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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 8 - Témoignages du 20 février 2008


OTTAWA, le mercredi 20 février 2008 - Séance de l'après-midi

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles auquel a été renvoyé le projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 14 h 2 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, nous avons le quorum. Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles poursuit donc son étude du projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence.

Cet après-midi, nous avons le plaisir d'accueillir parmi nous M. Randy Prokopanko, Comité des analyses d'alcool de la Société canadienne des sciences judiciaires, et le Sergent Robert Martin, facilitateur à l'entraînement du Programme de la classification et de l'évaluation des drogues de la Gendarmerie royale du Canada.

Merci à tous les deux de votre présence parmi nous. Nous examinons aujourd'hui une partie importante d'un projet de loi vaste et complexe. La parole est à vous.

Randy Prokopanko, Comité des analyses d'alcool, Société canadienne des sciences judiciaires : Honorables sénateurs, je vous parlerai d'abord du Comité des analyses d'alcool, au cas où certains d'entre vous ne connaîtraient pas cette unité de la Société canadienne des sciences judiciaires. Cela vous aidera peut-être à comprendre pourquoi, à notre avis, nous sommes bien placés pour vous éclairer par rapport à ce projet de loi.

C'est en 1967 que la Société canadienne des sciences judiciaires, la SCSJ, a mis sur pied un comité spécial des analyses d'haleine afin d'étudier les aspects scientifiques, techniques et d'exécution de la loi des alcotests fondés sur les analyses d'haleine. La société estimait qu'il était important de souligner le caractère scientifique du processus de dépistage de l'alcoolémie au moyen des analyses d'haleine, et que, partant, l'analyse devait être administrée selon des normes et des usages scientifiques ayant obtenu la caution des scientifiques spécialisés en la matière.

Compte tenu de cela, le comité de la SCSJ a conçu des procédures à suivre dans l'administration des analyses d'haleine ainsi que des normes minimales à respecter dans la formation des agents chargés d'utiliser ce matériel, dans l'administration du programme des analyses d'haleine et dans l'entretien du matériel.

Ces normes ont été publiées en décembre 1969, date qui a coïncidé avec la mise en œuvre au Canada des lois relatives à l'« éthylomètre ». À la suite de ces premiers efforts déployés afin de favoriser une administration de l'analyse d'haleine qui respecte les normes les plus élevées, la compétence de la société et des membres du comité a été généralement reconnue, et par conséquent, le ministère de la Justice a invité ces derniers à agir à titre de principaux conseillers scientifiques par rapport aux analyses d'haleine, fonction qu'ils conservent jusqu'à ce jour.

Au fil des ans, le comité des analyses d'haleine s'est tenu au courant des progrès technologiques réalisés en matière de dépistage respiratoire, des amendements au Code criminel et de diverses autres questions relatives aux analyses d'haleine. Mentionnons par exemple l'adoption d'alcotests routiers, l'automatisation des instruments de l'alcotest, l'utilisation d'antennes éthylométriques et l'adoption de dispositions permettant de demander des échantillons de sang. La dernière innovation illustre à quel point les intérêts du comité se sont élargis, ce qui explique qu'il ait changé de nom en 1985 pour s'appeler le Comité des analyses d'alcool.

Aujourd'hui, le Comité des analyses d'alcool exerce deux principales fonctions. Il s'occupe d'abord de l'élaboration des normes auxquelles doivent se conformer les nouveaux instruments, dispositifs de vérification et contenants. Ces normes englobent les procédures d'évaluation recommandées ainsi que les lignes directrices au moyen desquelles on évaluera toute nouvelle pièce d'équipement. Grâce à cela, tout nouveau matériel qui devra se conformer au Code criminel sera non seulement conforme à des exigences précises mais aussi évalué d'une manière cohérente.

En second lieu, le comité élabore les normes et procédures présidant à l'implantation et l'utilisation d'alcootests et d'appareils de détection autorisés. Cela signifie qu'il doit concevoir des recommandations générales relativement aux solutions d'alcool utilisées pour vérifier l'exactitude, à la formation, à l'entretien et à l'utilisation ainsi qu'aux fonctions exercées par le personnel chargé de l'administration du programme des analyses d'haleine et à leurs compétences.

Je fais partie du Comité des analyses d'alcool depuis plus de 13 ans et j'ai d'ailleurs été deux fois le président. Au sein du même groupe, je viens de céder la présidence du sous-comité chargé des questions liées à l'entretien et à la modification du nouveau matériel d'analyse de l'haleine, et nous nous occupons tous d'évaluer ou d'élaborer les normes régissant les procédures recommandées.

Pour ce qui est de mes autres occupations, je suis un employé civil de la Gendarmerie royale du Canada, où j'occupe le poste de coordonnateur du programme national de l'alcootest. Je suis chargé avant tout de coordonner les ressources médico-légales nationales au profit des programmes canadiens d'analyse de l'haleine, non seulement ceux de la GRC, mais aussi ceux des corps policiers municipaux, de l'Agence des services frontaliers du Canada et de tout programme canadien d'analyse de l'haleine ayant besoin de soutien scientifique, technique, administratif et autres.

Je devrais probablement exclure l'Ontario et le Québec, la GRC y étant peu active à cet égard, mais je précise tout de même avoir des liens étroits avec les deux directeurs des programmes de ces provinces, et nous nous efforçons de coordonner nos activités de part et d'autre.

Cela fait près de 31 ans que je fais partie de la GRC. Je me suis occupé des questions liées à l'alcool et à l'analyse de l'haleine tout au long de ma carrière. Toutefois, et ici bien sûr je plaisante, puisque je ne consomme aucune drogue, je m'en remettrai à mon collègue pour parler de ces choses. Je me ferai aussi un plaisir de répondre à toutes vos questions au sujet du matériel d'analyse de l'haleine et à d'autres questions connexes.

La présidente : En fait, nous comptons ici deux experts de la GRC, ce qui est un avantage pour nous.

Sergent Robert Martin, facilitateur à l'entraînement, Programme de la classification et de l'évaluation des drogues, Gendarmerie royale du Canada : Honorables sénateurs, à titre de renseignement, je ne fais pas partie de la GRC mais bien de la Police régionale de York, et suis présentement en détachement auprès de la GRC pour quatre ans en tant que formateur, dans le cadre du Programme d'évaluation et de classification des drogues. La GRC sera donc mon patron pendant les quatre prochaines années. Je suis membre de la Police régionale de York depuis 1989. Je représente le Programme de classification et de l'évaluation des drogues, grâce auquel nous enseignons à des policiers canadiens comment traiter les gens dont les facultés sont affaiblies par autre chose que l'alcool, c'est-à-dire par des drogues, et comment s'occuper de ce problème, qui prend de plus en plus d'ampleur au pays.

À l'heure actuelle, le Canada compte 214 experts en reconnaissance de drogues et 67 sont en formation. Il s'en faut de beaucoup cependant pour que nous répondions aux besoins. Le Programme de classification et de l'évaluation des drogues forme les experts en reconnaissance de drogues, c'est-à-dire des agents triés sur le volet et auxquels nous enseignons un processus en 12 étapes susceptible de déterminer si les facultés d'une personne donnée sont affaiblies ou non par une drogue. Si tel est le cas, l'agent prélèvera un échantillon toxicologique à des fins d'analyse et il y aura inculpation.

À l'heure actuelle, le processus entier de dépistage des personnes aux facultés affaiblies est volontaire au Canada. Cela signifie que nous pouvons demander aux gens de participer au programme mais ne pouvons pas les y contraindre s'ils refusent.

Le projet de loi à l'étude nous donnera le pouvoir d'exiger des échantillons et, par conséquent, facilitera beaucoup notre tâche et rendra nos routes plus sûres.

C'est tout ce que j'avais à vous dire.

La présidente : À peu près toutes les questions sont possibles.

Le sénateur Stratton : Vous n'êtes pas en mesure de nous dire si la police arrêterait quelqu'un comme moi, dans le cas où je conduirais trop lentement. Toutefois, si je consomme certains médicaments ou certaines drogues, et si mes facultés en sont effectivement affaiblies, qu'est-ce que cela entraînerait? À quel processus la police me soumettrait-elle si elle estimait que j'ai les facultés affaiblies? Si mes facultés sont affaiblies, alors elles le sont, quelle qu'en soit la cause, le cannabis ou autre chose. Pouvez-vous me décrire le processus?

Sgt Martin : Le processus faisant appel aux experts en reconnaissance de drogues comporte 12 étapes. Il faut d'abord arrêter le véhicule et, à cette fin, l'agent doit avoir des motifs raisonnables ou, tout au moins, des soupçons fondés pour penser que la personne en question a les facultés affaiblies. Il doit ensuite estimer avoir des motifs raisonnables de mettre la personne en état d'arrestation. Si l'agent estime qu'elle a les facultés affaiblies par des drogues, elle est amenée au poste, et c'est alors qu'intervient l'expert en reconnaissance de drogues.

Le processus en 12 étapes se déroule comme suit : on administre d'abord l'alcootest. En effet, il est inutile de faire toutes les étapes et d'incommoder quelqu'un en pure perte s'il s'agit d'alcool. Nous disposons de matériel de dépistage éprouvé en la matière pour vérifier immédiatement l'alcoolémie.

Nous parlons ensuite à l'agent qui a procédé à l'arrestation. Qu'a-t-il vu? Qu'est-ce qui l'a amené à penser que la personne a les facultés affaiblies? Que faisait la voiture? Que s'est-il passé au moment de l'arrestation? Certaines drogues se manifestent brièvement, et nous tenons à savoir ce qu'il a observé, car cela sera pris en compte lorsqu'il s'agira de nous prononcer sur la question. Nous ne fondons pas notre avis exclusivement sur l'une ou l'autre des 12 étapes mais sur l'ensemble du processus et sur tout ce qu'il nous apporte.

Ensuite, nous parlons à la personne. En premier lieu, nous lui posons ce qu'on peut appeler des « questions médicales éliminatoires ». Est-elle diabétique? Épileptique? Souffre-t-elle de troubles médicaux? A-t-elle subi des blessures à la tête? Nous voulons savoir si elle souffre d'un état pathologique quelconque. Si tel est le cas, nous arrêterons l'interrogatoire et l'enverrons au service d'urgence médicale, aux services ambulanciers, donc au système de santé plutôt qu'à la police. À la même étape, nous prenons son pouls et lui examinons les yeux. Nous cherchons alors un regard horizontal, qui permet un test très simple. Certaines drogues causent en effet des saccades involontaires aux yeux pendant des mouvements oculaires normaux. Cela nous sert d'indice. Ensuite, nous administrons quatre tests d'attention partagée, toujours pour évaluer l'état des facultés. Nous administrons d'abord le test Romberg de l'équilibre, le test de la marche avec virage, la station debout sur une jambe et enfin, le test doigt-nez. Ces quatre tests nous permettent d'établir si les facultés de la personne sont atteintes.

Nous vérifions ensuite les signes vitaux. Nous voulons enregistrer la température du corps et la pression sanguine et nous prenons le pouls une seconde fois. Nous savons que certaines drogues élèvent les signes vitaux tandis que d'autres les abaissent. L'ensemble de ces résultats nous donne ce que nous cherchons aux fins de l'évaluation.

Nous emmenons ensuite la personne dans une pièce obscure et examinons ses yeux à l'abri de la lumière. Certaines drogues dilatent les pupilles, d'autres les rétrécissent. C'est ce que nous cherchons à observer, sous trois éclairages différents : la lumière ambiante, la quasi-obscurité et la lumière directe.

Ensuite, nous cherchons des indices d'ingestion. Nous examinons le nez et la bouche, à la recherche de poudre, de résidus et même d'indices de mastication pour cerner la catégorie de drogue qui pourrait être à l'origine de l'affaiblissement des facultés.

Nous vérifions les points d'injection — seulement les bras et le cou, les parties visibles, car beaucoup de gens s'injectent des drogues dans le cou et les bras.

Nous parlons aussi à la personne. Nous finissons par lui demander si elle consomme des drogues, et si tel est le cas, lesquelles et quand? Rendu là, dans bien des cas, nous avons réussi à établir de bonnes relations avec elle et elle nous répondra honnêtement, nous dira ce qu'elle consomme. La croyons-nous? Nous allons utiliser tous les renseignements obtenus pour arriver à une décision.

Nous formulons notre avis en tant qu'experts en reconnaissance de drogues : « À mon avis, en tant qu'expert en reconnaissance de drogues, M. ou Mme X a les facultés affaiblies par telle catégorie de drogue », et nous la nommons, « et est dans l'incapacité de conduire un véhicule automobile avec prudence ».

En dernier lieu, nous prélevons un échantillon toxicologique. À l'heure actuelle, il s'agit d'échantillons d'urine, qui sont faciles à obtenir et ne portent pas atteinte à la vie privée des gens. Ces derniers doivent nous fournir un échantillon d'urine que nous envoyons ensuite au laboratoire pour confirmation des résultats.

Nous ne fournissons pas le nom précis des drogues. Par exemple, nous n'inscrirons pas méthamphétamine, ni cocaïne, ni encore cannabis. Il existe sept grandes catégories de drogues, qui se fondent toutes sur des signes et une symptomatologie. Les drogues regroupées dans la même catégorie affichent toutes la même symptomatologie, nous fondons donc notre jugement sur une catégorie de drogue et non sur une drogue précise. De toute manière, il serait impossible de dire que quelqu'un ressent l'effet d'un comprimé de Valium. Nous inscrirons plutôt « dépresseurs du système nerveux central », catégorie dont relève cette drogue.

Voilà en quoi consiste le processus en 12 étapes. Pour ma part, je travaille en tant qu'expert en reconnaissance de drogues depuis 2003 et je réussis à effectuer l'évaluation au complet en 30 ou 35 minutes. C'est très rapide.

Le sénateur Stratton : Pouvez-vous nous dire ce qui se passe lorsque c'est l'alcool qui est en cause?

M. Prokopanko : Au début, les choses se passent à peu près de la même manière. Il faut d'abord faire arrêter le véhicule et le faire garer au bord de la route. En règle générale, il s'ensuit alors une conversation, où l'agent de la paix évalue la situation au bord de la route. Si nous ne disposons pas déjà de preuves établissant qu'il y a eu consommation d'alcool, il est assez facile d'obtenir des preuves brutes. On va inviter la personne à sortir du véhicule. On peut lui poser des questions, par exemple : « Avez-vous bu de l'alcool ce soir »? Ce genre de question peut faire démarrer les choses. Aussi, dans une certaine mesure, nous nous fions à nos propres perceptions pour déceler l'odeur de l'alcool. Les agents de la paix traitent tellement de cas liés à la consommation d'alcool que les signes en sont beaucoup plus manifestes. Nous comptons donc sur la reconnaissance des signes généraux de facultés affaiblies ou d'intoxication.

Au cours de l'évaluation qu'effectue l'agent de la paix au bord de la route, s'il observe des signes manifestes de facultés affaiblies ou d'intoxication, il est autorisé par le Code criminel à exiger l'utilisation d'un dispositif approuvé, auquel cas la personne est mise en état d'arrestation et amenée à un lieu d'administration des analyses de l'haleine pour y subir l'alcotest. Si l'agent de la paix ne dispose pas de suffisamment de renseignements ou de preuves pour se prononcer au bord de la route, nous sommes autorisés à exiger l'administration sur les lieux d'un test au moyen d'un dispositif de dépistage approuvé.

Sur obtention des résultats, l'agent de la paix peut conclure que l'alcoolémie de la personne ayant subi le test dépasse les 80 milligrammes autorisés, et est autorisé à demander à cette personne de subir un autre alcotest au poste.

Le sénateur Campbell : Tous les membres de notre comité tiennent certainement à mettre fin au carnage sur les routes causé par la conduite avec facultés affaiblies. Maintenant, pour ce qui est du travail des experts en reconnaissance de drogues, selon un des documents auxquels nous avons eu accès, un sondage effectué par la United States National Highway Traffic Safety Administration, et je cite :

Selon l'étude, la capacité pour un expert en reconnaissance de drogues de distinguer entre des sujets aux facultés affaiblies et dont les facultés n'étaient pas atteintes était « au mieux modeste ». Quant à leur capacité de cerner la catégorie de drogue ayant causé les facultés affaiblies, elle variait de « modeste » (dans le cas de l'alprazolam) à « faible » (dans le cas du cannabis et de la codéine) et à « seulement aléatoire » (dans le cas des amphétamines).

Pourtant, les représentants du gouvernement nous ont affirmé que le taux de précision des résultats obtenus par les ERD était d'environ 86 p. 100.

L'étude réalisée aux États-Unis est-elle récente? Comment expliquez-vous cet écart?

Sgt Martin : L'étude américaine n'est pas récente. Nous avons récemment demandé au Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies de mener une étude avec nous, et notre taux de précision est de 98,4 p. 100. C'est ce que les représentants du centre m'ont dit lors de notre rencontre de ce matin.

Le sénateur Campbell : Ces résultats sont confirmés par des tests toxicologiques?

Sgt Martin : Oui.

Le sénateur Campbell : Il y a d'abord l'examen de l'expert en reconnaissance de drogues, puis un test toxicologique qui vous permet de déterminer qu'il s'agit d'une drogue se classant dans l'une ou l'autre de sept catégories, n'est-ce pas?

Sgt Martin : Oui.

Le sénateur Campbell : Que se passe-t-il si, d'après les résultats des tests, il s'agit d'une drogue qui ne s'inscrit pas dans l'une ou l'autre de ces sept catégories que vous avez choisies?

Sgt Martin : Les catégories que nous avons choisies?

Le sénateur Campbell : Vous croyez que c'était des amphétamines mais le test démontre qu'il s'agissait de cocaïne.

Sgt Martin : Les amphétamines et la cocaïne figurent dans la même catégorie, celle des stimulants du système nerveux central.

Si j'avais établi qu'il s'agissait d'un stimulant du système nerveux central et que, selon le résultat du test toxicologique, c'est un analgésique narcotique, nous demanderions des explications au laboratoire.

Le corps humain est une machine extraordinaire. Il tend toujours vers l'équilibre, vers l'homéostasie. Il produit ses propres hormones pour revenir à un état normal. Si nous arrêtons un conducteur à la fin de la période d'euphorie et que les stimulants qui sont dans son organisme ont produit des endorphines naturelles pour atténuer cette euphorie, vous constaterez peut-être qu'il n'est plus aussi stimulé. Le test indique qu'il s'agit d'analgésique narcotique, c'est qu'il cherche plutôt l'effet contraire de l'euphorie. Nous demandons alors au laboratoire de nous donner une explication.

Le sénateur Campbell : Le conducteur ferait-il l'objet d'accusation néanmoins?

Sgt Martin : Selon sa conduite au moment où il a été arrêté et l'explication que peut nous donner le laboratoire. Dans la province où je travaille, il ne m'est jamais arrivé que le test de laboratoire ne confirme pas mon évaluation. Toutefois, je sais que cela s'est produit et, dans ces cas, aucune accusation n'a été portée.

Le sénateur Campbell : Monsieur Prokopanko, la période entre la première et la seconde analyse de l'haleine est-elle modifiée par ce projet de loi? Je vois trois minutes.

M. Prokopanko : À l'heure actuelle, aux termes du Code criminel, une période d'au moins 15 minutes va s'écouler entre la prise des deux échantillons d'haleine. Il a déjà été proposé de réduire cette période, le Comité des analyses d'alcool s'y est opposé. La période d'observation est nécessaire pour des raisons scientifiques, notamment pour éliminer les perturbations que pourrait causer un rot, par exemple, et parce qu'une période d'observation nous garantit un échantillon de qualité. Le projet de loi n'y change rien. L'intervalle reste de 15 minutes.

Le sénateur Campbell : Je lis ici que le règlement connexe à la nouvelle loi décrirait la nature des compétences et de la formation de l'expert en reconnaissance de drogues, ainsi que les épreuves de dépistage et de coordination physique qui seraient effectuées en bordure de la route et celles qui constitueraient l'évaluation qui se ferait, je présume, au poste de police. Préféreriez-vous que cela figure dans le projet de loi ou dans un règlement qui sera pris ultérieurement? Est-ce que cela aiderait, par exemple, les experts en reconnaissance de drogues?

Sgt Martin : J'ai une correspondance du gouvernement sur l'ébauche de règlement dans laquelle on décrit ces différentes épreuves. J'ai envoyé ces lettres à mon patron. J'ignore où on en est et je ne peux donc répondre avec plus de précision à votre question. Cependant, je peux vous dire que les épreuves seront décrites telles qu'elles existent actuellement dans le règlement.

Le sénateur Merchant : Merci beaucoup. Soyez les bienvenus.

J'aimerais aborder la différence entre l'affaiblissement des facultés par les drogues et l'affaiblissement des facultés par l'alcool du point de vue de la police et du point de vue de l'accusé éventuel.

Vous avez déclaré administrer des alcootests depuis 30 ans. Presque tous s'entendent sur la capacité des policiers à reconnaître les signes de l'affaiblissement des facultés par l'alcool; de plus, ceux qui ont les facultés affaiblies savent qu'ils ont bu.

Toutefois, je ne crois pas que les policiers soient formés à reconnaître l'affaiblissement des facultés par la drogue. Quand la police arrête une personne qui a été impliquée dans un accident, par exemple, le policier peut lui demander de se soumettre à une épreuve de dépistage des drogues. Toutefois, le policier ne peut savoir que cette personne a peut-être les facultés affaiblies par une drogue. La personne qui a été arrêtée, elle, sait si elle a pris des drogues ou des médicaments. En outre, la définition de « drogue » n'est pas précise et peut s'appliquer à toutes sortes de substances. Par conséquent, les circonstances entourant l'affaiblissement des facultés par la drogue sont différentes de celles entourant la conduite en état d'ébriété.

Celui à qui on demande de se soumettre à un test de dépistage peut très bien refuser s'il sait qu'il n'a pas pris de drogue. Toutefois, comme c'est le cas pour l'alcool au volant, on exigera de lui qu'il se soumette à ce test. S'il refuse, est-ce qu'on portera des accusations contre lui et qu'on le jettera en prison?

Sgt Martin : Selon le dictionnaire, un affaiblissement est synonyme de dégradation. Nous avons tous vu des gens mal conduire un véhicule. Le policier doit avoir des motifs raisonnables de croire que le conducteur a les facultés affaiblies par une substance et n'est pas tout simplement un mauvais conducteur. Il peut, pour déterminer cela, poser des questions au conducteur.

Les personnes dont les facultés sont affaiblies par l'alcool ou la drogue présentent certains symptômes. Ils ont les yeux humides et des troubles d'élocution. Les policiers, pendant leur formation, apprennent à détecter des indicateurs clés. S'il s'agit simplement d'une personne qui conduit mal, le policier s'en rendra compte rapidement juste en lui parlant.

