Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 5 - Témoignages du 30 janvier 2008
OTTAWA, le mercredi 30 janvier 2008
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 11, Loi portant mise en vigueur de l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik et modifiant une loi en conséquence, se réunit aujourd'hui à 16 h 5 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs et témoins, je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-11.
Le sénateur Watt nous a fourni des documents, en plus de quelques lettres qui ont été envoyées. Avec votre accord, je vais donner lecture de la liste de ces documents, qui seront déposés comme pièces auprès du comité.
Liste des pièces concernant le projet de loi C-11 et l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik :
1. Projet de loi C-11.
2. Lettre à Pita Aatami, président de la Société Makivik, 8 mai 2007.
3. Lettre de Pita Aatami, président de la Société Makivik, 11 mai 2007.
4. Notes d'information sur l'accord établies par la Société Makivik, 4 avril 2007.
5. Lettre au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, 6 juin 2007.
6. Lettre du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, 18 septembre 2007.
7. Lettre au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, 16 octobre 2007.
8. Avis juridique sur le projet de loi C-11, l'accord et le résumé.
9. Hansard du Sénat, délibérations sur le projet de loi, 18, 20 et 21 juin et 14 novembre 2007.
10. Discours prononcé par l'honorable sénateur Charlie Watt au cours du débat de deuxième lecture du projet de loi, 29 novembre 2007, et communiqué de presse connexe.
11. Lettre à l'honorable Benoît Pelletier, ministre délégué aux Affaires autochtones, province de Québec, 14 décembre 2007.
12. Lettre à Claude Longpré, chef de cabinet du ministre délégué aux Affaires autochtones, 21 janvier 2008.
13. Lettre à Pita Aatami, président de la Société Makivik, 29 janvier 2008.
Il est également mention du lien électronique au texte complet de l'accord, que nous avons également sur papier, je crois.
Je vous remercie de votre patience pendant que je m'acquittais de cette formalité. C'est un grand plaisir pour nous d'accueillir au comité les représentants du gouvernement du Nunatsiavut. Nous avons ici M. William Barbour, ministre des Terres et des Ressources, et M. Veryan Haysom, conseiller juridique du gouvernement du Nunatsiavut.
Vous venez tous deux de très loin. Je vous remercie de vous être déplacés pour assister à cette réunion.
Monsieur Barbour, vous avez la parole.
William Barbour, ministre des Terres et des Ressources, gouvernement du Nunatsiavut : Je vous remercie. Bon après- midi. Je suis venu ici au nom du gouvernement du Nunatsiavut pour répondre à l'invitation de comparaître devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, dans le cadre de son examen du projet de loi C-11 concernant l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik.
Je suis accompagné de l'un de nos conseillers juridiques, Veryan Haysom, qui s'est occupé de l'accord entre les Inuits du Nunavik et les Inuits du Labrador. Il m'aidera à répondre aux questions juridiques spécialisées qui pourraient être posées.
Le gouvernement du Nunatsiavut appuie l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik. Il est en faveur de l'adoption par le Parlement du projet de loi C-11. Je vais vous présenter quelques renseignements de base sur les Inuits du Labrador et vous expliquer brièvement les raisons pour lesquelles nous appuyons la ratification par le Parlement de l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik.
Les quelque 6 000 Inuits du Labrador vivent surtout dans cinq collectivités de la côte nord du Labrador et dans deux collectivités du Labrador central, Happy Valley-Goose Bay et North West River.
Les Inuits du Labrador sont représentés par le gouvernement du Nunatsiavut, établi le 1er décembre 2005 lors de l'entrée en vigueur de l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador. J'ai été élu député à la première assemblée du Nunatsiavut, puis j'ai été nommé au Conseil exécutif à titre de ministre responsable des Terres et des Ressources au cours de l'automne 2006.
Les Inuits du Labrador jouissent de droits ancestraux et issus de traités à l'égard de la péninsule du Labrador et des eaux extracôtières de la péninsule, qui est partagée entre Terre-Neuve-et-Labrador et le Québec. Ils ont occupé ce territoire depuis des temps immémoriaux. Nos droits sur la partie du territoire située du côté du Labrador sont reconnus dans l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador.
Notre territoire ancestral est utilisé par d'autres peuples autochtones, et notamment les Inuits du Nunavik, qui vivent surtout au nord-ouest de notre région, au Québec, et les Innus, établis dans le sud-ouest du Labrador. Nous avons essayé d'entretenir de bonnes relations avec tous nos voisins. Même si nous avons eu des différends politiques, nous avons maintenu les liens personnels et familiaux et le respect mutuel.
Nous avons eu dans le passé des différends politiques avec la Société Makivik, mais ils ont été réglés grâce à un accord dit de chevauchement négocié entre la Société et l'Association des Inuits du Labrador. Je suis fier de dire que cet accord a été négocié par Pita Aatami, président de la Société Makivik, et moi-même, du temps où j'étais président de l'Association des Inuits du Labrador. Après 20 ans de pourparlers ardus, qui ont été suspendus à plusieurs reprises, l'accord a été officiellement signé par M. Aatami et mon successeur à l'Association, William Andersen III, à Kelowna, en Colombie-Britannique, le 24 novembre 2005.
Cet accord était fondé sur quelques principes fondamentaux simples. Il désigne une région de chevauchement et assure la reconnaissance réciproque de nos droits et intérêts respectifs dans cette zone. Les droits des Inuits du Nunavik dans la région de chevauchement sont reconnus à l'article 29 de l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik. Ceux des Inuits du Labrador dans la partie de la région de chevauchement située au large des côtes du Québec seront reconnus dans un modificatif de l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador. Leurs droits ancestraux dans la partie de la région de chevauchement qui se trouve en territoire québécois doivent encore faire l'objet d'un règlement à l'avenir.
L'esprit de partage et de coopération qui a présidé à la conclusion de l'accord sur la région de chevauchement est bien illustré par ce qu'il a été possible de réaliser en ce qui concerne le parc national des Monts-Torngat. Les Inuits du Labrador et ceux du Nunavik ont un droit de libre récolte partout dans le parc. Nous avons une entente sur les répercussions et les avantages relativement au parc, et nous siégeons en égaux avec le gouvernement du Canada à son conseil d'administration. Cela signifie que chacune des parties nomme deux des membres du conseil et que les trois parties s'entendent pour en désigner le président.
L'été dernier, j'ai assisté à la première réunion du conseil d'administration. J'ai été fier de constater que tous les membres, y compris le représentant de Parcs Canada, sont inuits. Un protocole d'entente prévoyant les modifications nécessaires à apporter à notre traité a été signé entre les gouvernements du Nunatsiavut, du Canada et de Terre-Neuve- et-Labrador. Il sera ratifié après l'adoption du projet de loi C-11 et entrera en vigueur à la même date que l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik. La réserve du parc national des Monts-Torngat deviendra officiellement un parc national à la même date.
Tout cela montre que les Inuits du Labrador ont un intérêt réel et direct à l'adoption du projet de loi C-11 par le Sénat. Je profite donc de cette occasion pour demander au Sénat, par l'entremise du comité, d'approuver ce projet de loi.
Je vous remercie. [M. Barbour s'exprime dans sa langue maternelle.]
Le sénateur St. Germain : Je vous remercie, monsieur Barbour, pour votre exposé. Je vous remercie aussi, monsieur Haysom, pour votre présence.
Si le projet de loi C-11 n'était pas adopté, quels seraient en principe les conséquences pour ceux qui ont négocié cet accord et pour les collectivités inuites voisines?
M. Barbour : J'ai parlé de notre entente de collaboration avec la Société Makivik, à laquelle nous avons souvent eu affaire au fil des ans. Même si l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik n'est pas approuvé, nous avons déjà prévu la modification de notre accord sur les revendications territoriales. Je n'ai donc pas l'impression qu'il y aurait des répercussions à cet égard. Pour moi, le plus important, c'est la coopération que nous avons actuellement avec toutes les parties, qui comprennent la Société Makivik, le gouvernement du Nunatsiavut et le gouvernement fédéral dans ce cas. Nous tenons beaucoup à ces bonnes relations. Y aurait-il des conséquences pour les collectivités? Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à cette question.
Le sénateur St. Germain : Parlons de l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador, c'est-à-dire votre accord. A-t-il apporté de la stabilité? A-t-il favorisé chez vous un développement économique plus important que ce n'était le cas auparavant? A-t-il apporté de la certitude à votre collectivité?
M. Barbour : Je crois, tant personnellement qu'à titre de ministre des Terres et des Ressources du gouvernement du Nunatsiavut, qu'il a apporté de la certitude. Nous savons ce qu'il nous est permis de faire. Nous savons quels engagements ont pris le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Nous savons ce que l'accord permet aux autres intervenants.
Notre accord sur les revendications territoriales assure aussi à d'autres — la Société Makivik et les Inuits du Nunavik, dans ce cas — certains pourcentages, surtout dans notre zone extracôtière.
Le sénateur Watt : [Le sénateur Watt s'exprime dans sa langue maternelle.]
Je viens simplement de remercier M. Barbour et M. Haysom d'être venus au comité aujourd'hui. Nous nous connaissons depuis des années. Nous avons également travaillé ensemble pendant un certain temps, depuis 1970, je crois.
J'ai été l'un des premiers à visiter le Labrador en motoneige du côté québécois — cela remonte à loin — pour encourager les Inuits du Labrador à s'intéresser à la défense de leurs droits. À l'époque, si vous vous en souvenez, cette question de droits était loin d'être reconnue dans le pays ou dans le monde.
Rien ne s'est fait avant que nous ne commencions à agir lors du rapatriement de la Constitution. C'est à ce moment qu'il était devenu clair que nous devions intervenir dans l'intérêt de tous les Inuits de l'Arctique, de concert avec les Premières nations et les Métis. Je crois que vous étiez alors président de votre organisation, monsieur Barbour... C'était peut-être un peu plus tard. Je me souviens du fait que M. Haysom est intervenu directement au tout début.
Même si je n'aime pas du tout l'idée d'occasionner des difficultés à des gens qui cherchent à obtenir une chose à laquelle ils croient, j'ai parfois la responsabilité de le faire, à titre de sénateur. Le Sénat est la Chambre du second examen objectif. Il a également la responsabilité de protéger les intérêts des groupes ethniques et des minorités, et particulièrement ceux des groupes autochtones.
