Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 4 - Témoignages du 12 décembre 2007
OTTAWA, le mercredi 12 décembre 2007
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 11, Loi portant mise en vigueur de l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik et modifiant une loi en conséquence, se réunit aujourd'hui à 16 h 10 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Note de la rédaction : Des déclarations sont présentées par le truchement d'un interprète inuktitut.]
[Traduction]
La présidente : Bienvenue à la séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous sommes réunis aujourd'hui pour commencer notre étude du projet de loi C-11.
[Français]
Pour lancer notre étude, nous avons le plaisir d'accueillir parmi nous M. Rod Bruinooge, député, secrétaire parlementaire du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et interlocuteur fédéral auprès des Métis et des Indiens non inscrits.
[Traduction]
Outre M. Bruinooge, nous allons entendre M. Tom Molloy, négociateur en chef du gouvernement fédéral, M. Pat Walsh, négociateur principal, Makivik/Cri, au large des côtes du Québec, et M. Brian Keogh, avocat-conseil, du ministère de la Justice Canada.
Je suis certaine que vous savez que le secrétaire parlementaire va nous présenter une déclaration préliminaire. Nous passerons ensuite à une période de questions. Tous les sénateurs auront alors la possibilité de poser des questions à M. Bruinooge ou aux autres hauts fonctionnaires. Vous avez maintenant la parole.
Le sénateur Watt : Puis-je poser une question?
La présidente : Sénateur Watt, nous allons établir une liste, mais vous êtes le critique officiel. C'est un rappel au Règlement. Voulez-vous me poser une question au sujet du Règlement? Sénateur Watt, vous devez vous adresser à la présidente pour faire un rappel au Règlement.
Le sénateur Watt : Très bien. J'ai une question à vous poser. Je n'ai pas vu le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien dans la salle. J'espérais le voir. C'est la raison pour laquelle j'ai invoqué le Règlement.
La présidente : Techniquement, ce n'est pas un rappel au Règlement, sénateur Watt. Je vous signale, pour votre information, que nous avons invité le ministre. Il est certes préférable d'entendre le ministre, mais habituellement, lorsque le ministre ne peut venir, le Sénat entend son secrétaire parlementaire. C'est ce que nous allons faire aujourd'hui.
Le sénateur St. Germain : Comme vous l'avez fait remarquer très justement, le fait de porter à l'attention des membres du comité l'absence d'une personne ne constitue pas un rappel au Règlement. Je vous remercie de l'avoir signalé.
Rod Bruinooge, député, secrétaire parlementaire du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et interlocuteur fédéral pour les Métis et les Indiens non inscrits : Honorables sénateurs, je suis très heureux d'être ici aujourd'hui pour vous parler du projet de loi C-11, en particulier compte tenu du fait que je suis un Canadien autochtone originaire du Manitoba. Je suis particulièrement heureux d'être accompagné par des représentants de la société Makivik : le président Pita Aatami et le négociateur en chef Johnny Peters.
Je ne saurais trop insister sur l'importance cruciale du projet de loi C-11 qui, lorsqu'il sera adopté par le Parlement, donnera force de loi à l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik, un document complexe et détaillé qui est le fruit de plusieurs années de négociations et qui apportera des changements positifs dans la vie des Inuits du Nord du Québec pendant de nombreuses années.
L'Accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik est le deuxième accord de règlement de revendications territoriales conclu par les Inuits du Québec et le Canada. Le premier a été la Convention de la Baie- James et du Nord québécois, signée en 1975, considérée comme le précurseur des traités modernes conclus avec les Autochtones au pays. Cependant, la convention ne pouvait porter que sur les droits susceptibles d'être exercés sur le territoire québécois. Les Inuits du Nord québécois ont appris que leurs droits sur les zones marines s'étendant de la baie James à la baie d'Ungava et à la partie nord du Labrador allaient devoir être examinés à une date ultérieure. Après plus de 30 ans, cette date ultérieure est enfin arrivée.
Il suffit d'examiner une carte du Nunavik pour saisir l'importance que revêt la région marine pour les Inuits du Québec. Les 15 communautés inuites de la région — de Chisasibi, sur les rives de la baie James, à Kangiqsualujjuaq sur la baie d'Ungava — sont situées le long des côtes. Les Inuits du Nunavik qui résident dans ces collectivités vivent de la mer et près de la mer. Leur mode de vie et leurs traditions, leur passé et leur avenir, sont liés à cette région, désignée dans l'accord par « région marine du Nunavik ». C'est pourquoi il est si important que leurs droits sur cette région, tels qu'ils sont énoncés dans l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik, soient reconnus par une loi.
Je suis sûr que tous les membres du comité savent que le sénateur Watt a soulevé de nombreuses questions et inquiétudes au sujet du projet de loi C-11, et qu'il s'est montré critique à son égard. Compte tenu de l'expérience du sénateur et de sa connaissance du Nord et du peuple inuit, je crois qu'il est très important d'examiner ses préoccupations.
Je tiens à assurer tous les membres du comité que le ministre et le personnel d'Affaires indiennes et du Nord Canada ont examiné attentivement les préoccupations exprimées par le sénateur Watt. Nous en sommes restés perplexes. Je m'explique.
Lorsqu'il était président de la société Makivik, le sénateur Watt a été un acteur important dans l'amorce des négociations qui allaient mener à l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik. Il a d'ailleurs signé lui-même l'accord-cadre de 1993 établissant que les Inuits du Nord du Québec seraient représentés par la société Makivik. Or, l'une des principales préoccupations du sénateur est que la société Makivik n'a pas le mandat de négocier un accord au nom des Inuits du Québec.
Je sais que le sénateur Watt a suivi attentivement l'évolution des négociations au fil des ans et a eu diverses occasions de critiquer l'orientation et la teneur des négociations : à la signature de l'accord de principe en 2002, au paraphe de l'accord définitif en 2005, au cours de la longue campagne d'information ayant mené au scrutin de ratification par les Inuits du Nunavik, en octobre 2006, au moment de la signature de l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik le 1er décembre 2006, et lors du dépôt du projet de loi C-51, prédécesseur du projet de loi C-11, le 28 mars 2007. Or, ce n'est pas avant le 11 mai de cette année, dans une lettre adressée à Pita Aatami, président de la société Makivik, que le sénateur Watt a exprimé pour la première fois de « graves inquiétudes » au sujet de l'accord et du projet de loi. Ceci est plutôt déconcertant, compte tenu que le sénateur a été membre de la Chambre haute à une période durant laquelle le Parlement a étudié à de nombreuses reprises les lois habilitantes de pratiquement tous les traités modernes, de l'accord sur les revendications territoriales des Inuvialuit, en 1984, à l'accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador, en 2005.
Le sénateur Watt a toujours soutenu ces accords sur les revendications territoriales et leurs lois habilitantes. C'est pourquoi l'attitude qu'il a adoptée au sujet du projet de loi C-11 et de l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik est très surprenante, car elle contredit ses positions antérieures. Je dois dire que je trouve déroutant que le sénateur, après avoir consacré tant d'années à jeter les bases mêmes et l'orientation de l'accord que nous examinons aujourd'hui, fasse aujourd'hui volte-face.
Mais notre situation actuelle demeure la même, et même si nous avons déjà répondu abondamment aux préoccupations du sénateur, j'aimerais en réexaminer de nouveau quelques-unes.
La question de la certitude dans l'accord a été soulevée au Sénat au cours de la dernière session, dans un échange de correspondance et, récemment, au moment de la deuxième lecture. La politique du gouvernement en matière de certitude a suscité de nombreuses discussions et une certaine confusion. Ce que recherche notre gouvernement, tout comme les gouvernements qui l'ont précédé, est de clarifier les droits de toutes les parties de posséder et d'utiliser les terres et les ressources.
Le problème que posent les droits ancestraux est qu'ils ne sont pas suffisamment clairs. Ils dépendent des faits et des lieux et ne peuvent être déterminés que par l'examen de l'utilisation actuelle et des données historiques et anthropologiques. C'est pourquoi il est si important de promulguer l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik. L'élimination de ces incertitudes est bénéfique tant pour l'exploitant autochtone que pour le promoteur ou l'autorité de réglementation.
Traditionnellement, cette certitude passait par la cession et l'extinction des droits ancestraux. C'est l'approche qui a été utilisée pour la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, signée par les Inuits en 1975, et reprise dans plusieurs accords depuis lors, et qui a été appliquée notamment à une grande partie du territoire visé par l'accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador, dont la loi a été étudiée et promulguée par le Parlement en 2005.
Des groupes autochtones ont exprimé leur inquiétude face à ce qu'ils ont considéré comme des implications spirituelles associées à l'extinction des droits. Pour apaiser ces préoccupations, le gouvernement a mis au point d'autres techniques qui visent à établir le même degré de certitude juridique sans exiger la cession ou l'extinction des droits ancestraux. La technique de modification, par exemple, a été appliquée à l'élaboration du traité nisga'a, alors que celle de la non-affirmation a été utilisée dans le présent accord. Avec la technique de non-affirmation, les Inuits du Nunavik s'engagent à revendiquer uniquement les droits ancestraux sur les terres et les ressources décrits dans le traité.
Ce traité comprend une clause de renonciation subsidiaire, qui n'entre en vigueur que si, pour une raison quelconque, les tribunaux ne donnent pas effet à l'engagement pris par les Inuits et qu'il s'ensuit un préjudice pour les droits des Inuits ou les droits de tiers. En pareil cas, la renonciation ne s'applique que dans la mesure nécessaire pour éviter de léser les titulaires de ces droits. Le traité n'influe aucunement sur le droit à l'autonomie gouvernementale que pourraient posséder les Inuits, à l'exception de ceux qui pourraient concerner les terres et les ressources.
Les droits négociés dans le traité par les Inuits visent à protéger leurs rapports avec la terre et leur mode de vie traditionnel. Rien dans le traité ne vise à contraindre les Inuits à délaisser leur mode de vie traditionnel ou à porter atteinte à leurs rapports avec la terre.
Nous ne souhaitons pas l'extinction des droits ancestraux, mais nous voulons nous assurer qu'ils ne compromettront pas la clarté apportée par le nouveau traité. Cela signifie que les parties ne seront plus forcées de porter la question des droits ancestraux devant les tribunaux. Il est vrai que les Inuits ne bénéficieront pas des futures décisions judiciaires relatives aux droits ancestraux, mais ils n'en subiront pas non plus les éventuels préjudices. La Cour suprême du Canada a établi très clairement que les droits ancestraux sont mieux servis par la négociation que par les actions en justice. Le présent traité clarifie le droit d'utilisation et de propriété du territoire, de sorte qu'il ne sera plus nécessaire de soumettre ces questions aux tribunaux.
On a objecté que cette méthode de clarification des droits était contraire à la Constitution, les droits ancestraux étant protégés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Cependant, la Constitution offre une protection égale aux droits issus de traités, y compris les droits particuliers établis dans les accords sur les revendications territoriales, tant les droits existants que ceux qui pourraient être négociés ultérieurement. La clarification des droits par voie de traité n'entraîne aucune perte de protection constitutionnelle. En outre, la Constitution prévoit ce type de traité. Comme je l'ai déjà mentionné, les tribunaux ont encouragé le gouvernement et les groupes autochtones à définir leurs droits dans des accords négociés.
Le sénateur Watt a soulevé une autre question, tant au cours des débats que dans sa correspondance, au sujet des exigences techniques imposées par le droit du Québec au regard de la représentation des personnes et des procurations. Il faut tenir compte de deux points importants ici.
D'abord, bien que les Inuits du Nunavik résident au Québec, rien ne les empêche de conclure des accords avec d'autres provinces ou territoires. Le présent accord porte sur les droits des Inuits du Nunavik au Nunavut, et concerne les droits de propriété de la terre et les droits de récolte en vertu des lois du Nunavut ainsi que la création d'institutions de gouvernement populaire et la participation à ces institutions au Nunavut. Ce n'est pas un contrat du Québec et il n'est pas assujetti au Code civil. L'article 2.22 de l'accord établit très clairement qu'il est assujetti aux lois du Nunavut, de Terre-Neuve-et-Labrador (puisque certains droits relèvent de cette province) et du Canada.
Mais le plus important est le fait que les Inuits du Nunavik ne sont pas liés par l'accord pour la seule raison qu'il a été négocié puis signé par leurs représentants désignés, mais aussi parce qu'ils ont exprimé sans équivoque leur appui collectif à l'accord lors d'un scrutin équitable et transparent. Les droits ancestraux sont des droits collectifs et, bien qu'ils soient exercés par des personnes, c'est la communauté qui décide comment ils seront exercés et comment ils sont définis. Dans ce cas-ci, pas moins de 78 p. 100 des Inuits du Nunavik aptes à voter ont approuvé l'accord.
Le sénateur Watt a critiqué la composition et les pouvoirs des conseils de gestion qui seront créés par l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik. Il importe de signaler qu'il n'existe actuellement aucun régime de gestion dans la région marine du Nunavik. L'accord qui sera mis en œuvre par ce texte de loi conférera aux Inuits du Nunavik un rôle déterminant dans la gestion des terres et des ressources.
Les conseils de gestion seront des institutions de gouvernement populaire, ce qui signifie qu'ils assumeront un rôle de gouvernance publique qui tiendra compte des positions de la société Makivik et de celles des gouvernements fédéral et territorial. En outre, le protocole habituellement utilisé pour les accords sur les revendications territoriales veut que les membres des institutions publiques soient nommés par le ministre.
Bien que la composition des diverses structures de gouvernement puisse varier, le principe habituel est de diviser à parts égales la représentation de la société Makivik et la représentation gouvernementale. Un président est désigné parmi les candidats proposés par les représentants. Le sénateur Watt a dit craindre que la représentation des Inuits du Nunavik soit minoritaire. Or, si nous examinons les conseils établis par d'autres accords, comme l'accord sur les revendications territoriales du Nunavut, nous constatons que la majorité des présidents sont du groupe autochtone. Donc, bien souvent, ce groupe fait partie de la majorité.
Les membres du comité savent pertinemment que la ratification de l'accord est soumise à un processus précis, qui comprend la formation d'un comité de ratification, composé de représentants de la société Makivik, du gouvernement du Nunavut et du gouvernement du Canada, et chargé de superviser le scrutin référendaire des Inuits du Nunavik. Les honorables sénateurs savent aussi que le Canada exige un pourcentage favorable élevé dans le cas d'accords de revendications territoriales protégés par la Constitution et qui concernent les droits ancestraux d'une communauté. Le seuil est fixé à 50 p. 100 de tous les bénéficiaires ayant droit de vote — non pas 50 p. 100 des personnes ayant voté, mais bien de tous les électeurs.
Les membres du comité doivent savoir que la campagne d'information qui a mené au scrutin d'octobre 2006 n'a pas été dirigée par la société Makivik mais bien par le comité de ratification, auquel était représentée la société. Le comité de ratification a déployé des efforts considérables pour informer les électeurs. Le comité de ratification a distribué à tous les ménages inuits du Nunavik un exemplaire de l'accord en anglais, en français et en inuktitut. Il a aussi distribué un résumé de l'accord dans les trois langues.
