Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 2 - Témoignages du 11 février 2008
OTTAWA, le lundi 11 février 2008
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit ce jour à 17 h 5 afin de surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et d'examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, nous sommes réunis aujourd'hui afin de surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et d'examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne.
Nous nous intéressons tout particulièrement au Conseil des droits de l'homme qui est la récente incarnation de la Commission des droits de l'homme. Ce sont surtout les pratiques et les procédures en vigueur au conseil qui nous intéressent, parce que nous pensons que celui-ci a le potentiel d'être un mécanisme influent susceptible de faire avancer la cause des droits de la personne dans le monde et, par conséquent, au Canada.
Je n'oublie pas que nous accueillerons aujourd'hui deux groupes de témoins et que nous voulons lever rapidement la séance pour participer à une importante réunion du caucus à 19 heures.
Le sénateur Munson : Nous avons une réunion de caucus?
La présidente : C'est ce que j'ai entendu dire. J'ai jugé nécessaire de vous le rappeler et je vous garantis d'avance que nous sortirons d'ici à l'heure, si vous y mettez du vôtre.
Pour notre premier groupe de témoins, nous allons accueillir des représentants du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international en la personne d'Adèle Dion, directrice générale, Sécurité humaine et droits de la personne, qui est accompagnée de Robert Sinclair, directeur adjoint, Section des droits de la personne, Direction des droits de la personne, égalité des sexes, santé et population.
Bienvenue à vous deux. Notre comité ne vous est pas étranger, puisque vous avez déjà comparu tous deux devant nous. Nous vous avons invités à revenir parce que nous voulons que le Conseil des droits de l'homme fonctionne comme il faut et que le Canada fasse sa part à cet égard. Nous voulons également être tenus au courant de l'évolution des choses.
Vous pourriez partir de votre dernier mémoire que vous nous aviez commenté sur l'origine du Conseil. Depuis lors, nous avons déposé un rapport contenant certaines recommandations. Nous aimerions beaucoup être mis au courant des pratiques en vigueur depuis juin dernier, et avoir une idée de la façon dont, de l'avis du ministère, le conseil s'en sort.
Adèle Dion, directrice générale, Direction générale de la sécurité humaine et des droits de la personne, Affaires étrangères et Commerce international Canada : Je suis heureuse de pouvoir faire le point avec vous sur les développements survenus au Conseil des droits de l'homme de l'ONU, mais je vais d'abord profiter de cette occasion pour remercier le comité de l'excellent travail qu'il accomplit dans les dossiers dont il a la charge, et de son dévouement à cet égard.
On vous a fait remettre des exemplaires de mon texte, mais je compte, dans un premier temps, m'arrêter sur certains aspects de la réponse du gouvernement au rapport intérimaire du comité, avant de vous parler des récents événements qui ne sont pas couverts dans cette réponse.
Dans son rapport intérimaire, le comité recommande que le Canada mette l'accent sur le processus d'édification institutionnelle du Conseil. Le Canada a été l'un des grands promoteurs du mécanisme d'examen périodique universel, ou EPU, et il a travaillé avec ardeur à en établir les modalités. Ce mécanisme devrait entrer en vigueur en avril 2008.
Le Canada a également déployé beaucoup d'énergie pour protéger l'indépendance et la crédibilité des procédures spéciales, en préconisant, dans le cas des titulaires de mandat, un processus de sélection et de nomination plus transparent. Le Canada s'est notamment attaché à maintenir la capacité d'examiner minutieusement les situations nationales et à faire en sorte que la société civile et les institutions nationales des droits humains participent davantage aux activités du Conseil.
Plusieurs développements sont survenus au Conseil des droits de l'homme depuis que le gouvernement a déposé sa réponse au rapport intérimaire du comité.
Le Conseil a tenu sa sixième session ordinaire du 10 au 28 septembre, puis du 10 au 14 décembre 2007. En septembre, il s'est penché sur la situation des droits de la personne au Darfour, Soudan, et a tenu un débat plénier sur le rapport intérimaire du Groupe d'experts sur le Darfour.
Le Conseil a en outre établi l'ordre dans lequel les pays feront l'objet du premier cycle de l'EPU et a adopté des directives générales pour la préparation des informations à fournir dans ce contexte. Le Canada fera l'objet d'un EPU en avril 2009.
Après la réunion de septembre, le conseil a tenu, le 2 octobre, une session extraordinaire sur la Birmanie qui s'est avérée à la fois opportune et fructueuse, en réponse à la répression des manifestations pacifiques dirigées par les moines. Il a aussi demandé au rapporteur spécial, Sérgio Pinheiro, de chercher à effectuer une visite d'urgence dans le pays et de lui faire rapport en décembre. Les pressions du Conseil ont amené le régime à autoriser la visite du rapporteur spécial, la première en six ans.
À la reprise de la session en décembre, le conseil a pris connaissance du rapport du rapporteur spécial sur la visite effectuée en Birmanie du 11 au 15 novembre. Lors de cette session, une résolution a été adoptée par consensus pour exhorter le gouvernement à suivre et à mettre en œuvre les recommandations du rapporteur spécial et demandé à ce dernier d'effectuer une mission de suivie et de faire rapport au Conseil à sa session de mars.
Le 16 novembre 2007, la Troisième Commission de l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté la mise en place des institutions du Conseil des droits de l'homme. L'inclusion à l'ordre du jour d'un point distinct sur la Palestine et les autres territoires arabes occupés ne respecte pas les principes d'universalité, d'impartialité, d'objectivité et de non- sélectivité sur lesquels le conseil est fondé. En outre, le Conseil n'a pas renouvelé les mandats concernant Cuba et Belarus. Le Canada a donc voté contre l'adoption des institutions du Conseil, en conformité avec la position qu'il avait prise lors de la cinquième session de ce même Conseil, en juin 2007.
Lors de cette même session de décembre, le Conseil a passé en revue et renouvelé les mandats de sept autres rapporteurs spéciaux. Douze mandats ont maintenant été renouvelés. Un nouveau mécanisme d'experts sur les droits des populations autochtones a en outre été créé pour remplacer le Groupe de travail de la Sous-commission des peuples autochtones. Le Conseil a aussi adopté par consensus une résolution dans laquelle il accueille favorablement le rapport final du Groupe d'experts sur le Darfour. Le mandat du Groupe d'experts sur le Darfour a été transféré à la rapporteuse spéciale sur le Soudan.
Le Conseil des droits de l'homme agit aussi comme comité préparatoire pour le suivi de la Conférence mondiale contre le racisme ou Conférence de Durban. Le 23 janvier dernier, le ministre Bernier et le secrétaire d'État Kenney ont annoncé que le Canada ne participerait pas à la Conférence d'examen de Durban en 2009. Il se peut très bien que cette question soit soulevée lors de vos rencontres à Genève. Le Canada a pris cette décision, car il craint profondément que le processus menant à la Conférence d'examen de 2009 ne sème la discorde et n'engage la conférence elle-même sur une mauvaise voie.
Pour ce qui est de l'avenir, la septième session du conseil se tiendra du 3 au 28 mars 2008. La priorité du Canada à cette occasion sera le renouvellement des mandats des rapporteurs spéciaux sur la liberté d'expression et la violence contre les femmes. Votre soutien actif au renouvellement de ces mandats lors de votre visite à Genève sera grandement apprécié.
Le renouvellement de quelque 10 autres mandats sera aussi étudié à cette session. En outre, le Conseil élira les 18 membres de son comité consultatif, qui remplace la Sous-commission des droits de l'homme, et le président nommera 16 titulaires de mandat aux termes des procédures spéciales, afin de combler les postes vacants.
Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, le Conseil recevra aussi le rapport final du rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme au Myanmar et le Canada cherchera à faire en sorte que toute décision relative au suivi maintienne la pression sur le régime birman concernant la situation des droits humains dans ce pays.
Le Canada est aussi un ardent défenseur des travaux de la Haute Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme. L'insistance de la Haute Commissaire à renforcer les capacités de gestion de son organisme et à promouvoir la mise en œuvre des droits humains sur le terrain, initiative que le Canada a soutenue, a réellement contribué à améliorer les choses dans le monde, depuis l'Angola jusqu'au Népal, et restera dans les anales de l'histoire. Le Canada a cherché à faire en sorte que le conseil soit capable de répondre aux situations humanitaires urgentes et s'attache à la mise en œuvre des droits de la personne.
Il reste encore de nombreux défis à relever avant que le conseil ne remplisse sa promesse, le moindre n'étant pas la singularisation répétée et injuste d'Israël, que le Canada a dénoncé et continuera de dénoncer. Cependant, nous sommes encouragés de voir que le conseil détourne son attention des questions institutionnelles pour se consacrer davantage aux autres questions et situations relatives aux droits humains, là où cela compte le plus, c'est-à-dire sur le terrain.
Le sénateur Munson : Qu'est-ce qui a changé par rapport à l'ancienne Commission des droits de l'homme? Je m'en tiendrai à cette simple question. J'ai l'impression que nous avons à faire à un organisme qui n'est pas particulièrement objectif.
Mme Dion : Il ne fait aucun doute que la composition du conseil n'est pas achevée. La dernière fois, je vous ai peut- être indiqué qu'étant donné le nombre réduit de sièges au conseil et le maintien de la pratique du vote groupé par les représentants de certains groupes régionaux, le Canada et les délégués de pays aux vues similaires risquent d'être battus sur certaines questions.
Une chose a changé, cependant, c'est qu'on perçoit une certaine maturation dans le travail du Conseil. Comme je l'ai dit vers la fin de mon exposé, d'importants développements sont survenus en septembre et en décembre sous la forme de l'adoption d'une première série de mandats et de la préparation d'une autre série de mandats en vue de leur renouvellement en mars.
Nous demeurons prudents, mais sommes confiants que les choses vont s'améliorer.
Le sénateur Munson : Pouvez-vous nous parler du déroulement des votes l'année dernière?
Mme Dion : Je devrai peut-être m'en remettre à mon collaborateur, qui connaît mieux que moi la chose technique et qui a suivi de plus près ce qui s'est passé du côté des votes.
Le sénateur Munson : Pouvez-vous nous parler des heurts de nature idéologique qui peuvent avoir entravé le fonctionnement du Conseil?
Robert Sinclair, directeur adjoint, Section des droits de la personne, Direction des droits de la personne, égalité des sexes, santé et population, Affaires étrangères et Commerce international Canada : J'ai peur de ne pas être en mesure de vous fournir la répartition exacte entre les résolutions adoptées par consensus et celles qui l'ont été par voie de vote, mais je peux vous dire sans crainte de me tromper que la plupart des résolutions adoptées au conseil l'ont été par voie de consensus ou du moins sans qu'il soit nécessaire de recourir au vote.