Je veux que vous sachiez où je veux en venir. Je ne suis pas ici pour entraver délibérément un processus en cours. Toutefois, je dois à l'occasion mettre en évidence les obstacles qui se présenteront, à mon avis, un peu plus tard.
Monsieur Barbour, j'ai réuni sept séries d'arguments que je veux soumettre à des experts pour déterminer s'il y a violation de nos droits constitutionnels. C'est le point initial. Vous vous souviendrez que nous avions réussi, lors du rapatriement de la Constitution en 1982, à faire inscrire nos droits à l'article 35. On pourrait dire que ces droits sont déjà enchâssés dans les lois suprêmes du pays et que notre crainte de les perdre est infondée.
Toutefois, si nous étudions de près les détails juridiques du projet de loi C-11 et de l'accord, nous commencerons à nous rendre compte que des droits constitutionnels sont perdus à moins d'être mentionnés dans le traité lui-même. Tout ce qui n'y figure pas est perdu à jamais.
Un certain nombre de domaines n'ont pas été pris en compte : les connaissances traditionnelles, l'équipement traditionnel ainsi que la propriété culturelle et intellectuelle. Le texte n'en fait pas du tout mention. En même temps, cela place l'accord dans une situation telle que même ce qui est reconnu dans le traité peut être éliminé. Il serait en outre possible de supprimer des droits par voie réglementaire. Voilà un autre aspect du projet de loi qui m'inquiète beaucoup.
La Loi sur les textes réglementaires est une mesure législative du gouvernement du Canada. En un sens, elle ne s'appliquera pas à cet accord, ce qui signifie que nous ne bénéficierons pas de sa protection. Que ce soit à titre personnel ou collectif, nous n'aurions pas d'autre mécanisme que la Loi sur les textes réglementaires pour protéger nos intérêts.
Je m'inquiète en outre de beaucoup d'autres aspects. Ce serait trop long pour moi de les passer tous en revue. Je vais donc me limiter à vous présenter quelques exemples.
D'après l'accord, les Inuits du Nunavik renoncent à toute réclamation contre le gouvernement ou d'autres personnes à l'égard de préjudices passés, actuels et futurs, qu'ils soient connus ou inconnus, ce qui est contraire à l'article 8 du Code civil du Québec, contraire aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés concernant les droits juridiques et contraire à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.
Il faut que tout cela soit corrigé. Je ne m'opposerai pas l'accord si on y apporte les modifications voulues. Autrement, nous aurions à subir plus tard de graves conséquences. J'essaie de faire examiner toute cette affaire par mes collègues et par des experts. À titre d'Inuits, nous aurons à nous conformer à ce texte pendant très longtemps. Nous avons un pied au Québec et sommes donc régis par le Code civil et un autre pied dans l'océan, qui nous assujettit à la common law. Nous n'avons même pas commencé à examiner et, à plus forte raison, à harmoniser ces deux aspects.
Nous allons créer davantage de problèmes. J'espère avoir la possibilité, si le Sénat me le permet, de demander un plus long délai, non pour bloquer complètement l'accord, mais pour examiner soigneusement ces problèmes avant que nous ne commettions une très grave erreur. Comme vous le savez, il y a déjà beaucoup d'accords qui ne fonctionnent pas.
La présidente : Nous pourrions peut-être écouter maintenant les observations des témoins.
M. Barbour : [M. Barbour s'exprime dans sa langue maternelle.]
Je vais demander à notre conseiller juridique de nous donner son avis sur les questions soulevées par le sénateur Watt.
Dans l'ensemble, lorsque je considère l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador dans sa forme finale, je sais que j'ai affaire à une entente protégée par la Constitution. Nulle loi ne prend le pas sur la Constitution du Canada. Le fait de savoir que notre accord est protégé par la loi suprême du pays me rassure dans une certaine mesure.
Je vais maintenant demander à M. Haysom d'aborder les aspects juridiques pointus.
Veryan Haysom, conseiller juridique, gouvernement du Nunatsiavut : Sénateur Watt, vous soulevez là toute une gamme de questions que je vais essayer d'aborder de mon mieux.
Sur la question de savoir si des droits constitutionnels sont violés ou non par suite de la mise en œuvre du traité, je crois que vous avez soulevé trois questions : les connaissances traditionnelles des Inuits, la propriété intellectuelle et l'utilisation de l'équipement traditionnel. Si j'ai bien compris, vous voulez savoir si le traité aborde ces droits d'une façon inconstitutionnelle ou contraire à la Constitution.
Je ne prétends pas connaître à fond l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik. De toute évidence, j'ai travaillé sur certaines questions du point de vue des Inuits du Labrador et non du point de vue des Inuits du Nunavik.
À première vue, j'ai l'impression que les dispositions destinées à assurer la certitude ne s'appliquent pas aux droits liés à l'autonomie gouvernementale. Cela reviendrait à dire que ces dispositions ne s'appliquent pas aux droits relatifs aux connaissances traditionnelles et à la propriété intellectuelle. Je me trompe peut-être, mais si j'ai bien compris l'article 5 relatif à l'exploitation des ressources fauniques, il ne contient aucune disposition qui interdise l'utilisation de l'équipement traditionnel.
C'est un aspect que nous avons considéré du point de vue des Inuits du Labrador parce qu'ils exerceront leurs activités de récolte au large du Québec dans le cadre du même régime. Je suis persuadé qu'ils n'ont pas été privés du droit d'utiliser l'équipement traditionnel.
J'ai de la difficulté à comprendre votre inquiétude au sujet de la possibilité d'éliminer certains droits par voie réglementaire. À ma connaissance, le principe de base qui s'applique est le suivant : si une mesure législative quelconque — ce qui devrait comprendre les mesures subordonnées telles que les règlements — est incompatible avec le traité, c'est celui-ci qui l'emporte. Par conséquent, si un règlement contient des dispositions contraires à celles du traité ou incompatibles avec elles, les dispositions du traité l'emportent.
Au sujet de la Loi sur les textes réglementaires, sénateur Watt, je ne suis pas en mesure de répondre à votre question parce que je ne connais pas assez bien ce domaine. J'ai vu la disposition du projet de loi dont vous avez parlé. Je crois qu'il s'agit de l'article 11. Il me semble que le projet de loi relève du Parlement. Il est évident que cette disposition a une raison d'être. Je suppose que ceux qui la connaissent bien vous ont déjà donné ou vous donneront des explications.
La renonciation aux réclamations contre le gouvernement fédéral constitue une disposition plus ou moins normalisée des accords sur les revendications territoriales depuis la conclusion de l'accord du Nunavut ou même avant. Elle remonte à 1993. Si j'ai bien compris, c'est la conséquence logique du fait que le gouvernement fédéral a, lui aussi, besoin de certitude. Comme le sait quiconque a participé au processus de négociation des traités, l'un des objectifs est de lever l'incertitude quant aux droits du gouvernement fédéral, des gouvernements provinciaux et territoriaux et des parties autochtones. Les gouvernements veulent être certains, une fois qu'un traité a été conclu et qu'ont été réglées les questions liées aux droits ancestraux et à leurs conséquences, qu'ils n'auront pas à affronter des procès fondés sur les mêmes droits.
C'est une question difficile à laquelle sont confrontés tous les négociateurs. Il semble cependant que la disposition en question se fonde sur des motifs assez faciles à comprendre pour toutes les parties. Nous sommes tous assujettis à cette disposition et n'avons pas eu à nous en plaindre jusqu'ici.
La question de savoir s'il convient ou non de retarder l'adoption du projet de loi relève du Sénat et du comité. Je vous exhorte à y penser très soigneusement. Sénateur Watt, comme vous le savez mieux que la plupart d'entre nous, ces négociations traînent depuis des décennies. Il y a des perceptions relatives à la justice substantielle, à la justice procédurale et aux voies légales. Pour moi, l'un des problèmes les plus graves de la politique sur le règlement des revendications territoriales, c'est que les négociations prennent un temps infini. Cela suscite de la désaffection et fait grimper le coût des règlements à tel point qu'un procès peut sembler préférable. Je crois, par conséquent, qu'il faut y penser à deux fois avant d'envisager de retarder le processus. Je suis sûr que les sénateurs comprennent bien ces choses et que le Sénat les examinera soigneusement.
Si vous voulez bien me le permettre, j'ai une brève observation à formuler en réponse à la question du sénateur St. Germain. Si le Sénat envisage de ne pas approuver le projet de loi, il devra en peser soigneusement les conséquences. Dans le cas des Inuits du Labrador, le processus a été long et difficile et a abouti à un vote de ratification. Si, après ce vote, le Parlement avait dit non, qu'il n'était pas prêt à y donner suite, non seulement les Inuits du Labrador et tous ceux qui avaient participé de bonne foi au processus pendant des dizaines d'années en auraient été consternés, mais ce refus aurait eu des conséquences graves partout dans le pays sur le processus de règlement des revendications territoriales. C'est ce que je crois.
La présidente : Je vais accorder une brève question supplémentaire au sénateur Watt. Il y a d'autres sénateurs qui ont des questions à poser.
Le sénateur Watt : Monsieur Haysom, je voudrais répondre à deux points que vous avez mentionnés. Premièrement, vous avez dit qu'il n'y a pas, à votre connaissance, des aspects réglementaires susceptibles de supprimer des droits des Autochtones. L'accord considère un élément important de la vie des Inuits comme un droit commercial et non comme un droit de subsistance. Ce point est important parce que les Inuits devraient avant tout avoir le droit de manger, de vivre et de survivre. L'accord envisagé ne mentionne que l'aspect commercial, ce qui m'inquiète beaucoup. Étant moi- même inuit, je sais que, où que nous soyons, nous Inuits ne sommes pas disposés à changer notre mode de vie ou notre façon d'être actuelle. C'est un simple fait.
Deuxièmement, vous avez parlé de clarté. Il ne suffit pas que la situation soit claire pour le gouvernement. Nous Inuits avons aussi droit à des dispositions claires dans toute mesure législative qui nous touche. Voilà pourquoi je réclame la justice pour mon peuple, pour vous. Vous n'avez peut-être pas l'impression que c'est le cas, mais c'est en votre nom que je parle, au nom des Inuits et des peuples autochtones.
