Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 4 - Témoignages du 14 avril 2008
OTTAWA, le lundi 14 avril 2008
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, auquel a été renvoyé le projet de loi S-218, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et édictant certaines autres mesures afin de fournir aide et protection aux victimes du trafic de personnes, se réunit aujourd'hui à 17 h 4 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, nous étudions aujourd'hui le projet de loi S-218. Nous accueillons, comme premier témoin, le parrain du projet de loi, l'honorable Gerard Phalen. Nous sommes très heureux que vous soyez des nôtres ce soir pour nous entretenir de votre projet de loi. Sénateur Phalen, vous avez la parole pour nous faire vos remarques liminaires au sujet du projet de loi S-218, après quoi nous aurons des questions à vous poser.
L'honorable Gerard A. Phalen, parrain du projet de loi : Merci, madame la présidente, et bonsoir. Je suis très heureux de comparaître devant vous aujourd'hui au sujet du projet de loi S-218, qui modifie la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et édictant certaines autres mesures afin de fournir aide et protection aux victimes du trafic de personnes.
En octobre 2005, le Parlement a adopté le projet de loi C-49, Loi modifiant le Code criminel (traite des personnes). Cette loi a permis au Canada de concrétiser son engagement à criminaliser le trafic des personnes en vertu du Protocole des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite de personnes, en particulier des femmes et des enfants. J'avais à l'époque souligné mon fervent appui en faveur du projet de loi C-49 mais souligné également que l'étape suivante requise était de veiller à l'adoption d'une approche axée sur la victime.
En mars 2006, The Future Group a entrepris une étude internationale approfondie sur le traitement des victimes du trafic de personnes, et son opinion était que le Canada avait systématiquement échoué dans l'exécution de ses obligations en vertu du protocole des Nations Unies. En février 2007, aucun projet de loi à l'appui des victimes n'ayant été annoncé par le gouvernement, j'ai déposé le projet de loi S-222, qui est mort au Feuilleton avec le déclenchement des élections.
Depuis l'adoption du projet de loi C-49, criminalisant le trafic de personnes, le gouvernement a apporté un certain nombre de changements positifs à l'égard des victimes de trafic, dont l'allongement de la période de réflexion accordée aux victimes et l'introduction de mesures législatives éliminant les fameux visas pour strip-teaseuses. Je félicite le gouvernement pour ces mesures, mais je continue de croire qu'une approche plus exhaustive et axée sur les victimes s'impose. C'est pourquoi j'ai, en octobre 2007, déposé le projet de loi S-218 que vous avez devant vous aujourd'hui.
Le projet de loi se divise en gros en quatre parties. La première partie traite des visas à court terme. Cette partie du projet de loi cadre assez bien avec l'actuel régime. Il accorderait aux victimes une période de réflexion de 180 jours pendant laquelle elles recevraient, sans frais, des services de santé et de conseils psychologiques en vertu du Programme fédéral de santé intérimaire. Cette période de réflexion de 180 jours est semblable à ce qui est offert dans la plupart des pays du G8 et accorderait par la même occasion aux services de l'ordre le temps de mener leur enquête. Le projet de loi S-218 autorise également les victimes à travailler ou à étudier au Canada pendant cette période. J'estime que le fait de pouvoir travailler et étudier permettra aux victimes d'entamer le processus de guérison.
La partie suivante du projet de loi traite de ce que nous appelons l'autorisation de protection. Il s'agit d'un permis de résidence temporaire de trois ans. Je considère qu'il s'agit de l'une des plus importantes parties du projet de loi, car les victimes passeraient automatiquement du visa à court terme de 180 jours à un permis de trois ans. L'actuel régime de visas à court terme et de permis ministériels spéciaux pouvant ou non être accordés ou prolongés, et exigeant des victimes qu'elles fassent des demandes renouvelées, amène tout simplement la revictimisation. La dernière chose qu'il faut à ces victimes est de devoir régulièrement se présenter devant des bureaucrates pour demander l'autorisation de demeurer au pays.
Il vous faut également savoir que cette autorisation de protection de trois ans proposée confère aux victimes le statut de résident permanent aux fins des programmes de santé et de services sociaux. Si une victime demeure au Canada au titre d'une telle autorisation de protection de trois ans, il lui faudra plus que de simples soins de santé de base. Il lui faudra aide juridique, logement social, formation linguistique et ainsi de suite. Au Canada, ces programmes sont principalement administrés par les provinces et le critère d'admissibilité le plus courant est que la personne soit résidente permanente. Cette autorisation accorde également aux victimes la possibilité de travailler ou d'étudier pendant cette période de trois ans et de demander à devenir résident permanent et éventuellement citoyen, si c'est ce qu'elles souhaitent, et, bien sûr, cette autorisation est gratuite.
Comment une victime peut-elle être admissible à cette autorisation de protection? Elle est admissible si elle-même ou sa famille — et je souligne ici les mots « ou sa famille » — ferait l'objet d'une vengeance ou subirait une contrainte ou tout autre préjudice si l'étranger est renvoyé du Canada. La personne est admissible si elle choisit — et je souligne les mots « si elle choisit » — de se conformer à toute demande raisonnable d'aide dans le cadre d'une enquête ou d'une poursuite visant ses trafiquants. Enfin, elle est admissible si les agents d'immigration estiment que l'autorisation est autrement justifiée dans les circonstances. Cela offre de la marge aux fonctionnaires, le cas échéant, en matière de circonstances spéciales.
Lors de toutes mes discussions au sujet du projet de loi, le choix de fournir un témoignage a toujours été l'élément le plus contesté, et il a été nécessaire de souligner clairement que le fait de témoigner est facultatif. Je considère qu'il est presque impossible pour les services d'application de la loi de poursuivre les trafiquants en l'absence de témoignages par les victimes, et les victimes, du fait de participer, peuvent ainsi plus facilement clore l'incident. C'est pourquoi j'ai inclus la collaboration avec les autorités policières comme option.
Pourquoi ai-je choisi une durée de trois ans pour ces autorisations de protection? Au Canada, la plupart des statistiques récentes montrent qu'il faut compter en moyenne 367 jours pour la tenue d'un procès pour crime contre des personnes en cour supérieure. C'est tout simplement le temps qu'il faut pour la procédure judiciaire. Puis il faut compter le temps nécessaire pour mener à bien les enquêtes criminelles. Je soulignerai ici qu'aux États-Unis les visas T pour victimes de trafic sont établis pour trois ans.
La partie suivante du projet de loi dont j'aimerais discuter est l'exigence que le ministre de la Santé crée un service téléphonique d'urgence pour les victimes. J'estime que cela est nécessaire, les victimes étant souvent originaires de pays où l'on se méfie des forces de l'ordre. Les victimes hésitent donc à faire appel à la police et ont souvent du mal à s'exprimer du fait de leur connaissance limitée de la langue. Un tel service téléphonique est d'autre part nécessaire car les victimes auront besoin de services de counseling et d'aiguillage que les services locaux chargés de l'application de la loi ne seront peut-être pas en mesure d'offrir. De telles lignes téléphoniques d'urgence ont livré de bons résultats dans d'autres pays. Par exemple, aux États-Unis, le service téléphonique d'urgence a reçu 2 670 appels en 2006, dont 20 p. 100 en langue étrangère.
La dernière partie du projet de loi dont j'aimerais traiter est l'exigence que le ministre de la Santé mette en place des employés spécialisés au sein du ministère de la Santé pour servir d'intermédiaires pour les victimes en matière d'immigration, de santé, d'aide juridique et de respect de la loi. Cette partie du projet de loi impose également au ministre de mettre en œuvre une campagne de sensibilisation du public pour veiller à ce que les intervenants communautaires soient au courant des droits des victimes et des services à leur disposition.
Honorables sénateurs, si le projet de loi est adopté, comment verrais-je la situation d'une victime évoluer, idéalement? Je pense que la victime aborderait initialement quelqu'un au sein de la communauté, peut-être à un foyer d'accueil pour femmes. Ces travailleurs seraient au courant de la ligne téléphonique d'urgence et des droits et services à la disposition des victimes, et encouragerait la personne à appeler le numéro 1-800.
La victime appellerait le service d'urgence et serait mise en contact avec un travailleur spécialisé qui l'aiderait à naviguer à l'intérieur du système en vue d'obtenir son autorisation temporaire de 180 jours et d'accéder au programme de santé intérimaire. Pendant cette période, les forces policières mèneraient leur enquête et la victime entreprendrait son rétablissement.
À l'expiration du visa temporaire de 180 jours, la victime passerait à un visa de trois ans. Pendant ces trois années, elle apprendrait la langue, se trouverait un emploi ou suivrait une formation et poursuivrait sa guérison, tant physique que psychologique. Ce serait également mon espoir que de nombreuses victimes choisiraient de participer à la poursuite de leurs trafiquants afin que ces criminels soient punis. À la fin de la période de trois ans couverte par le visa, mon espoir serait que la victime soit devenue un membre à part entière de la société canadienne, en l'attente d'accéder à la citoyenneté.
La dernière chose que j'aimerais faire c'est prendre quelques instants pour expliquer pourquoi je pense qu'il nous faut, à l'égard des victimes de trafic de personnes, des lois plutôt que des lignes directrices ministérielles. Les victimes proviennent souvent de pays où les autorités et l'appareil judiciaire sont, au mieux, suspects, et ces victimes sont des personnes qui ont été abusées et dont on a profité. Elles ont besoin d'aide et il est impératif que cette aide soit prévue dans la loi.
Il ne suffit pas de laisser les droits des victimes à la discrétion de mécanismes non législatifs comme des instructions ministérielles. En effet, les instructions ministérielles conviennent mieux à l'établissement d'interprétations de la loi ou au règlement de lacunes à court terme à l'intérieur du système. J'estime que les droits des victimes du trafic de personnes doivent, tout comme c'est le cas des droits de la personne dont nous jouissons ici au Canada, être énoncés dans la loi et reposer ainsi sur la certitude assurée par la règle de droit.
En mai 2002, le Canada a signé le Protocole des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite de personnes, en particulier des femmes et des enfants. L'article 6 de ce protocole exige que les procédures judiciaires et administratives nationales offrent aux victimes des mesures en vue d'assurer leur rétablissement physique et psychologique, y compris en leur fournissant logement, counseling, aide juridique, assistance médicale et matérielle ainsi que possibilités d'emploi, d'éducation et de formation. Pour s'acquitter de cette obligation, l'actuel gouvernement offre aux victimes de l'aide médicale et psychologique en vertu du Programme fédéral de santé intérimaire. Je l'en félicite. Le moment est maintenant venu de franchir le pas suivant et de veiller à ce que les autres régimes juridiques, financiers et éducatifs soient à la disposition des victimes. Je pense que le projet de loi S-218 permettra de faire cela.
Lorsque j'ai commencé à examiner la situation des victimes du trafic de personnes, il était difficile de ne pas trouver d'exemples de situations dans lesquelles les victimes avaient été traitées davantage comme des criminels que comme des victimes. Fort heureusement, nous avons continué de voir les choses s'améliorer sur ce plan. Je crois que l'adoption du projet de loi exprimerait haut et fort notre engagement à veiller à ce qu'au Canada les victimes soient traitées en tant que telles.
La seule autre chose que j'aimerais mentionner dans le cadre de cette déclaration liminaire est qu'au cours des six derniers mois j'ai assisté à des conférences et réunions portant sur le trafic de personnes à Vancouver, à Montréal et à Vienne. Ces événements n'ont fait que renforcer encore ma croyance en la nécessité d'adopter le projet de loi.
La présidente : Merci, sénateur Phalen. J'ai omis de mentionner que vous êtes ici accompagné de quelqu'un, et vous aimeriez peut-être nous présenter cette personne. Désire-t-elle faire quelque déclaration?
Le sénateur Phalen : La personne qui m'accompagne est Carolyn Hume, et elle ne va pas faire de déclaration.
La présidente : J'aimerais vous demander deux éclaircissements. Pourriez-vous me dire pourquoi vous avez employé l'expression « human trafficking » alors qu'il semble que l'expression « trafficking in persons » jouisse d'un consensus international »?
Le sénateur Phalen : Toutes mes excuses; je n'avais pas relevé de différence entre les deux termes. L'expression que j'ai toujours utilisée est « trafficking in persons ».
La présidente : Il a par ailleurs été porté à mon attention que, dans la version française, vous avez « trafic de personnes » et que, selon la terminologie habituelle reconnue, il faudrait plutôt parler de « traite des personnes ». Il n'y a pas de raison à cela?
Le sénateur Phalen : Non.
La présidente : Dois-je en déduire qu'il s'agit d'une erreur que nous pourrions corriger?
Le sénateur Phalen : Je ne parle malheureusement que l'anglais et je n'ai aucune idée de ce que serait l'interprétation.
La présidente : Si nous jugions opportun d'apporter de tels changements, vous n'y auriez pas d'objection?
Le sénateur Phalen : C'est bien. Merci.
Le sénateur Jaffer : Sénateur Phalen, pour pousser plus loin ce qu'a dit la présidente, vous n'auriez aucune objection à ce que nous apportions des changements afin d'employer tant en anglais qu'en français les termes normalement utilisés. Vous ne vous opposez pas à ce que nous modifiions ainsi le texte, n'est-ce pas?
Le sénateur Phalen : C'est bien cela.
Le sénateur Jaffer : Dans son rapport de 2007, le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes a reconnu la nécessité de la collecte de données sur l'envergure du problème de la traite des personnes et a fait des recommandations en ce sens. Quelle a été votre expérience en matière d'accès à des données statistiques concernant ce problème?
Le sénateur Phalen : Je crois que le problème est grave. Je trouve que les données font défaut. La GRC a laissé entendre qu'il se trouve au Canada environ 800 victimes du trafic de personnes, alors que les ONG, les organisations non gouvernementales, disent que leur nombre pourrait être aussi élevé que 16 000. Il y a là toute une différence.
La GRC a également dit que seule une victime sur dix déclare aux autorités ce qui lui est arrivé. Je n'ai vu cette statistique qu'une seule fois et je n'ai pas réussi à trouver d'autres informations à ce sujet.
Enfin, nous avons, depuis le début et jusqu'à aujourd'hui, utilisé comme chiffre de ce que représente toute cette activité pour les trafiquants le montant de 9,5 milliards de dollars par an. C'est une activité qui est profitable pour eux. Cependant, j'ai entendu quelque chose de très différent à Vienne. J'y ai entendu que ce chiffre serait maintenant de 30 milliards de dollars, soit trois fois le montant que nous livrent nos sources ici au Canada, ce qui est toute une différence. Il s'agit là d'un écart considérable alors que nous tentons de déterminer la véritable envergure du problème. À 30 milliards de dollars, cela en ferait sans doute l'activité criminelle la plus payante au monde. Cela engloberait le trafic de drogues, d'armes et de personnes, dans cet ordre-là, je pense. Mais si cela est passé de 9,5 à 30 milliards de dollars, alors il y a eu tout un bond, et la traite de personnes se classe peut-être maintenant au premier rang.
Le sénateur Jaffer : J'ai lu le projet de loi et le texte de votre déclaration d'aujourd'hui. Vous parlez d'offrir aux victimes soins de santé, programmes sociaux, aide juridique et formation linguistique. D'après ce que j'en sais, ce sont là des éléments qui relèvent des provinces. N'empiéterions-nous pas sur la compétence des provinces en inscrivant cela dans le projet de loi?
Le sénateur Phalen : Je ne recommande ni n'impose aux provinces de faire quoi que ce soit. Nous avons essayé de contourner le problème en faisant des victimes des résidents permanents, afin qu'elles puissent obtenir cette aide. L'un des principaux critères d'admissibilité aux programmes sociaux des provinces est que le demandeur soit un résident du pays, et c'est pourquoi nous avons rédigé le projet de loi comme nous l'avons fait. Cela répond sans doute à votre question.
Le sénateur Jaffer : Je crois comprendre que l'élément le plus contesté dans votre projet de loi est que la victime, la personne dont on a fait le trafic, collabore avec les forces policières. Pouvez-vous nous dire quelle est l'actuelle position du gouvernement et ce que font les autres pays membres du G8 en la matière?
