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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 6 - Témoignages du 7 février 2008


OTTAWA, le jeudi 7 février 2008

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 47, pour étudier le projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence.

L'honorable Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles poursuit aujourd'hui son étude du projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence.

Hier, nous avons entendu le témoignage du ministre de la Justice et de ses adjoints. Aujourd'hui, nous avons le plaisir de recevoir des associations d'avocats. Nous accueillons parmi nous, en commençant par ma gauche, de l'Association québécoise des avocat(e)s de la défense, Mme Lucie Joncas, présidente sortante et M. Marco Labrie, avocat.

[Traduction]

À leurs côtés, il y a le Conseil canadien des avocat(e)s de la défense, représenté par M. André Rady, membre du conseil d'administration. À ma droite, il y a le vice-président de la Criminal Lawyers' Association, M. Joseph Di Luca, et M. Lorne Goldstein, avocat de la défense. Nous vous souhaitons la bienvenue. Merci d'être venus sur la colline du Parlement malgré la neige et les conditions de la route exécrables. Nous sommes heureux de vous accueillir.

Je crois que vous avez convenu entre vous que la première déclaration sera celle de M. Rady. Nous entendrons ensuite la Criminal Lawyers' Association, et enfin l'Association québécoise des avocat(e)s de la défense. Je pense qu'une manière utile de procéder consisterait à entendre toutes vos déclarations et à passer ensuite à une période de questions.

André Rady, membre du conseil d'administration, Conseil canadien des avocat(e)s de la défense : Le Conseil canadien des avocat(e)s de la défense vous remercie de cette invitation. Nous sommes venus ici à de nombreuses reprises au fil des années. Au nom de notre organisation, je tiens à déclarer que nous jugeons très important le travail de votre comité. Nous savons que vous avez une tâche énorme au sujet de ce projet de loi.

Pour ceux d'entre vous qui ne connaissent pas bien notre organisation, nous sommes un conseil regroupant 17 associations d'avocats de la défense de touts les régions du Canada, y compris les territoires. Nous représentons les associations de droit pénal de toutes les provinces. Elles ont toutes un membre pour les représenter au sein de notre association ou de notre conseil. Nous répondons aux questions d'intérêt national pour l'ensemble des avocat(e)s de la défense au criminel. Nous le faisons depuis 1992 et nous avons comparu pendant tout ce temps devant votre comité et devant d'autres comités de l'autre Chambre.

Nous considérons le projet de loi C-2 très important. Il est important parce qu'il doit être examiné avec grand soin. Nous sommes tous au courant des déclarations qui ont été faites récemment en vue de faire adopter ce projet de loi le plus rapidement possible. Notre conseil vous exhorte à effectuer le second examen objectif qui caractérise habituellement votre chambre. Nous sommes une organisation apolitique, nous nous exprimons donc du point de vue de l'examen du projet de loi et de ses nombreuses facettes.

Comme vous le savez tous, le projet de loi C-2, regroupant de nombreux autres projets de loi déposés à la Chambre, a été prorogé l'an dernier. Il y a maintenant ce projet de loi qui semble être à prendre ou à laisser. Cela nous inquiète grandement, car chaque aspect du projet de loi a du bon et du mauvais, comme le feront certainement ressortir les autres témoins et les questions que vous nous poserez aujourd'hui.

Nous avons déjà répondu par le passé au sujet d'une préoccupation relative aux peines minimales obligatoires. Nous estimons que ce n'est pas une solution au problème des crimes à main armée qui existe dans notre société actuellement; c'est une mesure prophylactique, selon nous.

Il est intéressant de souligner que dans le résumé législatif préparé pour le projet de loi C-10, puis pour le projet de loi C-2, l'information indique que les sentences minimales obligatoires ne sont pas efficaces. J'apporterai des précisions supplémentaires à ce sujet durant la période de questions.

En ce qui concerne les dispositions relatives aux délinquants dangereux, notre plus grande inquiétude est le renversement de la preuve qu'elles établissent à propos de la règle du « retrait sur trois prises ». On a peut-être affirmé qu'elles pourraient résister à un examen constitutionnel, mais nous pensons le contraire. La première affaire du genre sera certainement contestée. Même si un inculpé ne l'est plus une fois qu'il a été déclaré coupable, et qu'il n'y a peut- être pas eu de présomption d'innocence, nous devons conclure que la déclaration de délinquant dangereux est peut-être la peine la plus grave que nous connaissons dans notre droit. Demander à l'inculpé ou au condamné de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il n'est pas dangereux constitue un renversement de la preuve qui ne résistera pas à un examen en vertu de la Charte et qu'il faut prendre en considération.

Nous estimons également que les dispositions du projet de loi portant sur la conduite avec facultés affaiblies soulèvent de nombreuses préoccupations. Il y a des préoccupations au sujet des dispositions qui éliminent les défenses dites « preuves contraires ». Comme vous le savez, le projet de loi prévoit qu'à moins de pouvoir démontrer que l'appareil est défectueux, il y a une présomption qu'il fonctionne bien, en se fondant sur les déclarations d'un policier. Nous pensons que c'est problématique. En outre, les nouvelles dispositions législatives relatives à la conduite avec facultés affaiblies par la drogue et la désignation sont problématiques elles aussi. Il y a des préoccupations au sujet des contrôles. Il y a des préoccupations au sujet des effets que peuvent avoir certains médicaments sur les gens et s'ils affaiblissent vraiment les facultés des conducteurs. Le projet loi prévoit l'affaiblissement des facultés par des médicaments d'ordonnance, ce qui soulève des préoccupations quant à la manière de détecter que les facultés sont affaiblies.

Nous affirmons que presque tous les éléments du projet de loi nécessitent une étude et un examen plus approfondis. S'il est adopté, ce projet de loi survivra à tous les sénateurs présents dans cette salle et à leur mandat au Sénat ainsi qu'à nous tous qui sommes devant vous aujourd'hui. Il s'agit du Code criminel du Canada; cela touche aux droits des citoyens et c'est trop important pour que les modifications proposées soient adoptées sans autre examen. Notre conseil est donc ici pour apporter l'aide dont il est capable afin de faire ressortir les préoccupations relatives au projet de loi, comment il pourrait être amélioré, et la réalité de la situation.

Nous avons toujours insisté sur le fait qu'il ne s'agit pas simplement de sévir contre le crime — je n'essaie pas de reprendre l'expression utilisée par les politiciens — nous devrions aussi sévir intelligemment contre le crime. Ce n'est pas la bonne façon de le faire. Il y a d'autres façons de résoudre les problèmes et les dilemmes. Le projet de loi C-2 une panacée.

Un jour, la loi qui vise à « s'attaquer au crime » s'appellera des « dispositions du Code criminel ». Nous sommes ici pour vous aider et pour répondre à vos questions. Nous avons de grandes préoccupations au sujet de plusieurs aspects du projet de loi. Je n'ai pas parlé des dispositions relatives à l'âge du consentement. Je sais que le problème se posera, et qu'il y aura des problèmes au sujet de la réforme des mises en liberté sous caution. Ce projet de loi est extrêmement important. Je ne saurais trop le répéter.

Faire adopter ce projet de loi rapidement parce qu'il est devenu politiquement obligatoire qu'un ou tous les partis le fassent ne nous paraît pas opportun. Il faut plus de temps. Même si certains affirment qu'on y a déjà consacré trop de temps et que les Canadiens demandent l'adoption du projet de loi, je pense que c'est probablement un mythe. Ce que veulent les Canadiens, c'est de se sentir plus en sécurité dans leurs collectivités. C'est ce que nous voulons nous aussi parce que nous sommes tous des citoyens d'une collectivité, des citoyens qui ont une famille, une maison et des biens. De ce point de vue, et du point de vue d'un avocat au criminel qui exerce depuis 26 ans et qui représente une association nationale — et nous avons examiné tous les aspects et consulté nos membres — nous demandons au comité d'effectuer le second examen objectif que nécessite ce projet de loi et de l'examiner très attentivement en tenant compte des préoccupations que nous vous présenterons tous aujourd'hui.

Joseph Di Luca, vice-président, Criminal Lawyers' Association : La Criminal Lawyers' Association se réjouit de témoigner devant votre comité au sujet d'un projet de loi de toute évidence fondamental pour le droit pénal.

La Criminal Lawyers' Association est un organisme sans but lucratif fondé en novembre 1971. Nous existons donc depuis un certain temps. De fait, l'association a été fondée quelques mois après ma naissance. J'étais loin d'en être membre à l'époque.

Notre association représente environ 1 000 avocats de la défense, dont bon nombre exercent leur profession en Ontario. À bien des égards, notre association représente les travailleurs de première ligne du système de justice pénale. Tout comme les procureurs de la Couronne, nous sentirons l'incidence directe de toute loi adoptée à Ottawa qui touche au droit pénal. C'est nous qui la ferons fonctionner ou tenterons de le faire. Nous sommes probablement bien placés pour connaître l'incidence de cette loi lorsqu'elle sera adoptée.

J'aborderai brièvement deux questions qui me paraissent très importantes dans ce projet de loi. Puis, je céderai la parole à M. Goldstein, qui traitera des dispositions relatives aux délinquants dangereux. Évidemment, le projet de loi porte aussi sur d'autres aspects; nous sommes prêts à en discuter quand vous nous interrogerez. Je ne les aborde pas, mais cela ne réduit pas leur importance. Je sais simplement que je suis limité par le temps.

En ce qui concerne les peines minimales obligatoires, la Criminal Lawyers' Association appuie évidemment l'objectif consistant à protéger notre société en réduisant les actes criminels commis à l'aide d'armes à feu. C'est une proposition très simple et très facile à comprendre, sur laquelle nous sommes tous d'accord. Mais nous nous opposons totalement à l'utilisation des peines minimales obligatoires pour parvenir à cette fin. Pour dire les choses simplement, nous ne croyons pas que les peines minimales obligatoires devraient être utilisées au détriment d'un système judiciaire juste et équitable.

Comme l'a affirmé M. Rady, avec qui je suis d'accord, le gouvernement actuel pourrait être motivé par les informations diffusées dans les médias et un besoin perçu d'agir rapidement pour adopter des peines minimales obligatoires.

Nous ne croyons pas qu'il faut agir rapidement et utiliser des peines minimales obligatoires. Ce qu'il faut faire maintenant, c'est une véritable étude de fond pour déterminer si les peines minimales obligatoires donneraient les résultats attendus.

Les taux de criminalité au Canada ne grimpent pas en flèche et ne sont pas incontrôlables. Il n'est pas nécessaire d'établir de nouvelles peines minimales obligatoires. D'ailleurs, le Canada est reconnu comme un pays qui se montre réticent à faire un usage répandu des peines minimales obligatoires. Mais ce n'est pas tout. Voyons ce qui se passe aux États-Unis. Quelles leçons ont-ils tirées de leur utilisation des peines obligatoires? En réalité, ils font marche arrière, aussi vite qu'ils le peuvent, et on a constaté de nombreuses erreurs judiciaires liées à l'utilisation de ces peines. Le système proposé n'est évidemment pas identique, mais il soulève un grand nombre de préoccupations semblables.

Nous estimons que ces modifications aux peines minimales obligatoires auront une incidence négative sur le système de justice pénale. Il faut se demander si les peines minimales obligatoires réussiront mieux à réduire la criminalité et à protéger le public que les peines infligées actuellement. Je ne pense pas qu'on protège mieux le public, parce que, selon moi, les peines minimales obligatoires ne sont pas plus efficaces. Mais en supposant qu'on arrive à la conclusion qu'il y a certains avantages à imposer des peines minimales obligatoires, quel en est le coût? Il faut évaluer les coûts des peines minimales obligatoires pour déterminer si la différence marginale, le cas échéant, en vaut la peine. À mon avis, la réponse est non.

Passons maintenant aux dispositions relatives à la conduite avec facultés affaiblies. Là encore, je ne veux pas laisser l'impression que nos observations d'aujourd'hui — et je pense parler au nom de nous tous en disant cela — laissent entendre que nous ne soucions pas du carnage sur les routes lié à la conduite avec des facultés affaiblies. Je pense que nous convenons tous qu'un principe fondamental devrait être de protéger les automobilistes et d'éviter le carnage; la question ne se pose même pas.

Nous estimons que le cadre législatif proposé dans le projet de loi est non seulement susceptible de donner lieu à une contestation constitutionnelle sur divers fronts, mais aussi beaucoup trop complexe. Pour que les policiers puissent appliquer ces dispositions, ils devront avoir fait un doctorat pour pouvoir les comprendre. Ce n'est pas une loi facile à comprendre. Si l'on s'inquiète de la complexité des poursuites criminelles devant les tribunaux, alors cette loi favorisera la multiplication des procès.

Il faut également s'assurer que les dispositions visant l'élimination proposée de la défense Carter éliminent cette défense d'une manière équitable et qui ne fait pas courir le risque de déclarer coupable un innocent. Si vous posez la question, j'aurai une réponse à propos du risque que ces dispositions puissent faire déclarer coupable un innocent. Nous ne nous opposons évidemment pas à l'atténuation du risque que posent les conducteurs en état d'ébriété. Mais nous voulons que cet objectif soit atteint par des moyens équilibrés et adaptés aux exigences constitutionnelles et qui ne créent pas d'incertitude dans le processus.

Ce sont là mes observations au sujet des dispositions relatives à la conduite avec facultés affaiblies. Je cède maintenant la parole à M. Goldstein, qui parlera des dispositions relatives aux délinquants dangereux.

Lorne Goldstein, avocat de la défense, Criminal Lawyers' Association : Les dispositions du projet de loi relatives aux délinquants dangereux sont celles dont il est le plus difficile de parler au niveau des profanes, parce que ceux qui seraient visés sont nécessairement des gens qui ont été déclarés coupables et qui ont un casier judiciaire, et qu'on a peu de sympathie pour eux.

Ce qui m'inquiète, c'est l'application et la mauvaise application de la loi dans le cas de ces dispositions. Je suis un avocat d'Ottawa. Il y a dans l'Est de l'Ontario un nombre extrêmement élevé de demandes de déclaration de délinquant dangereux, autrement dit, de demandes présentées par le Bureau du procureur de la Couronne, qui sont tranchées par les tribunaux, soit la Cour de justice de l'Ontario et la Cour supérieure de justice, ici à Ottawa et dans les régions environnantes.

Je le dis parce que c'est très important. La région d'Ottawa et le bureau régional de la Couronne en particulier, ont trouvé un système pour bien repérer ces personnes. Vous entendrez Terrence Cooper, du bureau de la Couronne à Ottawa. Si vous ne l'entendez pas, la Chambre l'a entendu, et son témoignage est facile à trouver. Il joue un grand rôle dans ce système de repérage qui n'a pas besoin de loi. C'est un système qui a été mis en place ici. Nous allons devant les tribunaux et le juge — qui est payé pour faire ce qu'il doit faire, soit juger — étudie les demandes et rend une décision équitable.

Ce que ce volet du projet de loi cherche à faire, c'est imposer par une loi ce qui devrait être imposé par une politique, autrement dit, une loi fédérale qui dit à la Couronne provinciale ce qu'elle doit faire et quand elle doit déposer un avis. Cela place la Couronne provinciale dans une position particulièrement difficile parce qu'elle ne peut pas effectuer le type d'analyse avant le procès qui s'effectue actuellement. Rappelez-vous. Parce que ces délinquants sont souvent repérés, dans l'Est de l'Ontario tout au moins, la Couronne en est informée avant le procès, ce qui déteint sur le procès. Je ne peux pas parler de ce problème en détail, mais c'est peut-être une bonne politique, parce qu'attaquer les délinquants est toujours une bonne politique, la politique de la peur. Mais c'est du mauvais droit.

