Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 6 - Témoignages du 2 juin 2008
OTTAWA, le lundi 2 juin 2008
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, auquel a été renvoyé le projet de loi C-280, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (entrée en vigueur des articles 110, 111 et 171), se réunit aujourd'hui à 17 h 3 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, nous sommes ici réunis ce soir pour étudier le projet de loi C-280, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, entrée en vigueur des articles 110, 111 et 171.
Notre premier groupe de témoins est composé de M. Stéphane Handfield, vice-président de l'Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration, et de M. Max Berger, avocat spécialisé en droit de l'immigration, qui comparaît à titre personnel.
Max Berger, avocat spécialisé en droit de l'immigration, à titre personnel : Merci de m'entendre. Je me présente. Je suis avocat spécialisé en droit de l'immigration ayant des bureaux à Toronto et à Montréal. Je plaide régulièrement devant la Commission depuis sa création, en 1989. Au cours des deux dernières décennies, j'ai représenté plusieurs milliers de revendicateurs du statut de réfugié dans le cadre de leurs audiences devant la Commission. C'est sur la base de cette expérience que je vais vous livrer les remarques qui vont suivre.
Je suis d'avis que la SAR, ou Section d'appel des réfugiés, devrait être établie, car la procédure d'appel devant la SAR donne lieu à un appel sur le fond, ce qui est une composante essentielle de tout bon système de détermination du statut de réfugié. Je pense par ailleurs que la SAR devrait entendre de nouveaux éléments de preuve. Si l'on va accorder aux demandeurs la possibilité de présenter de nouveaux éléments de preuve avant leur renvoi, comme c'est le cas à l'heure actuelle dans le cadre du système d'Examen des risques avant renvoi, ou ERAR, il est beaucoup plus logique que la SAR assume ce rôle étant donné qu'elle va déjà entendre l'appel au fond. Avec ce changement, le programme ERAR, avec son taux de refus de 97 p. 100, pourrait être aboli. À mon avis, l'ERAR ne sert aucune fin utile.
Le meilleur système qui je puisse imaginer en serait un dans le cadre duquel, une fois une décision négative rendue par la Section de protection des réfugiés, ou SPR, l'Agence des services frontaliers du Canada, l'ASFC, entamerait la préparation provisoire du renvoi, veillant à ce que le demandeur ait un passeport ou un autre document de voyage afin qu'une fois la décision rendue par la SAR, advenant que celle-ci soit négative, le demandeur puisse alors être renvoyé dans les 30 jours — et non pas des années plus tard, ce qui est le cas avec l'actuel régime.
Le principal message que je veux vous livrer ce soir est que la SAR devrait être établie, mais pas avant que la SPR n'ait instauré un certain nombre de changements dans la procédure...
La présidente : Monsieur Berger, étant donné que la séance du comité est en train d'être télédiffusée, pourriez-vous expliquer, pour la gouverne de ceux qui nous regardent, ce à quoi correspondent les sigles que vous utilisez? Excusez- moi de vous avoir interrompu.
M. Berger : Certainement. La SPR, qui est la Section de protection des réfugiés, est la section de la commission qui assure en ce moment le traitement des demandes de statut de réfugié. La SAR, c'est-à-dire la Section d'appel des réfugiés, est ce dont nous discutons ici aujourd'hui. La question est de savoir si cette section doit ou non être créée. Le système ERAR, ou Examen des risques avant renvoi, est lui aussi en place à l'heure actuelle. Il s'agit d'un système grâce auquel le ministère de l'Immigration accorde au demandeur une dernière occasion de présenter des éléments de preuve nouveaux.
J'étais en train de dire que le gros de mon message pour vous ce soir sera que la SAR devrait être créée, mais pas avant qu'on ait apporté certains changements à la SPR en vue de décourager les faux revendicateurs de statut de réfugié de venir au Canada. Nous avons, au cours des dernières années, constaté un énorme afflux de fausses demandes. Le taux d'acceptation des demandes de statut de réfugié pendant la première année d'existence de la commission, soit en 1989, était de 88 p. 100. Ce taux a diminué progressivement pour se situer, au cours des dernières années, en dessous de 50 p. 100.
Ma crainte est que, si nous ne faisons rien, la SAR nouvellement créée soit inondée de fausses demandes de statut de réfugié. Nous devrions prendre des mesures pour dissuader les faux demandeurs de venir au Canada, tout en laissant grande ouverte la porte pour les revendicateurs authentiques.
J'aimerais passer rapidement en revue deux cas tirés de mes propres dossiers pour illustrer ma thèse. Je parcourrai ensuite les plus récentes statistiques en matière d'acceptations. Je vous ai fourni un document de deux pages pour vous donner une idée de ce que serait le volume des cas à la SAR si celle-ci était créée dans le contexte actuel. Enfin, je vous soumettrai quatre recommandations que devraient selon moi mettre en œuvre la SPR et le gouvernement avant que ne soit créée la SAR.
Une Iranienne du nom de Fatima Fazlinasaab a été ma cliente il y a de cela environ 11 ans. La raison pour laquelle je vous donne son nom est qu'après que la commission ait rejeté sa demande, elle s'est livrée aux médias et le Toronto Star a publié quatre ou cinq articles qui ont mis le ministre de l'Immigration dans un tel embarras qu'il l'a autorisée à demeurer au Canada.
Fatima est venue me rencontrer dans mon bureau et m'a entretenu pendant 45 minutes, avec force détails intimes, de la torture physique et émotionnelle qu'elle avait endurée dans son Iran natal. Lorsque vous entendez de telles choses de la bouche d'une personne qui a véritablement été persécutée, cela ne vous quitte jamais; cela vous habite le lendemain, le mois suivant, une année plus tard, dix années plus tard.
Lors de son audience, le tribunal, formé de deux commissaires, a décidé qu'il ne voulait pas entendre de témoignage oral de Fatima au sujet de sa persécution du fait qu'il avait une déclaration détaillée. Il a conclu à un manque de crédibilité de sa part, sans lui avoir donné l'occasion de présenter des preuves orales relativement à sa persécution, qui était au cœur même de sa demande de statut de réfugié.
Ce fut une terrible et choquante décision, d'autant plus que c'était la pire affaire de persécution que j'avais jamais entendue dans toute ma carrière d'avocat spécialisé en immigration, et la Commission a rejeté sa demande. Sans le Toronto Star et la brave journaliste, Mme Michele Landsberg, qui est venue à sa rescousse, elle aurait été renvoyée en Iran, où le régime l'aurait achevée. Voilà un exemple classique illustrant la nécessité d'avoir une section d'appel des réfugiés.
Je vais vous parler d'un autre cas, celui d'une Somalienne du nom de Lul, qui s'est présentée à la frontière avec son enfant de deux ans. L'agent d'immigration s'était méfié de Lul à cause de ses vêtements et de son comportement. L'agent ne croyait pas que Lul était venue directement de Somalie comme elle le prétendait. J'ai rencontré Lul dans mon bureau et j'ai dit à l'interprète somalien que Lul avait le plus magnifique garçon de deux ans que j'avais jamais vu de ma vie.
Il a fallu attendre un an et demi pour que Lul obtienne son audition, qui a été routinière, et sa demande a été acceptée. Quelques jours plus tard, j'ai croisé l'interprète somalien, qui m'a alors demandé ce qui s'était passé. Je lui ai dit que Lul avait été acceptée. L'interprète a demandé ce que j'avais pensé de son fils. Je lui ai dit que le fils avait été présent à l'audience et qu'il était un enfant au physique plutôt étrange et ingrat. L'interprète m'a rappelé qu'un an et demi auparavant, lorsque Lul était venue nous rencontrer, j'avais souligné la beauté de son fils. L'interprète a ri et a dit : « Monsieur Berger, permettez que je vous raconte la vraie histoire de Lul. Elle est née en Somalie, mais lorsqu'elle était enfant, ses parents ont déménagé la famille en Suède. Elle a grandi en Suède, est devenue citoyenne de la Suède, s'est mariée et a eu un fils. » Il y a eu une querelle de ménage avec le père et elle a décidé de venir au Canada avec son fils et de faire une demande de statut de réfugié. Avant l'audience, Lul avait renvoyé le garçon en Suède, le père voulant apparemment le voir.
La date de son audience approchant, et sachant qu'il lui fallait se présenter devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié avec son enfant, elle en a simplement loué un pour l'après-midi auprès de la communauté somalienne, et sa demande a été acceptée.
Ces deux cas font ressortir deux choses : dans le cas de Fatima, à quel point il est facile pour la CISR de se tromper, et pour elle, les conséquences auraient pu être tragiques; et dans le cas de Lul, à quel point il est facile pour un revendicateur du statut de réfugié de tromper la commission. C'est parce que la CISR ne pose pas les bonnes questions et ne fait pas les bonnes recherches. Je reviendrai dans un instant sur ces questions et ces recherches.
Je vais, au préalable, examiner avec le comité les plus récentes statistiques en matière d'acceptation par la CISR, pour vous donner une idée de ce à quoi ressemblerait le volume de travail d'une section d'appel des réfugiés si l'on en créait une tout de suite. J'ai remis au greffier un document de deux pages. Je rappellerai aux sénateurs que la CISR a été créée en 1989 et que son taux d'acceptation pour sa première année d'activité a été de 88 p. 100. Le document que je vous ai fait distribuer correspond à l'année 2007 : 5 885 demandes acceptées; 5 423 demandes rejetées et 735 demandes abandonnées. Cela donne un taux d'acceptation effectif de 49 p. 100, ou un taux de refus effectif de 51 p. 100. Même les plus ardents défenseurs de réfugiés ne prétendent pas que la totalité ou la majorité des demandes correspondant à ce chiffre de 51 p. 100 ont été refusées à tort par la Section de protection des réfugiés — ce serait peut-être le cas de 10 ou de 15 p. 100. Par quelque bout que vous preniez la chose, la très grande majorité des 51 p. 100 de demandes ont été refusées à juste titre par la SPR.
Mon souci est que si l'on ne fait rien pour contenir le flux de fausses demandes de statut de réfugié, ce sera la SAR qui en sera submergée et, tout comme les mauvaises herbes étouffent les fleurs dans un jardin, la SAR sera vite envahie par un important volume de fausses demandes qu'a refusées avec raison la SPR. J'estime donc qu'il nous faut prendre des mesures à la SPR pour décourager au départ les faux demandeurs de venir au Canada. J'aimerais soumettre aux sénateurs quatre recommandations. Je vous rappelle que si la SAR est créée, il y aura deux sections très étroitement liées l'une à l'autre. L'efficacité d'une section dépendra de celle de l'autre.
Si mes quatre recommandations étaient mises en œuvre, je n'aurais rien à redire si une SAR était tout de suite créée. Il nous faut cependant d'abord poser les bonnes questions. À l'heure actuelle, la SPR se concentre sur la question de savoir si le demandeur a été persécuté dans son pays d'origine. La SPR devrait bien sûr examiner la chose, mais notre degré de certitude en la matière est toujours limité. Nous pouvons cependant déterminer avec un certain degré de certitude si le demandeur se trouvait bien dans son pays d'origine au moment où les incidents de persécution allégués sont survenus, ou s'il était parti depuis bien longtemps, comme cela a été le cas de Lul.
Les cas les plus fréquents de fausses déclarations devant la CISR sont le fait de demandeurs qui ne viennent pas directement au Canada mais qui ont passé de nombreuses années ou dans un pays en développement ou dans un pays européen qui accepte des réfugiés. Il nous faut par ailleurs demander à ces pays d'accueil de réfugiés en Europe si le demandeur s'est arrêté dans un de ces pays avant de venir au Canada.
Le deuxième point concerne les passeports. Je n'en reviens toujours pas qu'après deux décennies la CISR soit indifférente au dépôt ou non par le demandeur d'un passeport lors de l'audience. Les personnes au statut incertain dans un pays ont de bonnes raisons de conserver leur passeport du fait du risque qu'elles aient à repartir à tout moment. Un passeport montre la date à laquelle la personne a quitté son pays d'origine. Il devrait à mon sens y avoir deux filières à la SPR : l'une pour les personnes pouvant fournir la preuve de la date à laquelle elles ont quitté leur pays, et une autre, plus stricte, pour celles qui ne peuvent pas fournir une telle preuve.
Le troisième point concerne les documents frauduleux. Malheureusement, il y a trop de trafic de documents frauduleux devant la CISR, par exemple faux rapports de police, faux rapports médicaux et fausses lettres de partis politiques confirmant appartenance, et qui sont utilisés par de faux demandeurs pour appuyer de fausses demandes. Ces documents sont à l'occasion envoyés pour vérification au pays d'origine du demandeur. Lorsqu'il est confirmé qu'ils sont faux, la conséquence est un simple refus de la demande. C'est la seule conséquence — il n'y a aucune accusation, aucune poursuite. Ce genre d'activité criminelle, en l'absence de conséquences, ne fera que se répéter. À mon avis, s'il y avait poursuite pour ces genres d'activités, cela s'arrêterait et il n'y aurait plus de fausses demandes d'asile.
Pour ce qui est du quatrième point, je demanderais aux sénateurs d'examiner le document que j'ai fait distribuer et dans lequel ils liront qu'en 2007 plus de 27 000 demandes ont été renvoyées à la CISR. À la deuxième page, vous verrez que le Mexique a compté pour plus de 7 000 de ces demandes. En effet, 25 p. 100 des demandes d'asile au Canada proviennent de ce méchant empire au sud, le Mexique. Le taux d'acceptation des demandes émanant du Mexique est très bas, mais si nous en voyons autant c'est parce que l'Entente sur les pays tiers sûrs prévoit une exemption spéciale pour le Mexique. La porte se referme vite pour les demandeurs émanant de la plupart des autres pays du monde. Les citoyens mexicains sont des gens très bien, mais ils sont, pour la plupart, des migrants économiques. La porte leur est ouverte, alors ils l'empruntent. La quatrième recommandation est l'imposition d'une exigence de visa pour les ressortissants mexicains, ce qui mettrait fin à ces genres de demandes d'asile.
Pour conclure, les propositions que je vous soumets régleraient le gros du volume de dossiers d'une toute nouvelle SAR chargée d'examiner les demandes refusées par inadvertance ou à tort par la SPR. Si ces propositions ne sont pas mises en œuvre, ma crainte est qu'il y ait débordement d'un important volume de fausses demandes refusées à juste titre par la SPR. Ces personnes monteront tout simplement leur tente dans la cour de la SAR et accapareront les ressources de cette section nouvellement créée.
Merci d'avoir enduré mon exposé.
La présidente : Je peux vous assurer que nous n'avons rien « enduré » du tout. Nous trouvons que la période des questions et réponses est très utile. J'aimerais qu'il nous reste du temps pour cela et que M. Handfield dispose de la même période que vous.
[Français]
Stéphane Handfield, vice-président, Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration : Madame le présidente, je vous remercie de votre invitation qui me fournit l'occasion de vous faire part de mes commentaires sur la Section d'appel des réfugiés. Je suis avocat, membre du Barreau du Québec, depuis 1992. Je pratique principalement en droit de l'immigration. J'ai exercé les fonctions de commissaire à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pendant 11 ans et je suis vice-président, section protection, de l'Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration, qui compte près de 150 membres.
En 2002, le gouvernement canadien a décidé de réduire de deux à un le nombre de commissaires qui examinent une demande d'asile et déterminent si le Canada accordera sa protection ou non à cette personne. Cela signifie que le sort des demandeurs est maintenant entre les mains d'une seule personne. Certains de ces décideurs ne sont pas juristes, pourtant, ils ont à trancher des questions de droit importantes et leurs décisions ont des conséquences sérieuses, comme le renvoi d'une personne vers le pays où elle risque la persécution, la torture voire même la mort.
La détermination du statut de réfugié est un processus complexe puisque le commissaire est appelé à juger de la crédibilité d'une personne en tenant compte des différences culturelles, mais il doit également appliquer les concepts de droit qui sont inhérents à la définition d'une personne à protéger ou d'un réfugié au sens de la convention. Ce processus décisionnel amène des incohérences décisionnelles entre les commissaires qui sont parfois appelés à traiter des dossiers semblables mais qui rendent des décisions diamétralement opposées. Cette situation n'est certainement pas à l'avantage de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ni des revendicateurs puisqu'elle met en doute l'intégrité du système. Par conséquent, la Section d'appel des réfugiés permettra au système d'être plus cohérent puisque les décisions prononcées en appel devront s'appliquer au niveau inférieur lorsque les faits seront identiques.
