci est un nouveau système. Cela prendra un peu de temps avant que toutes les pièces du puzzle soient agencées correctement. Nous trouvons encourageant que des plans existent. Néanmoins, il faudrait se concentrer davantage sur ces stratégies, et particulièrement sur l'équité en matière d'emploi.

La présidente : Connaissez-vous leurs calendriers d'exécution? Il n'y a rien qui fait bouger plus quelqu'un que le fait de savoir qu'il a une date limite à respecter. S'ils savaient qu'ils doivent mettre en place une stratégie avant une certaine date, il y a fort à parier que votre liste serait plus longue. Je vous répète ma question : a-t-on fixé des échéanciers pour l'élaboration de ces plans?

Mme Barrados : Le greffier prévoit que ces plans seront affichés avant la fin du présent exercice financier. Je m'attends qu'au cours de la prochaine série d'évaluations les stratégies soient meilleures, y compris en ce qui concerne l'équité en matière d'emploi.

Le sénateur Munson : Soyez de nouveau la bienvenue au sein de ce comité. Je pense que j'ai déjà posé cette question la dernière fois. J'aimerais revenir sur le commentaire de la présidente au sujet de la liste des 12 organismes. Pourquoi les autres ministères ne peuvent-ils pas accélérer la cadence, si je puis m'exprimer ainsi, dans l'élaboration de ces stratégies de recrutement?

Mme Barrados : C'est une bonne question. Cela fait partie des nouvelles exigences, mais si ces stratégies ne sont pas au point, les ministères et agences ne pourront pas véritablement profiter au maximum de la souplesse que leur offre la nouvelle loi. Il ne s'est écoulé qu'un seul exercice financier complet depuis que la nouvelle loi est en vigueur; je suis donc prête à leur donner un peu plus de temps pour agir.

Le sénateur Munson : La question du bilinguisme dans les pratiques d'embauche semble constituer une barrière pour les minorités visibles. Pouvez-vous nous donner votre point de vue sur les problèmes que cela pose pour les nouveaux immigrants?

Mme Barrados : Lorsque nous avons examiné les chiffres, nous avons demandé si les personnes qui avaient été exclues dès le début du processus étaient des citoyens canadiens ou pas, parce qu'on accorde la préférence à la citoyenneté canadienne dans la loi. Le pourcentage des personnes qui avait été rejetées était très faible. C'est évidemment une barrière, à cause de ce que stipule la loi, mais cela n'a pas créé de problèmes, en ce sens que nous ne manquions pas de gens intéressés à travailler dans la fonction publique parmi les groupes visés par l'équité en matière d'emploi.

Le sénateur Munson : Quel genre de formation linguistique offre-t-on pour corriger ce problème?

Mme Barrados : Cela dépend du type d'emploi que les gens cherchent. Environ 30 p. 100 des emplois exigent que celui qui l'occupe soit bilingue. Il s'agit de postes de supervision ou de services à la population. Dans beaucoup d'emplois, il n'est pas nécessaire de parler les deux langues officielles.

À ce stade-ci, nous n'avons pas eu de problèmes à trouver le nombre suffisant de personnes pour combler les postes à pourvoir. Cependant, cela demeure une préoccupation pour les gens, particulièrement les membres des minorités visibles, qui parlent plusieurs langues. Ils entrent souvent dans la fonction publique pour occuper un emploi au bas de l'échelle, où il n'est pas nécessaire d'être bilingue. Toutefois, pour progresser dans leur carrière et aspirer à occuper de meilleurs postes, ils doivent devenir bilingues. La formation disponible pour les personnes qui n'occupent pas un emploi dans lequel il est impérieux d'avoir les compétences linguistiques est limitée.

Le sénateur Munson : Il y a quelque temps déjà, on a qualifié de « choquant » le Programme de recrutement postsecondaire. Je pense que c'était lorsque le président du Conseil du Trésor a comparu devant nous, en décembre 2004. Comment se fait-il que depuis le temps, le Programme de recrutement postsecondaire n'ait pas encore réussi à prouver qu'il pouvait contrer la sous-représentation des minorités visibles dans la fonction publique fédérale?

Mme Barrados : Ce qui me rend un peu perplexe, c'est que dans bien des cas, lorsque nous avons concentré nos efforts, grâce à un solide leadership, nous avons eu le nombre d'embauches voulu parmi les membres des minorités visibles. On n'obtient pas la même représentation avec un processus isolé.

Dans le Programme de formation des cadres, qui est une initiative spéciale pour avoir des stagiaires en gestion au gouvernement fédéral, la représentation de ces groupes est bonne. Cependant, lorsqu'il s'agit de cas d'embauche isolés, non centralisés, la représentation n'est plus aussi forte.

Quand on y met les efforts et qu'on fait preuve de leadership, les chiffres sont concluants; lorsque ce n'est pas le cas, on n'atteint pas les objectifs.

Le sénateur Munson : Que faites-vous de plus?

Mme Barrados : J'en parle beaucoup. J'essaye d'attirer l'attention des gens sur cette question. À la Commission de la fonction publique, nous encourageons la création de bassins spéciaux et d'initiatives particulières. Lorsque cela prend forme, comme avec l'initiative de recrutement aux niveaux PE-01 et PE-02, nous obtenons de bons résultats. Toutefois, nous sommes actuellement dans un système de délégation, et nous nous occupons de cet aspect, mais nous voulons que les gestionnaires reprennent le flambeau.

Le sénateur Oliver : Soyez la bienvenue parmi nous, madame Barrados. Merci pour tout le travail que vous avez fait afin d'aider les quatre groupes désignés. Étant moi-même membre d'une minorité visible, je tiens particulièrement à vous remercier pour le travail et les efforts que fait la CFP pour offrir aux minorités visibles les mêmes chances que les autres groupes d'entrer dans la fonction publique.

Dans le rapport que vous nous avez fourni aujourd'hui, comme dans celui que vous avez remis au Comité sénatorial permanent des finances nationales il y a deux semaines, vous faites état de statistiques inquiétantes selon lesquelles le recrutement global dans la fonction publique a augmenté de 9,5 p. 100, mais celui des minorités visibles a reculé, passant de 9,8 à 8,7 p. 100. C'est troublant; c'est même alarmant, décourageant et déprimant. C'est aussi la conclusion qu'en a tirée le Comité sénatorial permanent des finances nationales.

Ma question porte justement sur ces chiffres préoccupants. Pourquoi est-il si difficile de faire bouger les choses afin que les minorités visibles puissent, véritablement, obtenir des postes de direction dans la fonction publique fédérale? Qu'est-ce qui empêche ce changement institutionnel? Est-ce un problème de racisme? La haute direction fait-elle preuve de leadership? Est-ce que le greffier du Conseil privé exerce des pressions sur les sous-ministres pour qu'ils entreprennent ce changement institutionnel? Qu'est-ce qui explique que vous soyez ici aujourd'hui avec ces statistiques alarmantes? Et vous ajoutez même que l'écart actuel ne fera que se creuser. Cela revient à dire que la situation des minorités visibles dans la fonction publique canadienne ne peut qu'empirer.

Quelle est la principale raison intrinsèque à tout cela?

Mme Barrados : Moi aussi, j'ai été troublée par ces chiffres, car étant de nature plutôt optimiste et voyant parfois des progrès notables, j'avais dit, je crois, dans mon témoignage devant ce comité la dernière fois que j'ai comparu, qu'avec l'augmentation du recrutement en cours à la fonction publique fédérale, j'avais bon espoir que l'écart se resserrerait plus rapidement. Ce que je n'avais pas prévu, c'est ce revirement, qui est assez significatif. Ce n'est pas qu'un problème de chiffres. Cela signifie que nous avons atteint un certain niveau dans la fonction publique — et nous n'arrivons pas à le dépasser —, en ce sens que l'ensemble du recrutement est à la hausse, mais la proportion d'embauches parmi les membres des minorités visibles n'augmente pas.

À quoi tient ce problème fondamental? Je pense que c'est dû au fait que notre approche globale en matière de dotation n'est pas suffisamment stratégique. Les ministères et agences ne prennent pas assez au sérieux leurs obligations en ce qui a trait à la planification de la relève et aux besoins à long terme. Je ne parle pas du très long terme, mais des cinq à dix prochaines années. Les ministères ne s'occupent pas de l'équité en matière d'emploi et de la représentativité dans leurs services, ce qui est pourtant essentiel pour que la fonction publique, comme n'importe quelle organisation, puisse bien fonctionner. Si cet exercice était fait correctement, il y aurait des efforts concertés et des stratégies en œuvre; et quand on y met le prix, on obtient des résultats.

On ne déploie pas suffisamment d'efforts en ce sens. À mon avis, il y a un problème relativement au leadership et à l'élaboration des lois, des plans et des stratégies. Quand ces outils sont en place, nous obtenons de bons résultats, mais il semble y avoir un manque à ce niveau.

En ce qui a trait aux cadres, encore une fois, où nous avons investi des efforts, nous avons observé une hausse de 70 p. 100. Beaucoup d'entre eux venaient de la fonction publique et n'avaient pas eu la possibilité d'occuper un poste de direction. Nous les avons sélectionnés et fait passer des examens. Nous avons travaillé avec eux pour pourvoir des postes. Était-ce un sur cinq? Non, malheureusement, il y a encore un manque à gagner, mais grâce au leadership et à nos efforts, nous avons enregistré une augmentation importante de 70 p. 100.

Le sénateur Oliver : Pourquoi ne dispose-t-on pas d'une approche stratégique en matière de dotation? Il doit bien y avoir une raison.

Mme Barrados : Je pense que c'est parce qu'il s'agit d'une nouvelle exigence. En vertu de l'ancien régime législatif, nous procédions au cas par cas. Toutefois, nous n'avions pas les pressions actuelles. Nous avons une génération — un gros bloc — de gens qui arrivent dans le système. Maintenant, les gens se rendent compte qu'il est impératif de prendre cette planification au sérieux, compte tenu des départs à la retraite imminents des baby boomers. D'ailleurs, j'avais noté que peu importe quand cette discussion aurait lieu, il fallait que j'insiste sur le fait que ce n'est pas seulement une question de données démographiques, mais aussi de représentation. D'une certaine façon, le renouvellement du personnel est une occasion pour nous de redresser la situation, mais nous ne nous attendons pas à voir ces chiffres du côté des minorités visibles.

Le sénateur Oliver : Vous avez parlé de Morris Rosenberg. Je l'ai rencontré, et il est excellent. Il est responsable du Comité des champions sur les minorités visibles. Qu'est-il advenu de Faire place au changement? Qu'en est-il de l'objectif-repère de « un sur cinq « que nous étions censés atteindre pour contrer la sous-représentation des membres des minorités visibles? On y a consacré des dizaines de millions de dollars. Pour quelle raison a-t-on échoué?

Mme Barrados : On a mené plusieurs évaluations, mais je n'ai pas obtenu de réponse claire. À la Commission, nous avons beaucoup travaillé pour trouver des bassins de gens intéressés. Nous nous sommes demandés : les membres des minorités visibles veulent-ils vraiment se joindre à la fonction publique? Sont-ils au courant des emplois qui y sont offerts? Dans le cadre du programme Faire place au changement, nous avons appris qu'effectivement, beaucoup d'entre eux étaient intéressés à devenir fonctionnaires et semblaient être très talentueux.

Je pense que le programme a en quelque sorte été mis de côté. Il y a avait plusieurs personnes clés qui y participaient, mais je n'en entends plus beaucoup parler. Par conséquent, je veux de nouveau m'employer à atteindre ces objectifs. Nous obtiendrons bientôt les nouvelles données du recensement. J'ai donc demandé d'avoir les objectifs correspondant aux anciennes données afin d'avoir une meilleure idée — est-ce un sur cinq? Quelles sont les parties du gouvernement impliquées? Que devons-nous faire? Que représentent les nouveaux objectifs et combien de temps faudra-t-il pour les atteindre?