Pour ma part, en tant qu'avocat, je peux vous dire que je contesterai ce projet de loi s'il est adopté et je m'attends à avoir gain de cause. Si nous ne réussissons pas à la Cour supérieure — bien que je m'attende à avoir gain de cause là aussi — nous irons certainement jusqu'à la Cour suprême du Canada. C'est tellement important et tellement fondamental. À mon avis, c'est indéfendable. Ces dispositions ne résisteront pas à une contestation constitutionnelle, en tous cas, pas entièrement.

Je renvoie aux déclarations faites à la Chambre. J'invite le gouvernement à nous montrer ses recherches qui prouveraient que le projet de loi survivra. Il a certainement affirmé à maintes reprises que le projet de loi survivra, mais il ne nous l'a pas montré, pas publiquement tout au moins.

Quand on voit les exigences très strictes imposées par la Cour suprême dans Lyons et dans Johnson, on se rend compte que les dispositions du projet de loi C-2 relatives aux délinquants dangereux les éliminent complètement.

Rappelez-vous que la loi, telle qu'elle serait adoptée, n'exige pas un grand délai entre les déclarations de culpabilité. Une personne déclarée coupable relativement à deux chefs d'accusation et dont la peine d'emprisonnement serait de deux ans ou plus, devrait prouver la prochaine fois qu'elle se retrouverait devant les tribunaux qu'elle n'est pas un délinquant dangereux. Mais comment? Cela ruinera l'aide juridique au pays et certainement en Ontario. Je peux vous assurer que l'aide juridique cesserait de financer ces procès, ce qui veut dire que vous devriez les financer. Nous invoquerions les arrêts Rowbothams et Fishers, et nous aurions nécessairement gain de cause, parce que le délinquant, dans ce cas-ci, va en tôle pour le reste de ses jours, à moins d'obtenir sa libération conditionnelle, qui n'est presque jamais accordée.

J'affirme respectueusement devant votre comité que ce projet de loi n'est pas quelque chose dont nous avons besoin. Le système fonctionne. Ceux qui sont repérés se retrouvent devant les tribunaux, où ils sont entendus, exactement comme le prévoyaient les gouvernements précédents et la Cour suprême du Canada. S'il y a lieu, ils sont déclarés délinquants dangereux; et quand ce n'est pas nécessaire, ils ne le sont pas.

Ce système ne fait rien d'autre que multiplier les procès pour moi, créer des maux de tête pour vous et réduire les sommes qui pourraient être affectées à la prévention du crime. Ce projet de loi vise à punir le crime et non à le prévenir, et je défie tout le monde de présenter une étude qui démontrerait le contraire. Je suis prêt à répondre aux questions sur les aspects particuliers, mais je partage le micro avec de nombreuses autres personnes, alors je leur cède la parole.

[Français]

Lucie Joncas, présidente sortante, Association québécoise des avocat(e)s de la défense : Madame la présidente, je tiens à vous remercier infiniment de nous avoir invités. Il est toujours agréable et important d'avoir une voix. Je pense que vous êtes vraiment la dernière sauvegarde possible pour notre clientèle et pour les citoyens. Je vous remercie beaucoup de toute l'attention que vous portez à ce projet de loi.

J'aimerais débuter en disant ceci : chacun des éléments qui font maintenant partie de ce projet de loi omnibus militerait en faveur d'une étude beaucoup plus approfondie. Il nous sera impossible de répondre à toutes les interrogations aujourd'hui, dans notre allocution, mais il est certain que nous demeurons disponibles pour répondre aux questions.

Je voudrais d'abord parler de l'association. Nous représentons 600 avocats de la défense partout à travers la province et nous existons depuis 12 ans. L'Association des avocats de Montréal existe depuis 50 ans et nous avons joint nos forces afin de vous faire cette présentation aujourd'hui.

Je suis accompagnée de Me Marco Labrie qui a l'avantage de pratiquer le droit criminel depuis 18 ans. Il a également pratiqué en tant qu'avocat de la poursuite pendant une bonne dizaine d'années. Son expérience variée pourra certainement être bénéfique pour le comité. Maître Labrie vous parlera principalement des éléments de conduite avec facultés affaiblies par la drogue et de l'âge du consentement.

Je ne peux pas parler au nom de tous les avocats de la défense, mais la plupart des intervenants dans le système judiciaire sont contre l'imposition de peines minimums.

Nous avons confiance dans le système de justice canadien qui est un des meilleurs au monde. Plusieurs pays engagent des avocats venus de tous les coins du Canada pour aller monter des systèmes judiciaires à l'étranger. Nous devons réitérer notre confiance dans nos juges qui, lorsque c'est approprié, sont en mesure d'imposer les sentences selon les critères de l'article 718, des sentences justes, proportionnées à l'infraction, aux circonstances et à tout ce qui l'entoure. Les tribunaux, lorsqu'il s'agit de crimes graves tels que ceux pour lesquels on veut imposer des peines minimales, sont déjà en mesure d'imposer ces sentences. On ne devrait d'aucune façon limiter la discrétion judiciaire.

En tant que praticienne, je peux vous dire que lorsque des gens qui font face à des accusations viennent nous consulter, c'est souvent à notre bureau qu'ils apprennent la peine à laquelle ils peuvent s'attendre. Il a été bien démontré que ce qui a vraiment un effet dissuasif sur un délinquant, c'est la peur d'être appréhendé et non la peine. Or, nous voulons tous une société sécuritaire, mais je pense qu'il faut plutôt investir dans la prévention, dans les forces policières et non dans les peines minimales. Du point de vue du délinquant ou de l'accusé, la peur d'être appréhendé est celle qui va vraiment avoir un effet dissuasif.

Deuxièmement, comme l'a mentionné mon confrère Me Di Luca, les États-Unis, qui avaient instauré des peines minimales, rebroussent chemin et tentent maintenant de modifier leurs politiques législatives. Je suis également d'accord avec mes confrères ontariens sur le fait que le système des délinquants dangereux est déjà en place et fonctionne de façon très efficace. Les procureurs de la poursuite y ont recours régulièrement et souvent avec succès. On a mentionné qu'il y aurait des questions constitutionnelles, mais je partage l'inquiétude de mon confrère quant au fardeau imposé aux systèmes d'aide juridique provinciaux. C'est un fardeau financier important si le délinquant a le fardeau de la preuve en matière de délinquant dangereux.

Nous restons disponibles pour répondre à vos questions, mais je vais d'abord passer la parole à Me Labrie qui va vous entretenir sur les deux derniers sujets.

Marco Labrie, avocat, Association québécoise des avocat(e)s de la défense : Madame la présidente, j'aimerais vous parler des modifications proposées en matière d'alcool au volant, surtout de l'article 258 dont les modifications touchent le degré de preuve requis pour une personne accusée d'avoir conduit alors que son alcoolémie dépassait la limite permise. Actuellement, cette personne doit présenter une preuve qui soulève un doute raisonnable et qui peut être simplement la preuve de ce qu'elle a consommé dans une période donnée avec des témoins; une preuve crédible jointe à la preuve d'un expert selon laquelle cette consommation ne pouvait pas justifier un résultat au delà de 80 mg d'alcool par 100 ml de sang.

Les modifications proposées font en sorte que la personne qui serait dorénavant accusée, si tant est que ces dispositions étaient modifiées, serait présumée coupable de l'infraction, d'une part, mais pis encore, il ne suffirait pas pour elle de démontrer son innocence pour être acquittée. Je m'explique. Une personne qui n'aurait pris aucune goutte d'alcool, ne pourrait pas, malgré tous les témoins crédibles qu'elle pourrait produire, dire : « Voici, je n'ai consommé aucun alcool et je ne peux pas vous dire pourquoi cet appareil a donné ce résultat. » Le juge dirait : « Je vous crois, je crois vos témoins, mais je ne peux rien faire parce que vous n'avez pas réussi à me démontrer qu'il y avait un mauvais fonctionnement de l'appareil ou une mauvaise utilisation. Par conséquent, la défense que vous me présentez n'est pas recevable en droit. »

Un autre exemple. Une personne, après avoir été arrêtée, qui obtient un résultat supérieur à 80 mg d'alcool par 100 ml de sang, se rend à l'hôpital et réussit à donner un échantillon de sang. Ce qui est probablement la meilleure preuve qui puisse se faire pour savoir combien il y a d'alcool dans le sang. Ce résultat, analysé et produit en preuve en cour est cru par le tribunal. Ce résultat, qui aurait été inférieur à la limite , ou même très inférieur, ne sera pas suffisant pour que la personne soit acquittée puisque l'article 258, selon les modifications proposées, exige non seulement la preuve que le résultat n'aurait pas été au delà de 80 mg, mais aussi et surtout, que la personne accusée puisse démontrer et dire : « Voici où il y a eu une erreur dans la manipulation ou dans le fonctionnement de l'appareil. » Sans cette preuve, qui sera très difficile à obtenir pour une personne qui ne manipule pas cet appareil — et qui n'y a pas accès non plus parce qu'il n'y a aucune disposition qui le permet —, il sera à toutes fins pratiques impossible pour cette personne de se défendre autrement que de dire : « Je n'ai pas commis l'infraction, je peux le prouver. » Cependant, les tribunaux ne pourraient pas faire autre chose que de dire : « Votre défense est irrecevable, à moins que vous puissiez me démontrer l'erreur précise d'un appareil que vous ne contrôlez pas et dont vous n'avez pas possession. »

On comprend qu'un législateur croit dans ces appareils comme l'homme croit dans les machines qu'il invente et qu'il fabrique. De tout temps, les hommes ont fabriqué des machines de plus en plus performantes, toujours en pensant que c'était la meilleure et qu'elle était infaillible. On a construit des bateaux insubmersibles, des navettes spatiales à l'épreuve de tout et pourtant, il y a parfois des problèmes qui surgissent.

Dans le cas qui nous occupe, cela peut prendre des années avant de découvrir, par exemple, qu'un appareil que l'on croyait fiable, après des centaines de milliers de condamnations, est défectueux. Qu'est-ce qu'on va faire avec toutes ces personnes qui ont été condamnées? Parce que finalement, on aura mis l'homme à la merci de la machine.

C'est pour cette raison qu'il existe des dispositions législatives qui permettent une présomption et qui permettent à la poursuite d'atteindre son objectif de faire condamner les gens qui conduisent avec les facultés affaiblies, ou encore avec une alcoolémie supérieure à 80 mg d'alcool par 100 ml de sang, mais le défendeur ou la défenderesse n'a qu'un doute raisonnable à soulever. Encore faut-il que son témoignage soit crédible et que la preuve soit crédible pour que le tribunal puisse lui accorder le bénéfice du doute.

La Cour suprême a déjà dit, dans l'arrêt Saint-Pierre, en 1995, lorsqu'elle devait se prononcer sur la constitutionnalité de la présomption, qui n'exige qu'une preuve qui soulève un doute raisonnable — et qui n'a pas ce degré que nous retrouvons dans le projet de loi — que si, effectivement, la loi exigeait plus que soulever un doute raisonnable, il y aurait une problématique constitutionnelle qui devrait être étudiée et qu'il n'est pas certain que l'article 1 de la Charte pourrait le justifier.

Par ailleurs, l'objectif poursuivi par le législateur, qui est louable, peut s'atteindre de d'autres façons. Il y a certaines dispositions qui parlent notamment de preuves vidéo. Le législateur veut enlever de la route les personnes qui conduisent avec les facultés affaiblies. Il n'y a pas qu'une seule façon de le faire. Il n'y a pas qu'avec ces résultats pour lesquels on ne peut pas présenter de preuve et se défendre, mais effectivement, si dans les véhicules de patrouille, par exemple, il y avait des appareils vidéo pour filmer le comportement des conducteurs sur la route, et le comportement d'une personne qui sort du véhicule, hormis ce que la personne aurait pu boire ou ne pas boire, cette preuve est très importante pour déterminer si elle a les facultés affaiblies. En effet, une image vaut mille mots.

Ce qui est recherché par le public et ce qui choque le public, ce sont les récidivistes. Il faut enlever de la route les personnes qui non seulement commettent l'infraction, mais qui le commettent à répétition. Il y a déjà des dispositions prévues concernant les peines qui augmentent, mais ce problème de récidiviste se règle d'abord et avant tout par l'augmentation des opérations policières. Les associations de policiers ont réclamé, ici comme ailleurs, que plus d'argent leur soit alloué afin de mener davantage d'opérations et d'éliminer de la route les personnes qui commettent ces infractions.

En ce qui a trait aux amendements au Code criminel concernant l'âge minimal pour qu'il y ait consentement à une relation sexuelle, il y a également, selon nous, une problématique de passer cet âge de 14 à 16 ans. Évidemment, cela ne change rien aux dispositions qui existent déjà et qui criminalisent plusieurs comportements de prédateurs sexuels où, effectivement, le consentement, pour être valide, doit s'appliquer à une personne de 18 ans. Il y a déjà une kyrielle de dispositions qui le prévoient déjà, avant même ce projet de loi.

Cependant, même si deux jeunes personnes consentantes s'aiment et voudraient avoir des relations sexuelles, il y a un critère arbitraire de cinq ans qui fait en sorte que si on est en dehors de ce critère, un crime est commis automatiquement et ce, même si les parents sont au courant et autorisent l'adolescente et son copain à avoir ces relations sexuelles parce qu'il s'agit d'une relation sérieuse. Non seulement un crime est commis, mais tout le monde s'en trouve complice si, effectivement, ils le savent et l'encouragent. Ce qui est un problème.

Mme Joncas : Au sujet de la dernière problématique sur laquelle a parlé mon confrère, il y a plusieurs conséquences périphériques que je vous demande de considérer. Au Québec, une adolescente peut se faire prescrire des contraceptifs à partir de l'âge de 14 ans sans le consentement d'un parent. Est-ce qu'un médecin, sachant qu'elle a des relations sexuelles avec quelqu'un plus âgé, pourrait être complice d'un acte criminel en remplissant ses obligations? Est-ce qu'il va y avoir des responsabilités périphériques? Je pense qu'il faut se poser cette question.

La présidente : Merci beaucoup à vous tous.

[Traduction]

Le sénateur Stratton : Merci de témoigner aujourd'hui. Comme vous êtes tous du côté de la défense, je peux comprendre votre position dans certains cas. Je pense que M. Goldstein a déclaré que le système fonctionne. Je trouve cela curieux. Je ne pense pas que le projet de loi serait devant nous si le système fonctionnait. Il y a de graves problèmes, nous le savons tous.

À Winnipeg, la ville d'où je viens, le plus gros problème, se sont les gangs reliés au trafic de la drogue. Ils font par exemple des fusillades au volant et des vols de voiture. Le service de police de Winnipeg a découvert qu'une bande vole des automobiles. Quand les policiers en appréhendaient les membres et les remettaient en liberté, les vols reprenaient le lendemain. Quand ils les gardaient, le nombre de vols d'autos diminuait de manière spectaculaire. Ne devrions-nous pas faire quelque chose pour résoudre ce problème?

Comment pouvez-vous expliquer que la loi est parfaite à la famille d'un spectateur innocent victime d'une fusillade au volant? Vous ne le pouvez pas. Comment répondez-vous à cette question?

En ce qui concerne l'âge du consentement, vous pouvez discuter de la pertinence quand une personne a 23 ans et l'autre en a 15. Ce n'est pas eux ce que vise la loi, encore que, à mon avis, elle le devrait. Ce qui nous préoccupe davantage, c'est l'exploitation sexuelle de jeunes filles et de jeunes garçons. C'est ce qui intéresse la société civile. Que répondez-vous à cela?

M. Rady : Notre Code criminel n'est pas parfait.

Le sénateur Stratton : Quelqu'un a affirmé qu'il fonctionne bien.