Actuellement, il n'existe aucun véritable droit d'appel pour les demandeurs d'asile. La seule possibilité de révision se situe au niveau de la Cour fédérale. Cette révision, ou contrôle judiciaire, se fait sur autorisation de la cour et uniquement pour certains types d'erreur. Conséquemment, plusieurs demandeurs d'asile, qui ont pourtant des arguments convaincants, voient leur demande de contrôle judiciaire rejetée, et leur cas n'est jamais réexaminé. De plus, la Cour fédérale, en agissant en contrôle judiciaire, doit retourner le dossier pour détermination devant un tribunal différemment constitué, ce qui entraîne des délais, des coûts et une lourdeur administrative.
Cette situation serait, bien entendu, différente dans un système d'appel où le tribunal aurait le pouvoir de trancher sur le fond de la revendication. L'instauration d'un processus d'appel est garant de l'intégrité du système, car il permettra de rectifier les erreurs grossières qui entachent actuellement le processus d'asile.
À l'automne 2007, l'actuel président de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Me Goodman, déclarait qu'il avait besoin d'un délai de 12 mois afin de mettre en place la Section d'appel des réfugiés et ce, à compter de la date de sanction du projet de loi. Il s'agit d'un délai extrêmement long, car plus de cinq ans se sont déjà écoulés depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés sans la section d'appel pourtant prévue dans la loi.
Finalement, le projet de loi C-280 a été adopté par la Chambre des communes au mois de juin l'an dernier, ce qui a donné au gouvernement plusieurs mois pour se préparer à l'adoption probable du projet de loi.
Je soumets que le projet de loi ne devrait pas être amendé afin de ne pas retarder davantage l'entrée en vigueur de la Section d'appel des réfugiés.
[Traduction]
Le sénateur Di Nino : Merci d'être venus. Cela fait quelques mois maintenant que nous traitons de cette question. Le système d'accueil de réfugiés que nous avons est très respecté dans le monde. Je pense que la difficulté à laquelle moi- même et certains de mes collègues sommes confrontés est que les personnes qui connaissent mieux la question que quiconque — l'actuelle ministre de l'Immigration et les quatre précédents — ont toutes dit, sous une forme ou une autre, que le système dont nous sommes dotés a été conçu pour être juste et équilibré à l'égard des réfugiés qui se présentent à nos frontières. Le système est déjà relativement complexe. Il prévoit des mécanismes permettant aux demandeurs déboutés de pousser plus avant pour défendre leur position.
Monsieur Berger, vous avez laissé entendre que si nous adoptions ce projet de loi et créions la SAR, il importerait que certaines mesures soient prises au préalable, sans quoi cela embourberait encore davantage qu'il ne l'est aujourd'hui le système en place. Vous ai-je bien compris?
M. Berger : C'est exact.
Le sénateur Di Nino : L'une des questions soulevées est que le projet de loi accorderait aux demandeurs déboutés au cours des dernières années le droit de faire appel devant la SAR. Certains de ces demandeurs ne se trouvent peut-être même plus au pays. Êtes-vous d'accord avec moi là-dessus?
M. Berger : À la lecture de la transcription des délibérations du comité. J'ai relevé le fait que cela pourrait intéresser un grand nombre de personnes. Le nombre de personnes dont la demande a été refusée et qui se trouvent toujours au Canada est énorme, car l'ASFC ne les a pas encore renvoyées. Dans l'intérêt de l'équité procédurale, il y aurait peut- être lieu d'accorder à ces personnes un appel fondé sur le mérite. Cependant, le Parlement est suprême, et il pourrait décider que, du fait que ces personnes aient déjà eu leur Examen des risques avant renvoi, la loi ne devrait pas être rétroactive pour englober toute cette masse de demandeurs.
Le sénateur Di Nino : Estimez-vous en fait que, si le projet de loi est adopté, il faille le modifier pour veiller à ce qu'il n'ait pas d'incidence sur les demandeurs déboutés au cours des dernières années? Il me semble qu'il serait question d'environ 40 000 personnes.
M. Berger : La courte réponse à votre question est que je crois que les personnes dont la demande a été refusée et qui se trouvent toujours au Canada devraient avoir accès à la SAR, si celle-ci est créée.
Le sénateur Di Nino : Y verriez-vous une amélioration par rapport à l'actuel régime s'il nous faut maintenant traiter des dossiers de 40 000 personnes?
M. Berger : Tout le principe sous-tendant la création de la SAR est le fait que les mécanismes d'appel ont à ce jour été insatisfaisants. Premièrement, je pense qu'il nous faut cerner les chiffres auprès de l'ASFC. J'ignore si l'ASFC vous a donné le nombre de personnes qui seraient visées. Dans l'intérêt de l'équité procédurale, je maintiens que ces personnes devraient avoir droit à un appel devant la SAR.
Le sénateur Di Nino : Pour votre gouverne, je ne sais pas si les chiffres proviennent de l'ASFC, mais d'après les renseignements qui nous ont été fournis, il serait question d'environ 40 000 personnes. Ce nombre n'est pas le nôtre; il est tiré de renseignements qui nous ont été fournis. Je ne me souviens pas si ces renseignements nous sont venus de fonctionnaires ou d'autres. Je me renseignerai là-dessus.
Selon des estimations qui ont été faites, la création de la SAR pourrait prolonger le processus d'au moins six mois, voire plus. Est-ce bien le cas?
M. Berger : Cela pourrait bien être le cas si vous avez l'audience devant la SAR — le dossier dont était saisie la SPR, puis la poursuite du processus ERAR. Cela viendrait ajouter encore une couche à la procédure à suivre.
Comme je l'ai dit au début de ma déclaration, je pense que vous pourriez simplifier le système et en améliorer l'efficience en permettant à la SAR d'entendre les nouvelles preuves et en abolissant carrément l'ERAR, ce qui resserrerait les délais.
Le sénateur Di Nino : Je vais vous poser une autre question. Combien de temps pensez-vous qu'il faudra au système pour mettre en œuvre la SAR? Le ministère a laissé entendre qu'il lui faudrait au moins 18 mois. Êtes-vous du même avis? Je veux parler de la formation, des préparatifs, des manuels, et cetera. Vous avez dit plus tôt que vous ne pensez pas que la commission sache quelles questions poser, ce qui m'indique que vous considérez que les commissaires ne possèdent sans doute pas le niveau de compétence requis.
Cela ne prolongera-t-il pas la période de temps pendant laquelle de nombreuses personnes continueront de se voir refuser accès au processus, du fait des délais supplémentaires qu'il faudra compter?
M. Berger : Il y a toujours une courbe d'apprentissage dans la mise en œuvre de toute nouvelle procédure, dans quelque domaine que ce soit. Cela ne veut cependant pas dire que la procédure ne devrait pas être mise en œuvre. Bien sûr qu'elle le devrait...
Le sénateur Di Nino : Ce n'est pas ce que je vous ai demandé. Combien de temps pensez-vous qu'il faille au ministère pour être véritablement prêt? Vous œuvrez dans ce domaine depuis 20 ans. Vous en avez une meilleure idée que moi. Combien de temps pensez-vous qu'il faille compter avant que la section ne soit prête?
M. Berger : Le principal obstacle est celui du recrutement des membres. Comme de nombreuses personnes vous l'ont dit, la SPR — en définitive la commission tout entière — ne compte pas un effectif complet. C'est là la principale pierre d'achoppement. Vous devriez poser cette question à M. Harper.
Pour ce qui est de l'établissement et du lancement de la section, il y a des agents chevronnés et de nombreux commissaires d'expérience; je ne vois pas là un gros obstacle.
Quant au nombre exact de mois qu'il faudrait compter pour que la section soit pleinement opérationnelle, il s'agit là d'une question qu'il vous faudrait poser à la Commission.
Le sénateur Di Nino : Nous l'avons fait. Elle nous a répondu qu'il faudrait compter 18 mois.
M. Berger : Je ne suis pas en mesure de me prononcer sur les délais. Je ne vois pas pourquoi il faudrait aussi longtemps que 18 mois. Je ne verrai pas la formation des membres en vue de la création des règles de cette section demander plus que quelques mois. Je ne comprends pas pourquoi cela demanderait 18 mois. J'estime que cela pourrait se faire beaucoup plus rapidement.
Le sénateur Di Nino : Monsieur Handfield, auriez-vous quelque commentaire à faire là-dessus?
[Français]
M. Handfield : J'aurais beaucoup de choses à ajouter. On semble voir une préoccupation au niveau des délais. Pour faire un parallèle, lorsque j'étais commissaire à Montréal, nous étions 75 commissaires à la SPR, la Section de protection des réfugiés. Au moment où je vous parle, ils sont 24. Évidemment, les délais pour le traitement des dossiers s'accumulent; les dossiers s'accumulent, inévitablement.
En ce qui a trait à l'instauration de la Section d'appel des réfugiés, en toute honnêteté, je pense qu'un délai de six mois serait amplement suffisant. La Commission de l'immigration a déjà commencé à faire les préparatifs pour l'instauration de la Section d'appel des réfugiés. Déjà, lorsque j'étais commissaire, un appel d'offres avait été fait auprès des commissaires pour savoir ceux qui seraient intéressés à siéger à cette nouvelle Section d'appel des réfugiés à Ottawa. Évidemment, les commissaires en place dans le bassin actuel à la Section de protection des réfugiés pourraient facilement, sur une base volontaire, aller devant la Section d'appel des réfugiés.
Lorsqu'on parle du fait que, actuellement, il y a déjà des contrôles ou un mécanisme en place pour permettre aux demandeurs d'asile, qui ont vu leur demande refusée, de faire revoir leur dossier. Mon confrère parlait plus tôt de l'ERAR, l'Évaluation du risque avant renvoi, je ne sais pas si l'agence vous a donné les chiffres mais actuellement, d'un océan à l'autre, c'est 1,8 p. 100 de taux d'acceptation; 1,8 p. 100 des dossiers se sont vus refusé le renversement de la décision devant la Section de protection des réfugiés. Pourquoi en est-il ainsi? Parce que le demandeur d'asile doit soumettre « toute nouvelle preuve »; autrement dit, l'agent ERAR qui évalue le dossier ne tiendra pas compte de la preuve qui aura été présentée devant la Section de protection des réfugiés. C'est une nouvelle preuve. Si le commissaire a commis une erreur grossière dans la Section de protection des réfugiés, malheureusement cette erreur ne pourra jamais être corrigée.
Si on regarde au niveau du contrôle judiciaire à la Cour fédérale, bon an, mal an, on a 10 p. 100 des dossiers dont le contrôle est accepté pour lesquelles la décision est cassée et qui sont renvoyés devant un panel différemment constitué. Pourquoi? Parce que la seule question évaluée par le juge de la Cour fédérale est qu'on doit démontrer que la décision est manifestement déraisonnable.
J'ai déjà vu des juges qui m'ont dit : « Maître, je n'aurais pas rendu la même décision, malheureusement je n'ai pas le pouvoir d'intervenir parce que mon rôle est limité à décider si la décision est manifestement déraisonnable. »
Lorsqu'on parle d'un délai, je ne crois pas, au contraire, que la Section d'appel va augmenter les délais mais qu'elle va plutôt les diminuer. En effet, comme toute cour supérieure, elle constituera une banque de jurisprudence et, inévitablement, pour des faits similaires, la Section de protection des réfugiés devra l'utiliser. Pour un dossier similaire, je vois très mal un commissaire de première instance, donc de la Section de protection des réfugiés, aller dans un sens contraire à ce que la section d'appel aura tranché, tant du côté négatif que du côté positif d'une décision.
C'est l'essence même de l'intégrité du système. Le système, on l'espère, est là pour, d'une part, s'assurer que les personnes qui ont besoin de la protection méritent la protection du Canada. Mais également, pour les gens qui ne la méritent pas, le système doit être en place pour s'assurer que ces gens ne bénéficient pas de la protection du Canada.
[Traduction]
Le sénateur Di Nino : Le temps dont je disposais est-il écoulé? Si tel est le cas, je reviendrai au deuxième tour.
Le sénateur Goldstein : Maître Berger, merci d'être venu comparaître devant le comité pour nous livrer vos idées et votre savoir.
[Français]
Maître Handfield, merci à vous aussi d'être venu pour nous aider dans les décisions que nous avons à prendre.
[Traduction]
Monsieur Berger, je suis particulièrement intéressé par votre affirmation que le Canada doit essayer de faire quelque chose pour réduire le nombre de demandes frauduleuses ou de fausses demandes, comme vous les appelez, et de faux revendicateurs du statut de réfugié. J'ai pris bonne note des quatre approches que vous recommandez, dont l'exigence d'un visa. Je ne comprends pas cela. Pourriez-vous nous préciser ce que vous entendez par là?
M. Berger : La raison pour laquelle 25 p. 100 des demandeurs du statut de réfugié sont des citoyens mexicains est qu'il y a en place à l'heure actuelle avec les États-Unis une entente de pays tiers sûr. Ce que cela signifie est que les demandeurs aux États-Unis se présentant à la frontière canadienne pour revendiquer le statut de réfugié sont refoulés et on leur dit qu'il leur faut faire leur demande à partir des États-Unis.
Cependant, il y a une exception pour certains pays, dont le Mexique. La raison pour laquelle il y a une telle exception pour le Mexique est que les Mexicains se rendant au Canada ne sont pas tenus d'avoir un visa, mais ils doivent en avoir un pour entrer aux États-Unis. À cause de cette situation étrange, les Mexicains peuvent simplement se présenter à la frontière et dire « Je souhaite faire une demande de statut de réfugié », et c'est ce qu'ils font.
Le sénateur Goldstein : Je ne vois pas très bien en quoi une exigence de visa mettrait fin à cela.
M. Berger : Cela y mettrait fin parce que si ces personnes tentent d'obtenir un visa pour se rendre au Canada, il y a de bonnes chances que ce leur soit refusé. Si elles traversent tout simplement les États-Unis par voie terrestre pour se rendre à un poste frontalier canadien, elles ne pourraient pas faire une demande de statut de réfugié du fait de tomber sous les règles en matière de tiers pays sûrs, tout comme c'est le cas des citoyens de tous les autres pays. Voilà quel serait le résultat d'une exigence de visa.
Le sénateur Goldstein : Vous n'êtes pas en train de recommander le report de l'entrée en vigueur de cette partie de la loi en attendant que soient mises en place ces mesures de sauvegarde, n'est-ce pas?
M. Berger : Si. La raison est que je n'aimerais pas voir la SAR submergée de demandes rejetées à juste titre par la SPR, ce qui est exactement ce qui se produira si le projet de loi est adopté dans son libellé actuel. Comme je l'ai dit à la fin de ma déclaration, j'aimerais que la majorité des cas dont serait saisie la SAR soient les demandes refusées par inadvertance ou à tort par la SPR.
Le sénateur Goldstein : Comment traitez-vous de la situation des demandeurs du statut de réfugié dont la demande était justifiée mais qui a été refusée? Je présume que cela doit arriver, sans quoi il n'y aurait aucune raison d'avoir une SPR. Il y a un délai d'attente et, en bout de ligne, ces personnes sont renvoyées en attendant que notre pays instaure ces quatre mesures de sauvegarde.
M. Berger : D'après mon interprétation, les personnes qui sont déjà dans le système seraient autorisées à déposer leur appel devant la SAR. Je parle de l'avenir. Je parle de la mise en œuvre de mes quatre recommandations pour l'avenir, en vue de modifier l'équilibre entre les demandeurs authentiques de statut de réfugié et les faux revendicateurs arrivant au Canada.
Le sénateur Goldstein : Êtes-vous en train de recommander que la création de la SAR soit théoriquement reportée à jamais si le gouvernement décide de ne pas mettre en œuvre ces quatre mesures de sauvegarde?
M. Berger : Je pense que les Canadiens et les réfugiés authentiques en général seraient mieux servis si ces mesures de sauvegarde étaient mises en œuvre. Si elles ne le sont pas, je crois que la SAR devrait néanmoins être créée.
Le sénateur Goldstein : C'était là ma question. J'avais compris votre réponse autrement.
M. Berger : Je prône le meilleur système possible, et non pas le deuxième ou le troisième meilleur.
Le sénateur Goldstein : La perfection est l'ennemi du bien. La question qui survient est celle de savoir si nous devrions instaurer la SAR pour les personnes auxquelles on a injustement ou à tort refusé l'asile précisément parce que, comme certains d'entre nous l'avons souligné, nous avons en la matière une obligation internationale, humanitaire et proprement canadienne.
Dans un monde idéal, l'on tiendrait également à ce que ces mesures de sauvegarde soient en place. Mais en l'absence de ces mesures de sauvegarde, si je comprends bien maintenant, vous souhaiteriez toujours que soit instaurée une SAR, n'est-ce pas?
