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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 9 - Témoignages du 21 février 2008 


OTTAWA, le jeudi 21 février 2008

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 10 h 8 pour étudier le projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bienvenue à cette séance du Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Le comité poursuit aujourd'hui son étude du projet de loi C-2, loi modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence.

Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin des témoins de Sécurité publique Canada, soit M. Cliff Yumansky, directeur, Programmes correctionnels et développement communautaire et M. James Bonta, directeur, Recherche correctionnelle. Du ministère du Procureur général de l'Ontario, nous accueillons M. Terrence Cooper, procureur adjoint de la Couronne.

Je crois que c'est vous qui commencerez, monsieur Yumansky.

Cliff Yumansky, directeur, Programmes correctionnels et développement communautaire, Sécurité publique Canada : Merci de nous avoir invités à vous parler ce matin. Je vous parlerai du projet du Système national de repérage et mon collègue M. Bonta vous présentera ses travaux de recherche sur l'évaluation de ce programme.

Je crois que vous avez reçu copie de mon exposé. Il est disponible en anglais et en français.

Le Système national de repérage est un réseau de représentants des provinces et des territoires, appelés coordonnateurs du SNR, qui sont chargés d'identifier les délinquants violents à risque élevé afin de les ficher dans le système. Les coordonnateurs du SNR travaillent en étroite collaboration avec la police, les services correctionnels provinciaux, les procureurs de la Couronne et le Service correctionnel du Canada pour s'assurer que le Centre d'information de la police canadienne ou CIPC est en mesure de suivre la trace des délinquants à risque élevé qui sont fichés dans le système.

Parlons du contexte du programme. La création du Système national de repérage a été annoncée publiquement en mars 1995 par le solliciteur général du Canada de l'époque. Il a été mis en place à la suite de plusieurs recommandations formulées par un groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur les délinquants à risque élevé à l'intention des ministres FPT de la Justice en janvier 1995.

Je crois avoir fourni au comité la recommandation de ce rapport relative au Système national de repérage et qui a donné lieu à sa création.

En raison des préoccupations suscitées par la facilité relative avec laquelle les délinquants peuvent se déplacer entre les provinces et les territoires à la grandeur du Canada, on a élaboré le SNR pour permettre aux procureurs de la Couronne d'avoir accès aux renseignements qui pourraient être en possession d'un autre secteur de compétence au cas où un délinquant continuerait de présenter un risque de violence élevé. C'est le principal avantage de cette initiative.

Le Système national de repérage a trois objectifs. D'abord, aider les procureurs de la Couronne à engager plus efficacement des poursuites à l'égard des délinquants violents à risque élevé. Ensuite, empêcher les délinquants violents à risque élevé de profiter des lacunes du système de justice pénale. Enfin, inciter les procureurs à présenter des demandes de déclaration de délinquant dangereux ou de délinquant à contrôler dans les cas appropriés, essentiellement en repérant les candidats potentiels.

Voici comment fonctionne le SNR : un délinquant est fiché dans le SNR lorsqu'un examen des renseignements disponibles révèle qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'il pourrait être déclaré délinquant dangereux ou délinquant à contrôler s'il commettait une nouvelle infraction. Dans chaque province ou territoire, il y a un coordonnateur du SNR qui accepte les demandes d'inscription de délinquants dans le SNR présentées par des procureurs de la Couronne, des services de police ou des organismes correctionnels de l'endroit. Le coordonnateur recueille et examine les renseignements concernant le délinquant afin de déterminer s'il y a lieu de ficher celui-ci dans le SNR.

Lorsqu'il décide de ficher un délinquant, le coordonateur doit communiquer cette information à la police, aux services correctionnels, au procureur de la Couronne et aux autres coordonateurs provinciaux et territoriaux du SNR, s'il y a lieu, et échanger des renseignements avec eux. Dans le système du CIPC, les coordonateurs du SNR sont considérés comme des personnes-ressources chargées d'assurer la liaison avec les représentants des services de police locaux pour inscrire les délinquants repérés dans la base de données du CIPC.

