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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 7 - Témoignages du 14 février 2008


OTTAWA, le jeudi 14 février 2008

Le Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été renvoyé l'étude du projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence, s'est réuni ce jour à 10 h 47, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui poursuit son étude du projet de loi C-2.

[Français]

Nous recevons, ce matin, pour la première partie de notre audience, du Centre canadien de la statistique juridique, Mme Lyne Barr-Telford, qui en est la directrice, M. John Turner, chef du programme des services policiers, et M. Craig Grimes, chef d'unité dans le programme des tribunaux.

Nous sommes très intéressés par votre témoignage parce que vous avez des faits à nous présenter. On entend souvent des opinions d'analyse, mais vous, vous avez des faits.

Vous avez l'habitude de comparaître devant les comités du Sénat et même devant ceux de l'autre endroit.

[Traduction]

Nous allons vous demander de présenter votre exposé et nous passerons ensuite aux questions. Nous disposons en tout d'environ une heure et quart. Si vous pouviez présenter votre exposé de façon à nous laisser la plus grande partie de cette période pour les questions, cela serait très apprécié.

Lynn Barr-Telford, directrice, Centre canadien de la statistique juridique : J'aimerais tout d'abord remercier le comité de nous donner la possibilité de vous parler aujourd'hui des tendances de la criminalité au Canada.

Il n'existe pas de chiffre unique qui donne une image complète de l'évolution de la criminalité au Canada. Il faut aller au-delà des tendances générales pour comprendre ce qui se passe. C'est pourquoi nous allons examiner dans notre exposé d'aujourd'hui, les tendances générales de la criminalité, en nous attaquant davantage aux tendances relatives aux crimes violents, à l'emploi des armes à feu dans la perpétration des crimes violents selon le type d'infraction et aux tendances qui concernent les autres infractions visées par le projet de loi que vous étudiez, notamment les autres infractions sexuelles, la conduite avec facultés affaiblies et les infractions reliées aux drogues.

Il y a des aspects visés par le projet de loi pour lesquels nous ne disposons pas de données. Par exemple, nous n'avons pas de données sur les libérations sous condition, ni sur les infractions commises par les personnes libérées sous condition. À l'heure actuelle, nous ne sommes pas en mesure de vous fournir des renseignements concernant les délinquants dangereux et à contrôler.

Je vous invite à regarder la deuxième diapositive du document que vous avez devant vous. Je ferai une brève remarque au sujet des sources de données utilisées pour l'exposé. Nous utilisons deux sources principales de données pour mesurer la criminalité au Canada : les enquêtes auprès de la police et les enquêtes sur la victimisation des Canadiens, effectuées auprès de ménages choisis de façon aléatoire. Chacune de ces sources fournit des renseignements utiles sur l'évolution de la criminalité au Canada. Dans le présent exposé, nous utilisons les données rapportées par la police pour indiquer les tendances relatives aux différents types d'infractions. Dans certains cas, et vous remarquerez qu'il y a sur les diapositives des notes concernant les données, les données ne remontent qu'à 1998 et ne concernent qu'un certain nombre de services de police. Nos données ne représentent pas la situation à l'échelle nationale. Cela est mentionné sur vos diapositives.

Nous mesurons également, mais moins souvent, l'expérience des Canadiens en matière de victimisation. Cela nous permet de retracer les cas qui ont été rapportés à la police et ceux qui ne l'ont pas été. À la fin de votre document, vous verrez qu'il y a quelques diapositives supplémentaires. Je ne vais pas en parler directement. Elles ont été insérées là à titre de référence. À quelques reprises, nous avons tiré des données de notre programme des tribunaux pour indiquer les décisions auxquelles ont donné lieu certains types d'infractions particulières concernées par le projet de loi que vous étudiez.

Passons à la diapositive 3, et jetons un bref coup d'œil aux tendances générales de la criminalité au Canada. Commençons par le tableau qui se trouve à la gauche de cette diapositive.

Le taux global national de criminalité est indiqué par la ligne noire située en haut. Elle indique qu'après avoir atteint un sommet en 1991, le taux global national de criminalité au Canada a, d'une façon générale, diminué. Le taux global de criminalité représente simplement le nombre total des infractions au Code criminel, non compris les infractions reliées à la circulation et aux stupéfiants, divisé par le nombre d'habitants. Vous pouvez constater qu'il a atteint, en 2006, son point le plus bas depuis 25 ans et qu'il est inférieur de 27 p. 100 à ce qu'il était en 1991.

Le taux national de criminalité se situe à peu près au niveau qui était le sien en 1979. Ce taux global est influencé par les tendances de nombreuses infractions relativement mineures. Les méfaits et les vols mineurs représentant environ 40 p. 100 du nombre total des crimes commis au Canada en 2006.

Le taux des infractions contre les biens est représenté par la ligne bleue sur ce tableau. Vous pouvez constater qu'il se trouve à son point le plus bas depuis 30 ans. Les introductions par effraction, une infraction grave contre les biens, ont atteint le sommet en 1991, et elles ont fortement diminué depuis lors. Elles ont diminué de près de moitié depuis 1991. Les vols de véhicule à moteur ont diminué de 20 p. 100 depuis un sommet atteint, un peu plus tard, en 1996.

La ligne verte située à gauche représente le taux global des crimes violents. Je vous invite à regarder le côté droit de ce tableau, parce qu'il montre en détail l'évolution du taux global des crimes violents au Canada. Il est très important de mentionner que six crimes violents sur dix étaient des voies de fait mineures et que ces infractions influencent fortement l'évolution du taux global des crimes violents. Le taux des crimes violents a atteint un sommet en 1992, et a ensuite diminué de 12 p. 100 entre 1992 et 1999. Depuis cette année-là, le taux des crimes violents a été relativement stable.

Voilà donc une image générale, mais pour mieux comprendre l'évolution des crimes violents au Canada, il faut aller plus en détail. Nous savons qu'à l'exception de la diminution du nombre des homicides constatée en 2006, la plupart des autres crimes violents graves ont augmenté ces dernières années. Avant d'examiner, de façon plus détaillée, ces crimes violents graves, regardons l'emploi général des armes à feu dans la perpétration des crimes violents, qui figure sur la diapositive suivante.

La plupart des crimes violents commis au Canada ne sont pas reliés aux armes à feu. L'emploi de la force physique et les menaces sont les infractions les plus courantes. En 2006, par exemple, les armes à feu ont été utilisées contre 2,4 p. 100 des victimes de crimes violents. Il y a eu un peu pus de 8 100 victimes de crimes violents associés à une arme à feu en 2006, sur près de 336 000 victimes de crimes violents — soit un faible pourcentage.

Nous avons utilisé, dans cette diapositive, un sous-ensemble de services policiers pour indiquer l'évolution du taux des victimes de crimes violents commis à l'aide d'une arme à feu. Vous pouvez constater que ce taux est demeuré stable entre 2003 et 2006. Il a diminué de 27 p. 100 entre 1999 et 2002, avant d'augmenter de 16 p. 100 entre 2002 et 2003, mais depuis 2003, il est demeuré relativement stable.

Cette diapositive ne montre pas un élément important à noter, à savoir que près de 1 300 jeunes ont été accusés de violence reliée aux armes à feu en 2006. Le nombre de jeunes accusés de violence reliée aux armes à feu a augmenté au cours de trois des quatre dernières années. Il a augmenté de 32 p. 100 par rapport à 2002, et il est à son point le plus haut depuis que nous disposons de données, c'est-à-dire depuis 1998.

Cela vous donne une idée de l'évolution des crimes violents commis à l'aide d'une arme à feu au Canada. J'aimerais examiner de façon plus détaillée deux infractions violentes graves commises dans ce pays : les homicides et les tentatives de meurtre. Je vous invite à regarder la diapositive 5. Il est important de rappeler que ces infractions représentent un très faible pourcentage des infractions constatées par la police, soit moins de 0,5 p. 100. Ces chiffres étant relativement faibles, il n'est pas rare que les variations annuelles des données soient importantes.

Le taux des homicides, qui figure en rouge sur ce graphique, a atteint un sommet au milieu des années 1970, et il a, d'une façon générale, diminué depuis lors, mais nous avons toutefois constaté ces dernières années certaines augmentations du taux des homicides. Il a augmenté pendant deux des trois dernières années et il s'est accru de 7 p. 100 par rapport à 2003. Même avec cette augmentation, le taux des homicides pour 2006 était inférieur de 39 p. 100 au sommet atteint en 1975.

L'évolution des tentatives de meurtre est indiquée en bleu sur ce graphique, et ce taux a généralement suivi, comme vous pouvez le constater, l'évolution du taux des homicides. Le taux des tentatives de meurtre a également connu une augmentation ces deux dernières années. Nous avons constaté des augmentations du nombre des tentatives de meurtre. Il a augmenté de 24 p. 100 depuis 2004.

Voilà donc les tendances que reflètent ces deux infractions violentes graves.

Passons maintenant à la diapositive 6 qui montre la situation de l'utilisation des armes à feu pour commettre des homicides. Nous savons que les homicides et les tentatives de meurtre représentent un faible pourcentage du nombre global des infractions associées aux armes à feu, mais ces infractions sont plus souvent commises à l'aide d'une arme à feu. Environ un tiers des tentatives de meurtre et un tiers des homicides sont, chaque année, commis à l'aide d'une arme à feu. Vous pouvez constater, en regardant la ligne noire située en haut du graphique, que le nombre des homicides commis à l'aide d'une arme à feu était, en 2006, inférieur de 47 p. 100 à ce qu'il était en 1977. D'une façon générale, il a diminué. La plus grosse partie de cette diminution s'est fait sentir avant 1999.

La diminution générale du taux des homicides commis à l'aide d'une carabine ou d'un fusil de chasse, qui est indiqué en bleu, a entraîné la diminution globale des homicides commis à l'aide d'une arme à feu. Vous pouvez voir en bleu cette diminution de l'utilisation des carabines et des fusils de chasse. Par contre, le taux des homicides perpétrés avec une arme de poing a augmenté de façon marquée vers la fin des années 1980 et au début des années 1990, mais il est demeuré relativement stable par la suite.

Vous pouvez constater que la ligne rouge et la ligne bleue de ce graphique se croisent. L'utilisation des armes de poing pour commettre des homicides au Canada a dépassé l'utilisation des carabines et des fusils de chasse en 1991. Depuis lors, les armes de poing sont demeurées les armes à feu les plus souvent employées pour commettre des homicides. En 2006, les armes de poing ont fait trois fois plus de victimes que les carabines et les fusils de chasse.

Historiquement, les meurtres commis à l'aide d'un couteau ou d'une arme à feu ont chacun représenté environ un tiers des homicides commis annuellement; cela ne figure pas sur ce tableau, mais nous savons, d'après nos données, que le taux des tentatives de meurtre commises à l'aide d'une arme à feu est demeuré relativement stable au cours de la dernière décennie.

Regardons maintenant une autre infraction violente gave au Canada et son évolution. Il y a eu environ 30 000 vols qualifiés au Canada en 2006 et la ligne supérieure, qui représente le taux global des vols qualifiés, indique qu'il a atteint un sommet en 1991 et qu'il a ensuite diminué de 29 p. 100 jusqu'en 2002. Cependant, le taux des vols qualifiés a augmenté au cours de trois des quatre dernières années. Il a augmenté de 11 p. 100 par rapport à ce qu'il était en 2002. L'augmentation que vous pouvez constater dans le taux global des vols qualifiés enregistrés ces dernières années reflète l'augmentation des vols commis sans l'aide d'une arme. C'est la ligne bleue de ce graphique.

Les vols qualifiés commis à l'aide d'une arme à feu — la ligne rouge — ont constamment baissé entre 1991 et 2002; ils sont demeurés relativement stables depuis lors. Ils sont à leur niveau le plus bas depuis 30 ans.

Pour replacer ces chiffres dans leur contexte, il faut mentionner qu'un vol qualifié sur huit est commis à l'aide d'une arme à feu — soit 12 p. 100 des vols qualifiés. Ce sont des infractions commises fréquemment, mais elles sont moins souvent commises à l'aide d'une arme à feu que les homicides ou les tentatives de meurtre.

Cela ne figure pas sur votre graphique, mais les vols qualifiés commis à l'aide d'une arme autre qu'une arme à feu — un couteau, par exemple — sont demeurés relativement stables depuis les 15 dernières années.

Nous pouvons également examiner les voies de fait, une catégorie de crimes violents. La diapositive 8 contient un tableau qui montre l'évolution des voies de fait graves sur plusieurs années.

La plupart des voies de fait commises au Canada sont des voies de fait de niveau 1, qui est la catégorie des voies de fait les moins graves. Cependant, comme le montre la ligne bleue du graphique, le taux combiné des voies de fait graves et des voies de fait commises à l'aide d'une arme à feu ou ayant causé des lésions corporelles a régulièrement augmenté. Il a augmenté de 57 p. 100 depuis 1983. Le taux de 2006 représente un sommet depuis la création de ces infractions en 1983.

Le taux des voies de fait graves est principalement déterminé par les voies de fait armées ou causant des lésions corporelles — les voies de fait de niveau 2. Elles représentent plus de 90 p. 100 de ces infractions. En 2006, 4 p. 100 des voies de fait graves ont été commises à l'aide d'une arme à feu. Cette proportion est demeurée relativement stable depuis une dizaine d'années.

Nous ne l'avons pas indiqué sur le graphique, mais nos données montrent que les agressions sexuelles ont atteint un sommet au début des années 1990. Elles ont reculé de 44 p. 100 depuis 1993, et moins de 0,5 p. 100 des agressions sexuelles ont été commises à l'aide d'une arme à feu en 2006.

Nous avons parlé jusqu'ici du nombre des infractions violentes graves et des tendances dans l'utilisation des armes à feu. Nos données nous permettent également de savoir comment les tribunaux traitent les infractions commises à l'aide d'une arme à feu qui sont passibles d'une peine minimale obligatoire de quatre ans d'emprisonnement.

C'est ce que montre le graphique de la diapositive 9. En 2005-2006, les tribunaux pénaux pour adultes ont réglé 211 causes dans lesquelles l'infraction la plus grave avait été commise à l'aide d'une arme à feu et qui étaient passibles d'une peine minimale obligatoire de quatre ans d'emprisonnement. Ces infractions commises à l'aide d'une arme à feu représentent un petit nombre des affaires entendues par les tribunaux pénaux pour adultes. Elles représentent moins de un pour cent de toutes ces causes.

Comme vous pouvez le voir dans le graphique, le nombre des causes concernant les armes à feu donnant lieu à des condamnations est en diminution. Le pourcentage des causes ayant entraîné une condamnation est passée de 69 p. 100 il y a dix ans, 1996-1997, à 40 p. 100 pour 2005-2006.

Nous pouvons examiner les causes mais nous pouvons également étudier toutes les accusations qui concernent une des dix infractions reliées aux armes à feu. La plupart des ces infractions ne donnent pas lieu à des condamnations — 16 p. 100 en 2005-2006. C'est un pourcentage bien inférieur à celui de 44 p. 100 enregistré il y a une dizaine d'années.

Pour terminer le tableau, toutes les affaires qui ont donné lieu à au moins une accusation d'infraction reliée aux armes à feu, qu'il s'agisse de l'infraction la plus grave ou non, représentent un total de 395 affaires en 2005-2006 — un nombre encore très faible par rapport au total des causes entendues par les tribunaux. Soixante pour cent de ces affaires ont entraîné une déclaration de culpabilité pour au moins une des accusations en 2005-2006. Quarante pour cent environ de ces affaires n'ont pas débouché sur une condamnation pour une des inculpations portées dans ces affaires.

Pour 2005-2006, nous pouvons également examiner la durée moyenne des peines d'emprisonnement imposées pour des infractions commises à l'aide d'une arme à feu. Cette durée était de 4,2 ans, contre 1,8 an pour les mêmes infractions qui n'ont pas été commises à l'aide d'une arme à feu.