M. Berger : Oui, mais ce serait le deuxième meilleur système.
Le sénateur Goldstein : Je comprends cela. Puis-je poser une question à M. Handfield, si je le fais rapidement?
La présidente : Oui, si c'est rapide.
[Français]
Le sénateur Goldstein : Monsieur Handfield, merci également d'être venu nous aider pour notre étude de la question. Je note que vous avez soumis le fait qu'un seul juge ou commissaire, pour le moment, détermine les réclamations, y compris pour des questions de crédibilité. Dans votre esprit, une instance d'appel pourrait-elle intervenir sans que la personne comparaisse devant elle? Également, sur la base d'un dossier tel que constitué en première instance, le tribunal d'appel pourrait-il intervenir sur des questions de crédibilité?
M. Handfield : Évidemment, en toute honnêteté cela pourrait être difficile que la section d'appel puisse intervenir si la décision du commissaire repose uniquement sur l'absence totale de crédibilité. Il faudrait voir cependant, malgré le fait qu'on rende une décision sur la crédibilité, si d'autres aspects du dossier ont été omis par le commissaire à la Section de protection des réfugiés. À ce moment-là, je pense que la section d'appel pourrait intervenir. Mais si on parle exclusivement d'une décision d'absence totale de crédibilité, je pense que cela pourrait être difficile.
Le sénateur Goldstein : Le système actuel avec un recours possible en révision, et non pas d'appel à la Cour fédérale, a pour critère d'évaluation la notion de « manifestement déraisonnable ».
La décision récente de la Cour suprême — non pas sur une question d'immigration, mais sur une question semblable pour ce qui était d'un tribunal administratif — ne viendrait-elle pas modifier ce critère pour établir un critère déraisonnable pur et simple, ou ce que nous appelons dans notre jargon simpliciter, pour employer l'expression latine?
M. Handfield : Si je comprends bien votre question, c'est si on changeait le critère pour renverser une décision au niveau de la Cour fédérale, cela viendrait-il clarifier la situation?
Le sénateur Goldstein : Oui.
M. Handfield : Bonne question. Il faut comprendre que la Cour fédérale, c'est « sur permission ».
Le sénateur Goldstein : Oui, je sais bien.
M. Handfield : Actuellement, les avocats qui pratiquent en droit de l'immigration s'étonnent un peu de la façon dont ces permissions sont accordées ou non. On ne le sait pas. Ces décisions ne sont pas motivées.
Cependant, j'aimerais revenir sur votre première question au niveau de la crédibilité. J'ai rendu des décisions sur la crédibilité. Il ne faut pas non plus être pointilleux. Pour évaluer la crédibilité, on se base sur des contradictions, sur des invraisemblances, sur des faits importants de la demande d'asile. Il est facile de dire pour un commissaire que le demandeur d'asile n'est pas crédible parce qu'il s'est contredit concernant la date de naissance de ses enfants ou sur la couleur du véhicule des policiers. Ce n'est qu'un exemple. Il y a donc des décisions rendues sur la crédibilité qui sont de cette nature. Évidemment, je pense que la section d'appel serait un forum très approprié pour intervenir dans ces cas.
Le sénateur Goldstein : Vous avez dit qu'il y avait déjà eu un appel d'offres publié.
M. Handfield : À l'époque, lorsque j'étais commissaire.
Le sénateur Goldstein : Pas actuellement?
M. Handfield : Non, pas actuellement. S'il y en a un, je ne suis pas au courant.
[Traduction]
Le sénateur Oliver : J'ai une courte question pour chacun de vous. Monsieur Berger, merci beaucoup de votre excellent exposé. Il a été clair et très convaincant. Vous comprenez très bien les dispositions de la loi.
Si ce projet de loi était adopté tout de suite, entreraient en vigueur les articles 110, 111 et 171 de la loi générale, la LIPR. L'article qui serait exclu du projet de loi est l'article 73. Si l'article 73 entrait en vigueur, il permettrait au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration de demander une autorisation pour un contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale sur toute décision prise par la SAR. Pensez-vous qu'il serait juste d'inclure cela dans le projet de loi C- 280?
M. Berger : Je n'y verrais aucun problème.
Le sénateur Oliver : Maître Handfield, j'ai félicité M. Berger pour son excellent exposé. Il nous a fait quatre recommandations de choses qui devraient selon lui être mises en place de manière à endiguer le flux de fausses revendications, afin d'éviter que n'en soit inondée cette nouvelle section d'appel des réfugiés. En procédant ainsi, cette section aurait peut-être une chance de réussir.
Il a dit qu'il y a quatre choses qu'il aimerait voir, dont le fait de poser les bonnes questions. Il a dit qu'au moyen de manuels, de documents et de formation, la commission pourrait apprendre à poser les bonnes questions. Sa deuxième recommandation concernait l'indifférence de la CISR à l'égard de passeports, et si une formation adéquate était assurée, cela ne demanderait pas très longtemps de corriger ce problème. Sa troisième et plus grosse recommandation concerne les faux documents. Il a parlé en détail de documents frauduleux émanant de partis politiques d'autres pays, de faux certificats et d'autres rapports ayant pu être trafiqués. Un travail énorme en la matière doit être fait afin que ce nouveau tribunal ne soit pas inondé de faux documents accompagnant les demandes.
Ne conviendriez-vous pas qu'il nous faut du temps pour faire un grand ménage dans tout cela? Vous connaissez les procédures et vous devez donc être au courant de ces faux documents et demandes frauduleuses. Ne croyez-vous pas qu'au lieu de laisser ce nouveau tribunal se faire inonder de problèmes, il vaudrait mieux prendre le temps de bien faire les choses?
[Français]
M. Handfield : Une des principales raisons pour lesquelles les gens se présentent à la Section de protection des réfugiés avec de faux documents est la suivante : s'ils ne se présentent pas avec des documents, leur demande sera rejetée.
Au fil des ans, les commissaires du tribunal ont décidé de demander aux membres d'un parti politique, par exemple, de produire une carte ou un certificat; à ceux qui disent avoir été arrêté par la police de produire un certificat de police. Les gens, dans les faits, peuvent avoir été arrêtés et battus à maintes reprises. Souvent, ces personnes ne peuvent pas produire de documents à l'appui de ces faits. Toutefois, la communauté et les gens discutent. Ils se font dire que s'ils disent avoir été arrêté ou emprisonné, faute de preuve écrite on ne les croira pas. Les gens vont donc tout faire pour se procurer de tels documents.
À mon avis, il faut instaurer chez les commissaires une autre vision des choses. On parle de passeports et de visas. Si une personne qui craint pour sa vie se présente à une ambassade canadienne à l'étranger dans le but d'obtenir un visa et ose dire qu'elle désire venir au Canada pour demander la protection car elle risque d'être tuée chez elle, on lui refusera le visa. Cela revient à dire que si Nelson Mandela avait demandé un visa pour demander la protection au Canada, à une certaine époque, on le lui aurait refusé.
L'instauration d'un visa ferait en sorte d'éliminer, comme le disait mon confrère, des demandes abusives. Toutefois, des demandeurs d'asile légitime risquent de se voir refuser l'accès au Canada. L'instauration de ces critères ferait certes le bonheur des passeurs qui s'occupent de faire entrer des gens au Canada.
[Traduction]
Le sénateur Oliver : Le système judiciaire canadien n'a pas été érigé sur l'acceptation de faux documents et de demandes frauduleuses. Notre système de tribunal administratif n'a en tout cas pas été bâti là-dessus, et j'ose espérer que ce n'est pas ce que vous proposez.
Monsieur Berger, aimeriez-vous ajouter quelque chose? C'était votre troisième recommandation et j'aimerais vous entendre là-dessus.
M. Berger : Je suis d'accord avec mon collègue en ce qui concerne les pressions exercées sur les revendicateurs pour produire de faux documents. Cela pourrait être corrigé en un clin d'œil en indiquant sur le formulaire de renseignements personnels, ou PRP, qui est remis aux revendicateurs : « Ne déposez pas de faux documents à l'appui de votre revendication. »
Le sénateur Goldstein : Cela les inviterait à faire précisément cela.
M. Berger : Pourquoi?
La présidente : J'aimerais que le témoin réponde à la question.
M. Berger : Le texte se terminerait par la déclaration que voici : « Vous pourriez être poursuivi en justice si vous le faites ». Une fois que les gens auront compris que des accusations seraient portées, ce genre de comportement cessera du jour au lendemain.
Le sénateur Oliver : Merci.
Le sénateur Jaffer : Je vous remercie tous les deux pour vos éloquentes déclarations. Celles-ci m'ont certainement aidée à comprendre certaines des questions entourant le projet de loi.
Dans vos domaines respectifs, combien de commissaires y a-t-il, et combien faudrait-il qu'il y en ait? Nous pourrions commencer avec vous, monsieur Handfield.
[Français]
M. Handfield : En janvier 1994, j'ai été nommé commissaire. J'ai quitté la commission en décembre 2004. À l'époque, on était 75 commissaires à la Section de protection des réfugiés de Montréal.
Maintenant, en tant que vice-président de l'AQAADI, je participe à des rencontres avec les dirigeants de la commission à Montréal. Par conséquent, nous disposons de statistiques. Selon les dernières données, on compte actuellement 24 commissaires à Montréal.
Je pense qu'il manque actuellement à Montréal au moins 20 commissaires pour faire face au nombre de dossiers qui s'accumulent. Les délais allongent. On parle de 10, 12, 14 et, même dans certains cas, de16 mois d'attente pour entendre les demandes d'asile.
[Traduction]
M. Berger : Je suis d'accord. Autrefois, la salle d'attente dans les bureaux de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié à Montréal était remplie. Vous ne trouviez pas à vous asseoir. C'était la même chose à Toronto. Aujourd'hui, ces salles d'attente sont vides. Il n'y a pas suffisamment de commissaires pour entendre les revendications. Il n'y a pas un nombre suffisant de revendicateurs à cause des règles sur les pays tiers sûrs. La situation a énormément changé au cours des dernières années.
Le sénateur Jaffer : Ma question suivante est pour M. Handfield. Vous avez été commissaire, et votre collègue a discuté des questions posées et des passeports. Je vais pour le moment laisser de côté la question des visas et des faux documents. Conviendriez-vous que l'on ne parle pas ici de questions législatives mais plutôt de la nécessité d'améliorer la formation offerte? Qu'en pensez-vous, en votre qualité d'ancien commissaire?
[Français]
M. Handfield : Aujourd'hui plus que jamais la formation est extrêmement importante. Le demandeur comparaît devant un seul commissaire. Comme je le mentionnais dans mon exposé, souvent ces décideurs ne sont pas juristes. Avant leur nomination comme commissaire, ils n'ont bien souvent aucune connaissance de la loi. Il leur faut donc une formation pertinente et un programme de formation continue. Je ne peux être qu'en accord avec mon collègue sur cet aspect.
À l'époque où on comparaissait devant deux commissaires, on s'assurait, dans la majorité des cas, que le panel soit composé, à tout le moins, d'un avocat et d'un membre non avocat pour justement être en mesure de trancher les questions importantes de droit.
[Traduction]
Le sénateur Jaffer : Mon autre question concerne l'exigence de visa. Vous me corrigerez si je me trompe, mais d'après ce que je comprends, un ministre peut à tout moment rendre une décision administrative au sujet des pays dont les ressortissants doivent obtenir un visa. Cela n'est pas exigé dans cette loi, n'est-ce pas?
[Français]
M. Handfield : À une certaine époque, pour le Chili, le gouvernement canadien a décidé de retirer l'exigence d'un visa canadien et par la suite a décidé de réinstaurer le visa. C'était une décision purement administrative.
[Traduction]
Le sénateur Jaffer : Monsieur Berger, vous avez soulevé un certain nombre de questions très pertinentes. Il était clair dans mon esprit que vous vouliez maintenir intact le processus pour les vraies Fatimas de ce monde et veiller à ce que nous ayons un bon processus. Je vous félicite tous les deux pour cela.
D'après ce que je comprends de vos suggestions, elles concernent plutôt la formation que la nécessité d'apporter des amendements au projet de loi.
M. Berger : C'est exact. Aucun changement à la loi n'est nécessaire pour la mise en œuvre de mes recommandations. La plupart des choses que je recommande pourraient être faites du jour au lendemain.
En ce qui concerne la question que vous avez posée à M. Handfield au sujet de la formation des commissaires, si vous avez un chef et que vous ne lui fournissez pas des ingrédients frais, si vous avez un chirurgien et que vous ne lui donnez pas les bons outils, alors vous n'aurez ni un bon repas ni une chirurgie réussie. Les commissaires sont des hommes et des femmes qui travaillent fort, mais on ne leur fournit pas les bons outils. Comment peuvent-ils savoir que ma cliente a vécu en Suède pendant toutes ces années si la commission ne se renseigne pas régulièrement auprès des autres pays, en Europe ou ailleurs?
Le sénateur Jaffer : Cela vaut pour n'importe quoi. Le projet de loi vise à s'occuper des nombreuses autres Fatimas qui ont besoin de protection.
M. Berger : C'est exact. Il y a de nombreuses autres Fatimas qui ont été expulsées du fait de ne pas avoir pu compter sur Michelle Landsburg et une SAR.
La présidente : Il y a de nombreuses autres questions que nous pourrions vous poser au sujet de ce domaine fort complexe. Par exemple, qu'est-ce qu'un appel par opposition à une révision? Cet appel possède-t-il toutes les qualités que l'on reconnaît normalement au droit pénal et à d'autres mécanismes d'appel? Cependant, nous n'avons plus de temps.
Je tiens à remercier les deux témoins, M. Berger et M. Handfield, d'avoir pris une question très complexe et de l'avoir ramenée à un niveau auquel il nous a été possible de discuter de certains de ses éléments essentiels. Merci de nous avoir offert vos connaissances et votre temps.
Passant maintenant au deuxième groupe de témoins pour ce soir, nous avons le privilège d'accueillir parmi nous des représentants du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Il s'agit de M. Abraham Abraham, représentant au Canada, de M. Hy Shelow, administrateur principal chargé de la protection, et de M. Michael Casasola, administrateur chargé de la réinstallation.
Si je comprends bien, il y aura une seule déclaration.
Abraham Abraham, représentant au Canada, Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés : En guise d'introduction aux problématiques relatives à nos discussions aujourd'hui, je souhaite partager avec vous un extrait d'une allocation qu'António Guterres, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, a prononcée à l'intention du ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas le 8 avril dernier :
Aujourd'hui, nous retrouvons le mot « réfugié » dans toutes sortes de contextes : « réfugiés » de l'ouragan Katrina, « réfugiés » de la famine, « réfugiés » environnementaux. En effet, il y a de plus en plus une coupure entre la définition légale du réfugié et la façon dont le mot est utilisé dans le discours public.
La Convention sur les réfugiés de 1951 définit un réfugié comme une personne qui craint avec raison d'être persécutée pour l'une ou l'autre de ces cinq raisons : race, religion, nationalité, appartenance à un certain groupe social ou opinions politiques. Ainsi définis, les réfugiés font souvent contraste avec les migrants économiques, qui sont vus comme des gens en mouvement à la recherche de meilleures opportunités économiques. Ainsi, il est commun de parler de migration forcée d'une part et de migration volontaire d'autre part.
Cependant, les choses ne sont pas si simples. De plus en plus de gens se déplacent pour de nombreuses raisons et les migrants et les réfugiés sont en mouvement côte à côte — nous le constatons aujourd'hui dans l'île italienne de Lampedusa, dans les îles Canaries, à la frontière entre la Slovaquie et l'Ukraine, et dans de nombreux autres endroits. La clé du travail du HCR est d'être capable d'identifier qui a besoin de protection internationale. Nous devons nous assurer que les personnes qui demandent la protection ont accès à des procédures d'asile et à un traitement équitable de leurs demandes.
L'interprétation de la définition de réfugié contenue dans la Convention de 1951 a évolué et s'est améliorée avec le temps. Il est maintenant généralement accepté, par exemple, que la persécution n'est pas nécessairement causée par des agents de l'État. La définition de réfugié est plus largement appliquée, à titre d'exemple, lorsque des personnes sont membres d'un groupe social particulier — notamment les femmes et les filles à risque de subir des mutilations génitales — lorsque le gouvernement ne peut les protéger de ces pratiques culturelles nuisibles. La Convention de l'Organisation de l'Union Africaine sur les réfugiés a élargi la définition aux victimes de violence généralisée (« événements qui perturbent sérieusement l'ordre public »). De nos jours, nous voyons de plus en plus de gens en mouvement qui ne peuvent être considérés comme des réfugiés au sens strict, mais qui ne sont pas non plus de simples migrants économiques.