M. Rady : Il fonctionne aussi bien qu'il le peut. Il y aura toujours de la criminalité; il y aura toujours des meurtriers. Il y avait des meurtres dans ce pays dans les années 1920, les années 1930 et les années 1940. Il y a de la violence commise par des gangs. La question c'est si l'imposition de peines obligatoires minimales dans le cas des crimes à main armée réglera le problème des gangs. Pourquoi les jeunes entrent-ils dans des gangs aujourd'hui, alors qu'ils ne le faisaient pas il y a 20 ans? Nous avions le même Code criminel; le code n'a pas changé. Quel est le processus de socialisation des gens? Quelle est la cause profonde qui fait entrer quelqu'un dans un gang?

Tant que nous n'aurons pas répondu à cette question et que nous n'aurons pas investi pour trouver la cause du problème, le problème persistera. On les jettera en prison pendant un certain temps, mais ils en sortiront et ils auront appris de leurs codétenus comment mieux s'y prendre pour voler une auto la prochaine fois. Je ne dis pas qu'on ne devrait pas emprisonner les gens lorsqu'ils font quelque chose de mal. Mais ce projet de loi ne réglera pas le problème. Oui, il y a des problèmes avec le Code criminel. Il y a des problèmes dans la société.

En ce qui concerne l'âge du consentement, est-ce une question de moralité ou de protection? Les articles du Code criminel touchant aux contacts sexuels, à l'abus de confiance ou d'autorité ou au leurre par Internet existent pour être utilisés et appliqués. Porter l'âge du consentement à 16 ans contribuera-t-il à résoudre ce problème? Non, parce que la loi existe.

Ce qui est arrivé, c'est qu'une culture de la peur s'est installée. Il y a un mythe de la peur. Oui, il y a des crimes de gang. Oui, les gangs sont mauvais. Oui, il y a des fusillades au volant. Oui, des innocents sont tués. C'est mal.

Je fais valoir que le projet de loi n'est pas la solution. Laisser entendre qu'il l'est et laisser entendre que les Canadiens se sentiront plus en sécurité grâce au projet de loi est inexact. On peut leur dire qu'ils se sentiront plus en sécurité. Mais seront-ils vraiment plus en sécurité tant que nous ne saurons pas pourquoi nous avons un problème de gangs? Ce n'est pas parce que les lois ne sont pas assez musclées. Ce gens là ne pensent pas qu'ils ne se serviront pas d'une arme à feu parce qu'ils risquent une peine minimale obligatoire de cinq ans au lieu de quatre, comme avant. Cela ne passe pas par la tête de nos clients.

Le sénateur Stratton : Le problème, c'est que nous avons déjà examiné les causes sociales de ce problème. Depuis combien de temps? La situation ne fait qu'empirer.

L'incidence des crimes violents dans la ville de Winnipeg augmente. Nous sommes la ville du pays où le nombre d'autos volées est le plus élevé. Il faut faire quelque chose. Il faut mettre en place des mesures dissuasives pour créer la crainte d'une peine proportionnelle au crime. Il le faut vraiment.

M. Di Luca : D'accord. Dans la lutte contre la drogue aux États-Unis, ils ont établi un système de peines minimales obligatoires extrêmement sévères. Au Michigan, ils ont adopté une loi selon laquelle la personne trouvée en possession de 650 grammes de narcotiques en poudre était emprisonnée à vie, sans possibilité de libération conditionnelle. Tout ce que cela a fait, c'est de créer un pays en garde à vue et un trafic de la drogue florissant. Les peines minimales obligatoires sont un échec, en particulier dans le cas du trafic de la drogue, parce qu'elles ne font rien pour modifier l'offre et la demande de drogue. Tout ce qu'elles font, c'est éliminer un joueur et donner à un autre la possibilité de prendre sa place.

Je conviens avec vous que le crime à main armée est un énorme problème. Le fait que des jeunes considèrent les armes à feu comme des bijoux et peuvent aller à l'école ou ailleurs avec une arme à feu est terrifiant. Nous devons corriger cela. Je ne pense pas qu'imposer une peine minimale obligatoire pour punir un jeune en l'emprisonnant pendant cinq ans, sans égard à ses antécédents, fasse autre chose que le sortir du cycle de la violence pendant cette période. Cela ne réglera pas le problème fondamental. Je pense que nous partageons les mêmes préoccupations au sujet du problème, mais que nous proposons des solutions différentes.

M. Goldstein : Je voudrais qualifier mes observations en ajoutant que je suis venu ici uniquement pour parler des dispositions relatives aux délinquants dangereux. Je ne voudrais pas que mes propos servent d'épée contre les autres au lieu de servir de bouclier.

Le sénateur Stratton : C'est une question politique.

M. Goldstein : Je le constate. Je soutiens que la partie XXIV, telle qu'elle existe actuellement, est le produit de presque un siècle de lois importées d'Angleterre et qu'elle fonctionne.

L'exemple du sénateur, qui indiquait que quelqu'un avait affirmé que le système fonctionne et qui parlait ensuite d'autos volées et de gangs, est un parfait exemple qui démontre que votre esprit ne s'est pas inquiété des lacunes du système relatives aux délinquants dangereux et aux délinquants visés par une ordonnance de longue durée. Il y a des lacunes dans tous les systèmes, mais le projet de loi C-2 ne porte sur aucune d'elles. Vos observations et vos exemples appuient mon argument que la partie XXIV, telle qu'elle existe actuellement, fonctionne et devrait être utilisée.

Le sénateur Stratton : Je ne suis pas d'accord.

Le sénateur Carstairs : Ma question porte sur l'âge du consentement. Comme vous le savez, l'âge du consentement est 14 ans depuis 1890. Auparavant, il était de 12 ans. Comme vous, je doute de la constitutionnalité de cette disposition, en particulier parce que l'âge du consentement est de 12 à 14 ans dans une série de règles, de 14 à 16 ans dans une autre, et de 16 ans ou plus dans une autre encore.

Pouvez-vous préciser vos préoccupations au sujet de la constitutionnalité du projet de loi?

Mme Joncas : Je crois que certaines dispositions du code ont déjà fait l'objet d'une décision de la Cour d'appel et ont été invalidées. J'y reviendrai plus tard.

Il y a une autre série de règles à l'article 159, concernant les relations sexuelles anales, qui portent l'âge du consentement à 18 ans. Cela pourrait établir une discrimination contre certaines pratiques sexuelles. Dans l'arrêt R. c. Roy, la Cour d'appel du Québec a déclaré cet article inconstitutionnel. Je peux vous donner la référence et présenter la décision. Le comité devrait examiner cette décision.

M. Di Luca : Il y a aussi une autre décision de la juge Abella, maintenant à la Cour suprême du Canada, mais qui était à l'époque à la Cour d'appel de l'Ontario. Elle aussi a invalidé cette disposition. Il s'agit de l'arrêt Regina c. C.(M.) 1995, page 481. Dans cette affaire, la cour a tranché qu'il était inconstitutionnel d'interdire aux homosexuels d'avoir des relations sexuelles anales entre certains âges, quand cette interdiction n'existait pas pour les couples mariés hétérosexuels. Un aspect de cette décision est reproduit dans le projet de loi. Si vous voulez voir un parcours en droite ligne vers une contestation constitutionnelle, je suis convaincu que la juge Abella serait prête à examiner l'affaire à la Cour suprême du Canada, puisqu'elle a rendu une décision sur cette question il y a environ 13 ans.

Mme Joncas : Autrefois, le Code criminel faisait une distinction entre le viol et les attouchements sexuels. Le viol est maintenant inclus dans les attouchements sexuels. Il y a peut-être une responsabilité concernant la diversité des attouchements sexuels qui peuvent être invoqués dans le projet de loi. En ce qui concerne l'absence de consentement à un baiser, par exemple, la même disposition s'applique encore, étant donné qu'il n'y a plus deux dispositions différentes. Il y a une foule de comportements qui seront touchés et qui pourraient être disproportionnés par rapport à l'infraction.

Le sénateur Carstairs : C'est intéressant. J'ai expressément demandé hier aux fonctionnaires de la Justice ce qui était inclus dans leur définition d'« activités sexuelles de nature non exploitante » et ils ont admis que les baisers étaient inclus. Nous avons donc la situation hypothétique d'une jeune de 13 ans qui fréquente la même école qu'un jeune de 19 ans et ces deux adolescents s'embrassent. Soudainement, des accusations peuvent être portées dans cette situation.

Monsieur Rady, j'aimerais que vous donniez des précisions parce que vous avez affirmé que c'est peut-être davantage une question de moralité que de protection. Pouvez-vous préciser votre pensée?

M. Rady : Je vais vous donner un autre exemple. Il y a la situation d'une adolescente de 14 ans qui sort avec un jeune âgé de 19 ans et un jour; autrement dit, qui dépasse tout juste l'écart de cinq ans. Ils s'aiment beaucoup et à la danse de l'école, ils se mettent à s'embrasser ou à se caresser. Les parents de la jeune fille l'apprennent. Ils n'aiment pas le garçon, alors ils appellent la police. Le jeune est inculpé, parce qu'il s'agit d'un acte sexuel dans cette catégorie. L'écart est plus grand que cinq ans et il ne peut pas invoquer le consentement. C'est une question de moralité et c'est ce genre de conduite que nous ne voulons pas.

Comme l'a dit Mme Joncas, parce que nos définitions d'« agression sexuelle » et d'« attouchement sexuel » sont si larges, elles englobent des activités qui, autrement, pourraient être considérées acceptables. Là encore, c'est une question de moralité quand on parle de gestes comme des baisers et des caresses et ce que les jeunes font parfois. C'est une question de moralité dans le sens du consentement ou du non-consentement dont nous avons parlé au sujet des dispositions sur les relations sexuelles anales.

En ce qui concerne ce qu'on veut faire avec cette disposition, c'est-à-dire interdire le comportement criminel et interdire les prédateurs sexuels, les lois actuelles ne présentent aucune lacune qui permettrait d'affirmer que, n'eût été la modification de l'âge du consentement, cette personne n'aurait pas été accusée d'être un prédateur sexuel et n'aurait pas été déclarée coupable, qu'il s'agisse de contacts sexuels, d'agression sexuelle, de leurre par Internet ou d'autre chose. Il ne semble pas y avoir de lacune, ni de besoin.

La seule conclusion que l'on peut tirer est que, pour une raison quelconque, nous pensons tous qu'à 14 ans, on ne sait pas vraiment ce qu'on fait. Que sait un jeune de 14 ans? Il ne devrait pas pouvoir donner son consentement. Nous sentons qu'il est mal que des jeunes de 15 ans puissent consentir à avoir des relations sexuelles, même si des médecins prescrivent des contraceptifs à des filles de 14 ans. Cela fait partie de cette moralité.

Dans un article du Code criminel, on veut protéger les gens contre des relations de prédateurs. On affirme que, vu les limites d'âge actuelles, ces protections existent. Que fait-on de plus que déclarer, dans une perspective morale, on pense vraiment que des jeunes de 14 ans ne devraient pas être dans une situation de consentement et qu'il faudrait porter l'âge du consentement à 16 ans? Comment ne pas être d'accord avec cela, puisque nous le pensons peut-être tous. Les jeunes de 14 ans sont bien plus délurés qu'on le croit — peut-être plus que je ne l'étais à 14 ans.

Le sénateur Carstairs : Je suis convaincue que les jeunes de 14 ans sont aujourd'hui bien plus délurés qu'ils ne l'étaient en 1890. Dans ce domaine, une question qui me préoccupe est le fait que nous envoyons deux messages. Nous affirmons qu'un jeune de 12 ans sait absolument ce qu'il fait quand il commet un acte criminel, parce qu'à 12 ans, il peut donner son consentement, entre autre à un acte criminel. Mais un jeune de 14 ans ne sait pas ce qu'il fait quand il participe à un acte sexuel, y compris un baiser. Je ne comprends pas. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Rady : Je suis d'accord avec vous. C'est une approche très naïve. C'est pourquoi, avec tout le respect que je vous dois, nous revenons à la question de moralité ou de politique qui porte à se demander pourquoi l'âge du consentement devrait être de 14 ans. Si vous examinez les dispositions qui existent dans le code au sujet de la protection, quelle protection supplémentaire obtiendrons-nous sinon cet absolu et peut-être mettre les bâtons dans les roues à certains jeunes qui, d'après vous, ne devraient pas sortir ensemble et s'embrasser à la danse de l'école, par exemple. Parce que ces articles ont une si vaste portée, ils incluent un seuil aussi bas.

Vous avez raison. À 12 ans et un jour, on peut être accusé d'introduction par effraction et on peut avoir l'intention d'entrer dans une maison et de voler, ou de commettre un vol qualifié et être inculpé en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Par contre, vous n'êtes pas assez vieux pour savoir que la personne qui a cinq ans et un jour de plus que vous et qui vous plaît n'a pas le droit de vous embrasser. Cela ne tient pas debout franchement.

Le sénateur Carstairs : Je ne comprends pas moi non plus.

Le sénateur Joyal : Est-ce à cause de ce traitement différend dans le code et dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents que, dans une telle situation, vous plaideriez l'inconstitutionnalité de cette disposition?

M. Di Luca : Absolument. Nous invoquerions tous l'inconstitutionnalité. Il y a un bon motif pour le faire devant diverses cours d'appel. Si les faits s'y prêtaient, une contestation constitutionnelle serait non seulement possible mais aussi fort probable.

Le sénateur Joyal : Compte tenu des décisions antérieures des cours d'appel, dont celles du Québec et de l'Ontario que vous avez évoquées.

M. Di Luca : C'est exact.

Le sénateur Andreychuk : Affirmez-vous que nous nous appuyons constitutionnellement sur le fait qu'il ne doit pas y avoir de discrimination fondée sur l'âge? Nous n'avons pas prétendu qu'ils sont pleinement responsables s'ils commettent des actes criminels. Nous avons mis en place tout un système pour reconnaître le fait qu'ils ne sont pas des adultes. Votre argument se tiendrait si un jeune de 12 ans se retrouvait devant un tribunal pénal. Un jeune de 12 ans ne se retrouve pas devant un tribunal pénal. On peut soutenir que nous avons pris dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents des mesures que nous n'aurions peut-être pas dû prendre, mais nous avons créé un tribunal différent à partir de solides jugements de valeur. Nous permettons à nos jeunes de s'enrôler dans l'armée à partir d'un certain âge. Ils peuvent conduire une auto et boire de l'alcool à partir d'un certain âge. Nous portons constamment des jugements de valeur. Ce n'est certes pas de la discrimination fondée sur l'âge. Donnez-moi un exemple qui dit qu'il faut un comportement uniforme, que l'on soit enfant ou adulte, si c'est sur cela que repose votre argument.

M. Di Luca : La disposition, telle qu'elle est énoncée actuellement, prévoit une exception dans le cas d'un couple marié. Ce qui devient criminel est déterminé fondamentalement par l'âge, mais principalement ensuite par le mariage. Si vous êtes visé par la disposition parce que vous êtes marié à la personne que vous embrassez, alors ce n'est plus un acte criminel.

Le sénateur Andreychuk : Vous changez maintenant le fondement de votre contestation devant les tribunaux, de sorte que la discrimination n'est plus fondée sur l'âge mais plutôt sur le mariage. Ce n'est pas la question que je vous ai posée.

M. Di Luca : C'est lié fondamentalement à l'âge. Si c'est lié fondamentalement à l'âge, alors une distinction en fonction du mariage constitue, à mon avis, un moyen de faire une distinction qui n'est pas permise par la constitution. Quelle est la différence du point de vue de l'acte si on le permet dans le contexte du mariage et qu'on l'interdit dans n'importe quel autre contexte? Même s'il y a une question d'âge, sans l'âge le problème ne se pose pas. Du point de vue simplement de la ligne qu'il faut tirer, je suis d'accord. Pourquoi laissons-nous les gens conduire à 16 ans plutôt qu'à 15 ans, ou pas à 19 ans? Je pense que ce devrait être 21 ans, mais c'est une autre histoire.

Le sénateur Andreychuk : On ne peut pas être sénateur avant d'avoir 30 ans, alors il y a toutes sortes de discriminations fondées sur l'âge.