Quand un conducteur est sous l'emprise de l'alcool ou des drogues, il ne conduit pas comme on le fait normalement. S'il s'agit d'un traumatisme crânien, le policier posera des questions pour tenter de trouver la cause du problème.

L'affaiblissement des facultés est assez semblable, que la cause en soit la drogue ou l'alcool. Le conducteur conduit mal, il louvoie, sa vitesse est irrégulière, il a du mal à manipuler son permis de conduire et à faire une phrase cohérente, que ses facultés soient affaiblies par la drogue ou l'alcool. Les policiers formés en Ontario et à l'école de la GRC apprennent à reconnaître les signes d'affaiblissement des facultés, et ces signes leur sont évidents. Si le conducteur n'a pas pris de drogue, il suffira au policier de demander ce qui ne va pas, ce qui se passe.

Bien des gens conduisent mal. Quand j'étais agent de la circulation, j'ai arrêté bien des conducteurs pour ensuite vite comprendre qu'ils n'étaient pas en état d'ébriété mais tout simplement de mauvais conducteurs. Pour faire la part des choses, les policiers parlent aux conducteurs. Cela fait partie de nos fonctions de policier de tenter de trouver la source du problème. Une courte conversation suffit à déterminer si on est en présence d'un mauvais conducteur. Selon le cas, le policier peut décider de donner un avertissement ou une contravention.

Dans certains cas, on a fait appel à l'ERD pour évaluer une personne qui avait en fait un problème de santé. Certaines personnes ayant subi un traumatisme crânien donnent l'impression d'avoir les facultés affaiblies par l'alcool ou la drogue. Je connais un cas où la conductrice a été amenée au poste de police après une poursuite au cours de laquelle on avait dû la coincer pour l'arrêter. Au bout de deux minutes avec elle, l'ERD a appelé une ambulance. Elle avait fait une chute plus tôt dans la journée et s'était blessée à la tête. Après avoir fait son examen préliminaire, l'expert en reconnaissance de drogues a appelé une ambulance. Dès lors, elle ne relevait plus de la police. Elle est allée à l'hôpital où on lui a prodigué les soins nécessaires.

Quand l'ERD doit évaluer l'état d'une personne, il se demande tout d'abord si elle est vraiment sous l'emprise de l'alcool ou de la drogue ou si elle n'a pas plutôt des ennuis de santé. Nous ne voulons pas garder dans nos cellules des gens qui ont besoin du service médical d'urgence.

L'affaiblissement des facultés par l'alcool et différentes drogues ressemblera à quelque chose d'un peu différent, mais, par définition, cet affaiblissement est une dégradation des facultés, et en règle générale les policiers savent le reconnaître.

Le sénateur Merchant : Vous pensez donc que tous les policiers pourront effectivement dire si une personne a les facultés affaiblies?

Sgt Martin : Je ne saurais le dire pour tous les policiers, mais ceux que je connais pourraient le dire. En Ontario, un bon nombre de corps policiers offrent d'ores et déjà des compléments de formation sur l'affaiblissement des facultés par la drogue étant donné que, de plus en plus, cette question est d'actualité. Plus nous formons d'experts habitués à reconnaître les symptômes, plus nous trouvons de conducteurs ayant les facultés affaiblies. Nous offrons déjà cette formation à d'autres corps policiers pour venir compléter celle qui leur est offerte au dépôt de la GRC ou au Collège canadien de la police.

Le sénateur Cowan : Bienvenue, messieurs. Je conclus à vous entendre que vous êtes favorables aux dispositions contenues dans le projet de loi C-2 dans vos domaines de compétence.

M. Prokopanko : Oui.

Le sénateur Cowan : L'Association du Barreau canadien a soulevé certaines préoccupations au sujet de ces amendements sous l'angle de la Charte. Pour résumer, elle est d'avis que les limites de la Charte sont relativement bien connues en ce qui concerne la loi actuelle et que nous devons prendre bien garde à lui apporter des changements valables et utiles plutôt que des petits changements graduels, parce que si nous ne sommes pas attentifs, nous risquons d'ouvrir la porte à tout un tas de contestations fondées sur la Charte, contestations qui viendraient vous compliquer la vie et engorger les tribunaux.

J'aimerais savoir si, à votre avis, ces craintes exprimées par l'Association du Barreau sont justifiées. Êtes-vous persuadés que ces améliorations, que vous appuyez, sont bien utiles, même si vous vous accordez à dire qu'il est toujours possible qu'elles produisent un surcroît de travail utile pour les avocats et les tribunaux?

M. Prokopanko : Permettez-moi de commencer et il faut que je sois très prudent dans mes propos. Je dirais « pas de commentaires » de la part du Comité des analyses d'alcool dans ce sens que notre rôle d'auxiliaire du ministère de la Justice, nous le jouons essentiellement sur un plan scientifique.

Mais dire si oui on non il est nécessaire ou utile d'avoir certains des changements qui puissent toucher aux droits conférés par la Charte et imposer des sanctions et des choses de ce genre, bien franchement, notre comité préférerait rester sur la touche en disant que c'est là une responsabilité du législateur et non la nôtre.

En revanche, parlant cette fois-ci comme employé de la GRC, je pourrais vous parler de frustrations. Si vous pensez que notre vie n'est déjà pas assez complexe comme cela avec les contestations fondées sur la Charte et toutes les frustrations que nous éprouvons devant les tribunaux, est-ce que cela nous rendrait encore la vie plus difficile? Je pense que les propositions allaient plutôt dans l'autre sens. Elles étaient supposées accélérer le fonctionnement des tribunaux. Je puis vous dire que les représentants de l'ordre sont tout à fait découragés et c'est une réalité. Je dois reconnaître qu'en tant qu'expert judiciaire, nous faisons très minutieusement notre travail, nous suivons à la lettre près les procédures et les règles en exerçant un contrôle rigoureux, nous étayons tous nos dossiers, nous faisons tout dans les règles, en utilisant des instruments approuvés qui fonctionnent parfaitement sans aucune contestation possible et que tout se déroule comme il faut. Mais il suffit que quelqu'un se présente devant le tribunal en disant : « Je n'ai bu que deux bières » pour que tout ce travail soit ni plus ni moins écarté du revers de la main parce que le témoin a dit cela en gardant tout son sérieux que le juge n'est pas en mesure de le contester ou d'en douter.

À ce moment-là, c'est une décision difficile. Moi, je dis à l'agent de police : « Vous avez fait votre travail, vous avez bien travaillé ». Voilà le genre de frustrations que nous rencontrons à cause de la loi actuelle. J'ai le sentiment, en partie, que certains des changements qu'on trouve ici avaient pour but de tenter d'invalider certaines de ces contestations gratuites, dans les cas où il suffit que l'accusé dise quelques mots pour faire pencher la balance dans l'autre sens au mépris de tout le travail qui avait été accompli pour prouver qu'il conduisait effectivement avec les facultés affaiblies, sous l'influence d'un stupéfiant, ou avec une concentration élevée d'alcool dans le sang. C'est cela qui est frustrant et c'est une frustration bien réelle.

J'appuie les modifications dans la mesure où elles tentent de corriger un déséquilibre, mais je crains qu'il y aura encore fort à faire — sinon pour moi, pour l'agent de la paix au détachement — pour répondre aux questions qui seront soulevées par ces contestations en vertu de la Charte.

Ces mesures ne résoudront pas le casse-tête. Elles ne sont pas une panacée. Il reste encore beaucoup à faire, mais c'est au moins un pas dans la bonne direction.

Sgt Martin : Le Code criminel selon Martin compte 62 pages sur la conduite avec facultés affaiblies et 19 sur le meurtre. Il y a tous les jours des contestations en vertu de la Charte dans des affaires de conduite avec facultés affaiblies, car c'est un problème qui touche bien des gens dans nos collectivités.

Les dispositions du projet de loi rendront-elles nos routes plus sûres? Oui. M'appartient-il de statuer sur les questions liées à la Charte et de présumer des décisions que la Cour suprême du Canada pourrait prendre, entre autres? Je ne crois pas qu'il m'incombe de le faire, mais ces dispositions feront en sorte qu'il sera beaucoup plus facile aux services policiers de retirer des routes les conducteurs dont les facultés sont affaiblies par la drogue. Cela pourrait sauver des vies au Canada. Tout ce qui a cet effet et qui peut rendre nos routes plus sûres — les routes que nos familles utilisent — constituent un avantage pour tous les Canadiens.

Il y aura des contestations en vertu de la Charte, comme il y en a pour toute mesure législative nouvellement adoptée, surtout dans le domaine de la conduite avec facultés affaiblies. Y en aura-t-il énormément? Je ne saurais le prédire. Malheureusement, je n'ai pas de boule de cristal pour cela. Cependant, toutes les mesures que nous prenons peuvent être contestées en vertu de la Charte. Dès qu'il y a un changement dans l'exécution des lois, les avocats de la défense changent leur tactique et lancent de nouvelles contestations.

C'est bien frustrant. Comme M. Prokopanko l'a dit, lorsque nous faisons les choses à la lettre, que le prévenu se défend en affirmant n'avoir pris que deux bières et que c'est lui qui a gain de cause, c'est frustrant, mais nous devons néanmoins faire notre travail.

Le sénateur Cowan : C'est pour cela qu'il y a des juges.

Sgt Martin : Oui. Notre travail à nous consiste à retirer ces gens de la route pour qu'il n'y ait pas le danger que causent les conducteurs dont les facultés sont affaiblies par la drogue et l'alcool.

Le sénateur Cowan : Malheureusement, je n'ai pas d'expérience directe de votre travail, et j'aimerais savoir à quel moment vous informez le prévenu de ses droits. Est-ce lorsque vous avez l'intention de procéder à son arrestation? Est- ce à ce moment-là?

Sgt Martin : Dès que nous arrêtons une personne, nous l'informons de ses droits. Un prévenu a entre autres le droit aux services d'un avocat. Dans notre province, nous les informons à trois reprises de leurs droits.

Le sénateur Cowan : Dans la liste des 12 étapes que vous avez décrites au sénateur Stratton, à quelle étape cela se situe-t-il? À la fin du processus ou durant celui-ci?

Sgt Martin : Dans ma province, dès qu'une personne est arrêtée, elle est informée de ses droits.

Le sénateur Cowan : Et vous lui faites subir ensuite toute la liste des tests?

Sgt Martin : C'est exact.

Le sénateur Cowan : Est-ce à ce moment-là que vous décidez si vous avez suffisamment d'informations pour procéder à une arrestation?

Sgt Martin : Si une personne est amenée à consulter un expert en reconnaissance de drogues, c'est qu'elle a déjà été arrêtée pour conduite avec facultés affaiblies. Elle a donc été informée de ses droits bien avant que l'ERD soit mis en cause. L'agent qui l'a arrêtée et qui estime avoir des motifs raisonnables de croire que les facultés de cette personne sont affaiblies l'aura déjà informée de ses droits.

Le sénateur Cowan : Cela s'applique-t-il tant à l'alcool qu'aux drogues?

Sgt Martin : Oui.

Le sénateur Oliver : J'aimerais que vous ayez l'impression que les dispositions de cette loi sont valables parce qu'elles aideront à lutter contre les crimes avec violence et à retirer de nos routes les conducteurs qui tuent et blessent d'autres gens. Ce sont de bonnes mesures et je suis également d'accord avec vous.

J'ai trois questions. Pour commencer, au sujet des 12 étapes, vous avez dit que vous avez maintenant recours à des analyses d'urine plutôt que de sang. J'aurais cru que les analyses de sang seraient plus scientifiques et donneraient des résultats plus scientifiques. Pourquoi utilisez-vous maintenant uniquement les analyses d'urine plutôt que de sang?

Deuxièmement, vous avez dit que cet examen peut se faire en 30 ou 35 minutes. Bon nombre des choses que vous faites sont suggestives : vous examinez les narines et les yeux du conducteur, vous regardez comment il marche et vous écoutez comment il s'exprime. Y a-t-il corroboration? Ont-ils maintenant prévu dans vos lignes directrices que vous ne pouvez procéder à ces examens lorsque vous êtes seul, car le conducteur pourrait toujours dire que ses pupilles n'étaient pas dilatées, ou encore qu'il n'y avait pas de drogue dans son nez et que c'est vous qui l'y avez placée. Y a-t-il corroboration, quelqu'un vous accompagne-t-il quand vous procédez à ces examens suggestifs?

Troisièmement, bon nombre de gens se sont dit préoccupés par la valeur scientifique des preuves que vous obtenez. Existe-t-il un consensus scientifique au sujet d'un seuil reconnu auquel les concentrations de diverses drogues affaiblissent les facultés?

Sgt Martin : Je vais répondre d'abord à la question des analyses sanguines. Si nous n'utilisons pas d'analyses sanguines, c'est que c'est une procédure très intrusive. Au Canada, les services policiers ne comptent pas de phlébotomistes ayant reçu la formation nécessaire.

Le sénateur Oliver : Vous dites que vous n'avez personne pour cela?

Sgt Martin : Nous n'avons pas d'agents de police — ce n'est pas comme aux États-Unis, où l'on forme des agents de police à prélever des échantillons de sang dans les prisons. Il faudrait amener le conducteur d'un établissement de sécurité jusqu'au bureau d'un médecin, et ce dernier pourrait refuser de prélever les échantillons de sang pour nous, aux termes de l'article 257 du Code.

L'analyse sanguine est très intrusive. Il faut planter une aiguille dans le bras d'un sujet qui a consenti volontairement au prélèvement. C'est un autre degré d'intrusion; il faut aller chercher l'échantillon de sang dans le corps du sujet. Dans le cas de l'urine, c'est très facile; il n'est pas nécessaire de transporter le sujet, et cela évite l'intrusion que représente le prélèvement sanguin.

Les procureurs nous ont dit d'éviter d'essayer d'obtenir des prélèvements sanguins tant qu'une loi n'aura pas été adoptée pour l'exiger. Dans le cas de l'urine, c'est simple. Le sujet consent à l'examen; il se prête à cette analyse après avoir été informé de son droit aux services d'un avocat et des conséquences de l'analyse.

Le sénateur Oliver : S'il existait actuellement une telle loi, les résultats des analyses sanguines seraient-ils supérieurs à ceux des analyses d'urine?

Sgt Martin : Oui.

Le sénateur Oliver : C'est ce que je voulais savoir.

Sgt Martin : Deuxièmement, au sujet de la corroboration, dans ma province, lorsque nous faisons ces examens, nous sommes accompagnés d'une autre personne.

Le sénateur Oliver : Durant tous ces examens?

Sgt Martin : Oui. L'autre personne a reçu une formation en reconnaissance des drogues. Elle est là à titre d'agent de sécurité, car lorsque nous traitons avec ces conducteurs, nous n'utilisons pas d'équipement d'usage de la force, puisque nous sommes trop près. Nous les touchons, nous tâtons leur pouls et nous mesurons leur pression sanguine; nous sommes à très grande proximité.

Dans certaines provinces desservies par la GRC, il peut n'y avoir qu'un ou deux agents en service à un moment donné. S'il faut que ces agents se rendent au poste pour surveiller un examen, cela signifie que la collectivité est privée de cette ressource précieuse pendant 30 ou 35 minutes sur ses routes, ce qui n'est probablement pas acceptable dans bon nombre de localités.

La plupart du temps, l'examen est effectué par une seule personne, qui inscrit les résultats obtenus. L'agent reçoit une formation pour noter exactement ce qu'il constate. Il le fait honnêtement, car des instructeurs l'ont surveillé pendant qu'il faisait les 12 étapes avant qu'il puisse recevoir son certificat. Il est capable de faire une bonne interprétation des indices. L'examen final pour l'accréditation ERD dure de quatre à sept heures. Cet examen est surveillé par deux instructeurs, qui vérifient l'exactitude de la procédure. Il y a des freins et contrepoids. Les agents doivent d'abord suivre un cours théorique, puis on les envoie sur le terrain effectuer les 12 étapes sur des personnes dont les facultés sont effectivement affaiblies par des drogues. Ces agents doivent faire une évaluation complète. Ils font un prélèvement qui est examiné par un laboratoire afin de corroborer l'exactitude des résultats, puis il y a l'examen final. Durant chacune des 12 étapes, les agents sont observés par deux instructeurs, afin de garantir qu'elles sont effectuées convenablement.

En ce qui a trait à la subjectivité, les agents reçoivent une formation sur la façon de bien faire les évaluations et sur les indices à déceler. Dans bien des régions, il n'est pas possible d'avoir deux personnes pour effectuer les évaluations. Malheureusement, nos niveaux de dotation ne nous permettent pas qu'il y ait en tout temps, d'un bout à l'autre du pays, deux agents dans chaque voiture.

Dans notre province, il y a un observateur, mais il ne fournit pas vraiment de témoignage corroboratif. La deuxième personne est là à des fins de sécurité. Vous devez vous tenir très près d'une personne dont vous examinez les yeux. L'observateur devrait regarder par-dessus votre épaule pour corroborer ce que vous constatez. Malheureusement, cela ne se fait pas de cette façon.

La question suivante portait sur la fiabilité.

M. Prokopanko : La fiabilité au sujet des drogues ou de l'alcool? Je vais laisser le sergent Martin vous parler des drogues. Il y a eu des études scientifiques à ce sujet.

Le sénateur Oliver : Sont-elles universellement acceptées? S'entend-t-on à ce sujet?

Sgt Martin : Je ne crois pas qu'il existe actuellement d'ententes quant au seuil de consommation de drogues nécessaire pour affaiblir les facultés. Toutes les drogues sont différentes et elles influencent différemment les gens. D'après certaines études, une très faible quantité de LSD suffit à affaiblir vos facultés, alors qu'à l'autre extrême, on discute de ce qui constitue une consommation acceptable de cannabis.

On parle d'établir des seuils. Pour nous, s'il est interdit au pays d'avoir une substance dans ses poches, de quel droit pourriez-vous la transporter dans votre système pendant que vous conduisez un véhicule? Pour nous, il n'existe pas de seuil.

Il faut d'abord que les facultés du conducteur soient affaiblies. Le sujet est arrêté pour conduite avec facultés affaiblies avant que soit consulté un ERD. Il faut que, pour une raison, la capacité du sujet de conduire sans danger un véhicule motorisé soit réduite. C'est à ce moment qu'est consulté l'ERD et que l'on détermine s'il s'agit d'une raison d'ordre médical ou si le problème est causé par la consommation de drogues.

Il n'existe pas d'ententes quant au seuil de consommation pour diverses catégories de drogues afin de déterminer à quel moment les facultés sont affaiblies.

Le sénateur Oliver : Existe-t-il un test scientifique pour vérifier la raison pour laquelle les facultés d'une personne sont affaiblies?

Sgt Martin : Je n'en connais pas pour l'instant, non.

M. Prokopanko : Même dans le cas de l'alcool, les opinions divergent quant aux quantités nécessaires pour que les facultés soient affaiblies.

Permettez-moi de revenir en arrière pour vous donner ma définition de l'affaiblissement des facultés — et c'est celle que j'enseigne depuis plus de 31 ans. L'affaiblissement des facultés est une détérioration de l'attention, de la compréhension et du jugement, une réduction de la coordination fine et du contrôle qui font en sorte que conduire un véhicule motorisé devient dangereux. C'est donc une définition très large. Il n'est pas nécessaire de zigzaguer sur toute la largeur de la route, de s'effondrer ou d'être incapable de se tenir debout ou de marcher pour qu'il y ait « facultés affaiblies ».

Le sénateur Oliver : Ou de ne pas pouvoir toucher son nez.

M. Prokopanko : C'est exact, bien que ce soit parfois un bon indice.

On parle de « facultés affaiblies » à tort et à travers. Tout le monde dit maintenant que ses facultés ne sont pas affaiblies. Je trouve cela intéressant, car pour moi, dans le monde scientifique, l'expression « facultés affaiblies » a une définition bien précise, c'est-à-dire la détérioration de l'attention, de la compréhension et du jugement. Mais cette détérioration n'a pas toujours des manifestations visibles. Il faut pouvoir les détecter.

Cela explique la valeur de certains des examens que l'on fait subir. Il ne s'agit pas seulement d'attendre que quelqu'un sorte du véhicule. Dans certains cas, il est difficile de conclure que les facultés du conducteur sont affaiblies. Nous devons passer du temps avec lui et lui poser des questions. Il faut lui laisser la possibilité d'évacuer l'adrénaline provoquée par la vue des gyrophares dans son rétroviseur et de l'agent en uniforme. Lorsque le conducteur a eu le temps de se détendre avec un agent de la paix et de répondre à certaines questions, c'est alors que le relâchement peut se manifester.

Ce n'est pas tout le monde qui a des yeux rouges, vitreux, des difficultés d'élocution et du mal à se tenir debout. Je pense que toute cause de conduite avec facultés affaiblies devrait commencer ainsi : « Votre Honneur, j'ai observé les quatre premiers signes; maintenant, voici ce que j'ai véritablement observé. » Observer des facultés affaiblies est, généralement parlant, très subjectif. Il s'agit de poser des questions et d'obtenir une réaction appropriée.

Il n'est pas difficile de trouver les conducteurs en état d'ivresse. Ils se manifestent d'eux-mêmes : ils sont déjà dans le fossé, après une collision. Ce qui est difficile, c'est de déterminer les conducteurs aux facultés affaiblies et, pour un agent de la paix, d'expliquer comment on en arrive à cette conclusion. Les agents de la paix ont tendance à reconnaître sans peine un comportement moyen, mais il faut un peu plus de travail pour reconnaître des facultés affaiblies.

Selon moi, à 100 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang, une personne a les facultés affaiblies et ne peut conduire de façon sécuritaire un véhicule à moteur. Je l'ai affirmé en cour plus d'une fois. Je ne doute pas non plus que l'on puisse prouver des facultés affaiblies pour certaines tâches spécifiques à des niveaux aussi faibles que 50 ou 40 milligrammes, et je peux d'ailleurs le prouver.

Il existe une série d'opinions quant au niveau auquel les facultés sont affaiblies, soit par l'alcool soit par les drogues. On ne s'entend pas universellement sur un certain taux. C'est subjectif, jusqu'à un certain point.

Le sénateur Di Nino : Dans votre échange avec le sénateur Oliver, vous avez abordé plusieurs des points dont je voulais parler, mais il en reste un sur lequel je voudrais satisfaire ma curiosité.

Tout cela dépend manifestement de la trempe des hommes et des femmes qui font subir les tests et qui s'efforcent d'empêcher les conducteurs aux facultés affaiblies de circuler sur les routes.

Sergent Martin, je crois vous avoir entendu dire que le processus commençait par une sélection spéciale des gens, puis une formation spéciale. Vous me rassureriez en expliquant ce que sont cette sélection spéciale et cette formation spéciale.