Pour expliquer davantage l'accord aux Inuits du Nunavik, les négociateurs de toutes les parties ont participé à une ligne ouverte diffusée par la station de radio locale de chaque communauté. Au cours de leurs visites, les négociateurs ont invité tous ceux qui le désiraient à demander un complément d'information sur l'accord. En outre, Johnny Peters, président du comité de ratification et négociateur des Inuits du Nunavik, a aussi enregistré un résumé de l'accord en inuktitut, qui a été diffusé par toutes les stations de radio communautaires au cours des semaines qui ont précédé le scrutin. De plus, conscient de la réalité démographique de la population, le comité de ratification a présenté un exposé aux jeunes Inuits du Nunavik et leur a offert l'occasion de poser des questions. Par conséquent, on ne peut pas affirmer que les Inuits du Nunavik n'ont pas été informés.
J'ai appris il y a longtemps qu'il n'est ni sage ni productif de remettre en question le résultat d'un scrutin. Nous n'aimons pas toujours le verdict, mais l'électeur a toujours raison.
Examinons les chiffres. En octobre de l'année dernière, 4 844 électeurs admissibles sur 5 999, soit 81 p. 100, ont exercé leur droit de vote. En tout, 4 651 électeurs ont voté « oui », soit 78 p. 100 des électeurs; 183 électeurs ont voté « non », soit 3 p. 100 des électeurs. Dix bulletins ont été rejetés. Ces chiffres sont assez éloquents. Le comité de ratification, ceux qui ont appuyé le travail du comité, la société Makivik et, surtout, les Inuits du Nunavik, méritent nos félicitations.
Je regrette de ne pas avoir pu limiter ma contribution d'aujourd'hui aux avantages que l'accord apporte aux Inuits du Nunavik, au Nord canadien et au pays tout entier. Cependant, je devais clarifier certaines idées fausses qui entourent le projet de loi et l'accord. J'ai pris le temps de rétablir les faits, car le sort de l'accord est en jeu.
Que les membres du comité ne se fassent pas d'illusions. S'il fallait donner suite aux critiques formulées par le sénateur Watt, une simple mise au point de l'accord ne suffirait pas. Il faudrait écarter le projet de loi C-11, rejeter l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik, déjà signé, puis tout recommencer. Ce n'est pas une option que notre gouvernement est prêt à envisager.
Il y a maintenant plus d'un an que les Inuits du Nunavik ont ratifié l'accord de manière non équivoque. Nous venons tout juste de célébrer le premier anniversaire de la signature de l'accord. Et il y a plus de cinq mois que les membres de tous les partis de l'autre chambre ont approuvé l'adoption du projet de loi C-51 — prédécesseur du projet de loi C-11 — à toutes les étapes. Il s'agit d'un brillant exemple de la marche à suivre pour la conclusion d'accords modernes. Notre accord bénéficie d'un soutien écrasant de toutes les parties, il est bien planifié et éclairé, et il est la source d'extraordinaires nouvelles possibilités pour le Nord du Québec.
Je demande à tous les honorables sénateurs de placer le bien-être des Inuits du Nord du Québec au centre de leur réflexion et d'approuver l'adoption rapide du projet de loi, ce qui conclura le processus de ratification de l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik.
La présidente : Merci. Nous allons d'abord donner la parole au sénateur Watt, et ensuite, au sénateur St. Germain.
Le sénateur Joyal : J'invoque le Règlement.
La présidente : Sur un rappel au Règlement du sénateur Joyal.
Le sénateur Joyal : J'ai vu que les témoins avaient apporté une carte. Pourraient-ils nous montrer sur la carte quelle est la région dont nous parlons ainsi que la zone marine concernée? Cela nous aiderait à mieux comprendre de quelle région il s'agit.
La présidente : Cela serait effectivement très utile.
M. Bruinooge : Comme je l'ai dit dans mon exposé, l'accord touche précisément la zone marine qui entoure la région du Nunavik. Vous remarquerez qu'il y a une frontière qui passe sur une partie des eaux qui entourent la partie nord du Québec. Cela représente la région dont nous parlons.
La présidente : Il y a également un parc national à l'extrémité nord du Labrador. Je crois que c'est le triangle en vert pâle.
M. Bruinooge : C'est exact. Il est également compris dans cette région.
Le sénateur Joyal : Pourriez-nous montrer pour le compte rendu la ville d'où partent les tracés? Comme vous le savez, nos séances ne sont pas uniquement orales; les comptes rendus des débats du comité sont imprimés.
M. Bruinooge : Voici Chisasibi et ceci est Kangiqsujuaq.
Le sénateur Joyal : Ce tracé commence du côté de la baie James, continue jusqu'à l'extrémité de la province du Québec et remonte ensuite jusqu'aux terres qui appartiennent à Terre-Neuve-et-Labrador, jusqu'à la ligne où la...
Pat Walsh, négociateur principal, Makivik/Cris, au large des côtes du Québec, Affaires indiennes et du Nord Canada : C'est la partie dont le secrétaire parlementaire a parlé comme étant la région marine du Nunavik. L'accord lui accorde un traitement légèrement différent de celui de la partie du Labrador.
Le sénateur Baker : Est-ce que cela commence au nord d'Hebron?
M. Walsh : Oui. Cela recouvre entièrement la réserve du parc.
Le sénateur Baker : C'est donc à 40 milles d'Hebron.
M. Walsh : L'accord lui-même ne vise pas ces collectivités. Les Inuits du Nunavik viennent des 15 collectivités qui sont contiguës à cette réserve.
La présidente : Les îles visées par l'accord ne sont pas habitées mais sont utilisées par les Inuits du Nunavik, est-ce bien exact?
M. Walsh : C'est exact. Il n'y a pas de résidents permanents sur ces îles pour le moment.
La présidente : Sénateur Joyal, avez-vous une question à poser sur ce sujet?
Le sénateur Joyal : Oui. D'après le droit international, lorsqu'on parle de limite des eaux territoriales, on tire une ligne qui suit la partie continentale. Je cherche à comprendre ce que représentent les tracés qui figurent sur la carte. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi la ligne tracée sur la mer qui entoure ces terres se rapproche parfois davantage du rivage?
M. Walsh : Parlez-vous du fait que cette partie marine est plus étroite, comme près de Chisasibi, et qu'ailleurs elle est plus large?
Le sénateur Joyal : Oui. Pourquoi avez-vous décidé de tracer cette ligne de cette façon au lieu de tracer une ligne située à une distance constante du rivage?
Tom Molloy, négociateur en chef du gouvernement fédéral, Affaires indiennes et du Nord Canada : Cela comprend le secteur que les Inuits utilisent à titre de territoire traditionnel. Elle rejoint également la ligne qui faisait partie de la région du Nunavut visée par le règlement, qui ne comprend pas l'ensemble du Nunavut. Cette ligne représente également en partie la ligne prévue par l'accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Cette ligne la rejoint.
Le sénateur Watt : Je ne vais pas essayer d'apporter une réponse à tous les points qui ont été soulevés. J'aimerais tout simplement dire que je n'ai pas changé d'idée au sujet des revendications territoriales. Il s'agit en fait de savoir comment sont résolues les revendications territoriales. C'est la raison pour laquelle j'ai été très critique sur les points que j'ai soulevés. Je voulais être sûr qu'ils figurent au compte rendu.
premièrement, les droits ancestraux existants seront éteints sans que soit respecté le processus de justification élaboré par la Cour suprême du Canada. C'est mon opinion et c'est ce qui m'inquiète avec cet accord. Cela se trouve dans le texte de l'accord. Ni la société Makivik ni le gouvernement fédéral n'ont le pouvoir juridique d'éteindre les droits constitutionnels en se fondant une politique postérieure à 1982. C'est l'aspect essentiel : postérieure à 1982. J'ai participé aux négociations qui ont débouché sur la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois avant 1982. Je me souviens exactement de la politique qui avait été adoptée, de sa nature et si elle avait changé en 1982. Ce n'est qu'une politique; c'est la loi. Cette politique n'a jamais été sanctionnée par une règle de droit, alors que l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaissait et protégeait les droits existants — ancestraux ou issus de traités.
Les Nations Unies ont posé la question de savoir si cette technique était un autre terme qui avait le même sens que l'ancienne politique en matière d'extinction des droits. Cela reflète-t-il la théorie de la boîte vide ou celle de la boîte pleine?
Je me souviens des discussions que nous avons eues peu après les négociations au sujet de la Constitution. Il y avait beaucoup d'incertitude sur la question de savoir s'il fallait adopter la théorie de la boîte pleine ou de la boîte vide. La Cour suprême, que présidait le juge en chef Lamer, a élaboré des conditions à respecter pour pouvoir porter atteinte à des droits ancestraux : premièrement, il doit exister une justification claire, simple et juridique; deuxièmement, il faut obtenir le consentement éclairé des bénéficiaires; troisièmement, les bénéficiaires doivent clairement comprendre les conséquences de leur consentement; et quatrièmement, le gouvernement fédéral doit avoir pleinement consulté les personnes concernées et avoir offert une indemnité équitable.
Souscrivez-vous aux déclarations de la Cour suprême du Canada? L'accord y fait référence aux pages 11 et 12, articles 2.29.3 et 2.29.4.
Ce sont là mes premières questions. J'en ai quatre autres à poser, mais je ne sais pas comment vous voulez que je procède.
La présidente : Vous pouvez certainement en poser encore une et nous aurons un second tour de questions. Nous allons demander au secrétaire parlementaire de répondre à vos questions.
Le sénateur Watt : Je vais poser une question qui porte sur la Loi sur les textes réglementaires.
Je ne suis pas très sûr de ce que veut dire l'accord lorsqu'il mentionne qu'il sera mis en œuvre sans que s'applique la Loi sur les textes réglementaires. Cela semble indiquer que l'accord sera mis en œuvre sans que les lois s'appliquent. Quelle est la raison de cette disposition? Nous sommes des citoyens canadiens. Pourquoi ne respectons-nous pas les lois applicables? Pourquoi devons-nous mettre en œuvre cet accord sans respecter les lois? C'est une grosse inquiétude, parce qu'un texte réglementaire est une loi qui a pour but d'assurer que les règlements respectent les droits prévus par la Charte des droits et libertés et n'y portent pas atteinte. C'est une protection qui est accordée à tous les Canadiens. Pourquoi est-ce que l'article 11 du projet de loi C-11 écarte l'application de certaines lois?
La présidente : Je vais maintenant demander au secrétaire parlementaire de répondre à ce groupe de questions.
M. Bruinooge : Merci, sénateur, d'avoir posé ces questions. Je vais revenir à la première question, qui est une question très vaste et qui comporte de nombreux aspects. Je vais essayer de répondre aux parties de cette question auxquelles je suis en mesure de répondre.
La première partie de la question portait sur l'extinction des droits. C'est un des principaux aspects de l'accord, dans le sens où les droits des Inuits du Nunavik ne sont pas éteints; les Inuits du Nunavik ont librement ratifié cet accord. Ils reconnaissent l'accord et l'ont adopté à la suite d'un scrutin populaire. Il a été adopté à près de 80 p. 100. Les Inuits ont accepté de ne pas affirmer leurs droits dans certains secteurs et ils ont uniquement accepté d'affirmer les droits qui sont énumérés dans cette mesure législative importante.
Ils ont librement conclu cet accord; ce n'est pas le Canada qui le leur a imposé. C'est un aspect essentiel. Si le Canada imposait certaines mesures au peuple du Nunavik, alors je pense que nous serions dans une situation très différente. Il demeure que cet accord a été librement conclu par les parties.
L'aspect essentiel auquel nous devons réfléchir aujourd'hui en tant que personnes qui font partie du gouvernement canadien est la suivante : si le comité décidait de ne pas adopter le projet de loi C-11, comme le suggère le sénateur, cela constituerait un précédent tout à fait nouveau pour tous les groupes autochtones du Canada. Cela voudrait dire que même s'ils décidaient de conclure un accord avec le Canada, de le ratifier de bonne foi à une majorité importante de leurs membres, s'ils présentaient cet accord au Parlement du Canada et que les 308 membres du Parlement l'adoptaient à l'unanimité, ils pourraient encore ne pas obtenir un accord. Si nous annulons cet accord maintenant, je pense que cela aura un effet paralysant sur toutes les négociations en cours. Nous nous retrouverions dans une situation tout à fait remarquable si nous rejetions le projet de loi C-11 à cette étape-ci.
Le sénateur Watt : Vous ne répondez pas à mes questions.
M. Bruinooge : J'ai répondu à la première.
Le sénateur Watt : Vous avez uniquement mentionné que cet accord était très important parce qu'il avait été adopté par l'immense majorité de la population du Nunavik. Je suis parfaitement au courant de cela.
Vous ne répondez pas aux questions que je vous ai posées.
M. Bruinooge : Voulez-vous dire que le peuple du Nunavik ne peut conclure d'accords?
Le sénateur Watt : Je n'ai rien dit du tout. Je n'ai même pas abordé cet aspect.
M. Bruinooge : La question que vous posez semble indiquer que le peuple du Nunavik ne peut pas conclure des accords.
Le sénateur Watt : Est-ce ce que j'ai dit?
M. Bruinooge : Vous dites que nous sommes en train d'éteindre des droits et je vous réponds qu'il y a un article de non-affirmation.
Le sénateur Watt : La question que j'ai posée n'a rien à voir avec ce dont vous parlez maintenant.
M. Bruinooge : Vous pourriez peut-être reformuler votre question?
Le sénateur Watt : Voulez-vous que je répète toute ma question?
La présidente : Pas toute la question, mais la partie essentielle.
Le sénateur Watt : La partie essentielle de ma question est la suivante. En 1982, nous avons adopté des règles entièrement nouvelles. Avant 1982, il existait une ancienne politique qui demandait aux Autochtones d'accepter l'extinction de leurs droits. J'ai connu ça avec la Convention de la Baie-James et du Nord québécois. Lorsque j'ai eu la possibilité d'examiner cette question de façon différente — pour ne pas avoir à reparler d'extinction de droits —, j'ai sauté dans le bateau qui était sur le point de larguer ses amarres et qui visait le rapatriement de la Constitution canadienne. J'ai saisi l'occasion de participer et de négocier une disposition qui est maintenant l'article 35. Les règles ont alors changé. Vous dites qu'il n'y a pas d'extinction parce qu'on utilise maintenant un nouveau terme, la non- affirmation des droits, mais cela revient au même. C'était là ma question.
M. Bruinooge : Le peuple du Nunavik estime que, grâce à leur vote, leurs droits sont affirmés par cet accord. Les droits qu'ils voulaient voir reconnus par cet accord s'y trouvent. Dans le cadre de cet accord, ils ont accepté de ne pas affirmer ceux qui ne s'y trouvent pas. C'est le choix qu'ont fait les négociateurs.
Je pense que le peuple du Nunavik devrait pouvoir conclure ce genre d'accords avec le Canada. Il n'y a rien qui devrait les en empêcher.
Le sénateur Watt : Cette question comporte un autre aspect. Permettez-moi d'essayer de l'expliquer.
Je dois vous dire que j'ai félicité M. Aatami parce qu'il avait réussi quelque chose qui n'avait jamais encore été fait. J'ai toutefois réagi de cette façon en me basant sur ce que l'on m'avait dit, avant que je ne commence à approfondir mon examen de l'accord et des répercussions de cette question.