Nous pouvons également examiner les plaidoyers de culpabilité. En dix ans, entre 1996 et 2005-2006, le pourcentage des causes ayant donné lieu à une déclaration de culpabilité à la suite d'un plaidoyer de culpabilité est passé de 94 à 88 p. 100.

En résumé, le nombre des affaires concernant les infractions commises à l'aide d'une arme à feu ayant donné lieu à une déclaration de culpabilité devant les tribunaux pénaux pour adultes a diminué.

Nous avons jusqu'ici principalement parlé des crimes violents, des crimes commis à l'aide d'une arme à feu et de la façon dont les tribunaux traitent ces infractions qui sont passibles de passibles d'une peine minimale obligatoire de quatre ans d'emprisonnement. Je vais maintenant passer à un autre aspect et examiner une autre série d'infractions que vous étudiez dans le cadre du projet de loi C-2. Nous allons examiner ce que nous appelons les « autres infractions sexuelles ».

En 2006, il y avait un peu moins de 3 000 infractions de ce genre. Les autres infractions sexuelles comprennent des infractions comme les contacts sexuels, l'incitation à des contacts sexuels par des personnes en situation d'autorité ou d'autres personnes, l'inceste, les relations sexuelles anales et la bestialité.

Il est très important de savoir que parmi toutes les infractions, ce sont celles qui sont le moins fréquemment rapportées à la police, compte tenu du secret qui entoure les infractions sexuelles. Notre enquête de victimisation de 2004 indiquait que 8 p. 100 seulement des infractions sexuelles étaient signalées à la police. Nous pensons que les taux de signalisation des infractions sont peut-être encore plus faibles dans le cas des personnes de moins de 15 ans.

Nos données ne nous permettent pas de répartir ces infractions entre les différentes catégories énumérées ci-dessus, mais nos données judiciaires montrent qu'environ trois quarts de ces infractions sont le plus souvent des cas de contacts sexuels.

Regardons la façon dont ces infractions ont évolué. Le taux des autres infractions sexuelles a chuté de 44 p. 100 entre 1993 et 2003. Vous pouvez constater sur ce graphique cette tendance générale à la baisse. Plus récemment, le taux a augmenté de 6 p. 100. Il a augmenté de 6 p. 100 depuis 2003.

Nos données indiquent également que les jeunes filles âgées de 12 à 14 ans constituent le groupe le plus vulnérable pour ces infractions. Nous savons également que la moitié de toutes les autres infractions sexuelles sont commises par des amis et des connaissances et plus d'un tiers par des membres de la famille.

Tout comme pour les infractions reliées à une arme à feu, nous pouvons également examiner la façon dont les tribunaux traitent ces autres infractions sexuelles. Nous savons qu'en 2005-2006, le taux de condamnation pour les autres infractions sexuelles était de 54 p. 100. Cela est comparable au taux de condamnation pour les infractions violentes générales qui s'établit à 53 p. 100. Il est un peu plus élevé que le taux des condamnations pour les agressions sexuelles, mais inférieur au taux des condamnations pour l'ensemble des infractions.

Nous savons qu'une fois la condamnation prononcée, les tribunaux traitent avec sévérité les auteurs de ces infractions. Ils imposent des peines de prison dans près de 64 p. 100 des causes concernant les autres infractions sexuelles ayant donné lieu à une déclaration de culpabilité, contre 52 p. 100 pour les agressions sexuelles et 34 p. 100 pour toutes les autres affaires ayant donné lieu à une déclaration de culpabilité.

Nous savons que la durée moyenne de l'emprisonnement imposé dans ce genre d'affaires en 2005-2006 était de 444 jours. Cette durée moyenne a en fait augmenté depuis une dizaine d'années ou depuis 1996-1997. Sa durée a augmenté de près de 30 jours par rapport à ce qu'elle était en 1996-1997.

À titre de comparaison, la durée moyenne de l'emprisonnement pour les agressions sexuelles est légèrement supérieure à 481 jours. La durée moyenne des peines d'emprisonnement pour les autres infractions sexuelles et pour les agressions sexuelles est beaucoup plus élevée que pour toutes les infractions violentes, cette durée étant de 240 jours.

Le dernier élément du projet de loi que vous étudiez que je voulais vous communiquer concernait les infractions de conduite avec facultés affaiblies ainsi que les infractions reliées aux drogues. Nous ne sommes pas en mesure de répartir les infractions de conduite avec facultés affaiblies entre celles qui sont reliées aux drogues et celles qui sont reliées à l'alcool. Cela vient du fait que le Code criminel ne prévoit qu'une seule infraction, et que c'est de cette façon que les données nous sont communiquées. Nous pouvons uniquement vous donner un aperçu général de l'évolution de ces infractions. Il est également important de noter que les tendances constatées en matière de conduite avec facultés affaiblies et d'infractions reliées aux drogues sont bien souvent fortement influencées par les pratiques d'application de la loi adoptées par la police.

Nous avons constaté une chute de 68 p. 100 du taux des infractions de conduite avec facultés affaiblies entre 1981 et 2006. Ces infractions diminuent constamment depuis le début des années 1980. Nous savons, d'après nos données judiciaires, que les infractions de conduite avec facultés affaiblies représentent un très nombre des infractions dont sont saisis les tribunaux. Elles représentent 11 p. 100 du total des infractions reliées à des lois fédérales qu'entendent nos tribunaux pénaux pour adultes. Cela représente une diminution de 15 p. 100 par rapport à ce qu'était leur nombre il y a deux ans, mais cela constitue encore un nombre assez important pour notre système judiciaire.

Pour ce qui est des drogues, nous savons que le nombre des infractions reliées au cannabis est plus élevé qu'il ne l'était au cours des années 1990, mais qu'il est plus faible qu'il y a 30 ans. Les infractions reliées au cannabis représentaient près de 90 p. 100 de toutes les infractions reliées aux drogues à la fin des années 1970 et au début des années 1980, et ce pourcentage est tombé à 60 ou 70 p. 100 ces dernières années. Nous avons constaté une forte augmentation des infractions reliées à la cocaïne au cours des cinq dernières années. Le taux de ces infractions a augmenté de 67 p. 100 depuis 2002. Il a atteint un sommet en 2006. Nous avons également constaté une augmentation pour les autres drogues, comme le crystal meth. Ces infractions sont en augmentation depuis le milieu des années 1990.

Cela vous donne un aperçu général de l'évolution de ces infractions, mais nous ne sommes pas en mesure de distinguer la conduite avec facultés affaiblies par une drogue de celle où les facultés sont affaiblies par l'alcool.

Voilà l'information que nous voulions vous communiquer ce matin et nous serons très heureux de répondre à vos questions.

Le sénateur Carstairs : D'après les statistiques que vous nous avez communiquées, nous constatons que le taux de criminalité au Canada n'est pas en forte augmentation. Et pourtant, je crois que l'on peut dire que, dans l'esprit des Canadiens, la criminalité augmente; il y aurait davantage de meurtres, d'agressions sexuelles, d'infractions reliées aux drogues, et cetera. D'après les tendances que vous avez constatées, avez-vous une idée des raisons pour lesquelles la perception et la réalité sont si différentes?

Mme Barr-Telford : Il est très difficile de répondre à cette question. Je peux parler de ce que disent nos données. Prenons, par exemple, les crimes violents. Le taux global de crimes violents est déterminé par les voies de fait mineures. Leur nombre est demeuré relativement stable depuis la fin des années 1990. Ces dernières années, nous avons constaté que certains crimes violents graves avaient augmenté. L'année dernière, il y a eu une diminution des homicides, mais au cours des deux années précédentes, nous avions constaté une augmentation. Il y a eu, ces dernières années, une augmentation du nombre des tentatives de meurtre et les vols qualifiés ont augmenté récemment. La tendance générale à long terme pour ces infractions violentes graves est une diminution, mais ces dernières années, nous avons constaté certaines augmentations. Nous avons enregistré une augmentation constante, comme je l'ai indiqué, du nombre des voies de fait graves dans nos données. Comme je l'ai dit au début, il n'y a pas une mesure unique qui fournit une image complète. Il existe des tendances différentes pour les différents types d'infractions; si la tendance générale pour les crimes violents était bien la stabilité, nous avons constaté, ces dernières années, une augmentation de certains crimes violents graves.

Le sénateur Carstairs : Je constate que vous n'êtes pas remonté aux années 1940 pour prendre vos statistiques, mais à l'époque où j'ai été élevée, la situation était très différente; je jouais tout le temps dehors et personne ne s'inquiétait du fait que j'allais dans la cour jouer au hockey avec mes frères, que je marchais pour aller à l'école, qui était à plus de deux kilomètres, que je revenais à la maison pour manger le midi, repartait à l'école ensuite et revenait chez moi le soir. Ma mère ne conduisait pas de voiture. Il n'a jamais été question de me conduire en voiture à 'école. Pourquoi est-ce que les parents canadiens ont aussi peur à l'heure actuelle? Je parle aux parents qui élèvent des enfants à l'heure actuelle et ils semblent être absolument terrifiés à l'idée de perdre de vue leurs enfants pour une minute. Comment expliquez-vous cela?

Mme Barr-Telford : Pour ce qui est des Canadiens et de leur perception de la criminalité au Canada, je peux vous fournir les données provenant de notre enquête de victimisation la plus récente, qui a été menée en 2004. La prochaine n'aura pas lieu avant 2009, de sorte que ce sont là nos données les plus récentes. Si nous comparons l'enquête de 2004 avec celle de 1999, nous constatons que les Canadiens sont davantage satisfaits sur le plan de la sécurité personnelle. En 1991, 91 p. 100 des Canadiens ont déclaré être satisfaits sur le plan de la sécurité personnelle et ce pourcentage est passé à 94 p. 100 en 2004. Je peux uniquement parler des tendances qui découlent de nos données.

Le sénateur Carstairs : Vous ne nous avez pas fourni de statistiques sur cette question, de sorte que vous ne les avez peut-être pas, mais il a été affirmé que la modification de l'âge du consentement visait à aligner nos règles, si je peux m'exprimer ainsi, avec l'âge du consentement adopté par d'autres pays. Avez-vous des données indiquant s'il y a davantage ou moins d'exploitation sexuelle des enfants Canadiens, qu'il y en a, par exemple, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, des pays où l'âge de consentement est plus élevé.

Mme Barr-Telford : Personnellement, je ne connais pas de statistiques provenant d'autres pays qui touchent ce domaine particulier. Je vais demander à mon collègue s'il en connaît.

John Turner, chef du programme des services policiers, Centre canadien de la statistique juridique : Non, nous n'avons pas trouvé de statistiques comparables sur ce sujet provenant d'autres pays.

Le sénateur Carstairs : D'après ce que vous savez, ce changement n'est donc pas fondé sur des études; il repose simplement sur l'idée qu'il serait peut-être souhaitable de relever l'âge du consentement.

Mme Barr-Telford : Je ne peux pas vous mentionner les autres sources de données qui ont pu être utilisées. Il n'y a pas, d'après ce que je sais, à notre disposition, à Statistique Canada, d'autres séries de données qui nous permettraient d'examiner cette question.

Le sénateur Andreychuk : Merci pour ce document qui nous sera extrêmement utile. Je suis heureuse de constater que nous avons commencé à obtenir des renseignements de ce genre. Je me souviens de l'année où le centre a été créé. Je connaissais le premier directeur. Cela constituait un problème et nous avons toujours dit qu'il fallait suivre les tendances. C'était toujours ce qui manquait dans nos analyses.

Vous contentez-vous de suivre les statistiques générales avec toutes les difficultés que cela comporte ou procédez- vous à des analyses qui vous montrent qu'en 1991, par exemple, les lois A, B, C et D ont été modifiées; êtes-vous en mesure de savoir s'il y a eu des interventions sur le plan du droit par opposition aux mesures préventives et quel a été l'effet de tout cela? Autrement dit, j'aimerais savoir si vous nous avez fourni des données brutes et si ce sera à nous de déterminer les raisons pour lesquelles ces chiffres ont augmenté ou diminué ou est-ce que vous les reliez à d'autres facteurs? Je pense que le premier serait les modifications au Code criminel.

Mme Barr-Telford : Pour ce qui est des changements législatifs, nous savons à quel moment ces changements ont été apportés, par exemple, les dispositions relatives aux peines minimales obligatoires. Nous sommes en mesure de faire ressortir ces changements dans les tendances qui ressortent des données, mais il est très difficile d'établir un lien direct avec un facteur unique qui serait susceptible de déterminer le nombre d'un type d'infraction donnée. Il y a toutes sortes de facteurs qui ont un effet sur le niveau de la criminalité. Certaines analyses ont étudié l'effet sur les crimes économiques, les vols qualifiés et les introductions par effraction, par exemple, et leur corrélation avec les taux d'inflation. On a effectué des analyses sur les structures d'âge et leur rapport avec les introductions par effraction. Il y a toutes sortes de différents facteurs qui influencent les tendances en matière de criminalité et qui rendent difficiles l'établissement d'un lien avec un facteur unique. Nous savons à quel moment les diverses modifications législatives ont été apportées et celui où un changement est introduit dans le Code criminel, cela se reflète dans les données que nous obtenons. Par exemple, lorsque les autres infractions sexuelles ont été créées en 1983, nous avons commencé immédiatement à recueillir des données à ce sujet. Nous pouvons suivre l'évolution de ces chiffres, mais il est difficile d'établir des liens directs.

La présidente : Sénateur Andreychuk, puis-je poser une question supplémentaire sur ce sujet?

Le sénateur Andreychuk : Certainement.

La présidente : Madame Barr-Telford, le sénateur Andreychuk a mentionné précisément l'année 1991. En particulier, dans les premières diapositives que vous avez présentées, il semble que 1991 soit une année charnière. Il semble qu'on ait constaté un changement important dans un certain nombre des diapositives concernant cette année. Avez-vous, grâce à toutes ces analyses, une idée de ce qui s'est produit cette année-là?

Mme Barr-Telford : Il s'est fait pas mal d'études dans différents domaines pour essayer de savoir ce qui est arrivé. Nous avons constaté des augmentations assez brutales au cours des années 1970, 1980 et au début des années 1990, pour ensuite enregistrer une diminution régulière du taux de la criminalité par la suite. La plupart des infractions que vous avez vues aujourd'hui ont atteint un sommet à cette époque.

Il y a différentes façons d'examiner cette situation. Certains ont étudié l'effet qu'avait eu la modification de la structure des groupes d'âge dans la population sur ce phénomène. Il n'existe toutefois pas de facteur unique qui influence toutes les infractions de la même façon. C'est la raison pour laquelle je ne peux pas vous fournir une réponse simple à la question de savoir comment cela s'explique.

La présidente : Il semble qu'il y ait eu une convergence de toutes sortes d'influences.

Mme Barr-Telford : Il est probable que de nombreux facteurs ont joué.

M. Turner : Je pense qu'on a constaté la même évolution aux États-Unis. Les chiffres ont atteint un sommet au début des années 1990, et il n'y a pas de facteur unique qui explique ce fait. On a examiné les aspects démographiques, mais cela n'expliquait pas tout; ce n'était pas simple.

Le sénateur Andreychuk : Je vais revenir à ma question. Si j'ai bien compris votre témoignage, les taux globaux de criminalité n'ont pas augmenté. En fait, dans certains cas, ils ont diminué. Cependant, ces dernières années, le nombre des crimes violents graves a commencé à augmenter. Vous avez fait remarquer que vos données les plus récentes provenant des services de police et des enquêtes de victimisation montrent qu'en 2004, la population était en général satisfaite de sa sécurité. Les crimes violents graves sont apparus dans vos statistiques ces dernières années.