En revanche, comme vous le laissiez entendre, c'est sur des questions plus délicates que surviennent les problèmes. L'une de ces questions est bien sûr, comme toujours, celle du Proche-Orient qui est source de division. De plus, les discussions qui ont porté sur la Conférence d'examen de Durban ont semé la discorde, puisque l'UE et le Canada, en particulier, entretenaient des réserves croissantes au fur et à mesure du déroulement des processus.
D'autres initiatives ont fait l'objet d'un règlement définitif par consensus, mais il a fallu aplanir certaines réserves en coulisse. Ce fut, par exemple, le cas de l'adoption d'objectifs volontaires relativement à la mise en œuvre de la Déclaration universelle des droits de l'homme, en rapport avec le 60e anniversaire de ce texte.
À propos de cette initiative, le Canada estimait qu'il fallait œuvrer dans le sens de l'établissement d'objectifs volontaires en regard de ce que nous considérons comme étant essentiellement des us et coutumes qui risquaient de nous faire reculer. Le Canada et d'autres ont essayé d'aplanir les différences, notamment avec le Brésil, mais en vain. En fin de compte, nous avons réussi à nous entendre sur un texte que le Canada juge acceptable et que nous pourrons appliquer dans les limites de la résolution afin de réduire au minimum les répercussions envisagées.
Tout cela pour dire que les deux principaux points durs on été le Proche-Orient et la Conférence de Durban. On constante, par exemple, que l'OCI, l'Organisation de la Conférence islamique, compte un grand nombre de représentants au Conseil. Vous l'avez souligné dans vos rapports et c'est une question qui continue de nous préoccuper.
Le sénateur Munson : Nous allons recueillir l'avis d'autres spécialistes des questions des droits de l'homme. Madame Dion, vous avez dit avoir trouvé encourageant de constater que le conseil ne se préoccupe plus autant de questions institutionnelles pour s'attaquer désormais aux questions et aux situations relatives aux droits de la personne. Pourriez- vous être un peu plus précise à ce sujet?
Mme Dion : Maintenant que la mise en place des institutions du conseil est terminée, nous estimons que la session spéciale sur la Birmanie, qui s'est déroulée en octobre, a permis de démontrer que le Conseil est prêt à engager un débat sérieux sur les situations concernant les droits de l'homme ailleurs qu'au Proche-Orient. De plus, le fait que cette session spéciale ait permis d'exercer suffisamment de pression sur le régime birman pour faire autoriser la visite du rapporteur spécial, la première en six ans, a aussi été un signe très positif.
Par ailleurs, le conseil a fort bien fait d'assurer un suivi dans le dossier du Darfour. Quand le groupe d'experts est rentré et a fait rapport, le conseil a adopté des positions fermes face à cette situation et s'est assuré, outre que ce dossier serait étudié lors de ses sessions de décembre, de se positionner pour continuer d'examiner de près cette situation en confiant le mandat du groupe d'experts, qui était alors échu, au rapporteur spécial pour que celui-ci poursuive son examen et favorise la mobilisation et le dialogue sur cette question au niveau du Conseil.
Sur un autre plan que celui des situations propres aux différents pays, nous avons été encouragés par la teneur des discussions et par la mise en place des nouveaux mécanismes d'examen des droits des peuples autochtones en vue de remplacer le groupe de travail de l'ancienne Sous-commission des droits de l'homme. Les échanges ont été animés, mais, dans l'ensemble, ils ont été très consensuels. Nous avons été très heureux d'apporter notre pierre à l'édifice et de participer à l'élaboration d'un nouvel instrument qui, nous le pensons, nous aidera à faire en sorte que les droits des peuples autochtones demeurent à l'ordre du jour du Conseil. Tout n'est pas encore parfait, mais nous croyons que, dans l'ensemble, la tendance est positive. De plus, le lancement de l'EPU en avril sera quelque chose de très intéressant.
Le sénateur Munson : Dans votre déclaration, vous nous avez dit que le Canada cherche à faire en sorte que l'on assure un suivi des décisions prises au sujet de la Birmanie en maintenant les pressions face à la situation des droits de la personne dans ce pays. De quelles pressions voulez-vous parler?
Mme Dion : Comme mon collègue, M. Mank, l'a déclaré au comité permanent de la Chambre il y a quelques semaines, il est difficile d'exercer des pressions sur la Birmanie/le Myanmar, parce que nous avons affaire à un régime fermé. Cependant, ce pays siège à l'ONU, ce qui nous confère un levier non négligeable pour nous assurer qu'il est bien conscient que d'autres États membres sont gênés et profondément préoccupés par sa situation. Comme le Myanmar est membre de l'ONU, nous pouvons avoir avec lui des discussions franches et énergiques. De plus, nous pouvons compter sur le mécanisme appliqué par le rapporteur spécial, qui s'est déjà rendu sur place, a exprimé de profondes inquiétudes et va continuer de s'intéresser à la situation, en son nom et au nom du Conseil.
M. Sinclair : J'aimerais ajouter un mot à ce que Mme Dion vient de vous dire. La session n'est pas uniquement l'occasion d'adopter des décisions en vue de faire pression sur la Birmanie, car les délégués des États représentés pourront aussi échanger avec le rapporteur spécial quand il présentera son rapport. Il s'agit d'un mécanisme qui nous permet à la fois d'aborder des thèmes et d'examiner des situations propres aux pays étudiés. Il s'agit d'un effet cumulatif. Comme d'autres pays ont l'occasion d'exprimer leurs préoccupations dans le cadre de sessions officielles et de dialogues officieux, nous pouvons maintenir la pression sur des pays comme la Birmanie.
Le sénateur Oliver : J'ai deux questions à poser à Mme Dion. La première concerne la conférence de Durban contre le racisme et la seconde l'examen du Canada en 2009. Vous nous avez dit que le ministre Bernier et le secrétaire d'État Kenney ont annoncé que le Canada ne participerait pas à la Conférence d'examen de Durban en 2009. Vous avez parlé de « semer la discorde ». Vous avez dit que cette décision avait été prise parce que le Canada craint profondément que le processus menant à la conférence de 2009 ne sème la discorde et n'engage la conférence elle-même sur la mauvaise voie. Que pensons-nous gagner en nous retirant de ce processus? En quoi pensons-nous que cela va aider? N'aurait-il pas été mieux de demeurer engagé et de continuer à se battre pour faire changer les choses de l'intérieur? Quels autres pays ont retiré leur appui à ce processus? M. Sinclair a laissé entendre que les Européens et le Canada avaient exprimé des craintes, mais d'autres pays nous ont-ils imités?
Mme Dion : Le Conférence mondiale de 2001, à Durban, contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée a été, du point de vue du Canada, gâchée à cause de graves problèmes. Le Canada craint profondément que le processus de préparation de la Conférence de 2009 ne ressemble étrangement à ce que nous avons déjà vécu en 2001. Le Canada a donc décidé d'adopter une position de principe et de se retirer du processus.
Le sénateur Oliver : En quoi vaut-il mieux se retirer tout de suite que de prendre les jambes à son cou plus tard?
Mme Dion : C'est une question que vous devriez davantage poser au ministre Bernier et au secrétaire d'État Kenney. Nous considérons évidemment qu'il est hautement prioritaire de combattre le racisme, au Canada et sur la scène internationale, et de chercher à l'éradiquer.
Étant donné que la conférence de 2001 s'est achevée dans la controverse et la déception, nous nous sommes dit que nous devions adopter une position de principe en nous retirant tout de suite et en cherchant d'autres façons de réaliser nos objectifs.
Par ailleurs, nous sommes, pour l'instant, les seuls à nous être retirés.
Le sénateur Oliver : Et les Européens? Vous avez dit que l'UE avait elle aussi exprimé des craintes. Envisage-t-elle de se retirer?
M. Sinclair : Je ne peux pas parler pour les Européens ni me prononcer quant à leur éventuelle participation à la conférence d'examen. Cependant, ils ont voté contre les quatre dernières résolutions relatives à Durban. Ils ont voté au côté du Canada au sujet de sept des huit résolutions ayant porté sur le suivi de la conférence de Durban.
Il y a une résolution sur laquelle l'UE n'était pas d'accord avec nous et celle-ci a été adressée à l'Assemblée générale, pas même au Conseil. Nous nous étions abstenus et les Européens avaient voté en faveur de cette résolution.
Le sénateur Oliver : Le Canada est-il proactif? Est-ce qu'il contacte les autres États membres en leur demandant : nous nous sommes retirés, pourquoi n'en faites-vous pas autant?
M. Sinclair : Nous avons évalué la situation et nous en restons là. Les autres pays font de même et voient bien ce que le Canada a fait.
Pour l'instant, nous ne démarchons pas activement les autres États membres pour essayer de les convaincre, toutefois, nous demeurons campés sur nos positions.
Le sénateur Oliver : Mon autre question concerne l'examen de la situation du Canada en 2009, sans doute au mois d'avril.
J'ai l'impression que, dans le dernier bulletin de l'ONU, le Canada avait été ouvertement critiqué au sujet des enfants et des Autochtones. Dans votre mémoire que vous nous avez remis aujourd'hui, vous indiquez que Patrimoine Canada va s'occuper du processus d'examen pour le Canada et que le ministère des Affaires étrangères tiendra une série de conférences pour faire le point à ce sujet.
Premièrement, que pourrait faire notre comité pour contribuer à tout cela? Deuxièmement, que pourrions-nous faire dans le cas des dossiers concernant les enfants et les Autochtones, par exemple en convoquant les intéressés devant le comité pour leur poser des questions avant même l'évaluation?
Mme Dion : Pour être très honnête avec vous, nous ne savons pas encore exactement comment les choses vont se dérouler, ni quelle forme prendra cet examen. Nous en saurons davantage après les sessions d'examen d'avril et de mai prochains.
La Suisse, par exemple, sera l'un des premiers pays aux vues similaires aux nôtres à faire l'objet d'un examen. Nous suivrons le processus de près. Nous tenterons d'intervenir de façon constructive. D'un autre côté, nous essayons de réfléchir à la façon de nous préparer, éventuellement en dressant une liste de questions portant sur certains thèmes des droits de la personne qui sont préoccupants dans les pays examinés. Quand notre tour viendra, d'autres membres du conseil feront sans doute la même chose à propos du Canada.
Nous devrions sans doute revenir sur cette question en juin ou en septembre, une fois que nous disposerons de plus d'informations sur lesquelles appuyer notre réponse.
Comme le précise notre mémoire, nous voulons tenir des réunions avec nos partenaires de la société civile et d'autres, à la fin du printemps et au début de l'automne, pour nous permettre d'élaborer une stratégie en conséquence.
Nous prenons note de votre offre au sujet du comité et il est évident que la convocation de témoins sur des thèmes susceptibles de vous intéresser pourrait nous aider dans notre préparation à la comparution du Canada devant le comité d'examen.
