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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 3 - Témoignages du 25 février 2008


OTTAWA, le lundi 25 février 2008

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 18 h 59, afin de surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et d'examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je constate que nous avons le quorum. Nous sommes réunis aujourd'hui afin de surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et d'examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne. Plus particulièrement, nous avons entrepris une étude au sujet du nouveau Conseil des droits de l'homme. En mai dernier, si je me souviens bien, nous avons déposé un rapport comportant les conclusions préliminaires sur le fonctionnement du Conseil des droits de l'homme et des suggestions au sujet du rôle du Canada au sein du Conseil des droits de l'homme et de certaines questions sur lesquelles le Conseil des droits de l'homme doit, à notre avis, se pencher.

Ce soir, nous avons le plaisir de recevoir, par vidéoconférence, Paula Schriefer, directrice de la défense des droits pour Freedom House.

Paula Schriefer, directrice, Défense des droits, Freedom House : Merci de m'avoir invitée à témoigner devant vous pour discuter de ce sujet important. Eleanor Roosevelt n'a pas seulement été la première présidente de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies et présidé à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l'homme, elle a également contribué à la fondation de Freedom House. Je me joins donc à cette discussion en croyant fermement que les différentes institutions des Nations Unies peuvent et devraient s'engager à faire la promotion d'un plus grand respect de la dignité individuelle, dans le cadre des principes essentiels et fondamentaux exprimés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Malheureusement, je dois dire que j'ai été très déçue de voir que notre propre gouvernement, aux États-Unis, n'a pas posé sa candidature pour être membre du conseil au cours de ses deux premières années; nous tenons à exprimer notre appréciation à l'égard du travail extraordinaire réalisé par le gouvernement canadien, dans le cadre de ses fonctions de membre du conseil, pour tenter de répondre aux normes les plus strictes de son mandat.

J'ai récemment lu l'excellent rapport préparé par le comité en mai dernier, dont vous venez de parler. Je suis peinée de dire que nous avons trouvé le rapport extrêmement exact — ce qui est extrêmement décourageant du point de vue du fonctionnement du conseil — mais également que presque rien ne s'est amélioré au cours des neuf mois ayant suivi sa publication.

Manifestement, l'un des problèmes réside dans la composition du conseil. S'il est vrai que la composition du conseil représente une légère amélioration par rapport à celle de la commission dissoute, elle ne répond pas aux attentes que l'on pourrait avoir face au seul mécanisme mondial de promotion et de protection des droits de la personne. En fait, seuls 23 des 47 membres sont des pays que Freedom House considère comme étant libres, en vertu de notre enquête sur les droits politiques et les libertés civiles. Une dizaine de ces pays, c'est-à-dire 21 p. 100, sont en fait considérés comme n'étant pas libres, et trois de ces pays — la Chine, Cuba et l'Arabie saoudite, sont en fait classés parmi les pays que nous désignons comme étant les pires régimes à l'échelle mondiale du point de vue des libertés et des droits fondamentaux de la personne.

De plus, ce qui est pire encore que le fait que les pays qui violent les droits de la personne siègent au conseil, c'est que les pays démocratiques ayant des antécédents raisonnables de protection des droits de la personne au sein de leurs frontières n'ont pas voté en groupe pour voir à ce que le conseil fasse ce qu'il est censé faire, c'est-à-dire protéger les citoyens les plus vulnérables du monde qui sont soumis à des violations monumentales des droits de la personne.

Quels ont été les réalisations du conseil depuis sa création? En un mot, le conseil n'a pratiquement rien fait, si ce n'est que de censurer Israël à répétition en ignorant pratiquement toutes les autres violations des droits de la personne qui se produisent à l'échelle mondiale aujourd'hui. Quatorze des 15 résolutions portant sur un seul pays émises par le conseil depuis 2006 visaient Israël. Quatre des six séances spéciales ayant été tenues visaient à discuter d'Israël. Le conseil a même adopté une résolution afin que la question d'Israël figure à l'ordre du jour de façon permanente et soit abordée à chaque séance du conseil.

En revanche, malheureusement, le conseil a négligé de s'attaquer de façon adéquate aux atrocités ayant lieu au Darfour. S'il est vrai qu'une séance spéciale a finalement été planifiée l'an dernier pour discuter de la situation et qu'une équipe a été envoyée là-bas pour enquêter, le rapport publié à la suite de cette visite a fini par être mis de côté. En décembre, un groupe d'experts chargés de surveiller les violations au Darfour a été aboli discrètement à la suite des demandes de pays africains visant à diminuer les pressions politiques exercées sur le Soudan. J'ai honte de le dire, mais les démocraties qui font partie du conseil ne se sont pas opposées vigoureusement à cette mesure.

L'an dernier, un point positif nous a rappelé que le conseil a toujours la capacité, dans une certaine mesure, d'agir conformément à sa mission. À l'automne, lorsque les manifestations ont commencé au Myanmar avant d'être violemment dispersées par la junte dirigeante du pays, le conseil a convoqué une séance spéciale, un envoyé spécial a été dépêché pour surveiller la situation et une résolution a été adoptée afin de déplorer les répressions violentes des manifestations et d'inciter le gouvernement du Myanmar à cesser d'interdire les activités politiques pacifiques. Le conseil a prouvé, mais à cette occasion seulement, qu'il est en mesure d'agir rapidement.

Néanmoins, les membres du conseil ont également cherché à éliminer les éléments les plus efficaces de la commission — qui est maintenant devenue le conseil — c'est-à-dire le système de rapporteurs spéciaux ou de procédures spéciales visant à enquêter sur les violations des droits de la personne dans des pays ou sur des sujets particuliers. Au bout du compte, un compromis a fini par être établi l'an dernier afin de conserver tous les rapporteurs spéciaux sauf deux, soit ceux assignés à Cuba et au Bélarus.

Toutefois, étant donné que seuls quatre des 12 rapporteurs spéciaux envoyés dans des pays précis surveillaient ce que nous considérions comme étant les pires pays du monde pour ce qui est des violations des droits de la personne, l'élimination de ces deux rapporteurs représente une perte terrible pour le fonctionnement du conseil.

