Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 7 - Témoignages du 13 février 2008
OTTAWA, le mercredi 13 février 2008
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été renvoyé le projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence, s'est réuni aujourd'hui à 16 h 2 pour procéder à l'examen du projet de loi.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, soyez les bienvenus à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous poursuivrons aujourd'hui notre examen du projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois.
Nos premiers témoins seront M. Irvin Waller, directeur de l'Institut pour la prévention de la criminalité, également membre de l'Association canadienne de justice pénale, M. Tim Stuempel, président du Comité d'examen des politiques publiques et Mme Stacey Hannem membre de ce Comité d'examen des politiques publiques.
Irvin Waller, directeur, Institut pour la prévention de la criminalité : Mon exposé va être fait en anglais, mais lors des questions, c'est très volontiers que je m'exprimerai dans l'une ou l'autre langue. Vous avez dû recevoir un dossier, soit en anglais, soit en français. Il contient une copie de notre mémoire, dont je voudrais vous entretenir aujourd'hui. Seule la version anglaise est disponible pour l'instant.
Je soutiens entièrement le souci qu'a le Parlement de s'attaquer aux crimes de violence. Cela dit, au niveau de la prévention, il faut veiller à ce que nos investissements en temps et en moyens soient faits intelligemment et qu'on ne se contente pas de débats interminables sur les modifications qu'il conviendrait d'apporter au Code criminel.
Dans notre mémoire, nous vous demandons de recommander à vos collègues de la Chambre des communes de s'entendre entre partis politiques sur les moyens offrant les meilleures chances d'efficacité, et d'écarter les solutions vouées à l'échec. Il faudrait qu'ils parviennent à convenir de mesures à adopter d'urgence pour combattre les actes de violence tant dans les lieux publics que chez les particuliers et dans nos écoles. Nous devons, et le mot n'est pas trop fort, nous attaquer sans attendre aux crimes de violence.
Dans notre mémoire, nous faisons essentiellement valoir que le Canada pourrait être l'un des chefs de file mondiaux de la victimologie si nous nous attachions à nous servir de ce que nous savons de l'efficacité des divers moyens susceptibles d'être mis en œuvre. On ne peut pas dire que ce soit le cas de la plupart des dispositions inscrites dans le projet de loi C-2.
Il nous faut aller bien au-delà de simples modifications du Code criminel et des interminables débats auxquels ces modifications donnent lieu. Il nous faut aller au-delà d'une simple augmentation du nombre d'agents de police, et investir de manière intelligente et soutenue dans des moyens qui permettront de s'attaquer aux racines mêmes de la violence. Il nous faut pour cela mobiliser les divers paliers de gouvernement, les ministères de l'Éducation, les services sociaux, les organismes de santé publique, les services de police et d'autres encore afin de s'attaquer, ensemble, aux multiples causes de la violence. Je voudrais que le Parlement et les législatures provinciales, dans leur action, tiennent compte du résultat des travaux de recherche, ainsi que du consensus international sur les moyens d'atténuer le niveau de violence. Et il nous faut parvenir en cela à des résultats quantifiables.
On présente le projet de loi C-2 comme un ensemble de mesures permettant de s'attaquer aux crimes de violence, mais on ne trouve dans ce texte aucun des éléments clés qui permettraient effectivement d'accroître la sécurité de la population dans les rues, dans les écoles et dans les foyers mêmes des Canadiens. Je m'inquiète beaucoup de la violence au Canada. Qu'elle soit statistiquement en baisse ou en augmentation n'est pas d'après moi la question, car il n'y a guère de rapport entre la violence au quotidien, les modifications apportées au Code criminel et l'état de notre justice pénale.
Ce qui est certain, c'est que le nombre de victimes est trop élevé et qu'il faut trouver à cela un remède. Cette année, environ un demi-million de femmes seront victimes d'une agression sexuelle. Un demi-million de personnes se feront voler leur voiture ou verront leur voiture être l'objet d'un vol avec effraction. Un demi-million de foyers seront la cible d'une introduction par effraction ou d'une tentative d'introduction par effraction, et je ne parle même pas des 500 à 600 personnes qui seront assassinées. C'est dire qu'il nous faut prendre des mesures qui soient suivies d'effet.
Je sais que d'autres intervenants vont proposer au comité les moyens d'améliorer le texte sur certains points avant de le renvoyer à la Chambre. J'espère, cependant, que, en le renvoyant à la Chambre, vous l'accompagnerez d'une requête formulée en termes clairs et énergiques à l'intention de tous les partis politiques. N'oublions pas que le projet de loi C-2 a vu le jour dans le contexte de l'assassinat de Jane Creba le lendemain de Noël. Les trois partis politiques de l'Ontario ont à cette occasion adopté une même attitude, attitude qui se reflète dans le projet de loi C-2.
Je veux que vous leur demandiez de prendre des mesures énergiques et efficaces afin de réduire sensiblement les crimes de violence et d'atténuer la brutalité dont trop de Canadiens sont actuellement victimes. Il faut que cette vague d'efforts se propage de Toronto, où ce genre de choses fait la une des journaux, jusqu'à Iqaluit où les problèmes sont en fait beaucoup plus graves, de Halifax à Vancouver, de Winnipeg à Edmonton. Je reviendrai d'ailleurs dans quelques instants sur le cas d'Edmonton.
Rien ne saurait excuser, de la part de la Chambre des communes ou du comité sénatorial, un manque de vigueur dans l'élaboration d'une politique de prévention des crimes de violence. Le 6 novembre, le gouvernement de l'Alberta a pris une initiative courageuse en reconnaissant que pour contrer la criminalité, il faut non seulement s'attaquer aux crimes eux-mêmes, mais également à ses causes. Les autorités de la province ont opté pour une stratégie tripartie : application de la loi, prévention et traitement. C'est comme cela que nous allons devoir procéder. J'estime, pour ma part, que l'ordre dans lequel ont été présentés les divers volets de cette stratégie — application de la loi, prévention et traitement — ne correspond pas à l'ordre dans lequel devraient être effectués les investissements nécessaires. C'est, en effet, à la prévention que devrait être affecté le plus gros des crédits alors qu'au départ, l'argent ira principalement à la police et à la construction de nouvelles prisons.
Dans les quelques minutes dont je dispose ici, je tiens surtout à insister sur le fait qu'au Canada, on pourrait faire beaucoup mieux que l'on a fait jusqu'ici. Prenez le cas de Boston. Au milieu des années 1990, sans pour cela faire adopter des dispositions spéciales visant les délinquants dangereux, sans augmenter les peines maximales et sans législation spéciale sur le contrôle des armes à feu, c'est-à-dire sans aucun des éléments qui figurent dans ce projet de loi, les autorités sont parvenues à éliminer entièrement l'assassinat sur la voie publique de personnes de moins de 18 ans. C'est quelque chose qui n'arrive plus. Elles sont en outre parvenues à réduire de 50 à 60 p. 100 le nombre de décès de membres plus âgés de bandes de rue. Comment y sont-ils parvenus? Eh bien, c'est en menant de manière plus intelligente les activités de police et de prévention.
Ils n'ont commis qu'une seule erreur, c'est de ne pas pérenniser ce mode d'action. Nous pourrions faire la même chose ici, à Toronto, à Winnipeg, à Regina ou à Vancouver, mais il nous faudrait pour cela recevoir l'impulsion du Parlement du Canada.
Depuis presque 40 ans, je me spécialise dans l'étude de la criminalité. Je me suis penché sur l'efficacité de notre régime de libération conditionnelle; j'ai eu quelques influences sur les politiques publiques en ce domaine. Je travaillais déjà chez le solliciteur général du Canada avant l'arrivée du sénateur Fox. J'ai contribué à la rédaction de la législation sur les délinquants dangereux; j'ai pris part à la législation sur le contrôle des armes à feu et sur les nouvelles mesures en matière de paix et de sécurité. Il m'a en outre été donné de faire ce genre de travail dans plus de 40 autres pays, y compris aux côtés de Nelson Mandela. J'ai œuvré au sein d'une commission mise sur pied aux États-Unis, et collaboré avec Tony Blair, qui, il y a plus de 10 ans, au lieu de présenter un projet de loi tel que celui sur lequel nous nous penchons actuellement, a présenté un projet qui s'appelait Crime and Disorder Act, et qui, au lieu de simplement tenter de modifier les peines, s'attachait vraiment à réduire la criminalité et atténuer les désordres. Dans le cadre de cette loi, M. Blair avait institué un Youth Justice Board, qui avait pour mission de réaffecter une partie des crédits des tribunaux de police et du système correctionnel, la commission de vérification financière ayant estimé qu'en ce qui concerne la jeunesse, cet argent était mal employé. Il s'agissait, donc, d'affecter une partie de ces crédits à des programmes de déjudiciarisation, certes, mais surtout à des programmes de prévention.
Cette commission a institué 72 programmes dans les régions d'Angleterre les plus touchées par la criminalité, ce qui a entraîné une baisse de 50 à 60 p. 100 des activités criminelles imputables à des jeunes. C'est, parmi tant d'autres, un exemple de ce que l'on pourrait faire ici.
D'après moi, au Canada, ce qui fait obstacle à l'adoption de lois efficaces en ce domaine, c'est essentiellement un manque d'information. C'est pour cela que j'ai passé les deux ou trois dernières années à écrire un livre à votre intention, à l'intention de tous les citoyens qui souhaiteraient voir évoluer la situation, à l'intention des législateurs canadiens et, incidemment, des législateurs américains. Ce livre a été publié sous le titre Less Law, More Order et j'en remettrai tout à l'heure un exemplaire à la présidente du comité. C'est très volontiers que j'en ferai transmettre d'autres exemplaires à ceux que cela intéresserait. C'est un livre mince qui se lit aisément le temps du vol Ottawa-Vancouver. C'est un ouvrage qui expose avec lucidité et sans détours les moyens de faire régresser la criminalité. C'est un ouvrage extrêmement critique à l'égard des politiques américaines qui consistent essentiellement à accroître les effectifs de la police et à imposer de très longues peines de prison à toute personne jugée coupable de trois infractions, quelle qu'en soit la gravité. Les dispositions que vous envisagez d'adopter au Canada pour les délinquants dangereux ne vont tout de même pas jusqu'au régime draconien en vigueur en Californie, et ce serait effectivement très grave que de vouloir s'aligner sur ce genre de mesure.
Mais ce livre ne formule pas seulement des critiques. Se fondant sur une étude des rapports de l'Académie nationale des sciences des États-Unis, de l'Organisation mondiale de la santé et de l'ONU, il opère une sorte de synthèse des recommandations formulées par ces divers organismes. C'est dire que les recommandations qu'il contient ne découlent pas des résultats des recherches isolées mais reposent sur un consensus intentionnel qui, au cours de ces dernières années, a pris une ampleur considérable.
Sont notamment exposées dans ce livre de nombreuses mesures qui, comme les projets d'intégration des jeunes mis en œuvre à Boston, ont fait leurs preuves. Nous pourrions prendre exemple sur les villes qui sont parvenues à réduire sensiblement le nombre de crimes de violence, dont certaines villes d'Angleterre et du Pays-de-Galles. Cet ouvrage dresse une sorte de plan d'architecte sur lequel figurent les mesures que la Chambre des communes et le Sénat devraient envisager pour contrer la violence.
Dans notre mémoire, j'évoque également les travaux menés au sein de l'Institut. Nous avons convoqué un groupe de travail national afin d'effectuer une comparaison entre ce que nous savons en matière de prévention et ce qui se fait en pratique. Ce groupe comprenait les chefs de police, des représentants des municipalités, des associations de victimes et, aussi, des contrevenants. Vous aurez, tout à l'heure, l'occasion d'entendre un des représentants de la Société John Howard.
Voici le consensus auquel nous sommes parvenus quant à ce qu'il convient de faire : les mesures de prévention sont efficaces et c'est à cela que nous devrions nous attacher au Canada dans le cadre d'un plan d'action faisant appel à tous les paliers de gouvernement. Il nous faudrait les municipalités à obtenir les crédits nécessaires, et à bien les employer. Certaines municipalités agissent déjà en ce sens, mais il faudrait qu'elles soient beaucoup plus nombreuses à le faire.
Il nous faut également recueillir des données plus complètes. Je sais que le ministre de la Justice est convaincu de la valeur des enquêtes auprès des victimes, mais je voudrais que de telles enquêtes soient menées tous les ans et que des projets de loi tels que celui-ci soient évalués en fonction de leurs résultats. Je voudrais également voir mener davantage d'enquêtes sur la violence contre les femmes.
Selon les enquêtes menées tous les cinq ans auprès des victimes, la proportion de personnes qui, au Canada, déclarent effectivement à la police les infractions dont elles sont victimes est en baisse. À l'heure actuelle, 65 p. 100 environ des victimes ne signalent pas à la police les infractions dont elles sont victimes. La proportion monte à 90 p. 100 pour les victimes d'agressions sexuelles. C'est dire que les statistiques policières ne permettent guère de savoir où l'on en est au juste.
Ce rapport — dont les recommandations sont reprises dans notre mémoire ainsi que dans les documents qui vous ont été distribués — a été avalisé par l'Association canadienne des chefs de police, ainsi que par la Fédération canadienne des municipalités. Vous en trouverez le texte dans notre mémoire.
Je tiens, maintenant, à faire quelques observations au sujet de l'Alberta. Cette province a organisé un grand groupe de travail chargé de réfléchir aux diverses mesures à mettre en œuvre. Ce groupe était présidé par un membre de l'Assemblée législative et comprenait notamment le chef de la police d'Edmonton et un des doyens du Barreau. Vous savez peut-être que je ne compte pas trop sur les avocats pour combattre la criminalité mais, enfin, ce groupe de travail comprenait un avocat ainsi qu'un représentant des communautés autochtones. C'est le genre de représentation qui devrait effectivement être assurée dans ce genre de comité qui comprenait en outre le président d'un conseil villageois.
Les membres de ce groupe de travail se sont penchés sur les résultats des recherches entreprises et se sont entretenus avec des experts ainsi qu'avec de simples citoyens. Ensuite, ils ont formulé leurs recommandations. Certaines de ces recommandations portent l'empreinte des idées exposées dans ce livre et des recherches menées au sein de l'Institut.
Il y a, en tout, 31 recommandations. Elles portent, certes, sur l'application de la loi, la prévention et le traitement, mais je relève que plus d'un tiers de ces recommandations visent des mesures de prévention. La plus importante porte sur l'adoption, à l'échelle de la province tout entière, d'une stratégie de reflux de la criminalité et l'instauration d'un centre de responsabilité en matière de prévention. C'est la première des dix priorités fixées par le groupe de travail. Je pense que c'est aussi comme cela que nous devrions procéder au niveau fédéral. Nous avons, certes, un Conseil national de prévention du crime. Cet organisme fait du bon travail, mais il pourrait obtenir des résultats encore plus probants s'il intervenait à un niveau suffisamment élevé et si on lui accordait un financement soutenu lui permettant de renforcer son action.
J'aimerais, si vous le voulez bien, terminer par quelques observations dans le domaine des faits. Dans notre mémoire, j'expose un certain nombre de faits et je reproduis une page de l'enquête de Statistique Canada sur les victimes. Permettez-moi de rappeler certains faits qui revêtent, me semble-t-il, une importance essentielle.
Un adulte sur quatre s'est dit victime d'un crime. Ça fait beaucoup d'électeurs. Cela veut dire, donc, que les électeurs se sentent concernés. On note un moindre nombre, mais 500 000 personnes ce n'est pas rien, de femmes qui ont été victimes d'une agression sexuelle. Cinq cent mille personnes aussi qui se sont fait voler leur voiture. Ce chiffre revêt une importance particulière car, outre l'atteinte aux biens, on peut considérer qu'un grand nombre de ces voleurs de voiture vont, une fois au volant, se montrer imprudents, avec toutes les conséquences que cela peut entraîner au niveau des blessés et des morts. J'ajoute qu'il y a également eu 500 000 introductions par effraction.
Ce que je propose va peut-être vous surprendre de la part de quelqu'un qui attache une telle importance aux taux de victimisation. Ce que je propose, donc, ce sont des solutions qui permettent de faire baisser ces chiffres, car c'est bien la mission qui nous incombe. Dans la mesure où nous parvenons à influencer — ça c'est mon travail — et dans la mesure où vous parvenez à définir des politiques qui vont être appliquées, il nous faut pouvoir constater que les chiffres que je viens de citer baissent effectivement.
Je précise que ces taux ne s'écartent pas tellement de ceux constatés aux États-Unis. Il est clair qu'à New York le nombre d'assassinats, exprimé en termes de pourcentage, est plus élevé qu'ici, mais les autres chiffres ne s'écartent pas tellement des nôtres.
Je viens d'évoquer certaines des solutions qui ont fait leurs preuves. Nous pourrions notamment ajouter à tous les programme scolaires du pays une quatrième matière de base qui serait un programme destiné à mieux faire comprendre aux jeunes comment éviter la violence et en particulier la violence contre les femmes. Ça ne coûterait pas très cher.
Nous pourrions également lancer des projets d'intégration de la jeunesse et ça, non plus, ne coûterait pas très cher. Je m'empresse d'ajouter que cela exigerait tout de même un certain financement qui devra en outre être pérennisé. Nous pourrions, à Toronto, à Winnipeg ou partout où les bandes laissent derrière elles des morts, mettre en œuvre des programmes tels que celui qu'ils ont adopté à Boston. Nous pourrions adopter la stratégie de lutte contre la criminalité mise en œuvre par le Manitoba qui est arrivé à réduire de 50 p. 100 le nombre de vols de voiture dans l'ensemble de la province.
La dernière page de notre mémoire reprend les statistiques tirées de l'enquête de Statistique Canada. Si j'ai fait figurer ces chiffres dans notre mémoire, c'est parce que notre objectif, et le vôtre aussi puisque vous allez devoir formuler des recommandations à l'intention de la Chambre, est de faire en sorte que les dispositions adoptées soient effectivement susceptibles de faire baisser les taux de criminalité constatés.
Selon le ministre de la Justice, les Canadiens veulent que nous agissions. Je suis entièrement d'accord, mais ce qu'ils veulent, ce sont des actes qui aient les résultats voulus.
Deux Canadiens sur trois sont partisans des mesures dont je viens de vous parler, seulement un sur trois prônant plutôt l'augmentation des budgets de la police et des prisons. Ne vous méprenez pas, je ne m'oppose aucunement à l'augmentation des budgets de la police, mais on ne peut pas faire abstraction de répercussions que de telles augmentations vont avoir sur les budgets municipaux, sur les installations récréatives, sur les autres postes de dépense et, surtout, sur le phénomène de la violence faite aux femmes.
Le présent débat m'inspire de grandes inquiétudes. Je constate avec tristesse que les responsables politiques n'ont pas vraiment pris le temps de débattre des mesures qui permettraient de faire abaisser la criminalité. Je ne veux pas qu'on se penche à nouveau longuement sur le projet de loi C-2. Si je suis heureux de voir ce projet de loi renvoyé à la Chambre des communes, c'est uniquement parce que cela nous permettra alors d'entamer un débat de fond sur les moyens de vraiment contrecarrer les crimes de violence, de relayer les initiatives du Conseil national de prévention du crime en vue de leur mise en œuvre efficace, d'examiner comment les politiques envisagées en Alberta pourraient être reprises à l'échelle nationale et le genre de mesures qui, à l'instar de certaines villes d'Écosse et d'Amérique latine, pourraient être appliquées ici afin de lutter de manière plus efficace contre les crimes de violence.
Je vous remercie de m'avoir fourni l'occasion d'exposer mes idées. C'est très volontiers que je répondrai à vos questions et que je préciserai les éléments d'information dont j'ai pu faire état. J'estime que les renseignements pertinents se trouvent en grande partie dans le livre dont je vous ai cité le titre. Nous avons également un site Internet où sont publiées des informations très complètes sur l'évolution de la criminalité, les moyens de lutte qui ont fait leurs preuves et les recommandations formulées par le groupe de travail national. Nous répondrons très volontiers à vos questions, pas seulement aujourd'hui, mais à chaque fois que vous souhaitez obtenir une précision ou un complément d'information.
Je suis accompagné de deux de nos doctorants, une qui s'intéresse particulièrement à la violence chez les Autochtones habitant en ville, l'autre, aux mesures que l'Ontario tente lentement de mettre en œuvre pour contrer la violence. Ils représentent l'avenir et ont tenu à venir ici assister à vos délibérations.
Tim Stuempel, président, Comité d'examen des politiques, Association canadienne de justice pénale : Honorables sénateurs, l'Association canadienne de justice pénale est heureuse d'avoir l'occasion de faire part de ses observations sur le projet de loi C-2 actuellement soumis au Sénat.
Ce texte nous inspire un certain nombre de réserves et je constate que nous ne sommes pas les seuls à nous inquiéter de certaines de ses dispositions. Je préside notre comité d'examen des politiques publiques, comité chargé de suivre le parcours parlementaire de textes législatifs tels que ce projet de loi. Notre directeur exécutif n'a pas pu assister à cette séance, mais c'est très volontiers que Mme Hannem et moi-même répondrons aux questions que vous entendez nous poser et vous apporterons les précisions que vous jugerez utiles.
L'ACJP est tout acquise au besoin d'accroître la sécurité des Canadiens, mais le texte du projet de loi C-2, tel qu'adopté par la Chambre des communes, et dans sa version actuelle, nous inspire un certain nombre de préoccupations.
Je précise d'emblée que l'ACJP est une des plus anciennes organisations non gouvernementales de professionnels et de particuliers intéressés, au Canada, aux diverses questions intéressant la justice pénale. Nous avons entamé nos efforts il y a déjà presque 90 ans, en 1919 pour être précis et nous avons eu à maintes reprises l'occasion de prendre la parole devant des comités parlementaires.
Nous représentons environ 900 membres répartis sur l'ensemble du territoire national, et nous diffusons un certain nombre de publications intéressant la justice pénale, la Revue canadienne de criminologie et de justice pénale, notamment. Nous ne défendons pas de point de vue particulier et cherchons simplement à diffuser des informations qui reposent sur des travaux sérieux. Nous sommes tout à fait conscients des préoccupations qui, au sein de la population et chez les responsables politiques, sont à l'origine de ce projet de loi. Cela dit, nous estimons, et en cela nous nous alignons sur ce que M. Waller nous a dit tout à l'heure, que la solution ne consiste pas en une prolifération de invariablement à multiplier les textes et les dispositions législatives mais, plutôt, en une amélioration de la manière dont ces textes sont appliqués, en une amélioration de la connaissance que le public peut avoir des divers problèmes qui se posent et en un renforcement des initiatives en matière de prévention.
Permettez-moi de commencer par exposer les principales réserves que nous inspire le projet de loi C-2. Nous répondrons volontiers ensuite aux questions que vous voudrez bien nous poser. Je me permets, avant cela, de féliciter les membres du comité de la diligence et de l'application avec laquelle ils se penchent actuellement sur ce projet de loi, sur lequel tant de regards convergent. Ne pensez surtout pas que nous cherchions à tout prix des choses à critiquer dans ce projet de loi. Au contraire, notre souci est d'aider le législateur à prendre des décisions qui se justifient au regard des faits, et adopter des solutions qui ont fait leurs preuves.
Nous entendons donc formuler un certain nombre de réserves de fond à l'égard de ce texte, mais nous voudrions également parler de divers autres aspects du projet de loi car le texte, fait aussi problème par son économie même. Soyez certains, donc, que nos objections n'ont rien de gratuit. J'ajoute que, faute d'élever des objections, on risque de passer à côté de solutions qui seraient en fait meilleures, tout en se convaincant qu'on fait œuvre utile. La Loi sur la lutte contre les crimes violents donne effectivement à penser qu'on lutte contre les crimes violents, mais ce n'est pas exact.
Comme vous pouvez le voir, nous avions rédigé des mémoires sur les divers textes de loi présentés lors de la session précédente, et ces mémoires devraient être annexés à votre documentation. J'aurai l'occasion de rappeler certaines de nos positions. Je vais d'abord exposer les préoccupations que nous inspirent plusieurs dispositions du projet de loi, puis je demanderai à Mme Hannem d'évoquer plus particulièrement les réserves que nous formulons au sujet des dispositions traitant plus particulièrement des délinquants dangereux. Après cela, c'est très volontiers que nous répondrons aux questions qu'on voudra nous poser.
Ce qui nous préoccupe d'abord, c'est la création de deux nouvelles infractions en matière d'armes à feu, et le rehaussement des peines minimales d'emprisonnement. De nombreuses recherches ont démontré que les peines minimums obligatoires n'ont en fait aucun effet dissuasif. D'autres témoins ont pu vous citer les études et les travaux de recherche qui confirment cela. Dans le monde entier, les chercheurs ont renoncé à l'idée que les peines minimums obligatoires sont une arme efficace de lutte contre la criminalité. Dans ces conditions-là, pourquoi envisager de telles dispositions? Au moment du crime, un délinquant ne pense même pas à la durée de la peine qu'il encourt. Ce qui le préoccupe, c'est les chances d'être pris et puni. L'allongement des peines de prison ne fera rien pour faire baisser la criminalité. On constate, en effet, que, des divers pays du monde, ceux où le taux d'incarcération est le plus élevé sont également ceux où il y a le plus de crimes. Ajoutons que l'allongement des peines minimums obligatoires va aggraver le surpeuplement de nos prisons. Deux autres organisations auront, un peu plus tard, l'occasion de vous parler de cela, mas sachons que les dispositions envisagées n'augmenteront guère la sécurité de la population.