Je dois préciser qu'en ce qui concerne les enfants, le Canada va également comparaître, au début 2009 si je ne m'abuse, devant le comité des droits de l'enfant de l'ONU. Je pense que ce devrait être en juin. Nous aurons alors soumis un rapport complet sur les questions découlant de la convention et donnerons notre réponse aux recommandations du dernier rapport, juste avant notre EPU, en avril. Il faut donc s'attendre à ce que le dossier des enfants soit abordé.
Le sénateur Oliver : Et les questions autochtones?
Mme Dion : Même chose. On peut penser que les questions autochtones seront aussi à l'ordre du jour, étant donné toute l'attention dont elles ont fait l'objet de la part du gouvernement du Canada et de nombreux autres.
Le sénateur Oliver : Une dernière question : Hormis les enfants et les Autochtones, pensez-vous que l'examen de la situation au Canada en 2009 portera sur un autre groupe?
Mme Dion : Il y a bien sûr la question de la violence faite aux femmes, en partie parce que nous avons très bonne réputation à ce sujet à l'ONU et au sein d'autres organisations multilatérales. Cependant, j'estime trop tôt pour me livrer à une quelconque spéculation à ce sujet. Nous aurons peut-être une meilleure idée de ce qui nous attend après la session de mars du Conseil des droits de l'homme et après que les Suisses et d'autres auront fait l'objet de l'EPU en avril et en mai.
Le président : Avant de céder la parole au sénateur Dallaire, j'aimerais obtenir un éclaircissement. Nous avons entendu parler de la déclaration relative aux peuples autochtones et de la position du Canada à cet égard, puisqu'il en a été question plus tôt. Vous avez parlé d'» instruments concernant les peuples autochtones ». Qu'entendez-vous par là? Il est possible que je ne vous aie pas bien entendu. Je veux être certain de bien connaître les mesures qui ont été prises après l'adoption de la déclaration et sa communication à l'Assemblée générale. Celle-ci est revenue devant le Conseil, mais sous quelle forme? Qu'est-ce qui vient ensuite?
Mme Dion : Après avoir été adoptée par le Conseil des droits de l'homme, la déclaration a été transmise à l'Assemblée générale de l'ONU. Cet automne, elle a de nouveau fait l'objet d'un vote, à l'Assemblée des Nations Unies cette fois, et elle a été adoptée. Elle est désormais, essentiellement, une déclaration de l'ONU sur les droits des peuples autochtones.
Le Canada avait fait une déclaration à l'Assemblée générale pour expliquer pourquoi il ne pouvait appuyer cette déclaration ni se sentir lié par ses dispositions. Il demeure qu'elle est devenue un texte onusien.
Le président : Si le sénateur Dallaire peut patienter encore un peu, j'aimerais poser une autre question à ce sujet.
Dans les échanges que j'ai eus au sujet des questions de droits humains, j'ai constaté que peu de pays estiment que cette déclaration les concerne directement. Ils pensent qu'elle concerne le Canada et ses peuples autochtones, de même que l'Australie, la Nouvelle-Zélande et certains pays d'Amérique latine. Cependant, lors de mes discussions, j'ai essayé de définir quel pouvait être le point de vue du gouvernement ou des ONG ailleurs dans le monde, et tous mes interlocuteurs m'ont répondu : « Cela vous concerne vous, pas nous ».
Estimez-vous que cette déclaration aura un impact? Est-ce que les membres du Conseil, par exemple, comprennent bien qu'il s'agit d'une déclaration universelle et que les « peuples autochtones » correspondent à une définition très large qui pourrait trouver une application dans n'importe quel pays, et qu'il conviendrait donc de réévaluer la situation sous cet angle afin de protéger les populations autochtones?
Mme Dion : Il m'est, encore une fois, difficile de parler pour les autres membres du Conseil. Tous les membres du conseil ne connaissent pas bien cette déclaration. Cependant, nos partenaires d'Amérique latine qui comptent une importante population autochtone, sont tout à fait au courant de la déclaration. D'ailleurs, comme vous le savez peut- être, l'OEA est en train de préparer une déclaration semblable.
Bien d'autres pays, surtout en Afrique et en Asie, qui estiment ne pas compter de population autochtone, n'ont pas vraiment suivi les négociations de près et jugent que ce texte n'est pas une priorité. On ne peut pas vraiment savoir dans quelle mesure ces pays ont remarqué l'adoption de cette déclaration, ni s'ils sont au courant de son caractère universel.
[Français]
Le sénateur Dallaire : Madame Dion, c'est un plaisir de vous revoir. J'aimerais vous situer. Dans l'organigramme des Affaires extérieures, où se trouve votre division?
Mme Dion : Puis-je répondre en anglais?
Le sénateur Dallaire : Oui.
[Traduction]
Mme Dion : Je relève du sous-ministre adjoint, Enjeux mondiaux, et je suis directrice générale de la sécurité humaine et des droits de la personne. J'ai quatre sections sous mes ordres, dont celle des droits de la personne.
Le sénateur Dallaire : S'agit-il de divisions ou de sections?
Mme Dion : De divisions en anglais et de sections en français.
Le sénateur Dallaire : Et elles sont chapeautées par des directeurs?
Mme Dion : Oui.
Le sénateur Dallaire : Est-ce que ce qui concerne la sécurité humaine est à part? Y a-t-il une raison bien précise pour laquelle on vous a confié à la fois la sécurité humaine et les droits de la personne? S'agit-il d'une stricte décision de gestion ou y a-t-il d'autres motifs à cela?
Mme Dion : Le Canada fonde sa position à propos de ce qu'on pourrait appeler l'ensemble des questions touchant à la sécurité humaine — c'est-à-dire, la prévention des génocides, les enfants soldats et ainsi de suite — sur son évaluation des droits de la personne, ses intérêts en matière d'aide humanitaire et ce qu'il pense des droits de l'homme dans le monde. Cela étant, quand la direction générale et la direction ont été mises sur pied, la haute direction du ministère a jugé approprié de regrouper les deux éléments sous la même enseigne afin que tout le travail réalisé par la section sur la sécurité humaine, par exemple, s'appuie sur celui accompli par la section des droits de la personne, tout comme sur celui de la section responsable de l'élaboration de nos politiques en matière d'aide humanitaire.
Le sénateur Dallaire : Différents premiers ministres ont affirmé que les questions des droits de l'homme ont occupé une place prépondérante dans l'élaboration de notre politique étrangère. Dans vos fonctions, à quel niveau de priorité correspond votre champ d'activités, dans le contexte de la politique étrangère?
Mme Dion : Le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères ont clairement indiqué, à plusieurs reprises, que la liberté, la démocratie, les droits de la personne et la primauté du droit sont au cœur de la politique étrangère du Canada.
Ceux et celles qui travaillent sur les questions de droits de la personne, d'utilisation d'enfants dans les conflits armés et de prévention des génocides sont également convaincus que toutes ces questions sont prioritaires, qu'elles doivent nous intéresser, et nous bénéficions de tout l'appui nécessaire pour mener à bien nos initiatives.
Le sénateur Dallaire : Vous estimez donc que l'essentiel de vos efforts au sein du ministère des Affaires étrangères porte sur les droits de la personne?
Passons maintenant à la question du Conseil. Compte tenu de ce qu'est devenu le Conseil, estimez-vous qu'il est à présent un instrument susceptible de réagir aux situations qui surviendront ailleurs dans le monde, par le truchement d'un système de rapport, et ainsi de suite, ou pensez-vous plutôt qu'il soit en mesure de prendre une position a priori, d'être proactif? Est-ce que le mandat du Conseil a fait l'objet d'une interprétation dans le cadre d'une tribune ouverte?
Mme Dion : Très bonne question. Il est certain que, dans ses débuts, à l'époque de la formation de ces institutions, le Conseil des droits de l'homme était sans doute davantage réactif face aux situations concernant les droits de la personne. Nous souhaitons beaucoup qu'il soit à la fois réactif et proactif.
Je vous ai brièvement parlé de l'appui que le Canada a apporté au Haut-commissariat aux droits de la personne. Au cours de la dernière année, pendant la mise sur pied du conseil où il a surtout été question de le doter de ses propres institutions, le Haut-commissariat aux droits de la personne est devenu un peu plus proactif en ce sens qu'il a ouvert davantage de bureaux régionaux, qu'il a été davantage en mesure d'aider les pays demandeurs à accroître leur capacité et que, de façon générale, il s'est organisé à l'interne et à l'externe pour jouer un rôle plus proactif.
Nous espérons, qu'une fois que le conseil sera pleinement doté de ses mécanismes et institutions, il sera encore plus proactif. Il aura la possibilité d'y parvenir, par exemple grâce à l'application de l'examen périodique universel. La reconfiguration de certaines de ses institutions, comme la transformation de la Sous-commission des droits de l'homme en comité consultatif du Conseil des droits de l'homme, devrait conférer davantage de souplesse et de capacité au conseil pour recevoir les avis et informations dont il a besoin pour faire son travail.
Le sénateur Dallaire : Où se situe ce nouveau comité?
Mme Dion : Il va remplacer la Sous-commission des droits de l'homme, qui était un organisme subsidiaire de l'ancienne commission. On est en train de le mettre sur pied.
Le sénateur Dallaire : Tout ce qui a entouré la catastrophe ou le fiasco de Durban, peu importe le terme employé, et la décision de nous retirer du processus — en rapport avec ce dont parlait le sénateur Oliver tout à l'heure — m'amène à me demander quand cette décision a été prise, étant donné que les choses allaient peut-être de travers dans le cas du Proche-Orient plus particulièrement, et la façon dont les différents blocs allaient voter. J'aimerais savoir si vous n'êtes pas tenus — vous-même et les ambassadeurs sur le terrain — de trouver d'autres solutions, de jeter des ponts ou d'influencer les pays qui font bloc afin de les convaincre, éventuellement, de ne pas agir de la sorte? N'êtes-vous pas investi d'une telle responsabilité en ce qui concerne le conseil ou vous contentez-vous de réagir aux situations? Sommes- nous présents dans les anti-chambres du pouvoir, allons-nous cogner aux portes pour parvenir à faire ce qu'officiellement nous ne semblons pas vouloir faire?
Mme Dion : Oui, sénateur.
Le sénateur Dallaire : Vous allez voir qu'avec ma prochaine question, je vais vouloir un peu plus de détails et c'est d'ailleurs pour cela que je vous pose des questions. Je veux que vous me prouviez que les droits de la personne sont un thème dominant de notre politique étrangère, que nous avons donné du muscle à ce thème, que c'est quelque chose de dynamique, que nous mobilisons les ressources nécessaires, et que ce n'est pas simplement un titre.
Mme Dion : Je me propose de répondre à la première partie de votre question, au sujet de notre responsabilité de trouver d'autres solutions afin de régler les problèmes très graves que nous rencontrons sur le plan du racisme et autres, problèmes que nous aurions souhaiter voir traités dans le cadre de la Conférence d'examen de Durban.