De même, alors que les procédures spéciales ont déjà été affaiblies, il se pourrait qu'une nouvelle catastrophe se prépare lors de la création prochaine du mécanisme d'examen périodique universel. Plus précisément, l'EPU risque de devenir un processus futile dans le cadre duquel les violations des droits de la personne seront passées sous silence au cours des conversations trop amicales entre les États.

Un certain nombre d'éléments qui auraient pu contribuer à renforcer l'EPU, les éléments que le gouvernement canadien a appuyés, ont été honteusement affaiblis avant son adoption finale par le conseil, ce qui s'est traduit par une procédure qui met l'accent sur les consensus intergouvernementaux et l'inclusivité plutôt que sur les normes rigoureuses et la spécificité. Pour l'essentiel, le risque réside dans le fait que le processus d'examen dominé par les États sera utilisé par les pays qui violent les droits de la personne pour contredire, rejeter ou affaiblir les examens plus rigoureux et plus sérieux résultant de procédures spéciales ou des processus d'examen des organismes créés par traités.

Manifestement, il est temps pour nous de cesser de mesurer la réussite du Conseil des droits de l'homme en ne tenant compte que du nombre de fois où le pire scénario a été évité grâce à un compromis faible. Comment cela peut-il se passer? Plus généralement, Freedom House a saisi toutes les possibilités de critiquer le gouvernement américain sur ce qui semble être une politique qui consiste à ne rien faire, à attendre que le conseil échoue en espérant que la communauté internationale inventa quelque chose de mieux lorsque le mandat actuel du conseil prendra fin, dans quelques années. Si seulement les habitants du Darfour, du Myanmar, du Tchad, de la Somalie, de la Corée du Nord et de nombreux autres pays pouvaient simplement cesser d'être opprimés par une brutalité innommable pendant cette longue période, il pouvait s'agir d'un plan ingénieux, voire manifestement lâche. Toutefois, nous savons que ce n'est pas à eux que revient ce choix, de sorte que nous devons renforcer notre message, selon lequel une diplomatie vigoureuse et des politiques intelligentes, plutôt que le retrait, sont les seules approches qui peuvent influer sur un organisme naturellement politique tel que le conseil.

Heureusement, le gouvernement canadien ne semble pas avoir besoin de ce type de pression. Nous avons examiné l'historique de son vote, et nous avons appuyé ses positions à répétition au cours des deux dernières années, tant du point de vue des résolutions proposées que des efforts déployés afin de conserver les mécanismes de protection les plus solides du conseil. Toutefois, on voit facilement que l'absence des États-Unis au sein du conseil a fait en sorte que les pays comme le Canada sont isolés par rapport aux membres du conseil qui préfèrent dissimuler leurs propres violations et qui l'ont fait de façon si efficace.

Ce type de battage politique au nom de ceux qui commettent des violations doit être accompagné d'un battage politique aussi efficace au nom des démocraties. Nous exhortons le gouvernement canadien à déployer des efforts diplomatiques encore plus importants afin de travailler en coulisse, à la fois à Genève et dans les capitales des gouvernements alliés qui sont également membres de l'Organisation de la Conférence islamique, du groupe de l'Afrique et du Mouvement des pays non alignés, afin d'établir des partenariats et des alliances qui peuvent faire échouer le système actuel de vote en bloc qui handicape le conseil. Nous croyons que le Canada dispose de l'expertise diplomatique et de la légitimité nécessaires pour convaincre ces pays de voter dans le meilleur intérêt des droits de la personne tout en continuant à occuper le haut du pavé lors des votes. De telles alliances seront essentielles pendant la première séance de l'examen périodique universel, en avril. Plus précisément, le Canada et ses alliés doivent être prêts à participer activement à la première séance de l'EPU, à préparer des motions à l'avance et à les déposer rapidement, aussitôt que l'occasion survient pendant les séances plénières. Sinon, il est fort possible que la protection internationale des droits de la personne soit retardée de plusieurs décennies.

En outre, les élections qui auront lieu en mai pourraient bien donner lieu à un conseil encore moins soucieux des droits de la personne qu'à l'heure actuelle, si le Canada et les autres démocraties n'incitent pas les pays qui ont de bons antécédents dans ce domaine à tenter d'obtenir des sièges. Dix des 15 pays qui quitteront le conseil cette année sont des démocraties considérées comme libres par Freedom House, tandis qu'un seul pays qui quittera cette année est considéré comme n'étant pas libre, selon notre classification. S'il est vrai que la liste non officielle des pays qui tenteront d'obtenir un siège est encourageante pour l'instant, nous ne pouvons pas nous permettre de nous asseoir sur nos lauriers.

Je m'interromprai ici. Je veux remercier encore une fois le comité de m'avoir permis de participer à cette séance et je serai heureuse de répondre à toutes vos questions.

Le sénateur Munson : Merci d'être avec nous ce soir. Vous avez parlé de votre gouvernement. Voyez-vous poindre à l'horizon une nouvelle initiative qui pourrait être entreprise peu importe le parti qui l'emportera à l'automne, que ce soit M. McCain, M. Obama ou Mme Clinton?

Mme Schriefer : Manifestement, il n'y aura pas de changement de position au sujet du Conseil des droits de l'homme sous l'administration actuelle, de sorte que la nouvelle administration devra entreprendre des changements de politiques.

Je connais assez bien le sénateur McCain. Il agit de façon très active dans la promotion de la démocratie et des droits de la personne. En fait, il a présidé un comité de supervision que nous avons contribué à créer pour surveiller une presse à imprimer indépendante au Kirghizistan, figurez-vous. Il a présidé le conseil de l'International Republican Institute, qui fait la promotion de la démocratie, de sorte que même si nous avons une nouvelle administration républicaine, il s'agira d'une administration plus amicale. Je ne veux pas dire qu'il y aura nécessairement une refonte complète des politiques au sujet des Nations Unies, mais les possibilités seront certainement meilleures.

Pour ce qui est des démocrates, c'est dur à dire. Des représentants du bureau de la sénatrice Clinton ont communiqué avec Freedom House à plusieurs reprises pour discuter de projets de loi qu'ils envisageaient d'appuyer. Tout comme M. Obama, elle dispose de conseillers stratégiques étrangers talentueux dans son équipe pour ce qui est de la démocratie et des droits de la personne, mais pour l'instant, on ne sait pas exactement ce que sera sa politique au sujet du conseil.