M. Goldstein : Ce n'est pas mon domaine, mais quand nous parlions de discrimination fondée sur l'âge à ce sujet, les mots « pente glissante » me sont venus à l'esprit.

La sénatrice parlait de la discrimination arbitraire fondée sur l'âge et comment le problème s'est posé. Si la limite est actuellement 14 ans et que le projet de loi la porte à 16 ans, un gouvernement futur pourrait décider de la porter à 18 ans, du fait que l'âge est un facteur qu'il peut modifier. L'âge de 18 ans s'applique à l'entrée dans les forces armées et au permis de conduire à certains endroits. Il faut que ce soit une question morale ou légale. Il me semble que l'aspect moral a été démontré, que l'aspect légal a été démontré, et le changement ne me paraît pas opportun, mais une fois de plus, ce n'est pas mon domaine.

Le sénateur Andreychuk : Je ne veux pas me lancer dans ce débat avec ces témoins, mais je le ferai certainement avec d'autres. J'espère que quelqu'un me démontrera comment nous en sommes arrivés à combiner une agression sexuelle et un viol. Le mouvement féministe pourrait expliquer avec éloquence les avances sexuelles non désirées. Je pense que nous comprenons parfaitement. On passe d'une intrusion minimale à une intrusion maximale. Je pense que nous ne voulions pas ces distinctions dans la loi. Encore une fois, vous pouvez appeler cela un jugement moral ou de valeur, mais je me souviens de l'époque où je me battais pour faire valoir que toute avance non désirée est inacceptable et quelque chose que la société devrait éliminer. Nous comprenions parfaitement qu'il y aurait la petite cause et la grande cause, et c'est ce problème que la jurisprudence et de bonnes politiques et de bonnes poursuites résoudront, je l'espère, si nous faisons confiance au système.

M. Rady : Une chose qui me préoccupe et qui existe dans le système actuel est le fait que nous qualifions d'« agression sexuelle » ce qui pourrait être un baiser non désiré. Une agression sexuelle peut être un viol. Son auteur est déclaré coupable d'agression sexuelle. La stigmatisation est reliée à l'agression sexuelle. Il n'y a pas de petite bulle explicative précisant : « Ce n'était qu'un baiser » ou « C'était un viol ». C'est inquiétant et c'est pour cette raison que nous devons prendre grand soin de créer quelque chose pour ces jeunes lorsque le baiser est une agression sexuelle parce qu'il n'est pas désiré.

Je conviens que tout comportement sexuel non désiré est un acte criminel, mais il y a des degrés. Nous avons ici une situation où il y a peut-être consentement des deux jeunes, mais c'est peut-être le parent qui n'aime pas la personne que fréquente son enfant.

Le sénateur Andreychuk : C'est ce que je pense aussi. En tant qu'association, avez-vous exprimé toutes ces préoccupations? Le projet de loi C-2 ne crée pas ces problèmes. Ils se sont déjà posés dans les cours au criminel. Ce n'est pas le premier projet de loi qui prévoit des peines minimales obligatoires, par exemple. Avez-vous présenté les mêmes arguments il y a cinq ans quand nous parlions de peines minimales pour l'usage d'armes à feu? Vos positions ont-elles changé?

M. Rady : Nos positions n'ont pas changé. Par exemple, certaines peines minimales obligatoires ne disparaîtront jamais. Une condamnation pour meurtre au premier degré entraîne une peine minimale d'emprisonnement à vie et une admissibilité à une libération conditionnelle après 25 ans. C'est peut-être compréhensible dans ces circonstances, mais nous avons des préoccupations, même avec les peines minimales obligatoires actuelles. De fait, pour vous donner un exemple, il y a actuellement dans le Code criminel une infraction qui entraîne une peine obligatoire minimale d'un an, et c'est le trafic des armes à feu. Le nouveau projet de loi laisse entendre que le trafic des armes à feu entraîne une peine de trois ans. L'article du Code criminel vise les véritables trafiquants d'armes à feu, mais je vous présente la situation suivante et elle est bien réelle : quelqu'un hérite de la ferme familiale et découvre un fusil de calibre 22 ou un vieux fusil à poudre noire à chargement par la bouche. Il ne possède pas de certificat d'acquisition d'arme à feu, n'est pas un vendeur autorisé d'armes à feu, et ne veut pas de cette arme. Il place une annonce dans le journal pour vendre l'arme. L'acheteur n'a pas de certificat d'acquisition d'arme à feu. La première chose qu'on sait, cette transaction est considérée comme un trafic d'arme à feu. Celui qui a vendu peut-être innocemment un vieux fusil de calibre 22 que son grand-père utilisait pour tuer les coyotes qui s'attaquaient aux poulets sur la ferme risque maintenant une peine minimale obligatoire d'un an de prison. Le problème, c'est que les procureurs ont peu de pouvoir discrétionnaire en vertu des lois actuelles. Ils veulent faire porter cette disposition à trois ans. Cet héritier risque donc une peine minimale obligatoire de trois ans, parce qu'il a vendu le vieux fusil à quelqu'un qui ne possédait pas de certificat d'acquisition d'arme à feu et parce qu'il n'est pas un vendeur autorisé d'armes à feu. Il a hérité de l'arme et voulait simplement s'en débarrasser et il ne s'y est peut-être pas pris comme il faut.

Le problème que posent les peines minimales obligatoires, c'est qu'il n'y a pas de pouvoir discrétionnaire. Dans un de ses mémoires, le Conseil canadien des avocat(e)s de la défense a préconisé par le passé que, s'il y a des peines minimales obligatoires, si elles sont adoptées, le juge devrait avoir la liberté absolue, dans les circonstances exceptionnelles, de ne pas imposer de peines minimales obligatoires. Il n'y aurait peut-être pas de minimum obligatoire dans ce cas, mais il faudrait démontrer que certaines circonstances existent, comme dans mon exemple, sinon ces mesures sont très draconiennes. Le juge n'a pas le choix. Dans le cas des crimes à main armée, les procureurs ont très peu de latitude pour réduire la peine. Le trafic des armes à feu est une infraction punissable. Ce n'est qu'un exemple, mais il est bien réel. C'est ce qui crée des difficultés, quand on commence à tirer une ligne et qu'il est impossible d'aller au-dessous de cette ligne.

L'autre mythe, c'est que les juges ne traitent pas les crimes à main armée sérieusement et que, s'il s'agissait d'un véritable trafiquant d'armes, ils ne le puniraient pas sévèrement en imposant une peine d'emprisonnement. Mais ils le font. On craint qu'il y ait un danger à renoncer à la discrétion du magistrat, des juges. Pour eux, c'est une espèce de gifle en plein visage. Ils ne viennent pas devant les comités pour dire qu'ils font très bien leur travail dans ce pays, qu'ils savent reconnaître des voyous, des criminels endurcis, et qu'ils les punissent en conséquence. C'est ce qu'ils font, mais on semble vouloir s'assurer que les peines minimales obligatoires existent pour que ces voyous soient punis et qu'aucun juge ne commette l'erreur de leur imposer une peine plus légère que celle qu'on croit qu'ils méritent.

Notre position à l'égard des peines minimales obligatoires est notamment que les juges font bien leur travail. Il y a des freins et des contrepoids à la Cour d'appel. Laissons les juges faire leur travail. Nous n'avons pas besoin de peines minimales obligatoires parce que cela pourrait créer une injustice et parce qu'il y a encore la protection qui existe si nous laissons l'appareil judiciaire indépendant être indépendant.

Le sénateur Baker : J'aimerais remercier les témoins pour leurs exposés excellents et complets, et pour leur mémoire, que nous avons ici et qui va au-delà de l'exposé oral donné ici en fournissant des détails.

On m'a demandé de poser des questions sur les dispositions relatives à la conduite avec facultés affaiblies dans la nouvelle loi proposée. J'ai lu les renseignements présentés par la Criminal Lawyers' Association datés de février 2008. Le sénateur Joyal me répète parfois qu'il vaut mieux relâcher dix coupables que de condamner un innocent.

Si je comprends bien, après avoir lu votre mémoire et entendu votre déclaration, une personne âgée pourrait conduire à 20 kilomètres sous la vitesse permise ou attendre 10 secondes avant de tourner lorsque le feu passe au vert. Comme l'a fermement démontré la jurisprudence, ce serait des raisons suffisantes pour qu'un policier l'arrête, parce qu'il soupçonnerait que quelque chose ne va pas et, selon l'heure du jour ou de la nuit, il pourrait se passer effectivement quelque chose de très grave.

Si le policier ne détecte pas l'odeur de l'alcool, quand il verra que le conducteur a un certain âge, je suppose que la première question qu'il posera est si le conducteur a pris des médicaments, obtenus en vente libre ou sur ordonnance. Si le conducteur admet qu'il prend des médicaments, pour l'arthrite par exemple, d'après la loi, le policier serait tenu de lui demander de sortir du véhicule et de subir certaines épreuves préétablies de coordination physique.

Les fonctionnaires du ministère de la Justice nous ont remis une liste de ces épreuves qui sont établies aux fins de la réglementation. Ils ont indiqué qu'une de ces épreuves consiste à se tenir debout sur un pied et à se maintenir en équilibre pendant environ 30 secondes. Malheur à celui qui ne réussit pas cette épreuve de coordination. Honorables sénateurs, je crains bien d'être incapable de réussir certaines de ces épreuves.

Corrigez-moi si je me trompe, mais la prochaine étape pourrait être que le policier demande au conducteur de l'accompagner au poste de police. Le conducteur pourrait alors devoir uriner dans un flacon, ce qui n'est pas une perspective très agréable. En droit, je suppose que vous diriez que le conducteur est en garde à vue ou en état d'arrestation.

Je veux revenir à la question du moment où les droits prévus à l'alinéa 10(b) de la Charte s'appliquent après cette procédure très complexe, mais permettez-moi de poursuivre mon idée pour voir si je vous comprends correctement.

On demande au conducteur d'aller au poste de police et d'uriner dans un flacon. J'ai remarqué que dans les postes de police, même quand on parle à son avocat au téléphone, il y a habituellement une vitre afin que les policiers puissent vous observer. S'il faut aller à la toilette, un policier doit vous accompagner, afin de s'assurer que vous n'ingérez rien qui pourrait gâcher l'échantillon que vous aller donner, parce qu'il y a une présomption que votre état actuel correspond à votre état deux heures plus tôt.

La présidente : Avez-vous une question, sénateur Baker?

Le sénateur Baker : Oui. En outre, certaines personnes ne sont pas capables d'uriner devant quelqu'un d'autre, ce qui peut être une conclusion raisonnable.

À votre avis, à titre d'avocat de la défense qui a défendu certaines de ces causes et qui a étudié le projet de loi, est-ce que ce que je dis semble raisonnable? Un innocent pourrait-il être déclaré coupable dans ces circonstances parce qu'il refuse de subir le contrôle ou ne le réussit pas?

M. Di Luca : Si le conducteur refuse de subir le contrôle, il commet une infraction criminelle. Le conducteur innocent qui n'a rien fait d'autre que de conduire lentement se retrouve alors dans un processus pénal.

Revenons un peu en arrière. On touche ici à un problème que pose le projet de loi. Il n'y a pas de définition du mot « drogue ». Dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, appelée auparavant la Loi sur les stupéfiants, il y a des annexes et des listes des drogues permises et non permises. Nous savons que l'alcool influe sur la capacité de conduire. Il n'y a pas besoin d'une annexe pour le définir. Nous savons bien que l'alcool influe sur la capacité de conduire.

En ce qui concerne les drogues, il y en a des milliers. Comment savoir lesquelles influent sur la capacité de conduire? Ne devrait-il pas y avoir une liste des drogues, afin que, si je réponds que je prends du Celebrex parce que j'ai des problèmes d'articulations, le policier sache que ce médicament ne figure pas sur la liste. Si je réponds que je prends de la méthadone ou du Demerol ou que je viens de fumer un joint, ces drogues sont inscrites sur la liste. Le policier les connaît et sait qu'il peut passer à l'étape suivante. À cet égard, il n'y a pas de lien entre la drogue et le degré d'affaiblissement des facultés parce qu'on ne peut pas supposer qu'il y a un lien entre une drogue et la capacité de conduire. Il n'y a aucun moyen de faire la distinction entre les deux. Si la réponse est « aucun » policier n'arrêtera jamais une personne âgée qui conduit lentement, remplacez la personne âgée de votre exemple par un membre d'une minorité ou d'une race donnée ou la mauvaise personne dans le bon quartier. Vous verrez si le pouvoir discrétionnaire est transféré et s'il est laissé très large dans l'espoir que tous les membres du système feront la bonne chose — afin que la personne âgée ne soit jamais arrêtée parce qu'elle a trop pris des médicaments qu'elle prend habituellement. Dans ce cas, nous nous trompons, parce que cela arrivera. Ces règles et règlements sont mis en place pour s'assurer qu'aucune personne innocente n'est assujettie au processus pénal.

La portée de cette loi est très vaste. La Cour suprême du Canada a effectué un délicate exercice d'équilibre pour déterminer que, compte tenu du carnage sur les routes qui découle de la conduite en état d'ébriété, on peut contraindre un automobiliste à s'arrêter et le retenir au bord de la route pendant un certain temps sans enfreindre ses droits en vertu de l'alinéa 10(b) de la Charte. Mais la loi est actuellement en état de transition. Si l'automobiliste a un téléphone cellulaire et qu'il est retenu longtemps au bord de la route, il faudrait lui donner la possibilité d'appeler son avocat. Cette analyse a été effectuée dans le contexte de la conduite en état d'ébriété, autrement dit de la conduite avec facultés affaiblies par l'alcool. Nous connaissons le lien direct entre les deux.

Pour reprendre cette analyse en fonction des drogues, que se passe-t-il si le conducteur prend du Celebrex ou une autre drogue qui n'affaiblit pas les facultés? Vous avez raison, ce conducteur ira droit au poste de police, ce qui n'est pas une perspective très agréable.

Le sénateur Baker : Je pensais que vous vous en sortiez bien jusqu'au deux dernières phrases. Je pensais que vous vouliez démontrer ceci : la Cour suprême a pris grand soin d'examiner le droit relatif aux contrôles routiers pour lesquels il n'est pas nécessaire d'accorder le droit de consulter un avocat parce qu'il n'y a que des soupçons. Vous avez raison et la Cour a déterminé qu'il y a un délai — je pense que le juge Lamer a dit 30 minutes — qui est justifiable. C'est contraire aux droits en vertu de la Charte, mais justifiable en vertu de l'article 1 de la Charte. Tout le raisonnement, et c'était la question du sénateur Joyal hier, portait sur la consommation d'alcool.

La conduite en état d'ébriété et tous ces nouveaux contrôles routiers à subir avant d'avoir le droit de consulter un avocat sont maintenant liés à autre chose. On rajoute une série d'épreuves physiques.

Croyez-vous, à titre d'avocat, que la détention arbitraire, telle qu'établie par la Cour suprême du Canada, résistera à une contestation en vertu de la Charte, compte tenu des exigences supplémentaires dans ce délai?

M. Di Luca : Je ne pense pas qu'elle résistera, en l'absence de preuves concrètes établissant un lien entre le dommage qu'on tente de prévenir et les moyens qu'on prend pour le faire.

Le sénateur Baker : Autrement dit, la preuve.

M. Di Luca : Exactement.

Le sénateur Baker : La preuve est problématique sur la route; autrement dit, la preuve établie par la jurisprudence.

Dans la jurisprudence, je ne peux pas trouver — tout au moins dans les versions électroniques de WestlaweCARSWELL et de Quicklaw — la preuve que des études démontrent que la consommation de médicaments sur ordonnance, par exemple, cause le carnage sur les routes. Mais je peux trouver de nombreuses études indiquant que l'alcool au volant cause de nombreux accidents.