M. Barbour : Pour nous, la chasse et la pêche de subsistance viennent avant n'importe quoi d'autre, qu'il s'agisse de chasse sportive ou d'activités commerciales. Même si je n'ai pas lu le texte de l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik, j'ai l'impression que c'est la même chose dans ce cas.
J'ai mentionné le projet de parc national des Monts-Torngat. Je note à l'intention des peuples de Terre-Neuve-et- Labrador, où je vis, et de mes amis du Nunavut que dans le secteur des monts Torngat, les Inuits jouissent du droit exclusif de chasser l'ours polaire. Les non-Autochtones n'ont pas le droit de chasser et de pêcher dans ce secteur. Nous avons à cet égard des droits exclusifs dans le parc. Je tenais à le préciser.
Le sénateur Milne : Monsieur Barbour, vous avez négocié un accord sur la région de chevauchement, les monts Torngat et le parc national envisagé. Je crois savoir que les droits mentionnés dans l'accord des Inuits du Nunavik s'appliqueront, une fois que nous l'aurons adopté, à votre propre accord, dans le cadre d'un modificatif. Quel sera le processus suivi à cet égard?
M. Barbour : L'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik contient des dispositions à ce sujet. Dans notre cas, notre propre accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador renferme aussi une disposition de modification.
Le sénateur Milne : Cela se fera-t-il automatiquement?
M. Barbour : Le processus de modification est en cours.
Le sénateur Milne : Cet accord comprend-il un mécanisme satisfaisant de règlement des différends?
M. Haysom : L'accord sur la région de chevauchement entre les Inuits du Labrador et les Inuits du Nunavik prévoit un mécanisme en vertu duquel les parties établissent elles-mêmes un comité pour régler un éventuel différend. En cas de conflit entre Inuits, ce sont les Inuits eux-mêmes qui se chargent de le régler.
L'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador prévoit lui aussi un mécanisme de règlement qui s'appliquerait à certains différends portant sur le traité des Inuits du Labrador ou sur les gouvernements ayant compétence du côté du Labrador. Ce même mécanisme serait à la disposition des Inuits du Nunavik pour ce qui est de leurs droits du côté du Labrador.
Nous croyons savoir qu'il existe un mécanisme de règlement des différends pour le secteur situé au large du Québec. Les Inuits du Labrador devraient pouvoir s'en servir. Nous avons examiné les dispositions, qui nous semblent satisfaisantes.
Le sénateur Joyal : Je voudrais aborder une question qui pourrait sembler technique, mais qui pourrait avoir d'importantes conséquences constitutionnelles.
On trouve à la page 245 de l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik l'article 29 que M. Barbour a mentionné dans son exposé. Je vais citer le texte de l'accord — si vous l'avez devant vous — que le projet de loi vise à mettre en vigueur.
Je parle de la partie 29.5, intitulée Parcs nationaux, et plus précisément de la disposition 29.5.3, qui est ainsi libellée :
Une entente sur les répercussions et les avantages d'un parc conclue avec les Inuits du Nunavik ne fait pas partie de l'Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Nunavik et ne se veut ni un traité ni un accord sur des revendications territoriales et n'a pas pour but de reconnaître ou confirmer des droits ancestraux ou issus de traités au sens des articles 25 et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Je vais essayer de vous expliquer ce qu'un non-autochtone comme moi comprend en lisant ce texte. Je crois savoir qu'il y a eu un différend entre les Inuits du Labrador et les Inuits du Nunavik au sujet de la propriété des monts Torngat. Le différend a été réglé par une décision de la Cour fédérale en 1998. Par la suite, des négociations ont eu lieu avec le gouvernement fédéral au sujet de la façon dont les Inuits du Nunavik participeraient à la gestion du parc établi dans la région des monts Torngat.
L'entente conclue prévoyait des négociations sur la manière dont les Inuits du Nunavik exerceraient leurs droits dans les limites du parc.
Je trouve difficile de comprendre qu'une entente sur les modalités d'exercice de leurs droits par les Inuits du Nunavik ne s'inscrive pas dans l'affirmation de leurs droits en vertu de l'article 25 de la Charte. Il me semble étrange que l'exercice par un peuple autochtone de son droit de conclure une entente sur la gestion d'une région ne s'inscrive pas dans le droit à l'autonomie gouvernementale reconnu à l'article 25 de la Charte.
Comment pouvez-vous conclure avec le gouvernement une entente destinée à mesurer les répercussions et les avantages de votre présence dans un secteur donné quand le gouvernement refuse de reconnaître que vous ne faites là qu'exercer vos droits en vertu de la Charte?
Si les peuples autochtones n'exercent pas les droits que leur reconnaît la Constitution, quel genre de droits exercent- ils? Vous pourriez dire que ce n'est qu'un détail, mais il soulève une question importante au sujet de cet accord. J'essaie vraiment de comprendre. Peut-être y a-t-il des subtilités que je ne saisis pas. Pour moi, l'article 25 de la Charte reconnaît le droit des peuples autochtones à leur terre, ce qui implique le droit à la gestion de leur terre.
Comment peuvent-ils gérer leur terre si nous ne reconnaissons pas leur droit de le faire? C'est ce que je comprends en lisant cette disposition de l'accord qu'on nous demande de sanctionner en adoptant le projet de loi C-11.
M. Barbour : J'essaierai de vous répondre brièvement, après quoi M. Haysom prendra la relève.
Lorsque les Inuits du Labrador ont négocié leur accord sur les revendications territoriales, ils ont toujours pensé qu'il était entendu que le parc national constituait une région de chevauchement utilisée à la fois par les Inuits du Labrador et les Inuits du Nunavik. De l'autre côté, nous voulons protéger quelques régions du Labrador contre l'exploitation minière. Il y a eu beaucoup d'exploitation minière au Labrador. Nous souhaitions protéger ce secteur et créer un parc. Lorsqu'un parc national est créé, c'est Parcs Canada qui en est propriétaire. La province de Terre- Neuve-et-Labrador a donc cédé le secteur à Parcs Canada, le protégeant ainsi pour toujours contre l'exploitation minière.
Toutefois, dans l'entente sur les répercussions et les avantages des Inuits du Nunavik, nous nous sommes protégés en faisant préciser que la chasse et la pêche de subsistance dans le parc comprenait le droit exclusif de chasser l'ours polaire dans cette région du Labrador. Nous avons donc l'impression d'avoir protégé notre terre d'une certaine façon tout en assurant notre capacité de chasser et de pêcher. Dans les autres parcs nationaux, il n'y a ni chasse ni pêche.
Le sénateur Joyal : Lorsque vous avez signé avec Parcs Canada une entente sur la gestion de ce secteur, n'exerciez- vous à vos droits traditionnels? Si c'est le cas, l'entente s'inscrit dans les dispositions des articles 25 et 35 de la Charte.
Je ne comprends pas. Vous exercez votre droit de gérer votre territoire de concert avec Parcs Canada. C'est là un objectif très positif, mais comment se fait-il que cela ne s'inscrive pas dans l'exercice de vos droits constitutionnels, des droits que vous confère la Charte, quand vous le faites pour vous-mêmes? Lorsque vous avez signé l'entente avec le gouvernement fédéral, n'étiez-vous pas conscients du fait que vous le faisiez aux termes des articles 25 et 35 de la Charte?
M. Haysom : Sénateur Joyal, M. Barbour me laisse répondre à cette question. En un sens, elle est de nature technique, comme vous le dites, mais il y a des moyens relativement simples d'expliquer les choses à un profane... ce qui ne veut pas dire que vous en êtes un, sénateur.
La meilleure façon d'expliquer cette disposition particulière consiste à essayer de la comprendre dans le contexte de sa mise en œuvre. On trouve des dispositions très semblables, sinon identiques, dans l'article de mise en œuvre. En fait, les dispositions de ce genre sont relativement courantes dans un certain nombre de traités. Une entente sur les répercussions et les avantages d'un parc est une entente auxiliaire, au même titre qu'une entente de mise en œuvre. Elle dit en pratique que le traité vous reconnaît un droit de chasse partout dans le parc national. C'est tout. C'est ce que fait le traité.
Du point de vue de la gestion des parcs, il peut être nécessaire de préciser qu'il est souhaitable de préserver les ressources d'une rivière donnée ou de permettre aux touristes d'accéder à un secteur particulier. Si cela a des répercussions sur la possibilité pour vous d'exercer les droits que vous confère le traité et que vous en tirez des avantages en contrepartie, répercussions et avantages font l'objet d'une entente auxiliaire.
Une telle entente peut jouer dans les deux sens. Autrement dit, une fois qu'on s'est entendu sur les droits conférés par traité — par exemple le droit de chasser dans un parc national —, le gouvernement fédéral pourrait essayer, dans le cadre de négociations avec les Inuits, de retirer ces droits. Nous ne voudrions donc pas que l'entente auxiliaire soit assortie d'une protection constitutionnelle. Ce sera toujours une entente auxiliaire qui ne confère pas de droits ancestraux ou issus de traités, tout en respectant les droits prévus dans le traité. Une entente auxiliaire n'est qu'une entente de mise en œuvre.
L'article 25 de la Charte concerne les droits ancestraux et issus de traités et d'autres droits des peuples autochtones. Il ne se limite pas aux droits ancestraux et issus de traités. Il en découle, à mon avis, que la protection de l'article 25 s'étend aux droits acquis en vertu d'une entente sur les répercussions et les avantages d'un parc.
Le sénateur Joyal : Je comprends votre explication, mais elle n'infirme pas le fait qu'en droit, les textes auxiliaires maintiennent les principes de base. Autrement dit, si vous signez une entente auxiliaire, elle ne modifie pas la nature de vos droits fondamentaux. Ainsi, si vous souscrivez à un accord avec le gouvernement — s'il s'agit de la façon de gérer vos droits issus de traités —, je crois qu'il fait partie de vos prérogatives de les gérer à votre guise.
Si je possède une terre, je peux décider de l'exploiter moi-même ou de m'entendre avec une autre partie pour l'exploiter conjointement et partager les avantages. Cela ne change rien à la nature de mes droits. Je ne vois pas pourquoi j'accepterais de reconnaître dans l'entente auxiliaire qu'elle diminue mes droits par rapport à ceux que me confère le titre de propriété de ma terre.