Sgt Martin : Nous cherchons quelqu'un qui s'intéresse passionnément à faire respecter la loi sur la conduite avec facultés affaiblies, quelqu'un qui va parcourir nos routes et chercher les gens dont les facultés sont affaiblies. La plupart de nos agents de la circulation sont des gens de ce type. En ce moment, nous cherchons des gens ayant ces caractéristiques de base, des gens qui veulent agir, arrêter les conducteurs aux facultés affaiblies. Rien ne sert de former des gens qui n'interviendront pas ou qui se contenteront de répondre aux appels radio sur la route, qui sillonneront les routes, sans jamais arrêter un conducteur aux facultés affaiblies. Nous voulons former les gens qui font respecter la loi et qui arrêtent les conducteurs aux facultés affaiblies. C'est ce type de personnes que nous recherchons.

Le sénateur Di Nino : J'aurais cru que tous les agents de la paix et les agents de police cherchaient à obtenir ce type de résultat. Dois-je comprendre qu'il y en a qui ont des dispositions particulières dans ce domaine?

Sgt Martin : Je pense que c'est un but commun à tous les agents de police. Toutefois, tous les agents de police ne sont pas en mesure de répondre aux appels radio, soit faute d'occasion, soit faute de temps, et de faire en plus respecter la loi quant à la conduite avec facultés affaiblies. C'est pourquoi nous avons des services veillant à faire respecter la loi en matière de circulation dans la plupart des grands corps de police. Ces services se chargent strictement de faire appliquer la loi et d'effectuer des enquêtes pour les infractions en cas de conduite avec facultés affaiblies et avec facultés affaiblies par les drogues.

Il y a dans le sud de la région d'York un tissu urbain serré. Nos agents en première ligne font généralement des journées de 12 heures, pendant lesquelles ils répondent aux appels radio sans arrêt. Ils sont inondés d'appels radio. Ils passent d'un appel à un autre pour répondre aux besoins du service. C'est notre intervention de base. Les gens appellent la police et s'attendent à ce qu'elle se présente et réponde à l'appel.

Nos agents de la circulation ont plus de latitude, vu que leur travail est de faire respecter le Code de la route de la province de l'Ontario et le Code criminel. Ils sont sur le terrain pour faire respecter les lois et repérer les conducteurs aux facultés affaiblies. Ils ont plus que la formation voulue pour reconnaître les situations où il convient d'enquêter plus avant. Ils ont la formation voulue pour reconnaître les facultés affaiblies par l'alcool ou par les drogues. Ils ont suivi les cours sur l'alcootest et les cours sur les tests normalisés de sobriété en bordure de la route. Ils ont la formation voulue et plus, avant de passer au programme de classification et d'évaluation des drogues. Ils doivent avoir fait leurs preuves en matière de conduite avec facultés affaiblies.

Nous en avons fait une norme nationale. Nous disons aux gens que nous recherchons des agents s'intéressant beaucoup aux lois sur la conduite avec facultés affaiblies, des gens qui connaissent bien ces lois, et nous demandons aux corps de police de nous envoyer ces gens. On nous envoie des gens qui tiennent passionnément à ce que nos routes soient sûres.

Le sénateur Di Nino : J'ai quelques questions supplémentaires sur l'aspect formation. Vous y avez fait allusion une ou deux fois, mais pourriez-vous nous en dire plus sur la formation, y compris sur les normes nationales? La formation s'effectue-t-elle au niveau régional, provincial ou national? Les normes sont-elles fixées par les corps de police du pays? Que pouvez-vous nous dire sur tout cela?

Sgt Martin : Les normes adoptées dans le cadre du Programme de classification et d'évaluation des drogues sont établies par l'Association internationale des chefs de police. Ils ont une section sur les experts en reconnaissance de drogues qui établit les normes que nous respectons au Canada, comme aux États-Unis et en Angleterre.

En ce qui concerne la formation, nous choisissons les candidats. Cela s'effectue au niveau national. J'organise un cours au Collège de police de l'Ontario; puis je donnerai quelques cours sur le test normalisé de sobriété en bordure de la route; après quoi, j'irai à Terre-Neuve-et-Labrador pour donner un cours à la Force constabulaire royale de Terre- Neuve. Une fois cela fini, nous irons en Colombie-Britannique donner un cours pour la GRC. Nous donnons ces cours partout au pays et tout le monde suit la même formation.

Il y a une portion théorique de deux semaines, durant laquelle les stagiaires acquièrent des connaissances sur les drogues, leur nature et leur effet sur le corps. Nous parlons de physiologie et d'autres choses. Les stagiaires doivent réussir cette portion du cours avec une note minimale de 80 p. 100 à l'examen final. Il y a six questionnaires et toute une série de tests que les stagiaires doivent être en mesure d'effectuer avant de pouvoir clore la portion théorique.

Une fois cette portion terminée, nous passons au volet pratique, avec une évaluation de 12 sujets sous l'influence d'une drogue. Nous avons utilisé des volontaires et amené les gens en Arizona où il est possible d'exploiter une bien plus grande base. L'évaluation est payée par le programme national en vue de l'obtention de l'agrément. Les stagiaires doivent se prononcer et arriver à la bonne conclusion. Pendant qu'ils effectuent ces tests, ils sont observés par deux instructeurs qui les surveillent pour s'assurer qu'ils effectuent les tests comme il faut et ils leur donnent une rétroaction à chaque fois. Le stagiaire doit continuer à s'entraîner. Il y a des gens qui sont éliminés, des gens qui ne veulent pas le faire, qui ne maîtrisent pas les habiletés ou qui laissent tomber le cours. C'est regrettable mais cela se produit. Nous ne pouvons pas agréer une personne qui n'est pas à la hauteur, surtout pas avec des tests subjectifs.

Une fois que les stagiaires ont fini, ils doivent présenter un résumé visant à faire approuver leur rapproche. Ils ont ensuite un examen final sur leur connaissance : de quatre à sept heures pour la rédaction au long des réponses à des questions telles que : « Parlez-nous des hallucinogènes et de l'alcool. En cas de conjonction de ces deux catégories de drogues, qu'allez-vous constater, en tant qu'experts en reconnaissance de drogues? » Les réponses prennent du temps. On les examine avec le candidat. Si le candidat est reçu, nous envoyons son dossier à l'Association internationale, en vue de l'agrément. Le candidat est alors accrédité comme expert en reconnaissance de drogues, l'agrément étant valable pour deux ans. Chaque expert canadien doit renouveler son accréditation tous les deux ans, pour montrer ce qu'il fait et effectuer une évaluation devant un instructeur, afin de prouver qu'il a conservé les habiletés voulues et peut toujours catégoriser les cas et effectuer les tests comme il convient.

Le sénateur Andreychuk : J'ai une question de suivi sur les facultés affaiblies, avant qu'on passe à l'alcool.

Ai-je raison de dire que, quand nous nous sommes attaqués au problème de la conduite avec facultés affaiblies, nous nous sommes efforcés de trouver une solution, d'aller plus loin que l'article générique sur la conduite avec facultés affaiblies qui figure dans le Code criminel? Il y avait une série de tests physiques et une série de défenses possibles comme : « Je ne peux pas effectuer le test; vous ne l'avez pas administré comme il convient. » C'est alors que nous avons élaboré l'alcootest, qui nous a permis, tout en conservant l'article sur la conduite avec facultés affaiblies, de dire simplement : « Si vous avez dans votre sang un taux d'alcool à tant, vous êtes coupable d'une infraction. » Peu importe alors que vos facultés soient affaiblies ou pas.

À ce que je comprends, nous n'avons pas de détermination distincte de facultés affaiblies par les drogues. Pour déterminer si les facultés d'une personne sont affaiblies par l'alcool, les drogues ou autre chose à quoi nous n'avons pas pensé, il faut d'abord procéder au test sur les facultés affaiblies. C'est bien cela?

Sgt Martin : S'il s'agit de facultés affaiblies par l'alcool que l'on constate en bordure de la route, la personne est simplement dirigée dans la filière de l'alcool. Nous avons l'alcootest, administré à deux reprises, à 17 minutes d'intervalle. La personne est dirigée dans cette voie. Quand on décide d'avoir recours au test d'un expert en reconnaissance de drogues, si, dans un premier temps, on administre un alcootest, c'est pour déterminer s'il s'agit d'alcool. Parfois, il y a une certaine odeur associée à la consommation d'alcool. L'agent peut se tromper, croire qu'il s'agit de drogues, alors qu'il s'agit d'alcool. Dans ce cas, on arrête; s'il s'agit d'alcool, on dirige la personne vers la filière de l'alcool.

S'il s'agit de drogues, vous en arrivez aux accusations qui peuvent être portées si le seuil de 80 est dépassé, sauf erreur madame.

Le sénateur Andreychuk : Non. Voici ce que je voulais dire. Faute d'une méthode pour savoir qu'une certaine quantité de drogue est présente dans le système de la personne, celle-ci est automatiquement accusée et inculpée si elle a une certaine quantité d'alcool. Bien sûr il y a des défenses raisonnables, mais c'est un test qui n'existe pas encore pour les drogues.

Sgt Martin : Non, effectivement, nous ne disposons pas encore de ce genre de test, sénateur.

Le sénateur Andreychuk : C'est ce à quoi je voulais en venir.

L'autre question soulevée par certains des sénateurs du comité, même si les témoins ne l'ont pas abordée, est celle des médicaments sur ordonnance. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la façon dont vous les considérez? Si les facultés de la personne sont si affaiblies qu'elle ne peut pas vous informer du fait qu'elle prend des médicaments sur ordonnance, que faites-vous alors? Si cette personne a le médicament, vous supposez que c'est ce médicament qui affaiblit ses facultés et qu'elle a une raison légitime de l'utiliser, je suppose, et vous en tenez donc compte. Mais si les facultés de cette personne sont si affaiblies qu'elle est incohérente et si cette personne n'a pas le médicament sur elle, que se passe-t-il?

Sgt Martin : Nous utilisons l'évaluation des experts en reconnaissance de drogues. Dans le cas en question, la personne a déjà été arrêtée pour conduite avec facultés affaiblies. Or le Code criminel parle de drogue, pas de drogue illicite. Si une personne utilise un médicament sur ordonnance et lit les mises en garde figurant sur l'emballage, si elle tient compte des conseils de son docteur et utilise des doses thérapeutiques, si elle utilise le médicament comme il convient, elle ne se heurtera sans doute jamais à un expert en reconnaissance de drogues. J'ai dans ma section des gens qui travaillent en prenant des médicaments sur ordonnance et qui ne conduisent pas de véhicule à moteur avec des facultés affaiblies. Ils utilisent pourtant ces médicaments jour après jour, pour des troubles particuliers. Le problème se présente uniquement quand les gens utilisent de plus fortes doses que celles prescrites parce qu'ils veulent se sentir mieux, quand ils utilisent les médicaments sans respecter les normes, quand ils ne lisent pas les mises en garde.

J'ai amené ma fille de 10 ans voir le médecin avant de venir à Ottawa et sur sa bouteille de médicament sur ordonnance de Shopper's Drug Mart il y avait une mise en garde lui disant de ne pas conduire de voiture après avoir consommé le médicament. Elle ne conduira pas; c'est donc une bonne chose.

Mais s'ils lisent les emballages, les mises en garde sont déjà là. On met des étiquettes sur les bouteilles. On met des avertissements sur les bouteilles d'alcool mais les gens continuent quand même de conduire après avoir bu. S'ils écoutent les mises en garde et prennent leurs médicaments sur ordonnance comme ils sont censés le faire, ils n'auront jamais affaire à nous parce qu'ils ne manifesteront pas de signes évidents de conduite avec facultés affaiblies. Quand les médecins multiplient les ordonnances ou que les gens ne tiennent pas compte de mises en garde ou mêlent alcool et médicaments, ils risquent de tomber sur un ERD.

Nous avons eu une affaire de médicaments sur ordonnance dans la région de York. Le médecin lui avait prescrit de prendre un comprimé mais il en a avalé quatre parce qu'il voulait guérir plus vite. Il conduisait donc avec les facultés affaiblies. Ce n'était pas un cas d'affaiblissement excessif. Il roulait sur le trottoir. Ça été un problème pour nous.

Le sénateur Andreychuk : La conclusion, c'est que si vous êtes responsable d'un véhicule, vous avez le devoir de conduire comme il faut et de prendre d'autres précautions.

Sgt Martin : Oui.

Le sénateur Andreychuk : On a déjà étudié ces motifs de défense. Par exemple, « Je ne pensais pas qu'il y avait de l'alcool dans mon coca ». Peut-être que c'est un motif de défense; peut-être que ça n'en est pas. Ça dépend de la situation et c'est au juge de juger. Le message, c'est que vous avez le devoir de conduire prudemment et qu'on ne veut pas de conducteurs aux facultés affaiblies sur la route.

Sgt Martin : Oui. En Ontario, en vertu du Code de la route, le droit de conduire est un privilège qui vous est accordé par le gouvernement. Pour le conserver, vous devez assumer certaines responsabilités. L'une d'elles est de conduire en état de sobriété. Vous avez l'obligation vis-à-vis des autres conducteurs de conduire en état de sobriété pour ne pas être un danger, ni pour eux ni pour vous-même. Si vous prenez un médicament sur ordonnance, lisez les mises en garde. Elles sont de couleur orange vif sur le devant de la bouteille. Il est impossible de les rater si vous ouvrez une bouteille de médicaments sur ordonnance. Les médecins vous expliquent les effets secondaires. Les notices qu'on vous remet aujourd'hui dans les pharmacies vous disent de ne pas mélanger vos médicaments. Si les gens les observaient, il n'y aurait pas de problèmes sur les routes. C'est quand les gens veulent guérir plus vite qu'ils se mettent à surconsommer des médicaments.

Il est arrivé que des gens avalent toute une bouteille pour guérir vite et réintégrer la société normale. Malheureusement, cela les place sur notre chemin parce qu'ils conduisent avec des facultés affaiblies au sens du Code criminel. Le Code criminel, en anglais, ne parle que de « drug », qui signifie en français drogue et médicament.

Le sénateur Andreychuk : Vous parlez de manquer de responsabilité vis-à-vis des autres conducteurs. J'inclurais aussi les piétons, qui sont souvent des victimes.

Sgt Martin : Oui.

[Français]

Le sénateur Chaput : Ma compréhension est la suivante : présentement, si vous arrêtez un conducteur et vous croyez que ses facultés sont affaiblies à cause de la drogue, vous pouvez lui suggérer de passer un test, mais il n'est pas obligé de s'y soumettre. Le projet de loi l'obligerait, si vous croyez que ses facultés sont affaiblies par la drogue, à passer un test quelconque.

D'après votre expérience, quel serait le pourcentage de conducteurs, présentement, qui conduiraient avec des facultés affaiblies par les drogues? Sur ce pourcentage, avez-vous une idée du pourcentage d'accidents qui pourraient être causés par les facultés affaiblies par la drogue?

[Traduction]

Sgt Martin : Oui. Si nous arrêtons quelqu'un qui est soupçonné de conduite avec les facultés affaiblies, la personne n'est pas obligée de subir le test. On lui demande mais elle peut refuser.

Il y a eu des études sur des conducteurs avec facultés affaiblies, dont une au Québec. Les conducteurs morts de leurs blessures l'ont été à cause de l'alcool et d'autres drogues. Une étude de 2002 a déterminé que 30,2 p. 100 des conducteurs morts de leurs blessures avaient des drogues dans le corps. Une étude semblable en Colombie-Britannique effectuée au début des années 1990 a placé la limite de la drogue à environ 20 p. 100. Ce sont des conducteurs fatalement blessés qui ont été tués dans des collisions et qui ont été contrôlés pour des drogues; les tests révèlent qu'entre 20 et 30 p. 100 avaient de la drogue dans le corps.

En termes de consommateurs de drogues, si je regarde l'enquête sur la consommation de drogues en Ontario, à peu près 20 p. 100 des 16 et 19 ans disent avoir conduit dans l'heure qui a suivi la consommation de cannabis. L'enquête sur la consommation de drogues des étudiants au Manitoba place le chiffre autour de 19 p. 100. Ça fait beaucoup de monde.

Je ne peux pas vous dire combien d'accidents ont été causés. Quand je regarde le nombre de décès, si 30 p. 100 de ces conducteurs mortellement blessés avaient de la drogue dans le corps, c'est un nombre important de personnes droguées au volant.

[Français]

Le sénateur Chaput : Est-ce qu'il ne serait pas plus simple d'imposer ce que nous appelons la tolérance zéro? Si on conduit, on ne consomme ni alcool ni drogue.

[Traduction]

Sgt Martin : Si nous avons une tolérance zéro pour ceux qui prennent des médicaments — ceux qui ont de la drogue dans le corps mais dont les facultés ne sont pas affaiblies, ça ferait quand même d'eux des criminels aux termes d'une loi sur la tolérance zéro. On criminaliserait quelqu'un qui prend ses médicaments comme il faut, qui n'enfreint aucune loi sur la conduite avec facultés affaiblies mais qui a quand même de la drogue dans son organisme au-dessus du niveau autorisé de zéro.

[Français]

Le sénateur Chaput : Quelle serait alors la solution pour les personnes qui prennent des drogues? Si on ne peut déterminer les substances absorbées, si on ne peut faire la distinction entre les médicaments et les drogues, nous sommes devant un dilemme.

[Traduction]

Sgt Martin : En termes de solution, si les gens utilisent leurs médicaments sur ordonnance de manière thérapeutique, leurs facultés ne seront pas affaiblies. Ils ne tomberont pas sur un expert en reconnaissance de drogues. S'ils prennent leurs médicaments sur ordonnance selon les prescriptions de leur médecin, s'ils en lisent la mise en garde et prennent la dose prescrite, ils seront en état de conduire. Ce sont ceux qui en abusent ou qui consomment de la drogue qui ont maille à partir avec les policiers. Ils représentent un danger sur la route parce qu'ils prennent de la drogue ou abusent de médicaments au volant.

La présidente : Malheureusement, dans ce projet de loi, tout dépend de la fiabilité des tests. Je ne parle pas des 12 étapes, de devoir se toucher le nez avec le doigt ou peu importe, mais les tests toxicologiques, les alcootests ou peu importe. C'est vraiment important parce que dans ce texte, le seul moyen de défense autorisé est de prouver que le matériel d'analyse fonctionnait mal.

Il y a deux points sur lesquels j'aimerais que vous nous éclairiez. D'abord, comment peut-on s'assurer que les appareils sont systématiquement fidèles. Chacun sait qu'il y a des faux positifs et même des faux négatifs qui se présentent dans toutes sortes de situations médicales, pas à tous les jours, mais ça arrive et nous connaissons tous des gens à qui c'est arrivé. Nous savons tous qu'il arrive parfois que des appareils très complexes soient erronés.

Comme absolument tout dépend de l'exactitude de ces tests, comment peut-on s'assurer de leur exactitude?

M. Prokopanko : Laissez-moi d'abord vous parler de l'alcool. Je ne suis pas tout à fait sûr que les modifications qui se trouvent dans le projet de loi fassent disparaître les autres moyens de défense. Autrement dit, je ne vois pas qu'il n'y ait qu'un seul moyen de défense pour les conducteurs avec facultés affaiblies si le texte est adopté. Les mécanismes actuels continueront sans doute d'exister, mais seront plus sévères. L'accusé devra satisfaire à trois exigences supplémentaires si le texte est adopté pour prouver où est le problème.

Comme expert judiciaire, ça me plaît beaucoup, parce qu'on a satisfait à beaucoup plus d'exigences pour s'assurer que le matériel utilisé est adapté, fiable, exact et techniquement approuvé par le Code criminel avant d'être intégré à ce mécanisme et d'être utilisé pour une enquête du Code criminel. Ce n'est pas comme si vous alliez chez Costco pour acheter le matériel d'alcootest de Fred. Ça passe par toute une série d'évaluations avant d'être inclus et reconnu par le Code criminel comme instrument approuvé ou appareil approuvé de dépistage.

C'est le Comité des analyses d'alcool qui s'occupe de cette évaluation. Nous en savons déjà beaucoup sur le matériel avant qu'il soit mis en service et nous n'avons aucune crainte. Pour chaque alcootest, il y a toute une série de garanties et de contrôles qui attestent le bon fonctionnement du matériel ainsi que la fiabilité et l'exactitude du test. Cela comprend des procédures strictes et rigoureuses qu'un technicien qualifié doit suivre pour effectuer un alcootest en règle.

Pour revenir à une question posée tout à l'heure au sujet de la formation, ce n'est pas n'importe quel agent de la paix qui fait subir un alcootest. Pour en faire subir un au Canada, vous devez avoir été désigné par le procureur général de la province. Pour obtenir cette désignation, vous devez avoir réussi un programme de formation. Le programme de formation est décrit dans les normes recommandées du Comité des analyses d'alcool. Nous recommandons des cours, des connaissances de base en plus de tests pratiques. Actuellement, la recommandation est de 40 heures de formation. Beaucoup de programmes aux États-Unis ne peuvent pas croire qu'on passe autant de temps à former les gens, mais c'est ce qu'on fait. Ils ne se contentent pas de pousser des boutons. Nous leur donnons beaucoup d'information de base et de connaissances avant de les laisser procéder à des alcootests.

Le matériel, surtout ce qu'on utilise aujourd'hui et la prochaine génération de matériel, est en majorité contrôlé par un microprocesseur, ce qui a du bon et du mauvais. À l'époque de l'alcootest Breathalyzer, la façon de procéder était très mécanique. Cette époque me manque parce que c'est vous qui contrôliez le matériel et vous deviez tout faire. La partie désagréable est que peut-être l'accusé trouvait que si c'est l'agent de la paix qui contrôle le test, il préférerait qu'il soit automatisé pour que l'agent de la paix ne puisse pas contrôler son alcootest.

Nous avons introduit du matériel automatisé, des microprocesseurs et des ordinateurs qui le conduisent. Les ordinateurs ne sont pas intelligents. Ils ne savent que ce que vous leur dites. Nous fixons des critères qu'ils doivent respecter. Beaucoup de ces critères sont nos garanties de sécurité. Nous fixons des niveaux précis pour les contrôles standard internes et externes. On leur fait subir des contrôles diagnostiques. Il faut qu'ils contrôlent l'air — on appelle ça des tests à blanc — pour s'assurer qu'il n'y a rien dans la salle qui puisse produire un résultat erronément positif. On s'assure que l'enceinte d'échantillonnage dans laquelle est soufflé l'échantillon d'haleine est propre aussi bien avant qu'après le test. Ces procédures sont maintenant programmées dans l'appareil, qui fonctionne automatiquement. C'est bien quand l'appareil marche parfaitement, mais s'il y a un raté ou une erreur, le test est interrompu et l'appareil s'éteint. Malheureusement, parfois ce qu'il appelle une erreur n'en est pas; c'est quelque chose qui peut être expliqué mais le test va quand même être interrompu et l'appareil va se fermer.

La présidente : Comment savez-vous qu'il a fait une erreur? Je n'ai jamais travaillé sur un ordinateur qui m'a dit : « Oups, j'ai fait une erreur ». C'est une erreur de l'opérateur, de l'utilisateur, de saisie. On blâme tout sauf l'ordinateur, mais il arrive qu'il y ait des défaillances.