J'essaie de reprendre la discussion là-dessus.

Le sénateur Munson : J'aimerais revenir sur la première question du sénateur Oliver. Vous avez dit que vous étiez déçue de voir le recrutement des membres des minorités visibles passé de 9,8 à 8,7 p. 100. Cette baisse est-elle attribuable aux anciennes mentalités qui persistent au sein de la fonction publique? Quand il est question du départ des baby boomers, à votre avis, comment les gestionnaires peuvent-ils ne pas prendre leur rôle au sérieux? Comment arrivez-vous à composer avec ce genre d'attitude? S'ils ne s'acquittent pas de leurs responsabilités, c'est en quelque sorte du racisme systémique.

Mme Barrados : Dans la fonction publique, nous avons un mode de recrutement assez inquiétant — et j'en ai d'ailleurs parlé dans d'autres parties du rapport annuel. Pendant une période de six mois, nous avons examiné de près les pratiques d'embauche des employés permanents. Quatre-vingt pour cent d'entre eux avaient déjà travaillé au gouvernement par le passé, soit comme employés nommés pour une période déterminée, soit comme employés occasionnels. Cela signifie qu'on les a d'abord embauchés à court terme, pour répondre à des besoins immédiats. Les recrues temporaires ont tendance à provenir de la population locale et à être embauchées grâce à des relations. Par conséquent, on n'élargit pas notre zone de sélection et on ne vise pas les grands centres de population où vivent beaucoup plus de membres de minorités visibles.

Essentiellement, notre mode d'embauche, qui ne vise qu'à combler des besoins à court terme, va l'encontre de nos objectifs. On a recours au recrutement individuel pour doter un poste immédiat sans penser à l'avenir de la fonction publique. Cela doit changer.

J'insiste beaucoup sur la planification, et cela semble plutôt obscur et abstrait. Toutefois, cela signifie qu'une grande partie de cette embauche individuelle, consistant à recruter uniquement des personnes de son entourage, n'existe plus. On utilise une bien meilleure approche en étant diversifié sur le plan géographique et en offrant une possibilité de permanence. En ne pensant qu'à court terme, on perd de bons éléments, car ce n'est pas tout le monde qui veut travailler pour une durée déterminée avant de décrocher un poste permanent au sein de la fonction publique. Le greffier comprend cette situation, et il lance au gouvernement le défi d'embaucher 3 000 étudiants de niveau postsecondaire d'ici la fin de l'exercice 2008-2009.

Le sénateur Munson : Le secteur privé, c'est-à-dire le secteur des entreprise, a-t-il quelque chose à nous apprendre pour ce qui est des programmes de recrutement des minorités visibles?

Mme Barrados : Je pense qu'on a fait mieux dans certains secteurs, n'est-ce pas, Paula?

Paula Green, directrice générale, Équité et diversité, Commission de la fonction publique du Canada : Oui, dans le secteur bancaire, par exemple.

Le sénateur Munson : Comment s'y est-on pris?

Mme Barrados : De façon très stratégique. Les banques connaissent bien la population qu'elles desservent. Elles ont défini leurs besoins, et s'attachent à y répondre. J'ai rencontré des représentants, et ils ont pris une journée pour m'expliquer comment ils effectuaient leur dotation et leur recrutement. Leurs méthodes sont très semblables à celles que nous jugeons nécessaires; ils s'assurent de bien établir leurs besoins, d'élaborer des stratégies en conséquence et de recruter les gens qui leur faut.

Le sénateur Dallaire : Si vous me le permettez, j'aurais quelques questions à poser. Avez-vous en mains les données démographiques qui auront une incidence sur le recrutement d'ici à 2015, par exemple, en ce qui a trait à ces quatre éléments de la base de recrutement et, en particulier, aux membres des minorités visibles de ce pays? A-t-on fait des projections? J'aimerais également connaître le pourcentage des différents groupes qui feront leur entrée dans la fonction publique.

L'embauche des femmes demeurera raisonnablement stable, mais celle des trois autres groupes sera plus marquée, notamment parce que la population autochtone affiche la plus forte croissance au pays.

Mme Barrados : Il y a deux travaux en cours. L'Agence de la fonction publique du Canada, mon homologue pour ce qui est des politiques et des programmes relatifs aux ressources humaines, est responsable de l'analyse des données démographiques et des prévisions concernant la main-d'œuvre de la fonction publique. Elle fait ce travail. Par ailleurs, nous avons également demandé à Statistique Canada de faire des prévisions afin qu'on puisse avoir une meilleure idée de ce à quoi il faut s'attendre en ce qui a trait à la population de la fonction publique et à la population canadienne. On saura où se situera le manque à gagner et quelle sera son ampleur. J'ai donc l'intention de commencer à parler des objectifs qu'il faut atteindre pour contrer la sous-représentation.

Quand nous regardons les chiffres, nous constatons que les minorités visibles sont le groupe le plus préoccupant. Pour ce qui est des personnes handicapées, le recrutement a diminué, mais elles sont encore bien représentées étant donné que la main-d'œuvre est vieillissante et se retrouve avec de plus en plus de limitations et de déficiences. Il n'y a donc pas de problème de représentation à ce niveau, mais nous ne donnons pas la possibilité à d'autres d'intégrer la fonction publique. Quant aux Autochtones, je crois que leur disponibilité au sein de la population active pourrait bien changer.

Le sénateur Dallaire : Ces données sont disponibles. Autrement dit, si par exemple, l'objectif actuel pour les minorités visibles est de 9,9, nous pouvons nous attendre à ce que d'ici 2012, celui-ci soit établi à 15 — il faut non seulement répondre aux besoins immédiats, mais aussi affecter une équipe distincte pour présenter cette exigence.

Mme Barrados : Je devrais recevoir les différentes prévisions de Statistique Canada d'ici mars 2008.

Le sénateur Dallaire : Ce serait utile que nous puissions y jeter un coup d'œil.

Y a-t-il des plaintes en suspens relevant des droits de la personne qui ont été déposées contre la Commission de la fonction publique?

Mme Barrados : Je devrai vous revenir là-dessus, mais il est fort probable que oui, étant donné qu'on peut adresser toutes sortes de plaintes relatives à l'évaluation ou à la dotation en général. Je vais vous revenir là-dessus.

Le sénateur Dallaire : Nous sommes déjà au courant des plaintes concernant l'équité salariale.

Mme Barrados : Le manque d'accommodements pour certains de nos examens est une source de préoccupation et fait l'objet d'un traitement injuste durant un processus de sélection. Habituellement, la Commission de la fonction publique est nommée. J'ai une équipe qui travaille là-dessus. Quant à savoir s'il y a des plaintes non réglées, j'imagine que oui, mais je vais vous le confirmer plus tard.

Le sénateur Dallaire : Qu'arriverait-il si vous établissiez une politique de recrutement visant à embaucher des membres des minorités visibles de l'extérieur avant les employés à l'interne? Par exemple, vous avez indiqué que 21 p. 100 des gens qui postulaient à des postes à l'externe étaient des membres des minorités visibles. Toutefois, de nombreux postes ne sont offerts qu'à l'interne. En fait, à l'époque où j'étais à l'ACDI, les gens n'avaient même pas le temps de changer leur carte professionnelle qu'ils travaillaient déjà ailleurs. Pourriez-vous envisager le recrutement externe des membres des minorités visibles avant même la dotation interne?

Mme Barrados : C'est une question intéressante, et je suis d'accord avec vous, sénateur. D'ailleurs, dans le rapport annuel, je parle du taux de roulement croissant au sein de la fonction publique. Ce taux a augmenté de 5 p. 100 par année au cours des trois dernières années. À l'heure actuelle, le taux de roulement se situe, en moyenne, à 40 p. 100. Dans certains groupes particuliers, il est plus élevé. Pour ce qui est des cadres, il se situe à 50 p. 100. Le taux de roulement des PE, soit le groupe de la gestion du personnel, est établi à 70 p. 100. Ce roulement élevé est donc préoccupant.

Quant à votre proposition de recruter d'abord à l'externe, en vertu des mesures législatives précédentes, il y avait une exigence selon laquelle il fallait envisager la dotation interne en premier. Cette disposition a été supprimée et elle n'existe plus. Il appartient donc maintenant à chaque gestionnaire de déterminer s'il dispose d'un bassin suffisant de candidats. Celui-ci doit s'assurer d'avoir suffisamment de gens qui pourraient répondre aux besoins de son organisation.

Par conséquent, si vous envisagez de recruter des membres des minorités visibles, et j'espère que votre plan indique qu'il y a là un besoin, vous devriez donc lancer un concours à l'externe. Si vous avez un bassin suffisant à l'interne, vous pouvez vous en contenter.

Toutefois, il faut être prudent, car de nombreux fonctionnaires qui font partie des minorités visibles estiment ne pas jouir de possibilités d'avancement. J'aurais du mal à leur refuser la possibilité d'occuper un poste supérieur en ne leur permettant pas de poser leur candidature.

Le concours lancé pour le poste EX-01 était externe, mais 70 p. 100 des candidats venaient du gouvernement, mais ont quand même postulé.

Le sénateur Dallaire : Le moins que l'on puisse dire, c'est que la turbulence est perturbatrice à tous les niveaux, particulièrement aux niveaux de direction les plus élevés. Si les cadres changent de poste chaque année, il n'y a pas de stabilité au sein de l'organisation. N'y a-t-il pas de politiques destinées à réduire cela? À un moment, il était impossible de congédier des fonctionnaires. Maintenant, on ne peut plus les garder en poste, en raison des cheminements de carrière et ce genre de choses. C'est pire que dans l'armée. En réalité, nous avons déjà un peu réduit le roulement; nous avions limité les transferts aux gens qui occupaient le même poste depuis au moins trois ou cinq ans. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Comment est-il possible d'avoir une politique visant à recruter à l'externe ou de répondre à ces demandes complexes si tout le monde joue à la chaise musicale chaque année? Un taux de roulement de 40 p. 100, c'est absolument incroyable. Il devrait y avoir une politique qui interdit cela.

Mme Barrados : Je suis également très préoccupée par ce chiffre. On a tenu des discussions à l'interne afin de déterminer ce que nous pourrions faire à cet égard. Encore une fois, je suis la personne responsable du recrutement. Il y a d'autres éléments en jeu ici. J'ai de la difficulté à obtenir un consensus pour ce qui est de la meilleure chose à faire. Ce que les gens me disent, entre autres, c'est que pendant des années, nous nous sommes battus pour permettre la mobilité entre les ministères et diversifier l'expérience des employés, et maintenant que c'est ce qu'on a, on se plaint.

De plus, on me dit que les employés se déplacent au sein du gouvernement; ils ne quittent pas la fonction publique.

Le sénateur Dallaire : C'est encore pire. On permet aux employés d'acquérir de l'expérience et de développer leurs compétences, mais on n'assure aucune continuité au sein des différentes organisations en les laissant se déplacer d'un ministère à l'autre. Ils ne restent même pas dans l'organisation.

J'aimerais un jour faire comparaître le grand manitou des ressources humaines pour qu'il nous dise comment les politiques globales en matière de RH sont manœuvrées.

J'aimerais que vous nous disiez si vous avez observé des liens ou des tendances entre le recrutement et la langue. Par exemple, est-il possible que des minorités visibles francophones — notamment des Caraïbes — aient de la difficulté à joindre la fonction publique parce qu'elles ne sont pas bilingues et qu'il n'y a pas suffisamment de postes unilingues français offerts? Qu'en est-il des Canadiens d'origine indienne? Y a-t-il des barrières linguistiques? Prenez-vous des initiatives en ce sens?