Il existe de nombreux mécanismes, le plus important à l'ONU et à l'échelon du Conseil des droits de l'homme, étant constitué par des rapporteurs spéciaux qui ont pour mandat d'étudier certains aspects de la question. Nous travaillons d'arrache-pied pour nous assurer que ces mandats seront renouvelés, y compris celui de notre propre rapporteur spécial sur la liberté d'expression, lequel obéit à un mécanisme dirigé par le Canada. Nous souhaitons que tous les mandats confiés soient aussi forts et complets que possible et qu'ils ne soient pas limités au point d'empêcher les rapporteurs d'examiner les questions touchant au racisme, à la xénophobie et autres, et d'en rendre compte à la Conférence.
S'agissant de jeter des ponts et d'établir des liens avec d'autres pays pour éviter qu'ils fassent bloc, sachez que c'est bien ce que nous faisons. À Genève, le Canada déploie des efforts concertés pour y parvenir, dossier par dossier, afin de dégager les aspects sur lesquels nous nous entendons avec d'autres membres de groupes régionaux. Nous leur tendons la main et leur disons : « Vous savez, nous pensons la même chose que vous à ce sujet. Il est regrettable que nous ne puissions pas voir les choses de la même façon dans d'autres dossiers, comme ceux concernant le racisme et la discrimination raciale. »
Nous n'avons jamais cessé d'essayer de jeter des ponts, de nouer des liens avec d'autres groupes régionaux et de combattre leur instinct à voter en bloc. Nous avons connu un certain succès. Par exemple, dans le cas du Darfour, et M. Sinclair pourra vous le préciser mieux, certains pays africains modérés ont finalement décidé de quitter leur bloc et de voter en faveur de la poursuite de l'examen de la situation au Darfour. Il s'agit d'un processus continu.
Il y a un autre type d'intervention que nous tentons quelque temps, surtout au cours de la dernière année, soit durant la période de la mise sur pied du Conseil des droits de l'homme. Nous agissons de façon bilatérale, dans les capitales, par le truchement de nos ambassadeurs et hauts-commissaires qui maintiennent le dialogue sur les questions relatives aux droits de la personne avec leurs homologues des Affaires étrangères, et avec les ministres et les parlementaires d'autres pays, pas uniquement à propos des les pays où ils se trouvent, mais à propos d'autres pays ou régions qui sont préoccupants et qui font l'objet de votes à l'ONU.
Il est très difficile, dans l'univers de la diplomatie de se dire un jour qu'on a atteint tel ou tel résultat.
M. Sinclair : Je vais vous indiquer ce qui est pour nous une autre façon de jeter des ponts. Par exemple, dans le dossier du renouvellement de nos mandats en matière de liberté d'expression et de violence faite aux femmes, nous avons délibérément décidé de démarcher les représentants d'autres groupes régionaux afin de les amener à s'investir dans ce mandat et d'appliquer une solide démarche interrégionale à cet égard.
Le sénateur Dallaire : J'avais l'intention de vous poser plus de questions sur les liens avec les ONG et ainsi de suite. Cependant, dites-moi très rapidement qui est chargé de faire appliquer le concept du devoir de protéger? Est-ce votre section?
Mme Dion : Oui. Cela fait partie du travail de la section de la sécurité humaine.
Le président : Pouvez-vous nous parler, à moins qu'il ne soit trop tôt pour le faire, du déménagement du CEDAW, soit le comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, qui était installé à New York. Ce déménagement a-t-il commencé? Est-il terminé? Sommes-nous d'accord avec ce déménagement? Voilà une première question à laquelle vous pouvez réfléchir.
Vous avez indiqué qu'il est arrivé à la Haut Commissaire aux droits de l'homme de s'exprimer ouvertement sur les questions de droits de la personne, et il est vrai que le Haut-commissariat s'est prononcé sur certains dossiers. Elle l'a fait elle aussi en son nom propre. Cependant, elle est aussi la dépositaire neutre des pratiques et des procédures, au nom de tous les comités, et nous espérons qu'elle va conserver cette neutralité. Certains l'ont critiquée, estimant que le rôle qu'elle s'est attribuée n'est pas conforme à sa fonction et que les pays devraient y veiller. Certains ont dit qu'il y aurait lieu de parler du lien direct entre, d'une part, le Conseil des droits de l'homme et le reste de l'appareil onusien et, d'autre part, le bureau de la Haut Commissaire, et que celle-ci devrait être neutre dans l'application des conventions.
Elle a donc fait des déclarations à titre officiel, mais aussi à titre personnel, ce qu'elle a le pouvoir de faire, mais cela ne va-t-il pas à l'encontre de sa fonction? Pourriez-vous nous en parler un peu?
Mme Dion : Eh bien, je vais commencer par répondre à la question la plus facile, celle sur le CEDAW.
Je crois savoir que le Secrétariat a fini de déménager à Genève et qu'il a été intégré au Haut Commissariat aux droits de l'homme, au sein du Secrétariat général qui appuie les autres organes de traité. Nous estimons que ce déménagement est une bonne chose. Pendant des années, nous avons pensé que le fait d'avoir un comité isolé à New York allait à l'encontre du concept d'intégration de la sexospécificité dans le système onusien. Nous espérons dès lors que, les membres de tous les organes de traité étant désormais davantage intégrés au niveau d'un secrétariat général, le travail des comités sera plus uniforme et que ces organes intégreront davantage les notions d'équité et d'égalité entre les sexes.
Le Canada était effectivement d'accord pour ce genre de déménagement et ce, depuis de nombreuses années. Plusieurs raisons font qu'il a fallu attendre pour qu'il se réalise, mais nous sommes très heureux qu'il ait eu lieu.
En ce qui concerne le Haut Commissaire aux droits de l'homme, elle est investie d'un rôle qui lui impose de jongler en permanence. D'un côté, c'est le service de dotation de son Secrétariat qui doit appuyer le travail du Conseil des droits de l'homme. Un autre service de son bureau apporte un soutien technique aux comités. D'un autre côté, elle est investie d'un mandat, qui avait été négocié à la Conférence mondiale sur les droits de l'homme, qui lui confère un rôle important en tant que porte-parole de l'ONU en général dans le dossier des droits de la personne. Son mandat lui impose très clairement de s'exprimer ouvertement et de dénoncer ce qui, à ses yeux, constitue des écarts graves ou importants sur le chapitre des droits de la personne. Elle se trouve dans une situation délicate parce qu'elle prête le flanc à la critique, qui peut lui reprocher d'avoir un parti pris ou d'influencer de façon indue le système interne, d'où l'importance de nommer à cette fonction des personnes de la plus haute intégrité.
Le sénateur Munson : Je jetais un coup d'œil sur le rapport d'Amnistie internationale sur les droits des peuples autochtones. Les hauts fonctionnaires aux Affaires étrangères que vous êtes doivent trouver difficile de devoir rajuster le tir après avoir dansé pendant 20 ans au son d'une certaine musique et être obligés, soudainement, de changer de rythme et de pas.
Revenons-en au Conseil des droits de l'homme et à la question que j'ai posée au début : pourriez-vous noter, sur une échelle de 1 à 10, la façon dont le conseil s'est débrouillé dans ses 18 premiers mois de vie, sur les plans A, B, C ou D?
Mme Dion : J'hésite à donner une note pour l'instant parce que le travail n'est pas fini, qu'il se poursuit et qu'il faut être juste envers le Conseil. Je pense que j'aurais été horrifiée, quand j'étudiais, que je travaillais sur des devoirs quelconque, à l'idée d'être notée sur un travail qui n'était pas fini. Le devoir final était déjà bien suffisant pour me causer bien des inquiétudes. Personnellement, et je pense que c'est l'avis de mes collègues aux Affaires étrangères, j'estime que nous avons affaire à un travail en cours. Comme je le disais tout à l'heure, nous avons constaté certains signes encourageants, surtout au cours des six derniers mois. Nous tenons à ce que le conseil conserve le cap. Le Canada siégera à ce conseil pour 12 ou 18 mois supplémentaires et il estime qu'il est investi d'une responsabilité très importante, soit de représenter les pays de conception semblable à la nôtre qui ne siègent pas à ce Conseil. Nous prenons cette responsabilité très au sérieux. Nous sommes donc résolus à maintenir notre présence au conseil et à faire tout ce que nous pouvons pour que celui-ci soit l'organe le plus efficace possible.
Le sénateur Oliver : J'ai apprécié la première question du sénateur Munson et celle qu'il vient juste de vous poser au sujet du Conseil. Il nous a dit que, le 16 novembre 2007, le Troisième comité de l'Assemblée générale des Nations Unies avait adopté la mise en place des institutions du Conseil. Vous avez aussi précisé qu'une clause avait été ajoutée au sujet de la Palestine et d'Israël. Puis, vous avez précisé que le non-respect des principes d'universalité, d'impartialité, d'objectivité et autres dans les dispositions additionnelles avaient été source d'inquiétudes. Cela étant, le Canada a voté contre l'adoption de la mise en place des institutions du Conseil. Vous avez dit qu'une des raisons pour lesquelles le Canada avait agi ainsi, c'est qu'il avait été la cible d'irrégularités de procédure visant à l'empêcher de réclamer un vote.
Je me demande ce qu'ont fait les autres membres du conseil quand le Canada a été l'objet de ces irrégularités de procédure et de quelles irrégularités il s'agissait. Pourquoi ne nous ont-ils pas appuyé? Je rejoins, sur ce plan, la première question du sénateur Munson qui a porté sur le fonctionnement du Conseil.
Mme Dion : Le Canada s'est retrouvé dans une position particulièrement inconfortable. La session était presque terminée et les délégués présents sentaient une énorme pression peser sur eux afin qu'ils concluent un accord. Beaucoup de pays étaient sans doute naturellement enclins à se prononcer en faveur du compromis afin de mettre un terme à la session.
Cependant, le Canada a estimé qu'il ne pouvait pas appuyer ce compromis à cause de la façon très sélective dont on avait singularisé un pays ou un groupe de pays en inscrivant un point spécial à l'ordre du jour. De plus, nous étions très mécontents qu'à la faveur de ce compromis, on ait retiré l'examen des questions concernant Cuba et le Belarus. Ce faisant, nous avons essayé de faire connaître notre mécontentement, mais la présidence nous en a empêchés.
Mon collègue, M. Sinclair, était présent et il pourrait vous relater tout cela plus en détail. Je vous ai décrit l'essentiel de la situation.
M. Sinclair : Je tiens à préciser une chose. Vous verrez peut-être que la question de la mise en place des institutions a été adoptée par 46 voies contre une, mais le vote en question portait en fait sur notre contestation de la décision de la présidence qui ne voulait justement pas que nous réclamions un tel vote. Donc, ce résultat ne concerne pas la mise en place des institutions.