Un délinquant sera inscrit dans le SNR si un examen des renseignements disponibles montre qu'il risque de commettre des « sévices graves à la personne » ou qu'il est susceptible d'être déclaré délinquant dangereux en vertu de l'article 753 du Code criminel, ou du paragraphe 753.1, dans le cas des délinquants à contrôler. Pour déterminer s'il y a lieu de ficher un délinquant dans le SNR, les coordonateurs peuvent se fonder sur les renseignements relatifs aux délinquants ou aux infractions qu'il a commises ou encore, sur les deux types de renseignements.

Les délinquants susceptibles d'être fichés dans le SNR sont, par exemple, ceux à qui la désignation de délinquant dangereux a déjà été refusée, ceux qui ont été condamnés pour une infraction qui ne satisfaisait pas aux critères applicables à la désignation de délinquant dangereux, ou des deux, soit les sévices graves à la personne, mais qui, en raison d'autres observations concernant les circonstances dans lesquelles ils ont commis leur crime ou de leur comportement en général, suscitent d'importantes préoccupations et, enfin, ceux qui ont bénéficié d'une négociation de plaidoyer ou de peines pour une condamnation antérieure pour « sévices graves à la personne ».

Quand un délinquant repéré est fiché dans le SNR, le coordonnateur doit ouvrir un dossier sur ce délinquant puis mettre à jour et réviser ce dossier au besoin. On y mentionne brièvement que le délinquant était un candidat à la désignation de DD et qui est la personne-ressource pour ces renseignements. Voilà essentiellement ce qui est associé au fait d'être fiché.

Les renseignements suivants devraient figurer dans les dossiers enregistrés dans le SNR : casier judiciaire, rapports psychiatriques, rapports de probation, rapports présentenciels ou correctionnels, transcriptions des débats judiciaires, noms et adresses des victimes, noms des policiers et des procureurs de la Couronne qui connaissent bien le délinquant. Les coordonnateurs doivent établir des protocoles avec les services de police du CIPC responsables pour s'assurer que ceux-ci leur fassent part des « requêtes » concernant les délinquants repérés, de façon à ce qu'aucune « requête » ne soit ignorée.

Si un candidat fiché commet une récidive où que ce soit au Canada, le SNR en sera avisé par le CIPC, et le coordonnateur enverra son dossier au procureur responsable des nouvelles accusations. Les coordonnateurs assureront le suivi des requêtes en communiquant avec le service de police chargé de l'enquête, le procureur de la Couronne pertinent ou le coordonnateur du SNR de la province ou du territoire visé.

Où en est maintenant ce programme? Depuis que la création du SNR a été annoncée publiquement il y a plus de dix ans, des coordonnateurs ont été nommés dans chaque province et dans chaque territoire. Aujourd'hui, plus de 3 000 délinquants violents à risque élevé ont été repérés par les provinces et les territoires et en octobre 2006, le gouvernement fédéral a annoncé son engagement à accroître son soutien envers le système national de repérage. Et je suis ravi de dire que le processus de financement est bien lancé.

Je vais maintenant demander à M. Bonta de vous parler des conclusions de ces recherches sur ce programme.

James Bonta, directeur, Recherche correctionnelle, Sécurité publique Canada : Merci de m'avoir invité à vous parler de notre évaluation des quatre premières années du système national de repérage. L'étude a été menée par moi-même et ma collègue Annie Yessine.

Pour commencer cette étude, nous avons posé deux questions importantes. D'abord, est-ce que les coordonnateurs du système national de repérage fichaient vraiment des délinquants violents à risque élevé? Cette question peut sembler simpliste, mais d'autres études ont prouvé que la commission d'une infraction avec violence ne signifie pas nécessairement que nous tenons un délinquant très dangereux à long terme. D'autres études nous ont permis de constater que des professionnels compétents et chevronnés pouvaient se tromper sur le risque de violence future.