Lorsque j'ai examiné l'accord pour voir quels étaient les avantages qu'en retiraient les Inuits, j'ai constaté qu'on leur avait accordé environ 30 millions de dollars pour mettre sur pied trois organismes. Je ne vais pas les décrire. Il y avait également des fonds pour des programmes sociaux, économiques et éducatifs qui représentaient un peu plus de 50 millions de dollars. J'ai commencé à calculer ce que cela représentait : sur dix ans, cela représente une indemnité légèrement supérieure à 500 $ par personne. Que se passera-t-il une fois ces dix ans écoulés? Je me suis également demandé si les aspects coutumiers et traditionnels avaient été repris dans l'accord, et j'ai constaté qu'ils ne l'étaient pas.
Tout ce que j'ai vu dans l'accord est un instrument que le gouvernement souhaite avoir pour que nous puissions participer à des institutions gouvernementales de façon à réglementer nous-mêmes la faune et les ressources naturelles dans cette région. Est-ce là un avantage? C'est la raison pour laquelle je suis ici, c'est parce que je ne considère pas que cela est un avantage.
M. Bruinooge : Je pense que le peuple du Nunavik a parlé. En tant que secrétaire parlementaire originaire du Manitoba, je ne peux pas parler au nom du peuple du Nunavik. Il a négocié de bonne foi. Il a voté à 78 p. 100 en faveur de l'accord, parce qu'il pense que cet accord leur offre des avantages. Je ne peux que constater que les électeurs ont déclaré qu'ils pensaient que le fait d'avoir accès à 80 p. 100 de l'ensemble du secteur compris par les îles qui constituent la région marine du Nunavik était une bonne chose pour eux.
Il y aura un transfert de fonds de 54,8 millions de dollars. Il y aura un financement supplémentaire de 38,7 millions de dollars pour la mise en œuvre de l'accord. Le partage des redevances liées aux ressources est prévu par l'accord; les droits de chasse et de pêche seront préservés dans la région; les parcs visés par cet accord en retireront des bénéfices; les avantages accordés à la pêche commerciale sont élargis et, conformément aux régimes en vigueur, les ressources fauniques donneront lieu à des indemnités.
Un grand nombre d'éléments contenus dans cet accord ont été communiqués aux résidents de la région de diverses façons.
C'est ce qui me rend encore perplexe. En tant que député, je recherche l'adhésion de la population. Si les gens n'avaient pas voté en faveur de l'accord, je serais le premier à dire que nous ne pouvons pas aller de l'avant. Cependant, ils l'ont fait; et en plus, 308 députés ont également voté en faveur de cet accord. En tant que parlementaire, je suis obligé aujourd'hui d'essayer de convaincre tout le monde que nous devons aller de l'avant.
La présidente : Je vous ferais remarquer que notre travail consiste à comprendre ce que l'on nous demande d'adopter. C'est là le but recherché de ces audiences.
Le sénateur St. Germain : Comme beaucoup d'autres sénateurs qui sont ici aujourd'hui, j'ai déjà examiné des accords conclus avec des Première nations. Le sénateur Sibbeston et moi avons travaillé sur l'accord des Nisga'a.
Monsieur Bruinooge, pouvez-vous nous donner une vue d'ensemble des avantages qui risqueraient de disparaître si le Sénat n'approuvait pas ce projet de loi? L'étude de ce projet de loi dure depuis longtemps. Ce n'est pas une question partisane. Elle ne nous concerne pas; elle concerne les Première nations.
M. Bruinooge : Il est incontestable que l'accord qui a été négocié avec la société Makivik au nom du peuple du Nunavik accordera de nouveaux droits et mécanismes de contrôle sur la région marine du Nunavik que nous avons décrite il y a un instant. Ces mécanismes de contrôle n'existaient pas avant la Convention de la Baie-James et du Nord québécois; cela fait longtemps qu'ils avaient été promis, mais toute une série de gouvernements de diverses couleurs politiques n'avaient rien fait. Après une attente de près de 30 ans, nous avons maintenant la possibilité de finalement ratifier cet accord qui doit apporter toute une série d'avantages au peuple de cette région.
J'ai eu le plaisir de rencontrer un certain nombre des chefs du Nunavik — des gens qui souhaitent vivement que cet accord soit adopté et pouvoir enfin jouir d'une forme d'autonomie dans des secteurs où ils pêchent et chassent depuis des milliers d'années. Je serais très fier de pouvoir traduire tout cela, même modestement, étant donné que je viens de me faire élire récemment à mon poste de député, dans un texte juridique encadré par le droit canadien.
C'est un grand honneur pour moi que de m'adresser à des sénateurs. Je n'ai jamais eu le plaisir de le faire auparavant. C'est ma première comparution, et c'est peut-être la raison pour laquelle je suis un peu nerveux.
J'aimerais finir de répondre à cette question et je vais vous énumérer un certain nombre d'avantages — il y en a d'autres. premièrement, il y a les terres. Je sais qu'elles sont recouvertes d'eau, mais elles comprennent 80 p. 100 du secteur formé par les îles de la région marine du Nunavik, ainsi que les droits d'exploitation du sous-sol de ces îles. De plus, il y a un transfert de capital de plus de 50 millions de dollars, un financement supplémentaire de 38,5 millions de dollars pour la mise en œuvre de l'accord et, bien sûr, le partage des redevances liées aux ressources, ce qui pourrait représenter une somme importante étant donné qu'il existe de nombreux ressources dans la région.
L'aspect qui est peut-être le plus important pour nos amis inuits est qu'ils auront accès à des zones traditionnelles de chasse et de pêche et que ces droits seront préservés. C'est un des éléments les plus importants de leur culture. J'ai voyagé dans les régions où vivent les Inuits et j'ai grandement apprécié tous les avantages qu'offre cette coutume culturelle, puisque je suis moi-même un adepte fervent de cette activité.
Les avantages qu'offre cet accord ne s'arrêtent pas là, bien entendu. Ils comportent de nombreux aspects reliés à la pêche commerciale, ainsi que de nombreuses possibilités pour les conseils de gestion qui sont reconnus par l'accord et qui prévoient la représentation et la participation des Inuits du Nunavik. Avec cet accord, ce peuple exercera un contrôle démocratique sur toute cette région. Comme je l'ai dit, je suis très heureux de jouer un rôle modeste et d'aider cette collectivité importante à finalement ratifier cet accord.
Le sénateur St. Germain : Ma question suivante s'adresse à M. Molloy. Je le connais depuis des années, tout comme le sénateur Merchant et de nombreux sénateurs de la Saskatchewan, parce que M. Molloy vient de la Saskatchewan. Il apporte ici des titres de compétence exemplaires. C'est un officier de l'Ordre du Canada, il est chancelier de l'Université de la Saskatchewan et auteur de nombreuses publications concernant le sujet que nous étudions aujourd'hui. Je pense qu'il est également le négociateur en chef canadien qui possède le plus d'expérience dans ce domaine.
Monsieur Molloy, ai-je raison d'affirmer que vous êtes notre négociateur canadien le plus ancien? Je ne voulais pas le dire de cette façon, monsieur, mais nous prenons de l'âge tous les deux.
M. Molloy : Tant que vous ne me demandez pas mon âge, je peux vous dire que cela fait 25 ans que je suis le négociateur fédéral en chef pour le Canada. J'ai commencé en 1982 et j'ai eu beaucoup de chance avec les gens avec qui j'ai travaillé dans le système fédéral ainsi qu'avec les Premières nations et les groupes d'Inuits avec lesquels j'ai été en rapport pendant tout ce temps; j'ai réussi à conclure trois traités et il y en a un autre en gestation.
Le sénateur St. Germain : Honorables sénateurs, je pense que M. Molloy a clairement montré, dans sa réponse, qu'il était au-delà des considérations partisanes. Il a travaillé pour tous les gouvernements et fait de l'excellent travail.
La présidente : Sénateur, nous pensons que cela est acquis. Voulez-vous poser une question?
Le sénateur St. Germain : Oui, elle est très importante. Oui, je souhaite poser une question, madame la présidente.
Comment est-ce que l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik se compare aux autres accords auxquels vous avez participé?
M. Molloy : Il est difficile de fournir une réponse exhaustive en si peu de temps. premièrement, permettez-moi de dire qu'aucun traité n'est identique à un autre. Chaque première nation et chaque groupe d'Inuits a sa propre histoire, sa propre utilisation de la terre et sa propre culture; en outre, ils ont tous un intérêt particulier qu'ils souhaitent faire reconnaître ou sur lequel ils veulent insister dans le cadre de la conclusion de leurs traités.
Tous les traités ont un point en commun : ils sont négociés par une organisation qui représente les intéressés, qu'il s'agisse de la Labrador Inuit Association, de la Fédération Tunngavik du Nunavut qui a négocié l'accord sur le Nunavut, le Nisga'a Tribal Council ou la société Makivik. Ces droits appartiennent à la collectivité et il faut que quelqu'un la représente lorsqu'il s'agit de les mettre en œuvre. Cependant, à mesure que l'accord prend forme, il n'y a pas de document juridiquement contraignant ou d'accord tant qu'il n'a pas été ratifié par toutes les parties.
La technique qui a été utilisée dans tous les votes de ratification que j'ai examinés et pour tous les traités qui ont été négociés depuis la Convention de la Baie-James et du Nord québécois consiste à poser la question suivante aux bénéficiaires du traité : autorisez-vous l'association qui a négocié en votre nom à signer l'accord en votre nom?
Il me paraît également important qu'aucune des parties n'obtienne tout ce qu'elle souhaite. Le traité représente un ensemble de compromis qu'ont acceptés le gouvernement fédéral, la première nation ou le groupe d'Inuits et, dans certains cas, la province ou le territoire concernés. Toutes les parties doivent accepter les compromis.
Dans n'importe quel accord, il y a des aspects que les différentes parties n'aiment pas beaucoup, mais elles doivent tenir compte de l'ensemble de l'accord. Elles doivent se demander si toutes les clauses de l'accord permettront aux trois parties de dire que celui-ci représente un traité équitable et raisonnable que les parties seront disposées à mettre en œuvre?
Un des objectifs importants des traités, du point de vue du Canada — et c'est une des raisons pour lesquelles le Canada négocie des traités — est d'assurer la certitude des droits relatifs aux terres et aux ressources. Dans notre pays, les droits ancestraux ne sont pas définis. Les tribunaux ont tenté de fournir des points de repère, mais personne n'est en mesure de dire avec précision ce qu'est un droit ancestral, dans quels cas un droit existe et quelle est sa portée. C'est la raison pour laquelle il existe de l'incertitude au sujet des droits relatifs aux terres et sur la façon dont les personnes et les gouvernements peuvent les utiliser.
La négociation de traité vise à supprimer cette incertitude. Dans les débuts, on y parvenait en demandant la cession des droits ou la renonciation à ces droits; aujourd'hui, depuis le traité nisga'a, nous avons recours à différentes techniques, qui n'obligent pas, pensons-nous, les groupes autochtones à céder leurs droits ou à accepter leur extinction. Je sais que certains juristes débattent de la question de savoir s'il y a eu extinction de ces droits, mais notre intention n'était pas de les éteindre.
Une autre partie importante est le processus de ratification qui doit faire en sorte que tous les bénéficiaires, tous les titulaires de droits potentiels ont la possibilité de faire connaître leurs points de vue au sujet du traité selon un processus équitable et démocratique. Tous les traités comprennent des dispositions négociées qui prévoient un processus de ratification qui vise premièrement à ce que toutes les personnes qui ont le droit de voter aux termes du traité ont la possibilité de s'inscrire; deuxièmement, à ce que toutes les personnes qui sont inscrites ont eu la possibilité de voter; et troisièmement, à ce que le vote soit un vote éclairé et que les électeurs aient la possibilité d'obtenir des renseignements au sujet de l'accord.
On crée un comité de ratification, qui ressemble beaucoup aux bureaux électoraux créés pour les élections parlementaires, chargé de surveiller le déroulement du scrutin et la communication de l'information aux bénéficiaires et, enfin, de veiller à ce que le scrutin soit tenu de façon démocratique et que les suffrages soient correctement comptés et enregistrés. De plus, comme je l'ai mentionné plus tôt, le comité doit veiller à ce que l'organisation qui a négocié l'entente a bien reçu le pouvoir de la conclure et de signer le traité pour le compte des bénéficiaires.
Je ferais un dernier commentaire, et je vous dirais que j'ai toujours pensé — et d'autres pensent la même chose également — que les traités peuvent être considérés comme une tapisserie dans laquelle des milliers de compromis sont entrelacés. Si vous coupez un morceau, la tapisserie va commencer à s'effilocher.
Le sénateur St. Germain : Comme vous le dites, les négociations jouent un rôle essentiel dans cet ensemble de compromis. Je crois qu'il faut appliquer le vieil adage qui dit que le mieux est l'ennemi du bien.
Je vais vous poser la question directement. Vous êtes le négociateur et vous avez négocié de nombreux accords. À votre avis, est-ce un accord qui sera bénéfique pour les personnes qui vivent dans cette région?
M. Molloy : À mon avis, du point de vue d'un négociateur qui a participé aux négociations, je dirais que c'est un accord que les trois négociateurs étaient disposés à faire ratifier par les personnes qu'ils représentaient.
Le sénateur Joyal : J'aimerais commencer par dire que la responsabilité que nous assumons à l'égard des accords qui ont été négociés de bonne foi par les trois parties, que nous allons entendre d'ailleurs par la suite, est essentielle pour deux raisons fondamentales. La première consiste à vérifier si la Couronne s'est bien acquittée de son obligation de fiduciaire. Bien sûr, le gouvernement fédéral assume une responsabilité spéciale, d'après la Constitution, à l'égard des Autochtones du Canada. La seconde porte sur la question de savoir si les droits ancestraux ont été éteints. Il y a un instant, M. Molloy a déclaré : « Notre intention n'est pas d'éteindre ces droits. » Dans quelle mesure cet accord protège-t-il de façon générale les droits des Autochtones?
Si j'ai bien compris, cet accord couvre deux types de ressources, les ressources marines et les ressources des fonds marins. Est-ce bien exact?
M. Molloy : Non, pas les ressources des fonds marins.
Le sénateur Joyal : Si l'on trouvait du pétrole sur le littoral indiqué sur la carte, qui en serait propriétaire?
M. Molloy : Je pense que la Couronne fédérale est propriétaire du sous-sol, mais les Inuits recevraient les redevances découlant de l'exploitation de cette ressource. L'accord prévoit qu'ils recevront par année en redevances 50 p. 100 des deux premiers millions de dollars reçus par le gouvernement fédéral à ce titre et 5 p. 100 des redevances supplémentaires.
Le sénateur Joyal : En d'autres termes, si Terre-Neuve continue d'être une terre bénie des dieux pour ce qui est du pétrole et si on trouve du pétrole sur les rives que vous avez mentionnées, les deux premiers millions de dollars de redevances...
M. Molloy : Ce ne serait pas au large des côtes de Terre-Neuve. Cela ne vise pas la partie Labrador de l'accord.
Le sénateur Joyal : Cela ne comprend pas le Labrador?