Par exemple, dans l'armée, les personnes unilingues devaient suivre un cours de langue et pouvaient ensuite occuper n'importe quel poste. Y a-t-il une politique semblable en vigueur dans la fonction publique, ou est-ce que les candidats démontrent ce qu'ils ont à offrir et ensuite vous décidez si vous les voulez ou pas?

Mme Barrados : Chaque poste est désigné bilingue ou non. Si un poste ne nécessite pas la maîtrise des deux langues officielles, il revient au gestionnaire de fixer les exigences linguistiques requises. Les consignes à respecter sont les suivantes : si vous fournissez des services au public ou si vous supervisez du personnel, vous devez être bilingue. Si vous êtes un cadre, vous devez avoir le niveau CBC.

On pourrait tenir des discussions pour déterminer si ces désignations sont adéquates. J'ai remarqué que nous avions le niveau ABC, A étant le plus bas et C le plus haut. Le niveau A a pratiquement disparu. Il semble qu'on ait davantage eu recours aux désignations avec le temps. J'ignore pourquoi, étant donné que ce sont les gestionnaires qui déterminent les exigences requises. Il y a toujours la possibilité de doter des postes de façon non impérative dans certaines circonstances où les employés ont la possibilité de recevoir une formation. Cette façon de faire semble bien fonctionner, et la dotation non impérative est utilisée adéquatement. Les gens reçoivent une formation et peuvent obtenir une prolongation.

Des problèmes se posent lorsque des gens qui occupent des postes unilingues n'ont pas le même accès à la formation linguistique sous prétexte que ce n'est pas nécessaire dans le cadre de leurs fonctions, mais il s'avère que cela diminue leurs chances d'obtenir une promotion. Il s'agit d'un problème qui touche davantage les possibilités d'avancement.

Nous n'avons jamais eu beaucoup de difficulté à constituer des bassins suffisants de candidats, sauf dans certains domaines spécialisés.

Le sénateur Dallaire : Vous affirmez donc qu'il n'y a aucun problème en ce qui concerne la langue et les minorités visibles, car il existe suffisamment de postes unilingues français pour embaucher les huit, neuf ou dix pour cent des membres des minorités visibles qu'il faut engager dans la fonction publique. Y a-t-il des domaines où vous estimez que, en raison des compétences linguistiques, ils ne peuvent tout simplement pas obtenir un emploi?

Mme Barrados : C'est dans les domaines spécialisés que nous éprouvons des problèmes. En ce moment, nous manquons de personnel dans certains secteurs des domaines financier et médical. Cela peut constituer un réel problème, car même s'il s'agit d'un poste bilingue non impératif et qu'on donne deux ans au titulaire pour acquérir les compétences linguistiques nécessaires, celui-ci ne peut donc pas occuper ses fonctions immédiatement, alors qu'on a besoin de lui tout de suite. Dans ces domaines, les difficultés sont plus nombreuses.

Le sénateur Dallaire : Madame la présidente, nous entendons constamment dire que les minorités visibles sont victimes de racisme dans le cadre des processus d'embauche. J'entends ce commentaire couramment à Québec et à Montréal. Nous ne semblons pas être capables d'atteindre les objectifs. Je ne comprends pas comment se fait-il, malgré le grand nombre d'emplois disponibles, que le recrutement de minorités visibles soit difficile. Au ministère de la Défense, la situation est différente. On s'est rendu compte qu'il fallait embaucher de nombreux Haïtiens.

La présidente : Comme vous le savez, notre étude porte sur les cas de discrimination présumée. Je crois que vous avez employé le terme « racisme ». Nous avons écrit dans notre rapport que nous pensions qu'il y avait du racisme systémique, qui est un terme défini par les tribunaux, ce qui signifie que nous ne l'utilisons pas au sens large ni à la légère.

D'un côté, nous voulons veiller à ce qu'il n'y ait pas de racisme manifeste, et de l'autre, nous ne voulons pas viser injustement certaines personnes au sein de la Commission de la fonction publique en affirmant qu'elles sont racistes alors qu'en fait elles ne le sont pas. Nous l'indiquons dans notre rapport, et j'exhorte ceux et celles qui nous écoutent en ce moment à lire la partie de ce document qui porte là-dessus.

Je crois que nous convoquerons d'autres témoins et que nous continuerons de nous pencher sur cette question. Toutefois, pour l'instant, nous devons continuer.

Sénateur, comme vous le savez, nous étudions le problème depuis longtemps et nous n'avons pas l'intention d'arrêter là. Nous avons demandé et obtenu une prolongation de notre échéance. Une chose est certaine, nous allons être persistants et constants durant cette étude en profondeur en vue de trouver des solutions au lieu de simplement cerner encore une fois les problèmes.

Qu'elle concerne la CFP ou d'autres entités, la question est la suivante : Comment amener tous les acteurs à prendre cette situation au sérieux et à y remédier? Si j'ai bien compris Mme Barrados, elle a affirmé qu'elle faisait ce qu'elle pouvait dans son domaine et que les résultats étaient limités. Toutefois, dans l'ensemble, en ce qui concerne les minorités visibles, par exemple, la situation n'est pas très reluisante; en fait, elle se dégrade. De toute évidence, nous devons faire les choses autrement.

J'ai entendu parler de la question des employés contractuels d'une manière assez dramatique. Quiconque possède un diplôme d'études postsecondaires a un certain cheminement de carrière en tête. Est-ce qu'une personne de Vancouver viendra jusqu'ici pour un contrat de courte durée afin de connaître des gens qui lui permettront peut-être d'obtenir un emploi permanent? Ce n'est pas de cette façon que le monde fonctionne. Les gens ont des obligations, notamment une famille; il y a aussi d'autres considérations. Une personne n'acceptera pas un contrat de courte durée dans l'espoir d'obtenir un emploi permanent. Elle restera là où elle est pour voir si elle peut obtenir un poste permanent. Cela est particulièrement vrai pour les jeunes, étant donné qu'ils ont entre autres moins d'expérience.

Ce sont là les questions que nous allons examiner. À ce stade-ci, nous ne pouvons pas affirmer que nous avons trouvé les solutions, quoique nous ayons formulé certaines recommandations en matière de responsabilité en ce qui concerne les fonctionnaires qui occupent des postes clés. Nous continuerons d'étudier cet aspect. Je suis tout à fait prête à entendre d'autres recommandations pour notre prochain rapport de la part des sénateurs, collectivement ou individuellement.

Le sénateur Oliver : J'allais vous demander d'expliquer cette initiative de dotation collective, car je ne comprends pas de quoi il s'agit au juste, mais nous n'avons pas suffisamment de temps pour le faire. La présidente a fait référence à quelques reprises à un rapport publié par le comité qui contient des recommandations. La première concernait les primes des sous-ministres.

La deuxième recommandation se lit comme suit :

Que la fonction publique fédérale élabore des moyens concrets de mettre en œuvre son plan d'action afin de garantir un accès égal aux postes de direction et à toutes les catégories professionnelles pour chacun des groupes désignés.

J'ai discuté de cette recommandation avec plusieurs groupes de minorités visibles au Canada, et ils m'ont affirmé qu'ils la trouvaient générale. J'aimerais donc savoir ce que vous en pensez et quelles étapes devraient être suivies d'après vous.

Mme Barrados : Ce tableau complexe visait uniquement à montrer que, s'il y a un effort concerté, si de nombreux acteurs sont partie prenante et s'il y a de nombreuses étapes, on obtient un bon résultat. Si on s'en remet à la décision de chacun, on n'obtient pas le même résultat. Ce qu'il faut retenir, c'est que cela nécessite des efforts, et si un grand nombre de gens mettent la main à la pâte, on obtient des résultats. Nous savons comment y parvenir, il suffit seulement de passer à l'action.

Quant à l'obtention de résultats concrets, je reviens aux commentaires que j'ai formulés au sujet de la planification. Les gestionnaires, de façon individuelle, doivent se rendre compte qu'ils ont un rôle important à jouer pour faire en sorte que la fonction publique soit davantage représentative et que les plans en question comportent des mesures destinées à améliorer la situation dans les domaines où elle n'est pas aussi reluisante qu'elle devrait l'être. Certains ministères affichent d'assez bons résultats sur le plan de la représentation de la diversité. Dans l'ensemble toutefois, les chiffres ne sont pas très bons, ce qui signifie que, si certains s'en tirent bien, d'autres enregistrent un très mauvais bilan. Les plans individuels sont essentiels.

Cela dit, des gens comme moi doivent suivre la situation de près. Nous devons être proactifs et vérifier auprès des ministères l'état de la situation et leur expliquer comment ils peuvent s'améliorer. Par conséquent, nous leur fournissons beaucoup d'information sur la façon d'obtenir de meilleurs résultats et nous leur donnons également des exemples de réussite.

Une fois que les plans auront été définis, je m'attends à ce qu'on tienne responsables les personnes concernées de l'exécution de ces plans. La responsabilité est un élément important parce que les plans devraient être concrets. Sinon, nous aurons de sérieuses questions à poser à ceux qui les auront élaborés. Les stratégies énoncées dans les plans doivent être appliquées. Si on élabore un plan qu'on n'a pas l'intention de mettre en œuvre, il s'agit alors d'un travail inutile.

Le sénateur Oliver : Je voudrais maintenant parler de M. Rosenberg, avec qui je me suis entretenu au sujet du travail qu'il accomplit. Pouvez-vous nous dire ce que fait le Comité des champions sur les minorités visibles? Décrivez-nous ce comité et ce qu'il fait.

Mme Barrados : Il s'agit d'un comité au sein du gouvernement, dont M. Rosenberg est le président. Paula Green participe activement aux travaux de ce comité et elle pourrait peut-être vous donner des détails au sujet de ce qu'il fait.

Mme Green : Les champions dans chaque ministère sont rattachés au réseau des minorités visibles du ministère. Jusqu'à maintenant, le comité a tenu deux réunions, et je peux vous dire que les champions sont très motivés à faire bouger les choses.

Des priorités doivent être établies, car il ne suffit pas de déterminer les problèmes. Des priorités doivent donc être définies et un plan d'action stratégique doit être élaboré. Ce plan sera mis en œuvre à l'échelle du gouvernement. Le comité vient de commencer à dresser ce plan.

Le sénateur Oliver : Ces champions occupent-ils des postes supérieurs? Occupent-ils des postes de sous-ministre ou de sous-ministre adjoint?

Mme Green : Morris Rosenberg est sous-ministre. La majorité d'entre eux sont sous-ministres adjoints, tandis que certains sont des directeurs généraux régionaux et d'autres des directeurs généraux. Je ne crois pas qu'il y en ait qui occupent des postes de niveau inférieur à ceux-là.

Le sénateur Oliver : Quand a eu lieu la dernière réunion?

Mme Green : C'était il y a deux semaines.

Le sénateur Oliver : Madame Barrados, en tant que présidente de la Commission de la fonction publique, avez-vous l'occasion de rencontrer régulièrement le greffier du Conseil privé pour discuter de ces questions, ou existe-t-il une tribune qui vous permet d'en discuter?

Mme Barrados : Je rencontre régulièrement le greffier adjoint. Je m'entretiens avec le greffier lorsque j'ai besoin de discuter avec lui de certains rapports ou d'une série de questions précises, mais je discute plus souvent avec le greffier adjoint. Je participe également à un certain nombre de rencontres entre les sous-ministres, où je peux soulever ces questions.