S'agissant des points à l'ordre du jour, je tiens également à vous faire remarquer que, dans l'ordre du jour du conseil — et nous avions été très clairs à cet égard sur le moment, puis par la suite — il y avait une question d'ordre général, le point 4, concernant les situations qui, en matière de droits de la personne, exigeaient l'attention immédiate du Conseil. Nous avions alors estimé qu'il n'était pas nécessaire d'ajouter un autre point, le point 7 celui-là, qui prévoyait l'étude des situations relatives aux droits de la personne en Palestine et dans les autres territoires arabes occupés. Un seul point était suffisant pour traiter de toutes ces questions.
Quant à l'ambiance qui régnait, comme Mme Dion vous l'a dit, nous en étions à la 25e heure et nous ressentions toute la pression caractéristique d'une fin de négociation. De nombreux pays hésitaient à permettre au Canada de réclamer un vote ou de s'exprimer favorablement sur la mesure proposée. Ils nous l'ont indiqué, en privé ou sous le sceau de la confidentialité, parce que, s'ils avaient été appelés à voter, ils auraient été contraints de ne pas appuyer la mise en place des institutions du conseil sur le fond.
Cela étant, je pense que toute cette situation en dit long sur le leadership politique, mais ma qualité de fonctionnaire m'interdit de m'enfoncer davantage sur ce territoire.
Le président : Eh bien, nous allons nous en tenir là afin de ne pas aller plus loin. Je tiens à remercier Mme Dion et M. Sinclair de s'être rendus à notre invitation et de nous avoir communiqué tous ces renseignements. Notre travail consiste à veiller à ce que, du point de vue politique, nous fassions tout en notre pouvoir pour que le conseil fonctionne de la façon prévue et non pas au gré de desiderata politiques.
Merci pour les efforts que le ministère déploie afin de faire avancer la cause des droits de la personne et de favoriser le bon fonctionnement du Conseil. Je vous garantis que nous allons vous reconvoquer. Ce n'est pas donc pas la dernière fois que nous nous voyons. Nous espérons pouvoir examiner de nouveau la question du conseil dans un an et, si cela est possible, continuer alors le dialogue afin de voir si nos points de vue respectifs se rejoignent.
Nous sommes chargés de surveiller l'évolution des diverses questions ayant trait aux droits de la personne et d'examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations en matière de droits de la personne. Nous examinons actuellement la question du Conseil des droits de l'homme. Nous avons déjà déposé un rapport et ces séances constituent la suite à notre travail de surveillance du mécanisme international qui a remplacé la Commission des droits de l'homme.
Nous accueillons à présent Alex Neve, secrétaire général d'Amnistie internationale Canada. De Droits et démocratie, nous entendrons Jean-Paul Hubert, président intérimaire, et Lloyd Lipsett, adjoint principal au président. Bienvenue à vous trois.
Comme je l'ai dit, nous avons déjà reçu vos deux organisations. Nous aimerions, un an plus tard, surtout après la mise en place des institutions du Conseil, recueillir vos opinions afin de nous aider dans notre travail d'évaluation du Conseil des droits de l'homme. Nous souhaiterions aussi entendre vos éventuelles recommandations relativement à ce que le gouvernement du Canada pourrait faire pour contribuer à la cause des droits de la personne.
Alex Neve, secrétaire général, Amnistie internationale Canada : Honorables sénateurs, je suis très heureux de me trouver ici. En fait, ma dernière comparution remonte à il y a un an, à une semaine près, tandis que vous effectuiez votre étude précédente et que vous partagiez les espoirs, les préoccupations et les recommandations d'Amnistie internationale relativement au nouveau Conseil des droits de l'homme de l'ONU qui, à l'époque, n'était âgé que de huit mois.
Il y a un an, je m'étais surtout attardé à certaines innovations importantes, au mode d'élection des membres du Conseil, à l'élévation du conseil au sein de la hiérarchie onusienne, puisqu'il est devenu un organe subsidiaire de l'Assemblée générale, et à la décision de transformer ce conseil en organe permanent devant se rencontrer plus fréquemment.
J'avais également fait état de certaines préoccupations. À cette même époque l'année dernière, nous craignions que le joyau du système onusien des droits de la personne qu'est le système des procédures spéciales ne risque d'être sapé par les actions de différents gouvernements, actions obéissant à des motifs politiques. En février 2007, et c'est certainement encore le cas aujourd'hui, beaucoup estimaient qu'à certains égards ce nouveau conseil ne l'était que de nom et qu'il ne s'était pas affranchi des jeux politiques qui avaient affligé l'ancienne commission. Par exemple, quatre des six sessions spéciales que les membres du conseil avaient convenu de tenir entre juillet 2006 et janvier 2008 ont porté sur la situation des droits de la personne en Israël et en Palestine. Les deux autres concernaient le Darfour et la Birmanie.
Le fait que les deux tiers des réunions spéciales du conseil aient été consacrés à Israël, un tiers seulement au Darfour et à la Birmanie et rien à d'autres crises qui auraient pourtant mérité une certaine attention, reflète-t-il vraiment la situation des droits de la personne dans le monde, telle qu'on l'a connue au cours des 18 derniers mois? À l'évidence pas. Qu'en est-il de la République démocratique du Congo, du Pakistan l'automne dernier et, plus récemment, du Kenya? Et qu'en est-il encore du Darfour?
Il faut ajouter à cela la décision, prise en juin 2007, de considérer qu'Israël était le seul pays du monde à mériter de faire l'objet d'un point permanent à l'ordre du jour du Conseil. Il est on ne peu plus évident que la situation politique empoisonnée du Proche-Orient continue de hanter l'organe responsable des droits de l'homme.
Cela revient-il à dire que le conseil ne peut être sauvé, comme certains observateurs et médias le laissent entendre à l'occasion? Sûrement pas, en ce qui me concerne. D'ailleurs, je crois que vous entamez votre deuxième étude à l'époque où le conseil semble être sur le point d'entreprendre son travail de loin le plus passionnant et le plus important : le processus d'examen périodique universel.
Ce soir, j'entends concentrer mes remarques sur trois aspects : d'abord, l'examen périodique universel; deuxièmement, la question du système des procédures spéciales, encore une fois; troisièmement, nos préoccupations au sujet du rôle et du leadership actuel du Canada à l'échelle internationale.
Je vais commencer par l'EPU. L'une des critiques que l'on entendait le plus fréquemment au sujet de la Commission était son caractère sélectif et le fait qu'elle appliquait une double mesure dans la façon d'aborder les violations aux droits de la personne commises par certains pays. Il arrivait très souvent que certains pays soient facilement singularisés et critiqués. D'autres, en revanche, pourtant coupables de violations des droits de la personne tout aussi graves si ce n'est plus, échappaient à tout examen. Il arrivait trop souvent que le plus important ne soit pas la gravité sur le plan des droits de la personne, mais bien l'habileté politique et les contacts des pays concernés.
L'EPU est destiné à changer tout cela. Désormais, les pays feront l'objet d'un examen à tour de rôle. Si le processus est correctement appliqué, il pourra constituer, pour le Conseil, une façon sans précédent de promouvoir les droits de la personne dans tous les pays, et cela de manière systématique, objective, transparente et constructive, ce que n'est pas parvenue à faire la Commission en plus de 60 ans.
Pour y arriver, il faudra cependant réaliser un certain nombre de choses. Il faut dire que les possibilités, le potentiel et les aspirations sont énormes. Pourtant, le Conseil pourrait très bien ne pas réussir à franchir la barre à bien des égards. Permettez-moi d`attirer votre attention sur quatre aspects auxquels le Canada devrait, je pense, faire très attention.
D'abord, tout va reposer sur la formule de direction, une troïka dont les membres désignés seront appelés à diriger et à contrôler le processus d'examen de chaque pays. Il va falloir que ce processus soit très solide et le Canada ne comptera pas systématiquement deux représentants à ces troïkas, peut-être un ou deux seulement la première année. Nous y aurons l'occasion de prêcher par l'exemple et d'instaurer des pratiques exemplaires.
Nous sommes très intéressés par une proposition émanant d'un organisme canadien de la société civile, un de nos homologues, Actions Canada pour la population et le développement. L'organisation souhaite qu'on adopte pour principe qu'au moment de participer à cette troïka, le Canada nomme des spécialistes canadiens des droits de la personne, reconnus dans ce domaine, et leur confie la direction de mener la charge au nom du Canada, de sorte à la retirer des mains des politiques et à nommer quelqu'un qui soit reconnu et qui ait prouvé sa compétence dans le domaine des droits de la personne afin de diriger ce genre d'initiative. C'est là un modèle intéressant qu'il conviendrait, selon moi, de prendre en considération.
L'autre question qui me préoccupe — et nous allons la suivre attentivement — c'est celle de l'interaction entre le processus d'examen périodique universel et les nombreux autres processus d'examen du système onusien des droits de la personne, surtout les processus découlant des traités. Nous estimons que le Canada devra faire très attention à cet aspect. Nous voulons nous assurer que rien, dans l'application du processus d'EPU, n'entrera en conflit avec les autres processus d'examen découlant des traités, et vice-versa. Le risque de problème à cet égard est très grand et il va donc falloir redoubler d'attention.
Troisièmement, il sera déterminant de mener le processus d'EPU jusqu'au bout et d'assurer un suivi. Nous pouvons toujours obtenir de merveilleux rapports et avoir d'excellents échanges à l'occasion de l'examen de tel ou tel pays, mais si nous ne constatons pas un véritable engagement à faire en sorte que le processus soit appliqué pleinement, puis fasse l'objet d'un suivi, nous nous trouverons alors confrontés à d'immenses problèmes.
Enfin, le Canada ne devrait pas uniquement se préoccuper de ce que font les autres pays en ce qui a trait à l'EPU. Comme on le sait, le dossier du Canada en matière de droits de la personne fera l'objet d'un EPU dans quelque 15 mois, soit en avril 2009. Notre pays s'est toujours activement prêté aux examens de l'ONU dans le domaine des droits de la personne, par le truchement des processus découlant des traités, et il prend tous ces examens très au sérieux. Cependant, il est clairement apparu que nous péchons notablement du côté de la mise en œuvre de certaines recommandations, ce que votre comité a éloquemment souligné dans de nombreux rapports.
L'un des grands problèmes, c'est qu'il n'existe pas encore de véritable processus ou mécanisme de coordination à l'échelle du fédéral ou même entre le fédéral, les provinces et les territoires pour superviser l'application des recommandations qui nous sont adressées. Ce n'est certainement pas le genre de modèle que nous voulons donner au moment où le système onusien va passer à l'EPU. Pour que l'EPU donne des résultats au Canada, il faudra d'abord régler les problèmes intérieurs qui nous empêchent depuis longtemps de mettre en œuvre et de respecter les recommandations que l'ONU nous adresse en matière de droits de la personne. Le Canada ne pourra pas se permettre, à l'issu d'un deuxième EPU, de hausser les épaules et de mettre sur le dos du fédéralisme le fait qu'il n'ait pu donner suite à des recommandations antérieures.