Je ne comprends pas très bien les graphiques et ce genre de choses. Ai-je raison de dire que les gens ont déclaré en 2004 et pour la décennie qui précède qu'ils se sentaient raisonnablement en sécurité? Cela explique peut-être pourquoi nos électeurs nous parlent maintenant d'un grave malaise, parce que les crimes violents graves, et j'insiste sur le mot « violent », sont en train d'augmenter. Ce n'est donc pas une question de chiffres mais une question des effets de la violence. Est-ce bien cela?

Mme Barr-Telford : Vous avez certainement raison de dire que c'est en 2004 que Statistique Canada a posé cette question pour la dernière fois aux Canadiens, et que 94 p. 100 d'entre eux ont déclaré qu'ils étaient satisfaits sur le plan de la sécurité personnelle à ce moment-là. Je n'ai pas de données plus récentes à vous offrir à titre d'explication.

Les diapositives 5 et 6 apportent une réponse à l'autre question relative à l'évolution des tendances concernant ces crimes violents graves. Nous avons constaté à long terme, d'une façon générale, une diminution des homicides, des tentatives de meurtre et des vols qualifiés. Ce n'est que tout récemment que nous avons constaté une certaine augmentation de ces crimes violents graves.

Pour les vols qualifiés, nous savons que leur nombre n'est pas déterminé par celui des vols qualifiés commis à l'aide d'une arme à feu, par exemple. Ces chiffres sont très stables depuis la fin des années 1990.

La diapositive 6 montre l'évolution du nombre total des homicides reliés à une arme à feu. Pour les infractions commises à l'aide d'une arme à feu, la tendance générale indique très clairement une diminution et nous avons constaté depuis 1991 que le nombre des armes de poing utilisées pour commettre des homicides au Canada était demeuré très stable.

Comme je l'ai dit, il n'y a pas une façon unique d'examiner la situation. Le taux des homicides et des meurtres diminue, d'une façon générale, de façon régulière. Nous avons toutefois enregistré récemment des augmentations pour les crimes violents graves.

Le sénateur Andreychuk : Si l'on regarde la diapositive 6, de combien d'affaires parlons-nous? Vos chiffres ne vont que jusqu'en 2005. Il n'y a rien pour 2006.

Mme Barr-Telford : L'année 2006 est le dernier point de ce graphique. Il n'y a pas d'indication.

Le sénateur Andreychuk : Pour le compte rendu, j'aimerais savoir combien il y a eu, en 2006, d'homicides commis avec des carabines et combien ont été commis à l'aide d'armes de poing?

Mme Barr-Telford : Il y a environ 600 homicides de commis chaque année et nous sommes en mesure de les répartir pour vous entre ceux qui ont été commis à l'aide d'armes de poing et ceux qui l'ont été à l'aide d'une carabine ou d'un fusil de chasse.

M. Turner : En 2006, 108 homicides ont été commis à l'aide d'une arme de poing, 36 à l'aide d'une carabine ou d'un fusil de chasse, 24 à l'aide d'un fusil de chasse à canon scié et le reste avec d'autres types d'armes à feu. Il y a eu au total 190 homicides commis à l'aide d'une arme à feu.

Mme Barr-Telford : Il y a eu en tout 190 homicides reliés aux armes à feu. Cela représente environ un tiers de l'ensemble des homicides.

Le sénateur Andreychuk : Le graphique 8 indique que les voies de fait graves sont à leur plus haut niveau en 25 ans. Je comprends que la plupart des voies de fait, six sur dix, sont des voies de fait mineures. Est-il bien exact que les voies de fait graves soient à leur niveau le plus élevé depuis 25 ans?

Mme Barr-Telford : C'est une combinaison des voies de fait de niveaux 2 et 3. Les voies de fait de niveau 2 sont celles qui sont commises avec une arme ou qui causent des lésions corporelles, et le voies de fait de niveau 3 sont les voies de fait graves. Nous avons constaté une augmentation régulière du nombre de ces infractions. En 2006, près de 4 p. 100 de ces infractions ont été commises à l'aide d'une arme à feu.

Le sénateur Andreychuk : Les voies de fait mineures n'augmentent donc pas, mais les voies de fait graves augmentent.

Mme Barr-Telford : Oui, nous avons constaté que les voies de fait de niveau 1, les voies de fait simples, sont demeurées relativement stables pendant cette période. Cependant, elles représentent, en raison de leur nombre six crimes violents sur dix.

Le sénateur Andreychuk : Dans les statistiques concernant les jeunes, à la diapositive 10, on constate, depuis 1993, une diminution des autres infractions sexuelles. Cependant, il y a une question inquiétante que je me pose non seulement depuis 10 ans mais que je me posais pendant ma pratique et ensuite, à la magistrature. Dites-vous que les jeunes filles âgées de 12 à 14 ans constituent le groupe le plus vulnérable pour les infractions sexuelles?

Mme Barr-Telford : Oui, pour ces autres infractions sexuelles.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez indiqué que leur taux avait augmenté depuis 2003. Les filles âgées de 12 à 14 ans sont les plus vulnérables comme l'indiquent les statistiques et près de la moitié des autres infractions sexuelles sont commisses par des amis et des connaissances alors que plus d'un tiers sont commises par des membres de la famille.

Mme Barr-Telford : C'est exact.

Le sénateur Andreychuk : C'est ce qui est le plus difficile à expliquer. Affirmez-vous qu'il existe des tendances plus positives dans d'autres domaines, mais que l'autre moitié des autres infractions sexuelles commises par des amis, des connaissances et des membres de la famille est un chiffre inquiétant parce qu'il est en augmentation?

Mme Barr-Telford : Nous disons que, si vous examinez l'ensemble de ces infractions, vous constaterez qu'environ la moitié d'entre elles ont été commises par des amis ou des connaissances et que près d'un tiers l'ont été par des membres de la famille. La tendance générale ne fait pas référence à la relation qui peut exister entre l'accusé et la victime. Cela représente simplement le pourcentage de ces infractions qui ont été commises en 2006 par des amis, des connaissances ou des membres de la famille.

La présidente : Sénateur Andreychuk, nous allons vous inscrire pour le deuxième tour de questions. Nous avons un problème de temps. Tout cela est fascinant, mais le problème vient du fait que tous les sénateurs le pensent.

Le sénateur Baker : Habituellement, je suis très impressionné par le travail qu'effectuent Statistique Canada et votre division, mais en particulier votre division, parce que, comme vous le savez, vous êtes très souvent citée dans la jurisprudence. Au cours de toutes ces années, vous avez été citée pour votre exactitude et pour vos statistiques. Aujourd'hui, je ne suis pas très satisfait de votre exposé et je vais vous dire pourquoi.

Je prends la section intitulée « Les affaires de conduite avec facultés affaiblies sont en baisse soutenue depuis le début des années 1980 ». N'oublions pas que ce projet de loi a pour effet d'introduire dans notre droit des changements particulièrement intrusifs pour les Canadiens ordinaires, comme nous n'en avons pas vu depuis au moins 20 ans. Pour la première fois, le droit canadien va obliger les personnes qui prennent des médicaments prescrits par ordonnance à effectuer au bord de la route des tests de coordination physique. Cela modifie profondément notre droit et bien sûr les avocats nous ont dit qu'ils contesteraient la constitutionnalité de ce projet de loi parce que les statistiques existantes ne permettent pas de justifier ce que l'on appelle en droit une « détention arbitraire ». L'article 1 de la Charte ne permettra pas de préserver ce projet de loi à moins que votre division ne présente des statistiques qui justifient ce genre de détention arbitraire.

J'espère que vous me suivez bien, parce que les statistiques que vous présentez sur l'ensemble de cette page traitent de la conduite avec facultés affaiblies et que le projet de loi parle de drogues, plus précisément de conduite avec facultés affaiblies par l'effet d'une drogue et non pas de capacités affaiblies par l'effet de l'alcool.

Sous le titre « conduite avec facultés affaiblies », à la diapositive 11, vous présentez les points suivants : Les tendances des infractions relatives aux drogues sont déterminées surtout par les infractions reliées au cannabis, normalement la possession; les infractions reliées au cannabis sont plus courantes qu'elles ne l'étaient en 1990, mais moins fréquentes qu'il y a 30 ans; les infractions reliées à la cocaïne ont grimpé de façon spectaculaire depuis cinq ans et les infractions reliées aux autres drogues, comme le crystal meth, sont en hausse depuis le milieu des années 1990. Tout cela figure sous le titre : Conduite avec facultés affaiblies. Affirmez-vous qu'il y a eu une augmentation brutale des infractions de conduite avec facultés affaiblies par la cocaïne au cours des cinq dernières années, et qu'il y a eu une augmentation importante des infractions de conduite avec facultés affaiblies par le crystal meth, depuis le milieu des années de 1990? Est-ce bien ce que vous dites dans ce tableau?

Mme Barr-Telford : Non, ce n'est pas ce que nous disons dans ce tableau.

Le sénateur Baker : Pourquoi dites-vous alors cela?

Mme Barr-Telford : Comme je l'ai dit dans les remarques que j'ai faites au sujet de cette diapositive, nous sommes limités par le fait que les infractions de conduite avec facultés affaiblies sont regroupées sous une seule infraction du Code criminel. Nous obtenons nos statistiques de cette façon. Nous ne sommes pas en mesure de distinguer la conduite avec facultés affaiblies par la drogue de la conduite avec facultés affaiblies par l'alcool, et c'est bien évidemment une des limites de ces données.

Le sénateur Baker : Très bien. Permettez-moi alors de vous poser cette question, parce qu'elle est importante. La Cour suprême du Canada, la cour de niveau supérieur à celle où vous siégiez, a utilisé les statistiques du Centre canadien de la statistique juridique en matière de conduite avec facultés affaiblies, en 1992, dans l'affaire R. c. Bernshaw et dans de nombreuses affaires par la suite pour justifier la détention arbitraire au bord de la route, sans avoir le droit de consulter un avocat, dans le but d'administrer un test à la suite duquel il est déterminé si vous avez échoué ou non au test, ce qui constituera ensuite un motif raisonnable de croire que vos facultés sont affaiblies et justifiera qu'il vous soit demandé de subir un alcotest. Les statistiques que les juges ont utilisées pour justifier ce processus provenait de votre division, mais écoutez bien la façon dont sont formulées les statistiques provenant de votre division : « [...] l'alcool est un facteur présent dans 43 p. 100 des accidents de véhicule à moteur ayant causé la mort ou des blessures ». Vous ne dites pas « L'alcool et les drogues ». Toutes les statistiques provenant de votre direction parlent d'« alcool ». Elles ne parlent pas d'alcool et de drogues.

Affirmez-vous que vous étiez à cette époque, comme vous l'êtes aujourd'hui, incapable de distinguer les infractions reliées à l'alcool de celles qui étaient reliées aux drogues? En fait, ce n'est pas une statistique concernant l'alcool qui a été utilisée par nos tribunaux depuis 20 ans, mais une statistique qui concerne les conducteurs dont les facultés sont affaiblies par l'alcool et les drogues.

Mme Barr-Telford : J'aimerais dire un certain nombre de choses au sujet de vos remarques. J'inviterais également M. Turner à intervenir s'il a des précisions à apporter au sujet des définitions et des différents aspects de cette infraction particulière.

Le Centre canadien de la statistique juridique signale toujours clairement les forces et les faiblesses des données qu'il recueille. Une des politiques que nous appliquons régulièrement consiste à préciser clairement la qualité des données fournies. Lorsque les données comportent des limitations, nous en tenons compte.

Dans ce cas-ci, une des limitations des données est que, par la nature de sa définition, nous ne pouvons pas distinguer la conduite avec facultés affaiblies par une drogue de la conduite avec facultés affaiblies par l'alcool. Nous admettons également au sujet de cette infraction particulière que les données sont limitées par le fait, comme je l'ai dit dans mes remarques préliminaires, que les pratiques d'application de la loi adoptées par les services de police influencent particulièrement les infractions de conduite avec facultés affaiblies, que ce soit par l'alcool ou par une drogue.

M. Turner : Nous recueillons ces données directement auprès des services de police sous la catégorie conduite avec facultés affaiblies. Nous ne faisons pas de distinction et nous ne sommes pas en mesure d'établir une distinction entre l'alcool et les drogues. C'est la façon dont ces données sont consignées dans le rapport. Nous parlons uniquement de conduite avec facultés affaiblies.

Le sénateur Baker : Comprenez-vous l'importance de la question qui est posée? Est-ce que le comité de la Chambre des communes vous a posé cette question? On a certainement dû vous poser cette question lorsque vous avez comparu devant la Chambre des communes au sujet de ce projet de loi.

Mme Barr-Telford : Nous n'avons pas comparu au sujet de ce projet de loi.

Le sénateur Baker : Eh bien, cela ne me surprend pas, parce que de toute façon, la Chambre des communes ne fait pas du bon travail avec les projets de loi. Elle ne l'a jamais fait. J'y ai siégé pendant 30 ans et j'étais membre des comités de la justice.

Comprenez-vous l'importance de la question que je vous pose? Nous avions tous hâte de savoir exactement quelle était la situation, parce que ces nouvelles mesures vont toucher des personnes innocentes qui prennent des médicaments pour l'arthrite et qui conduisent trop lentement, ce qui est un indice de facultés affaiblies. Lorsqu'un policier les arrêtera, parce qu'il est illégal de conduire trop lentement selon le Code de la route de toutes les provinces, si leur haleine n'est pas chargée d'alcool, la loi obligera le policier à leur demander s'ils ont pris une drogue. La procédure applicable dans ce genre de situation, qui constitue une violation du droit aux services d'un avocat dans le cadre d'une arrestation, repose sur la confirmation de la validité de cette loi aux termes de l'article premier de la Charte à titre de limite raisonnable apportée aux droits des citoyens selon la Charte canadienne des droits et libertés.

Vous affirmez qu'il n'existe aucune donnée statistique qui justifie la détention des automobilistes pour les obliger à effectuer au bord de la route ces tests de coordination physique que nous nous apprêtons à adopter sous forme législative. Vous dites que ces chiffres n'existent pas. C'est déjà une grave lacune, mais lorsque je pense à ce qui existait pour justifier l'obligation de souffler dans un alcootest au bord de la route qui a été reconnue par la Cour suprême du Canada et tous les autres tribunaux, je constate qu'ils utilisaient des statistiques que vous leur aviez fournies et qui traitent uniquement de l'alcool. J'ai ici les chiffres que la Cour suprême du Canada a utilisés et qui concernent uniquement, d'après vos dires, les facultés affaiblies par l'alcool. Vous n'avez pas dit affaiblies par l'alcool et les drogues. Nous savons que la loi parle d'alcool et de drogue mais vos statistiques étaient fondées sur l'affaiblissement des facultés par l'alcool qui justifiait l'obligation de passer un alcootest. Il n'y a donc rien qui justifie le test de coordination physique, ce qui fait ressortir toute l'importance de cet aspect.

Je suis désolé, madame la présidente, mais c'est une question très importante.

La présidente : Vous l'avez très clairement précisé. Je suis convaincue que les témoins ont compris votre question. Peuvent-ils y répondre?

Le sénateur Baker : Ils font de l'excellent travail. Je ne suis pas en train de critiquer ce qu'ils font. Je m'inquiète du fait qu'il n'y a pas de statistiques capables de justifier ce projet de loi.

La présidente : Puis-je intercaler une question subsidiaire? Est-il concevable que les juges de la Cour suprême du Canada aient mal interprété une de vos diapositives?

Le sénateur Andreychuk : Je ne pense pas qu'on puisse leur reprocher cela.

Mme Barr-Telford : Je ne connais pas très bien les données qui ont été utilisées dans cette affaire. Je ne connais pas très bien les avertissements qui accompagnaient les données demandées au Centre canadien de la statistique juridique et je ne connais pas très bien non plus si les juges ont dans cette décision utilisé des données tirées de publications existantes de Statistique Canada.