Voilà pourquoi je crois douteuse la distinction que vous avez essayé de faire quant aux incidences futures d'un éventuel différend entre le peuple autochtone concerné et le gouvernement ou une tierce partie estimant qu'elle a des droits sur la terre exploitée.
M. Haysom : Sénateur, je crois comprendre votre argument. Permettez-moi cependant de reprendre votre analogie.
Si vous êtes propriétaire d'une terre en vertu du droit civil ou de la common law et que vous voulez vous entendre avec une tierce partie au sujet de cette terre, vos droits y afférents ne découlent pas de votre entente avec la tierce partie. Vos droits sont antérieurs à cette entente. C'est précisément la situation que nous avons ici dans le cas de l'entente sur les répercussions et les avantages.
Les droits de la partie autochtone sont inscrits dans l'accord et jouissent d'une protection constitutionnelle. La façon dont ces droits sont exercés par rapport à la Couronne relève de la mise en œuvre de ces droits : il ne s'agit dans ce cas ni de réclamer ni de définir ni d'attribuer des droits, il s'agit simplement de les mettre en œuvre. Voilà l'analogie.
À titre de propriétaire d'un bien en fief simple, vous le louez à quelqu'un. La négociation que vous engagez alors ne porte pas sur vos droits de propriétaire en fief simple. Vous possédez déjà ces droits et, en négociant un bail, vous les exercez d'une manière efficace, sans avoir à rouvrir un traité.
Le sénateur Joyal : Oui, mais mon titre de propriété d'une terre est indissociable de mon droit d'exercer les privilèges découlant de ce titre, en l'occurrence, de procéder à une récolte et d'exercer les trois genres de droits afférents à un titre de propriété.
Si je possède cette feuille de papier, je peux décider de la prêter au sénateur Milne en contrepartie de 25 ¢ pour chaque heure d'utilisation. Je peux décider de déchirer la feuille et de la brûler. J'en ai le droit, comme j'ai le droit de lire le texte imprimé sur la feuille pour améliorer ma connaissance de la Constitution du Canada. Ce sont les trois droits sous-jacents.
Lorsqu'un peuple autochtone signe une entente avec Parcs Canada, il exerce les droits que lui confère son droit à ces terres puisqu'il jouit de l'autonomie gouvernementale.
M. Haysom : Absolument.
Le sénateur Joyal : S'il se gouverne de cette façon, il ne diminue en rien ses droits fondamentaux à l'égard de ces terres qu'il possède.
M. Haysom : Non, pas du tout. En agissant ainsi, il affirme ses droits. C'est précisément la façon dont cette disposition s'applique. Elle ne remet pas en question les droits antérieurs, qui sont maintenant acquis. Grâce à l'entente sur les répercussions et les avantages, les Inuits exercent ces droits. S'ils choisissent de ne pas conclure une entente de ce genre ou si, une fois conclue, ils y renoncent, leurs droits demeurent entiers.
Il est question d'exercer ces droits sans rouvrir le traité et sans reprendre les négociations à leur sujet. La reconnaissance et l'affirmation des droits prévus à l'article 35 relèvent de l'article 35, à titre de droits ancestraux ou issus de traités. Il y a ensuite des ententes auxiliaires qui permettent de les exercer sans avoir, chaque fois, à revenir sur la question constitutionnelle.
La présidente : Je dois demander au sénateur Joyal si nous ne devons pas nous mettre d'accord sur le fait qu'il y a désaccord sur ce point. Le sénateur Baker et le sénateur Sibbeston ont eux aussi des questions à poser.
Le sénateur Joyal : Comme on dit au tribunal, il y a des nuances dans le projet de loi à cause des implications constitutionnelles que revêt une telle affirmation dans une entente devant être sanctionnée par voie législative. J'essaie de comprendre ses implications parce que la question pourrait être portée devant les tribunaux et qu'un juge pourrait alors demander ce que signifie cette disposition. Le texte comporte des nuances susceptibles d'avoir de multiples conséquences et peut-être des effets pervers. Ce n'est pas là une affirmation des droits issus de traités. Il y a donc lieu de s'arrêter pour réfléchir.
Le sénateur Sibbeston : Les parcs nationaux et les accords sur les revendications territoriales semblent être traités différemment. Même si les terres de parcs se situent en général dans les territoires traditionnels des peuples autochtones, elles continuent d'appartenir à la Couronne. Elles n'ont donc pas le même statut que les autres terres que les Inuits possèdent et contrôlent. C'est la conclusion à laquelle j'aboutis sur la base du processus de règlement des revendications territoriales des Inuvialuit de 1984. Un parc avait alors été créé et des lignes avaient été tracées sur une carte pour délimiter les zones dans lesquelles certains droits pouvaient être exercés à l'intérieur du parc. Toutefois, celui-ci demeure propriété de la Couronne et est géré conformément à la Loi sur les parcs nationaux du Canada.
Tandis que les négociations concernant un parc particulier se poursuivaient dans la région des Inuvialuit, d'importants gisements miniers ont été découverts. Les Inuvialuit ont voulu les exploiter, mais ils n'ont pas pu le faire parce qu'ils avaient accepté certaines conditions à cet égard. Je sais, d'après mon expérience des accords sur les revendications territoriales, que les parcs nationaux sont traités différemment des terres autochtones, étant régis par la Loi sur les parcs nationaux du Canada. Même si les Autochtones ont le droit de chasser dans le parc, leur droit de profiter de possibilités commerciales et autres sont très réduits.
La situation est probablement la même dans le cas qui nous occupe. Toute activité de mise en œuvre doit faire l'objet d'une entente distincte ne faisant pas partie de l'accord principal sur les revendications territoriales. Cela étant, je comprends pourquoi on a agi de cette façon dans ce cas.
Le sénateur Andreychuk : Ma compréhension de cette question est davantage celle d'un profane que celle d'un juriste. Quand on parle d'exercer un droit, on confirme par le fait même qu'on possède ce droit. Il faut en effet avoir un droit avant d'être en mesure de l'exercer en signant cette entente. C'est bien cela que vous entendez quand vous parlez d'« entente auxiliaire », n'est-ce pas?
M. Haysom : Oui, c'est exact.
M. Barbour : Pour revenir aux observations du sénateur Sibbeston, je dirais que, oui, les parcs nationaux sont des terres de la Couronne. Toutefois, en signant avec la Société Makivik un accord sur la région de chevauchement, nous avons voulu protéger un secteur contre toute exploitation future en cas de découverte de gisements miniers. Nous avons également protégé notre droit de pratiquer la chasse et la pêche de subsistance dans ce secteur. Personne ne peut le faire à part les Inuits.
Pour ce qui est de l'accord sur la région de chevauchement dont le sénateur Sibbeston a parlé, nous faisons encore la distinction entre deux, trois ou quatre catégories de terres : le parc national, qui appartient à la Couronne, les terres occupées et contrôlées par nos cinq collectivités, le territoire des Inuits du Labrador que nous contrôlons également et la zone d'établissement, qui appartient à la Couronne provinciale. Les accords sur les revendications territoriales prévoient ces catégories de terre. Pour notre part, nous avons choisi de protéger un secteur du parc national pour le garder intact.
M. Haysom : Le sénateur Andreychuk a su exprimer en termes courants le principe que j'ai essayé d'expliquer sans réussir à le faire. Je n'ai rien à ajouter à ce qu'ont dit le sénateur Sibbeston et M. Barbour.
Le sénateur Baker : J'ai trouvé extrêmement intéressant d'écouter nos témoins répondre aux questions parce que tous deux ont des connaissances très étendues. M. Barbour, que je connais personnellement, a une grande expérience de ce domaine dont il s'est occupé pendant les 20 ou 30 dernières années. Pour sa part, M. Haysom a plaidé devant la Cour suprême et la Cour d'appel de Terre-Neuve-et-Labrador dans des affaires portant sur la plupart des questions dont nous avons discuté aujourd'hui.
Le sénateur Watt a soulevé l'importante question de la protection des droits de subsistance et du droit d'utiliser les méthodes traditionnelles de chasse et de pêche dans ces accords. Il a dit que ceux-ci mentionnent les droits commerciaux, mais non les droits de subsistance. Comme le sénateur Watt le sait, l'article 27 du Règlement sur les mammifères marins, édicté en vertu de la Loi sur les pêches, exclut les bénéficiaires de certains traités. De ce fait, tous les procès actuellement instruits à Terre-Neuve-et-Labrador au sujet du saumon rouge et des blanchons, par exemple, n'auront pas d'effets sur les bénéficiaires de ces traités, selon la définition du Règlement sur les mammifères marins.
M. Barbour ou M. Haysom voudront peut-être formuler des commentaires à ce sujet, bien que je ne sois pas sûr s'il convient que M. Haysom le fasse.
M. Haysom : Sénateur Baker, je vous remercie de vos paroles aimables. Je ne suis pas sûr d'être en mesure de répondre aux attentes qu'elles suscitent.
Malheureusement, comme je n'ai pas le Règlement sur les mammifères marins sous la main, je ne pourrai pas me reporter aux dispositions précises que vous avez mentionnées. Toutefois, si j'ai bien compris les principes sur lesquels se fondent aussi bien l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik que l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador, les droits conférés par traité comprennent et protègent clairement la chasse et la pêche de subsistance. Par conséquent, si les dispositions d'une loi ou d'un règlement portent atteinte à ces droits, elles seraient inconstitutionnelles et frappées de nullité à moins qu'on ne puisse les justifier.
Le sénateur Baker : De quel article cela relève-t-il?
M. Haysom : Cela relèverait de l'article 35 de la Charte. Le principe est établi depuis la décision Sparrow et a été explicité de différentes façons par la suite. La justification consiste essentiellement à prouver l'existence d'un motif primordial d'une portée nationale ou même internationale, dans ce cas, d'imposer des restrictions sur un droit ancestral. Le traité définit le processus à suivre à cette fin.
Par exemple, d'après l'article 5, Ressources fauniques, de l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik, le ministre ne peut annuler une décision du conseil de gestion relative aux droits et aux techniques de récolte que pour des motifs très précis et très limités. De plus, il ne peut le faire qu'après s'être conformé à un processus prescrit respectant les exigences de consultation officielle et de consentement prévues dans les critères initiaux de la décision Sparrow.