M. Di Luca : La seule étude que j'ai vue au sujet des drogues indique que les consommateurs de marijuana conduisent souvent beaucoup plus lentement que la limite permise. Cela crée un autre type de danger. Je n'ai rien vu de plus concret.

Le sénateur Baker : À quel moment l'alinéa 10b) est-il déclenché dans ce processus de « motifs raisonnables de croire »? La question a été posée hier. Saviez-vous que le seul arrêt que nous avons pu trouver à la cour supérieure est une révision d'un jugement de la cour provinciale sur l'évaluation de l'ERD, l'arrêt R. v. Wood en Alberta, qui a rejeté cette évaluation parce qu'elle n'était fiable que de 44 à 74 p. 100? Ce n'était pas acceptable dans une poursuite pénale et la cour a tranché que cela ne pouvait pas être utilisé dans une poursuite pénale.

M. Di Luca : Je suis au courant. En Colombie-Britannique, d'autres affaires ont porté sur cette question. En ce qui concerne l'admissibilité, soit on l'établit par règlement, soit il faut remplir les conditions de la preuve scientifique devant la cour. Je ne sais pas où en est la preuve pour en revenir à cette épreuve. On demande de regarder un crayon qu'on avance ou recule devant les yeux. À partir de là on détermine que la personne a consommé de la drogue et que ses facultés sont affaiblies. Ce n'est qu'un élément de l'épreuve; il y en a d'autres. Si le taux d'exactitude est faible et qu'il n'y a pas d'antécédents établissant un lien avec le carnage sur la route, et si vous effectuez une analyse des droits prévus par l'alinéa 10b), l'application de cet alinéa se déclenche au moment de la détention.

Le sénateur Merchant : Que pouvez-vous dire de la question troublante de la prévention du crime en Amérique du Nord? Je pense que M. Rady a abordé brièvement le sujet. Selon moi, le modèle que nous suivons n'est pas le bon. Je pense que nous pourrions regarder ce qui se fait en Europe, où de nombreux pays ont moins d'argent à consacrer à la justice et à la prévention, mais où l'on investit dans la réhabilitation des détenus pendant leur séjour en prison. Leur stratégie de prévention du crime vise à réduire les comportements antisociaux en s'attaquant aux causes, qui sont des causes individuelles. Dans la mesure du possible, ils s'efforcent de réhabiliter le délinquant au lieu d'imposer des peines minimales. Autrement dit, ils jugent la personne. Le modèle américain est un peu différent. Évidemment, de nombreux Canadiens ne savent peut-être pas que tous les États américains ont leurs propres lois. Au Canada cependant, le droit pénal est une compétence fédérale.

Il y a ces deux modèles. Le modèle du retrait sur trois prises semble être celui que nous suivons actuellement en ce qui concerne les délinquants dangereux. Je pense que nos taux de criminalité baissent tout comme les crimes violents. Pouvez-vous m'aider à ce sujet? Sur une base comparative, pourquoi évoluons-nous vers le modèle américain?

M. Rady : Je pense que la réponse est probablement politique, et vous vous rappellerez que nous ne sommes pas ici pour faire de la politique. Le modèle américain est très intéressant à de nombreux égards. Il y a la peine minimale obligatoire ultime dans certains États, soit la peine de mort. Pourtant nous savons tous que leur taux d'homicides n'est pas plus élevé que le nôtre, et qu'ici, la peine de mort n'existe pas. Est-ce que cela fonctionne?

D'un autre côté, examinons ce qui s'est passé à New York il y a un certain temps. Rappelez-vous cette ville dans les années 1970. Personne ne voulait marcher à Times Square; c'était un lieu hors-la-loi. Ils ont décidé d'y placer un policier tous les 100 pieds et d'établir un poste de police en plein Times Square. Times Square est maintenant l'un des endroits les plus sûrs aux États-Unis. Cela n'a rien à voir avec la création de nouvelles peines et de nouvelles lois. C'était relié à la présence policière, qui a un coût, et à la possibilité de se faire attraper.

C'est peut-être cet aspect qu'ils font bien, ils accroissent la présence policière et ils attrapent les contrevenants. Certains d'entre nous conduisent peut-être trop vite. Nous savons que s'il y a de nombreuses voitures de police au bord de la route, nous ralentissons. Nous ne pensons pas au montant de l'amende; nous voulons simplement ne pas avoir à payer d'amende et ne pas perdre de points d'inaptitude. Quand l'Ontario avait des photoradars, qui ont été supprimés pour d'autres raisons, les automobilistes ralentissaient. Ils risquaient de se faire épingler.

Pour revenir à l'autre question, comme vous l'avez indiqué, les pays européens s'efforcent de lutter contre les causes du crime, et malgré une observation qui a été faite plus tôt, je ne crois pas que cet aspect ait été assez étudié. Il faut s'efforcer de comprendre pourquoi la société a changé, et ce n'est pas à nous de le faire. Nous disons que nous n'avons pas besoin de solution rapide qui pourrait empiéter sur les droits de Canadiens innocents. Nous n'avons pas besoin de cela. Il semble y avoir une espèce d'hystérie, qui s'est développée par l'entremise des médias. Il y a eu des incidents horribles, par exemple à Toronto le lendemain de Noël l'an dernier. Il se passe bien des choses horribles qu'il faut éviter. Mais il faut réfléchir posément à ces problèmes et déterminer pourquoi ils existent. Pourquoi y a-t-il ce type de violence des gangs dans ce quartier de Toronto? Pourquoi y a-t-il ce type de violence des gangs dans ce quartier de Winnipeg? Ce n'est pas à cause du Code criminel. Nous devons aller plus en profondeur et, tant que nous ne le ferons pas, la situation actuelle ne changera pas.

Par exemple, en ce qui concerne le tabac — et j'ai déjà utilisé cet exemple devant le comité par le passé — ce n'est plus acceptable socialement. Autrefois, dans les tribunaux et mêmes les salles d'audience, tout le monde fumait. Des lois ont été adoptées. On peut dire qu'il est interdit de fumer ici ou là, mais c'est devenu socialement inacceptable. C'est devenu un risque pour la santé. C'est l'argument qui a été invoqué. Je crois que la conduite en état d'ébriété évolue elle aussi dans cette direction. Nous constatons que les jeunes ne sont pas nos clients dans la plupart des causes pour conduite en état d'ébriété. La plupart des inculpés dans ces causes ont plus de 30 ans. Les jeunes semblent comprendre que lorsqu'ils sortent le soir et ont un gros party, ils doivent avoir un conducteur désigné ou prendre un taxi, ce que la génération au-dessus n'a pas encore réalisé. Ils ont été socialisés de manière à croire que ce n'est pas socialement acceptable.

Je ne connais pas la réponse aux autres questions sur la violence, mais nous pouvons peut-être faire le même type d'analyse pour tenter de déterminer, comme l'a dit M. Di Luca, pourquoi un fusil est un bijou et pourquoi c'est cool de se lancer dans une chasse automobile à travers les rues. Il faudra du temps — ce n'est pas une solution rapide — pour rendre ces types de comportement socialement inacceptables. C'est à ce moment-là que nous aurons réglé le problème. Si nous pouvons apprendre quelque chose des modèles européens, tant mieux.

Affirmer qu'il faut adopter le projet de loi C-2 et que tout ira bien ensuite est une illusion. Désolé, mais ça ne marchera pas. Tout n'ira pas bien. Il faut d'autres études et d'autres renseignements.

Le sénateur Merchant : Je suis censé me concentrer sur les délinquants dangereux. Dans la définition, je vois que la première infraction désignée touche aux infractions sexuelles. Je vois que sur les 12 infractions, sept sont sexuelles. Pourquoi ces 12 infractions ont-elles été choisies?

M. Goldstein : Les dispositions sur les délinquants dangereux proprement dites ont été envisagées au départ comme une nécessité pour s'attaquer aux infractions sexuelles. C'était particulièrement le cas dans les débats qui ont entouré la modification en 1997 de la partie XXIV afin d'inclure la catégorie des délinquants visés par une ordonnance de longue durée. Presque tous ces débats portaient sur les infractions sexuelles.

Le problème auquel le projet de loi s'attaque peut-être est le fait que, parce que ce n'est jamais limité à cela dans la loi, on en est venu à s'en servir comme outil pour sévir contre tous ceux qui, de l'avis du procureur de la Couronne en question, de la couronne régionale et du procureur général étaient, pour employer leurs termes, hors de contrôle.

Dans mon cabinet actuellement, il y a au moins sept demandes de déclaration de délinquant dangereux à diverses étapes. Je pense que seulement deux ou trois d'entre elles ont une composante sexuelle. On commence à utiliser ce mécanisme comme une grosse épée plutôt que comme un bistouri.

Peut-être que l'une des rares réussites du projet de loi est de dire : « Holà. C'est censé porter sur les infractions sexuelles ». Le problème, comme on l'a indiqué plus tôt, c'est que le terme « agression sexuelle » est très large. Contrairement à ce qui se passait avec les anciennes dispositions sur le viol, et contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, où il y a divers niveaux pour chaque chef, une « agression sexuelle » peut vouloir dire aussi bien les attouchements à un party — et l'exemple que j'ai utilisés à la Chambre des communes était des attouchements dans une piscine — que les anciennes dispositions sur le viol. Étant donné que le comportement peut se situer n'importe où entre ces deux extrêmes, c'est très problématique.

J'ai eu un jour un client qui avait été déclaré coupable d'attouchements, avant de me rencontrer. Il est délinquant sexuel déclaré. C'est inconcevable pour des gens qui ont grandi pendant la révolution sexuelle et qui comprennent un peu l'histoire et l'époque victorienne. Nous nous dirigeons vers une période extrêmement conservatrice et c'est très bien. Mais ces dispositions prévoient des infractions primaires si vastes qu'elles n'ont plus aucun sens pour leur application. Pourquoi sont-elles là? Parce que c'est accrocheur. Dans une politique de la peur, vous employez les mots « agression sexuelle » et tout le monde réagit. C'est de la bonne politique, la politique de la peur, mais cela donne une mauvaise loi.

Le sénateur Joyal : J'aimerais vous renvoyer au mémoire de la Criminal Lawyers' Association. Je pense que M. Di Luca l'a présenté. J'aimerais attirer votre attention sur la page 6, où le troisième point résume votre opinion sur l'incidence des peines minimales obligatoires.

Pour appuyer cette conclusion, vous affirmez :

[...] on ne devrait pas instituer de PMO à seule fin d'apaiser l'indignation des électeurs ou sans une connaissance approfondie des infractions et des délinquants auxquels on veut les appliquer.

Vous signalez dans le renvoi à cette conclusion une étude effectuée par le professeur Thomas Gabor et par Nicole Crutcher. Intitulé Les effets des peines minimales obligatoires sur la criminalité, la disparité des peines et les dépenses du système judiciaire, ce rapport a été commandé par le ministère de la Justice du Canada et publié en janvier 2002.

Hier, nous avons entendu des représentants du ministère de la Justice. Ils ont cité cette étude et indiqué qu'elle faisait partie de celles sur lesquelles ils se fondent pour faire valoir que l'approche des peines minimales obligatoires est la bonne façon de lutter contre le crime. Comment conciliez-vous ces deux positions?

Je serai très franc avec vous. Dois-je comprendre que vous choisissez dans l'étude les aspects qui appuient votre conclusion, ou est-ce la grande conclusion de l'étude qui a été présentée au ministère de la Justice?

M. Di Luca : Je l'ai citée à dessein parce que trouve intéressant de voir que leur recherche allait dans le sens contraire de l'utilisation des peines minimales obligatoires. La citation de cette étude est exacte. J'invite tout le monde à se procurer cette étude et à la lire. De fait, je pense qu'on peut la trouver sur Internet.

Vous verrez cette étude et, j'en suis convaincu, les statistiques qui l'appuient, parce que les professeurs Gabor et Crutcher ont effectué une certaine analyse. Elle présente leur conclusion. C'est peut-être une citation tirée directement de l'étude. La recherche commandée par le ministère de la Justice semble aller dans le sens contraire de la position que le ministère a présentée au comité et ailleurs sur ces questions.

Laissons cette étude de côté pour un moment. Y a-t-il des études démontrant que les taux de criminalité ont changé à cause des peines minimales obligatoires? Oui, il en a. Quelle est l'efficacité? Je pense que les études ne sont pas unanimes. Je ne pense pas qu'il y ait une étude démontrant de manière cohérente une diminution du taux de criminalité à cause des peines minimales obligatoires. Il y a parfois un exemple isolé qui, pour revenir au point de départ de ma première intervention, doit être comparé au coût des peines minimales obligatoires. Nous savons que les coûts sont énormes.

J'ai fait ressortir quelques arguments, mais permettez-moi de les répéter brièvement. Il n'y en a que cinq. Premièrement, à notre avis, les peines minimales obligatoires n'entraînent aucune diminution tangible des crimes graves avec violence. Deuxièmement, elles réduisent et transfèrent la discrétion des juges, qui sont là pour infliger des peines juste et adaptées aux circonstances. Cette discrétion est transférée à la poursuite et à la police, à qui nous accordons ensuite notre confiance pour qu'ils décident quand c'est la bonne cause et quand c'est la mauvaise. Troisièmement, elles neutralisent le principe de la proportionnalité, qui est établi dans le Code criminel et qui, comme l'a répété la Cour suprême du Canada à maintes reprises, constitue la bonne manière de déterminer les peines. Quatrièmement, elles accroissent la population carcérale et les coûts connexes; les inculpés qui risquent une peine minimale obligatoire ne seront pas incités à plaider coupable. Ils iront probablement en procès parce qu'ils n'ont rien à perdre. Ce qui est plus problématique du point de vue de l'équité, c'est que les peines minimales obligatoires frapperont plus durement les minorités et les Autochtones. Cela devrait nous inquiéter. Je suis d'accord avec vous sur ce point. Je trouve intéressant — et c'est un euphémisme — qu'un document de recherche du ministère de la Justice appuie ma position.

M. Rady : Si vous me permettez, dans le résumé législatif, qui a certainement été rédigé par le ministère de la Justice, il est question de la même étude que M. Di Luca a signalée. On y lit :

Selon une étude publiée en 2002, les recherches n'appuient pas en général l'utilisation des peines minimales obligatoires à des fins de dissuasion ou de réduction de la disparité des peines.

C'est la même étude. On en cite d'autres. Je lis : « Selon l'étude, il n'était pas possible de conclure à un rapport direct de cause à effet entre les peines minimales et le recul des taux de criminalité [...]»

[Français]

Mme Joncas : J'aimerais référer les membres du comité au témoignage rendu par M. Brodeur, le 4 décembre 2006, devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, où il avait identifié, je pense de façon très claire, ce dont je vous ai parlé ce matin concernant les recherches, à savoir que le caractère dissuasif est directement lié à la peur d'être appréhendé, et non pas lié aux peines minimales obligatoires. M. Brodeur avait témoigné de façon très éloquente à ce sujet.

Le sénateur Joyal : Vous avez également parlé, vous ou Me Labrie, d'études américaines démontrant que les Américains tendent actuellement à s'éloigner des peines minimales obligatoires puisqu'ils ont réalisé que les résultats n'étaient pas ceux escomptés. Pouvez-vous faire parvenir au greffìer du comité une copie des études ou des articles auxquels vous faites référence lorsque vous soutenez une telle conclusion?

Mme Joncas : Certainement. Également, je pense que vous allez entendre la semaine prochaine Mme Kim Pate et Me Dominique Larochelle de la Société Elizabeth Fry du Canada. Je sais qu'elles témoigneront à cet effet. Nous allons donc nous assurer que d'ici leur témoignage on vous fasse parvenir une liste de références.

Le sénateur Joyal : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir sur le renversement de la preuve. Durant la période de questions, vous avez abordé la question de la constitutionalité ou de la non-constitutionnalité de certaines dispositions. Vous avez évoqué la conduite en état d'ébriété et l'âge du consentement. Vous avez déclaré que le renversement de la preuve, la disposition de retrait sur trois prises, pourrait faire l'objet d'un examen constitutionnel. Pouvez-vous expliquer ce qui vous permet de conclure que ces dispositions du projet de loi pourraient être contestées et en fonction de quelles dispositions de la Charte il y a une possibilité de non-constitutionnalité?