M. Prokopanko : Quelle que soit la source de l'erreur, presque sans exception, elle interrompt l'alcootest pour que vous ne continuiez pas avec un appareil défectueux. N'oubliez pas que c'est le désavantage de se fier à du matériel automatisé; il ne s'agit plus seulement d'un instrument. C'est pourquoi nous consacrons extrêmement de temps à la formation du technicien qualifié pour qu'il reconnaisse et corrige les situations où l'appareil a fait quelque chose; il n'était pas censé faire ça; pourquoi est-ce qu'il l'a fait? Nous essayons de mettre en présence le technicien avec tous les cas de figure pour qu'il détermine la cause, puis découvre ce qui doit être fait pour l'éliminer ou la corriger, et apprenne la procédure et le protocole correct pour réaliser un alcootest en règle.

Je le répète; on ne fait pas que se fier aux ordinateurs. Un technicien qualifié est chargé non seulement d'appuyer sur le bouton, mais également d'évaluer la situation et d'étudier le sujet. Lors de notre formation, certains dispositifs de protection permettent de former les officiers à reconnaître des choses autres que les facultés affaiblies par l'alcool éthylique; ça ne va pas aussi loin que le programme de reconnaissance des drogues, mais on leur enseigne à chercher des indices selon lesquels les gens ont consommé autre chose que de l'alcool ordinaire, la façon dont les instruments le détectent et comment traiter avec ces gens également.

La présidente : Qu'en est-il des drogues?

Sgt Martin : Dans le cas des échantillons prélevés dans le cadre du Programme d'experts en reconnaissance de drogues, les échantillons sont envoyés dans des laboratoires autorisés pour être analysés. Je ne peux pas formuler d'observations au sujet de l'équipement utilisé dans les laboratoires. Je ne suis ni un toxicologue de laboratoire, ni un toxicologue judiciaire. Les échantillons sont scellés et envoyés aux laboratoires approuvés qui appuient l'application de la loi, au Centre des sciences judiciaires, au laboratoire judiciaire à Montréal ainsi qu'aux laboratoires de la GRC partout au pays, où ils sont analysés.

La présidente : Comprenez-moi bien. Je ne mets pas en doute le professionnalisme de tous ceux qui participent à chaque étape de ce processus. Je suis assez vieille pour savoir que les choses tournent parfois mal. Tôt ou tard, si quelque chose peut aller mal, c'est ce qui arrivera. Comment le savons-nous?

M. Prokopanko : Je veux simplement souligner qu'il ne s'agit pas d'un processus réalisé au hasard. Nous suivons une procédure très bien contrôlée, régie et structurée, et nous conservons des documents à chaque étape. Il y a des vérifications. J'ai parlé des normes internes et des normes externes. Aujourd'hui, la plupart des appareils sont en mesure de vérifier eux-mêmes leur étalonnage, leur exactitude et la performance des circuits électroniques, en plus de notre protocole d'analyse, requièrent un échantillon d'une concentration d'alcool connu pour chaque échantillon d'haleine et nous nous attendons à obtenir cette valeur cible, en tenant compte de la variation possible, avant de faire une analyse d'haleine. Nous nous fions beaucoup à cette épreuve pour démontrer que l'appareil fonctionne de façon appropriée lors de l'épreuve.

Tous nos appareils d'analyse de l'haleine doivent satisfaire à des exigences d'entretien; peu importe s'ils sont défectueux ou non, ils font l'objet d'un entretien annuel pour veiller à ce que nous ne rencontrions pas ces problèmes lorsque nous procédons à des analyses. Le programme comporte des vérifications qui sont mentionnés dans le document que je vous ai fourni; il s'agit des normes recommandées. Ce sont des recommandations du Comité des analyses d'alcool et, en général, elles sont entièrement acceptées par les programmes partout au Canada. Si l'on suit la procédure et l'on franchit toutes les étapes de façon adéquate, les analyses sont fiables.

La présidente : Permettez-moi de revenir aux laboratoires approuvés pour un instant. Sergent, connaissez-vous des études qui ont été réalisées pour évaluer le taux d'exactitude des résultats dans de telles circonstances?

Sgt Martin : Je n'ai jamais lu d'études à ce sujet. Je ne sais pas s'il y en a. Nous avons une autre protection; lorsque nous envoyons des échantillons au laboratoire, en Ontario en particulier, les échantillons sont conservés, congelés, et disponibles si l'avocat de la défense souhaite faire sa propre analyse. Nous utilisons notre partie. Une autre partie est conservée et congelée. Plus précisément, deux fioles de sang sont toujours recueillies. L'une est congelée et conservée, et si l'avocat de la défense en fait la demande, il peut la voir pour faire sa propre analyse, dans son propre laboratoire et avec son propre personnel.

M. Prokopanko : En ma qualité de toxicologue judiciaire et d'analyste, au cours des dernières années du moins, laissez-moi souligner que dans les laboratoires judiciaires, pas seulement dans le cas de la GRC, mais également au centre à Toronto et au laboratoire à Montréal, il y a des laboratoires approuvés, et ce, pas seulement pour le Programme d'experts en reconnaissance de drogues. Grâce à cette approbation, on sait que les échantillons suivent une procédure d'analyse bien rigoureuse. Nous représentons à la GRC un système approuvé par le Conseil canadien des normes. Il y a d'autres organismes d'approbation qui examinent notre rendement en tant que toxicologues judiciaires ainsi que les résultats de laboratoire.

Le sénateur Cowan : J'aimerais poursuivre dans le sens des questions du président portant sur les changements, l'élimination ou la limitation des défenses. Plus tôt au cours de notre conversation, nous avons parlé de la défense des deux bières, à laquelle certains d'entre nous ont probablement déjà eu recours, pour le compte d'autrui, parfois avec bonheur, mais dans mon cas, la plupart du temps en vain.

Dans le cas qui nous occupe, si je comprends bien, le projet de loi limiterait cette preuve à la défense contraire, c'est- à-dire la défense des deux bières, de sorte qu'il faudrait prouver deux choses : que l'alcootest ne fonctionnait pas bien et la concentration d'alcool, et cetera.

Cet équipement appartient aux autorités, et personne ne conteste l'intégrité ni le professionnalisme des autorités; bien sûr que non. Toutefois, comme le président l'a dit, il arrive que l'équipement ne fonctionne pas correctement. Si on tente de préparer une défense à l'égard de l'une de ces accusations, comment peut-on ne pas tenir compte du fait que l'équipement ait pu mal fonctionner, preuve qui fait partie intégrante de cette défense limitée? Je pense que c'est ce que le président essayait de faire comprendre.

M. Prokopanko : Vous me posez cette question en présumant que l'appareil ne fonctionne pas correctement et, bien entendu, je réponds à votre question en disant que j'ai la certitude non pas que l'appareil peut ne pas fonctionner convenablement mais que, si cela se produit, nous détecterons le problème lors de l'alcootest sans qu'on se soit rendu à l'acceptation d'un échantillon d'haleine.

Cela dit, si le projet de loi C-2 est adopté, il y aura trois obstacles auxquels on demande maintenant à la défense de franchir. Pour recourir à la preuve contraire, la défense devra prouver que l'équipement ne fonctionnait pas correctement ou n'était pas bien utilisé, que la mauvaise utilisation a résulté en un dépassement des 80 milligrammes dans le sang de l'accusé, et que la concentration d'alcool dans le sang de l'accusé n'aurait pas dépassé 80 milligrammes par 100 millilitres.

Le sénateur Cowan : Comment pouvez-vous prouver votre premier point?

M. Prokopanko : C'est ce que j'ai mentionné plus tôt. Ces changements augmenteront la pression exercée sur les policiers, peut-être pas sur moi, mais sur mes commandants de détachement, qui devront fournir les dossiers d'entretien et de service, de même que les dossiers de rendement de ces instruments. Idéalement, nous obtenons maintenant de l'équipement électronique, de sorte que nous espérons pouvoir recueillir ces renseignements un peu plus facilement, mais beaucoup de documents vont devoir être copiés et divulgués pour répondre à ces questions, mais je pense que nous pouvons le faire. Nous pouvons prouver que les vérifications d'usage ont été faites, et bien faites et qu'elles sont acceptables et que l'entretien a été fait; tous ces documents peuvent répondre à cette question.

Le sénateur Cowan : Si quelqu'un souhaite examiner le plan d'entretien et de réparation d'une machine en particulier, le centre conserve-t-il ces dossiers dans un lieu centralisé qui serait accessible aux avocats de la défense?

M. Prokopanko : Je pense que le centre procède toujours à l'entretien des alcootests, mais celui des Intoxilyzer a été confié à une tierce partie. Dans le cas de la GRC, du moins, les appareils sont envoyés au détachement auquel l'instrument appartient, et le dossier d'entretien et de réparation est conservé au détachement afin de pouvoir répondre aux questions.

Le sénateur Cowan : Ces dossiers sont-ils accessibles à tous les intéressés?

M. Prokopanko : Pour ce qui est des demandes de divulgation, tous ces renseignements sont déjà fournis mais cela exigera beaucoup de travail, assurément.

Le sénateur Andreychuk : Je veux revenir sur un point qu'a fait valoir le sénateur Chaput dans son interrogatoire. À un moment donné, si quelqu'un a de graves problèmes de santé et doit prendre un certain nombre de médicaments, cette personne ne pourra tout simplement pas conduire un véhicule. Ce que je veux dire, c'est que, si quelqu'un a les facultés tellement affaiblies par des médicaments qui la gardent en vie, ce n'est certes pas une position enviable pour l'intéressé, mais il est également important de ne pas la laisser conduire. Ai-je raison de supposer que cette situation pourrait se présenter?

Sgt Martin : Oui. En Ontario, les médecins peuvent soumettre des lettres indiquant qu'une personne est inapte à conduire pour une raison quelconque. Ces lettres sont envoyées au ministère des Transports qui prendra la décision finale. La personne doit se soumettre à des tests et à une évaluation. Si la personne est maintenue en vie grâce aux médicaments, il est très peu probable qu'elle conduise de toute façon. Cette personne serait probablement à l'hôpital ou dans un hospice. Voulons-nous que de telles personnes prennent le volant? Si elles prennent autant de médicaments afin de rester en vie et d'assurer leur fonctionnement quotidien, elles devraient être prises en charge par le système de santé et ne pas prendre le volant. Nous avons le devoir de veiller à ce que nos routes soient sûres et de prendre soin de ces personnes.

Le sénateur Andreychuk : Il est possible de prendre des médicaments en toute sécurité et de conduire. Par contre, certaines personnes ne savent pas conduire.

Sgt Martin : Certaines personnes seront inaptes à la conduite à cause des analgésiques puissants qu'elles prennent. Dans le cas de certains analgésiques, la conduite est contre-indiquée. Il revient au médecin qui rédige l'ordonnance de reconnaître que les contre-indications sont connues, et dans un cas de maladie à long terme, le médecin devra communiquer avec le ministère pour l'octroi du privilège de conduire.

Si une personne prend des médicaments d'ordonnance et son aptitude à conduire n'est pas remise en question parce qu'elle prend ses médicaments selon les indications, il est très peu probable que cette personne soit arrêtée par la police en conduisant.

Le sénateur Andreychuk : J'ai bien gagné ma vie comme avocat qui défendait des personnes accusées de conduite avec facultés affaiblies. Seriez-vous d'accord pour dire qu'à l'époque antérieure aux alcootests — on en parlait à l'époque mais ils n'étaient pas utilisés au Canada — les avocats de la défense contestaient l'efficacité de ces machines disant qu'elles ne marchaient pas, qu'on ne pouvait pas s'assurer de leur entretien, ainsi de suite. Bon nombre des améliorations et des réponses dont vous nous avez fait part découlent de ces contestations, ce qui est souhaitable. Il se peut qu'il y ait d'autres contestations et que vous ayez à apporter encore d'autres améliorations. Ai-je raison d'en conclure ainsi?

M. Prokopanko : Tout à fait. Nous avons beaucoup appris sur l'évolution du programme d'alcootest à partir des questions, des problèmes ainsi que des erreurs commises dans le passé.

Vous avez raison de dire que lorsque les alcootests ont été adoptés vers la fin des années 1960, on a beaucoup contesté ces instruments. On était d'avis que l'on ne pouvait pas se fier à un instrument pour déclarer une personne coupable. On a contesté nos procédures, l'exactitude de l'équipement et la faisabilité de déterminer le taux d'alcool dans le sang à partir d'un échantillon d'haleine. Je me souviens de ces litiges il y a 30 ou 40 ans lorsque la technologie était nouvelle. J'ai passé huit ans en Saskatchewan à l'époque des litiges. Nous en avons beaucoup appris.

Nous savons maintenant quels sont les problèmes liés à l'équipement que nous utilisons. Comment peut-on utiliser les leçons tirées pour établir un protocole informatisé qui pose des questions ou y réponde et qui permette de juger si un test s'impose ou non si l'on a des craintes quant à l'exactitude ou au fonctionnement de l'équipement. Les questions ont été intégrées à l'équipement. Un technicien qualifié surveille chaque étape. C'est il ou elle qui décide, en bout de ligne, comme un expert en reconnaissance de drogue, à partir de l'ensemble de la procédure, et pas seulement à partir du relevé de l'instrument, si l'on doit porter des accusations ou non.

Le sénateur Stratton : En écoutant M. Prokopanko, on se rend compte qu'il y a eu une évolution. La procédure d'évaluation de l'alcoolémie a évolué depuis les années 1960, et je m'imagine bien qu'il en va de même pour la loi. Il y a eu un autre stade lors de cette évolution, c'est-à-dire la défense des deux bières, comme l'a dit le sénateur Cowan.

Le domaine va probablement évoluer davantage, car nous commençons juste à examiner la question des facultés affaiblies par les drogues. Il s'agit d'une première étape, il y aura des contestations, comme vous l'avez bien dit. À votre avis, s'agit-il de la défense dite des deux bières, ou autre chose?

M. Prokopanko : Je me réjouis à l'idée de faire des exposés devant des procureurs de la Couronne, des avocats de la défense et des juges. J'en ai fait un au Manitoba récemment. En fait, j'inviterais les honorables sénateurs à prendre deux bières. Nous permettrons à l'alcool d'être absorbé et de se répandre dans le sang, et ensuite nous analyserons votre haleine pour vous faire comprendre comment ça marche. J'aime bien montrer aux juges les résultats de la consommation de deux bières. Ils ont une réaction classique : « Je n'ai bu que deux bières. C'est impossible d'avoir un résultat de 150. »

Je suis tout à fait d'accord. Nous collaborons avec les deux parties. Nous sommes là pour aider les tribunaux. J'ai déjà comparu pour la défense pour calculer l'alcoolémie d'un homme pesant 180 livres et ayant bu deux bouteilles de bière. Le calcul est simple, il donnera entre 40 et 50 milligrammes. C'est très loin du 80 milligrammes, et pourtant le résultat est 150. On en déduit que l'équipement est défectueux. Les vérifications ont été faites, les normes respectées, tout indique que l'équipement est en bon état de fonctionnement. Tout a été fait correctement. Je me fie au résultat d'un instrument plutôt qu'à la déclaration intéressée de l'accusé qui dit n'avoir bu que deux bières. Cette personne peut-elle fournir la preuve qu'elle a bu la bière à telle heure? La personne l'affirmera.

Je crois que c'est le sénateur Merchant qui a dit plus tôt que les gens semblaient savoir lorsqu'ils étaient en état d'ébriété et que l'agent de police semblait le savoir également. Si seulement ces gens pouvaient s'en souvenir lorsqu'ils arrivent au tribunal, la tâche serait tellement plus simple, mais non. Les accusés disent : « Je n'étais pas si ivre. » Ce sont des observations subjectives. Lorsque quelqu'un affirme qu'il n'était pas ivre, c'est vrai qu'il n'était probablement pas ivre-mort. Toutefois, nous ne nous préoccupons pas de l'ivresse. Le Code criminel parle de capacité de conduite affaiblie.

Si l'on revient à mon exemple, nous devons tenir compte de l'attention, de la compréhension, du jugement ainsi que des facultés mentales par opposition au facteur physique. Peut-on boire deux bières et avoir un résultat supérieur à 80? Peut-être, si l'on pèse 40 livres. C'est le calcul. Une personne pesant 40 ou 50 livres peut avoir un tel résultat après avoir bu deux bières mais il faut que ce soit un tel poids léger.

On m'a demandé d'apporter de l'équipement. Je l'aurais fait volontiers, mais l'équipement est bruyant et dérange. Toutefois, si vous voulez lever le coude, je suis bien d'accord. Lorsque je donne le cours, j'utilise le terme « labos pratiques ».

Le président : Cette enceinte a toujours fait preuve de modération.

M. Prokopanko : Je ne m'attendais pas à ce que vous acceptiez, mais je suis tout à fait prêt à vous démontrer ce qui se passe après la consommation de deux bières. Je n'aime pas trop l'ébruiter, et je sais que nous sommes probablement diffusés à la télévision, mais il faut boire pas mal pour afficher un taux de 80 milligrammes. Lorsque quelqu'un dit qu'il a du mal à croire qu'il était aussi ivre, on pourrait répondre comme quelqu'un l'a fait tantôt qu'on devrait le savoir lorsqu'on est ivre. C'est toutefois une révélation de constater ce que veut dire un état d'ivresse équivalent à 80 milligrammes. Nous avons des agents de police expérimentés, qui ont l'habitude de lever le coude, et qui doivent néanmoins consommer beaucoup d'alcool pour atteindre ces résultats. Vous le savez. C'est toute une révélation.

Le sénateur Stratton : Par prudence, je pense ne pas devoir aller plus loin. Merci beaucoup, messieurs. J'espère que nous ne vous reverrons pas avant longtemps.

La présidente : Refuser l'alcotest constitue déjà une infraction. Aux termes des dispositions de ce projet de loi, certaines sanctions seront draconiennes. Si l'on est coupable de conduite avec facultés affaiblies et responsable de blessures ou de mort, ce refus entraîne une peine de dix ans et même une peine à vie s'il y a eu des morts.

Est-ce qu'il est normal pour un agent de police qui interpelle quelqu'un et lui demande de se soumettre à l'alcotest de le prévenir que son refus constituerait une infraction?

M. Prokopanko : Je ne sais pas si je ne devrais pas demander à Sgt Martin de répondre. Le Comité des analyses d'alcool ne serait pas favorable aux mesures draconiennes ni aux sanctions envisagées.

La présidente : Je parle de méthode, je ne vous demande pas ce que vous pensez des sanctions prévues. Évidemment, pour ce qui est de l'intérêt public, dès qu'on commence à alourdir les sanctions, il faut s'assurer que tout le monde comprend bien comment fonctionne le système. Cela fait-il partie du protocole habituel, voulant que vous leur disiez que la loi l'exige?

M. Prokopanko : Je répondrai d'abord ce que je dis lorsque je donne un cours sur l'alcotest. Je signale que le Code criminel autorise un agent de police à exiger un test. Il ne s'agit pas de demander ou de négocier, de dire : « Si ça ne vous dérange pas, voulez-vous bien venir vous soumettre à un alcotest ». C'est présenter cette demande en se fondant sur des motifs probables et raisonnables permettant de conclure que l'intéressé conduit avec des facultés affaiblies. L'agent est tenu d'évaluer et finalement de justifier ses conclusions devant le tribunal.

On ne fait pas cela par caprice et on ne le fait pas à tout le monde. Avant de demander à quelqu'un de se soumettre à un alcotest on doit poser certaines questions. Toutefois, une fois la demande faite, le conducteur est tenu d'accéder à la requête de l'agent. Refuser de se soumettre à un test ou de coopérer constitue une infraction en vertu des dispositions du Code criminel.

Je ne sais pas si l'on peut considérer comme une menace le fait que lorsque quelqu'un refuse de subir ce test, on le menace de porter une accusation de refus. Nous ne nous occupons pas de cela directement. Il y a une procédure à suivre à ce sujet et le sergent Martin l'expliquera. Nous commençons par réunir des motifs raisonnables et probables, par présenter une demande, et supposer que l'individu sait qu'il est tenu de subir un alcotest.

Sgt Martin : Nous les avertissons. Nous lisons la formule voulue. Si quelqu'un refuse de subir l'alcotest, nous lui indiquons les conséquences. Les mêmes sanctions sont prévues pour la conduite avec facultés affaiblies et le refus de subir l'Alcotest. Nous lisons aux conducteurs toutes les conséquences possibles afin qu'ils comprennent bien ce que peut entraîner un refus.

La présidente : Vous avez évidemment trouvé vraiment frustrant que les gens dont les facultés sont affaiblies par la drogue aient pu refuser de subir ces tests. Quelle proportion des gens que l'on arrête parce qu'on les soupçonne de conduire avec facultés affaiblies par la drogue, refuse aujourd'hui de subir ces tests?

Sgt Martin : Je ne puis vous donner le chiffre que de mon secteur. En 2004, nous avons effectué 13 tests et fait face à cinq refus. En 2005, huit test et un refus. En 2006, 38 tests d'experts en reconnaissance de drogue et 12 refus. En 2007, 40 tests d'experts en reconnaissance de drogue et nous avons essuyé 17 refus.

Les refus commencent à augmenter. Nous avons commencé par 13 tests, nous sommes passés à huit et nous en sommes maintenant à 40. Cela se développe lentement même si nous avons huit experts de reconnaissance de drogues actifs.

La présidente : Est-ce que le nombre de requêtes augmente parce que vous avez plus d'agents formés pour faire cela, ou est-ce parce qu'il y a plus de gens qui conduisent avec les facultés affaiblies?

Sgt Martin : Nous avons plus d'agents qualifiés et aux aguets. Lors des cours offerts aux recrues, nous parlons de facultés affaiblies par la drogue. Nous en parlons à nos agents de première ligne qui sont plus expérimentés et comprennent mieux la reconnaissance de drogues et les protocoles. Je crois que les agents reconnaissent simplement mieux que lorsqu'il y a quelque chose qui ne va pas dans la conduite et qu'il ne semble pas y avoir un problème d'ébriété, il peut s'agir d'un problème de drogue et qu'un test peut s'imposer.

Le sénateur Cowan : J'aimerais revenir sur le nombre croissant de refus. Quelles sont les statistiques pour l'alcootest?

M. Prokopanko : Je ne le sais pas et je ne me fie pas aux statistiques car c'est parfois trop difficile. On a beaucoup plus de données sur les alcootests.

Le sénateur Cowan : Je suppose qu'avec le temps, cela doit diminuer.

M. Prokopanko : Il arrive fréquemment que les gens refusent de subir un alcootest pour diverses raisons. En cas de mort résultant de blessures, les gens refusent souvent de subir un alcootest. Cela complique les choses pour la défense, et c'est ce qu'ils souhaitent. Je suis désolé mais je n'ai pas de chiffres.