Par conséquent, les droits dont nous parlons ne sont pas absolus, qu'il s'agisse de droits ancestraux ou issus de traités. Le grand avantage qu'il y a à les inscrire dans un traité, c'est que celui-ci définit les considérations, les critères et les processus à observer pour modifier ces droits d'une façon légale.
Je suis persuadé que ces principes s'appliquent également au Règlement sur les mammifères marins et à la Loi sur les pêches.
Le sénateur Baker : Madame la présidente, il serait utile, si nous en avons l'occasion, de demander au gouvernement de modifier ce règlement pour que la définition de « bénéficiaire » qui y figure s'applique aussi au Labrador.
La présidente : Nous avons d'autres témoins qui attendent et qui sont également très intéressants et très expérimentés. Je vais cependant permettre un second tour de table très bref à l'intention des sénateurs qui ont d'autres questions à poser.
Le sénateur Joyal : Je voudrais ajouter une observation au sujet de la question que j'ai soulevée. Je n'ai jamais vu une entente, qu'elle relève de la common law ou du Code civil, dans laquelle une personne dit : « Je signe cette entente avec une tierce partie, mais l'entente ne constitue pas une affirmation de mon droit de propriété en vertu de l'article 4 du Code civil du Québec ou de la common law. » Je n'ai jamais vu une telle chose dans une affaire commerciale ou civile. Cette affirmation semble équivalente à la disposition qui figure dans l'entente.
Par conséquent, je vous demande ce qui suit : quelles conséquences pouvons-nous tirer de cette affirmation? Quelles conséquences un juge pourrait-il en tirer?
M. Haysom : La disposition 29.5.3 de l'article 29 revient à ceci : les droits ayant été reconnus et inscrits dans la Constitution et bénéficiant d'une protection constitutionnelle à titre de droits issus d'un traité, toute réouverture ou renégociation de ces droits est de nature constitutionnelle.
Il est possible d'expliquer ainsi la disposition 29.5.3 : « Nous avons reconnu et affirmé ces droits dans le présent document. Vous pouvez donc vaquer à vos affaires et signer des contrats ordinaires conformément aux règles contractuelles ordinaires de toute administration compétente. Ce faisant, vous n'avez pas à rouvrir des questions constitutionnelles, à renégocier des traités ou à suivre précisément le même processus chaque fois que vous voudrez signer une entente avec des ministères ou une tierce partie. » Voilà ce que signifie effectivement cette disposition.
Le sénateur Joyal : Est-ce là ce que vous diriez devant un tribunal?
M. Haysom : Absolument. Je suis persuadé que telle est l'intention et tel est l'effet. Tout cela se situe dans ce contexte.
La présidente : Je suis sûre que vous trouverez une réponse simple à cette question. Monsieur Haysom, si votre argument tient, pourquoi cette disposition ne dit-elle pas simplement que l'entente sur les répercussions et les avantages du parc n'a pas pour objet de reconnaître d'affirmer, de modifier ou de diminuer, de déroger, et cetera. J'espère que vous comprenez ce que je veux dire.
M. Haysom : C'est simplement parce qu'on ne peut pas déroger sauf, bien entendu, avec le consentement des titulaires des droits en question. Si ces titulaires veulent exercer leurs droits d'une façon qui y déroge, il leur est loisible de le faire. Toutefois, ce ne serait pas une dérogation constitutionnelle à leurs droits. Il s'agirait simplement d'une entente contractuelle qui ne s'appliquerait que pendant la durée du contrat.
Le sénateur St. Germain : Avez-vous bien dit que des dispositions de ce genre figurent dans les autres accords? Je crois que le sénateur Sibbeston a laissé entendre que l'accord des Inuvialuit contient une disposition semblable à cause d'un parc national créé au moment où l'accord a été signé. Sénateur Joyal, je pense que vous étiez à l'autre endroit à ce moment.
Est-ce une disposition révolutionnaire? À votre connaissance, figure-t-elle dans d'autres accords?
M. Haysom : Oui, elle figure dans d'autres accords. Elle était probablement révolutionnaire dans le cas de l'accord nisga'a. Je ne crois pas qu'elle figurait dans les accords antérieurs, mais je peux me tromper. À ma connaissance, elle ne se trouvait pas dans l'accord des Inuvialuit, mais je n'ai pas l'impression que ce soit de cette question que parlait le sénateur Sibbeston.
Je crois que cela a commencé avec l'accord nisga'a. La disposition s'est également retrouvée dans l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador. Peut-être était-elle même dans l'accord tlicho. J'en suis à peu près sûr. Elle n'a cependant rien de révolutionnaire ou de nouveau en ce moment car elle remonte à l'accord final nisga'a.
La présidente : Je vous remercie beaucoup de vos interventions extrêmement intéressantes. Nous sommes désolés de ne pas avoir plus de temps, mais je suis sûre que vous connaissez les impératifs politiques qui nous imposent ces restrictions. Comme je l'ai dit au début de la réunion, nous vous sommes très reconnaissants d'être venus au comité et d'avoir parlé aussi franchement dans votre témoignage.
Honorables sénateurs, nous avons maintenant le privilège d'accueillir — je voudrais vous remercier encore une fois d'être venus de si loin pour vous joindre à nous ce soir — du village de Quaqtaq, Son Honneur le maire Johnny Oovaut et du village d'Inukjuak, Son Honneur le maire Johnny Naktialuk.
Messieurs, pardonnez-moi d'avoir massacré vos noms. J'espère que vous comprenez que nous sommes très heureux de vous accueillir parmi nous.
Son Honneur le maire Johnny Oovaut, village de Quaqtaq : Je ne suis expert en rien du tout et l'anglais n'est pas ma première langue. Il est bien possible que je ne comprenne pas certains mots, mais je ferai de mon mieux.
La présidente : Cela nous convient parfaitement.
M. Oovaut : Nous avons parlé de cet accord et l'avons examiné. Il y a eu aussi bien des critiques que des approbations.
Nous n'avons pas entendu grand-chose au sujet des aspects techniques de l'accord. On ne nous les a pas expliqués. Nous avions très peur de subir les mêmes pertes que dans le cas de la Convention de la baie James, qui a privé les Inuits de leur droit à la terre.
Nous n'avons pas vraiment entendu parler de cet accord. Comme je l'ai dit, nous ne comprenons pas trop bien l'anglais. Nous ne comprenons pas pourquoi le Nunavut figure encore dans cet accord qui est censé s'appliqué au Nunavik. Il y a dans cet accord beaucoup de choses que nous ne comprenons pas.
Nous nous posons nous-mêmes certaines questions. Il y a des aspects que nous aimons bien, mais il y en a d'autres qui nous déplaisent. Nous pouvons seulement dire que nous avons toujours cru que les îles appartenaient au Nunavut. Nous nous sommes toujours demandé pourquoi elles appartenaient au Nunavut alors que les gens du Nunavut ne les ont jamais vues. Nous ne l'avons jamais compris.
Je suppose que nous sommes très naïfs parce que nous n'avons pas l'impression de posséder quoi que ce soit, comme la terre, par exemple, tandis que les gouvernements possèdent tout, aussi bien la terre que le ciel. Ils se battent maintenant pour le pôle Nord en disant qu'il leur appartient. Nous avons toujours partagé la terre. Nous avons une culture de survie. Notre culture consiste à essayer de survivre et de nous entraider.
L'autre jour, je parlais à un ami qui vient d'Afrique. Il a dit que les Inuits seraient incapables de diriger le monde parce qu'ils sont trop gentils. Ce que j'essaie de dire, c'est que nous avons toujours pensé que nous possédions ces îles, à titre de peuple du Nunavik. Nous avons toujours cru qu'elles nous appartenaient. Nos pères et des membres de nos familles y sont enterrés. Certains chasseurs voulaient être enterrés sur ces îles parce qu'ils en tiraient leur subsistance, comme nous continuons à le faire aujourd'hui.
Pour nous, tout cela est très embrouillé. Nous entendons une version de l'histoire, puis nous en entendons une autre. Nous aimerions bien à un moment donné être légalement propriétaires de ces îles, les îles du Nunavik. [M. Oovaut s'exprime dans sa langue maternelle.]
Son Honneur le maire Johnny Naktialuk, village d'Inukjuak : Je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce qu'a dit M. Oovaut. La plupart des îles sont devant nous, ainsi qu'au nord et au sud de nos collectivités. Nous les utilisons pour notre subsistance depuis très longtemps, comme M. Oovaut l'a dit. Nous n'avons jamais imaginé que ces îles appartenaient à quelqu'un, mais nous les utilisons depuis toujours et aimerions continuer à le faire.
Comme l'a également dit M. Oovaut, nous avons entendu parler de certains détails techniques de l'accord. Nous savons qu'il y a des domaines qui font l'objet de différends juridiques et techniques. Nous ne prétendons pas bien connaître ces domaines. La plupart des gens à qui j'ai parlé sont très heureux du fait qu'une fois l'accord approuvé, nous aurons finalement quelque chose bien à nous. On a même parlé de services auxiliaires.
Comme M. Oovaut l'a mentionné, nous avons besoin d'éclaircissements, sans compter qu'une grande partie ne relève pas vraiment de nous. Nous avons besoin d'être mieux informés et, s'il y a deux points de vue, nous aimerions avoir l'occasion de nous asseoir pour en discuter. Les gens ont voté en majorité en faveur de l'accord. On nous a dit qu'il est meilleur que l'accord précédent et qu'il nous assure plus d'avantages. Nous espérons qu'il est vrai que cet accord est meilleur que le premier et qu'il nous évitera de refaire les mêmes erreurs.
Le sénateur St. Germain : Je sais, d'après les observations préliminaires de M. Oovaut, que vous n'avez pas l'habitude d'assister à des réunions comme celle-ci. Vous représentez tous deux des collectivités, à titre de maires. Monsieur Naktialuk, votre collectivité compte 794 électeurs, dont 744 ont voté : 725 d'entre eux étaient en faveur de l'accord et 18, contre. Monsieur Oovaut, dans votre cas, vous avez 180 électeurs, dont 137 ont voté, 134 en faveur de l'accord et 3, contre.
D'après les témoins représentant les signataires de l'accord que nous avons entendus, les signataires sont passés à la radio et ont fait de leur mieux pour informer les gens du contenu de l'accord.