Le sénateur Munson : Le Canada a récemment retiré son appui à la conférence de suivi de Durban. Êtes-vous d'accord avec la position du Canada à cet égard? Le retrait de cette conférence est-t-il la bonne voie à emprunter?

Mme Schriefer : Plus tôt aujourd'hui, mes collègues et moi avons débattu de cette question avec d'autres organisations américaines des droits de la personne. Certains pensent que le retrait était probablement inévitable étant donné la façon dont la conférence précédente à Durban s'était déroulée et avait été dirigée, mais qu'il aurait été plus utile d'attendre un peu plus longtemps pour tenter de bien comprendre la conférence.

Toutefois, se retirer tôt était probablement la meilleure idée. Les pays qui ont réellement cette question à cœur doivent démontrer que ce type de processus est très peu légitime.

Le sénateur Munson : Quel chemin les pays qui pensent la même chose devraient-ils emprunter lorsque survient ce type de questions? C'est très sérieux.

Mme Schriefer : C'est une question très sérieuse. On a parlé de ces questions lors de la première conférence de Durban, et j'incite les pays qui se soucient des questions très sérieuses liées au racisme, à l'antisémitisme, à la xénophobie et à d'autres problèmes semblables de se retirer et d'indiquer que cette conférence n'est pas un forum crédible.

Le sénateur Munson : Vous n'avez pas eu le temps de parler des pays que vous avez énumérés — Cuba, la Corée du Nord, l'Ouzbékistan, le Zimbabwe et l'Iran — et de leur violation des droits de la personne. Quelles pressions Freedom House, un comité sénatorial canadien et d'autres groupes peuvent-ils réellement exercer sur de tels régimes pour provoquer des changements? Nous parlons beaucoup, mais comment pouvons-nous faire pression?

Mme Schriefer : Il y a manifestement différentes façons d'aborder la question. Chaque pays a des relations bilatérales avec d'autres pays, et certains pays ont plus de points de pression que d'autres. Par exemple, il est intéressant de voir qu'en Ouzbékistan, les États-Unis ont suivi les conseils de la communauté des droits de la personne et ont insisté pour qu'une enquête indépendante au sujet des droits de la personne soit tenue au sujet d'Andijan. En raison de leur intransigeance, les États-Unis ont perdu beaucoup d'influence dans ce pays, même s'ils semblent actuellement tentés de rétablir des relations. Il est évident que chaque pays doit évaluer ce que pourraient être les points de pression des pays avec lesquels ils entretiennent des relations bilatérales, mais en réalité, ils n'ont souvent pas la capacité d'agir individuellement; c'est pourquoi, en dépit de toutes ces lacunes, un organisme multilatéral comme les Nations Unies se doit d'agir de concert avec les autres pays. Nous ne pouvons pas dire du conseil qu'il comporte des lacunes ou que sa situation est désespérée. En fait, compte tenu de la composition du conseil et de la majorité des démocraties qui détiennent des sièges, je ne vois pas pourquoi il ne fonctionnerait pas mieux, si ce n'est du fait que nous n'avons pas été suffisamment adroits en travaillant en groupe avec les autres démocraties pour faire avancer les bonnes questions.

Le sénateur Jaffer : Merci de votre exposé. C'était très utile. J'ai une question qui fait suite à ce que le sénateur Munson disait.

Tous s'entendent pour dire que la conférence de Durban a causé de la destruction. Elle n'a pas fait avancer la question du racisme; en fait, elle l'a fait reculer et a divisé les groupes qui travaillaient ensemble. Personne ne souhaite revoir un tel processus.

Ce qui me préoccupe, c'est ce qui se passera si nous nous retirons. Je suis certaine que Freedom House y a pensé. Ce qui m'inquiète toujours, c'est que si on se retire d'un processus, on laisse les gens derrière. Ensuite, il n'y a plus de systèmes de freins et contrepoids. On ne siège pas autour d'une table pour faire entendre sa propre voix. Y a-t-il deux groupes de dialogue, alors? Est-ce que cela sera utile? J'aimerais savoir ce qui devrait se produire, selon Freedom House.

Mme Schriefer : C'est une question difficile. Nous nous sommes demandé s'il fallait continuer à pousser notre gouvernement et d'autres gouvernements à demeurer engagés dans le conseil. À quel moment devons-nous simplement commencer à dire que ça ne vaut pas la peine, qu'un organisme n'est plus légitime et qu'il vaudrait mieux favoriser un boycott complet?

Comme vous l'avez dit, quelle serait alors l'autre possibilité? Que faisons-nous? C'est particulièrement vrai lorsque les défenseurs des droits de la personne et les victimes sont dans les pays qui ne participent à aucun autre mécanisme; ces personnes n'ont alors nulle part où se tourner pour que leurs problèmes soient entendus. Cela nous ramène à la conclusion selon laquelle il n'y a pas de solution viable, du moins pour l'instant. Le conseil est le seul mécanisme mondial qui permet de s'attaquer aux problèmes auxquels font face de nombreux êtres humains partout dans le monde. Par conséquent, même s'il ne fonctionne pas tellement bien, nous ne pensons pas pouvoir dire bientôt que ça n'en vaut pas la peine.

Cela dit, par contre, il survient un moment où un organisme a complètement perdu toute légitimité; je veux souligner que dans le passé, si on retourne jeter un coup d'œil sur l'histoire de l'UNESCO, par exemple, à une certaine époque, Freedom House favorisait un boycott et a demandé à notre gouvernement de ne plus en faire partie, puisque l'organisation cherchait à faire avancer les questions de presse nationale qui auraient à toute fin pratique éliminer l'idée de liberté d'expression et de liberté de presse. À cette époque, nous considérions qu'il ne valait plus la peine de faire partie de cet organisme.

Nous n'en sommes pas encore là avec le Conseil des droits de l'homme, mais je pense que la conférence de Durban a donné lieu à une certaine illégitimité, de sorte qu'il ne vaut pas la peine d'y travailler. Je ne sais pas ce que serait la meilleure solution pour faire avancer ces questions importantes.

Bien entendu, il y a différentes conventions et le traité qui a été établi précisément pour se pencher sur cette question. Peut-être ce mécanisme est-il plus logique.