Le sénateur Oliver : Dans le passé, Alex Himelfarb, un ancien greffier du Conseil privé, a comparu devant le comité au sujet de ces questions. Il serait bon que le greffier actuel fasse de même. Ce serait utile.

Mme Barrados : Le greffier est le chef nominal de la fonction publique.

La présidente : Monsieur le sénateur, nous avions l'intention de le convoquer, alors nous aurons l'occasion de discuter avec lui. Je crois que le sénateur Munson veut intervenir brièvement.

Le sénateur Munson : Le mot « responsable » m'intrigue. Dans le secteur privé, si un gestionnaire est responsable, cela signifie que s'il ne rend pas compte de l'application des directives qui lui ont été données, il pourrait subir des conséquences. Qu'entendez-vous par « responsable » en ce qui concerne les plans stratégiques? Dans quelle mesure une personne est responsable? Doit-elle montrer que les cibles ont été atteintes et, sinon, que lui arrive-t-il si on constate des lacunes au sein de la fonction publique?

Mme Barrados : La responsabilité est différente selon les cas. Pour ma part, ma responsabilité, qui concerne la dotation et le recrutement, consiste à présenter des rapports sur l'état de la situation. Si de sérieux problèmes sont relevés, nous déployons davantage d'efforts dans les domaines concernés afin d'y remédier. Si les choses ne s'améliorent pas, nous retirons certains pouvoirs qui avaient été délégués ou nous y rattachons certaines conditions.

Diverses options s'offrent à nous.

Le sénateur Munson : Qu'entendez-vous par « conditions »?

Mme Barrados : Un des pouvoirs que nous déléguons est celui de procéder à des nominations. S'il y a un problème à cet égard, la Commission a le droit de retirer ce pouvoir et de le confier à un ministère ou à un organisme gouvernemental. C'est lui qui serait chargé d'effectuer les nominations. Sinon, nous pouvons imposer des conditions ou formuler des recommandations pour qu'ils obtiennent les prérogatives nécessaires.

En ce qui concerne la gestion dans son ensemble, au sein d'un ministère, les rapports sont hiérarchiques. Il y a la relation entre le sous-ministre, le ministre et le greffier.

Le sénateur Munson : Je ne sais pas si nous avons parlé du fait que vous mentionnez dans votre rapport que le pourcentage de nominations des femmes dans la fonction publique a diminué. Entre 2005-2006 et 2006-2007, il est passé de 56,9 à 55,6. Qu'est-ce qui explique cette baisse?

Mme Barrados : Ce recul ne m'inquiète pas beaucoup puisque le pourcentage est supérieur à la disponibilité au sein de la population active.

Le sénateur Munson : Je vois.

Mme Barrados : Habituellement, on me demande le contraire, c'est-à-dire pourquoi il y a si peu d'hommes. Cette situation est attribuable en majeure partie au type de postes qui sont pourvus.

La présidente : Je vous remercie d'avoir comparu encore une fois devant nous. Vous travaillez patiemment et de façon continue à modifier la composition de la fonction publique de sorte qu'elle soit véritablement représentative de la population canadienne. Vous avez affirmé qu'il existe suffisamment de candidats dans tous les domaines qui pourraient obtenir un poste au sein de la fonction publique si on modifiait nos méthodes pour les attirer et si on continuait à leur offrir des possibilités d'emploi.

Je peux vous affirmer que le comité a un peu moins de patience que vous. Nous allons modifier certaines de nos recommandations de façon à ce qu'elles soient plus précises en vue de nous assurer qu'il y ait un suivi, étant donné que vous avez dit qu'il y a de nombreux acteurs. Nous voulons qu'ils sachent que ce que nous faisons en ce moment n'est pas satisfaisant. Nous pouvons faire mieux en tant que pays et en tant que fonction publique. Votre engagement à l'égard de cette question et votre disponibilité sont grandement appréciés par le comité.

Nous accueillons maintenant M. Fo Niemi, directeur général du Centre de recherche-action sur les relations raciales, et M. Igho Natufe, président du Conseil national des minorités visibles de la fonction publique fédérale. La troisième personne est Mme Adelaidea Bustamante.

Igho Natufe, président, Conseil national des minorités visibles de la fonction publique fédérale : Elle prendra également la parole. Elle est la responsable des questions d'éthique au Conseil.

La présidente : Je vous souhaite la bienvenue. Si vous avez un exposé à faire, je vous demanderais de le faire maintenant, et ensuite nous passerons aux questions. Je sais que vous avez entendu une partie des échanges que nous avons eus avec les autres témoins. Nous voulons faire en sorte que les sénateurs aient le temps de poser des questions.

M. Natufe : Je vous remercie beaucoup, honorables sénateurs. Je vous remercie de nous avoir invités à comparaître devant votre comité afin que vous puissiez entendre notre point de vue sur le sujet.

Le Conseil national des minorités visibles a été créé en 1999 à l'initiative de trois ministères qui avaient établi des réseaux au sein de la fonction publique. Au fil des ans, nous avons exprimé les intérêts et les préoccupations des minorités visibles de la fonction publique et nous avons remarqué que ce groupe était constamment sous-représenté à tous les échelons de la fonction publique, surtout à l'échelon intermédiaire.

Ce soir, je vais vous donner un bref aperçu de notre organisme et des défis auxquels nous sommes confrontés et je vais aussi recommander des mesures qui sont d'ordre pratique selon nous et que le comité devrait examiner.

Notre dernière conférence a eu lieu il y a deux mois seulement. La première s'est tenue en 1999 et elle avait attiré plus de 200 participants. À la dernière conférence, nous avons accueilli près de 500 participants de partout au pays provenant de ministères et d'organismes fédéraux.

Notre mission consiste à jouer un rôle de catalyseur au sein de la fonction publique fédérale afin de promouvoir les minorités visibles dans les ministères et les organismes gouvernementaux pour faire en sorte qu'elles soient représentées comme il se doit au sein de la fonction publique canadienne.

Nous sommes aussi la voix des minorités visibles dans la fonction publique fédérale. À ce titre, lors des rencontres au sein du gouvernement fédéral où se prennent les décisions, nous amorçons le dialogue sur les façons de bâtir une fonction publique fédérale desservant toujours mieux le public canadien tout en affirmant les valeurs démocratiques de la société canadienne.

Le CNMV est un organisme bénévole sans but lucratif et non syndiqué qui représente tous les fonctionnaires fédéraux qui appartiennent au groupe des minorités visibles tel qu'il est défini dans la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Les employés retraités qui font partie de ce groupe comptent également parmi nos membres tout comme les employés des minorités non visibles qui appuient notre mandat. Ces derniers peuvent être désignés pour siéger au comité consultatif.

Nous avons des bureaux dans six régions du Canada : l'Atlantique, le Québec, la région de la capitale nationale, l'Ontario, le Centre et l'Ouest. La structure de notre organisme est axée essentiellement sur l'exécutif national, dont les cinq membres sont élus lors de l'assemblée générale annuelle. Chacun des six directeurs régionaux est élu au cours d'une assemblée régionale.

En outre, il existe des comités au sein des ministères et des organismes gouvernementaux. Jusqu'à maintenant, nous avons mis sur pied des comités dans environ 25 organismes et ministères fédéraux.

Nous comptons aussi un comité consultatif, qui se compose de hauts fonctionnaires membres des minorités visibles qui ont de l'expérience en gestion et dans le domaine des politiques. Ils ont pour tâche de conseiller le CNMV.

Lorsque nous nous penchons sur la question de la représentation des minorités visibles, nous nous demandons forcément s'il existe de la discrimination. Nous allons étudier cette question en examinant deux aspects, à savoir la représentation et l'influence de la culture de la fonction publique sur le processus d'embauche.

Pour ce qui est de la représentation, nous remarquons que selon les données démographiques d'il y a 40 ans, les minorités visibles représentaient alors 2 p. 100 de la population canadienne. La situation a énormément changé depuis. En fait, d'ici 2017, on estime qu'un Canadien sur cinq fera partie d'une minorité visible, une augmentation considérable depuis 40 ans.

Pourquoi faut-il inclure les minorités visibles dans la représentation de la fonction publique? Nous croyons qu'il y a beaucoup d'avantages convaincants à cela parce que les minorités visibles de toutes les collectivités que nous représentons apportent au pays énormément de connaissances, diverses formations et bien sûr, un vaste profil linguistique.

Nous estimons que toutes ces qualités nous aideront à améliorer notre stratégie pour attirer les meilleurs éléments, ce qui améliorera la fonction publique du Canada et bien sûr, favorisera la diversité des points de vue dans la prise de décisions en plus d'améliorer le caractère concurrentiel du Canada sur le marché international. Comme nous le savons tous, avec la mondialisation, le monde semble toujours plus petit et il est très important de détenir des connaissances de pointe dans des domaines particuliers pour se tailler une place dans le commerce international et la diplomatie. C'est un élément tangible que les membres des minorités visibles apportent à la mosaïque canadienne.

Nous sommes ici en raison d'un impératif législatif, de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, que nous connaissons tous très bien. Cette loi elle-même a été mise en place pour réaliser l'égalité en milieu de travail de façon que nul ne se voie refuser d'avantages ou de chances en matière d'emploi pour des motifs étrangers à sa compétence et corriger les désavantages subis, dans le domaine de l'emploi, par les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les membres de minorités visibles.

Il y a deux impératifs qui sautent aux yeux quand on examine la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Pour commencer, il faut admettre qu'il y a encore des pratiques d'embauche discriminatoires qui désavantagent ces quatre groupes. Il est impératif selon la Loi que les ministères et organismes se dotent de mesures spéciales pour corriger ces anomalies.

Même si depuis quelques années, les femmes, les Autochtones et les personnes handicapées sont bien représentés dans la fonction publique fédérale, les minorités visibles demeurent sous-représentées. Selon un rapport publié récemment par la Commission de la fonction publique, dont nous prenons acte, la sous-représentation persistante des minorités visibles dans la fonction publique pourrait s'aggraver sérieusement si l'on ne vérifie pas la situation, si l'on ne fait rien pour y remédier. En fait, nous remarquons une diminution de la représentation, qui est passée de 9,8 en 2005-2006 à 8,7 en 2006-2007.

Quand on compare la fonction publique au secteur privé, on constate que la situation est bien meilleure dans le secteur privé. Du coup, nous posons constamment la même question et voulons que cet éminent comité nous aide à y trouver réponse : pourquoi les trois autres groupes ont-ils accru leur représentativité, contrairement aux minorités visibles. Dans le secteur privé, il est admis que dans la société canadienne, la discrimination raciale compte toujours parmi les facteurs importants qui déterminent les bénéficiaires des occasions qui se présentent.

Selon une étude menée ici récemment par Catalyst, presque 47 p. 100 des membres des minorités visibles indiquent avoir été tenus d'atteindre des normes de rendement supérieures à celles de leurs pairs. On entend souvent à la blague dans les coulisses que quand on fait partie d'une minorité visible, il faut avoir une maîtrise pour pouvoir faire ce qu'une personne qui ne fait pas partie d'une minorité visible peut faire avec un diplôme d'études secondaires.

Comme nous nous demandons comment nous pouvons faire changer les choses et rendre la fonction publique plus inclusive, nous devons reconnaître qu'il y a des obstacles sur la route. Je cite ici le sous-ministre champion, M. Morris Rosenberg, qui a dit :

Il en reste encore beaucoup à accomplir : c'est ce qu'indiquent les résultats des deux sondages menés auprès des fonctionnaires, qui révèlent que plus du tiers des membres des minorités visibles ont été victimes de discrimination, soit le double du taux global.