Ces personnes sont poussées à se déplacer non seulement à cause de la guerre et de la persécution mais également à cause de la dégradation environnementale, des changements climatiques et de privations extrêmes. Toutes ces causes sont de plus en plus liées entre elles. Les changements climatiques peuvent déclencher un conflit qui provoque le déplacement d'individus. L'exemple classique est l'attaque d'un village par des Janjaweeds au Darfour. En effet, il y a une dimension politique à ces attaques, mais la situation reflète aussi l'existence d'un conflit relatif aux ressources naturelles. La population du Darfour a augmenté et les pluies sont en baisse constante. Par conséquent, les relations entre les fermiers et les éleveurs, qui se font concurrence pour l'eau, se sont détériorées. Pareillement, la guerre génère la pauvreté et les privations et a des impacts néfastes sur l'environnement. En d'autres termes, il peut être difficile de mettre le doigt précisément sur les raisons pour lesquelles une personne se déplace.
Madame la présidente, honorables sénateurs, fort heureusement, je n'ai pas à argumenter en faveur d'une plus large interprétation de la protection des réfugiés aujourd'hui. Le Canada a une tradition dont il peut être fier en matière d'interprétation du droit international des réfugiés et de la mise en œuvre d'une définition élargie relative à la reconnaissance du statut de réfugié.
Cependant, le Canada n'est pas à l'abri des dynamiques fluctuantes des déplacements dans le monde d'aujourd'hui. Comme vous pouvez le constater, à la fin de la guerre froide, les déplacements sont devenus peut-être plus compliqués. L'identification des réfugiés dans le contexte actuel est une tâche complexe qui requiert un savoir-faire en matière d'analyse. Considérant ce qui est en jeu ici, lorsqu'il s'agit de décisions concernant les demandeurs d'asile et les réfugiés, il est fondamental de ne pas se tromper.
Quand le Canada a entrepris, en 2001, de créer la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et d'abroger la législation nationale antérieure, de larges principes de droits de la personne et de protection ont été incorporés dans la nouvelle législation nationale. Celle-ci inclut une décision en première instance pour les demandes d'asile, ainsi qu'une instance d'appel qui révise le bien-fondé des décisions de première instance.
Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ou HCR, est intervenu dans les discussions avant, pendant et après la promulgation de la LIPR et ces discussions se poursuivent encore. Nous apprécions cet engagement de la part des interlocuteurs du gouvernement canadien, encore une autre illustration de l'excellente relation qu'entretient le HCR avec le Canada.
Je vous remercie de m'accorder l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui. La détermination du statut de réfugié est une tâche complexe et les décisions qui sont prises ont une incidence fondamentale sur les personnes — une incidence qui souvent sauve des vies. S'il y a erreur, la décision de refuser la protection à un demandeur d'asile condamne la personne à retourner involontairement dans son pays d'origine où elle peut être soumise à des abus de ses droits humains fondamentaux, y compris persécution et risque de mort.
Lors de la création de la LIPR, le HCR était heureux de constater qu'elle incluait un appel sur le fond de la décision prise en première instance, afin de s'assurer que les individus non reconnus comme réfugiés par les commissaires de la CISR puissent avoir recours à une révision de leur décision par une instance indépendante. Cette instance examinerait la demande et tout autre document soumis par le demandeur d'asile et contenu dans les dossiers de la CISR, y compris la décision du commissaire, afin de s'assurer qu'une décision négative était bel et bien appropriée. Si des décisions prononcées par la première instance s'avèrent erronées, ce processus apporte réparation. Il permet également d'éviter une situation dans laquelle une décision prise en première instance, et dont l'incidence est fondamentale — dans le cas d'un demandeur d'asile, il peut s'agir d'une question de vie et de mort —, soit prise par une seule personne, ce grâce à l'introduction dans le système de freins et contrepoids.
D'autres mécanismes de contrôle et de vérification avaient été prévus. Dans la LIPR, l'instance décisionnelle de première instance devait être composée de plus d'un commissaire. Ceci, combiné au mécanisme d'appel, fournissait un degré élevé de garantie que les décisions ne risquaient pas d'être erronées.
Je souhaite souligner que la mise en œuvre des dispositions prévues dans la LIPR s'est avérée différente du contenu de la loi en ce que, subséquemment à sa promulgation et à sa mise en vigueur, des décisions de première instance ont été prises par un seul commissaire. Le mécanisme d'appel n'a jamais été mis en place.
Cela dit, je m'empresse de mettre en évidence la confiance du HCR à l'endroit du Canada et l'engagement des commissaires de la CISR envers la protection des réfugiés. Nous soulignons régulièrement l'excellence de la CISR en tant qu'entité, et nos préoccupations ne sont aucunement liées à la qualité générale des commissaires de la CISR. Au contraire, le HCR a beaucoup de respect pour la CISR en tant que première instance décisionnelle indépendante.
En même temps, nous comprenons également que les êtres humains peuvent faire et font des erreurs. Le HCR cherchait à éviter une situation dans laquelle une personne se prononcerait seule sur une question de vie ou de mort, et où ce jugement ne serait pas par ailleurs sujet à révision sur le fond. Ce que nous avions espéré éviter est en fait ce qui se passe présentement. En l'absence d'un examen sur le fond en deuxième instance, le système de détermination du statut de réfugié du Canada ne se conforme pas aux normes internationales.
Pour le HCR, le fait que le Canada n'ait pas un mécanisme d'appel en vigueur a été source de consternation. Nous avons à plusieurs reprises fait valoir notre position selon laquelle une instance d'appel est nécessaire pour assurer une procédure complète et juste.
Dans la très grande majorité des pays industrialisés, un système décisionnel à deux paliers, incluant un appel sur le fond, est en place. Au HCR, nous avons également des experts qui sont responsables de la détermination du statut de réfugié dans les pays qui ne veulent pas ou ne peuvent pas instaurer des procédures nationales de détermination du statut de réfugié. Bien que cela puisse varier annuellement, le HCR assure généralement la détermination du statut de réfugié dans environ 90 pays. À l'interne, également, nous exigeons un processus d'appel sur le fond qui se charge de réviser les dossiers des demandeurs d'asile qui se sont vus refuser le statut de réfugié parce que nous comprenons que des erreurs peuvent être commises. Le HCR est d'avis qu'une procédure entière et équitable requiert une révision des demandes d'asile refusées.
Le HCR n'est pas seul à croire cela; l'organe directeur du HCR, le Comité exécutif du Programme du Haut Commissaire auquel le Canada siège en tant que membre, demande régulièrement aux États d'instaurer des procédures de détermination du statut de réfugié complètes et justes.
Dans certains États, comme c'est le cas au Canada, l'instance d'appel est une cour où l'appel est entendu par voie de contrôle judiciaire. Cependant, au Canada, le contrôle judiciaire est limité aux demandeurs qui ont obtenu de la Cour fédérale l'autorisation d'interjeter appel; de nombreuses demandes ne sont donc pas admissibles au contrôle judiciaire. Par ailleurs, le contrôle judiciaire est strictement réservé aux questions de droit et de conformité aux procédures, et les tribunaux ne sont pas invités à revoir le bien-fondé factuel des demandes d'asile. En conséquence, selon le HCR, le contrôle judiciaire tel que prévu dans le système canadien ne constitue pas un accès à des procédures complètes et justes.
Comme nous l'avons déjà mentionné, le contrôle judiciaire n'est pas axé sur le bien-fondé de la demande. C'est pourquoi nous défendons vivement l'idée qu'un second palier décisionnel pour réviser à fond les demandes est nécessaire et qu'un mécanisme pour le garantir, quoique déjà disponible dans la LIPR, devrait être mis en place au Canada. Le processus d'appel sur le fond d'une demande, tel que prévu dans les dispositions relatives à la Section d'appel des réfugiés ou SAR, s'il est mis en œuvre, répondra à cette norme et le HCR serait heureux de le voir instauré.
Il a été suggéré qu'il existe d'autres recours disponibles qui ont été mis en place afin de répondre à la nécessité d'un appel sur le fond. Cela est inexact. La LIPR prévoit un Examen des risques avant renvoi, ou ERAR. Ce processus est enclenché lorsque les demandes d'asile sont rejetées et que les individus sont soumis au renvoi du Canada. Encore une fois, l'ERAR ne permet pas expressément l'examen du bien-fondé d'une demande d'asile faite par un revendicateur devant la CISR. Les agents d'ERAR de Citoyenneté et Immigration Canada ne peuvent renverser une décision de la CISR et ne peuvent accorder le statut de réfugié à un demandeur d'asile.
Il existe également le processus pour les cas comportant des considérations d'ordre humanitaire et par lequel une personne peut se voir accorder le droit de demeurer au Canada lorsqu'un renvoi serait inhumain, par exemple lorsque l'individu est marié et/ou a des enfants qui sont Canadiens et dont il serait forcément séparé en cas de renvoi. Bien que nous trouvions louable ce processus pour les cas comportant des considérations d'ordre humanitaire, celui-ci ne diminue en rien la nécessité d'un mécanisme d'appel sur le fond.
Le HCR convient que les procédures expéditives qui mènent à la résolution rapide des demandes d'asile constituent un élément important de tout régime national de protection. Le HCR est aussi conscient de la préoccupation justifiée du gouvernement du Canada, jugeant qu'un système décisionnel à paliers multiples long et complexe est peu souhaitable. Nous comprenons que la loi canadienne exige l'accès au contrôle judiciaire et inclut un certain nombre d'autres processus grâce auxquels un individu peut chercher à demeurer au Canada. Nous comprenons également que la SAR était incluse dans la LIPR précisément du fait de la nécessité d'avoir des freins et contrepoids efficaces, et que ce besoin n'est pas comblé ailleurs dans la loi.
À cet égard, le HCR ferait également remarquer qu'il est important de s'assurer que la SAR dispose des ressources requises et que le personnel recruté pour faire le travail reçoive une formation préalable afin que la SAR puisse fonctionner comme il se doit.
Assurer la protection des réfugiés est en effet difficile, mais il est essentiel de protéger les droits fondamentaux des réfugiés, conformément aux obligations des États telles qu'énoncées dans les instruments internationaux en matière de réfugiés et de tradition humanitaire dont le Canada est signataire.
Madame la présidente, honorables sénateurs, merci encore de m'accueillir ici aujourd'hui.
La présidente : Merci de votre déclaration liminaire. Elle a certainement englobé tous les points et étayé la perspective du HCR, ce dont nous sommes reconnaissants.
Le sénateur Di Nino : Bienvenue, messieurs. Monsieur Abraham, votre tâche est difficile; nous comprenons cela. Lorsque vous parlez du Darfour et d'autres endroits dans le monde, nous ne pouvons avoir pour vous et vos collaborateurs, qui font un travail incroyable, que la plus haute estime et le plus grand respect. Il survient parfois des manquements sur ce plan, mais pas chez vous.
J'aurai trois ou quatre petites questions et remarques. Premièrement, je suis convaincu que vous savez, car je suis certain que vous suivez la chose, que l'actuelle ministre de l'Immigration et les quatre qui l'ont précédée, des deux partis politiques, ont déclaré avec conviction que nous n'avons pas besoin de ce projet de loi. L'un des anciens ministres de l'Immigration — je pense qu'il a été le dernier ministre de l'Immigration libéral, en fait, à la Chambre — a voté contre le projet de loi. Ces personnes comprennent sans doute mieux la question que l'un quelconque d'entre nous autour de cette table, et je vous inclus dans le groupe, car vous connaissez le dossier.
Pourquoi pensez-vous que ces cinq experts en la matière s'opposeraient en ce moment à l'établissement de la SAR?
M. Abraham : Le HCR ne fait rien de manière indépendante. Nous sommes constitués par les différents États. Nous avons un comité exécutif qui conseille le Haut Commissaire quant à la meilleure marche à suivre dans la réaction du HCR aux fins ou du bien-être ou de la protection de réfugiés. C'est pourquoi j'ai souligné que le Canada siège à ce comité, mais je ne voudrais pas me prononcer sur ce que d'autres ministres pourraient penser de cette question précise.
Le sénateur Di Nino : D'accord. Merci.
Le deuxième point est l'inquiétude générale quant à l'ajout d'une autre couche, ce qui prolongerait en fait le processus dans le temps. Évidemment, si les demandes devront passer par le processus avec une étape de plus, l'on compte que cela prendra cinq ou six mois. Ce pourrait être plus long ou plus court, mais un délai de cinq ou six mois semble être la norme.
L'un des témoins précédents a recommandé l'élimination de l'ERAR et l'établissement de la SAR, ce qui éliminerait l'une des étapes et accélérerait un peu le processus. Le souci que j'ai est qu'avec la disposition visant la création de la SAR, qui examinerait les preuves déjà fournies, aucune nouvelle preuve ne pourrait être déposée, ce qui affaiblit la possibilité pour l'intéressé d'obtenir une audience plus positive, alors que l'ERAR autorise en fait le dépôt de nouvelles preuves, c'est-à-dire de changements. Avec la SAR, même si la situation devait changer, la loi n'autoriserait pas la section à en tenir compte.
Pensez-vous que cela améliorerait le projet de loi? En d'autres termes, la suppression de l'ERAR et la création de la SAR? Êtes-vous d'accord avec moi ou avec cet intervenant qui vous a précédé?
M. Abraham : Je vais essayer de répondre à la première partie, et je laisserai M. Shelow répondre à la deuxième.
Il nous faut nous rappeler d'une chose : lorsque nous parlons de la vie d'une personne, trois ou quatre mois — si c'est ce qu'il faudra à la SAR pour décider d'une affaire —, ce n'est rien dans la vie d'une personne. Ce dont il nous faut le plus nous préoccuper est la question de savoir si nous traitons de manière humaine et humanitaire avec l'intéressé car, si la décision tourne mal et que la personne est renvoyée du territoire canadien, alors qui sera redevable s'il y a vraiment eu erreur et que la personne a perdu sa vie? C'est là la première question.
Le HCR est en train de dire qu'une décision de seconde instance est importante afin de veiller à ce qu'il n'y ait pas commission d'erreur. J'ai dit plus tôt dans ma déclaration que nous pouvons faire erreur. La décision de deuxième instance a précisément pour objet d'éliminer toute erreur de jugement possible.
Pour ce qui est de la deuxième partie, je vais demander à M. Shelow de répondre.
Hy Shelow, administrateur principal chargé de la protection, Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés : Vous proposez ici une alternative : si nous créons la SAR, alors nous abolissons l'ERAR.
Le sénateur Di Nino : C'était une suggestion d'un témoin précédent.
M. Shelow : Je réponds à cela que les deux instances poursuivent des objectifs entièrement différents. L'une revoit les droits et obligations d'un demandeur d'asile et décide si la détermination de la première instance était juste ou non.
L'autre procédure considère les événements ultérieurs — l'intervalle de temps depuis le jugement en première instance, en l'occurrence; une SAR constituerait une deuxième instance. Au cours de cette période différentes choses peuvent se produire. Il peut y avoir création de ce que l'on appelle un « réfugié sur place ». Par exemple, la situation dans le pays d'origine peut avoir changé depuis la détermination en première instance, ou bien en appel s'il existe une SAR. Ensuite, avant le renvoi, une situation entièrement nouvelle a pu voir le jour dans le pays d'origine.
Je ne pense pas que l'on puisse réellement examiner la loi pièce par pièce. Elle fonctionne comme un continuum. À l'heure actuelle, une partie de ce continuum a été retranchée, et c'est le problème.
Le sénateur Di Nino : Avant de poser ma dernière question, je veux remercier M. Abraham de ses paroles aimables concernant notre système. Il a félicité plusieurs fois le Canada pour l'excellence de son système et la qualité des personnes qui y travaillent.
À la page 4 de votre mémoire vous avez formulé une observation au sujet du contrôle judiciaire, entre autres. Vous dites que de nombreuses demandes d'autorisation de contrôle judiciaire sont rejetées. Dans la pratique, est-ce que cette demande d'autorisation ne représente pas une audience en soi? Une cour de justice décide s'il y a une raison valide ou non d'accepter le contrôle judiciaire.
Je ne suis donc pas d'accord avec vous lorsque vous dites que de nombreuses demandes ne sont pas entendues, car elles le sont toutes, dans la pratique. Le tribunal décide qu'il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve pour continuer la procédure. Sans vouloir vous critiquer, je ne pense pas que cette affirmation soit juste, à mon avis.
M. Abraham : Cela met fondamentalement en jeu la question de savoir dans quelle mesure le demandeur d'asile est entendu. Le contrôle judiciaire, comme nous l'avons dit, ne porte pas sur le fond. Dans la pratique, cela revient à dire que la cause, le demandeur, n'est pas entendu.