L'ACJP estime que les peines minimums obligatoires vont à l'encontre des principes et objectifs mêmes de la détermination de la peine. Elles vont en outre avoir pour effet de brider le pouvoir d'appréciation des tribunaux. Or, en son article 718.2, le Code criminel prévoit :
d) l'obligation, avant d'envisager la privation de liberté, d'examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient
e) l'examen de toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones
Ce n'est pas sans raison que cette disposition a été inscrite dans le Code et nous estimons pour notre part qu'il serait contraire à ces principes et objectifs d'adopter des peines minimums obligatoires.
Le pouvoir d'appréciation des tribunaux est un des aspects fondamentaux de notre justice pénale et, comme l'a rappelé feu le juge en chef Lamer :
La détermination d'une peine juste et appropriée est un art délicat, où l'on tente de doser soigneusement les divers objectifs sociétaux de détermination de la peine, eu égard à la culpabilité morale du délinquant et aux circonstances de l'infraction, tout en ne perdant jamais de vue les besoins de la communauté et les conditions qui y règnent. Il ne faut pas intervenir à la légère dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge chargé de la détermination de la peine.
Nous estimons que le projet de loi C-2 empiète indûment sur le pouvoir discrétionnaire des juges, en lesquels l'ACJP a entièrement confiance.
Passons maintenant aux observations que nous inspirent les dispositions concernant l'âge du consentement et celles qui touchent à la conduite avec capacités affaiblies. Ces deux catégories de dispositions nous troublent moins, mais nous y relevons néanmoins des choses qui nous paraissent contestables. Nous ne voulons pas laisser de côté certaines des difficultés que nous semble soulever ce texte et insister uniquement sur celles qui nous paraissent les plus graves car on risque alors de passer à côté de solutions mieux adaptées aux objectifs visés.
En ce qui concerne le fait de porter de 14 à 16 ans l'âge de consentement à une activité sexuelle, disons tout de suite que l'ACJP est entièrement favorable à tout ce qui permettrait d'assurer une meilleure protection de l'enfance. Cela dit, nous critiquons les dispositions de ce projet de loi à chaque fois qu'il nous semble que la disposition envisagée ne nous rapproche aucunement du but que nous nous sommes fixé et qu'il conviendrait d'opter pour une autre solution. Notre principale objection est fondée sur le fait que les dispositions envisagées ne permettront pas d'atteindre le but prévu, c'est-à-dire de protéger nos enfants contre les délinquants sexuels. Nous estimons en outre que ces dispositions risquent d'avoir plusieurs conséquences imprévues.
Soyons, par exemple, à des comportements qui, s'ils peuvent paraître répréhensibles aux yeux des uns, paraissent normaux à certains jeunes, abstraction faite de l'exception en cas de cinq ans d'écart entre l'âge des intéressés. Les nouvelles dispositions incriminent de tels comportements non-exploiteurs et cela va créer des difficultés. Je sais que vous avez débattu de ce point lors de séances précédentes, mais la chose nous paraît incontestable. Vous pénalisez là des comportements qui paraissent normaux aux yeux de nombreux jeunes. Vous risquez alors de voir les jeunes qui n'ont pas atteint l'âge de consentement hésiter davantage à demander aide ou conseils en matière d'activité sexuelle dans la mesure où leur partenaire est considéré comme illégitime au regard de la législation.
L'incidence de maladies sexuellement transmissibles est, chez les jeunes, non seulement forte mais en augmentation. On note également une augmentation du taux d'infection par le VIH. Les jeunes ont accès aux moyens de contraception et les jeunes femmes peuvent, sur ordonnance médicale, s'en procurer dès l'âge de 14 ans. Mais, au cas où ces nouvelles dispositions seraient adoptées, les jeunes femmes de cet âge hésiteront à s'en procurer et négligeront de se protéger. Ne pensez-vous pas qu'au lieu de renforcer la protection des jeunes canadiens, cela risque, au contraire, d'aggraver les risques auxquels ils sont exposés.
Nous sommes conscients de la nécessité de faire quelque chose pour protéger les jeunes contre les délinquants sexuels mais, d'après nous, ce n'est pas là le bon moyen de le faire. Le texte, en effet, ne semble pas établir un équilibre correct entre le besoin de protéger les enfants contre l'exploitation et les abus sexuels et le souci de leur laisser, en matière sexuelle, une certaine liberté d'expression.
Si nous voulons parvenir à améliorer la santé, le bien-être et la sécurité des jeunes actifs sexuellement, on parviendra vraisemblablement à de meilleurs résultats non pas par le biais de modifications apportées à notre législation, mais par une pédagogie holistique et des programmes préventifs de sensibilisation. De tels moyens donneront probablement aussi de meilleurs résultats au niveau de la santé, au niveau du nombre de jeunes exploités sexuellement et au niveau aussi du degré d'exploitation dont ils sont victimes. D'autres solutions consisteraient à engager et à faciliter un dialogue vrai et continu sur la sexualité.
Au niveau de la prévention, il conviendrait de sensibiliser davantage les jeunes aux manœuvres auxquelles ont recours les délinquants sexuels, en particulier sur Internet, et les encourager à signaler les incidents dont ils auraient connaissance. Or, le relèvement de l'âge de consentement est une mesure totalement inefficace. Il faudrait aussi, par exemple, demander à d'anciens travailleurs et travailleuses du sexe de mettre les jeunes au courant des réalités du commerce du sexe afin de les mettre en garde contre ce qui risque de leur arriver. Il faudrait en outre mettre à leur disposition des services confidentiels et peu coûteux de consultation socio-médicale, améliorer leur accès aux moyens de contraception, et mener auprès d'eux une action pédagogique au sujet des maladies sexuellement transmissibles et du moyen de les éviter.
Au niveau de la législation, il y aurait surtout lieu, selon nous, d'assurer une application cohérente et régulière des dispositions actuelles, car nous estimons que ces dispositions répondent déjà de manière satisfaisante au volet juridique du problème. Cette objection vaut pour l'ensemble de dispositions du projet de loi C-2. La législation actuelle traite déjà adéquatement les divers aspects du problème auquel sont censées répondre les dispositions du projet de loi C-2. Nous savons que l'exploitation sexuelle est interdite et que, en raison de leur pouvoir discrétionnaire, les tribunaux peuvent déjà, au regard de certains paramètres, juger que telle ou telle relation est exploitante.
J'aimerais maintenant en venir à la conduite avec facultés affaiblies. Le nouveau régime prévu pour la détection et l'enquête en matière de conduite avec facultés affaiblies par l'effet d'une drogue soulève un certain nombre de difficultés. Nous sommes tous à fait acquis à la lutte contre la conduite avec facultés affaiblies, mais ce phénomène s'est déjà considérablement atténué. Encore une fois, nous ne pensons pas que les dispositions prévues soient le meilleur moyen de procéder, du moins tant que nous n'aurons pas précisé et élucider un certain nombre de questions qui se posent en ce domaine.
Le texte du projet de loi ne distingue pas entre les drogues relevant des diverses annexes. Nous savons que la conduite avec facultés affaiblies est le principal problème auquel on entend s'attaquer, mais c'est un fait que nous avons fait jusqu'ici une distinction entre diverses catégories de drogues, et que leur utilisation et leur possession n'entraînent pas, de la part de notre société, les mêmes réactions. Ainsi, par exemple, si quelqu'un change de médicament et que ce changement nuit à son comportement au volant, va-t-on lui appliquer les mêmes dispositions que si ses facultés sont affaiblies par l'alcool ou la drogue? La question mérite d'être posée.
Il va falloir, si l'on veut assurer une application cohérente des dispositions du projet de loi C-2, augmenter sensiblement le niveau des ressources actuellement affectées. Il va falloir, en effet, assurer la formation des ERD, les experts en reconnaissance de drogues et du personnel médical qualifié. La chose ne semble présenter aucune difficulté particulière à Ottawa ou dans les grandes villes, mais une grande partie du Canada est en zone rurale et on aura beaucoup de peine à appliquer les mesures prévues dans le projet de loi C-2, étant donné qu'il sera très difficile de pouvoir, en temps utile, obtenir les services d'un ERD. Cela pose à nouveau la question des coûts de substitution. Ne ferait-on pas mieux de consacrer les ressources nécessaires à une action de prévention? Selon nous, cela ne fait aucun doute.
Nous nous inquiétons également de l'uniformité de l'exactitude des résultats des tests de sobriété administrés sur place. Comme vous avez pu le voir, le taux d'exactitude varie considérablement. Là encore, il va falloir examiner la chose. Nous ne contestons pas l'utilité des appareils en question, mais il va falloir préciser un certain nombre de choses avant de les adopter intégralement. Or, tout cela doit être fait avant l'entrée en vigueur du texte.
Puis, il y a les questions concernant le droit aux services d'un avocat. À quel moment l'individu concerné sera-t-il informé du droit qu'il a à cet égard? À quel moment commence officiellement son arrestation? Ce sont, là encore, des questions qui ont été évoquées lors de vos séances précédentes.
Mais ce qui nous gêne le plus au niveau des dispositions relatives à la conduite avec facultés affaiblies, ce sont les restrictions à la présentation de preuves contraires, le moyen de défense Carter dit aussi moyen de défense « des deux bières ». Beaucoup de gens trouvent cela choquant. Nous sommes nous-mêmes troublés par les restrictions ainsi apportées, étant donné qu'elles dépendent entièrement de la fiabilité d'un appareil mécanique. Certains estiment que le projet de loi C-2 ne fait qu'éliminer une échappatoire, mais d'autres considèrent qu'en limitant les possibilités de produire des preuves contraires, on supprime une garantie juridique légitime et on porte atteinte au pouvoir d'appréciation des juges.
En restreignant la production de preuves contraires, on affaiblit en outre la présomption d'innocence. Nous reconnaissons la fiabilité des appareils employés par la police, mais la mécanique, ou le technicien peut tout de même se tromper et on n'est pas à l'abri d'une défaillance technique ou d'une erreur humaine. Dans cette hypothèse, aucune preuve contraire ne sera admissible et l'on risque d'aboutir à une condamnation injustifiée.
Et puis, enfin, le projet de loi C-2 se propose d'augmenter les sanctions imposées aux personnes conduisant en état d'ébriété. Or, sur ce point, nous estimons que les textes actuels suffisent. Les personnes qui, conduisant en état d'ébriété, causent des blessures à autrui, peuvent déjà se voir imposer d'assez longues peines d'emprisonnement. Ceux qui causent la mort de quelqu'un sont passibles de la prison à vie. Le Code criminel prévoit déjà la conduite avec facultés affaiblies par l'alcool ou par des drogues. Nous ne voyons pas comment l'augmentation des sanctions nous rapprochera de notre but.
Pour l'instant, nous ne dirons pas grand-chose des dispositions concernant l'enquête sur le cautionnement. Disons simplement que, malgré des dispositions analogues déjà applicables aux infractions dans lesquelles sont impliquées des drogues, le comité va néanmoins devoir se pencher de près sur les difficultés que soulève le texte au regard de la présomption d'innocence et des garanties prévues à cet égard dans la Charte.
Stacey Hannem, membre, Comité d'examen des politiques, Association canadienne de justice pénale : J'aimerais simplement faire quelques brèves observations au sujet des dispositions du projet de loi modifiant les actuelles règles relatives aux délinquants dangereux. Vous n'êtes pas sans savoir qu'au Canada, les délinquants dangereux font déjà l'objet de dispositions particulières. Selon la législation actuelle, celui qui est déclaré coupable de violence contre les personnes, ou d'une infraction sexuelle appelant une peine d'emprisonnement de plus de dix ans, peut, en vertu du pouvoir discrétionnaire du juge et du procureur de la Couronne qui présente une demande en ce sens, être condamné à une peine de prison d'une durée indéterminée.
Les modifications qu'on se propose d'apporter aux règles actuelles, nous inspirent une double inquiétude. D'abord, on envisage de ramener de dix à deux ans le seuil permettant de classer un individu parmi les délinquants dangereux. Cela permettrait de classer comme délinquants dangereux des personnes déclarées coupables d'infractions relativement mineures, dans la mesure où elles ont commis trois infractions appelant chacune une peine de plus de deux ans.
Cet abaissement du seuil, combiné à l'allongement considérable de la liste d'infractions primaires risque de soulever de graves problèmes. La liste actuelle de telles infractions est beaucoup plus courte. La nouvelle liste comprend deux catégories très larges d'infractions telles que les voies de fait ou les voies de fait contre un agent de la paix, deux infractions qui pourraient très bien attirer à leur auteur une peine de deux ans de prison. Après trois condamnations pour voies de fait, l'intéressé pourrait donc être déclaré délinquant dangereux. On risque de voir recourir trop largement à cette disposition.
À l'heure actuelle, les juges et les procureurs agissent avec discernement pour limiter, en vertu de leur pouvoir discrétionnaire, le recours aux dispositions qui leur permettent de ranger quelqu'un dans la catégorie des délinquants dangereux. J'ai dit, actuellement, dans les prisons canadiennes, 384 délinquants dangereux. Je dis que les dispositions en question sont invoquées avec discernement, mais cela ne veut aucunement dire qu'on n'y a pas recours. Mais il s'agit de les réserver aux délinquants les plus durs. D'après nous, il n'y a pas lieu d'abaisser le seuil actuel. Si vous jugez trop restrictif l'actuel seuil de dix ans, vous pourriez peut-être proposer à la Chambre un seuil de cinq ou de sept ans, plutôt que ce seuil de deux ans qui est décidément trop bas.
Ce seuil de deux ans a en outre pour inconvénient qu'une peine de deux ans moins un jour, c'est-à-dire qui se situe juste en deçà du seuil, sera purgée dans des prisons provinciales, alors qu'une peine de deux ans vous mérite une place dans une prison fédérale avec accès concomitant aux programmes et services qui y sont assurés. Ce qui risque d'arriver, c'est que, compte tenu de ce seuil de deux ans, le juge décide simplement d'imposer des peines de deux ans moins un jour. Cela veut dire que certains individus qui auraient besoin d'un programme de réadaptation, se retrouveront dans une prison où ils n'auront pas accès à de tels programmes. Cette éventualité nous paraît inquiétante.
Je tiens, en second lieu, à évoquer cette nouvelle présomption voulant que le simple fait quelqu'un soit condamné trois fois à une peine d'emprisonnement d'au moins deux ans pour une infraction primaire, rassemble les conditions permettant d'en faire un délinquant dangereux.
Suite à ces trois condamnations, c'est au défendeur qu'il appartiendra de démontrer, selon la prépondérance des probabilités que, malgré ses condamnations, il n'est pas dangereux et qu'une peine d'emprisonnement d'une durée indéterminée ne se justifie pas dans son cas.
Ce renversement du fardeau de la preuve impose au défendeur une lourde tâche. Les préparatifs en vue de réfuter une présomption de dangerosité coûtent cher. Il faut, en effet, engager des témoins experts en psychologie et en psychiatrie. Il faut, bien sûr, leur verser des honoraires, d'abord pour qu'ils viennent vous évaluer, puis pour qu'ils aillent témoigner en votre faveur et affirmer que vous êtes un bon candidat à la réadaptation ou qu'il conviendrait plutôt de vous considérer comme un délinquant à contrôler plutôt que comme un délinquant dangereux à qui il convient d'imposer une peine de prison de durée indéterminée.
Tout cela est fort onéreux. Une seule défense contre une déclaration de dangerosité suffirait à épuiser les ressources de la plupart des fondations juridiques. Elles n'auraient tout simplement pas les moyens. On peut donc dire que seuls ceux qui disposent des ressources financières que cela exige, seront capables de s'opposer à une demande de déclaration de dangerosité, ce qui veut dire que de nombreux défendeurs n'auront pas les moyens de présenter une défense. Un tel régime risque de susciter de nombreuses contestations fondées sur les dispositions de la Charte, et de nombreux appels invoquant l'impossibilité de présenter une défense correcte.
Encore une fois, nous estimons que les dispositions actuellement applicables aux délinquants dangereux permettent déjà de faire face, de manière satisfaisante, à nos pires délinquants. Si vous pensez que le seuil minimum de 10 ans est trop restrictif, vous pourriez envisager de relever quelque peu le seuil de deux ans prévu dans le projet de loi et, par exemple, le porter à cinq ou à sept ans.
Nous estimons acceptable, par contre, les modifications qu'il est proposé d'apporter aux dispositions touchant l'engagement de ne pas troubler l'ordre public, c'est-à-dire les paragraphes 810.(1) et 810.(2). Ces dispositions ne nous paraissent soulever aucune difficulté particulière, ni imposer trop de frais aux intéressés. On peut, bien sûr, se demander si la mesure sera efficace et si l'allongement de la durée de l'engagement de ne pas troubler l'ordre public accroît effectivement la protection de ceux qui en ont besoin. Personne n'est en mesure de le dire, mais cette mesure ne soulève, elle non plus, aucune difficulté particulière étant donné que les nouvelles conditions imposées ne sont pas trop lourdes.
Le sénateur Stratton : J'ai pris un vif intérêt à ce qui s'est dit ici cet après-midi. M. Waller, je suis d'accord avec vous et je vous ai regardé, hier soir, à la télévision lorsque vous avez parlé de ce qui s'est fait à Boston. Nous ne sommes pas en désaccord, mais je pense que nous devons envisager une solution à plusieurs volets.
Lorsqu'on entend dire ici qu'une question devra faire l'objet d'une étude plus poussée, les gens qui nous observent constatent que c'est toujours ce qu'on dit. Ils ne s'en contentent plus; ils veulent désormais qu'on agisse.
Dimanche soir, je pense que c'était à l'antenne de CTV, j'ai regardé un documentaire sur les incidents qui se sont produits à Mayerthorpe. Il était presque dit, au cours de l'émission, que si les dispositions du projet de loi C-2 avaient été en vigueur à l'époque, ces policiers seraient probablement toujours en vie.
Après cela, et ayant conclu qu'il faut absolument faire quelque chose, on accueille assez difficilement l'idée que la question devrait être remise à l'étude. La population ne se satisfait pas d'une telle formule et veut que nous passions à l'action.
Je suis entièrement d'accord avec l'idée d'une approche à trois volets, dont un serait la prévention. En ce qui concerne le renforcement des effectifs policiers, quoi que vous en disiez, c'est tout de même un besoin qui est ressenti dans ma ville. Puis, il y a ce projet de loi C-2, et le problème de comment lutter efficacement contre la criminalité.
Que pensez-vous de cette démarche à trois volets? Je ne pense pas particulièrement à Mayerthorpe, étant donné qu'il s'agit d'une tragédie et je ne pense pas qu'il y ait lieu d'insister sur cela.
M. Waller : J'ai moi-même affirmé que ce n'est pas de nouvelles études dont nous avons besoin, mais de mesures énergiques. Il va falloir trancher, qu'on s'entende, pour les délinquants dangereux, sur un seuil minimum de trois ans, de cinq, de sept ou de deux ans, mais je ne vois pas dans ce projet de loi de démarche à trois volets. Où sont, en effet, les deux autres volets?
Le gouvernement fédéral a promis d'engager 2 500 nouveaux policiers. À deux reprises, le gouvernement McGuinty a promis d'en engager 1 000, ce qui correspond en fait à un plus fort taux d'augmentation que les 2 500 nouveaux policiers promis par Ottawa. Je ne vois pas très bien d'où viendra l'argent nécessaire, du moins au cours des quelques premières années. Ce qui est certain, c'est que le renforcement des effectifs policiers va alourdir les finances municipales. Songez à l'incidence, sur les finances d'une ville, d'une augmentation de 10 p. 100 du budget policier. D'après moi, le troisième volet manque de consistance.
Le Conseil national de prévention du crime, je pense, a un budget annuel d'environ 30 millions de dollars. Or, le Canada consacre à la police 10 à 15 milliards de dollars par an. Dans ces conditions-là, 30 millions de dollars c'est bien peu de chose.
Je suis partisan de la stratégie élaborée par le CNPC, le plan approuvé par le ministre Day, mais il faudrait lui consacrer les financements nécessaires. Il faut, comme nous l'avons vu faire en Alberta, dégager les moyens permettant de coordonner l'action des trois volets car, sans cela, l'ensemble n'est pas solide, le gros des crédits allant à la GRC, au Service correctionnel et aux services frontaliers. L'idée d'une stratégie à trois volets est bonne mais encore faut-il qu'elle soit effective.
J'ai, moi aussi, regardé « Mayerthorpe ». Comme tout le monde, je m'inquiète à l'idée de voir remis en liberté des individus dont les antécédents nous disent qu'ils sont manifestement dangereux, mais je laisserai à d'autres le soin de discuter du seuil minimum qu'il conviendrait de retenir. J'ai fait partie du groupe qui a rédigé les premières dispositions relatives aux délinquants dangereux et je suis acquis à ce genre de mesures.
Peut-être conviendrait-il d'enfermer plus de 384 personnes. Il est délicat, en effet, de fixer la limite, mais il nous faut également tenir compte des coûts. La semaine dernière, le Québec a fait part de l'intention de consacrer 500 millions de dollars aux prisons. Des 417 milliards de dollars que l'Alberta est en train d'affecter à sa stratégie à trois volets, je sais qu'une partie de cet argent va être consacrée à la construction d'une prison. C'est probablement une bonne chose étant donné le surpeuplement des établissements carcéraux, mais il faut absolument parvenir à un rééquilibrage de ce perpétuel débat sur les modifications à apporter au Code criminel, sur le nombre de nouveaux policiers à engager et sur le nombre de nouvelles cellules à construire. À mon avis, pour éviter Mayerthorpe, il aurait fallu prévoir des programmes dont l'individu concerné aurait pu bénéficier pendant sa jeunesse.
Je ne dis pas que l'on va pouvoir éviter entièrement de tels drames, mais nous savons que l'augmentation du nombre d'infirmières de santé publique permet de réduire le nombre de personnes qui, en grandissant, vont avoir de tels comportements. Nous reconnaissons qu'il y a lieu, dès maintenant, d'adopter des mesures à court terme, mais je précise que ce qui s'est fait à Boston, ne constitue pas des mesures à long terme.
Dans une certaine mesure, tout cela pourrait se faire sans augmentation des crédits, mais cela se passerait certainement beaucoup mieux si une impulsion énergique était donnée, si, dans le cadre d'un plan d'action national, les trois paliers de gouvernement décidaient de travailler en commun et de s'entendre sur ce qu'il convient de faire. La lutte contre les crimes de violence, c'est cela.
On ne parviendra jamais à éviter entièrement les tragédies qui font la une des journaux, mais on peut en réduire sensiblement le nombre et réduire aussi le nombre scandaleux d'incidents de violence banale. Je ne devrais peut-être pas dire « banale », c'est simplement que la violence contre les femmes s'exerce à huis clos, que c'est une violence cachée.
La présidente : Monsieur Waller, pourrais-je vous demander des réponses un peu plus concises afin que tous les sénateurs aient la même chance de vous poser des questions.
Le sénateur Stratton : Nous ne sommes pas en désaccord. La semaine dernière, je me trouvais à Winnipeg, lorsque le maire de la ville a prononcé un discours sur l'état de la communauté. Un des principaux thèmes de cette allocation était la lutte contre la criminalité. Le budget de la police a augmenté de 14 p. 100 et cela préoccupe énormément les autorités municipales. Le gouvernement fédéral a accordé aux villes des subventions leur permettant d'augmenter les effectifs policiers car, il est clair, une présence policière est nécessaire. À New York, on peut désormais se promener dans Manhattan en toute sécurité. Comment cela s'explique-t-il? C'est par une présence policière accrue. Lorsque j'y étais, quelqu'un qui habite New York depuis longtemps m'a dit que, c'est vrai, les habitants éprouvent désormais un plus grand sentiment de sécurité. Et cela, c'est à cause de la présence policière. Ça, c'est le second volet.
Le troisième volet consiste en des mesures de prévention que vous avez évoquées et je pense, effectivement, qu'il convient de les mettre en œuvre sans tarder. Voilà, en quelques mots ce que j'avais à dire.
M. Waller : Dans mon livre, je me penche, entre autres, sur les résultats que s'attribue le maire Giuliani. Il ne fait aucun doute qu'à New York, la criminalité a baissé, mais il y a pour cela tout un éventail de raisons. Il semblerait que l'action policière explique quatre à cinq pour cent de la baisse constatée.
Contrairement à certains de mes collègues, je pense qu'en incarcérant les délinquants, on obtient effectivement une baisse de la criminalité. Aux États-Unis, 2,2 millions de personnes se trouvent actuellement en prison, dont un tiers de Noirs, et il est clair que cela a une incidence sur le nombre de délits. Mais, si nous voulons vraiment réduire la criminalité, il faut que nous parvenions en même temps à un certain équilibre. Même avec deux volets qui se tiennent, une stratégie à trois volets manquera d'efficacité si le troisième volet manque de consistance.
Je ne pense pas qu'à Winnipeg, le problème des gangs de rue puisse être réglé en augmentant le nombre de policiers. Il faut, pour le régler, combiner l'action policière, l'application de la loi et la prévention. C'est d'ailleurs que la stratégie mise en œuvre par le Manitoba a permis de réduire sensiblement le nombre de vols de voiture.
M. Stuempel : Ce qu'on veut dire, je crois, en disant que ces diverses questions devraient être étudiées plus avant, c'est que le législateur devrait davantage s'inspirer des recherches sur les moyens d'action qui ont déjà fait leurs preuves. La population se lasse de ce perpétuel appel à de nouveaux efforts de réflexion, mais on persiste. Nous savons pertinemment que ces mesures ne permettront pas d'obtenir les résultats voulus, et je me demande vraiment pourquoi on ne s'inspire pas davantage des études qui nous enseignent les moyens d'atteindre nos objectifs?
De nombreux travaux de recherche ont été effectués en matière de prévention. Nous nous trompons lourdement si nous pensons que ce renforcement continuel des dispositions de la lutte contre la criminalité n'entraîne pas de lourds coûts de substitution, les programmes de prévention, notamment, en faisant les frais. C'est une erreur de ne pas s'en convaincre. Il faut changer d'approche.