Le sénateur Jaffer : Votre pays est l'une des plus grandes démocraties, et lorsqu'un pays comme le vôtre ne participe pas au Conseil des droits de l'homme, il y a des conséquences; vous l'avez déjà exprimé clairement, et je ne le répèterai pas. Avez-vous des suggestions au sujet du rôle que le Canada devrait jouer pour encourager votre gouvernement à participer davantage?

Mme Schriefer : Il ne s'agit pas seulement de l'administration. Notre Congrès en général n'appuie pas suffisamment le Conseil des droits de l'homme. Il y a eu de nombreuses audiences comme celle-ci. Il y a un bon nombre de sceptiques, et je pense qu'il est extrêmement utile que les autres gouvernements se lèvent et disent : « Écoutez, vous n'êtes pas là, et votre absence nuit à la capacité du conseil de fonctionner. » Je pense qu'ils doivent l'entendre, pas seulement de la part des ONG, mais également de la part de nos alliés. Les membres de notre Congrès, et en particulier l'administration, ont réellement l'impression que leur participation au conseil ne serait pas utile pour l'instant, et il est important que le Canada et les autres pays leur disent le contraire.

La présidente : Lorsque le nouveau Conseil des droits de l'homme a été créé, j'ai entendu dire qu'une bonne façon d'éclaircir les choses serait de convaincre les États-Unis de se retirer afin que le conseil ne se concentre pas uniquement sur Cuba et Israël; une alliance formée d'autres pays devait prendre l'initiative en raison du petit nombre de pays. Nous dites-vous qu'on n'aurait pas dû faire cela?

Mme Schriefer : Selon nous, et c'est également ce que j'ai entendu de la part des autres gouvernements, l'absence des États-Unis a nui à la capacité du conseil de fonctionner. Permettez-moi d'être franche; c'est peut-être simplement parce que les États-Unis constituent un bon bouc-émissaire pour bon nombre de ces pays négatifs, tandis que maintenant, c'est le Canada qui doit essuyer les coups. Honnêtement, il est plus facile pour les États-Unis d'accepter ces abus. « Bâtisseurs de ponts » était, je pense, le terme utilisé par le comité, et c'est un très bon terme. Les bâtisseurs de ponts comme le Canada, la Norvège et d'autres pays peuvent abattre du travail important en coulisse. Je ne veux pas dire que le Canada doit selon moi prendre des décisions différentes au sujet des résolutions. Le Canada a absolument pris de bonnes décisions lors des votes et doit continuer de la faire; mais si les États-Unis étaient présents, il serait plus facile pour eux d'encaisser une partie des coûts de certains des pays qui ruent dans les brancards.

Le sénateur Jaffer : Vous avez mentionné une question que j'ai de la difficulté à comprendre; pendant de nombreuses années, j'étais l'envoyé du Canada au Darfour, et cette question me tient à cœur. Selon vous, pourquoi le conseil a-t-il réussir à agir au Myanmar? Le Myanmar n'avait-il pas les moyens de l'appuyer? Il y a quelque chose qui a bien fonctionné au Myanmar mais qui ne fonctionne pas au Darfour. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Mme Schriefer : Je n'ai pas analysé chaque vote des pays qui ont contribué aux mesures prises au Myanmar. Cela pourrait être utile. Je dois souligner que nous n'avons pas de bureau permanent à Genève, de sorte que nous ne savons pas ce qui se passe en coulisse autant que votre propre mission là-bas. Je soupçonne qu'une grande partie des difficultés liées à la résolution du conflit au Darfour, par exemple, provenait du groupe des pays africains, que ce soit pour le meilleur ou pour le pire.

Je suis parfois étonnée parce que bon nombre de pays du groupe africain auraient intérêt à ce que des mesures radicales soient prises là-bas. Le leader algérien dirigeait le groupe des pays africains de façon très solide et agressive, et je soupçonne, sans me fonder sur des faits ni des recherches, que dans le cas du Myanmar, on ne faisait pas face à une telle opposition.

Je me demande également si les prochains Jeux olympiques en Chine et l'attention accrue portée à la Chine, et en particulier le rôle du pays qui appuie des pays comme le Myanmar et le Soudan, auraient pu affaiblir l'opposition de la Chine à la résolution prise au sujet du Myanmar.

Le sénateur Poy : Pouvez-vous préciser ce que fait Freedom House et comment l'organisation fonctionne avec le conseil, le cas échéant?

Mme Schriefer : Selon les normes américaines, Freedom House est une vieille organisation. Elle a été créée en 1941 par Eleanor Roosevelt et un groupe bipartisan d'individus qui croyaient que les Américains et quiconque vit en liberté ont l'obligation morale d'aider ceux dont la liberté est mise en danger d'une façon ou d'une autre partout dans le monde. Au cours de nos 60 années d'existence, c'est demeuré notre mission et notre objectif.

Je dirais que nous sommes uniques parmi les organisations de défense des droits de la personne, puisque nous conservons férocement un conseil bipartisan. Il est composé d'individus assez conservateurs de même que de personnes plutôt libérales, et tous sont unis, plutôt simplement, par leur croyance commune selon laquelle la liberté est importante.

Quant à nos activités, nous sommes d'abord et avant tout une organisation qui s'occupe de la défense des droits. L'organisation a été fondée pour exercer des pressions sur les États-Unis afin que leur politique étrangère inclue le plus possible la promotion de la liberté et de la démocratie. Nous sommes aussi en quelque sorte un centre d'analyse. Nous avons une division entière qui se consacre à la recherche et à la publication de divers documents d'analyse et de recherche qui examinent la conjoncture en matière de liberté. Ces publications visaient à nous servir d'outils pour mieux remplir notre rôle de défenseur.

Notre organisation travaille sur le terrain dans certains pays pour aider les militants et les défenseurs des droits de la personne en leur offrant un appui direct. Dans certains cas, nous devons nous borner à un appui moral mais dans d'autres cas, nous pouvons faire davantage.

Quant à notre travail avec le conseil, je dirais que notre tâche la plus importante est d'inclure dans la délégation que nous dépêchons à Genève des militants et des défenseurs de diverses parties du monde qui, autrement, n'auraient pas accès au Conseil des droits de l'homme. Ainsi, cette délégation rencontre les représentants et les rapporteurs spéciaux, participe aux plénières et les observe et essaie d'utiliser le seul mécanisme qui existe à l'échelle mondiale pour la protection des droits de la personne.