Je pense toujours que les demandeurs, selon les circonstances et la situation, ne peuvent pas nécessairement dire tout ce qu'ils veulent dire, ou bien ne peuvent rien dire du tout. C'est pourquoi il importe qu'ils soient pleinement entendus. Je pense que seule une deuxième instance assurerait cela. Je ne sais pas si mon collègue a quelque chose à ajouter sur le plan juridique.
M. Shelow : Pour ce qui est de la décision d'autoriser ou non le contrôle judiciaire, vous dites que le refus d'autorisation constitue en soi une détermination judiciaire. À l'heure actuelle, la Cour fédérale ne peut pas se prononcer sur le fond. Elle examine uniquement si la décision rendue est conforme au droit, plutôt que d'examiner l'affaire sur le fond.
Même si l'autorisation de contrôle judiciaire est donnée, la Cour ne va pas lors de celui-ci se pencher sur le fond. Cela ne répond donc pas à l'intention de la SAR, qui était d'entendre un appel sur le fond.
Le sénateur Di Nino : Je dois faire un rectificatif. Monsieur Berger, le monsieur dont j'ai cité le propos tout à l'heure, m'a repris en disant que si nous faisons les choses de telle manière que l'ERAR donne effet à la décision de la SAR, alors nous devons autoriser cette dernière à entendre des éléments de preuve nouveaux, ce que vous demandez aussi. Sachez, monsieur, que je n'ai pas intentionnellement déformé vos propos.
M. Abraham : Si je puis répondre rapidement, je ne pense pas que le HCR conteste le moindrement ce que fait le gouvernement canadien avec sa propre législation. La seule chose que nous faisons ressortir, c'est qu'à l'heure actuelle il n'y a pas de jugement en deuxième instance. Certes, l'ERAR existe et il y a le contrôle judiciaire, mais la SAR, telle que la LIPR la prévoit, est absente.
Le sénateur Di Nino : S'il reste du temps, j'aimerais bien un deuxième tour.
Le sénateur Goldstein : Merci, monsieur Abraham, monsieur Casasola et monsieur Shelow de venir nous aider dans nos délibérations. Je suis très heureux que vous ayez établi la distinction entre l'examen des risques avant renvoi, l'ERAR, d'une part, et l'absence d'un mécanisme d'appel d'autre part; et vous avez fait ressortir que les deux sont nécessaires pour avoir un système intégré. Je vous en remercie.
En 2002, votre prédécesseur, Judith Kumin, a écrit au ministre Coderre en date du 9 mai, il y a plus de six ans, disant entre autres que votre organisation « considère une procédure d'appel un élément fondamental et nécessaire de toute procédure de détermination du statut de réfugié ». C'est là une affirmation plutôt catégorique pour une organisation aussi peu portée à la confrontation que la vôtre. Avez-vous écrit à d'autres ministres, à votre connaissance, depuis cette lettre du 9 mai, ou bien la question est-elle restée en sommeil? Êtes-vous intervenu après d'autres ministres?
M. Abraham : Je ne suis au Canada que depuis quatre mois, et je vais donc faire appel à mon collègue.
M. Shelow : Lorsque vous dites que le HCR ne se trouve pas dans une situation de confrontation ici, c'est exact. Nous en somme reconnaissants. Notre relation avec Citoyenneté et Immigration Canada, ainsi qu'avec les divers responsables qui s'occupent de ces questions, est très bonne. Nous avons discuté de cette question à maintes reprises, tant dans le contexte spécifique d'une SAR qu'à l'occasion de discussions plus générales sur ce que l'on appelle la « réforme de l'asile ».
Le sénateur Goldstein : À votre connaissance, avez-vous écrit soit au ministère de l'Immigration, soit au ministre personnellement, depuis cette lettre du 9 mai?
M. Shelow : Il faudrait que je vérifie la correspondance pour voir s'il y en a une portant spécifiquement sur la SAR, mais nous avons eu plusieurs échanges.
Le sénateur Goldstein : S'il existe une telle correspondance, pourrais-je vous demander de nous la communiquer?
La présidente : Si vous tombez sur une telle correspondance, pourriez-vous l'envoyer à la greffière qui la distribuera aux membres du comité?
Le sénateur Goldstein : Je vous remettrai une copie de cette lettre du 9 mai. Malheureusement, je ne l'ai qu'en anglais et je ne peux donc pas la déposer maintenant.
La présidente : Vous pouvez la remettre pour qu'elle soit traduite.
Le sénateur Jaffer : Bienvenue au Canada, monsieur Abraham. Il nous fera certainement plaisir de vous recevoir de temps en temps. Vous avez cité les paroles prononcées par le Haut Commissaire aux réfugiés et je suis sûre que vous lui demanderez d'intégrer les directives canadiennes concernant la persécution fondée sur le sexe dans la nouvelle définition, car elle représente un progrès.
Nous sommes également très heureux que vous tous ayez souligné la relation cordiale entre le HCR et le Canada. Il ne fait aucun doute que les Canadiens tiennent à cette cordialité. Cependant, nous ne sommes pas ici pour parler de la cordialité des relations. Nous sommes ici pour parler de personnes dont la vie est en jeu et d'une procédure qui nous préoccupe tous. Il s'agit de savoir s'il faut une instance d'appel. Vous avez rappelé avec éloquence que nous commettons tous des erreurs. Nous l'admettons. Il s'agit donc de veiller à ce qu'une personne qui mérite l'asile dans notre pays ne soit pas renvoyée.
Pourriez-vous nous dire quels autres pays du monde industrialisé, à part le Canada, le Portugal et l'Italie, n'ont pas de recours en deuxième instance?
M. Abraham : La plupart des pays industrialisés ont une instance d'appel. C'est dans le contexte d'une révision judiciaire. Et ici nous parlons d'une révision portant sur le fond de l'affaire, qui est à toutes fins pratiques absente.
Le sénateur Jaffer : Elle est prévue dans la loi mais n'a pas été mise en œuvre. Avez-vous noté un accroissement du nombre des cas dans lesquels vous êtes amené à intervenir? Nous connaissons tous celui d'Enrique Falcon Ríos, qui allait être expulsé. Je crois savoir que le HCNUR est intervenu en sa faveur, car c'était un réfugié véritable. Avez-vous enregistré un accroissement de la charge de travail du fait de l'absence de la SAR?
M. Shelow : Nous parlons régulièrement de cas individuels avec CIC. Nous intervenons régulièrement. Cependant, du point de vue d'une intervention officielle, le pire scénario pour le HCNUR est d'être obligé de reconnaître un réfugié sous mandat des Nations Unies et cela ne s'est pas encore produit au Canada.
La présidente : Nous ne cessons de parler d'appel et vous-même employez le terme « décision en deuxième instance ». Nous savons tous que l'on peut apposer cette étiquette sur n'importe quoi et faire semblant de se conformer. Est-ce que le HCNUR a une définition d'un recours en bonne et due forme? Autrement dit, quels éléments doivent être présents pour avoir une deuxième instance complète, comme le sénateur Jaffer vient de le dire? Une étiquette n'est rien qu'une étiquette. C'est la substance qui compte.
M. Abraham : Je renvoie la question à mon juriste.
M. Shelow : Je suis très populaire ce soir.
Nous considérons une procédure complète et équitable comme comportant un examen en première et en deuxième instance sur le fond ainsi que sur la forme, si bien que le demandeur a accès à un examen complet de sa revendication du statut de réfugié.
La présidente : Pensez-vous que la personne devrait avoir le droit d'être représentée et/ou présente lors d'une révision?
M. Shelow : Si je puis interpréter, vous me demandez si une SAR, c'est-à-dire une révision exclusivement du dossier, est adéquate. Alors que nous préférerions une comparution en personne, nous considérons comme adéquate une révision de la décision rendue en première instance portant tant sur le fond que sur la forme.
Au sein de notre propre organisation, selon les ressources disponibles, nous appliquons les deux systèmes, selon le bureau de pays. Il peut s'agir d'une révision du dossier uniquement, ou bien il peut y avoir comparution du demandeur.
Dans les bureaux de pays où nous avons une simple révision du dossier, nous réservons le droit pour l'assesseur de faire comparaître néanmoins la personne dans des cas exceptionnels, si bien que même dans nos procédures fondées sur le dossier nous avons des exceptions.
La présidente : Vous avez indiqué que le Portugal, l'Italie et le Canada sont les seuls à ne pas avoir de deuxième instance de décision. Est-ce que dans les autres on rencontre toutes les variations possibles de recours, c'est-à-dire une révision simple du dossier jusqu'à une nouvelle audience en règle avec présentation de preuves supplémentaires et tous les éléments d'une procédure judiciaire en règle?
M. Shelow : Lorsque vous parlez d'une simple révision du dossier, j'imagine que vous entendez par là qu'il n'y a pas de possibilité d'interroger ou de réinterroger le demandeur. C'est le cas dans un certain nombre de pays.
Il y en a aussi un certain nombre qui ont adopté également certaines variations de la détermination en première instance. Il peut s'agir d'un examen par un agent de l'État ou par un organe indépendant ayant rang de tribunal quasi judiciaire ou administratif.
La présidente : Monsieur Abraham, soyez le bienvenu au Canada dans ce rôle que vous exercez depuis quatre mois. Je vais faire appel dans ma question à votre expérience antérieure. Je tiens à ce que les réfugiés arrivant au Canada soient traités équitablement et aient toutes les possibilités de se faire entendre.
Je constate également que le HCNUR a une responsabilité écrasante à l'égard des réfugiés qui s'entassent dans des camps et dont l'espoir de rentrer un jour dans leur village et leur pays s'amenuise au fil des années.
Comment un parlementaire canadien fait-il la part des choses entre les recours accordés à ceux déjà arrivés au Canada, par opposition à ces réfugiés languissant dans les camps, dans des situations parfois désespérées, année après année, et qui respectent les règles, attendent d'être sélectionnés ou bien de rentrer chez eux? Comment faire la part des choses?
M. Abraham : Les situations des réfugiés diffèrent considérablement d'un lieu à l'autre. Il existe des situations où certaines raisons sociales, culturelles ou autres poussent les réfugiés à se déplacer vers un lieu donné, à moins que leur collectivité et leurs dirigeants trouvent une autre solution. Il ne faut pas penser que tout le monde agit de manière indépendante. Je pense que ceux qui sortent d'une situation particulière, d'après ce que j'ai vu, sont ceux qui agissent de manière indépendante.
J'ai passé les cinq dernières années au Népal où, à une majorité écrasante, les réfugiés ont décidé que la seule solution qu'ils souhaitaient était de se rapatrier volontairement. Nous nous sommes demandés comment il serait possible qu'ils se rapatrient tous volontairement. Il a fallu beaucoup de courage aux individus pour dire : « J'ai attendu suffisamment longtemps. Cela fait 18 longues années. Je suis prêt maintenant à aller n'importe où, mais je ne veux plus rester dans ce camp. »
Ce sont eux qui se déplacent. Le Canada a accepté de recevoir 5 000 d'entre eux. Bien que nous en ayons 107 000 dans les camps, il n'est pas vrai que ces 5 000 là se montrent simplement prêts à monter dans l'avion. Il y a beaucoup de travail derrière cela. Il faut veiller à ce que ceux qui viennent aient réellement fait le choix de venir au Canada.
Nous ne parlons pas nécessairement de personnes sortant de camps. Ce mouvement-là est bien organisé, il fait partie d'un programme de rétablissement organisé par le gouvernement. Beaucoup d'autres migrants viennent au Canada. Si vous regardez les chiffres, vous verrez que le pourcentage de réfugiés venant au Canada demander l'asile, que le statut de réfugié leur soit reconnu ou non, est bien inférieur au nombre total d'immigrants désireux de s'établir au Canada. Le Canada est un bon pays. Tout le monde le sait, et ils cherchent donc à venir. Vous avez aussi des réfugiés qui cherchent à venir.
C'est pourquoi nous nous inquiétons beaucoup de la correspondance entre asile et migration. Nous craignons parfois qu'un réfugié soit renvoyé au même titre que tout autre migrant clandestin ou sans visa. C'est la raison pour laquelle nous aimerions que le système mis en place soit solide et sûr et examine davantage les dangers encourus par une personne renvoyée dans son pays.
La présidente : Si vous êtes dans un camp et désireux de partir au Canada, et si l'on vous refuse, y a-t-il un recours?
M. Abraham : Parlez-vous de ceux qui ne veulent pas venir?
La présidente : Je parle de ceux qui voudraient venir, mais qui se voient refuser l'accueil au Canada après évaluation. Ont-ils un recours?
M. Abraham : Ils ont toujours le choix. Dans mon travail dans les camps, je leur ai toujours dit que s'ils décident qu'ils ne veulent plus partir, même à dernière minute, au moment de monter dans l'avion, ils sont libres de redescendre et de revenir au camp. Le choix des réfugiés est toujours crucial et important pour nous, car il s'agit de trouver pour eux des solutions durables.
La présidente : Ma question est l'inverse : Il y a évidemment un mécanisme de sélection. Si le Canada est prêt à recevoir 5 000 réfugiés sur un bassin de 100 000, qu'advient-il de ceux qui ne sont pas choisis? Peuvent-ils plaider leur cause pour figurer dans cette première tranche de réfugiés?
M. Abraham : Le HCNUR ne décide pas qui va être réinstallé. C'est là une prérogative des États d'accueil. Nous aidons, soutenons et facilitons le processus, mais nous ne pouvons prendre la décision de réétablissement, qui est prise en l'occurrence par les agents d'immigration canadiens qui procèdent à des entretiens avec les candidats. Ils appliquent les critères canadiens de réétablissement. Tout cela doit entrer en jeu.
Dans les camps de réfugiés dans le monde, nombreux sont ceux qui aimeraient se réétablir ailleurs, en particulier ceux qui languissent depuis longtemps et ne peuvent plus rester dans ces camps. Ils demandent à être réinstallés, mais ce n'est pas si simple. Il est difficile d'imaginer que tout le monde dans un camp de 100 000 personnes puisse être réinstallé. Nous espérons qu'avec le temps la situation dans les pays d'origine s'améliore, sur le plan des violations des droits de la personne, et que ces gens voudront rentrer chez eux.
Le réétablissement peut parfois être un arrangement permanent, mais aussi temporaire, c'est-à-dire que les réfugiés pourront vouloir retourner chez eux si la situation dans le pays d'origine s'améliore.
Le sénateur Munson : Lorsque l'Association du Barreau canadien a comparu devant nous le mois dernier, elle a dit que l'un des aspects les plus troublants de la décision du gouvernement de ne pas créer la SAR réside dans le fait que le gouvernement contrecarre la volonté du Parlement en ne proclamant pas en vigueur les articles correspondant de la LIRP. Ils nous ont dit qu'il est contraire à la règle de droit que des dispositions législatives soient mises de côté à la discrétion de l'exécutif. Ce soir, vous nous dites qu'en l'absence d'une révision en deuxième instance portant sur le fond, le système canadien de détermination du statut de réfugié n'est pas conforme aux normes internationales.
Dans ces conditions, si le projet de loi C-280 — qui consiste à mettre en vigueur les articles 110, 111 et 171 — est rejeté, dans quelle situation le Canada se trouvera-t-il vis-à-vis de la communauté internationale?
M. Abraham : Je n'aimerais pas prononcer un jugement sur ce qui arriverait.
Le sénateur Munson : Selon votre point de vue, le système actuel est insuffisant. Est-ce exact?
M. Shelow : Cela nous ramène aussi à la question de la présidente. Lorsque le HCNUR se penche sur ces questions, il le fait selon l'optique du droit international et des engagements internationaux. Le Canada a signé la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Il a été un des premiers pays signataires et vous avez une forte réputation de protection des réfugiés, ce que nous ne cessons de souligner car nous voulons encourager cela.
Aux termes de la convention, il y a l'obligation de donner l'accès au territoire et d'examiner les demandes d'asile. Il n'y a pas obligation de réinstaller des gens. C'est là un acte entièrement volontaire de la part du Canada. Il est associé à votre fière tradition, mais nous ne pouvons vous reprocher de ne pas accueillir des réfugiés pour réinstallation. La plupart des pays n'ont pas de programme de réinstallation et il y a lieu de féliciter le Canada d'en avoir un.
Cela dit, vous avez parlé d'une lacune dans l'application de la protection des réfugiés. Nous tendons à considérer les résultats pour voir dans quelle mesure cette lacune pourrait aboutir au renvoi d'une personne dans un lieu de danger ou si l'absence au Canada d'un appel sur le fond pourrait avoir ce résultat. Théoriquement, oui, c'est très possible, car des erreurs se produisent.
