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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 2 - Témoignages du 4 février 2008


OTTAWA, le lundi 4 février 2008

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 17 h 6, pour examiner des cas de discrimination présumée dans les pratiques d'embauche et de promotion de la fonction publique fédérale et d'étudier la mesure dans laquelle les objectifs pour atteindre l'équité en emploi pour les groupes minoritaires sont réalisés.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, bienvenue au Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Nous sommes ici pour examiner des cas de discrimination présumée dans les pratiques d'embauche et de promotion de la fonction publique fédérale et d'étudier la mesure dans laquelle les objectifs pour atteindre l'équité en emploi pour les groupes minoritaires sont réalisés.

Nous avons recueilli des témoignages de la Commission de la fonction publique du Canada, d'organismes connexes, de membres du public et d'autres organisations. Nous poursuivons notre étude aujourd'hui. Nous sommes heureux que la Commission canadienne des droits de la personne ait accepté notre invitation. Nous avons avec nous Jennifer Lynch, présidente de la commission. Je vais vous laisser le soin de présenter vos collègues. Je suppose que vous avez une déclaration liminaire. Vous avez été informée de notre étude et êtes sans aucun doute au courant de notre récent rapport.

Jennifer Lynch, présidente de la Commission canadienne des droits de la personne : Merci. Mes collègues et moi sommes heureux de comparaître aujourd'hui dans le cadre de votre étude sur l'équité en matière d'emploi et la discrimination dans la fonction publique du Canada.

À ma droite se trouve Hélène Goulet, secrétaire générale de la Commission. À sa droite, vous apercevez Natalie Dagenais, directrice responsable des enquêtes. À ma gauche, il y a Alex Dei, directeur, Programme de conformité à l'équité en matière d'emploi. À la gauche d'Alex, vous voyez Philippe Dufresne, notre directeur du contentieux.

Votre comité est le seul comité parlementaire qui se consacre uniquement aux droits de la personne. Évidemment, la Commission et le Comité ont en commun de nombreux intérêts. J'espère que nous marquons aujourd'hui le début d'un dialogue permanent.

Pour mon premier témoignage devant le comité, je vais d'abord situer notre travail concernant l'équité en emploi dans le contexte du mandat général qui est le nôtre, puis je ferai le point en particulier sur certains des progrès que nous réalisons et certains des défis que nous avons à relever à cet égard. Je suis disposée à répondre à toutes les questions que vous voudrez bien me poser.

Premièrement, en ce qui concerne notre mandat général, notre texte fondateur est la Loi canadienne sur les droits de la personne, la LCDP. Celle-ci évoque une vision d'un Canada où chacun a les mêmes possibilités de construire pour lui-même la vie dont il peut et dont il veut jouir, à l'abri de toute discrimination.

[Français]

D'après la LCDP, notre mandat consiste notamment à régler les différends en matière de droits de la personne et à sensibiliser le public à la question de ces droits par le truchement de l'éducation, de l'élaboration de politiques et de la recherche.

En outre, bien entendu, nous prenons en charge la fonction de contrôle d'application de la loi prévue dans la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Ensemble, c'est deux lois nous permettent de jouer un rôle marquant pour contrer la discrimination systémique et encourager l'évolution de la société.

Comment y parvenons-nous? Une centaine de ministères et d'organismes fédéraux ainsi qu'environ 500 employeurs du secteur privé entrent dans notre champ d'action.

[Traduction]

Au moment d'assumer la présidence de la Commission, il y a dix mois de cela, j'étais très heureuse de me joindre à une organisation moderne, bien structurée, apte à exercer son mandat et comptant sur l'appui d'un personnel dévoué au talent extraordinaire.

Nous divisons notre travail en trois catégories : le règlement des différends, le développement de connaissances et la prévention de la discrimination, qui englobe notre travail concernant l'équité en emploi.

Notre Direction générale du règlement des différends reçoit et traite les plaintes de discrimination fondées sur les 11 motifs énoncés dans notre loi habilitante. Ces dernières années, nous avons modernisé notre approche afin de mieux répondre aux besoins de ceux qui se prévalent de nos services. Notre objectif consiste à régler les différends sans antagonisme au premier stade possible, tout en nous assurant de protéger l'intérêt public.

L'accessibilité de notre processus de règlement des différends est une considération clé. Du fait de notre loi habilitante, nous devons procéder à une sorte de « triage » avant de traiter toute plainte — de manière à retenir seulement les plaintes qui relèvent de notre champ d'action particulier, et non pas celles que le recours à d'autres procédures de grief ou d'examen, dans la mesure où elles sont raisonnablement accessibles, permettrait de régler. Or, cela peut être déroutant pour la personne anxieuse qui nous appelle pour signaler un problème. À cet égard, nous avons conçu des procédures bien adaptées à une telle situation; dans la mesure du possible, nous donnons des renseignements pertinents à la personne, notamment sur les options dont elle dispose.

Donner l'occasion de recourir à la médiation ou la conciliation à tous les stades du processus représente un élément clé de notre système de règlement des différends. Cela nous a valu un succès considérable. Environ la moitié des plaintes sont déjà réglées au moment où on détermine qu'elles entrent dans notre champ d'action.

Le processus de règlement permet de réduire au minimum les longues enquêtes et les affrontements constants. Le règlement débouche souvent sur un processus de guérison aussi bien que sur une évolution systémique à l'intérieur d'une organisation.

Nous parvenons à mieux traiter les affaires, et plus rapidement. Le délai moyen de traitement des cas est passé de 25 mois en 2002 à 9,1 mois aujourd'hui.

Si une affaire n'est pas réglée après une enquête, la commission est appelée à rendre une décision. La loi lui autorise à cet égard deux options : la commission peut rejeter une cause si elle conclut que la preuve ne confirme pas le bien- fondé des allégations; ou elle peut renvoyer l'affaire devant le Tribunal canadien des droits de la personne. C'est une affaire sur six environ qui est renvoyée au tribunal. Bon nombre des causes ainsi déférées se règlent au moyen de la médiation au tribunal en question.

Les avocats de la Commission participent au travail de médiation et aux audiences du tribunal dans la mesure où ces dernières suscitent un intérêt public marqué. Les audiences débouchent souvent sur une décision qui fait progresser le droit en la matière de façons importantes.

Je vais maintenant décrire notre travail au centre de connaissances.

[Français]

Le deuxième grand secteur d'activités de la Commission est le développement des connaissances. Par la recherche, l'élaboration de politiques et des projets spéciaux, nous veillons à ce que la commission puisse demeurer à l'affût des questions nouvelles et changeantes, prodiguer des conseils fondés sur des recherches ainsi qu'informer et orienter le débat public.

La prévention de la discrimination représente pour nous une autre grande activité. Nos activités de prévention visent à moduler positivement la culture des droits de la personne au sein des organisations que nous réglementons. Plus d'un million d'employés entrent dans notre champ d'action. La Commission travaille auprès des employeurs afin de créer et de renforcer leur processus interne de gestion des questions relatives aux droits de la personne et d'implanter une formation et des politiques visant à prévenir la discrimination en milieu de travail. La Commission a conclu un protocole d'entente avec bon nombre d'employeurs importants. La coopération à cet égard s'est révélée excellente et productive.

[Traduction]

C'est à l'intérieur de notre Direction générale de la prévention de la discrimination que s'exerce notre mandat pour ce qui touche l'équité en emploi. Le rôle de vérification qui nous a ainsi été imparti relève de la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Cette loi exige des employeurs qu'ils luttent contre la discrimination systémique en adoptant les mesures voulues pour éliminer les obstacles à l'emploi des quatre groupes désignés.

Le but consiste à en arriver au même degré de représentation, au sein de chaque organisation, que le taux de disponibilité des membres du groupe qualifiés au sein de la société canadienne.

Sous le régime de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, les employeurs doivent se conformer à neuf exigences comme recueillir des informations sur leurs effectifs, déterminer le taux de sous-représentation et examiner les systèmes d'emploi. Ils doivent également mettre au point un plan d'équité en emploi qui explique les mesures qu'ils entendent prendre pour s'acquitter de leurs obligations réglementaires.

Au départ, le respect de la loi était volontaire, mais, en 1995, le Parlement a révisé la loi et donné pour mandat à la CCDP de s'assurer, au moyen de vérifications, que les employeurs respectent leurs obligations.

La Commission applique un processus de vérification en deux étapes : premièrement, une vérification préliminaire permet de déterminer la mesure dans laquelle l'employeur se conforme à la loi. Pour être jugé conforme, l'employeur doit avoir en place un plan visant à éliminer les obstacles et les écarts en milieu de travail. Là où l'employeur ne respecte pas la loi, nous négocions avec lui. Plus tard, nous procédons à une enquête de suivi visant à déterminer si l'employeur a fait des progrès au chapitre de l'accroissement du taux de représentation des groupes désignés parmi ses employés. Si elle juge qu'il est nécessaire de le faire, la commission peut recourir au Tribunal de l'équité en matière d'emploi pour faire respecter la loi.

L'expérience de la Commission relativement aux vérifications de la conformité avec la loi fait voir certains des problèmes que pose la réalisation des desseins de la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Depuis 1996, la Commission a réalisé une vérification initiale auprès de 252 employeurs. Ce n'est que dans une poignée de cas que nous avons constaté que l'employeur se conformait à la loi, sans qu'il y ait eu négociation d'engagements après la vérification préliminaire.

Voici les statistiques établies à propos de la conformité avec la loi. Dans 90 p. 100 des cas, l'employeur s'est mis à observer la loi seulement après que la commission a réalisé la vérification préliminaire et s'est entendu avec lui pour qu'il adopte des mesures correctives.

Le reste — environ 10 p. 100 — a dû faire l'objet de mesures d'exécution de la part de la commission avant que les employeurs n'acceptent d'adopter les mesures requises.

[Français]

Après la vérification préliminaire, la Commission surveille la progression de l'employeur quand il s'agit d'atteindre les objectifs d'embauche à court terme et les objectifs de représentation à long terme. Nos activités de contrôle nous font voir que peu d'organisations parviennent à atteindre tous leurs objectifs d'embauche à court terme. Cela prouve que les employeurs n'assument pas encore pleinement leurs responsabilités sous le régime de la loi.

Sur une note plus positive, il y a lieu de croire que les vérifications réalisées par la Commission favorisent un accroissement du taux de représentation des membres des groupes désignés au sein de la fonction publique. Cependant, le taux de représentation des minorités visibles demeure en deçà de leur taux de disponibilité sur le marché du travail. L'impact positif des vérifications est diminué par le fait que la commission n'arrive pas à effectuer ces vérifications aussi rapidement qu'elle voudrait le faire. Le volume de travail a augmenté, le nombre d'employeurs assujettis à la loi s'étant accru de près de 50 p. 100 depuis 1997. Ainsi, nous comptons sur moins de ressources pour la réalisation des vérifications aujourd'hui qu'en 1997. Pour régler le problème, la Commission s'est réorganisée afin de s'adapter aux exigences d'un milieu changeant. Un nouveau processus de vérification est en train d'être implanté. Les employeurs assujettis au nouveau processus réagissent très favorablement.

En ce moment, nous menons un examen objectif de notre structure de ressources pour nous assurer que nous employons nos ressources avec un maximum d'efficacité.

[Traduction]

Comme le Comité l'a souligné à juste titre, le degré de représentation des minorités visibles au sein de la fonction publique du Canada n'est pas acceptable. De toute évidence, comme vous le disiez vous-même dans votre rapport de février, nous ne sommes pas encore parvenus au but. De fait, nous ne nous en approchons même pas. Pourquoi?

Dans le rapport préliminaire de votre comité, vous avez conclu que le problème résidait principalement dans la culture organisationnelle, qu'il faisait partie intégrante de la façon dont la fonction publique fonctionne. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Comme l'expérience des vérifications le montre, beaucoup trop souvent, nous devons pousser des employeurs récalcitrants sur le chemin de l'équité en emploi. Plutôt que de voir l'équité comme faisant partie des valeurs et des résultats stratégiques, les ministères y voient trop souvent une autre de ces exigences qu'il faut supporter.

L'équité en emploi ne devrait pas être assimilée à une tâche qui appartient à un gestionnaire de l'équité en emploi, à un contrôle destiné à alimenter les statistiques. La réalisation de l'équité en emploi devrait plutôt figurer dans la vision, les valeurs et les objectifs mêmes de l'organisation; elle devrait être appuyée à la fois dans le plan d'activités et au moyen de mesures incitatives officielles, comme les mesures du rendement et les comptes à rendre de tous les gestionnaires. Dans une certaine mesure, le secteur privé a mûri et appris à mieux comprendre et apprécier l'équité en emploi. Certains employeurs du secteur privé voient l'équité en emploi non pas comme quelque chose d'imposé, mais plutôt comme une bonne pratique. Ils se rendent compte du fait qu'un effectif représentatif de la diversité de leur clientèle les aide à mieux servir la clientèle et à maximiser les profits.

Comme le confirment les données du recensement de 2006 publiées récemment, le Canada figure parmi les pays les plus diversifiés du monde sur le plan ethnique et racial. Afin de mieux servir tous les Canadiens, notre fonction publique doit refléter cette réalité. Disposer d'un effectif qui représente la diversité canadienne aidera les ministères à mieux servir tous les Canadiens et Canadiens.

Mes collègues et moi-même serons heureux de répondre à vos questions.

Le sénateur Poy : Madame Lynch, il semble que vous ayez un énorme mandat. Je voudrais savoir comment votre vérification est effectuée. Lors de sa comparution, Maria Barrados, de la Commission de la fonction publique, nous a dit exactement la même chose, c'est-à-dire que la représentation en pourcentage des minorités visibles avait diminué.

Quand pensez-vous effectuer votre vérification? De toute évidence, vous n'êtes pas les seuls à le faire. Y a-t-il un chevauchement entre les deux vérifications?

Mme Lynch : Pour commencer, les vérifications de la conformité à l'équité en matière d'emploi, ou tout simplement les vérifications de conformité, sont effectuées par la commission, en toute indépendance et de manière systématique, et visent à s'assurer que les employeurs s'acquittent de leurs obligations en vertu de la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Les employeurs sont tenus de relever les obstacles à l'emploi et de les éliminer, de mettre en œuvre des politiques et des pratiques positives et de faire des accommodements raisonnables. À cet égard, ils devront recueillir de l'information, l'analyser et revoir entièrement leurs systèmes, politiques et pratiques afin de cerner les obstacles.

Il leur incombe de préparer un plan d'équité en emploi. Celui-ci doit préciser les politiques et pratiques positives à court terme en matière d'embauche, de formation, de promotion et de maintien en poste. En outre, il doit décrire en détail les mesures destinées à éliminer les obstacles, à établir un calendrier, à fixer des objectifs numériques à court et à long terme pour l'embauche et la promotion, et cetera.

Nous réglementons tous les ministères et organismes du gouvernement, de même que les employeurs du secteur privé dans le domaine des télécommunications, des transports et des finances, qui sont assujettis aux règles fédérales et qui comptent 100 employés ou plus. Le nombre de ces employeurs augmentent à mesure que des sociétés sont créées ou dépassent les 100 employés. Ceux-ci auront deux ans pour élaborer un plan d'équité en emploi, comme je viens de le décrire, après quoi nous amorcerons notre vérification.

Le cas échéant, nous commençons par ce que nous appelons une « vérification initiale ». Nous déterminons s'ils sont en conformité avec la loi, c'est-à-dire s'ils ont au moins un plan d'équité en emploi. À ce moment-là, il ne s'agit pas de savoir s'ils ont atteint les objectifs qu'ils se sont fixés à court terme. Selon la définition qu'en donne la loi, les employeurs disposent d'un à trois ans. Autrement dit, après s'être établis, ils ont deux ans pour avoir plus de 100 employés dans le secteur privé, et bien sûr, ils réaliseront normalement leurs objectifs à court terme au cours de la troisième année.