Encore une fois, je vous cite le Rapport annuel 2006-2007 de la Commission de la fonction publique :

Les constatations préliminaires ont montré que le taux des demandes d'emploi en provenance des membres des minorités visibles était deux fois plus élevé que le taux de leur disponibilité sur le marché du travail au Canada. En outre, chaque postulant ou postulante membre des minorités visibles a présenté, en moyenne, huit demandes d'emploi. Les membres des minorités visibles étaient les plus scolarisés de tous les postulants et postulantes; en effet, plus de la moitié d'entre eux était titulaires d'un baccalauréat ou d'un diplôme de cycle supérieur.

Les minorités visibles appuient totalement le principe du mérite. Nous voyons d'un très bon œil la politique de renouvellement qui prévoit des mesures pour embaucher les meilleurs éléments, mais nous nous demandons si nous faisons partie de la catégorie des « meilleurs éléments », même s'il est reconnu que nous formons le groupe le plus scolarisé et le plus qualifié des quatre.

Nous nous interrogeons aussi sur l'amélioration exceptionnelle de la situation des femmes dans la fonction publique, que nous applaudissons, soit dit en passant, qui nous réjouit et qui nous semble la bonne chose à faire. Nous pensons que c'est la bonne chose à faire parce qu'il faut leur faire une place, mais malheureusement, les femmes membres des minorités visibles sont implicitement exclues des avancées des femmes. Du coup, les femmes qui font partie d'une minorité visible sont doublement désavantagées.

Nous sommes également ravis de la hausse du nombre de personnes handicapées et d'Autochtones dans la fonction publique, mais nous nous demandons pourquoi il n'en va pas de même de notre groupe.

Nous, le CNMV, essayons de mobiliser les sous-ministres, à commencer par notre SM champion et les autres hauts fonctionnaires, afin de stimuler le leadership dans la fonction publique pour que ces organismes et ministères adhèrent aux impératifs de la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Pour nous, l'équité en matière d'emploi est un droit de la personne.

Nous travaillons également avec les présidents de réseaux pour mobiliser les gestionnaires des divers ministères et organismes, afin de corriger la situation. Nous reconnaissons qu'il y a eu des progrès au fil du temps et qu'il y a des membres des minorités visibles qui occupent des postes de direction. Nous mettons à contribution les membres des minorités visibles qui font partie du groupe des EX, afin qu'ils collaborent avec le CNMV, qu'ils le conseillent et qu'ils deviennent des mentors des minorités visibles aux échelons intermédiaires et inférieurs de la hiérarchie.

Qu'a-t-on fait jusqu'à maintenant pour résoudre le problème? Il y a d'abord eu le rapport Faire place au changement. En juin 2000, la fonction publique s'est dotée de repères stratégiques pour faire augmenter la représentation des minorités visibles dans son effectif. Elle s'est fixé un objectif repère d'un sur cinq pour le recrutement, les fonctions intérimaires et les nominations à des postes de niveau EX dans la fonction publique. Le rapport d'étape fait état d'un gain net modeste de près de 6 000 employés au fil du temps, et le nombre d'employés provenant de minorités visibles dans la catégorie de la direction est passé de 100 en l'an 2000 à 220 en 2005.

Toutefois, l'évaluation de Faire place au changement nous porte à conclure à une régression, parce que les nouvelles embauches dans notre groupe représentent une personne sur dix plutôt qu'une personne sur cinq. En fait, dans son rapport sur l'équité en emploi dans la fonction publique fédérale de 2004-2005, la CFP a indiqué ce qui suit :

Pour suivre le rythme de l'évolution démographique de la main-d'œuvre canadienne, il faudra intensifier et dynamiser nos interventions afin que la fonction publique reflète plus fidèlement la population canadienne qu'elle sert.

Nous vous présentons ce soir cinq recommandations auxquelles nous vous demandons de réfléchir. Premièrement, nous demandons au Parlement de nommer un commissaire à l'équité en emploi et de lui conférer le pouvoir et l'autorité de veiller à ce que les ministères et les organismes fédéraux respectent la Loi sur l'équité en matière d'emploi en examinant le problème de la sous-représentation des minorités visibles dans la fonction publique et en s'assurant que le processus de recrutement et de promotion tient compte des principes de l'équité, de l'ouverture et de la transparence. Les minorités visibles ne veulent pas y renoncer. Nous voulons faire partie du processus, mais nous voulons que ce soit avec équité et transparence. Deuxièmement, nous recommandons que le Parlement modifie la Loi sur l'équité en matière d'emploi en y ajoutant des règles strictes sur la conformité axée sur les résultats. Troisièmement, nous croyons qu'il devrait y avoir de nouvelles mesures spéciales semblables à celles dont fait état le plan d'action Faire place au changement, mais visant une application et une responsabilisation plus fortes afin de crédibiliser la structure. Quatrièmement, que les ministères et les organismes intègrent l'équité en emploi à leurs portefeuilles des RH. Enfin, nous recommandons que les ministères et organismes soient tenus d'offrir un emploi convenable aux membres de minorités visibles qualifiés et diplômés qui ne parviennent pas à dépasser les niveaux d'entrée, qui correspondent peu à leurs qualifications et leurs compétences.

Le président : Merci, monsieur Natufe.

Je vais maintenant céder la parole à M. Niemi. Nous avons la chance d'avoir des mémoires écrits; j'espère que vous pourrez être bref dans votre déclaration d'ouverture afin de nous laisser du temps pour les questions. Je ne sais pas si c'est pas injuste, monsieur Niemi; je sais que vous avez un document de cinq ou six pages. Si vous pouvez en mentionner les points saillants, je vous garantis que les sénateurs vont lire le texte intégral.

[Français]

Fo Niemi, directeur général, Centre de recherche-action sur les relations raciales : Merci, madame la présidente. Je vais résumer ma présentation et je vais faire mon intervention dans les deux langues officielles.

Nous venons de Montréal. Nous sommes un organisme sans but lucratif qui travaille sur la question de l'équité en matière d'emploi depuis 1983 et ce à plusieurs niveaux : la recherche, l'éducation, la consultation, la formation aux employeurs et aux syndicats; et de plus en plus, depuis l'an 2000, 2001, un service d'aide et d'accompagnement aux victimes de discrimination fondé sur la race, la religion, l'origine ethnique et d'autres motifs tels que le sexe et le handicap.

C'est avec ce service que nous avons pu développer, au cours de ces dernières années, des perspectives et des expériences sur non seulement la question de l'égalité en matière d'emploi, mais aussi l'efficacité de nos mécanismes de protection des droits de la personne. J'ai bien souligné nos mécanismes parce que nous travaillons dans un État fédéral, au fédéral et au provincial, et le régime canadien de protection des droits de la personne comporte plusieurs organismes, dont la Commission canadienne des droits de la personne.

Nous avons une charge de dossier d'à peu près 400 dossiers actifs au cours de ces dernières années. Nous avons des dossiers de juridiction fédérale. Actuellement nous avons, je crois, une douzaine de dossiers devant la Commission canadienne des droits de la personne et d'autres organismes administratifs, non seulement à Montréal mais aussi à Vancouver et Toronto. Si c'est de juridiction fédérale, cela nous permet d'assister les gens, notamment dans leurs interactions et dans leurs communications avec des mécanismes administratifs de recours.

Sur la question de l'équité en matière d'emploi ainsi que la discrimination, l'égalité dans la fonction publique fédérale, notre intervention se résume ainsi : nous croyons, tout d'abord, qu'il faut peut-être ajouter une dimension additionnelle au débat sur l'équité en matière d'emploi parce que c'est plus qu'une question d'équité économique et d'égalité des chances d'emploi dans la fonction publique fédérale, mais pour nous, l'équité en matière d'emploi au sein de l'État canadien signifie le respect et la réalisation d'un engagement, d'une promesse, d'un contrat social entre l'État canadien et ses citoyens, ainsi que des nouveaux résidents permanents issus des minorités visibles.

[Traduction]

Nous croyons que le débat public sur l'équité en matière d'emploi dans la fonction publique est trop souvent axé sur les données et les technicalités administratives et pas assez sur les principes généraux de la pleine citoyenneté et de la pleine participation des gens, et particulièrement des minorités, à tous les secteurs de la société. Il est à espérer que l'examen de ces principes remettra à l'avant-plan le besoin qu'ont les Canadiens membres de minorités visibles d'avoir un sentiment d'appartenance, de se sentir engagés envers la Couronne et le pays et de se vouloir loyaux envers le concept et le rêve qu'on appelle le Canada. Il serait très difficile pour les jeunes et les personnes âgées membres de minorités visibles de savoir qu'ils ne peuvent pas avoir équitablement accès à un emploi dans la fonction publique même s'ils sont compétents. En cette ère de mondialisation et de migration fluide des personnes, des capitaux et de services, on peut imaginer qu'un tel mur de discrimination et de résistance à l'intégration dans la fonction publique fédérale puisse mener à l'aliénation, à la dissension, à de la tension et à des migrations.

Nous recommandons ce que l'ancien premier ministre de France, Lionel Jospin, a dit : nous devons nous attaquer à cette entorse à la démocratie et l'éliminer, puisque l'État ne semble pas offrir les mêmes chances à tous ses citoyens au sein de l'appareil de l'État. Nous pensons qu'il faut également orienter la discussion sur l'équité en matière d'emploi sur cet axe.

Ensuite, nous n'estimons pas avoir besoin de plus de lois et de politiques sur l'équité en matière d'emploi, mais plutôt d'une mise en œuvre efficace de ces lois. Je pense que le rapport du comité, le dernier rapport préliminaire, met l'accent sur ce point. Nous aimerions inclure dans la discussion d'aujourd'hui et des mois à venir une nouvelle façon de voir la mise en œuvre de l'équité en matière d'emploi. Nous observons que les mesures comme la dotation, l'embauche, la sélection de candidats, l'avancement, la promotion ou même la cessation d'emploi se passent souvent beaucoup à l'échelle régionale ou locale dans les grandes villes plutôt qu'à Ottawa. Il y aurait lieu d'examiner en profondeur les données de villes comme Montréal, Toronto et Vancouver, où les minorités visibles représentent une bonne masse démographique. Il faut examiner les données de la Commission de la fonction publique de façon détaillée pour savoir exactement où il y a une évolution et des progrès. De plus, nous devons savoir où se trouvent les pierres d'achoppement à tous les échelons de la fonction publique fédérale, non seulement à l'échelle nationale, mais également aux échelles régionales et locales. Ces données nous aideraient à mieux suivre les progrès ou leur absence en plus de nous donner de nouveaux outils efficaces en cas de litige, surtout que nous devons envisager l'utilisation croissante de recours collectifs pour combattre la discrimination systémique en milieu de travail.

Nous voulons aussi porter à votre attention l'impératif d'une responsabilisation politique et ministérielle en tout premier lieu, avant même la responsabilisation administrative. Ultimement, dans un système parlementaire, ce sont les ministres et non les sous-ministres qui sont responsables du ministère et de ses organismes. Nous croyons avoir besoin d'un meilleur moyen pour tenir les ministres responsables du bilan de leurs ministères et organismes respectifs au chapitre de l'équité en matière d'emploi. C'est particulièrement nécessaire au moment de la révision annuelle de l'attribution des crédits budgétaires et des autres politiques au sein du ministère et des organismes.

Nous tenons également à mentionner que l'équité en matière d'emploi est impossible si l'on ne protège pas efficacement les droits civils des victimes de discrimination et de harcèlement dans la fonction publique fédérale. À cette fin, nous avons trois choses à mentionner.