La présidente : Merci, messieurs, d'être venus cet après-midi. Cela a été très intéressant. Il va falloir que je lise tout ce que M. Prokopanko nous a apporté à propos des alcootests. Je ne vais certainement rien y comprendre avant de l'avoir relu trois ou quatre fois. Vous avez l'un et l'autre fourni des informations extrêmement utiles. Nous vous sommes très reconnaissants du temps que vous nous avez consacré aujourd'hui.

[Français]

Nous accueillons maintenant deux nouveaux témoins. Nous avons le plaisir d'accueillir M. Gary Mauser, professeur à l'Université Simon Fraser ainsi que Mme Line Beauchesne, professeure à l'Université d'Ottawa.

[Traduction]

Le sénateur Cowan : Je me demandais s'il y avait un texte.

La présidente : Je crois que oui. Je vais demander au greffier de le distribuer. Nous l'avons dans les deux langues officielles, en fait.

Le sénateur Cowan : Merci.

[Français]

Vous pouvez faire vos déclarations liminaires l'une après l'autre et ensuite, les sénateurs passeront à une période de questions.

Line Beauchesne, professeure, Université d'Ottawa, à titre personnel : Madame la présidente, merci de cette invitation à témoigner devant vous aujourd'hui. Étant donné que le projet de loi a changé de nom plusieurs fois au fil des ans, je n'ai peut-être pas le bon numéro, mais on sait très bien à quoi je me réfère.

Ma présentation commence avec une étude de cas que je donne à mes étudiants au sujet des facultés affaiblies et que vous retrouvez dans le document. Cette étude de cas servira à appuyer mon argumentation par la suite.

Dans le premier cas, l'inculpé est un industriel prospère et un père de famille très actif et jouissant d'une excellente réputation au sein de sa collectivité. Après une semaine de travail particulièrement chargée, il s'est rendu à une réception de mariage où il a consommé beaucoup d'alcool. Ayant choisi de rentrer chez lui en conduisant lui-même son véhicule, il s'est endormi au volant et a tué une personne qui traversait la rue. Il n'avait jamais eu de problème d'alcool ni d'accident de la route causé par l'ivresse, et son comportement après l'accident fut caractérisé par un remord évident.

Dans le deuxième cas, l'inculpé est une personne âgée de 79 ans vivant à la campagne. Il conserve sa voiture malgré une médication créant de la somnolence et des réflexes réduits par l'âge et la maladie. Même si sa fille lui avait déconseillé de conduire à cause de sa médication, il décide tout de même de se rendre voir sa femme hospitalisée en ville au volant de sa voiture. Il s'est endormi au volant et a tué une personne qui traversait la rue. Il n'avait jamais eu de problème connu de conduite avec facultés affaiblies auparavant, et son comportement après l'accident fut caractérisé par un remords évident.

Dans le troisième cas, l'inculpé est un travailleur social de 42 ans. Après son quart de travail du soir, il a dû à la dernière minute remplacer un collègue au travail sur le quart de nuit, car comme à l'habitude, on manque de personnel. En quittant son travail au matin, il s'est ainsi retrouvé avec une période de 24 heures sans sommeil. Par manque de transport en commun, il décide tout de même de prendre sa voiture pour retourner chez lui, comme le font tous ses collègues en pareille situation. En retournant chez lui, il s'est endormi au volant et a tué une personne qui traversait la rue. Il n'avait jamais eu de problème de conduite avec facultés affaiblies auparavant, malgré que ce ne soit pas la première fois que cette situation survienne, comme à d'autres personnes à son travail. Son comportement après l'accident fut caractérisé par un remords évident.

La question que je pose à mes étudiants est la suivante : puisque ce sont trois cas similaires de personnes qui, en connaissance de cause, ont choisi de conduire avec les facultés affaiblies, donnez-leur la même sentence et justifiez-la avec cohérence en répondant aux trois questions sur la détermination de la peine. On punit quoi? On punit comment? En quoi votre sentence contribuera à une meilleure sécurité routière?

Commentez votre sentence au regard de la loi actuelle sur la conduite d'un véhicule moteur avec les facultés affaiblies. N'oubliez pas que le mot « sentence » signifie « décision rendue » et n'implique pas nécessairement une sanction pénale. Également, n'oubliez pas que l'objectif est la sécurité routière par la prévention de la conduite avec facultés affaiblies, quelles qu'en soient les raisons. Enfin, n'oubliez pas l'équité des citoyens devant la loi.

C'est à partir de cette perspective que j'ai examiné le projet de loi, soit un projet de loi ayant pour objectif d'améliorer la sécurité routière et qui apporte des modifications en matière de facultés affaiblies.

Il y a effectivement des modifications à apporter à la loi actuelle parce qu'il existe deux problèmes majeurs avec cette loi. Le premier, c'est qu'on a tout focalisé sur l'alcool, tant au niveau de l'application de la loi qu'au niveau de la prévention. La loi a tout de même eu ses bons côtés. J'enseigne à l'université depuis 25 ans et j'ai vu le comportement des jeunes changer par rapport à la conduite avec facultés affaiblies.

Par contre, la loi a apporté le mauvais côté de faire en sorte qu'on a oublié l'enjeu qui était de ne pas conduire son véhicule lorsqu'on n'était pas en état de le faire. On a seulement appris qu'il ne fallait pas conduire si on avait bu.

De 15 à 20 p. 100 des causes à la conduite avec facultés affaiblies impliquent des personnes qui s'endorment au volant, sans compter celles qui prennent le volant dans des conditions d'émotions trop fortes, ou après avoir pris des médicaments.

En focalisant sur l'alcool, on a négligé une grande quantité des cas de facultés affaiblies. À l'heure actuelle, seul l'alcootest est obligatoire. En ce qui concerne la prévention, j'étais d'accord à ce qu'on élargisse les stratégies préventives et policières dans le but d'accaparer l'ensemble des causes.

Le deuxième problème que présente la loi actuelle concerne les récidivistes. Il est clair que la très grande partie des accidents sont causés par des gens qui sont demeurés insensibles aux campagnes de prévention et qui ont un réel problème principalement avec l'alcool. En fait, l'alcool est en cause dans la plupart des accidents impliquant des récidivistes.

Dans de tels cas, le problème est celui de ne pas être en mesure de retirer indéfiniment le permis de conduire à quelqu'un qui a un problème d'alcool, et ce, tant qu'une personne certifiée n'a pas décidé que son problème d'alcool est réglé.

Quand je lis le projet de loi, je constate que la logique est la même quant à la détection des facultés affaiblies. Je ne répéterai pas les données du projet de loi parce que vous les avez certainement entendues ad nauseam ici et ailleurs.

J'aimerais toutefois parler des problèmes que présente ce projet de loi sur le plan des correctifs à apporter. Premièrement, il est clair que les coûts rendent absolument inapplicable ce projet de loi. On parle de formation d'experts en reconnaissance de drogue.

Ces experts sont des policiers qui, pour la plupart, occuperont ce poste pendant quelques années seulement, et qui occuperont d'autres postes par la suite. Cela risque de coûter une fortune. À mon avis, jamais on n'aura à portée de main ces experts à tous les endroits où ils seront nécessaires. Il y a aussi le coût que représentent les appareils de détection qui doivent continuellement être renouvelés et tenus en bon état pour être valides, sans compter toutes les procédures judiciaires.

On le voit déjà avec les facultés affaiblies par l'alcool. Vous n'avez qu'à ouvrir les Pages Jaunes pour constater à quel point les avocats sont recherchés et font des affaires d'or avec cette loi sur les facultés affaiblies, et ils en feront encore plus si la nouvelle loi est en vigueur.

Le deuxième problème avec la nouvelle loi, qui sera justement la porte d'entrée pour beaucoup d'avocats, c'est qu'il n'existe pas de tests valides pour détecter les facultés affaiblies par les drogues, qu'elles soient prescrites ou illégales, comme il en existe pour l'alcool en ce moment. Les facultés affaiblies par les drogues seront détectées sur le coup d'une subjectivité, d'une impression. Et ce qui risque de se produire, c'est qu'il y ait une discrimination envers les clientèles visées par les tests de facultés affaiblies.

Comme tous les experts qui travaillent dans le domaine l'ont dit au Parlement, on ne peut pas détecter toutes les drogues à l'aide de tests. On va finir par tester certaines drogues consommées par certaines populations, mais qu'on ne vienne pas me faire croire qu'on le fera à l'aveugle.

Lorsqu'on fait des tests en laboratoire, il faut préciser la drogue que l'on cherche, et des frais sont exigés pour chaque substance recherchée. Il est certain que l'on cible certaines drogues plus que d'autres. Dans le domaine de la reconnaissance des drogues, l'information existante se limite aux drogues illicites.

En France, pour faciliter l'identification des effets reliés aux drogues prescrites, on appose un pictogramme sur l'étiquette de tous les médicaments. Cette indication est claire et résulte des évaluations d'experts. Si le pictogramme est jaune, il faut être plus attentif aux signes de fatigue. S'il est orange, on doit obtenir la permission d'un médecin pour conduire, car la capacité peut dépendre de plusieurs facteurs médicaux. Si le pictogramme est rouge, on ne peut pas conduire. Voilà une solution intéressante.

Les médicaments auxquels on a apposé une étiquette orange comprennent les antidouleurs, les tranquillisants, les médicaments pour traiter le diabète, la maladie de Parkinson, l'épilepsie et plusieurs autres substances d'usage courant. Il faut donc se demander s'il faut effectuer des tests pour toutes ces drogues ou plutôt cibler l'ensemble des raisons expliquant les facultés affaiblies.

Le quatrième problème est le suivant. Cette démarche engendre un affaiblissement des messages de prévention. J'ai pu constater ce fait auprès des jeunes universitaires. On véhicule des messages indiquant que la consommation de produits peut engendrer certains problèmes de droit pénal. Par conséquent, une personne qui a trop bu réveille sa copine, à 2 heures du matin, pour se faire reconduire. Celle-ci, bien qu'elle soit sobre, se met au volant. Or, je ne suis pas certaine qu'elle soit plus en état de conduire.

Autre exemple, une personne se couche très tard et se lève très tôt le lendemain matin pour aller travailler. Si cette personne a consommé de l'alcool de façon abusive la veille, ses réflexes ne seront pas aiguisés. Ses facultés seront affaiblies même si un contrôle routier s'avérait négatif.

Dans l'esprit de ces jeunes, le message qu'on retient n'est donc pas de savoir si on est en état de conduire, mais qu'on ne doit pas obtenir un résultat positif lors d'un contrôle routier.

D'autre part, on compte verser des millions de dollars dans ce projet de loi au lieu de les verser dans la prévention ou pour des campagnes de sensibilisation, par exemple, sur les médicaments aux personnes âgées. On pourrait faire des pictogrammes ou cibler davantage les jeunes et faire le point sur le sujet des facultés affaiblies dans son ensemble, les effets de la fatigue et d'autres facteurs.

La question que nous nous sommes posée est : comment résoudre cette situation? Il fallait tout d'abord penser à résoudre le premier problème et tenir compte des multiples facteurs qui peuvent affaiblir les facultés. Pour ce faire, grâce à la technologie moderne, on n'a pas besoin de réinventer la roue. Il est plus facile pour un policier d'effectuer un test de réflexe que d'apprendre à identifier les effets de chaque drogue. Ces tests peuvent même être filmés, à coûts abordables, si on le désire, et permettent de déterminer si la personne a les facultés affaiblies. Peu importe la cause, on se trouve devant une personne qui n'a pas les réflexes pour conduire. Que cette condition soit due à un manque de sommeil, à la consommation d'alcool, de médicaments ou de drogues, là n'est pas la question. On essaie avant tout de déterminer si une personne est apte à conduire. Et avec un test de réflexes, on est tout à fait en mesure de le déterminer.

Plus la procédure est complexe, moins les policiers vont l'utiliser. Le test de réflexes a l'avantage d'être une procédure simple. Les ressources ne sont pas toujours disponibles pour faire un test plus poussé et de tels tests requièrent souvent plus de temps. Plus la procédure est simple, plus elle sera utilisée.

Une procédure aussi complexe que celle dont nous parlons risque d'être moins utilisée et par conséquent on appréhendera moins de contrevenants.

D'autre part, plus la peine est sévère, plus les gens vont en appel et plus le processus est coûteux. Les études ont démontré clairement que les saisies de véhicule pour deux ou trois jours, les pertes de points, et du permis de conduire qui en résultent, et les hausses d'assurance suffisent à convaincre les gens de changer leur comportement au volant. Ce dont on a le plus peur, c'est de perdre son permis. Une procédure complexe qu'on applique rarement ne changera pas le comportement routier. Un des principes de criminologie qu'on apprend aux étudiants est le fait qu'une sentence certaine et fréquente est plus efficace qu'une sentence sévère et rare.

Il est clair qu'il faut tenir un registre des infractions. Les représentants du Conseil canadien de la sécurité routière sont d'ailleurs plus experts que moi en la matière. Grâce aux banques de données, un tel registre peut s'appliquer facilement aux personnes coupables d'infractions pour facultés affaiblies. Un tel outil permettrait de repérer les récidivistes, d'imposer une injonction thérapeutique, faute de quoi on procède à des sanctions telle la saisie du véhicule. Il faut prévoir des mesures spécifiques aux récidivistes.

En investissant un peu moins dans le type de mesures prévues par le projet de loi, il resterait également avantage de fonds pour les programmes d'aide aux victimes d'accidents de la route.

En conclusion, j'espère que les mesures qui seront prises permettront d'assurer une meilleure sécurité sur les routes, de réduire le nombre de victimes et d'accroître l'aide à celles-ci. En somme, il faut donner aux policiers les moyens de mieux prévenir la conduite avec facultés affaiblies, quelles qu'en soient les causes. L'action policière réussit si la procédure est plus simple, accompagnée de points de démérite, de hausses d'assurance et d'un bon registre des infractions. Ces mesures, beaucoup moins coûteuses que ce qui est présenté dans le projet de loi, permettraient également une série de mesures supplémentaires de prévention et pour venir en aide aux victimes d'accidents de la route.

[Traduction]

Gary Mauser, professeur, Université Simon Fraser, à titre personnel : Honorables sénateurs, merci de m'avoir invité. Je suis professeur à l'Université Simon Fraser. J'ai le privilège d'être rattaché à la fois au Canadian Urban Reseach Studies in Criminology et à la faculté d'administration des affaires. Je fais des recherches et publie des communications en criminologie depuis plus de 15 ans. J'ai fait mon doctorat en psychologie sociale et méthodes quantitatives. Mes recherches universitaires ont été publiées en criminologie, en science politique et dans des revues universitaires sur la gestion des affaires.

Je comparais pour donner mon appui au projet de loi C-2 parce que j'estime que c'est un petit pas vers une amélioration de la sécurité publique. Il contient un certain nombre de mesures qui ont une incidence directe et indirecte sur la durée des périodes d'incarcération, notamment en ce qui concerne le cumul des peines obligatoires et l'inversion du fardeau de la preuve pour certaines infractions liées au cautionnement.

J'aimerais vous entretenir de l'efficacité de l'incarcération des délinquants sérieux ou violents pour la protection du public. D'après mes recherches, c'est en effet efficace. Si l'on augmente le nombre de délinquants incarcérés, les taux de crimes violents et d'homicides diminuent. C'est particulièrement évident dans les cas d'homicides. Je répète : les recherches américaines et internationales ont permis d'établir que des peines plus longues pour ceux qui ont été condamnés pour infractions graves ou violentes sont une mesure sage.

Les faits prouvent que la criminalité violente a diminué plus rapidement aux États-Unis qu'au Canada. Entre 1991 et 2006, la criminalité violente aux États-Unis a chuté de 38 p. 100 alors qu'elle n'a chuté que de 10 p. 100 au Canada. Ce même phénomène s'applique aux homicides. Au cours de la même période, le taux d'homicides aux États-Unis a diminué de 42 p. 100 alors qu'il n'a diminué que d'un tiers au Canada. Vous pouvez vous reporter aux tableaux fournis en annexe. Je suis sûr qu'ils seront plus faciles à interpréter que mes pauvres propos.

Les criminologues ont étudié cette baisse aux États-Unis, laquelle était inattendue, et ont porté une attention particulière à la dernière décennie. Les résultats de ces analyses sont de plus en plus clairs. Il y a littéralement des centaines d'études, mais heureusement, je limiterai mes commentaires aux plus importantes.

L'étude menée par Marvell et Moody a particulièrement éclairci la question. Ces deux messieurs sont parmi les criminologues les plus respectés au monde. Dans leurs études par série chronologique, ils ont découvert que, résultats solides à l'appui, au niveau national, une augmentation du nombre d'auteurs de crimes graves et violents incarcérés était liée à la réduction du taux de crimes violents.

Leur publication de 1997 démontre que pour chaque augmentation de 10 p. 100 de la population carcérale, le taux d'homicides baissait de 13 p. 100. Dans leurs études, ils ont pris en considération toute une gamme de variables potentielles, comme l'inflation, le taux de chômage, les tendances démographiques et des facteurs socioéconomiques. Ils ont découvert une corrélation semblable pour les voies de fait et les vols qualifiés. Les résultats de Marvell et Moody étaient très robustes. Les résultats de leurs recherches ont été repris par d'autres chercheurs. Je dois vous parler d'une autre étude, soit celle de 2004 de Kovandzic et de ses collègues. Ces chercheurs ont non seulement confirmé les conclusions de Marvell et Moody, mais ont aussi examiné les effets précis de la mise en liberté des délinquants sur les taux de crime violents. Ils ont découvert qu'il n'y avait aucune preuve d'une relation positive considérable entre les mises en liberté et le nombre d'homicides.

Les prisons coûtent cher. Toutefois, la question importante est de savoir qui, au bout du compte, paie le prix de la criminalité. Les prisons coûtent davantage aux contribuables que la probation ou la détention à domicile, mais le prix de ne pas incarcérer les criminels violents est payé directement par le public. Les victimes paient le prix des crimes avec violence.

Bien qu'il soit difficile de faire des estimations, il est utile d'essayer. Le tableau 1 montre que les coûts monétaires directs encourus par les victimes de crimes contre la propriété sont de 4,6 milliards de dollars par an. Le gouvernement n'encourt pas ces coûts, ce sont les gens. Le coût est d'environ 719 millions de dollars pour les victimes de crime violent. Évidemment, les coûts financiers pour les victimes de crime violent sont en fait une estimation minimum des coûts payés par ces victimes. Le tableau 2 compare deux approches d'estimation des coûts encourus par les victimes de crime.

Lorsqu'on permet aux auteurs de crime grave d'éviter la prison, ces délinquants sont libres de commettre d'autres crimes violents. Les particuliers canadiens en paient le prix. Prenons un exemple flagrant, Jane Creba, qui a été tuée à Toronto le 26 décembre 2005 et qui serait peut-être encore en vie si le gouvernement précédent avait fait en sorte de garder les auteurs de crime grave en prison. D'autres exemples de peines douteuses sont fréquemment signalés dans les médias.

Des recherches aux États-Unis et au Canada laissent entendre que les membres de minorités sociales sont davantage victimes de crimes violents que d'autres citoyens. Ainsi, des peines d'emprisonnement prolongées réduiraient efficacement le taux de victimisation chez les membres des minorités. Malgré ce que vous disent les groupes d'intérêts spéciaux, qui font peut-être une utilisation sélective des données à leur disposition, les recherches dans le domaine de la criminologie sont claires : l'emprisonnement d'auteurs de crime grave ou violent a joué un rôle important dans la réduction considérable du nombre de crimes violents aux États-Unis. Ces résultats soutiennent la logique dont s'inspire le projet de loi C-2, c'est-à-dire qu'il faut incarcérer les délinquants reconnus coupables d'infractions graves ou violentes.

Bien que j'appuie le projet de loi C-2, j'ai aussi certaines réserves. À mon avis, comme vous pouvez un peu le voir dans mes discussions sur le crime violent, il faudrait se concentrer sur les crimes violents et les criminels violents et non pas seulement sur les crimes liés aux armes à feu. Les crimes violents qui impliquent des armes à feu ne représentent qu'une petite proportion des crimes graves violents. Les criminels armés d'armes blanches causent à leurs victimes davantage de blessures — lesquelles sont souvent plus graves. Vous pouvez trouver d'autres recherches sur mon site web.

Les tableaux 3 et 4, joints à mon exposé, comparent les blessures causées par les armes blanches, les matraques et les armes à feu. À la première ligne, vous constaterez que les victimes d'attaque au couteau sont beaucoup plus susceptibles d'être blessées que les victimes d'arme à feu. Certains criminologues croient que cela s'explique par le fait que les victimes d'arme à feu et les délinquants armés d'une arme à feu croient qu'une arme à feu est plus dangereuse qu'une arme blanche. Ainsi, les victimes collaborent plus facilement, collaboration à laquelle s'attend l'agresseur et qu'il accepte. Les agresseurs armés d'une arme blanche croient que la victime se défendra et qu'elle doit être blessée pour commencer la conversation. Les blessures sont donc beaucoup plus fréquentes.

Avant de terminer, je vais dire quelques mots sur la tendance voulant que de nombreuses personnes refusent de croire des études statistiques qui ne correspondent pas à leurs croyances antérieures. Ce genre de position est étayé par la déclaration cynique selon laquelle les statisticiens peuvent obtenir les résultats qu'ils désirent simplement en manipulant les données. Un tel cynisme favorise la paresse et l'ignorance. Des menteurs et sophistes utilisent certes des statistiques. Les menteurs et sophistes utilisent la langue, également, et personne ne laisse entendre qu'ils devraient cesser d'utiliser la langue parce qu'ils sont des menteurs.

J'exhorte les honorables sénateurs à faire un travail rigoureux. Renseignez-vous à mon sujet; parcourrez mon site web; faites vos propres analyses; lisez mes références; vous comprendrez que je suis une bonne personne, et non un menteur ou un sophiste.

En conclusion, j'appuie ce projet de loi parce qu'il vise modestement à améliorer la sécurité publique. Les recherches démontrent que le fait de garder les criminels violents en prison protège le public simplement parce qu'on les empêche ainsi de commettre de nouveaux crimes. Si vous êtes en prison, vous n'êtes pas dans la collectivité. Si vous êtes en prison, vous ne pouvez faire du mal aux gens de la collectivité. Toutefois, en se concentrant trop sur les armes à feu, ce projet de loi n'est pas aussi efficace qu'il pourrait l'être. Je suis certain que vous savez qu'un bon projet de loi n'est pas présenté simplement en guise de réaction à des événements médiatiques.

Je vous remercie de votre attention. Je serais heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Mauser. Avant de céder la parole aux sénateurs pour la période des questions, j'aimerais m'assurer de bien comprendre. Les tableaux un et deux démontrent en pourcentage la baisse du nombre de crimes violents et d'homicides au Canada et aux États-Unis, l'année initiale de comparaison étant représentée par le chiffre un dans chacun des tableaux.