Nous rédigeons ensuite un rapport préliminaire sur leur conformité. Après un certain temps, nous évaluerons les progrès réalisés afin de déterminer si les efforts qu'ils ont déployés ont porté fruit. L'article 12 de la loi stipule que tout employeur prendra toutes les mesures raisonnables en vue de la mise en œuvre de son plan et assurera le suivi régulier de celle-ci. Nous procédons ensuite à une vérification de suivi. C'est notre rôle et ce que nous faisons.

Le sénateur Poy : Y a-t-il un chevauchement? Vous vous penchez actuellement sur leur rapport.

Mme Lynch : Non. C'est ce que nous faisons en matière de vérification. C'est le mandat qui nous a été conféré par la loi. Dans la fonction publique fédérale, le Conseil du Trésor, par l'intermédiaire de l'Agence canadienne de la fonction publique, et la Commission de la fonction publique assument conjointement les responsabilités des employeurs. Par conséquent, la Commission de la fonction publique est responsable de la nomination des personnes qualifiées, et elle vérifie comment les ministères se servent de ces pouvoirs de nomination. Essentiellement, c'est très différent des mesures que je vous ai lues que doit prendre un employeur. Elle s'intéresse à la nomination des personnes qualifiées au sein de la fonction publique, et c'est le genre de vérification qu'elle effectue.

Le sénateur Poy : Où votre Commission intervient-elle dans un cas comme celui-ci?

Mme Lynch : Elle n'intervient pas. Nous avons une vérification distincte liée à l'objectif numérique. Y a-t-il un plan d'équité en emploi? Si oui, traite-t-il de questions énumérées dans la Loi sur l'équité en matière d'emploi? Notre travail ne relève pas de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

Le sénateur Poy : Qu'est-ce qui se passe, maintenant que le seul groupe désigné à ne pas atteindre l'objectif est celui des minorités visibles? Est-ce votre travail de dire aux employeurs ce qu'ils devraient faire?

Mme Lynch : Nous commençons par examiner le plan d'équité en emploi et, bien sûr, l'employeur peut annoncer qu'il misera notamment sur des pratiques et des politiques positives.

Dans le cadre de notre travail de prévention, nous avons commencé à élaborer un protocole d'entente avec les employeurs. Nous avons créé un conseil consultatif des employeurs. Ce conseil se réunit pour partager des pratiques exemplaires. Nous allons intervenir et contribuer à l'échange de meilleures pratiques. Toutefois, il ne nous appartient pas, en tant que vérificateurs, de proposer des pratiques.

M. Dei, directeur, Programme de conformité à l'équité en matière d'emploi, a certainement quelque chose à ajouter.

Alex Dei, directeur, Programme de la conformité à l'équité en matière d'emploi, Commission canadienne des droits de la personne : Notre processus de vérification nous permet de relever des lacunes. Dans le cadre de notre travail, nous pouvons demander à l'employeur de se conformer à certaines exigences, comme la présidente l'a dit, si nous décelons des lacunes dans ses pratiques d'embauche. Nous nous penchons sur les pratiques positives et les mesures qui pourraient être prises, par exemple, et nous discutons des moyens de rejoindre les groupes cibles dont nous avons besoin.

Notre travail porte vraiment sur quatre groupes désignés : les femmes, les Autochtones, les minorités visibles et les personnes handicapées. Nous pouvons laisser sous-entendre aux employeurs que nous préférerions qu'ils mènent certaines activités pour accroître les niveaux de représentation. L'un des principaux moyens d'y arriver est d'éliminer les obstacles à l'emploi. Tel est le processus que nous utilisons.

Le sénateur Poy : Même si vous voyez que les chiffres sont à la baisse, il n'y a pas grand-chose que vous puissiez faire, n'est-ce pas?

Mme Lynch : Notre mandat consiste, en premier lieu, à procéder à des vérifications. Nous pouvons ensuite négocier des engagements avec les employeurs si nous estimons qu'il y a des lacunes. Si n'arrivons pas à nous entendre ou s'ils ne respectent pas les engagements qu'ils ont pris, nous pouvons formuler des directives. Ensuite, si les employeurs ne s'y conforment pas, nous pouvons faire appel au Tribunal de l'équité en matière d'emploi.

Toutefois, je voudrais vous renvoyer au paragraphe 22(2) de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, qui se lit comme suit :

Dans l'exercice de la responsabilité que lui confère le paragraphe (1), la Commission est tenue, en cas de non- observation, de mettre en œuvre, dans toute la mesure du possible, une politique de règlement négocié en vue de l'obtention d'un engagement sous le régime du paragraphe 25(1) et de n'avoir recours aux ordres et ordonnances respectivement visés aux paragraphes 25(2) et (3) et 27(2) qu'en dernier lieu.

Nous faisons des vérifications et nous négocions des engagements. Nous avons davantage un rôle de persuasion. La grande question qui revient tout le temps, c'est qu'est-ce qu'on entend par dernier recours?

Il incombe à l'employeur d'accroître la représentation, ce qui nous amène, au sein de la fonction publique du Canada, au Conseil du Trésor et à la responsabilité partagée avec la Commission de la fonction publique.

Le sénateur Poy : En général, traitez-vous uniquement avec les employeurs? Les employés s'adressent-ils à vous pour régler leurs différends?

Mme Lynch : Je vous remercie pour cette question. Nous avons toujours été reconnus — presque exclusivement — pour traiter les plaintes individuelles de discrimination, et c'est une très grande partie du travail que nous faisons. Nous appliquons la Loi canadienne sur les droits de la personne. Celle-ci repose sur le principe selon lequel tout individu a droit, autant que les autres, de mener la vie qu'il souhaite, et ce, à l'abri de la discrimination. Nous recevons des plaintes de particuliers, et parfois de groupes, fondées sur l'un ou l'autre des 11 motifs de discrimination, et nous les traitons en recourant à des méthodes particulières.

Notre Commission a subi une métamorphose au cours de ces dernières années. Nous sommes très innovateurs. Nous tentons de régler les différends, entre autres, par le dialogue et la médiation, et ce, avant même que nous ne recevions une plainte officielle. Nous avons quelques merveilleux exemples de réussite où nous avons aidé des individus à se réunir pour régler leurs différends, sans qu'il soit nécessaire de déposer une plainte officielle. Oui, nous recevons des plaintes individuelles.

Le sénateur Poy : Est-ce que les gens s'adressent d'abord à vous ou à leur commission provinciale des droits de la personne?

Mme Lynch : C'est un domaine très complexe. Le mandat de la Loi canadienne sur les droits de la personne découle de deux choses. S'agit-il d'un des motifs de discrimination énumérés dans la loi, c'est-à-dire la race, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, la religion, l'origine nationale, la couleur, la situation de famille, l'état matrimonial, la déficience et l'état de personne graciée? Si la plainte est fondée sur l'un de ces onze motifs et qu'elle se rapporte à un employeur ou à un fournisseur de services, qui est un ministère ou un organisme gouvernemental, ou l'un de ces employeurs sous réglementation fédérale qui comptent plus de 100 employés, alors nous pouvons la considérer.

Ici en Ontario, par exemple, si une personne estime être victime de discrimination de la part de l'une de ces organisations pour les motifs susmentionnés, elle s'adresse à nous. Autrement, elle ferait probablement appel à la Commission provinciale.

Le sénateur Jaffer : Merci beaucoup, madame la présidente et vous tous ici présents. D'après ce que vous dites, en tant que comité, nous cherchons des moyens de travailler ensemble pour améliorer la situation. Mes questions porteront sur les changements que nous pouvons apporter ensemble. Vous avez évoqué un certain nombre de questions sur lesquelles j'aurais besoin de clarification.

Le sénateur Poy vous a interrogé au sujet de la vérification, et vous pourriez peut-être nous donner plus d'explications. Existe-t-il une vérification des pratiques d'embauche?

M. Dei : Je vais essayer de l'expliquer de cette manière. Notre travail de vérification est vraiment axé sur la mesure des niveaux de représentation des quatre groupes désignés. À cette fin, nous utilisons les neuf critères prévus dans la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Dans une certaine mesure, nous n'entrons pas vraiment dans les détails. Nous attendons de voir si l'employeur a déployé des efforts, en commençant par éliminer les obstacles à l'emploi. Les pratiques d'embauche, par exemple, entrent dans cette catégorie. Donc, oui, nous le faisons dans ce sens. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

Le sénateur Jaffer : Tout à fait, car le mode et le lieu de recrutement contribuent, en quelque sorte, à conserver nos effectifs. Je crois comprendre que vous vous penchez là-dessus. Est-ce que je me trompe?

M. Dei : Non.

Le sénateur Jaffer : Beaucoup de mots ont été employés, et je suis heureux que vous ayez donné une définition de la « discrimination », madame la présidente. Pourriez-vous définir ce qu'on entend par « problèmes systémiques » au sein de la Commission de la fonction publique concernant l'embauche?

Mme Lynch : Bien sûr, nous ferons de notre mieux. Cette situation découle de l'article 10 de notre loi. Je vais laisser le soin à M. Dufresne, le directeur de nos services juridiques, de vous répondre.

Philippe Dufresne, directeur et avocat-conseil, Division des services du contentieux, Commission canadienne des droits de la personne : La présidente de la Commission a indiqué que nous exercions nos pouvoirs en vertu de deux lois, soit la Loi canadienne sur les droits de la personne et la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, les plaintes de discrimination peuvent être déposées auprès de la commission, qu'elles portent sur l'emploi ou la prestation de services. Conformément à la Loi sur l'équité en matière d'emploi, les personnes peuvent déposer ce que nous appelons des « plaintes systémiques ou relatives à des politiques ». Dans ce cas, la discrimination résulte de politiques ou de systèmes et ne touche pas qu'une seule personne, mais plutôt un large groupe d'employés dans un lieu de travail ou un secteur d'activité donné. L'équité salariale serait un exemple de discrimination systémique, puisque des pratiques, au fil du temps, ont désavantagé les femmes.

En vertu de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, les problèmes de sous-représentation comportent aussi un aspect systémique. Cependant, quand on parle de discrimination systémique, conformément à la Loi canadienne sur les droits de la personne, il est plus souvent question de plaintes déposées en vertu de l'article 10 ou d'autres articles qui ont une incidence sur un groupe, un secteur d'activité ou un système.

Le sénateur Jaffer : C'est très utile. Pourriez-vous me dire ce que vous avez relevé comme problèmes systémiques relativement aux minorités visibles?

M. Dufresne : Du point de vue de la Loi canadienne sur les droits de la personne, nous nous occupons des plaintes qui sont déposées; il est donc difficile de spéculer sur les types de situations. Nous avons certainement reçu des plaintes systémiques, à la Commission, que nous avons renvoyées au tribunal afin qu'il prenne une décision. Nous pouvons penser à des politiques qui ont un effet discriminatoire sur les personnes handicapées, par exemple, lorsqu'il est difficile, voire impossible, pour elles de travailler dans un lieu de travail donné, et à d'autres situations similaires impliquant la race ou le sexe. Si la discrimination a un impact sur un groupe, on peut considérer qu'il s'agit d'une discrimination systémique.

Le sénateur Jaffer : Avez-vous remarqué une discrimination systémique à l'égard des minorités visibles?

M. Dufresne : Nous avons vu des situations, par exemple, au Tribunal canadien des droits de la personne, où un employeur se justifiait en disant qu'il avait congédié ou refusé d'embaucher des personnes parce qu'elles étaient surqualifiées pour le poste. Une affaire a été portée devant le tribunal au sujet d'une personne, appartenant à une minorité visible, qui n'avait pas pu obtenir un poste. La personne était qualifiée — en fait, surqualifiée — pour le poste, et l'employeur croyait qu'elle se lasserait de son travail et finirait par partir, compte tenu de sa surqualification, ce qui poserait problème à l'employeur, s'il veut maintenir son personnel et limiter le roulement. Dans ce cas, la Commission est intervenue et a présenté des arguments, a fait venir un expert et a réussi à prouver au tribunal qu'une telle justification, même si elle semblait objective, a eu un impact négatif sur les minorités visibles parce que celles-ci avaient tendance à être surqualifiées pour les emplois, pour toute sortes de raisons. Ceci a été considéré comme un problème. Cette décision du tribunal indique maintenant qu'une personne qui invoque une telle justification enfreint la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le sénateur Jaffer : Votre document, madame la présidente, a été très utile. Je sais que nous allons nous y reporter. À la page 7, au dernier paragraphe, sur une note très positive, vous dites qu'il y a eu des améliorations au niveau de la représentation des groupes désignés. Malheureusement, nous ne pouvons pas nous réjouir autant pour ce qui est des minorités visibles.

Savez-vous pourquoi on fait marche arrière?

Mme Lynch : Premièrement, sachez qu'il n'est pas dans notre mandat de déterminer le pourquoi. De nombreux témoins sont venus ici et ont donné leur avis sur les raisons de cette lacune. Certains des rapports, comme Faire place au changement, par exemple, renfermaient quelques recommandations utiles. Dans mes remarques liminaires, quand j'ai parlé des mesures incitatives officielles, je n'en avais jamais entendu parler en ces termes exacts auparavant.

Un exemple d'une mesure incitative officielle serait les primes de rendement versées aux sous-ministres; toutefois, il y a plusieurs autres mesures incitatives officielles qui pourraient être prises, où on utilise davantage les encouragements que les punitions, si je puis ainsi dire. Par exemple, nous savons que le changement organisationnel peut être facilité quand les gens sont encouragés à prendre des engagements. Nous l'avons observé très récemment par l'accord conclu entre Affaires indiennes et du Nord Canada et l'Assemblée des chefs du Manitoba, dans lequel le ministère s'est engagé à accorder 50 p. 100 des postes vacants à des Autochtones. Ce type de promesse ou d'engagement peut être déterminant.

J'aimerais qu'on parle de l'intégration de l'équité en emploi dans les pratiques quotidiennes. Les ministères peuvent prendre des initiatives globales comme reformuler les énoncés de mission concernant les valeurs, et même revoir des détails de l'ordre du jour, pour suivre l'évolution de la situation, de façon à ce que cela ne se fasse pas soudainement, une fois par an.

La reconnaissance et les récompenses sont aussi importantes. Bien sûr, il peut y avoir d'autres incitatifs financiers qui ne sont pas nécessairement liés à la rémunération. C'est quelque chose qui pourrait être envisagé : des mesures incitatives officielles autres que la rémunération au rendement.

Pourrais-je prendre quelques minutes pour aborder le changement de culture? Nous parlons de la nécessité de changer la culture. La plupart des discussions ont porté sur ce que je considère l'un des facteurs de changement les moins inspirants, c'est-à-dire la conformité. Je parle souvent des moteurs de changement comme des cinq C : conformité, coût, concurrence, crise et culture.

Lorsque nous parlons de conformité, ce serait, par exemple, les vérifications de la conformité à l'équité en matière d'emploi que nous faisons. C'est ce sur quoi nous nous appuyons le plus souvent. Nous avons toujours dit que c'est une exigence de la Loi sur l'équité en matière d'emploi qui doit être respectée, ce qui est loin d'inspirer les employeurs. Ceux-ci trouveront leur inspiration, en grande partie, dans le coût, la concurrence, la crise et la culture. Les trois premiers facteurs sont ceux qui ressortaient normalement du cadre de l'analyse de rentabilisation. C'est le coût de l'inaction — la nécessité de recruter les meilleurs talents et la crise démographique imminente due au vieillissement de la population sont très valables. Cependant, dans votre rapport publié récemment, Nous n'y sommes pas encore, et dans certains témoignages, comme je l'ai mentionné, il est de plus en plus question de la culture organisationnelle. Je crois que ce changement de culture, ce cinquième C, est vraiment la clé, la pièce manquante.

Pourquoi la pièce manquante? J'ai repris un passage de votre rapport. Vous dites qu'il faut affronter les attitudes discriminatoires, trouver des solutions à la résistance émotive ou psychologique et créer un milieu de travail coopératif qui accueille les différences.