Passons aux procédures spéciales. Au fil des ans, la Commission était parvenue à s'entourer d'un impressionnant réseau, sans cesse croissant, de spécialistes des questions de droits de la personne, comme les rapporteurs et les représentants spéciaux, de même que les membres des groupes d'experts. Beaucoup considéraient — y compris la plupart des gouvernements — que ces spécialistes avaient joué un rôle important dans le succès de la Commission. Ils étaient loin d'être infaillibles et, quand on tient compte, en plus, de la façon inégale dont ils ont été accueillis par les gouvernements hôtes, il est certain que la qualité de leur travail a varié considérablement.
Beaucoup de gouvernements, se sentant menacés par le travail de ces experts, ont régulièrement cherché à les affaiblir dans leurs tâches ou à saper leur efficacité. En revanche, d'autres gouvernements, comme le Canada, ont toujours été des défenseurs acharnés des procédures spéciales. Cela continue de nous préoccuper.
Les procédures spéciales ont survécu aux premières séries de mise en place des institutions et elles n'en sont pas sorties aussi affaiblies que nous le craignions. Je ne pense pas pour autant qu'il y a lieu de crier victoire.
Il existe un nouveau processus, connu sous le sigle ERA — on aime beaucoup les sigles au Conseil des droits de l'homme — pour Examen, rationalisation et amélioration. Je tiens à dire que nous espérons beaucoup que le Canada, à l'occasion du dialogue sur l'ERA, cherchera à garantir l'indépendance des procédures spéciales, à combler les vides laissés par les différents mécanismes de procédures spéciales dans le cas des questions touchant aux droits de la personne et, peut-être plus important encore, qu'il fera tout son possible pour obtenir de façon régulière une meilleure collaboration de la part des autres gouvernements. Les membres de ce comité ne trouveront rien de surprenant ni de nouveau si je leur dis que de nombreux gouvernements refusent de collaborer à l'application des procédures spéciales et qu'il faut continuer de chercher des façons de solutionner ce problème.
Le système des procédures spéciales ne vaut que dans la mesure où les personnes en poste tiennent à le faire respecter. Récemment, c'est à cet aspect que nous sommes particulièrement intéressés. À la prochaine session du Conseil, 16 nouveaux experts seront nommés à l'issu d'un nouveau processus dont la transparence a été formidablement rafraîchissante. Il n'empêche que nous avons émis des réserves, surtout à cause du faible nombre de candidatures féminines. Je ne me souviens pas exactement des proportions, mais je crois que moins d'un tiers des personnes proposées étaient des femmes.
Le Canada a décidé de demeurer neutre relativement aux mises en candidatures dans le cadre des procédures spéciales. Il ne fera donc pas savoir au président du Conseil des droits de l'homme qui, selon nous, semblent être les meilleurs candidats et qui devrait être nommé dans tel ou tel poste, ce qui s'entend des Canadiens en lice. Toutefois, nous implorons le Canada d'appliquer ce genre de méthode. Le Conseil des droits de l'homme a lui-même adopté des critères définissant ce qu'est un bon candidat. Le Canada devrait se fonder sur ces critères pour évaluer les candidatures de façon subjective et déterminer qui, selon lui, est le meilleur candidat ou la meilleure candidate, et qui risque de poser problème, cela en vue de communiquer notre sentiment au Conseil. Si, dans le passé, on a pu regretter que des titulaires de mandat n'aient pas été à la hauteur de la tâche, il nous est maintenant possible de faire tout en notre pouvoir pour faire nommer les meilleurs du moment.
Je conclurai en vous disant un mot au sujet du rôle du Canada. Il y a un an, vous avez adressé une recommandation très importante au gouvernement : « Le Comité recommande que le gouvernement du Canada cherche à accroître son rôle et son efficacité au sein du Conseil des droits de l'homme en faisant davantage office de médiateur et en cherchant à négocier des alliances avec des pays du monde entier et pas seulement avec ses alliés traditionnels ».
Cette recommandation est d'autant plus fondée que le Canada a été le chef de file incontesté d'une mouvance favorable à la création d'un conseil, et cela à l'occasion de négociations délicates qui ont mené à l'adoption d'une résolution à l'Assemblée générale, résolution qui a porté la création du conseil en mars 2006, mais aussi lors des étapes très importantes de la mise sur pied de l'institution. Tout au long de ce processus, nous avons joué les médiateurs.
Je tiens à souligner que nous continuons de nous réjouir de l'excellent travail de nos fonctionnaires et diplomates, travail que nous considérons comme étant sans faille et guidé par nos idéaux de pays leader, respectueux des droits de la personne. Toutefois, nous craignons énormément que les choses n'aient commencé à déraper très sérieusement du côté du leadership, pas en ce qui concerne nos fonctionnaires, mais bien nos politiciens. Nous craignons qu'un certain nombre de décisions ou d'actions à grande incidence, prises par le Canada au cours des 18 derniers mois, dans le cadre du système onusien des droits de l'homme, n'aient considérablement sapé la réputation de notre pays et son rôle de chef de file, et que cela n'ait déjà commencé à porter gravement atteinte à notre capacité de jouer les médiateurs. Il a déjà été question de la déclaration des droits des peuples autochtones. Beaucoup d'observateurs, que ce soit des gouvernements ou des ONG, ont jugé troublante et décevante l'opposition incessante du Canada, jusqu'à la dernière minute — tant au conseil qu'à l'Assemblée générale — à un instrument des droits de la personne, par ailleurs cruellement attendu depuis si longtemps. J'ai peine à imaginer, dans l'histoire du Canada, pire dénouement que celui d'un tel épisode où nous avons effectivement cherché à saper une initiative onusienne si importante que celle-ci sur le plan de la protection des droits de la personne.
Et ça ne s'est pas arrêté là. En septembre de l'année dernière, le Canada a tenté de faire adopter, dans le mandat du rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, une disposition visant à exempter de l'application de la déclaration les pays qui auraient voté contre cet instrument. Ça aussi, c'est très troublant, parce que ça revient à soutenir que le droit international peut faire l'objet d'une application sélective fondée sur la façon dont on vote.
Et puis, il y a les craintes que soulève le rôle du Canada vis-à-vis de la peine de mort, comme vous le constaterez dans notre rapport. Je me dois aussi de signaler les inquiétudes que suscite le Canada quand il adopte des positions de plus en plus polarisées dans le délicat dossier israélo-palestinien. Ce sont-là deux grandes questions qui nous font penser que le Canada affiche désormais des positions beaucoup plus politisées qu'avant.
Tout cela vient entraver l'adoption d'une stratégie qui doit s'articuler autour de la médiation et du leadership, comme vous l'avez si bien souligné il y a un an. Or, à cause de décisions politiciennes, il devient de plus en plus difficile pour le Canada d'appliquer une telle stratégie.
Je vais m'arrêter là dans l'espoir que nous pourrons explorer davantage toute cette situation à la faveur de vos questions.
Le président : Merci. Nous sommes limités dans le temps et il se trouve que vous avez légèrement débordé de votre créneau, mais je pense que nous allons tout de même parvenir à demeurer dans les temps, et nous allons accorder le même traitement de faveur à M. Hubert.
[Français]
Jean-Paul Hubert, président intérimaire, Droits et démocratie : Madame la présidente, j'aimerais tout d'abord vous remercier de votre invitation. Sachez que je n'ai ni l'expérience de M. Neve ni l'argent ni la force de frappe d'Amnistie Internationale Canada. Je ne suis à mon poste que depuis deux mois, et je vais essayer d'oublier que j'ai été ambassadeur pendant 17 ans à défendre le Canada. Je dois me souvenir, pour les cinq prochaines minutes, que je représente Droits et démocratie, un organisme un peu particulier, créé par le Parlement. Je ne sais pas si vous connaissez l'ambassadeur Grinius, à Genève. Il dit que nous sommes soupçonnés d'être peut-être un GONGO, Government Non-Government Organization, puisque la totalité de notre budget vient du gouvernement.
Je devrai abréger ma présentation compte tenu du temps limité dont nous disposons.
[Traduction]
Cela étant, j'apporterai peut-être un peu de fraîcheur, sans trop tomber dans l'innocence. Nous sommes remplis d'optimisme face à cette nouvelle situation. Il est trop tôt pour dire si le résultat sera positif ou pas, mais les choses ne peuvent pas être pires que par le passé. Nous devons donner une chance à ce nouvel organisme. Ceux qui nous ont précédés ont précisé que le travail n'est pas terminé. Il faut donner une chance au Conseil. Il va falloir le suivre pendant un certain temps et, comme vous savez, les léopards ne perdent jamais leurs tâches. Nous le savons et nous savons qu'il n'est pas facile de faire changer la politique étrangère des pays. Nous allons nous heurter à des difficultés. C'est déjà le cas, mais cela ne doit pas nous empêcher d'être optimistes.
Je vais brièvement vous parler de ce qui doit être, selon Droits et démocratie, nos nouvelles priorités, après l'instauration de ce Conseil, et mon propos illustrera peut-être ce que j'estime être des occasions, des portes qui s'ouvrent à nous grâce à ce nouvel organisme. Allons-nous tous franchir ces portes? Le parcours qui nous attend sera-t- il porteur de résultats? Il est trop tôt pour le dire, mais il est certain que de nouvelles avenues se dessinent sous nos yeux. À Droits et démocratie, nous avons fixé nos priorités en partant de ce principe.
Nous tenons d'abord à ce que le nouveau conseil contribue à la mise en œuvre efficace des droits de la personne à l'échelon national et, par « échelon national », je ne veux pas désigner le Canada, mais l'échelon national des États membres de l'ONU. Le conseil n'est pas la panacée aux problèmes de droits de la personne, mais nous croyons qu'il peut être un catalyseur de changement dans la mesure où il peut permettre à des organisations comme la nôtre, qui disposent de peu de moyens, d'instaurer des liens entre Genève et les intervenants aux échelons national, de renforcer les liens entre les États, les institutions nationales de droits de la personne et les organismes de la société civile. C'est ce que notre organisation va essayer de faire grâce à ces portes qui s'ouvrent, à ces occasions qui se présentent.
Comme vous le savez, nous sommes présents dans un nombre limité de pays, ceux que nous qualifions de « prioritaires », et nous allons bien évidemment sauter sur l'occasion que présente l'EPU pour appuyer nos partenaires locaux afin qu'ils exploitent ces nouvelles possibilités et que l'on comble l'écart entre ce que prévoient les accords signés par les pays et ce que les pays font effectivement. Nous allons essayer de nous appuyer sur le conseil pour combler cet écart.