M. Mauser : C'est cela.

Le président : Puisque la baisse du pourcentage au Canada est moins importante que la baisse de pourcentage aux États-Unis, le Canada est représenté par la ligne du haut et les États-Unis, par la ligne du bas, laquelle descend considérablement?

M. Mauser : Oui.

Le président : Il est toujours vrai, n'est-ce pas, que le taux de criminalité absolue et, tout particulièrement, le taux d'homicides par 100 000 habitants sont beaucoup plus bas au Canada qu'aux États-Unis? Ils l'étaient au début et ils le sont toujours?

M. Mauser : Le taux d'homicides, mais pas le taux de crimes violents.

Le président : La réponse est donc non pour les crimes violents et oui pour les homicides. Je crois que c'est environ un tiers.

M. Mauser : Oui pour les homicides, non pour les crimes violents.

Le président : Notre taux pour 100 000 habitants est d'un peu plus de deux tandis que le leur est d'environ neuf?

M. Mauser : Non, cinq.

Le président : Cinq, c'est-à-dire plus du double.

M. Mauser : Puis-je vous expliquer mon raisonnement?

Le président : Brièvement, parce que j'utilise le temps consacré aux questions des sénateurs. Mais puisque j'ai posé la question, expliquez-nous.

M. Mauser : J'ai décidé d'utiliser des indices, parce que j'examinais l'efficacité de la direction. Ce qu'on fait comme nation a des répercussions sur la nature de la nation.

Le Canada a pris certaines décisions dans le domaine de la criminologie tandis que les États-Unis en ont pris d'autres; quelles sont les répercussions? Les données brutes, comme les moyennes, témoignent davantage du caractère national et de l'histoire. Les États-Unis ont plusieurs caractéristiques nationales que le Canada n'a pas. Par exemple, les États-Unis ont eu recours à l'esclavage pendant plus longtemps, et avec plus de violence, que le Canada. La distribution de l'économie est beaucoup plus vaste aux États-Unis. Il y a davantage de gens en haut et en bas de la pyramide financière. C'est la nature du pays.

Les efforts en matière de criminologie, peu importe l'enthousiasme avec lequel ils sont déployés, ne changent rien à cela. Il est important d'examiner les efforts de la direction.

Le sénateur Campbell : J'aimerais commencer par la professeure Beauchesne.

Depuis de nombreuses années, notre pays a établi des mesures de prévention concernant la conduite avec facultés affaiblies. Nous avons vu les annonces télévisées de l'association MADD et des annonces du gouvernement dans les journaux et à la télévision. On trouve également des mises en garde sur nos flacons de médicaments, « ne pas consommer avec de l'alcool », « ne pas conduire ni utiliser de la machinerie », « ne pas mélanger avec d'autres types de médicaments ».

Vous déclarez dans votre mémoire que le gouvernement n'en tient aucun compte pour ce qui est de la conduite avec facultés affaiblies et ses incidences criminelles. J'ignore comment nous pouvons concilier ces deux aspects. Nous sommes en train de donner suite à ces questions et je pense que nous avons réduit les taux de conduite avec facultés affaiblies grâce à certaines de ces initiatives. Comment peut-on concilier ces aspects?

[Français]

Mme Beauchesne : Pour être plus précise, il y a quatre ou cinq ans, une de mes étudiantes a pris le temps de vérifier tous les programmes financés par le gouvernement, toutes les campagnes de prévention télévisées ainsi que celles qui ciblaient les jeunes en milieu scolaire. Près de 94 ou 96 p. 100 de ces programmes ne parlaient que d'une possibilité — les facultés affaiblies par l'alcool. Oui, il y a eu des effets positifs, mais il faudrait continuer ces programmes, les élargir même, mais en spécifiant qu'il n'y a pas que l'alcool qui affaiblit les facultés.

Il faut se demander si on est en état de conduire quand on prend le volant d'une voiture. De plus, les campagnes préventives devraient cibler des clientèles spécifiques comme, par exemple, celle des personnes âgées qui consomment des médicaments.

Il faut élargir le volet prévention et non pas défaire ce qui a été fait avant.

[Traduction]

Le sénateur Campbell : En ce qui concerne les énormes possibilités commerciales qu'offre le dépistage de la consommation de drogues, ne croyez-vous pas que nous devrions faire la distinction entre les laboratoires commerciaux, par exemple, et ceux qui sont accrédités des organismes judiciaires, comme le laboratoire judiciaire de la GRC et celui de l'Ontario? Il ne s'agit pas de laboratoires commerciaux; ce sont des laboratoires qui font des tests médico-légaux particuliers. Il me semble qu'au moins dans cette partie de votre mémoire, il s'agit davantage de laboratoires commerciaux, par exemple, pour le dépistage de la consommation de drogues au travail ou en dehors de la sphère criminelle.

[Français]

Mme Beauchesne : Je maintiens cela. Les laboratoires accrédités dont vous parlez sont déjà débordés. Cela prend déjà plusieurs semaines avant d'avoir des résultats et on est obligé d'envoyer la charge supplémentaire de travail dans le secteur privé. Si on émet l'hypothèse voulant qu'on applique minimalement la loi et souvent, c'est clair que l'on va devoir se tourner vers le privé pour empêcher les longs délais, sinon quelqu'un pourrait attendre pendant des mois le résultat de ses tests avec cette nouvelle loi. Les laboratoires accrédités sont déjà débordés.

[Traduction]

Le sénateur Campbell : J'ignore si c'est le cas à l'heure actuelle. Quoi qu'il en soit, si des échantillons étaient étudiés par des laboratoires de ce genre, il faudrait que le laboratoire soit accrédité. Il devrait posséder l'accréditation appropriée sinon les échantillons ne seraient tout simplement pas acceptés devant les tribunaux.

[Français]

Mme Beauchesne : Oui, mais nous devrons les payer. Je faisais référence aux coûts que ces tests de drogue allaient rajouter.

Le sénateur De Bané : Je n'ai pas de question à vous poser. Je voulais simplement vous dire que ce que vous nous avez dit cet après-midi a stimulé énormément ma réflexion. J'ai été très impressionné par ce que vous avez dit sur les conséquences pratiques de ce projet de loi, particulièrement en ce qui concerne les facultés affaiblies. Vous avez dit également qu'on aurait pu aborder ce problème de plusieurs autres manières. Je tenais à vous remercier, vous m'avez donné un cours très intéressant.

[Traduction]

Professeur Mauser, je ne peux pas dire que je connais bien tous les ouvrages que vous avez écrits, mais je sais que vous aimez beaucoup provoquer et stimuler la discussion en présentant ces points de vue. Je suis sans doute plus modéré. Vous avez laissé entendre que vous travaillez dans un domaine connexe à la criminologie. Ce matin, nous avons eu un échange de vues assez intéressant avec un professeur de criminologie de l'Université Oxford, Julian Roberts. Je lui ai demandé s'il pouvait nous fournir un résumé de l'opinion d'experts et de criminologistes et de ce que la magistrature pense des peines obligatoires.

Il a dit qu'en général, les juristes spécialisés en criminologie de même que la magistrature ne sont pas favorables à des peines minimales obligatoires parce qu'elles ne permettent pas de tenir compte des circonstances particulières de la cause qui doit être jugée. Vous semblez proposer un autre point de vue. Est-ce exact?

M. Mauser : Je suppose que c'est à moi que vous adressez la question.

Le sénateur De Bané : Oui.

M. Mauser : J'ai été un peu décontenancé, mais voyons s'il m'est possible de vous fournir une réponse assez sensée.

Je pense que des peines d'emprisonnement plus longues que celles qui existent à l'heure actuelle pour les contrevenants violents, et ceux qui ont commis des infractions graves seraient un moyen efficace de réduire la criminalité. Les peines minimales obligatoires sont une façon d'essayer de le faire, de même que les dispositions concernant l'inversion du fardeau de la preuve. Vous constaterez que je parle de la théorie, de l'objectif, et je pense qu'il s'agit d'une approche valable.

Le sénateur De Bané : Le sénateur Merchant m'a donné des statistiques qui montrent que le pourcentage de personnes au Canada qui sont condamnées à l'emprisonnement est sept fois moins élevé que celui affiché par les États- Unis. Les pays européens affichent un pourcentage encore plus faible que le pourcentage en vigueur au Canada. Cependant, le Canada, comparativement aux États-Unis, affiche un pourcentage sept fois moins élevé.

M. Mauser : Cela explique peut-être la raison pour laquelle le taux de criminalité augmente et le taux de crimes graves augmente. Vous m'excuserez, mais j'ai examiné les statistiques, et les crimes graves avec violence ont augmenté au cours des cinq dernières années. Le taux total de criminalité, tel que le rapportent les journaux, a diminué, mais tout ce que cela indique, c'est une diminution des infractions mineures, des infractions qui ne sont pas considérées graves, par définition.

Tout dépend du nombre que l'on examine. Nous pourrions peut-être améliorer notre taux. Vous verrez les tableaux que j'ai fournis. Le Canada peut-il améliorer son taux ou sommes-nous tout à fait satisfaits des mesures que nous avons prises? Je soutiens que nous pouvons faire mieux et nous pouvons faire mieux en emprisonnant plus longtemps les personnes violentes et dangereuses.

Senator De Bané : Professeur, vous avez fait une observation que je considère très pertinente. Vous avez dit qu'il faut examiner les statistiques sans aucun parti pris et en faire alors le bilan pour arriver à des conclusions logiques. Je suis tenté de vous demander si vous considérez également les statistiques telles qu'elles existent. J'ai lu votre article à propos du contrôle des armes à feu. Vous avez dit que le contrôle des armes à feu ne réduit pas la criminalité. Je vous répondrai alors, « Il ne fait aucun doute que le professeur Mauser est au courant des statistiques selon lesquelles plus un pays a des restrictions sévères en matière de contrôle des armes à feu, moins il y a de crimes qui sont commis à l'aide d'armes à feu ».

Un bon exemple consiste à comparer le nombre de morts causées par des armes à feu aux États-Unis comparativement au Japon, où la possession d'une arme à feu est une chose entièrement privée. Il y a tant d'autres pays où cela peut être fait. Vous êtes arrivé à une autre conclusion et vous êtes celui qui nous mettez en garde contre les partis pris.

Seriez-vous, par hasard, membre de la National Rifle Association?

M. Mauser : Je suis étonné que vous ayez dit avoir lu plusieurs des études que j'ai faites sur ce sujet.

Senator De Bané : Je ne les ai pas toutes lues.

M. Mauser : Vous en avez lu une. Les études débordent de statistiques. Par exemple, pour vous en citer simplement quelques-unes, à la Jamaïque, on a interdit toutes les armes à feu et on est allé de maison en maison pour confisquer toutes les armes à feu que l'on pouvait trouver, et pratiquement chaque année depuis, le nombre de meurtres a augmenté. L'Irlande a pris des mesures similaires. On a autorisé quelques cultivateurs à conserver leurs carabines, des carabines de calibre 22. La Jamaïque ne l'a pas fait. Le taux d'homicides a augmenté de 500 p. 100, 600 p. 100. L'Angleterre a pris des mesures très énergiques pour interdire et confisquer toutes formes d'armes à feu et leur taux d'homicide augmente.

La question qui se pose, comme je l'ai dit à la présidence, est la suivante : que se passe-t-il après que l'on met en place certaines mesures; l'important n'est pas qu'il s'agisse d'un petit ou d'un grand pays, d'un pays mauve ou d'un pays vert. Les pays ont des particularités durables. Si vous vous rappelez votre histoire, le Japon a connu une très longue période pendant laquelle les gouvernements japonais de diverses allégeances ont essayé d'éliminer la possession d'armes à feu par la population. Le Japon continue de connaître des problèmes avec les yakuza.

Il existe très peu de preuves selon lesquelles un contrôle plus sévère des armes à feu réduit le taux d'homicide. Il ne fait aucun doute qu'un certain minimum y contribue, mais de façon générale, ce n'est pas une proposition viable. C'est une notion très répandue qui se dégage non seulement de mes études mais de nombreuses autres études. Je suis étonné que vous ne l'ayez pas constaté dans les statistiques.

Le sénateur Cowan : Je vous remercie d'être ici. Nous avons trouvé votre témoignage très intéressant.

La plupart des universitaires que je connais n'hésitent pas à énumérer pour appuyer leurs conclusions les ouvrages auxquels ils ont participé. Je ne vois pas dans la liste de références que vous avez jointes à votre mémoire la mention d'ouvrage sur l'imposition de peines et la criminalité dont vous êtes l'auteur ou le corédacteur.

M. Mauser : J'ai rédigé ou corédigé d'autres études, mais comme elles ne sont pas immédiatement pertinentes, je ne les ai pas incluses.

Le sénateur Cowan : N'avez-vous pas rédigé ou corédigé des études sur cette question dont vous nous parlez aujourd'hui?

M. Mauser : Non. Mon domaine, c'est l'économétrie et la statistique, donc j'ai pensé qu'il serait utile que le comité examine les études faites par d'autres personnes. Même si je suis timide et réservé, j'ai pensé qu'il serait utile que le comité prenne connaissance de la recherche de grande qualité que d'autres personnes ont faite dans ce domaine.

Le sénateur Cowan : Je suis d'accord. Nous avons trouvé ces études très instructives.

Le sénateur De Bané a parlé d'un témoignage que nous avons entendu du professeur Roberts de l'Université Oxford aujourd'hui dans lequel il indique qu'à son avis la gravité de la peine n'a pas d'effet dissuasif sur la criminalité. Je paraphrase son opinion selon laquelle c'est la crainte d'être appréhendé ou attrapé qui dissuade en fait les gens de commettre des crimes.

Cette opinion est partagée par le professeur Dube. Une étude a été faite à l'Université du Nouveau-Brunswick par Smith, Gauguin et Gendron, M. Ruben des Services juridiques autochtones de Toronto. Il y a un certain nombre de personnes qui ont beaucoup écrit sur cette question et qui ont publié des ouvrages dans ce domaine et qui, il me semble, sont arrivées de façon universelle à une opinion qui est tout à fait l'opposé de la vôtre.

M. Mauser : Non, je pense que vous comprenez mal les données.

Le sénateur Cowan : Est-ce que je comprends mal les données ou est-ce que je vous comprends mal? Je pense que je comprends les données.

M. Mauser : C'est bien. Je pense que vous les comprenez mal de toute façon. Permettez-moi de vous signaler une erreur que commettent beaucoup de gens. La variable dépendante est assez différente. Vous mettez l'accent sur la dissuasion. Les peines d'emprisonnement ne favorisent pas vraiment la réhabilitation, non plus. Ce sont des variables dépendantes très importantes, c'est-à-dire la dissuasion et la réhabilitation. J'ai posé une question différente et je suis arrivé à une conclusion différente.

Le sénateur Cowan : La question que je pose et la question dont nous traitons c'est que l'objet déclaré du projet de loi est de réduire les crimes violents.

M. Mauser : C'est ce sur quoi je me suis penché. Je n'ai pas examiné la dissuasion. J'ai examiné les moyens de réduire les crimes violents.

Le sénateur Cowan : Vous avez raison; je ne vous comprends pas. J'aurais pensé que si vous tâchiez de réduire l'incidence des crimes violents, que vous examineriez vraiment la façon de dissuader les personnes de commettre des crimes violents. N'est-ce pas exact? Quelle est la différence?

M. Mauser : C'est certainement l'une des façons d'y parvenir. Si vous examinez la notion de dissuasion, je ne crois pas que ce soit difficile à comprendre. La dissuasion signifie que quelqu'un examine la situation et songe aux conséquences qu'on lui a fait craindre s'il commet certains actes, ce qui l'incite alors à ne pas commettre cet acte. Je n'examine pas la prise de décision. J'examine les statistiques de la police sur le nombre d'infractions commises.

Le sénateur Cowan : Ce dont je traite, c'est l'un des buts énoncés par le projet de loi, que vous appuyez, même si vous n'allez peut-être pas suffisamment loin à certains égards, je crois. Je conviens que si l'on incarcère une personne, tant que cette personne est incarcérée, elle n'est pas susceptible de commettre de crimes dont sera victime le public. Elles peuvent causer certains dommages parmi le public; elles peuvent perfectionner leurs aptitudes pendant qu'elles sont emprisonnées. Je pense que vous conviendrez avec moi que les études qui ont été publiées indiqueraient qu'il existe un lien entre la durée d'une peine et le taux de récidivisme par la suite.

M. Mauser : Ce taux diminue. Si vous regardez à la page 3, l'étude faite par Kovandzic semble indiquer qu'il n'existe aucun lien entre le moment auquel ces contrevenants sont libérés et une augmentation subséquente du taux de criminalité, ce à quoi on s'attendrait si ces contrevenants violents étaient devenus plus rusés ou attendaient simplement leur heure pour assouvir leur colère au moment de leur sortie de prison. Cela ne semble pas augmenter le taux de criminalité.

Le sénateur Cowan : Je vous dirais, monsieur Mauser, que les témoignages que nous avons entendus et qui nous ont été présentés ici et à l'autre endroit vont tout à fait dans le sens contraire, à savoir qu'il existe un lien direct. Plus la peine d'emprisonnement est longue, plus l'incidence de récidive est élevée lorsque ces personnes finissent par être libérées parce qu'on ne peut pas les emprisonner à perpétuité. Du moins, je ne crois pas que ce soit ce que vous proposez; n'est-ce pas?

M. Mauser : Ce n'est pas ce que nous étudions, et je n'appuie pas cette suggestion.

Le sénateur Cowan : Cela me fait plaisir d'entendre cela.

M. Mauser : Il est facile pour des groupes d'en arriver trop vite à un consensus. Il est facile pour les universitaires de se mettre d'accord trop rapidement. Je ne sais pas si je suis un provocateur ou tout simplement un gentil petit garçon, mais je crois que de nombreux criminologues sont en désaccord avec les conclusions que vous avez présentées.

Le sénateur Cowan : Vous avez fait cette déclaration. Vous avez dit que d'emprisonner les récidivistes plus longtemps réduisait la criminalité.

M. Mauser : Oui, je l'ai dit.

Le sénateur Cowan : C'est ce que vous croyez. Pouvez-vous nous présenter des études qui appuient cette conclusion?

M. Mauser : Je suis désolé que vous ne m'ayez pas écouté.

Le sénateur Cowan : J'écoutais très attentivement.

M. Mauser : Je suis désolé. Vous pouvez voir qu'il y a une liste de références à la fin du document. Vous vous souvenez sans doute que durant mon exposé, j'ai mentionné deux études.

Le sénateur Cowan : Vous avez mentionné Marvell et Moody.

M. Mauser : Il y a aussi Kovandzic et ses collègues. J'essaie de ne pas ennuyer les bons sénateurs avec une tonne d'études, mais je vous assure qu'ils ne sont pas membres de la NRA ou qu'ils ne sont pas des hurluberlus marginaux. Ces allégations finales prématurées sont impressionnantes.

Le sénateur Cowan : Jugez-vous plus importantes ces deux études plutôt que les preuves fournies par le professeur Dub, de l'étude de l'UNB, ou par M. Roberts ce matin?

M. Mauser : Si vous parliez du manque de données disponibles au Canada avec M. Dub et M. Roberts, vous verriez qu'ils sont, tout comme moi, inquiets du fait qu'il n'y a pas suffisamment de données pour en arriver à des conclusions plus solides. Je ne sais pas s'ils ont exagéré ce fait ou non, mais nous avons besoin de meilleures données, et c'est une des raisons qui expliquent que nous ayons examiné d'autres pays.

Le sénateur Cowan : Pensez-vous qu'il ne serait pas sage d'effectuer des changements importants sans entreprendre ce type d'études?

M. Mauser : Je suis un universitaire. J'aime avoir plus de données. J'appuie ce projet de loi. Je pourrais y apporter certaines critiques, mais puisque la teneur de la plupart des témoignages que j'ai lus et entendus est critique, j'ai pensé qu'il était plus important de souligner les aspects positifs. Même si je n'ai pas publié d'études dans ce domaine, j'ai les compétences statistiques pour les examiner. J'ai cru que cela intéresserait le comité.

Le président : J'ai une question supplémentaire au sujet des études citées. À la page 2 de votre mémoire, vous citez Marvell et Moody qui disent qu'une augmentation de la population carcérale des criminels graves ou violents est certainement liée à la réduction des taux de criminalité violente.

Puis, quelques paragraphes plus bas, vous citez Kovandzic et ses collègues qui constatent qu'il n'y a pas de preuve qu'il existe une relation positive importante entre les libérations et les homicides. Cela m'apparaît contradictoire. Il me semble que vous dites que d'un côté, garder ces criminels en prison réduit les taux de criminalité violente, et que de l'autre côté vous dites que les libérer n'aura pas d'effet sur le taux d'homicide.

M. Mauser : Non, ce n'est pas contradictoire.

Le président : Pouvez-vous m'expliquer?

M. Mauser : Avec plaisir. Si nous prenons comme variable indépendante le temps passé en prison et que nous étudions les taux de criminalité, que ce soit le taux d'homicide ou le taux de crimes violents, ces deux notions sont étroitement liées. Comme je l'ai dit, un accroissement de la population carcérale totale est fortement lié à une réduction des taux d'homicide ou de crimes violents?

La question de la libération concerne ce que quelques sénateurs ont déjà discuté. Si nous emprisonnons les personnes violentes et agressives et que nous les libérons plus tard, quelle que soit la durée qu'ils aient passée en prison, lorsqu'elles sont libérées, comme le nombre de prisonniers libérés s'accroît, est-ce que le taux de criminalité augmentera également? On s'y attendrait, selon la théorie voulant qu'en gardant des gens enfermés dans une boîte, lorsqu'ils en sortent ils sont dangereux. Mais cela ne semble pas être le cas dans cette étude.

J'espère que j'ai clarifié la situation.

Le président : Je devrai y réfléchir plus tard.

Le sénateur Oliver : Merci, monsieur Mauser, pour votre exposé. Je l'ai beaucoup apprécié. Vous avez déjà répondu à un certain nombre de questions que j'avais, alors je ne prendrai pas beaucoup de temps.

Comme vous le savez, une des choses que ce gouvernement essaie de faire avec le projet de loi C-2 est de s'occuper d'un nombre relativement petit de récidivistes violents. Il est sous-entendu que le gouvernement reconnaît que pour rendre nos rues plus sûres, les victimes ont aussi des droits, donc nous devons garder à l'esprit les victimes de ces crimes violents qui ont besoin d'une certaine protection également. Vous en arrivez à la conclusion que, par conséquent, ce projet de loi est une amélioration de la sécurité publique.

M. Mauser : Oui.

Le sénateur Oliver : Vous mentionnez, vers la fin, que le comité devrait mettre à l'épreuve les études criminologiques, parce que les peines minimum obligatoires représentent certainement une façon de rendre nos rues plus sûres.