Je suis d'accord, et je voudrais ajouter un autre élément essentiel concernant la culture qui pourrait permettre de venir à bout de la résistance. Ça commence par la façon dont nous avons modernisé nos modèles de prestation de services de première ligne aujourd'hui. Si nous faisons partie de la police, nous nous engageons dans les services de police communautaire. Si nous sommes des collecteurs d'impôts, nous ne vidons pas les comptes bancaires; nous utilisons un modèle coopératif de résolution de problèmes. Si nous dirigeons des prisons, nous collaborons avec les collectivités en utilisant une approche réparatrice pour assurer la réinsertion en toute sécurité des délinquants. Si nous sommes des juges ou agents d'un organisme quasi judiciaire, nous engageons les parties dans le dialogue et la médiation. Si nous sommes dans le domaine bancaire, nous nommons des médiateurs bancaires, insistons sur la satisfaction de la clientèle et sommes attentifs aux plaintes des clients. Comme je l'ai dit plus tôt, lorsque j'ai lu l'article 22 de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, même en exerçant nos pouvoirs d'application, nous devons être guidés par la négociation et les pratiques de persuasion.

Où est-ce que je veux en venir? Nous avons insufflé à nos services de première ligne une culture de résolution de problèmes plutôt qu'une culture du « c'est à prendre ou à laisser ». Ces nouvelles tendances sont toutes fondées sur des discussions et des partenariats inclusifs et créatifs, et sur la façon dont nous traitons les gens, résolvons les problèmes et prenons des décisions. Elles visent également à ce que le personnel de première ligne reflète la culture canadienne et la diversité, et pourtant, certains employeurs que nous réglementons ont pris du retard dans l'harmonisation de leur culture d'entreprise pour tenir compte de la créativité, l'inclusion et la diversité. Les employeurs ont besoin d'intégrer la culture, la diversité et la créativité dans l'ensemble de l'organisation, et pas uniquement au niveau des employés de première ligne ou des sous-ministres, mais à tous les niveaux. Lorsque tout cela est pleinement intégré, l'organisation est plus susceptible d'atteindre ses objectifs. Autrement, les employés de première ligne le sentiront. Ils détecteront les anomalies, deviendront désenchantés et démoralisés et reviendront à leurs anciennes méthodes ou quitteront leur emploi, et nous nous retrouverons avec un problème de maintien de l'effectif.

Lorsque les dirigeants comprendront enfin, l'équité en emploi sera pleinement intégrée dans nos systèmes.

J'encourage les discussions à propos de la culture du changement. Il ne s'agit pas seulement de surmonter la résistance à des personnes qui ne sont pas comme nous, comme l'a dit un témoin, mais aussi de comprendre l'importance de l'intégration de la diversité, de l'inclusion et de la collaboration dans l'ensemble de l'organisation.

Le sénateur Jaffer : Votre travail couvre aussi la prévention de la discrimination.

Mme Lynch : Oui.

Le sénateur Jaffer : À quoi ressemblerait le rapport si vous étiez assise avec le ministre ou le sous-ministre? Que lui diriez-vous au sujet des minorités visibles? Vous étiez très enthousiaste lorsque vous avez expliqué comment vous tentiez de modifier la culture, ce qui réjouit une personne comme moi, mais ne donne pas les résultats escomptés. Nous faisons encore marche arrière.

Mme Lynch : Ce que vous pouvez considérer comme un rapport et ce que nous créons peuvent être deux choses différentes. Nous sommes mieux en mesure de donner des statistiques qui portent sur le travail que nous faisons. En ce qui concerne les vérifications, le processus d'élaboration et de mise en œuvre des plans d'équité en matière d'emploi est plus lent que nous l'aurions souhaité. Là où il semble y avoir eu peu de progrès, il faut se demander comment on peut accélérer les choses. À ce stade-ci, la commission ne peut pas dire si le peu de progrès réalisés par les employeurs est attribuable au fait qu'ils n'ont pas déployé tous les efforts raisonnables pour mettre en œuvre leurs plans d'équité en matière d'emploi, ou s'il existe d'autres facteurs qui entrent en jeu, tels que les réorganisations, le climat économique défavorable, les licenciements, et cetera. Au mieux, nous pouvons espérer étudier ces questions. Notre rapport comme tel ne permettra pas de répondre à toutes les questions que vous pourriez avoir.

Le sénateur Munson : Vous avez parlé de lenteur. Retrouve-t-on du racisme ou de la discrimination systémique dans la fonction publique?

Le sénateur Oliver : Vous avez déjà répondu à cette question.

Mme Lynch : Je réfléchis à ma réponse. J'ai examiné certains de ces chiffres ce week-end. Il y a eu des progrès. J'ai trouvé très encourageants, et je dirais même remarquables, les pratiques adoptées et les efforts consciencieux déployés par ceux qui représentent l'employeur — la Commission de la fonction publique, lorsque Mme Barrados est venue vous parler, de même que l'Agence canadienne de la fonction publique. J'ai entendu des gens passionnés et engagés. Comme vous l'avez vu, il existe une myriade de politiques et de pratiques positives qui seront mises de l'avant. Je vois une véritable volonté au sein de la fonction publique. Par conséquent, sénateur Oliver, avec le plus grand respect, si j'ai pris un moment pour réfléchir avant de donner ma réponse, ce n'était pas pour répondre par l'affirmative. Je crois réellement que nous assistons à un engagement énorme.

Nous ne menons pas d'étude et ne pouvons faire aucun commentaire sur les raisons de cette tendance à la baisse, par exemple, sur le plan du recrutement. Je sais que vous voulez que je sois concise, madame la présidente. J'ai quelques statistiques à vous donner sur les plaintes de discrimination systémique qui nous sont adressées et celles qui sont renvoyées au tribunal. En 2005, nous avons confié 102 cas au tribunal, dont 29 comprenaient une allégation en vertu de l'article 10, et en 2007, nous en avons envoyés 136, dont 76 de présumée discrimination systémique. Cependant, de ces 76, 56 concernaient la même question, c'est-à-dire l'âge de la retraite pour les pilotes; c'est donc une grande partie. Encore une fois, ce n'est pas la fonction publique, mais bien nos entreprises sous réglementation fédérale. Par conséquent, il n'y a pas un grand nombre de cas qui nous sont confiés et qui sont transmis au tribunal.

Le sénateur Munson : Vous y avez fait allusion dans le volet sur la culture d'entreprise. Dans votre déclaration liminaire, vous avez fait référence au fait que vous deviez pousser les employeurs récalcitrants sur le chemin de l'équité en emploi. Est-ce là le « club des anciens »? Y a-t-il une possibilité que ce changement générationnel au sein de la fonction publique permette de réduire ces écarts, compte tenu des fonctionnaires plus âgés qui partent à la retraite et de la nouvelle génération qui semble avoir instinctivement une attitude beaucoup plus positive envers les autres?

Mme Lynch : Oui, il existe une réelle possibilité. Comme je l'ai dit, notre conseil consultatif des employeurs a pleinement adhéré à la culture de la collaboration, du dialogue et de la résolution coopérative de problèmes. Il ne serait pas surprenant que les employeurs se sentent beaucoup plus inspirés en trouvant des moyens de faire mieux et d'être sensibilisés.

Bien sûr, l'aspect d'éducation et de formation prévu dans la Loi sur l'équité en matière d'emploi est la responsabilité de Ressources humaines et Développement social Canada, RHDSC; pas la nôtre. Toutefois, favoriser la sensibilisation et la compréhension des gens envers la lutte contre la discrimination et l'objet de notre loi habilitante relèvent de notre mandat, et dans ce cadre, nous travaillons avec les employeurs, et il y a un intérêt énorme, donc ma réponse serait oui.

Le sénateur Oliver : Quelles sont les modifications ou les changements que vous aimeriez voir apportés à votre mandat et à la loi pour que vous puissiez faire un travail plus efficace?

Tout d'abord, je tiens à féliciter trois de mes collègues pour leurs questions on ne peut plus pertinentes. Ils sont allés droit au but, en particulier le sénateur Munson, et je les félicite pour cela.

Il est de mon avis que votre mesure législative, votre loi, n'a pas de poids, que vous êtes en sous-effectif et que le projet de loi est rédigé de manière à ce que vous manquiez à votre mandat.

Vous avez 1 million d'employés, 100 ministères et organismes fédéraux dont vous êtes responsable et 500 employés du secteur privé. Quelle est la taille de votre main-d'œuvre? Combien d'entre eux sont-ils affectés à ce travail?

Mme Lynch : Notre Division de la conformité à l'équité en matière d'emploi compte 16 personnes.

Le sénateur Oliver : Est-ce suffisant?

Mme Lynch : Non, ce n'est pas assez. Nous recrutons également, lorsqu'il y a lieu, des gens de notre Direction générale du règlement des différends et d'autres secteurs de notre Direction générale de la prévention de la discrimination, tels que le conseil consultatif des employeurs. Bien sûr, nous faisons notre possible en matière de recherche et nous recevons l'appui de notre centre de connaissances. C'est une structure moderne, et ça fonctionne très bien. Il y a 16 personnes dans la division de M. Dei.

La Loi sur l'équité en matière d'emploi prévoit un examen tous les cinq ans. Cet examen doit être effectué dès maintenant — il est même un peu en retard —, et nous nous préparons pour cela. Nous ne mènerons pas d'initiatives visant à apporter des changements à la loi. Nous avons mis en place de nouvelles pratiques, et nous sommes d'avis que nous pouvons nous acquitter de notre mandat en exerçant les pouvoirs qui nous sont conférés par la loi actuelle. Cette loi relève principalement du ministre de RHDSC.

Le sénateur Oliver : Vous n'envisagez pas d'amendement parce que vous estimez qu'avec vos 16 personnes, vous pouvez faire le travail, est-ce exact?

Mme Lynch : Évidemment, la répartition des ressources ne résulte pas de la loi. En raison de ces problèmes, nous sommes à entreprendre un examen de nos ressources disponibles, et nous pourrions demander des fonds, à l'avenir. Un examen indépendant est en cours afin de déterminer si, à la commission, nous utilisons efficacement toutes nos ressources. Les ressources sont certainement une question qui mérite d'être examinée.

Modifier la loi est une initiative qui exige énormément de ressources. Nous avons entamé une réorganisation de notre commission et un nouveau processus de vérification modernisé. Nous voulons lui donner le temps de faire ses preuves.

Dans cette section en particulier, où il y aura un examen de la législation, nous ne prendrons pas d'initiatives destinées à apporter des modifications. Cela ne veut pas dire qu'à l'avenir, nous ne serons pas en faveur d'une révision complète de la loi, mais pas pour le moment.

Le sénateur Oliver : Vous dites que dans les cas de non-observation, en vertu de la loi, vous jouez un rôle de persuasion.

Cependant, il est de mon avis, ayant traité des cas de racisme pendant plus de 50 ans au gouvernement ou ailleurs, que vous devez avoir un instrument qui a du poids, et que la persuasion ne suffit pas à contrer le racisme systémique dans la fonction publique. Cela devrait changer, et je suis surpris que vous ne soyez pas de cet avis.

Beaucoup de dispositions relatives au règlement des différends n'ont pas d'effet. Depuis un certain temps déjà, on remet en question les mesures incitatives institutionnelles, comme les primes de rendement versées aux sous-ministres, mais rien ne bouge. Il existe de nombreuses preuves indiquant que tout le monde reçoit sa prime, et ce, en dépit du fait que certains n'ont pas respecté les exigences.

Cela ne fonctionne pas. Il n'y a pas de mécanisme en place. Étant donné que vous êtes en sous-effectif — il me semble que vous avez besoin de plus de personnel —, je me demande si votre mandat n'est pas trop large et s'il ne serait pas préférable de le restreindre afin que vous soyez mieux en mesure de réaliser les objectifs clés de la loi.

Vous avez dit voir un énorme engagement dans la fonction publique, mais si vous lisez les déclarations des témoins qui ont comparu devant le comité, cette année, l'année dernière et l'année d'avant, vous constaterez que bon nombre d'entre eux disent qu'il y a de graves problèmes systémiques à régler. Ils existent.

La plupart d'entre eux n'utilisent pas le mot « racisme », mais c'est le racisme qui empêche les membres des minorités visibles de gravir les échelons de la fonction publique. À titre de Commission des droits de la personne, votre principale fonction est de faire respecter la loi; vous devez donc avoir en place des mécanismes d'application qui ont plus de poids.

J'espérais que vous me parleriez de certaines des mesures que vous pourriez prendre pour améliorer l'exécution de la loi et contrer le racisme systémique.

Mme Lynch : Vos commentaires sont très importants. Le mandat que nous avons est très restreint. Nous sommes des vérificateurs de la conformité. Vous avez tout à fait raison de dire que le libellé de la loi qui renferme une expression comme « en dernier recours » n'a pas été éprouvé devant les tribunaux. La signification de « dernier recours « n'est pas claire pour l'employeur, et nous n'avons pas transmis de cas au tribunal qui a fait l'objet d'une audience. Nous avons pu formuler des directives ou renvoyer les cas au tribunal, mais il n'y a pas eu d'audience.

Dans le cadre de nos fonctions, à titre de vérificateurs de la conformité, nous travaillons avec un nouveau modèle qui, selon nous, s'appliquera à plus d'employeurs et d'employés, et nous serons en mesure d'effectuer les vérifications de suivi. Tel est le rôle qui nous a été assigné par la loi.

Par conséquent, nous ne pouvons pas proposer d'autres solutions que celles qui ont trait à notre mandat.

Le sénateur Oliver : Je ne vais pas insister là-dessus.

Un certain nombre de témoins ont comparu devant le comité et parlé de la Commission des droits de la personne et de l'arriéré de dossiers. Vous avez tenté d'aborder la question des retards avec les statistiques que vous nous avez fournies aujourd'hui. Cependant, je suis d'avis, en tant qu'ancien avocat, que justice différée est justice refusée. Si les gens doivent attendre cinq ou six mois, un an ou même deux pour que leur cas se règle, surtout quand il est question de leur emploi et de leur avancement, c'est trop long.

Que peut-on faire pour réduire les délais de traitement, de sorte qu'on ne refuse pas la justice à autant de personnes dans la fonction publique?

Mme Lynch : Je suis d'accord avec vous pour dire que le plus rapidement nous traiterons les questions, dans la mesure où nous le faisons de manière appropriée, le mieux ce sera.

Nous travaillons à plusieurs niveaux. D'abord, nous faisons appel à des cadres, dès le départ, pour engager des discussions afin qu'il ne soit même pas nécessaire de déposer une plainte officielle. En fait, l'année dernière, nous avons reçu environ 12 000 demandes de renseignements et seulement quelques centaines de plaintes. C'est en partie attribuable — et c'est le programme national complexe des droits de la personne, si je puis m'exprimer ainsi —, au fait que nous ne pouvons traiter que les plaintes qui relèvent de notre compétence. Par conséquent, nous devons procéder à ce triage. Il y a aussi une limite de temps à respecter. Existe-t-il un autre processus raisonnablement disponible? Une grande majorité sont triées de cette manière.

Nous examinons attentivement chaque plainte pour déterminer avec quelle rapidité nous pouvons engager le dialogue et la traiter. Nous surveillons ces statistiques continuellement, tout en étant certains de suivre la procédure établie et que personne n'est privé de son droit à la justice.

L'autre chose, c'est que nous ne voudrions surtout pas réduire la qualité des services en allant trop vite.

On doit engager le dialogue préliminaire, mais même avant cela, il faut travailler avec les employeurs afin de dénoncer et de combattre la discrimination au sein du groupe.

Le sénateur Oliver : Un témoin devant ce comité nous a dit qu'un certain nombre de personnes ne portaient pas plainte à cause des retards. Par conséquent, ils sont sans recours.

Mme Lynch : Ce qu'a dit ce témoin ne m'est pas étranger. Bien sûr, nous ne pouvons pas le savoir parce que nous sommes seulement au courant des plaintes dont nous sommes saisis. Nous avons pris un certain nombre de mesures pour accélérer les choses. J'en ai parlé dans mes remarques liminaires.

Nos résultats sont très encourageants, et pourtant, les statistiques sont là. Imaginez le traitement de 12 000 demandes de renseignements, par exemple. Cela prend du temps. Toutefois, nous travaillons rapidement et affectons un enquêteur souvent en quelques jours.