M. Molloy : Non.
Le sénateur Milne : Est-ce que cela vise d'autres zones de chevauchement?
M. Molloy : Cela s'applique aux zones de chevauchement pour ce qui est des Cris.
Le sénateur Joyal : Pourriez-vous nous montrer la région?
M. Walsh : À partir de cette ligne jusqu'à cette autre ligne là-bas. Tout cela fait partie du secteur où il y a chevauchement avec les Cris.
Le sénateur Joyal : En d'autres termes, l'accord reconnaît clairement qu'il existe une formule pour le partage des produits de l'exploitation des ressources tirées des fonds marins. J'ai parlé de pétrole, mais ces fonds pourraient contenir d'autres minéraux. Est-ce que cette formule de partage s'appliquerait à toutes les ressources des fonds marins qui pourraient être exploitées à l'avenir dans ce secteur?
M. Molloy : Lorsqu'elles donnent lieu au paiement de redevances, oui.
Le sénateur Joyal : Dans quels cas serait-il possible qu'aucune redevance ne soit payée?
M. Molloy : Cela dépend des dispositions législatives adoptées à l'égard des redevances.
Le sénateur Joyal : Cela veut-il dire que si l'accord est adopté tel qu'il nous a été présenté dans les documents que vous avez déposés, les Autochtones demeureraient quand même propriétaires de ces ressources si aucune redevance n'était versée?
M. Molloy : Ils sont les propriétaires des ressources qui se trouvent sur les terres dont ils sont propriétaires. Ils sont propriétaires du sous-sol de 80 p. 100 des îles qui leur appartiennent; ils contrôlent l'exploitation de ces terres et pourraient fixer eux-mêmes les droits que seraient tenus de payer les exploitants. Pour ce qui est de la zone des fonds marins, ils auraient droit à une part des recettes qui représenterait 50 p. 100 des deux premiers millions de dollars et 5 p. 100 de tous les revenus supplémentaires sur une base annuelle.
Le sénateur Joyal : Comment a-t-on fixé l'échelle de paiement des redevances? Sur quels précédents ou accords antérieurs avez-vous fondé ce chiffre de 5 p. 100 qui semble assez faible?
M. Molloy : C'est un aspect qui a été négocié par les parties. Il est semblable aux redevances payées dans la région du Nunavut.
Le sénateur Joyal : Vous avez eu recours au précédent concernant la région du Nunavut pour proposer cette formule de partage des redevances comme étant une solution acceptable?
M. Molloy : C'est exact, parce que le secteur qui faisait l'objet des négociations faisait partie du Nunavut.
Le sénateur Joyal : Voulez-vous faire d'autres commentaires?
M. Molloy : L'Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador prévoit également le partage des recettes tirées des ressources.
Le sénateur Joyal : Cela faisait-il partie des renseignements qui ont été présentés aux Inuits pendant la campagne d'information?
M. Molloy : Le montant des redevances a été mentionné dans les résumés.
Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir à votre affirmation selon laquelle « notre intention n'est pas d'éteindre ces droits ». Dans quelle mesure les droits sont-ils éteints ou non avec cet accord?
M. Molloy : Je n'ai peut-être pas été aussi clair que j'aurais dû l'être. Notre intention n'est pas d'éteindre ces droits. Il existe toutefois une disposition qui prévoirait la renonciation à ces droits si les Inuits affirmaient qu'ils continuent d'exister — autrement dit, si les Inuits essayaient de soutenir qu'il existe des droits en plus de ceux qui sont reconnus par le présent accord à l'égard des terres et des ressources. Une telle affirmation entraînerait la renonciation à ces droits, dans la mesure où ces droits ont été affirmés.
Je vais demander à notre avocat, M. Keogh, de vous fournir d'autres explications.
La présidente : Monsieur Keogh, vous pourriez peut-être nous expliquer ce que veut dire « renoncer » à des droits.
Brian Keogh, conseiller principal, ministère de la Justice Canada, Affaires indiennes et du Nord Canada : Nous utilisons un certain nombre de termes pour obtenir le même résultat. Les mots « cession », « renonciation », « extinction » ont déjà été utilisés dans d'autres accords sur des revendications territoriales. On les retrouve encore dans certains accords récents dans certains domaines.
Dans l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik, nous avons tenté d'éviter toutes sortes de renonciation ou de cession des droits en utilisant une technique que nous appelons la non-affirmation, qui est fondée sur l'engagement des Inuits à ne pas tenter d'affirmer leurs droits, s'ils ne sont pas prévus par le présent accord. Tous les droits ancestraux que les Inuits ont inclus dans l'accord demeurent des droits ancestraux et ils peuvent être affirmés. Ce sont uniquement les droits qui n'ont pas été négociés — les droits non prévus par l'accord — que les Inuits ne peuvent pas affirmer ou exercer. C'est une technique assez nouvelle qui a également été utilisée dans l'accord conclu avec le peuple tlicho.
Les tribunaux ne se sont pas encore prononcés sur la validité de cette technique, et c'est la raison pour laquelle nous avons ajouté une renonciation ou une cession subsidiaire. Nous espérons que ces dispositions ne seront jamais appliquées. Si les tribunaux donnent effet à la technique de la non-affirmation, il n'y aura jamais de renonciation à ces droits ni de cession de ces droits. Elle sera uniquement utilisée à titre subsidiaire, en cas de besoin, dans la mesure où ces droits pourraient porter atteinte aux obligations ou aux droits du Canada, des Inuits ou de tiers.
Le sénateur Joyal : Pourriez-vous donner un exemple d'une situation où les Inuits n'affirmeraient pas leurs droits dans le cadre de cet accord?
M. Keogh : Je ne peux que vous donner un exemple un peu forcé.
Le sénateur Joyal : J'aimerais avoir un exemple qui nous aiderait à comprendre les répercussions juridiques de cette nouvelle notion.
M. Keogh : Un exemple possible serait le suivant : les Inuits vont détenir en fief simple près de 80 p. 100 de la superficie de la zone extracôtière. Si un Inuit tentait d'affirmer qu'il possédait un droit ancestral sur une partie du 20 p. 100 restant des îles ou de la surface des terres et si les tribunaux donnaient effet à cette revendication, il y aurait renonciation au droit ancestral ou au titre aborigène relatif à cette autre superficie de terre dans la mesure où cela serait nécessaire pour que le gouvernement puisse utiliser les terres en question comme il le souhaitait. Dans certains cas, cela permettrait aux Inuits d'utiliser les terres comme ils le souhaitent.
Voici un autre exemple. Sur les 80 p. 100 des terres que les Inuits vont détenir en fief simple, ils auront droit, aux termes de la notion de fief simple, d'utiliser ces terres comme ils le veulent. Le titre aborigène est assorti de certaines restrictions visant l'utilisation des terres. Si quelqu'un essayait de dire aux Inuits qu'ils ne pouvaient utiliser les terres comme ils le souhaitaient parce que le titre aborigène les empêchait de le faire, il y aurait renonciation au titre aborigène, et non pas au fief simple, dans la mesure nécessaire pour que les Inuits puissent exercer pleinement leur droit de fief simple.
La présidente : J'aimerais poser une question supplémentaire pour obtenir une précision. Si j'ai bien compris, les droits qui ne peuvent être affirmés sont uniquement les droits qui concernent les terres et les ressources naturelles; par conséquent, les droits reliés au droit coutumier et aux traditions dans les domaines autres que ceux qui concernent les terres et les ressources naturelles sont donc préservés aux termes de l'article 35.
M. Keogh : C'est exact, madame la présidente. L'accord sur les revendications territoriales ne traite pas du droit à l'autonomie gouvernementale et n'accorde pas de droits dans ce domaine. Il n'y a pas de renonciation au droit à l'autonomie gouvernementale, à l'exception des aspects qui touchent les terres et les ressources, qui sont les sujets sur lesquels porte l'accord.
La présidente : Je sais que le secrétaire parlementaire doit nous quitter. Nous espérons le revoir.
M. Bruinooge : Je l'espère aussi.
La présidente : Nous allons continuer d'entendre le témoignage des hauts fonctionnaires.
Le sénateur Joyal : Nous essayons de comprendre des questions complexes.
Le sénateur Sibbeston : Je voulais poser à M. Bruinooge cette question, mais il y a été plus ou moins répondu. Le sénateur Watt s'inquiétait du fait que les droits ancestraux ont été reconnus dans la Constitution en 1982. J'ai déduit des questions qu'il a posées que le sénateur Watt craignait que ces droits ancestraux soient réduits ou éteints par cet accord. Je vous ai entendu citer le juge Lamer, de la Cour suprême du Canada, au sujet des mesures qui devaient être prises en ce qui concerne les droits ancestraux. Il me semble que le secrétaire parlementaire avait commencé à parler du processus de ratification et du pouvoir de négocier des Inuits.
La réponse toute simple à cette question n'est-elle pas que les droits ancestraux du peuple inuit sont contenus dans l'accord? Il ne s'agit pas d'une extinction mais d'une définition des droits ancestraux des Inuits. C'est ce que nous devons comprendre. J'ai un peu étudié les droits ancestraux. Lorsque je fréquentais la faculté de droit dans les années 1970, les droits ancestraux n'étaient pas bien définis. La seule jurisprudence canadienne à ce sujet était à l'époque les arrêts R. c. St. Catharines Milling et Lumber Co. et Calder, qui établissaient que le gouvernement était tenu de reconnaître les droits ancestraux.
Depuis cette époque, les tribunaux ont écrit et fait des déclarations à ce sujet. Progressivement, la notion de droits ancestraux s'est précisée. Nous en sommes arrivés à un point où les accords sur les revendications territoriales sont clairs et moins définitifs. Nous avons commencé par conclure des traités où l'on retrouvait des mots comme « cession » et « renonciation ». J'ai examiné les trois derniers accords — celui du Nunavut, du peuple tlicho et du Labrador — et j'ai constaté que les clauses qui définissaient les droits ancestraux étaient très comparables à celle-ci. La préoccupation qu'a exprimée le sénateur Watt au sujet du fait que les droits ancestraux étaient traités différemment qu'ils l'étaient dans d'autres accords ou qu'ils étaient davantage éteints m'inquiète.
Pour répondre aux inquiétudes du sénateur Watt, ne pourrions-nous pas simplement dire que les droits ancestraux qui sont pris en compte dans l'accord concernent les terres, l'eau et les ressources? Ils ne sont toujours pas limités. Il me semble que d'après l'accord conclu avec le peuple tlicho, si, à l'avenir, apparaissaient des droits ancestraux qui n'avaient pas été pris en considération parce qu'on ne les connaissait pas, alors les Autochtones pourraient toujours les exercer.
M. Molloy : J'aimerais faire un commentaire, après quoi je demanderai à M. Keogh de parler de la technique utilisée pour la comparer avec celle de l'accord du peuple tlicho. Il y a une certaine confusion au sujet de ce que nous faisons. La jurisprudence qui a été citée et les obligations de la Couronne traitent des questions de violation de ces droits. Je ne conteste pas les sources qui ont été citées et les principes que le gouvernement doit suivre dans les cas où il y a violation des droits.
Dans ce cas-ci, il ne s'agit pas d'un traité qui porte atteinte à des droits. Nous avons négocié avec les titulaires de ces droits sur la façon de préserver les droits ancestraux et d'en aménager l'exercice. L'accord ne porte pas atteinte aux droits ancestraux ni au titre aborigène et nous ne touchons pas à l'article 82 sur ce point. Nous avons discuté avec le peuple qui possède collectivement ces droits et avons négocié un accord. Ce n'est pas comme si le gouvernement avait adopté des mesures pour lancer un projet qui aurait pour effet de porter atteinte ou de violer des droits ancestraux. Ce n'est pas ce que nous faisons; il n'y a pas atteinte à ces droits. Nous avons en fait négocié la façon dont ces droits seraient préservés et exercés. M. Keogh souhaite peut-être aborder la question de la certitude dans l'accord avec le peuple tlicho.
M. Keogh : Je vais confirmer ce que M. Molloy vient de dire. Une bonne partie des discussions qui ont précédé la séance d'aujourd'hui semble avoir porté sur un examen de la jurisprudence traitant de la violation des droits ancestraux. Un traité n'est pas un document que le gouvernement impose à un peuple autochtone. C'est une tentative consensuelle d'en arriver à une réconciliation. Le droit applicable consiste à savoir si les parties s'entendent et comprennent bien le contenu de l'accord. Nous ne sommes pas en train d'examiner si le critère applicable en matière de justification ou d'atteinte est rempli. Toutes les affaires qui traitaient de justification et de violation concernaient en fait des mesures unilatérales prises par la Couronne qui avaient peut-être causé un préjudice aux Autochtones. Il y avait aussi un critère qui précisait comment l'article 35 obligeait le gouvernement à justifier ce genre de mesure. Cela ne s'applique pas à la conclusion des traités.
Je ne sais pas très bien ce que M. Molloy voulait que j'explique au sujet du peuple tlicho.
Le sénateur Sibbeston : Il s'agit des droits ancestraux d'un peuple autochtone, n'est-ce pas? Pourquoi ne pas le dire de cette façon? Cela me paraît si simple.
M. Keogh : Je pense que cela est en grande partie exact. Nous ne pouvons toutefois pas garantir que tous les droits ancestraux des Inuits du Nunavik sont reconnus dans ce document. Il est possible que ce document mentionne des droits qui n'ont jamais existé en tant que droits ancestraux. C'est un accord négocié dans lequel les Inuits du Nunavik tentent d'inclure ce qui leur paraît nécessaire pour protéger leur façon de vivre traditionnelle et assurer leur développement économique ou adopter d'autres mesures qui leur paraissent conformes à leurs intérêts.
Le sénateur Sibbeston : N'y a-t-il pas des dispositions qui prévoient que si, à l'avenir, des droits apparaissaient, ils pourraient alors être inclus? Les droits ancestraux figurent dans la Constitution et ils y demeureront à jamais. Dans une centaine d'années, il se pourrait que les Inuits affirment un droit ancestral qui n'est pas reconnu aujourd'hui. L'accord permet-il ce genre de choses? Il n'écarte pas complètement ni ne supprime tout à fait tous les droits ancestraux qui pourraient exister et apparaître. Si, dans une centaine d'années, il y avait un droit ancestral qui permettait, disons, d'aller sur la Lune ou sur Mars, serait-il possible que ce peuple autochtone puisse le faire inclure dans l'accord?
M. Keogh : Cet accord ne touche pas les droits qui s'exercent à l'extérieur de la région marine du Nunavik. Il ne touche pas les droits qui ne concernent pas les terres et les ressources. Il a pour but de faire une énumération exhaustive de tous les droits que les Inuits du Nunavik possèdent dans la région visée par l'accord, pour ce qui est des terres et des ressources.
L'accord vise à éviter que surgissent des litiges, quels que soient les droits sur lesquels ils pourraient porter. Dans un sens, on peut dire que les parties à l'accord font un acte de foi. Les droits ancestraux sont ambigus. Personne ne sait exactement ce qu'ils sont, qui les exerce ni l'endroit exact où ils existent. Pour éviter toute ambiguïté pour les parties, ces droits seront désormais contenus dans les dispositions de cet accord.