Il est urgent de réformer le régime fédéral de protection des droits de la personne, particulièrement la Commission canadienne des droits de la personne. Ce n'est pas à cause d'un manque de volonté de la part du personnel de la Commission; la grande majorité des employés de la Commission ont vraiment à cœur les droits de la personne. Cependant, il y a quelque chose d'inefficace dans la structure actuelle des droits de la personne. Nous sommes consternés qu'après sept ans, rien n'a été fait pour donner suite au rapport La Forest sur la restructuration du système des droits de la personne. Si les membres du comité accompagnaient une victime de discrimination dans le système fédéral des droits de la personne, ils comprendraient à quel point il est complexe, décourageant et même avilissant. Le temps d'attente moyen avant d'obtenir une décision de la Commission est de trois ou quatre ans, si bien sûr la Commission exerce son pouvoir pour tenir compte de la plainte. La personne peut ensuite attendre encore un an ou deux avant que l'affaire soit portée devant le Tribunal canadien des droits de la personne et ce, à ses frais. Si elle perd la bataille au bout de cinq ans, elle risque de devoir assumer les frais juridiques de l'intimé. Dans la plupart des cas, les intimés sont le procureur général du Canada ou de grandes institutions fédérales, contre qui se défend une personne seule. Nous ne trouvons pas ce système juste et nous estimons qu'il faut mettre en œuvre une bonne partie des recommandations formulées dans le rapport La Forest.

De plus, nous croyons qu'il faut mettre en œuvre les recommandations du rapport de Harry Arthurs sur la restructuration du Code canadien du travail, particulièrement en ce qui concerne l'intégration des normes des droits de la personne aux normes du travail. À l'heure actuelle, le Code canadien du travail ne contient de dispositions que sur le harcèlement sexuel. Du coup, il restreint toute la question de la discrimination et du harcèlement au contexte sexuel, ce qui crée un système dans lequel on ne se préoccupe pas comme il se doit du harcèlement fondé sur d'autres motifs de discrimination.

Nous tenons également à recommander vivement que dans la révision de la Loi sur l'équité en matière d'emploi et l'évaluation de l'évolution de la situation dans la fonction publique fédérale, ce comité examine non seulement les agissements des employeurs, mais également ceux des syndicats. Comme vous le savez, en milieu syndiqué, l'un ne va pas sans l'autre. Selon notre expérience, les victimes de discrimination et de harcèlement doivent persuader les syndicats et même les menacer quand elles déposent un grief parce que la plupart des syndicats locaux n'ont pas l'habitude de traiter des plaintes fondées sur la race; les victimes doivent surmonter d'immenses difficultés quand elles déposent des griefs pour discrimination ou harcèlement en fonction de la race.

Ainsi, afin de bien protéger les victimes de discrimination, nous recommandons que le comité se penche sur ce que font les syndicats, sur la façon dont ils défendent ces plaintes, sur la façon dont ils militent pour un changement dans le milieu du travail et la société canadienne et sur les mesures concrètes qu'ils prennent pour lutter contre la discrimination systémique, qu'il s'agisse de griefs déposés devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique ou d'autres procédures de grief. Nous craignons beaucoup que la plupart du temps, dans les affaires devant la Commission des droits de la personne et même dans la procédure de règlement des griefs par voie d'arbitrage, l'aspect systémique de la discrimination soit tu, réduit au cas par cas et que par conséquent, les barrières systémiques soient oubliées dans le processus.

[Français]

Nous aimerions donc vous remercier à nouveau de nous avoir accordé l'occasion de nous présenter devant votre comité. Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.

[Traduction]

La présidente : Je tiens à remercier les deux témoins. Vous nous avez donné beaucoup d'information et avez ajouté des arguments à ce que d'autres témoins nous ont déjà dit.

Le sénateur Dallaire : Je ne comprends pas pourquoi les femmes membres d'une minorité visible ne font pas partie de ces 50 p. 100. Est-ce que le fait de faire partie d'une minorité visible pèse plus lourd dans la balance que le sexe?

M. Natufe : Vous n'êtes pas le seul à ne pas comprendre. Nous sommes perplexes nous aussi. Je vais vous donner l'exemple d'un ministère en particulier, le mien, pour illustrer ce que je vais vous dire. J'ai travaillé au ministère des Ressources naturelles. Entre 1998 et 2001, le nombre de femmes faisant partie du groupe de direction au ministère est passé de 14 à 29. Il n'y avait pas une seule de ces femmes qui faisait partie d'une minorité visible, alors qu'il y avait beaucoup de femmes des minorités visibles qui occupaient des postes de gestion clés dans les deux secteurs de mon ministère, soit les sciences et les politiques. La plupart de ces 15 nominations ont été faites par nomination intérimaire, par promotion sans concours ou ce qu'on appelle dans la fonction publique la reclassification. C'est la même chose dans tous les ministères. Je ne vous dis pas qu'il n'y a pas une seule femme des minorités visibles ayant un poste de niveau EX. Madame Green, qui vient tout juste de partir, en fait partie, mais si l'on pense à l'augmentation du nombre de femmes, aux progrès enregistrés par les femmes, on se rend compte que les femmes membres d'une minorité visible ne sont nécessairement pas dans le coup.

Le sénateur Dallaire : C'est intéressant. On pourrait être machiavélique et croire qu'il y un complot des hommes derrière ce chiffre. Ce serait à l'avantage de tout le monde, en fait, si on établissait une proportion-cible de femmes des minorités visibles dans les projets lancés pour faire augmenter le nombre de femmes.

Quand nous avons lancé le programme au MDN, il y avait une disposition particulière qui dictait qu'il devait y avoir tant de Canadiens francophones, tant de membres des minorités visibles et ainsi de suite, donc les objectifs étaient quantifiés. Dans ce cas-ci, c'est comme si c'était négatif pour tout le monde. Cela n'a aucun sens.

[Français]

Concernant la recherche, faites-vous des projections à partir d'anciennes données sur les abus touchant les différentes minorités ou si vous relatez plutôt simplement les données transmises?

M. Niemi : C'est un peu des deux. Nous devons compter sur les cas qui se présentent chez nous afin de déterminer, entre autres, la nature et, de plus en plus, les pratiques de certaines choses que l'on observe, que ce soit auprès des victimes ou des pratiques des employeurs ou même des syndicats concernés.

Ceci nous amène au constat suivant : dans plusieurs cas où le milieu de travail est syndiqué, et ce même où il y a des programmes d'équité en matière d'emploi, c'est encore difficile pour les syndicats d'offrir une protection en matière d'arbitrage pour les gens qui font l'objet de discrimination.

Le sénateur Dallaire : Mais vous n'offrez pas nécessairement des solutions à des organisations syndicales ?

M. Niemi : Oui, nous essayons de les encourager à mieux former les agents qui s'occupent des griefs pour mieux comprendre le harcèlement racial en milieu de travail; comment gérer les accommodements raisonnables basés sur la religion ou les questions culturelles. Nous développons également des outils pour que les gens sachent comment faire la formation. Nous faisons une grande distinction entre la formation sur la diversité et la formation sur les droits de la personne et les questions de discrimination.

[Traduction]

Le sénateur Dallaire : Récemment, j'ai participé à une rencontre où Louise Arbour, la Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, et d'autres anciens commissaires des Nations Unies aux droits de l'homme étaient présents. Max Yalden était là. Ils se tapaient dans le dos pour avoir si bien réussi à faire diminuer la liste de plaintes. Ils étaient en train de faire un grand bond en avant.

À la lumière de ce que vous avez dit, il vaudrait la peine que nous nous demandions comment ils ont fait pour éliminer cet arriéré, ce qu'ils ont fait, d'une part, et s'ils se sont dotés de nouvelles méthodes pour simplifier chacun des cas, d'autre part. Je vous remercie de répondre à cette question.

M. Niemi : J'aimerais ajouter une chose. Dans le cadre de votre étude, vous devez faire la distinction entre les plaintes pour discrimination fondées sur l'article 7 de la Loi, qui porte sur la discrimination individuelle, et celles fondées sur l'article 10, qui porte sur la discrimination systémique. Nous n'avons souvenir d'aucune affaire récente de discrimination systémique qui se soit rendue devant le tribunal.

Le sénateur Dallaire : Qui s'est rendue devant le tribunal ou qui a été présentée au tribunal?

M. Niemi : La Commission n'a renvoyé aucune affaire au tribunal, particulièrement pour ce qui est de la discrimination raciale.

Le sénateur Oliver : Pour commencer, j'aimerais vous remercier tous les deux de vos excellents exposés. Ils sont très utiles et nous donnent beaucoup matière à réflexion.

J'ai une question à poser à chacun de vous sur la Commission des droits de la personne. Je vais commencer par les représentants du CNMV. Vous avez recommandé en premier lieu que le Parlement nomme un commissaire à l'équité en emploi et lui confère le pouvoir et l'autorité de veiller à, et cetera. Ce n'est pas la première fois qu'on fait cette recommandation. La réponse classique de la bureaucratie est la suivante : pourquoi aurait-on besoin d'un autre commissaire si la Commission des droits de la personne peut déjà s'en occuper?

J'aimerais savoir ce que vous en pensez, surtout à la lumière de ce que nous venons d'apprendre de M. Niemi.

M. Natufe : Vous vous souvenez sans doute des politiques des années 1960 qui ont donné naissance au bilinguisme et au multiculturalisme au Canada, qui ont mené à l'adoption de la Loi sur les langues officielles, puis à la nomination d'un commissaire aux langues officielles, qui faisait partie de l'équation, mais il n'y a pas eu de commissaire au multiculturalisme nommé pour parler de l'équité en emploi comme facteur de diversité. Tout ce que nous demandons, c'est l'égalité, parce que nous voulons des résultats positifs. Il y a Condition féminine qui défend un enjeu social particulier. Le commissaire aux langues officielles a son propre enjeu à défendre. Nous croyons que pour ajouter foi à l'intention du Parlement de s'occuper d'équité en matière d'emploi, il doit y avoir un commissaire investi des mêmes pouvoirs que ses homologues pour assurer la conformité à la loi.

Depuis 20 ans, depuis 1987, 1995, 2001et 2006, nous n'avons observé aucun progrès dans l'application de la Loi sur l'équité en matière d'emploi qui nous semble positif et significatif.

Le sénateur Oliver : Monsieur Niemi, vous nous avez dit que le système des droits de la personne — et vous avez personnellement 12 dossiers en traitement — était extrêmement inefficace, complexe et décourageant. S'il y avait un commissaire à l'équité en matière d'emploi ou à la diversité, par exemple, et que le système demeurait tel qu'il est en ce moment, cela voudrait dire qu'une personne qui veut déposer une plainte sur l'embauche ou la promotion dans la fonction publique pourrait devoir attendre quatre ans, au moins, pour obtenir un résultat. Quel effet tout cela a-t-il sur le cheminement professionnel?

M. Niemi : La Commission des droits de la personne est efficace et crédible seulement si elle a les pouvoirs, la rapidité d'action et les ressources pour remplir son mandat. Nous croyons qu'il lui manque actuellement certains de ces éléments fondamentaux pour s'acquitter de son mandat efficacement. Le simple fait de ne pas avoir donné suite au cours des sept dernières années au rapport La Forest visant à remanier le système fédéral nous amène à nous poser la question suivante : Évitons-nous quelque chose qui est vraiment essentiel à la réalisation de l'égalité dans la fonction publique fédérale?

Le sénateur Oliver : Quelles sont certaines des mesures essentielles que le rapport La Forest recommande de prendre pour modifier la Commission des droits de la personne?