Notre deuxième priorité consistera à faire en sorte que les thèmes en matière de droits de la personne ne disparaissent pas avec la mise en œuvre de l'EPU. Nous examinerons bien sûr la situation générale des pays, sur le plan des droits de la personne, mais nous ne devrons pas oublier certains problèmes particuliers, comme la violence faite aux femmes et les questions autochtones. Il ne faudra pas perdre de vue ces grands enjeux et nous avons l'intention de continuer à nous y intéresser de près avec nos partenaires locaux, dans les pays prioritaires, pour que ces thèmes ne soient pas évacués, mais fassent partie des points à analyser lors de l'EPU concernant ces pays.
[Français]
Nous pensons que le nouveau processus que l'on nomme EPU en français est très important. Ce processus ouvre des espaces nouveaux pour les organisations non gouvernementales qui ne sont pas toutes aussi grandes et fortes que Human Rights Watch ou Amnistie Internationale. Pour des petites organisations dans plusieurs pays, cela ouvre des opportunités d'être présent et d'avoir de l'influence. Toutefois, ils ont peu de moyens et il faut que nous les aidions.
Nous entendons, entre autres, par ce bureau minuscule ouvert à Genève et qui est à l'essai pendant deux ans, permettre à ces petites organisations d'occuper l'espace que le nouveau processus ouvre pour eux.
[Traduction]
Ces organisations doivent intervenir là et quand il le faut. Elles doivent savoir comment le faire et nous pensons avoir la compétence nécessaire pour leur permettre d'exploiter au mieux les possibilités qu'offre le nouveau processus.
M. Lipsett, qui est le directeur adjoint de notre organisation depuis cinq ans — je vous rappelle que je ne suis là que depuis deux mois — voudra peut-être prendre deux ou trois minutes pour vous dire un mot au sujet d'aspects importants que j'ai pu négliger.
Lloyd Lipsett, directeur adjoint du président, Droits et démocratie : Je vais attendre les questions.
Le président : Merci, monsieur Hubert. Comme à l'habitude, vous avez déclaré avec beaucoup d'humilité, que vous ne connaissez pas bien le sujet, mais c'est là faire fi de votre réputation, parce que je connais votre compétence, compétence que vous venez de démontrer de belle manière. Je vous en félicite.
Le sénateur Dallaire : Je suis très heureux de vous voir, monsieur Neve. Merci de m'avoir appuyé à propos de mon livre J'ai serré la main du diable.
Avez-vous constaté ou détecté une réduction des ressources ou une diminution de la priorité que le ministère des Affaires étrangères accorde aux droits de la personne? Est-ce que des mesures palpables ont été prises par rapport à ce que vous faites et aux ressources que le ministère peut déployer à cet égard?
[Français]
Je tiens pour acquis, monsieur Hubert, que vous avez remplacé M. Roy?
M. Hubert : Oui.
Le sénateur Dallaire : Dans ce contexte, avez-vous un rôle de vérification du Canada dans votre mandat de faire évoluer les droits humains, dans ses politiques internationales et son activisme?
[Traduction]
M. Neve : Il est difficile de répondre à cette question. Je ne suis pas en mesure de savoir si les budgets ont été réduits ou pas.
J'ai cru détecter dans votre question un certain désir de savoir s'il y a effectivement eu une réduction et si nous craignons que tel soit le cas. Nous entretenons effectivement ce genre de crainte, mais davantage en ce qui concerne l'échelon politique que l'échelon administratif. Je ne suis pas en train de dire que nous n'entendons rien dire au sujet des droits de la personne. Nous avons eu vent de changements radicaux dans certaines situations. On a, par ailleurs, dans le cas de la Chine par exemple, assisté à l'adoption de nouvelles politiques. Nous estimons qu'il y a encore place à l'amélioration, mais il y a lieu d'être encouragé parce que nous voyons.
Cependant, ce n'est pas partout la même chose. Il y a des régions — l'Afrique en est une à laquelle mon organisation et moi-même pensons avec beaucoup d'émotion — où les choses ont vraiment dérapé à la faveur d'une sorte d'exercice, tout en noir et blanc, qui visait à régler les problèmes constatés sur le plan des droits de la personne.
Je ne peux pas vraiment vous dire comment tout cela se traduit sur le plan des ressources, mais nous partageons vos préoccupations à ce sujet.
[Français]
M. Hubert : J'aimerais céder la parole à M. Lipsett. Mais avant, je puis vous dire que notre petit budget a doublé depuis cinq ans.
Le sénateur Dallaire : D'ailleurs, M. Roy en était fier.
M. Hubert : Toutefois, je ne sais pas si on a enlevé à Jean pour donner à Pierre.
[Traduction]
M. Lipsett : Notre mandat consiste essentiellement à collaborer avec d'autres organisations à l'échelle internationale, dans les pays en développement, et cela dans les dossiers concernant les droits de la personne. Ici, au Canada, nous ne sommes pas vraiment des chiens de garde, puisque nous remplissons davantage un rôle d'éducation, de vulgarisation et de simulation du discours public.
Le sénateur Dallaire : Vous êtes investi de cette responsabilité?
M. Lipsett : Nous existons effectivement pour soulever des questions au Canada, mais je ne considère pas que nous sommes des chiens de garde pour autant.
Le sénateur Dallaire : Estimez-vous que le rôle de l'actuel commissaire aux droits de la personne devrait davantage s'internationaliser, un peu dans le sens de ce que vous faites, avec plus de responsabilités au sein du gouvernement, ou devrait-il demeurer tel qu'il est actuellement?
M. Hubert : Au fur et à mesure que le conseil va évoluer, son mandat s'internationalisera. Il restera toujours, cependant, une dimension nationale.
Permettez-moi de vous citer un extrait de la loi qui nous régit, en complément de ce que M. Lipsett vous a dit.
[Français]
Le centre a pour mission, en vertu de l'article 4.1 de la loi, d'amorcer, d'encourager, d'appuyer la coopération du Canada et les pays étrangers. Comme vous le constatez, notre mandat est d'abord axé vers l'extérieur.
[Traduction]
Le sénateur Jaffer : Ma première question s'adresse à M. Neve. Vous avez dit que le Canada a pris certaines positions donnant l'impression que nous nous polarisons. Parlons du point de vue du Conseil. Estimez-vous que cela nous amène à jouer un rôle moins prépondérant?
M. Neve : Tout à fait. Le Canada est de plus en plus isolé. Ce n'est pas facile. Par exemple, nous ne sommes pas en désaccord avec notre gouvernement sur les questions entourant le Proche-Orient et Israël. Nous ne sommes pas forcément en désaccord à propos des préoccupations qui sous-tendent les positions du Canada, par exemple en ce qui a trait à la controverse entourant la mise en place des institutions du Conseil, en juin dernier, et au fait qu'Israël ait été singularisée par l'inscription d'un point permanent à l'ordre du jour la concernant. Nous aussi avons estimé que cette décision était déplacée et nous nous en sommes inquiétés.
Ce qui nous a préoccupé, par ailleurs, c'est qu'il nous a semblé que le Canada s'était lancé dans la bataille sans s'appuyer sur une stratégie de « rattrapage », advenant que tout s'écroule, comme certains l'ont craint. Si les choses avaient mal tourné, la mise en place des institutions du conseil n'aurait pas été adoptée, le conseil se serait retrouvé sans cadre, sans règles et sans institutions pour fonctionner. Que ce serait-il alors passé? C'est cela qui nous inquiétait et qui en inquiétait d'autres aussi. Nous étions préoccupés par l'absence de stratégies de la part du Canada.
Le sénateur Jaffer : Je vous rejoins dans vos propos. Nous ne sommes pas en désaccord avec certaines des positions adoptées par le gouvernement. Là n'est pas la question, c'est quand notre rôle est affecté que nous pouvons faire des recommandations. Cela étant, que nous suggérez-vous de recommander et comment, selon vous, nous pourrions retrouver notre rôle de leader? Que pourrions-nous faire pour infléchir sur le cours des choses?
M. Neve : Tout cela est affaire de tactique, quand il s'agit d'Israël, d'équilibre qu'il faut réaliser entre le fait d'exprimer un point de vue bien senti et de ne pas empêcher la réalisation de progrès dans le sens des alliances et des opérations de médiation qui s'imposent. Je ne connais pas la formule et je pense que tout dépendra des résolutions et des problèmes du moment; ce sera du cas par cas.
On constate un durcissement des positions du Canada à cet égard, par exemple, vis-à-vis de la déclaration des droits des peuples autochtones. Et puis, il y a la controverse actuelle à cause de la position du Canada face à l'adoption possible d'un nouveau mécanisme de plaintes individuelles en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le PIDESC.
Il convient d'en revenir aux principes fondamentaux qui nous guident et de réitérer notre engagement ferme sur la scène internationale envers les principes de droits humains. Nous devons nous assurer de combler les écarts constatés en matière de droits de la personne et commencer à montrer qu'il importe de ne pas politiser le débat, ce qui, selon nous, ne s'est pas fait dans le cas de la convention sur le droit des peuples autochtones ni, dans une grande mesure, dans celui du PIDESC.
Le sénateur Jaffer : Nous espérons vous accueillir de nouveau fréquemment dans l'avenir, monsieur Hubert. Vous avez dit que les léopards ne perdent pas leurs tâches, mais j'ai l'impression que nous assistons à une petite révolution. J'aime votre optimisme. Vous êtes une bouffée d'air frais et vous affichez un certain optimisme à propos du nouveau Conseil. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce qui vous rend optimiste?
M. Hubert : Je suis un optimiste de nature.
Le sénateur Jaffer : C'est bien.
M. Hubert : Je ne sais pas combien de fois encore vous aurez l'occasion de me recevoir, parce qu'une fois que l'organisme que je représente aura retenu les services d'un véritable président, il ne me restera plus qu'à rentrer dans mes Cantons de l'Est pour rejoindre mon terrain de golf favori.
Je voudrais ajouter une chose à ce que vous venez de dire : nous sommes les boy-scouts du monde. Nous appartenons au Commonwealth, à l'OEA, à la Francophonie et à l'APEC. Nos maîtres politiques qui siègent à ces organisations peuvent, s'ils le désirent, avoir des contacts avec des représentants d'une bonne centaine de pays. Je n'ai pas fait le compte, mais je suis certain que les organismes que j'ai cités regroupent plus de la moitié des États membres des Nations Unies. Toutes ces organisations, certaines plus que d'autres d'ailleurs, s'occupent de droits humains.
Nous paraissons mal aux yeux du monde quand nous sommes le seul pays à voter d'une certaine façon, même si les citoyens canadiens peuvent être convaincus de leur fait. Ça paraît mal. À cause de cela, certains craignent qu'on perde des amis dont on a pourtant besoin. Pour faire plaisir à un, on déplait à 20 autres. Ce n'est pas ainsi qu'il faut s'y prendre.