Pouvez-vous le confirmer? Sont-ils allés dans toutes les collectivités? Sont-ils passés à la radio pour renseigner les gens sur ce que l'accord représentait pour eux? Cela explique-t-il que les gens aient été si nombreux à voter en faveur de l'accord?
M. Naktialuk : Oui, nous avons reçu beaucoup d'information des groupes qui se sont occupés de ce dossier. Je ne me souviens pas si toutes les parties sont venues chez nous, par exemple, les gens du gouvernement et de la ville. Je n'en suis pas sûr parce qu'il m'arrive de m'absenter.
Le sénateur St. Germain : Je ne sais pas si vous avez compris ma question. Je me suis occupé de beaucoup de ces accords, mais je ne suis pas un expert dans ce domaine. Toutefois, plus on voit de ces accords, plus on se rend compte qu'ils ont des points communs. Ils contiennent beaucoup de dispositions identiques, comme on peut le constater dans l'accord nisga'a, celui des Inuits du Labrador, celui du Nunavut et le vôtre. Il a fallu beaucoup de temps et d'argent pour en arriver à ce traité qui vous permet d'être propriétaires de vos terres... même si je crois que personne d'entre nous ne possède vraiment la terre, qui appartient plutôt au Créateur, Dieu ou autre, et dont nous ne sommes que les occupants temporaires. Quand je parle du Créateur, je ne l'entends pas nécessairement dans le sens biblique parce que mon peuple — les Ojibway, les Cris et les Sioux — croit en un Créateur qui n'est pas celui de la Bible.
Si vous avez l'assurance d'avoir l'utilisation exclusive de ces îles pour votre peuple, ne croyez-vous pas qu'il serait avantageux pour vous de signer cet accord?
J'ai siégé pendant des années au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. À ma connaissance, cet accord ne comporte aucune différence importante avec les autres pour ce qui est de l'assertion des droits, qu'il s'agisse de la chasse, de la pêche ou de la gestion de ces terres.
Croyez-vous que la plupart des gens puissent comprendre pleinement le contenu de ces accords si on leur donne un exemplaire du texte complet?
M. Oovaut : Mon père, qui est âgé de 81 ans, ne comprendra pas ces mots, dont certains n'ont pas d'équivalent dans notre langue. Par exemple, pour rendre le mot « ordinateur », nous avons une expression qui signifie « comme un cerveau ». Par conséquent, mon père ne comprendra pas cet accord écrit dans la langue du gouvernement. Je lis cet anglais, mais je ne le comprends pas. Comment mon père de 81 ans pourrait-il le comprendre?
De plus, les responsables tiennent pour acquis qu'ils ont informé les gens en leur parlant à la radio. Je ne crois pas que ce soit une forme acceptable de communication pour renseigner les gens sur des ententes de cette importance. Nous n'avons pas eu de réunions ou d'assemblées publiques.
Dans le cas de la Convention de la baie James, le sénateur Watt était allé partout pour en discuter en personne avec les gens.
Je me souviens d'une réunion avec les négociateurs qui nous ont parlé des îles que nous pourrions choisir. Pour ce qui est d'aller dans les collectivités avant le vote, nous n'avons reçu des visites que quelques jours avant que celui-ci n'ait lieu. Je n'ai eu le temps de lire qu'un article ou deux parce que, chaque fois que je commençais à lire le texte, il y avait des questions qui se posaient.
Nous avons trouvé très étrange — nous nous sommes même demandé si c'était légal au Canada — qu'on nous dise que si quelqu'un ne votait pas, c'était l'équivalent d'un vote négatif. Cette façon de procéder est-elle vraiment démocratique?
J'ai eu l'impression qu'on nous forçait à voter en faveur de l'accord parce que nous n'avons entendu que les arguments positifs, à savoir que nous allions recevoir un peu d'argent et que certaines îles nous appartiendraient. Pendant très longtemps, les gens ne pouvaient pas comprendre cette question de répartition à 80 et 20 p. 100. Ils se demandaient de quelles îles il s'agissait et à quoi correspondaient les 20 p. 100. Nous avons ensuite découvert que ces 20 p. 100, c'était l'île Akpatok et les îles Digges.
Comme je l'ai déjà dit dans mon exposé, nous avions toujours cru que ces îles nous appartenaient. Quand l'occasion s'est présentée d'en avoir légalement la propriété, nous avons voté « oui ». Nous avions peur de perdre ces îles si nous ne votions pas parce qu'on nous a dit que ce serait considéré comme un vote négatif.
Nous avons aussi trouvé que c'était très injuste parce que les jeunes en âge de voter ne s'intéressent pas ordinairement à la politique. S'ils ne votent pas, c'est comme s'ils disaient « non ».
La présidente : C'est la même chose partout au Canada.
M. Oovaut : Pourquoi nous a-t-on forcés à voter en nous disant qu'en ne votant pas, ce serait la même chose que de dire non? Nous voulions ces îles. Nous n'avons donc pas voulu dire non.
La présidente : Qui vous a dit cela, monsieur Oovaut?
M. Oovaut : [M. Oovaut s'exprime dans sa langue maternelle.]
Nous l'avons entendu à la radio.
Le sénateur Watt : C'étaient les partisans de l'accord.
M. Oovaut : C'était presque du chantage.
La présidente : Monsieur Naktialuk, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Naktialuk : Non.
Le sénateur St. Germain : Je n'ai rien à dire pour le moment.
Le sénateur Watt : Je voudrais me joindre au sénateur St. Germain pour dire que nous ne possédons même pas la terre.
Nous sommes ici aujourd'hui pour discuter de l'accord parce qu'à l'origine, nous étions les propriétaires et les occupants de la région en question. Cela représente un titre de propriété. Les négociateurs fédéraux ont dit très clairement que pour surmonter l'obstacle, nous devions supprimer les titres et les remplacer par la propriété en fief simple. Là est toute la question.
Je dis cela parce que cette question a été évoquée lors des discussions qui ont eu lieu entre le chef du Labrador et l'ancien sénateur Riel au sujet de la nature des négociations. Je tenais à ce que cela soit clair.
Je vous souhaite la bienvenue à tous deux.
[Le sénateur Watt s'exprime dans sa langue maternelle.]
Voulez-vous que je traduise ce que je viens de dire? Pour la gouverne de ceux qui ne comprennent pas ma langue maternelle, j'ai simplement souhaité la bienvenue aux témoins et je leur ai dit de parler librement et de dire en toute franchise ce qu'ils ressentent. Je les ai invités à nous parler de tout ce qui leur tient à cœur. Nous sommes ici pour écouter ce que vous avez à dire au sujet de l'accord.
M. Oovaut : De combien de temps disposons-nous?
La présidente : Comme nous avons commencé à vous entendre assez tard, nous avons au moins une demi-heure, peut-être un peu plus. Il est important pour nous d'écouter ce que vous avez à nous dire.
Le sénateur Watt : Les témoins ont dit qu'ils ne comprenaient pas grand-chose à l'accord. Lorsque les négociateurs se sont rendus dans les collectivités, ils ont fait de leur mieux pour donner des renseignements en utilisant la radio et un autre moyen de communication. Il est probable qu'ils ont, à l'occasion, parlé aux gens en personne.
Vous avez dit que, même si vous parlez et lisez l'anglais, vous avez de la difficulté à comprendre le texte de l'accord, c'est-à-dire ce que vous gagnez, ce que vous perdez et les conséquences. Cela est très important.
La Cour suprême du Canada a rendu une décision qui précise les mesures à prendre en cas d'atteinte à des droits.
[Le sénateur Watt s'exprime dans sa langue maternelle.]
Je viens d'expliquer en inuktitut le sens de l'expression « atteinte aux droits ».
Si le comité arrivait à la conclusion — je ne dis pas que ce sera le cas ni que nous réussirons — qu'il faut permettre aux Inuits du Nunavik de mieux comprendre ce que la prochaine génération devra accepter, seriez-vous d'accord pour que la mise en vigueur de l'accord soit reportée d'au moins deux ans? L'accepteriez-vous s'il est établi que l'accord viole des droits constitutionnels et nous empêche de recourir, comme tous les autres Canadiens, à certains instruments qui sont censés nous protéger comme êtres humains? Si le comité aboutit à cette conclusion, je suppose que la Société Makivik pourrait revenir sur sa décision. Autrement dit, cela ne s'appliquerait pas à nous.
Seriez-vous disposés à attendre dans ce cas? Je vous le demande parce que si la question finissait par arriver devant la Cour suprême du Canada, ou devant un autre tribunal, je ne crois pas que cela tiendra. Il y a beaucoup de zones grises qui doivent être clarifiées au préalable. La période d'attente de deux ans que je propose nous permettrait de tout revoir très soigneusement. Il est à espérer que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien sera disposé à reconsidérer certaines de ces questions, non pour éliminer complètement le projet de loi, mais plutôt pour y inscrire certaines conditions.
Cela serait-il acceptable pour vous? Nous avons besoin de savoir ce qu'il adviendra des Inuits, ce que seront les conséquences et les avantages.
Par exemple, les gens du Nord ne comprennent pas pourquoi, s'ils sont propriétaires à 100 p. 100 de la terre, on ne veut leur en laisser que 80 p. 100, avec un paiement en espèces de 53 millions de dollars. S'ils sont les propriétaires, pourquoi veut-on les appâter? Les gens se posent ces questions dans le Nord. Ils ont le droit de savoir qu'on veut leur enlever le titre de propriété pour le remplacer par la propriété en fief simple. Ce n'est pas un détail. Les gens ont le droit de savoir. Autrement, nous finirons par nous retrouver devant les tribunaux parce que beaucoup d'entre nous vont violer la loi et seront punis pour avoir fait une chose qu'ils croyaient avoir le droit de faire... Le droit de vivre, le droit à la vie.
Voilà ce que m'ont dit différentes personnes du Nord. J'espère que vous pourrez nous dire si vous trouvez acceptable de reporter de deux ans l'entrée en vigueur de l'accord.
M. Oovaut : Oui, je serais d'accord. Je trouve cependant que c'est dommage de le faire après que les gens ont voté. Il aurait mieux valu poser cette question un an avant la date du vote. Nous aurions ainsi eu le temps de poser les questions qui nous viennent à l'esprit.