M. Niemi : Tout d'abord, il lui faut des ressources appropriées. Une autre mesure consiste essentiellement à restructurer tout le processus d'enquête. À l'heure actuelle, il arrive souvent que le plaignant ne rencontre même pas l'enquêteur. Tout se fait par téléphone. Les bureaux régionaux de la Commission des droits de la personne n'ont pas les ressources voulues pour faire le travail. À partir du moment où nous déposons une plainte, nous devons attendre, et je crois que la plus récente affaire remonte à plus d'un an maintenant, pour voir qui sera l'enquêteur. Il faut attendre un an juste pour voir qui sera chargé de l'enquête. C'est très long et les gens se décourageront sûrement. Nous avons une affaire particulière contre un organisme fédéral où le plaignant a décidé de retirer la plainte en contrepartie d'un règlement moindre.

Le sénateur Oliver : Compte tenu du fait que vous avez déposé 12 plaintes auprès de la Commission des droits de la personne, pourquoi vous donner cette peine, vu les coûts possibles et les retards que vous avez évoqués aujourd'hui?

M. Niemi : Les personnes qui pensent avoir été victimes de discrimination n'ont pas le choix. Elles doivent passer par le système. Tout d'abord, elles ne peuvent pas retenir les services d'un avocat parce qu'elles n'ont pas l'argent, la plupart du temps. Elles peuvent avoir été suspendues.

Nous avons trois affaires avec Santé Canada en ce moment. Une sera soumise à l'étude du tribunal et, une autre, à la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Nous avons une autre cause qui vient d'être entendue par la Commission des droits de la personne au Québec et en Ontario. Les personnes n'ont d'autre recours que de se tourner vers ce système, car elles sont dans une impasse. Elles doivent faire appel au système. Elles savent que leur affaire risque fort probablement de ne pas aller très loin, mais c'est mieux que rien. Voilà pourquoi un soutien additionnel de l'extérieur peut aider, car il est très difficile de réduire les formalités bureaucratiques.

Souvent, certains fonctionnaires peuvent même se demander si leur syndicat s'acquitte véritablement et adéquatement de son devoir de juste représentation.

Le sénateur Oliver : Savez-vous si des plaintes concernant ces retards ont été portées devant les tribunaux en vertu de la Charte?

M. Niemi : Pas au palier fédéral comme tel. Je crois que la seule cause qui s'est rendue devant la Cour suprême a été l'affaire Blencoe c. Colombie-Britannique (Commission des droits de la personne), impliquant un ancien ministre de la Colombie-Britannique. Au Québec, à la suite d'un retard de plus de cinq ou six ans, le Tribunal des droits de la personne du Québec a dû annuler une affaire en raison de l'injustice causée au défendeur présumé par ce qu'on appelle un retard excessif et déraisonnable dans l'enquête. Comme décideurs, nous devons faire très attention aux conséquences du retard parce qu'il peut violer la Charte des droits et libertés des défendeurs.

Le sénateur Munson : Merci d'être des nôtres. Vous avez passé beaucoup de temps à critiquer les gestionnaires, leurs rôles et leurs attitudes actuelles et passées pour traiter les cas de discrimination. Les choses ne se présentent pas très bien à certains égards dans de nombreux ministères. Vous avez soulevé un point intéressant, monsieur Niemi, au sujet des syndicats. De toute évidence, vous avez de graves préoccupations, et vous dites vous demander si les syndicats s'acquittent de leur rôle.

Croyez-vous qu'ils s'en s'acquittent pour ce qui est de protéger et d'encourager l'embauche de membres des minorités visibles dans la fonction publique?

M. Niemi : Organiquement, les dirigeants syndicaux ont à cœur l'équité en matière d'emploi, à tout le moins dans ce cadre. Dans les faits, si on décide d'examiner la situation, on trouvera peut-être un tableau plutôt incohérent dans la façon dont les syndicats concrétisent leur engagement envers l'équité dans l'emploi et jouent un rôle dans des lieux de travail précis. Cela dépend de quel syndicat il s'agit et de son infrastructure. Règle générale, cela dépend aussi de la représentation des groupes désignés au titre de l'équité à l'intérieur de la structure du syndicat, et surtout au sein de la direction du syndicat. Là encore, cela varie considérablement.

Le sénateur Munson : Avez-vous à l'esprit un syndicat précis qui ne fait pas son travail correctement?

M. Niemi : Je ne pense pas être ici pour pointer quiconque du doigt, mais plutôt pour dire que je crois que le mouvement syndical canadien, qui a été à l'avant-garde de nombreuses luttes sociales, devrait être encouragé ou invité par le comité à entreprendre, de manière plus proactive, la lutte pour accroître l'égalité en milieu de travail.

Le sénateur Munson : C'est ce qu'ils devraient faire.

Monsieur Natufe, je m'interroge au sujet de la troisième recommandation, les nouvelles mesures spéciales pour faire place au changement, c'est-à-dire le programme d'action à l'échelle du gouvernement de 2000, la stratégie quinquennale, mais avec une reddition de comptes et une exécution plus rigoureuses des lois. En quoi consistent-elles dans ce cas-ci?

M. Natufe : Le plan d'action Faire place au changement a été approuvé, et le Conseil du Trésor a demandé au secrétariat de l'administrer à l'échelle du système, mais même si les gestionnaires étaient « comptables », aucun instrument n'était en place pour établir la sanction pour non-reddition de comptes. Être comptable signifie que vous êtes chargé d'un projet particulier. Même si la reddition de comptes est utilisée très fréquemment, nous n'avons pas vu de mesures correspondantes pour obliger les gestionnaires ou les sous-ministres à rendre des comptes ou établir qu'ils peuvent en rendre s'ils ne se conforment pas. Ce que nous demandons ici, ce sont des mesures strictes, des sanctions, si vous préférez, pour faire en sorte que les personnes qui ne se conforment pas soient punies.

Le sénateur Munson : Quel genre de sanctions?

M. Natufe : Eh bien, sénateur Munson, j'espère que vous ne voulez pas que je vous le dise à vous.

Le sénateur Munson : Nous utilisons ce mot ici, tout le monde parle de la reddition de comptes — je suis comptable, vous n'êtes pas comptables, nous le sommes —, et quand vous parlez de reddition de comptes, je veux savoir quel type de mesure vous recommanderiez.

M. Natufe : C'est une question valable, je dois l'avouer. Pour vous donner un exemple, si j'enfreignais sans cesse le code de la route sur la rue Rideau en brûlant un feu rouge, je pense que les policiers seraient fondés à me jeter en prison. Si des gestionnaires ont constamment violé la Loi sur l'équité en matière d'emploi et qu'aucune sanction ne leur a été infligée, pourrais-je recommander, par exemple, qu'on les punisse en les congédiant? Je ne sais pas, mais une sanction très sévère. Pourrions-nous les jeter en prison pendant six mois? Je ne sais pas. C'est aux sénateurs d'en décider, mais les fautifs doivent être punis. Un crime doit être accompagné d'un châtiment. C'est comme le livre Crime et châtiment de Dostoïevski.

Le sénateur Munson : Merci pour cette observation. Je suis désolé; je n'ai pas pu m'en empêcher. Je me croyais encore journaliste et je voulais absolument obtenir une réponse.

Le sénateur Baker : Merci pour les excellents exposés. J'ai juste une question. Elle concerne le Centre de recherche-action sur les relations raciales qui s'occupe de la recherche en vertu de la Charte et d'action en justice sur différents litiges portant sur les questions d'égalité raciale. Pendant votre exposé, monsieur, vous avez dit qu'il y a des procureurs généraux au Canada. Je vous ai très clairement entendu dire « procureur général », qui exigerait des frais au terme des procédures. Vouliez-vous parler du procureur général du Canada ou du procureur général d'une province? Quel procureur général exigerait des frais à un demandeur qui ne fait qu'exercer ses droits en vertu de la loi? Qui serait ce procureur général? Pouvez-vous nous donner un exemple de qui il s'agit, puisque la séance est télévisée et que les procureurs généraux nous regardent peut-être?

La présidente : Pourriez-vous aussi nous dire si vous parliez du Tribunal des droits de la personne ou des appels interjetés devant les tribunaux?

M. Niemi : Des appels devant les tribunaux. Si vous voulez, je pourrais vous fournir les renseignements par écrit. Il s'agit effectivement d'une affaire mettant en cause le procureur général du Canada.

Le sénateur Baker : Le procureur général du Canada. Êtes-vous en train d'informer le comité que le procureur général du Canada a exigé et reçu des frais pour une action qu'une personne était en droit d'intenter? Madame la présidente sait de quels frais il s'agit, c'est une ancienne juge, et le sénateur Oliver sait exactement de quels frais il s'agit au terme des procédures. Autrement dit, vous demandez le remboursement des frais de la défense ou de la poursuite, c'est-à-dire les frais d'avocat. Je n'arrive pas à comprendre cela.

M. Niemi : C'est consigné au compte rendu. Nous pouvons vous fournir des renseignements clairs sur cette affaire. Mon collègue a travaillé là-dessus.

Le sénateur Baker : Ne serait-ce pas le plus gros obstacle pour une personne, qui ne fait même qu'envisager de porter une affaire devant un tribunal, si elle risquait de payer les frais si elle perdait en appel?

M. Niemi : C'est toujours le risque. Au-delà de cette question, ce que nous proposons, c'est d'examiner la question de la discrimination dans la fonction publique fédérale; il serait intéressant pour — de toute évidence, le procureur général n'a pas examiné la question, mais parfois des responsables dans certains ministères qui témoignent devant la Commission des droits de la personne, ou le tribunal, les cours souvent — les Canadiens de savoir combien d'argent est dépensé pour qu'un ministère ou le procureur général du Canada assure la défense d'un ministère ou d'un défendeur dans une affaire ou une cause donnée. Certaines procédures durent des années, comme l'affaire Grover c. Canada (Centre national de recherches). Certaines de ces procédures durent pendant dix ans. Nous ne savons jamais combien d'argent est dépensé pour que le gouvernement se défende contre ces personnes, car ces dernières disent qu'elles doivent dépenser toutes leurs économies pour que justice soit faite.

C'est intéressant de le savoir. Par exemple, nous avons collaboré dans une affaire où un agent de la GRC de race noire croyait avoir été injustement harcelé et congédié. Dans son cas, il y a eu 53 jours d'audience devant le tribunal des droits de la personne dans trois villes différentes parce qu'il venait de Montréal et que l'incident s'était produit à Burnaby. Au terme des procédures, il a dû payer de sa poche 30 000 $ pour régler les frais juridiques.

Le sénateur Baker : Oui, mais c'est différent. Je comprends cela. Cependant, vous dites que les frais que vous avez évoqués étaient les coûts à la fin des procédures et que le procureur général demanderait au perdant de la cause de s'acquitter des frais des procédures judiciaires.

M. Niemi : Oui. Je pourrai vous fournir ces renseignements.

Le sénateur Baker : C'est incroyable, madame la présidente, car comme vous le savez, le procureur général a des avocats qui travaillent pour lui. Ils seront rémunérés de toute façon. Et pourtant, le procureur général peut, en vertu de ce système, demander le remboursement des frais d'avocats quand on donne suite à la procédure d'appel. Je crois, madame la présidente, que c'est une pratique des plus ignobles, et le comité devrait peut-être examiner la question de plus près.

Je tiens cependant à féliciter les témoins de leurs excellents exposés. Je ne connaissais pas cette affaire de frais juridiques.

La présidente : Nous aimerions recevoir les dossiers concernant ces affaires parce que nous devons examiner d'où elles émanaient. Était-ce la Commission des droits de la personne? Était-ce à la suite de plaintes, de plaintes de la GRC? Nous avons divers systèmes en place pour entendre les plaintes et différents recours d'appel à nos tribunaux. C'est à se demander si vous devez rembourser des frais pour avoir agi indûment de façon frivole, et cetera. Il aurait fallu qu'un juge procède à des évaluations avant d'en arriver aux coûts. Je dois dire que c'est un domaine entièrement nouveau que nous n'avons pas examiné et je suis heureuse que nous en discutions. Quand nous avons parlé des coûts, nous avons souvent parlé des coûts sur le plan émotif et du temps, et avons dit qu'aller en cour coûte cher, mais nous le définissons maintenant davantage. Il serait utile si nous avions les causes et si nous pouvions peut-être inviter des témoins pour donner suite à cette question, des représentants du ministère de la Justice Canada peut-être.