La présidente : J'aimerais faire quelques remarques. Le sénateur Watt veut poser une brève question supplémentaire. Avant de lui donner la parole, je veux toutefois vous donner une mauvaise nouvelle et une bonne nouvelle. La mauvaise nouvelle est que je vais retenir ces témoins jusqu'à 18 heures et leur demanderai ensuite de quitter la salle, même si nous avons une longue liste de questions que nous aimerions leur poser, parce que nous allons entendre d'autres témoins ensuite. La bonne nouvelle est que les hauts fonctionnaires reviendront devant nous demain matin. Par conséquent, nous pourrons poser demain les questions que nous n'avons pu leur poser ce soir.
Le sénateur Watt : J'aimerais préciser davantage un prolongement de la question qu'a posée le sénateur Sibbeston, qui parlait des droits ancestraux contenus dans cet accord. M. Molloy a confirmé mon inquiétude, c'est-à-dire que le droit que possédaient les Inuits a été supprimé à la suite de ces négociations et remplacé par un titre de propriété en fief simple. Parallèlement, l'avocat a expliqué que les lois coutumières, les connaissances traditionnelles et les droits des Inuits étaient conservés. On leur a toutefois donné un mécanisme comme la commission d'aménagement du territoire et le conseil de gestion des ressources fauniques qui leur permettront de discuter de ces questions. Est-ce bien exact? C'est ce que j'ai compris.
Autrement dit, vous leur donnez un instrument, qui comprend trois organismes, qui leur permettra de supprimer ces droits grâce à leur pouvoir de réglementation.
M. Molloy : Je ne souscris pas à l'hypothèse sur laquelle repose la question. Le droit des Autochtones à l'autonomie gouvernementale est préservé. Les conseils qui sont créés par l'accord sur les revendications territoriales ne sont pas des institutions d'un gouvernement autonome. Ce sont des institutions publiques créées par l'accord sur les revendications territoriales ou qui peuvent être mises sur pied aux termes de cet accord. Il n'est pas prévu qu'elles fassent partie du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Elles représentent une partie du gouvernement public du Nunavut et sont créées pour que les Inuits du Nunavut puissent participer aux décisions qui se prennent au Nunavut.
Ce sont des organismes d'un gouvernement public. Les personnes qui seront nommées à ces conseils, les trois représentants des Inuits du Nunavik, les représentants du gouvernement fédéral et du gouvernement du Nunavut, présenteront des recommandations au sujet du choix du président. Une fois le conseil constitué, les membres prêtent un serment d'office qui est contenu dans l'accord et qui a été négocié en même temps que lui, de sorte que ces personnes cessent de représenter les parties qui les ont nommés et sont désormais membres d'un conseil public.
Le sénateur Watt : Vous n'avez pas répondu à ma question.
Le sénateur Adams : Merci d'avoir comparu. Je connais M. Molloy depuis les débuts de l'accord sur les revendications territoriales du Nunavut.
Avant de parler des Affaires indiennes et du Nord canadien, j'aimerais poser une question. Lorsque les négociations ont commencé entre le Nunavut, les Cris et la Labrador Inuit Association, comment a-t-on abordé la question de la délimitation des droits de chasse et de la société Makivik?
M. Molloy : Les Cris et les Inuits ont eu des discussions et des négociations au sujet de l'emplacement des limites de leurs secteurs communs. Je pense que ce sont eux qui seraient les mieux placés pour décrire le processus qu'ils ont suivi. Ce processus était semblable à celui qu'avaient utilisé les Inuits du Nunavik et les Inuits du Nunavut lorsqu'ils ont parlé des zones de chevauchement à l'époque où a été conclu l'accord sur le Nunavut. Ils ont également parlé avec la Labrador Inuit Association et ont conclu des ententes concernant ces zones de chevauchement.
Le fait que les Cris, les Inuits du Nunavut, la Labrador Inuit Association et les Inuits du nord du Québec ont parlé de la façon dont ils allaient utiliser leurs territoires, partager les terres et les ressources et participer à la gestion de la région est un aspect très important de ce traité. Une partie des accords qu'ils ont négociés sont pris en compte et ont influencé le traité Makivik. C'est un autre aspect qui illustre que les parties ont réussi à trouver des solutions en travaillant ensemble et que ces ententes seraient compromises si le traité n'était pas ratifié.
Le sénateur Adams : Il est possible que le Nunavik et la société Makivik n'aient pas droit à une zone de chasse dans la baie d'Hudson avant le printemps. Cela reflète-t-il le fait qu'ils aient dit : « Nous aimerions chasser de ce côté »? En 1970, j'étais un député du gouvernement territorial avec le sénateur Sibbeston. À l'époque, nous ne pouvions chasser que jusqu'aux eaux de marée. Est-ce encore le cas aujourd'hui?
M. Molloy : Les accords prévoient que les Inuits du Nunavut pourront continuer à pratiquer la chasse et la pêche dans leurs secteurs traditionnels.
Le sénateur Adams : Jusqu'aux eaux de marée? Si cet accord est adopté, la zone visée comprendra les îles. Ils n'avaient pas ce droit auparavant.
M. Molloy : Ils pourront continuer à exercer ce droit dans leur secteur traditionnel. Quant à la question de savoir si ce droit s'étend aux eaux de marée, je ne peux pas y répondre.
Le sénateur Adams : Est-ce qu'une partie des clauses relatives au droit de chasse pour les baleines, les phoques et les ours polaires a été élaborée au cours des négociations entre le Nunavut et le ministère des Pêches et des Océans?
M. Molloy : L'accord prévoit leur participation à la pêche commerciale. Il y a également le fait qu'une partie des négociations a porté sur la reconnaissance du fait que les Inuits du Nunavik utilisent également la région du détroit de Davis pour la pêche et la chasse commerciales. Cela a été pris en compte.
Le sénateur Adams : Des hauts fonctionnaires du ministère des Pêches et des Océans, le MPO, sont venus nous rencontrer au début de l'automne. Nous avons adopté, il y a cinq ans, le projet de loi C-5 qui traitait du péril que couraient certaines espèces et certains mammifères. À l'heure actuelle, le peuple du Nunavut a un quota de chasse de 100 bélougas. Si ce projet de loi est adopté, je crois que ce quota passera à plus de 200 par an. Je ne sais pas si vous connaissez bien cette question, parce que vous n'êtes pas du MPO. C'est peut-être un aspect que nous devrions aborder plus tard.
M. Molloy : J'ignore tout de cette question.
Le sénateur Adams : Y a-t-il quelqu'un qui connaît cette question? Vous, monsieur Walsh?
M. Walsh : Je ne peux pas vous parler du projet de loi C-5, mais pour ce qui est des quotas relatifs aux bélougas, je crois savoir, d'après mes conversations avec des représentants du MPO, qu'il existe à l'heure actuelle un régime de gestion auquel participent les diverses communautés inuites de la région du détroit d'Hudson; il y a des quotas et un plan de gestion. Lorsque le conseil de gestion des ressources fauniques de la région marine du Nunavik sera créé aux termes de cet accord, il existera alors une façon officielle d'influencer les décisions qui fixent ces quotas. Le conseil pourra présenter officiellement ses observations.
Le sénateur Adams : Monsieur Molloy, vous pourriez peut-être nous fournir d'autres explications. À l'heure actuelle, les Inuits n'ont pas le droit d'exploiter le fond de la mer autour de la baie d'Hudson jusqu'à la baie d'Ungava. Pour tout ce qui se trouve maintenant entre ce tracé et l'île, tout ce qui concerne l'exploitation minière et ce genre de choses, diriez-vous qu'il existe une entente avec les sociétés d'exploitation qui parlent de 50 p. 100, ou sont-ce les mêmes règles que celles qui s'appliquent au Nunavut? Je veux dire que, si l'on trouve quelque chose du côté du Nunavut, il pourrait y avoir un accord prévoyant 50 p. 100 entre les sociétés minières et les sociétés pétrolières. Est-ce la même chose?
M. Molloy : Pour ce qui est des gisements extracôtiers, j'ai mentionné il y a un instant qu'il existait une formule de partage des redevances semblable à celle de l'accord relatif au Nunavut. Je ne sais toutefois pas très bien ce qu'il en est des autres pourcentages qui ont été mentionnés.
Le sénateur Adams : Le Nunavik a droit à tout ce qui se trouve sur ces îles. Cela pourrait aller jusqu'à cent pour cent, n'est-ce pas?
M. Molloy : Il possède 80 p. 100 des îles. Il exercerait un contrôle sur les projets qui concerneraient ce 80 p. 100 des terres.
Le sénateur Baker : Je vais signaler la présence dans la salle d'un ancien député, Guy St-Julien, qui était dans mon souvenir un député libéral mais qui est également un député conservateur, d'après ce que m'ont dit les conservateurs.
Le sénateur St. Germain : Un homme à tout faire.
La présidente : Permettez-moi de mentionner pour le compte rendu que M. St-Julien n'est pas assis à notre table, mais qu'il se trouve dans la salle et que nous sommes toujours heureux d'accueillir nos anciens collègues parlementaires.
Le sénateur Baker : Dans un accord de ce genre, je pense au pouvoir de réglementation qu'accordent certaines lois, comme la Loi sur les pêches. Dans le Règlement sur les mammifères marins, qui a subi des changements importants au cours des années, il y a une expression magnifique qui énonce que le présent article du règlement ne s'applique pas aux bénéficiaires. Les bénéficiaires sont définis comme étant les bénéficiaires au titre des accords sur les revendications territoriales conclus par le gouvernement.
Selon le Règlement sur les mammifères marins, qui couvre les méthodes de chasse et l'abattage des mammifères marins, des phoques et des autres, les bénéficiaires sont soustraits à l'application de certaines dispositions réglementaires. Est-ce que le présent accord prévoit d'écarter l'application de certaines dispositions réglementaires ridicules qu'a adoptées le MPO pour ce qui est de l'abattage des mammifères marins? Est-ce que les personnes qui résident dans le secteur marin réglementaire dont nous parlons seront également reconnues comme étant des bénéficiaires? Par exemple, la vente et la commercialisation des blanchons, ou des petits du phoque du Groenland, sont limitées et donnent lieu à des poursuites dans des provinces comme Terre-Neuve. Les personnes visées par le présent accord seront-elles à l'abri de ces poursuites, ou est-ce que j'espère contre tout espoir que cela sera effectivement l'effet de cet accord, monsieur Molloy?
M. Molloy : Il existe une disposition qui traite des méthodes de récolte. C'est l'article 5.3.23, qui énonce ce qui suit :
Un Inuk du Nunavik peut, dans l'exercice des activités de récolte prévues par le présent chapitre, utiliser des méthodes, des moyens ou des techniques qui :
a) ne sont pas incompatibles avec une limite non quantitative touchant les titres, méthodes ou moyens techniques de récolte établis par le CGRFRMN en vertu des articles 5.2.19 à 5.2.22;
b) ne sont pas incompatibles avec les lois d'application générale touchant l'abattage sans cruauté des animaux sauvages, la sécurité publique et le contrôle des armes à feu; ou
c) n'entraînent pas de modification préjudiciable à l'environnement.
Le sénateur Baker : J'en déduis qu'à votre avis, sans que cela tranche la question, monsieur Keogh, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois accorde certains droits aux bénéficiaires — ils sont soustraits à l'application de l'article du Règlement sur les mammifères marins qui traite de la méthode utilisée pour tuer les phoques, par exemple — et que ce projet de loi accordera la même protection aux personnes visées par la loi. Sans trancher la question, j'aimerais avoir votre avis sur cette question, monsieur Molloy.
M. Molloy : Ils seraient soustraits aux dispositions du projet de loi, pourvu qu'ils respectent les articles pertinents de l'accord.
Le sénateur Baker : Je suis heureux de l'entendre et de le lire, parce qu'il y a des gens qui sont harcelés par Pêches et Océans Canada sans aucune raison. On les arrête parce qu'ils utilisent une méthode d'abattage qui est nécessaire et qu'ils ont toujours employée.
Est-ce que cet accord va garantir quelque chose qui n'était pas garanti auparavant? C'est-à-dire qu'en cas d'augmentation des quotas — et nous parlons de l'eau et des poissons qui y vivent —, est-ce que les personnes visées par le présent accord sont assurées d'obtenir un pourcentage garanti des quotas de turbots, un poisson de fond, et de crevettes — qui est peut-être la pêche la plus profitable — aux termes de l'accord?
M. Molloy : Pour ce qui est du turbot, ils ont maintenant droit à 2,54 p. 100 dans le secteur du détroit de Davis — jusqu'à concurrence de 5 500 tonnes métriques — et 10 p. 100 de tout quota supérieur à cela.
Le sénateur Baker : Vous dites 10 p. 100 de tout quota supérieur à cette quantité. Vous voulez dire qu'on leur garantit 10 p. 100 de toute augmentation qui pourrait être décidée à l'avenir?
M. Molloy : Si des permis étaient accordés pour ces quotas, oui.
Le sénateur Baker : Est-ce qu'on leur garantit 10 p. 100, comme vous venez de le mentionner, de l'augmentation du quota du turbot?
M. Molloy : Non; c'est pour une augmentation supérieure à 5 500 tonnes métriques.
Le sénateur Baker : Autrement dit, on leur garantit quelque chose qu'ils n'avaient pas auparavant.
M. Walsh : On leur garantit la même quantité que celle à laquelle ils ont droit actuellement. Si le quota est augmenté, ils obtiendront 10 p. 100 du nouveau quota. Le 90 p. 100 restant sera réservé aux Inuits du Nunavut.
Le sénateur Baker : C'est pour le turbot; qu'en est-il de la crevette?
M. Walsh : En cas d'augmentation des permis ou des quotas pour la crevette dans la zone extracôtière du Labrador — dans le secteur qui constitue les eaux de pêche canadiennes —, ils obtiendront un certain pourcentage; je pense que c'est 10 p. 100 de l'augmentation du quota. Bien sûr, il faut que le quota ou les permis soient augmentés.
Le sénateur Baker : Ma dernière question est une question juridique à laquelle M. Keogh, M. Molloy et M. Walsh pourraient peut-être répondre.
Auparavant, il y a eu quelques ministres de Pêches et Océans Canada qui ont agi de façon illégale, selon les déclarations de la Cour fédérale, parce qu'ils avaient attribué des quotas pour le poisson sans consulter au préalable peuple du Nunavut. Cet accord va-t-il garantir qu'il y aura des consultations avant que le ministre accorde un quota et qu'il n'y aura pas un ministre à Ottawa qui attribuera des quotas de poisson à des pays étrangers comme ils l'ont fait dans le passé, sans tenir de consultations?
M. Walsh : Pour ce qui est du Nunavut, l'accord contient une disposition qui énonce expressément que dans tous les cas, les Inuits du Nunavut vont obtenir davantage de poissons qu'il n'en sera accordé aux Inuits du Nunavik. C'est une disposition qu'avait demandée le gouvernement du Nunavut et à laquelle le Canada et les Inuits du Nunavik ont consenti.
Le sénateur Baker : Ce n'était pas la question que je posais. La cour a déclaré que le ministre devait consulter et cela a été en justice. Monsieur Keogh, vous souvenez-vous de cette affaire?