Le sénateur Stratton : Je pense que certains des moyens que vous prônez ont effectivement été mis en œuvre dans diverses villes et provinces du Canada, car en ce domaine la responsabilité n'incombe pas exclusivement au gouvernement fédéral.
Le sénateur Carstairs : Ce que mon collègue a dit d'une stratégie à trois volets me paraît intéressant et correspond tout à fait à ce que vous disiez vous-même. Il y a l'application de la loi, certes, mais il y a aussi la prévention et le traitement. Or, malheureusement, au Canada, la prévention est le parent pauvre, les mesures de traitement aussi, le gros des crédits étant affecté à l'activité policière, judiciaire et correctionnelle.
Or, il faut parvenir à un meilleur équilibre entre ces trois volets. Cela est particulièrement évident à Winnipeg, dont je suis moi aussi originaire et où la municipalité ne finance à peu près pas de mesures de prévention et de traitement. D'après moi, il y a là un fâcheux déséquilibre.
J'ai trouvé particulièrement intéressant ce qui s'est dit au sujet de cette conviction, qui perdure, que par des modifications successives du Code criminel, on parviendra bien, un jour, à trouver la solution. Pensez-vous que si on décidait, pour un temps, de laisser le Code criminel en l'état, en attendant d'avoir réglé d'autres aspects du problème, on ne parviendrait pas à renforcer nos programmes de prévention et de traitement?
M. Waller : Je pense que oui.
Le sénateur Carstairs : Voilà une réponse concise.
Je voudrais maintenant passer à un autre sujet. Nous nous sommes répartis les cinq sujets traités dans ce projet de loi et je voudrais maintenant passer aux dispositions concernant l'âge de consentement.
Dans l'idée du public, le fait de reporter de 14 à 16 ans l'âge du consentement, va permettre d'éviter l'exploitation sexuelle des jeunes filles et, dans certains cas, des jeunes gens.
D'abord, les dispositions en question n'ont rien à voir avec l'exploitation sexuelle. Malgré l'idée que peut en avoir le public, elles visent en l'occurrence des relations non exploitantes. Comment faire pour améliorer le texte du projet de loi sans jeter le bébé avec l'eau du bain?
M. Stuempel : Nous disons bien, dans notre mémoire que dans l'état actuel de nos connaissances, nous ne sommes pas en mesure de dire quel serait l'âge de consentement qu'il conviendrait de retenir en matière de consentement. Nous ajoutons, cependant, que ce serait une erreur de penser que la disposition envisagée constitue une solution. D'après nous, cela aura plutôt des conséquences néfastes.
La solution passe par l'éducation de la jeunesse. Les dispositions de ce projet de loi ont été notamment inspirées par la peur de prédateurs qui sévissent sur Internet. C'est là où l'éducation prend toute son importance. C'est dans ce domaine qu'il faut agir. Il faut, en outre, encourager les jeunes à signaler tout acte répréhensible. Il faut aussi, collaborer avec les divers acteurs de cette branche d'activité afin de trouver les moyens de repérer les gens qui font ce genre de choses.
Au Canada, plusieurs organisations, dont la GRC, ont les moyens d'agir en ce domaine. D'ailleurs, au cours de ces dernières semaines, plusieurs arrestations ont été opérées. C'est dire qu'il y a déjà des gens qui s'activent dans ce domaine, mais il faut nous pouvoir y affecter davantage de ressources.
D'après nous, les dispositions concernant l'âge de consentement ne feront rien pour améliorer la situation. Nous comprenons d'ailleurs difficilement pourquoi ces mesures ont été retenues. Je regrette de ne pas avoir de solution à proposer, mais je peux dire que les propositions contenues dans ce projet de loi ne sont pas adaptées au but que nous poursuivons.
Le sénateur Carstairs : Est-ce à dire que les dispositions de ce projet de loi ne feront rien pour accroître la protection, disons, des jeunes de 15 ans?
M. Stuempel : C'est ce que je pense.
La présidente : Il me semble que ce projet de loi vise moins l'exploitation que ce qu'on aurait appelé, à une autre époque, la séduction.
M. Stuempel : En effet.
La présidente : Nous sommes, je pense, tous d'accord pour dire que c'est, de la part d'un homme de 45 ans, de l'exploitation que de tenter de séduire une jeune fille de 15 ans, même si la jeune fille trouve cela plutôt bien.
Je voudrais parler, maintenant, de l'exception prévue en cas d'écart de cinq ans entre l'âge des protagonistes. Vous n'êtes pas, de votre propre aveu, en mesure de dire quel devrait être l'âge de consentement. Cela dit, il faut bien, tout de même, fixer un âge de consentement car, à un certain point, un jeune est vraiment trop jeune.
Pour éviter certains des écueils, si expressément évoqués par le sénateur Carstairs, en ce qui concerne l'exception visant cet écart d'âge, un écart de cinq ans ou vous semble-t-il à peu près correct? Pensez-vous que cet écart devrait être plus grand, ou plus petit?
M. Stuempel : Il nous faudrait savoir comment on est arrivé à convenir d'un écart de cinq ans. Il faudrait pour cela consulter des jeunes personnes, entendre ce qu'ils ont à dire et ne pas, a priori, écarter leur opinion. Il semble normal, dans un texte de loi tel que celui-ci, de prévoir une exception pour les cas ou les deux personnes intéressées ont à peu près le même âge. N'ayant pas consulté de jeunes à cet égard, je ne suis pas sûr que l'écart que nous avons retenu soit le bon. Je n'ai, effectivement, pas consulté les principaux intéressés.
Le sénateur Fox : Puis-je invoquer le règlement? Nous venons de parler de séduction et de prédateurs sexuels. Le ministre de la Justice, lorsque nous l'avons auditionné, a affirmé que tant que les dispositions de ce projet de loi ne seront pas entrées en vigueur, les enfants de moins de 16 ans ne seront pas protégés comme ils devraient l'être, contre les prédateurs sexuels. Selon le ministre, ce projet de loi doit permettre de combattre, non pas la séduction, mais les prédateurs sexuels. Je tiens à préciser que c'est bien ce que le ministre nous a dit.
Mme Hannem : D'après moi, par le biais de ce projet de loi, le gouvernement s'approprie le rôle des parents. Le gouvernement souhaite assumer en ce domaine, à l'égard de tous les enfants de notre pays, un rôle parental. Or, le problème que soulève cette modification de l'âge de consentement, est qu'il faudrait avoir les moyens de le faire respecter. Comment savoir qu'un jeune de 22 ans a séduit une adolescente de 15 ans? Qui va décider? Qui décide s'il y a lieu ou non d'intervenir? Il faut tout de même laisser aux parents le soin de surveiller leurs enfants, et de décider si, à leur avis, l'enfant a atteint une maturité suffisante pour assumer, en matière sexuelle, ses responsabilités. En fixant de manière arbitraire l'âge de consentement, on ne tient pas compte du fait que les enfants mûrissent chacun à un rythme différent. On admet mal qu'une personne de 45 ans entretienne avec quelqu'un de 15 ans des relations sexuelles, et je pense que sur ce point nous sommes tous d'accord, mais il y a en la matière une zone d'indétermination où les choses ne sont pas si claires. Il faut donc laisser aux parents le soin d'assumer leurs responsabilités parentales et de surveiller leurs enfants.
Le sénateur Oliver : Vous nous avez exposé, au sujet des dispositions du projet de loi C-2, des points de vue intéressants qui nourrissent notre réflexion. Ma question s'adresse à M. Waller. Dans le cadre de votre exposé, vous avez cité l'exemple de la ville Boston, nous disant que les dispositions du projet de loi C-2 ne constituent pas une solution adaptée au problème car la bonne solution réside, certes, dans des mesures de police et de prévention. Mais dans des mesures appliquées, avec intelligence. Je ne sais pas très bien ce que cela veut dire et j'aimerais que vous nous précisiez votre pensée sur ce point. Vous évoquez des solutions qui ont fait leurs preuves, en disant notamment que les efforts entrepris par Boston ont mis fin aux assassinats dans les rues de la ville. Selon vous, la violence des gangs peut être contrée par un faisceau de moyens répressifs et de programmes sociaux, dans la mesure où tout cela se fait avec intelligence. Selon vous, les succès enregistrés à Boston ont été acquis en six mois. Pourriez-vous nous dire, de manière plus précise, quelles sont les mesures mises en œuvre à Boston, car je ne suis pas au courant de ce qui s'y est fait. Qu'est- ce qui s'est fait, au juste, en matière de mesures éclairées de police et de prévention?
M. Waller : Ce que j'entends par une « police intelligente », c'est un service de police qui agit en fonction d'une analyse stratégique de la situation. En l'occurrence, la police de Boston a invité un professeur de Harvard à étudier les jeunes gens les plus susceptibles d'adhérer à des gangs et à user d'armes à feu, et à étudier les dispositions en vigueur à l'époque. Nous manipulons les dispositions du Code criminel depuis 200 ans déjà Or, il y a bien des mesures auxquelles la police peut recourir. La police de Boston a donc jeté un regard nouveau sur l'arsenal législatif et y a puisé les moyens dont elle avait besoin.
Le sénateur Oliver : Et ce professeur de Harvard?
M. Waller : Il a travaillé de concert avec la police. Tout cela s'est déroulé sous la houlette du chef de police, qui disposait déjà d'un groupe de planification un peu comme celui que l'on voit ici, mais qui a demandé à ce professeur de l'aider à effectuer ces analyses. Nous allons publier, sur notre site Internet, un exposé de ce professeur, qui s'appelle David Kennedy. Or, ce n'est pas du tout le genre de solutions actuellement adoptées par les villes canadiennes.
Le sénateur Oliver : Est-ce cela que vous appelez « police éclairée »?
M. Waller : Oui. Il s'agit de se concentrer sur les résultats que nous souhaitons obtenir et sur les moyens permettant d'y parvenir. La police a généralement tendance à réagir aux événements. Elle répond aux appels d'urgence. Au Canada, 60 p. 100 des ressources policières sont affectées à des mesures réactives. Or, il s'agit de ne pas seulement réagir aux actes de criminels, mais de les traquer. C'est ça l'action préventive.
Le concept de prévention éclairée a été développé à la School of Public Health de Harvard. L'idée s'accorde d'ailleurs avec divers autres exemples que je cite dans mon livre et qui concernent les moyens de persuader les enfants qui sont tentés d'abandonner l'école de reprendre leurs études. Il peut s'agir, également, de leur assurer une formation professionnelle et d'obtenir des entreprises qu'elles les engagent.
Le sénateur Oliver : Pourriez-vous nous dire, de manière plus précise, ce qui s'est effectivement fait à Boston?
M. Waller : La ville de Boston a investi dans des services organisés spécifiquement dans les zones fréquentées par les jeunes que l'on souhaitait atteindre et a œuvré avec eux dans le cadre d'une sorte de partenariat. La police les contactait, leur disant « Je peux vous mettre à l'ombre pendant 15 ans, mais si vous contactez cet organisme, créé spécialement à votre attention, on vous expliquera comment mener à bien vos études secondaires. Ensuite, on vous aidera à suivre une formation professionnelle. À chaque étape, vous serez épaulé ».
On entend par prévention éclairée, des mesures de prévention qui ont fait leurs preuves. En cela, il n'y a pour moi rien de nouveau. Je sais, depuis longtemps, en raison des expériences menées dans plusieurs autres pays, que si vous obtenez des jeunes qu'ils reprennent leurs études, et il faut pour cela engager des gens formés à ce genre d'exercice, vous réduisez sensiblement le nombre d'adolescents qui se lancent dans la drogue et la violence. La ville de Boston a mis en œuvre des moyens efficaces. C'est ce que nous devrions faire ici, mais ce n'est pas dans ce sens-là que nous nous orientons.
Le sénateur Baker : Avant de poser ma question, je tiens à noter que Stacey Hannem qui un jour écoutait, à l'université des étudiants s'exprimer sur un sujet donnée, a reçu un très beau compliment. Les étudiants ont dit, en effet, que c'était un des meilleurs professeurs qu'ils aient jamais eu. À l'époque, vous faisiez un doctorat sur un sujet en rapport avec ce projet de loi. Je tenais à rappeler cela car ce n'est pas tout le monde qui est considéré, par ses étudiants, comme l'un des meilleurs professeurs qu'ils n'aient jamais eus.
Comme le sénateur Carstairs l'indiquait tout à l'heure, nous nous sommes répartis les divers sujets qui retiennent ici notre intérêt. Ma question s'adresse à M. Stuempel. Il s'est dit préoccupé par le fait que ce projet de loi supprime la disposition relative à la preuve contraire. Selon M. Stuempel, on supprime là une disposition qui remonte à la fin des années 1970, à l'époque où, déjà, nous avions à examiner un projet de loi analogue. À l'époque, j'étais membre du comité de la justice de l'autre Chambre. La disposition concernant la présentation de preuves contraires avait été inscrite dans le projet de loi car les dispositions du Code criminel relatives à la conduite avec facultés affaiblies établissent une présomption. Or, cette présomption n'est pas aussi simple qu'elle ne le paraît au premier abord. En effet, selon cette présomption, les preuves fondant l'accusation sont censées concerner les deux heures précédant le moment de l'infraction. On a donc introduit dans la loi un élément de pondération permettant à l'accusé de présenter la preuve contraire, c'est-à-dire de contrer le résultat de 80 milligrammes par 100 millilitres de sang que donnait l'alcotest.
En ce qui concerne les dispositions envisagées, vous avez évoqué l'hypothèse des médicaments délivrés sur ordonnance, citant l'exemple d'un conducteur qui, en raison d'un changement de médicament, n'avait pas été capable de subir de manière satisfaisante les épreuves physiques qui lui avaient été imposées sur les lieux même de l'infraction, et qui n'avait, par exemple, pas pu rester debout sur un pied.
Madame la présidente, vous avez demandé qu'on vous communique les tests que devront subir les intéressés. J'imagine que vous ne les avez pas encore reçus.
La présidente : Non, mais je n'en ai fait la demande il y a seulement six jours.
Le sénateur Baker : Nous n'avions que six jours à consacrer à l'examen de certains projets de loi. De toute manière, madame la présidente, j'espère que nous pourrons recevoir les renseignements en question.
Hésitez-vous devant l'idée de supprimer du Code criminel un moyen de défense admis depuis longtemps et à y ajouter ce test de coordination des mouvements. Celui qui refuserait ainsi de se mettre debout sur un pied, ou de sauter, serait jugé coupable d'une infraction sans possibilité pour lui de présenter la preuve contraire? Autrement dit, une personne se trouvant dans cette situation ne pourrait même pas, afin de démontrer son innocence, se rendre dans un hôpital et faire analyser un prélèvement sanguin. Si je vous ai bien compris, vous vous inquiétez de voir supprimer ce moyen de défense sans même tenir compte des cas où il peut y avoir eu prise de médicaments délivrés sur ordonnance?
M. Stuempel : Je ne pense pas que dans cette hypothèse, un tribunal refuse d'accueillir la preuve contraire. Il y avait deux distinctions à faire. L'élimination de la défense Carter nous paraît soulever des difficultés, puisque nous allons, dorénavant, nous en remettre entièrement à un appareil, ce qui peut empêcher l'accusé de présenter correctement sa défense. C'est un des aspects du problème.
Et puis, les nouvelles dispositions obligent à suivre toutes les étapes de la procédure alors que, dans le passé, les autorités semblaient disposer d'un plus grand pouvoir d'appréciation. Cela dit, je pense qu'à un procès on pourra tout de même invoquer, comme moyen de défense, le fait que si l'on conduisait avec des capacités affaiblies, c'était à cause d'un médicament délivré sur ordonnance. Je ne pense pas que les nouvelles dispositions suppriment cette possibilité.
Le sénateur Baker : On ne peut tout de même pas invoquer, comme moyen de défense, le fait qu'on était sous l'effet d'un médicament délivré sur ordonnance.
M. Stuempel : En ce qui concerne la défense Carter, c'est de l'alcool qu'il s'agit.
Le sénateur Baker : Oui, mais ce test a pour effet de supprimer du Code criminel cette possibilité. Autrement dit, on ne trouvera plus, dans le Code criminel, de disposition autorisant la preuve contraire et, par conséquent, la présomption jouera à plein. On accepte donc les résultats du test, et personne ne peut produire de preuve contraire.
M. Stuempel : Je ne suis pas avocat.
Le sénateur Baker : Quel était votre idée en ce qui concerne les médicaments délivrés sur ordonnance?
M. Stuempel : Ce qui m'inquiète, par exemple, c'est qu'à supposer que quelqu'un a changé de médicament et que ce changement provoque chez lui un affaiblissement des facultés de conduite, il se retrouvera, après l'intervention de l'expert en reconnaissance de drogue et une analyse sanguine, avec un casier judiciaire. À supposer que cela se produise deux fois, et il n'est pas rare que les gens changent assez souvent de médicament, l'intéressé pourra se voir condamner à 30 jours de prison. Voilà que je voulais dire. Or, je pense que ce n'est pas vraiment comme cela que nous voulons traiter les gens. En effet, nous tentons de nous attaquer au phénomène de la conduite avec capacités affaiblies, et nous entrevoyons ici les conséquences imprévues des dispositions envisagées.
Le sénateur Merchant : Je crains que les gens n'aient l'impression qu'on peut remplacer par des mesures très simples les dispositions très compliquées de ce projet de loi.
Je pense qu'en ce qui concerne certaines des dispositions, le gouvernement n'est pas entièrement de bonne foi puisqu'il veut donner à croire que l'aggravation des sanctions entraînera une baisse de la criminalité. Devant le comité, je crois que c'est le sénateur Carstairs qui a demandé au ministre s'il était disposé à accepter des amendements. Vous êtes peut-être au courant de cela, M. Waller. Le ministre a répondu que non. Est-il possible de faire passer aux Canadiens des éléments d'information leur permettant de comprendre qu'il ne s'agit pas ici de solutions simples à un problème compliqué? Les Canadiens ont beaucoup de mal à comprendre tout ce que cela implique. Les concepts à l'origine de ces dispositions ne sont pas faciles à saisir. Que nous conseillez-vous de faire face à un ministre qui n'est pas disposé à accueillir des amendements?
M. Waller : Je pense que la seule chose à faire est de donner aux Canadiens, de donner à nos dirigeants politiques et à tous ceux qui souhaiteraient être dirigeants politiques, de meilleurs renseignements concernant les solutions efficaces. Il est clair qu'en disant cela je ne suis pas entièrement objectif puisque si j'ai écrit ce livre, c'est justement pour informer les électeurs et les responsables politiques. Je défends, bien sûr un certain point de vue mais, je le répète, ce point de vue se fonde sur des sources qui, comme l'Organisation mondiale de la santé, l'Académie nationale des sciences des États- Unis et la Audit Commission britannique, font autorité en la matière. Je pourrais en citer de nombreux autres. J'ajoute que ce que j'affirme dans mon livre s'accorde avec les conclusions auxquelles sont parvenus les comités parlementaires nommés en 1993 et 1996. Ils ont tous deux recommandé la prise de mesures analogues. Si mon institut publie de tels renseignements sur son site Internet, c'est justement pour informer la population. Dans ce dossier, je pense que les simples citoyens se font peut-être moins d'idées que les autres.
Les résultats des sondages d'opinion, dont il faut, je pense, tenir compte, montrent que l'opinion publique comprend très bien qu'il s'agit là du troisième volet de la stratégie, mais qu'on n'y consacre pas assez de ressources et notamment de ressources éclairées. Je ne parle pas là de financement utopique, mais bien de ressources employées de manière éclairée. C'est dans ce sens que nous voudrions voir le gouvernement agir.
Je suis un lecteur assidu du Alberta Report. Ses enquêteurs sont allés à la rencontre de simples citoyens, qui ont répondu qu'ils en avaient assez des tribunaux et de leur trop grande indulgence. Cela dit, ces citoyens ont précisé que la source de la criminalité se trouve également chez les parents, dans l'alcool, dans le manque de services à l'intention des jeunes, dans l'évolution des structures familiales et dans cette soudaine arrivée de tous ces jeunes gens sans bagage.
Je ne pense pas qu'à cet égard, le public ait besoin d'être éduqué, ce serait plutôt l'inverse. Les responsables politiques doivent tenir compte des résultats des recherches menées jusqu'ici et être à l'écoute du public. J'ai consacré la majeure partie de ma vie au mouvement en faveur des victimes. Certaines d'entre elles sont à la fois très convaincantes, en colère et troublées. Beaucoup ne sont pas comme cela, mais estiment tout de même qu'il faudrait en faire plus en matière de prévention. Priscilla de Villiers est sans doute une des meilleures avocates de la prévention. Il s'agit de donner l'exemple par une action novatrice, et c'est ce que l'Alberta est justement en train de faire. Voilà le genre d'action à laquelle on s'attend de la part des gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux. Il faut qu'ils intègrent les données disponibles et agissent en conséquence. Dans certains cas, les résultats peuvent être attendus à court terme, mais dans d'autres cas, il faudra attendre plus longtemps. Il s'agit d'agir sur les deux plans et de parvenir à un meilleur équilibre entre la prévention et l'augmentation constante des budgets de la police et des prisons. Les coûts de substitution sont énormes étant donné que la masse des crédits demeure inchangée. Il faudrait faire le nécessaire dès maintenant. Dans certains cas, on peut faire, comme à Boston, des choses simples qui ne coûtent pas cher. Dans certains cas, il faut y consacrer davantage de ressources, mais ce qui est certain, c'est que le facteur le plus important est l'action dynamique et exemplaire avec, comme en Alberta, un groupe de coordination à qui on donne les moyens d'agir. Il n'est plus temps de discuter de la réforme des dispositions législatives.
Le sénateur Merchant : Pourriez-vous nous citer un chiffre? Une année de prison coûte combien?
M. Waller : Je retiens généralement le chiffre de 100 000 $ par an. Cela varie selon qu'il s'agit, par exemple, d'une femme incarcérée dans une prison à sécurité maxima. Mes collègues pourraient vous citer des chiffres plus actuels.
Si vous divisez les 10 milliards de dollars consacrés à l'action policière par le nombre d'agents, vous obtenez environ 125 000 $ par an. À supposer que l'emprisonnement d'une personne coûte entre 80 000 et 100 000 $ par an, vous pouvez vous faire une idée de l'importance des sommes en jeu. Si vous décidez de construire une prison, il faut bien sûr ajouter à cela les coûts de construction. Le Québec, par exemple, va construire 353 cellules, ce qui va lui coûter 500 millions de dollars. Tout cela coûte en effet très cher.
Mais l'autre pan de votre question était celui-ci : combien d'argent faudrait-il dépenser pour obtenir, au Canada, une baisse de 50 p. 100 des crimes de violence? C'est ce que j'ai calculé dans mon livre. Les gens pourront en discuter. Cela prendrait 10 ans, mais ne coûterait que 10 p. 100 des 15 milliards de dollars que nous dépensons actuellement. Il faudrait pour cela agir de manière plus éclairée, se fonder sur des données plus fiables, opter pour des solutions novatrices et s'inspirer des mesures qui ont fait leurs preuves dans d'autres pays. Une partie de cela peut d'ailleurs être accomplie par des dispositions législatives. Le gouvernement Blair l'a fait, pas en modifiant le Code criminel, mais en adoptant le Crime and Disorder Act.
J'ai tente d'expliquer tout cela dans mon livre. Je ne prétends pas que ce soit la seule solution, mais il s'agit, néanmoins, de moyens pratiques fondés sur de solides connaissances et correspondant au besoin d'agir efficacement.
Le sénateur Fox : Merci. Je tiens d'abord à dire tout l'intérêt que j'ai pris à ce que nous ont dit nos témoins. J'ai trouvé leurs observations à la fois pénétrantes et incisives.
Cela dit, je tiens à préciser que nos délibérations sont elles aussi, marquées par un certain nombre de contraintes. Ainsi, la semaine dernière, le ministre de la Justice nous a dit qu'il nous fallait adopter ce projet de loi avant la fin de février, faute de quoi ce serait considéré comme une question de confiance et porté à l'attention du premier ministre. En réponse à une question que je lui posais, le ministre a répondu qu'il n'accepterait aucun amendement en ce qui concerne le fond même du projet de loi. Adoptez le projet de loi avant le 1er mars, et cela sans l'amender. Hier, le gouvernement a fait adopter à la Chambre une motion nous appelant à adopter ce projet de loi avant le 1er mars. Selon cette motion :
[...] le projet de loi a déjà passé plus de temps au Sénat qu'à Chambre des communes, et ce, pour son adoption à toutes les étapes, et la plupart des aspects de ce projet de loi ont déjà fait l'objet d'audiences approfondies des comités parlementaires, la Chambre est d'avis que la majorité au Sénat n'accorde pas la priorité appropriée à l'adoption du projet de loi C-2 [...]
Le projet de loi C-2 a été transmis au Sénat à la fin du mois de novembre et, comme nos critiques l'ont fait officiellement valoir la semaine dernière, nous l'avons adopté en deuxième lecture le 14 décembre. Or, ce projet de loi a été renvoyé à notre comité il y a seulement une semaine et demie.
Voici donc les contraintes dans le contexte desquelles nous œuvrons. On nous presse de faire adopter le projet de loi sans, sur le fond, y apporter d'amendements. Si nous procédions ainsi, nos mains seraient pratiquement liées.