Le sénateur Phalen : J'ai fait un certain nombre de vérifications là-dessus au cours des derniers jours, car il s'agit de l'élément le plus litigieux du projet de loi. Ce que j'ai lu dans l'actuelle loi est que le Canada exige de la personne qu'elle aide les autorités avant de pouvoir bénéficier des différents programmes. Cela correspond à la pratique dans la plupart des pays du G8. Ils en font une exigence. Ce n'est pas facultatif; c'est une exigence.
Lorsque j'ai la première fois déposé le projet de loi, j'ai dit que les victimes devaient collaborer, et j'ai dit qu'elles devaient collaborer parce que c'était ce que disait la loi, d'après mon interprétation. Peut-être que j'ai tort. D'après ce que j'avais compris, la loi disait que les victimes devaient collaborer. Le premier projet de loi que j'ai déposé, le projet de loi S-222, disait « doit ».
Cet aspect m'a posé beaucoup de difficultés car il est très contesté. Lors d'une conférence à Vancouver on m'a dit de manière très significative que ce n'est pas bien : que les victimes ne devraient pas être obligées de collaborer pour pouvoir bénéficier des différents programmes.
Lorsque j'ai déposé le projet de loi S-218, j'ai rendu facultative la collaboration avec les autorités. J'ai repris le même libellé, mais la chose est maintenant facultative. Voilà quelle est la différence.
Le sénateur Jaffer : Je crois comprendre qu'il existe déjà des règlements qui traitent de ce que vous proposez dans le projet de loi. Pourquoi estimez-vous qu'il faille que cela ait force de loi? La plupart de ces questions sont déjà couvertes par des règlements.
Le sénateur Phalen : J'imagine que c'est parce que je ne fais pas confiance aux règlements. Je ne pense pas que les règlements aient le même poids que les lois. Dans le cas de règlements, la personne doit parfois retourner à répétition pour obtenir une prolongation. Par exemple, si vous voulez dépasser les 180 jours, vous devez faire une nouvelle demande. Cette situation est tout à fait possible car, comme je l'ai dit, il faut en moyenne à la cour 367 jours pour traiter de ces affaires, alors 180 jours ne suffiront tout simplement pas s'il va y avoir un procès. Il vous faudrait sans cesse retourner demander une prolongation. Je ne pense pas que des règlements puissent remplacer une loi. Je pense que les lois ont plus de poids.
Le sénateur Munson : Comment pouvons-nous nous assurer qu'il s'agit bien de véritables victimes de trafic de personnes et pas tout simplement de travailleurs migrants ou, pire encore, de gens malhonnêtes qui veulent tout simplement profiter de ce programme de protection des victimes?
Le sénateur Phalen : Ce risque existe, mais je pense qu'il y a d'autres gens aussi, par opposition à la personne qui vient au pays pour se prostituer, et cela existe. Lorsqu'une personne vient au pays pour se prostituer, il arrive que le milieu criminel la rattrape et la tienne. Cette personne devient alors victime. Elle ne devrait pas être traitée en tant que criminel. Par exemple, elle ne devrait pas être accusée de prostitution; elle devrait être traitée comme une victime, et non pas comme un criminel.
Il existe d'autres situations encore. Il n'y a pas que des personnes qui viennent ici pour se prostituer; il y a des gens dans différents pays qui sont à la recherche d'emplois ici. Je vous ai cité des exemples dans mon premier discours. Par exemple, une jeune fille, diplômée collégiale, avait demandé un poste de bonne d'enfants au Canada par l'intermédiaire d'une organisation dans son pays. Lorsqu'elle est arrivée au Canada, il n'y avait pas d'emploi, pas de poste de bonne d'enfants. La jeune fille a été prise en otage, on lui a enlevé ses papiers d'identité, son passeport et tout le reste.
Le sénateur Munson : Dans vos remarques liminaires, vous avez parlé en faveur du témoignage par les victimes lors de procès. Quels sont les avantages à cela, et serait-ce obligatoire ou facultatif pour ces victimes?
Le sénateur Phalen : C'est facultatif. Je pense avoir expliqué cela. Lorsque j'ai la première fois déposé le projet de loi, le texte disait « doit », parce que c'était la loi. J'ai modifié le texte pour que cela soit « facultatif ». Je l'ai modifié parce que, partout au pays, les gens m'ont dit qu'ils trouvaient que « doit » était trop fort, et que la collaboration avec les autorités ou le fait de témoigner devrait être facultatif.
Le sénateur Munson : Je n'en reviens pas des écarts dans les chiffres concernant le nombre des victimes : vous avez mentionné 800, puis 16 000. Il y a là toute une différence. Il me semble qu'à l'époque où nous vivons et avec tout le travail statistique qui se fait il devrait être possible de mieux cerner les données.
Le sénateur Phalen : Je pense qu'il y a plusieurs raisons à ces divergences. Je ne crois pas que la GRC connaisse véritablement le chiffre, car ces personnes ne font pas appel à la GRC. Du fait de la situation qui existe dans leur pays d'origine, ces personnes ne font pas confiance à la police. Elles ont plutôt tendance à faire appel à des ONG et des travailleurs sociaux de première ligne. Les ONG et les travailleurs sociaux de première ligne nous disent qu'il pourrait y avoir jusqu'à 16 000 victimes, ce qui est tout à fait autre chose. Cela témoigne d'un énorme problème car, si la GRC ne sait vraiment pas combien de victimes sont sur notre territoire, alors il est difficile de traiter du problème.
Comment obtenir que les victimes fassent appel à la GRC et dénoncent leurs trafiquants? C'est ce que nous tentons de faire avec le projet de loi. Nous voulons obtenir l'établissement d'une ligne téléphonique d'urgence à laquelle puissent recourir les victimes. On pourrait ainsi leur expliquer quels services sont à leur disposition et cela facilitera leur recours à la police, car c'est d'elle que ces personnes ont peur.
Le sénateur Munson : Au Sénat, d'aucuns disent que l'article 8, qui demande la création de la ligne téléphonique d'urgence, revient à faire de la microgestion et s'inquiètent de ce que le ministre de la Santé soit appelé à faire cela.
Le sénateur Phalen : C'est peut-être bien le cas. J'ignore si je pourrais contrer cet argument. Je pense que la mise en place d'un projet de loi requiert un peu de microgestion, alors je suis prêt à tenter la chose. C'est tout ce que je peux dire au sujet de l'aspect microgestion.
Le sénateur Munson : Comment verriez-vous se dérouler cette campagne de service public? Quelles seraient les cibles de la campagne?
Le sénateur Phalen : La campagne ciblerait non seulement les victimes mais également les ONG communautaires et les travailleurs de première ligne. Ces travailleurs mettraient les victimes au courant de ce qui est disponible en vertu du régime ou en vertu de la loi, pour ensuite, c'est à espérer, les amener à utiliser la ligne d'urgence pour rapporter leur problème.
Le sénateur Munson : Au niveau personnel, sénateur Phalen, lorsque vous avez décidé de faire ceci, qu'est-ce qui vous a motivé? Qu'est-ce qui vous a troublé à un point tel que vous avez voulu ajouter quelque chose au système existant? D'aucuns diraient que beaucoup de ce que vous recommandez est déjà en place. Vous avez parlé de failles.
Le sénateur Phalen : Je n'ai aucune expérience directe de la question, absolument aucune. Je ne suis pas travailleur de première ligne. Je n'ai été membre d'aucune de ces organisations.
Lorsque je suis intervenu au sujet du projet de loi C-49, j'ai fait un peu de recherche. Plus je me suis renseigné et plus la chose est devenue un problème pour moi. Je me suis fait la réflexion qu'il s'agissait d'une situation très grave et qui méritait une certaine aide. J'ai poussé plus loin ma recherche, et lu la plupart des rapports qui étaient disponibles et en ai tiré des conclusions sur la façon dont nous pourrions peut-être améliorer les choses. Voilà tout.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Je devine que certaines de ces victimes craignent pour leur vie aux mains des trafiquants. Que fait-on pour protéger ces victimes?
Le sénateur Phalen : Il s'agit là d'une crainte très réelle, et c'est l'une des raisons pour lesquelles la GRC ne voit pas un afflux de personnes venant déclarer qu'elles ont été victimes de la traite de personnes. Il n'y a aucun doute que ces victimes ont peur. On leur a enlevé leur passeport et elles risquent l'expulsion.
Dans toutes les lectures et toutes les recherches que j'ai faites en la matière, il a partout été dit que ces personnes étaient habitées par la peur. Dans certains pays, mais pas au Canada, les mères ne laissent pas leurs enfants aller à l'école de peur qu'ils se fassent enlever pour être vendus comme esclaves sexuels. Ces personnes ont-elles peur? Oui.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Fait-on quelque chose pour protéger ces victimes?
Le sénateur Phalen : C'est une drôle de situation. Comment faire pour protéger la victime alors que vous ne savez pas qui est la victime? Voilà ce qui se passe. La police n'est pas au courant. On parle de 800 personnes, mais les victimes ne s'adressent pas à la police, alors comment faire pour les protéger? À mon avis, la réponse à cette question est d'adopter des projets de loi comme celui dont vous êtes saisis, d'inscrire des mécanismes de protection dans la loi et de traiter ces personnes comme des victimes et non pas comme des criminels.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Lors du débat au Sénat, le sénateur Andreychuk a déclaré que 6 millions de dollars par année étaient alloués. Pourriez-vous m'en dire un peu plus long sur ce financement et la façon dont cet argent est utilisé?
Le sénateur Phalen : Je regrette, mais je ne suis pas au courant de ce financement. Je ne peux pas répondre.
Le sénateur Stratton : Je suis plutôt un nouveau venu dans ce domaine, mais je connais des gens qui y sont très engagés. D'après le Conseil canadien pour les réfugiés, le trafic de personnes suppose leur exploitation, souvent par le biais du travail forcé, par exemple dans l'industrie du sexe, dans le travail de domestique, dans des restaurants ou des usines, et ce sont surtout les femmes et les enfants vulnérables que l'on exploite. Est-ce là votre définition?
Le sénateur Phalen : Oui.
Le sénateur Stratton : Précisément celle-là?
Le sénateur Phalen : Oui.
Le sénateur Stratton : Vous parlez d'établir une ligne téléphonique d'urgence et d'essayer d'encourager les gens à se présenter aux autorités avec l'adoption du projet de loi. J'imagine que l'une des plus grosses préoccupations serait que les gens téléphonent d'où qu'ils se trouvent. Envisagez-vous un numéro 1-800 qui soit limité au Canada?
Le sénateur Phalen : Oui.
Le sénateur Stratton : Une personne pourrait entrer au pays illégalement, appeler le service téléphonique d'urgence et déclarer être victime de la traite de personnes. Comment s'y prendrait-on pour déterminer si la personne est bel et bien victime du trafic de personnes?
Le sénateur Phalen : C'est là tout l'objet des 180 jours. Cela donne à la GRC le temps de faire enquête. Admettons que le projet de loi est adopté et que ce système est mis en place. Que se passerait-il? Des victimes pourraient se présenter aux autorités, mais quelqu'un d'autre pourrait le faire aussi — une personne travaillant dans ces clubs, ou une prostituée. Cette personne pourrait regarder le programme et dire « C'est un bon programme. J'aimerais en bénéficier, mais je ne suis pas admissible car je ne suis pas victime. Peu importe, je vais malgré tout faire une demande ».
À ce stade-là, c'est à la GRC qu'il revient de faire le tri. L'intéressé a une période de réflexion de 180 jours. La GRC pourra lui forcer la main pour déterminer s'il ou elle a véritablement été victime.
Le sénateur Stratton : Mon souci est qu'il s'agit là d'un mécanisme idéal pour introduire des clandestins. Vous leur prenez x milliers de dollars, vous les faites entrer au pays et vous leur donnez le numéro 1-800 et une histoire. Il me semble que ce devrait être là une réelle préoccupation.
Le sénateur Phalen : Je ne suis pas certain de vous suivre.
Le sénateur Stratton : Il se fait à l'heure actuelle du passage de clandestins. Vous faites entrer des gens au pays. C'est comme cela que fonctionne le trafic de personnes. Vous les faites travailler dans l'industrie du sexe ou comme domestiques. Dans ce cas-ci, comme avec les réfugiés de la mer, vous faites entrer des gens illégalement au pays, vous leur donnez le numéro 1-800 et vous leur dites de le composer. Ces personnes pourraient être des Russes ou des Chinois.
Le sénateur Phalen : Elles le sont sans doute.
Le sénateur Stratton : Justement. Comment la personne qui travaille au service 1-800 pourrait-elle être en mesure de répondre aux gens dans la langue de leur choix? Ces personnes ne parlent pas anglais. Ce pourrait être des Mexicains, des Espagnols ou autre. Comment répondez-vous à quelqu'un qui ne parle pas la langue?
Le sénateur Phalen : Il y a là tout un système. Si vous faites entrer illégalement au pays des personnes, celles-ci ont- elles un passeport? Si elles n'en ont pas, elles vont avoir un sérieux problème. Elles ne vont certainement pas s'autodéclarer.
Le sénateur Stratton : Elles prétendent être victimes de la traite de personnes, et, si ce sont des femmes, elles vont dire qu'elles ont été utilisées comme prostituées, par exemple.
Le sénateur Phalen : Ce que je disais est qu'à ce stade-là, lorsque des personnes entrent au pays, qu'elles viennent ici pour se prostituer ou pour quelque autre raison, dès lors que le milieu du crime s'accapare d'elles, c'est à partir de ce moment-là qu'elles deviennent victimes. Êtes-vous en train de dire que ces personnes ne sont pas de vraies victimes, qu'elles arrivent au pays et qu'elles prétendent ensuite qu'elles sont victimes?
Le sénateur Stratton : Oui. Elles achètent leur entrée au pays.
Le sénateur Phalen : C'est alors à la GRC qu'il revient de faire enquête sur la situation.
Le sénateur Stratton : Ne craignez-vous pas une surcharge?
Le sénateur Phalen : Ces personnes vont de toute façon atterrir ici.
Le sénateur Stratton : Je ne le pense pas.
Le sénateur Phalen : Elles arrivent sur le territoire.
Le sénateur Stratton : Si un passeur se rend compte qu'il y a ici la possibilité de se faire beaucoup d'argent, il peut se rendre au Vietnam ou ailleurs, envoyer des gens ici, leur dire de composer un numéro de téléphone donné, et ces personnes entreront au pays.
Le sénateur Phalen : Mais cela peut arriver dans toute situation. Il est difficile de se protéger contre cela.
Le sénateur Stratton : Ce que j'essaie de dire est que ces personnes peuvent acheter leur entrée au pays et, une fois qu'elles sont ici, dire « Je suis victime parce que quelqu'un m'a fait entrer au pays ». Comment faire la distinction?
Le sénateur Phalen : Ce serait à la GRC qu'il reviendrait de faire cette distinction.
Le sénateur Stratton : Mais ces personnes ont été victimes néanmoins.
Le sénateur Phalen : Qu'elles le prouvent.
Le sénateur Stratton : Elles ont versé de l'argent et sont entrées au pays.
Le sénateur Phalen : N'importe qui peut dire s'être fait avoir mais il lui faudra le prouver.
Le sénateur Stratton : Je ne pense pas que vous saisissiez tout à fait mon propos.
Le sénateur Phalen : Je pense que je saisis bien, mais vous ne pouvez pas vous prémunir contre toutes les personnes qui entrent au pays. Il y a sans cesse des gens qui arrivent ici. Il y a des lois, mais ce projet de loi a pour objet de protéger les personnes qui ont été victimes. Si ces personnes peuvent prouver qu'elles ont été victimes, alors je dirais qu'elles devraient être admissibles, mais il faudrait qu'elles puissent en fournir la preuve.
La présidente : J'aurais quelques questions. Nous partageons la même préoccupation quant aux victimes de la traite de personnes, mais j'aimerais vous interroger au sujet de votre projet de loi.