M. Keogh : Non, je ne m'en souviens pas.
Le sénateur Baker : C'était M. Mifflin qui était à l'époque le ministre des Pêches. Vous en souvenez-vous?
M. Keogh : Non.
Le sénateur Baker : Il y a un processus de consultation obligatoire avant que soient augmentés les quotas concernant les secteurs couverts par le présent accord. Est-ce bien exact?
M. Molloy : Je pense que l'accord protège et garantit le pourcentage du quota qui est augmenté. L'accord ne précise toutefois pas la façon dont ce quota est établi.
Le sénateur Baker : Ils vont toutefois obtenir quelque chose qu'ils n'avaient pas auparavant.
M. Molloy : Dans certains cas, oui.
Le sénateur Milne : Je serai extrêmement brève. Ce n'est pas en fait une question. Je voudrais que les fonctionnaires, ou les personnes qui se trouvent dans la salle et qui peuvent prendre langue avec le ministre ou avec le secrétaire parlementaire, leur transmettent un message.
Le ministre n'est pas ici et cela me donne l'impression qu'il ne s'intéresse pas beaucoup à l'adoption d'un texte extrêmement important. Je pense que c'est la première fois que je siège à ce comité et que j'entends un témoin consacrer trois pages de son exposé...
Le sénateur St. Germain : Cela me paraît irrecevable, madame la présidente.
Le sénateur Milne : ... à décrire les antécédents d'un membre du comité. J'ai été interloquée et je pense qu'il a perdu son temps et nous a fait perdre le nôtre.
La présidente : Ce n'était pas une question; c'était une observation et je pense qu'elle est, en fait, un peu limite. Il est vrai que l'exposé qu'a présenté le secrétaire parlementaire était inhabituel, et c'est la raison pour laquelle j'ai commencé par donner la parole au sénateur Watt et non pas, comme cela aurait été normalement fait, au représentant en chef du parti autre que celui de la présidente. C'est la raison pour laquelle je vais maintenant redonner la parole au sénateur Watt.
Le sénateur Watt : Merci, madame la présidente. J'aimerais poursuivre en espérant que je vais pouvoir poser toutes les questions que j'ai préparées. J'aimerais avoir un peu de temps pour obtenir des réponses.
Je vais commencer avec la question qu'a posée le sénateur Baker au sujet des activités commerciales. Je me suis efforcé de trouver l'article de l'accord qui traite des besoins des Inuits en matière de subsistance, à savoir le droit de se nourrir. Je n'ai rien trouvé, si ce n'est que des organismes de réglementation comme le conseil de gestion des ressources fauniques s'occuperont de leurs besoins de nourriture. Est-ce bien le cas?
Je n'aime pas beaucoup que l'on mette ensemble la chasse commerciale, la chasse sportive et la chasse de subsistance. Dans la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, nous avons veillé à ce que la « subsistance » soit une priorité qui doit être prise en compte, parce que la vie des gens en dépend. Les besoins alimentaires des Inuits de la baie James, de la baie d'Hudson et du détroit d'Hudson représentent 75 p. 100 de leurs activités de chasse et de pêche. Cela est très important. Vous ne pensez peut-être pas que l'on puisse parler là d'économie, mais c'est un secteur important de leur économie.
Pourriez-vous m'en dire davantage à ce sujet? Je vous demande de répondre brièvement parce que j'aimerais vous poser d'autres questions.
M. Molloy : Le traité prévoit qu'il existe une présomption selon laquelle pendant 20 ans, tout quota établi pour une espèce donnée représentera la prise totale autorisée des Inuits. Ils ont une priorité exclusive pour un certain nombre d'espèces et il y a une présomption selon laquelle en cas d'établissement d'un quota, ils auront droit à l'intégralité de ce quota.
Le sénateur Watt : Vous avez dit 20 ans, est-ce bien cela?
M. Molloy : Oui.
Le sénateur Watt : J'ai lu le texte et j'ai compris que cette période de 20 ans visait à limiter le niveau de récolte des bélougas. Ce n'est pas nécessairement un avantage pour les Inuits; c'est l'exploitation d'une ressource. C'est ce que j'ai compris et ce sont les conseils juridiques que j'ai reçus.
M. Molloy : L'article dit que les prises autorisées totales pour ces espèces, qui comprennent le bélouga, sont exclusivement réservées aux Inuits.
Le sénateur Watt : Nous allons devoir revoir cet aspect pour essayer de savoir si cela est clair ou non.
J'aimerais maintenant aborder la question de savoir si les lois du Nunavut s'appliqueraient aux Inuits du Nunavik et à leurs terres. Je tiens pour acquis que lorsque vous parlez des terres des Inuits du Nunavik, vous visez uniquement cet accord particulier qui traite des îles?
M. Molloy : C'est exact. Ces terres relèvent de la compétence du gouvernement du Nunavut.
Le sénateur Watt : Lorsqu'on regarde la carte, on peut voir la distance qui sépare le Nunavik, qui se trouve au Québec, et l'extrémité de l'île de Baffin, qui est située au Nunavut. Si les lois des Inuits du Nunavut s'appliquent à la réglementation des îles et des activités marines, quels sont les Inuits qui pourront être membres de ces divers organismes? Je suis heureux de constater qu'ils peuvent être membres de ces organismes.
Cependant, lorsque je compte le nombre de membres de ces conseils, je constate que les Inuits qui sont directement touchés par les décisions n'ont pas la majorité; ils sont minoritaires. C'est un organisme réglementaire et non pas législatif, qui ne peut influencer l'Assemblée législative du Nunavut. Si nous étions représentés à l'assemblée législative, on tiendrait peut-être compte de nos intérêts et nous pourrions exercer une certaine influence. Cependant, dans ce cas- ci, nous occupons une position très mineure dans cet organisme de réglementation, qui a le pouvoir de présenter des recommandations et également celui de faire appliquer la loi.
Ne pensez-vous pas que cela risque, avec le temps, de nuire aux relations entre le Nunavut et le Nunavik?
M. Molloy : Nous reconnaissons qu'historiquement et qu'avant que le Canada ne soit créé, les Inuits utilisaient toutes les terres du Labrador, du Québec et les îles au large du Nunavut. Cependant, nous avons négocié cet accord dans le contexte de la Constitution canadienne et nous devons tenir compte des frontières des provinces et des territoires. Je pense que c'est le premier accord sur des revendications territoriales qui garantit à des bénéficiaires qui vivent dans un territoire politique donné un rôle dans un organisme gouvernemental public d'un autre territoire.
Je ne pense pas que cela ait jamais été fait. Les Inuits du Nunavik qui vivent au Québec ont le droit d'être représentés dans les institutions publiques du gouvernement du Nunavut. C'est là une des façons par lesquelles nous avons essayé de veiller à ce que les Inuits du Nunavut jouent un rôle dans la gestion des aspects qui sont essentiels à leur utilisation des îles : l'aménagement, la planification, la gestion des ressources fauniques et l'examen des répercussions.
Le sénateur Watt : Je comprends que c'est bien le cas au niveau réglementaire.
M. Molloy : C'est exact.
Le sénateur Watt : Je comprends cela.
M. Molloy : La difficulté vient du fait que nous devons respecter les compétences politiques au Canada et les frontières qui ont été tracées sur des cartes et qui font partie de notre Constitution.
Le sénateur Watt : Monsieur Molloy, c'est la raison pour laquelle le gouvernement du Canada a compris qu'il existait des droits et des revendications. Si vous ne compreniez pas que ces droits existent, il n'y aurait pas eu de négociations. Il doit y avoir une certaine souplesse, quels que soient les limites et les territoires concernés. C'est sur ce genre de choses que portent les négociations. Cela est nécessaire pour que les peuples du Canada puissent vivre en harmonie les uns avec les autres. C'est ce que je recherche. Je n'essaie pas de détruire quoi que ce soit. Je crains que cet accord provoque plus tard des difficultés dans notre pays, parce que le ministère a essayé de respecter les frontières juridictionnelles.
M. Molloy : Aujourd'hui, la réalité est que ces îles relèvent du gouvernement du Nunavut. Nous avons mis sur pied des régimes de gestion, par le biais de cet accord, qui accordent aux Inuits qui vivent au Québec un rôle dans la prise de décisions du gouvernement du Nunavut. Les ministres sont dans certains cas liés par les décisions de ces conseils de gestion ou limités dans leur capacité de passer outre aux décisions de ces conseils. Il faut examiner chaque conseil et voir si dans tel ou tel cas, le pouvoir discrétionnaire du ministre concerné est limité et examiner les situations particulières dans lesquelles un ministre peut passer outre à ces décisions. Ces conseils sont des organismes décisionnels assujettis dans certains cas au pouvoir de veto du ministre. Je pense que cela donne aux Inuits un rôle très important dans la gestion des ressources qui sont essentielles pour eux.
La présidente : Nous poursuivrons ce sujet demain, sénateur Watt.
Le sénateur Watt : Il ne me reste qu'une petite question.
La présidente : Je vais vous donner, à vous et au sénateur St. Germain, 30 secondes et je mettrai ensuite un terme à cette discussion.
Le sénateur Watt : Nous allons certainement revenir sur ces questions. Je comprends très bien les pouvoirs que possèdent les différents organismes concernés. Ce n'est pas une question qui est nouvelle pour moi. N'essayez pas de me faire croire que ces organismes seront en mesure de prendre des décisions. Monsieur Molloy, avec tout le respect que je vous dois, je constate que ces organismes exercent uniquement des fonctions consultatives. Et en plus, je regrette d'avoir à le dire, ils sont minoritaires.
M. Molloy : Madame la présidente, je ne souscris pas à cette interprétation.
Le sénateur Watt : Nous ne sommes donc pas d'accord.
Le sénateur St. Germain : Monsieur Molloy, j'aimerais tout d'abord dire qu'il serait bon de tenir compte des préoccupations exprimées par le sénateur Watt. Je respecte le fait qu'il ait formulé ces préoccupations. Je pense que le gouvernement a essayé d'y répondre à la suite du discours qu'il a fait devant le Sénat. Cependant, cela fait des années que cet accord est en gestation, monsieur Molloy. Il dépasse les gouvernements; je ne sais pas combien sont impliqués.
Je pense que je poserai également au groupe de témoins suivant les questions suivantes : avez-vous des raisons de croire que cela changerait quoi que ce soit si leur processus de ratification était révisé? Je n'essaie pas de vous obliger à répondre. Si vous n'êtes pas en mesure de le faire, c'est très bien. Pendant que vous attendez que ce projet de loi soit adopté et avant que nous votions, existe-t-il une raison de croire que la ratification de cet accord changerait quelque chose?
M. Molloy : Je lis les journaux et j'examine les documents publiés par la société Makivik, et je n'ai pas remarqué que des questions avaient été soulevées publiquement, du moins. Je ne suis pas toujours au courant de tout ce qui se passe dans cette région, mais je peux tout de même vous dire qu'aucun élément d'information publique n'indique que c'est le cas.
La présidente : Je vous remercie. Je vous remercie à l'avance d'accepter de revenir demain. J'ai déjà une longue liste de sénateurs qui veulent continuer à vous poser des questions. Nous sommes heureux de savoir que nous pourrons vous entendre demain.
Honorables sénateurs, je dois retourner dans la salle du Sénat. Le sénateur Milne va donc assumer la présidence. La vice-présidente du comité est prise dans les rets de notre réseau aérien et arrivera dès qu'elle le pourra. Le sénateur Milne est, comme nous le savons tous, le troisième membre du comité directeur, ainsi que l'ancienne présidente du comité. Elle a aimablement accepté d'assumer maintenant la présidence.
Le sénateur Lorna Milne (présidente suppléante) occupe le fauteuil.
La présidente suppléante : Honorables sénateurs, notre prochain groupe de témoins sont des représentants de la société Makivik : M. Pita Aatami, président; M. Johnny Peters, négociateur en chef, M. Sam Silverstone, conseiller juridique, et M. Putulik Papigatuk, négociateur. Nous avons également un interprète pour être sûrs de bien nous comprendre. Monsieur Aatami, vous avez la parole.
Pita Aatami, président, société Makivik : Je suis désolé que certains sénateurs aient été obligés de partir. Vous avez fait les présentations. Je m'appelle Pita Aatami. Je suis le président de la société Makivik. J'ai été élu à ce poste pour la première fois en 1998 et je préside cette société depuis lors.
Je vous remercie de l'occasion qui m'est offerte de prendre la parole au sujet de l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik (ARTIN) et du projet de loi C-11. L'ARTIN est un accomplissement historique pour mon peuple et pour l'ensemble du Canada. Ce traité confirme nos droits ancestraux dans la zone extracôtière située au large des côtes du Québec et dans la partie nord du Labrador. Il a fallu plus de 30 ans de recherches, de négociations et de travail acharné de la part de toutes les parties concernées pour arriver à conclure ce traité.
Je vais vous donner un exemple. Des membres du gouvernement du Canada disaient que nous devions conclure des ententes de chevauchement. Il n'était pas facile de conclure des ententes de chevauchement avec les autres peuples autochtones, les Cris et les Inuits du Labrador. Nous avions déjà conclu des ententes de chevauchement avec les Inuits du Nunavut. Le secteur extracôtier intéresse cinq parties : le gouvernement du Canada, le gouvernement du Nunavut, les Inuits du Labrador, les Cris et les Inuits du Nunavik. Pour vous donner une idée, je dois vous dire que cela a pris tout ce temps pour en arriver à ce traité.
Ce traité constitue à de nombreux égards une étape importante pour les Inuits du Nunavik, le gouvernement du Canada et le gouvernement du Nunavut pour de nombreuses raisons. Permettez-moi de vous en énumérer quelques- unes. Ce traité remplit une promesse du Canada faite aux Inuits du Nunavik en 1985 au moment de la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois qui portait sur les droits des Inuits du Nunavik au Québec. À cette époque, le Canada avait promis de compléter le règlement des revendications territoriales des Inuits du Nunavik en négociant un traité couvrant la zone située au large des côtes du Québec. L'ARTIN est le traité protégé par la Constitution qui règle les revendications territoriales des Inuits du Nunavik dans la région extracôtière. L'adoption du projet de loi C-11 démontrera que le Canada a tenu sa promesse faite aux Inuits du Nunavik.
Ce traité et le projet de loi C-11, lorsqu'il sera adopté, confirmeront la création du parc national des Monts Torngat dans le nord du Labrador. Le projet de loi C-11 mettra non seulement en vigueur notre traité, mais il aura en plus pour effet de créer officiellement le nouveau parc national des Monts Torngat dans le nord du Labrador et de protéger cette importante partie du Canada. La création de ce nouveau parc national par le Canada a fourni aux Inuits du Nunavik l'occasion de confirmer leurs droits sur le nord du Labrador et de conclure une entente de chevauchement des droits avec les Inuits du Labrador. L'entente de chevauchement des droits permet aux Inuits du Nunavik et aux Inuits du Labrador de partager la gestion et les avantages découlant de la création du nouveau parc national des Monts Torngat et de continuer à pratiquer et à partager les activités de récolte des ressources fauniques dans le parc.