Au cours des dernières années, nous avons été un peu plus actifs s'agissant d'évaluer le fonctionnement du conseil et de faire du lobbying dans les démocraties afin qu'elles se liguent pour remettre le conseil dans le droit chemin. Je le répète, nous sommes déjà assez nombreux, nous devrions pouvoir y parvenir.

Le sénateur Poy : Comment Freedom House est-elle financée?

Mme Schriefer : Nous recevons à la fois des fonds publics et des fonds privés. Nos programmes dans nos bureaux et sur le terrain et le genre d'activités dont j'ai parlé auprès des militants sont financés par le gouvernement des États-Unis et par d'autres gouvernements démocratiques — ceux des Pays-Bas, de la Grande-Bretagne et de l'Australie nous ont donné des fonds pour mener à bien nos divers programmes sur le terrain. Notre recherche et nos publications sont essentiellement financées par des fondations privées et des particuliers. Bien sûr, notre activité de défense est financée entièrement par des fondations privées et des particuliers.

Le sénateur Poy : Votre organisation a sa base aux États-Unis. Y a-t-il l'équivalent dans d'autres pays?

Mme Schriefer : Nous avons un minibureau, si l'on peut dire, à Budapest, que nous nommons Freedom House Europe. Il reprend toutes nos activités de défense, de recherche et de programmation. Assurément, d'autres organisations prennent en main certaines des composantes de notre activité. Nombreuses sont celles qui font de la recherche et de l'analyse tandis que d'autres offrent le genre de programmes que nous offrons et, bien entendu, il y a d'autres organisations de défense. Toutefois, que nous sachions, il n'y a pas d'autres organisations, même ici aux États-Unis, qui regroupent les trois composantes de notre activité.

Le sénateur Poy : Jusqu'à quel point le processus des rapports défavorables est-il efficace? Est-il musclé?

Mme Schriefer : La structure même du processus limite sa capacité d'être aussi efficace qu'il aurait pu être. Le Canada a préconisé fermement le recours aux rapports défavorables, et cela à juste titre, mais il a réclamé en même temps qu'il comporte les caractéristiques de fermeté qui le rendraient efficace. Le Canada a réclamé des examens plus fréquents des divers pays. Toutefois, il semble qu'il y a possibilité qu'un pays soit examiné tous les quatre ans. Le choix au hasard des trois pays qui mèneront à bien le processus nuit grandement aux résultats. Ils auraient été beaucoup plus solides si des experts indépendants avaient été choisis pour ce groupe — du moins le propre expert des Nations Unies, les rapporteurs spéciaux et les procédures spéciales — pour l'examen oral qui dure trois heures. Les experts indépendants n'ont pas la possibilité de participer à cette discussion, si bien qu'il ne reste plus que les plénières.

Je m'inquiète vivement que les pays qui mériteraient d'être examinés de près brandissent ce processus affaibli et dilué de rapports défavorables pour démentir les examens plus rigoureux qui existent déjà en vertu de procédures spéciales ou qui sont effectués par divers organes de suivi des traités. Comme nous n'avons pas encore de résultats, nous aurons l'occasion de nous renseigner en avril. Manifestement, les précédents ont une immense importance dans une bureaucratie comme les Nations Unies. Il est crucial que le Canada, les autres démocraties et les ONG s'unissent pour garantir que ce processus devienne pertinent.

Le sénateur Oliver : Je vais vous poser trois questions. Tout d'abord, dans votre exposé, vous avez dit que le regroupement des votes paralysait le conseil. Qu'est-ce qui sous-tend ce type de vote? Que fait Freedom House à ce propos et que pouvez-vous faire?

Deuxièmement, vous avez dit qu'au mois de mai on prévoyait des élections et que de 10 à 15 pays allaient céder leur place. Que fait Freedom House sur le terrain pour garantir que des pays progressistes soient choisis pour siéger au conseil?

Troisièmement, vous avez dit que le Congrès américain entretenait de sérieuses réserves à l'égard du conseil. Vous avez dit qu'il n'estime pas que la présence des Américains serait de quelque utilité. À votre avis, après avoir parlé à certains représentants au Congrès, et avoir reçu leur appui, pouvez-vous expliquer le motif du scepticisme?

Mme Schriefer : Je vais commencer par répondre à votre question quant aux configurations des votes regroupés. Vous connaissez bien le débat qui remonte à des dizaines d'années quant à savoir s'il y a subjectivité à l'égard des pays de l'hémisphère Nord ou encore des démocraties occidentales ou encore à l'égard des pays en développement. Les dirigeants d'un grand nombre d'organisations régionales — le groupe africain, le groupe de pays asiatiques, certains des adhérents à l'organisation de la conférence islamique — ont une politique très futée. Ils convainquent leurs adhérents que l'Ouest ou les pays de l'hémisphère Nord sont là pour les écraser et qu'ils devraient donc faire front commun. On peut dire qu'ils ont plus de succès que nous. Je ne sais pas quoi vous dire de plus à ce propos.

Que faisons-nous? Eh bien, nous ne faisons pas assez. Manifestement, nous n'avons pas assez de ressources à consacrer à cette activité. Toutefois, l'attitude du Canada, que nous préconisons, est la bonne. Par exemple, le processus de rapports défavorables était une excellente idée car il force tous les pays à se prêter à un examen, ce qui fait taire la critique voulant que seuls certains pays doivent s'y soumettre. C'est une brillante stratégie. Nous devons nous assurer, car les détails se révéleront importants, que cette stratégie fonctionne à bon escient et que l'examen se fait avec sérieux.

Il importe de procéder à des examens sérieux, même s'agissant de pays que Freedom House met dans la catégorie des pays libres. La démocratie est une notion en perpétuelle évolution. Assurément, comme les États-Unis l'ont démontré depuis le 11 septembre, il faut veiller à ce que les mécanismes de freins et de contrepoids fonctionnent.

Freedom House s'apprête à présenter un rapport circonstanciel sur l'état de la liberté aux États-Unis. Il sera publié le mois prochain. Il contient des inquiétudes véritables concernant l'état de notre démocratie. Il est important que nous nous y attardions et que d'autres pays le fassent également. Nous assurer que les choses se font correctement chez nous ne peut qu'aider à dissuader les pays qui se regroupent pour voter aux Nations Unies.