Personnellement, je ne pense pas que le fait, pour le Canada, de voter seul soit nécessairement une mauvaise chose pour nous. Nous ne sommes pas des hypocrites. Nous tenons bon. Je m'exprime presque comme un ambassadeur. Nous devons recourir aux fraternités et sororités — il faut que je veille à ne pas tomber dans le sexisme, parce que je représente Droits et Démocratie après tout.
Le sénateur Jaffer : Vous venez juste de parler de « boy-scouts ».
M. Hubert : Nous devons passer par les organisations régionales auxquelles nous appartenons. Nous devons nous poser en leaders de ces organisations. Nous devons convaincre ceux à côté de qui nous sommes assis de la valeur de nos positions, nous devons chercher à gagner leur appui et les amener à voter, à penser et à agir comme nous le souhaitons. Encore une fois, je suis optimiste.
M. Lipsett : Il a aussi, je crois, beaucoup été question du mécanisme d'EPU et de la façon dont celui-ci pourrait changer la dynamique, parce qu'il pourrait stimuler les débats à l'échelon national quand les pays se prépareront à cet examen, de même qu'à l'étape du suivi, parce qu'un échéancier, assorti d'objectifs clairs en matière de coopération internationale, leur aura été fixé. Puis, au niveau des organes multinationaux, nous pourrons aller au-delà de ces instantanés de pays. Nous espérons que, grâce à des processus de dynamisation internes, les pays examinés opteront pour de meilleurs programmes et pour une culture des droits de la personne.
Le sénateur Munson : Le sénateur Dallaire et moi allons sauver la nation.
Le président : J'allais faire une mise au point politique, mais je m'en abstiendrai dans l'intérêt des droits humains.
Le sénateur Munson : Nous n'avons pas honte de prendre position pour Israël ou au nom des droits de la personne en Chine. Nous avons mentionné la nécessité de jouer les médiateurs dans notre rapport, vous aussi vous en avez parlé et il a été question d'essayer de prendre langue avec nos voisins. Je sais ce qui s'est produit en coulisses à Durban et je comprends la situation.
Cependant, comment pouvons-nous jouer les médiateurs quand nous nous retirons carrément d'une conférence? Je sais que d'autres pays avaient des idées préconçues à cette conférence, mais, d'un côté, nous parlons de jouer les médiateurs et, de l'autre, nous nous retirons en disant « Désolés, nous ne pouvons pas vous suivre, parce que vous avez un préjugé ». Pourquoi, à la place, ne dirait-on pas quelque chose du genre : « Nous sommes ici parce que le Canada considère qu'il a toujours été investi d'un rôle de médiateur »? Selon moi, ce retrait joue contre nous. Je connais tous les autres arguments émis par le gouvernement libéral précédent et par l'actuel gouvernement conservateur.
M. Neve : Il ne fait aucun doute que le processus de Durban n'a rien de reluisant, qu'il est controversé et délicat. Nous avons exprimé nos préoccupations au sujet de la phase I de Durban et nous ne comprenons pas parfaitement tous les problèmes sous-jacents qui ont conduit à ce qui s'est passé ensuite.
La dernière fois, en 2001, le Canada avait subi d'énormes pressions jusqu'à la toute fin de la Conférence de Durban pour qu'il se retire à cause de ce qui se déroulait en toile de fond. Nous avions félicité le Canada d'être resté, d'avoir retroussé les manches et d'avoir essayé, jusqu'à la toute fin, de sauver ce qui pouvait l'être, de jeter des ponts et d'améliorer le produit final. Dans leur déclaration, nos représentants ont clairement précisé quels avaient été les problèmes et ont expliqué qu'ils s'étaient dissociés des aspects de la déclaration de clôture, et ainsi de suite. Nous estimons que c'est ce qu'il fallait faire.
Nous n'avons pas, à ce stade, catégoriquement critiqué la décision prise par le Canada, mais nous avons exprimé notre déception, parce que nous jugeons regrettable la prise d'une telle décision, surtout à un stade aussi précoce.
M. Hubert : Je ne pense pas avoir grand-chose à dire à ce sujet. Quant à moi, cela demeure une décision politique. J'ai bien sûr un avis personnel à ce sujet, mais comme je représente Droits et démocratie et que cette organisation est ce qu'elle est, nous ne dénonçons pas cette prise de position. Je comprends votre point de vue, parce que le fait de demeurer sur place et de se battre au nom de ses idéaux pourrait être préférable à un simple retrait.
De toute évidence, nos maîtres politiques ont estimé qu'il faudrait, cette fois-ci, exprimer son mécontentement d'une autre façon. On peut être d'accord ou pas, mais je ne pense pas que Droits et démocratie puisse avoir une position à ce sujet.
Le sénateur Munson : Il m'arrive parfois, en comité, de ne pas savoir à qui nous nous adressons. Je sais que nous vous parlons à vous, et que nous nous adressons aussi à ceux qui lisent nos rapports. Dans notre dernier rapport, nous avions recommandé de nommer un ambassadeur canadien pour les questions de droits de la personne.
En réaction à nos rapports, et ce n'était pas différent avec les gouvernements précédents, on nous donne une réponse toute faite. C'est toujours pareil, que ce soit au comité sur les médias, auquel j'ai siégé, ou au comité des affaires sociales, on nous dit : « Votre point de vue est excellent, merci beaucoup, mais voici la tablette où vous pouvez déposer votre rapport ».
Vous avez apparemment tous deux avalisé cette idée de nommer un ambassadeur canadien. Pensez-vous que nous devrions insister dans ce sens pour qu'un gouvernement nous écoute et assume un rôle de médiateur?
M. Neve : J'estime que c'est une idée à la fois très intrigante et emballante. Un poste de ce genre permettrait peut- être de faire la différence à bien des égards au sein du gouvernement — sur la scène internationale — parce qu'il rehausserait le profit du Canada et l'efficacité des efforts qu'il déploie au chapitre des droits de la personne. Je vous encourage à continuer d'insister.
M. Hubert : Me permettez-vous d'être aussi franc à ce sujet que je l'ai été sur le reste? Encore une fois, je ne suis pas objectif, mais je crois que cela risquerait d'atténuer le rôle de notre ambassadeur à Genève. Il est déjà là-bas et il est en contact avec tous les acteurs, durant toute l'année. Il est auprès de la Commission des Nations Unies. Je ne vois pas en quoi le fait de nommer un homme ou une femme qui assumerait essentiellement les mêmes fonctions... Cette personne serait-elle également postée à Genève?
Le sénateur Munson : Non, je pense qu'elle serait itinérante, comme cela se fait déjà.
M. Hubert : Après tout, nous avons bien eu un ambassadeur itinérant à l'environnement et je ne peux pas dire que ce soit une mauvaise idée. J'ai vu comment le gouvernement a réagi. C'est une autre façon de voir les choses et cela a déjà été fait. Il y a des précédents que vous pourriez certainement invoquer.
Le président : Le sénateur Oliver pour une question très brève, parce que nous manquons de temps.
Le sénateur Oliver : Eh bien, je ne vais même pas la poser, alors. Vous avez dit la même chose la dernière fois.
Si nous manquons de temps, ça va.
Le président : Nous avons cependant du temps pour une brève question. Je vous en prie.
Le sénateur Oliver : J'ai été heureux d'entendre le sénateur Munson nous déclarer, en préambule à sa dernière question, que le nouveau gouvernement du Canada avait pris des positions fermes sur les questions de droits de la personne en Chine et dans d'autres pays. Il est évident que le gouvernement a beaucoup fait pour promouvoir la règle de droit dans les pays avec lesquels il veut traiter. Le gouvernement se soucie beaucoup d'égalité des droits.
Il est donc trompeur de laisser entendre que le gouvernement semble vouloir tourner le dos aux principes et aux mesures de défense de droits de la personne. Je voulais profiter de cette occasion afin de préciser cela pour mémoire.
Monsieur Neve, vous avez dit souhaiter que le processus d'EPU demeure objectif. Pouvez-vous me dire si les règles et les règlements sont maintenant en place afin d'assurer le genre d'objectivité que vous souhaitez, le genre de processus qui échappe au jeu politique.
M. Neve : Il existe un grand risque que ce processus ne soit pas objectif. Il est vrai que les principes directeurs sont censés correspondre aux normes internationales en matière de droits humains. Si les gouvernements font vraiment leur travail, en toute bonne foi et respectent les critères qu'ils sont censés appliquer, il n'y a alors pas lieu de craindre pour l'objectivité.
Nous savons toutefois que, malgré des normes en matière de droits de la personne qui remontent à des décennies, la Commission des droits de l'homme de l'ONU a toujours permis que la politique vienne fausser la donne des droits humains. Tout cela sera finalement une question de volonté politique. Ça nous ramènera à l'importance de certaines choses comme la médiation, le leadership et la politique des petits pas.
Je suis certain que, d'ici la fin de l'année, après les trois premiers EPU, nous aurons connu des échecs et des réussites. L'issu dépendra en partie des trois pays qui auront été membres de la troïka pour ces examens particuliers, du sérieux qu'ils auront mis à la tâche et de bien d'autres facteurs que nous ne pouvons sans doute même pas envisager à l'heure actuelle.
M. Hubert : Une fois que les membres de la troïka auront été choisis, le pays examiné aura droit à un refus. Supposons que les pays A, B et C soient choisis pour faire partie de la troïka. Le pays examiné pourra toujours dire que je ne veux pas de B, par exemple. D'un autre côté, les pays A, B ou C pourront aussi déclarer « Je ne veux pas examiner X ». Cette formule va-t-elle nous aider? Je n'en sais rien.
La présidente : C'est un peu comme avec le choix des jurés. Merci beaucoup, monsieur Neve, monsieur Hubert et monsieur Lipsett de vous être déplacés. Comme je l'ai dit tout à l'heure, j'espère que nous allons pouvoir poursuivre ce dialogue. Nous vous remercions pour l'attention que vos organisations accordent aux questions de droits de la personne, mais surtout pour votre engagement personnel envers cette cause.
Je dois rappeler qu'à l'origine de la Commission des droits de l'homme, il est souvent arrivé au Canada de devoir faire cavalier seul jusqu'à ce que, peu à peu, il parvienne à créer des coalitions. Tandis que nous essayons de créer de telles coalitions autour de nos positions sur les droits de la personne, je crois que nous cherchons de nouvelles façons de procéder et je vous invite à réfléchir à cela. Voilà, selon moi, où réside la promesse du Conseil des droits de l'homme. Il est possible que, grâce à ce comité et à vos efforts, vous pourrez nous indiquer de nouvelles manières de travailler dans le sens de l'instauration d'un consensus dans le dossier des droits humains.
Nous ne devrions pas juger en regardant dans le rétroviseur de l'histoire. En revanche, nous devrions apprendre de l'histoire, mais en trouvant de nouvelles façons d'agir. Je pense que vous êtes bien placé pour nous apporter régulièrement ce genre de conseils. Merci de vous être déplacés ce soir.
La séance est levée.