M. Goldstein : Vous parlez des modifications relatives aux délinquants dangereux qui renversent le fardeau de la preuve?

Le sénateur Joyal : Oui.

M. Goldstein : Je dirais qu'il n'y a pas que cet aspect du projet de loi qui est discutable. Il y a aussi des préoccupations concernant les abus éventuels et certaines répercussions. La grande question a toujours été le renversement de la preuve.

Mais je pense que nous sommes tous d'accord, même si nous devrons relire l'arrêt Gardiner, sur le fait que, parce que l'inculpé est déclaré coupable, il n'est pas présumé innocent. C'est certainement vrai à la première lecture. Nous savons cependant — et c'est un vieux principe en droit — que les allégations non prouvées, qui sont toujours très importantes dans le cas d'un délinquant dangereux, doivent être prouvées hors de tout doute raisonnable. Cela remonte aussi à une décision de la Cour suprême prise il y a des décennies.

La disposition relative au renversement de la preuve en fait fi complètement. Même si, du point de vue de l'infraction initiale, l'inculpé a été déclaré coupable et ne peut plus être présumé innocent, pour tous les autres facteurs en cause, il jouit de la présomption d'innocence. Nous savons, en fait, que si une accusation est en suspens, elle ne peut être utilisée. Je l'ai vu de mes yeux. Une accusation d'agression sexuelle en suspens a été supprimée d'un coup de crayon, afin qu'on puisse utiliser ces faits en vertu de la disposition sur les délinquants dangereux. Impossible ensuite de se plaindre s'ils n'aiment pas le résultat de la demande en vertu de la partie XXIV.

Il est reconnu que l'infraction a été prouvée dans le casier judiciaire et dans les infractions initiales. Non, le délinquant ne jouit pas de la présomption d'innocence, mais il y a des procès sérieux et musclés pour toutes les autres allégations. C'est pourquoi un procès de 30 jours au sujet d'un délinquant dangereux peut être constitué en réalité de 30 petits procès. Cela veut dire : « Ne vous inquiétez pas. Pour toutes les allégations qui seront mentionnées dans l'évaluation psychiatrique utilisée comme preuve en vertu de l'article 752.1, nous allons présumer qu'elles sont fondées. Nous n'avons pas à les prouver parce que vous avez un casier judiciaire ». On peut soutenir que la présomption d'innocence pose problème. Le gouvernement affirme le contraire. Je dis qu'elle ne pose pas de problème pour l'infraction initiale, mais qu'elle en pose pour toutes les autres allégations qui n'ont pas été prouvées.

L'article 7 est un énorme problème pour le projet de loi, en ce qui me concerne. Il soutiendront que le procès est équitable quand il y aura un procès. Je l'ai lu à quelques reprises au sujet du projet de loi C-27, du projet de loi C-2 devant la Chambre et de la version que vous examinez actuellement. Voici ce qui arrivera : le procureur responsable de l'infraction initiale ira à la barre et présentera le dossier, par exemple une date d'infraction et deux déclarations de culpabilité, ou deux dates d'infraction, ou trois, peu importe. Puis il quittera la barre et ira s'asseoir. Le procureur de la Couronne se lèvera et dira : « Ce sont les faits. » Parce que le délinquant est maintenant un délinquant dangereux présumé, il incombera à la défense de dire : « D'accord, maintenant je dois prouver le contraire ». Il devra réfuter toutes les allégations, les trois évaluations, le profil de comportement, l'autre profil de comportement, l'infraction brutale, et les infractions présumées telles qu'indiquées, avec les connotations sexuelles.

La CLA aborde cette question dans son mémoire. C'est un énorme problème. La Couronne scindera ensuite sa cause, parce que toutes les preuves présentées par la défense pour réfuter le renversement de la preuve feront désormais l'objet de la réponse de la Couronne. Nous n'aurons pas le droit de surenchérir.

Ce petit numéro de cirque se joue au moment où la Couronne n'a présenté presque aucun élément de preuve, que la défense en a présenté une tonne, et que la Couronne présente les rares éléments de preuve dont elle a besoin, et l'on se retrouve avec un procès inversé, dont le résultat est le plus draconien jamais vu en droit canadien pour un crime non punissable de mort. Le seul crime en droit canadien qui entraîne une peine plus lourde n'est pas le meurtre au deuxième degré, mais le meurtre au premier degré, qui était un crime punissable de la peine de mort.

Il y a 40 ou 50 ans, un tel crime pouvait mener à l'échafaud. Je respecte cela. C'est mal. C'est le pire qui peut arriver. Pour tout le reste, ces dispositions sont les plus draconiennes jamais vues en droit canadien. C'est effrayant de voir qu'il faut désormais prouver le contraire. Nous ne savons même pas, à titre d'avocats de la défense, quels aspects nous devrons réfuter. Lesquels? Tous, en ce qui me concerne.

Je me rappelle que la question a été posée à la Chambre. Vous verrez un pourcentage disproportionné de ces demandes dans certaines communautés, et cela pourrait attirer l'attention en vertu de la Charte. Je ne peux pas vous donner l'analyse précise selon la Charte pour le moment. Peut-être qu'un jour, j'irai en procès et je présenterai les faits. J'espère que cela n'arrivera jamais.

Le sénateur Joyal : Vous êtes en train de nous dire qu'en élargissant la présomption de culpabilité et en limitant tous les autres aspects du comportement du délinquant à une preuve que la Couronne devrait soutenir, le doute raisonnable du juge est complètement anéanti. Vous dites que cela pourrait porter atteinte au principe de la justice fondamentale sur lequel repose tout notre système.

M. Goldstein : Oui. J'aimerais vraiment que quelqu'un écrive noire sur blanc comment cela résisterait à une contestation en vertu de la Charte. Je n'ai jamais rien lu à cet effet. J'ai entendu de nombreuses affirmations que ces dispositions résisteraient. Je ne vois pas comment. J'aimerais beaucoup que quelqu'un écrive comment c'est possible.

Pour l'infraction initiale, nous sommes d'accord, le délinquant ne jouit plus de la présomption d'innocence, mais personne ne va plus loin et pousse l'analyse au niveau suivant. Je vous le dis, à titre d'avocat qui a participé à de nombreux procès, l'analyse est plus profonde que cela. Quand il est question de jeter quelqu'un en prison, peut-être pour le reste de ses jours, avec la probabilité bien mince d'une libération conditionnelle, qui dépendrait de plusieurs facteurs dont il est question dans le mémoire, il faut une analyse plus approfondie.

En ce qui concerne le retrait sur trois prises, là encore, le gouvernement vous dira que ce n'est pas vraiment un retrait sur trois prises comme en Californie, parce que l'infraction initiale doit avoir une certaine importance. Je respecte cela. D'accord. Dans ce cas, qu'on ne parle pas de trois prises. Vous pouvez parler de trois condamnations, c'est votre problème. Quel que soit le nom, c'est un renversement de la preuve et cela ne tiendra pas la route.

M. Rady : Il faut donc que la personne qui a été déclarée coupable démontre, selon la prépondérance des probabilités, qu'elle ne devrait pas être déclarée délinquant dangereux. Selon moi, cela pourrait aller à l'encontre de l'alinéa 11(c), qui accorde à l'inculpé le droit de ne pas être contraint à témoigner contre soi-même dans une poursuite intentée contre lui pour l'infraction qu'on lui reproche. Or c'est ce qu'on fait. Si l'inculpé doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il n'est pas coupable, et qu'il s'agit d'une audience de détermination de la peine, alors on oblige l'inculpé désormais déclaré coupable à témoigner. C'est différent des autres types d'audience de détermination de la peine. C'est un autre aspect qui pourrait être contesté en vertu de la Charte.

[Français]

Le sénateur Fox : J'aimerais tout d'abord remercier les témoins de leur présentation intéressante et convaincante. Mes questions seront plus générales que celles de mes collègues.

Hier après-midi, le ministre de la Justice comparaissait devant ce comité. Ironie du sort, il nous a, en quelque sorte, mis le pistolet sur la tempe en menaçant de tirer sur la gâchette si nous n'adoptions pas ce projet de loi d'ici la fin février de cette année. Évidemment, s'il s'était agit de février 2009, cela nous aurait donné l'occasion de nous pencher en profondeur sur les incidences et éléments que vous soulevez, mais il s'agit bien du dernier jour de février 2008, qui est à peine dans deux ou trois semaines. Le ministre a indiqué que, si on ne le faisait pas, ce serait perçu comme une question de confiance, ce qui pourrait précipiter des élections au Canada.

Devant cette situation, j'aimerais vous poser deux questions générales. Premièrement, le ministre de la Justice a indiqué qu'il était contre le crime, la violence et le reste. Nous sommes tous contre ces fléaux. Là n'est pas la question. La question est de savoir comment traiter du sujet de façon raisonnable et dans l'espoir de diminuer le taux de criminalité au Canada.

Si vous n'êtes pas pour, vous êtes contre; vous êtes contre la diminution du crime, donc vous êtes pour la violence. C'est exactement le genre de thème que l'on retrouvera dans un mois, si jamais il y avait des élections découlant du fait qu'on n'était pas prêt à adopter rapidement ce projet de loi.

Dans un esprit de collaboration avec le ministre de la Justice, j'aimerais poser deux questions. Voyez-vous des parties de ce projet de loi avec lesquelles vous êtes d'accord et que ce comité pourrait adopter sans être obligé de craindre des conséquences à long terme qui seraient nocives pour le système?

[Traduction]

M. Di Luca : C'est une question difficile, parce que le projet de loi finira par être à prendre ou à laisser. En supposant, pendant un instant, que certaines parties du projet de loi me laissent moins mal à l'aise à titre d'avocat de la défense, le seul aspect que je peux signaler est la modification au motif tertiaire des mises en liberté sous caution. Autrement dit, si un juge doit tenir compte d'un motif tertiaire, le fait que le crime a été commis avec une arme à feu est quelque chose qui codifie ce qui se fait déjà devant les tribunaux. Je ne crois pas qu'il y ait de juge qui, lors de l'examen d'une demande de mise en liberté, et en tenant compte du motif tertiaire, qui est une reformulation du motif de l'intérêt public, ne tiendra pas compte du fait qu'une arme à feu a été utilisée. De toute évidence, tous les juges sont au courant de cela. Le fait qu'une arme à feu a été utilisée ne signifie pas que la liberté sous caution sera refusée. Tout principe qui s'en approcherait violerait évidemment la Charte.

En ce qui concerne les aspects auxquels je ne suis pas tout à fait opposé, cela clarifie le sens du motif tertiaire, qui a été rejeté dans l'arrêt Morales parce qu'il n'était pas clair. Dans le projet de loi C-2, on en rajoute. Il y a un danger du point de vue du renversement de la preuve dans les audiences de mise en liberté sous caution; je ne suis pas tout à fait en faveur de cette proposition. C'est un aspect mineur.

Certains autres aspects ne me posent pas de problème. Reclasser l'infraction de la conduite en état d'ébriété parmi les grandes infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité, prévoyant une peine maximale de 18 mois d'emprisonnement est une évolution compréhensible. Cela empêcherait certaines des affaires les plus graves relatives à la conduite en état d'ébriété d'être entendues par les cours supérieures et les laisserait au niveau des cours provinciales, où, pour être franc, la magistrature a acquis des compétences pour rendre des décisions sur ces types d'affaires. C'est une caractéristique positive.

[Français]

Le sénateur Fox : Je présume que les témoins sont d'accord qu'il s'agit là de la seule partie du projet de loi qui est acceptable.

Le ministre a indiqué hier soir, dans sa grande générosité, qu'il accepterait des amendements non substantiels et non significatifs de notre part. Par conséquent, y aurait-il d'autres modifications non significatives et non substantielles avec lesquelles vous seriez d'accord?

[Traduction]

M. Di Luca : Il y a un aspect, soit la modification proposée de l'article 752.1, qui modifie le délai. En apparence, ce n'est pas important, mais du point de vue du praticien, c'est très important. Il pourrait sembler contraire à la logique que je sois d'accord pour prolonger la période pendant laquelle mon client peut être détenu en garde, mais la qualité de l'évaluation importe certainement plus que tout dans le résultat final. Obliger un médecin à lire des milliers de pages de rapports de CSC, dont certains sont incompréhensibles, puis effectuer des études et des évaluations psychométriques; tout cela dans un délai de 60 jours, et rédiger ensuite le rapport en 15 jours ne permet pas d'aller plus loin que la jurisprudence. Je vous renvoie à un exemple où le médecin désigné en vertu de l'article 752.1 n'a pas eu le temps d'effectuer l'analyse approfondie.

Ce sont des dispositions assez bonnes, qui ont une incidence importante. Prolonger le délai a une incidence positive sur la qualité de l'information qui arrive au juge.

[Français]

Le sénateur Fox : Aux pages 16 et 17 de votre mémoire, vous parlez de ces mécanismes sécuritaires. La clause de départ permissible constituerait-elle un amendement qui rendrait les peines minimales acceptables? Cette mesure donnerait aux juges une certaine discrétion pour mettre de côté la peine minimale.

Lorsque j'étais solliciteur général du Canada, je suis allé visiter la prison de Kingston pour femmes. À l'époque, le Code criminel imposait une sentence minimale de sept ans de prison pour l'importation de narcotiques — cela comprenait l'importation de marijuana. Lors de cette visite, j'avais rencontré trois jeunes filles, des étudiantes d'une bonne université, qui étaient détenues pour sept ans en vertu de la peine minimale imposée par la loi.

Plus tard, cette provision fut mise de côté. Toutefois, l'exemple démontre le côté négatif du fait d'imposer une peine minimale. Dans ce cas précis, le juge avait écrit au ministre de la Justice pour se plaindre du fait qu'il n'avait pas pu exercer sa discrétion dans la sentence de ces jeunes filles qui, outre mesure, vivaient une vie tout à fait honnête. Ce cas m'a frappé. C'est une situation qu'il faudrait éviter à tout prix. Nous devons avoir confiance en ces juges que l'on nomme. Le juge devrait avoir la discrétion de tenir compte de toutes les circonstances particulières aux accusés qui se trouvent devant lui.

Lorsque vous parlez de clause de départ permissible, la loi devrait renfermer une telle provision. Avez-vous des commentaires à ce sujet?

[Traduction]

M. Rady : Lorsque notre conseil est venu témoigner au sujet de ce projet de loi, qui s'appelait le projet de loi C-10, nous avons proposé d'ajouter une disposition à l'article 718 du Code criminel, qui stipulerait :

Nonobstant toute peine minimale infligée, sauf en cas de trahison ou de meurtre, avant de prononcer la peine, le tribunal doit considérer si la peine minimale est nécessaire, compte tenu de l'intérêt public, des besoins particuliers de la communauté et des intérêts de l'inculpé dans toutes les circonstances.

Cette mesure aurait une incidence sur les peines minimales en général, mais je crois que c'est l'une des dispositions dont vous parlez. J'ai indiqué dans ma déclaration d'ouverture que cela pourrait paraître comme un affaiblissement, mais cela laisserait au juge sa discrétion fondamentale.

Voici encore autre chose à propos des autres modifications qui pourraient être apportées. Dans les dispositions sur la conduite avec facultés affaiblies, on dit que le policier « peut » procéder à l'enregistrement vidéo de l'épreuve de sobriété et « peut » procéder à l'enregistrement de tout ce qui se passe au poste de police. Il faudrait dire « procède ». Si nous voulons nous fier sur ces épreuves, si nous voulons qu'ils constituent des éléments de preuve et si nous voulons être intrusifs, alors il faut remplacer « peut procéder » par « procède ». La disposition se lirait comme suit : « Le policier procède à l'enregistrement vidéo de ces épreuves ». Il est certainement possible de le faire. Si nous laissons le mot « peut », les épreuves ne seront pas enregistrées; si nous stipulons que le policier les enregistrera, il n'y aura aucune erreur quant aux résultats des épreuves.