Premièrement, vous dites que vous devenez une victime lorsque vous arrivez dans ce pays. Sur quoi appuyez-vous cette hypothèse?
Le sénateur Phalen : Non, pas lorsque vous arrivez au pays. Si vous arrivez au pays pour vous prostituer et que vous n'avez pas été accaparé par le monde de la criminalité et que vous menez votre petit bonhomme de chemin et faites ce que font les prostituées, si vous vous faites arrêter, vous n'êtes pas une victime, vous êtes un criminel. Vous n'êtes une victime que si le milieu criminel vous contrôle. Le milieu de la criminalité achète et vend ces personnes. Elle les vend pour entre 7 500 $ et 15 000 $.
La présidente : Je connais ces statistiques. Mon souci est de savoir à partir de quel moment une personne devient victime. D'après ce que je comprends, vous pouvez être une victime et ne pas avoir quitté votre pays d'origine. Vous pouvez avoir été acheté et vendu avant même d'avoir mis le pied sur le sol canadien. Vous semblez faire une distinction aux fins du projet de loi, et je ne suis pas certaine de bien saisir. Qu'est-ce qui fait qu'une personne est une victime au Canada?
Le sénateur Phalen : D'après mon interprétation, une personne devient une victime dès lors que le milieu du crime s'empare d'elle.
La présidente : Et cela peut se passer n'importe où?
Le sénateur Phalen : Oui. J'ai raconté le cas de cette personne qui a en vérité été victime avant même d'atterrir ici.
La présidente : Justement. Vous semblez lier cela au sol canadien, et je voulais simplement comprendre.
Le sénateur Phalen : Excusez-moi.
La présidente : Le nouveau paragraphe 24.2(2) dit ceci :
L'étranger qui détient l'autorisation de protection visée au paragraphe (1) est réputé avoir le statut de résident permanent pour ce qui a trait à l'accès aux avantages ou services offerts dans le cadre de programmes médicaux, sociaux ou d'assurance sociale.
Il s'agit là de questions qui sont du ressort des provinces. Si je comprends bien votre argument, vous dites que les victimes auront le statut de résident permanent et auront en conséquence droit à ces services, et qu'il n'y aura donc pas transgression de la frontière fédérale-provinciale, est-ce bien cela?
Le sénateur Phalen : Non. Il y a là une différence. Nous ne disons pas aux provinces que, du fait que nous ayons accordé le statut de résident permanent à ces personnes, il leur faut leur offrir ces programmes. Nous disons que le critère d'admissibilité le plus courant à l'égard de ces programmes est le fait d'être citoyen. Nous faisons de ces personnes des citoyens permanents à cette fin.
La présidente : Vous dites ici « pour ce qui a trait à l'accès aux ». Vous laissez entendre ici que le gouvernement fédéral accordera le statut de résident permanent afin que la personne soit jugée admissible à ces services. N'êtes-vous pas en train de faire indirectement ce que nous ne pouvons pas faire directement? En d'autres termes, assurer l'accès aux services provinciaux du fait que le gouvernement fédéral impose aux provinces de l'offrir?
Le sénateur Phalen : La réponse est sans doute « Oui, à certains égards ». Les provinces sont responsables de ces programmes et il n'y a aucun autre moyen d'y intégrer les victimes à moins d'en faire des résidents permanents. Il n'y a pas d'autre moyen d'y accéder. Nous ne disons pas aux provinces quoi faire, car les provinces ont le droit de refuser, mais, comme je l'ai dit, le critère d'admissibilité le plus courant est la citoyenneté canadienne.
La présidente : Nous avons en fait étudié certaines de ces questions lorsque le sénateur Pearson était vice-présidente du comité. Les victimes requièrent des services spécialisés et personnalisés. En d'autres termes, chaque victime a différents besoins, tant psychologiques que physiques. Chaque victime a besoin d'une protection différente. Si je comprends bien, même si nous surmontions le problème fédéral-provincial, les articles du projet de loi que j'ai cités n'assureraient aux victimes que les services auxquels aurait droit tout autre citoyen vivant dans la province concernée. Toute personne ayant droit à des services en milieu hospitalier les recevrait, mais ce ne serait pas des services taillés sur mesure pour les victimes de la traite de personnes. Ai-je raison?
Le sénateur Phalen : Je dirais que les victimes auraient droit aux services sociaux offerts par les provinces.
La présidente : D'accord, les simples services sociaux habituels.
Le sénateur Phalen : Avant de passer à cette étape-là, ces personnes auraient déjà bénéficié d'aide psychologique dans le care du programme fédéral.
La présidente : Je voulais en savoir plus au sujet du palier fédéral-provincial. Cela me fait réfléchir.
À la page 4 du projet de loi, dans la version française, le paragraphe 8d), à la Partie 2, dit que « Le ministre de la santé doit » — et le mot « doit » signifie que c'est une obligation —
d) selon les besoins, nommer et former des personnes, choisies parmi le personnel du ministère de la Santé, chargées de fournir, dans les bureaux régionaux de celui-ci, des conseils et de l'aide aux victimes du trafic de personnes, notamment pour contacter les organismes fédéraux, provinciaux et non-gouvernementaux appropriés;
Et le texte se poursuit. Avez-vous discuté de la question de savoir si ce serait là le moyen le plus efficient d'offrir ces services? Il me semble que ce que l'on créerait ici serait une bureaucratie pour l'offre d'aide par le biais du gouvernement fédéral. Ce n'est peut-être pas la façon de faire la plus efficiente qui soit au Canada. Nous avons un système fédéral-provincial en vertu duquel nous pouvons instaurer des arrangements spéciaux et des ententes en nous assoyant avec les provinces.
Le sénateur Phalen : Nous avons réfléchi à la façon d'obtenir ce que nous recherchons. Nous avons réfléchi à la question de savoir quel ministère serait le mieux qualifié pour s'occuper de ce genre de situation. La réponse que nous avons trouvée est que c'est le ministère de la Santé. Je ne pense pas que nous créions une bureaucratie. Ce que nous disons est que quelqu'un au ministère doit avoir une formation spécialisée pour pouvoir s'occuper des besoins de ces personnes. Je ne pense pas que cela suppose la création d'une bureaucratie. Je ne pense pas que l'on parle d'un très grand nombre de personnes.
Je n'y vois pas de gros problème. Le ministère de la Santé a une présence dans la plupart des provinces et sans doute dans un grand nombre de villes. Nous avons pensé que c'est ce ministère qui serait le plus disponible.
La présidente : Dans vos notes, et non pas dans le projet de loi, vous dites que ces employés serviraient d'intermédiaires pour les victimes pour les questions d'immigration, de santé et d'aide juridique. Pensez-vous qu'une personne à l'emploi du ministère de la Santé serait la personne tout indiquée pour agir en tant qu'intermédiaire au sujet de questions d'application de la loi et d'aide juridique?
Le sénateur Phalen : L'employé ne serait à ce stade-là qu'un conseiller, indiquant à la personne ce qui est disponible.
Retournons un petit peu en arrière. Si une personne souhaite se déclarer victime, il lui faut se présenter à un poste de police et raconter son histoire à la police. Elle ne va pas faire cela, et ce n'est pas ce qui se passe. La question est alors de savoir comment obtenir que ces personnes déclarent avoir été victimes.
Il n'est pas nécessaire que ces personnes travaillant chez Santé Canada soient des experts. Elles doivent être des facilitateurs. Il leur faut orienter les victimes vers les programmes dont elles ont besoin et leur expliquer comment faire pour y accéder. Il leur faut conseiller les victimes, leur expliquer que ces programmes sont à leur disposition, car la personne qui débarque n'en a pas la moindre idée.
La présidente : Nous avons un horaire serré et le temps dont nous disposions est écoulé. Je remercie le sénateur Phalen d'être venu et de nous avoir aujourd'hui exposé, par écrit et oralement, ses vues. Nous allons continuer d'étudier le projet de loi. Sénateur Phalen, vous allez sans nul doute suivre nos délibérations. Merci d'être venu comparaître aujourd'hui.
Nous accueillons maintenant parmi nous, de Citoyenneté et Immigration Canada, Brenna MacNeil, directrice, Politiques et programmes sociaux, Direction générale de l'immigration, et Robert Mundie, directeur, Division des priorités stratégiques, Direction générale des politiques stratégiques; et de Santé Canada, Cindy Moriarty, directrice, Bureau pour la santé des femmes et l'analyse comparative entre les sexes. Bienvenue. Je vous invite à nous faire vos déclarations.
Brenna MacNeil, directrice, Politiques et programmes sociaux, Direction générale de l'immigration, Citoyenneté et Immigration Canada : Merci de l'occasion qui m'est ici donnée de comparaître devant vous.
[Français]
La question de la traite de personnes préoccupe de nombreux ministères et organismes du gouvernement fédéral. CIC collabore étroitement avec ses partenaires afin de mieux adapter la réaction du Canada à l'égard de ce crime.
Le rôle clé que joue CIC concerne la protection des victimes. Dans le but d'offrir une meilleure protection à ces victimes, nous avons créé un permis de séjour temporaire à leur intention.
En mai 2006, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration de l'époque a adopté une nouvelle politique d'intérêt public et a émis des instructions permettant aux agents d'immigration de délivrer, gratuitement, un permis de séjour temporaire valide pour une période maximale de 120 jours aux personnes se trouvant au Canada qui auraient été victimes de la traite.
À la suite des préoccupations formulées par des intervenants, ainsi que par le Comité permanent de la condition féminine, la ministre actuelle a prolongé la validité de ce permis à 180 jours.
[Traduction]
Ce permis de séjour temporaire vise à permettre aux victimes d'échapper à l'emprise des trafiquants et d'entreprendre leur rétablissement. Les titulaires de ce permis ont accès à une protection médicale dans le cadre du Programme fédéral de santé intérimaire qui inclut des services de counseling traumatologique. Les victimes titulaires d'un permis de séjour temporaire peuvent également présenter une demande de permis de travail pour ainsi gagner leur vie au Canada pendant qu'elles examinent les options qui s'offrent à elles. Ce permis n'est pas payant.
Afin d'encourager les victimes à dénoncer leur situation, nous leur indiquons qu'elles ne sont pas tenues de participer au processus d'exécution de la loi en vue d'acquérir un statut temporaire ou permanent au Canada. Si une vérification exhaustive des faits révèle des motifs raisonnables de croire que la personne est une victime, un permis peut être délivré pour une période pouvant atteindre trois ans.
Le projet de loi S-218 porte également sur le permis de séjour temporaire; mais cette législation comporte ses limites. Dans un premier temps, la plupart des mesures que propose le projet de loi S-218 sont déjà en place et ont force de loi. D'une certaine manière, le projet de loi rattrape la politique d'immigration actuelle. Il y a cependant une importante différence, soit la flexibilité.
L'utilisation qui est actuellement faite des instructions ministérielles et de la politique d'intérêt public pour protéger les victimes de la traite de personnes offre la flexibilité nécessaire et la capacité d'adaptation requise par cette situation complexe. La récente augmentation du nombre de permis à court terme délivrés est un bon exemple de cette flexibilité. Et l'augmentation à 180 jours de la durée de validité a permis de combler la lacune de la politique précédente qui ne permettait pas aux victimes de travailler. Comme ce changement pouvait être apporté par l'émission d'une instruction ministérielle, la politique a été modifiée très rapidement. Le prédécesseur du projet de loi S-218, soit le projet de loi S- 222, prévoyait la délivrance d'un permis de séjour temporaire valide pour 120 jours. La période de validité de 180 jours incluse dans le projet de loi S-218 a été harmonisée avec la politique ministérielle.
La mise en œuvre de cette modification en temps opportun n'aurait pas été possible si les mesures avaient été incorporées à la législation. Le fait d'incorporer cette pratique à la législation nuirait à la capacité du gouvernement de s'ajuster et de répondre rapidement aux besoins des victimes, tout comme à celle des intervenants dans la lutte contre la traite de personnes.
[Français]
Un autre facteur soulevant des préoccupations est la possibilité d'abus. Dans tout programme, la fraude est aussi une préoccupation, particulièrement dans le cadre des programmes qui peuvent mener à la résidence permanente au Canada.
Le projet de loi à l'étude exigerait que des permis de longue durée soient délivrés pour une période de trois ans et que la résidence permanente soit accordée à la fin de cette période.
En offrant une voie directe à la résidence permanente, les permis délivrés en vertu du projet de loi ouvriraient la porte à l'abus par les personnes qui veulent entrer au Canada par n'importe quel moyen.
Bien qu'il soit également possible d'acquérir la résidence permanente en vertu des lignes directrices existantes, il y a plus de flexibilité pour délivrer un permis à long terme pour une période de temps appropriée dans les circonstances.
[Traduction]
Une troisième préoccupation soulevée par le projet de loi est l'octroi de la résidence permanente sans tenir compte des interdictions de territoire associées à la traite. Ceci pourra accorder une amnistie aux personnes qui ont commis des crimes dans ces circonstances, y compris des crimes aussi graves que la traite de personnes ou même le meurtre.
Quant à elle, la politique actuelle permet d'analyser, au cas par cas, toute interdiction de territoire. Nous sommes conscients que les victimes peuvent être forcées à commettre des crimes et, lorsque les circonstances le justifient, il est possible d'accorder la résidence permanente malgré une interdiction de territoire. Une approche individuelle permet d'atteindre un équilibre entre la sécurité des Canadiens et la protection des victimes.
[Français]
En terminant, j'aimerais souligner que plusieurs des mesures proposées dans le projet de loi S-218 sont déjà en place et en force de loi. Les mesures existantes constituent la solution souple et adaptée aux besoins des victimes dont nous avons besoin pour les protéger et leur venir en aide.
[Traduction]
La présidente : Merci. Si je comprends bien, vous êtes le seul membre du groupe à nous faire une déclaration, alors nous pouvons passer aux questions.
Le sénateur Jaffer : Merci beaucoup à tous les trois d'être des nôtres et de nous aider à comprendre.
J'ai un certain nombre de questions préliminaires pour vous trois. Je constate que les États-Unis ont une ligne téléphonique d'urgence. Avons-nous un mécanisme qui permette aux victimes d'appeler au secours autrement qu'en communiquant avec la GRC? Si vous quittez Vancouver et vous rendez du côté américain de l'aéroport, vous y verrez un avis vous invitant, si vous êtes victime, à composer le numéro de téléphone indiqué. Avons-nous quelque chose du genre? Je n'ai encore rien vu de tel ici. Je me demande donc comment nous assurons de l'aide aux victimes.
Mme MacNeil : En ce qui concerne les permis de séjour temporaire, le point de contact serait le bureau local de CIC, Citoyenneté et Immigration Canada. Les victimes se présenteraient ou directement au bureau local de CIC, ou par l'intermédiaire d'une agence non gouvernementale ou d'un service d'application des lois.
Le sénateur Jaffer : Pourriez-vous parcourir avec nous le processus, afin que je le comprenne dans son entier? Je crois qu'il n'est pas nécessaire que la victime s'adresse à la police. Il lui faut se rendre au bureau de CIC. Je comprends que la grosse question est celle de savoir si la victime est entrée illégalement au pays du fait de la traite de personnes. Que se passe-t-il dès lors qu'une personne déclare « Je suis entrée au Canada dans le cadre d'une opération de traite de personnes »?
Mme MacNeil : Comme je l'ai dit, les gens se dénonceraient eux-mêmes ou passeraient par l'intermédiaire d'une ONG ou d'un service d'application de la loi. On leur accorderait alors une entrevue en face à face avec un fonctionnaire de CIC. Lors d'un tel entretien, l'on interrogerait la personne au sujet des circonstances dans lesquelles elle est arrivée au pays ou dans lesquelles elle s'était trouvée. Les lignes directrices qui sont fournies à l'intervieweur, au représentant de CIC, renferment des exemples précis qui ont pour objet d'obtenir ces renseignements.
Le sénateur Jaffer : Je sais que CIC est très occupé et j'imagine que les entrevues sont prévues longtemps à l'avance, de telle sorte que, lorsque ces personnes se présentent initialement chez CIC, leur offre-t-on un lieu sûr où s'installer ou quelque aide en attendant qu'elles aient leur entrevue avec le personnel de CIC?