Nous avons posé des questions au sujet du béluga, qui est mentionné dans la disposition 5.3.7. La question du béluga est plus controversée que l'accord lui-même.
Nous craignons que cette disposition ne soit utilisée pour mettre en place un plan de gestion du béluga. Je me suis demandé pourquoi cette disposition figure dans l'accord alors qu'il s'agit actuellement d'une chasse réglementée, qui est actuellement assujettie au Règlement sur les mammifères marins édicté en vertu de la Loi sur les pêches. Le gouvernement fédéral n'est pas prêt à mettre en vigueur cette réglementation. Lui donnerons-nous des pouvoirs supplémentaires d'exécution à l'égard du béluga? Nous n'avons ni cours fédérales ni avocats. Le gouvernement fédéral n'a pas de bureaux chez nous.
Est-ce que cette disposition lui donnera le pouvoir de mettre en place toutes ces choses? Nous ne sommes pas certains de la réponse à cette question.
Pour répondre à la question du sénateur St. Germain au sujet des îles, nous continuerons à les utiliser que l'accord soit approuvé ou non. Elles ne disparaîtront pas. Elles seront toujours là, et nous continuerons à les utiliser le plus longtemps que nous pourrons.
Il y a autre chose. J'ai toujours eu des amis archéologues. Je m'intéresse à l'archéologie depuis que j'étais petit garçon. Je sais que les archéologues ont emporté des vestiges inuits. Mon ami archéologue m'a dit qu'il aurait bien voulu que ces îles appartiennent aux Inuits du Nunavik pour qu'il n'ait pas à se rendre au Nunavut pour obtenir un permis. Il trouverait cela extrêmement utile. Nous devrions être propriétaires de ces îles pour être en mesure de délivrer des permis. L'Université Laval a fait des fouilles pendant cinq ans dans l'île Diana et a emporté plus de 100 000 objets, que nous n'avons jamais eu l'occasion de voir. Il y a aussi une île spéciale — j'ai une photo ici — que nous appelons l'île Qajartalik, où des visages sont gravés dans la pierre de savon. Nous aimerions protéger ces secteurs.
Les responsables du Nunavut ne sont pas là pour protéger ces îles. Ils ne peuvent pas les voir. Lorsqu'il a parlé de Davis Inlet, le premier ministre du Nunavut a dit : « C'est tellement loin que nous n'avons pas à nous en soucier. »
Le sénateur St. Germain : Depuis combien de temps vos gens négocient-ils cet accord? Il est difficile pour nous de comprendre que ces négociations durent depuis des années et des années. Ce n'est pas une chose que vous venez d'apprendre il y a peu de temps. Les choses ont évolué pendant des années pour aboutir à un accord de bonne foi avec vos gens et certains de vos chefs. De toute évidence, vos gens ont élu des représentants. La situation est à peu près la même que pour beaucoup de nos lois.
Je suis législateur, mais il y a beaucoup de questions qui passent au Parlement sans que je les comprenne à fond. Je dois cependant les accepter de bonne foi si j'ai élu quelqu'un pour me représenter.
La présidente : Ce n'est pas une question supplémentaire.
Le sénateur St. Germain : Savez-vous depuis combien d'années cet accord est en négociation?
M. Oovaut : Oui, nous avons entendu parler de cet accord depuis un certain temps. Nous en discutons depuis près de 13 ans. On nous a dit qu'un accord sur les revendications territoriales était en négociation, mais on ne nous a jamais donné de détails. C'est tout ce qu'on nous a dit. Nous connaissions les grandes lignes, mais pas les détails.
Le sénateur Watt : Vous avez dit qu'il aurait fallu vous parler avant le vote de ce report de deux ans destiné à nous permettre de mieux comprendre l'accord. Ce délai nous donnerait même la possibilité de dire au gouvernement fédéral que nous ne pouvons pas accepter l'accord parce qu'il ne tient pas debout. Il pourrait aussi nous permettre d'aller jusqu'à envisager l'harmonisation du Code civil et de la common law. Étant Québécois, vous êtes assujettis au Code civil, tandis que la common law s'applique dans les régions extracôtières. Ce serait un cauchemar pour nous, surtout que les autorités fédérales de Pêches et Océans Canada ont commencé à prendre des mesures.
Comme mes collègues l'ont souligné, la Loi sur les pêches et la Loi sur les espèces en voie de disparition font passer le béluga dans une catégorie qui en interdit l'exploitation. L'accord lui-même, comme vous l'avez mentionné, gèle les prises autorisées pendant 20 ans. Les scientifiques et les groupes traditionnels ne s'entendent pas sur la question de savoir si les stocks de béluga diminuent. Si ce n'est pas le cas, le béluga n'a pas à figurer dans la liste des espèces en voie de disparition. Des accusations ont été portées contre un certain nombre de personnes qui ont pris des bélugas. Ces personnes n'auraient pas dû être inquiétées.
Vous avez dit que cette question et d'autres vous préoccupent. Elles pourraient être réglées dans cette période de deux ans. Vous n'auriez pas à vous soumettre aux dispositions de cet accord, dans sa forme actuelle.
Êtes-vous d'accord? Je vous pose la question une fois de plus, même si vous y avez déjà répondu en disant que cela aurait dû être fait avant.
M. Oovaut : Au sujet du béluga, j'utiliserais cet accord pour faire fixer de meilleurs quotas. Par exemple, Kuujjuaq compte 2 000 habitants. Ce n'est qu'un exemple, mais nous pourrions dire que nous attribuerons 50 baleines à Kuujjuaq, 15 autres à Aupaluk, et ainsi de suite. S'il est possible d'utiliser l'accord pour le faire, ce serait parfait. Par contre, si l'accord est utilisé contre nous, je dis non.
M. Naktialuk : Je voudrais aborder la première question concernant le temps. Il serait utile pour tout le monde de prendre le temps nécessaire pour reconsidérer les sujets qui font l'objet de contradictions, comme les interprétations juridiques. Certains d'entre nous sont incertains parce que toutes les parties nous demandent de les croire et que nous ne savons pas à qui nous devons faire confiance.
Certaines questions, et surtout les détails juridiques, nécessitent que les deux parties se rencontrent pour se mettre d'accord.
On nous a également dit, au cours des visites dans les collectivités, que l'accord comprend un mécanisme de règlement des différends. Ce n'était pas le cas dans le précédent. On nous a dit que, cette fois-ci, des dispositions ont été inscrites dans l'accord à ce sujet. Nous croyons que ce mécanisme devrait servir à éliminer les points de désaccord.
Depuis les années 1980, nous entendons parler de cela de temps en temps. Comme M. Oovaut l'a mentionné, nous ne sommes informés que des grandes lignes. Je me souviens qu'à l'époque, la répartition de 80 et 20 p. 100 était inversée. Le gouvernement devait garder 80 p. 100 des terres et en laisser 20 p. 100 aux Inuits. Bien des années plus tard, après beaucoup d'efforts, c'est maintenant 80 p. 100 pour nous. On nous informe donc des choses de ce genre, mais non des détails techniques ou juridiques.
Le sénateur Milne : Je trouve très troublant ce que ces messieurs nous disent de la façon dont on les informe du contenu de l'accord.
Lorsque viendra le moment de voter sur cette question, nous devrions, parallèlement à notre rapport, formuler des observations signalant que deux des maires de la région se sont plaints du manque de détails de la trousse d'information envoyée aux gens.
Monsieur Oovaut, vous avez mentionné deux îles en particulier. Est-ce celles qui vous appartiennent ou celles qui ne vous appartiennent pas? Font-elles partie des 20 ou des 80 p. 100?
M. Oovaut : Elles font partie des 20 p. 100.
Le sénateur Milne : Elles font donc partie des 20 p. 100 qui ne vous appartiennent pas. Comptez-vous les utiliser de toute façon?
M. Oovaut : Nous ne pouvons pas les utiliser. Ce ne sont que des falaises.
Le sénateur Milne : Vous êtes donc satisfaits de ne pas les avoir, n'est-ce pas?
M. Oovaut : Elles abritent des colonies d'oiseaux.
Le sénateur Milne : On nous a dit que c'est le cas de la plupart des parties que le gouvernement se réservait.
M. Oovaut : Oui, elles abritent des colonies d'oiseaux.
Le sénateur Milne : J'espère que vous trouvez cela encourageant.
Au cours des séances d'information, y a-t-il eu des efforts qui ciblaient particulièrement les femmes inuites? Auront- elles accès aux mêmes droits et aux mêmes avantages que les hommes? Y a-t-il eu des discussions quelconques à ce sujet?
M. Oovaut : Où est-il fait mention d'hommes et de femmes?
M. Naktialuk : Je n'en ai jamais entendu parler.
Le sénateur Milne : C'est la raison pour laquelle je vous pose la question.
M. Oovaut : Je vous répondrai par une autre question : où parle-t-on de cela?
Le sénateur Milne : J'en déduis qu'il n'y a pas eu de discussions. L'accord garantit à chacun les mêmes droits, n'est- ce pas?
M. Oovaut : Il n'y a pas de doute que l'intention d'informer la population était réelle, mais on n'a pas prévu assez de temps pour le faire. Les politiciens essaient toujours d'obtenir des avantages pour ceux qu'ils représentent. Il serait suicidaire pour la Société Makivik de ne pas le faire car, autrement, nous nous débarrasserions rapidement des élus au vote suivant. Il y a toujours de bonnes intentions.
Le sénateur Milne : À titre de maire, vous êtes vous-même dans la même situation.
M. Oovaut : Oui.
Le sénateur St. Germain : Il n'y a pas de doute, messieurs, que de longues négociations ont eu lieu. Ayant lu et examiné l'accord, je crois que toutes ses dispositions correspondent à celles des autres accords. J'espère que vous jugerez bon de vous y conformer car je crois qu'il est avantageux pour vos gens. De toute façon, je vous remercie d'être venus au comité.
La présidente : Je vais demander à notre analyste de m'aider. Pour répondre à la question posée tout à l'heure par le sénateur Milne, il me semble bien avoir vu dans l'accord une disposition disant qu'il s'applique également aux hommes et aux femmes. Je n'arrive plus à la retrouver. Je vais donc voir s'il est possible d'examiner cette question.