M. Di Luca : La disposition sur la dérogation acceptable n'est pas nouvelle. Je ne l'ai pas rêvée ni inventée. Elle est employée en Angleterre et dans plusieurs pays du Ccommonwealth, par exemple, en Écosse, en Australie et en Afrique du Sud. Elle sert de soupape de sûreté. Nous pouvons tous nous asseoir autour de cette table et nous entendre sur des hypothèses manifestement très injustes pour celui qui se ferait imposer une peine minimale non nécessaire.

Nous pensons que nos juges connaissent les particularités locales de la détermination de la peine et les besoins de leur collectivité. S'il y a une disposition qui agit ainsi comme soupape de sûreté, juste en cas, ce sera utile du point de vue constitutionnel. Cela n'empêchera pas une supervision. Vous pouvez ajouter une disposition exigeant qu'un juge qui déroge d'une peine minimale obligatoire explique ses motifs, afin que les cours d'appel puissent ensuite superviser ces décisions et créer des principes de dérogation. Si nous nous engageons dans la voie des peines minimales obligatoires, ce que je ne suggère pas, nous devrions au moins prévoir cette disposition.

Le sénateur Di Nino : Je viens de Toronto. La plupart d'entre vous n'étaient probablement pas encore nés quand j'y vivais déjà. J'avais l'habitude de me vanter de la sécurité dans notre ville. On pouvait marcher dans les rues à deux heures du matin, sans s'inquiéter.

J'appuie ce projet de loi parce que ce n'est plus le cas. Quand je vais à des conférences internationales ou quand je voyage pour mon plaisir et que je parle de Toronto, je ne peux plus me vanter que je n'ai pas peur de me promener dans les rues à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. À mon avis, c'est l'un des facteurs qui expliquent ce projet de loi.

Ma question porte sur les délinquants dangereux. Comme on l'a dit il y a quelques minutes, l'examen d'une demande de déclaration de délinquant dangereux ne s'effectue qu'après que le délinquant a commis trois des douze crimes odieux figurant dans la liste, des crimes que nous aimerions tous que personne ne commette jamais. Je vous renvoie au paragraphe 753(4) proposé sur la détermination de la peine pour les délinquants dangereux.

Je ne suis pas avocat, mais je crois comprendre qu'il s'agit d'une nouvelle disposition. Il y est question des possibilités, des choix possibles pour déterminer la peine dans le cas d'un délinquant dangereux, même après qu'il a été déclaré tel. Si je comprends bien, il y a une espèce de soupape de sûreté dans cette disposition. Le marteau n'est pas de la même taille, ou il n'est pas nécessaire de sortir le canon.

Êtes-vous d'accord avec moi que cela modifie ou donne un certain choix aux juges quand ils prennent leurs décisions?

M. Rady : Vous voulez dire infliger des peines pour une période indéterminée ou déterminée? Il s'agit en réalité de la deuxième disposition qui renverse le fardeau de la preuve et qui sera probablement contestée parce que l'inculpé devra prouver pourquoi on ne devrait pas lui infliger une peine indéterminée, ce qui sera désormais prévu par la loi, alors que ce n'était pas le cas auparavant. Le juge avait un pouvoir discrétionnaire.

Notre argument, c'est qu'on a affaire à des délinquants dangereux, d'accord. Ils ont été reconnus comme tels; on peut les emprisonner indéfiniment parce que la société doit être protégée. Tout ce que nous disons c'est qu'avant d'imposer cette peine, qui est très grave, le fardeau de la preuve devrait incomber à la Couronne; l'inculpé ne devrait pas avoir à se disculper. Voilà notre argument.

M. Goldstein : Avec tout le respect que je vous dois, par le paragraphe 753(4) proposé, le gouvernement tente de codifier l'arrêt Johnson. Cela n'ajoute rien. L'arrêt Johnson exige cette analyse de toute façon. C'est ce que nous appelons « la courbe Johnson ». Malheureusement, c'est devenu une espèce de béquille pour les juges qui ne pensent pas qu'un inculpé donné devrait être emprisonné pour le reste de ses jours. Dans ces cas, le juge déclare l'inculpé délinquant dangereux mais le considère réchappable en vertu du motif tertiaire pour les délinquants dangereux visés par une ordonnance de longue durée. Un grand nombre de ces ordonnances sont imposées.

Ce n'est pas du tout une modification notable de la loi. Mais une interprétation possible de l'alinéa 753(4)(b) proposé est préoccupante, parce que la peine minimale de deux ans pourrait être interprétée dans ce contexte comme l'a fait la Cour d'appel dans l'arrêt Roberts, je pense, au sujet des rares scénarios où une personne peut faire l'objet d'une demande de déclaration de délinquant dangereux, mais pas d'une ordonnance de longue durée. Autrement dit, le passé de cette personne est tel qu'elle fait ou ne fait pas l'objet d'une analyse de délinquant dangereux, mais parce que l'infraction initiale est tellement mineure, elle ne peut pas faire l'objet d'une ordonnance de longue durée. Cette disposition pourrait viser cette situation. Peut-être aussi les situations d'ordonnances de longue durée où les inculpés ont passé un long moment en prison en attente de leur audience. Ils sont passés par l'enquête préliminaire, le procès, la détermination de la peine et leur peine est maintenant terminée. Pour que la détermination de leur peine soit équitable, cette disposition peut être utilisée par les procureurs de la Couronne pour obtenir deux années supplémentaires, parce qu'ils veulent obtenir le programme nécessaire dans le système fédéral. Donc, le paragraphe 753(4), dans son interprétation la plus douce et la plus faible, n'est rien de plus qu'une articulation de l'arrêt Johnson. Dans son interprétation la plus draconienne, elle peut imposer des peines d'emprisonnement inutiles dans un pénitencier fédéral.

Le sénateur Di Nino : C'est aussi une question d'interprétation. Je ne suis pas nécessairement d'accord, mais j'accepte votre argument.

En ce qui concerne le renversement de la preuve, évidemment, si quelqu'un a commis trois fois certains des pires crimes prévus dans le Code criminel, le public en général dirait que cette personne a perdu le droit d'être traitée de la même façon que quelqu'un qui n'a pas été aussi difficile dans la société.

M. Goldstein : L'une des principales attaques contre ce renversement de la preuve sera que la loi ne dit pas trois crimes odieux distincts ni deux crimes odieux distincts avant l'infraction initiale. Elle dit deux déclarations de culpabilité, et deux, trois ou quatre déclarations de culpabilité peuvent découler d'une seule infraction qui entraîne des chefs multiples. Il faut corriger cela, sinon le scénario suivant sera possible : quelqu'un a fait quelque chose de très mal, a été déclaré coupable et s'est fait imposer une peine équitable; une longue période s'écoule pendant laquelle cette personne a changé — ce n'est pas un exemple extrême, c'est fréquent — puis, pour une raison quelconque, elle se retrouve à nouveau devant les tribunaux et, après cette longue période, elle n'est plus considérée comme un délinquant, mais plutôt comme un délinquant dangereux.

Je suis d'accord avec vous. Je pense que tout le monde est d'accord avec vous. Certainement, ceux qui ont des enfants conviennent que les crimes doivent être punis.

Le sénateur Di Nino : Les parents.

M. Di Luca : Les parents sont d'accord avec vous. Nous sommes tous d'accord pour dire que les crimes doivent être punis.

Le sénateur Di Nino : Ma mère n'osera plus sortir.

M. Goldstein : Cette crainte n'est pas apaisée par cette disposition. Pour réduire la crainte de marcher dans les rues, il faut parler de prévention, pas de punition, et il est question ici de punition. Si vous voulez pouvoir marcher dans les rues en toute sécurité, prévenir la criminalité, résoudre les problèmes sociaux des quartiers où vous avez peur d'aller, mettez en place les programmes sociaux qui ont fonctionné en Europe et mettez des policiers de faction à tous les coins de rue. Ne prenez pas les gens qui ont été déclarés coupables pour deux chefs et ne leur dites pas qu'ils doivent désormais prouver qu'ils ne devraient pas être jetés en prison pour le reste de leurs jours. Cela n'accroît pas la sécurité dans les rues. Cela ne donne pas aux juges les outils nécessaires pour traiter chaque personne individuellement et faire ce pour quoi nous les payons, c'est-à-dire, juger.

Le sénateur Di Nino : Je conviens avec vous que les lois, quelles qu'elles soient, ne régleront jamais complètement le problème. Je suis d'accord qu'elles ne régleront pas le problème. Il faut miser sur la prévention. Il faut régler les autres problèmes. Tout le monde est d'accord avec vous, mais quand quelqu'un a abusé du privilège de la citoyenneté, il faut le traiter différemment.

M. Goldstein : Jetez-les en prison, s'ils ont commis un crime. S'ils méritent l'emprisonnement à vie, imposez-la, mais ne commencez pas à déclarer les gens délinquants dangereux, et avec ce projet de loi vous pouvez déclarer dangereux des gens qui ne le sont pas, quand vous avez le choix de l'incarcération, qui est prévu dans le Code criminel.

Le sénateur Di Nino : Nous ne sommes évidemment pas d'accord.

Le sénateur Watt : Bienvenue. C'était très intéressant et je suis encouragé par vos propos. D'abord, je ne suis pas avocat et je viens de l'Arctique. Les gens que j'essaie de représenter à titre de membre de la chambre de réflexion sont les groupes autochtones, principalement les Inuits du Nunavik, qui fait partie du Québec. C'est de là que je viens.

Dans votre mémoire, vous indiquez à la page 16, que les délinquants autochtones comptent 3 728 cas par 100 000 habitants, tandis que cette proportion s'établit à 432 par 100 000 chez les non Autochtones.

J'aimerais obtenir des éclaircissements à ce sujet. Quel est le coût de tout cela? Nous semblons remplir les pénitenciers du pays à craquer et si nous ne trouvons pas de solution ou si nous ne déterminons pas les coûts, il n'y aura peut-être plus de place pour incarcérer certaines personnes, en particulier les groupes minoritaires, comme vous l'avez bien fait ressortir.

Voilà une question. Elle est assez générale. J'aimerais que vous me donniez des explications. En quoi faisons-nous fausse route et comment corriger le tir? Comme vous, j'aimerais que ma communauté soit plus sûre, mais dans certains cas, le criminel est là et, peu importe ce que nous déciderons de faire, même avec des améliorations, il y aura toujours de nouveaux criminels.

En ce qui concerne les délinquants dangereux, il y a un certain nombre d'Autochtones, comme je viens de le dire, un grand nombre, qui remplissent probablement plus de la moitié d'un pénitencier en Saskatchewan, par exemple. Ils sont très nombreux et il ne fait aucun doute dans mon esprit qu'ils sont des récidivistes. C'est certainement le cas dans ma région, les gens que je connais, ceux à qui j'ai parlé et ceux avec qui je suis en contact et que je connais bien.

Qu'arrivera-t-il à ceux qui ont déjà été déclarés coupables deux ou trois fois? S'il est adopté, ce projet de loi aura-t-il un effet rétroactif? Est-ce que vous essayez de démontrer, que le nombre ne diminuera pas, au contraire il va certainement augmenter? Pouvez-vous préciser votre pensée?

M. Goldstein : La réponse courte à cette question est oui, absolument, cette disposition ne stipule nullement que seules les déclarations de culpabilité au criminel après l'adoption du projet de loi compteront. De fait, c'est plutôt le contraire; l'objectif est d'inclure ceux qui ont un casier judiciaire. Il s'agit donc certainement d'un problème gigantesque.

Les délinquants dangereux, comme on me l'a demandé la dernière fois, représenteront probablement de manière disproportionnée certains groupes, ce qui va dans le sens de votre première question, au sujet des racines du crime. Malheureusement, du point de vue socio-économique — et je ne peux pas parler de façon intelligente de cette question — je peux dire que cette disposition du projet de loi C-2 constitue, pour les minorités et la communauté autochtones, un problème aussi important, voire plus important que pour les autres communautés.

M. Di Luca : C'est clair, d'autres pays ont examiné les répercussions. Aux États-Unis, les peines minimales obligatoires ont eu une incidence disproportionnée très évidente sur les communautés noires et hispaniques. En Australie, ils ont examiné la situation, et le conseil autochtone a qualifié les peines minimales obligatoires de racistes et de discriminatoires et a aussi constaté un effet disproportionné.

Nous envisageons des peines minimales obligatoires pour les crimes à main armée. Nous nous imaginons un jeune de Toronto qui se promène avec une arme à feu, comme si c'était un bijou, mais je vous défie de demander à un Autochtone du Nord si un fusil est une arme. Il vous répondra que ce n'est pas une arme, c'est un outil.

Si nous imposons des peines minimales obligatoires à des gens qui se servent d'un fusil comme d'un outil, et qui n'ont peut-être pas les moyens d'obtenir la bonne documentation, le permis ou que sais-je encore, ou qui ont vendu l'arme à leur voisin, ce sont ces gens-là qui se feront imposer une peine minimale obligatoire. Si nous ne pensons pas que les conséquences sont disproportionnées, alors nous nous leurrons, parce qu'il s'agit en réalité d'une question de culpabilité morale. Même si la culpabilité morale est parfois élevée, le jeune qui arrive à l'école avec un pistolet et qui tire sur quelqu'un, dans votre situation, dans la situation des gens dont vous êtes le porte-parole, où est la culpabilité morale qui attaque une peine minimale obligatoire de cette nature? Elle est peut-être complètement absente. Si elle est présente, où est le lien entre la cause profonde de cette criminalité et son élimination en jetant des gens en prison pour cinq ans? Je ne le vois pas.

M. Rady : Il faut aussi se rappeler que le Code criminel s'applique uniformément dans tout le pays et qu'essayer de régler un problème des grandes villes peut avoir des répercussions différentes sur les gens du Nord. Je suis convaincu que vous savez que lorsque les gens du Nord sont incarcérés, ils se retrouvent très loin de leur famille, ce qui est encore plus pénible et accentue les disparités.

Le sénateur Watt : Nous connaissons certainement des situations de ce genre.

M. Rady : Je crois que 21 p. 100 des délinquants dangereux sont autochtones.

Le sénateur Milne : Je reviens aux dispositions du projet de loi qui renversent le fardeau de la preuve. Je vous remercie beaucoup, monsieur Di Luca, pour ce mémoire. Vous abordez les problèmes que pose l'article 42, sur les délinquants dangereux, et vous affirmez que la seule chose qui sauve les dispositions sur les délinquants dangereux, ce sont les critères stricts et les garanties procédurales qui existent actuellement. C'était le cas dans les arrêts Johnson et Lyons.

Mais l'article 42 du projet de loi les élimine. Il élimine toute cette protection qui a sauvé les dispositions sur les délinquants dangereux du Code criminel actuel dans ces deux arrêts.

Qu'arrivera-t-il, selon vous, à la première contestation?

M. Goldstein : Il est toujours possible que des faits erronés empêchent de bonnes décisions. Il y a donc une mince possibilité que la première contestation échoue au niveau du procès. Mais il me semble qu'une interprétation correcte et approfondie de l'arrêt Lyons d'abord, puis après les modifications de la loi, de l'arrêt Johnson, fera que la contestation réussira et probablement en première instance. On peut se demander ensuite quelle Cour d'appel la maintiendra la première et, finalement, puisque c'est sans aucun doute une question d'importance nationale, quand elle finira par arriver à la Cour suprême. C'est une question très intéressante et très importante.

La question corollaire, et celle qui préoccupe davantage tous les membres des communautés qui sont représentées ici, c'est : qu'est-ce qui arrive entre-temps? Si le projet de loi est adopté, des gens seront déclarés délinquants dangereux et, si je ne me trompe pas et que les dispositions tombent, soudainement, il y aura cette hausse massive des nouvelles audiences.