C'est ce que ce gouvernement essaie de faire. Les crimes graves augmentent, d'après les faits que vous et d'autres ont présentés à notre comité, et le projet de loi C-2 semble arriver au bon endroit au bon moment.

Suite aux commentaires et questions des sénateurs Cowan et De Bané, pouvez-vous me parler plus longuement du type de méthodologies utilisées pour les études criminologiques sur lesquelles vous avez basé vos conclusions, conclusions qui, nous sommes d'accord, sont au cœur de ce projet de loi?

M. Mauser : La plupart de mes analyses sont statistiques et sont structurées sur des séquences temporelles. Les études de Kovandzic et Marvell et Moody sont des séries temporelles de vastes bases de données.

Le sénateur Oliver : Vous étudiez de longues périodes de temps.

M. Mauser : Vous avez raison. Ce sont de longues périodes de temps, avec des mesures annuelles d'un certain nombre de facteurs. On choisit attentivement ce que l'on utilisera statistiquement comme une variable indépendante et une variable dépendante, parce que toutes ces données sont coïncidentes, et recueillies en même temps. Nous ne savons pas ce qui cause quoi ou quels sont les délais. C'est compliqué. Les économométriciens débattent avec véhémence de la meilleure façon de faire une telle étude. C'est pourquoi j'ai mis l'accent sur la fiabilité, ce qui signifie qu'en utilisant différentes façons de définir les mesures, nous en arrivons quand même aux mêmes résultats et aux mêmes répétitions. Divers chercheurs ont répété cette étude de base et sont arrivés aux mêmes genres de résultats.

Un des problèmes dans ce domaine ce sont les analyses au niveau des États, et cette étude en est arrivée à une conclusion très différente en utilisant des données nationales. De nombreuses études au niveau des États se limitent à de petites régions géographiques et en arrivent à la conclusion opposée. C'est pourquoi cette étude est si importante.

Le sénateur Oliver : Votre article est fondé sur des chiffres nationaux.

M. Mauser : Oui. De même, je souligne l'étude Kovandzic parce que bien des gens se posent la question suivante : Que se passe-t-il lorsque ces personnes sont libérées? Cette recherche a étudié ce point plus précisément, et en est arrivée à la conclusion qu'il ne semblait pas y avoir de relation entre le moment de leur libération et une augmentation des crimes violents.

Le sénateur Di Nino : Professeure Beauchesne, j'ai suivi attentivement votre exposé et je suis en accord avec la majorité de vos observations. Je conviens que nous nous sommes trop concentrés sur l'alcool par le passé. Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que l'alcool n'est pas la seule substance qui affaiblit les facultés des conducteurs.

Je trouve surprenant que vous vous opposiez fortement aux tests de dépistage de drogues obligatoires. Les témoins qui ont comparu juste avant vous ont été très clairs et éloquents lors de leurs exposés dans leur domaine de spécialité, surtout le sergent Martin, qui a traité de la question des facultés affaiblies par les drogues. Il a dit qu'on doit suivre un certain nombre d'étapes avant d'exiger un test de dépistage des drogues. L'agent devrait avoir des preuves assez solides que les facultés de la personne sont affaiblies.

Nous essayons de protéger nos rues et nos autoroutes contre les conducteurs aux facultés affaiblies, quelle que soit la substance qui les affaiblit. Si les policiers ont des preuves raisonnables que les facultés ont été affaiblies par une substance autre que l'alcool, ne devrions-nous pas leur donner le pouvoir de le vérifier afin que ces gens ne se trouvent pas sur nos autoroutes ou nos routes et pour que notre pays soit plus sûr?

[Français]

Mme Beauchesne : Oui, il faut leur donner des outils, mais l'outil le plus simple est encore le test de réflexes pour savoir si la personne est en état de conduire.

Posons la question autrement : je fais sortir la personne de la voiture, je trouve que sa conduite est erratique, mais l'expert en reconnaissance de drogue ne croit pas que c'est relié aux drogues; est-ce qu'on laisse la personne repartir en voiture?

[Traduction]

Le sénateur Di Nino : Je ne suis pas ici pour répondre à des questions.

[Français]

Mme Beauchesne : C'est juste pour ne pas en arriver à la logique qui voudrait qu'il y ait de bonnes facultés affaiblies et de mauvaises facultés affaiblies. Il y a des facultés affaiblies, point; et la question à se poser est : est-ce qu'il y a un mécanisme pour tester les facultés affaiblies? Oui, c'est encore les bons vieux tests de réflexes, qui ont été affinés depuis, et qui peuvent être aisément filmés. Là, on va voir l'ensemble des facultés affaiblies.

[Traduction]

Le sénateur Di Nino : Les policiers à qui nous demandons d'assumer ces responsabilités au nom de la société nous disent que, pour que ces gens ne se retrouvent pas sur nos rues, pour qu'ils puissent convaincre un juge et un jury, si nécessaire, ils ont besoin des preuves de facultés affaiblies par les drogues. Cette mesure leur offrirait une position plus solide en cour, et c'est pourquoi le projet de loi comprend cette disposition.

[Français]

Mme Beauchesne : Je comprends votre question parce que la vision qu'on a du sujet à l'heure actuelle, c'est toutes les complications liées aux procédures judiciaires en matière d'alcool, et on se dit que cela va se prolonger sur la question des drogues. C'est pour cela que j'ai souligné que je ne pense pas que la voie pénale, chaque fois que cette situation se produit, soit la meilleure. Les coûts judiciaires ne sont pas meilleurs non plus.

Lorsqu'on s'adresse particulièrement à la classe moyenne, aux gens qui ont une voiture et qui ont les moyens également de se défendre, si vous imposez une sanction sévère, je peux vous garantir des coûts faramineux de procès et d'avocats. Si l'appareil était en bon état? Est-ce qu'elle est vérifiée? On aurait des coûts reliés à cela de la part GRC pour vérifier que cela a été fait, ainsi de suite.

Je dis qu'il y a une façon beaucoup plus simple. Comme on le rappelait tout à l'heure, la certitude de la peine est beaucoup plus importante que la peine. Les études montrent également qu'une personne qui commet un crime, même violent, ne se demande pas : « Est-ce que c'est deux ou quatre ans? Si c'est quatre ans au lieu de deux maintenant, je ne vais pas le faire ». Ce n'est pas comme cela que cela fonctionne. La peine ne joue pas de rôle dans la dissuasion, mais plutôt c'est la certitude d'être pris ou non.

Si 600 policiers de la GRC qui sont ERD sont répartis à travers le Canada, il n'y a pas de certitude d'être arrêté. Cela ne va arriver que très rarement. On pourra difficilement grossir ce nombre parce que, premièrement, cela coûte des fortunes; deuxièmement, les policiers bougent, ils ne restent pas toute leur vie dans un poste.

Il y a moyen de changer le comportement des gens avec des procédures beaucoup plus simples. Pour la plupart des gens, la saisie de la voiture est déjà un choc nerveux important; l'augmentation des primes d'assurances en est un deuxième et la perte de point de démérite un troisième.

Là, les gens comprennent qu'ils ont besoin de changer de comportement, on n'a pas besoin d'une massue.

[Traduction]

Le sénateur Di Nino : Comme je l'ai dit auparavant, j'étais en accord presque total avec votre exposé à l'exception de la dernière phrase, qui va à l'encontre des demandes de ceux qui doivent traiter cette question et qui travaillent sur le terrain continuellement. Ils nous ont demandé cet outil. Nous tenons compte de toutes les opinions que nous recevons, mais vous êtes en désaccord avec eux et vous ne pensez pas qu'ils ont besoin d'un test de dépistage des drogues pour déterminer si une personne a les facultés affaiblies.

[Français]

Mme Beauchesne : On doit effectivement couvrir de façon beaucoup plus large la question des facultés affaiblies, mais on n'a pas besoin de tout cet appareillage et de tous ces procès. Il y a des façons beaucoup plus simples de changer les comportements en matière de facultés affaiblies, beaucoup moins coûteuses et beaucoup plus efficaces.

[Traduction]

Le sénateur Di Nino : Aux fins du compte-rendu, je veux présenter un point de vue différent de celui de mon collègue, le sénateur Cowan, sur le but de ce projet de loi. Le premier objectif de ce projet de loi, comme cela a été maintes fois répété, est de protéger les Canadiens des criminels, surtout les récidivistes violents.

Ma première question traite des statistiques que nous obtenons du Centre canadien des statistiques juridiques sur les crimes violents avec arme à feu. Les statistiques semblent dire que de tels crimes ont été stables ces dernières années, à l'exception du nombre de jeunes accusés de violence liée aux armes à feu, qui a augmenté pendant les trois ou quatre dernières années.

Vos études confirment-elles ces conclusions?

M. Mauser : Oui, j'ai essentiellement constaté le même type de phénomène. J'ai tendance à utiliser le taux d'homicides parce que les homicides sont reconnus partout comme un crime grave et traités partout de façon sérieuse, en ce qui a trait au signalement et au traitement policier. Tandis qu'avec les autres crimes violents, le signalement et le traitement peuvent varier grandement selon la situation familiale, la connaissance de la collectivité et le traitement policier.

Je me suis concentré sur les homicides. C'est pourquoi le deuxième chiffre démontre que le taux d'homicides au Canada a baissé depuis le début des années 1990, mais a été stable pendant la majorité des années 1990, a un peu décru en 2003, puis s'est accru pendant deux ans et maintenant décroît encore. La tendance à long terme est une faible augmentation des homicides.

Vous avez parfaitement raison. Le nombre d'homicides commis par des jeunes contrevenants a grimpé beaucoup plus vite que le nombre total d'homicides. Les crimes violents commis avec une arme à feu représentent une tranche plus restreinte de la criminalité violente, qui englobe des crimes graves et d'autres moins graves et qui excluent les crimes commis avec une arme blanche. Je crois que l'utilisation d'une arme doit être pénalisée parce que ce sont les délinquants armés qui compromettent la sécurité de la population, et non pas seulement ceux qui ont une arme à feu.

Si vous regardez mes tableaux qui mettent en parallèle les crimes commis à l'aide d'une arme à feu, d'un objet contondant ou d'un couteau, on voit que les blessures sont plus fréquentes et plus graves quand l'agresseur se sert d'un couteau plutôt que d'une arme à feu. J'attire votre attention sur la dernière ligne du tableau : en 2003, dans la catégorie des voies de fait, on a dénombré 5 700 blessures par couteau contre 800 blessures par arme à feu; dans la catégorie des vols qualifiés, il y a eu 5 000 blessures par couteau contre 3 000 par une arme à feu. Je ne veux pas dire que les couteaux soient pires que les armes à feu, mais simplement qu'il faut aussi en tenir compte.

Le sénateur Di Nino : Estimez-vous que la fréquence de ce genre de délits augmente généralement chez les jeunes?

M. Mauser : Oui.

La présidente : Permettez-moi de rappeler la raison d'être de ce projet de loi — sans vouloir lancer un débat à ce sujet — dont le titre abrégé est « Loi sur la lutte contre le crime violent ».

Le sénateur Di Nino : Je sais. Nous parlons de crimes violents.

Vous nous avez dit, en vous fondant essentiellement sur les travaux de Marvell et Moody que j'ai l'intention de lire parce que leurs analyses me semblent très intéressantes, que d'autres criminologues et chercheurs respectés ont une opinion différente de celle que nous avons entendue jusqu'ici.

M. Mauser : Oui.

Le sénateur Di Nino : Leurs recherches n'ont-elles pas montré qu'en incarcérant certains criminels violents, on avait réussi à réduire le taux d'homicides. C'est bien cela?

M. Mauser : En effet. Il arrive que les travaux des criminologues soient d'une portée trop étroite si bien qu'on se trouve à exclure des données tout à fait solides. Dans un des paragraphes que je n'ai pas lu à voix haute mais qui figure à la page 2, on signale que beaucoup de criminologues canadiens font abstraction des données américaines. Or, pour ma part je crois qu'il y a là beaucoup de données qui pourraient nous être utiles. Ils ont fait bon nombre d'erreurs mais ont pris beaucoup de décisions intelligentes. Nous pouvons tirer un enseignement de leurs erreurs et nous inspirer de leurs bonnes décisions.

Ils doivent bien intervenir efficacement puisque les taux d'homicides et de crimes violents ont diminué plus vite aux États-Unis qu'au Canada. Quand on le fait remarquer à des criminologues ou des policiers américains, ils ouvrent des grands yeux : « Mon Dieu, qu'est-ce que nous faisons qui soit efficace? » C'est vrai.

Pensez-y un instant. Nous vivons un vaste pays où les processus sociaux sont bien ancrés, tant pour les fonctionnaires que pour les gens ordinaires. Il est bien plus difficile de rectifier le tir ici que dans un pays de plus petite envergure. Qu'ont fait les Américains pour que les taux de criminalité aient chuté de façon aussi nette? J'ai analysé les indices plutôt que les taux de criminalité moyens afin de voir les changements qui sont en train de s'opérer.

Le sénateur Di Nino : J'ai été fasciné par vos explications au sujet des coûts publics et des coûts privés. Je vais lire certaines des références que vous avez données mais il faut aussi réfléchir à ce concept qui me semble intéressant. Je n'y avais pas réfléchi sérieusement jusqu'à maintenant. Quand on évalue les coûts du crime, on n'inclut pas, en règle générale, les coûts publics ni les coûts pour la personne. Merci de nous l'avoir signalé.

Merci de votre courtoisie, madame la présidente.

Le sénateur Andreychuk : En fait, nous le faisons parce que nous obtenons de bonnes statistiques des compagnies d'assurance et d'autres qui dédommagent les personnes qui sont victimes d'introduction par effraction et de vol. Nous avons également des données sur les hospitalisations, qui sont une autre source de renseignements déjà notée. Je pense qu'il y a plus de données sur les coûts. Il y a également des préjudices pour lesquels on ne peut s'adresser aux tribunaux, car si un cambrioleur vous prend un objet précieux, cela change votre vie pour toujours.

Le sénateur Di Nino : Je n'avais jamais envisagé le problème sous cet angle.

Le sénateur Andreychuk : Ce que je veux dire, c'est qu'il y a des données qui ne sont pas prises en compte dans ce projet de loi.

Madame Beauchesne, si je vous ai bien comprise, vous n'êtes pas d'accord avec l'approche du Code criminel en matière de facultés affaiblies. Vous voulez que l'on définisse les « facultés affaiblies » d'une façon plus large. Dans les différents scénarios que vous décrivez, vous avez donné le cas d'une personne qui manque de sommeil. Après avoir travaillé très fort, elle a pris le volant et a causé un accident.

Bien que l'idée de définir les facultés affaiblies d'une façon beaucoup plus vaste ne soit pas dénuée d'intérêt, je ne pense pas que nous puissions arriver à cerner tout à fait les aspects les plus épineux de ce qu'on qualifie de facultés affaiblies. Vous avez dit que nous mettons l'accent sur l'ivresse au volant, mais nous partageons les coûts de la sécurité routière, du transport en commun, de la réfection des routes et de l'amélioration de l'affichage et de l'éclairage et de normes de sécurité plus rigoureuses pour les fabricants d'automobile.

Je comprends où vous voulez en venir, mais il me semble que nous faisons déjà tout cela. Chaque ministère tant fédéral que provincial ou territorial a un rôle à jouer relativement à certains aspects de votre définition très large des « facultés affaiblies ».

Le Code criminel définit de façon plus étroite la notion de « facultés affaiblies » pour une raison bien précise; pour cerner la responsabilité de la personne qui prend le volant. C'est ce qui m'amène à poser la question suivante. Vous dites que les gens font des choix en se fondant non pas sur leur aptitude à conduire — et je suis d'accord avec vous sur ce point — mais uniquement sur le risque de se faire prendre. Cela me semble plutôt étrange. Je pense que si nous avons décidé de sévir dans le cas de l'alcool au volant c'est parce que bien des gens ne comprenaient pas que tuer quelqu'un avec son automobile était équivalent à tuer quelqu'un à l'aide d'une arme ou de ses poings. Autrement dit, quand une personne ivre prenait le volant et tuait quelqu'un, cela n'était pas considéré comme un homicide ou un meurtre.

Notre société n'a pris conscience de la gravité de ce genre de délit qu'après en avoir discuté sérieusement et compris que tuer, par quelque moyen que ce soit, c'est tuer. Le droit pénal prévoit des sanctions pour ceux qui agissent avec négligence.

Mais vous semblez avancer l'argument contraire. Vous dites que ce n'est pas là le problème, ce qui m'étonne un peu. Je comprends que sur le plan sociologique, nous devons examiner tous les aspects des facultés affaiblies.

[Français]

Mme Beauchesne : Ce n'est pas uniquement sociologique, c'est aussi criminologique. Par exemple, la logique que l'on suit à l'heure actuelle pour arrêter une personne avec facultés affaiblies ressemble à ceci en matière d'excès de vitesse : une personne roule à 130 kilomètres-heure malgré la limite de vitesse de 100 kilomètres. Cette personne est jeune, dépendant de la raison pour laquelle elle fait de la vitesse, on va décider de l'arrêter. Pourquoi faire cela? Pourquoi ne pas continuer à faire comme on fait maintenant avec l'aide d'un radar? Quelqu'un fait de la vitesse? C'est dangereux. On y met donc fin. Selon cette logique, il y a des facultés affaiblies, mais il y a aussi des différences selon qu'elles résultent de la fatigue, de l'âge ou d'autre chose.

Il y a des façons simples de tester si une personne a des facultés affaiblies. Alors, testons-la et faisons un suivi. Nous sommes entrés dans une logique discriminatoire face à certaines clientèles, mais si notre préoccupation est la sécurité routière, l'idée, c'est d'enlever les gens qui n'ont pas les capacités de conduire.

En ce qui a trait à l'alcool, ce n'est pas uniquement la loi qui a eu un effet. Je reviens à la recherche de mon étudiante sur les programmes de prévention financés par le gouvernement fédéral dans les écoles, à la télévision et partout ailleurs. Ce fut une énorme campagne qui a eu du succès.

Et ce n'est pas utopique, ce n'est pas sociologique, c'est criminologique. Pour la vitesse, c'est la même chose. Si vous prenez l'exemple de la France, qui a installé des radars il y a deux ans, le comportement des Français sur les routes a changé. Cela apparaissait utopique, mais la certitude d'être arrêté a changé.

Si on crée la procédure extrêmement complexe qu'on a ici, on n'aura pas une très grande certitude d'être pris et on ne réussira pas à changer les comportements. Je crains même que parce que la procédure est complexe, on arrête moins de gens qu'auparavant.

Quant à moi, ce sont la prévention et la certitude d'être pris qui constituent les deux moyens et ce n'est pas très complexe de le faire. Il faut accepter le fait qu'on n'est pas en train de faire de la discrimination en cherchant à punir des jeunes qui consomment le cannabis. Il faut accepter le fait qu'une personne âgée qui a pris des médicaments, ou quelqu'un qui est très fatigué est assujettie à la règle qui est la même pour tous.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk : Vous semblez prendre le contrepied du Code criminel dans son ensemble.

Mme Beauchesne : Non.

Le sénateur Andreychuk : Nous avons défini des chefs d'accusation comme la conduite négligente, conduite dangereuse et négligente ayant causé la mort. Nous faisons la distinction, d'après l'intention de la personne.

Pour pouvoir conduire, il faut réussir une épreuve de conduite au niveau provincial et obtenir son permis. Ensuite on donne à la police la responsabilité de contrôler tous les genres de facultés affaiblies pour assurer la sécurité routière.

Je comprends la complexité du problème, mais je ne vois pas de solution facile. Quelle forme prendrait, par exemple, un programme de sensibilisation? On peut dire : « Ne prenez pas le volant après avoir bu. Ne conduisez pas si vous avez pris de la drogue. Voici les conséquences auxquelles vous vous exposez. » Cependant, si on dit « Veillez à ne pas conduire avec les facultés affaiblies » en tenant compte de tous les facteurs possibles, et même de l'état des routes, on envoie un message ambigu. Certains messages s'adressent à la population, d'autres au gouvernement et d'autres à d'autres secteurs de la société.

Ainsi, si vous permettez, votre impression générale est que nous simplifions les choses et que la vie n'est pas toujours aussi simple. Nous mettons l'accent sur quelque chose. Si vous ingérez une substance — et là on ne parle pas d'une conduite imprudente ou dangereuse puisque on traite de ces sujets dans d'autres articles — et que vous l'ingérez en toute connaissance de cause en sachant que cela pourrait nuire à votre aptitude à conduire et que vous prenez quand même le volant de votre voiture, il y aura des conséquences.

[Français]

Mme Beauchesne : Le ministre, lorsqu'il a présenté ce projet de loi, disait vouloir répondre à deux choses. La première, c'était le fait qu'il n'y avait pas seulement l'alcool qui affaiblissait les facultés, et qu'il fallait élargir le champ. Et la deuxième chose, qui justifiait le dépôt de ce projet de loi, c'était la volonté du ministre de réduire les complications judiciaires liées à l'alcool et qu'il ne voulait pas que cela se reproduise ailleurs.

Voici ce que je réponds à ces deux objectifs. Il serait très simple, tant en prévention qu'avec l'action policière, d'élargir sur l'ensemble des facultés affaiblies comme le ministre le voulait. La deuxième chose, c'est que le ministre ne va pas résoudre le problème de la complication des mesures judiciaires. Si le projet de loi est adopté, je vous promets des pages jaunes d'avocats spécialisés dans le domaine des drogues, parce que ce sera très payant.

Ici on ne simplifie pas à outrance. Au contraire, je crois qu'on complique à outrance et que si on voulait agir, il serait possible de le faire de façon plus simple.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk : Je pense que nous allons rester sur nos positions.

La présidente : Vous avez tous les deux fort bien expliqué vos points de vue.

Le sénateur Stratton : Je souhaite la bienvenue aux deux témoins. J'aimerais poser mes questions à Mme Beauchesne. Ma première question porte sur les statistiques canadiennes relatives aux tendances criminelles, qui se retrouvent à la page 14 de l'exposé du Centre canadien de la statistique juridique.

Mme Beauchesne : À la page 14 de la version anglaise?

Le sénateur Stratton : Oui.

Mme Beauchesne : À la page 14? Le document anglais ne compte pas 14 pages.

[Français]

La présidente : Professeure Beauchesne, le sénateur parle des chiffres que Statistique Canada a présentés.

Mme Beauchesne : D'accord.

[Traduction]

Le sénateur Stratton : Je parle de la diapositive 11.

Le sénateur Cowan : Voulez-vous la version anglaise ou française?

Mme Beauchesne : Peu importe.

Le sénateur Stratton : Elles ne sont peut-être pas identiques.

Mme Beauchesne : L'encadré no 14?