Il m'est très difficile de faire des commentaires sur la façon dont ces données ont été utilisées parce que je ne connais pas les circonstances dans lesquelles ces données ont été fournies, ni la source dont elles sont tirées.

Le sénateur Di Nino : Avez-vous une répartition géographique des chiffres que vous avez fournis ce matin?

Mme Barr-Telford : Oui.

Le sénateur Di Nino : Pouvez-vous me fournir les statistiques concernant la Région du Grand Toronto?

M. Turner : Quels genres de crimes vous intéressent?

Le sénateur Di Nino : Disons pour le moment les crimes violents graves, les infractions sexuelles et les autres.

La présidente : Sénateur Di Nino, il est très intéressant d'obtenir une répartition plus détaillée des données, mais si vous pouviez dire au témoin quelles sont les données précises que vous souhaitez obtenir, il pourrait nous les fournir. Entre-temps, nous pourrions continuer à poser des questions. Cela vous semble-t-il raisonnable?

Le sénateur Di Nino : Oui, c'est parfait. Je m'intéresse aux voies de fait graves et à l'utilisation des armes à feu, ainsi qu'aux infractions sexuelles.

Mme Barr-Telford : Nous serons heureux de vous fournir ces renseignements.

Le sénateur Di Nino : Il est possible que ma question soit injuste; si c'est le cas, dites-le moi. Les statistiques vont- elles montrer que le nombre des infractions graves commises à l'aide d'une arme à feu a augmenté plus fortement dans la Région du Grand Toronto — et probablement dans les autres grands centres urbains comme Winnipeg et Vancouver — qu'à l'échelle nationale?

Mme Barr-Telford : Je peux vous donner un élément d'information à ce sujet et nous vous transmettrons plus tard les réponses à ces questions. Le nombre des jeunes accusés d'avoir commis des crimes violents à l'aide d'une arme à feu à Toronto est beaucoup plus élevé que la moyenne nationale.

Le sénateur Di Nino : Il est important de bien comprendre cet aspect. Je viens de Toronto et la plupart des résidents sont très inquiets à l'idée de ce qui peut se passer lorsqu'ils marchent dans la rue.

J'ai été choqué par les statistiques relatives aux autres infractions sexuelles. Certains considèrent que ces infractions ne sont pas très graves. Je ne suis pas d'accord avec eux. Avez-vous bien dit que 8 p. 100 seulement de ces affaires étaient signalées? Est-ce bien exact, d'après vous?

Mme Barr-Telford : Un des points forts des données obtenues grâce aux enquêtes de victimisation est que nous pouvons demander aux Canadiens s'ils ont signalé un incident donné à la police. Lorsqu'ils ne l'ont pas fait, nous leur demandons pourquoi.

Les données de 2004 indiquent qu'environ 8 p. 100 des infractions sexuelles sont rapportées à la police. Ce sont les infractions qui risquent le moins d'être signalées à la police. La population que nous avons interrogée était celle des personnes de 15 ans et plus et nous pensons que le taux de signalisation des personnes de moins de 15 ans était même encore plus faible.

La dernière diapositive de votre document, qui traite des données provenant de ces enquêtes, fournit le pourcentage des infractions qui ont été rapportées à la police en 1999 et en 2004.

Le sénateur Di Nino : Il semble que ces infractions se soient multipliées et que cela n'est pas signalé.

Ce chiffre est-il le même pour les filles et les garçons, ou pensez-vous que les garçons signaleraient encore moins fréquemment ce genre d'infraction?

Mme Barr-Telford : Ces données ne sont pas ventilées selon le sexe. Le chiffre des signalisations est très faible — 8 p. 100 en tout.

Le sénateur Di Nino : Ai-je raison de penser que les renseignements que vous avez obtenus concernaient les enfants de 14 ans et moins?

Mme Barr-Telford : Parlez-vous des données en matière de signalisation ou des autres infractions sexuelles?

Le sénateur Di Nino : De tout cela.

Mme Barr-Telford : Les autres infractions sexuelles sont définies par le Code criminel du Canada. Elles regroupent, par exemple, les articles 151, 152 et 153. Elles sont définies par le Code criminel du Canada et la plupart de ces infractions prévoient des limites d'âge. Ces limites ne sont pas toutes les mêmes mais il y a des définitions au sein de la définition de l'infraction dans le Code criminel.

Le sénateur Joyal : Certains affirment, avec l'appui de nombreux commentaires faits publiquement, que les peines de prison imposées sont trop clémentes. Cela alimente bien sûr la perception selon laquelle le système fonctionne mal.

Vous avez fourni des statistiques au sujet des peines d'emprisonnement. La diapositive 9 traite des infractions commises à l'aide d'une arme à feu et la diapositive 10 des infractions sexuelles.

Pouvez-vous faire un commentaire au sujet de cette perception? Estimez-vous que les tribunaux ont tendance à augmenter et non à réduire les peines pour certaines types d'infractions? Ai-je mal compris les statistiques? La perception générale concernant certains types d'infractions n'est-elle pas appuyée par vos données?

Mme Barr-Telford : Je peux parler des infractions mentionnées ici et j'inviterais M. Grimes à parler de l'évolution générale des peines imposées par les tribunaux pour adultes. Pour ce qui est des autres infractions sexuelles auxquelles nous avons fait référence, nous avons effectivement constaté une augmentation de la durée moyenne de l'emprisonnement pour ce type d'infraction. Cette durée a en fait augmenté de 30 jours au cours de la dernière décennie. Elle est passée de 414 à 444 jours. Pour ce qui est de cette infraction particulière, nous avons effectivement constaté une augmentation de la durée moyenne de l'emprisonnement.

Pour ce qui est des infractions reliées aux armes à feu dont nous avons parlé, la durée moyenne de la peine était de 4,2 ans. Cette durée est beaucoup plus longue que celles de 1,8 an qui étaient imposées pour les mêmes infractions et qui ne comportaient pas comme caractéristique d'avoir été commises à l'aide d'une arme à feu; il s'agit donc d'une peine plus forte.

M. Grimes sera peut-être en mesure de vous parler des tendances plus générales concernant d'autres types d'infractions.

Le sénateur Joyal : Vous en avez parlé uniquement à l'égard de ces deux infractions mais vos données concernent bien sûr d'autres infractions. J'aimerais savoir si la durée des peines imposées a tendance à augmenter ou à diminuer.

Craig Grimes, chef d'unité, Programme des tribunaux, Centre canadien de la statistique juridique : Je peux vous fournir quelques chiffres maintenant, mais si vous voulez davantage de chiffres concernant les tendances générales de certaines infractions, je pourrais les communiquer à la présidente.

Le sénateur Joyal : Oui, bien sûr.

M. Grimes : Comme les diapositives le mentionnent, parmi les personnes déclarées coupables, 34 p. 100 d'entre elles reçoivent une peine d'emprisonnement et 4 p. 100 des condamnations avec sursis. Cela concerne l'ensemble des infractions. Trente et un pour cent font l'objet d'une ordonnance de probation, 27 p. 100 reçoivent une amende et 5 p. 100 une autre peine. C'est la peine la plus grave qui est imposée à l'égard de ces condamnations

La différence entre ces chiffres et ceux d'il y a dix ans est qu'il y a dix ans, 30 p. 100 des condamnés recevaient une peine de prison, c'est-à-dire la peine la plus sévère imposée pour une déclaration de culpabilité.

Le sénateur Joyal : Il y a donc eu une augmentation de 3 p. 100.

M. Grimes : C'est une faible augmentation et ce chiffre est demeuré relativement stable depuis que nous recueillons ces données, c'est-à-dire celles qui concernent les causes et les accusations portées devant les tribunaux pénaux pour adultes relatives à des lois fédérales.

Le sénateur Joyal : Pour ce qui est des autres types de peine — sursis, probation, amende — y a-t-il une certaine stabilité ou une réduction dans les données statistiques les plus fréquentes que vous nous avez fournies?

M. Grimes : Nous n'avons aucune donnée au sujet des condamnations avec sursis imposées il y a dix ans. Cette peine a été introduite il y a environ dix ans. Pour la probation, 29 p. 100 ont fait l'objet d'une ordonnance de probation contre 31 p. 100 en 2005-2006; 38 p. 100 ont été condamnés à une amende en 1996 contre 27 p. 100 en 2005-2006; en outre, au cours de cette période, la façon dont les amendes peuvent être payées a été modifiée. On procède désormais à un examen des ressources financières mais il faut d'abord établir que l'accusé est en mesure de payer une amende avant de lui en imposer une; 3 p. 100 ont fait l'objet d'une autre décision.

Le sénateur Joyal : En d'autres termes, il n'y a pas de tendance qui indique que les tribunaux imposent aujourd'hui des peines plus légères pour la même infraction, si j'ai bien compris vos statistiques. Ai-je déformé votre conclusion? N'y a-t-il pas en fait une tendance qui montre les peines ont légèrement augmenté?

M. Grimes : Pour ce qui est du nombre de personnes condamnées à l'emprisonnement, les pourcentages sont à peu près les mêmes, il y a très peu de différence, mais il y a eu une augmentation de la durée moyenne des peines pour certaines de ces infractions. J'ai certains de ces chiffres avec moi ici.

Pour certaines infractions, comme les agressions sexuelles et les autres infractions sexuelles, dont nous avons parlé aujourd'hui, la durée moyenne a augmenté d'environ 30 jours.

Le sénateur Joyal : Oui, vous l'avez mentionné.

M. Grimes : Dans l'ensemble, pour toutes les infractions, la durée moyenne de la peine est passée de 140 à 125 jours pendant cette période. Pour les infractions violentes, elle est passée de 246 jours en 1996 à 240 jours en 2005-2006, et cette tendance n'indique pas une diminution ou une augmentation régulière; ces chiffres ont oscillé pendant cette période. Je vais communiquer ces données à la présidente.

Le sénateur Joyal : Avez-vous des statistiques au sujet de la population canadienne qui est touchée par ces statistiques? En d'autres termes, et je vais être plus précis, pourriez-vous nous fournir les données concernant la population autochtone pour les infractions dont vous avez parlé ce matin? Nous pourrions savoir ainsi quel est l'effet de ces crimes et de ce projet de loi sur la population qui risque d'être le plus directement touchée par un changement au Code criminel relié à ces infractions.

M. Grimes : Eh bien, les données relatives aux causes que nous avons présentées constituent un regroupement des accusations portées contre une personne donnée. Une cause relative à cette période débouche sur une sanction contre une personne. Je ne peux pas parler de l'effet sur les victimes ou de la victimisation à partir des données judiciaires, mais une cause représente une cause contre une personne.

Le sénateur Joyal : Oui, mais permettez-moi d'être plus précis. Avez-vous des données statistiques qui montrent quel est le pourcentage de la population autochtone par rapport à toutes les personnes déclarées coupables d'une agression ou de voies de fait graves? J'aimerais obtenir les mêmes renseignements pour le vol qualifié commis à l'aide d'une arme à feu, pour l'agression sexuelle et les autres infractions sexuelles. En d'autres termes, pour ce qui est de la répartition de la population canadienne parmi ces infractions, quel est le pourcentage d'Autochtones?

M. Grimes : Les seules caractéristiques des accusés dont je dispose sont l'âge et le sexe.

Le sénateur Oliver : Pas la race?

La présidente : Sénateur Joyal, et je m'adresse à tous les sénateurs, si vous voulez obtenir des données particulières, et si vous me le faites savoir aujourd'hui, je transmettrai votre demande aux témoins qui pourront peut-être nous les fournir la semaine prochaine, ce qui serait fort utile.

Monsieur Turner, vouliez-vous ajouter une brève remarque?

M. Turner : Il y a un certain nombre de services de police qui nous fournissent des données relatives à l'identité autochtone. Nous pouvons vous dire quel est le nombre des victimes et des accusés dans ces collectivités. Il y a une zone d'incertitude assez importante dans ce domaine mais nous disposons quand même de certaines données.

Le sénateur Joyal : Je serais heureux de les obtenir, monsieur.

La présidente : Nous allons arrêter la séance dans 15 minutes. Nous avons trois sénateurs, et 15 minutes.

Le sénateur Watt : Ma question va porter sur le même sujet que celui que vient de soulever le sénateur Joyal. D'après les renseignements que j'ai obtenus, pour ce qui est d'une province particulière, on prétend que 85 p. 100 des personnes qui se trouvent en prison en Saskatchewan sont d'origine autochtone. Dans le reste du Canada, ce chiffre est de 21 p. 100. Je ne sais pas si ces chiffres sont exacts.

Qui décide des statistiques à transmettre? Quels sont les critères utilisés pour décider quelles sont les données à transmettre?

Mme Barr-Telford : Le Centre canadien de la statistique juridique est une division de Statistique Canada, de sorte que nous faisons partie du cadre statistique des statistiques nationales. Notre division est également l'organe opérationnel de l'Entreprise nationale relative à la statistique juridique, ENSJ. Nous nous réunissons régulièrement, deux fois par an, avec un groupe d'agents de liaison et nous rencontrons également divers autres groupes intéressés. Nous procédons à une large consultation au sujet des données dont ont besoin la communauté judiciaire canadienne et le public canadien et nous prenons ensuite des décisions à ce sujet.

Nous fonctionnons au sein du cadre statistique national de Statistique Canada. Nous fonctionnons également au sein de l'Entreprise nationale relative à la statistique juridique où nous prenons des décisions en consultation avec de nombreux groupes intéressés au sujet des types de données à rassembler; nous identifions les domaines pour lesquels nous manquons de données, par exemple ceux dont nous avons parlé aujourd'hui; nous examinons la possibilité de combler les lacunes en matière de données et de modifier de différentes façons les programmes de statistiques. Nous procédons de façon largement consultative.

Le sénateur Watt : J'imagine que vous faites la même chose pour les Autochtones?

Mme Barr-Telford : Cela comprend tout le monde.

Le sénateur Watt : Ces données sont-elles enregistrées de façon distincte des données générales?

Mme Barr-Telford : Pour ce qui est de nos données de statistiques juridiques?

Le sénateur Watt : Oui.

Mme Barr-Telford : Comme l'a dit M. Turner, l'identité autochtone figure dans certaines de nos enquêtes statistiques. Nous disposons de certains éléments d'information dans notre programme de services correctionnels, par exemple, au sujet de l'identité autochtone et ce genre de chose.

Nous sommes disposés à fournir au comité tous les renseignements que nous possédons, si vous pouvez nous poser des questions précises.

Le sénateur Merchant : Je vais vous poser d'un seul coup toutes mes questions. Les données relatives aux infractions violentes semblent indiquer que la plupart ne sont pas commises à l'aide d'une arme. Pouvez-vous me dire quel est le pourcentage des infractions violentes commises à l'aide d'une arme? Quelle est l'arme la plus fréquemment utilisée? Pouvez-vous me donner le pourcentage des infractions violentes associées à une arme à feu?

Pensez-vous que le projet de loi C-2 ne permettra peut-être pas de lutter contre les crimes violents, ce qui est son objectif? Pourquoi attache-t-on autant d'importance aux infractions reliées aux armes à feu?

Mme Barr-Telford : Eh bien, nous allons commencer par quelques statistiques que M. Turner va vous fournir au sujet du pourcentage des crimes violents. La plupart des crimes violents ne sont pas commis à l'aide d'une arme à feu. Nous allons vous donner une répartition.

M. Turner : Au Canada, en 2006, 18 p. 100 des crimes violents étaient reliés à une arme. Parmi ces armes, 2,4 p. 100 étaient des armes à feu, 6 p. 100 des couteaux, 3 p. 100 des bâtons ou des instruments contondants. La méthode la plus couramment utilisée pour les crimes violents était la force physique, dans presque 60 p. 100 des cas, venaient ensuite les menaces avec environ 15 p. 100 des cas. Cela vous donne une idée de la fréquence avec laquelle sont utilisées les trois groupes principaux, à savoir les armes, la force physique et les menaces.