La présidente : Merci, madame Lynch ainsi que vos collègues, d'avoir comparu aujourd'hui afin d'entamer des discussions avec nous. Je vous assure qu'au Sénat, s'il y a une chose qui soit en notre faveur, c'est que nous n'abandonnons pas nos études. Nous n'avons pas l'intention de déposer un rapport puis de passer à autre chose. Nous continuerons de travailler sur ce dossier.

Certains d'entre nous, sénateur Oliver, savent que nous avons commencé par la sensibilisation, et il semble maintenant que l'accent soit mis sur la vérification. Nous voulons savoir si les vérifications donnent les résultats escomptés. Nous nous emploierons à trouver ce que la prochaine étape devrait être et nous vous prions d'en faire autant.

Avoir une façon systématique d'examiner le problème et le cerner ne le fait pas disparaître; il est encore présent. Nous sommes ici pour chercher des solutions qui vont changer l'image de la fonction publique et régler ce problème une fois pour toutes.

Nous sommes inquiets, comme le sénateur Poy l'a indiqué, au sujet de la régression. Nous savons que vous êtes préoccupés par cette question; tous les Canadiens le sont. Nous allons trouver une solution à cette situation d'une manière plus constructive. Tous ne s'en porteront que mieux. Nous vous remercions pour l'information, de même que pour l'ouverture et la franchise de la discussion.

Nous continuons d'examiner des cas de discrimination présumée dans les pratiques d'embauche et de promotion de la fonction publique fédérale et d'étudier la mesure dans laquelle les objectifs pour atteindre l'équité en emploi pour les groupes minoritaires sont réalisés.

Parmi les prochains témoins, nous avons, de l'Alliance de la fonction publique du Canada, M. Ed Cashman, vice- président exécutif régional, et Mme Lisa Addario, agente d'équité en matière d'emploi. Soyez les bienvenus.

Nous accueillons aussi des représentants de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada, l'IPFPC, Gary Corbett, vice-président, et Al Ravjiani, directeur régional de l'Ontario et président du Comité des droits de la personne en milieu de travail. Mme Allison Pilon, agente de recherche, est elle aussi présente. Bienvenue à tous.

Nous vous prions de faire des déclarations liminaires aussi brèves que possible. Comme vous avec pu le voir, c'est bien plus intéressant lorsqu'il y a un échange de questions et de réponses entre les sénateurs et les témoins, et nous tenons à nous garder du temps pour cela.

[Français]

Ed Cashman, vice-président exécutif régional, Alliance de la fonction publique du Canada : Je vous remercie de m'accorder le privilège de prendre la parole devant le comité pour aborder les pratiques d'embauche dans la fonction publique fédérale.

L'Alliance de la fonction publique du Canada est le sixième syndicat en importance au Canada et il représente plus de 150 000 travailleuses et travailleurs dans chaque province et territoire. Nos membres travaillent pour des ministères et organismes du gouvernement fédéral, pour des employeurs fédéraux distincts, des sociétés et organismes d'État, les gouvernements du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut, ainsi que pour une variété d'autres employeurs des secteurs public et privé.

Nous représentons la très grande majorité des travailleuses et travailleurs de la fonction publique fédérale du Canada. Il me fait plaisir d'avoir l'occasion de faire la promotion de l'équité au travail et de solliciter votre appui à cet égard et de vous présenter notre vision d'un plan d'action.

Je propose de commencer en soulignant les enjeux auxquels sont confrontées les personnes handicapées au sein de la fonction publique fédérale. Récemment, la Commission canadienne des droits de la personne a publié son rapport annuel de 2006 qui contient des données sur l'embauche d'employés au gouvernement.

J'aimerais d'abord faire une petite parenthèse. Souvent on entend dire que le gouvernement fédéral respecte ses objectifs en ce qui concerne la représentation des personnes handicapées. Le rapport annuel de 2006 confirme ce que nous racontent nos membres depuis de nombreuses années, c'est-à-dire que le nombre de personnes ayant un handicap, qui sont embauchées par le gouvernement fédéral, est inférieur au taux de disponibilité du marché du travail.

En d'autres mots, le gouvernement fédéral respecte son obligation juridique non pas par l'embauche proportionnelle, mais en raison des blessures et des maladies de ses employés qui surviennent au travail. Nonobstant ou peut-être en raison de leur handicap, les personnes ayant un handicap ne sont pas embauchées de manière proportionnelle. Certaines personnes deviennent handicapées au cours de leur carrière et nous croyons que cette question mérite votre attention car elle ne respecte pas l'objectif de l'équité en emploi, soit d'éliminer la discrimination qui perdure depuis longtemps.

Je vais aller plus loin dans le rapport.

[Traduction]

Nous aimerions revenir, peut-être pendant la période de questions, sur la question de la Commission canadienne des droits de la personne. Nous avons des idées bien arrêtées là-dessus.

J'aborderai maintenant la question de nos membres dits racialisés. Tout d'abord, voici une précision terminologique : le terme « racialisé » est le terme qui a été choisi dans le Rapport de la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario en 1995. Il reflète la capacité d'une partie plus dominante d'imposer sa vision de ce qu'est une personne membre d'un groupe « racial visible », « d'une minorité visible » ou tout simplement « autre ». Il permet aux personnes appartenant à une minorité visible de dire que cette étiquette leur a été imposée par quelqu'un d'autre, qu'ils ne l'ont pas choisie et qu'elle ne correspond pas à leur manière de se percevoir.

Nous connaissons maintenant toutes les données touchant la représentation des minorités visibles dans la fonction publique fédérale. Les données les plus récentes nous viennent de la Commission des droits de la personne et, une fois de plus, les minorités visibles sont sous-représentées. Leur représentation est de 8,6 p. 100. Le gouvernement fédéral utilise un taux de disponibilité sur le marché du travail de 10,4 p. 100 selon le recensement de 2001.

Nous croyons qu'on dore la pilule. Premièrement, le taux de disponibilité sur le marché du travail est assez désuet; deuxièmement, même s'il exclut les non-citoyens, la plupart des résidents permanents obtiennent leur citoyenneté en moins de trois ans; et, troisièmement, selon Statistique Canada, d'ici 2017, une personne sur cinq fera partie d'une minorité visible. Comment le gouvernement s'en sortira-t-il avec un taux de représentation de 8,5 p. 100?

Quand on a demandé au gouvernement d'expliquer pourquoi il n'avait pas atteint l'objectif qu'il s'était fixé dans le cadre de « Faire place au changement », il a répondu que c'était la faute des gestionnaires qui embauchent, qu'il fallait faire davantage pour les convaincre de la nécessité, du point de vue des affaires, de recruter des membres des minorités visibles. Et ensuite? L'année suivante, par le biais de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, le gouvernement a accordé aux gestionnaires une plus grande latitude en matière d'embauche tout en réduisant sa surveillance.

Et l'effet a été amplifié par la hausse du nombre d'employés occasionnels au sein du gouvernement, qui sont souvent embauchés par l'intermédiaire d'agences de placement temporaire. Mais un élément tout aussi gênant de cette équation est le fait que c'est grâce à un emploi occasionnel que de nombreux employés finissent par obtenir un poste permanent.

Récemment, la présidente de la Commission de la fonction publique, Mme Barrados, qui a comparu devant votre comité, a estimé qu'au cours des huit dernières années, environ 60 p. 100 des personnes embauchées pour une période indéterminée avaient de l'expérience à titre d'employés temporaires ou occasionnels. Comme elle l'a affirmé, on essaie de recruter les personnes qui connaissent le travail le mieux et, surprise, on se retrouve avec quelqu'un qui a déjà fait le travail. Nous reviendrons à cette question dans nos recommandations.

Mais maintenant que j'ai votre attention, j'aimerais vous parler des autres groupes désignés, les Autochtones et les femmes. Selon le Sondage auprès des fonctionnaires fédéraux de 2005, un grand nombre d'employés autochtones se sont dits victimes de discrimination et de harcèlement. Trente-trois pour cent des employés autochtones ont déclaré avoir été victimes de harcèlement, soit une augmentation par rapport aux 30 p. 100 de 2002. Vingt-neuf pour cent des employés autochtones ont signalé des cas de discrimination en 2005, soit une augmentation par rapport à 2002.

Et la « bonne nouvelle » concernant le nombre d'Autochtones embauchés, c'est qu'il est presque complètement neutralisé par le nombre d'Autochtones qui quittent la fonction publique : 4,3 p. 100 de tous les employés nouvellement embauchés par le gouvernement fédéral en 2004-2005 étaient autochtones; cependant, 4,1 p. 100 de tous les départs du gouvernement fédéral étaient des Autochtones. À notre avis, cela n'est pas un gain net impressionnant.

Deux tiers de tous les employés autochtones travaillent au sein d'un ministère qui possède un mandat juridique ou politique relatif aux Autochtones, notamment le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, le Service correctionnel du Canada, Santé Canada et RHDSC. C'est ce que nous voulons dire quand nous parlons des ghettos.

Je voudrais maintenant parler des femmes dans le secteur public fédéral. Selon les données recueillies, nous savons que les femmes représentent 53,5 p. 100 des travailleurs et, à ce titre, on estime qu'elles sont bien représentées sur le marché du travail. Cependant, elles ne représentent que 37,2 p. 100 des employés dans la catégorie de gestion, soit une légère hausse par rapport à l'année précédente. Lorsque vous jumelez ce chiffre à d'autres chiffres aussi faibles dans le cas des personnes ayant un handicap, des Autochtones et des personnes racialisées dans la catégorie de gestion, il devient clair que nos membres travaillent dans des conditions et un environnement de travail définis par ces cadres. En outre, il s'agit de l'échelon qui établit les politiques et les services destinés au public. Tout cela pour dire que si cet échelon n'est pas représentatif, alors le gouvernement dans son ensemble risque de perdre de vue son mandat.

Bien sûr, l'équité en emploi ne concerne pas seulement la représentativité, mais aussi les politiques et les pratiques d'emploi qui constituent des obstacles à l'embauche et à la promotion. Il serait négligent de ma part de passer sous silence la question des femmes travaillant au gouvernement qui sont victimes de discrimination en raison de leur situation familiale. Cette discrimination prend la forme d'un refus de l'employeur d'accommoder les femmes au moyen de modifications comme des horaires variables afin de leur permettre de prendre soin de leurs enfants. Par ailleurs, il est facile d'imaginer que les femmes, qui sont généralement les fournisseurs de soins « de facto » de notre société, demanderont des accommodements pour s'occuper de parents âgés dont elles sont de plus en plus responsables.

Quelle est l'ampleur du problème? En préparant mon allocution, je pensais aux changements démographiques auxquels nous faisons face en tant que société, soit une augmentation marquée du nombre de personnes âgées suivie d'un plus petit nombre de leurs enfants sur le marché du travail. Le taux de natalité n'a pas cessé de décliner au cours des 40 dernières années; autrement dit, il y a moins de travailleurs qui se partagent la responsabilité du soin des aînés.

Ce qu'il faut retenir, c'est qu'en tant que mères, les femmes doivent concilier vie familiale et exigences professionnelles, une situation qui est typique de notre culture. En omettant de reconnaître que les horaires de travail inflexibles constituent des obstacles à l'embauche et à la promotion des femmes, les employeurs échouent à respecter leurs obligations d'assurer l'équité en matière d'emploi.

Dans notre document, nous avons également inclus une série de recommandations. Premièrement, la stratégie du gouvernement en ce qui a trait au recrutement de personnes handicapées dans la fonction publique fédérale doit refléter le taux de disponibilité sur le marché du travail.

Deuxièmement, le gouvernement doit instaurer un protocole de retour au travail dans le cadre d'une stratégie de réintégration appliquée à l'ensemble de l'organisation afin de traiter les questions relatives aux mesures d'adaptation pour les travailleurs handicapés dans des délais raisonnables.

Troisièmement, il faut établir un comité mixte composé d'agents négociateurs et de représentants de l'employeur dont le mandat consiste à orienter les modalités de dotation en ce qui a trait aux mesures d'équité en emploi et au recours à des employés occasionnels.

Quatrièmement, les gestionnaires doivent être tenus de rendre des comptes pour ce qui est de l'atteinte de leurs objectifs d'équité en matière d'emploi. Il faut également publier les données concernant le nombre de gestionnaires qui n'ont pas reçu leurs primes, faute d'avoir réussi à atteindre les objectifs du ministère relativement à l'équité en matière d'emploi.

Cinquièmement, il faut rendre accessibles les données concernant le nombre de membres de groupes visés par l'équité en matière d'emploi qui sont embauchés dans chaque ministère et organisme, les groupes professionnels concernés et la durée des fonctions, sans oublier l'information sur les travailleurs victimes de discrimination pour de multiples motifs.

Enfin, sixièmement, le gouvernement doit établir et mettre en œuvre des politiques qui affirment le principe selon lequel les travailleurs ont le droit fondamental de prendre soin de leur famille.

Gary Corbett, vice-président, Institut professionnel de la fonction publique du Canada : Merci de nous avoir donné la possibilité de comparaître devant votre comité pour discuter de cette importante question.

L'Institut professionnel de la fonction publique du Canada est un syndicat qui représente quelque 55 000 professionnels du secteur public au Canada.

La présidente : Je sais que j'ai dit que vous deviez être bref, mais veuillez ne pas allez pas trop vite, parce que nous devons tenir compte de la traduction. Nous avons le document en main, et nous allons le parcourir. Si nous n'arrivons pas à tout couvrir maintenant, nous vous interrogerons par écrit ou vous inviterons à revenir. Contentez-vous de souligner les grandes lignes

M. Corbett : Plus de 40 000 de ces professionnels travaillent directement dans la fonction publique fédérale. Nous représentons les professionnels des TI, ainsi que les scientifiques, vérificateurs, ingénieurs, architectes, médecins — le corps professionnel.

Je voudrais tout d'abord dire quelques mots sur les niveaux de représentation des groupes d'équité en matière d'emploi dans la fonction publique fédérale. Votre comité a entendu dire que la fonction publique fédérale dans son ensemble faisait du bon travail en ce qui a trait à la représentation des femmes, des Autochtones et des personnes handicapées. Toutefois, il est question de chiffres nationaux et globaux qui ne reflètent pas la véritable image ni la répartition inégale des membres des groupes désignés. Par exemple, selon les tout derniers chiffres disponibles, alors que les femmes occupent 53 p. 100 de tous les emplois dans la fonction publique, elles ne détiennent qu'environ 38 p. 100 des postes de hauts fonctionnaires et 42 p. 100 des postes scientifiques et professionnels. Pour les autres groupes d'équité, les chiffres varient également beaucoup lorsqu'on examine de plus près la répartition des emplois dans la fonction publique. Ceci dit, il est évident, comme l'a d'ailleurs entendu le comité de la part d'autres témoins, que le problème le plus sérieux concerne la représentation des minorités visibles, particulièrement si l'on tient compte des chiffres récents qui révèlent que le recrutement des minorités visibles a diminué par rapport aux années précédentes.

Je vais maintenant aborder d'autres questions qui, du point de vue de l'institut, posent d'importants obstacles aux minorités visibles, et sur lesquelles il faut se pencher si l'on veut que la fonction publique soit véritablement représentative.

À titre d'exemple, comme l'a mentionné mon collègue, à ma droite, on recourt massivement aux employés occasionnels ou nommés pour une durée déterminée. À notre avis, l'un des gros obstacles au recrutement de membres de minorités visibles est le fait que le recrutement dans la fonction publique se fait rarement pour des postes permanents. En effet, on peut lire, dans le Rapport annuel 2006-2007 de la Commission de la fonction publique, que sur une période de huit ans, 75 p. 100 des nouveaux employés nommés pour une période indéterminée et embauchés dans les effectifs permanents avaient été occasionnels ou nommés pour une durée déterminée.

Comme Mme Barrados l'a expliqué plus tôt, ces employés occasionnels ou nommés pour une durée déterminée sont souvent embauchés à partir de réseaux personnels, et ils le sont au plan local plutôt qu'à partir d'un bassin national. Ce type d'embauche exclut les minorités visibles, ainsi que d'autres groupes d'équité en matière d'emploi, du fait que les personnes qui composent ces groupes n'ont bien souvent pas de relations ni de réseau pour « mettre un pied dans la porte ».