Dans les cas individuels, si nous considérons qu'une personne est en danger, nous cherchons à intervenir en demandant au gouvernement l'assurance qu'elle ne sera pas renvoyée. Est-ce adéquat? Non, je ne le crois pas. Nous avons quatre agents de protection ici au Canada, dont mon adjoint. Il est exclu que nous puissions couvrir et examiner adéquatement tous les cas ou remplacer le gouvernement du Canada pour ce qui est de l'exécution de ses obligations en droit international. Nous sommes ici pour soutenir ainsi que pour contrôler, et nous cherchons à aider. Cette lacune est un souci pour nous et fait que nous nourrissons une inquiétude.
Le sénateur Di Nino : J'ai été frappé par l'avant-dernier paragraphe de votre mémoire, monsieur Abraham, où vous parlez de la nécessité de doter la SAR de ressources adéquates. Je suppose que vous entendez par-là que pour mettre en œuvre ce mécanisme nous aurions besoin de personnel doté de compétences et d'outils différents et de systèmes distincts. Il serait essentiel d'assurer une formation pour minimiser les problèmes. Nous disons la même chose, ce qui signifie que cela prendrait un certain temps à mettre en place. Ai-je bien compris votre propos, monsieur?
M. Abraham : J'essayais de montrer dans ce paragraphe qu'il fallait mettre en œuvre tous les moyens requis pour éviter de se retrouver avec un système SAR dont le personnel ne connaît pas la différence entre la deuxième et la première instance. C'était là le sens de ma remarque. Cela ne peut pas se faire du jour au lendemain car cela exige beaucoup de travail, de préparation, de formation et beaucoup de connaissances. Je ne pense pas qu'une SAR puisse être mise sur pied en l'espace d'un mois ou deux, car il faut une bonne préparation.
Comme mon collègue l'a dit, le Canada a de longue date pour tradition de bien faire les choses, dans tous les domaines, dois-je dire. Il importe de veiller à ce que la SAR soit un système très solide et sûr, si vous le mettez en place.
Le sénateur Goldstein : Ma question concerne la réputation du Canada, à laquelle nous sommes tous très sensibles. En octobre 2007, des gardes-frontière ont refoulé cinq demandeurs d'asile. Je ne pense pas que vous étiez alors en fonction, monsieur Abraham, mais M. Shelow et M. Casasola s'en souviendront probablement très bien. Vous avez fortement critiqué la pratique des refoulements qui revient à laisser des agents frontaliers décider si un demandeur d'asile est un réfugié véritable.
Quelle sorte de mécanisme mettriez-vous en place à la frontière pour contrer des personnes qui se présentent et qui ne sont manifestement pas d'authentiques réfugiés? Ma crainte est que nous voyions affluer à la frontière des masses de gens revendiquant le statut de réfugié et surchargeant le système au point qu'il deviendra ingérable.
M. Abraham : Peut-être mon collègue pourrait-il compléter ma réponse. Il est de la prérogative du Canada de toujours assurer la sécurité à ses frontières de telle manière que les indésirables ne puissent entrer. Cela est fondamental.
Je m'intéresse à la partie où il y a une composante humanitaire dans les mouvements. Il faut pouvoir identifier celle- ci. Nous devons faire en sorte de pouvoir dépister ceux qui cherchent à entrer au Canada sous de faux-semblant.
La formation à la frontière est importante. Il faut avoir en place des mécanismes. Nous n'avons pas réfléchi à fond à tous ces aspects. Notre principal souci est que soient en place des poids et contrepoids de telle façon qu'un agent à la frontière ne prenne pas une décision mettant en danger la vie de quelqu'un. C'est une question de vie et de mort et nous devons veiller à ne pas renvoyer quelqu'un vers une situation dangereuse.
Le sénateur Goldstein : Nous sommes tous sensibles à cela. Merci.
M. Shelow : En ce qui concerne notre rôle et notre préoccupation concernant les refoulements, l'entente sur les tiers pays sûrs contient une série de dispositions sur la sécurité ainsi qu'une série de protections pour assurer que les deux pays comprennent clairement leurs obligations. Les renvois temporaires échappent à cette entente. Ils ne sont pas couverts.
Nous étions très préoccupés par le recours aux renvois temporaires et avons élevé de fortes objections car ils dérogent au système en place qui vise à partager entre les États le fardeau de l'examen des demandes d'asile. Par conséquent, nombre des protections associées à la question de savoir qui juge les demandes d'asile était perdu. Il était concevable que des personnes disparaissent dans les failles du système. Il se pouvait que des personnes soient détenues selon des régimes différents ou que des lois différentes leur soient appliquées.
De ce fait, nous sommes fortement intervenus auprès de l'Agence des services frontaliers du Canada, qui nous a assuré que les renvois temporaires ne seraient plus employés, sauf circonstances extraordinaires. Ces circonstances extraordinaires sont un afflux massif, ce que vous avez appelé une inondation de votre système. Si l'on est réaliste, vu les ressources dont dispose le Canada et sa situation géographique, il est hautement improbable que vos ressources soient submergées, que vous voyez affluer des dizaines de milliers ou des centaines de milliers de demandeurs d'asile à vos frontières.
Le Canada a une réputation qui en fait un modèle à l'étranger, et il existe des pays qui reçoivent des dizaines de milliers de demandeurs d'asile à leurs frontières chaque mois. Lorsque vous devenez plus restrictifs sur le plan de la protection que vous accordez, il y a manifestement des répercussions internationales. Par conséquent, il n'y a pas que l'impact des demandeurs d'asile arrivant chez vous qui, sur le plan général de la protection des réfugiés, représentent un nombre relativement faible, il y a aussi un impact à l'échelle mondiale.
La présidente : Je tiens à remercier nos témoins.
Monsieur Abraham, veuillez transmettre mes salutations personnelles au commissaire Antonio Guterres. J'ai travaillé avec lui et je le connais de ma vie politique antérieure. Il est bien placé pour travailler au sein du Haut Commissariat, et je pense qu'il nous servira bien.
Je suis sûre de parler au nom de tous les sénateurs en disant que nous respectons le travail du HCNUR tant ici, au Canada, que partout dans le monde. Le fait que vous soyez venu nous parler aussi librement et franchement tant de nos insuffisantes que de nos réussites, à mesures égales, est à porter au crédit de la bonne relation que nous avons avec le HCNUR.
Merci d'être venu.
Honorables sénateurs, notre dernier panel ce soir se compose de M. Phil Nagy, président du comité Hitschmanova, de la First Unitarian Congregation, ainsi que de Mme Joan Auden, membre, de M. Gauthier, président, de Mme Lisa Barnet, membre et de M. Jan Raska, membre du comité des relations communautaires pour réfugiés de la paroisse catholique romaine St. Joseph.
Bienvenue au comité.
Philip Nagy, président, comité Hitschmanova, First Unitarian Congregation of Ottawa : Honorables sénateurs, je suis le président du Conseil de la responsabilité sociale de la First Unitarian Congregation of Ottawa. Merci de m'avoir invité.
Deux personnes ont cherché refuge dans notre congrégation. Samsu Mia, un citoyen du Bangladesh, a trouvé refuge dans notre bâtiment de juillet 2003 jusqu'en décembre 2004, date à laquelle la ministre de l'immigration de l'époque, Judy Sgro, l'a autorisé à demeurer au Canada. Shree Kumar Rai, un citoyen du Népal, a cherché refuge chez nous en février 2007 et il s'y trouve toujours.
Un système réorganisé et mieux nanti en personnel, mais surtout une SAR en ordre de marche — avec une véritable possibilité d'interjeter appel d'une décision en fonction du bien-fondé de la cause, aurait pu éviter à ces deux personnes de chercher refuge dans un lieu de culte. Je vais commencer par un court résumé de ces deux cas.
M. Mia est arrivé au Canada en 1995 en tant que domestique d'un diplomate de haut rang du Haut Commissariat du Bangladesh. Il a été traité en esclave. Son salaire a été retenu. Il n'a pas obtenu les voyages de retour dans son pays prévus dans son contrat. Il devait dormir par terre et ses chaussures et son passeport lui ont été confisqués. En 1999, il s'est échappé et a tenté de recouvrer son salaire et son passeport. Il a reçu des menaces, tout comme sa famille au Bangladesh et son sauveteur au Canada.
La demande d'asile de M. Mia a été rejetée par un seul membre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié au motif qu'il s'agissait simplement d'un conflit personnel entre deux personnes. La décision ignorait le fait que la première était un cuisinier illettré et la seconde un puissant diplomate.
Peu après le rejet de la demande, le frère de M. Mia au Bangladesh a été menacé par un autre diplomate rentré au pays après avoir travaillé au Canada. C'était une nouvelle preuve, une preuve de danger continu, mais la procédure actuelle ne permettait pas d'ajouter cet élément de preuve au dossier. Sans mécanisme d'appel, ces preuves ne peuvent être présentées dans le cadre d'un ERAR ou d'une demande pour motifs d'ordre humanitaire.
Les contrôles judiciaires de l'affaire ont admis que le membre de la CISR n'avait pas tenu compte de tous les éléments de preuve, mais conclu que M. Mia n'avait pas démontré que le gouvernement du Bangladesh ne pouvait pas le protéger. Or, dans cette situation, des fonctionnaires de ce même gouvernement étaient à l'origine du problème.
En 2001, le fils de M. Mia au Bangladesh a été battu avec l'admonition de dire à son père de se tenir tranquille et de rentrer au pays. En mars 2003, l'ERAR a relevé que, même s'il avait été signalé dans une demande CH, ce passage à tabac n'était pas documenté. Une mesure de renvoi a donc été prononcée. Aucun sursis n'a été autorisé qui aurait permis de documenter le fait que le fils avait été battu.
C'est là que le bât blesse. Il est parfois impossible à un réfugié d'obtenir des preuves, il arrive que cela prenne du temps ou encore le réfugié comprend trop tard qu'il lui faudrait des preuves supplémentaires. Dans de nombreux pays, les médecins sont réticents à fournir des preuves parce qu'ils craignent pour leur propre sécurité.
La documentation a fini par être obtenue, mais elle pouvait uniquement être présentée dans un nouveau dossier, et non pas comme preuve à l'appui dans l'affaire en cours. C'est précisément pour cette raison que le système actuel n'est pas un véritable mécanisme d'appel.
M. Rai a adhéré à un parti d'opposition, le Front uni populaire, durant la campagne électorale de 1991 au Népal. En 1993, il a été arrêté durant une manifestation et torturé. L'un de ses amis a été tué. En 1995, il a été arrêté de nouveau, accusé à tort de contrebande d'armes, torturé et prévenu que s'il continuait à participer à des activités politiques, il subirait le même sort que son ami.
En 1995, le parti a décidé de prendre les armes et de se joindre aux maoïstes. Lorsque M. Rai a refusé de participer, des cadres de l'UPF l'ont menacé et ont insisté pour qu'il continue à collaborer avec ce parti devenu violent. Sous la menace, M. Rai a participé à une manifestation contre la violence policière, mais en restant à l'arrière de la foule, et est ensuite entré dans la clandestinité, par crainte tant des maoïstes que des autorités népalaises.
En 1996, afin de découvrir où il se cachait, la police a arrêté et torturé le père de M. Rai, qui est mort ultérieurement de ses blessures. M. Rai s'est enfui au Canada et s'est établi à Montréal en juin 1996. Sa femme et son fils, maintenant âgé de 16 ans, sont toujours au Népal. Ils ont dû déménager quatre fois pour éviter la police. De 1996 jusqu'à ce qu'il cherche refuge chez nous en 2007, M. Rai a travaillé dans la restauration et fait vivre sa famille en lui envoyant de 500 $ à 700 $ tous les mois.
Le cheminement de M. Rai dans le système canadien de protection des réfugiés est tortueux. Si les enjeux n'étaient pas si élevés, on pourrait parler d'une comédie d'erreurs. Sa première demande a été rejetée par un seul membre de la CISR, aux motifs qu'il avait appartenu à une organisation violente. En réalité, il a quitté cette organisation lorsqu'elle s'est engagée sur la voie de la violence.
Heureusement, il a été jugé que cette décision contenait des vices de forme et l'affaire a été reprise au début. Sa deuxième demande, entendue à nouveau par un seul membre de la CISR, a été rejetée elle aussi, cette fois pour un motif diamétralement opposé, soit qu'il avait inventé de toute pièce cette histoire d'activisme politique et qu'il ne courrait aucun danger s'il rentrait dans son pays.
Dans son ERAR négatif, le fonctionnaire de CIC qui a examiné le dossier a soutenu qu'il y avait un cessez-le-feu entre les maoïstes et le gouvernement et que la stabilité s'instaurait au Népal. Cette affirmation a été niée énergiquement par Amnistie Internationale, qui continue de demander que les Népalais ne soient pas renvoyés de force chez eux.
C'est précisément ce même fonctionnaire qui a rejeté ensuite, seulement trois semaines plus tard, la demande pour considérations d'ordre humanitaire de M. Rai. L'avocat de M. Rai à l'époque a dit qu'il interjetterait appel en raison de cette irrégularité flagrante dans le délai de deux semaines prévu, mais a omis de le faire. Il ne restait plus à M. Rai absolument aucun recours.
Six nouveaux cas portant sur des Népalais ont été entendus à Ottawa depuis l'ERAR et la demande CH de M. Rai. Dans tous les cas, le membre de la CISR a statué que le demandeur était un réfugié au sens de la convention ayant besoin de protection. Depuis 2002, les demandeurs népalais entendus par la CISR à Ottawa ont tous obtenu la résidence permanente au Canada en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, puisqu'on a jugé qu'ils seraient en danger s'ils retournaient au Népal. De fait, une décision dans un de ces cas a été rendue il y a deux mois à peine, en mars 2008. Comme pour de nombreux autres cas népalais, la situation dans ce cas était très semblable à celle de M. Rai.
Pouvez-vous trouver un moyen qui permettrait à M. Rai que son cas ressemble aux autres et que sa demande aurait dû aussi être jugée fondée? Un mécanisme d'appel aiderait à uniformiser les résultats des audiences. S'il y avait eu un deuxième membre de la CISR ou un appel de la première audience de M. Rai, la question de son appartenance à l'UPF aurait pu être résolue avant que la décision soit rendue. On aurai ainsi évité les coûts élevés des révisions judiciaires, de la nouvelle audience, de l'ERAR, de la demande pour motifs d'ordre humanitaire et de chacune des demandes d'examen connexes, sans parler des honoraires des avocats et des consultants.
Le coup de grâce a été que, dans un appel concernant la révision judiciaire du refus de l'ERAR, le juge n'a vu aucun problème à ce que le même fonctionnaire de CIC examine l'ERAR et la demande CH à un mois d'intervalle. Il a aussi conclu, à propos des deux premières décisions, que le ministre n'est pas tenu d'expliquer pourquoi les conclusions sont différentes. Je le répète, c'est une comédie d'erreurs.
J'ajoute cependant que tous ceux avec qui nous avons eu affaire à CIC dans ces deux cas étaient pleins de bonne volonté et courtois. Le problème, c'est qu'ils sont débordés de travail, pas assez nombreux et mal organisés. Les membres de la CISR ne semblent pas avoir accès à de l'information récente, exacte et indépendante sur la situation réelle dans divers pays. L'apparence d'un processus démocratique et le contrôle civil de la police et des forces armées ne démontre pas en soi l'existence d'un gouvernement démocratique désireux et capable de protéger ses citoyens. Les événements récents au Zimbabwe le démontrent amplement.
Malgré les élections qui se sont déroulées avec succès au Népal ce printemps afin de former une assemblée constituante qui agira comme parlement provisoire, rédigera une nouvelle constitution et réalisera probablement le plan du parti qui a remporté le plus de sièges, soit les maoïstes, d'abolir la monarchie et de priver le roi de tout pouvoir politique, il faudra probablement plusieurs années avant que le Népal devienne une république fonctionnelle et démocratique.
La tenue des dossiers et des bases de données du système des réfugiés est épouvantable et nécessite elle aussi des ressources financières et humaines accrues. Après que M. Mia ait obtenu un permis du ministre l'autorisant à rester au Canada et à faire venir sa famille, le délai de deux ans a presque expiré, en raison simplement de l'inefficacité bureaucratique : les rapports médicaux ont expiré ou ont été perdus, des formulaires de base ont été remplis deux et même trois fois et les demandes de documents déjà fournis se sont répétées.
Mais le problème fondamental est l'absence d'un véritable mécanisme d'appel, avec possibilité de présenter des arguments contraires et d'apporter de nouveaux éléments de preuve. Les membres de la CISR commettent des erreurs, même s'ils sont bien formés, et ils ont des préjugés. Plus du quart des postes de la CISR sont vacants et il y a un arriéré énorme de demandes d'asile à traiter.