Le sénateur Merchant : Pouvez-vous me dire si vous pensez que le projet de loi C-2 est la bonne façon de lutter contre les crimes violents, que c'est bien ce qu'il faut faire dans ce domaine? Avez-vous une opinion sur les raisons pour lesquelles on accorde autant d'importance aux armes à feu?

Mme Barr-Telford : En tant que directrice du Centre canadien de la statistique juridique, mon rôle consiste à vous communiquer les renseignements les plus récents susceptibles de vous aider dans votre étude du projet de loi C-2. C'est le rôle qui m'appartient en qualité de membre d'un organisme de statistiques.

Le sénateur Stratton : Bienvenue. Vous nous avez fourni des renseignements fascinants. J'aimerais, si cela est possible, obtenir des données au sujet de la ville de Winnipeg. Nous avons des chiffres élevés. Je ne m'attends pas à obtenir ces renseignements aujourd'hui, mais si cela est possible, je vous invite à les transmettre plus tard à la présidente.

Je vais rapidement passer en revue les diapositives. Le titre de la diapositive 4 est le suivant : « Les crimes violents commis à l'aide d'une arme à feu sont stables depuis quelques années ». Cependant, lorsqu'on arrive à la cinquième puce, on note que le taux des jeunes auteurs présumés d'infractions violentes commises à l'aide d'une arme à feu s'est accru au cours de trois des quatre dernières années, soit de 32 p. 100 depuis 2002. Il a atteint son plus haut niveau depuis que ces données ont été rendues disponibles en 1988. Pourriez-vous obtenir ces données-là, si cela est possible, pour Winnipeg?

Passons ensuite à la diapositive 5, « Les homicides et les tentatives de meurtre suivent une tendance générale à la baisse, mais ont augmenté dernièrement ». On peut lire à la deuxième puce que le taux d'homicide a augmenté au cours de deux des trois dernières années, ayant grimpé de 7 p. 100 depuis 2003. La dernière puce est particulièrement intéressante : le taux des tentatives de meurtre a progressé durant chacune des deux dernières années; il est en hausse de 24 p. 100 depuis 2004.

Dans la diapositive 8, « Les voies de fait graves atteignent leur plus haut point en 25 ans », la première puce indique que le taux de l'ensemble des voies de fait graves et des voies de fait armées ou causant des lésions corporelles a augmenté de façon soutenue, soit de 57 p. 100 depuis 1983; la deuxième puce indique qu'en 2006, le taux a atteint son plus haut point depuis la définition de ces infractions en 1983.

La diapositive 10 montre qu'« une baisse des autres infractions sexuelles est survenue depuis 1993 ». J'ai deux petites-filles, et cette question m'intéresse particulièrement. La troisième puce mentionne que les adolescentes de 12 à 14 ans sont les plus vulnérables à ces infractions. Même pour les filles de plus de 14 ans ou de moins de 12 ans, vous savez pourquoi les parents réagissent comme ils le font, à mon avis.

La dernière diapositive est la diapositive 11, intitulée « Les affaires de conduite avec facultés affaiblies sont en baisse soutenue depuis le début des années 1980 ». La troisième puce de cette diapositive mentionne que les infractions liées au cannabis sont plus courantes qu'elles ne l'étaient pendant les années 1990, mais moins fréquentes qu'il y a trente ans. La quatrième puce mentionne ensuite que les infractions liées à la cocaïne ont grimpé de façon spectaculaire depuis cinq ans. C'est l'élément intéressant. Ensuite, en dehors du tableau, la troisième puce, et c'est le commentaire qui est vraiment fascinant, puisqu'il mentionne que le taux des infractions liées à la cocaïne a grimpé de 67 p. 100 depuis 2002 et a atteint un sommet en 2006. Cela justifie à peu près, d'après moi, l'idée de faire passer aux conducteurs des tests reliés à cette infraction.

J'aimerais beaucoup obtenir une répartition de ces chiffres pour la ville de Winnipeg.

M. Turner : J'ai un chiffre à vous donner. En 2006, Winnipeg venait au deuxième rang des grandes villes canadiennes pour ce qui est du taux des crimes violents reliés à une arme à feu. Vancouver est au premier rang et Toronto est troisième.

La présidente : Où se situerait Montréal?

M. Turner : Il me faudrait du temps pour vous le dire.

La présidente : Lorsque vous nous enverrez ces données, pourriez-vous inclure celles qui concernent Montréal?

M. Turner : Oui.

Le sénateur Di Nino : Pourrions-nous demander les données concernant les grands centres urbains du Canada? C'est là que se posent les problèmes les plus graves.

La présidente : Le mieux serait d'avoir les chiffres globaux et leur répartition entre les principaux centres urbains. Nous serions très heureux d'obtenir ces chiffres.

Le sénateur Fox : Je me demande si vous pouvez me dire s'il y a quelqu'un, que ce soit vous ou un autre organisme, qui fait la collecte des données suivantes. Les premières concerneraient la récidive au Canada pour les différentes catégories d'infractions dont nous avons parlé aujourd'hui. Deuxièmement, quelqu'un a-t-il calculé l'augmentation de la population carcérale qu'entraînerait la mise en œuvre d'un projet de loi comme celui que nous étudions? Enfin, qui serait en mesure de nous dire quels seraient les coûts qu'assumeraient alors les services correctionnels au Canada? Je pars du principe qu'il y aurait une augmentation de la population carcérale et je veux savoir si cette augmentation se poursuit et si on a effectué des prévisions dans ce domaine. Voilà mes trois questions.

Mme Barr-Telford : Le Centre a commencé à travailler dans le domaine de la récidive. C'est un autre cas où il existe différentes façons d'obtenir ce genre d'image de la réalité. Nous avons effectué une étude dans le domaine des services correctionnels qui examinait la réintégration dans le système correctionnel après une certaine période. Nous serions très heureux de vous transmettre cette information. Nous sommes en train de travailler sur un projet qui consiste à élaborer une série normalisée d'indicateurs de la récidive, mais ce travail n'est pas encore terminé.

Pour ce qui est des prévisions relatives à la population carcérale, Statistique Canada suit ce qui se fait et fournit des données actuelles grâce au travail effectué par le Centre. Nous ne faisons pas de prévisions sur ce qui va arriver à l'avenir. Nous disposons de certains renseignements dans le domaine des services correctionnels pour ce qui est des coûts et du reste, et nous avons également certaines données tirées de nos enquêtes sur l'administration des services policiers. Nous vous fournirons ce que nous pouvons mais le Service correctionnel du Canada est peut-être une autre source d'information pour ce genre de données.

Le sénateur Fox : Y a-t-il quelqu'un au gouvernement qui peut examiner les projets de mesures législatives, comme ce projet de loi, et prévoir quelles en seront les conséquences pour ce qui est de l'augmentation du nombre de personnes incarcérées?

Mme Barr-Telford : Je pense que le mieux serait de vous adresser à d'autres ministères du secteur de la justice.

Le sénateur Fox : Merci.

La présidente : Merci beaucoup. Comme vous pouvez le constater, notre soif d'informations est insatiable. C'est ce que vous nous fournissez et nous sommes reconnaissants du temps que vous avez pris aujourd'hui pour le faire et pour le flot d'informations toutes fraîches que vous allez nous fournir rapidement.

Nos témoins suivants représentent le Bureau de l'enquêteur correctionnel. Nous allons entendre M. Howard Sapers, enquêteur correctionnel du Canada, et M. Ed McIsaac, directeur général.

Bienvenue, messieurs, nous sommes heureux de vous avoir aujourd'hui. Monsieur Sapers, nous avons tous votre mémoire et pour sauver du temps, nous vous invitons à nous en présenter le contenu plutôt que d'aller dans les détails. Cela dit, nous voulons entendre ce que vous avez à dire, après quoi nous poserons des questions. Je vous invite à commencer.

Howard Sapers, enquêteur correctionnel du Canada, Bureau de l'enquêteur correctionnel : Merci de nous avoir donné la possibilité de rencontrer le comité. Je vais limiter mes commentaires aux questions de fond soulevées dans le mémoire. Je serai heureux de répondre ensuite à vos questions.

Il est important de déclarer dès le début que le Bureau de l'enquêteur correctionnel reflète les valeurs fondamentales du système canadien — à savoir la responsabilité, la transparence et l'ouverture. En tant qu'ombudsman indépendant, j'occupe une position unique qui me permet d'examiner le système dans son ensemble et de porter à l'attention du Service correctionnel du Canada et du Parlement des remarques concernant à la fois les plaintes individuelles et les questions systémiques. Le bureau a été créé en 1973 — nous sommes dans la trente-quatrième année — et a accumulé une expérience collective impressionnante.

Puisque votre comite examine le projet de loi C-2, j'estime qu'il est important de vous faire connaître les préoccupations soulevées par mon bureau concernant la capacité du Service correctionnel du Canada en matière de programmes. On offre des programmes correctionnels aux délinquants sous responsabilité fédérale afin de favoriser leur réinsertion sans danger dans la collectivité en temps opportun. Je vais aborder directement la question des programmes mais j'aimerais auparavant présenter quelques observations concernant le projet de loi.

Je crois fermement que des politiques fondées sur des données probantes sont essentielles pour guider toute proposition législative. C'est d'autant plus important en matière de sécurité publique. Je suis d'accord avec l'analyse figurant dans le résumé législatif du projet de loi C-2, et je vais en souligner trois aspects. Premièrement, les recherches n'appuient pas en général l'utilisation des peines minimales obligatoires à des fins de dissuasion. Deuxièmement, les périodes d'emprisonnement plus longues font augmenter les coûts du système carcéral, qui ne sont pas nécessairement compensés par la réduction de la criminalité et de la récidive. Troisièmement, les délinquants autochtones sont, de manière disproportionnée, condamnés à des peines minimales obligatoires.

Ce dernier point ne peut être négligé puisque l'année dernière, nous avons estimé que le taux d'incarcération global des Autochtones canadiens était de 1 024 sur 100 000, c'est-à-dire neuf fois plus élevé que pour les Canadiens non autochtones. Le projet de loi C-2 devrait être soigneusement examiné afin de déterminer si les dispositions qu'il contient aggraveront la situation.

Bref, je crois que le projet de loi C-2 fera augmenter la population carcérale au pays et cette augmentation alourdira la capacité déjà inadéquate de fournir en temps utile des programmes aux délinquants sous responsabilité fédérale.

J'aimerais passer directement à la question de l'accès aux programmes dans les établissements correctionnels fédéraux. Nous savons que les programmes et les traitements fondés sur des données probantes peuvent réduire la récidive de manière importante, et je félicite le SCC d'avoir adopté de tels programmes et de telles approches de traitement. Le dernier rapport sur les plans et les priorités du SCC déposé devant le Parlement mentionne les éléments suivants :

L'approche correctionnelle du SCC est basée sur la recherche et l'expérience. Les travaux de recherche en criminologie ont montré à maintes reprises que l'approche prévoyant la mise en liberté graduelle et contrôlée des délinquants, lorsque cela peut se faire sans danger et que les mesures de surveillance et de soutien appropriées sont prises, est la meilleure façon d'assurer la sécurité de nos collectivités à court et à long terme. Les délinquants qui bénéficient d'interventions ciblées sont moins susceptibles de récidiver.

Le comité établi par le ministre de la Sécurité publique en vue de lui fournir des conseils indépendants a récemment sanctionné ces approches. Dans son rapport intitulé Pour une sécurité publique accrue, le comité d'examen du SCC a reconnu tout particulièrement que la mise en œuvre de programmes correctionnels fondés sur des données probantes, jumelée à des processus d'évaluation et d'accréditation, représente la meilleure approche et que celle-ci doit être conservée.

À leur admission dans un pénitencier, tous les délinquants sont évalués et un plan correctionnel décrivant les programmes à suivre est mis en place. De fait, le SCC a des programmes et des initiatives avant-gardistes concernant l'éducation, l'emploi, la toxicomanie, les compétences psychosociales, et cetera. Ces programmes visent à contrôler certains facteurs criminogènes. Il est prouvé qu'ils ont pour effet de réduire sensiblement la récidive lorsque les délinquants participent pleinement à ces programmes.

Le Service correctionnel du Canada continue de faire des progrès dans le domaine de l'évaluation du risque grâce à l'amélioration des outils actuels et à l'élaboration de nouveaux outils pour évaluer le risque et les besoins de différents segments de sa population carcérale. Cependant, ces progrès sont trop lents et on peut démontrer que certains outils continuent d'imposer des classifications de sécurité plus élevées que ce qui est nécessaire. Ainsi, certains délinquants, notamment les délinquantes et les délinquants autochtones, sont placés de manière inadéquate dans des établissements à sécurité plus élevée que la situation le justifie.

Malgré l'établissement de certains bons programmes et les progrès restreints visant à assurer la validité et la fiabilité de ces outils d'évaluation du risque et des besoins, mon bureau s'inquiète profondément de la diminution de la capacité du Service correctionnel du Canada à préparer de manière efficace et en temps opportun les délinquants en prévision de leur audience de libération conditionnelle. La capacité restreinte du SCC d'offrir des programmes a une incidence sur la capacité des délinquants de mettre en pratique leur plan correctionnel, ce qui, par conséquent, retarde leur réinsertion sans danger dans la collectivité.

Un grand nombre de ces retards découlent directement de l'incapacité du Service correctionnel de fournir des évaluations et des traitements avant la date fixée pour l'audience de libération conditionnelle du délinquant. Le Service correctionnel fait maintenant face à des contraintes financières de plus en plus lourdes et la situation est devenue critique. Davantage de délinquants retourneront dans la collectivité sans avoir été préparés de façon adéquate et ils feront l'objet de surveillance pendant une période plus courte. Pour la grande majorité des contrevenants, la réinsertion graduelle en temps opportun est le meilleur moyen d'assurer la sécurité publique.

Afin de régler certaines questions liées à la préparation des cas et à l'accès aux programmes en temps opportun, un groupe de travail conjoint composé de membres du SCC, de la Commission nationale des libérations conditionnelles et du Bureau de l'enquêteur correctionnel a été mis en place. Ce groupe a présenté un rapport en décembre 2004 dans lequel il présente plusieurs recommandations visant à faciliter l'examen relatif à la mise en liberté sous conditions en temps opportun. On recommande également d'offrir aux délinquants qui comparaissent devant la commission l'aide et les programmes dont ils ont besoin pour leur réinsertion sans danger dans la collectivité en temps opportun.

Jusqu'à présent, rien ne prouve que la situation s'est améliorée. Bien au contraire, selon la Commission nationale des libérations conditionnelles, la proportion des libérations d'office de délinquants sous responsabilité fédérale qui n'ont jamais été en liberté conditionnelle est passée d'environ deux tiers à près de trois quarts en 2007.

Au cours des six dernières années, les données du SCC démontrent que même si la population carcérale a augmenté, les programmes offerts ont diminué de 26 p. 100. Le budget total du SCC est de 1,8 milliard de dollars et le SCC attribue uniquement 27 millions de dollars aux programmes de base, soit 1,5 p. 100 environ de son budget total.