Nous sommes d'avis qu'aucun progrès important ne sera réalisé sur le plan de l'offre d'emplois permanents aux membres des groupes d'équité en matière d'emploi si le gouvernement fédéral continue d'avoir recours, de façon généralisée, à de nombreux employés occasionnels ou nommés pour une durée déterminée. Bien que nous reconnaissions que l'embauche à court terme a sa place, il est clair qu'on l'utilise comme moyen de contourner le processus normal de dotation.

Un autre problème concerne l'accès à la formation linguistique. Nous craignons que certains aspects de la politique sur les langues officielles, combinés à l'absence de formation linguistique, créent des obstacles au recrutement des minorités visibles dans la fonction publique et à la mobilité professionnelle des membres des minorités visibles qui y travaillent déjà. Selon un rapport préparé pour le Commissariat aux langues officielles, alors que 18 p. 100 de tous les Canadiens parlent les deux langues officielles, ce chiffre n'est que de 11 p. 100 chez les minorités visibles.

Dans le Sondage auprès des fonctionnaires réalisé en 2005, on constate que 20 p. 100 des employés des minorités visibles ont cité l'absence d'accès à la formation linguistique comme obstacle à l'avancement de leur carrière, comparativement à 16 p. 100 pour l'ensemble des employés.

L'institut appuie les objectifs de la Loi sur les langues officielles et ne s'oppose pas aux critères concernant la maîtrise des deux langues pour divers emplois dans l'ensemble de la fonction publique. Toutefois, en raison du critère de dotation d'un poste bilingue à nomination impérative pour de nombreux emplois, des membres autrement qualifiés des minorités visibles qui ne répondent pas aux critères linguistiques ne seront pas sélectionnés. Nous sommes d'avis que là où il y a des lacunes au niveau de l'équité en matière d'emploi, il faut permettre d'embaucher ces candidats et leur donner la possibilité de suivre une formation pour répondre à ces exigences linguistiques.

Qui plus est, nos membres soutiennent que la formation linguistique n'est tout simplement pas disponible à des fins de promotion. Un grand nombre de postes de professionnels et de gestionnaires de niveau élevé dans la fonction publique sont désignés bilingues impératifs. Par conséquent, l'absence d'accès à la formation linguistique ferme véritablement la porte à l'avancement de la carrière dans de nombreux cas. La prestation de cours de formation linguistique est par conséquent importante pour éliminer l'un des obstacles auxquels sont confrontés les membres des minorités visibles au sein de la fonction publique.

L'autre élément est la reconnaissance des titres de compétences étrangers. Alors que sa population vieillit, le Canada connaît une véritable transformation démographique. En effet, la population active canadienne diminue du fait que les baby-boomers commencent à prendre leur retraite, créant ainsi des pénuries de main-d'oeuvre. En raison du faible taux de natalité, l'immigration représente de nos jours environ les deux tiers de la croissance de la population au pays. La plupart des nouveaux immigrants au Canada viennent d'Asie — y compris le Moyen-Orient —, d'Amérique centrale et du Sud, des Caraïbes et d'Afrique, plus une minorité venant d'Europe.

Au cours des prochaines années, le gouvernement fédéral sera confronté à une concurrence de plus en plus forte sur le plan du recrutement de professionnels. À mesure que s'intensifiera cette concurrence, il faudra de plus en plus se tourner vers les ressources actuellement sous-utilisées que constituent les nouveaux Canadiens.

Il existe un problème de taille au chapitre du sous-emploi des immigrants professionnels au Canada. D'après une étude de Statistique Canada, en 2001, plus de la moitié des ingénieurs ayant suivi leur formation à l'étranger et vivant au Canada occupaient des postes techniques ou des emplois n'ayant rien à voir avec le génie.

L'une des raisons pour lesquelles les professionnels formés à l'étranger sont souvent incapables de trouver du travail dans leur domaine au Canada est le fait qu'ils ont de la difficulté à faire reconnaître leurs titres de compétences par les organismes de réglementation professionnelle et les employeurs potentiels. Cette situation souligne la nécessité de débloquer des fonds pour aider ces professionnels à obtenir leur agrément au Canada dans leur domaine, au moyen de cours de formation, de stages ou encore d'une aide financière pour payer les frais des études ou examens requis. Le Bureau d'orientation relatif aux titres de compétences étrangers est un exemple d'une nouvelle initiative qui apporte une aide aux travailleurs formés à l'étranger en les informant sur les moyens d'acquérir des titres de compétences au Canada, mais des programmes et un financement additionnels sont nécessaires.

Un autre problème est l'obligation de posséder une expérience de travail en sol canadien ou un diplôme d'études canadien, que les gestionnaires appliquent fréquemment comme critère de sélection. Cette exigence représente clairement un obstacle auquel font face les professionnels formés à l'étranger, dont un grand nombre font partie des minorités visibles. Souvent, ces conditions ne sont pas imposées aux niveaux les plus élevés où les normes de qualification sont fixées, mais sont plutôt ajoutées aux avis de concours par les responsables de l'embauche. De toute évidence, il est nécessaire d'assurer une formation et une sensibilisation au niveau des cadres inférieurs pour réduire et éliminer les obstacles que constituent ces critères.

En conclusion, ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses préoccupations que soulèvent chez l'institut les obstacles auxquels font face les groupes visés par l'équité en matière d'emploi, et plus particulièrement les minorités visibles. En tant qu'agent négociateur, notre association est quelque peu limitée dans sa capacité à apporter des changements dans la fonction publique. Certes, nous consultons l'employeur et collaborons avec lui au sujet de questions relatives à l'équité en matière d'emploi; nous avançons des recommandations; et enfin, nous représentons nos membres en ce qui concerne des questions liées à l'équité en matière d'emploi et aux droits de la personne. Actuellement, avec l'Agence de la fonction publique du Canada, nous travaillons à l'élaboration d'un cadre d'embauche des nouveaux immigrants.

Par ailleurs, l'institut a pris un certain nombre d'initiatives visant à améliorer sa capacité de régler ces problèmes, par exemple en augmentant la disponibilité des cours de formation sur l'équité en matière d'emploi et les droits de la personne destinés à ses délégués syndicaux et en élaborant des ressources et des documents pédagogiques divers pour ses membres. Actuellement, le comité des droits de la personne en milieu de travail de l'institut recueille et examine les plans des ministères concernant l'équité en matière d'emploi, à des fins de consultation future. Nous travaillons également en partenariat avec différents groupes comme le Conseil national des minorités visibles et d'autres agents négociateurs pour pouvoir collaborer avec eux sur les dossiers.

Je vous remercie de votre attention et suis prêt à répondre à vos questions.

La présidente : Merci pour vos exposés.

Le sénateur Munson : Monsieur Cashman, dans l'exposé que vous avez préparé, vous avez fait une déclaration plutôt radicale, et je voudrais obtenir des éclaircissements à ce sujet. Vous avez dit que : « le gouvernement savait pertinemment que les gestionnaires recruteurs étaient un obstacle à la réalisation de l'équité en matière emploi et, même en sachant cela, il leur a donné le pouvoir d'établir leurs propres besoins. »

Nous avons entendu différents types de témoignages concernant les cadres, et cetera. Cependant, n'accorderiez-vous pas le bénéfice du doute à un gestionnaire suffisamment progressiste pour tenter de s'acquitter du mandat consistant à régler les problèmes d'équité dans la fonction publique, à veiller à ce que les minorités visibles soient embauchées et à parvenir à un quota qui serait acceptable au sein de la fonction publique? On dirait que vous avez terni l'image de tous les gestionnaires de la fonction publique. Or, s'il n'y avait pas de gestionnaires, qui dirigerait?

M. Cashman : Mon collègue va vous répondre.

Le sénateur Munson : Êtes-vous gestionnaire?

Lisa Addario, agente d'équité en matière d'emploi, Alliance de la fonction publique du Canada : Je vous remercie de votre question, que M. Cashman m'a renvoyée parce que c'est moi qui suis à l'origine de cette déclaration. En fait, cette dernière ne vient pas de moi, mais du Conseil du Trésor. Elle figurait dans le rapport annuel de 2001-2002 de l'organisme. Vous vous souvenez peut-être que c'est au cours de ces années que le Conseil du Trésor avait dû rendre des comptes au sujet de l'échec de l'initiative Faire place au changement, qui devait se dérouler de 2000 à 2003. L'objectif était que sur cinq employés recrutés à l'externe, il y en ait un qui soit membre d'une minorité visible. Dans le meilleur des cas, on a atteint un quota de 1 sur 10 au cours d'une de ces trois années, et on est tombé au-dessous de ce chiffre les deux autres années. On a donc eu des explications à fournir. C'était une campagne très bien pourvue en ressources.

Quand est venu le temps d'expliquer ces résultats, le Conseil du Trésor a déclaré, dans son rapport de 2001-2002, que le problème venait des gestionnaires qui embauchent du personnel. On doit faire encore plus pour convaincre ces gestionnaires recruteurs que l'embauche de membres des minorités visibles est une saine pratique de gestion.

Puis, l'année suivante, l'organisme a augmenté le pouvoir discrétionnaire des gestionnaires recruteurs sans exiger une quelconque responsabilisation accrue de leur part. En même temps, en 2003, il ya eu une importante réduction des ressources allouées à la Commission canadienne des droits de la personne, comme vous l'a dit la commissaire, qui a également parlé de la façon dont on a dû réorganiser la commission lorsque ses ressources ont été coupées. Par conséquent, cette situation où l'on sabrait dans les ressources affectées au mécanisme de surveillance en même temps qu'on accordait un pouvoir discrétionnaire aux gestionnaires recruteurs sans leur imposer une plus grande reddition de comptes nous a amenés à dire, pas nécessairement en nous appuyant sur un quelconque autre mécanisme, mais en raison du fait qu'il y a beaucoup de décisions à prendre, que les gestionnaires recruteurs n'ont pas comblé les lacunes ni apporté les modifications nécessaires pour rendre la main-d'œuvre représentative.

Le sénateur Munson : En gardant cela à l'esprit, ainsi que votre recommandation selon laquelle les gestionnaires devraient être tenus responsables de l'atteinte de leurs objectifs d'équité en matière d'emploi, croyez-vous qu'on devrait leur infliger une sorte de punition, faute d'un meilleur terme, s'ils ne réalisent pas ces objectifs?

M. Cashman : Ils ne devraient certainement pas recevoir une prime pour leur travail exceptionnel cette année-là. Cela devrait faire partie de l'ensemble de critères qui servent à les évaluer chaque année. Les gestionnaires qui n'atteignent pas leurs objectifs pour un autre aspect de leur travail ne reçoivent pas toujours leurs primes, alors pourquoi, quand il s'agit d'équité en matière emploi, 95 p. 100 d'entre eux y auraient-ils droit, tandis que nous savons que les objectifs ne sont pas respectés? Les gestionnaires devraient faire face à des conséquences.

Le sénateur Munson : Quelle est l'ampleur du problème de l'embauche par des moyens détournés?

M. Cashman : Malheureusement, depuis les modifications apportées à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, la situation est pire que jamais dans le secteur public.

Le sénateur Munson : Pourquoi? Pourquoi les gens n'arrivent-ils pas à prendre les choses en main? Nous avons là une fonction publique en transition. Beaucoup de jeunes de l'âge de mon fils aîné — 23, 24 ans — sont désireux d'entrer dans la fonction publique et d'y travailler. Il s'agit de servir le public. Toutefois, pour parvenir à suivre les voies appropriées afin de décrocher un emploi, il semble y avoir toutes sortes d'obstacles et d'épreuves à surmonter.

Comment peut-on éliminer ce problème et créer des postes permanents, au lieu de se retrouver dans cette situation où, si les gens sont en poste pendant deux ans, on les met ailleurs et alors, ils deviennent permanents?

M. Corbett : Vous avez utilisé l'expression « moyens détournés ». Je n'appellerais pas cela ainsi. Les employés occasionnels ou nommés pour une période déterminée sont des moyens reconnus d'effectuer du travail temporaire.

Le sénateur Munson : Je le comprends.

M. Corbett : Cependant, nous constatons, compte tenu du niveau de financement alloué à la fonction publique, que pour de nombreux gestionnaires, la capacité de prévoir l'avenir est limitée, ce qui implique du travail occasionnel ou à durée déterminée. C'est presque comme si l'embauche d'employés à temps plein comportait un risque parce qu'il faut les rémunérer continuellement à long terme, alors que les mandats gouvernementaux changent souvent. Par conséquent, on pourra embaucher quelqu'un dont on n'a pas besoin et, une fois cette personne en poste, il sera difficile de changer de cap. C'est véritablement une question de vision à long terme du gouvernement en place par opposition au besoin à brève échéance des gestionnaires d'évaluer le risque que représente l'embauche de quelqu'un à long terme.

Le sénateur Munson : Y a-t-il du racisme systémique dans la fonction publique?

M. Corbett : Il ya des obstacles systémiques dans la fonction publique.

Le sénateur Munson : Qu'est-ce que cela veut dire?

M. Corbett : Ces obstacles, tels que ceux que j'ai indiqués il ya quelques minutes, peuvent prendre la forme d'avis d'emploi où l'on utilise le qualificatif « canadien », par exemple en exigeant une expérience canadienne. Cela pourrait être perçu comme une barrière pour un immigrant qui entre au pays et ne possède pas d'expérience canadienne, mais qui est pleinement qualifié pour faire le travail. Que vous vouliez ou non appeler cela de la discrimination systémique, il s'agit certainement d'un obstacle systémique. C'est un exemple.

M. Cashman : D'autres personnes utiliseront les termes « barrières systémiques » ou « problèmes systémiques », mais appelons un chat un chat : il s'agit de racisme. Lorsqu'on amène les gens à prendre conscience de leurs mauvais comportements, on peut ensuite adopter une stratégie pour y remédier. En tant que Canadiens, pour une raison quelconque, cela fait partie de notre culture et de notre mentalité que d'aimer prétendre que nous ne sommes pas racistes. La vérité est que nous le sommes tous. Certains d'entre nous sont prêts à l'admettre et à y travailler différemment des autres.

Le sénateur Munson : Vous avez fait référence à l'expression « minorités visibles ». Ce terme ne vous plaît pas?

M. Cashman : L'ONU conteste également notre utilisation de ce terme.

Le sénateur Munson : Il apparaît dans mes notes, ici. C'est une expression que nous en sommes venus à utiliser dans notre pays.

M. Cashman : Cependant, si l'on y songe dans une perspective planétaire, les personnes visées constituent la majorité mondiale. En tant que Canadiens, nous devons aller au-delà de cette image de type « pères fondateurs » que nous nous faisons de notre nation. Dans ce monde, il faut que nous prenions conscience que les Caucasiens sont minoritaires. Si nous essayons d'étiqueter les gens avec le terme « minorités visibles » à Vancouver, à Toronto ou dans tout autre grand centre, cela ne fonctionne tout simplement pas.

Le sénateur Munson : Quel terme devrait-on utiliser, dans ce cas? Faudrait-il qu'il n'y ait aucune étiquette?

M. Cashman : Nous recommandons un mot proposé par la communauté elle-même, soit : « racialisé ».

La présidente : Nous étions à Genève quand le comité a publié le rapport remettant en question notre utilisation de l'expression « minorités visibles ». Pour en revenir au Canada, un grand nombre d'organismes non-gouvernementaux traditionnels, d'ONG, pas seulement les professionnels, mais aussi ceux qui travaillent auprès des minorités visibles, étaient assez désemparés — le mot est peut-être un peu fort —, mais ils n'ont pas aimé que l'ONU conteste notre recours à l'expression « minorités visibles ». Nous n'avons pas encore entendu dire d'une seule voix que votre terme est préférable à celui qui existe. Je ne crois pas qu'il y ait un consensus là-dessus au sein des groupes de minorités visibles ou des communautés raciales, et pourtant vous semblez penser que c'est le cas. Pouvez-vous me dire où vous avez observé ce consensus?