Le traité contient trois importantes ententes de chevauchement des droits avec trois groupes autochtones : les Cris de la baie James, les Inuits du Labrador et les Inuits du Nunavut. Je tiens à mentionner spécialement ces trois ententes de chevauchement des droits car elles sont le fruit de nombreuses années de dures négociations pour toutes les parties concernées. Lorsque le projet de loi C-11 sera adopté, ces ententes de chevauchement permettront à tous les groupes autochtones qui en sont signataires d'exercer et de partager leurs droits dans les zones de chevauchement en toute harmonie et en toute amitié.
Ces ententes de chevauchement peuvent servir de modèle dans le cadre d'autres négociations ailleurs au Canada. Trop souvent, les revendications territoriales autochtones sont réglées sans accorder suffisamment d'attention et de temps au chevauchement des droits et des territoires revendiqués par d'autres groupes autochtones. Cette approche est source de conflits et de litiges dans de trop nombreux cas. L'inclusion d'ententes de chevauchement dans un traité, comme cela a été fait dans l'ARTIN, est une approche beaucoup plus positive et productive pour régler les questions de chevauchement des droits des autres groupes autochtones. Le respect du point de vue de l'autre constitue l'élément clé dans ce domaine. Nous sommes reconnaissants envers le Canada d'avoir consenti les efforts et pris le temps d'inviter tous les groupes autochtones concernés à coopérer afin de conclure des ententes de chevauchement dans le cadre de notre processus de négociation.
Il existe de nombreux autres aspects positifs que le gouvernement du Canada a mentionnés lorsque ses représentants ont témoigné devant vous il y a un instant, de sorte que je ne vais pas revenir sur ces aspects. Il est très important pour les Inuits du Nunavik que ce traité soit adopté par le Sénat. Cela fait trop longtemps que nous y travaillons pour qu'il soit bloqué par une seule personne. Je suis désolé d'avoir à le dire, mais 80 p. 100 des personnes concernées ont voté et 78 p. 100 de la population a voté en faveur de cet accord. Il a été procédé à de vastes consultations. Les dirigeants de la société Makivik se sont rendus à deux reprises dans toutes les collectivités. L'équipe de négociation s'est rendue, en collaboration avec le gouvernement du Canada et le gouvernement du Nunavut, une fois de plus dans toutes les collectivités. Tout le monde a obtenu des copies de l'accord. Il est tout à fait faux d'affirmer que les Inuits ne savaient pas sur quoi ils votaient.
En tant qu'Inuk désireux de veiller à ce que mes droits soient protégés par la Constitution, une des premières questions que j'ai posées était de savoir si mes droits seraient protégés si cet accord était adopté. On m'a clairement répondu que ces droits seraient protégés par la Constitution. En tant qu'Autochtone, je pourrais continuer à chasser et à pêcher sur ces îles comme nous le faisons depuis des milliers d'années. Nous ne savons même pas depuis combien d'années nous utilisons ces îles.
J'ai fait un long voyage pour vous parler au nom des Inuits qui ont voté en faveur de l'accord et pour qu'il soit adopté par le Sénat. J'espère vraiment que ma visite servira à quelque chose. Si toutes les personnes qui ont voté en faveur du traité pouvaient être ici et vous dire ce que je suis en train de vous dire, elles le feraient. Malheureusement, cela leur coûterait trop cher de venir ici. Je peux vous assurer que je voulais veiller à ce que mes droits que j'ai obtenus avec la Constitution et pour lesquels les Autochtones ont tant travaillé seront protégés, et cela m'a été assuré. Si vous avez des questions de nature juridique ou technique, j'ai invité mon conseiller juridique, M. Silverstone, à m'accompagner pour le cas où je ne pourrais répondre à des questions juridiques ou techniques.
Cet accord contient beaucoup de bonnes choses et elles ont déjà été mentionnées. Je vous demande d'écouter les Inuits du Nunavik.
La présidente suppléante : Merci, monsieur Aatami. Je sais combien ce traité vous tient à cœur. Quelqu'un d'autre veut-il faire un commentaire?
M. Aatami : Je pense qu'un des négociateurs, M. Peters, pourrait vous dire quelques mots. Il a participé aux négociations depuis le début.
La présidente suppléante : Absolument.
Johnny Peters, négociateur en chef, société Makivik : Je parlerai en inuktitut.
[Traduction de l'interprétation]
Honorables membres du Sénat, je m'appelle Johnny Peters. Je suis le vice-président au développement des ressources de la société Makivik. J'étais également le négociateur en chef représentant les Inuits du Nunavik lors des négociations ayant mené à la conclusion de l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik.
Les documents d'information présentés dans le cadre de la présente audience expliquent en détail les principales dispositions du traité. J'aimerais prendre quelques instants pour vous expliquer l'importance de ce traité pour les Inuks du Nunavik et leurs familles.
Notre peuple tire sa subsistance de la terre depuis des millénaires. La terre, dans notre vision du monde, comprend les eaux marines et les îles. Plusieurs Inuits du Nunavik sont nés dans les îles et ont sillonné les eaux tout au long de leur vie pour y récolter des ressources marines. La sépulture d'un grand nombre de nos ancêtres et de nombreux sites archéologiques se trouvent sur les centaines d'îles comprises dans la région marine du Nunavik. Ces îles comptent également plusieurs lieux d'importance spirituelle pour notre peuple. Nos aînés se rendent souvent sur ces sites avec des jeunes afin de leur enseigner le mode de vie inuit et pour partager avec eux leurs expériences et leur savoir.
La plupart des Inuits sont nés dans un igloo. J'étais adolescent lorsque j'ai vu pour la première fois une personne venue du Sud. Beaucoup de choses ont changé dans nos vies mais notre attachement à la mer et aux ressources marines n'a pas changé. Nous utilisons la zone extracôtière tout au long de l'année. L'été, nous voyageons par bateau et établissons nos campements d'été sur les îles. L'hiver, la glace de mer est notre voie de transport pour la chasse au phoque et pour pratiquer la pêche sous la glace. Une grande partie de nos aliments proviennent de la région marine où abondent les phoques, les bélougas, les morses, le poisson et les oiseaux aquatiques. Nombre de nos compétences ont été acquises en pratiquant la chasse aux mammifères marins. Les jeunes chasseurs n'oublient jamais l'émotion ressentie lors de la capture de leur premier phoque.
Lorsque nous avons entrepris la négociation de ce traité, l'un de nos principaux objectifs était de nous pencher sur les problèmes complexes de compétence auxquels nous sommes tous confrontés concernant la gestion de la faune et des autres ressources qui se trouvent dans la zone extracôtière. Plusieurs espèces migrent et sont exploitées à la fois par les Inuits du Nunavik et les Inuits du Nunavut.
Nous avons réussi à créer des régimes de gestion dans l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik qui sont compatibles avec les régimes créés par l'accord sur les revendications territoriales du Nunavut. La collaboration et la coopération seront ainsi assurées.
Les régimes de gestion des ressources fauniques, d'aménagement du territoire et d'examen des répercussions des activités de développement créés par l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik possèdent tous des conseils au sein desquels les Inuits du Nunavik et les représentants du gouvernement travailleront en collaboration afin de gérer, d'étudier et de surveiller les terres, les eaux et les ressources de la région marine du Nunavik.
Depuis la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois en 1975, j'ai participé activement aux activités de gestion de la faune au Nunavik. La société Makivik possède un centre de recherche très respecté à Kuujjuaq et tient à jour une base de données unique concernant l'utilisation des terres et les connaissances écologiques. Cette base de données a été construite au cours des 30 dernières années et comprend de l'information recueillie dans le cadre d'entrevues réalisées auprès de centaines d'Inuits, dont plusieurs sont aujourd'hui décédés. Nous avons beaucoup à apporter à la mise en œuvre de ces nouveaux régimes.
Mesdames et messieurs les membres du Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, j'ai rêvé du jour où les droits des Inuits du Nunavik de récolter les ressources fauniques dans la zone extracôtière seraient clairement reconnus et protégés. J'ai rêvé du jour où les Inuits du Nunavik pourraient s'asseoir à la même table que les gouvernements afin de partager leur savoir traditionnel et leurs compétences dans le domaine de la gestion des ressources fauniques de la région extracôtière.
Nous avons travaillé longtemps et d'arrache-pied pour parvenir à ce jour. Je suis fier de ce que nous avons accompli dans ces accords, non seulement pour moi et ma génération, mais surtout pour nos enfants. Nous leur transmettons un sentiment de continuité à l'égard des terres qui les entourent et nous mettons à leur disposition une gamme d'outils qui leur permettra d'assurer la gestion des ressources.
Les Inuits du Nunavik ont massivement voté en faveur de la ratification de leur traité en octobre 2006. L'accord a été signé le 1er décembre 2006. Le temps est maintenant venu de conclure ce travail.
[Traduction]
La présidente suppléante : Merci, monsieur Peters.
Le sénateur St. Germain : J'ai participé à tout cela, en commençant par l'accord nisga'a. Je sais que ces négociations sont très difficiles. Je me suis abstenu de voter parce que les situations de chevauchement n'avaient pas été résolues. Nous devons vous féliciter d'avoir réussi à résoudre ces situations de chevauchement avec vos voisins et d'avoir fait des progrès.
Monsieur Aatami, les Inuits du Nunavik ont participé à la négociation de deux traités — la Convention de la Baie- James et du Nord québécois en 1975 et maintenant l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik, signé en 2006.
Pensez-vous, en vous basant sur votre expertise et votre expérience, que le traité signé récemment représente une amélioration par rapport à la Convention de la Baie-James et du Nord québécois? Quelle est, à votre avis, votre situation actuelle? Avez-vous fait des progrès, êtes-vous restés au même niveau et qu'en sera-t-il à l'avenir?
M. Aatami : J'étais trop jeune lorsque la Convention de la Baie-James et du Nord québécois a été signée, mais je peux vous dire que l'accord actuel est bien supérieur.
Je peux vous donner des exemples qui montrent pourquoi cet accord est supérieur à la Convention de la Baie-James et du Nord québécois. Dans cette convention, nous avions obtenu 2 à 3 p. 100 des terres, alors que le Nunavik a une superficie supérieure à celle de la France.
Avec l'accord actuel, nous sommes propriétaires de 80 p. 100 des îles et des droits tréfonciers. Nous aurons pour la première fois des conseils de gestion des ressources fauniques qui nous permettront d'exprimer notre avis sur ce que l'on doit faire près de ces îles et dans ces régions marines. Il y aura également des fonds d'indemnisation dont nous avons grandement besoin dans la région pour notre développement économique.
Avec les ententes de chevauchement que nous avons conclues avec les Inuits du Labrador et du Nunavut et les Cris, nous n'aurons plus de litige lorsque cet accord aura été ratifié. Les ententes de chevauchement sont des documents complexes et il faut parfois des années pour en conclure une, mais nous avons réussi à conclure des ententes avec trois parties différentes, à la surprise du gouvernement du Canada. Ceci est bien préférable. Il n'y a pas eu de cession de quoi que ce soit. Oui, ils utilisent le mot « certitude » dans certaines clauses, mais à notre avis, cet accord représente un progrès et est bien supérieure à l'autre.
Le sénateur St. Germain : Vous allez obtenir 80 p. 100 des terres. Avant cela, vous avez dit que vous n'aviez obtenu que 2 p. 100. Est-ce bien exact?
M. Aatami : Avec la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, nous avons obtenu 2 à 3 p. 100 des terres du Nunavik situées dans le Nord du Québec.
Le sénateur St. Germain : Est-ce que M. Peters avait participé au processus de ratification?
M. Aatami : En qualité de négociateur, il avait participé au processus de ratification avec les gouvernements du Nunavut et du Canada.
Le sénateur St. Germain : Nous savons tous que nous vivons dans un régime démocratique. Je suis sensible aux préoccupations de tous, parce que si les Métis avaient participé aux négociations, j'aurais voulu, étant donné que je suis un Métis, pouvoir faire entendre ma voix, c'est ce que je crois.
Je ne pense pas que nous puissions taire le fait que certaines personnes — pas nombreuses, mais certaines personnes — critiquent ce qui a été fait.
Voici ma question : Si vous deviez voter à nouveau sur la ratification demain, pensez-vous que vous obtiendriez les mêmes résultats, en vous basant sur l'information qui circule à l'heure actuelle, selon laquelle il y a eu apparemment 4 800 personnes qui ont voté en faveur de cet accord — 78 p. 100 — et 183 qui ont voté contre, et qu'il y a eu 10 abstentions? Pensez-vous que le pourcentage d'approbation de l'accord serait très proche de celui que vous avez obtenu?
M. Aatami : Cela n'a aujourd'hui aucune importance. Les gens ont déjà voté. Ils ont compris quelle était la teneur de l'accord. C'était un processus de ratification. Ils ont été consultés. Ils ont pu prendre connaissance de l'accord. Chaque ménage a reçu un exemplaire de l'accord. Il se trouvait également sur le site web. Peu importe donc ce qui se passerait s'ils votaient à nouveau. Ils ont déjà voté. Une fois qu'on a voté, c'est fini. Je pense néanmoins qu'ils voteraient encore massivement en faveur de cet accord.
Le sénateur St. Germain : C'est ce que je voulais entendre.
Le sénateur Adams : Je vais poser ma question en anglais. J'ai interrogé les fonctionnaires du ministère au sujet de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois. Auparavant, pour les mammifères comme les baleines et les ours polaires, il existait la possibilité de négocier entre le gouvernement territorial et l'accord sur les revendications territoriales conclu avec le Nunavik. Chaque année, les quotas étaient négociés. Est-ce bien exact?
[Traduction de l'interprétation]
M. Peters : Au Nunavik, le système des quotas pour la chasse à la baleine est un problème qui existe depuis longtemps parce que la province de Québec n'a aucune compétence sur les eaux marines ou sur les îles.
Le ministère des Pêches et des Océans a été très actif dans d'autres régions, comme au Labrador et au Nunavik, mais récemment, ce ministère a été actif dans le nord du Québec. Cela fait quelques années qu'il l'est.
Un des aspects qui complique les choses lorsqu'on parle de quotas, c'est que dans notre région, il y a une communauté inuite qui est visée par l'accord sur les revendications territoriales du Nunavut et qui est distincte de la nôtre. Ils peuvent chasser toutes les baleines qu'ils veulent, mais nous ne pouvons pas le faire. Nous sommes limités.
[Traduction]
Le sénateur Adams : Le Nunavut et le Nunavik vont-ils continuer à négocier au sujet des quotas de baleines, conformément à l'accord sur les revendications territoriales? À l'heure actuelle, le gouvernement du Nunavik bénéficie d'une limite de 12 milles. Je constate que vous bénéficiez d'une limite supérieure à 12 milles autour de la baie d'Hudson. Cela continuera-t-il à se faire à l'avenir, étant donné que c'est le MPO qui prend les décisions au sujet des bélougas et des autres espèces en péril?
M. Aatami : M. Peters a déjà mentionné les raisons pour lesquelles il fallait adopter cet accord; à savoir commencer les discussions entre le gouvernement du Nunavut et le gouvernement du Canada. Nous serons de véritables acteurs dans ce domaine, tout comme les conseils de gestion des ressources fauniques qui seront créés dans la région marine du Nunavik.