Le Canada est l'un des pays qui a le plus fait pour veiller à ce que les choses se fassent correctement chez lui. C'est pourquoi j'étais absolument sincère quand j'ai dit que le Canada était très bien placé pour entreprendre de persuader certains de ces pays qui se regroupent pour voter sur ces questions et qui poursuivent d'autres intérêts, de ne pas le faire.

Pour ce qui est des élections, nous avons essayé de sensibiliser des pays qui ont un assez bon dossier en matière de droits de la personne et de les encourager à se porter candidats à un siège au Conseil, dans la mesure où ils y sont admissibles, à défaut de quoi nous essayons de nous assurer qu'ils ne voteront pas avec les pays dont le dossier est mauvais. Ce n'était pas tâche facile. Nous n'avons pas de bureau à Genève si bien qu'il nous faut calculer les ressources nécessaires pour envoyer des gens là-bas. Pendant mon voyage, l'an dernier, je me suis rendue dans certaines ambassades. Bien des ambassadeurs m'ont dit ceci par exemple : « Oh, ma chère, bien entendu le Bélarus va être élu au conseil. Pourquoi vous faites-vous du souci à ce propos? Préparez tout simplement votre stratégie de défense pour pouvoir la mettre en œuvre le moment venu. »

Je répondais : « Je refuse d'accepter que le Bélarus sera élu au conseil, en fait. Il y a quantité d'autres pays d'Europe de l'Est qui devraient briguer ce siège. » Il se trouve, et cela fait partie des quelques victoires que nous avons remportées l'année dernière, que le Bélarus n'a pas été élu au Conseil. Ce travail de rayonnement doit être accompli. Nous avons organisé une manifestation l'an dernier avec UN Watch pour attirer l'attention sur ce problème. La couverture médiatique a été énorme et nous allons faire la même chose cette année.

Pour ce qui est des motifs qui expliquent que le gouvernement des États-Unis n'est pas bien disposé à l'égard des Nations Unies, je dirais que nous sommes face à un gouvernement qui estime qu'il peut agir beaucoup plus efficacement unilatéralement qu'il peut le faire en fait. Manifestement, l'Organisation des Nations Unies souffre de toutes les déficiences que n'importe quel organe politique de regroupement présente et ces déficiences servent de prétextes à certains qui préfèrent ne pas entreprendre le travail diplomatique ardu qui est nécessaire mais qui aimeraient tout simplement se démarquer et qualifier le conseil des Nations Unies d'échec refusant d'investir temps et ressources en vue de sa réussite. Nous ne sommes pas de cet avis et nous essayons de faire valoir que le Congrès lui-même est un organe politique dont les membres très souvent ne s'entendent pas entre collègues et ont parfois des opinions très divergentes sur les enjeux. Néanmoins, cela n'empêche pas cet organe de fonctionner. La situation encourage tout simplement les représentants au Congrès de se montrer de meilleurs politiciens.

Le sénateur Oliver : Vous m'avez donné trois excellentes réponses. Merci.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Que pensez-vous que sera l'avenir du conseil?

Mme Schriefer : Il y a encore de l'espoir pour le conseil et c'est pourquoi nous ne cessons de dire que les pays devraient s'impliquer davantage. Nous n'avons pas encore atteint le point où nous estimons que les pays devraient s'en retirer. Toutefois, si le processus de rapports défavorables tourne à la blague, ce sera de mauvais augure pour le Conseil des droits de l'homme.

Nous avons de bons sentiments à l'endroit des procédures spéciales, car c'est le mécanisme le plus efficace que le Conseil ait à sa disposition pour l'instant. Par ailleurs, ces procédures ont été affaiblies car nous avons perdu deux des meilleures et des plus importantes procédures spéciales relatives à un pays l'année dernière. On continuera de les critiquer et franchement, tout dépend de ce que feront et de ce que voudront les pays démocratiques qui sont majoritaires au conseil et tout dépendra de leur volonté éventuelle de travailler ensemble.

La présidente : Quand le conseil a été créé, nous lui avons confié un rôle d'orientation, ce qui est politique. Voilà donc pour le fonctionnement du conseil et du processus des rapports défavorables. Il y a par ailleurs l'administration de tous les traités et cela a été confié à la commissaire des Nations Unies pour les droits de l'homme. A-t-on eu raison de procéder à cette dichotomie?

Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez du rôle de la haut-commissaire des Nations Unies pour les droits de l'homme et quel rôle éventuel elle devrait jouer pour encourager le fonctionnement du conseil? Quand nous l'avons rencontrée, la commissaire des Nations Unies nous a dit que le conseil était l'aile politique et que cela ne la concernait donc pas. Que doit-on conclure de tout cela?

Mme Schriefer : Quand nous avons témoigné devant notre propre Congrès, l'année dernière, nous avons évoqué le besoin d'exercer des pressions auprès de la haut-commissaire de l'ONU pour les droits de l'homme, en particulier parce que nous craignions qu'elle semble estimer ne pas être en mesure d'influencer les activités du conseil. Quant à moi, je ne suis pas d'accord et la plupart des gens qui ont évalué le rôle particulier qu'elle doit assumer sont du même avis que moi. Il faut qu'on exerce des pressions plus fortes auprès d'elle pour qu'elle assume un rôle actif et engagé auprès du conseil.

Je voudrais également signaler qu'elle a fait des déclarations plus tôt cette année dans les médias — en janvier, je pense, quoique c'était peut-être en décembre — sur le fait que le 10 décembre prochain, nous célébrerons le 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme et elle a bien dit que son bureau allait mettre l'accent, en particulier, sur les aspects économiques et sociaux de cette déclaration, ce qui me cause un peu de souci. Manifestement, nous pensons que les droits politiques et les libertés civiles sont d'une importance égale, sinon supérieure, à ces autres types de droits positifs.

Selon nous, il serait préférable que le haut-commissaire joue un rôle plus actif et soit plus ferme.

La présidente : Vous avez évoqué le cas de la Chine et celui des alliances. S'agissant de l'Inde, du Brésil et de certains pays d'Amérique latine, voyez-vous une différence dans la façon dont ces pays abordent le conseil, comparativement à la commission?