M. Cashman : Je ne prétends pas qu'il y a un consensus; je dis que dans toute communauté, on débat de la terminologie. Nous affirmons que « minorités visibles » n'est pas le terme approprié. Malheureusement, il est utilisé dans la loi avec laquelle nous traitons.

Le sénateur Munson : Quel que soit le terme employé, le racisme reste le racisme.

Le sénateur Oliver : Je tiens à remercier nos deux groupes de témoins pour leurs excellents exposés, qui seront très utiles à notre comité. Ces deux rapports sont le fruit d'importantes réflexions.

Le sénateur Munson a évoqué un paragraphe similaire à celui qui fait partie de vos recommandations, M. Cashman, et qui se lit ainsi :

Les gestionnaires doivent être tenus de rendre des comptes pour ce qui est de l'atteinte de leurs objectifs d'équité en matière d'emploi. Il faut également publier les données concernant le nombre de gestionnaires qui n'ont pas reçu leurs primes, faute d'avoir réussi à atteindre les objectifs du ministère relativement à l'équité en matière d'emploi.

Comme vous le savez, la fin de semaine dernière, dans les sections financières du National Post et du Globe and Mail, on rapportait que M. Nixon, chef de la direction de la plus grande banque canadienne, a été sanctionné par la perte de 4 millions de dollars sur le montant de sa prime cette année à cause de son rendement à la banque. Ce fait a été rendu public. Cette année, M. Nixon recevra 4 millions de dollars de moins en montant de prime. Il obtiendra tout de même 11,3 millions de dollars, mais cette information a été médiatisée, et tous les Canadiens et les autres peuvent lire qu'il s'agit là d'un homme d'affaires canadien chevronné qui a manqué à son devoir envers ses actionnaires, entre autres, de sorte que le conseil d'administration a estimé qu'il devrait perdre 4 millions de dollars et a rendu publique cette décision.

Voilà une bonne idée. Je voudrais simplement nous n'ayons pas honte ou peur de parler de nos cadres supérieurs de la fonction publique qui manquent à leurs obligations. Pourquoi devrait-il y avoir une telle réticence? Pouvez-vous m'éclairer là-dessus?

M. Cashman : C'est une question que vous voudrez peut-être poser aux autres également, mais en tant que Canadiens, il faut que nous considérions qu'il s'agit de notre gouvernement, de notre fonction publique, et que nous sommes actionnaires des services qu'ils nous fournissent.

Les Canadiens devraient assumer un peu plus cette responsabilité et mettre le holà quand des politiciens ou des bureaucrates essaient de couvrir des situations comme celles dont il est question. La transparence ne peut être qu'une bonne chose.

Le sénateur Oliver : Devrait-il y avoir une stratégie de communication et, si oui, qui devrait être responsable de la stratégie visant à rendre publics ces renseignements?

M. Cashman : Chaque année, un journaliste du Ottawa Citizen présente une demande d'accès à l'information au sujet des primes de rendement pour essayer de faire la lumière sur les gens ou les ministères qui n'en obtiendront pas. Mais on le bloque à chaque fois, car les pouvoirs en place protègent cette information. Il n'est pas nécessaire de connaître les noms, mais il faut que nous sachions quels ministères ne respectent pas les impératifs d'équité en matière d'emploi.

Le sénateur Oliver : Si nous lisons seulement dans le journal qu'un banquier canadien n'a pas obtenu une prime de 4 millions de dollars, cela ne nous aidera pas tellement. Les noms sont importants.

M. Cashman : C'est vrai.

Le sénateur Oliver : Vous avez dit collaborer avec un certain nombre de groupes différents pour l'élaboration de vos politiques, et accomplir un travail remarquable sur l'équité en matière d'emploi. L'un de ces groupes est le Conseil national des minorités visibles, ou CNMV, dont des représentants ont comparu devant nous à maintes reprises.

Ils — ainsi que moi-même — veulent depuis longtemps, comme moyen de surmonter le problème du racisme systémique dans la fonction publique, qu'on crée un nouveau poste, une nouvelle personnalité parlementaire qu'on appellerait « commissaire à la diversité ». Ce poste serait semblable à celui du commissaire aux langues officielles, et son titulaire pourrait se présenter devant des comités comme celui-ci ou ceux de la Chambre des communes afin de donner un compte-rendu de non-conformité concernant ceux qui n'ont pas reçu leur prime ou qui ne devraient pas l'obtenir. Cette personne pourrait être un agent de liaison et quelqu'un à qui les minorités visibles et les autres membres des groupes cibles pourraient s'adresser.

À l'heure actuelle, il n'existe rien de tel, et on nous a dit que la Commission canadienne des droits de la personne ne pouvait certainement pas agir en ce sens. Elle souffre d'un grave problème de sous-effectifs, et son mandat est trop faible; elle n'a pas de moyens. Que pensez-vous de ce concept recommandé par le Conseil national des minorités visibles?

M. Corbett : À première vue, il semble que ce serait un bon poste à avoir pour fournir des informations, d'un point de vue général, à ce comité et à d'autres personnes s'intéressant à la question. Au sein de notre institut, nous constatons que le fait d'élargir le dialogue ouvre souvent sur des perspectives qui mènent à de meilleures solutions. Un tel bureau pourrait en effet apporter ce genre de points de vue.

Al Ravjiani, directeur régional de l'Ontario et président du Comité des droits de la personne en milieu de travail, Institut professionnel de la fonction publique du Canada : J'ai personnellement travaillé avec Igho Natufe, et j'ai également essayé de collaborer un peu avec Jacqueline Edwards quand elle était présidente de la CNMV. Nous devons penser au fait que lorsque les membres du précédent comité sont venus ici, leur processus de vérification de l'équité en matière d'emploi avait été simplifié, passant de 12 à 9 étapes. Le processus de diffusion des données demeure trop long. Si ces données ne sont pas publiées au moment opportun, les personnes responsables de l'embauche pourront avoir quitté leur poste entre-temps. Leurs primes de rendement sont un faux problème.

Une autre question consiste à déterminer comment obtenir les bonnes données pour pouvoir soit louanger, soit punir les responsables. Pour avoir des données exactes, nous avons besoin des statistiques exactes; et en ce qui concerne les données de recensement dont nous nous sommes servis pour notre travail, elles dataient de 2001. Nous sommes maintenant en 2007-2008, et nous travaillons toujours sur des données partielles de 2006. Les informations à partir desquelles nous travaillons sont incorrectes. Comment sanctionner quelqu'un qui présente des renseignements inexacts? Il y a là un problème.

Le sénateur Oliver : Même si leurs données étaient exactes ou à jour, ils n'atteignent même pas les anciens quotas. Ils n'arriveraient même pas à satisfaire aux objectifs de l'initiative Faire place au changement, dont vous avez parlé.

M. Ravjiani : J'ai fait partie d'environ huit comités de recrutement à l'Agence du revenu du Canada. Prenons l'exemple de Toronto. Même si on ne souhaitait pas atteindre le quota d'équité en matière d'emploi, la population est très importante là-bas, et les données qui la concernent sont utilisées à des fins de statistiques régionales; maintenant, comment pouvons-nous prendre ces données et prétendre que nous nous tirons bien d'affaire à Fort Erie ou Thunder Bay ? Les données doivent être exactes. Parvenir à créer de nouveaux postes est une bonne chose, mais il faut utiliser les bonnes données, et je crois que nous avons un gros problème sur ce plan.

Comment pouvons-nous le résoudre? Nous devons continuer d'être proactifs et de nous assurer de la présence de mentors pour ceux qui veulent progresser dans leur carrière, en plus de veiller au respect des plans d'apprentissage individuels. Toutefois, la question qui surgit, et qui constitue un gros problème, c'est que la dotation en personnel est exclue des négociations collectives. Elle nous est imposée, et quand cela arrive, nous devons accepter que les critères de dotation s'appliquent au recrutement à l'interne et à l'externe. La classification est une autre question.

Ce sont là quelques points que je tenais à soulever ici, parce que quand vous reviendrez aux syndicats, vous voudrez y avoir réfléchi. Merci.

M. Cashman : Si je puis me permettre de revenir sur votre proposition à l'égard d'un commissaire à la diversité, sachez qu'il existe actuellement trois organismes centraux chargés d'assurer l'équité en matière d'emploi : l'Agence de la fonction publique du Canada, le Conseil du Trésor et la Commission de la fonction publique du Canada. Malheureusement, les trois jouent à la chaise musicale pour déterminer qui doit assumer l'entière responsabilité de l'équité matière en emploi. Nous serions inquiets de la création d'un quatrième organisme, à moins qu'il s'agisse davantage d'un ombudsman. Toutefois, si l'on devait créer une nouvelle bureaucratie, nous craignons qu'on s'y perde encore plus.

Le sénateur Oliver : Je vous remercie.

La présidente : À des fins de précision, puisque je n'ai pas lu cet article sur le directeur de banque, est-ce pour une question d'équité en matière d'emploi qu'il n'a pas obtenu sa prime, ou pour autre chose? J'aimerais seulement le préciser aux fins du compte rendu. Savons-nous uniquement qu'il n'a pas reçu de prime?

Le sénateur Oliver : Non; il s'agissait du rendement de la banque.

La présidente : C'était donc une question de rendement global. Merci.

M. Cashman : Les banques se portent fort bien.

Le sénateur Poy : Je vous remercie beaucoup de votre exposé. Si nous appelions carrément cela du racisme systémique au lieu de tourner autour du pot, il serait plus facile pour tout le monde d'y faire face et de dire : « voici la situation, tel est le problème, laissez-nous le régler ». Qu'en pensez-vous?

M. Cashman : Je ne peux qu'être d'accord avec vous. C'est la même chose que de dénoncer les comportements sexistes, la discrimination fondée sur les capacités physiques et l'homophobie. Il faut que nous nommions le problème, et c'est ainsi que nous devons l'aborder.

Mme Addario : Il ya quelques années, un de nos représentants m'a appelée pour me demander de participer à une conférence sur l'équité en matière emploi que l'on tenait à l'intention des gestionnaires recruteurs de la fonction publique fédérale. Quand je suis allée là-bas — en 2005, probablement —, j'ai entendu parler un certain nombre de personnes, et j'ai cru déceler une tendance à renommer les comités pour l'équité en matière d'emploi, à abandonner ce terme pour celui de « diversité en matière d'emploi ». Ces comités ne portaient plus le même nom. Leur mandat était devenu un peu plus amorphe, et plus tout à fait aussi net et centré sur les questions liées à l'équité en matière d'emploi.

À l'époque, nous avons dit qu'en faisant cela, on créait deux effets. Premièrement, on diluait l'essence même des objectifs visés, et deuxièmement, on ne reconnaissait pas la discrimination historique subie par les femmes, les personnes handicapées, les membres des minorités visibles et les Autochtones. En ne nommant pas les choses, on ratait une occasion de préciser exactement quel problème il fallait régler. On n'exprimait pas la nécessité de prendre des mesures correctives pour remédier à la discrimination historique contre ces gens. Mais tout cela a été vain; les comités pour la diversité continuent de dominer les milieux de travail partout dans la fonction publique fédérale. Néanmoins, nous pensons qu'il faut prêter attention à ce type de changement. Nous devons en prendre acte, et y résister.

Le sénateur Poy : Cela revient à balayer les problèmes sous le tapis.

Monsieur Ravjinai, vous avez parlé de données exactes, en ajoutant qu'il fallait les diffuser rapidement. Je sais que nous utilisons des données obsolètes qui datent de nombreuses années.

M. Cashman a mentionné un article paru dans l'Ottawa Citizen — que je n'ai jamais vu, de sorte que je ne ferai pas de commentaires à ce sujet. Que publie-t-on? Révèle-t-on qui obtient une prime? Comment ces renseignements sont-ils publiés?

M. Cashman : J'ai parlé de la proportion de cadres supérieurs ayant reçu une prime au cours d'une année donnée.

Le sénateur Poy : J'aimerais dire à mon tour, comme le sénateur Oliver, que nous devons préciser les noms. C'est important.

Je sais que dans le cas de nombreux employés de la fonction publique, et certainement à Toronto, ces personnes sont toutes répertoriées. Les gens disent alors : « Oh, mon Dieu, c'est ce qu'ils font? Qu'ont-ils fait? » Tout le monde jette un coup d'œil, surtout quand il s'agit de personnes qu'on connaît ou dont on reconnaît le nom. Préciser les noms est important. Y a t-il un moyen de le faire? Je suppose que cela dépend des journaux.

M. Cashman : Les journaux n'ont pas pu obtenir l'information. Je suis certain qu'ils seraient tentés de la publier.

Le sénateur Poy : Ils ne peuvent pas obtenir l'information?

M. Cashman : Avec un bon appui de la part des sénateurs, nous pourrions peut-être faire mieux avec nos demandes d'accès à l'information.

Le sénateur Jaffer : J'ai apprécié la franchise de vos exposés. Je précise que M. Ravjiani et ma famille se connaissent depuis longtemps. Ce fut un exposé fort sincère. Je n'oublierai pas ce que vous avez dit, à savoir qu'il faut appeler un chat un chat en ce qui concerne le racisme.

J'aimerais changer quelque chose. Là d'où je viens, en Colombie-Britannique, cela m'irrite de voir qu'on impose des obstacles à des jeunes employés de la fonction publique, qui ne pourront jamais réussir à Ottawa, faute d'une formation linguistique.

N'y a-t-il rien que vous puissiez faire, dans le cadre de vos négociations, pour faire en sorte que ceux qui sont dans ce genre de situation obtiennent une formation linguistique adéquate? Cette formation est payée à même le budget du gestionnaire, qui ne veut pas se départir de cet argent. Voilà le problème.

M. Corbett : Dans l'ensemble, les budgets alloués au travail de la fonction publique fédérale sont insuffisants. Quand un gestionnaire doit choisir entre faire le travail qui est censé être fait et fournir des cours de langue à un employé qui ne pourra pas effectuer le travail parce qu'il sera en formation, cela pose un grave problème, qu'il faut régler. Globalement, les budgets de base doivent être augmentés.

M. Cashman : Cependant, ce n'est pas seulement une question d'argent. C'est aussi une philosophie. Vous avez entendu une ancienne commissaire aux langues officielles dire que nous n'avons pas besoin de faire plus de formation linguistique dans la fonction publique fédérale. Mme Adam, alors qu'elle était sur le point de quitter ses fonctions, a fait cette déclaration. Elle a commis là une terrible injustice, pas seulement envers ces jeunes que vous avez rencontrés en Colombie-Britannique, mais aussi à des jeunes de partout au pays qui n'ont peut-être pas eu la possibilité d'apprendre les deux langues officielles à l'école.

En tant que nation, nous ne sommes pas arrivés à un point où nous pouvons dire qu'il y a suffisamment de personnes bilingues dans notre fonction publique et que nous devons bâtir sur ce que nous avons maintenant. Les Canadiens de tous les coins de ce pays ont besoin d'une égalité des chances, et nous devrions construire un service public qui repose sur les meilleurs et les plus brillants employés, et pas nécessairement sur ceux qui ont la chance, comme moi, de venir de région de la capitale nationale, où j'ai pu apprendre le français. Si j'avais grandi dans une autre partie du pays, je ne pense pas que j'aurais eu cette occasion. Et je ne crois pas que je m'en serais aussi bien tiré dans la fonction publique que j'ai pu le faire.

Le sénateur Jaffer : Y a-t-il moyen pour vous d'aider les employés?

M. Cashman : Le problème, c'est que les décisions concernant le bilinguisme ne peuvent faire l'objet de négociations. Nous ne pouvons négocier des questions telles que le recrutement d'effectifs et la formation linguistique. Nous avons essayé.

Il existe un comité du Conseil national mixte qui porte sur les langues officielles, mais il a l'unique mandat d'examiner la question de la prime au bilinguisme et de ce montant de 800 $ qui est resté le même depuis 1974.

Par coïncidence, nous allons comparaître jeudi devant le comité du Sénat en ce qui concerne les questions touchant les langues officielles, et nous parlerons de formation et des autres obstacles que cela représente.