Nous voulions d'abord vérifier si les personnes fichées étaient vraiment des délinquants à risque élevé. La deuxième question importante que nous nous sommes posée, et c'est peut-être la plus importante, était celle-ci : est-ce que le SNR facilite ou augmente la possibilité d'obtenir une désignation de délinquant dangereux ou de délinquant à contrôler? Pour répondre à ces questions, nous nous sommes penchés sur les quatre premières années du SNR, se terminant à la fin de 1999. Nous avons sélectionné 256 délinquants fichés. À l'époque, il n'y avait qu'une délinquante fichée. Nous avons recueilli ces renseignements dans huit administrations participant alors au système. Les cinq autres administrations étaient en train de mettre sur pied leur Système national de repérage.

Nous avons fait une autre chose importante pour notre recherche : Nous avons sélectionné un groupe de délinquants à risque élevé connus. Il s'agissait de délinquants dangereux de la Colombie-Britannique et de l'Ontario. Nous avons déterminé combien étaient des délinquants récidivistes. Il s'agit de délinquants qui sont incarcérés jusqu'à leur libération d'office. Le service correctionnel du Canada les considère comme des délinquants dangereux. On les garde jusqu'à la fin de leur peine, puis ils sont libérés et récidivent, avec violence. Ce groupe de délinquants dangereux récidivistes nous garantit qu'il s'agit d'une population à risque. Je vais expliquer pourquoi c'était important.

Notre recherche comportait trois volets. D'abord, nous avons comparé les délinquants fichés, soit les 256 sélectionnés pour ces quatre années, du point de vue de leur profil criminel, psychologique et personnel, avec notre groupe de délinquants à risque élevé connu, soit les délinquants dangereux et délinquants récidivistes. Nous nous attendions à ce que leur profil soit assez semblable, si les délinquants fichés étaient véritablement des délinquants violents à risque élevé.

Le deuxième volet portait sur le taux de récidive des délinquants fichés. Une fois qu'ils sont fichés, on les suit pendant environ trois ans et demi. On calcule combien d'entre eux ont commis de nouvelles infractions violentes ou de nature sexuelle. Dans ce cas, nous nous attendions à ce que le taux d'infraction avec violence soit supérieur à la normale.

Enfin, est-ce que le système national de repérage avait suscité une augmentation du nombre de demandes de désignation de délinquants dangereux ou de délinquants à contrôler? Voici ce que nous avons constaté. Pour la partie un : les profils des délinquants fichés sont-ils semblables à ceux des délinquants à risque élevé connu? Y a-t-il des similitudes? En gros, oui. En particulier, nous avons évalué un nombre d'échelles de risque actuariel, des instruments d'évaluation du risque fondés sur des données pour constater que les délinquants fichés avaient une cote assez élevée, et donc un risque élevé de récidive.

Nous avons étudié le taux de récidive des délinquants fichés, pour constater que pour la récidive avec violence, leur taux était environ deux fois plus élevé que celui des délinquants incarcérés dans les pénitenciers, en général. Quant aux taux de récidive de nature sexuelle, il était quatre fois plus élevé.

Qu'arrive-t-il aux délinquants fichés, pour ce qui est de la désignation de délinquants dangereux et de délinquants à contrôler? Notre suivi a porté sur ceux qui avaient récidivé en commettant une infraction avec violence, y compris de nature sexuelle. Ce sont les dossiers les plus susceptibles de donner lieu à une demande de désignation de délinquant dangereux ou de délinquant à contrôler. Nous avons constaté qu'environ 18 p. 100 d'entre eux avaient fait l'objet d'une demande de désignation, et qu'ils l'ont presque tous obtenue.

Vous vous demandez peut-être si 18 p. 100, c'est beaucoup. Qu'est-ce que cela signifie, en fait? Je ne vais pas m'éterniser sur le modèle statistique appliqué dans notre étude, mais 18 p. 100, c'est extrêmement élevé. Pour tous les délinquants violents du Canada, pour tous ceux qui commettent une infraction avec violence et qui récidivent, le taux est d'un peu plus de 0 p. 100. Le taux de 18 p. 100 est donc très élevé.

Si je peux résumer nos réponses aux questions, je dirais qu'effectivement, il semble que les coordonnateurs du Système national de repérage arrivent vraiment à identifier les délinquants dangereux potentiels et les délinquants qui présentent un risque élevé. Il semble également que le système de repérage des délinquants facilite la présentation de demandes de déclaration de délinquant dangereux ou de délinquant à contrôler.