Le sénateur Baker : D'après ce que je sais de ces causes en particulier, le juge et le tribunal ne sont nullement tenus d'entendre une affaire si elle est frivole. En fait, un avis de requête doit être normalement entendu. C'est la raison pour laquelle je ne peux pas comprendre pourquoi un procureur général aurait l'audace de demander des frais.

La présidente : Avant de commettre l'erreur fondamentale qu'un juge ferait, je veux entendre tous les témoignages de toutes les parties avant de décider si c'est audacieux ou non dans une cause donnée. Je crois que nous voulons examiner si cette tendance à exiger des frais existe et comment on se retrouve dans cette situation. Nous aimerions examiner si cette pratique laisse un pouvoir discrétionnaire à quiconque et si elle devrait être en place de toute façon. Dans le passé, on a porté à notre attention la question, sur laquelle nous nous sommes penchés, de la durée et de la difficulté sur le plan émotif de devoir présenter une affaire dans un ministère, puis d'essayer de continuer de travailler là ou ailleurs.

Il y a un cas flagrant en Saskatchewan : vous passez par différentes étapes avec très peu de soutien et vous gagnez sans cesse, mais au bout du compte, on ne vous reprend pas au poste que vous vouliez au départ. On vous propose un autre poste à la place. Puis, vous recommencez tout le processus pour déterminer si le poste est équivalent à celui que vous occupiez, et vous vous retrouvez de nouveau dans un tourbillon. Nous avons étudié ce point.

Comme la question des frais est un sujet particulier que nous n'avons pas examiné, nous allons attendre d'entendre plus de témoignages à cet égard. Monsieur, en votre qualité d'éminent spécialiste, je suis certaine que vous serez du même avis que moi. Mettons de côté le professeur et la juge.

J'avais juste une question. Nous avons utilisé l'expression « minorités visibles ». Monsieur Natufe, vous avez signalé que les femmes appartenant à une minorité visible semblent être doublement victimes de discrimination.

Quand on dit « minorités visibles », cette expression est définie en divers endroits et de diverses manières. Je crois, monsieur Niemi, que vous avez dit que les syndicats ont leurs propres définitions. A-t-on établi qu'un groupe particulier au Canada, à part les femmes, sur le plan géographique, par région ou pays d'origine, éprouve plus de difficultés que d'autres? Désignons-nous correctement les minorités visibles? C'est peut-être une question trop complexe.

M. Natufe : C'est une question valable, dont nous avons débattu à diverses tribunes. D'abord et avant tout, nous ne nous sommes pas définis nous-mêmes. C'est la loi qui nous définit. Aux termes de la loi, les minorités visibles sont des personnes qui n'ont pas la peau blanche, qui ne sont pas de race blanche et qui ne sont pas des Autochtones, ce qui signifie que quiconque est de race noire ou d'origine asiatique, moyen-orientale, africaine, antillaise, et cetera, fait partie d'une minorité visible. Dans cet énorme creuset, vous avez des Noirs, des Indiens, des Chinois, des Malaisiens, des Philippins, des Japonais, pour ne nommer que ceux-là. Chaque groupe dans cet énorme creuset fait l'objet de discrimination de différentes manières partout au pays, que ce soit un Noir à Halifax, à Toronto ou à Montréal, ou un Pakistanais à Mississauga, ou un Sikh à Toronto ou à Vancouver. Je ne suis pas ici pour dire qu'un groupe est plus important qu'un autre, mais tous ces groupes sont victimes de discrimination à divers degrés partout au pays. Cette discrimination transparaît aussi dans leur recrutement au sein de la fonction publique.

En ce qui concerne les femmes appartenant à une minorité visible, comme je l'ai dit tout à l'heure, elles sont doublement victimes, parce qu'elles n'ont pas été prises en considération, et ce, malgré les progrès bien calculés qu'elles ont réalisés, ce qui est merveilleux. Je m'en réjouis. Je me souviens, il y a plusieurs années, que ce n'était pas le cas au pays.

Ma collègue pourra peut-être nous éclairer là-dessus.

Adelaida Bustamante, agente administrative principale, Conseil national des minorités visibles de la fonction publique fédérale : Je pourrais peut-être en découvrir plus en approfondissant les recherches, mais je ne crois pas qu'il faille définir davantage l'expression « minorité visible ».

La présidente : Là où je voulais en venir, c'est que nous parlons de « minorités visibles » et nous voulons en attirer davantage. Il y a toujours des minorités au sein des minorités, et des différences, ce que vous avez signalé à juste titre. Passons-nous à côté de l'essentiel si nous ne les définissons pas dans notre recrutement? Si nous sommes à Mississauga, recrutons-nous différemment qu'à Montréal? Devrions-nous nous pencher sur des variations plus régionales ou locales pour promouvoir les systèmes de soutien nécessaires en raison de la différence au sein du groupe minoritaire?

M. Niemi : Puis-je faire une suggestion? Je crois que le processus de collecte des données, à la fois par Statistique Canada et en vertu de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, ou même ce que font les employeurs privés, est pratique et, en général, assez détaillé pour permettre à un employeur d'examiner où se trouve la sous-représentation du sous-groupe. Que ce soit du point de vue du bon sens commercial ou du point de vue de l'équité, on a les outils pour déterminer quel sous-groupe est sous-représenté et ce qui doit être corrigé.

Par exemple, nous devrions conserver l'expression « minorités visibles », mais dans la pratique, on devrait toujours surveiller les domaines où des sous-groupes précis peuvent se heurter à certains obstacles spéciaux, et agir en conséquence. Si les femmes appartenant à une minorité visible éprouvent plus de problèmes que les hommes à être recrutées ou à gravir les échelons, des mesures correctives doivent être prises.

Par exemple, nous avons à Montréal un programme d'équité en matière d'emploi pour recruter plus de membres de minorités visibles dans les services de police et même dans les programmes de formation à l'école de police. On nous a signalé que les membres de minorités visibles sont de plus en plus nombreux à s'y inscrire. Toutefois, l'un des groupes qui a tendance à échouer à l'admission sont les Noirs parce qu'ils ratent habituellement l'épreuve de natation. Nous disposons de suffisamment de données sur les sous-groupes pour déterminer les raisons pour lesquelles les candidats de race noire ont tendance à échouer à ces épreuves afin d'apporter soit des changements, soit des mesures correctives.

Le sénateur Oliver : Il existe une réponse à la question précise que la présidente a posée, c'est-à-dire que la définition de « minorités visibles » est si large qu'elle englobe de nombreux groupes. Il y a un groupe qui fait davantage l'objet de discrimination que les autres. Ce fait a été testé scientifiquement par un certain nombre de professeurs au Canada et aux États-Unis.

L'une des meilleures études est menée par le professeur Hum à l'Université du Manitoba. Cette étude montre que les hommes de race noire d'Afrique, des Antilles, des États-Unis et du Canada devraient être retirés de la définition des minorités visibles parce qu'ils sont, plus que tout autre groupe au monde, beaucoup plus victimes de discrimination. Dans son étude, le professeur Hum — et de nombreux autres professeurs — l'a démontré au moyen d'une série de données très convaincantes. Un certain nombre de fonctionnaires au Canada ont dit qu'ils étaient d'accord pour dire que les hommes de race noire étaient ceux qui rencontraient les plus grands obstacles à l'avancement des minorités visibles dans la fonction publique du Canada. Ces études valent la peine d'être présentées au comité. Aucun autre groupe — chinois, japonais, philippin — ne fait autant l'objet de discrimination systémique que les hommes de race noire.

M. Niemi : Nous devons aussi savoir pourquoi les hommes de race noire, dans ce cas-ci, ou n'importe quel sous-groupe, font l'objet de telle ou telle forme de discrimination, afin d'avoir une compréhension plus approfondie de la situation.

La présidente : Nous avons dépassé notre temps. Je tiens à remercier nos deux témoins. Vous avez certainement ouvert de nouvelles avenues que nous devons examiner. S'il y a d'autres renseignements, rapports ou données que vous souhaitez soumettre, je vous serais très reconnaissante de communiquer avec la greffière.

Notre étude n'est pas terminée. Nous avons fait pression sur vous pour obtenir des réponses. Nous allons faire cause commune pour continuer de tenter de surmonter les obstacles qui semblent empêcher certains Canadiens d'avoir des chances justes et égales de servir la population canadienne à la fonction publique.

Je tiens à souligner que le mérite est une question qui ne devrait pas avoir d'obstacles, de couleur ou de sexe. Le mérite devrait être en soi le critère de sélection au sein de la fonction publique. Nous continuons d'entendre dire que nous en sommes encore loin. Nous espérons que notre étude présentera des recommandations qui porteront fruit. Vous nous avez certainement aidés dans cette étude et nous vous en remercions.

Nous allons maintenant prendre une pause pour permettre aux témoins de se retirer. Nous devons adopter des budgets si nous souhaitons poursuivre nos études.

Vous avez sous les yeux tous les budgets. Ce sont les modèles de petits budgets pour nos études en cours. Le seul budget qui a une certaine importance, même s'il n'est pas aussi gros que d'autres que nous avons eus dans le passé, c'est le dernier de votre pile, si vos documents sont dans le même ordre que les miens.

Le budget prévu pour l'étude spéciale sur les obligations nationales et internationale du Canada en matière de droits de la personne s'élève à 171 050 $. Ce budget a été présenté au comité de direction. Essentiellement, c'est le budget que nous avions déjà approuvé pour le Comité des droits de la personne avant la prorogation. Nous avions cru que nous pourrions terminer notre étude cet automne. Elle comprenait un voyage et d'autres points. Nous aimerions maintenant poursuivre l'étude dans les mois à venir. Je tiens à rappeler aux sénateurs qu'elle porte sur le Conseil des droits de l'homme.

Avez-vous des questions sur ce budget — puisque c'est le plus important? Si personne n'a d'observation à faire, quelqu'un veut-il proposer la motion?

Le sénateur Oliver : J'en fais la proposition.

La présidente : Merci. Êtes-vous d'accord?

Des voix : D'accord.

La présidente : Adopté.

Il y a quatre autres budgets. Ils ont été approuvés par le Sénat et le comité. Ils sont de 3 200 $ pour les services professionnels courants, les repas de travail, les frais de poste, les livres, et cetera.

Le sénateur Oliver : Je vois que pour discuter du rapport Un toit précaire : Les biens fonciers matrimoniaux situés dans les réserves, cinq repas sont prévus. C'est pour cinq réunions. Qu'arrivera-t-il si vous avez besoin de six réunions? En vertu de ce système, si vous devez payer un repas pour une autre réunion, est-il possible de prendre l'argent dans un des autres budgets?

La présidente : Je crois que nous pouvons de nouveau en demander l'approbation.

Le sénateur : Vous devez renvoyer la question au Comité de la régie interne?

Jessica Richardson, greffière du comité : Oui, ou demander un transfert d'argent entre les catégories. Par exemple, si nous n'avons pas dépensé l'argent pour les livres et les documents de promotion. Nous pourrions alors demander l'autorisation de transférer l'argent entre les catégories.

Le sénateur Oliver : Dans ce cas, j'en fais la proposition.

La présidente : Merci. Êtes-vous d'accord?

Des voix : D'accord.

La présidente : Adopté.

La séance est levée.


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