Vous nous avez dit, M. Waller, que la population veut nous voir prendre des mesures efficaces. Vous vous montrez, à l'égard de ce projet de loi, assez fataliste, faisant valoir qu'il faudrait mieux s'en débarrasser aussi vite que possible afin de pouvoir vraiment s'attaquer au problème. Ce projet de loi contient-il des dispositions qui vous paraissent indiquées, des dispositions qui, au contraire, vous choquent, voire des dispositions qui pourraient, selon vous, se révéler efficaces?
M. Waller : Il est clair que je me suis intéressé particulièrement aux dispositions concernant les délinquants dangereux. J'estime qu'il y a trop de gens manifestement dangereux, à qui on aurait déjà dû appliquer les dispositions en vigueur, mais qui ont néanmoins échappé au filet. Je suis donc disposé à admettre des dispositions allant dans le sens de ce qui est proposé dans le projet de loi. Je n'ai pas eu l'occasion d'examiner les dispositions concernant la conduite avec capacités affaiblies et je ne peux donc rien dire à leur égard. En ce qui concerne les autres dispositions, je suis, effectivement, fataliste. Rien n'a été dit à la Chambre des communes qui vous empêche de proposer des idées qui dépassent ce qui est inscrit dans ce projet de loi.
Il faudrait, me semble-t-il, recommander qu'il y ait, chaque année, une enquête de victimisation qui permettrait de faire le point des actes portant atteinte à la population, et comptabilisant aussi les actes de violence commis contre les femmes. Les gouvernements devraient alors répondre de l'évolution des chiffres. Je sais que tout est plus compliquée que cela, mais il s'agit de provoquer une baisse du nombre de personnes victimes de crimes de violence. Voilà le critère qu'il convient d'appliquer.
Le sénateur Fox : Est-ce à dire que, dans l'hypothèse où le texte serait adopté en l'état, il conviendrait de surveiller de près son application?
M. Waller : Oui.
Le sénateur Fox : J'aimerais maintenant poser aux autres témoins une question sur les peines minimales obligatoires. Selon vous, ces peines ne font rien pour atténuer la criminalité. Y a-t-il, parmi les nouvelles peines minimales obligatoires, quelque chose que vous seriez prêt à admettre?
Mme Hannem : Notre comité et l'association tout entière sont par principe, opposés aux peines minimales obligatoires. Notre justice serait gravement diminuée si les juges ne pouvaient pas prendre en compte tous les facteurs pertinents, toutes les circonstances pertinentes d'une affaire. Le nombre de personnes incarcérées augmentera, la durée des peines augmentera, comme augmenteront aussi les crédits affectés aux prisons. Nous n'avons tout simplement pas prévu de programmes nécessaires au soutien de ces personnes que vous allez non seulement incarcérer, mais à qui vous allez imposer des peines plus longues qu'avant. Il n'y a, selon moi, rien de bon dans ces dispositions concernant les peines minimales obligatoires.
Le sénateur Fox : Étant donné que nous ne pouvons guère proposer d'amendement de fond, que pensez-vous de l'idée, avancée par l'Association des avocats pénalistes, d'introduire un élément important des régimes de peines minimales obligatoires en vigueur dans d'autres ressorts de common law. Il s'agit de la clause de dérogation. Selon cette cause, si le juge estime qu'il y a, en ce qui concerne l'accusé personnellement, ou l'infraction qu'il a commise, les circonstances exceptionnelles qui le justifient, il peut, en invoquant cette clause de dérogation modifier la peine prévue.
Que pensez-vous de l'idée d'inscrire une telle clause dans ce projet de loi?
Mme Hannem : Nous y sommes entièrement favorables, dans la mesure où l'on instaure des peines minimums obligatoires, une solution acceptable consisterait à prévoir qu'il pourra être tenu compte d'un certain nombre d'autres facteurs.
Le sénateur Fox : Ne pourrait-on pas dire, puisqu'il s'agit de minimums, que ce serait la moindre des choses?
M. Stuempel : En effet, car le plus grave sera cette atteinte au pouvoir discrétionnaire des juges.
Le sénateur Fox : Dans le mémoire qui nous a été présenté hier par l'Association des avocats pénalistes, je relève le passage suivant :
Il y a, dans les régimes de peines minimales obligatoires en vigueur dans d'autres ressorts de common law, un élément important qui, dans notre système, brille par son absence, c'est la clause de dérogation. La formulation de ce type de clause varie d'un ressort à un autre, mais de nombreux ressorts ont adopté des dispositions qui, lorsque les circonstances de l'affaire s'y prêtent, permettent aux juges d'écarter la sévérité d'une peine minimale obligatoire.
M. Stuempel : Cela ferait beaucoup pour réduire les conséquences découlant de des peines minimales obligatoires.
La présidente : À l'intention des téléspectateurs, je dois dire que ce comité, et après lui, le Sénat, peuvent en fait apporter à ce projet de loi les modifications qui lui semblent indiquées. Évidemment, le gouvernement peut toujours adresser à la Chambre des communes une recommandation qui ira à l'encontre. Je pense que c'est ce que le ministre laissait entendre. On ne veut pas que nous leur transmettions des amendements de fond, mais, bien sûr, ce que nous faisons ici ne dépend pas de lui. Je ne fais que préciser sa pensée.
Le sénateur Fox : Il avait répondu qu'il n'accepterait aucun « amendement de fond ».
Le sénateur Joyal : Ses propos ont été consignés au procès-verbal. Le ministre a dit au comité que la Chambre des communes avait consacré deux années à ce projet de loi et lui avait déjà apporté 48 amendements. Le sous-ministre de la Justice était présent lorsque le ministre de la Justice nous a dit que ce projet de loi était le résultat d'un effort maximum — merci, au revoir et n'oubliez pas d'adopter le texte en l'état.
C'était un ministre de mon propre gouvernement. J'ai invoqué le Règlement afin de rappeler au ministre l'existence d'une disposition constitutionnelle en vertu de laquelle la Chambre haute est tenue à l'examen des projets de loi. Dans la mesure où, pour de bonnes raisons, nous estimons qu'il y a, dans ce projet de loi, des choses qui ne devraient pas s'y trouver, il est de notre devoir de le signaler. Un point, c'est tout.
La présidente : Permettez-moi de dire qu'à mon avis, cela ne constitue pas un rappel au règlement, mais c'était, effectivement, une utile précision.
Le sénateur Joyal : J'espère que cela sera perçu comme ça de l'autre côté.
Le sénateur Di Nino : Je vous remercie de l'aide que vous nous apportez sur cette question complexe et difficile.
On comprend fort bien les différences d'opinion. Je tiens, d'abord, à m'inscrire officiellement en faux contre un des propos tenus par Mme Hannem.
N'a-t-elle pas dit que le Parlement entendait assumer le rôle des parents? Or, cela ne me semble pas être le cas. Comme plusieurs autres l'ont dit, et notamment M. Waller, le Parlement ne fait, en réalité, qu'écouter le public. Le Parlement écoute les mères et les pères et, si vous me permettez ce petit message publicitaire en faveur de nous qui sommes un peu plus âgés, les grands-pères. C'est un rôle que l'on peut très bien assumer, et c'est même un rôle que nous assumons tous — tous partis politiques confondus, étant donné que, dans l'autre chambre, tous les députés ont voté pour cette disposition, quel que soit leur parti. C'est donc un rôle que nous pouvons, à juste titre, jouer, c'est-à- dire écouter les principaux intéressés. De nombreuses personnes ont exprimé leur inquiétude au sujet de l'âge de consentement et ce sont ces inquiétudes qui sont à l'origine des mesures adoptées.
Vous souhaiterez peut-être ajouter quelque chose sur ce point, mais je tenais à ce que cette précision soit consignée au compte rendu.
Monsieur Stuempel, vous avez parlé des effets qu'un changement de médicament peut avoir sur le comportement au volant. Devrions-nous nous inquiéter de la cause d'un tel affaiblissement des facultés? Dans la mesure où les gens conduisent avec capacités affaiblies — et, soit dit en passant, je pense que la loi contient déjà une disposition à cet égard — devraient-ils échapper aux conséquences juridiques de leurs actes?
M. Stuempel : Dans la mesure où l'on prévoit une peine d'emprisonnement minimale obligatoire de 30 jours pour les personnes conduisant avec des facultés affaiblies, il faut, me semble-t-il, laisser au juge un certain pouvoir d'appréciation. Je ne parle pas de l'alcool au volant. Je parle de quelqu'un qui sort de chez le médecin après avoir pris un nouveau médicament, et dont les facultés s'affaiblissent en cours de route. Doit-on, après une deuxième infraction, imposer à ces personnes la même peine minimum, c'est-à-dire 30 jours de prison? Peut-on vraiment, dans cette hypothèse, parler d'une peine adaptée. Il est légitime de poser la question. Bien évidemment, nous voulons éliminer la conduite avec facultés affaiblies. On peut y arriver, mais je me demande simplement si l'on doit imposer une même solution à des phénomènes aussi différents.
Le sénateur Di Nino : C'est une précision que je tenais à apporter. Je vous remercie d'avoir répondu à mon propos.
Je voudrais, monsieur Waller, encore une fois, apporter aux fins du compte rendu, un certain nombre de précisions. Vous avez parlé d'une stratégie à trois volets et je crois devoir souligner certains aspects des initiatives adoptées en ce domaine par le gouvernement.
Décidé à aider les communautés à prévenir la criminalité chez les jeunes et à lutter plus particulièrement contre les armes à feu, les gangs et les drogues, le gouvernement du Canada a affecté, sur deux ans, 16 millions de dollars aux jeunes à risque. Le gouvernement a consacré 11 millions de dollars à la création, au sein du Conseil national de prévention du crime, d'un centre de prévention des bandes de jeunes. Le gouvernement a consacré cinq millions de dollars de plus au Fonds de renouvellement du système de justice pour les jeunes et élaboré une Stratégie nationale antidrogue, les deux tiers du financement prévu étant affectés à la prévention et au traitement. L'actuel gouvernement a consacré 10 millions de dollars à une campagne nationale de prévention à l'intention des jeunes et de leurs parents, avec plus de 30 millions de dollars prévus pour des mesures de traitement. Tout cela en très peu de temps. Je pense tout de même pouvoir dire qu'on a fait quelque chose.
Vous allez peut-être répondre qu'il faudrait en faire davantage, et nous ne dirons pas le contraire.
Permettez-moi de vous poser une question dans la foulée, afin de ne pas prendre trop de temps. Vous nous avez cités dans le cadre de votre exposé, un certain nombre de chiffres. C'est ainsi que vous nous avez dit que, selon l'enquête sociale menée en 2004 par Statistique Canada auprès des adultes, un Canadien sur quatre s'est dit avoir été victime d'un acte criminel et, toujours selon cette enquête, 500 000 femmes auraient été victimes d'une agression sexuelle.
Vous avez ajouté que, en outre, bon nombre de personnes ne signalent pas les crimes dont elles seraient victimes. Est-ce à dire que si chaque crime était porté à la connaissance des autorités, les chiffres que vous venez de citer seraient encore plus élevés?
M. Waller : Permettez-moi de préciser que les chiffres dont j'ai fait état proviennent de l'enquête sur la victimisation et non pas des statistiques policières. En 2004, Statistique Canada a mené une enquête auprès d'environ 25 000 adultes. C'est sur les résultats de cette enquête que sont fondés les chiffres cités à la page 9 de mon mémoire.
Le sénateur Di Nino : Il s'agit donc d'incidents à signaler qui ne seraient, toutefois, pas toujours signalés.
M. Waller : Tels sont les résultats de l'enquête qui nous permet de savoir que de nombreuses victimes ne font aucune déclaration à la police. Étant donné que cette enquête a lieu tous les cinq ans, nous pouvons également constater une baisse sensible du taux de déclaration.
J'aimerais beaucoup avoir l'occasion d'approfondir mes recherches — et je suis bien conscient qu'il s'agit, encore une fois, d'études plutôt que de mesures actives — sur la question. En attendant, il me semble raisonnable d'attribuer cela essentiellement à deux raisons. D'abord, le public sait bien que, dans ce genre de situation, la police n'y peut pas grand-chose, et puis, il va falloir en outre, améliorer l'accueil que la police réserve aux personnes victimes d'un crime, et plus particulièrement aux femmes. Cela devrait être une de nos priorités.
Je travaille actuellement sur un projet de convention à laquelle je voudrais voir adhérer le Canada. J'ai assez souvent l'occasion de parler de cela dans divers autres pays et il serait bon que le Canada prenne activement fait et cause en faveur des victimes. Edmonton fait, à cet égard, figure d'exemple.
Permettez-moi un certain nombre de commentaires au sujet des chiffres que vous avez cités. J'en ai pris note. Je ne sais pas s'il s'agit effectivement de 100 millions de dollars en nouveaux crédits. Certains crédits, par exemple, étaient déjà affectés au Conseil national de prévention du crime. Je ne sais pas très bien si ces crédits s'élevaient à 20 ou à 30 millions de dollars. Ce qui est certain, c'est que des crédits avaient déjà été affectés à la stratégie nationale antidrogue.
Songez au financement, par le gouvernement fédéral, de nouveaux postes de policiers. Deux milles cinq cent nouveaux policiers, cela fait 250 millions de dollars. Les provinces augmentent leur budget policier dans les mêmes proportions. J'ai déjà parlé du budget des prisons. Ce qu'il faudrait, à tout le moins, c'est que l'augmentation des budgets de la police et des prisons, s'accompagne d'une augmentation proportionnelle des budgets consacrés au traitement et à la prévention. Veillons à l'équilibre des trois volets en augmentant considérablement certains financements.
J'ai cité le chiffre de 250 millions de dollars, eh bien, cela ne s'écarte pas tellement de ce que j'avais répondu au sénateur Merchant au sujet des sommes qui permettraient d'obtenir des résultats probants. Mais, encore faut-il que les crédits soient employés intelligemment. Il est heureux que le ministre Day ait approuvé le plan de prévention du crime, mais encore faut-il prévoir les financements nécessaires et faire du Conseil national de prévention du crime non plus un petit service au sein d'un énorme ministère, mais en faire, au sein de ce ministère, un organisme important disposant des informations et des moyens lui permettant d'intervenir efficacement. Il faut également lui donner les moyens d'assurer une certaine coordination de l'action fédérale-provinciale. Il s'agit là de mesures qui devraient être prises sans plus attendre.
Le sénateur Andreychuk : On a parlé ici de prévention, de police et, aussi, du Code criminel. Le sénateur Di Nino a rappelé la visite que le ministre a rendue au comité et à l'occasion de laquelle le ministre avait rappelé que pour lutter contre la criminalité, il fallait adopter une démarche à trois volets. On peut toujours débattre de la question de savoir si les programmes actuels suffisent ou non. Certains programmes, par exemple, ont fait leur temps et c'est pour cela que vous avez prôné la créativité. Je suis d'accord avec vous.
Il faut être créatif et novateur et sortir des sentiers battus. C'est ainsi, par exemple, que l'on vient d'affecter deux millions de dollars au Centre canadien de protection de l'enfance. Les jeunes évoluent dans le cyberespace et cet argent doit permettre aux parents de mieux veiller au bien-être de leurs enfants. Nous continuons à dire aux enfants de ne pas se laisser aborder par des étrangers, mais dans le cyberespace, il y a des gens qui tentent d'attirer à eux des enfants. Nous avons entamé un effort en ce sens, mais devrait-on en faire davantage pour protéger nos enfants?
Le problème est que nous parlons constamment de prévention et que les crédits ne sont jamais suffisants. La criminalité continue. Jadis, le juge avait, devant lui, l'accusé et la victime. Que faire? Instaurer un programme de prévention qui donnera ou ne donnera pas les résultats voulus. Ne devrait-on pas essayer autre chose? C'est ce casse- tête qui a porté le ministre à s'attaquer aux récidivistes et aux délinquants violents. On ne peut pas attendre dix ans. Il faut, dans l'immédiat, faire quelque chose au sujet des récidivistes et des personnes qui commettent des actes de violence.
Mais, s'il n'y avait que le projet de loi C-2, ce ne serait pas suffisant. Il faut, effectivement, que ces nouvelles mesures s'insèrent dans tout un ensemble. Je parle là non seulement de programmes de prévention à l'intention des criminels en puissance, mais de toutes sortes de programmes destinés aux enfants en bas âge, y compris de nouvelles manières d'appréhender la réalité économique. Ce faisceau d'efforts et de démarches exercent un effet sur la société et sur les réactions de la population, tant chez ceux qui sont respectueux des lois que chez ceux qui les enfreignent.
Avec la prévention, on ne sait pas trop, à vrai dire, où l'on s'en va. On ne sait pas, par exemple, si telle ou telle personne a subi l'influence bénéfique d'un programme ou si elle s'est écartée de la voie du crime pour d'autres raisons. On peut créer des centres de traitement de la toxicomanie. Certains en bénéficieront. Mais on n'est jamais sûr car les individus sont animés par tout un faisceau de motivations. Cela dit, ce n'est pas une raison d'abandonner nos efforts.
Est-ce pour cela que vous estimez que l'on pourrait tout de même adopter le projet de loi C-2, étant donné qu'il ne s'agit que d'un élément parmi beaucoup d'autres, mais qu'il nous faudrait, en même temps, en faire davantage en matière de prévention, et adopter une approche plus créative? Est-ce votre avis, M. Waller? Si ce l'est effectivement, je pense que nous sommes d'accord et je soutiens vos efforts en ce sens. Je voudrais que davantage d'attention soit portée à la prévention, mais je ne pense pas que l'on puisse garantir que telle ou telle programme nous permettra, dans dix ans, d'obtenir des résultats probants. Certains indices nous permettront de penser qu'on a tout de même exercé une certaine influence sur la société, mais nous ne pourrons jamais affirmer que c'est à cause de ce programme, que tel ou tel contrevenant a renoncé au crime. En ce qui concerne la pédophilie, les statistiques semblent démontrer que les programmes que nous avons lancés n'ont guère donné de résultats. Nous pouvons le constater, mais il y a d'importantes lacunes dans notre connaissance du comportement humaine et, donc, des modes de prévention qui seraient efficaces.
M. Waller : Il est, je le reconnais, important de faire obstacle à la récidive, notamment lorsqu'il s'agit de crimes de violence. Je reconnais qu'il nous faut agir pour cela dans le cadre des dispositions actuelles visant les délinquants dangereux, peut-être en adoptant de nouvelles mesures afin d'assurer qu'un moins grand nombre d'entre eux bénéficieront d'une libération.
Je ne voudrais pas manquer de déférence car je sais que vous êtes acquis à l'idée de prévention, mais j'estime qu'en matière de prévention, on s'est payé de mots. Les travaux entrepris démontrent l'efficacité des mesures de prévention. Ce qui s'est fait à Boston démontre l'efficacité de programmes destinés aux jeunes qui sont tentés de renoncer aux études. Cela est vrai aussi pour les programmes tels que le programme britannique d'intégration des jeunes. On peut également citer les résultats probants de programmes tels que celui que la University of Western Ontario a instauré auprès des conseils scolaires de Toronto. C'est vrai, également, de la quatrième matière de base à intégrer au programme des écoles. Je pourrais multiplier les exemples. Nous savons que les programmes de prévention donnent de bons résultats. Nous savons que ces programmes nous permettent d'atténuer la violence. Les résultats des travaux entrepris, publiés tant sur notre site Internet que sur le site Internet de l'Organisation mondiale de la santé, en témoignent. Il y a effectivement des choses qui se font. Il nous faut nous en inspirer et agir sans plus attendre.
Comme mes collègues le disaient tout à l'heure, nous ne sommes pas du tout sûrs de l'efficacité des peines minimales obligatoires. C'était censé nous permettre de résoudre, à Toronto, le problème des bandes. Pourquoi ne pas s'inspirer de Boston au lieu de passer tout notre temps à débattre de l'utilité des peines minimums? Nous savons quelles sont les mesures efficaces et nous savons quelles sont, en plus, efficientes. Les résultats sont probants. Sur le plan social, les avantages sont manifestes et ces avantages ne se font pas attendre dix ans.
J'ai évoqué une baisse de 50 p. 100. Cela veut dire que nous passerions de 600 assassinats par an à 300. C'est une différence considérable. Cela veut dire que de 500 000 agressions sexuelles par an, on passerait à 250 000. Je ne pense pas que ce résultat puisse être obtenu d'une année à l'autre, mais on peut obtenir une baisse sensible. On obtiendrait de meilleurs résultats en y consacrant une somme équivalente à ce que l'actuel gouvernement consacre à la police. Je ne veux pas dire par cela qu'il faille renoncer à l'augmentation des budgets policiers. Mais accordez 250 millions de dollars au Conseil national de prévention du crime, ce qui est, proportionnellement, ce que l'Alberta consacre à l'organisme qui, dans cette province, exerce une fonction analogue, et vous constaterez une baisse de la criminalité. Le plan avalisé par le ministre Day va dans le bon sens. Il y est question d'adopter des mesures efficaces et d'en mesurer les résultats. C'est comme cela que nous devons procéder sans plus attendre.
Le sénateur Andreychuk : Mais, si nous nous soucions de prévention, ce n'est pas simplement afin de lutter contre la récidive. Je conviens que nous parlons beaucoup de prévention, mais que nous n'en faisons jamais assez et ce que nous faisons, nous ne le faisons pas de manière assez créative. C'est, je crois, ce que vous disiez.
Vous avez dit aussi avoir collaboré avec le premier ministre Blair dans le cadre de ces programmes qui, en Grande- Bretagne, ont donné d'excellents résultats. Dans ces conditions-là, pourquoi M. Blair a-t-il fait adopter des dispositions de lutte contre les comportements antisociaux, afin non seulement de s'attaquer aux jeunes criminels mais d'incriminer diverses autres formes de comportement antisocial? Il est clair que ces dispositions ont augmenté le nombre de personnes interpelées par la police. Pourquoi attacher autant d'importance à ce genre de mesure? Étant donné qu'il il ne s'agit pas vraiment de crimes, c'aurait été, d'après moi, l'occasion d'intervenir au plan de la prévention. On s'en prend à l'incivilité dans la rue, l'idée étant d'étouffer dans le germe ce genre de comportement, et de détourner les jeunes des voies qui les mèneraient au crime. Mais, pourquoi adopter de telles mesures si les programmes de prévention ont donné d'aussi bons résultats.
M. Waller : Je suis, moi aussi, grand-père, et je me fais très vieux. Ce qu'il m'a été donné devoir au cours de mon existence m'a tout de même appris quelque chose et je suis toujours à l'affût de solutions prometteuses. Mille criminologues se penchent sur les erreurs commises par Blair, et je suis heureux qu'ils le fassent, mais moi, je cherche plutôt là où il a réussi. Je ne suis pas au courant de ce qui s'est fait dans le cadre de cette lutte contre les comportements antisociaux mais, d'après moi, ce n'était probablement pas la bonne manière de procéder. La Commission de justice pour les jeunes était une heureuse initiative, et si cette initiative a été prise, c'est parce qu'une vérification des comptes publics avait confirmé que la prévention était à la fois plus rentable et plus efficace.
Je pense, par exemple, aux projets d'intégration des jeunes, qui ont entraîné une baisse de 60 p. 100 de l'activité criminelle. Je ne dis pas que nous avons réussi à 100 p. 100, mais un succès complet n'est pas possible. Même avec la législation la plus draconienne, vous n'éliminerez pas les délinquants dangereux ou les récidivistes. Il s'agit d'atténuer le phénomène et c'est pour cela que, d'après moi, il nous faut partir des taux de victimisation et les moyens permettant de les réduire. Les résultats des travaux sur la prévention sont tout à fait convaincants.
J'ai essayé dans ce livre, d'en exposer les résultats afin de les mettre à la disposition de tous. Je suis heureux d'avoir présenté ces données dans un style assez fleuri et en termes assez difficiles à comprendre. J'y expose les mesures qui ont été prises et les résultats sont décisifs. Il nous faut donc arrêter de parler de tout cela, commencer à prendre les mesures qui s'imposent et agir avec davantage d'intelligence. C'est de prévention éclairée qu'il s'agit, de mesures ciblées. Je crois, en effet, que le plan avalisé par le ministre Day est un plan ciblé.
La présidente : Merci, monsieur Waller. Vous vous exprimez avec autant de clarté que de vigueur.
Le sénateur Milne : Le professeur Waller ayant tendance à s'étendre, j'hésite à lui poser une question, si ce n'est, monsieur, une question très très brève. Vous avez répondu au sénateur Oliver, que les efforts faits à Boston afin d'encourager les jeunes gens à reprendre leurs études ont donné de bons résultats. L'enseignement donne, effectivement, de bons résultats. Au Canada, la baisse des budgets des programmes d'alphabétisation a-t-elle eu une incidence sur les taux de criminalité?
M. Waller : Je ne suis pas en mesure de vous le dire, étant donné l'insuffisance de nos recherches. Je m'explique. Nous avons recueilli toute une somme de renseignements, mais il nous faut affiner les données portant sur la situation au Canada. J'aurais aimé, dans mon livre, pouvoir citer de plus nombreux exemples canadiens. Or, je n'en ai pas trouvé beaucoup, car nous ne procédons pas ici à l'évaluation des projets que nous lançons. Nous ne savons pas vraiment s'ils donnent de bons résultats. Les Américains eux, font de telles évaluations, mais ne tiennent guère compte des résultats. L'inverse qui est vrai des Britanniques, des Australiens et des Scandinaves. Nous avons pas mal de rattrapage à faire. Oui, il nous faut recourir aux moyens qui ont fait leurs preuves, mais il nous faut également vérifier l'efficacité de diverses sortes de mesures telles que celles qui, par exemple, sont adaptées aux problèmes qu'éprouvent les jeunes autochtones des zones urbaines. Nous devons également nous pencher sur les niveaux d'alphabétisation, et voir si l'on ne pourrait pas encourager davantage de jeunes à poursuivre leurs études en leur offrant, par exemple, des repas et des séances de mentorat.