Mme MacNeil : Les agents s'efforcent de communiquer ou avec les ONG ou avec d'autres agences dans le secteur en vue d'établir les liens nécessaires à l'accession aux programmes disponibles.
Le sénateur Jaffer : Il n'y a cependant rien qui soit parrainé par le gouvernement.
Mme MacNeil : Il n'y a rien de précis en ce qui concerne le gouvernement fédéral, car le gros de ces programmes sont offerts au niveau provincial ou municipal.
Le sénateur Jaffer : Que se passe-t-il après l'entrevue?
Mme MacNeil : Lors de l'entrevue, il s'agirait de passer à travers la liste de questions pour déterminer s'il y a suspicion de trafic de personnes. Toujours lors de l'entrevue, l'on donnerait à la victime des conseils quant aux autres processus d'immigration s'offrant à elle, selon les circonstances. L'agent d'immigration l'aiderait en même temps avec les formulaires à remplir en vue de bénéficier des services offerts dans le cadre du Programme fédéral de santé intérimaire. Enfin, si la victime souhaitait avoir un permis de travail, elle remplirait les formulaires requis et ce permis serait délivré en même temps que le permis de séjour.
Le sénateur Jaffer : Si une personne qui se présente en tant que victime ne s'inscrit pas à l'intérieur des lignes directrices, est-elle tout de suite renvoyée du pays?
Mme MacNeil : Je n'en suis pas certaine. Elle ne serait pas renvoyée illico presto, car la procédure de renvoi relèverait de l'ASFC, l'Agence des services frontaliers du Canada, et je ne sais pas trop de quelle manière procède l'ASFC en pareille circonstance.
La présidente : Le sénateur Jaffer a ajouté un témoin à notre liste, l'Agence des services frontaliers du Canada.
Le sénateur Munson : Le sénateur Phalen a parlé de divergences dans les données. Il y a tout un écart entre 800 victimes et 16 000. Avez-vous des chiffres que vous pourriez nous fournir?
Mme MacNeil : Je n'en ai pas. Comme vous le savez, je pense, la GRC est en train de travailler là-dessus. Nous œuvrons ensemble avec d'autres ministères fédéraux dans le cadre du Groupe de travail interministériel sur la traite des personnes. Les ministères directeurs de ce groupe de travail sont ceux de la Justice et de la Sécurité publique. Je pense que Sécurité publique Canada est le principal responsable de la recherche à ce sujet, en vue de cerner les nombres dont il est question.
Comme cela a déjà été dit, il est difficile de répondre à cette question de statistique du fait de la nature clandestine de cette activité.
Le sénateur Munson : Dans votre déclaration, vous défendez fermement ce qui est en place à l'heure actuelle.
Mme MacNeil : En effet.
Le sénateur Munson : Le sénateur Phalen est quant à lui passionné par ce qu'il aimerait voir changé. Êtes-vous en train de nous dire que le projet de loi S-218 n'est pas nécessaire?
Mme MacNeil : C'est là notre position. Nous appuyons les objectifs visés, car ce que renferme le projet de loi reflète en grande partie l'actuelle politique en matière d'immigration, mais nous estimons que les amendements proposés ne sont pas nécessaires. Comme je l'ai dit, le problème du fait d'inscrire ces éléments dans la loi est que cela réduit la flexibilité.
L'exemple que j'ai donné dans ma déclaration liminaire est que ce changement, portant le nombre de jours de 120 à 180, est un changement important permettant aux victimes de travailler pendant la durée de ce permis de séjour temporaire. L'autre exemple soulevé aujourd'hui est l'idée que les victimes « doivent » participer aux procédures judiciaires. C'est un changement qui est intervenu entre le projet de loi S-222 et le projet de loi S-218. Si ces mesures avaient déjà été inscrites dans la loi, il aurait été beaucoup plus difficile d'apporter ces changements et cela aurait demandé beaucoup plus de temps, et la flexibilité est donc un élément clé.
Dans ma déclaration d'ouverture, j'ai également soulevé la question des abus, qui a elle aussi été couverte ici, et l'idée des dispositions particulières en matière d'interdiction de territoire. Le projet de loi S-218 renferme toute une partie concernant l'interdiction de territoire. Il accorde essentiellement l'amnistie pour tout crime commis dans le cadre de la situation de victime du trafic de personnes, alors que notre approche, fondée sur un examen au cas par cas, assure un meilleur équilibre entre la sécurité et la nécessité de protéger les victimes.
Nous nous opposons également à l'idée de considérer les victimes comme des résidents permanents aux fins des services sociaux et de santé. Il a été souligné, tout à fait à juste titre, que les services sociaux et de santé sont du ressort des provinces et que, quel que soit le mécanisme retenu, ce sont les provinces qui en subiront les conséquences et les provinces devraient donc être consultées en la matière. C'est ce qui se ferait habituellement en matière de lois.
Un autre aspect est que la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés a été conçue en tant que loi-cadre. L'ancrage des dispositions est renfermé dans la loi, et il y a, dans la loi, un ancrage en ce qui concerne le permis de séjour temporaire. Cependant, il s'agit d'une loi-cadre, et il y a des règlements et des instructions ministérielles qui respectent la loi, tout comme c'est le cas des instructions que nous nous avons, et les tribunaux ont reconnu que la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés est une loi-cadre. En conséquence, aux fins de la cohérence quant à notre approche, nous estimons qu'il n'est nullement nécessaire d'inscrire ces choses dans la loi.
Le sénateur Munson : Je me demande pourquoi cela vous poserait un problème qu'il y ait une ligne téléphonique d'urgence, l'une des propositions contenues dans le projet de loi. Il s'agit ici d'une question très sensible et délicate pour les victimes ou prétendues victimes. Les gouvernements peuvent parfois être impersonnels et c'est une grosse bureaucratie, et les gens ont de la difficulté à s'y retrouver pour savoir où aller et quoi faire. S'il était lancé une campagne de sensibilisation du public, une ligne téléphonique d'urgence ne serait-elle pas utile?
Cindy Moriarty, directrice, Bureau pour la santé des femmes et l'analyse comparative entre les sexes, Santé Canada : Ces recommandations s'adressent au ministère de la Santé, et notre principal souci est qu'une ligne téléphonique d'urgence s'inscrirait à l'extérieur du mandat de base du ministère. D'autre part, il nous faudrait tenir compte des compétences provinciales et territoriales, certains des territoires et provinces ayant déjà en place des lignes téléphoniques d'urgence et des services d'aiguillage. Nombre des provinces et territoires ont des services communautaires, les ONG dont nous avons parlé.
Le sénateur Munson : D'autres pays ont-ils des lignes téléphoniques d'urgence fédérales? Les victimes qui arrivent au Canada viennent de partout dans le monde et elles ne choisissent pas la province où vont les envoyer les trafiquants.
Mme Moriarty : Je n'ai pas ce renseignement sous la main. Nous pourrions nous renseigner. Il serait en la matière intéressant de comparer d'autres pays qui sont semblables au Canada pour ce qui est de la dynamique fédérale- provinciale-territoriale.
Le sénateur Munson : J'aurai une dernière question. Je vais invoquer ici le nom du sénateur Andreychuk. Lors du débat que nous avons eu au Sénat le 5 mars, le sénateur Andreychuk a déclaré que le gouvernement avait alloué 6 millions de dollars supplémentaires par an pour renforcer les efforts fédéraux existants en vue de combattre l'exploitation sexuelle et le trafic d'enfants. Cet argent était principalement destiné à améliorer notre intervention de première ligne en matière d'application de la loi. Pourriez-vous nous en dire davantage au sujet de ce financement et de la façon dont cet argent est en train d'être utilisé?
Mme MacNeil : Je peux vous en entretenir, mais je tiens à souligner que ces efforts sont dirigés par Sécurité publique Canada du fait qu'ils visent le renforcement des dispositions en matière d'application de la loi. Il y est question d'action sociale en matière d'éducation publique, chose à laquelle nous œuvrons avec nos partenaires par le biais du groupe de travail. Il y a des dispositions en vue d'améliorations sur le plan des dénonciations de crimes dans le cadre d'une campagne avec Échec au crime. Comme je l'ai mentionné, il y a des dispositions en matière de recherche pour évaluer l'incidence du trafic de personnes sur certaines communautés en particulier, ainsi que l'exploitation sexuelle.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Que se passe-t-il si une victime commet un crime grave pendant que le permis de séjour temporaire de 180 jours est en vigueur? La victime est-elle autorisée à demeurer ici ou bien sera-t-elle renvoyée du pays? Que lui arrivera-t-il?
Mme MacNeil : De manière générale, le permis de séjour temporaire est une mesure qui est à la disposition de personnes qui sont interdites de territoire au Canada et qui ont commis des crimes. Tout dépendrait des circonstances. Il faudrait que les circonstances de chaque cas soient évaluées de manière indépendante.
La présidente : Si j'ai bien compris la question du sénateur Lovelace Nicholas, elle cherche à déterminer ce qui se passe si la victime obtient le permis, puis commet un crime.
Mme MacNeil : Cela dépend de la situation, de la nature du crime et de l'application.
La présidente : Supposons qu'il s'agit d'un crime grave. Que se passerait-il?
Mme MacNeil : La personne pourrait être renvoyée.
Robert Mundie, directeur, Division des priorités stratégiques, Direction générale des politiques stratégiques, Citoyenneté et Immigration Canada : La personne pourrait être renvoyée. Ce serait à l'ASFC qu'il reviendrait d'en décider.
La présidente : Avez-vous des exemples de cas du genre?
Mme MacNeil : Non, pas à ma connaissance.
La présidente : Il nous faudra communiquer de nouveau avec l'ASFC pour obtenir cette information.
Le sénateur Stratton : Je reviens encore à ce qui pourrait se passer. Vous voulez protéger les véritables victimes de la traite de personnes. Ce numéro 1-800 m'intrique, mais une telle ligne téléphonique pourrait être établie en vertu des règlements; il n'est pas nécessaire qu'il y ait une loi.
Lorsqu'une personne qui arrive au pays fait une demande de statut de réfugié, que lui arrive-t-il? Est-elle renvoyée du pays pour faire sa demande? Je ne suis pas au courant de la façon dont cela fonctionne, et j'aimerais faire une comparaison entre ce qui arrive dans le cas d'une personne qui demande le statut de réfugié comparativement à la personne qui, en vertu du projet de loi, aurait tous les droits au bout de trois ans.
Mme MacNeil : Je ne suis pas experte en matière de détermination du statut de réfugié. Cependant, si une personne revendique le statut de réfugié, c'est à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qu'il revient d'en décider. C'est à la commission que se ferait cette détermination. Je ne sais pas quel aspect du processus vous intéresse.
Le sénateur Stratton : Disons qu'il a été déterminé que la personne est un réfugié authentique. On lui accorde le statut de résident temporaire au Canada. Lui faudrait-elle alors passer par le processus normal pour devenir citoyen, ou bien jouirait-elle d'un régime spécial du fait de ce statut de réfugié, comme ce serait le cas des personnes visées par le projet de loi, qui obtiendraient leur statut de résident permanent? Sommes-nous ici en train de créer un cas spécial? En d'autres termes, sommes-nous en train de prévoir quelque chose de spécial pour les situations de trafic de personnes et, ce faisant, sommes-nous en train de nuire aux réfugiés de bonne foi? Si c'est le cas, alors pourquoi une personne revendiquerait-elle le statut de réfugié au lieu de prétendre être victime de trafic de personnes, la victime de la traite de personnes pouvant recourir à un processus plus rapide et plus sûr?
Mme MacNeil : Pour ce qui est de la question de considérer qu'une personne est réputée avoir le statut de résident permanent, ce serait certainement là une disposition tout à fait unique. Ce serait là la différence. Je pense qu'il nous faudrait évaluer quelle incidence, s'il y en a, cela pourrait avoir sur le processus applicable aux réfugiés.
La présidente : Si je me souviens bien, vous avez dit qu'il y a ici des dispositions en matière d'amnistie et que celles-ci vous posent problème. Parlez-vous du paragraphe 24.1(2) du projet de loi? Est-ce cela ce que vous appelez amnistie?
Mme MacNeil : Ce sont les dispositions en matière d'interdiction de territoire.
La présidente : Il y a une inadmissibilité à court terme et une inadmissibilité à long terme. Je suis en train de regarder les paragraphes proposés 24.1(2) et 24.2(1). Est-ce à cela que vous pensez lorsque vous parlez d'amnistie? Ce terme n'est pas employé, et je voulais simplement comprendre comment vous en arrivez à la conclusion qu'il s'agit d'une amnistie.
Mme MacNeil : Nous regardons le nouveau paragraphe proposé 24.2(4), l'accès au statut de résident permanent. La dernière partie dit ceci :
[...] ne peut être interdit de territoire en raison des circonstances relatives à sa situation de victime de trafic de personnes.
La présidente : Votre crainte est-elle que ce serait une interdiction générale pour les gouvernements ou les autorités en matière de droit pénal de tenir compte de crimes graves?
Mme MacNeil : C'est exact. Le texte dit bien « en raison des circonstances », de telle sorte que tout crime commis dans les circonstances relatives à la situation de victime du trafic de personnes par l'intéressé ne pourrait pas être utilisé pour déclarer la personne inadmissible au Canada en vertu des dispositions en matière d'immigration.
La présidente : Pour être tout à fait franche, j'ai surtout lu cette partie du texte pour parler de la victime de la traite de personnes. Êtes-vous en train de dire que cela pourrait englober quiconque jouerait un rôle dans le trafic de personnes?
Mme MacNeil : Non. Nous parlons de la victime. Comme je l'ai indiqué dans mes remarques liminaires, nous savons que les victimes peuvent commettre des crimes pendant leur entrée au pays dans le cadre d'un trafic de personnes. Cependant, notre souci ici est que le texte est si général que cela engloberait tout crime ayant pu être commis par cette personne. Cela pourrait englober le meurtre et le trafic d'autres personnes.
La présidente : Dans le cadre du régime actuel, si le projet de loi n'est pas adopté, si une victime était amenée dans notre pays de manière irrégulière, était menacée de quelque façon et commettait un crime, il ou elle serait traduit en justice, si nous disposions de preuves?
Mme MacNeil : Il est question ici de l'inadmissibilité au pays à des fins d'immigration. En vertu de l'actuel régime, on procède au cas par cas.
La présidente : Le propos ici n'est pas le crime et la façon dont l'affaire pourrait être traitée en cour. Votre souci est que vous préférez une approche au cas par cas, dans les situations où il existe peut-être une raison impérieuse de ne pas accorder un permis. Est-ce cela que vous êtes en train de dire?
Mme MacNeil : Oui. Nous discutons ici de l'octroi du statut de résident permanent.
La présidente : Le mot « amnistie » signifie pour moi autre chose que ce que vous dites, et je tenais donc à tirer cela au clair.
Le sénateur Jaffer : Si une personne s'est vue accorder un permis de séjour temporaire et est autorisée à demeurer au pays et demeure ici pour 180 jours, que se passe-t-il après les 180 jours?
Mme MacNeil : Il peut se passer différentes choses. La personne peut se voir accorder un autre permis de 180 jours s'il reste encore du travail à faire dans l'établissement d'un motif raisonnable de croire qu'il y a eu trafic de personnes. Vous pouvez délivrer un autre permis de 180 jours ou un permis de résidence temporaire à long terme et, en vertu du régime actuel, ce permis peut être valable pour une période allant jusqu'à trois ans.
Le sénateur Jaffer : Les personnes dans pareille situation peuvent-elles demander la résidence permanente dans les trois ans?
Mme MacNeil : Elles peuvent en faire la demande en vertu des autres mécanismes d'immigration à leur portée. Si la personne rencontre quelqu'un pendant cette période, un résident permanent ou un citoyen canadien, et se marie ou s'installe dans une union de fait, il y a des dispositions pour cela. Elle pourrait décider pendant cet intervalle de revendiquer le statut de réfugié. Nombre des voies d'immigration lui seraient à ce stade ouvertes.