Nous appuyons les efforts du Service correctionnel visant à offrir des ressources en vue d'améliorer l'accès en temps opportun à une série de programmes et de traitements efficaces pour les délinquants. Dans mon dernier rapport annuel, j'ai déterminé des obstacles précis à la réinsertion dans les domaines de l'accès aux programmes : longue liste d'attente pour les programmes, de sorte que des programmes sont offerts aux délinquants à la fin de leur peine, parfois bien après leur date d'admissibilité à la libération conditionnelle, renonciations, reports et retraits de demandes d'audience devant la Commission nationale des libérations conditionnelles faute d'accès aux programmes, pénurie d'intervenants et d'agents de programme, surtout ceux qui ont les compétences requises pour dispenser les programmes qui s'adressent particulièrement aux Autochtones, accès limité aux programmes offerts dans la collectivité, surtout pour les délinquants autochtones et les délinquantes, absence ou insuffisance de programmes de lutte contre les gangs dans la plupart des établissements, ce qui signifie que c'est le recours à l'isolement qui devient rapidement la norme à cet égard, retard dans l'évaluation et la mise en œuvre à l'échelle nationale des programmes pour Autochtones, manque chronique de programmes de base conçus spécialement pour les Autochtones dans les établissements à sécurité maximale, ce qui veut dire que les délinquants autochtones ne peuvent mettre en pratique leur plan correctionnel et être transférés dans des établissements de sécurité moindre où ces programmes sont parfois offerts.

J'aimerais profiter de l'occasion pour approfondir ce dernier point en fournissant un exemple concret qui illustre le genre de répercussions que peut avoir pour les délinquants autochtones le fait de ne pas avoir d'évaluation du risque efficace et de ne pas avoir accès aux programmes en temps opportun.

La combinaison du surclassement et du manque de programmes pour les Autochtones illustre bien comment les obstacles systémiques peuvent nuire à la réinsertion des délinquants. Les délinquants autochtones sont surclassés parce que le SCC n'a pas encore d'outils d'évaluation du risque valables et adaptés à leur culture. Par conséquent, les délinquants autochtones sont placés dans des établissements à sécurité maximale d'une manière disproportionnée et inadéquate. Ils ont ainsi accès à peu de programmes ou à aucun programme de base conçus pour leurs besoins.

Notre examen des programmes dans plusieurs établissements démontre que peu de programmes de base conçus pour répondre aux besoins des délinquants autochtones sont offerts pour répondre à cette demande. Ce scénario trop bien connu, du moins partiellement, explique les raisons pour lesquelles la réinsertion des délinquants autochtones accuse un retard par rapport à celle des autres délinquants.

En conclusion, il ne fait aucun doute que le SCC est déterminé à faire de réels progrès afin d'élaborer des outils fiables et valables d'évaluation du risque et des besoins et afin d'augmenter sa capacité à offrir des programmes. Cependant, les ressources allouées pour remplir son mandat, qui consiste à préparer les délinquants à une réinsertion sans danger en temps opportun, sont nettement insuffisantes. Des ressources additionnelles sont actuellement requises. Le comité d'experts indépendants chargé de faire rapport au ministre et le SCC le reconnaissent tous les deux.

Le bureau continue de s'inquiéter des répercussions négatives de la situation actuelle pour la sécurité publique et du fait que l'augmentation de la population carcérale sans l'ajout de ressources ne fera qu'aggraver cette situation.

Je serai heureux de préciser tous ces points et de répondre à vos questions. Merci.

La présidente : Vous nous avez communiqué une quantité d'informations extraordinaire dans un temps très court. Nous vous en remercions, monsieur Sapers.

Avant de passer aux questions, puis-je vous poser une question au sujet de ce qui arrive une fois qu'on se trouve au sein du système carcéral? Si j'ai bien compris ce que vous avez dit, si je me retrouve dans un établissement à sécurité maximale, je dois suivre certains programmes avant de pouvoir être envoyée dans une institution à sécurité moins élevée où je pourrai participer à des programmes mieux adaptés; est-ce bien comme cela que cela fonctionne?

M. Sapers : Lorsque votre période d'évaluation est terminée, ce qui peut prendre six mois, et que vous êtes placée dans un pénitencier, les programmes auxquels vous avez accès dépendent du pénitencier où vous avez été placée. Si vous êtes dans un établissement à sécurité maximale, les programmes auxquels vous avez accès peuvent être limités pour toutes sortes de raisons.

La plupart des délinquants sont détenus dans des établissements à sécurité moyenne, et ils devraient avoir accès, en théorie du moins, à la plupart des programmes. Bien souvent, nous constatons que les détenus se trouvent dans un cercle vicieux. Ils sont placés dans un établissement à sécurité maximale parce qu'ils sont considérés comme constituant un risque élevé et comme des cas lourds. Ils n'ont pas accès à des programmes qui touchent directement ce risque et leurs besoins, de sorte que leur niveau de sécurité ne peut être abaissé de façon à les envoyer dans un établissement à sécurité minimale ou moyenne, où ils pourraient avoir accès à des programmes qui répondraient à leurs besoins.

C'est une des raisons pour lesquelles il y a tant de délinquants qui passent autant de temps en incarcération; ils sont peu nombreux à obtenir une libération conditionnelle et la plupart d'entre eux sont libérés à leur date de libération d'office. M. McIsaac souhaite peut-être ajouter quelque chose.

La présidente : M. McIsaac pourra peut-être le faire lorsqu'il répondra à un autre sénateur.

Le sénateur Stratton : Je suis heureux que vous ayez fourni des chiffres au sujet des gens qui sont incarcérés. Il semble que nous n'arrivions jamais à faire les choses comme il faut, quel que soit le gouvernement au pouvoir.

Il y a deux choses dont nous avons déjà parlé qui m'inquiètent : d'un côté, il y a l'augmentation des taux d'incarcération que risque d'entraîner l'adoption du projet de loi et de l'autre, l'augmentation des infractions dans des secteurs particuliers comme les crimes violents, par exemple, qui ont augmenté de 32 p. 100 depuis 2002. D'un côté, la population est très inquiète de constater une augmentation aussi forte. Le taux des tentatives de meurtre a augmenté ces deux dernières années, et notamment, il a augmenté de 24 p. 100 depuis 2004. Il faut dire clairement ce que nous allons faire pour répondre à cette forte augmentation de la criminalité dans ces domaines précis : les crimes violents, les tentatives de meurtre, les crimes violents commis par les jeunes. Nous ne pouvons nous permettre de ne rien faire. Faute d'un meilleur terme, je parlais d'un siège à trois pieds. Dans l'ancien temps, on s'en servait pour traire les vaches. Je n'aime pas beaucoup utiliser l'expression « à trois pieds » parce que certains pourraient dire que ce n'est pas très gentil. J'essaie d'examiner les trois pieds de ce siège avec le projet de loi C-2. Le premier consiste à essayer d'aider les gens, ce que, je pense, le gouvernement a tenté de faire en affectant davantage de fonds dans ce domaine.

De votre point de vue, cela ne semble pas être suffisant. Comment savoir ou comment faire pour être sûr d'avoir fait suffisamment? Je sais quelle doit être votre réponse. Ce sera lorsque les chiffres diminueront. Mais ce n'est pas là une évolution à court terme. Cela va prendre du temps. Parce que cela existe depuis longtemps. L'éducation est la première chose à faire pour veiller à ce que les gens soient instruits avant qu'ils ne se retrouvent en prison.

Si vous réfléchissiez à une approche à trois volets à cette question et que vous deviez choisir un ou deux secteurs dans lesquels une intervention aurait un effet réel sur l'incarcération et l'augmentation dramatique de la criminalité, que recommanderiez-vous?

M. Sapers : Il n'est pas facile de choisir. Il y a de nombreuses façons d'aborder les questions que vous avez soulevées. J'essaierai de ne pas faire trop de choses à la fois. Je limiterai ma réponse, si vous le permettez, au rôle que joue le Service correctionnel du Canada qui consiste à fournir ce genre de programmes fondés sur des données scientifiques qui ont pour effet de réduire les risques de récidive.

L'incarcération est une mesure de dernier recours. L'incarcération est une peine qui peut s'appuyer sur plusieurs objectifs dont la légitimité a été reconnue. La dissuasion est évidemment un de ces objectifs.

Lorsqu'on envoie quelqu'un dans un pénitencier, on dit qu'il est envoyé dans un pénitencier parce qu'il est puni et non pas pour le punir. Autrement dit, à partir du premier jour d'incarcération, toutes les mesures prises à l'égard des détenus doivent viser leur réinsertion et leur réadaptation. Le but n'est pas d'utiliser l'incarcération comme une mesure punitive. Le but est d'avoir recours aux mesures les moins restrictives qui permettent de gérer le risque que le délinquant représente pour lui-même, dans l'institution et éventuellement dans la collectivité.

Le but du SCC devrait être dès le départ de fournir, le plus rapidement possible, une série de programmes fondés sur des données scientifiques et qui seront efficaces.

Dans un monde où les ressources sont rares, la difficulté est d'en arriver à un équilibre entre les coûts énormes qu'entraîne la sécurité — c'est-à-dire être sûr d'avoir quatre murs solides autour de la prison — et les coûts très nécessaires qu'entraînent le traitement et les programmes. Ce traitement et ces programmes comprennent également des interventions dans le domaine de la santé mentale lorsque cela est nécessaire. La meilleure solution, d'après les études et l'expérience des autres pays, consiste à effectuer une bonne évaluation, à donner un accès rapide aux programmes et à prendre des mesures visant à assurer la mise en liberté progressive et sous surveillance des détenus. J'espère que cela répond au moins en partie à votre question.

Le sénateur Carstairs : Monsieur Sapers, vous ne nous avez pas donné une image très rose de la réalité. Le projet de loi à l'étude aurait pour effet d'augmenter directement et considérablement le nombre des détenus. On nous a fourni des chiffres qui allaient jusqu'à près de 3 000 personnes.

Vous nous dites que les détenus actuels n'ont pas accès à des programmes appropriés, que la plupart d'entre eux ne sont libérés qu'à la fin de leur peine obligatoire et qu'ils n'obtiennent donc jamais la libération conditionnelle. C'est la raison pour laquelle ils ont un taux de récidive très élevé parce qu'ils n'ont pas accès aux programmes qui leur permettraient de se réinsérer dans la collectivité.

Compte tenu de l'augmentation du nombre de personnes qui seront incarcérées à cause de ce projet de loi, de l'augmentation du nombre de détenus qui récidiveront peut-être parce que les programmes ne répondent pas à leurs besoins, pouvez-vous nous dire quel pourrait être le chiffre de notre population carcérale dans quelques années — et quels pourraient être les coûts que cela entraînerait?

M. Sapers : Le SCC, le ministère de la Sécurité publique ainsi que des personnes extérieures à ces organismes ont effectué des prévisions sur l'augmentation de la population carcérale. Ces prévisions varient. Je pense néanmoins que la plupart des prévisions font état d'une augmentation.

À l'heure actuelle, le Service correctionnel du Canada fait face à certaines limites physiques critiques. Il y a un goulot d'étranglement dans les établissements à sécurité moyenne, ce qui a pour effet d'augmenter le recours à l'isolement. Il y a également le problème que pose la double occupation des cellules alors qu'il y a parallèlement des places libres dans certains établissements à sécurité minimale. Le système ne semble donc pas être en mesure de maximiser sa capacité de loger les détenus.

À mon avis, toute mesure législative qui entraîne une augmentation de la population carcérale va aggraver la situation et alourdir le fardeau qu'assume le système. Avec un tel fardeau, il devient très difficile de donner à ceux qui en ont le plus besoin un accès aux ressources disponibles.

Il s'agit en fait de reconnaître que les capacités du système ne sont pas illimitées. Si l'on fait d'autres demandes au système, il faut soit renforcer sa capacité, soit renoncer à l'idée de fournir des programmes et des traitements correctionnels appropriés. Il n'est pas possible de faire les deux.

Le sénateur Carstairs : Ma deuxième question concerne les délinquants dangereux. Ce projet de loi risque d'augmenter sensiblement le nombre des personnes susceptibles d'être déclarées délinquants dangereux.

Le directeur de la Société Elizabeth Fry nous a déclaré hier soir que les deux femmes qui ont été déclarées délinquantes dangereuses n'ont été déclarées coupables que d'une seule infraction commise à l'extérieur du système correctionnel. Les infractions supplémentaires qui les ont placées dans la catégorie des délinquants dangereux ont été commises en prison. Avez-vous des données statistiques sur le nombre des délinquants dangereux qui ont obtenu cette désignation à cause d'activités exercées non pas dans la collectivité mais dans les prisons canadiennes? Est-ce là un résultat direct d'un manque de programmes appropriés pour ces personnes dans les prisons?

M. Sapers : Je n'ai pas examiné directement ces deux questions. Je dirais néanmoins que le recours à l'isolement est plus fréquent; il existe des éléments indiquant que les détenus sont incarcérés dans des établissements de niveau de sécurité élevé pendant de longues périodes et que nous savons aussi que cela est vrai en particulier pour les femmes. Tous ces éléments, qui sont bien établis, m'amènent à appuyer une partie des conclusions que vous proposez dans votre question. Je ne dispose toutefois pas de ces données. Nous n'avons pas examiné ces aspects. En fait, l'information, la façon dont l'information est consignée par le SCC, le moment où cette information est consignée et l'analyse qu'effectue le SCC constituent un problème pour nous.

Ed McIsaac, directeur général, Bureau de l'enquêteur correctionnel : Notre bureau s'inquiète depuis un certain nombre d'années du niveau de violence qui règne dans les établissements, à savoir les voies de fait commises par les détenus sur les autres détenus. Ces chiffres ne diminuent pas. Nous savons en outre que l'augmentation de la population carcérale va entraîner une augmentation du nombre des délinquants qui occupent à deux la même cellule et que cela va probablement créer un environnement qui va favoriser l'augmentation de la violence dans les établissements. Ce scénario n'est guère encourageant, comme vous l'avez mentionné, mais les données que le Service correctionnel du Canada recueille dans ces domaines et auxquelles nous avons accès ou que nous possédons sont peu nombreuses. À l'heure actuelle, ces données ne font pas l'objet de nombreuses analyses.

La présidente : Si on me déclare délinquante dangereuse, vais-je aller automatiquement dans un établissement à sécurité maximale?

M. McIsaac : Sous sa forme actuelle, la loi dirait non. Pendant la période d'évaluation qui dure de deux à trois mois, le niveau de sécurité appropriée est établi en tenant compte de la situation personnelle du détenu. En réalité, les personnes qui sont incarcérées parce qu'elles purgent une peine de durée indéterminée, soit parce qu'elles ont été désignées délinquantes dangereuses ou été déclarées coupables de meurtre, se retrouvent automatiquement dans un établissement à sécurité maximale pour une certaine période.

Le sénateur Oliver : Mes questions concernent toutes les détenus noirs, les délinquants noirs, les prisonniers noirs. Le Bureau de l'enquêteur correctionnel existe depuis 1973, et vous vous occupez des détenus à haut risque et des cas lourds. Un des témoins que nous avons entendus hier nous a déclaré qu'aux États-Unis, plus de 33 p. 100 des détenus étaient des Noirs. On m'a dit que dans certaines prisons canadiennes, plus de 50 p. 100 des détenus étaient soit des Autochtones soit des Noirs. On m'a dit qu'il y avait à Montréal une prison dont 60 p. 100 des détenus étaient des Noirs. Vous avez affirmé que les barrières systémiques pouvaient compromettre la réinsertion des délinquants. Aujourd'hui, j'ai écouté votre exposé et les réponses que vous avez fournies aux questions mais je ne vous ai pas entendu parler une seule fois des détenus de race noire. Je trouve cela curieux et j'aimerais que vous me disiez ce que vos études vous ont appris au sujet de la composition ethnique de la population carcérale au Canada.

M. McIsaac : Je devrais peut-être commencer par préciser que notre bureau ne fait pas d'études et ne recueille pas nécessairement de données. Nous sommes un organisme de taille très modeste. Nous avons moins de deux douzaines d'employés. Nous surveillons 56 établissements.