M. Corbett : C'est le point que je voulais faire valoir également. Il ne fait aucun doute que c'est une cause que nous défendons par l'intermédiaire de comités du gouvernement et du Sénat. Toutefois, ce n'est pas un sujet qu'on amène à la table de négociation.

La présidente : Le temps dont nous disposions est maintenant écoulé. Je vous demanderais de nous fournir des copies de tout mémoire que vous déposerez auprès du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Nous pourrions en obtenir un, mais ce serait préférable qu'il vienne de vous.

Je tiens à vous remercier d'avoir apporté des points de vue différents sur les mêmes questions. Comment pouvons- nous atteindre les objectifs souhaités dans la fonction publique afin qu'elle soit gratuite, juste et équitable pour les Canadiens? Nous vous remercions d'avoir amené différentes perspectives dans notre discussion.

Pour ce qui est de notre groupe de témoins suivant, nous recevons Mark Persaud, président et directeur général du Canadian International Peace Project. Si j'ai bien compris, monsieur, c'est vous qui ferez une allocution, mais James Morton vous accompagne, probablement pour répondre aux questions par la suite.

Mark Persaud, à titre individuel : Je vous remercie, madame la présidente, ainsi que vous tous, honorables sénateurs, de me donner l'occasion, ce soir, de comparaître devant ce comité des droits de la personne. J'ai à mes côtés mon ami et collègue, M. James Morton. Il assume de nombreux rôles, notamment celui de président de l'Association du Barreau de l'Ontario.

Bien que dans l'invitation qui m'a été transmise, on m'ait identifié à juste titre comme président et directeur général du Canadian International Peace Project, un organisme indépendant non partisan et non gouvernemental, je tiens à préciser que je parlerai en mon nom personnel de mon expérience en tant qu'ancien fonctionnaire fédéral.

Étant donné que j'ai travaillé pendant 10 ans comme avocat au ministère de la Justice du Canada, je crois que mon témoignage, d'un point de vue personnel, sera instructif en ce qui concerne certains maux qui continuent de sévir dans la fonction publique fédérale au chapitre de l'équité en matière d'emploi.

Certaines préoccupations relatives à l'équité en matière d'emploi sont abordées dans un article que j'ai soumis et que j'ai récemment coécrit avec mon cher ami et collègue, l'honorable David Kilgour, un ancien député. Cet article s'intitule « Public Service Managers must be held accountable for failing to hire minorities ». Je l'ai déposé auprès de votre comité afin que vous puissiez l'examiner.

On pourrait raisonnablement s'attendre à ce que la fonction publique fédérale se fasse la championne de l'équité et de l'ouverture dans ses politiques d'emploi. Malheureusement, ce n'est pas le cas, comme vous le savez certainement. En effet, on s'attendrait — dans mon cas, en ce qui concerne mon ancien employeur — à ce que le ministère de la Justice soit un modèle pour d'autres ministères quand il s'agit d'équité en matière d'emploi. C'est avec regret que je vous informe que mon expérience à titre d'employé du ministère de la Justice est un exemple des problèmes qui couvent depuis de nombreuses années sans qu'on s'y attaque convenablement. Il s'agit notamment de racisme flagrant et d'intimidation des employés.

J'ai l'intention de vous fournir, ce soir, un aperçu des problèmes ayant gangrené un important ministère du gouvernement en ce qui a trait à ses pratiques d'embauche et de promotion. Je vous présenterai quelques recommandations et suggestions quant aux moyens de les régler.

Voilà qui conclut ma déclaration d'ouverture, madame la présidente.

La présidente : Vous occupiez un poste au ministère de la Justice, et ses représentants ont indiqué, lorsqu'ils ont comparu devant nous, que leur ministère était plutôt unique parce que, bien sûr, la plupart de ses employés sont titulaires d'un diplôme en droit. Étant donné qu'on y pratique le droit, on doit avoir les titres de compétences nécessaires pour pouvoir y travailler. Les gens du ministère de la Justice ont dit que celui-ci était de plus en plus confronté à une concurrence venant de l'extérieur. Les avocats ne veulent pas entrer au ministère. C'est là le problème particulier qu'on éprouve.

Par ailleurs, ils nous ont indiqué que les objectifs d'équité en matière d'emploi et tout le reste ne fonctionnent pas bien quand ce qu'on cherche, c'est un jeune avocat fraîchement diplômé de l'école de droit dont la carrière connaîtra une évolution progressive. Par conséquent, il est difficile d'établir de nouvelles bases.

Ces fonctionnaires nous ont dit qu'il y avait de nombreux départs à la retraite, et qu'on devrait pouvoir recruter à la base pour combler ces postes. Est-ce là ce que vous avez vécu?

M. Persaud : Non, madame la présidente.

Je peux partager mon expérience personnelle avec votre comité en lui racontant une anecdote. Je parle en tant que personne qui a travaillé pendant plus de 24 ou 25 ans auprès des communautés noires et autres collectivités ethno- culturelles de Toronto et d'ailleurs au Canada. Je possède donc un solide bagage et une vaste expérience.

D'après ce qu'on m'a raconté, de nombreuses demandes d'emploi ont été présentées au ministère de la Justice par des membres des minorités visibles. Mais beaucoup d'entre eux ne reçoivent même pas d'appel pour les convoquer à une entrevue.

Voilà mon expérience personnelle. En fait, au fil des ans, on m'a abordé à quelques reprises, tout comme mes collègues faisant partie de minorités visibles et non visibles, au sujet de l'emploi au ministère de la Justice. Par conséquent, nous savons qu'on s'intéresse depuis des années à la question, et je conteste les affirmations du ministère de la Justice.

Je voudrais vous lire le 4e paragraphe de l'article que j'ai déposé, et que j'ai écrit en collaboration avec l'honorable David Kilgour :

Le vieil argument dépassé selon lequel il n'y a « peut-être pas assez de demandes d'emploi dans le secteur public fédéral de la part de membres des minorités » est dénué de fondement, selon les statistiques obtenues par la Commission de la fonction publique. L'étude de la Commission a également conclu que l'écart est encore pire dans certaines régions et professions et dans certains ministères.

Je vous signale, madame la présidente et honorables sénateurs, que ce à quoi vous avez fait allusion ne correspond pas à mon expérience ni à celle d'un grand nombre de mes collègues au ministère de la Justice.

Le sénateur Oliver : Je suis fasciné par le fait que vous ayez travaillé pendant 10 ans au ministère de la Justice. Dans vos remarques liminaires, vous avez dit que vous alliez nous décrire certaines des politiques d'embauche et de promotion qui infectent ce ministère. En particulier, je voudrais savoir ce qui se passerait si un avocat qualifié appartenant à une minorité visible et travaillant au ministère de la Justice cherchait à obtenir une promotion, et qu'il y avait un concours. Quelles sont certaines pratiques qui ont toujours eu lieu dans ce ministère et qui constituent des obstacles pour les minorités visibles?

M. Persaud : Je devrais peut-être citer un ancien camarade de classe, un bon ami à moi qui est membre de la magistrature et qui m'a invité chez lui pendant l'été. Nous étions assis, à bavarder, tandis que nos enfants jouaient ensemble, et il m'a dit : « Mark, le ministère de la Justice est l'institution la plus raciste que j'aie connue ». C'est ce qu'il a dit. Il est maintenant un juge; il a autrefois mené ses propres batailles au ministère de la Justice, d'où il a fini par partir.

Sur notre groupe de membres des minorités visibles ayant intégré les rangs du ministère de la Justice comme avocats à la Section du litige civil, tout le monde est parti. J'ai été le dernier à le faire. La principale raison de notre départ est le fait que nous estimions n'y avait pas de véritables possibilités pour nous, en tant que minorités visibles, d'être promus de manière juste et équitable. La frustration que éprouvions nous a poussés à partir.

Je suis entré à la Section des poursuites pénales pour échapper à ce que j'avais vécu à la Section du litige civil, mais ce n'était guère mieux. J'ai vécu là-bas des expériences comparables à ce qui m'était arrivé à la Section du litige civil.

Je pourrais invoquer de nombreuses raisons. Je tiens à souligner à quel point la logique du ministère de la Justice pouvait parfois devenir perverse lorsqu'on cherchait à justifier le fait de ne pas accorder de promotions aux membres des minorités visibles. L'un des premiers concours qui ont eu lieu après mon arrivée au ministère de la Justice concernait un poste s'adressant à ceux parmi nous qui avaient été embauchés. Nous n'étions pas membres du personnel permanent. Nous avions été embauchés comme employés contractuels et, dans l'avenir, nous pourrions postuler un emploi permanent.

Chacun de nous a posé sa candidature pour le poste permanent, en soumettant tous les renseignements, lettres de référence, et cetera. Un de nos collègues a obtenu la promotion. Il était très capable, très brillant. C'était un anglophone qui avait été l'un de mes camarades de classe à la faculté de droit; une personne compétente, certainement méritante. Fait intéressant, l'un de mes autres collègues, un Noir, a fait enquête et a découvert qu'on n'avait même pas appelé ses répondants pour obtenir des références. Il était également l'un de mes anciens camarades de l'école de droit, et avant ses études de droit, il avait travaillé pour le gouvernement fédéral comme comptable; nous pensions qu'il était tout aussi méritant.

Au cours de discussions que nous avons eues avec elle, la chef de section a déclaré qu'au moment de la sélection, on avait seulement tenu compte de l'expérience acquise à la section de l'immigration. Quand elle a été interrogée au sujet des références obtenues par des personnes qui avaient travaillé dans les autres sections, elle a répondu qu'on tenait compte de ces références, mais pas l'expérience, ce que nous avons trouvé assez absurde.

On nous a également dit que la lutte avait été très serrée. En fait, la chef nous a déclaré — et je m'en souviens très clairement — « Vous êtes tous des candidats très dynamiques; nous devrions tirer à la courte paille pour déterminer qui obtiendra le poste ». Comme je l'ai dit, nous avons découvert plus tard que les répondants de notre collègue Osborne Barnwell n'avaient même pas été appelés. C'est quelque peu pervers, à mon avis, et au fil du temps, nous avons vu d'autres comportements tels que celui-là.

L'une des choses vraiment troublantes pour beaucoup d'entre nous était le fait que très souvent, lors des entrevues initiales, il n'y avait aucun membre d'une minorité visible dans les comités de sélection, ni, bien souvent, aucune femme. Toutefois, quand ces décisions vont en appel, on parachute soudainement une personne appartenant à une minorité visible dans le comité d'appel, ce qui pose problème à plusieurs égards, l'un d'eux étant le fait que cela place le membre d'une minorité visible dans une position très inconfortable. Cela s'est produit dans mon cas, lorsque j'ai fait appel d'une décision. On avait choisi une jeune femme noire pour défendre la cause du ministère de la Justice, et je savais qu'elle était très mal à l'aise.

Le sénateur Oliver : Quelle solution proposez-vous pour ces problèmes que vous venez d'exposer à notre comité? Que peut-on faire pour changer ces attitudes?

M. Persaud : Je suis arrivé au Canada en 1983 en tant que réfugié et activiste politique dans mon pays, après l'assassinat du chef de mon parti politique, le célèbre historien afro-guyanais Walter Rodney. Des milliers d'entre nous se sont enfuis au Canada. Je suis venu ici en attendant de rejoindre ma famille aux États-Unis. Quand celle-ci a finalement déménagé là-bas, je l'y ai rejointe, mais au bout de deux semaines, je suis revenu ici, parce que j'aime ce pays. Je suis un passionné du Canada. C'est mon chez-moi; c'est ici que j'apporte ma contribution.

J'ai constaté, d'après mes expériences personnelles et celles de bon nombre de gens avec qui j'ai travaillé au fil des ans, qu'on partage les mêmes vues. On veut être intégré, être des Canadiens ordinaires. Cependant, lorsque nous cherchons des débouchés, nous sommes souvent traités comme des groupes ethniques, comme des candidats noirs, ou bruns, ou chinois. Nous voulons être traités comme des Canadiens, en fonction du mérite. À cet égard, j'ai rencontré de nombreux collègues et amis qui, comme moi, à leur arrivée au Canada, se sont totalement dissociés de leur communauté ethnoculturelle et ont cherché à s'intégrer.

Je suis arrivé ici avec 80,59 $ en poche. C'est tout ce que le gouvernement m'avait permis d'emporter avec moi à l'époque : 200 dollars guyanais. Cette somme s'est épuisée assez vite. J'ai commencé ma vie ici comme sans-abri, dans les rues de Toronto. Puis j'ai été sauvé de la rue par la Scott Mission. Je suis parvenu à servir ma communauté, je crois, avec distinction. J'ai travaillé auprès de l'Église unie. J'ai mis sur pied un programme pour les réfugiés qui a été le premier en son genre. J'ai étudié en sciences politiques à l'Université York, obtenu mon diplôme, fait une maîtrise en droit avec une moyenne de A, et étudié à Harvard grâce à une bourse d'études. Je me suis impliqué très activement dans la communauté auprès d'une variété d'organisations, dont certaines que j'ai moi-même lancées.

Cependant, j'ai l'impression que les gens comme moi — et j'ai des collègues qui ont fait autant ou plus que moi —, quand ils cherchent du travail dans le secteur public, sont considérés avant tout comme des candidats appartenant à un groupe ethnique. Une des premières choses à faire, c'est de changer les perceptions, de traiter les gens comme des citoyens canadiens, pas seulement comme des représentants de groupes ethniques.

Dès la première semaine qui a suivi mon entrée au ministère de la Justice, pendant une de mes séances de formation, un avocat expérimenté m'a dit, alors que nous discutions de la question des réfugiés et de la définition du terme « réfugié » : « Vous savez, Mark, les Africains ne sont pas de vrais réfugiés et les Chinois sont de fieffés menteurs ».

Cela a été la première manifestation de ce que j'aurais à endurer au ministère de la Justice. J'ai un beau-frère d'origine afro-américaine et des cousins dont l'un des parents est chinois; j'ai donc reçu cette affirmation comme une atteinte personnelle. Beaucoup de mes proches amis ont travaillé dans la communauté noire.

Quant à ce que nous pouvons faire, nous devons recadrer le problème et faire changer les perceptions. Nous devons traiter chaque candidat comme un Canadien plutôt que comme un représentant d'un groupe ethnique — comme un candidat noir. Nous devons cesser de nous dire que nous avons le bon quota de candidats d'Asie du Sud et qu'il suffit maintenant d'embaucher un ou deux candidats noirs ou chinois pour que notre ministère soit représentatif de la population. Il faut juger les gens selon leur mérite. Il ya beaucoup de népotisme dans le recrutement, même au ministère de la Justice. Il faut établir un mécanisme pour garantir que les gens sont convoqués à une première entrevue. Beaucoup ne sont pas reçus à une première entrevue.

Nous devons vérifier cette affirmation du ministère de la Justice — que je conteste — selon laquelle il n'y a pas assez de candidats. Demandez combien de candidats appartiennent à des minorités visibles et combien d'entre eux sont reçus en entrevue. Beaucoup d'avocats membres de minorités visibles sortent des écoles de droit de Toronto. Beaucoup d'entre eux sont en recherche d'emploi. Il est scandaleux de prétendre qu'ils ne soumettent pas leur candidature. C'est ridicule. Je n'accorde aucun crédit à cette affirmation.

Je ne crois pas aux quotas ni à l'action positive. Je crois que beaucoup d'entre nous qui sommes membres d'une minorité visible pouvons obtenir un poste parce que nous possédons les qualités requises. Toutefois, je crois qu'on doit fixer des objectifs, à cause de la discrimination systémique qu'il y a eu dans le passé. Il devrait y avoir des objectifs, et les organismes qui ne les atteignent pas devraient être obligés d'en répondre. Je ne crois pas aux quotas ni à l'action positive, car ils suscitent souvent des réactions négatives. Nous l'avons constaté au ministère de la Justice, où j'ai eu un collègue noir qui s'est fait dire par un avocat blanc qu'il n'avait obtenu son poste que parce qu'il était Noir. Pourtant, je sais que cet avocat était très capable et très compétent.