Le sénateur Milne : Merci, monsieur le professeur. Je savais bien qu'il ne fallait pas vous poser cette question, car je voulais tout de même laisser au sénateur Joyal le temps de vous interroger à son tour.
Madame Hannem, vous pourriez peut-être, par écrit, nous transmettre quelque chose au sujet du renversement du fardeau de la preuve.
Mme Hannem : Volontiers.
Le sénateur Milne : Je suis très soucieuse de cette modification des dispositions concernant la détermination de la peine et la libération sous caution.
Le sénateur Joyal : Monsieur Stuempel, vous avez consacré vos observations liminaires aux peines minimums. Le ministère de la Justice vous a-t-il consulté avant de rédiger ces dispositions?
M. Stuempel : Nous a-t-on demandé, avant la rédaction du texte, ce que nous pensions des peines minimales obligatoires?
Le sénateur Joyal : Oui.
M. Stuempel : Non, on ne nous a pas consultés. Les gens du ministère connaissent notre point de vue sur la question.
Le sénateur Joyal : Ils ne vous ont donc jamais demandé si vous n'auriez pas des données précises ou des résultats de recherches qui pourraient leur être utiles.
M. Stuempel : Je dois dire que non.
Le sénateur Joyal : Permettez-moi de poser la même question à M. Waller. Avant la rédaction de ce projet de loi, votre institut a-t-il été consulté au sujet d'une ou l'autre des cinq parties de ce texte?
M. Waller : Nous n'existions pas encore à l'époque, et nous n'avons pas été consultés. Nous nous intéressons essentiellement à la prévention et non aux modifications apportées au Code criminel dans la mesure où celles-ci n'ont rien à voir avec la prévention.
Le sénateur Joyal : Ma deuxième question, au sujet de l'âge de consentement, s'adresse à Mme Hannem.
Cette disposition de projet de loi me préoccupe. Dans la plupart des provinces, en matière de mariage, l'âge de consentement est fixé à 16 ans, et à 15 ans dans l'un des territoires. Si un jeune de moins de 16 ans entend se marier, ses parents peuvent donner leur consentement et, dans ce cas-là, les rapports sexuels entre les deux personnes du couple seront jugées licites. Si un jeune de 15 ans souhaite entamer une relation sexuelle avec une personne de 21 ans, les parents, même s'ils sont consentants, ne peuvent pas, aux termes des dispositions envisagées ici, y consentir. Dans cette hypothèse, c'est l'État qui décide que les parents n'ont pas le droit de se prononcer sur cet aspect de la vie de leur enfant.
D'après moi, ce projet de loi ampute dans une certaine mesure l'autorité des parents, et cela se justifie mal à notre époque.
Comment se fait-il que les parents puissent consentir à un mariage, avec, bien sûr, la relation sexuelle que cela implique, mais ne pas pouvoir simplement consentir à une relation du même genre? Cette disposition me semble teintée de moralisme. Ainsi, l'État, ou le gouvernement, décide qu'un parent ou parent-substitut n'est pas apte à se prononcer sur la bienséance d'une relation sexuelle voulue par l'enfant. Je pense que notre Chambre devrait soumettre cette disposition à un second examen objectif.
Tout le monde est partisan de la protection des enfants, mais lorsqu'un enfant est sous la garde de ses parents, ceux- ci doivent pouvoir décider si quelque chose est ou non dans l'intérêt de l'enfant. Si les parents peuvent consentir au mariage d'un enfant de 15 ans, j'estime qu'ils devraient pouvoir également consentir à une relation sexuelle dans laquelle cette enfant désire s'engager. Sur ce point, le projet de loi a, je pense, tiré à côté. Personne ne s'oppose à la protection des enfants mais, là, le projet de loi est passé à côté de la question.
Qu'en pensez-vous? Ai-je tort?
Mme Hannem : Je reconnais qu'il s'agit d'une situation très délicate. Il y a deux solutions possibles. La première est d'interdire aux parents de consentir au mariage d'un enfant de cet âge, et cela afin d'accorder cette disposition avec la modification qu'on se propose d'apporter au Code criminel, et l'autre de reconsidérer l'idée de porter à 16 ans l'âge minimum aux fins du Code criminel.
C'est un peu à cela que je faisais allusion en disant que le gouvernement assumait le rôle de parent et ôtait aux parents une part de leur pouvoir d'appréciation. Par cette disposition, on interdit aux parents de se prononcer sur la bienséance des relations dans lesquelles souhaitent s'engager leurs enfants.
Je ne sais, non plus, si l'on a consulté les jeunes au sujet de cet âge de consentement. Plusieurs personnes ont dit que les parents et les grands-parents se soucient beaucoup des éventuelles relations sexuelles nouées par leurs enfants. Les parents et les grands-parents se soucient beaucoup du fait que les enfants rentrent tard le soir, sans pour cela incriminer leur comportement. Il y a tout de même une différence entre la volonté de veiller sur ses enfants, et l'idée de criminaliser certains comportements qui, en fait, sont aujourd'hui normaux.
M. Stuempel : La distinction ainsi faite n'a rien de nouveau. La loi prévoit d'ailleurs un âge de consentement différent pour les relations homosexuelles.
Je dois, en toute déférence, rappeler au sénateur Di Nino, que des organisations qui se consacrent à la jeunesse telles que Justice for Children, l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, la Fédération canadienne pour la santé sexuelle et Égale Canada se sont toutes déclarées hostiles au relèvement de l'âge de consentement. Nous avons mené des consultations et recueilli les divers points de vue, mais peut-être n'avons-nous pas assez écouté les personnes les plus directement concernées, en l'occurrence les jeunes.
Le sénateur Joyal : Je vois que vous êtes accompagné par une de vos étudiantes en doctorat, qui s'intéresse particulièrement aux effets que le Code criminel peut avoir sur les peuples autochtones du Canada. Vous êtes-vous penché sur les incidences de ce projet de loi au niveau de la population autochtone? Les dispositions envisagées risquent-elles d'augmenter le taux d'incarcération? Quelles pourraient être les conséquences de l'adoption des dispositions en cause?
M. Waller : Je ne suis pas certain qu'elle souhaite répondre sur ce point. Je suis son directeur de thèse et je sais qu'elle se penche particulièrement sur les difficultés éprouvées par les Autochtones dans les zones urbaines. On ne trouve, dans ce projet de loi, rien qui soit susceptible d'atténuer les violences constatées à Winnipeg entre jeunes autochtones. Elle s'intéresse actuellement plus particulièrement à Thunder Bay et à certaines autres villes qui accueillent une importante population autochtone.
Si vous réfléchissez aux dispositions de ce projet de loi dans le contexte des zones les plus marquées par la violence et les cycles de violence, c'est-à-dire certaines de nos villes mais également de nombreuses autres zones, vous serez forcés de conclure que nous avons effectivement beaucoup parlé de la prévention, mais que nous n'avons pas fait grand- chose. Il est vrai que depuis de très nombreuses années, nous tentons d'atténuer les problèmes auxquels font face nos populations autochtones et que nous avons accumulé des volumes considérables de données concernant les mesures qui, dans de telles situations, devraient donner d'assez bons résultats. Mon étudiante se penche actuellement sur la manière dont Thunder Bay pourrait peut-être profiter de certaines des connaissances que nous avons acquises. Il suffit, en l'occurrence, d'agir et en même temps de tirer les leçons de cette action.
Le sénateur Joyal : D'après vous, si ce projet de loi est adopté en l'état, doit-on s'attendre à une augmentation du nombre d'Autochtones incarcérés?
M. Waller : La disposition concernant les délinquants dangereux va évidemment faire augmenter le nombre de personnes incarcérées. Les peines minimums obligatoires iront probablement dans le même sens. Vous direz que je suis fataliste, mais je ne pense pas me tromper.
Il y a tellement de choses que nous pourrions faire pour atténuer la violence entre Autochtones et réduire ainsi les actes de violence contre les non-Autochtones. Des travaux scientifiques le confirment. Il faudrait, bien sûr, en tenir compte, cesser d'en parler et commencer à agir.
M. Stuempel : J'ai grandi à Iqaluit, j'ai travaillé au sein des services correctionnels dans le Nord et j'ai donné, à l'Université d'Ottawa, un cours sur les peuples autochtones et la justice. Cela étant, je pense pouvoir dire que ces dispositions auront un impact disproportionné sur les populations autochtones.
Au niveau de ces divers problèmes, nous ne nous attaquons pas aux choses qui comptent vraiment. Contrairement aux objectifs, je pense que les dispositions en question vont faire la preuve, à tout le moins, de leur inefficacité. Nous pouvons donc nous attendre à une augmentation de la population.
La présidente : De la population carcérale?
M. Stuempel : Oui, en ce qui concerne le nombre d'Autochtones.
Le sénateur Joyal : Pensez-vous que ces dispositions affecteront également d'autres minorités, dans les zones urbaines ou dans d'autres régions du Canada?
M. Stuempel : Je ne suis pas en mesure de vous répondre sur ce point. Je pense que ce sera vraisemblablement le cas, car le renversement du fardeau de la preuve va se révéler très coûteux. Les plus pauvres n'auront pas les moyens de se défendre, et l'aide juridique se trouvera paralysée par l'augmentation du nombre de dossiers. Les plus démunis n'auront pas les moyens de se défendre, compte tenu des dispositions décrétant le renversement du fardeau de la preuve et ce seront donc les plus démunis qui seront les plus touchés.
M. Waller : Ces dispositions devaient, dans une certaine mesure, permettre d'atténuer la violence dans des villes telles que Toronto. Il est évident que dans la mesure où les peines minimales obligatoires entraînent une augmentation du nombre de personnes incarcérées, il y aura un nombre disproportionné de Noirs, de pauvres et de personnes issues de familles en difficulté.
Bon nombre de ces situations pourraient être améliorées. Les résultats dont peuvent faire état toutes sortes de groupes faisant autorité en ce domaine, nous permettent de l'affirmer. Les ressources et les énergies investies dans ce genre de mesures auraient de bonnes chances de porter fruit.
La présidente : Je tiens à présenter, à nos trois témoins, nos sincères remerciements. Cela a été pour nous une séance d'un très vif intérêt. Nous aimerions vous retenir plus longtemps mais, comme vous le savez, nous devons maintenant accueillir d'autres témoins.
C'est en effet avec plaisir que nous accueillons des représentants de l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry et de la Société John Howard du Canada.
[Français]
Pour représenter l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, nous accueillons Mme Dominique Larochelle, membre du conseil d'administration, ainsi que Mme Kim Pate, qui est la directrice générale. Et de la Société John Howard du Canada, nous avons le plaisir d'accueillir M. Craig Jones, qui est le directeur général.
[Traduction]
Kim Pate, directrice générale, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : Je suis heureuse d'avoir l'occasion de comparaître devant le comité en tant que représentante de notre organisation. Je suis accompagnée d'un membre de notre conseil d'administration, Mme Larochelle, qui m'aidera à répondre à vos questions. C'est pour moi un plais de me retrouver ici en compagnie de la Société John Howard.
Nous sommes particulièrement heureux de voir que votre comité a décidé de se livrer à un examen approfondi de ce projet de loi et d'assumer pleinement le rôle qui revient au Sénat. Les sénateurs prennent tout à fait au sérieux le rôle qui leur incombe en tant que membres de la chambre de second examen modéré et réfléchi, ce rôle revêtant une importance particulière en l'espèce.
Notre association regroupe 26 sociétés membres réparties sur l'ensemble du territoire. Deux permanents travaillent à notre siège national, mais notre organisation repose aussi sur le grand nombre de personnes qui, dans les diverses régions du pays, appuient notre action, et notamment les 26 bénévoles — membres du conseil d'administration ou non — basés dans notre bureau. Nos effectifs comprennent également des étudiants en droit, dont certains de mes étudiants à l'Université d'Ottawa où j'enseigne à l'occasion en tant que professeur invité.
Je devrai peut-être ajouter, compte tenu de la nature d'un projet de loi tel que celui-ci, que collaborent à notre action, au sein de nos sociétés locales, environ 1 500 bénévoles. Nos bureaux sont souvent très petits, mais notre action est relayée par les fidèles partisans de nos sociétés Elizabeth Fry et John Howard locales, dont certains d'entre vous font partie. Nous sommes extrêmement reconnaissants à ces 1 500 bénévoles qui, sur une année, nous consacrent en moyenne, de 160 à 170 000 heures de travail. C'est exactement le rôle qui revient à Mme Larochelle en tant que bénévole et membre de notre conseil d'administration. L'année dernière, nous avions, répartis entre nos sociétés locales, 272 employés à plein temps et 195 employés à temps partiel. Entre les bénévoles, les permanents, et les membres des diverses sociétés locales, nous regroupons plus de 10 000 adhérents.
Notre domaine d'action et d'intérêt comprend la marginalisation, la victimisation, la criminalisation et le placement en établissement de femmes et de jeunes filles. C'est dans le contexte de cette action que nous souhaitons nous exprimer devant vous. Certains d'entre vous savent que nous avons aussi eu l'occasion de nous intéresser à d'autres questions. Ainsi, Mme Larochelle s'est penchée sur la question des certificats de sécurité et, avant de rejoindre, il y a 16 ans, l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, je me suis moi-même plutôt intéressée à la situation des hommes et des jeunes gens.
Je tiens maintenant à aborder le projet de loi C-2. Nous nous préoccupons beaucoup des incidences que ce projet de loi pourrait avoir, notamment sur les femmes, et plus particulièrement sur les femmes appartenant à certaines races, dont les femmes autochtones du Canada. On constate une augmentation particulièrement rapide du nombre de femmes incarcérées, cela étant spécialement vrai des femmes autochtones et des femmes éprouvant des difficultés au plan de la santé mentale. L'augmentation de leur taux d'incarcération est quasi exponentielle.
Ce qui nous inquiète particulièrement, c'est que ce projet de loi ne fera, selon nous, qu'aggraver cette évolution, non seulement pour les femmes d'ailleurs, mais également pour les hommes. Le projet soumis à votre examen va augmenter les chances que quelqu'un soit incarcéré contrairement aux droits que leur garantit la Charte, et notamment aux droits, prévus en son article 12, à la protection contre les traitements ou peines cruels et inusités. Les nouvelles dispositions risquent également de porter atteinte au droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires, garanti à l'article 9, ainsi qu'aux droits à l'égalité tels que garantis à l'article 15. Nous nous inquiétons beaucoup à l'idée que de plus en plus de gens vont vraisemblablement être incarcérés pour des peines de plus en plus longues.
Les études menées par des spécialistes tels que Thomas Gabor et Julien Roberts montrent que d'autres ressorts commencent à se désintéresser de ce genre de mesures alors même que le Canada semble vouloir recourir davantage aux peines minimums obligatoires. On prononce ici de plus en plus de peines d'emprisonnement et des peines plus longues qu'auparavant. On accentue la répression à l'égard de problèmes qui, certes, impliquent la justice pénale, mais dont les origines doivent être cherchées ailleurs.
Je n'insisterai pas sur ce point, car vous avez sans doute déjà pris connaissance des informations dont je viens de faire état, notamment au sujet de ce qui se fait actuellement aux États-Unis, en Australie et dans un certain nombre d'autres pays.
En ce qui concerne l'âge de consentement, je rappelle que le ministère de la Justice a, dans une déclaration du mois d'octobre 2005, fait valoir que, plutôt que de criminaliser davantage de jeunes, il faudrait peut-être plutôt multiplier les initiatives pédagogiques et les mesures de soutien à ceux qui s'occupent des jeunes, que ce soit les parents ou les personnes œuvrant au sein des systèmes d'éducation et de santé. Nous sommes entièrement d'accord.
Nous souscrivons également à la déclaration de l'Association du Barreau canadien au sujet de certaines dispositions touchant les infractions liées à l'alcool ou aux drogues.
Je voudrais insister un peu plus sur les dispositions visant les délinquants dangereux. Jusqu'ici, deux jeunes femmes seulement ont été désignées comme délinquantes dangereuses, dont une qui est morte depuis dans la prison des femmes de Kingston. Il s'agit de Marlene Moore, qui s'est suicidée. Certains d'entre vous se souviennent sans doute l'affaire. Cette femme, qui éprouvait des difficultés au plan de la santé mentale, s'est néanmoins retrouvée en prison.
La seconde est une jeune femme que je connais depuis qu'elle avait 12 ans, alors que je m'occupais de jeunes personnes. Elle vient d'avoir 35 ans. Elle n'est plus en prison. Je suis heureuse de pouvoir dire cela, presque neuf ans après avoir remporté son appel, ce qui n'a pas été facile, six ans et demi après avoir été déclarée délinquante dangereuse. À 21 ans, elle risquait de passer le reste de sa vie en prison. C'est d'ailleurs ce que le juge lui a dit lorsqu'il lui a imposé une peine d'emprisonnement d'une durée indéterminée. Lisa Neve est une jeune femme autochtone. Elle souhaitait comparaître devant le comité, mais craint les médias, bien qu'elle soit parvenue à se rétablir, et même si elle œuvre actuellement en faveur d'autres jeunes. Elle est parvenue à se réintégrer à sa communauté, et à mener une vie productive, mais elle craint les tracasseries des médias, qui n'hésitent pas à l'importuner dès qu'ils la reconnaissent. Elle aurait aimé prendre la parole devant vous, mais a renoncé à l'idée par crainte d'attirer l'attention. Cela dit, elle vous souhaite bon travail et accepterait volontiers de vous rencontrer à huis clos. Il y a actuellement deux jeunes femmes autochtones qui risquent d'être déclarées délinquantes dangereuses et elle souhaite les aider à éviter cela.
Lisa Neve a été déclarée délinquante dangereuse en vertu des dispositions existantes. Elle l'aurait très certainement été tout autant en vertu des dispositions qu'il est envisagé d'adopter, bien qu'on l'ait jugée dangereuse, non pas en fonction de ce qu'elle a fait, mais en fonction de ce qu'elle a dit, notamment de ce qu'elle menaçait de faire et de ce qu'elle avait écrit dans son journal. Les faits de menace qui lui ont été reprochés relèvent des dispositions du projet de loi permettant, dans son cas, d'inverser le fardeau de preuve.
Je tiens à dire que la manière dont elle a été traitée impliquait en fait déjà un renversement du fardeau de la preuve. Nous avons été surpris de la rapidité avec laquelle elle a été déclarée dangereuse et de combien il est difficile de se soustraire après coup à une telle catégorisation. J'ajoute qu'après avoir été incarcérée dans une prison fédérale, cette jeune femme autochtone de 21 ans, qui éprouve de grandes difficultés au plan de la santé mentale, a été enfermée dans le quartier le plus austère et le plus isolé du pénitencier. Elle était en compagnie de personnes qui, elles aussi, éprouvaient des difficultés de santé mentale. On songe tout de suite à ce qui s'est passé récemment avec Ashley Smith. Mme Smith est morte en isolement cellulaire, uniquement munie d'un vêtement de sécurité — ni matelas, ni couverture, ni rien. Elle était sous surveillance étroite en raison du risque de suicide. Voilà les conditions dans lesquelles se retrouvent trop souvent des personnes souffrant de troubles mentaux, notamment des femmes et, plus particulièrement, des femmes autochtones. J'insiste sur le fait qu'on retrouve, hélas, dans de telles conditions des femmes de plus en plus jeunes. Nous nous inquiétons des conséquences que les dispositions envisagées risquent d'avoir sur un nombre croissant de jeunes femmes, spécialement de jeunes Autochtones et de femmes éprouvant des difficultés au plan de la santé mentale.
Je recommande à ceux qui n'en ont pas eu encore l'occasion, de lire le rapport rendu public il y a à peine deux jours par le Bureau de l'ombudsman du Nouveau-Brunswick. Ce rapport, rédigé par Bernard Richard, est intitulé Connecting the Dots. C'est un ouvrage qui force l'admiration. L'auteur et ses collaborateurs se sont penchés sur les cas de sept jeunes qui ont sombré, malgré les mesures prévues. Enfin, certains n'ont pas vraiment sombré. D'après moi, ils ont tous sombré, mais l'auteur estime que le dispositif social n'a pas si mal fonctionné. Il se penche sur ces sept jeunes et leurs familles. Il raconte que ce n'est qu'après leur entrée dans la filière pénale qu'ils ont eu accès à certains services dont ils avaient besoin, et insiste sur le fait que, avant l'étape de la criminalisation, il n'y a en effet que très peu de services auxquels les familles peuvent avoir recours. Selon ce rapport, alors que nous assistons à une plus grande intrusion de l'État par le biais de dispositions visant la surveillance et la détention, telles que celles qui sont inscrites dans le projet de loi C-2, l'État opère en même temps un retrait au plan des services sociaux, des services de santé et de l'éducation. Il formule 48 recommandations. Si le Nouveau-Brunswick parvient à les mettre en œuvre, je pense que la province se placera en tête de ce qui se fait de mieux en ce domaine, non seulement au Canada, mais dans le monde entier.
Il propose notamment d'éviter certaines des choses justement envisagées dans ce projet de loi. Il recommande de ne pas criminaliser les personnes qui, essentiellement, souffrent de troubles mentaux et notamment les jeunes personnes. De nombreux acteurs de la santé mentale nous ont dit qu'en raison de la coupure des budgets de santé, en cas d'incident qui risque le moindrement de déboucher sur un acte criminel, ils font intervenir la police. D'après eux, lorsque quelqu'un refuse de se laisser contenir, profère des menaces ou refuse de se soumettre à une fouille à nu, faute des ressources nécessaires, il faut invoquer l'autorité de l'État et appeler la police. On leur dit d'appeler la police et de s'en remettre à elle car, faute de moyens, ils doivent s'occuper en priorité des personnes qui ne leur créent pas ce genre de difficultés.
Certains savent pertinemment que ce genre de comportement est symptomatique de troubles mentaux mais disent qu'à partir du moment où quelqu'un est criminalisé, on ne s'occupe plus guère de sa santé mentale. Son comportement est uniquement perçu comme criminel et répréhensible.
Je vous encourage à consulter les rapports concernant la mort d'Ashley Smith. Vous constaterez que, malheureusement, ce genre de chose est fréquent au sein de nos prisons fédérales. J'espère que, dans leurs rapports sur les décès de détenus, le Bureau de l'enquêteur correctionnel fera la chronique de ces drames.
Les policiers interviennent de plus en plus auprès de personnes souffrant de troubles mentaux. En effet, la police constitue en quelque sorte l'ultime recours. Mais un policier ne peut faire que son travail de policier. Je me suis entretenue avec de nombreux policiers qui me disent que, malgré leur bonne volonté, ils ne peuvent que porter une accusation, afin d'empêcher que la personne qui éprouve un trouble psychotique ne se fasse du mal ou fasse du mal à autrui.
Certains préfèrent amener l'intéressé à l'hôpital, ce qu'ils font parfois. J'ai rencontré, dans les provinces de l'Atlantique, des policiers qui ont pris la peine de conduire une femme à deux hôpitaux différents, mais ni l'un ni l'autre n'a voulu l'accueillir. Les policiers ont fini par dire à cette femme « Eh bien, nous allons vous ramener chez vous ». Elle leur a répondu, « Si vous me ramenez chez moi, je me tue ». Ils lui ont alors dit « Ne vous tuez pas ». Elle a alors compris, étant donné qu'elle avait déjà en ce domaine certains antécédents, qu'il lui fallait en dire plus encore, et elle leur a déclaré « Je vais vous menacer de vous tuer ou de tuer la dame qui tient la petite boutique un peu plus loin ».
On nous dit que ce projet de loi visait essentiellement les crimes de violence, et les personnes qui posent un risque pour la sécurité du public. Mais je pense, pour ma part, que ceux qui en feront les frais seront, non pas ceux qui posent, pour la société, les plus grands risques, mais les personnes comme celle dont je viens de parler, et qui se retrouve de plus en plus en prison.
Les nouvelles dispositions permettront peut-être d'agir à leur encontre des criminels dangereux, mais je tiens à faire valoir que c'est déjà le cas et qu'ils tombent déjà sous le coup des dispositions relatives aux délinquants dangereux. Les moyens d'assurer la sécurité du public existent déjà.
J'ajoute que le renversement du fardeau de la preuve nous paraît inconstitutionnel, que les mesures envisagées vont coûter cher, tant sur le plan humain que sur le plan financier, et qu'il nous faudra probablement construire de nouvelles prisons, ce qui va, là encore, peser sur le contribuable et avoir des conséquences non seulement financières mais humaines et sociales. Les ressources qu'exigent de telles mesures seront forcément prélevées sur nos communautés.
Comme a eu l'occasion de le dire, votre ancien collègue le sénateur Kirby, et comme vous êtes nombreux à le savoir, parmi les membres du comité qui se sont penchés notamment sur la question des personnes éprouvant des difficultés au plan de la santé mentale, il y aurait fort à faire. Plus nous consacrons de ressources à la prise de mesures telles que celles qui sont inscrites dans le projet de loi C-2, moins il y aura de ressources à consacrer à la mise en œuvre des excellentes recommandations faites par le comité dont je viens de vous parler.
J'aimerais, pour terminer, vous demander d'affirmer avec vigueur que les dispositions ici en cause ne sont pas nécessaires et que l'arsenal législatif actuel suffit amplement. Nous vous demandons également de refuser les conséquences à long terme que les dispositions de ce projet de loi risquent d'avoir au niveau du financement des autres secteurs d'intervention, au niveau de nos communautés, et au niveau des générations futures.
Craig Jones, directeur général, Société John Howard du Canada : Merci, madame la présidente et honorables sénateurs. C'est la première fois que je comparais devant votre comité et, si vous le voulez bien, je voudrais lire le texte de mon exposé.