Le sénateur Stratton : Il y a une série de diapositives et je vous parle de la diapositive 11 ou on lit : « Les affaires de conduite avec facultés affaiblies sont en baisse soutenue depuis le début des années 1980. » Si vous allez en-dessous de l'encadré, vous verrez que les points indiquent : « Le taux de conduite avec facultés affaiblies a chuté de 68 p. 100 entre 1981 et 2006 ».

C'est une chute draconienne dans les infractions. La plupart des Canadiens attribueraient cela au fait que des sanctions sont imposées pour la conduite avec facultés affaiblies, dont le 0,08, et aussi à la méthode d'évaluation dans laquelle on utilise, par exemple, l'alcotest. À mon avis, cela a été fort efficace, mais pas complètement efficace.

La deuxième préoccupation a été soulevée dans la troisième bulle. L'on y parle du taux fort préoccupant d'infractions liées à la cocaïne, qui a augmenté de 67 p. 100 depuis 2002 et a atteint un sommet en 2006.

Ce projet de loi traite surtout de la conduite avec facultés affaiblies. Je pense que ces deux statistiques prouvent que le gouvernement du Canada et celui des provinces ont réussi à créer une méthode efficace qui a permis de réduire de 68 p. 100 la conduite avec facultés affaiblies.

Pourquoi est-ce que cela n'est pas efficace? Si l'on est en train de sauver des vies et que l'on réduit de manière draconienne la conduite avec facultés affaiblies, alors pourquoi ne faudrait-il pas poursuivre dans cette voie?

[Français]

Mme Beauchesne : Pourquoi attribuez-vous nécessairement la baisse des taux d'alcool au volant aux peines, plutôt qu'aux campagnes de prévention? La prévention a joué un rôle important dans le changement des perceptions.

Deuxièmement, vous montrez des chiffres sur le cannabis et la cocaïne. Je ne vois pas de chiffres se rapportant à l'augmentation de la médication des personnes âgées. Pourquoi? Les médicaments sont aussi des drogues. Est-ce qu'on a décidé de viser spécifiquement le cannabis et la cocaïne?

La présidente : Il faut dire que les sénateurs sont là pour poser des questions.

Mme Beauchesne : C'est une habitude de professeur, je m'excuse.

[Traduction]

Le sénateur Stratton : Je serai ravi de répondre à cette question. Le fait est que oui, nous allons maintenant prendre cela en compte avec l'adoption du projet de loi.

Si quelqu'un conduit avec les facultés affaiblies car il a pris des médicaments, cette personne sera arrêtée et contrôlée si elle conduit de manière erratique. Toutefois, c'est bien différent lorsque l'agent de police qui les arrête se rend compte qu'il s'agit d'une consommation médicale. À ce moment-là, on entame un processus fort différent d'une accusation criminelle. C'est ce qui se passe avec ce projet de loi. C'est ce qui se produira.

Quand on voit que le taux d'infractions liées à la cocaïne a grimpé de 67 p. 100, je crois qu'il faut faire quelque chose. C'est mon point de vue. Je le fonde sur le fait que, si nous avons réussi à réduire le taux de conduite avec facultés affaiblies de 68 p. 100, alors nous pourrons sans doute avoir la même incidence sur les infractions liées à la cocaïne grâce à ce projet de loi.

[Français]

Mme Beauchesne : Je ne croyais pas qu'il s'agissait de lois destinées à arrêter les consommateurs de drogues illicites, je croyais qu'on parlait d'une loi pour améliorer la sécurité routière. Je ne fais pas nécessairement le lien entre les deux.

Vous parlez des drogues illicites et du fait que la situation est inquiétante. Or, je dispose de données très claires sur les drogues. Ce sujet est mon domaine d'expertise. Dans la dernière année, un Canadien sur quatre a pris une drogue illicite. Nous sommes d'accord que plusieurs personnes prennent des drogues, qu'elles soient prescrites ou illicites. Toutefois, il ne faut pas viser que ces personnes. Il faut agir en matière de sécurité routière, mais en visant l'ensemble des facteurs reliés aux facultés affaiblies.

Les mesures doivent rester simples et ainsi s'appliquer souvent et à tous ceux qui prennent le volant alors qu'ils sont soit sous influence de drogues ou ont les facultés affaiblies pour d'autres raisons.

[Traduction]

Le sénateur De Bané : Monsieur Mauser, il va de soi que les sciences sociales ne sont pas, par définition, des sciences exactes. Le comportement humain n'est pas exact non plus. Cela dit, on peut tenir pour acquis certaines choses. Par exemple, on peut croire qu'un juge assermenté rendra une décision fondée sur la loi et les preuves dont il dispose. S'il agit contrairement à cela, ce n'est pas correct. Êtes-vous d'accord avec moi pour dire qu'il ne s'acquitterait pas de son obligations à titre de juge s'il rendait une décision sans tenir compte de la loi qu'il doit appliquer et des preuves qu'on lui a fournies?.

M. Mauser : Je ne suis pas avocat. Mais le fait de respecter la loi me semble très logique dans le cas d'un juge.

Le sénateur De Bané : Vous n'êtes pas un avocat, mais vous trouvez cela raisonnable?

M. Mauser : Jusqu'à présent. Où nous mène cet argument?

Le sénateur De Bané : Je vais vous dire ce qu'il en est. J'aimerais citer la page 2 de votre mémoire où vous dîtes :

Pour ne nommer qu'un exemple : Jane Creba a été tuée à Toronto le 26 décembre de l'année dernière. Elle serait peut-être encore en vie si l'ancien gouvernement avait agi afin de faire en sorte que les délinquants dangereux restent plus longtemps en prison [...] D'autres exemples d'attribution de peines douteuses sont souvent rapportés par les médias.

Devrais-je rendre une décision basée sur ce que j'ai lu dans les journaux, ou dois-je plutôt me fier à la décision d'un juge qui a vu toutes les preuves? Vous dites que si cette personne avait été incarcérée plus longtemps, on aurait pu empêcher que le meurtre ait lieu. Qu'entendez-vous par « plus longtemps »? À perpétuité? Si on libère cette personne dans cinq ou dix ans, il sera quand même libéré un jour. Je n'arrive pas à croire que vous fondez votre recherche sur ce que vous lisez dans les journaux. Le juge a été assermenté afin de rendre une décision basée sur des preuves. Vous avez admis vous-même qu'il manquerait `son devoir s'il tenait compte d'autres choses que les preuves.

À titre de chercheur, saviez-vous que le ministère de la Justice a ordonné qu'une recherche soit effectuée par des professeurs à l'Université de Carleton , une université située Ottawa dans laquelle le professeur Thomas Gabor du Département de la criminologie de l'Université d'Ottawa et la professeure Nicole Crutcher de l'Université de Carleton ont fait une étude intitulée « Les effets des peines minimales obligatoires sur la criminalité, la disparité des peines et les dépenses du système judiciaire? » La conclusion de leur recherche en janvier 2002 était que la recherche n'appuie pas vos dires, professeur, à la page 2 sur l'utilisation des peines minimales obligatoires ou de peines plus longues aux fins de dissuasion. Dire que ce crime n'aurait peut-être pas été commis ne pas avoir lieu si le juge avait été intelligent et sensé pour imposer une peine plus longue, alors que le juge avait examiné et entendu les preuves, me semble une proposition qui n'est pas du calibre d'un scientifique de votre renom.

Je vous rappelle que le ministère de la Justice a commandé une étude sur les juges du Canada, leur demandant s'ils étaient en faveur des peines obligatoires. Une faible majorité des juges ont dit qu'ils ne trouvaient pas que cela ne serait pas judicieux. Cela entraîne plusieurs conséquences, y compris le fait qu'un procureur pourrait hésiter à poursuivre si des peines obligatoires peuvent être imposées. Si vous voulez vous référer à l'étude où une faible majorité de juges ont répondu non à la question, veuillez-vous reporter au rapport de la Commission canadienne de la détermination de la peine qui s'intitule : Réformer la sentence : Une approche canadienne. Il a été publié à Ottawa en 1987.

J'ai été choqué quand vous avez dit que nous lisons dans les journaux et entendons dans les nouvelles des choses qui portent sur toutes sortes de peines. Je ne vais pas juger un juge qui après avoir entendu les preuves a rendu une décision, surtout lorsque vous utilisez cet argument pour dire que, si la peine avait été plus longue, le délinquant n'aurait peut-être pas commis de crime. La seule certitude que vous pouvez avoir serait d'incarcérer cette personne à perpétuité dans une prison à sécurité maximale. Est-ce cela votre conclusion?

M. Mauser : Sur la dernière page, je...

Le Sénateur De Bané : Je citais un passage de la page 2.

M. Mauser : Oui. Je comprends. Mais j'ai pensé que si je vous parlais de la page 5 de mon mémoire ma réponse serait plus courte que votre question. Il est cynique de prétendre que les statisticiens peuvent obtenir n'importe quel résultat...

Le sénateur De Bané : Exactement.

M. Mauser : Je suis impressionné de voir à quel point vous pouvez manipuler mes mots pour arriver à vos fins.

Le sénateur De Bané : Je ne fais que vous citer.

M. Mauser : J'en suis impressionné. D'abord, les juges sont tenus d'observer la loi et de se fonder sur les faits dont ils disposent. Le gouvernement précédent a créé des conditions que tous les juges doivent respecter dans leurs décisions. Il existait auparavant une série de règles sur la façon dont on pouvait obtenir ou non une libération. Si ma mémoire est bonne, l'individu qui a été accusé de tuer Jane Creba avait été libéré pour une raison quelconque, mais je l'oublie. C'est affaire de spéculation. Je ne connais pas le juge ou la personne en question. C'est de la spéculation. Veuillez noter que j'ai dit que la personne « pourrait » encore être en vie si le juge avait reçu des instructions différentes sur la façon dont il pouvait évaluer les données. Si l'ancien gouvernement lui avait donné de meilleures instructions, il aurait peut-être incarcéré cette personne pendant plus longtemps. Ainsi, si cette personne avait été en prison plus longtemps — et je ne parle pas ici de perpétuité, mais de peut-être deux ou trois semaines supplémentaires — il n'aurait pas été libéré le 26 décembre.

J'appuie le projet de loi car cela rendrait une libération plus difficile et ferait en sorte que les délinquants dangereux et violents resteraient incarcérés plus longtemps. Cela réduirait le risque que doit assumer le public. Voilà mon argument.

Oui, j'utilise les journaux comme source pour obtenir certaines données, mais ça n'a pas été le cas pour cette peine- ci. Vous verrez que je fais référence aux journaux après l'analyse en question. Je dois vous avouer que je n'ai pas lu tous les décisions judiciaires concernant toutes l'attribution de peines ni même des peines jugées douteuses. Je reconnais avec vous qu'on ne peut pas toujours faire confiance aux journaux. Certaines décisions douteuses n'y figurent même pas. De plus, parfois les médias indiquent que des décisions sont douteuses alors que, lorsqu'on les examine de plus près, on comprend qu'elles étaient tout à fait raisonnables. Cela ne me surprend pas du tout.

Le sénateur De Bané : Monsieur, nous avons chacun droit à notre opinion. Nous touchons aux sciences sociales et elles ne sont pas une science exacte. J'ai néanmoins le regret de vous informer que je trouve que votre réponse n'est pas du tout logique.

Vous dites que l'ancien gouvernement a lié les mains des juges. Vous indiquez que cette décision émane d'un mauvais gouvernement. Bien entendu, nous ne devrions pas uniquement dépendre des journaux, mais c'est quand même un des arguments que vous avez utilisé. Peut-être qu'il y a des cas qui ont été soulevés par les journaux dans lesquels on peut voir que, si une personne avait été incarcérée plus longtemps, un crime n'aurait pas été commis. Ensuite vous nous dites : « Ah oui, il faut que le juge observe la loi. Il doit s'en tenir aux preuves dont il est saisi. » Vous dites que je suis en train de manipuler les statistiques. Je vous ai parlé de l'étude menée par la Division statistique du ministère de la Justice, qui a été payée par les contribuables du Canada. L'étude révèle qu'il n'y a pas assez de preuves pour justifier des peines minimales.

Je vous ai également parlé du sondage des juges de notre pays qui, à une faible majorité, se sont opposés aux peines obligatoires en indiquant qu'elles pouvaient avoir des effets inattendus. Le procureur pourrait notamment hésiter à poursuivre quelqu'un à cause de l'imposition des peines minimales.

Je sais que vous n'êtes pas avocat. Vous vous fiez aux médias. Vous faites des suggestions qui je qualifierai de « démagogiques ». Je vous dirais respectueusement que je ne peux pas accepter votre argument, surtout lorsque vous avez critiqué le juge sans avoir lu les preuves.

M. Mauser : J'aimerais vous répondre rapidement. La plupart de mon document ne traite pas des médias. Je pense qu'il en est question dans une seule phrase. De toute évidence, le document est fondé sur les statistiques du gouvernement et de la police et non pas sur les médias. Comme vous l'avez mentionné vous-même, nous avons tous droit à nos opinions et je vous remercie d'avoir exprimé la vôtre.

Le sénateur Cowan : Je voudrais une précision. J'aimerais poser mes questions à Mme Beauchesne.

Le sénateur Stratton a fait la différence entre la conduite avec facultés affaiblies due à des médicaments d'ordonnance et celle liée à la consommation de drogues illicites. D'après ce que j'ai compris du projet de loi, si vous conduisez avec les facultés affaiblies parce que vous avez surconsommé des médicaments d'ordonnance ou avez utilisé des drogues illicites, vous ferez face à la même sanction si vous êtes déclaré coupable.

À la lumière de ces propos, comment comprenez-vous le projet de loi, madame Beauchesne?

J'aimerais reformuler ma question. Si j'ai bien compris, le fait de conduire avec les facultés affaiblies serait une infraction criminelle en vertu du projet de loi proposé, qu'il s'agisse de drogues illicites ou de médicaments d'ordonnance.

[Français]

Mme Beauchesne : Vous avez raison; théoriquement, comme le soulignait le sergent de la GRC tantôt, il n'y a pas de distinction sur la question des drogues dans la loi. Mais il est clair — et je l'ai lu tous les débats au Parlement — chaque fois qu'on veut donner un exemple en faveur de ce projet de loi, ce sont des drogues illégales que l'on cite, et j'ai remarqué tout de suite qu'il n'y a que les drogues illégales qui sont mentionnées. Quand on parle de drogues prescrites, on se met à dire « cela dépend ». J'ai beaucoup aimé la réponse du sgt Martin tantôt, il a été clair sur ce point : il n'y a même pas besoin d'y avoir un usage abusif de cette drogue, il suffit que la personne l'ait prise et que ce soit une drogue qui cause la somnolence.

Donc, ma compréhension de cette loi est que cela touche les drogues prescrites. Est-ce que cela va être appliqué comme cela? Quand je regarde, toutes les fois ce sont les drogues illicites qui sont visées.

[Traduction]

Le sénateur Cowan : M. Mauser et moi-même avons eu une discussion tout à l'heure, madame Beauchesne. Nous n'étions pas d'accord sur grand-chose. Je pense que cela s'explique en partie par nos divergences idéologiques. Je lui ai parlé de certaines études qu'on nous avait suggérées et des témoignages qui avaient été présentés au comité sénatorial et à notre comité homologue à la Chambre des communes dans lesquels on disait que les peines plus longues ne réduiraient pas le taux de criminalité et que il y a un lien entre l'attribution de peines plus longues et les cas de récidive, une fois la peine purgée.

Avez-vous des observations à ce sujet, tirées de votre propre recherche?

M. Mauser : J'imagine que vous posez la question à Mme Beauchesne?

Le sénateur Cowan : Oui. J'ai cru que vous et moi avions épuisé notre discussion là-dessus.

Mme Beauchesne : Pouvez-vous répéter votre question, s'il vous plaît?

Le sénateur Cowan : Nous avons eu un échange de propos tout à l'heure et étions en désaccord sur bien des choses. Notre comité ainsi que celui de la Chambre des communes ont reçu bon nombre d'études qui révèlent, selon moi, que l'imposition de peines plus longues et l'incarcération d'un plus grand nombre de gens pourraient certes réduire la capacité des détenus à commettre des crimes, sans pour autant réduire la criminalité. Les études indiquent que l'attribution d'une peine n'a pas d'effet dissuasif mais que la crainte d'être attrapé joue un véritable rôle dissuasif.

Mme Beauchesne : Je suis d'accord.

Le sénateur Cowan : De plus, les études indiquent que, en règle générale, lorsque les gens sont incarcérés pendant de plus longues périodes ont tendance à récidiver car ils ont été séparés de leur communauté. Avez-vous des observations à nous faire là-dessus?

Mme Beauchesne : Je suis également criminologue. J'ai des étudiants qui travaillent dans le domaine des peines minimales. Mais je n'ai pas donné de cours là-dessus et je n'ai pas établi de statistiques sur ce sujet. Toutefois, j'ai été fort étonnée de lire les données.

Par exemple, si vous prenez les données générales, vous verrez qu'il y a 20 crimes violents qui ont été commis avec des armes. Mais quand vous rentrez dans les détails, vous verrez que 15 de ces crimes ont été commis par des hommes qui ont tué leur femme. Ils ne représentent donc pas un danger pour la société. Bien entendu, ces maris doivent être punis. Mais ils ne risquent pas de récidiver. Un peu plus loin, vous lirez que trois des délinquants ont de troubles de santé mentale et ont besoin de se faire traiter. Ensuite, il y en a deux autres qui sont dans des gangs et qui doivent les quitter.

Ce n'est pas la même chose mais lorsque vous entendez quelqu'un parler de crimes commis avec violence à l'aide d'armes à feu, vous imaginez 20 jeunes qui essaient de tuer quelqu'un et qu'il faut donc les empêcher de le faire. Vous ne pouvez pas prendre des statistiques générales comme celles-là pour dire que la peine qui leur imposée représentera une forme de dissuasion, sans connaître les détails de chaque dossier.

De plus, comme le sénateur De Bané l'a signalé, le juge dispose de ces faits. Il doit être en mesure de déterminer si la société a besoin d'être protégée un peu plus grâce à des traitements, parce que l'objectif fondamental est la protection de la société. Si le principal objectif est la vengeance, c'est complètement différent. Il s'agit d'un argument idéologique que je ne suis pas prête à aborder.

Si, par contre, nous parlons de la protection de la société, il serait faux de dire que chaque fois qu'un crime est commis avec violence à l'aide d'une arme à feu, l'auteur de cet acte représente une menace pour la société pendant 20 ans. Tout cela est beaucoup plus subtil qu'on ne penserait. Chaque dossier doit être analysé. C'est pourquoi vous ne pouvez pas établir ce rapport.

Établir un lien entre la peine imposée sans tenir compte des variables comme les conditions socioéconomiques, l'âge, les relations familiales, la participation aux activités d'un gang, même si un événement particulier a eu lieu cette année- là, n'est pas judicieux. Tous ces éléments entrent en ligne de compte. Dans les cours de statistiques, nous enseignons aux étudiants de ne pas tirer de conclusions aussi facilement.

La présidente : Je vous remercie tous deux d'avoir été si patients. J'aimerais demander une dernière petite précision à M. Mauser. J'ai été absolument fascinée par vos tableaux et vos graphiques.

À la page 2 de votre mémoire, vous dites que le tableau 1 représente les coûts monétaires directs assumés par les victimes de crimes contre les biens, soit 4,6 milliards de dollars par an.

Toujours fascinée, je passe au tableau 1. Lorsque j'ai étudié ce tableau et l'ai comparé au tableau 2, j'ai constaté que les coûts associés au crime présentés au tableau 1 reprenaient les mêmes chiffres que ceux présentés pour 1996 au tableau 2. Est-ce que le tableau 1 reproduit les chiffres de 1996?

M. Mauser : Oui, ainsi que les chiffres enregistrés en 2005.

La présidente : Les données pour 2005 ne portent pas simplement sur l'argent; il s'agit également du nombre de victimes, qui est astronomique. Je ne doute pas de la pertinence de ces données, mais je veux connaître les coûts réels.

M. Mauser : Il s'agit des coûts enregistrés en 1996.

La présidente : Lorsque vous avez mentionné les coûts monétaires directs assumés par les victimes de, dans le cas qui nous occupe, crimes contre les biens, précisant que cela s'élevait à 4,6 milliards de dollars par an, est-ce que c'était en fait une simple extrapolation en supposant que le montant était le même chaque année?

M. Mauser : Puisque le nombre de victimes a augmenté, il faut supposer au moins que j'extrapole en présentant des chiffres qui n'auraient pas changé. Je crois que le montant est probablement plus important, mais j'ai essayé de sous- estimer en offrant un chiffre un peu moins élevé.

La présidente : Ça c'était en 1996.

M. Mauser : Il se peut fort bien qu'il y ait eu un facteur inflationniste depuis.

La présidente : Oublions pour l'instant l'inflation, parce que ça ne fait que compliquer les choses. Le Centre canadien de la statistique juridique nous a dit qu'en 2006, le taux de crimes contre la propriété, par tranche de 100 000 habitants, était à son niveau le plus bas en 30 ans; c'est-à-dire à un niveau inférieur que celui enregistré en 1996, ce qui nous pousse à supposer que les coûts auraient également diminué, même si en termes absolus, je suis d'accord avec vous, il y a eu plus de crimes; ces crimes ont probablement coûté plus, même abstraction faite de l'inflation. Cependant, pour ce qui est du taux de criminalité par 100 000 habitants, ce dernier a probablement diminué également, n'êtes-vous pas d'accord?

M. Mauser : Oui. Je vois que je me suis trompé en disant que les crimes violents avaient augmenté et que le nombre de crimes contre les biens avait diminué. Depuis 2005, le nombre de crimes contre les biens est passé de 1,9 à 1,2 million et je pensais que c'était les crimes avec violence qui avaient augmenté. Ils sont en fait passés de 254 à 354.

La présidente : Je vous ai cru lorsque vous avez dit que ce taux avait augmenté et quand je suis allée à cette ligne j'ai pensé que le 1,9 représentait les taux les plus récents. Ce n'est pas le cas. Ces statistiques ne sont pas récentes et le nombre de crimes a diminué.

M. Mauser : C'est exact.

La présidente : Je comprends un peu mieux comment nous en sommes venus à tous ces chiffres. Vous présentez au tableau 2 les coûts établis dans une enquête portant sur la victimisation. Qui a procédé à cette enquête?

M. Mauser : Plusieurs intervenants. En fait les résultats de cette enquête sont présentés par Easton et Brantingham. Il s'agit d'une étude à laquelle je n'ai pas participé, mais je la résume simplement pour le comité. Je n'ai pas les renseignements qui touchent ces données, mais ce sont les chiffres cités par Easton et Brantingham dans leur rapport. Je me fie à eux.

La présidente : Nous pouvons trouver ces données si nous en avons besoin.

Vous avez été fort patient et vos interventions ont été enrichissantes. Nous vous sommes reconnaissants du travail que vous faites et de votre apport à nos délibérations.

La séance est levée.


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