Le sénateur Jaffer : Sauf tout le respect que je vous dois, cela se fait sur une base individuelle. Il serait difficile pour ces personnes de revendiquer le statut de réfugié, mais pourraient-elles faire une demande pour raisons d'ordre humanitaire?
Mme MacNeil : Cette possibilité aussi leur serait ouverte.
La présidente : Êtes-vous en train de dire que, d'après l'analyse qu'en a faite votre ministère, si le projet de loi est adopté, le pouvoir discrétionnaire du ministre sera supprimé et il n'y aura qu'un permis de 180 jours, alors que dans le cadre de l'actuel régime il peut y avoir prolongation?
Mme MacNeil : Je ne suis pas certaine qu'il soit clairement établi dans le projet de loi, dans son libellé actuel, qu'il pourrait y avoir des renouvellements de permis de 180 jours. Le projet de loi fait état d'un permis de 180 jours et d'un permis de trois ans.
La présidente : Le service juridique du ministère s'est-il penché sur la chose?
Mme MacNeil : On ne lui a pas posé cette question précise.
La présidente : Il nous faudrait quelqu'un du ministère de la Justice qui nous donne son interprétation. Le projet de loi ne fait pas état de prolongations, et la question est donc de savoir s'il y aurait possibilité de prolongation par inférence. Je ne sais pas. Il nous faudrait examiner cela. Je ne suis pas avocate spécialiste de l'immigration.
Merci beaucoup de vos observations au sujet du projet de loi S-218. Nous en tiendrons compte dans notre étude.
Nous avons maintenant le plaisir d'accueillir parmi nous, du Conseil canadien pour les réfugiés, Mme Janet Dench, directrice exécutive, et Mme Loly Rico, présidente, Sous-comité sur la lutte contre la traite d'êtres humains. Je crois comprendre que vous avez une déclaration liminaire, après quoi nous passerons aux questions.
Loly Rico, présidente, Sous-comité sur la lutte contre la traite d'êtres humains, Conseil canadien pour les réfugiés : Merci beaucoup de nous avoir invités à exprimer nos vues sur le projet de loi C-218. Le Conseil canadien pour les réfugiés est une organisation cadre se donnant pour mission de protéger les réfugiés au Canada et partout dans le monde et de faciliter l'établissement et l'intégration des réfugiés et des immigrants au Canada. Quelque 170 organisations de tout le Canada sont membres du CCR.
Nous saluons le travail du Sénat sur la question de la traite et félicitons le sénateur Phalen de sa volonté de protéger les victimes de la traite, en particulier avec l'introduction de ce projet de loi. La traite de personnes est de longue date un problème invisible au Canada, et nous sommes donc particulièrement reconnaissants aux sénateurs de le mettre en lumière.
Sous l'impulsion du groupe membre qui se penche sur l'égalité des sexes, le CCR suit depuis plusieurs années le problème de la traite des femmes et des enfants. Après des consultations régionales en 2002-2003, nous avons organisé une conférence nationale sur la traite des femmes et des enfants en novembre 2003. À partir de là, nous avons formulé une série de recommandations et adopté trois principes directeurs.
Les mesures doivent être non punitives et ne doivent pas pénaliser les victimes de la traite. Les mesures doivent être prises dans le strict respect des droits des victimes. Des programmes et services de soutien spécifique doivent être offerts aux victimes, ainsi qu'une formation aux prestateurs de services et parties prenantes.
Pour assurer le suivi de ce travail, nous avons formé un comité de lutte contre la traite, qui représente à l'échelle nationale les organisations de défense des victimes de la traite, Au sein de ce comité, nous nous efforçons d'appliquer les principes ci-dessus et militons pour leur mise en oeuvre à l'échelle nationale par les pouvoirs publics, leurs organismes et les prestateurs de services, cherchons à sensibiliser le public au problème de la traite au Canada ainsi qu'à protéger les victimes de la traite dans notre pays.
Par exemple, un réseau coordonné a été constitué à Vancouver reliant les ONG et les autorités locales en vue d'offrir les services aux victimes du trafic. D'autres villes focalisent sur la sensibilisation du public et l'intervention auprès des députés dans l'intérêt de la protection des victimes. Nous avons suivi de près les diverses mesures introduites par le gouvernement canadien. Étant convaincus qu'il reste encore beaucoup à faire, nous avons élaboré début 2007 une proposition de modification de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés afin de mieux protéger les victimes, et nous faisons depuis la promotion de ce projet.
Nous vous avons distribué notre proposition de refonte de la loi. En novembre dernier, nous sommes intervenus auprès de différents députés de la Chambre des communes et nous avons publié une brochure de questions et réponses et un feuillet que nous distribuons aux ONG dans le cadre de notre travail de sensibilisation du public.
Les aspects primordiaux de notre proposition sont les suivants : militer pour une refonte de la loi afin d'assurer un changement permanent et fondamental de la politique de telle manière que les victimes de la traite soient inconditionnellement protégées au Canada par l'octroi du statut de résident permanent et de services adéquats; mettre en lumière les insuffisances des dispositions actuelles de la loi relatives à la traite, qui criminalise le trafic et encourage l'incarcération des victimes plutôt que de protéger leurs droits humains; promouvoir l'égalité des sexes, étant donné que la traite touche particulièrement les femmes et les filles, exploitant leur vulnérabilité dans la société, tant au Canada qu'ailleurs dans le monde.
Ces propositions ont été approuvées par de nombreuses organisations, dont les Sœurs de Saint Joseph du Canada, Stop the Trafficking; Persons Against the Crime of Trafficking ou PACT; London and Area Anti-trafficking Committee, et la Fédération canadienne des femmes diplômées des universités.
Janet Dench, directrice exécutive, Conseil canadien pour les réfugiés : Nous voulions dire quelques mots sur les similitudes et les différences entre le projet de loi S-218 et notre proposition. Pour commencer par quelques similitudes, tant le projet de loi S-218 que notre proposition reconnaissent la nécessité de remanier la législation relative à l'immigration afin d'assurer la protection des victimes de la traite.
Nous apprécions les mesures positives prises par le gouvernement avec l'introduction en 2006 des lignes directrices sur l'octroi de permis de résidence temporaire aux personnes trafiquées, mais nous pensons, sur la foi de l'expérience, que cela ne suffit pas et qu'une modification de la loi est nécessaire. À cet égard, nous nous séparons de la représentante de Citoyenneté et Immigration Canada lorsqu'elle dit que les mesures actuellement en place répondent adéquatement aux besoins des victimes de la traite.
La proposition du Conseil canadien des réfugiés recommande que le trafic soit défini de la même façon que dans le Protocole des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants. Le projet de loi S-218 adopte une définition similaire, encore qu'il présente quelques divergences pouvant être problématiques.
Tant le projet de loi S-218 que notre proposition reconnaissent l'importance d'offrir aux victimes du trafic l'accès aux soins de santé et aux services sociaux.
Tant le projet de loi que notre proposition reconnaissent la nécessité d'offrir une protection temporaire immédiate sur la base d'un faible niveau de preuve. Dans notre proposition, nous préconisons la notion du « motif raisonnable de soupçonner » que la personne a pu faire l'objet d'un trafic, une norme qui existe déjà dans la loi. Le projet de loi propose de protéger la personne si « elle est peut-être, ou a peut-être été victime du trafic de personnes ». Ces deux critères reconnaissent tous deux que la situation manque souvent de clarté et qu'il peut être impossible de déterminer les faits rapidement, surtout tant que les personnes concernées n'ont pas eu la possibilité d'apprendre à faire confiance aux autorités.
Tant le projet de loi que notre proposition offrent une protection plus permanente lorsqu'il a été établi, selon une preuve plus rigoureuse, que la personne est victime de la traite et si son expulsion lui causerait préjudice.
Je vais maintenant aborder certaines des différences entre le projet de loi S-218 et notre proposition.
Nous évitons consciemment d'employer le terme « victime » dans notre proposition. La traite consiste à priver la personne qui en fait l'objet du contrôle de sa vie. Le trafic traite les gens comme des objets ou des marchandises, plutôt que comme des personnes et des agents libres. Nous pensons par conséquent qu'il est préférable d'éviter, dans toute la mesure du possible, les termes et les actes qui placent les sujets de la traite dans un rôle passif et sapent leur autonomie.
Nous pensons qu'il est crucial que la protection ne soit pas conditionnelle à la collaboration avec les autorités. C'est ce que font certains pays. L'expérience montre que cela va à l'encontre de l'objectif de protection pour plusieurs raisons, notamment à cause de la crainte profonde et souvent justifiée des sujets pour eux-mêmes et leur famille, et le fait que l'assujettissement à la traite est tellement traumatisant que la personne sera dans l'incapacité de prendre part à des procédures judiciaires intimidantes.
Nous avons par conséquent pris soin de formuler les critères de protection de manière à ne pas faire de la collaboration une condition implicite ou explicite, sachant que le fait de coopérer dans une poursuite pourrait bien exposer le sujet du trafic à un plus grand risque. Bien que le projet de loi S-218 ne fasse pas de la collaboration une condition de la protection à plus long terme, nous craignons que si l'on en fait l'un des critères cela se traduise dans la pratique par l'obligation pour certaines femmes de choisir entre l'expulsion et la coopération.
Dans notre proposition, nous recommandons la possibilité d'acquérir le statut de résident permanent à moyen terme, à la place d'un permis de trois ans conduisant éventuellement à la résidence permanente, comme le prévoit le projet de loi. Nous connaissons les implications du statut temporaire par opposition au statut permanent. Nous pensons de ce fait qu'imposer une longue période de statut temporaire au sujet de la traite représenterait une lourde épreuve sur le plan tant pratique que psychologique. Il est très difficile pour une personne ayant un droit de séjour au Canada seulement temporaire de construire une vie. C'est d'autant plus difficile si la personne a souffert un traumatisme aussi grave que la traite et a de ce fait déjà de lourds handicaps à surmonter pour reconstruire sa vie.
Un obstacle spécifique pour les titulaires de permis temporaire est qu'ils n'ont pas droit au regroupement familial, même pas avec les conjoints ou enfants à charge. Dans notre proposition, nous recommandons que les sujets de la traite puissent englober immédiatement les membres de leurs familles dans leur demande de résidence permanente, à l'instar des réfugiés.
Étant donné que les enfants sont aussi victimes de la traite et sont particulièrement vulnérables en raison de leur jeune âge, notre proposition contient des dispositions spécifiques les concernant.
Enfin, nous avons englobé dans notre proposition des références aux ONG, considérant qu'elles ont un rôle clé à jouer lorsqu'il s'agit de répondre efficacement aux besoins des victimes de la traite. Les ONG sont beaucoup mieux en mesure que les fonctionnaires d'établir une relation de confiance avec des personnes qui ont été mal traitées et exploitées.
La présidente : Je dirais que la préoccupation à l'égard du trafic d'êtres humains est mondiale et existe certainement au Canada. C'est pourquoi notre comité a déposé un avis de motion demandant à étudier cette question. Le Sénat n'a pas adopté la motion mais nous avons l'intention d'étudier tous les aspects de ce problème car nous pensons qu'un examen approfondi est nécessaire à ce stade. Nous allons sans aucun doute vous inviter à comparaître de nouveau lors de cette étude plus large.
Le sénateur Munson : Lors du témoignage du sénateur Phalen et des fonctionnaires, le nombre de victimes du trafic d'êtres humains au Canada a été chiffré comme se situant entre 800 et 16 000. Puisque vous êtes présents sur le terrain auprès de ces gens, avez-vous idée de ce que peut être le chiffre véritable de victimes, ou de présumées victimes, du trafic dans notre pays?
Mme Dench : Nous n'avons pas d'accès privilégié aux chiffres. Dans notre travail dans ce domaine, nous avons réalisé qu'aussi longtemps qu'il n'y aura pas de mécanisme de protection clair pour les sujets de la traite, beaucoup d'entre eux échapperont à notre attention.
À l'heure actuelle, la situation est telle que les trafiquants peuvent dire à leurs victimes qu'elles ont un choix : « Si vous nous quittez, vous serez probablement expulsés ». Ensuite, si elles sont expulsées, elles seront exposées au danger dans leur pays d'origine. Les trafiquants peuvent suspendre une épée de Damoclès sur la tête de leurs victimes du fait de l'absence de protection garantie dans la législation canadienne.
Nos organisations membres qui servent les immigrants et les réfugiés demandent ce qu'elles peuvent offrir aux victimes du trafic. S'il n'y a pas de protection garantie dans la loi, il leur est difficile de tendre la main à ces personnes et de les aider, lorsqu'il n'existe pas de possibilités concrètes. Pour cette raison, nous n'avons aucun moyen de savoir combien de personnes sont concernées.
Notre position est que chaque être humain a droit au respect de ses droits. Que le nombre des victimes soit important ou non, nous devons nous en préoccuper car nous savons qu'il existe des personnes dans cette situation.
Mme Rico : En outre, il n'existe aucun mécanisme pour recueillir ces données. L'un de ces chiffres pourrait provenir de la GRC. Dans mon travail avec les femmes et enfants réfugiés, je vois des personnes susceptibles d'être victimes de la traite. Lorsque nous contactons Citoyenneté et Immigration Canada ou lorsqu'ils sont découverts par l'Agence canadienne des services frontaliers, ils ne sont pas forcément recensés comme victimes de la traite. Cependant, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié leur accorde parfois le statut de réfugié pour cette raison.
Il n'existe pas une catégorie définie de « victime de la traite », et c'est pourquoi nous n'avons pas de chiffres exacts. Je suis sur le terrain, je les vois et j'essaie de les aider, mais il n'existe pas de réel mécanisme pour leur venir en aide.
Le sénateur Munson : Il faut beaucoup de courage à une victime pour sortir de l'ombre, j'imagine. Le projet de loi du sénateur Phalen parle d'une ligne téléphonique d'assistance. Les fonctionnaires semblaient rejeter cette idée. Est-ce qu'une ligne téléphonique d'assistance serait utile aux victimes?
Mme Rico : Oui. Nous en avons fait l'expérience. Par exemple, je travaille à Toronto et nous avons là une ligne téléphonique d'assistance pour les femmes victimes de violence familiale. C'est une réussite. C'est une façon pour les femmes de communiquer de trouver un foyer d'accueil et de recevoir protection.
Nous envisageons quelque chose de ce genre. La GRC a un numéro d'appel en ce moment, mais vu qu'il s'agit d'une ligne de la GRC, elle est peu utilisée. Cependant, l'idée est bonne.
Le sénateur Munson : Votre propre proposition, qui présente quelques similitudes avec celle du sénateur Phalen, contient une ligne qui m'a frappé. Vous dites : « Il n'y a pas de disposition législative visant spécifiquement la protection des droits des victimes de la traite ». Pourriez-vous préciser votre propos?
Mme Dench : Il n'existe aucune disposition expresse pour les victimes de la traite. Si vous faites une recherche dans la loi et le règlement d'application, la traite est mentionnée dans les dispositions qui l'érigent en acte criminel, si bien que les trafiquants peuvent être poursuivis. Il y a une mention dans les règles relatives à la mise en détention. Si une personne fait l'objet de traite, et cela comprend les enfants, ce facteur milite en faveur de sa mise en détention. Une personne assujettie au trafic court un plus grand risque d'être incarcérée qu'une autre. Il n'y a aucune mesure spécifique dans la loi pour protéger ou promouvoir les droits des victimes de la traite.
Le sénateur Munson : Nous savons que vous formulez votre propre proposition, mais nous incitez-vous à adopter le projet de loi S-218?
Mme Dench : Nous sommes certainement en faveur des objectifs généraux du projet de loi. Comme je l'ai dit dans mon exposé, nous formulons des réserves sur certains aspects du projet de loi.
Le sénateur Stratton : Pour poursuivre dans la même veine que le sénateur Munson, étant donné l'écart entre ce que vous souhaitez et ce que le sénateur Phalen propose dans son projet de loi, pensez-vous qu'il faille amender ce dernier pour le rendre conforme à vos souhaits?