Lorsque nous visitons les établissements, et il y a un certain nombre d'établissements fédéraux où il existe des associations de détenus noirs, nous veillons à ce que notre personnel rencontre ces groupes. Les problèmes signalés sont ensuite portés à l'attention du directeur et débouchent sur des décisions, c'est du moins ce que nous espérons.

Je partage votre préoccupation pour ce qui est de l'insuffisance des analyses dont font l'objet les données réunies, que ce soit par le groupe qui nous a précédés ou par le Service correctionnel du Canada au sujet des autres groupes ethniques. Les données recueillies sont analysées en fonction des délinquants autochtones. C'est une préoccupation qui existe depuis longtemps. Ils représentent près de 20 p. 100 de la population carcérale fédérale et moins de 3 p. 100 de la population générale.

Je peux vous dire que les données que j'ai examinées, même s'il s'agit de données brutes n'ayant pas fait l'objet d'analyses, indiquent que, depuis une dizaine d'années, le nombre des contrevenants noirs qui se trouvent dans les établissements fédéraux a augmenté.

Le sénateur Oliver : Il est passé de combien à combien?

M. McIsaac : Je ne connais pas les chiffres. Le Service correctionnel du Canada aurait ces chiffres.

Le sénateur Oliver : Vous devez avoir une idée générale du taux global d'incarcération des Noirs au Canada, étant donné que vous êtes, après tout, l'enquêteur correctionnel du Canada.

M. McIsaac : Je suis désolé. Nous n'avons pas ces chiffres.

M. Sapers : Nous n'avons pas la capacité d'analyser les données comme vous le demandez.

Le sénateur Oliver : Pensez-vous qu'il serait important de posséder ce genre d'informations?

M. Sapers : Je pense que cela serait extrêmement utile.

Je peux vous dire que, d'après les derniers rapports du Centre canadien de la statistique juridique, on peut affirmer que la diversité de la population carcérale fédérale reflète l'augmentation de la diversité de la population canadienne.

En 1993-1994, 7 p. 100 de la population carcérale avait déclaré faire partie d'une minorité visible. En 2006-2007, ce pourcentage était passé à 14 p. 100, soit deux fois plus. Cela ne touche pas uniquement les détenus noirs mais toutes les minorités visibles. Par comparaison, le nombre des délinquants autochtones a augmenté, comme l'a noté M. McIsaac, au point où un détenu fédéral sur cinq est d'origine autochtone. Cela représente un peu moins de 20 p. 100.

Le sénateur Oliver : Je connais ce chiffre. Je vous posais une question au sujet des Noirs, mais vous n'avez pas cette information.

M. Sapers : J'accepte votre critique au sujet du fait que nous ne connaissons pas le profil des délinquants noirs au Canada.

Le sénateur Oliver : Est-il possible que 20 p. 100 des détenus canadiens soient des Noirs?

M. McIsaac : Je ne pense pas que ce chiffre soit aussi élevé. Sénateur, je m'engage à vous faire parvenir, dans les deux prochains jours, au début de la semaine prochaine, des renseignements sur le nombre des détenus noirs dans la population carcérale.

Il serait peut-être bon de signaler que le Service correctionnel du Canada a conclu, il y a deux ans environ, un contrat avec le Bureau d'inspection des prisons de Sa Majesté pour étudier les installations pour femmes. Les auteurs de cet examen, qui portait principalement sur des établissements pour détenues dans la région de l'Ontario, ont notamment recommandé que l'on commence à élaborer sur une base permanente un profil racial de la population carcérale pour déceler les variations éventuelles et faire en sorte, au cas où il faudrait préparer des programmes particuliers pour ces groupes, que ces programmes soient offerts rapidement. À ma connaissance, cette recommandation n'a pas encore été mise en œuvre, mais je vais inclure cette recommandation dans les documents que nous allons vous transmettre.

Le sénateur Oliver : Merci.

Le sénateur Watt : Du côté des Autochtones, si vous avez cette information, pouvez-vous la ventiler? Lorsque vous dites Autochtones, vous parlez en fait des Premières nations, des Métis et des Inuits. Vous parlez de façon générale. Avez-vous une idée de la façon dont ces chiffres se répartissent pour le Nunavik, le Nunavut, le Labrador et les Territoires du Nord-Ouest?

M. Sapers : Je peux vous donner une réponse, même si elle est bien superficielle. En mars 2007, 68 p. 100 des contrevenants autochtones fédéraux étaient des Indiens d'Amérique du Nord, 28 p. 100 des Métis et 4 p. 100 des Inuits.

Le sénateur Watt : Pourriez-vous nous transmettre cette information?

M. Sapers : Nous pouvons essayer de trouver des répartitions plus détaillées de ces données.

Le sénateur Watt : Vous avez souligné dans votre mémoire le fait qu'il y avait des problèmes d'accès aux programmes. Je ne pense pas que vous vouliez parler uniquement des programmes offerts dans la collectivité, mais du fait qu'il y avait également un problème avec les programmes offerts dans les pénitenciers.

M. McIsaac : Oui, c'est tout à fait exact.

Le sénateur Watt : Comment expliquer cette situation? Affirmez-vous que les détenus autochtones n'ont pas accès aux mêmes programmes que les autres? Si c'est le cas, comment cela se fait-il?

M. Sapers : Mon bureau a examiné toute une série de ce que nous appelons des résultats correctionnels, ce qui comprend la durée de la peine purgée avant la mise en liberté sous condition, le pourcentage de la population carcérale libérée à la date de la libération d'office, la durée de la peine purgée dans un établissement à sécurité maximale par opposition aux établissements à sécurité minimale, la durée des périodes passées en isolement, la fréquence du retour au pénitencier après une mise en liberté sous conditions pour violation des conditions. Ce sont là des exemples de résultats correctionnels. Pour chacun de ces résultats correctionnels, les délinquants autochtones obtiennent des scores bien inférieurs aux délinquants non autochtones.

Le sénateur Watt : Quelle en est la raison?

M. Sapers : Nous avons identifié un certain nombre de barrières systémiques qui contribuent, à notre avis, à tous ces résultats négatifs. Ces barrières comprennent, notamment, l'utilisation d'outils et de procédures d'évaluation du risque inappropriés, un processus de prise de décision qui semble s'appuyer principalement sur les caractéristiques associées aux délinquants au moment de leur admission dans le pénitencier. Autrement dit, il semble qu'on accorde davantage d'importance au cours de leur incarcération aux raisons à l'origine de leurs activités criminelles.

Il y a quelques années, au moment de la publication de mon rapport, nous avions parlé de discrimination systémique et le Service correctionnel du Canada avait réagi en élaborant et en mettant en œuvre un nouveau plan stratégique pour les délinquants autochtones. Nous attendons toujours de voir la mise en œuvre intégrale de ce plan ainsi que ses effets. La mise en œuvre de programmes destinés aux Autochtones, la révision des outils d'évaluation pour les rendre culturellement appropriés, l'embauche et la conservation du personnel autochtone sont des éléments qui font tous partie de ce plan.

M. McIsaac : Le SCC a fait beaucoup de choses ces dernières années pour ce qui est d'offrir des programmes autochtones, d'élaborer des plans d'actions et des plans stratégiques. Cependant, en fin de compte, nous n'avons pas constaté de différences ou de diminution des différences entre les détenus autochtones et non autochtones.

À un niveau très général, si l'on prend la population carcérale, en regroupant ceux qui bénéficient d'une mise en liberté sous condition et ceux qui sont incarcérés, on constate que pour la population non autochtone, la répartition est de 58 p. 100 de détenus incarcérés et 40 p. 100 en moyenne font l'objet d'une surveillance dans la collectivité. Par contre, 70 p. 100 de la population des délinquants autochtones est incarcérée et 30 p. 100 seulement se trouve dans la collectivité à la suite d'une mise en liberté sous conditions. Ce chiffre est demeuré relativement stable au cours des dix dernières années.

Tant que cet écart ne commencera pas à se combler, nous ne serons pas en mesure d'affirmer de façon définitive que les programmes et les possibilités offertes à la population autochtone et qui répondent à leurs besoins sont équivalents ou égaux à ceux que l'on fournit à la population en général.

Il y a également un écart de 10 p. 100 dans le pourcentage des délinquants qui sont placés dans des établissements à sécurité minimale. Nous le constatons également, comme l'a dit M. Sapers, dans le taux de révocation des mises en liberté sous conditions, ainsi que dans le nombre de ceux qui renoncent à la libération conditionnelle pour diverses raisons. Cependant, au sein de la population des détenus autochtones, le nombre de détenus qui renoncent à leur droit de comparaître devant la Commission des libérations conditionnelles parce qu'ils n'ont pas eu accès à un programme ou n'ont pu le terminer est beaucoup plus élevé.

Le sénateur Watt : Pensez-vous que si le projet de loi C-2 est adopté, cela risque d'empirer les choses? La situation est déjà suffisamment mauvaise, mais il existe une très bonne possibilité que les choses empirent, sachant que l'accès aux programmes est déjà difficile pour les détenus qui se trouvent dans les pénitenciers, mais qu'il n'y a pas de programme qui leur permettrait de réintégrer la collectivité. Vous ai-je bien compris?

M. McIsaac : Si la population carcérale fédérale augmente, le scénario que nous vous avons décrit va s'aggraver. La population fédérale a augmenté depuis deux ou trois ans. L'augmentation la plus forte a été enregistrée au sein de la population carcérale féminine, pour les personnes qui souffrent de troubles mentaux et la population autochtone. Je pense que si cette augmentation se poursuit, nous allons constater une augmentation encore plus forte au sein de ces trois groupes.

Le sénateur Watt : Vous avez parlé, à la page 13, d'accès limité aux programmes offerts dans la collectivité, surtout pour les délinquants autochtones et les délinquantes. Pourriez-vous m'expliquer ce qui se passe ici? Pourquoi les femmes font-elles partie de cette catégorie? La situation est déjà bien mauvaise pour les Autochtones, mais pourquoi le serait-elle pour les femmes? Je parle de traitements.

M. Sapers : Il est bien établi que les programmes offerts aux femmes sont insuffisants. Ces programmes comprennent l'accès au travail en institution, la formation professionnelle, l'accès aux services de santé mentale, par exemple. Cela fait plusieurs fois que le SCC examine cette question. Il a déjà essayé à plusieurs reprises de régler ces problèmes. Il y a un sous-commissaire auprès des femmes qui fait partie de l'équipe de gestion du Service correctionnel du Canada. Ce groupe éprouve toujours des difficultés à répondre aux besoins des femmes en matière de programmes, compte tenu de l'augmentation de cette population.

M. McIsaac : Je vais revenir à ce que j'ai déjà déclaré au sujet de l'augmentation de la population. Une partie des problèmes qui se posent en matière d'accès aux programmes est que, s'il y a une augmentation importante — et c'est ce que nous avons constaté au sein de la population des délinquantes au cours des quatre ou cinq dernières années — cela compromet non seulement les programmes offerts en établissement mais également l'adaptation et l'offre des programmes proposés à l'extérieur.

Les chiffres relatifs à la population des délinquantes autochtones sont encore plus frappants que ceux qui concernent les Autochtones de sexe masculin. J'ai dit il y a un instant que ce chiffre était d'environ 20 p. 100 pour la population de sexe masculin. Il est largement supérieur à 30 p. 100 pour la population carcérale de sexe féminin.

Le sénateur Andreychuk : Je voulais revenir sur les questions de santé mentale, les questions qui touchent les Autochtones et les femmes, mais je pense que vous en avez traité.

Vous avez élaboré des outils d'évaluation et des processus d'évaluation du risque pour les Autochtones qui n'ont pas encore été complètement validés. Le SCC a-t-il demandé à des chefs autochtones et à des dirigeants communautaires de participer à l'élaboration de ces outils?

M. Sapers : Le Service correctionnel du Canada est en train d'examiner toute une série d'outils d'évaluation et de processus d'évaluation du risque. D'un côté, il est tenu de par la loi de faire deux choses : il doit assurer la participation de la population carcérale aux consultations lorsque l'on envisage des changements importants et il doit mettre sur pied un comité consultatif autochtone. Le comité consultatif autochtone ne s'est pas réuni depuis des années. Le Service correctionnel du Canada s'est engagé à restructurer le comité, et j'espère que cela se fera rapidement.

Si l'on veut que les délinquants participent vraiment à un processus de consultation, il faut surveiller de très près le déroulement du processus. Pour le reste, je ne peux parler au nom du SCC au sujet des mesures précises qui ont été prises à l'égard des Autochtones.

Le sénateur Andreychuk : Je comprends les pressions dont vous avez parlé, par exemple, l'absence de programmes, en particulier pour les délinquantes. Cela n'est pas une conséquence du projet de loi C-2; cela découle de toutes les mesures législatives qui sont à l'origine de la situation carcérale actuelle. Vous dites que le projet de loi C-2 va ajouter un certain fardeau qu'il est difficile d'évaluer.

Offrons-nous suffisamment de programmes dans les établissements appropriés pour respecter le principe dont vous avez parlé qui consiste à donner aux délinquants certains outils pour éviter qu'ils récidivent une fois libérés? C'est le thème général de votre exposé. C'est là, je crois, un principe fondamental. J'abrège ma question parce que je sais que la présidente va me couper la parole si je prends trop de temps pour la présenter.

Subsidiairement, étant donné que dans notre société certains délinquants seront envoyés en prison — et la situation aux États-Unis est semblable — s'il n'y a pas de programmes, ces délinquants seront tout de même remis en liberté. Vous nous avez montré cette tendance. Les programmes ont pour but de les préparer et de leur donner les aptitudes dont ils ont besoin pour éviter de récidiver. Il y a beaucoup de délinquants qui disent : « Je me retrouve dans mon ancien groupe, dans la maison où je vivais. Je subis les mêmes pressions. » Ne devrions-nous pas repenser ce que veux dire la réinsertion dans la collectivité, examiner les aptitudes professionnelles et trouver d'autres façons de réintégrer ces personnes dans la collectivité que celles que nous avons utilisées jusqu'ici?

M. Sapers : Oui, mais j'aimerais apporter une nuance. Le SCC a pour rôle de gérer les peines et, également, de préparer les délinquants à être mis en liberté en sécurité dans la collectivité. Dans la mesure où les délinquants sont mis en liberté sous surveillance, cela favorise l'établissement d'un lien entre l'établissement et la collectivité. Les agents de probation jouent un rôle essentiel car ce sont eux qui veillent à ce que les délinquants aient accès à des ressources appropriées une fois remis en liberté. Il faut toutefois reconnaître que la responsabilité du SCC prend fin à un certain moment. Ce moment est habituellement celui de la libération d'office, mais il y a quelques exceptions.

Vous avez ensuite soulevé une question beaucoup plus large qui concerne la nécessité d'établir une stratégie nationale pour les services correctionnels et de tenir des discussions fédérale-provinciales-territoriales au sujet des passerelles à établir entre la santé mentale, la santé physique, les services sociaux, l'éducation et le reste. Dieu merci, cela ne rentre pas dans ma mission. Cela ne veut toutefois pas dire que ces aspects ne sont pas d'une importance critique. Je pense que vous l'avez signalé.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez fait remarquer avec raison que nos services sont offerts dans le cadre des services correctionnels. Certains pensent que si nous n'obtenons pas de ressources — et cela fait 40 ans que je m'intéresse à cette question; il n'y a jamais suffisamment de ressources, et nous sommes toujours en train d'élaborer un nouveau plan qui va enfin donner des résultats — alors, lorsque ces personnes seront libérées, lorsqu'elles auront fini de purger leur peine, elles deviendront des citoyens libres comme nous le sommes.

Que faisons-nous sur le plan de l'emploi et sur celui de la santé mentale? Il faut peut-être examiner toute cette stratégie d'un autre point de vue.