Mme Schriefer : Nous continuons d'être un peu déçus par l'attitude de certaines démocraties comme l'Inde. Je m'abstiendrai de parler de la façon de voter du Brésil car je ne suis pas très au fait de ce dossier. Nous avons certainement suivi le cas de l'Afrique du Sud que nous trouvons absolument décevant à bien des égards.

Le cas de l'Inde est intéressant car même si ce pays ne semble pas voter selon ce que nous préconisons, par ailleurs, il a versé une somme assez considérable au Fonds des Nations Unies pour la démocratie, pendant la première année, et l'Inde a récemment donné son appui au nouveau manuel à l'intention des diplomates qui encourage ces derniers à appuyer les droits de l'homme dans leur mission. Les messages en provenance de l'Inde sont confus mais si nous pouvions l'amener à voter dans le bon sens plus souvent, cela produirait un énorme changement au conseil.

Le sénateur Munson : Dans notre rapport, nous avions recommandé qu'on nomme un ambassadeur canadien pour les droits de la personne. Je pense que d'autres pays en ont nommé, notamment la France, l'Espagne, les Pays-Bas et la Suède. Adhérez-vous à l'idée d'un ambassadeur qui mettrait en lumière le rôle de son pays dans cette entreprise?

Mme Schriefer : C'était une recommandation intéressante. J'ai rencontré l'ambassadeur français pour les droits de la personne et je lui ai parlé de son poste, des motifs de sa création et des raisons qui ont amené les autorités françaises à estimer que ce poste était nécessaire dans leur système. Tout dépend du pays.

J'ai également lu la réponse de votre gouvernement à votre rapport, y compris les recommandations qu'il contient. Je ne connais pas assez bien l'interaction des divers postes dans votre système et je ne sais pas si un tel poste serait utile.

Je peux vous dire que Freedom House a recommandé qu'un tel poste soit créé aux États-Unis, du moins, qu'on crée celui d'envoyé spécial pour les droits de la personne mais c'était en partie parce que les États-Unis avaient refusé de se porter candidats au conseil et nous estimions que la création de ce genre de poste spécifique rehausserait le profil de la cause mieux que ne pouvait le faire notre ambassadeur à Genève, étant donné que notre pays n'est pas membre du conseil.

J'ai pu constater que d'autres gouvernements ont obtenu des résultats grâce à ce poste. Vous avez parlé des Néerlandais et des Français, et ce sont les deux cas que je connais le mieux. Ils semblent avoir trouvé une façon efficace de réunir les multiples entités qui s'intéressent aux droits de la personne et ils essaient de mieux coordonner leurs efforts. Je ne connais pas assez bien le système canadien pour affirmer que cela serait bénéfique dans votre cas mais, étant donné le travail de votre gouvernement au sein du conseil, vous avez brillé au cours de l'année dernière, et remporté un succès d'estime auprès de nous.

Le sénateur Munson : Le comité sénatorial est bipartisan, constitué de libéraux et de conservateurs, mais en ce moment, les conservateurs sont au pouvoir. Je n'en dirai pas plus. Nous ne cesserons d'exercer des pressions auprès de ce gouvernement et de tout gouvernement éventuel car le Sénat peut faire front commun sur ces questions.

Dans votre déclaration liminaire, vous avez dit, essentiellement, que le conseil a servi de mécanisme pointant du doigt Israël à répétition alors qu'il ignorait quasiment toutes les autres violations des droits de la personne dans les autres pays. Vous avez parlé de 14 des 15 résolutions propres à un pays.

Projetons-nous un instant dans l'avenir, dans un an. À supposer que nous constations alors que les choses ne changent pas, je me demande si le conseil peut prétendre à quelque légitimité que ce soit.

Mme Schriefer : Je me le demande aussi. Si la réaction à la situation au Myanmar n'avait pas été aussi positive, je ne sais pas si je continuerais d'encourager un engagement auprès du conseil.

Permettez-moi de vous dire ceci. Il est indéniablement regrettable que l'éclatement des hostilités entre Israël et le Hezbollah au Liban se soit produit au moment précis où le conseil se constituait. Cela a provoqué une grande part de cette activité fébrile et a placé Israël dans le collimateur. Toutefois, en raison des manœuvres politiques très efficaces et de la façon dont l'Organisation de la Conférence islamique, le groupe des pays africains, le groupe des pays asiatiques et d'autres pays à majorité musulmane votent, Israël va continuer d'être taraudé. On peut se demander si les choses ne pourraient pas être rééquilibrées du moins grâce à des résolutions moins subjectives dans leur libellé.

Nous pensons, pour la plupart, qu'il y avait certaines régions pouvant porter un regard critique sur la situation en Israël. Toutefois, dans l'ensemble et étant donné ce qui se passait dans le reste du monde, l'effet pervers tient à ce que le conseil a consacré beaucoup de temps et d'énergie à cette question en particulier. Je le répète, le libellé des résolutions était si unilatéral et si subjectif qu'à nos yeux, le conseil était devenu par trop illégitime.

Le sénateur Jaffer : J'ai de nombreuses questions que je vais poser rapidement. Vous avez parlé des alliances et du regroupement des votes. Je trouve préoccupant le fait que l'adhésion soit régionale. Les pays se consultent pour décider qui les représentera, ce qui donne lieu automatiquement à une alliance. J'ai l'impression que cette forme d'adhésion entraîne automatiquement le regroupement des votes. Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez? Est-ce que je me trompe?

Mme Schriefer : Il suffit de comparer le fonctionnement du Conseil de sécurité, voire de l'Assemblée générale, à celui du Conseil des droits de l'homme. L'année dernière, on a constaté que le Conseil de sécurité avait adopté certaines résolutions contre bien des pays que j'inscris sur ma liste des échecs du Conseil des droits de l'homme. Les mêmes groupes régionaux sont à l'œuvre en l'occurrence.

Je ne peux pas accepter que des pays doivent automatiquement voter selon les alliances régionales. Ces pays ont des intérêts. Par ailleurs, il nous suffit de faire un meilleur travail politique dans les coulisses pour dissuader ces pays de voter dans le sens de la région.