Mme Dench : Oui, certainement.
Le sénateur Stratton : Parmi les différences que vous mettez en lumière dans votre texte, le premier point traite des victimes. Vous n'employez pas ce mot. Le deuxième point dit : « Nous pensons qu'il est crucial que la protection ne soit pas conditionnelle à la collaboration avec les autorités. Certains autres pays exigent précisément cela ». Pourriez-vous nous donner des exemples de ces autres pays?
Mme Dench : Certainement. Plusieurs pays d'Europe, ainsi que les États-Unis et l'Australie, rendent l'octroi d'un permis de séjour temporaire ou permanent dans le pays conditionnel à la collaboration avec les autorités. Dans certains cas, vous obtenez le séjour temporaire si vous acceptez de coopérer. Dans certains cas, le maintien du droit de séjour dans le pays est conditionnel à la condamnation des trafiquants. Si la poursuite ne parvient pas à obtenir la condamnation des trafiquants, le sujet de la traite subit également les conséquences.
Le sénateur Stratton : Au troisième point, vous recommandez qu'il soit possible d'acquérir le statut de résident permanent à moyen terme. Que signifie « moyen terme » pour le profane?
Mme Dench : Dans le projet de loi du sénateur Phalen, vous avez une protection à court terme et puis un permis de séjour temporaire de trois ans, puis après trois ans vous pouvez devenir résident permanent. Nous voulons sauter cette étape intermédiaire, sans dire que la résidence permanente interviendra à un moment fixe. Autrement dit, si vous obtenez un permis temporaire, vous pourrez ensuite demander la résidence permanente dès que vous remplissez les conditions, à tout moment. Cela permettrait à la personne de construire sa vie et d'avoir plus vite la sécurité du statut de résident permanent. Ce pourrait être dans les six mois après l'arrivée.
Le sénateur Stratton : C'est bien ce que je pensais. J'aime cette idée.
Le sénateur Jaffer : Vous travaillez avec les victimes. Je pense que la différence entre ce que propose le sénateur Phalen et ce que dit le ministère est la question de la flexibilité. Si j'ai bien compris ce que dit Citoyenneté et Immigration Canada, inscrire la pratique actuelle dans la loi empêcherait le gouvernement de faire des ajustements et de réagir rapidement aux besoins des victimes. Pensez-vous que l'inscription de cela dans la loi réduirait la flexibilité?
Mme Dench : J'apprécie le souhait du gouvernement de conserver la flexibilité, mais du point de vue des ONG et des victimes de la traite, la flexibilité ne fonctionne pas nécessairement en faveur de la victime. Nous savons que les lignes directrices émises par Ottawa sont bien intentionnées, mais lorsqu'elles n'ont pas force de loi et ne comportent pas toutes les mesures qui accompagnent une disposition légale, nous constatons sur le terrain que de nombreuses victimes tombent dans les failles du système. Mme Rico pourra vous donner des exemples plus concrets. Selon notre expérience sur le terrain, la flexibilité ne s'exerce pas en faveur des sujets de la traite. Nous donnons l'exemple d'un cas à Vancouver où une personne a été identifiée à la frontière comme faisant l'objet de traite et pourtant elle n'a jamais eu accès à un avocat. La femme a été placée en détention et expulsée en l'espace de quelques jours. Nous ne connaissons évidemment pas tous les détails de cette affaire, mais ce genre de chose nous trouble beaucoup, et ce n'est là qu'un exemple parmi d'autres.
Mme Rico : Je peux vous donner quelques exemples. La police de Toronto faisait enquête sur un viol dans une maison de prostitution et elle y est tombée sur une femme sans permis de séjour. Elle a été emmenée à Citoyenneté et Immigration Canada et reconnue comme victime de la traite. L'agent d'immigration, lors de l'entretien, ne lui a pas accordé de permis de résident temporaire. L'octroi de ces permis est très subjectif. La personne doit être reconnue comme victime de la traite, et parfois elle-même ne réalise pas qu'elle a été l'objet d'un trafic.
Tout dépend de ce que croit l'agent d'immigration. Même si l'agent administre un questionnaire à la victime, l'octroi d'un permis de séjour temporaire est tributaire de la croyance de l'agent d'immigration. C'est pourquoi nous disons que cette sorte de flexibilité n'est pas une bonne chose.
Le sénateur Jaffer : Vous dites que parfois les gens ne savent même pas qu'ils font l'objet d'un trafic. Si j'ai bien compris, avant d'obtenir l'aide du ministère, ils doivent déclarer qu'ils font l'objet d'un trafic. Aux termes de la loi, ils recevront davantage d'aide. Est-ce là ce que vous dire?
Mme Rico : Oui.
La présidente : Quels outils possède un fonctionnaire pour déterminer si une personne est victime de la traite, surtout si elle-même ne le sais pas? Pouvez-vous me donner un exemple? S'il s'agit d'un cas où il existe un réseau de contrebande ou de trafic et qu'on peut retracer ces activités jusque dans l'autre pays et exercer une surveillance policière, il est possible que la personne ne soit pas au courant, et je comprends cette différence. Cependant, d'autres cas sont plus insidieux et mieux cachés. La police a de plus en plus de mal à établir ces liens et à découvrir ces réseaux de trafic. Si les trafiquants parviennent mieux à déguiser leurs activités et si les victimes sont dans l'ignorance, comment ce projet de loi peut-il les aider?
Mme Dench : Il importe de reconnaître que la traite peut revêtir de nombreuses formes différentes. Prenons peut-être un exemple différent mettant en jeu des enfants. Nous connaissons un certain nombre de cas d'enfants placés dans des circonstances telles qu'ils semblent avoir fait l'objet d'un trafic. Ce n'est pas nécessairement un réseau. Il pourrait y avoir un enfant seul qui a été introduit dans le pays et qui est retenu dans une maison comme domestique. L'enfant ne va pas à l'école et on l'oblige à travailler dans la maison. Il est arrivé que des enfants arrivent à l'aéroport dans des circonstances suspectes. Nous avons vu de tels enfants être simplement renvoyés sans enquête sur leur situation et sur ce vers quoi l'enfant est renvoyé.
Nous ne pensons pas que l'adoption d'une loi va faire que tout sera clair soudainement. Ce sont souvent des situations complexes et difficiles. Cependant, s'il existe quelque chose dans la loi ou dans l'énoncé de son objet qui fasse état de la protection des victimes de la traite, cela amènera une meilleure prise de conscience, formation et éducation des agents tant du ministère de l'Immigration que de l'Agence des services frontaliers du Canada.
Cela a été notre expérience au sein de notre organisation ces dernières années, en travaillant sur la question de la traite. Nous sommes devenus plus attentifs aux signes. Si nous voyons quelqu'un arriver dans certaines circonstances, vivant dans certaines relations et disant certaines choses, alors nous savons que ce peut être un cas de trafic.
La présidente : Votre proposition diffère de celle du sénateur Phalen en ce que votre dernier point fait référence aux ONG. Mon expérience du travail dans ce domaine sur plus de 30 années me dit que les ONG sont plus susceptibles qu'un agent ministériel d'établir cette relation de confiance, particulièrement lorsqu'on sait que ces gens viennent souvent de pays où les fonctionnaires ne sont pas perçus comme désireux d'aider mais plutôt comme « le système ».
Comment le projet de loi S-218 pourrait-il incorporer le recours aux ONG comme facilitatrices, par opposition aux agents ministériels? Y avez-vous réfléchi?
Mme Dench : Il se pose en partie la question de savoir ce qui doit figurer dans le texte de la loi et ce qui est une affaire de pratique. Cependant, nous aimerions certainement que dans la stratégie d'ensemble relative aux victimes de la traite on accorde une grande place aux ONG et que les différents organismes gouvernementaux collaborent plus étroitement avec les ONG en les considérant comme des prestateurs de services.
Nous avons souvent été déçus, en faisant ce travail, par la réticence que nous avons souvent rencontrée à ouvrir ce dialogue, tant au niveau national qu'au niveau régional où les membres de notre comité national ont souvent tenté de s'asseoir avec la police, les autorités d'immigration, et cetera. pour traiter de cette question. Il y a une réticence à ouvrir un dialogue efficace.
La présidente : C'est un peu le même problème ici que lorsqu'on travaille sur des problèmes familiaux où la violence est un symptôme. Aux gens qui se retrouvent devant le tribunal, on peut appliquer les termes « victimes » ou « objets de traite ». Et ces personnes sont les moins susceptibles de pouvoir collaborer à l'arrestation du trafiquant. Elles ne craignent pas seulement pour elles-mêmes, mais elles ont souvent peur de ce qui pourrait arriver à leur famille dans leur village d'origine. C'est un réseau très insidieux.
Il existe parfois un niveau de confort et un lien émotif entre le «trafiqué» et le trafiquant. Ceux qui ont travaillé pendant longtemps dans ce domaine savent que c'est très difficile à contourner, comme on le voit dans les cas de crise familiale. Toute procédure qui place les victimes sous le feu des projecteurs et devant des fonctionnaires ministériels et des magistrats les incite seulement à se terrer plus et à subir les conséquences, par crainte de toutes les autres inconnues.
Ce problème n'est pas abordé dans notre proposition ou le projet de loi du sénateur Phalen. La difficulté que nous rencontrons souvent en cour familiale est que l'épouse ne va pas facilement témoigner contre son mari. On peut l'obliger, mais cela ne marche pas toujours. Bien souvent, cela ne produit pas d'effet. Ce qui donne de bons résultats, c'est le counseling, le contact avec ces personnes et l'offre de soutien lorsqu'elles sont prêtes. Cela intervient à un moment différent avec chacun, selon son histoire. Par conséquent, il faut à disposition de nombreux services locaux.
Est-ce que nous nous tournons vers la législation et la politique, alors qu'il faudrait plutôt considérer les ressources et les besoins dans diverses collectivités? Ne faudrait-il pas plus de fonds pour le counseling et le soutien pour permettre à ces victimes d'affronter ce qui leur arrive?
Mme Dench : Vous avez parlé avec éloquence des besoins des personnes et des effets psychologiques du trafic. L'un des éléments de notre proposition porte sur les entretiens avec les agents d'exécution de la loi. À l'heure actuelle, sous le régime du permis de séjour temporaire, il y a un entretien obligatoire avec soit la GRC soit l'ASFC. Cet aspect du système de permis de séjour temporaire nous préoccupe depuis le début. Nous admettons qu'il peut parfois être nécessaire d'interroger les victimes potentielles de traite, particulièrement lorsqu'elles arrivent à la frontière. Nous pensons qu'il faut des directives claires pour que les fonctionnaires conduisant l'entretien soient sensibilisés à ces circonstances et que, chaque fois que possible, un représentant d'une ONG soit présent avec lequel la victime puisse se sentir plus à l'aise.
Vous avez tout à fait raison de dire que d'autres services doivent être mis à disposition, mais pour que les gens puissent s'en prévaloir, il leur faut la garantie d'un statut. C'est pourquoi nous n'avons pas fait de la prestation de services la priorité, car tant qu'il n'y a pas de sécurité du statut, les gens ne vont pas se présenter pour bénéficier des services. Ils ne pourront beaucoup progresser parce que l'absence de permis de séjour garanti les empêchera de travailler. Si vous leur donnez un soutien psychologique mais qu'en même temps la personne craint d'être expulsée la semaine prochaine ou le mois prochain, le counseling ne servira pas à grand-chose.
La présidente : Vous jugez néfaste la période d'attente de trois ans proposée; autrement dit, les victimes devraient pouvoir demander le statut de résident permanent tout de suite. Elles ne devraient pas être empêchées de le faire. Nous avons un système de protection des réfugiés, que nous avons mis en place pour toutes les bonnes raisons, et nous voulons maintenant, pour toutes les bonnes raisons, nous occuper des victimes de la traite.
Si ces victimes choisissent de devenir citoyens canadiens, en supposant qu'elles remplissent toutes les conditions, est- ce que les deux devraient être sur un pied d'égalité? Est-ce qu'un réfugié devrait pouvoir obtenir la citoyenneté canadienne plus vite qu'une victime de la traite, ou inversement, ou bien les deux devraient-ils être sur un pied d'égalité à plus long terme?
Mme Rico : À l'heure actuelle, avec la lenteur du mécanisme des réfugiés à Toronto et la comparution devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, il faut entre huit mois et un an pour être reconnu comme réfugié au sens de la convention. Ensuite, les réfugiés peuvent demander la résidence permanente, pour eux et les membres de leur famille dans le cadre du regroupement familial. Voilà comment cela fonctionne à l'heure actuelle dans le cas des demandeurs du statut de réfugié.
Ce serait la même chose avec les victimes de la traite. Si elles ont un permis de séjour temporaire et doivent être maintenues au Canada pour raison humanitaire, elles peuvent demander la résidence permanente et le regroupement familial, surtout dans le cas des femmes qui ont laissé leurs enfants derrière elles. C'est le droit que nous cherchons à leur attribuer dans cette situation. Nous avons des études prouvant que le regroupement familial stabilise la personne qui vient ici, le réfugié, et facilite l'intégration et l'adaptation de la victime de la traite.
Le sénateur Jaffer : Depuis que nous sommes saisis de ce projet de loi, j'ai souvent pensé que nous devrions appliquer le mécanisme des réfugiés aux objets de la traite. Si une personne est l'objet d'un trafic, à l'heure actuelle elle n'a pas droit à un avocat. Je ne sais pas ce qu'il en est ailleurs, mais en Colombie-Britannique un demandeur du statut de réfugié a maintenant droit gratuitement à un avocat au titre de l'aide juridique. Les mêmes règles devraient s'appliquer aux victimes de la traite qu'aux demandeurs du statut de réfugié. Nous sommes ici en train de mettre en place un nouveau système, avec les règles flexibles de ce projet de loi. Vous connaissez les règles applicables aux réfugiés. Vous en avez évoqué certaines et vous avez dit qu'elles devraient être les mêmes. Comment voyez-vous cela?
Pour préciser ma question, une fois qu'une personne est reconnue comme réfugié au sens de la convention, certaines règles s'appliquent pour l'octroi du statut de résident permanent. Je pense que vous avez déjà dit que les mêmes règles devraient s'appliquer aux victimes de la traite. Dès qu'un permis de résident temporaire est accordé, elles devraient être traitées comme les réfugiés.
Mme Dench : Votre question comporte plusieurs dimensions. Nous avons certainement examiné les parallèles entre une personne victime de trafic et un réfugié. À l'heure actuelle, nous protégeons les réfugiés. Certaines victimes peuvent répondre à la définition de réfugié et obtenir la protection de cette façon, mais il existe une faille. L'asile est pour les personnes qui craignent la persécution dans leur pays d'origine; la traite concerne des personnes qui vivent des abus ici au Canada. Il y a une faille dans la loi. Avec notre proposition, nous cherchons à combler cette faille en disant que oui, nous reconnaissons cette situation d'abus et traitons ces personnes de la même façon que les réfugiés.
Vous pourriez aller plus loin que notre proposition et dire que la Commission de l'immigration et du statut du réfugié pourrait conférer non seulement le statut de réfugié, mais aussi accorder l'asile aux victimes de la traite, ces personnes pouvant alors demander la résidence permanente. Nous ne sommes pas allés jusque-là. Nous avons dit que Citoyenneté et Immigration Canada ferait cette détermination, mais vous pourriez aller plus loin et confier ce rôle à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.
À l'heure actuelle, cela ne semble pas une solution très intéressante parce que le gouvernement ne nomme pas suffisamment de commissaires, ce qui cause malheureusement un gros arriéré qui va croissant.
Le sénateur Jaffer : Nous avons entendu ce que Mme la présidente Andreychuk a dit. Je me débats également avec cette problématique. Lorsqu'une personne demande le statut de réfugié, on lui fournit immédiatement un avocat pour l'assister dans les démarches. Lorsqu'une personne dit être victime d'un trafic, elle comparaît devant les autorités la plupart du temps seule, j'imagine, ou avec un bénévole d'une ONG. Elle ne parvient pas à asseoir la confiance avec quelqu'un. Cela rend les choses plus difficiles. De fait, les choses sont beaucoup plus difficiles pour les personnes qui disent être victimes de la traite, car il n'y a pas les mêmes services pour elles.