L'action de la Société John Howard du Canada est définie par son énoncé de mission, selon lequel les causes et les conséquences de la criminalité appellent des mesures efficaces, justes et humaines.
Dans les diverses régions du Canada, les 70 bureaux de notre société mettent en œuvre des programmes pragmatiques à l'intention des anciens détenus et de leurs familles. Nous offrons toute une gamme de services facilitant leur réinsertion. De bonnes pratiques fondées sur des résultats avérés nous semblent le plus sûr moyen de renforcer la sécurité de nos communautés. La Société John Howard du Canada entend, pour sa part, réagir au phénomène de la criminalité par une action moins dure qu'intelligente. Nous prônons l'adoption de politiques permettant effectivement de réduire la criminalité et la récidive plutôt que de politiques simplement adoptées parce qu'il fallait bien faire quelque chose.
Permettez-moi de dire, incidemment, que la plupart d'entre vous se souviennent sans doute de mon prédécesseur, Graham Stewart, qui a eu l'occasion de comparaître de nombreuses fois devant le comité. Je vous demande de ne pas vous attendre de ma part à l'éloquence avec laquelle il prenait la parole devant vous. Bon, je continue.
Je ne reviendrai pas sur ce que vous ont dit les autres intervenants, mais je tiens tout de même à dire que nous partageons leurs inquiétudes et souscrivons à leurs recommandations. Je vais partir de l'hypothèse que les dispositions de lutte contre la criminalité vont être adoptées en l'état, et vous parler d'un aspect particulier de la question, en l'occurrence la situation de nos prisons fédérales, au plan des maladies véhiculées par le sang.
Comme vous le savez, la stratégie de lutte contre le crime comprend un certain nombre de mesures, dont le remplacement de la mise en liberté d'office par la réduction méritée de peine. On ne sait pas très bien si le gouvernement a effectué un exercice de simulation afin d'étudier quelles seraient, à court terme, les incidences d'une telle politique. Nous estimons, pour notre part, qu'au cours des 12 premiers mois, cela augmentera de 2 310 détenus la population carcérale. À supposer que nos prisons fonctionnent actuellement à pleine capacité ou presque, il faudra donc construire 2 300 cellules de plus. En moyenne, une prison prend cinq ans à construire, ce qui veut dire que, dans l'intervalle, les normes actuelles de peuplement cellulaire vont être largement dépassées. Un tel surpeuplement risque de mettre gravement en cause la sécurité des prisons et, aussi, du personnel du SCC. Nous pouvons nous attendre à une augmentation de la violence et du nombre de suicides et peut-être aussi, en raison de l'aggravation des conditions de travail, à des changements plus fréquents de personnel.
Sous sa forme actuelle, la Stratégie nationale antidrogue devrait, elle aussi, accroître sensiblement le nombre de délinquants primaires non violents incarcérés, dont bon nombre seront des usagers de drogue, dont certains souffrant manifestement de maladie mentale. Cela taxera, probablement jusqu'au point de rupture, les moyens de traitement actuellement disponibles, moyens qui sont déjà insuffisants par rapport aux besoins.
Sous sa forme actuelle, le projet de loi C-2 envisage une augmentation de la population carcérale au Canada. Selon les pratiques policières adoptées dans le cadre de la Stratégie nationale antidrogue, cette augmentation du nombre de détenus devrait avoir d'importantes conséquences pour la gestion sécuritaire, juste et humaine des détenus des prisons fédérales.
Permettez-moi de m'arrêter à une seule de ces conséquences, celle que le surpeuplement carcéral aura vraisemblablement sur la propagation des pathogènes à diffusion hématogène, et plus précisément le VIH et l'hépatite C.
Ces dernières années, le Service correctionnel du Canada a hésité à permettre à des épidémiologistes universitaires indépendants, ainsi qu'à des biostatisticiens de la santé publique, de venir enquêter sur la situation des pathogènes à diffusion hématogène et, plus précisément, sur leur transmission entre les détenus des prisons fédérales.
En juillet 2007, le Journal de l'Association médicale canadienne a publié deux petites études sur le taux de prévalence des infections au VIH et au virus de l'hépatite C dans les prisons provinciales du Québec ainsi que dans les établissements de détention provisoire de l'Ontario. Ces deux études ne portent, bien sûr, que sur une très petite part de la population carcérale, mais leurs résultats devraient alerter les décideurs à tous les niveaux de notre système pénal.
Permettez-moi de résumer, en quelques mots, les principales conclusions auxquelles sont parvenus les chercheurs. Une étude portant sur seulement 52 p. 100 des lits des centres de détention du Québec, a permis de constater un taux de prévalence du virus de l'hépatite C de 18,5 p. 100, c'est-à-dire, presque un détenu sur cinq. Au sein de ce même échantillon, la prévalence des infections au VIH était de 3,4 p. 100. Cela correspond à un taux d'infection qui est presque 19 fois le taux moyen constaté parmi la population canadienne en 2003, le taux d'infection au virus de l'hépatite C étant, dans les prisons, presque 23 fois plus élevé.
On sait que le partage des seringues est un facteur de propagation des infections au virus de l'hépatite C, et que le traitement des cas d'hépatite C coûte infiniment plus cher que la prévention par des moyens de réduction des préjudices tels que l'échange des seringues.
Or, en matière d'échange des seringues, le SCC n'a pas donné suite aux bonnes pratiques recommandées, bien que tous les organismes spécialisés, tels que l'Organisation mondiale de la santé ou l'Association médicale canadienne recommandent l'adoption de ces mesures de réduction des préjudices.
Selon un second article publié dans le même numéro de cette revue, la prévalence des infections au VIH et au virus de l'hépatite C est, parmi les détenus des établissements de détention provisoire, 11 fois plus élevée que pour l'ensemble de la population canadienne, en ce qui concerne le VIH et, en ce qui concerne l'hépatite C, 22 fois plus élevée.
Manifestement, bon nombre de ces personnes sont déjà infectées au moment de leur incarcération et, en raison de l'insuffisance des moyens de traitement et des mesures de réduction des préjudices, tels que l'échange de seringues, continueront, tout au long de leur séjour en prison, à transmettre l'infection à leurs codétenus. Cette situation n'a rien d'inévitable, mais elle perdurera tant que le gouvernement du Canada et le SCC ne mettront pas en œuvre dans nos prisons des mesures de réduction des préjudices.
Le Dr Peter Ford exerce à Kingston en milieu carcéral. De temps à autre, nous mangeons ensemble à midi puisque, au Canada, c'est le spécialiste reconnu en ce domaine. Il a été le premier à porter à l'attention du pays le fait que, pour circonvenir les analyses d'urine, les détenus commençaient à se piquer. Selon lui, les travaux d'épidémiologie démontrent l'existence d'un point de non-retour à partir duquel il devient presque impossible de localiser les maladies contagieuses telles que le VIH et l'hépatite C. Il m'a récemment dit que nous risquions d'atteindre très vite ce point de non-retour. Il commence à perdre espoir car, selon lui, le Service correctionnel du Canada craint tellement les mauvaises nouvelles qu'il refuse de permettre que l'on procède, dans les prisons fédérales, une étude systématique et rigoureuse de la transmission des maladies véhiculées par le sang.
Sous sa forme actuelle, les mesures de lutte contre la criminalité vont très vraisemblablement provoquer une augmentation du taux d'incarcération au Canada, avec de graves conséquences pour notre système. L'ensemble de mesures de lutte contre la criminalité proposées par le gouvernement a quelque chose de trompeur. Ces mesures ne renforceront, en effet, pas la sécurité de nos communautés et ne réduiront pas non plus la criminalité. Elles n'auront pour effet que de grossir la population carcérale, avec les graves conséquences que cela entraînera pour la gestion de nos établissements fédéraux et pour la santé des détenus.
Le gouvernement ne fait rien non plus pour atténuer le taux de transmission des maladies véhiculées par le sang en adoptant des mesures de réduction des préjudices. Si le projet de loi C-2 est adopté sous sa forme actuelle, il est fort probable que le surpeuplement carcéral que cela va provoquer aggravera très sensiblement l'épidémie d'hépatite C et de VIH dans nos prisons. Reste à savoir si cette épidémie pourra être localisée dans ces établissements.
Permettez-moi, en conclusion, de dire que le projet de loi C-2 n'a rien d'une politique fondée sur des éléments probants. Les nouvelles mesures ne vont qu'aggraver une situation déjà épouvantable et, en plus, coûter fort cher aux contribuables.
[Français]
La présidente : Mme Larochelle, aimeriez-vous faire une déclaration?
Dominique Larochelle, membre du conseil d'administration, Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry : Madame la présidente, je n'ai pas de déclaration, merci.
[Traduction]
Le sénateur Stratton : Permettez-moi, d'abord, de dire toute l'admiration que m'inspire l'action que vous menez. Vous faites un travail particulièrement difficile et j'en suis tout à fait conscient.
Je ne saurais disconvenir de ce que vous venez de nous dire. Vous êtes mieux que moi en mesure de vous prononcer sur cette situation. Cela dit, la population s'inquiète vivement des crimes de violence commis dans notre pays. Je voudrais savoir ce que vous pensez des deux exemples que je vais vous citer.
Le premier est ce qui s'est passé à Mayerthorpe, en Alberta, où quatre gendarmes ont été tués dans l'exercice de leurs fonctions. Dimanche soir, la chaîne CTV a diffusé une émission dans laquelle il était dit que si les dispositions inscrites dans ce projet de loi avaient été en vigueur à l'époque, le forcené n'aurait pas été en liberté et n'aurait donc pas pu tuer les quatre gendarmes. Quel est votre avis sur ce point?
Le second exemple est celui de Peter Whitmore. Cet homme de 37 ans a été, l'été dernier, condamné à la prison à vie, avec une peine incompressible de sept ans avant de pouvoir solliciter une libération conditionnelle. Il a plaidé coupable et reconnu avoir, au mois d'août 2006, kidnappé et violé deux jeunes garçons, respectivement originaire du Manitoba et de la Saskatchewan. Il a de mauvais antécédents. Il a effectué plusieurs brefs séjours en prison, mais a toujours été libéré après avoir purgé sa peine, même si tout semblait indiquer qu'il risquait de récidiver. On avait notamment trouvé, dans sa cellule, des photos de jeunes garçons nus ou assez déshabillés.
Si vous songez à ces deux crimes de violence, vous comprenez fort bien l'attitude actuelle de la population. Celle-ci estime, en effet, que le phénomène a été suffisamment étudié, et qu'on a tout essayé. Il s'agit maintenant d'agir. Les nouvelles mesures permettront de maintenir en détention le forcené de Mayerthorpe, qui aurait déjà, depuis longtemps, dû être maintenu en prison. La police n'était pas en mesure de prolonger son incarcération. Le prédateur sexuel aurait, lui aussi, été maintenu prison. Que pensez-vous de ces deux affaires?
Mme Pate : J'ai des enfants et je ne veux manifestement pas que la communauté soit exposée à des risques, cela étant particulièrement vrai de nos enfants, mais également des agents de police ou de toute autre personne œuvrant dans ce domaine. Permettez-moi de dire, cependant, que ce genre d'affaire risque d'être instrumentalisée afin, justement, de justifier la prise de mesures telles que celles qui sont inscrites dans ce projet de loi. Je ne suis, en effet, pas certaine des causes à l'origine des deux affaires que vous avez citées.
Hormis ce que j'ai pu lire dans la presse, je ne connais rien du passé de ces deux hommes. Je connais un peu leurs antécédents, mais la version livrée par CTV porte à penser que nous ne savons pas tout.
J'aurais préféré que les autorités aient pu intervenir plus tôt. J'aurais voulu que notre système fonctionne correctement. D'après l'expérience acquise dans le cadre de mon travail auprès de détenus, ceux qui étaient le plus rapidement libérés étaient ceux qui servaient d'informateurs à la police, et également d'informateurs au sein de la prison. Or, il s'agit là de problèmes que ce projet de loi ne fait rien pour résoudre.
Il faudrait bien sûr que notre système fonctionne comme prévu, mais que ce n'est pas toujours le cas. Selon les chiffres du SCC, le taux de récidive des criminels violents bénéficiant d'une libération conditionnelle est de 1 p. 100. Si, comme vous venez de le dire, on avait trouvé, dans la prison de M. Whitmore, des preuves démontrant qu'il s'occupait déjà de pornographie infantile, on aurait pu lui appliquer les dispositions autorisant le maintien en détention des personnes qui continuent à présenter des risques.
J'ai continuellement affaire à des femmes qui souffrent de difficultés au plan de la santé mentale. Il y a seulement une semaine, une jeune femme a été libérée après avoir purgé sa peine. Elle a été relâchée, tout simplement, alors que son séjour en prison, elle l'avait passé les fers aux poignets, et sous la surveillance constante de trois gardiens. Le seul risque qu'elle présentait, était, comme elle avait menacé de le faire, de se rendre sur la tombe de sa mère pour se prouver que sa mère était réellement morte, puis de se tirer une balle dans la tête. Si elle avait été empêchée de le faire, elle aurait effectivement pu commettre des violences afin de parvenir à ses fins. J'aimerais être sûre qu'elle ne donnera aucune suite à ce projet mais, au lieu de la voir simplement relâcher après avoir purgé sa peine, j'aurais de beaucoup préféré qu'elle soit libérée sous surveillance et qu'on ait pu lui accorder un certain soutien. Les autorités l'ont pour l'instant installée à l'hôtel en attendant de décider de ce qui va être fait, et cinq ou six de nos bénévoles s'occupent d'elle individuellement.
En tant que simple citoyenne, je ne veux voir exposer à des risques particuliers ni cette jeune femme, ni quelqu'un d'autre. Cela dit, je me demande pourquoi l'on n'est pas intervenu plus tôt. D'après ce que j'ai pu constater à l'époque où je travaillais auprès de jeunes et d'hommes en difficulté, certains signes montrent assez tôt qu'il y aurait lieu d'intervenir. Je ne sais pas, bien sûr, ce qui se serait passé si nous étions effectivement intervenus plus tôt.
Me fondant sur ces exemples, j'aimerais pouvoir dire qu'il n'y a pas lieu de faire de distinction. Les statistiques du SCC et de la Commission nationale des libérations conditionnelles démontrent que, parmi les détenues libérées, environ 22 p. 100 seront à nouveau incarcérées, la plupart pour violation des conditions de leur libération, qu'il s'agisse du couvre-feu, de l'interdiction de consommer de l'alcool ou de se rendre au-delà d'un certain périmètre. Le taux de récidive est inférieur à 4 p. 100. Je crois qu'il est même de 0,38 p. 100 pour la récidive d'actes de violence.
Cela ne veut pas dire que ce risque de récidive me paraît négligeable mais, si la seule manière d'y parer est de faire purger aux détenus l'intégralité de leur peine sans les libérer sous surveillance, il y a, selon moi, de nombreuses raisons de penser que ce n'est pas du tout le genre de prévention que nous souhaitons. Les femmes qui ont été à nouveau incarcérées après avoir violé les conditions de leur libération, respecteront vraisemblablement ces conditions lors d'une prochaine libération, mais l'on n'a pas cherché à savoir pourquoi elles avaient violé les conditions de leur libération. Était-ce faute d'avoir un logement, ou de ne recevoir aucune aide pour faire face aux difficultés mentales qu'elles éprouvent, ou était-ce l'absence de services pour les aider à s'occuper de leurs enfants?
Et pourtant, les dispositions envisagées entraîneront les mêmes conséquences pour les hommes et pour les femmes. C'est pour cela que, d'après moi, le texte risque de porter atteinte aux droits que l'article 15 de la Charte garantit aux femmes. L'affaire Whitmore ou l'affaire Mayerthorpe, ou tout incident entraînant la mort d'un policier, aura une incidence néfaste sur les hommes et sur les femmes, mais je dirais que leur incidence sur les femmes sera disproportionnée, bien que, dans ce genre d'affaires, c'est rarement une femme qui est en cause. Lorsque c'est une femme, tout le monde est au courant car ces cas d'extrême violence font généralement la une des journaux.
M. Jones : Je n'ai pas la télévision et je n'ai donc pas assisté à cette émission sur l'affaire Mayerthorpe. Cette affaire et la situation de Jane Creba sont de véritables tragédies et il est clair que toute notre sympathie est engagée. Mais il est également vrai qu'il s'agit là de choses extrêmement rares. Les assassinats comme ceux de Mayerthorpe sont extrêmement rares, et je me demande si notre politique pénale devrait être fondée, comme cela, sur des événements d'une telle singularité.
J'ajoute que les institutions ont les défauts et les qualités des êtres humains qui les animent, qui les modifient et qui légifèrent à leur égard. Il est tout à fait irréaliste de penser que l'on parviendra à une législation permettant d'éviter à l'avenir les Mayerthorpe ou les situations telles que celle de Mme Creba. Il s'agit là de choses qui peuvent toujours se produire. En tant que démocratie avancée, nous devrions peut-être faire comprendre ça à l'ensemble de la population et lui rappeler que, tout compte fait, notre situation au Canada n'est pas si mauvaise que cela. Oui, effectivement, il y a des situations dramatiques, mais elles sont rares et leur nombre est plutôt en baisse.
Le sénateur Stratton : Je vous remercie. Ce qui me préoccupait surtout, c'était que, d'après ce qu'on a dit de l'émission de CTV, si les dispositions du projet de loi C-2 avaient été en vigueur à l'époque, on aurait évité la tragédie de Mayerthorpe.
M. Jones : C'est probablement vrai, mais on n'aurait pas nécessairement évité une autre tragédie qui aurait pu se produire et nous aurions alors mis en chantier de nouvelles dispositions en nous demandant comment nous aurions pu éviter ce nouveau drame.
Le sénateur Stratton : Je comprends fort bien. J'ai tenu à évoquer ces deux affaires et aussi la montée de la violence dans ma ville. Le public dit en avoir assez, constate que nous avons tout essayé et que ce que nous avons fait jusqu'ici, n'a pas donné les résultats voulus. Comme vous le savez, le gouvernement va augmenter les effectifs de la police, et adopter un certain nombre de mesures préventives. On pourrait toujours dire que cela ne suffira pas, mais je pourrais alors vous demander si l'on n'en fera jamais assez. Je ne suis pas en désaccord avec ce que vous nous avez dit, car j'éprouve une véritable admiration pour le travail que vous faites. Je vous en félicite et vous encourage à continuer. Ne lâchez pas.
M. Jones : Il est vrai que notre action est essentiellement réactive. Les témoins qui sont intervenus avant moi mènent une action plus préventive, et je souscris entièrement aux principes qui les guident. Nous pourrions poursuivre notre lutte jusqu'à la fin des temps sans jamais parvenir à résoudre les problèmes sociaux. Face à la criminalité, on ne peut guère espérer remporter la victoire. Cela dit, nous pouvons tenter de gérer les phénomènes de manière intelligente et créative et il est certain que, compte tenu du caractère réactif des dispositions de ce projet de loi, ce n'est pas dans ce sens-là que nous allons.
Le sénateur Stratton : Permettez-moi de ne pas être de votre avis sur ce point.
Le sénateur Carstairs : Je suis particulièrement préoccupée par la question de l'âge de consentement. Permettez-moi de poser ma question sous forme d'hypothèse. Il faut quand même voir les choses telles qu'elles sont. Supposons qu'une jeune fille âgée de 15 ans et demi est en train d'embrasser un garçon de 20 ans et neuf mois, hypothèse qui les situe en dehors de cet écart de cinq ans qui permettrait de les faire bénéficier d'une exception. Le garçon est accusé d'agression sexuelle. On lui impose une peine minimale obligatoire et son nom est inscrit au registre des délinquants sexuels.
Pouvez-vous nous dire, d'après votre expérience professionnelle, comment cela va affecter ce jeune homme, au plan de son attitude envers la justice, ou au niveau de l'estime de soi et des sentiments qu'il éprouve vis-à-vis la situation qui lui a valu un tel châtiment?
Mme Pate : J'ai un fils de 17 ans et ça m'effraie. Je dis cela sérieusement.
Le sénateur Carstairs : Moi aussi.
Mme Pate : J'ai constaté, lorsque je m'occupais de jeunes gens, qu'ils ne songent jamais aux répercussions de leurs actes. La plupart des gens qui se font prendre pour un crime, et je pense que la plupart des jeunes gens ne sont peut-être pas conscients du caractère criminel de ce qu'ils font, n'ont pas du tout réfléchi aux répercussions à long terme. Cela changera évidemment dès qu'ils tenteront de se rendre, disons en Floride, et qu'on leur interdira la frontière. Ils appartiendront désormais à la catégorie non pas simplement des « délinquants sexuels », mais probablement des « prédateurs », étant donné l'âge de la jeune fille.
Cela risque d'avoir des effets dévastateurs sur ces jeunes gens et jeunes filles alors qu'ils atteignent l'âge adulte. Vous parliez tout à l'heure du respect des lois. Mais comment leur inculquer le respect d'une loi qui leur fait subir de telles conséquences pour quelque chose qui était voulu par les deux partenaires? Cela va également, bien sûr, influer sur leurs perspectives d'emploi, et non seulement sur leurs projets de voyage. La violence faite aux femmes pose un très grave problème. J'ai du mal à imaginer les effets qu'aurait sur des jeunes gens le fait de les déclarer délinquants sexuels. Eux qui n'ont jamais commis la moindre violence, comment vont-ils réagir à cette catégorisation? Cela m'inspire de vives inquiétudes et on ne peut qu'espérer qu'une telle situation ne se présentera jamais.
Étant donné la manière dont ces dispositions sont formulées, on ne peut qu'espérer que les jeunes qui envisagent d'enfreindre les règles, seront utilement conseillés par leurs parents, leurs professeurs ou leurs connaissances. Cela pourrait, d'après moi, poser de graves problèmes et je vous remercie de m'avoir interrogée sur ce point.
Le sénateur Carstairs : Madame Pate, j'ai été pendant 20 ans professeure dans l'enseignement secondaire, en premier et en deuxième cycles, ce qui veut dire que mes élèves avaient entre 13 et 19 ans. Cela ne me plaisait guère, mais je voyais bien que constater que bon nombre d'entre eux étaient actifs sexuellement. Les statistiques nous apprennent que 13 p. 100 des garçons ont leur première expérience sexuelle à 14 ans, et 13 p. 100 des filles à 14 ans et demi. Or, nous envisageons de criminaliser ce genre de comportement. D'après moi, les nouvelles dispositions n'empêcheront pas les rapports sexuels entre jeunes consentants. Vous, qui avez travaillé auprès de jeunes personnes, savez que les jeunes agissent spontanément et réfléchissent rarement aux conséquences de leurs actes. Cela étant, comment faire respecter cette loi? Je dis cela car il est clair que ce texte va être adopté. Comment assurer le respect de ses dispositions et comment éviter les poursuites malveillantes lorsque, par exemple, un père dont la fille de 15 ans sort avec un garçon de 20 ans et demi, décide de porter plainte contre lui.
Mme Pate : Je ne vois, dans l'état actuel du texte, aucune disposition permettant d'éviter une telle situation.
M. Jones : Permettez-moi de répondre à votre première question. Cela aurait manifestement des effets dévastateurs. D'après ce qu'on sait, la flétrissure qui s'attache à un tel crime porte ses effets beaucoup plus longtemps que l'acte incriminé. J'habite Kingston qui est, comme vous le savez, un important centre carcéral. Je promène mon chien en compagnie d'un haut responsable du Service correctionnel. Je ne vous le nommerai pas, mais étant donné que nous promenons nos chiens au milieu des champs, on se parle tout à fait ouvertement. Il me raconte ce qui arrive aux jeunes qui font de la prison, aux effets que cela produit sur eux. Selon lui, le séjour en prison n'adoucit guère leurs mœurs. Ils ne s'améliorent pas. Leur séjour carcéral se passe souvent très mal. Or, beaucoup d'entre eux ne méritent pas un tel sort.
[Français]
Mme Larochelle : Madame la présidente, nous craignons que cela entraîne des effets dévastateurs sur les familles et sur la santé des adolescents qui, sachant le risque encouru par le jeune garçon, dans l'exemple que vous citiez tout à l'heure pourraient faire face à une peine d'incarcération; nous craignons que des secrets se développent, que les familles gardent le secret de la relation entre l'adolescente et le jeune homme; que toutes ces personnes vivent dans une situation inconfortable, que des gens respectueux de la loi puissent être amenés à ne pas révéler, ne pas échanger, ne pas discuter de la situation par crainte des conséquences pénales possibles. Et d'un point de vue de sécurité publique, de notre point de vue, c'est contre-indiqué.
[Traduction]
Le sénateur Carstairs : Ce qui me choque un peu, c'est que, aux termes de la loi, la relation en question sera licite si les deux jeunes se marient. J'ai deux filles et je n'aurais pas voulu qu'elles se marient à 15 ans simplement pour éviter que leur partenaire fasse l'objet d'une accusation pénale. Cette possibilité m'inquiète énormément. La relation sera licite dans la mesure où les deux se marient. Ayant fait l'objet d'une accusation pénale, ils peuvent décider de se marier et se soustraire à l'accusation, ce qui me paraît curieux.
[Français]
Mme Larochelle : L'institution d'union de fait et l'institution du mariage sont reconnues dans notre société et cette loi porte un jugement de valeur sur les personnes qui choisissent de vivre en union de fait par rapport aux personnes mariées.
La présidente : Effectivement.
Le sénateur Joyal : Madame Larochelle, je sais que votre présentation ne porte pas sur le renversement du fardeau de la preuve.
[Traduction]
Mme Pate a évoqué la possibilité d'une mise en cause constitutionnelle de cette disposition qui prévoit le renversement du fardeau de la preuve. Connaissant vos compétences...