Le sénateur Jaffer : J'ai une question technique au sujet de l'examen périodique universel. Je crois comprendre que chaque cycle dure quatre ans et que notre gouvernement a dit que la société civile devrait jouer un rôle au cours de ce processus d'examen. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Mme Schriefer : Nous étions beaucoup en faveur d'un rôle plus important pour la société civile. Toutefois, plus important encore que la société civile, il faut tenir compte de l'expertise indépendante du processus. Il s'agit d'ailleurs d'un autre exemple d'une situation où le gouvernement américain se trouve dans l'erreur, selon nous; nous avons entendu dire que les États-Unis ne faisaient pas pression afin que l'expertise indépendante soit comprise dans le processus d'examen. Cela allait à l'encontre de ce que favorisait la majorité des organisations de protection des droits de la personne américaines.

À l'heure actuelle, en vertu du processus, l'État qui fait l'objet d'un examen a la possibilité de déposer un document de 20 pages au sujet de la situation touchant les droits de la personne. Le Haut Commissariat peut produire un autre document de 10 pages; ensuite, les autres parties, y compris les organisations de la société civile, les universitaires et les experts de l'extérieur, peuvent également déposer leurs rapports, qui sont ensuite compilés et réunis en un document de dix pages. Tous ces documents sont déposés pour être examinés lors de l'EPU, ce qui représente seulement 40 pages, dont la moitié est déposée par l'État qui fait l'objet de l'examen.

Si l'on compare ce processus aux examens réalisés par les organisations de traités, par exemple, on voit qu'il est complètement ridicule. Normalement, on devrait examiner le portrait du pays du point de vue des droits de la personne. En raison de la documentation, il est impossible d'obtenir la précision dont on a besoin pour examiner la situation de façon sérieuse.

En outre, aucun expert ne fait partie du triumvirat qui dirige le processus d'examen. Il ne comprend que les autres États membres, choisis au hasard. Selon nous, c'est à ce moment-là que cela ne devient qu'une conversation. Il ne s'agit pas d'un processus d'examen sérieux.

Le processus d'examen périodique universel me préoccupe beaucoup. Je pense qu'il est essentiel, avant même le début de la session, que les ONG et les gouvernements démocratiques comme celui du Canada se penchent sur la liste des pays qui font l'objet d'un examen. Pendant la première session en avril, il y aura des pays où l'on a identifié des violations graves des droits de la personne. Il faudrait préparer d'avance des motions qui seront déposées pendant la première séance plénière afin de faire face à certaines des violations réelles qui surviennent dans ces pays. Sinon, nous serons encore une fois surclassés et le processus d'EPU affaiblira la capacité du conseil de procéder à des examens sérieux de ces pays.

Le sénateur Jaffer : Existe-t-il au Canada une ONG avec qui vous travaillez à la résolution de ces problèmes?

Mme Schriefer : Pas dans le domaine des droits de la personne en particulier. Au cours de la dernière année, par exemple, nous avons travaillé sur un important projet en Corée du Nord et nous avons collaboré avec plusieurs associations étudiantes canadiennes pour publier notre rapport. Nous aimerions beaucoup faire plus de travail avec nos partenaires des différentes régions du monde. Nous faisons partie d'une coalition d'organisations de défense des droits de la personne basée aux États-Unis, mais j'aimerais beaucoup qu'un partenaire canadien se joigne à ce groupe. Il n'y en a pas pour l'instant.

La présidente : J'aimerais poursuivre sur ce que le sénateur Jaffer a dit au sujet des votes en bloc; nous avons mis beaucoup de temps à élaborer notre propre bloc, qui comprend les pays de l'Europe de l'Ouest, entre autres. À cette époque, il fallait beaucoup de temps pour travailler avec la commission. L'Europe comptait alors 12 pays, puis 15 pays et il s'agit maintenant d'un groupe énorme. Il est très difficile pour ces pays d'obtenir un consensus sur de nombreuses questions dans de nombreux pays.

Les pays européens membres du conseil n'ont pas de point de vue unifié concernant l'Europe — parfois parce que le moment n'est pas opportun, par exemple. Est-ce que cela constitue une de nos faiblesses, le fait que nous fassions partie d'un groupe qui a ses propres problèmes intérieurs? Par conséquent, il nous faut du temps pour pouvoir travailler avec les Européens à cause des structures qu'ils ont en ce moment.

Mme Schriefer : Il ne fait aucun doute que cela a créé beaucoup de complications pour ce qui est de voter en bloc. Par exemple, la Communauté des démocraties a été créée, et également un caucus démocratique des Nations Unies. L'intention c'était d'avoir un bloc de pays unifiés autour de certaines questions et qui donnaient la priorité aux droits de la personne, par opposition à certains regroupements régionaux. Malheureusement, cette vision ne s'est pas encore concrétisée. En partie, je pense que c'est parce qu'il s'agit d'une nouvelle vision. C'est également parce qu'il n'y a pas vraiment de force organisatrice derrière le mouvement.

Vous savez aussi bien que moi que lorsqu'on siège en session plénière de l'ONU à Genève, on voit toujours affichés des rappels selon lesquels l'Organisation de la Conférence islamique ou un groupe africain va se réunir à telle ou telle date. Il n'y a jamais de rappel de réunion d'organisations du caucus démocratique. Tout tourne autour de la question de leadership. Ce n'est pas forcément le caucus démocratique qui est l'organisme voulu pour faire ce travail, cela pourrait être autre chose, mais il faut qu'il y ait une force rassembleuse autre que les regroupements régionaux, parce que ces derniers ne fonctionnent pas bien.

La présidente : Notre temps est écoulé, madame Schriefer. Je tiens à vous remercier au nom de tous les sénateurs des renseignements que vous nous avez donnés et d'avoir accepté de comparaître en vidéoconférence.

Je qualifierais votre témoignage d'optimisme réaliste. Vous nous avez signalé toutes les lacunes, mais vous n'avez pas perdu tout espoir en le conseil. Vous entrevoyez des lueurs d'espoir, pour ainsi dire, et vous avez décrit les défis qu'il faut relever si le conseil est pour vraiment représenter ceux dont les droits sont brimés.

Merci beaucoup. Vous avez abordé davantage des questions que je ne prévoyais, et j'ose croire que certaines de vos observations seront reflétées dans le travail du comité à l'avenir.

Mme Schriefer : Merci beaucoup.

La séance est levée.


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