Je ne dis pas qu'elles devraient relever de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié; c'est une autre question. Je dis qu'il faudrait leur offrir le même genre de service, afin de ne pas réinventer la roue. Nous ne pouvons pas toucher au système des réfugiés parce qu'il y a une définition et si l'on commence à trop l'ouvrir, cela ne fonctionnera pas. Cependant, des femmes et des enfants souffrent d'abus dans notre pays et nous devrions pouvoir leur offrir le même genre de service. Nous avons déjà en place un système et nous devrions appliquer le même aux victimes de la traite.
Mme Dench : Oui. Une fois que c'est inscrit dans la loi, l'étape suivante sera d'aller voir les différents fournisseurs de services, notamment les services d'aide juridiques des différentes provinces, pour leur dire d'ouvrir leurs conditions d'admissibilité aux victimes de la traite afin qu'elles puissent bénéficier de conseils juridiques.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Une fois qu'une victime de la traite se présente aux autorités, où est-elle logée? Est-ce qu'on la place dans un logis sûr?
Mme Rico : Selon mon expérience, à Toronto, dans certains cas les victimes de la traite sont placées dans un centre de surveillance de l'immigration, parce que les autorités se refusent à collaborer avec les ONG. Parfois on les place dans des maisons de réfugiés ou des foyers d'accueil.
Mme Dench : Pour que ce soit clair, lorsque vous parlez de « centre de surveillance de l'immigration », vous voulez dire détention.
Mme Rico : Oui, les centres de détention.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Y aurait-il une meilleure façon de loger ces personnes? J'essaie de ne pas dire « victimes ». Que pourrait-on faire?
Mme Rico : Oui. L'Organisation internationale pour les migrations, l'OIM, publie un manuel sur la façon de traiter les personnes victimes de trafic. Elle a fait une bonne expérience en Italie. L'une de ses recommandations est que les femmes victimes soient logées dans une petite maison où elles sont intégrées à la collectivité et se sentent rassurées. En outre, elles devraient être logées de manière à ce qu'elles ne soient pas exposées au public, car cela serait dangereux et présenterait un grand risque pour elles. Nous proposons la même chose.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Serait-il utile d'avoir quelque chose à cet effet dans le projet de loi du sénateur?
Mme Dench : La difficulté est toujours de savoir quoi faire d'aspects qui ne relèvent pas réellement du droit mais sont plutôt une question de politique et de prestation de services.
Le sénateur Jaffer : Nous nous débattons tous avec le problème de ce qui se passe lorsque les gens s'avouent victimes de la traite. Si elles sont découvertes, ces personnes peuvent se trouver en danger, tout comme leur famille dans le pays d'origine. À votre connaissance, le gouvernement en a-t-il jamais placé sous protection des témoins?
Mme Rico : Pas pour le moment.
La présidente : Merci beaucoup d'être venue témoigner et de nous avoir fait part de vos vues sur cette question importante. Si nous parvenons à mener notre étude, nous vous ferons certainement revenir pour traiter plus largement du sujet.
Honorables sénateurs, nous accueillons maintenant, par vidéoconférence, M. Benjamin Perrin, professeur adjoint, Faculté de droit, Université de la Colombie-Britannique.
Vous avez la parole pour votre déclaration liminaire.
Benjamin Perrin, professeur adjoint, Faculté de droit, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Merci beaucoup, madame la présidente et sénateurs.
Comme vous l'avez sans aucun doute déjà entendu dire aujourd'hui, la traite de personnes est non seulement un grave crime transnational mais aussi une grave atteinte aux droits fondamentaux de la personne. Le rôle du Canada dans cette pratique mondiale reste toujours mal connu. Deux choses sont claires, cependant : nous ne sommes pas à l'abri du trafic d'êtres humains — il a atteint nos frontières — et le Canada ne fait pas suffisamment pour le combattre.
À l'échelle internationale, il est admis que trois ingrédients sont nécessaires pour combattre effectivement la traite : la prévention, la répression et la protection des victimes. Le projet de loi S-218 représente une tentative admirable de mieux protéger les victimes de la traite au Canada. Il reconnaît l'importance de mieux les protéger en droit de l'immigration canadien, ce qui est un point de départ nécessaire. Cependant, comme je l'indiquerai plus loin dans mon exposé, je soumettrai à l'attention du comité plusieurs amendements primordiaux si l'on veut que ce projet de loi soit efficace pour la lutte contre la traite de personnes.
Il importe de protéger les victimes de la traite non seulement parce que c'est la chose morale à faire, conformément aux valeurs canadiennes, mais aussi parce que nous avons pris l'engagement à l'échelle internationale de faire plus pour protéger ces individus vulnérables. Le Canada a signé le 14 décembre 2000 le Protocole des Nations Unies sur la traite, lequel a été ratifié le 13 mai 2002. Les articles 6 à 8 de ce traité exigent que le Canada envisage une série de mesures de protection des victimes de la traite.
Je suis l'auteur d'un rapport publié en mars 2006 par The Future Group, intitulé Falling Short of the Mark : An International Study on the Treatments of Victims of Human Trafficking. Comme certains d'entre vous le savent, ce rapport comparait l'action du Canada à celle d'autres pays occidentaux développés signataires du protocole et déterminait dans quelle mesure nos paroles avaient été suivies d'actes.
La note octroyée au Canada était un F. Le rapport concluait :
Le Canada a systématiquement négligé ses obligations internationales, au titre du Protocole sur la traite, concernant à la protection des victimes du trafic d'êtres humains. La manière dont le Canada traite les victimes d'un trafic constitue une honte nationale et est contraire aux meilleures pratiques.
En ce qui concerne plus particulièrement le sujet du projet de loi dont vous êtes saisi aujourd'hui, ce rapport a conclu que les options légales offertes aux victimes de la traite en vue d'obtenir le droit de séjour temporaire au Canada après avoir été découvertes laissent à désirer. Les victimes ne sont pas admissibles au statut de réfugié pour la seule raison qu'elles ont été amenées au Canada dans le cadre d'un trafic. De même, l'octroi de titres de séjour pour raison humanitaire est trop discrétionnaire et sporadique pour représenter une bonne solution de remplacement.
Il faut un moyen clair et direct pour les ressortissants étrangers faisant l'objet de la traite d'obtenir un titre de séjour légal au Canada, afin de faciliter leur rétablissement et accroître la possibilité qu'elles puissent apporter leur aide dans la poursuite des personnes responsables de leurs souffrances.
En sus du statut de résident, toutes les personnes victimes de la traite ont besoin d'un éventail de services de soutien, comme on vous l'a expliqué tout à l'heure. Cela englobe les soins de santé et le soutien psychologique, le logement, le soutien du revenu ou de l'emploi, l'aide juridique et les services de traduction. La plupart de ces services de soutien sont du ressort provincial. Je ne vois rien encore à cet égard dans le projet de loi S-218.
Jusqu'à présent, seul le gouvernement de la Colombie-Britannique, au niveau provincial, semble avoir pris des mesures concrètes pour assembler ces services sociaux. Il a créé cet été le premier bureau gouvernemental chargé de combattre la traite de personnes.
Au niveau fédéral, les lignes directrices de Citoyenneté et Immigration Canada de mai 2006 que vous connaissez, qui ont été actualisées l'année suivante, constituaient une bonne première étape d'octroi d'un statut légal aux victimes. Le projet de loi S-218 tente de codifier partiellement ces lignes directrices dans un texte de loi.
L'inscription dans la loi du pouvoir d'octroyer un statut légal aux victimes de la traite représente une étape cruciale tant pour les pouvoirs publics que les organisations non gouvernementales au contact des victimes de la traite, en leur donnant la possibilité d'accorder à ces dernières certaines garanties de protection. Les lignes directrices actuelles, bien qu'admirables, peuvent être abrogées sans préavis. En revanche, elles ont l'avantage d'être flexibles et réactives.
Cependant, il ne serait pas approprié de simplement les codifier sans examiner d'abord leur fonctionnement pratique et sans tirer les leçons de cette expérience. Il existe quelques indications anecdotiques montrant que les permis de résidence temporaires offerts par CIC aux victimes de la traite ne sont pas utilisés dans tous les cas où des ressortissants étrangers sont considérés comme victimes probables d'un trafic. On aurait plutôt dit à ces victimes de simplement revendiquer le statut de réfugié.
Cela est hautement problématique pour plusieurs raisons. Cela occulte l'ampleur de la traite de personnes au Canada, sapant nos efforts de combattre ce crime sérieux. En outre, ces victimes sont peu susceptibles de recevoir le statut de réfugié, comme on l'a vu dans maintes décisions rendues publiques, parce qu'elles ne fuient habituellement pas la persécution dans leur pays d'origine, contrairement aux réfugiés, mais sont plutôt exploitées et persécutées ici au Canada.
Il n'y a tout simplement pas lieu de donner un faux espoir aux sujets du trafic en leur disant de revendiquer le statut de réfugié dans un système déjà sous tension et où la donne leur est défavorable. C'est principalement pour cette raison que nous avons besoin d'une approche claire, concrète et simple inscrite dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés afin qu'ils aient accès à un statut d'immigrant régulier et légal.
Le gouvernement fédéral peut faire plus pour protéger les victimes de la traite et combattre ce crime horrible. Je recommande d'envisager deux mesures immédiates. La première concerne le projet de loi S-218 et consiste à prévoir dans la loi une avenue claire, directe et simple permettant aux victimes d'obtenir un permis de séjour temporaire au Canada.
Le deuxième moyen consiste à promouvoir une meilleure coopération entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de façon à offrir toute la gamme des services nécessaires aux victimes du trafic et leur permettre de récupérer de leurs souffrances.
Pendant le temps qui me reste, j'aimerais soumettre au comité quelques recommandations en vue d'améliorer spécifiquement le projet de loi S-218.
Premièrement, dans tout le projet de loi S-218, les droits et avantages accordés aux victimes de la traite sont liés ou même conditionnels à l'absence de titre de séjour. Cependant, il ne faut pas oublier que tous les sujets d'un trafic ne sont pas dans l'illégalité. Certains détiennent un visa de séjour, de travail ou d'études par ailleurs valide. Les mesures de protection et options d'immigration offertes par le projet de loi aux victimes de la traite ne devraient pas dépendre entièrement de leur statut d'immigration.
Il est également probable que les régimes provinciaux commençant à offrir des services aux victimes de la traite exigeront qu'elles soient préalablement reconnues comme telles par les autorités d'immigration. Aussi, lorsqu'on soupçonne qu'un ressortissant étranger est l'objet d'un trafic, une détermination à cet égard devrait être faite dans tous les cas, que la personne soit au Canada clandestinement ou non.
Deuxièmement, la définition de « victime du trafic de personnes » à l'article 3 du projet de loi S-218 pose problème. Elle fixe la barre trop haut, ignore la pratique courante de la servitude pour dette ou la coercition psychologique souvent exercée sur les victimes. Elle omet également de distinguer des autres cas le trafic d'enfants, qui est traité différemment dans le protocole sur le trafic des Nations Unies.
Malheureusement, il est insuffisamment clair, et il même carrément vague, quant à ce qui constitue l'exploitation et la coercition. Je recommande au comité d'examiner des exemples à l'étranger où la définition des Nations Unies a été traduite en législation nationale. Le débat récent aux États-Unis sur la William Wilberforce Trafficking Victims Protection Reauthorization Act de 2007 serait une bonne source d'inspiration pour régler ces problèmes de définition.
Troisièmement, les permis de séjour à court terme accordés aux victimes de la traite dans le projet de loi S-218 doivent être rendus clairement renouvelables. Il faut davantage d'options entre la période de 180 jours d'un permis à court terme et le permis de protection temporaire de trois ans.
Quatrièmement, les permis de séjour temporaire dans le projet de loi S-218 sont fondés à juste titre sur le risque de préjudice pour le demandeur ou sa disposition à collaborer à une poursuite des trafiquants. Cependant, dans le cas du sous-alinéa 24.291)b)(i) proposé, le critère est une « sérieuse possibilité » de contrainte ou préjudice. Cette norme paraît trop élevée et je recommanderais que le comité envisage une norme différente, soit « une possibilité raisonnable » de contrainte ou préjudice.
Enfin, en ce qui concerne la partie 2 du projet de loi S-218, je suis pleinement partisan d'un point de contact unique pour tous les services de soutien offerts aux victimes de la traite. C'est là une recommandation admirable du projet de loi. Cependant, comme dans le cas du paragraphe 2b), il conviendrait d'indiquer clairement que les provinces ont un rôle à jouer et la responsabilité de fournir une plus grande contribution pour assister les victimes du trafic.
Pour conclure, la protection des victimes est une condition nécessaire si l'on veut renforcer la détection du trafic d'êtres humains, car les victimes seront moins susceptibles de se déclarer aux autorités si elles n'ont pas la garantie d'être traitées avec justice et compassion. L'exécution de toute mesure visant à accorder un statut légal et d'autres mesures de protection aux victimes doit être poursuivie avec diligence par les ministères concernés car, comme vous l'avez entendu, une très grande partie de ce travail relève de la politique, et non simplement de la législation.
Comme vous en conviendrez tous, nous l'espérons, le trafic d'êtres humains constitue une atteinte fondamentale à notre engagement national le plus élémentaire, soit de protéger la liberté individuelle. Il faut mettre un terme à cette pratique de notre vivant.
La présidente : Merci de cette analyse concise et utile du projet de loi S-218 et de la question plus large de la traite d'êtres humains.
Le sénateur Jaffer : Professeur Perrin, je vous remercie de tout le travail que vous avez abattu dans ce domaine. Je ne sais pas si vous avez entendu les témoins précédents du ministère de l'Immigration et de la Citoyenneté. Ils craignent que le projet de loi S-218, s'il est adopté, ne réduise la marge de manœuvre du ministre. Ils disent que le fait d'inscrire dans la loi la pratique actuelle empêcherait le gouvernement d'adapter son action et de réagir rapidement aux besoins des victimes ainsi que de tous ceux qui combattent le trafic illicite de migrants. Que leur répondez-vous?
M. Perrin : Je pense qu'il faut tirer le trait au bon endroit ici. Il est assurément nécessaire d'inscrire dans la Loi sur l'immigration elle-même une disposition visant spécifiquement la traite de personnes. Comme le comité le sait, il n'y a actuellement rien dans la loi qui mentionne nommément les victimes d'un trafic. Il faut à tout le moins créer dans la Loi sur l'immigration une catégorie spécifique de permis de résidence temporaire et de permis de séjour de courte durée.
On peut ensuite assurer la flexibilité en reléguant divers aspects de la procédure à cet égard dans le règlement d'application; peut-être faudrait-il également tenir compte aux fins de l'octroi des permis des moyens employés par les trafiquants. Ce genre de chose se prête à une flexibilité accrue.
Tout en convenant qu'il ne faut pas tout mettre dans la Loi sur l'immigration, je dirais néanmoins qu'il faut dans la Loi sur l'immigration une disposition qui établisse légalement ces permis afin qu'ils ne puissent pas être supprimés d'un trait de plume.
Le sénateur Jaffer : Vous avez également évoqué un autre aspect auquel je n'avais pas songé et que j'aimerais approfondir. Vous avez parlé de ressortissants étrangers en situation régulière et d'autres en situation irrégulière. Par exemple, lorsque le sujet du trafic est titulaire d'un visa d'étudiant ou d'un permis de travail, il faudrait lui donner le même accès qu'aux victimes en situation irrégulière. Ai-je bien saisi?
M. Perrin : Oui. Le texte actuel du projet de loi S-218, dès le tout début, dans l'énoncé de l'objet, parle continuellement de personnes sans statut juridique, celles qui sont inadmissibles et ne répondent pas aux exigences de la loi, et cetera. Cela se retrouve partout dans le projet de loi. Cela signifie qu'aux termes du projet de loi S-218, les agents d'immigration pourraient dire que seules sont admissibles à ces permis les personnes en situation irrégulière.