Les différences entre les taux d'acceptation des demandes d'un membre à l'autre sont bien documentées. Par exemple, à notre connaissance, l'un des membres de la CISR, dans le cas de M. Mia, n'a jamais accepté de demande d'asile venant de l'Asie du Sud. Apparemment, il est convaincu que l'Asie du Sud est une région sûre.
Certains membres de la CISR acceptent plus de 75 p. 100 des demandes qui leur sont présentées, tandis que d'autres ont un taux d'acceptation bien inférieur à 20 p. 100. Même si les cas népalais présentés récemment à la CISR à Ottawa ont tous été acceptés, le taux d'acceptation à Montréal des demandes népalaises n'est que de 50 p. 100.
Je ne dresserai pas la liste de tous les arguments en faveur d'un véritable recours en appel. Ces arguments apparaissent dans de nombreux textes, notamment dans la législation sur les réfugiés qui n'a pas encore été mise en vigueur après toutes ces années.
Je conclurai avec une dernière observation. Il est primordial que le point de départ d'un mécanisme d'appel soit la communication entre les diverses agences. L'ASFC doit tenir compte des appels en cours. À l'heure actuelle, le processus de renvoi fonctionne indépendamment des demandes pour considérations d'ordre humanitaire ou de tout autre type d'appel. Même si nous reconnaissons que les documents peuvent être falsifiés et qu'il faut les examiner avec soin, il pourrait certainement y avoir un mécanisme de filtrage qui établirait que, premièrement, un juge a tranché que des documents manquent; deuxièmement, que les nouveaux éléments de preuve présentés semblent correspondre exactement à ce qui a été déclaré manquant; et troisièmement que le processus de renvoi soit suspendu en attendant la vérification de ces pièces. Il ne faudrait pas plus d'une heure ou deux pour établir que le nouvel élément de preuve semble, à première vue, combler le vide exprimé dans la décision de refus. Une simple communication éviterait bien des peines.
Il faut un mécanisme d'appel et une méthode régularisée de présentation de nouveaux éléments de preuve dans le cadre du dossier existant. Cela ne devrait pas être laissé à la merci des églises et du ministre. Il ne devrait pas falloir qu'un groupe important et bien organisé exerce des pressions pour obtenir justice.
Il faut des crédits supplémentaires pour accroître le personnel et réorganiser les procédures. Le système risque de s'écrouler. Le temps passé à chercher des documents perdus devrait plutôt servir à traiter des demandes. De nouveaux membres de la CISR devraient être nommés le plus rapidement possible, puis recevoir une formation adéquate, afin de combler le nombre effarant de postes vacants à la CISR.
Pierre Gauthier, président, paroisse catholique romaine St. Joseph, comité des relations communautaires pour réfugiés : Merci de cette invitation à comparaître devant votre comité. Accordez-moi un instant pour vous parler d'un groupe de bénévoles dévoués que j'ai le plaisir de représenter. Depuis plus de 20 ans, le Comité des relations communautaires pour réfugiés de la paroisse St. Joseph, sur l'avenue Laurier, à Ottawa, noue des relations amicales avec les réfugiés nouvellement arrivés dans la capitale nationale du Canada. Le rôle habituel du comité est de poser des gestes simples de gentillesse au quotidien, d'offrir un compagnonnage et des conseils et de piloter leur intégration dans la société canadienne. Aux réfugiés dans le besoin, nous trouvons un logis, des meubles, des vêtements chauds et des emplois.
En 2005, pour la toute première fois, nous avons pris la décision extraordinaire d'offrir un sanctuaire à une personne des plus méritantes, Maoua Diomonde. Nous ressentions un devoir de conscience d'aider une demandeuse d'asile contre laquelle une ordonnance de renvoi a été prononcée sans qu'elle ait eu droit à une audience complète et équitable. Après une année passée chez nous, elle a obtenu l'autorisation de demeurer au Canada. Nous avons été reconnaissants que le ministre, une fois au courant de tous les faits de son dossier, ait jugé bon d'accorder un permis de séjour pour considérations d'ordre humanitaire.
Cependant, il est un point important qu'il vous faut considérer : une congrégation religieuse ne devrait pas être placée dans une situation où le seul recours soit de donner sanctuaire à des demandeurs d'asile. Les églises ont été placées dans l'obligation désagréable d'offrir le sanctuaire parce que le système de détermination du statut de réfugié ne fonctionne pas correctement. À l'évidence, lorsqu'un demandeur d'asile légitime doit chercher l'aide d'une église, le système pose problème.
Je me demande parfois ce qu'il advient des personnes qui n'ont pas la chance de trouver un champion pour défendre leur cause. Elles sont sommairement renvoyées à leur sort dans le pays précaire et troublé qu'elles ont fui.
Tous ceux réunis ici aujourd'hui, j'en suis sûr, veulent un système juste et efficace. Selon notre expérience, l'absence d'un recours en appel constitue un vice majeur.
Notre demandeuse d'asile a fait l'objet d'une ordonnance de renvoi du Canada sans jamais avoir un recours réel, viable. Notre seule option, pendant que nous saisissions l'opinion publique, était d'offrir le sanctuaire. Un nombre non chiffré d'autres demandeurs d'asile ont été expulsés du Canada à défaut de mécanisme d'appel. Nous espérons que les leçons que nous avons apprises en aidant Maoua Diomonde pourront aider votre comité à améliorer le système des réfugiés.
Fin mars 2005, la First Unitarian Congregation of Ottawa a approché le comité des relations communautaires pour réfugiés de la paroisse St. Joseph afin d'aider une demandeuse d'asile qui n'avait pas eu d'audience complète et équitable pour justifier sa demande d'asile.
Lisa Barnet, membre, paroisse catholique romaine St. Joseph, comité des relations communautaires pour réfugiés : Voici quelques renseignements sur Maoua Diomonde. Elle était institutrice en Côte d'Ivoire pendant une période de troubles. En décembre 1999, un coup d'État militaire a eu lieu. Il a été suivi en octobre d'élections, au cours desquelles le général au pouvoir a été battu. En dépit de cette défaite, il s'est maintenu au pouvoir. Le chef de l'opposition à l'époque, qui était originaire du Burkina Faso, a organisé une manifestation de protestation.
Pendant ces événements, Mme Diomonde continuait son travail d'institutrice. Elle travaillait dans une région pauvre et avait de nombreux élèves incapables de payer les fournitures scolaires. Elle a aidé à organiser une coopérative de mères qui levait des fonds pour acheter les fournitures scolaires. Ces femmes étaient originaires du Burkina Faso et son association avec elle a suffi à alimenter les soupçons qu'elle aussi était Burkinabée. Cela, joint au fait qu'elle avait été blessée dans les manifestations du début octobre que j'ai mentionnées, a suffi pour qu'elle soit soupçonnée d'être membre de l'opposition. Elle a reçu des menaces de mort, et avertie d'avoir à cesser tout contact avec l'opposition, avec le conseil de rentrer chez elle au Burkina Faso, alors qu'elle était en fait Ivoirienne.
Des rumeurs circulaient alors voulant que l'opposition monte un coup d'État et aux alentours du 16 mai 2001, Maoua a été attaquée et violée dans sa maison. Sa nièce et son neveu vivaient alors avec elle. Sa nièce a également été agressée et violée. Son neveu a été enlevé.
Mme Diomonde s'est enfuie aux États-Unis, où son mari étudiait, et tous deux se sont frayés un chemin jusqu'au Canada et ont présenté une demande d'asile à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Sans trop entrer dans les détails de son cas, nous avons considéré que l'audience devant la CISR était entachée de vices.
Premièrement, sa demande et celle de son mari ont été entendues en même temps, bien que leur situation était complètement différente. Son mari se disait victime de persécution religieuse de la part du Sénégal. Deuxièmement, son mari était présent à l'audience, bien qu'ils étaient alors séparés et en instance de divorce. La raison pour laquelle ils se séparaient et divorçaient était qu'il considérait que son viol était de sa propre faute, ce qui l'a empêchée de témoigner pleinement à l'audience en sa présence.
Troisièmement, parce que sa demande était rattachée à celle de son mari, l'audience était conduite en anglais, alors que sa première langue est le français. À son arrivée au Canada, elle parlait très peu l'anglais. Cependant, l'audience de la CISR était conduite en anglais. Sur la foi de cette audience, la CISR a jugé qu'elle n'avait pas été violée et, par conséquent, une procédure de renvoi a été enclenchée.
Notre comité, le comité des relations communautaires pour les réfugiés, a eu connaissance de son cas environ 12 mois après la décision de la CISR. Déjà, la procédure de renvoi du Canada de Maoua était bien engagée. Son ERAR lui avait été défavorable et elle avait présenté une demande CH au ministre. Malheureusement, les délais d'examen de ces demandes sont si longs que la sienne n'aurait pas été examinée à temps, car elle devait être expulsée bien avant que l'on puisse escompter une détermination CH.
Notre comité a obtenu une copie de son certificat médical établi par un médecin. Après son viol, et avant de s'enfuir, elle a vu un médecin, qui l'a examinée et décrit l'agression. Ses dires étaient corroborés par les cicatrices. Alors que ses cicatrices physique s'estompaient, un médecin canadien a également corroboré leur existence. Cette preuve nouvelle n'a pu être présentée à la Cour fédérale, qui a refusé l'autorisation de contrôle judiciaire.
Il n'y avait plus aucun recours possible pour Maoua. Nous avons pris la décision très difficile de lui accorder le sanctuaire.
Jan Raska, membre, paroisse catholique romaine St. Joseph, comité des relations communautaires pour réfugiés : Pendant 12 mois, nous avons plaidé sa clause auprès des Canadiens par l'intermédiaire des médias. Nous avons organisé des manifestations et fait signer des pétitions pour réclamer un traitement juste et équitable pour elle. Nous avons obtenu une décision du commissaire aux langues officielles confirmant que ses droits linguistiques n'avaient pas été respectés. Notre décision d'accorder le sanctuaire à Maoua s'est avérée juste puisque le statut de réfugié lui a été reconnu pour circonstances d'ordre humanitaire.
L'existence d'une Section d'appel des réfugiés n'aurait pas été la solution pour toutes les erreurs de procédure commises dans l'affaire de Maoua. Cependant, elle aurait donné à Maoua une révision de son cas, avec des soumissions écrites dans la langue de son choix et avec, peut-on espérer, une meilleure compréhension des circonstances politiques propres à sa situation, et non à celle de son mari.
Néanmoins, nous restons troublés par certains aspects de la SAR, à savoir qu'elle ne permet pas d'introduire de nouvelles preuves ou renseignements pertinents. Sans demander une nouvelle audience complète, si de nouveaux éléments de preuve deviennent disponibles, ils devraient être admis, comme dans toute autre cour d'appel.
Les réfugiés ne connaissent pas les droits que leur confère la législation canadienne et ne comprennent pas le fonctionnement de notre société. Il incombe tant à nos institutions qu'à nos citoyens de les informer et de les protéger.
En tant que Canadiens, nous sommes fiers de la générosité avec laquelle notre pays et notre gouvernement accueillent et parrainent tant de réfugiés chaque année. Le Canada est reconnu dans le monde comme un pays généreux qui fait beaucoup pour les victimes les plus vulnérables et les plus dispersées de la persécution et du conflit dans notre monde. Nous avons fièrement collaboré aux efforts déployés par notre société pour accueillir tant de réfugiés au Canada. Cependant, nous avons conscience également de la fragilité humaine. Nous ne sommes pas parfaits. Aucun système n'est à toute épreuve et des erreurs sont commises. Il convient alors de les rectifier. Un système qui n'a pas de mécanisme pour corriger les erreurs ne répond pas aux exigences de la justice naturelle.
Nous vous en prions, aidez-nous à améliorer notre système en donnant la possibilité, même sur une base limitée seulement, d'introduire un mécanisme pour rectifier les erreurs commises dans le système. Nous vous prions d'adopter le projet de loi C-280. Merci de nous avoir écoutés et de nous avoir invités à venir parler de ces enjeux.
Le sénateur Jaffer : Merci de tous vos exposés. Lorsque vous dites : « Nous vous prions de nous aider », vous faites preuve d'une grande humilité. C'est vous qui nous aidez. C'est nous qui devons vous remercier de comprendre et de nous aider.
Les cas que vous avez décrits nous émeuvent beaucoup. Ils mettent un visage sur ce qui est parfois oublié, lorsqu'on manie des chiffres et des statistiques. Vous nous avez fait comprendre cela. C'est vous qui nous aidez, et non pas l'inverse, et nous vous remercions.
J'ai l'impression que, du fait de l'absence d'un mécanisme d'appel — et rectifiez si je me trompe — les églises de notre pays se voient malheureusement forcées de devenir des pourvoyeurs de sanctuaire, ce qui n'est pas leur rôle. Je sais ce que vous faites pour aider les réfugiés à s'établir et à faire venir leurs familles, mais vous ne devriez pas être des pourvoyeurs de refuge. Pourriez-vous nous expliquer quelle sorte de tension cela impose aux églises?
M. Gauthier : Pour vous dire ce qui s'est passé à St. Joseph, nous avons mobilisé quelque 75 bénévoles. Vingt bénévoles faisaient tourner l'entreprise de cette femme pour que de l'argent continue de rentrer pour payer les factures d'honoraires pour des services juridiques inadéquats accumulées au fil d'une ou deux années. Nous avons payé pour un recours en Cour fédérale dont nous savions, avant même de le présenter, qu'il était voué à l'échec et représenterait un gaspillage de temps et d'argent, mais nous devions pouvoir dire que nous avions épuisé tous les recours juridiques disponibles.
Nous avons organisé une collecte de fonds à laquelle plus de 200 ou 300 personnes ont participé et nous avons recueilli des tas d'argent pour payer les factures. Ce n'est pas notre rôle que d'aider la société canadienne à rectifier ces problèmes alors que les responsables ont les moyens et l'intelligence pour faire en sorte que nos lois fonctionnent et nos systèmes et procédures soient compatibles.
Je ne peux comprendre comment une procédure de renvoi peut être mise en marche alors que le ministre et le ministère prétendent qu'une demande CH représente un recours. On les expulse avant même que la demande soit examinée. En quoi cette procédure représente-t-elle un recours?
M. Nagy : Dans notre cas, nous avons été quelque peu effrayés, pendant les premières semaines où M. Mia a vécu dans notre église, de voir des limousines avec des plaques d'immatriculation rouges garées à l'extérieur, pour nous surveiller. Aussi nous avons organisé une surveillance de 24 heures par jour dans l'église, avec plus de 100 bénévoles qui dormaient à tour de rôle dans le bâtiment afin que M. Mia soit et puisse se sentir en sécurité. Pendant les premiers mois nous craignions également que la GRC ne défonce les portes, mais l'on nous a assuré ensuite que cela n'arriverait pas.
C'est très éprouvant. Ce n'est pas une décision facile à prendre. Cela épuise le comité et les bénévoles. C'est éprouvant.
Joan Auden, membre, comité Hitschmanova, First Unitarian Congregation of Ottawa : Je peux dire que c'est une épreuve. En revanche, il en sort beaucoup de bien. On a l'impression de faire quelque chose d'important, même si c'est juste pour une personne. Dans notre cas, M. Mia a été notre premier, mais nous avons maintenant un deuxième réfugié en sanctuaire, qui représente aussi une astreinte. Lorsque M. Mia est arrivé, nous ne savions pas le nombre d'heures et le type de compétences, et cetera, qu'il faudrait déployer pour nous frayer un chemin à travers le système.
Nous savions lorsque M. Rai est arrivé ce qui nous attendait, et nous l'avons fait quand même. Nous ne donnons pas refuge à quelqu'un à la légère. Nous examinons leur dossier très soigneusement. Nous devons pouvoir faire confiance à ceux qui nous envoient ces réfugiés. Nous vérifions qu'ils ne sont pas des criminels et que leur cause mérite notre attention et vaut tout le temps que les bénévoles vont lui consacrer.
Il en sort un bien car la congrégation devient plus soudée. Nous sommes une congrégation de 500 personnes et nous avons eu 150 bénévoles les deux fois. Ils ne s'arrêtent pas, parce qu'ils apprennent à bien connaître cette personne. Ils connaissent l'affaire et savent que ce qu'ils font est bien. Nous avons une responsabilité morale à l'égard de ceux qui pâtiraient si on les renvoyait dans leur pays.
M. Nagy : Nous avons d'ailleurs refusé un certain nombre de personnes qui ont demandé à se réfugier chez nous. Nous ne faisons pas cela à la légère.
Le sénateur Jaffer : Avez-vous idée du nombre de personnes à travers le pays qui cherchent refuge dans les églises?