[Français]
Connaissant vos compétences professionnelles, et en particulier dans des dossiers très difficiles — je pense entre autres à ceux de Abil Charkaoui que vous avez représenté en Cour suprême —, quelle est d'après vous la faiblesse de ce projet de loi sur le plan constitutionnel vis-à-vis le renversement du fardeau de la preuve?
Je sais que vous n'étiez pas préparée à témoigner directement à ce sujet. Si vous préférez ne pas témoigner, soyez tout à fait à l'aise, mais si vous croyez que vous pouvez offrir des commentaires sur la base de votre expérience, nous apprécierions.
Mme Larochelle : Je dirais que sur la base de l'article 7 de la Charte, il y a des problèmes puisque cette législation entraîne un renversement du fardeau qui va à l'encontre de la présomption d'innocence et du droit à la protection contre l'auto-incrimination, puisque la personne doit faire une preuve et témoigner du fait qu'elle ne représentera pas un danger à l'avenir.
J'ai en tête des expériences de personnes qui pourraient difficilement faire la démonstration qu'à l'avenir elles ne représenteront pas un danger. J'ai en tête le cas de jeunes adultes qui sont passés dans le système de justice pénale pour adolescents parce qu'on les a placés dans des familles d'accueil et qu'ils ont été victimes d'abus. Ils ont été amenés à adopter des comportements inappropriés et ils ont été criminalisés faute de ressources communautaires pour leur venir en aide, ce qui a eu pour conséquence que ces jeunes ont obtenu des casiers judiciaires.
Cela ferait en sorte qu'à l'âge adulte, s'il y avait récidive, ils seraient placés dans la situation où le renversement du fardeau de la preuve leur serait imposé. Et lorsqu'on dit que le passé est garant de l'avenir, mais qu'on ne s'attaque pas aux causes qui ont généré la criminalité, cela peut faire en sorte qu'il devienne très difficile pour ces personnes de renverser le fardeau et d'en faire un fardeau injuste et incompatible avec le contexte constitutionnel.
Le sénateur Joyal : Le fait qu'il n'y ait pas de délai entre la commission des offenses qui devient récurrente vous apparaît-il comme un facteur que la cour pourrait prendre en considération pour déclarer cette pénalité non constitutionnelle eu égard aux dispositions de la Charte?
Je vous donne l'exemple de ce que vous avez. Vous auriez une personne qui serait condamnée pour une première offense à l'âge de 18 ans, la seconde pourrait être à l'âge de 32 ans, la troisième a l'âge de 50 ans et on dirait qu'ils sont des criminels dangereux. Il me semble que s'il s'agit d'un criminel d'habitude, le sens commun nous amène à conclure que ce sont des actes répétés sur des espaces de temps relativement rapprochés, parce qu'on dit que c'est un criminel d'habitude. C'est quelqu'un qui est vraiment porté au crime constamment.
Une personne qui commettrait un acte criminel sur une période de temps aussi longue que 30 ans, on ne peut pas dire que c'est un criminel d'habitude. Ce n'est pas quelqu'un qui vit du crime comme tel. Dans un tel cas, est-ce qu'on ne s'exposerait pas à une contestation sur la base d'un traitement cruel et arbitraire?
Mme Larochelle : En fait, cela deviendrait arbitraire. Tout dépend de la trame factuelle, du lien causal entre les infractions pour lesquelles la personne a été condamnée et la conclusion que recherche l'État par une détermination de délinquant dangereux.
Si on ne peut pas établir de lien rationnel entre les condamnations et la conclusion recherchée, mais que, par le simple fait de la loi, on doit en arriver à la conclusion que la personne mérite la déclaration de délinquant dangereux, cela devient alors arbitraire et c'est incompatible avec la Charte.
Le sénateur Joyal : C'est ce qui m'amène à penser que même si la disposition vise un objectif souhaitable, que les criminels dangereux ne soient pas sur la rue, il reste qu'il y a une forme de sens commun à intégrer dans cette disposition pour tenir compte des circonstances qui peuvent survenir et que ce ne soit pas une sorte d'application automatique bête qui ne permette pas à un juge ou à la personne qui se retrouve dans cette situation de présenter une défense raisonnable ou à un juge d'évaluer les circonstances de manière raisonnable également.
Mme Larochelle : Je partage totalement votre avis, mais de toute façon les outils qui sont déjà enchâssés dans la partie XXIII du Code criminel permettent déjà aux tribunaux d'imposer des peines qui reflètent le degré de dangerosité du contrevenant, et ce, sans qu'on doive ajouter cette disposition qui risque d'entraîner des décisions arbitraires fondées sur l'application de la loi, mais qui sont incompatibles avec les objectifs de détermination de la peine et de la protection de la société.
Le sénateur Joyal : Vous voulez dire les principes fondamentaux du Code?
Mme Larochelle : Les principes fondamentaux qui sont enchâssés aux articles 718 et suivants du Code criminel.
[Traduction]
Le sénateur Milne : Les dispositions de ce projet de loi qui retiennent le plus mon attention sont celles qui prévoient le renversement du fardeau de la preuve. Le sénateur Joyal a, avec talent, formulé la question que j'allais vous poser.
Je tiens à dire, en m'adressant particulièrement à Mme Pate, que j'ai toujours éprouvé beaucoup de sympathie pour l'œuvre de la Société Elizabeth Fry. Ma mère avait assisté, à Toronto, à une réunion du Comité du service unitaire du Canada, au cours de laquelle Agnes Macphail avait pris la parole. C'est à la suite de cela que ces femmes ont créé la Société Elizabeth Fry. J'ai toujours, depuis lors, eu beaucoup d'admiration pour ce que vous faites.
Monsieur Jones, quel est votre avis au sujet du renversement du fardeau de la preuve?
M. Jones : Je n'ai rien d'original à dire sur ce point et je ne peux que répéter ce que les autres témoins vous ont dit jusqu'ici. La mesure envisagée me paraît à la fois extrême et superflue.
Le sénateur Andreychuk : J'éprouve les mêmes sentiments envers la Société Elizabeth Fry, et aussi envers la Société John Howard. Monsieur Jones, vous allez devoir redoubler d'efforts, non seulement à cause du travail accompli par votre prédécesseur, mais également à cause du travail accompli par Kim Pate. Pendant des années, nous avions l'impression qu'on mettait en fait très peu de femmes en prison, qu'il s'agissait d'un phénomène tout à fait accessoire, et puis, tout d'un coup, on s'aperçoit qu'il y a en prison un nombre considérable de femmes et c'est un problème qui retient désormais notre attention.
Monsieur Jones, vous disiez tout à l'heure que vous vous inquiétez des répercussions de la Stratégie nationale antidrogue, mais si j'ai bien compris, les peines minimales obligatoires ne visent que les infractions les plus graves en matière de trafic de stupéfiants et d'importation ou d'exportation de ce genre de substances et qu'on aura souvent recours en outre à des tribunaux de traitement de la toxicomanie. Le ministre l'avait déjà rappelé. Avez-vous tenu compte de cela? Le gouvernement a fait savoir qu'il entend adopter deux attitudes différentes, une à l'égard de ceux qui s'adonnent à la drogue, et une autre à l'égard des trafiquants, des exportateurs et des importateurs.
M. Jones : Mais la Stratégie nationale antidrogue commet là une erreur fondamentale. On est surpris de constater qu'en fait le ministre n'a pas consulté les gens au courant du problème de la toxicomanie ou du trafic de stupéfiants au Canada.
Le sénateur Andreychuk : Du moins, vous le supposez.
M. Jones : Madame le sénateur, je me base entièrement sur les résultats des travaux menés jusqu'ici, qui montrent que dans les ressorts où ce genre de stratégie a été mise en œuvre, on a surtout pris dans les filets les petits revendeurs qui sont eux-mêmes toxicomanes ou usagers de drogue. Les plus grosses pointures, ceux qui ont les connaissances nécessaires pour se livrer au trafic s'en sortent généralement mieux.
C'est ainsi qu'aux États-Unis, où cette stratégie a été appliquée de toutes sortes de manières, on a surtout pris les petits délinquants, non violents et de bas niveau, les gros trafiquants et importateurs parvenant à échapper aux filets soit parce qu'ils avaient cloisonné leurs opérations, soit parce qu'ils ont monnayé des renseignements qui ont permis d'arrêter et de poursuivre certains des gens en aval. Ce n'est pas par hasard qu'après 40 ans de cette véritable guerre que les États-Unis livrent à la drogue, au moyen de techniques que nous envisageons d'importer au Canada, dans les villes américaines, le prix de détail des drogues n'a jamais été aussi bas, les drogues n'ont jamais été aussi pures ni aussi disponibles. Notre Stratégie nationale antidrogue consiste donc à reprendre ici des mesures qui, aux États-Unis, se sont révélées inefficaces.
Le sénateur Andreychuk : Qu'entendez-vous par petits revendeurs? Au pénal, on constate souvent que ce n'est pas le cerveau qui se fait prendre, est-ce cela que vous voulez dire en parlant de petits revendeurs?
M. Jones : J'entends par cela les jeunes revendeurs qu'on voit au travail dans les rues d'Ottawa, des petits revendeurs qui font le commerce de la drogue surtout pour avoir eux-mêmes les moyens d'en consommer. Ils seront très nombreux à se faire prendre car ce sont les plus faciles à cueillir. Je ne me souviens guère de quand on a, pour la dernière fois, pris un caïd de la drogue. C'est rare.
Le sénateur Andreychuk : Il semble, justement, qu'on en ait récemment pris un à Ottawa.
Mme Pate : Je remercie les sénateurs Milne et Andreychuk, des aimables commentaires qu'elles ont faits au sujet de notre organisation. Notre action est généralement bien perçue et ce n'est pas le porte-parole de l'organisation qui mérite ces compliments, mais toutes celles qui œuvrent sur le terrain. Je vous remercie de reconnaître la valeur de nos efforts.
Lorsque je songe à ce que M. Jones vient de dire à propos des petits revendeurs, je pense à des personnes telles que Hamilton et Brown, des femmes issues de diverses autres ethnies, bénéficiant de l'aide sociale et ayant, tout d'un coup l'« occasion » — car elles ne sont pas elles-mêmes toxicomanes — de gagner plus qu'elles ne touchent en un an d'aide sociale. Quel que soit le jugement que nous portions sur leur comportement, ce qui les a motivées, c'est le souci de joindre les deux bouts, de pouvoir régler en une fois leur loyer annuel, d'acheter des cadeaux à leurs enfants, enfin, ce genre de choses. Voilà le genre de personnes qui, me semble-t-il, vont se faire prendre. Selon les dispositions en cause, ces personnes ne seront pas considérées comme des petits revendeurs. L'importation de stupéfiants est une infraction grave et on les a sanctionnées en conséquence. Conformément aux dispositions actuelles, le juge a, dans sa décision, pris en compte leurs circonstances personnelles, mais son jugement a été infirmé en appel. Nous craignons de voir se multiplier ce genre de situations.
Nous avons parlé des femmes en général, mais il est clair que de telles mesures frapperont un nombre disproportionné de femmes issues de certaines ethnies. Vous avez eu raison de parler des tribunaux de traitement de la toxicomanie mais notre expérience démontre que la plupart de ces tribunaux sont saisis des affaires les moins sérieuses et qu'il est très peu probable de voir porter devant eux des affaires d'importation et de trafic. On y verra peut-être quelques adolescents accusés de trafic, mais ces tribunaux s'occupent rarement de trafiquants.
En ce qui concerne les toxicomanies, le Bureau de l'ombudsman a fait valoir avec beaucoup d'éloquence, qu'on devrait leur appliquer d'autres procédures, et ne pas criminaliser les gens qui cherchent surtout à s'anesthésier contre les conséquences des abus qu'ils ont subis lorsqu'ils étaient enfants, contre la dure réalité d'une existent sans domicile fixe ou parce qu'ils se vendent pour survivre.
La mise en application de ces mesures créera, selon nous, de grandes difficultés. Il suffit de songer à la consommation de drogues dures dans les prisons. Le SCC a engagé le Dr Ford, et avant lui le Dr Reilly et ils ont tous deux prédit une augmentation de la consommation de drogues dures et une baisse de la consommation de marijuana dans les prisons. Actuellement, il n'y a presque plus de marijuana dans les établissements pénitenciers car on y introduit des drogues dangereuses, telles que le PCP et l'héroïne, que l'organisme élimine plus rapidement. Cela crée une situation dangereuse à plusieurs égards, dont le moindre n'est pas les infections véhiculées par le sang.
Le sénateur Andreychuk : Madame Pate, selon vous, ce texte fait l'impasse sur les problèmes psychologiques et des problèmes de santé mentale. Étant donné que le texte ne prévoit rien à cet égard, faute d'une autre solution, certaines personnes seront simplement incarcérées. J'ai constaté, dans mon travail, que même les enfants qui en auraient besoin, n'ont pas accès à des services de santé mentale. Laissés à eux-mêmes, ils finissent devant les tribunaux, puis en prison.
Compte tenu des affaires dont vous avez eu à vous occuper, que pensez-vous qui serait arrivé si on avait pu intervenir plus tôt, non seulement au niveau des problèmes sociaux, mais au niveau des problèmes de santé mentale? Vous nous avez cité le cas de deux femmes qui, toutes deux, éprouvaient, de manière chronique, des problèmes de santé mentale. Serait-ce la démarche à adopter, et, au lieu d'attendre que de telles personnes passent en justice, mettre en œuvre, dans le domaine de la santé mentale, des stratégies préventives?
Mme Pate : La santé mentale peut effectivement faire l'objet d'une stratégie, mais ce n'est pas le seul axe d'intervention. Songez aux efforts visant, depuis de nombreuses années, à réduire le nombre de personnes incarcérées. Les responsables du SCC, et je ne parle pas là des gens qui prônaient la déjudiciarisation, ont calculé que, près de 75 p. 100 des personnes incarcérées sont en prison pour des crimes sans violence. Certains éprouvaient des problèmes de santé mentale, d'autres non. Certains étaient toxicomanes, d'autres non. Il est clair qu'un grand nombre d'entre eux étaient démunis et marginalisés du fait de leur dénuement. Certains cumulaient tous ces facteurs et certains, en outre, étaient issus d'autres ethnies.
Plus nous avons coupé les budgets de la santé, de l'éducation et des services sociaux, plus on a eu recours, par défaut, à la justice pénale. Lorsque je m'adresse aux médias, il n'est pas rare que je dise, pour employer une formule percutante, que le système carcéral est le seul à ne jamais vous répondre, désolé, nous sommes complets; désolé, toutes les chambres sont occupées; désolé, mais la liste d'attente est déjà longue. J'imagine mal ce qui se passe dans certains pays européens où les prisons sont surpeuplées. Vous fait-on attendre cinq ou six mois avant de vous trouver une place? C'est quelque chose que nous n'imaginons même pas ici. Pourtant, notre système pénal est, si vous voulez, notre service de dernier ressort. C'est là où la police amène ceux dont personne d'autre ne veut. Parfois, il s'agit de personnes qui, telles que les femmes battues, ont elles-mêmes besoin de protection, mais qui se retrouvent néanmoins devant un tribunal pénal. Parfois, il ne s'agit que d'une détention provisoire, mais si vous vous penchez sur l'état des personnes envoyées dans des établissements de détention provisoire, dont le cas n'est pas prévu par ces nouvelles dispositions, mais qui en subiront néanmoins les conséquences, vous constatez qu'environ 70 p. 100 des femmes détenues au Canada n'ont pas encore été déclarées coupables. Elles attendent de passer en procès. Je pense, là encore, qu'il s'agit d'une situation dont il faudrait s'occuper.
On a recours à la justice pénale au lieu d'exiger une augmentation des crédits affectés à la santé, à l'éducation, aux services sociaux et, tout particulièrement, aux soins de santé mentale. C'est pour cela que les femmes comptent pour une part croissante de la population carcérale car elles sont davantage susceptibles d'avoir recours à de tels services. Étant donné les coupures budgétaires, un plus grand nombre de femmes se retrouvent en justice.
Le sénateur Andreychuk : Vous nous avez dit que le taux de transmission du VIH entre toxicomanes dans les centres de détention provisoire de l'Ontario est beaucoup plus fort qu'ailleurs. J'aimerais obtenir de vous des précisions sur ce point, mais si cela doit prendre trop de temps, vous pourriez peut-être me répondre par écrit. J'ai été frappée par les chiffres que vous m'avez cités.
M. Jones : Cela s'explique essentiellement par le défaut de mesures de réduction des préjudices dans les centres de détention et, aussi, par le surpeuplement. Je n'ai pas à vous dire que ces établissements sont assez sinistres et que les gens feraient tout pour en sortir, ne serait-ce que mentalement.
Y pouvons-nous quelque chose? Nous savons comment nous devrions procéder, nous avons les connaissances nécessaires. La question est de savoir si les responsables en tireront les conséquences qui s'imposent.
Le sénateur Carstairs : Il a simplement dit que le taux d'infection par le VIH est 11 fois supérieur à la moyenne nationale et, en ce qui concerne l'hépatite C, 22 fois supérieur. Il n'a effectué aucune comparaison entre centres de détention provisoire.
Le sénateur Andreychuk : Je pensais qu'il parlait des centres de détention provisoire.
La présidente : Non, il parlait par rapport à l'ensemble de la population.
Le sénateur Andreychuk : J'aimerais donc savoir si le taux d'infection est, dans les centres de détention provisoire de l'Ontario, plus élevé que dans les autres régions du Canada?
M. Jones : Je ne peux pas vous répondre car les travaux menés jusqu'ici n'ont pas porté sur cette question précise. Il nous faudrait faire d'autres études, mais le SCC a poliment répondu qu'il ne souhaite pas le savoir.
Le sénateur Andreychuk : Le taux d'infection est donc plus élevé dans les centres de détention que dans l'ensemble de la population. Mais, alors, si ces détenus sont libérés...
M. Jones : Madame le sénateur, vous pourriez peut-être prendre connaissance de l'article portant sur la question. Il s'agissait d'une petite étude portant sur un tout petit échantillon de personnes détenues en Ontario. Étant donné la taille de cet échantillon, les résultats sont alarmants.
La présidente : Pourriez-vous, Monsieur Jones, nous donner la référence des articles en question?
M. Jones : Je les ai indiquées dans le mémoire que je vous ai remis.
La présidente : Le comité va auditionner des représentants du Service correctionnel du Canada. Il y a des questions que nous allons leur demander d'approfondir.
Le sénateur Baker : Nos témoins ont pu constater que nous avons tendance à nous en remettre à ma collègue qui a posé la dernière question, et qui était juge avant d'être sénateur. Nous apprécions la richesse de ses observations.
J'ai pris un vif intérêt à la fois aux exposés qui ont été présentés et aux documents qui nous ont été remis.
Cela dit, vous n'avez pas évoqué la question sur laquelle j'étais plus spécialement censée me pencher. Il s'agit des dispositions du projet de loi concernant la conduite avec capacités affaiblies par l'effet d'une drogue. J'ai une question à poser à Mme Larochelle. Elle est liée à la question que lui avait posée le sénateur Joyal. Cette question se justifie en l'occurrence en raison de la grande expérience de Mme Larochelle devant les tribunaux. Elle a plaidé des dossiers très difficiles.
Je voudrais qu'elle nous dise les difficultés qu'elle prévoit en raison de l'inversion de la charge de la preuve. Il s'agit en l'occurrence de prouver que tel ou tel n'est pas un délinquant dangereux, ou qu'il devrait être libéré. Vous n'êtes pas sans savoir que plusieurs dispositions du Code criminel prévoient déjà un renversement du fardeau de la preuve. Parfois, c'est dans le cadre des dispositions concernant la libération sous caution, dans le cas d'une personne accusée au titre de diverses dispositions du Code criminel.
Ma question concerne l'hypothèse suivante. Le juge regarde votre client et vous demande de démontrer pourquoi le tribunal ne devrait pas le déclarer délinquant dangereux. Il y a renversement du fardeau de la preuve étant donné qu'ici la preuve incombe à l'accusé ou à la personne déclarée coupable. D'après vous, les jugements des tribunaux s'accordent-ils généralement quant aux éléments dont la preuve incombe à l'accusé?
Lorsque vous effectuez vos recherches de jurisprudence afin de préparer votre plaidoyer dans une affaire où la loi prévoit effectivement l'inversion du fardeau de la preuve, constatez-vous une certaine uniformité au niveau des jugements, ou relevez-vous un certain nombre de décisions arbitraires? Est-il fréquent qu'un jugement s'écarte des règles établies — du respect des précédents concernant, par exemple, les éléments constitutifs de l'infraction — ou s'agit-il de quelque chose de nouveau qu'il est extrêmement difficile de plaider? Selon vous, les juges font-ils un très ample usage de leur pouvoir d'appréciation et, selon vous, est-il beaucoup plus difficile de plaider la cause d'une personne démunie?
[Français]
Mme Larochelle : Si vous me le permettez, je m'attarderai surtout à la dernière partie de votre question, qui m'intéresse particulièrement puisque ma pratique est à l'Aide juridique de Montréal. Je dispose de moyens limités avec une clientèle pauvre et parmi le plus à risque de se retrouver dans des situations judiciarisées par le projet de loi qui est devant vous aujourd'hui.
Lorsqu'il y a un renversement du fardeau de preuve, le fardeau est transféré à l'accusé. C'est donc à lui de faire sa preuve. Il faut faire sa propre recherche, appuyer ses prétentions d'experts qui sont onéreuses dans le système de justice pénale. Des coûts sont toujours associés à un renversement de la preuve. Compte tenu des ressources limitées du système, cela aura un impact sur la capacité d'une personne de faire une preuve suffisante pour rencontrer le fardeau qui lui est transféré, alors que celui-ci est incompatible avec la présomption d'innocence.
Les conséquences seront plus lourdes pour une personne démunie financièrement, qui n'a pas la capacité au niveau des outils intellectuels ou culturels, pour bien guider son avocat et l'aider à rencontrer le fardeau qu'il doit rencontrer devant la cour.
[Traduction]
Le sénateur Baker : Mme Larochelle a répondu à la deuxième partie de ma question, qui, était en fait une brève remarque incidente. Elle n'a pas répondu à mon point central.
La présidente : Demandez-vous à être autorisé à poser de nouveau votre question?
Le sénateur Baker : Non, je ne souhaite pas la poser de nouveau.
Je ne sais pas. Était-il injuste de ma part de vous poser la question en ces termes? C'était sans doute injuste, non?
[Français]
Mme Larochelle : Si j'ai bien compris la première partie de votre question, les décisions de la cour, vous voulez savoir si les juges font bien leur travail, en fait, dans le cas des renversements du fardeau de preuve.
[Traduction]
Le sénateur Baker : Non, régulièrement.
[Français]
Mme Larochelle : Je ne vais même pas risquer de répondre à cette question puisque chaque cas est un cas d'espèce. C'est une question trop difficile, Monsieur le sénateur.
[Traduction]
Le sénateur Baker : Il vous faut pourtant continuer à plaider devant les tribunaux.
Le sénateur Merchant : Je vous demande votre avis sur les difficultés de parvenir à un équilibre entre la réinsertion du contrevenant et la protection du public. Il s'agit d'incarcérer les contrevenants afin d'éviter toute récidive, du moins pendant leur période d'incarcération, même si, selon M. Jones, on peut récidiver même en prison. Je pense que vous nous avez dit, en effet que les détenus commettent parfois des actes de violence sur d'autres détenus.
On constate, tous partis politiques confondus, un certain manque de confiance dans le système de libération conditionnelle. On insiste surtout sur les personnes qui récidivent, après avoir bénéficié d'une libération conditionnelle et on parle beaucoup de ces cas qui semblent constituer autant d'échecs. Or, on parle beaucoup moins des succès. Ce déséquilibre de l'opinion publique a sur la Commission des libérations conditionnelles, une sorte d'effet d'intimidation qui la porte à faire preuve d'une prudence excessive en matière de libération conditionnelle.
Si les conditions de la libération conditionnelle sont trop restrictives, on fait perdre espoir aux détenus, qui vont se détourner des programmes qu'on avait mis en place dans les prisons à leur intention. Ils vont ainsi refuser l'aide qui leur permettrait de modifier leur mode de pensée et de comportement. C'est dire que pour bien faire son travail, la Commission des libérations conditionnelles doit prendre certains risques lorsqu'elle accorde une mise en liberté anticipée. Le changement d'attitude est à la fois dans l'intérêt du détenu et dans l'intérêt du système carcéral, mais on comprend fort bien que lorsque la décision impliquant un risque tourne mal, le public peut être à la fois en colère et inquiet.
Je vous pose donc une question à laquelle il est impossible de répondre. Voudriez-vous nous donner votre avis quant à la manière dont le système de libération conditionnelle devrait fonctionner? Étant donné la réalité des craintes éprouvées par le public, est-il possible de lui faire accepter l'idée d'un système de libérations conditionnelles axé davantage sur la personne que sur les crimes, et autorisé à prendre les risques qu'implique une libération anticipée?
M. Jones : Facile!
Je ne suis pas spécialiste de la libération conditionnelle, mais j'estime que nous sommes tombés dans le piège qui consiste à offrir, à des problèmes extrêmement complexes, des solutions à court terme. Permettez-moi, encore une fois, de citer l'exemple de la Stratégie nationale antidrogue. Vous allez penser que je m'écarte du sujet, mais ce n'est pas le cas.
La Stratégie nationale antidrogue est un semblant de solution à un problème social que le Canada s'est créé. J'entends par cela l'interdiction de la drogue. Cette politique d'interdiction est à l'origine d'un énorme secteur criminel, y compris à Winnipeg. Les écoles résidentielles ont entraîné d'immenses souffrances dont on peut constater les séquelles, qui se manifestent sous diverses formes dans les rues de Winnipeg. Cette année marque le centième anniversaire de la guerre que le Canada livre contre la drogue. Le quartier nord de Winnipeg est une sorte de conjonction de la guerre contre la drogue et des problèmes nés des écoles résidentielles. Nous voulons, bien sûr, régler le problème, mais étant donné que nous tentons de le régler au moyen du système correctionnel, de la justice pénale et de la Commission nationale des libérations conditionnelles, on ne fait que l'aggraver constamment le problème.