Encore une fois, nous menons à l'Université de la Colombie-Britannique cette vaste étude sur l'application pratique des lignes directrices, et nous avons déjà recueilli des preuves empiriques que les agents d'immigration n'utilisent pas ou n'envisagent même pas de recourir au permis de séjour temporaire si la victime de la traite possède déjà quelque autre titre de séjour.
Nous savons que les trafiquants utilisent fréquemment des programmes d'immigration par ailleurs légitimes pour faire entrer des personnes dans le pays, une pratique de plus en plus courante, et le problème est que si ces personnes ne sont pas identifiées comme des victimes d'un trafic, elles seront inadmissibles au permis de séjour ultérieur de trois ans, et par ailleurs les provinces offrant des services de soutien aux victimes seront placées dans une situation difficile puisque les autorités d'immigration n'auront pas déterminé si la personne est ou non victime de la traite et seront confrontées à la difficulté d'effectuer leur propre évaluation.
Ma recommandation serait que tous les avantages, droits et privilèges soient accordés à toutes les victimes du trafic sans distinction, quel que soit leur statut juridique au moment de la découverte.
Le sénateur Jaffer : Si je comprends bien ce que vous dites, si nous adoptions cette loi, nous établirions pour la première fois une catégorie de personnes appelée les victimes de la traite. Est-ce là ce que vous dites? À l'heure actuelle, cela ne figure que dans un règlement. Il n'y a rien dans la loi qui reconnaisse que des migrants ont pu arriver dans notre pays par le biais d'un trafic illicite.
M. Perrin : C'est juste. Il est important de reconnaître dans la loi la vulnérabilité des victimes de la traite et la gravité de ce crime et des atteintes correspondantes aux droits de la personne. Il ne suffit tout simplement pas, aux yeux des nombreuses organisations gouvernementales qui entrent en contact avec d'éventuelles victimes de la traite, de pouvoir leur dire qu'il existe une politique énoncée quelque part dans un site Internet, dont on ne sait trop comment elle fonctionne et qui pourrait être abrogée d'un jour à l'autre et sans qu'il y ait aucune assurance que la victime reçoive un statut juridique. Oui, absolument, cela doit être inscrit dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Nous pourrions discuter plus avant des aspects qui devraient figurer dans le règlement et de ceux qui pourraient faire l'objet de mesures administratives. Le principe est que, pour représenter une protection véritable, le statut juridique d'une victime de trafic, aux fins de la protection et de l'immigration, doit être énoncé dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.
La présidente : Vous avez soulevé un point intéressant : Nous ne reconnaissons pas l'état de victime de la traite. Vous avez fait ressortir qu'elles peuvent être en situation d'irrégularité ou non. Si nous voulons être vraiment cohérents, ne faudrait-il pas trouver une façon de reconnaître en droit l'état de victime d'un trafic, qui ne se limite pas aux migrants? Des gens nés et élevés au Canada peuvent faire l'objet d'un trafic. Dans le cadre d'une autre étude nous nous sommes penchés sur la situation de jeunes qui se retrouvent dans les griffes de criminels, de bandes organisées ou de trafiquants de drogue. Ils sont tout aussi vulnérables et les agissements contre eux au Canada sont tout aussi détestables, qu'ils émanent d'une source étrangère ou canadienne.
Avez-vous réfléchi à l'idée qu'il faudrait aborder cela non pas sous l'angle de l'immigration mais selon l'optique de la personne victime d'un trafic?
M. Perrin : La raison pour laquelle nous avons cette discussion aujourd'hui est que le Canada n'a pas de plan d'action national pour combattre la traite de personnes, laquelle, et je suis totalement d'accord avec vous, comporte une inquiétante dimension intérieure, avec notamment le trafic de femmes et de jeunes filles canadiennes d'un bout à l'autre du pays. Notre recherche a mis en évidence des exemples de jeunes filles canadiennes emmenées par des trafiquants aux États-Unis. C'est un problème très méconnu et pourtant réel.
La seule raison pour laquelle nous en discutons par rapport aux ressortissants étrangers, sous l'angle de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, est qu'il s'agit d'un problème tellement massif. Notre recherche a montré que des victimes du trafic sont couramment placées en détention et susceptibles d'être expulsées. Dans le cas des ressortissants étrangers, il faut absolument créer un statut d'immigration à titre de victime de la traite. Mais cela ne représente qu'une petite dimension du problème.
Un aspect que le comité pourrait vouloir examiner dans le cadre de son étude plus large de la traite d'êtres humains est le rôle du gouvernement fédéral et la nécessité d'un organe ou agence gouvernementale unique conduisant la lutte contre la traite. L'une des raisons pour lesquelles, à mon avis, le Canada a pris un si grand retard est que notre groupe de travail interministériel sur les victimes de la traite compte tant de ministères qu'il ne peut se mouvoir que très lentement, comme vous pouvez l'imaginer. Malheureusement, il nous faut une action plus rapide pour s'attaquer aux facettes multiples de ce problème.
La présidente : C'est un bon résumé. C'est symptomatique de notre structure fédérale-provinciale et de la nécessité de la collaboration. Il faut avancer prudemment au niveau fédéral lorsqu'on cherche à coordonner les responsabilités provinciales et déterminer où se situent les capacités. Il faut souvent une concertation et une perspective nationale reconnue pour que les provinces acceptent de coopérer. Cette remarque n'appelle pas de réponse.
Je m'interroge par ailleurs sur les nouvelles technologies. Nous ne savons pas exactement où commence le trafic et par quel moyen il se répand. Une grande partie passe par l'Internet, sous forme de virements bancaires, de transferts de fonds et de blanchiment d'argent. Vous dites qu'il faut un leadership national dans ce domaine. Faudrait-il lancer une étude nationale sur ce nouveau phénomène qui place les objets du trafic, en particulier les enfants, en situation de vulnérabilité? Voit-on émerger de nouvelles tendances du fait de cette nouvelle cyber-technologie?
M. Perrin : Cette technologie est utilisée de deux grandes façons pour faciliter et amplifier le trafic illicite de migrants. Premièrement, de nombreuses personnes qui sont emmenées et exploitées au Canada sont recrutées au moyen de sites Internet qui promettent un emploi au Canada. C'est un énorme problème. Le gouvernement fédéral a besoin d'outils législatifs supplémentaires pour s'y attaquer. Un autre projet de loi a été introduit au Parlement qui porte là-dessus et je ne vais pas en traiter directement ici, mais il permettrait aux agents d'immigration de faire plus pour empêcher que des gens soient dupés et transportés au Canada dans le cadre d'un trafic. Un procédé très courant consiste à afficher des offres d'emploi fictives pour attirer des gens au Canada avec une promesse d'emploi.
L'autre utilisation est en rapport avec ce que l'on appelle le « trafic numérique ». Celui-ci ne répond pas directement à la définition, mais il s'inscrit dans le problème plus large de l'exploitation sexuelle d'enfants en ligne. Sur des sites Internet à travers le monde, souvent situés dans des pays en développement qui mais pourraient aussi bien être au Canada, il est possible de diriger en temps réel des sévices sexuels horribles sur de très jeunes enfants. Lorsque je travaillais au Cambodge, il nous a fallu convaincre les fournisseurs de services de fermer ces sites Internet. Malheureusement, l'Internet abolit même la nécessité de franchir la frontière pour se livrer au trafic international. C'est une pratique horrible qui n'aurait jamais pu exister auparavant.
Un dernier aspect en rapport avec la technologie, dont nous n'avons pas encore parlé, est le quatrième rôle du Canada en matière de traite d'êtres humains, les trois premiers étant celui de pays de passage, de pays de destination et de pays source : le fait que des Canadiens alimentent, par leur demande, la traite d'êtres humains à l'étranger. Nous avons récemment disséminé dans les médias le chiffre de 146 Canadiens impliqués dans l'exploitation sexuelle d'enfants à l'étranger. Une seule condamnation a été prononcée jusqu'à présent en vertu de notre législation réprimant l'exploitation sexuelle d'enfants à l'étranger. Des Canadiens alimentent la demande de traite de personnes en utilisant l'Internet pour trouver des victimes et en faisant ensuite le voyage à l'étranger. L'Internet alimente de nombreuses façons différentes la traite d'êtres humains impliquant le Canada.
Le sénateur Jaffer : On nous a dit aujourd'hui que, selon les ONG, il y aurait jusqu'à 16 000 victimes de la traite au Canada. Le chiffre officiel est de 800, si j'ai bien compris. Pourriez-vous nous indiquer l'ampleur du trafic au Canada?
M. Perrin : Plusieurs rapports ont été publiés dans le monde sur la difficulté de chiffrer la traite de personnes et cela tient à de nombreuses raisons. Elle est le fait d'une criminalité organisée souterraine et ses victimes sont régulièrement menacées, se faisant dire que si jamais elles racontent à qui que ce soit ce qui leur est arrivé, elles-mêmes ou leur famille seront punies ou tuées. Ajouter à cela les difficultés de langue et la pauvreté et la corruption dans les pays en développement, et vous avez un crime dont il est extrêmement difficile de chiffrer l'ampleur.
Des estimations très divergentes ont été effectuées dans le monde. Le Canada n'est pas différent en ce sens que nous avons un large éventail d'estimations. Ma propre position à ce sujet est la suivante : dans le cas de tout crime grave comme la traite d'êtres humains, peu importe que l'on puisse ajouter ou enlever un zéro au chiffre. Ce qui compte, c'est que c'est un crime sérieux et sa gravité justifie notre attention. Ce n'est pas parce que nous avons entre 400 et 600 meurtres au Canada que nous jugeons ce crime moins grave, et nul ne dirait : « Nous n'avons pas besoin de brigade d'enquête sur les homicides tant que le chiffre n'atteint pas 400 000 ou 40 000 ».
Chaque fois que l'on parle des chiffres de trafic, je souligne toujours que ce qui compte, c'est qu'il existe, et nous pouvons le dire avec certitude. Cependant, pour ce qui est du nombre réel de victimes, nous courons le risque qu'en optant pour un chiffre important, nous finissions par créer des programmes pour résoudre un problème qui n'est pas aussi grand que nous le pensons.
Je cherche surtout à comprendre comment le trafic fonctionne plutôt que d'arriver avec un nouveau chiffre. Je dirais, cependant, que le chiffre de la GRC que vous avez cité — 800 personnes amenées clandestinement et exploitées au Canada chaque année — est universellement reconnu comme une grossière sous-estimation. Cependant, il pourrait tout aussi bien s'agir d'une surestimation.
Je suis désolé de ne pas pouvoir vous donner un meilleur chiffre que celui que vous avez. Il faut faire attention aux chiffres que l'on brandit. Il devrait suffire de dire que nous avons la certitude que le trafic existe et que c'est un crime sérieux qui mérite une attention fédérale.
Le sénateur Jaffer : Dans votre exposé, vous avez dit à un moment donné que le Canada méritait une mauvaise note. Diriez-vous que nous sommes toujours dans la même situation ou bien y a-t-il eu amélioration? Vous avez esquissé un certain nombre de choses que nous devons faire.
M. Perrin : La principale raison pour laquelle le Canada affiche de si mauvais résultats c'est parce qu'il n'y avait absolument rien en place pour protéger les victimes hormis le système très aléatoire des permis de séjour pour raison humanitaire. Cette lacune causait toute sorte d'autres problèmes.
Avec les lignes directrices, nous avons au moins une solution de replâtrage ou l'amorce d'un statut d'immigrant pour les victimes étrangères du trafic. Cependant, nous avons toujours un grand retard au plan international. Nous ne méritons peut-être plus un F, mais probablement guère plus qu'un C-moins ou un D en ce moment. Malheureusement, nous ne sommes pas encore à un stade où nous pouvons être satisfaits de notre action nationale.
Je signale que le Canada a été blâmé non seulement par le Future Group mais aussi par le Département d'État américain il y a quelques années pour son omission de poursuivre adéquatement les trafiquants. On me dit que le nouveau rapport annuel du Département d'État contiendra deux modifications qui pourraient résulter en une plus mauvaise note pour le Canada cette année.
Premièrement, les auteurs du rapport ne vont plus reconnaître les simples poursuites « liées au trafic ». Ils ne vont plus compter que les poursuites pour traite de personnes. Pendant longtemps, le Canada disait avoir entrepris plusieurs douzaines de poursuites liées au trafic, pour des infractions de moindre gravité. Cependant, comme vous le savez, nous n'avons pas une seule condamnation encore pour le délit de « traite de personnes ». C'est le premier changement qui va probablement nous valoir une plus mauvaise note dans le rapport. Le deuxième est le tourisme sexuel, le rôle des pays comme moteurs de la demande de traite de personnes en dehors de leurs frontières, qui sera cette année également une considération dans le Trafficking in Persons Report.
Pour ces raisons, je dirais que le Canada ne fera pas particulièrement bonne figure. Il reste beaucoup de travail à faire. Cependant, il est encourageant de voir un débat dans les deux Chambres du Parlement. La traite de personnes a été mentionnée par le premier ministre et l'engagement pris de faire plus. J'espère que nous verrons davantage de gestes concrets pour faire de cela une réalité.
Le sénateur Jaffer : Cette question ne porte pas sur le projet de loi. Cependant, puisque vous comparaissez devant nous, je vais vous poser une question sur les Jeux olympiques. Comme vous le savez, lorsqu'il y a des Jeux olympiques, on assiste à une augmentation du trafic de femmes et d'enfants vers le pays où se tiennent les jeux.
Vous penchez-vous sur ce qui se passera lors des Jeux olympiques et pouvez-vous nous dire ce que vous prévoyez sur le plan de la traite de femmes et d'enfants à cette occasion?
M. Perrin : Premièrement, bien que cette question ait été portée à l'attention du public, il n'est pas encore clair ce que feront les autorités fédérales et provinciales à cet égard. On m'a dit officieusement que des ressources policières seront mises en place, qu'un plan de lutte contre la traite à l'occasion des Jeux olympiques de 2010 est en cours de préparation. J'ai connaissance de consultations en cours.
Cependant, je n'ai pas vu les plans ni ne sais quelles ressources policières y seraient consacrées. Je suis heureux de voir que la question est sur le radar et a été soulevée, en partie sous forme d'un rapport publié par The Future Group l'automne dernier. Elle a également fait l'objet de questions de députés et de sénateurs. Je dirais que nous ne sommes certainement pas sortis du bois à cet égard et qu'il faut faire plus.
Le rapport dont je parle, si vous ne l'avez pas encore, est intitulé Faster, Higher, Stronger : Preventing Human Trafficking at the 2010 Olympics. Il recommande une série de mesures. Le plus important est de dissuader les trafiquants potentiels et les consommateurs de sexe. En outre, je pense que la prévention vaut mieux que d'attendre que les Jeux olympiques laissent le souvenir d'un point d'inflammation de souffrances humaine.
Un autre point positif que je mentionnerais est que le ministre de la Justice a déclaré que le gouvernement fédéral ne tolérerait pas la création d'un bordel olympique. Je souscris à cette décision. Contrairement à ce que l'on a pu dire, un bordel olympique n'aiderait pas les femmes vulnérables qui se prostituent. La raison en est que ce projet aurait exclu toutes les toxicomanes ou celles atteintes d'une grave maladie transmise sexuellement. Des études ont montré que de 80 à 90 p. 100 des femmes piégées dans la prostitution dans la région de Vancouver sont dans ce cas.
Il faut faire beaucoup plus. J'espère que nous aurons d'autres nouvelles à ce sujet. J'encourage le comité à demander plus de réponses sur ce que fera le gouvernement fédéral face à ce risque.
La présidente : Merci, monsieur Perrin. Je pense que nous avons épuisé les questions. Votre témoignage d'aujourd'hui nous sera sans aucun doute utile pour notre évaluation du projet de loi S-218 et nous nous adresserons certainement de nouveau à vous si nous continuons avec une étude exhaustive de la question. Merci d'être venu nous rencontrer aujourd'hui.
La séance est levée.