Quant aux promotions, il n'y a pas que les minorités visibles. À ce chapitre, au ministère de la Justice, beaucoup de collègues estimaient qu'elles étaient traitées injustement parce qu'elles étaient des femmes.

Il faut renforcer les contrôles. Les mécanismes d'appel et de contrôle qui sont actuellement employés à l'interne ne fonctionnent tout simplement pas. Il faut exercer une surveillance. Peut-être même faut-il l'intervention de vérificateurs externes impartiaux pour garantir la conformité aux politiques du gouvernement fédéral. Le fait de s'en remettre aux contrôles internes, de demander aux gens d'être juges et parties, fonctionne rarement. Il nous faut absolument une forme quelconque de surveillance indépendante et objective.

Le sénateur Oliver : Peut-être un commissaire à la diversité, qui relèverait du Parlement.

Madame la présidente, veuillez me pardonner.

La présidente : Non, votre intervention a été brève. J'étais sur le point de demander d'écourter les réponses. Vous nous donnez des exemples, et cela prend du temps. Si nous pouvions être brefs, cela permettrait à tous les sénateurs d'avoir leur tour.

Le sénateur Poy : Monsieur Persaud, dans votre déclaration, vous avez parlé de l'intimidation des employés, sans entrer dans le détail. Pourriez-vous nous donner des exemples de faits vécus?

M. Persaud : Je peux vous parler de mon cas. Lorsque j'ai eu 10 ans d'expérience, je me suis présenté à un concours pour obtenir une promotion. L'un des avocats du jury me témoignait de l'animosité. En effet, il avait fait des commentaires très désobligeants à l'égard d'une juge d'appel expérimentée et j'avais déposé une plainte, parce que je trouvais ses remarques outrageantes. Or, rien n'a été fait. Étant donné nos antécédents, j'ai demandé à ce qu'il se récuse. On m'a répondu qu'il ne le ferait pas et que, si cela ne me plaisait pas, je devais en appeler de la décision. Je n'ai pas obtenu le poste que je convoitais. L'un des avocats du jury est venu à mon bureau plus tard pour me dire : « Mark, je n'y suis pour rien », ce qui laissait entendre que j'avais été lésé.

J'ai tenté d'avoir recours à un mécanisme interne, mais j'ai été victime de harcèlement et d'intimidation. Je suis donc venu à Ottawa pour essayer de rencontrer le sous-ministre adjoint. Lorsque je suis revenu à mon bureau, on m'a dit qu'une audience disciplinaire serait convoquée parce que j'avais tenté de rencontrer le sous-minstre adjoint sans que les parties aient pu retenir les services d'un avocat ou être informées des circonstances.

Cela vous donne une idée du genre d'intimidation pratiquée. Finalement, j'ai fait appel, ce qui m'a coûté 10 000 $. On a alors jugé que j'aurais dû être engagé, comme de nombreuses personnes plus jeunes et moins expérimentées que moi. Cela vous donne un aperçu de ce qui peut se passer au ministère.

Le sénateur Poy : Qu'est-ce que le Canadian International Peace Project? Quel est le lien avec votre témoignage, aujourd'hui?

M. Persaud : Il n'y en a pas.

Le sénateur Poy : Voilà pourquoi je ne comprenais pas. Vous avez dit qu'il devrait y avoir des cibles, mais pas de quota. Quelle est la différence?

M. Persaud : Un quota est plus précis, selon moi. Il vise l'embauche de 33 p. 100 de minorités visibles ou de 50 p. 100 de femmes. Il faut rendre des comptes, atteindre le pourcentage fixé. Une cible est plus flottante : c'est un objectif qu'on espère atteindre, auquel on aspire. Toutefois, si la cible n'est pas atteinte, on peut invoquer des raisons valables pour justifier la situation dans des circonstances données. Je crois qu'un quota est une règle absolue, ce qui veut dire qu'on essaiera de le respecter, même si, dans certains cas, cela implique que des gens qui n'auraient pas été engagés autrement le soient.

Le sénateur Poy : Quelqu'un devrait-il s'assurer que la cible est atteinte?

M. Persaud : Absolument.

Le sénateur Poy : Merci beaucoup.

James C. Morton, à titre personnel : Si je puis me permettre une remarque au sujet des cibles par rapport aux quotas, je dirais que ces derniers établissent clairement un nombre de personnes à embaucher. Par contre, les cibles font l'objet d'un suivi et, si elles ne sont pas atteintes, c'est peut-être dû à un obstacle systémique, intentionnel ou non. Il faut alors faire enquête pour aller à la source du problème. Les gens ne veulent pas remplir leur quota, ils veulent n'engager que des candidats qualifiés. Cependant, si la cible n'est pas atteinte, on peut penser que quelque chose ne va pas.

Le sénateur Poy : Merci.

La présidente : Je pourrais peut-être apporter un complément d'information. Si une cible est établie, on aura tendance à vouloir l'atteindre, ce qui donne l'impression que le mérite n'est pas le facteur déterminant. Il y aurait alors un effet indésirable, comme M. Persaud l'a mentionné, à tort ou à raison.

M. Morton : Il ne fait aucun doute que des difficultés persistent. Toutefois, si on établit des cibles d'embauche, on tient compte de l'ensemble du Canada, de la composition de la population, et si on n'atteint pas la cible, cela implique qu'il y a un problème. Il peut s'agir d'un obstacle systémique, ou d'une réalité plus sinistre encore, mais il faut tout de même évaluer les cibles. Il est en effet possible que certaines personnes ne soient embauchées que pour atteindre les objectifs, mais il s'agit alors de problèmes de processus.

Le sénateur Munson : Vous me semblez très courageux. Vous avez dénoncé des actions présumées au ministère de la Justice et, apparemment, vous êtes le seul à avoir osé le faire. Enfin, peut-être que non. J'aimerais savoir si vous avez démissionné ou si vous avez été congédié, et quand cela s'est produit. Est-ce que le racisme systémique se perpétue au sein du ministère de la Justice?

M. Persaud : J'ai quitté mon emploi pour des raisons de santé.

Le sénateur Munson : Quand était-ce?

M. Persaud : En 2003. Devrait-on encore s'inquiéter de ce qui se passe au ministère de la Justice? On me dit que les gens y sont encore malheureux. En fait, j'ai rencontré deux membres du personnel de soutien la semaine dernière; je suis allé déjeuner avec eux; ce sont des amis et tous les deux sont noirs. Ils m'ont fait part de leurs préoccupations et de leurs tourments. Ils m'ont dit que de nombreux avocats, une dizaine, ont démissionné récemment. Évidemment, je ne crois pas que ce soit attribuable totalement, ni même partiellement, à du racisme. C'était peut-être en raison de la rémunération. En effet, la province de l'Ontario offre un meilleur salaire et même du travail plus intéressant. Cependant, on m'a dit qu'il existait toujours un climat propice à la déprime, d'où les problèmes de rétention.

Quant à mon courage, je dois vous dire que je n'ai pas grandi au Canada, mais dans une dictature. J'ai vu des camarades se faire tuer parce qu'ils défendaient leurs principes. J'ai frôlé la mort à de nombreuses reprises, et j'ai failli mourir dans les rues de Toronto. Si quelqu'un comme moi, un avocat du ministère de la Justice, ne peut pas dénoncer l'injustice, qui le fera? Ça peut sembler stupide, mais si quelqu'un comme moi, un activiste communautaire bien connu qui a défendu les droits de la personne et qui a collaboré avec différentes organisations — Amnistie internationale, le comité de sensibilisation de mon Église, le Club « Rotary » — ne le fait pas, qui le fera? Je suis prêt à le faire parce que je sais que sinon, je ne pourrais pas vivre en paix avec ma conscience ni regarder mes enfants dans les yeux et leur dire : « Agissez selon vos principes, soyez fidèles à vous-mêmes, sinon vous risquerez de souffrir. » Je ne suis peut-être pas de la même trempe que d'autres.

Le sénateur Munson : Vous dites que les niveaux supérieurs du ministère de la Justice entretiennent ces attitudes, et il s'agit d'accusations très graves, pourtant, personne ne semble tenu responsable de ce qui vous est arrivé, ni de toute cette culture qui règne au ministère. Je me demande si nous ne devrions pas inviter le sous-ministre, ou quelqu'un d'autre, à comparaître.

Nous avons entendu des témoins et des représentants de divers ministères nous parler des cibles non atteintes et de l'injustice, des pourcentages et d'un tas d'autres choses, mais votre histoire est tout à fait singulière. Vous l'avez déjà racontée et vous le faites de nouveau pour une raison bien précise, selon moi, et c'est que rien n'a changé.

M. Persaud : À la décharge du ministère, je suis parti depuis déjà quelques années. Les comportements ont pu changer. En fait, peut-être que tout est parfait, maintenant. J'ai connaissance de cas isolés qui prouvent qu'il y a toujours des problèmes, et que des avocats démissionnent encore. Les attitudes ont peut-être évoluées; je ne peux pas affirmer le contraire avec certitude. Cependant, la culture dont j'ai souffert était tellement enracinée que je doute que tous les changements nécessaires aient été apportés, et je crains qu'aucune mesure n'ait été prise.

L'un des problèmes du ministère de la Justice réside dans la rétention des avocats issus des minorités visibles. Ces gens partent après quelques temps, en partie parce qu'on tolère le racisme et la discrimination.

Je peux vous donner un exemple. Nous devons traiter quotidiennement avec la police. Bien que j'aie la police en très haute estime, que je prône la justice et que je considère que les représentants des forces de l'ordre nous servent très bien, il y a un petit nombre de brebis galeuses qui causent du tort. Nous, les procureurs, avons souvent à les rencontrer, à subir leurs commentaires.

Par exemple, alors que j'étais en déplacement, au beau soir, un policier a été victime d'un accident. J'ai demandé à l'agent responsable de mon dossier s'il savait ce qui s'était passé, et il m'a répondu : « Oui, un agent noir a eu un accident en répondant à un appel 9-1-1. Il travaillait avec l'intelligence d'un Noir, autant dire pas d'intelligence du tout. » Je lu ai dit : « Mais qu'est-ce que vous racontez? Je suis noir aussi. » Mais il a rétorqué : « Non, non, vous n'êtes pas noir. »

Un autre agent de police s'est vanté devant moi que ses collègues le surnommaient Mark Fuhrman, rendu célèbre par l'affaire O.J. Simpson.

Il s'agit d'incidents racistes que j'ai vécus en tant que membre d'une minorité visible. Je ne veux pas savoir ce que mes collègues blancs ont entendu, non seulement de policiers, mais aussi d'avocats du ministère de la Justice.

Je vous ai parlé du racisme envers les Chinois et les Noirs dont j'ai été témoin au cours de ma première semaine. Alors qu'un de mes collègues se précipitait dans l'ascenseur parce que son premier enfant était sur le point de venir au monde, l'un de deux avocats se tenant tout près a demandé à l'autre : « Mais où Osborne va-t-il comme ça? » Son interlocuteur lui a répondu : « Sa femme est en train d'accoucher. » Le premier avocat a rétorqué : « Un autre comme eux? » Le deuxième lui a répondu : « Que veux-tu dire? Moi aussi, j'ai des enfants. » Mais le premier avocat a déclaré : « Oui, mais les tiens chercheront du travail lorsqu'ils seront grands. »

Cela s'est produit au ministère de la Justice. C'est la culture qui règne : une atmosphère viciée et pernicieuse qui pousse de nombreux employés à démissionner.

À l'époque où je travaillais pour le ministère, il n'existait pas de mécanisme pour dénoncer les comportements racistes des policiers. En fait, personne ne voulait se plaindre parce que nous devions travailler jour après jour avec ces agents. C'est surtout vrai dans les cas des poursuites spécialisées, où nous traitions avec l'escouade antidrogue, parce que si on affrontait les policiers, ils ripostaient. Certains disaient que ce sont en fait ces policiers, et non pas les procureurs, qui dirigeaient la section des poursuites, parce qu'ils se plaignaient toujours des avocats. En fait, ils ont toujours harcelé les minorités visibles. Je me souviens qu'ils riaient de leurs noms, et qu'ils ont même fait pleurer une femme. Cela peut vous sembler étrange, mais ceux d'entre nous qui l'ont vécu savent qu'il existe dans ce ministère une culture de tolérance du racisme et qu'il n'y a rien à faire, parce qu'aucun mécanisme approprié n'est en place pour y mettre fin.

Le sénateur Munson : Nous pouvons faire quelque chose. S'il existe vraiment un climat nocif et pernicieux au ministère de la Justice, nous devrions convoquer le sous-ministre pour qu'il nous fournisse des explications. C'est ce sur quoi porte notre étude. Nous essayons de faire changer les mentalités, c'est pourquoi nous sommes ici. Si le problème est aussi grave que vous le dites, nous nous rendrions un mauvais service en n'appelant pas à comparaître le plus haut placé du ministère.

M. Persaud : J'aimerais souligner qu'il semble y avoir un mépris total pour la notion d'équité et de processus. Lorsque j'ai déposé un appel pour dénoncer l'absence de promotion, mon avocat a assigné le sous-ministre de l'époque à comparaître. Une assignation à témoigner valide a été délivrée, et par la suite, nous avons constaté qu'elle n'existait pas. Selon moi — que le conseiller juridique me corrige si j'ai tort —, lorsqu'une citation est délivrée, il faut présenter une demande pour l'annuler. Dans ce cas-ci, la citation a tout simplement disparu. Apparemment, on peut téléphoner et demander que l'on retire l'assignation, ce qui est ridicule. C'est scandaleux de la part du ministère de la Justice et du sous-ministre. C'est le genre de situations auxquelles nous sommes confrontés.

Le sénateur Oliver : L'assignation a-t-elle été remise personnellement au sous-ministre?

M. Persaud : Je présume qu'il l'a reçue. Je tiens à préciser que ces incidents et les expériences que j'ai vécues se sont produits il y a un certain temps déjà.

Le sénateur Munson : C'était il y a à peine cinq ans.

M. Persaud : Oui, et en ce qui me concerne, le ministre et le sous-ministre actuels ne devraient certainement pas être tenus personnellement responsables. Ils font sans doute très bien leur travail et tout leur possible, mais ils ont hérité d'un ministère très inhospitalier, où l'atmosphère est irrespirable, et dans lequel les gens, les femmes et les minorités ont été traités injustement.

Le sénateur Jaffer : Vous et moi nous connaissons depuis longtemps. C'est un épisode de votre vie que j'ignorais. Vous êtes connu dans tout le pays. Je suis certaine que les gens seront très surpris d'apprendre cela.

M. Persaud : C'est la première fois que j'en parle publiquement.

Le sénateur Jaffer : Je voudrais éclaircir certaines choses. En quelle année avez-vous commencé à travailler au ministère?

M. Persaud : J'ai terminé mes études de droit en 1991. J'ai été admis au barreau en février 1993; j'ai donc commencé au ministère un mois ou deux après, la même année.

Le sénateur Jaffer : Et vous y êtes resté 10 ans?

M. Persaud : Oui, je suis parti en 2003.

Le sénateur Jaffer : Dirigiez-vous les poursuites criminelles?

M. Persaud : Non, j'étais avocat-conseil. J'ai travaillé pendant deux ans pour le programme Produits de la criminalité de la GRC, lorsque j'étais à la Section des poursuites criminelles.

Le sénateur Jaffer : Travailliez-vous ici, à Ottawa, ou bien à Toronto?

M. Persaud : J'étais à Toronto.

Le sénateur Jaffer : À la fin, êtes-vous parti pour des raisons de santé?

M. Persaud : Oui, mon départ est directement attribuable au traitement que j'ai subi.

La présidente : Merci, monsieur Persaud. J'avais cru que vous veniez au nom de votre organisation. Nous avons maintenant compris que vous êtes ici à titre personnel. Nous avons pris note de vos commentaires qui, comme vous l'avez indiqué, étaient personnels et se basaient sur des observations sur le terrain. Nous vous remercions de ce témoignage, qui nous donne une perspective différente sur la tâche qui nous est confiée.

Je tien à vous remercier d'être venu. Monsieur Morton, je suppose que vous êtes ici pour appuyer M. Persaud; je vous remercie également.

La séance est levée.


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