L'arrêt Johnson a eu cette conséquence, dans une petite mesure, puisqu'un certain nombre de personnes ont été renvoyées à de nouvelles audiences, parce que le juge qui avait déterminé leur peine n'avait pas considéré les critères de cet arrêt. Ils étaient peu nombreux. Qu'est-ce qui arrivera quand ces dispositions entreront en vigueur et que des délinquants dangereux seront déclarés tels en invoquant ces dispositions? Actuellement, ils sont tous suspects et ils reviennent tous. Qu'arrivera-t-il si toute la partie XXIV tombe? C'est une possibilité si la contestation est plus vaste et que le tribunal est constitué différemment. Il y aura alors un énorme vide. Il n'y aura plus aucune loi sur les délinquants dangereux et les personnes qui sont ciblées avec raison ne le seront plus. Il me semble qu'une loi conservatrice et utile est meilleure qu'une loi coercitive et douteuse.

Le sénateur Milne : Dans ce mémoire, vous ne parlez pas du renversement de la preuve prévu à l'article 37 du projet de loi. Il porte sur la personne qui a été déclarée coupable d'une infraction commise à l'aide d'une arme à feu, qui est en liberté sous caution et qui commet une autre infraction à l'aide d'une arme à feu. Vous avez dit que c'était un motif tertiaire. Il me semble que ce n'est pas un motif tertiaire. Que pensez-vous de cet article?

M. Di Luca : Dans le cas de cet article, il y a un ajout au motif tertiaire de mise en liberté sous condition, qui est examiné séparément.

Dans la pratique, les juges le font déjà. Ils ne renversent pas le fardeau de la preuve. Quand un juge voit quelqu'un dans cette situation, il est déjà très au fait des mesures à prendre pour évaluer la mise en liberté sous caution de quelqu'un qui a utilisé une arme à feu. La souplesse qui existe actuellement, même dans une décision de mise en liberté sous caution, qui constitue un droit constitutionnel, doit être maintenue.

Les cas varieront selon la culpabilité morale, la gravité de l'infraction et les antécédents de la personne permettant de prendre une décision éclairée. S'il est question d'un acte criminel grave commis à l'aide d'une arme à feu, le juge le saura et saura ce qui arrive dans ce cas.

Il n'y a pas de boule de cristal permettant de prédire quelle personne remise en liberté récidivera. Nous ne pouvons pas le prévoir. Mais il y a un principe constitutionnel selon lequel on a droit à une mise en liberté sous caution raisonnable. Je pense que cela doit être respecté. Dans cette disposition, on va beaucoup trop loin à cet égard.

M. Goldstein : Voilà un parfait exemple d'une législation de grande portée qui ne tient pas compte des diverses communautés. Toronto, si je comprends bien, a certains problèmes relatifs à l'utilisation des armes à feu. Ottawa, la ville où nous sommes aujourd'hui, si je comprends bien, est la capitale canadienne des homicides commis à l'aide d'un couteau. Dans les audiences de mise en liberté sous caution à Ottawa, les juges de paix sont autant préoccupés par la présence d'un couteau que par la présence d'une arme à feu. Il en est ainsi parce que les juges de paix appartiennent à la communauté et reconnaissent les dangers qui existent dans leur communauté. Quand la loi prévoit qu'il faut s'inquiéter de ceci ou de cela — les armes à feu ou autre chose — vous devez comprendre que les juges de paix se promènent dans les rues eux aussi. Ils connaissent les préoccupations de la communauté. Par exemple, à Ottawa, ce ne sont pas les armes à feu, se sont les couteaux. Le projet de loi ne tient pas compte de cette situation.

Le sénateur Milne : Il s'agit d'une observation, parce que le sénateur Carstairs a dû partir. En ce qui concerne l'âge du consentement, il semble que ce projet de loi mène à une situation ridicule où, en portant l'âge du consentement à 16 ans, on fait en sorte que, dans certaines régions du Canada, un jeune de 15 ans n'a pas le droit d'embrasser quelqu'un qui a cinq ans et deux jours de plus que soi; mais ils peuvent se marier, ce qui me paraît très bizarre. Ils peuvent aussi se marier dans d'autres régions du Canada si la femme est enceinte. Pardonnez-moi, mais comment est-elle devenue enceinte? Comme l'Immaculée Conception peut-être? Personne n'a le droit de la toucher, encore moins de l'embrasser ou de la prendre dans ses bras.

Je pense que cette histoire d'âge du consentement est ridicule. Cela créera des situations impossibles.

Le sénateur Andreychuk : Je trouve assez curieux que vous affirmiez, monsieur Rady, qu'il ne faudrait pas adopter des lois sur la conduite avec facultés affaiblies par la drogue tant que la société n'est pas prête et que c'est pour des raisons de culture et d'éducation que les gens ne croient pas qu'on devrait conduire avec des facultés affaiblies. La diminution du tabagisme est le fruit de l'effet combiné de l'éducation, de la culture et des lois. Nous avons adopté toutes sortes de lois et nous avons utilisé la loi comme facteur de dénonciation, de dissuasion, d'éducation, et ainsi de suite, pour faire comprendre que ce n'était pas acceptable. Nous avions toutes sortes de loi; nous avons empêché les jeunes d'acheter des cigarettes; nous avons imposé des taxes sur les cigarettes. Nous avons utilisés toutes sortes de moyens législatifs comme outils de la société.

Ne croyez-vous pas que le Code criminel est un outil pour résoudre le problème de la conduite avec facultés affaiblies dans la société? La loi est parfois en avance et parfois en retard.

M. Rady : Le tabagisme a commencé à diminuer quand on a interdit la publicité sur le tabac à la télévision et dans les magazines. C'était une loi pour dire que ce n'était plus permis. Le tabagisme était glorifié, avec le cowboy de Marlboro sur les photos, par exemple. On a changé la façon de penser. Il y a eu une loi, mais c'était moins une loi punitive qu'une interdiction d'annoncer les cigarettes à la télévision ou dans les magazines. Les acteurs dans les films ont tendance à ne plus fumer. Il y a encore des infractions relatives au tabagisme. Par exemple, il est interdit de fumer à tel ou tel endroit. Il y a encore des fumeurs, mais ils ont été ostracisés en étant forcés de fumer dehors. Ce n'est pas acceptable socialement.

Pour répondre à la deuxième partie de votre question, oui, dans le droit pénal, on peut prendre des mesures pour rendre certaines choses socialement inacceptables. En droit pénal, les infractions et les situations dont il est question dans le projet de loi C-2 disent déjà que certaines choses ne sont pas acceptables. Cela peut paraître comme un renforcement de la réglementation, mais il est illusoire de penser qu'une fois le projet de loi adopté, ou un mois ou deux plus tard, vous pourrez marcher en toute sécurité dans les rues de Toronto et le problème aura été réglé. Il faut davantage que cela. Il faut cesser de glorifier l'utilisation des armes à feu.

Nous pourrions nous lancer dans toutes sortes de questions sociales au sujet de ce que voient les gens à la télévision et de ce qui est présenté comme quelque chose de bon, et il y a des films comme Rapides et dangereux — je ne le ferai pas. Cela va plus loin. C'est ce que j'essaie de dire. Nous devons en arriver à cette socialisation.

Le sénateur Andreychuk : Le ministre n'a certainement pas présenté le projet de loi C-2 comme la réponse à tous les problèmes auquel il s'attaque. C'est une pierre angulaire. J'ai interrogé expressément le ministre sur les mesures préventives, par exemple, la police communautaire, les sources préventives, les organisations non gouvernementales et d'autres qui s'intéressent à ces problèmes. Le projet de loi C-2 était une importante pierre angulaire pour s'attaquer à ce problème.

Je trouve intéressant que vous ne soyez pas de cet avis au sujet de la conduite avec facultés affaiblies. Nous attendons que cela devienne un enjeu de société, puis nous adoptons une loi? Entendons-nous pour ne pas être d'accord.

Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir au mémoire de la Criminal Lawyers' Association. À la page 18, vous examinez quelques mécanismes de protection.

Pouvez-vous nous expliquer le sens de la recommandation, qui demande d'inclure dans le projet de loi C-2 une disposition prévoyant un examen des dispositions relatives aux peines minimales obligatoires après cinq ans? N'y a-t-il pas d'autres aspects du projet de loi qui devraient aussi être examinés après cinq ans?

M. Di Luca : Si nous acceptons pour un moment l'hypothèse que les peines minimales obligatoires réduiront la criminalité, et je n'en suis pas encore convaincu, en me fondant sur les études que le ministère de la Justice a publiées, ou sur d'autres sources, et que nous décidons de vérifier cette hypothèse, alors je suis d'avis que nous devrions nous retrouver ici dans cinq ans et demander au ministère de la Justice et aux experts de faire rapport au comité pour voir ce qui a changé. Je serais prêt à parier qu'on constaterait que les peines minimales obligatoires n'ont pas fonctionné. Nous savons tous qu'une fois que des droits sont perdus, il est presque impossible de les recouvrer par la suite. Si nous pouvions au moins limiter dans le temps des mesures comme celles qui sont envisagées, nous pourrions revenir dans un contexte rationnel et examiner les preuves.

Franchement, je pense que cet examen devrait s'appliquer à tout le projet de loi. Il y a d'autres articles qui pourraient être visés, comme les dispositions sur les délinquants dangereux ou celles sur la conduite avec facultés affaiblies. Revenons voir si le projet de loi fait une différence. En ce qui concerne la conduite avec facultés affaiblies par la drogue, je ne connais même pas l'ampleur du problème. Nous sommes dans le noir. Il est difficile de savoir où nous serons dans cinq ans. En ce qui concerne les peines minimales obligatoires, nous pourrions réexaminer la situation. Il s'agit de demander aux bonnes personnes de revenir et de présenter un bilan de la situation. On l'a fait pour d'autres mesures législatives, comme les dispositions sur l'ADN. Il y a un mécanisme qui pourrait être utilisé.

Le sénateur Stratton : J'aimerais revenir sur l'effet dissuasif auquel le sénateur Andreychuk a fait allusion. Essentiellement, le gouvernement a investi pour que la police ait plus d'outils sur le terrain. C'est quelque chose qu'il faut respecter, et nous espérons que cela se fera rapidement. Cela se fait rapidement. L'autre aspect, ce sont les mesures préventives au sujet de la criminalité liée à la drogue ou à la prévention. Ces deux aspects, conjugués au projet de loi, constituent les trois piliers qui assureront la stabilité.

M. Rady a affirmé que nous avons besoin d'autres études et d'autres renseignements. Les gens demanderont : Pourquoi? M. Goldstein et moi-même détestons répéter cela, mais quand j'entends dire que le système fonctionne et qu'il y a des gangs Winnipeg, on sait qu'il ne fonctionne pas. M. Di Luca a affirmé que le projet de loi ne réduirait pas le problème de manière significative. Mais la réaction du public sera : « Si ce projet de loi réussit à empêcher ne serait-ce qu'une personne de récidiver, alors je suis tout à fait pour ». On peut voir la réaction viscérale des citoyens de ma ville, qui diront : « Adoptez ce projet de loi ». Avec les deux autres piliers, ne pensez-vous pas que cela vaut la peine?

M. Rady : Non, et je vais vous expliquer pourquoi.

Le sénateur Stratton : Très bien. Je ne m'attendais pas à ce que vous répondiez oui.

M. Rady : Ce projet de loi a une portée très vaste. Le délinquant dangereux que vous voulez neutraliser le sera avec les dispositions actuelles sur les délinquants dangereux. S'il est dangereux, la Couronne peut présenter une demande de déclaration de délinquant dangereux, et elle peut y arriver. Pourquoi ne le fait-elle pas? Parce que ça coûte cher et ça prend du temps. Tout ce que l'on fait, c'est reporter le problème sur le prévenu pour faciliter les choses. La poursuite possède déjà les outils pour le faire. La peine pour les crimes à main armée existe déjà. La peine pour les prédateurs sexuels existe déjà. Nous avions un problème ou ce qui semblait être un problème de consommation d'alcool, alors ils ont créé la prohibition aux États-Unis et au Canada. Cela n'a pas très bien fonctionné.

Vous pouvez affirmer que le public se sentira mieux à cause du projet de loi, mais il doit y avoir aussi des gens qui se demandent ce que fera exactement le projet de loi. Je dis que nous avons besoin d'autres études. L'étude législative effectuée par le Parlement affirme que rien ne démontre qu'il y aura un effet dissuasif sur les crimes à main armée. Ce n'est pas moi qui l'ai écrit; c'est le ministère de la Justice qui l'a écrit, la poursuite, si je ne m'abuse. S'ils disent cela, ne faut-il pas se renseigner davantage? Pourquoi faire quelque chose si cela ne donne rien? Voilà la question. C'est un cataplasme. Nous allons créer quelque chose et nous aurons ce projet de loi très musclé sur la criminalité et nous emploierons les bons mots et appuierons sur les bons boutons, et les gens diront que nous agissons.

C'est généralisé dans tous les partis. Nous pouvons voir les débats à la Chambre. Je ne dis pas que le Parti conservateur est en faveur et pas les Libéraux ou les Néo-démocrates et le Bloc dans une certaine mesure. Il y a un vaste appui dans tous les partis. Ce n'est pas partisan. C'est très facile de dire : « Attaquons-nous à la criminalité ». Personne ne se fera élire en étant mou au sujet de la criminalité. Personne ne se fera élire en étant raisonnable à propos de la criminalité. C'est considéré comme une mesure politique. Nous affirmons que les effets dureront plus longtemps que la nature politique de la situation. Nous voulons une véritable réponse à ces problèmes liés à la criminalité. Soyons sincères. Nous ne pouvons pas affirmer, à partir de l'information que nous possédons actuellement, que le projet de loi aura l'effet que vous pensez qu'il aura, et nous affirmons que nous ne croyons pas qu'il aura cet effet sur la criminalité; il pourrait même accroître les injustices. Nous pouvons être d'accord ou non à ce sujet, mais nous voyons les clients quand ils viennent dans nos bureaux, et nous devinons ce qu'ils pensent. Quand nous voyons nos clients, nous nous rendons compte qu'ils ne se demandent pas s'il y a ou non une peine minimale obligatoire.

M. Goldstein : Si vous me permettez de poser moi-même une question, je vous demanderais si vous seriez prêt à aller à Winnipeg et à dire : « Adoptons ce projet de loi pour neutraliser ce type-là, et à préciser que les 60 000 $ qu'il a fallu pour ce faire pourraient être consacrés à une cure de désintoxication qui empêcherait cinq crimes?

Le sénateur Stratton : Nous l'avons fait. C'est là le problème. Le public dit : « Nous l'avons essayé. Cela n'a rien donné. C'est pire qu'avant. » Ce serait sa réaction.

La présidente : Ce fut une journée fascinante et il y en aura d'autres, grâce à la contribution des experts et à un débat vigoureux.

Le sénateur Milne : J'invoque le Règlement. Je crois comprendre que les conservateurs ont demandé ce matin à la Chambre des communes un vote de confiance sur le projet de loi sur la criminalité.

La présidente : Je crois qu'ils ont déposé un avis de motion.

Le sénateur Milne : Ils ont déposé une motion de confiance.

La présidente : J'attends avec beaucoup d'intérêt les points de vue des autorités parlementaires sur l'acceptabilité d'une telle motion, mais c'est une motion à la Chambre des communes et non au Sénat, et certainement pas à notre comité. Je pense que vous voulez invoquer le Règlement, sénateur Milne. À titre d'information, c'est effectivement fascinant.

Je remercie tous nos témoins. Vous avez passé beaucoup de temps avec nous. La séance a été très longue. Elle a été très intéressante et constructive pour nous. Nous vous en sommes très reconnaissants.

La séance est levée.


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