Le sénateur Milne : Je n'arrive pas à trouver la documentation que nous avons reçue d'une femme au sujet du béluga. Je sais que je l'avais dans ma pile de lecture d'aujourd'hui, mais je n'arrive pas à mettre la main dessus.
Le sénateur Watt : Vous m'avez entendu à plusieurs reprises parler aux gens à la radio et en personne pour expliquer que je m'inquiète beaucoup de la violation de nos droits constitutionnels. Sur le plan juridique, ces droits n'existaient pas ou n'étaient pas reconnus avant 1982.
Les partisans de cet accord ont souvent dit qu'il empiète en rien sur nos droits constitutionnels. Leurs arguments reposent sur le fait que la Constitution est la loi suprême du pays et, partant, que nos droits ne sont pas menacés.
Je ne suis pas de cet avis. Nos droits sont menacés parce qu'ils ne sont reconnus que dans la mesure où ils sont mentionnés dans le traité. En même temps, ce qui figure dans le traité peut nous être enlevé ou être modifié par voie réglementaire.
Sur la base de ce fait, nous avons négocié dans le passé ce qu'on appelle une disposition de non-dérogation en vertu de l'article 25 de la Charte. Cette disposition nous protégerait si le gouvernement cherchait à empiéter sur nos droits. Or la disposition de non-dérogation ne figure pas dans le projet de loi.
Notre comité a produit un rapport, juste avant Noël, portant sur la disposition de non-dérogation. Je vais vous poser une question à ce sujet, monsieur Oovaut. Je vous demande d'écouter attentivement. Je compte recommander au comité d'utiliser une disposition de non-dérogation pour protéger nos droits ancestraux. Êtes-vous d'accord avec cela ou bien vous est-il égal de perdre vos droits ancestraux? Il y a beaucoup d'incertitude à cet égard. Ma question est peut- être un peu trop directe.
Le sénateur St. Germain : Oui, un peu trop.
Le sénateur Watt : Voulez-vous que je me rétracte?
Le sénateur Stratton : Non.
M. Oovaut : Je peux répondre à cette question. Je ne vois pas de mal à mettre cela par écrit pour protéger les droits ancestraux. J'aimerais aussi qu'il y ait quelque chose au sujet de l' » assimilation ». Je ne veux pas que des non-Inuits cherchent à nous assimiler. Il serait probablement utile de mettre cela par écrit. C'est tout ce que je peux dire. C'est là un mot controversé que j'ai déjà entendu, mais je dirais que nous sommes une société distincte.
Le sénateur St. Germain : Nous avons déjà entendu cela.
M. Oovaut : C'est vrai. Qui peut vivre dans l'Arctique comme nous? Il n'y a pas beaucoup de gens capables de vivre dans le Nord comme nous. C'est notre terre, et nous devons la protéger. Nous devons également protéger notre culture et nos gens. Il serait peut-être plus juste de dire que nous sommes uniques au Canada.
Nous sommes différents. Je dois vous dire que je fais des démarches pour célébrer notre quatrième millénaire au Nunavik afin de prouver que nous sommes là depuis 4 000 ans.
La présidente : Est-ce que votre ami archéologue vous aidera à le prouver, si des preuves sont nécessaires?
M. Oovaut : Oui, j'ai la preuve.
Le sénateur Watt : Aux termes de l'accord, le Nunavik recevrait 50 millions de dollars sur une période de 10 ans en contrepartie des droits ancestraux existants. Comme il y a 11 000 Inuits au Nunavik, il y aura donc moins de 500 $ par personne et par an pendant 10 ans. Cela est-il suffisant?
Le sénateur St. Germain : D'où tenez-vous ce renseignement, monsieur?
Le sénateur Watt : Je l'ai pris dans l'accord.
Le sénateur Stratton : Quelle est votre définition de « suffisant »?
Le sénateur Watt : Il s'agit de savoir ce qu'une personne peut faire de 500 $. Est-ce que cela représente ma valeur, en tant qu'Autochtone?
Le sénateur Stratton : Dites-nous, s'il vous plaît, ce que vous entendez par « suffisant ».
La présidente : Monsieur Naktialuk, essayez-vous de répondre à la question?
Le sénateur Andreychuk : J'ai l'impression qu'il répondra quand les sénateurs voudront bien lui en donner la possibilité.
M. Naktialuk : Pour la majorité des gens à qui j'en ai parlé, l'argent est là. Toutefois, la plupart des gens croient que la propriété des îles est plus importante que l'argent.
Le sénateur St. Germain : Très bien.
Le sénateur Andreychuk : C'est encourageant.
M. Naktialuk : Nous avons toujours pensé que ces îles nous appartenaient. Maintenant qu'on nous a dit que ce n'est pas le cas, nous serions heureux de les ravoir, indépendamment de l'argent. Nous nous sommes en fait demandé si on ne nous donnait pas l'argent pour nous inciter à voter en faveur de l'accord. La question est discutable.
Quelqu'un a parlé d'assimilation. Sauf erreur, même notre Convention de la baie James et du Nord québécois a été signée avant l'abrogation de la politique sur l'assimilation. Maintenant que j'y pense, c'est le genre d'information qu'on nous transmet après coup.
Nous espérons que le gouvernement se montre honnête avec nous. Toutefois, s'il y a dans ce document n'importe quoi qui ressemble à une politique d'assimilation, nous voulons, s'il y a un différend à cet égard, qu'on cherche à le régler pour que nous ne perdions pas cet accord et les îles et que nous n'ayons pas à tout recommencer.
La présidente : Je vous remercie. Je l'ai dit tout à l'heure et je le répète : nous vous sommes très reconnaissants d'être venus de si loin pour assister à cette réunion.
Monsieur Oovaut, je voudrais revenir sur une chose que vous avez dite. Je tiens à vous assurer que chaque membre de ce comité et, en fait, chaque sénateur veut agir dans l'intérêt de votre peuple, ce qui comprend la reconnaissance du fait que vous êtes différents. Vous avez toujours été et vous êtes aujourd'hui différents des autres Canadiens. Cela est important pour nous tous. Nous pouvons avoir des points de vue différents quant à la meilleure façon d'aller de l'avant, mais je tiens à ce que vous sachiez que nous agissons tous de bonne foi dans votre intérêt et que nous faisons tout ce que nous pouvons pour vous.
Sénateurs, je voudrais attirer votre attention sur un mémoire faisant partie de la documentation que vous avez reçue, que nous a fait parvenir M. Joanasie Koperqualuk.
Le comité tiendra une réunion demain à 10 h 45 dans cette salle. Nous procéderons à l'examen article par article de deux projets de loi, le projet de loi S-213 et le projet de loi C-11. Vous vous souviendrez que le projet de loi S-213 est celui du sénateur Lapointe.
Le sénateur Watt : Je m'excuse de vous interrompre, mais j'ai une question à poser. Vous venez de parler du mémoire de M. Joanasie Koperqualuk. C'est la première année que je siège au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Je voudrais donc savoir de quelle façon nous procéderons à ce sujet. Entendrons-nous ce qu'il a à nous dire?
La présidente : Il n'a pas pu venir au comité. C'est la raison pour laquelle nous lui avons demandé de présenter des observations écrites. Nous n'avons pas l'habitude de donner lecture des documents dont nous disposons. Nous avons le mémoire dans les deux langues officielles. J'ai tenu à le mentionner aux membres du comité pour qu'ils aient la possibilité de le consulter avant notre réunion de demain.
Nous pouvons également déposer le mémoire.
Le sénateur St. Germain : Le ferons-nous demain matin?
Le sénateur Andreychuk : Nous pouvons le faire maintenant.
La présidente : Je vais considérer que le comité a convenu de déposer le mémoire tout de suite.
Le sénateur Watt : J'ai une autre question à poser.
La présidente : Sénateur Watt, avons-nous une raison de garder encore nos témoins?
Le sénateur Watt : Il est important qu'ils entendent la question que je veux soulever parce qu'ils transmettront à d'autres ce qu'ils auront entendu et ce que nous avons à dire. C'est important.
Je m'attends à ce que le comité reçoive énormément d'observations écrites. Je sais que lorsque mon peuple prend conscience d'une chose, il agit. Il lui a fallu un certain temps pour se rendre compte de ce qui se passe ici. Il ne manquera pas de réagir tôt ou tard. Je m'attends donc à ce que nous recevions beaucoup de mémoires.
Qu'est-ce que nous en ferons après coup?
La présidente : Si le comité a déjà procédé à l'examen du projet de loi article par article et en a fait rapport au Sénat, il nous incomberait, si nous le croyons nécessaire, à titre de sénateurs et de membres du comité, d'attirer l'attention du Sénat sur les documents reçus pour qu'il en tienne compte au cours du débat de troisième lecture.
Le sénateur Milne : Cela peut également se faire à l'étape du rapport.
La présidente : Oui.
Le sénateur Watt : Il y aurait alors une disposition de réexamen d'une forme ou d'une autre. Ce qui viendrait du Nord n'aurait donc plus aucun effet?
La présidente : Non, pas nécessairement.
Le sénateur Watt : C'est ce point que je voudrais éclaircir.
Le sénateur St. Germain : Il serait possible de déposer les mémoires au Sénat.
La présidente : Les documents peuvent être déposés et débattus au Sénat. Il n'y a pas de dispositions de réexamen avant l'adoption en troisième lecture. Si le projet de loi est modifié, il faudra le renvoyer à la Chambre des communes. Ce qui se passera demain matin ne sera qu'une étape d'un processus qui ne manquera pas d'être long.
Le sénateur Watt : Je vous remercie.
M. Oovaut : Au sujet des 20 p. 100 de terres, je vous ai parlé de l'île Akpatok. Parmi les Inuits, il y a ceux qui chassent le caribou et ceux qui vivent près de la mer. Nous avons une collectivité qui utilise cette île qui abrite une colonie d'oiseaux. Les gens vont y ramasser des œufs, et cetera. pour leur subsistance.
Rien que pour vous montrer à quel point l' » assimilation » est stupide, je vais vous inviter à vous assimiler à la culture inuite et à devenir vous-mêmes Inuits.
La présidente : Si vous me demandez de vivre comme les Inuits, je serais vite morte.
M. Oovaut : C'est la preuve de ce que je dis. Il est stupide de nous demander de nous assimiler à une autre culture.
La présidente : Nous ne voulons pas vous assimiler.
La séance est levée.