M. Gauthier : Les cas que nous connaissons sont des demandeurs d'asile qui sont arrivés au Canada et n'ont pas été préapprouvés ou sélectionnés à l'étranger. Il est difficile pour nous de même savoir qui ils sont à leur arrivée. Nous collaborons avec des institutions telles qu'OSISO et le CCI, le Centre catholique pour immigrants, pour identifier ces personnes, et leur offrir notre soutien.
Nous ne sommes pas une bureaucratie. Nous ne comptons pas les têtes. Nous savons seulement que, tout comme nos frères à l'autre bout de la ville, nous avons refusé d'autres cas parce que nous n'avions pas le temps de faire une évaluation approfondie et réaliste du cas avant que le renvoi n'ait lieu. Je peux vous le dire, cela crée un dilemme moral terrible de penser que quelqu'un pourrait être tué simplement parce que vous n'avez pas le temps d'étudier son cas. Recevoir ce genre de demande vous ouvre les yeux.
Mme Auden : Certains s'adressent à nous à cause de notre réputation, parce que nous avons aidé des réfugiés dans le passé. Certains de ceux-là n'arrivaient pas à se frayer un chemin à travers le système et nous avons pu les aider. Au cours des deux dernières années, environ, nous en avons eu deux qui n'étaient manifestement pas des réfugiés. Nous ne devrions pas être amenés, en tant qu'église, à décider si quelqu'un est ou non un réfugié véritable. Ce n'est pas notre rôle, mais nous l'assumons à cause du dilemme moral auquel nous sommes confrontés.
Le sénateur Di Nino : Je n'ai pu m'empêcher de sourire en écoutant certains d'entre vous, particulièrement M. Gauthier. Je faisais précisément ce que vous décrivez dans les années 1950 et au début des années 1960, avec des immigrants venant d'Europe. Il est intéressant de vous entendre raconter que vous leur trouvez un logis et des vêtements et ainsi de suite. Je vous félicite tous de ce travail. Cela réchauffe véritablement le cœur d'entendre ce que vous faites.
Cela dit, j'ai une question à vous poser car vous l'avez tous deux effleurée. Vous parlez de l'adoption de cette disposition du projet de loi portant sur la mise en œuvre de la SAR. À toutes fins pratiques, vous avez dit tous deux : « Mettez-la en œuvre, mais il faut la modifier de façon à pouvoir présenter des éléments de preuve nouveaux. » Il existe un malentendu général en ce sens que ce mécanisme n'est qu'un simple examen du dossier présenté. Il n'englobe pas d'autres entretiens ou de nouveaux éléments de preuve. Cela m'amène à vous demander comment nous devrions procéder? Franchement, nous sommes très réceptifs à ce que vous dites tous les deux, mais lorsque nous nous attelons à notre tâche, nous devons regarder la réalité en face. À moins d'accueillir chaque demandeur d'asile qui vient se réfugier au Canada, il y en aura pour dire qu'ils n'ont pas été traités correctement, et dans certains cas ce sera même vrai. Que pouvons-nous faire à cet égard?
Mme Barnet : Ce que nous recherchons, d'abord et surtout, c'est l'adoption de ce projet de loi pour créer la section d'appel. Cependant, nous pensons qu'il y a moyen d'améliorer le mécanisme, l'un des facteurs étant la possibilité d'introduire des éléments de preuve nouveaux. C'est courant dans notre système judiciaire. Il existe un seuil pour l'introduction de nouveaux éléments de preuve. Dans la plupart des cas, nous devons traiter avec des gens à l'étranger, et il n'est pas possible de réunir tous les éléments de preuve avant la date de l'audience. C'est là notre critère pour l'admission de preuves nouvelles. À mes yeux, cela ne devrait pas embouteiller le système. En fait, cela semble une procédure judiciaire normale que d'autoriser l'introduction de nouveaux renseignements et de nouveaux éléments de preuve dans ces affaires.
Le sénateur Di Nino : Cette disposition particulière n'y contribuera pas. Cinq ministres de l'Immigration — l'actuelle et les quatre précédents, appartenant à deux partis différents, ce qui montre que ce n'est pas là une question politique — disent que cette disposition particulière ne règlera pas le problème. C'est juste un réconfort moral. Elle ne réglera pas le problème dont vous parlez. Est-ce que les cinq ministres de l'Immigration ne comprennent pas la nature du problème?
M. Gauthier : Je sais très bien que cinq ministres ont omis de s'acquitter de leurs responsabilités. À mes yeux, un ministre est responsable devant le Parlement. Lorsque le Parlement adopte une loi, je ne pense pas que le ministre ait la latitude de dire : « Je ne pense pas que c'est une bonne loi. » C'est le rôle du Parlement de décider cela.
En tant que membres de la chambre de la sagesse de notre système parlementaire, vous devez rappeler au ministre ses responsabilités, et à tout le ministère sa responsabilité, à savoir de concrétiser ce sandwich imparfait que nous avons. Au moins, commencez, afin que quelqu'un puisse déjeuner et que lui soient épargnées les pires conséquences.
M. Nagy : Vous avez dit que c'est une question apolitique. En un sens, vous avez raison. C'est un problème budgétaire. Je pense que les derniers gouvernements ont décrété, à toutes fins pratiques, que cela ne figurait pas assez haut dans leur liste des priorités de dépenses pour que cela vaille la peine. À notre avis, il faut le placer plus haut dans la liste. Nous parlons ici de vies humaines.
Le sénateur Di Nino : Je crois que je vais m'en tenir là.
Le sénateur Goldstein : Merci à chacun d'entre vous de comparaître. Merci, particulièrement à vous cinq, de la passion et du dévouement que vous avez manifestés et dont vous continuez à faire preuve. En guise de question très préliminaire, que signifie Hitschmanova?
M. Nagy : Lotta Hitschmanova était la fondatrice du comité du service unitaire.
Le sénateur Goldstein : Je pensais que c'était un terme désignant un sanctuaire, et je me suis manifestement trompé. Vous savez, bien entendu, que sanctuaire est un concept biblique qui est mentionné dans le livre de Samuel. Le mot hébreu est le même que celui de « abri », ce qui signifie que la personne cherchant un sanctuaire recevait également l'abri. Le concept de sanctuaire était absolu. Nul ne pouvait le violer. Vous aviez peur que la GRC force les portes. La notion de sanctuaire empêchait carrément quiconque de le violer ou d'user de la force pour se saisir de la personne abritée, même si celle-ci avait commis un meurtre et été condamnée pour meurtre. C'était le concept à cette époque.
Je vais soulever une préoccupation particulière déjà abordée par un certain nombre d'entre nous et que vous avez tous deux évoquée dans vos mémoires très excellents et émouvants. Les deux organisations ont dit, en des termes différents, que la procédure d'appel permettrait l'introduction de nouvelles preuves. Or, ce n'est pas ce que dit la loi telle qu'elle est actuellement rédigée et nous n'allons pas à ce stade modifier la loi. Nous ne pouvons pas le faire. Nous sommes ici uniquement pour traiter de la mise en œuvre des trois dispositions de la loi qui ne l'ont pas été.
La procédure d'appel se limite à l'examen du dossier écrit, sans la présence d'avocats et même sans la présence des parties. La possibilité de présenter de nouveaux éléments de preuve existe uniquement au niveau de la procédure d'examen des risques avant renvoi et peut exister lorsque le ministre examine les considérations d'ordre humanitaire. Dans ces conditions, souhaitez-vous néanmoins la mise en œuvre de la procédure d'appel, avec toutes ces imperfections, sachant qu'elle ne représente qu'une solution partielle aux problèmes que vous soulevez?
Mme Auden : L'un des impératifs est la possibilité de présenter les preuves absentes lors de la première audience. S'ils disent qu'il manque un certificat médical, il faut pouvoir présenter celui-ci une fois qu'il est obtenu.
Je dis toujours que l'idéal serait d'avoir une très bonne première audience, ce qui suppose des juges formés, des avocats ayant toute la documentation en main, et la possibilité de dire à quelqu'un arrivant avec insuffisamment de preuves, ou sans les documents voulus, et à l'avocat ou au consultant : « Le dossier est insuffisant, vous allez devoir revenir plus tard avec une documentation adéquate. » Si cette possibilité existe, alors la deuxième lecture du dossier suffit.
Nous travaillons avec un autre Népalais qui se cache et son FRP fait 14 lignes, comparé aux six pages d'un autre qui a vécu presque la même histoire, mais dans son cas un avocat a décidé qu'il n'était pas important de mettre tous ces autres détails.
Il y a donc un problème dès le départ. Nous devons avoir l'assurance que la documentation est adéquate, et ensuite il sera suffisant d'en faire une nouvelle lecture.
M. Nagy : C'est comme si un fonctionnaire vous dit : « Avez-vous un document prouvant que votre fils a été battu? », ou « Pouvez-vous prouver que vous avez été violée? » Il faudrait laisser du temps pour obtenir cette documentation au lieu de dire : « Il n'y a pas de preuve. Voici votre billet d'avion. » Or, c'est la situation aujourd'hui.
M. Gauthier : Créez la SAR telle qu'elle. J'ai assez confiance en la compétence de notre Parlement pour que, si un changement doit être apporté plus tard, une modification pourra être adoptée. Faisons quelque chose, même si ce n'est pas parfait. Mettons les choses en marche afin de protéger peut-être 30 p. 100 de ceux qui se voient déboutés mais qui ont une revendication légitime.
Le sénateur Goldstein : M'accordez-vous encore un moment?
La présidente : Une question encore.
Le sénateur Goldstein : Merci. Le projet de loi tel qu'il est rédigé ne fait pas mention de l'article 73 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés; autrement dit, il ne met pas en place le droit du ministre d'interjeter appel. Cela a été omis du projet de loi.
Pensez-vous qu'il serait approprié d'amender le projet de loi à ce stade afin de donner également au ministre la possibilité d'interjeter appel d'une décision qu'il juge inappropriée?
Mme Barnet : Je ne le préconise pas si cela va ralentir l'adoption de ce projet de loi. Je pense que l'important est d'adopter la projet de loi C-280. S'il faut ultérieurement un autre projet de loi et si le ministre veut mettre en œuvre cette disposition, il en aura toujours la possibilité.
À mon sens, cela ralentirait la progression de ce projet de loi. Je pense qu'il faut se concentrer sur l'adoption de cette mesure.
Le sénateur Goldstein : Dites-vous que le ministre pourrait simplement donner effet à l'article 73 sans être contraint de le faire au moyen de cet article?
Mme Barnet : Je crois savoir que l'article concerné a été adopté par les deux Chambres. Cependant, il n'a pas reçu la sanction royale et n'a pas été mis en vigueur. Il pourrait l'être avec un trait de plume.
Le sénateur Goldstein : C'est ce qu'il me semble également. Merci.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Merci. J'admire également le travail que vous faites. Vous avez dit veiller à ce que des criminels ne trouvent pas refuge dans votre église. Comment déterminez-vous cela? Vérifiez-vous les antécédents dans leur pays d'origine et, sinon, par quel moyen le faites-vous?
Mme Auden : Nous vérifions ce qui a déjà été établi au long du processus, par les avocats, et cetera. Nous pouvons commettre une erreur initialement. Si c'est le cas, nous devons la rectifier. C'est possible.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Ma deuxième question est de savoir qui vous envoie ces demandeurs d'asile qui viennent chercher sanctuaire chez vous? Quelqu'un leur dit-il de se rendre à l'église, ou bien est-ce leur dernier recours?
M. Nagy : Les deux. C'est leur dernier recours. Dans le cas de M. Mia, celui que j'appelle son « sauveteur » est un Canadien bangladais qui travaillait au Haut Commissariat du Bangladesh. M. Mia lui a demandé s'il pouvait l'aider. Il l'a aidé. Il s'est échappé en suppliant qu'on lui donne ses chaussures pour aller se faire couper les cheveux. Il a réussi à sortir et s'est caché. Son sauveteur l'a caché dans la maison de sa mère pendant un mois environ. Mme Auden, voulez- vous compléter cette histoire?
Mme Auden : Il l'a aidé à constituer son dossier de demande d'asile. Voilà comment cela s'est passé. Son avocat l'a aidé aussi, ainsi qu'une organisation internationale bien connue qu'il connaissait et qui nous l'a envoyé, avant l'intervention auprès du ministre.
Chaque cas est différent. Si vous prenez les dix réfugiés actuellement en sanctuaire à travers le Canada, vous verrez que chaque cas est différent. Leurs besoins et la nature de leurs problèmes diffèrent.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Ils ont également des antécédents différents.
Mme Auden : C'est juste.
La présidente : Merci. J'ai une question, mais je crois que le sénateur Munson en a une également.
Le sénateur Munson : Je n'ai pas de question. Étant fils d'un pasteur de l'Église unie, je comprends le mot « sanctuaire ». Je m'en tiendrai là, car nous allons recevoir demain le ministre de l'Immigration et de la Citoyenneté. Ce sera la dernière occasion pour les autres de défendre leur position et d'expliquer pourquoi ces cinq ministres n'ont rien fait. Nous leur donnerons sanctuaire demain pour dire ce qu'ils ont à dire.
Madame la présidente, finissons-en, votons sur ce projet de loi et mettons-y un point final. Je n'étais même pas au courant de cette histoire de proclamation avant que M. Gauthier n'en parle il y a quelques semaines. On passe par tout ce processus.
Je ne suis sénateur que depuis quatre ans et demi. On passe par tout ce processus. Nous avons tous ces débats. Comme on le dit dans la région Atlantique, un « copain » arrive et décrète : « Je suis le patron ici. Tout ce que vous avez fait au cours des cinq ou six derniers mois ne sert à rien. Désolé, nous n'allons rien proclamer. »
Je pense qu'il est temps de donner à d'autres une deuxième chance et de leur donner sanctuaire. J'espère que nous pouvons voter là-dessus très bientôt.
M. Gauthier : J'aimerais ajouter un mot à ce qu'a dit le sénateur Munson. Je pense que c'est presque manquer de respect au Parlement que d'ignorer les lois. Je comprends la latitude donnée au Cabinet de retarder la mise en œuvre de certains articles en attendant qu'une administration adéquate soit mise en place pour que le travail soit bien fait. Cependant, cinq années suffisaient largement pour faire ce travail. Je ne comprends pas que cinq ministres d'affiliée aient négligé leurs responsabilités envers le Parlement du Canada.
La présidente : À titre de comité, nous entendons tous les témoins et accordons tout le respect voulu à leur témoignage. Je vous remercie du vôtre. Nous allons poursuivre jusqu'à ce que nous ayons terminé l'audition de tous les témoins, ce qui sera fait demain.
J'ai une question. Vous avez tous deux commencé vos présentations en disant que vous avez été amenés à offrir le sanctuaire du fait de l'absence d'une procédure d'appel. Cependant, au cours du dialogue qui a suivi, il m'est apparu que si nous mettons en place un mécanisme d'appel, vous ne renoncerez pas à l'option d'offrir refuge. Est-il vrai que vous vous réservez cette option?
M. Nagy : Moralement, nous le devons.
La présidente : Je veux m'assurer de bien comprendre. Vous semblez dire dans votre témoignage que si la procédure d'appel existait, il n'y aurait pas de nécessité pour un sanctuaire. Mais dans la conversation qui a suivi, j'ai retiré l'impression qu'il existe toutes sortes d'autres raisons qui pourraient vous amener à offrir le sanctuaire. Vous n'êtes pas venu aujourd'hui pour dire que, si nous mettons en place la procédure d'appel, vous cesserez d'offrir le sanctuaire, n'est-ce pas?
M. Nagy : Je ne puis parler au nom de toutes les églises du Canada, évidemment. Je peux à peine parler au nom de la nôtre.
Je pense que nous nous réserverons moralement ce droit si nous constatons une injustice flagrante. Si la procédure était en place, il y aurait beaucoup moins d'injustices flagrantes.
La présidente : Je voulais juste cet éclaircissement. Merci de votre patience et d'être restés avec nous jusqu'à cette heure tardive. Nous apprécions que vous soyez venus et ayez exprimé votre position sur le projet de loi et sur beaucoup d'autres questions d'immigration auxquelles nous devons prêter attention.
Je dois dire que j'ai grandi en Saskatchewan et je pense qu'à l'époque tous les enfants dans les écoles connaissaient le nom de Lotta Hitschmanova. Il est évident que le sénateur Goldstein et moi devons avoir une conversation. Mais nous avons aussi des paroisses catholiques, et je ne veux négliger personne.
Merci des préoccupations humanitaires que vous avez exprimées aujourd'hui. Notre prochaine séance aura lieu demain.
La séance est levée.