Le sénateur Di Nino : J'aimerais tout d'abord rappeler que le ministre Day a pris l'initiative de procéder à l'examen dont vous avez parlé dans vos commentaires, et qui recommande que l'on affecte des ressources supplémentaires dans les domaines au sujet desquels vous avez exprimé des préoccupations, de façon à résoudre certains problèmes récurrents pour lesquels rien n'a été fait depuis bien longtemps. Connaissant le ministre Day, je pense qu'il va faire tout ce qu'il peut y parvenir. J'espère que vous aurez changé d'opinion la prochaine fois que nous nous rencontrerons, parce que je crois qu'il va réussir à convaincre ses collègues du cabinet de fournir ces ressources.

J'aimerais également parler de la population pénitentiaire. Est-il exact de dire que notre population carcérale est composée de 75 à 80 p. 100 de délinquants peu dangereux et peut-être de 20 à 25 p. 100 de ce que l'on pourrait appeler des délinquants dangereux? En d'autres termes, les délinquants endurcis ne constituent pas une partie importante de la population carcérale.

M. Sapers : Cela dépend de la façon dont vous définissez ces catégories, mais je peux vous dire qu'il y a entre 1 et 3 p. 100 de la population carcérale fédérale qui est considérée comme représentant un risque élevé et qui ont des besoins urgents en matière de traitement. À partir de là, il y a différentes façons de définir ces groupes à risque dans ces populations. On constate également, dans les services correctionnels fédéraux, une tendance selon laquelle les délinquants sont déclarés coupables de crimes violents mais purgent des peines moins longues. Il y a donc un double problème puisque des gens qui ont des antécédents de violence et dont la situation personnelle est hautement criminogène purgent parfois de courtes peines qui ne permettent pas de répondre à leurs besoins.

Il y a également, au sein des pénitenciers fédéraux, une autre population qui est en augmentation : celle des délinquants de 50 ans et plus. Nous constatons également une augmentation du nombre des délinquants âgés à cause des effets des autres mesures législatives et des pratiques en matière de peine. On constate dans les pénitenciers canadiens une dynamique intéressante, à savoir que les délinquants qui sont relativement jeunes purgent des peines plus courtes alors qu'il y a de plus en plus de délinquants qui vieillissent en prison.

Le sénateur Di Nino : Ce projet de loi concerne en fait les criminels qui ont principalement commis des infractions graves, violentes et reliées aux armes. Ils ne représentent pas une majorité des détenus. Comme vous l'avez dit, si le projet est adopté — et c'est ce que nous espérons — il risque d'avoir pour effet d'augmenter cette population. Je me demande si les prévisions pessimistes selon lesquelles cela aura pour effet d'ajouter plusieurs milliers de détenus sont vraiment exactes. Le problème qui se pose en matière de réinsertion est un problème qui concerne l'ensemble de la population carcérale, mais la plupart des détenus ne seront pas touchés par ce projet de loi. Ai-je bien raison?

M. McIsaac : Oui, vous avez raison. Mon rôle ne consiste pas à faire des prévisions au sujet des conséquences. Une partie de la difficulté à fournir une réponse définitive à la question que vous avez posée précédemment vient de la répartition des compétences entre les niveaux fédéral et provincial pour ce qui est des peines. Les détenus qui purgent une peine de deux ans et plus se retrouvent dans le système carcéral fédéral et ceux dont la peine est de moins de deux ans dans le système provincial. Je ne sais pas exactement où cette augmentation se fera sentir, même si vous avez signalé, à juste titre, que ce projet de loi visaient les personnes qui commettaient des infractions violentes ou qui utilisaient des armes pour commettre leurs infractions. Il est assez évident que la plupart de ces personnes se retrouveront dans le système fédéral parce qu'elles auront été condamnées à des peines de plus de deux ans. Les conséquences que cette augmentation aura pour le système fédéral correspondent assez bien au scénario que nous vous avons décrit plus tôt. En l'absence de programmes, les détenus doivent purger dans un établissement pénitentiaire une partie plus importante de leur peine, élément qui à lui seul a pour effet d'augmenter la population carcérale.

Le détenu qui a accès à des programmes appropriés peut comparaître devant la Commission nationale des libérations conditionnelles et être peut-être libéré après deux ans, mais en l'absence de programmes appropriés, ce détenu pourrait fort bien être encore dans le pénitencier un an plus tard et libéré à la date de libération d'office.

Le sénateur Di Nino : Il demeure que la réintégration est un problème qui découle principalement de la taille de la population carcérale et qui n'est pas nécessairement influencé par le nombre des détenus qui risquent de venir s'y ajouter à la suite de l'adoption du projet de loi. Je pense que vous seriez d'accord avec moi sur ce point.

M. McIsaac : Oui, c'est exact.

Le sénateur Joyal : Sur ce point, si nous avons fait le bon choix en appuyant ce projet de loi, lorsque le ministre est venu témoigner devant le comité pour l'appuyer, il aurait dû être en mesure d'annoncer que les fonds accordés au SCC seraient augmentés de façon à compenser l'effet négatif qu'aura l'adoption de ce projet de loi sur le système.

Je ne vois pas comment l'adoption de ce projet de loi renforcera la sécurité de la population si nous ne prenons pas en compte les pressions supplémentaires que cela va exercer sur le système carcéral. Bien au contraire, comme vous l'avez mentionné, les détenus seront relâchés à la date de la libération d'office et n'auront pas eu la possibilité d'utiliser certains outils pour se réadapter et devenir de bons citoyens. L'effet ultime de ce projet de loi sera d'aggraver les pressions qui s'exercent sur le système pénitentiaire et sur le SCC et d'entraîner l'apparition d'un certain nombre de détenus qui seront moins bien préparés à réintégrer la vie normale.

Si nous voulons réaliser l'objectif d'assurer la sécurité de la population, cet aspect aurait dû faire partie de l'annonce qui a été faite à l'époque.

M. Sapers : Mon bureau s'inquiète, à l'heure actuelle, du fait que le SCC n'a pas une capacité suffisante pour offrir à la population carcérale des programmes au moment opportun de façon à augmenter les chances que les détenus libérés se réintègrent sans danger à la collectivité. Si la seule chose qui change est qu'il y aura une augmentation de la population des détenus condamnés à une peine de pénitencier, ce problème ne pourra que s'aggraver. Le système doit renforcer sa capacité, ou il faudra trouver une autre solution si le gouvernement n'affecte pas les ressources nécessaires à ces services.

Nous constatons déjà qu'il existe des obstacles importants à la réintégration des détenus, et cela avec la population actuelle. Si le gouvernement introduit des changements qui ont pour effet d'augmenter la population carcérale, cela ne pourra qu'aggraver ce problème si l'on n'y affecte pas de nouvelles ressources.

Le sénateur Joyal : Avez-vous une idée des fonds supplémentaires qu'il faudrait prévoir dans ce domaine?

M. Sapers : Non. Il serait préférable de poser cette question au Service correctionnel du Canada.

Le sénateur Joyal : Vous n'avez pas ce chiffre en ce moment.

M. Sapers : Non.

Le sénateur Joyal : Vous affirmez à la page 8 de votre mémoire : « Puisque le Service correctionnel fait maintenant face à des contraintes financières, la situation est devenue critique. » D'après vos calculs, quel est le montant des fonds supplémentaires dont le Service correctionnel du Canada aurait besoin pour faire face aux contraintes qui existent dans le système et que vous avez identifiées?

M. Sapers : Nous n'avons pas tenté d'évaluer les coûts. Mon bureau n'a pas les moyens de faire ce genre de travail. Nous savons que le SCC a essayé de calculer certains coûts. Nous savons que le SCC a calculé le montant des fonds dont il aurait besoin pour réaliser ses priorités, notamment la prestation de soins de santé mentale adéquats, l'élaboration de programmes destinés aux Autochtones, par exemple.

Le budget actuel du SCC est d'environ 1,8 milliard de dollars. Le SCC éprouve déjà de la difficulté à conserver des locaux suffisants, sur le plan de l'infrastructure, les édifices, et cetera. Une augmentation de la demande entraînerait des coûts considérables.

Le sénateur Joyal : Monsieur McIsaac, vouliez-vous ajouter quelque chose? Vous sembliez réfléchir pendant que M. Sapers parlait.

M. McIsaac : Je réfléchissais au fait que notre bureau n'est pas vraiment en mesure de fournir une évaluation des coûts qu'entraînerait l'élaboration des programmes nécessaires ou le remplacement des infrastructures rouillées, l'expression qu'utilise à l'heure actuelle le service. Le comité d'experts qui a été chargé par le ministre d'examiner le Service correctionnel a étudié certains de ces éléments. Je pense qu'il est très possible que vous trouviez certaines réponses à vos questions dans son rapport.

Le sénateur Joyal : À votre connaissance, y a-t-il eu des prévisions chiffrées sur l'augmentation des besoins qu'entraînerait la mise en œuvre de ce projet de loi tel que formulé?

M. McIsaac : Pas à ma connaissance. Je n'ai pas vu de chiffres de ce genre.

Le sénateur Joyal : Et vous, monsieur Sapers?

M. Sapers : Je serais très surpris que le Service correctionnel du Canada ou le ministère de la Sécurité publique n'aient pas effectué de prévisions comme celles que vous mentionnez dans votre question, mais je n'ai pas cette information.

Le sénateur Baker : J'aimerais poser une question très brève qui débouchera peut-être sur une autre question. Je me souviens de la loi qui a mis sur pied votre bureau. D'après mon souvenir, votre mission consiste à examiner les plaintes déposées par les détenus fédéraux. Elle ne comprend pas les personnes qui sont détenues dans un établissement fédéral, parfois pendant des années, en attente de leur procès ou avant que leur procès ne soit terminé, et qui sont plus ou moins laissées dans une cellule pendant tout ce temps. Ce projet de loi va augmenter le nombre de ces personnes parce qu'on leur refusera la liberté sous caution, étant donné qu'il n'est pas possible d'obtenir ce genre de libération si l'accusé risque de s'échapper ou s'il représente un risque pour la société; il y a une deuxième condition, le risque de récidive. Si vous êtes récidiviste, vous risquez de n'être jamais libéré sous caution avant le procès. Le troisième élément est la qualité de preuve dont dispose la Couronne. Vous occupez-vous des personnes qui se trouvent dans les établissements fédéraux mais que l'on ne peut qualifier de contrevenants? Ce sont de prétendus contrevenants.

M. Sapers : La loi précise clairement notre mandat, qui consiste à nous occuper des contrevenants qui purgent une peine fédérale, des contrevenants qui purgent une peine partielle ou qui font l'objet d'une surveillance dans la collectivité de la part du Service correctionnel du Canada. Je pense que la population des accusés à qui vous faites référence est en général détenue dans des établissements de détention provisoire administrés par la province. Les accusés qui sont détenus dans un centre de détention provisoire provincial ont normalement accès à un ombudsman provincial et non pas à mon bureau.

Votre question fait également référence à d'autres aspects qui me semblent se rapporter aux services correctionnels provinciaux. Je ne suis certainement pas un spécialiste des aspects provinciaux, mais les directeurs des services correctionnels provinciaux me disent que, dans pratiquement toutes les provinces et territoires, la majorité des accusés admis dans des établissements correctionnels provinciaux sont en fait admis dans des établissements de détention provisoire. Il s'agit de personnes qui n'ont pas encore été déclarées coupables ni condamnés à une peine mais qui attendent leur procès ou leur sentence. C'est une population qui est en augmentation; c'est la raison pour laquelle tout examen de l'effet général qu'auraient sur les Canadiens des modifications législatives doit tenir compte du partage des compétences — à savoir, quelle seront au niveau provincial les répercussions des peines imposées et leur effet sur les services correctionnels fédéraux. Là encore, cela indique qu'il faudrait avoir ce genre de discussion dans le cadre d'une nouvelle stratégie relative aux services correctionnels. Cependant, nous ne nous occupons pas des personnes en détention provisoire.

Le sénateur Baker : Ces personnes se trouvent dans des centres de détention et non pas dans un pénitencier. Dans un centre de détention, il y a parfois jusqu'à six personnes dans la même pièce. Il n'y a pas de toilette privée. Si vous êtes un récidiviste du trafic de drogue, par exemple, ou un récidiviste de l'introduction par effraction, infractions qui sont passibles en moyenne d'une peine d'emprisonnement de huit ans, c'est là que vous vous retrouvez et on vous accorde ensuite deux pour un. On double ce temps pour le calcul de la peine parce que vous vous retrouvez dans une situation déplorable dans laquelle vous n'avez accès à aucun programme de formation ou autre.

D'après ce que j'ai lu, votre bureau ne s'occupe pas de ces personnes. Il n'y a pas de programmes. Il n'y a rien pour les gens qui se trouvent dans les centres de détention et qui ont le malheur de faire partie de la catégorie des gens qui risquent de récidiver s'ils ont remis en liberté.

La présidente : Je conclus de ce que vous avez dit, et j'aimerais que vous me corrigiez si je me trompe, qu'il est plausible de penser que la population carcérale va augmenter. Si les programmes offerts n'augmentent pas, nous serons obligés de remettre en liberté des personnes qui n'ont pas eu accès à des programmes, et qui risquent donc davantage de récidiver, ce qui entraîne un effet boule de neige et risque d'augmenter encore la population carcérale. Est-ce assez juste?

M. Sapers : Sénateur, vous ne vous êtes pas trompée.

La présidente : Je ne me suis pas trompée.

Ma seconde question concerne l'énoncé que l'on trouve au bas de la page 9 de la version anglaise de votre mémoire, monsieur Sapers, où l'on retrouve la statistique la plus frappante que vous nous ayez fournie : au cours des six dernières années, les données du SCC démontrent que même si la population carcérale a augmenté, les programmes offerts ont diminué de 26 p. 100.

Bien évidemment, je vais demander au SCC de nous parler de cet aspect lorsque nous entendrons ses représentants. Cependant, entre-temps, pour nous préparer, je me demande si vous avez une idée des raisons à l'origine de cette situation. Cela découle-t-il d'une décision de politique ou cela vient-il du fait que les programmes représentent une dépense accessoire qui vient après la réparation des toits et la nourriture supplémentaire qu'il faut acheter parce qu'il y a davantage de détenus? Comment expliquer cette situation?

M. Sapers : Je peux vous fournir certains éléments. C'est en partie une conséquence du cycle dont nous avons parlé. Si les programmes sont plus souvent offerts à la fin de la peine ou dans un établissement de sécurité plus faible, alors qu'il y a de plus en plus de détenus qui purgent une partie plus longue de leur peine dans un établissement à sécurité élevée et qui n'y ont pas accès, en particulier au moment où ils devraient normalement y avoir accès, il arrive que les programmes ne leur soient pas offerts. Il arrive que les deux tiers, voire même les trois quarts des postes dans les services des programmes des établissements, soient vacants ou occupés par des employés intérimaires. Il y a des établissements qui déclarent que le pourcentage de détenus qui terminent les programmes est aussi faible que 30 à 35 p. 100 pour l'éducation et même encore plus faibles pour les autres genres de programmes. Nous avons demandé aux établissements s'ils avaient des listes d'attente pour les programmes destinés aux Autochtones en matière de prévention de la rechute en toxicomanie ou de la prévention de la rechute en agression sexuelle et les responsables nous ont dit qu'il n'y avait pas de listes d'attente. Cependant, lorsque nous leur avons posé la question suivante, nous avons constaté que la raison pour laquelle ils n'avaient pas de listes d'attente est qu'ils n'offraient plus ces programmes. Voilà comment ils ont supprimé les listes d'attente.

Je demande constamment au SCC si les détenus ont accès aux programmes et pourquoi le SCC ne semble pas être en mesure de résoudre ce problème essentiel.

La présidente : Nous lui poserons également la question.

Monsieur Saper et monsieur McIsaac, merci. Nous avons eu une séance très intéressante et pleine d'enseignement. Nous vous en sommes reconnaissants.

La séance est levée.


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