Notre société se berce de l'illusion qu'il existe des solutions faciles et rapides à ces problèmes sociaux qui ont eu 100 ans pour mûrir et s'enraciner. Je suis désolé si ce n'est pas la réponse que vous souhaitiez.
Le sénateur Merchant : Je savais que c'était une question difficile.
M. Jones : En effet.
Mme Pate : Vous posez des questions difficiles auxquelles on ne peut pas répondre facilement ou simplement, mais il existe tout de même des éléments de réponse. Notre système de libérations conditionnelles est maintenant davantage un système de rétention et il y a lieu de s'en inquiéter. Lorsque le système des libérations conditionnelles a été instauré, on pensait assez généralement, et j'entends par cela à la fois le public et les spécialistes du système correctionnel, que le meilleur moyen d'assurer la réinsertion des délinquants était de les remettre en liberté dans le cadre d'une structure d'accueil et de surveillance. C'est dans cette idée là que le système des libérations conditionnelles a été établi.
Les décisions ont revêtu un caractère plus discrétionnaire lorsque le régime de liberté surveillé a été remplacé par la mise en liberté d'office. Ainsi que nous l'avons vu, on se demandait maintenant davantage si l'on pouvait prédire les comportements humains. Nous savons maintenant que ce n'est pas possible, mais il y a quand même un certain nombre de choses qui peuvent être prédites. Étant donné que la Commission des libérations conditionnelles hésite de plus en plus à prendre des risques, on garde en prison de plus en plus de personnes, mais ce ne sont pas nécessairement ceux qui posent les plus grands risques. Puis, il y a d'autres mécanismes tels que celui qui est prévu à l'article 810 du Code criminel. On se demande pourquoi on n'y a pas eu recours à l'égard du forcené de Mayerthorpe. On savait qu'il présentait des risques, mais la police n'a pas demandé qu'on lui ordonne l'engagement de ne pas troubler l'ordre public. Or, la police avait de très fortes raisons de solliciter un tel engagement. Je ne sais que ce que j'ai vu dans les médias ou l'émission en question et donc je ne peux pas répondre.
Il nous faut nous forcer, nous, la Commission des libérations conditionnelles et le Service correctionnel du Canada à poser sur ces choses un regard nouveau. Il n'est maintenant pas rare de voir un détenu accusé d'une infraction commise à l'extérieure. Pour prendre l'exemple de personnes dont il a été fait état dans les médias, rappelons qu'Ashley Smith a commencé par violer les conditions de sa libération conditionnelle. Elle s'est retrouvée pour cela en prison. Elle a résisté aux efforts visant à la contrôler, s'est battue contre les gardiens, autant de gestes vraisemblablement liés à son état de santé mentale. Les accusations contre elle se sont accumulées et elle a fini par passer six ans et demi en prison. La plupart des gens qui apprennent qu'elle a passé six ans et demi en prison peuvent supposer que cette jeune personne avait dû faire quelque chose de très grave. Or, c'est tout à fait l'inverse car c'est simplement parce qu'il y a eu une telle accumulation d'accusations portées contre elle. À part celle-ci, la plus longue peine que j'aie vu prononcer dans une affaire analogue était une peine de 137 jours d'emprisonnement. Mais ça, c'est selon les informations qui m'ont été fournies et cela pose d'ailleurs un tout autre problème, car nous voudrions qu'on nous explique pourquoi nous n'avons pas accès à ces renseignements. Nous avons entendu des juges demander comment il se peut qu'une personne accusée d'une infraction commise à l'intérieur de l'établissement, se voie non seulement imposer une peine plus longue, mais voie cette peine prolongée, puis soit mise en isolement, ce qui fait qu'elle est doublement accusée alors qu'elle n'est peut-être même pas en mesure de comprendre ce qui lui arrive.
De plus en plus, on insiste pour que les détenus méritent une réduction de peine, ce qui suppose qu'ils en aient les moyens, et j'entends par cela qu'on mette à leur disposition les programmes nécessaires. J'espère que les représentants du Service correctionnel du Canada que vous allez auditionner pourront vous parler de cela. Je ne pense pas qu'ils puissent vous parler avec une complète franchise, aussi ouvertement que nous le voudrions, des réserves que leur inspire le fait que de plus en plus de détenus sont placés dans des unités d'isolement, et qu'ils sont donc de moins en moins nombreux à pouvoir bénéficier des programmes, de moins en moins nombreux à avoir la possibilité de mériter une remise de peine et de moins en moins nombreux à pouvoir trouver les moyens de subvenir à leurs besoins après leur libération. En outre, les personnes souffrant de problèmes mentaux ou de diverses autres types de désavantages ont de plus en plus de chances d'être gardées en prison, pas forcément parce qu'elles constituent un danger pour la population, mais simplement parce qu'elles n'ont pas su franchir les divers obstacles de la procédure. J'hésite à employer cette formule, mais elle correspond à la réalité. Si vous n'avez pas réussi tel ou tel programme, même si celui-ci n'est offert en prison qu'une fois par an et que, ayant été incarcéré l'année dernière, vous n'y avez pas eu accès. Cela suscite un sentiment de frustration que nous sommes nombreux à partager avec les employés du système qui ne peuvent cependant rien dire par crainte de perdre leur emploi.
Le souci que vous éprouvez à cet égard me paraît fondé. Je pense que si l'on consacrait davantage de ressources aux efforts en vue d'éviter à un plus grand nombre de personnes une peine de prison, et si nous avions plus souvent recours aux dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui permet effectivement de libérer les détenus dans le cadre d'une structure d'accueil et de surveillance, nous en récolterions à terme les fruits, tant sur le plan financier que sur le plan social et humain.
Le sénateur Prud'homme : Je tiens à m'associer aux sénateurs Stratton, Andreychuk et Milne et vous dire à mon tour combien j'apprécie le travail de vos deux organisations. La tâche n'est pas facile, surtout lorsque des sentiments de frustration se manifestent dans l'ensemble du pays et que les gens sont portés à adopter des mesures qui devraient, en les rassurant, améliorer leur tranquillité et que vous savez que cela ne suffira pas. C'est du moins mon sentiment et je tiens à vous remercier du travail que vous accomplissez.
Avez-vous fait part de tout cela au comité de la Chambre des communes? Aucun parti n'a proposé un amendement fondé sur les arguments dont vous venez de faire état? Je sais que le projet de loi n'a pas été amendé.
M. Jones : J'ai exposé nos arguments devant le comité de la Chambre, mais la séance du comité à laquelle j'ai pris part n'a permis d'aboutir à aucun amendement.
Le sénateur Prud'homme : Il y a des années, avec un de mes collègues, Jim Fleming, qui fut plus tard ministre, nous avions proposé qu'un condamné puisse choisir entre la peine de mort et 25 ans de prison. Je suis allé défendre notre projet devant des assassins détenus à Drumheller. J'ai réussi à m'en sortir en leur disant, écoutez bien, je vous offre le choix entre la peine de mort et 25 ans de prison. Que choisissez-vous?
C'est alors que nous nous sommes aperçus que, comme aujourd'hui, encore, il y a des gens qui ne font pas confiance à la Commission des libérations conditionnelles. Ils craignent que la Commission aille à l'encontre du sentiment général de la population.
Pensez-vous que nous devrions, comme je vais moi-même le faire, proposez que l'on modifie la composition de la Commission des libérations conditionnelles, peut-être en lui adjoignant un juge? Je cherche un moyen d'apaiser les passions, car je suis très surpris de voir cette nouvelle accusation figurer dans le projet de loi. C'est en fait une disposition française qui a été reprise par le Canada. J'ai peine à croire que l'on va adopter ici, la règle nisi, qu'on m'a enseignée à la faculté de droit et selon laquelle la preuve incombe à l'accusé. C'est donc à moi, l'accusé, qu'il appartient de démontrer pourquoi il ne faut pas que vous me fassiez ceci ou que vous me fassiez cela. C'est une règle de droit français. Si la population canadienne souhaite adopter une règle de droit français, je veux bien, mais je ne suis pas certain qu'ils s'en estimeront satisfaits quand ils s'apercevront des conséquences.
Je n'ai rien à ajouter sur ce point. Je trouve cela très troublant. Je ne cherche pas à cacher les préoccupations que cela m'inspire. N'étant pas moi-même membre du comité, je peux simplement attendre et voir comment il va se prononcer, mais j'espère qu'il proposera un certain nombre d'amendements. Je voterai pour tout amendement raisonnable malgré la tentative de chantage de l'autre chambre, où j'ai siégé pendant 30 ans. Je ne suis nullement impressionné par quelqu'un qui me met le revolver à la tempe et qui me menace des plus graves conséquences si je ne fais pas ce qu'il veut.
Je tiens du paragraphe 17(1) de la Constitution, ma légitimité de sénateur et j'entends m'en prévaloir.
[Français]
La présidente : Madame Larochelle, voudrait peut-être répondre à la question du droit français.
Mme Larochelle : Non, je n'ai pas de commentaires à faire.
[Traduction]
M. Jones : La Commission des libérations conditionnelles est-elle régie par des règles de droit ou par l'opinion publique? J'espère que la Commission des libérations conditionnelles se déterminera en fonction du droit et des principes généraux applicables.
Le sénateur Prud'homme : Moi aussi.
[Français]
Le sénateur Fox : Merci, madame la présidente. J'ai une question qui traite surtout des peines minimales obligatoires. Mais avant de la poser, j'aimerais savoir si dans ce projet de loi — que vous avez sans doute parcouru en détail — il y a des parties de ce projet de loi que vous appuyez, ou rejetez-vous plutôt tout ce qu'il contient?
Également, y a-t-il des parties qui pourraient être facilement amendées pour les rendre, de votre point de vue, plus acceptables?
Nous pouvons commencer avec Mme Larochelle.
Mme Larochelle : Pour avoir parcouru le projet de loi en détail, bien que ce n'est pas moi qui ai préparé le mémoire pour l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, je dirais que de notre point de vue le droit actuel suffit.
La partie XXIII du Code criminel qui prévoit les principes en matière de détermination de la peine donne toute la latitude nécessaire aux juges pour rendre des sentences appropriées et qui respectent les objectifs de la détermination de la peine, dont la protection de la société.
Les cours d'appel ont les pouvoirs d'édicter des règles ou les paramètres à l'intérieur desquels les juges des juridictions inférieures pourraient rendre sentence, tout en permettant aux juges de premières instances, qui sont bien au fait de la communauté dans laquelle ils siègent et de la situation personnelle des justiciables qui sont devant eux, pourraient imposer les peines appropriées.
Les articles 810 et suivants du Code criminel donnent toute la latitude possible aux tribunaux pour imposer des ordonnances préventives lorsqu'il existe des motifs raisonnables de penser qu'une personne pose un risque pour la société.
Les normes de preuve qui sont déjà au Code criminel reflètent les valeurs de la société canadienne qui se sont développées au fil des années puis au fil des débats parlementaires et les débats des deux Chambres qui se sont développés suite à l'adoption du Code criminel.
Le sénateur Fox : Ce que je retiens, c'est que vous pensez que ce projet de loi n'est pas nécessaire, que le cadre juridique actuel du Code criminel offre la protection suffisante à la société.
J'arrive à la question des peines minimales d'emprisonnement obligatoires qui, justement, enlève au juge la discrétion de juger du sort qui devrait être accordé à l'individu. Pouvez-vous me dire le nombre de personnes additionnelles qui seraient incarcérées au Canada si on pensait à ce régime de peines d'emprisonnement minimales obligatoires assez généralisé dans ce projet de loi?
Combien de personnes seraient incarcérées dans les prisons aujourd'hui si ce projet de loi avait été adopté l'an dernier?
[Traduction]
M. Jones : Je ne peux pas vous citer de chiffres. Nous avons effectué un calcul prenant en compte l'abolition des libérations d'office. Si le projet de loi est adopté en l'état, il y aura tout un enchaînement de conséquences, les peines minimums obligatoires, la disparition de la libération d'office, et cetera.
[Français]
Le sénateur Fox : D'accord. Je reviens à la question des coûts. Je suis impressionné par votre citation à la page 14 de votre mémoire :
Selon une étude de la RAND Corporation [...] à la suite de l'entrée en vigueur de la loi de la troisième faute en Californie, la part du budget de l'État consacrée au système correctionnel est passée de 9 à 19 p. 100. En raison de cette hausse, l'État a dû réduire de 40 p. 100 les enveloppes budgétaires auparavant allouées à des ressources essentielles comme l'éducation, la santé, la sécurité au travail et les services environnementaux et sociaux.
Je reviens au témoignage précédent de M. Waller qui parlait de ce que veulent les Canadiens, et ce qu'ils veulent surtout, c'est la réduction des taux de criminalité, de la violence faite aux femmes et à qui que ce soit dans cette société. Mais cela prend des organismes comme les vôtres pour accomplir le genre de travail que vous faites.
Ne craignez-vous pas, étant donné les ressources financières limitées de l'État, que suite à l'augmentation des détenus dans le système et à l'élimination de la libération d'office, que les budgets de l'État n'augmentent de façon vertigineuse, y compris pour la construction de nouveaux pénitenciers?
Au Québec, environ 500 millions de dollars seront alloués à la construction de nouveaux pénitenciers, et cela c'était même avant que ce projet de loi ne soit déposé. Ne craignez-vous pas que l'État n'exerce des compressions budgétaires qui normalement auraient dû être attribuées à d'autres programmes?
Le sénateur Stratton parlait de « three-legged stool » dont l'un des volets était les programmes de prévention. Pouvez-vous répondre à cette question?
[Traduction]
M. Jones : C'est précisément ce que je crains. Cette stratégie de lutte contre la criminalité reprend pour l'essentiel une stratégie qui, aux États-Unis, a été marquée par un échec spectaculaire. À mon avis, nous devrions, au niveau des crédits, accorder dès maintenant la priorité aux mesures de prévention. Peu importe qu'on parle d'une stratégie à trois volets, ou à quatre piliers. L'augmentation du budget des prisons est de l'argent jeté par les fenêtres.
[Français]
Le sénateur Fox : À la page 15 de votre mémoire, vous dites :
Par conséquent, on ne saurait être étonné de constater que des pays comme l'Australie et les États-Unis travaillent actuellement en vue de réduire l'imposition de peines minimales obligatoires compte tenu de l'expérience négative liée à cette approche.
Comment pouvez-vous expliquer que l'on soit tellement à contre-courant? Vous écrivez dans votre mémoire que d'autres pays ont essayé ces mesures et qu'elles n'ont pas fonctionné, qu'elles ont même eu des conséquences désastreuses au plan budgétaire et n'ont rien réglé du point de vue de la criminalité. Vous dites qu'elles ont peut-être même eu l'effet contraire. Alors comment se fait-il que le Canada aille dans cette direction?
[Traduction]
M. Jones : Les deux principaux ressorts judiciaires des États-Unis à avoir adopté des peines minimales obligatoires, la Californie et la Floride, tentent actuellement de les supprimer, justement parce que ces peines n'ont fait qu'accroître la population carcérale et entraîner la faillite des systèmes éducatifs. Pourquoi, dans ces conditions, opter pour de telles mesures? On pense, me semble-t-il, que la population exige une solution immédiate. On se rassure à l'idée qu'on va enfermer les mécréants, les garder sous les verrous, sans même songer aux conséquences que cela risque d'avoir à terme. Il s'agit d'une politique à la vue courte et à brève échéance.
Mme Pate : Vous nous demandiez combien de nouveaux détenus cela donnerait. Je ne sais pas si le ministère de la Sécurité publique ou le Service correctionnel du Canada a cherché à le savoir. Je vous engage à leur demander les résultats des études qu'ils ont menées car ils ont fait d'assez bonnes prévisions des coûts qu'entraînerait l'adoption de ce projet de loi.
Outre ce que mes collègues ont dit, c'est justement pourquoi nous nous sommes adressés à vous en tant que chambre de second examen modéré et réfléchi. Mon père est ouvrier et il m'arrive parfois d'essayer de le convaincre sur tel ou tel point. Il me répond toujours, mais si c'est vrai, comment ça se fait que nos dirigeants politiques ne nous le disent pas? Pourquoi ne disent-ils pas que c'est comme ça qu'il convient de procéder et que nous devrions, effectivement, consacrer une plus grande part de nos ressources à la santé et à l'éducation? Il comprend très bien, ses amis et beaucoup d'autres gens aussi. Il m'arrive d'interroger les gens pour leur demander à quoi devrait être affecté l'argent du contribuable, à la construction de nouvelles prisons ou à des programmes permettant à la fois de faire jouer la responsabilité des contrevenants et d'améliorer la situation de l'ensemble de la communauté? Les gens se prononcent invariablement pour le deuxième terme de l'alternative. Si, cependant, vous posez la question de manière simpliste, vous obtiendrez une réponse simpliste.
Depuis la mort d'Ashley Smith, le 19 décembre, vous ne pourriez pas croire le nombre de personnes qui m'ont écrit, appelé ou qui ont communiqué avec nous pour se dire horrifiés de voir une telle chose se produire au Canada. Les gens sont choqués d'apprendre que cette jeune personne a fini par passer tellement de temps sous les verrous. À en juger par la couverture des médias et par les gens qui ont appelé au cours des deux derniers jours, je pense qu'il en sera de même en ce qui concerne le rapport publié par M. Richard. Comment se fait-il que des adolescents aient pu être agressés sexuellement alors qu'ils se trouvaient en détention? Comment se fait-il que des jeunes soient attachés à leur lit, sanglés à des chaises, qu'on leur passe des camisoles de force, qu'on les agresse alors qu'ils se trouvent sous garde, sans que nous en entendions parler? C'est en partie parce que cela se produit à huis clos. Après la mort d'Ashley Smith, plusieurs personnes ont été mises en cause. Je travaille dans ce domaine depuis 25 ans et c'est la première fois que cela arrive. Ce n'est pas parce que ça me fait plaisir de voir des responsables mis en cause, mais c'est qu'en général c'est passé sous silence. Si quelques-uns d'entre nous n'avaient pas su ce qui lui était arrivé, je pense que cela ne se serait peut-être jamais su. On aurait simplement conclu à un suicide de plus parmi les détenues. On aurait laissé de côté le fait qu'elle faisait à l'époque l'objet d'une surveillance étroite en raison du risque de suicide et que c'est au cours de cette surveillance qu'elle est morte.
Je m'adresse à vous en tant qu'individus, en tant que parents et grands-parents, et en tant que responsables politiques réfléchis, et vous demande de dire que ce projet de loi n'a aucun sens. Être pris en otage — et je pèse mes mots — en se faisant dire que l'on doit avaliser le texte et que, de toute manière, il sera adopté, constitue un travestissement de la fonction législative et une véritable honte pour notre pays. Je vous le dis comme je le pense.
Le sénateur Watt : Je tiens maintenant à examiner les dispositions concernant les délinquants dangereux. Je m'inquiète de ce qui se passera si demain ce projet de loi est adopté. Je viens du Nord, où tout le monde se connaît. Les communautés sont petites et les populations aussi. Dans nos communautés, le récidiviste est connu de tout le monde. S'il s'agit d'un criminel endurci, il est clair que la communauté veut qu'il soit mis hors d'état de nuire, mais on ne peut pas ranger tout le monde dans cette catégorie.
Il y a, chez nous, de nombreux récidivistes qui ne sont pas du tout des criminels endurcis. Il peut s'agir, comme vous le disiez tout à l'heure, de quelqu'un qui avait de la drogue dans sa poche et qui s'est fait prendre parce que quelqu'un l'a dénoncé. Ce n'est même pas un revendeur. Cela arrive souvent dans nos communautés, où beaucoup de jeunes sont désœuvrés et cherchent à animer un peu leur existence en buvant ou en prenant de la drogue. C'est un phénomène fréquent dans nos communautés isolées et tout le monde comprend.
Il arrive qu'un jeune soit condamné à un certain nombre de mois de prison. Après avoir purgé sa peine, il revient. Souvent, on le remmène, parfois le même jour, et pas forcément parce qu'on l'a à nouveau pris avec quelque chose dans sa poche. Il se peut très bien qu'il fasse l'objet d'une surveillance quotidienne et que dès son arrivée, la police le suive en espérant qu'il commettra une petite faute. Parfois, il ne commet même pas de faute, mais les policiers ont fait en sorte qu'il dise quelque chose qu'il ne devrait pas dire. Je parle au nom des Inuits, mais parfois aussi au nom des Premières nations. Les autorités profitent des plus faibles ou de leur ignorance du droit. Ce n'est pas tout le monde qui fait cela, mais de tels incidents sont fréquents. À chaque sortie de prison, je constate que l'état de l'individu a empiré, comme vous le disiez vous-même et petit à petit il devient un criminel endurci. Ce qui m'inquiète beaucoup dans ce projet de loi, c'est que ses dispositions vont s'appliquer rétroactivement aux récidivistes. Je pense effectivement que les dispositions s'appliqueront à eux rétroactivement.
La présidente : Sénateur Watt, je sais que vous avez fait preuve d'une grande patience, mais notre temps est maintenant écoulé et je songe à nos collaborateurs, aux interprètes, à tous. Pourrais-je vous demander d'aller droit au fait.
Le sénateur Watt : J'aime, il est vrai, préfacer ce que je vais dire.
Ce projet de loi ne contient rien d'utile pour mon peuple. Je suis persuadé qu'il ne fera qu'aggraver la situation.
Vous avez tout à l'heure parlé de cette jeune femme désavantagée à plus d'un titre.
Pourriez-vous me dire pourquoi vous n'avez parlé que de cette jeune femme et non aussi de jeunes gens?
Il me semble que, faute de moyens financiers, certains ne pourront pas défendre leurs droits, d'autant plus que cette loi fait de vous un criminel avant même de démontrer votre culpabilité. Il y a un renversement du fardeau de la preuve et cela va créer de grandes difficultés pour ces jeunes, pour tous les jeunes Canadiens. Ils ne comprennent déjà pas la loi dans son état actuel. Imaginez ce qui se passera lorsqu'ils essayeront de défendre leurs droits et démontrer leur innocence.
Mme Pate : Si j'ai dit ce que j'ai dit et que j'ai insisté davantage sur le sort des jeunes femmes, c'est que cela fait 17 ans que mes activités professionnelles ne me mettent pas directement en contact avec des hommes, même si j'ai gardé le contact avec certains d'entre eux. Je suis d'accord avec ce que vous venez de dire. Ces dispositions vont avoir un impact disproportionné sur de nombreux jeunes, hommes et femmes, des communautés autochtones, des peuples des Premières nations, des Métis et des Inuits. C'est déjà comme ça.
La semaine dernière, je me trouvais en Saskatchewan au moment où une jeune femme allait être libérée avant de retourner dans le Nord. Elle était affolée à l'idée que les gens apprendraient d'où elle sortait, craignant que chacun l'épie et la rende responsable de ce qui pourrait se produire.
En ce qui concerne les deux femmes dont j'ai parlé, et qui risquent actuellement d'être rangées dans la catégorie des délinquantes dangereuses, il est clair qu'elles tomberont immédiatement sous le coup des nouvelles dispositions. Pourtant, toutes les accusations portées contre elles concernent des choses qui se sont passées en prison. Peut-être aurais-je dû préciser cela plus tôt. La plupart des gens pensent au risque auquel est exposée la population. Je ne dis pas que les autres prisonniers et les membres du personnel carcéral ne méritent pas, eux aussi, d'être protégés, mais l'enquêteur correctionnel sera en mesure de vous fournir des données plus précises à cet égard car il a accès aux documents internes. En ce qui concerne les femmes dont je viens de parler, presque toutes les empoignades, sinon toutes, ont été provoquées par quelque chose qui s'est produit à l'intérieur de la prison et auxquelles les deux femmes ont réagi. Je dirais que dans certains cas on les a provoquées par la manière de les traiter et il est clair que depuis la mort de Ashley Smith, on s'inquiète de plus en plus du sort de certaines détenues.
La solidarité entre membres du personnel correctionnel, que je comprends fort bien, peut être, de l'intérieur, vue sous un angle très différent. Parfois, une femme va se sentir intimidée par cet esprit de corps. Parfois ce n'est pas la faute du personnel, mais parfois quelqu'un agit de propos délibéré.
Je dis cela pour expliquer que ce projet de loi pourrait très bien créer des situations, et avoir des conséquences auxquelles le public n'a pas pensé lorsqu'il a réclamé l'adoption de ce genre de dispositions.
Le sénateur Milne : Vous avez bien dit que si l'on envisage de déclarer que ces deux femmes sont des délinquantes dangereuses ou des délinquantes à contrôler, c'est à cause de l'accumulation d'accusations portées contre elles non pas pour l'infraction qui leur a valu leur condamnation initiale, mais en raison d'une accumulation d'accusations portées contre elles pour des choses qui se sont produites en prison?
Mme Pate : C'est exact.
Le sénateur Milne : Et ça fait boule de neige.
Mme Pate : C'est bien cela.
La présidente : Je tiens à vous remercier au nom des membres du comité. Nous avons pris un grand intérêt à cette séance. Nous vous sommes très reconnaissants de vous être ainsi déplacés.
Honorables sénateurs, notre prochaine séance aura lieu demain matin à 10 h 45 dans cette salle. Nous accueillerons alors des représentants du Centre canadien de la statistique juridique, puis du Bureau de l'enquêteur correctionnel.
La séance est levée.