C'est la raison pour laquelle nous demandons que cet accord soit adopté, de façon à pouvoir examiner la question des bélougas ou de n'importe quelle autre espèce en péril. Je vais vous donner un exemple. Quel que soit le gouvernement compétent, que ce soit le gouvernement du Nunavut ou celui du Manitoba, la Loi sur les espèces en péril va toujours l'emporter dans les océans. Si le gouvernement du Canada estime qu'une espèce est en péril, ses décisions vont l'emporter, que j'aie ou non un droit ancestral. Je tenais à apporter cette précision.
Si nous adoptons l'accord, nous pourrons commencer les discussions au sujet des bélougas. Pourquoi est-ce que certains peuvent en chasser autant, alors que nous ne pouvons chasser qu'un petit nombre de la même espèce?
Le sénateur Adams : Cet après-midi, des fonctionnaires d'Affaires indiennes et du Nord canadien nous ont déclaré que nous possédions 2,2 p. 100 des quotas du secteur 0B de la région du Nunavut. Avec cet accord, ce chiffre passera à 10 p. 100. Est-ce que cela vaut également pour les quotas du secteur 0B?
M. Aatami : J'essaie de trouver la réponse. Je pense que nous avons déjà répondu à cette question. Il serait répétitif d'y répondre encore une fois.
Le sénateur St. Germain : Il a répondu à cette question.
Le sénateur Adams : Est-ce que M. Molloy pourrait examiner ce point?
La présidente suppléante : Non. M. Molloy n'est pas à la table à l'heure actuelle, sénateur Adams. Vous pourrez lui poser cette question plus tard.
Le sénateur Adams : J'ai entendu dire par Affaires indiennes et du Nord canadien qu'il y avait des quotas pour les régions 0A et 0B du Nunavut. Vous obtenez habituellement un pourcentage de ces quotas pour le Nunavik. Il est possible qu'ils n'aient jamais été négociés. Est-ce la façon dont cela fonctionne?
La présidente suppléante : Si nos témoins ne peuvent répondre à cette question, sénateur Adams, vous pourrez poser cette question demain aux fonctionnaires lorsqu'ils reviendront.
Le sénateur Joyal : J'aimerais faire un bref commentaire et redonner ensuite la parole au sénateur Watt, parce qu'il a été mentionné par le témoin et il n'a pas eu la possibilité de prendre la parole.
Monsieur Aatami, je m'oppose à votre affirmation selon laquelle il y a une personne qui empêche peut-être l'adoption de cet accord. Cela fait aujourd'hui 27 ans que je connais le sénateur Watt. Il a comparu devant moi lorsque nous parlions des droits ancestraux dans le cadre de l'article 35 de la Constitution. J'ai vu ce qu'il avait fait dans les mois suivants lorsque les premiers ministres du Canada ont décidé d'étudier la teneur de cet article de la Constitution. Il s'est battu pour tous les peuples autochtones du Canada, qu'ils soient indiens, inuits ou métis.
J'ai de la difficulté à accepter les commentaires que vous avez faits ici parce que nous ne sommes pas des spécialistes. Il n'y a pas beaucoup de sénateurs qui ont l'expertise et l'expérience du sénateur Watt. Nous apprenons beaucoup en l'écoutant et en assistant à une discussion entre lui et vous. Cela est utile non seulement pour les Inuits, mais pour tous les Canadiens, pour qu'ils comprennent les répercussions que peut avoir un accord et un précédent aussi important.
Nous sommes heureux de voir que vous avez réussi à vous entendre avec des groupes aussi divers et nombreux. Nous savons qu'il est très difficile d'en arriver à un consensus lorsque les différentes parties ont des antécédents et des histoires différentes, qu'il y ait eu des conflits ou qu'on ait célébré les accomplissements. Nous nous félicitons du fait que les divers groupes que vous avez mentionnés se sont entendus pour conclure un accord, mais le sénateur mérite qu'on le respecte. Je ne suis pas d'accord avec vous, parce que tous les jours, le sénateur Watt aide le Sénat à comprendre les répercussions des mesures législatives qui pourraient toucher les Inuits.
J'ai peut-être mal interprété votre déclaration, mais j'ai travaillé avec le sénateur Watt pendant 27 ans, et je peux vous dire qu'il a toujours essayé de faire en sorte que les Inuits aient leur place dans la société canadienne.
La présidente suppléante : Merci, sénateur Joyal.
M. Aatami : Avant que le sénateur Watt pose une question, j'aimerais faire un commentaire.
Au sujet de mon commentaire, je dirais que c'est la façon dont il est perçu par les Inuits du Nord du Québec; à savoir, il y a une personne qui a essayé de bloquer le processus sur lequel les gens avaient déjà voté.
Je connais le sénateur Watt depuis très longtemps; vous le connaissez depuis 27 ans. Je sais tout ce qu'a fait le sénateur Watt pour les peuples autochtones. Je l'ai reconnu dans le passé et je le reconnais encore aujourd'hui.
Nous nous trouvons toutefois dans une situation très différente aujourd'hui. Si vous voulez obtenir des renseignements au sujet des peuples autochtones et des Inuits du Nunavik, parlez aux représentants élus comme moi. Je suis prêt à venir vous parler des Inuits. Comme je l'ai dit, je n'essaierai jamais de réduire les droits que nous avons obtenus grâce à la Constitution. Pourquoi agirais-je de cette façon? Un Inuit comprendrait très bien ce que je veux dire.
Pour M. Peters, les ressources fauniques sont toute sa vie. C'est notre vie. Nous n'allons pas renoncer aux droits que le sénateur Watt a obtenus pour nous. Je le sais. Aujourd'hui, nous sommes en train de discuter de cet accord. Nous sommes très heureux de tout ce que le sénateur a fait pour nous; je ne l'ai jamais nié. Si j'ai dit quelque chose qui laissait entendre qu'il n'y avait que le sénateur Watt à s'opposer à cet accord, je l'ai fait parce que c'est la façon dont la situation est perçue par les Inuits du Nunavut.
Le sénateur Watt : Il ne faudrait pas s'en prendre aux personnes. Nous devrions tous être des professionnels. Sinon, nous n'avons rien à faire ici.
Je remercie le sénateur Joyal. Il reste encore beaucoup de problèmes à régler. Je pense que nous le reconnaissons tous.
Je ne suis pas ici pour vous empêcher de faire quoi que ce soit. Je suis ici pour défendre vos droits. C'est mon seul but. Je n'essaie pas de vous détruire ou de vous amener à faire croire quelque chose qui est faux. Je suis ici pour vous défendre et je ne fais rien d'autre. J'assume des responsabilités non seulement en tant que sénateur, mais en tant qu'Inuk qui est ici comme parlementaire, et je dois faire tout ce que je peux en respectant mes convictions et en tenant compte de la façon dont fonctionne le droit.
Comme vous le savez, il n'est pas possible que deux professionnels se marient parce qu'ils interprètent toujours les choses chacun à leur façon. C'est peut-être ce qui se passe actuellement. Je me pose tout de même encore pas mal de questions.
premièrement, je parle couramment l'inuktitut.
[Le sénateur Watt parle en inuktitut.]
Je sais qui nous sommes et c'est très important pour moi. Je peux toutefois vous dire quelque chose : le droit fonctionne de façon assez mystérieuse. Les détails, dont je m'occupe tous les jours, soulèvent toujours des problèmes. C'est ce que j'essaie de vous dire.
J'ai soigneusement examiné ce qu'a dit M. Molloy et les remarques qu'il a faites. Je comprends également pourquoi ces mesures ont été prises. Lorsque nous aurons des titres de propriété, nous aurons des libertés. Nous avions 100 p. 100 des droits relatifs à toutes les activités dans le domaine dont vous vous occupez en ce moment. Si le gouvernement ne comprend pas que vous avez 100 p. 100 et que vous avez un droit constitutionnel, il refusera de négocier avec vous. Il faut que cela soit très clair. C'est important.
Vous avez parlé de 80 p. 100 — les avantages que vous avez obtenus. Vous n'avez pas obtenu cela comme un titre de propriété. Il est clair que ces terres appartiennent au gouvernement du Canada avec un titre en fief simple, mais vous avez des droits supplémentaires. Cela est clair et c'est la façon dont fonctionne le droit.
Voici ce qui me préoccupe le plus, et je vais essayer de l'expliquer de façon à ce que tout le monde puisse me comprendre. Vous me dépouillez de mon inuktitude, si je peux m'exprimer ainsi. Lorsque je me réveillerai demain, je ne serai plus un Inuk parce que je dois respecter le droit en vigueur — c'est ce que M. Molloy a déclaré.
C'est la raison pour laquelle j'essaie de vous montrer qu'il y a des conséquences. Tout a des conséquences. Je sais que les gens ont voté en faveur de l'accord, mais ont-ils compris les conséquences? Je suis l'un d'entre vous. J'écoute la radio. J'ai suivi les programmes que vous avez diffusés dans les collectivités. Les questions que je soulève n'ont jamais été soulevées. C'est la raison pour laquelle nous sommes ici.
Je n'essaie pas de vous empêcher de faire quoi que ce soit, mais je dis simplement que si vous pensez que les droits ancestraux sont importants, pourquoi ne pas essayer d'améliorer ce texte? Nous avons probablement le temps de l'améliorer parce qu'il se trouve à l'heure actuelle entre les mains du comité. Je n'essaie pas de bloquer l'adoption de ce texte. J'aimerais que vous réussissiez. Cet accord comporte toutefois certaines faiblesses qu'il faudrait examiner et corriger.
Si nous ne réussissons pas à les corriger ici, alors je l'accepterai. Ou si les Inuits disent : « Eh bien, l'accord est conclu. Il a déjà été ratifié. Oublions ces conséquences », alors j'accepterai cela également. Au cours de 23 années que j'ai passées ici, j'ai perdu de nombreuses discussions, pour des raisons de politique partisane. Souvent, lorsque je commence à progresser, je perds ce que j'ai obtenu. Ce ne sera pas la première fois.
Voici ce que je veux vous dire : si vous perdez des droits ancestraux, ils seront perdus à jamais et vous ne pourrez jamais les récupérer. C'est la façon dont je vois les choses. C'est la raison pour laquelle je suis inquiet. Il n'y a pas d'autre raison.
La présidente suppléante : Merci, sénateur Watt, d'avoir fait cette déclaration. Je vais permettre à nos témoins de vous répondre et nous terminerons ensuite notre séance à 19 heures.
M. Aatami : Je n'essaie absolument pas de supprimer les droits ancestraux de qui que ce soit. J'ai parlé de façon très claire. Avant de signer quoi que ce soit, je voulais être sûr que ce que j'avais signé n'allait pas réduire les droits que vous et d'autres aviez obtenus après tant d'efforts et qui sont maintenant protégés par la Constitution. Il m'a été indiqué très clairement que le document que je signais serait protégé par la Constitution. C'est un traité. Il reconnaît tous les droits ancestraux garantis par la Constitution.
J'aimerais encore une fois être très clair, sénateur Watt. Nos droits ne seront absolument pas limités par cet accord. M. Molloy et d'autres vous ont clairement indiqué que les gains que nous obtenons seront protégés par la Constitution. Je suis déçu que vous n'ayez pas participé à tout cela avant. Cela fait 14 ans que nous négocions. Vous n'avez jamais posé de questions. Vous avez eu la possibilité de le faire, mais vous n'êtes jamais venu nous voir.
La présidente : Le but de la séance n'est pas d'accuser qui que ce soit. Je tiens à remercier tous les participants.
Putulik Papigatuk, négociateur, société Makivik : Cela fait un bon moment que cette question est à l'étude et elle a été ratifiée par une vaste majorité des Inuits du Nunavik.
Nous sommes à la veille de Noël, l'esprit de Noël est dans l'air, et étant donné que les Inuits du Nunavik ont ratifié l'accord, je pense qu'il serait approprié que le Sénat du Canada et les sénateurs transmettent un joyeux Noël au peuple du Nunavik.
La présidente : Merci pour cette suggestion, monsieur Papigatuk.
M. Peters : J'aimerais dire quelque chose au sujet du sénateur Watt. Il m'a embauché en 1993 pour participer aux négociations. Il était président de la société Makivik. Pendant 14 ans, j'ai négocié avec le gouvernement fédéral. Lorsque je lui ai montré l'accord sur lequel nous nous étions entendus après 14 ans, le sénateur Watt a déclaré qu'ils voulaient supprimer nos droits. Je ne comprends pas.
Il a dit que les Inuits ne comprenaient pas ce qu'était un vote. Que veut-il dire? Je ne le sais pas. Le sénateur était président de la société Makivik. On m'a demandé de m'occuper des négociations. Lorsque j'ai donné mes terres, je pensais que c'était mon île. Nous avons vécu ici pendant des milliers d'années avant que d'autres arrivent.
La présidente : Merci pour ce complément d'information, monsieur Peters. Nous comprenons que ces questions suscitent des sentiments très profonds chez tous ceux qui sont dans cette salle. Je peux vous garantir que nous allons tenir compte de ce que vous avez dit.
M. Aatami : J'aimerais dire un dernier mot. Je vous remercie tous encore une fois de nous avoir donné l'occasion de présenter notre point de vue. J'aimerais que mon conseiller juridique dise quelques mots.
Sam Silverstone, conseiller juridique, société Makivik : Je vais essayer d'être bref. J'ai écouté très attentivement ce qu'ont dit le sénateur Watt et d'autres sénateurs. Il semble exister un malentendu selon lequel il existe un droit autochtone pur, illimité et naturel, et que, lorsqu'on le modifie ou qu'on l'encadre dans un traité, alors on diminue ce droit. Cela n'est pas exact.
La Cour suprême du Canada a déclaré très clairement, au cours des dix dernières années, que dans un certain nombre d'arrêts très importants — le sénateur Watt en a d'ailleurs mentionné un —, lorsqu'on parle de droits ancestraux, il n'y a pas de droit absolu. Sous réserve de certains critères en matière de justification, le gouvernement a le droit de porter atteinte aux droits ancestraux, qu'il s'agisse de droits ancestraux reconnus ou non par un traité. Le gouvernement peut agir ainsi pour certaines raisons fondamentales, comme la conservation ou la sécurité publique, pourvu qu'il respecte les critères.
Lorsque les gens affirment que nous supprimons ces droits originaux, non garantis par un traité — à savoir que les gens peuvent chasser et pêcher où ils veulent — et que nous les échangeons aujourd'hui pour des droits plus restreints, cela n'est pas vrai. Ils sont déjà restreints et assujettis à des restrictions à cause de la Cour suprême du Canada.
La présidente : Je vous remercie de ces commentaires, monsieur Silverstone. Le comité va certainement entendre des témoins sur ce sujet. Vous pouvez dire quelques mots, sénateur Watt. J'essaie de ne pas envenimer les choses.
Le sénateur Watt : Monsieur Silverstone, je vous ai embauché et vous êtes peu à peu devenu un expert. Je sais ce que vous pensez. Je sais ce que pensent tous les autres, à l'exception des Inuits. Je parle des spécialistes juridiques. Vous êtes un partisan de la théorie de la boîte vide, voilà qui est clair maintenant.
La présidente : Cela dit, la séance est levée. Je vous remercie tous de votre patience.
La séance est levée.