Où en sommes-nous aujourd'hui? Comme l'a dit M. Yumansky, le gouvernement fédéral appuie davantage les coordonnateurs du Système national de repérage. Notre service de recherche s'est engagé à réévaluer le programme parce que notre évaluation précédente ne portait que sur les quatre premières années et n'incluait pas tous les territoires et les provinces. À présent, le système est fonctionnel dans toutes les provinces et les territoires.

Notre prochain projet de recherche permettra de savoir dans quelle mesure les avocats de la Couronne se servent du système pour présenter des demandes de déclaration de délinquant dangereux. Il nous permettra également d'aider les coordonnateurs du Système national de repérage à mieux identifier tous ceux qui devraient être fichés dans le système.

Terrence Cooper, procureur adjoint de la Couronne, ministère du procureur général de l'Ontario : Bonjour. Merci de m'avoir invité à témoigner ce matin.

Je m'appelle Terry Cooper et je suis procureur adjoint de la Couronne et conseiller du directeur des Affaires de la Couronne pour l'Est de l'Ontario. Je ne témoigne pas en tant que représentant du ministère du procureur général de l'Ontario et je ne parlerai pas de questions de politique mais plutôt de modalités d'ordre technique.

Depuis sept ans, je m'occupe exclusivement, à quelques petites exceptions près, des demandes de déclaration de délinquant dangereux et de délinquant à contrôler dans l'Est de l'Ontario. Nous en avons appris beaucoup sur la façon d'utiliser ce processus d'une manière efficace et juste.

J'aimerais vous expliquer le contexte particulier dans lequel s'inscrivent les articles 39 à 51 du projet de loi C-2. Il s'agit de la partie XXIV du Code criminel, c'est-à-dire neuf articles traitant des demandes de déclaration de délinquant dangereux et de délinquant à contrôler et du défaut de se conformer à une surveillance de longue durée.

La partie XXIV ne vise pas seulement à punir. Au contraire, ce n'est pas du tout là son objectif. Nous avons vu des cas — et je ne vais pas commencer à parler de cas particuliers — où des délinquants ont avoué avoir fait assez de victimes de moins de 12 ans pour remplir une salle comme celle où nous nous trouvons. Or, si nous présentons une demande de déclaration de délinquant dangereux, ce n'est pas pour le punir d'avoir fait autant de victimes, mais bien pour éviter qu'il en fasse encore autant.

Il faut savoir tout d'abord que les demandes relevant de la partie XXIV sont présentées à l'instigation de la Couronne. Normalement, en droit pénal, les avocats de la Couronne se fondent sur les dossiers montés par la police pour poursuivre les auteurs de délits. On procède de la même façon, mais la Couronne décide s'il y a lieu de demander, au moment de la condamnation, que le délinquant soit déclaré délinquant dangereux en vertu de la partie XXIV. C'est la Couronne qui amorce le processus. Les délinquants visés sont les pires des pires criminels : ceux qui ont causé un tort incommensurable au grand nombre de leurs victimes.

Dans l'Est de l'Ontario, nous visons plus précisément les délinquants qui font du tort à plus d'une génération de victimes. Ils ne s'en sont pas pris seulement à la victime, mais également à ses enfants ou à ses parents, de sorte qu'ils ont fait plus d'une victime. La partie XXIV a ceci d'unique que ce sont les seules dispositions du Code criminel qui obligent la Cour à mettre au premier rang de ses objectifs la protection du public au moment de déterminer la peine.

L'article 718 et les suivants du Code criminel décrivent les buts et les principes normaux ou traditionnels de la détermination de la peine. Lorsqu'une demande a été présentée en vertu de la partie XXIV, ces articles guident le processus, mais la protection du public doit être primordiale aux yeux de la cour. C'est le seul cas où il en est ainsi en droit pénal. C'est aussi le seul cas où nous, qui sommes responsables d'administrer la justice pénale, devons tâcher de comprendre ce qui ne va pas chez le délinquant. Nous ne le faisons ni dans le cas des voleurs de banque, ni dans le cas des assassins ou de qui que ce soit d'autre. Nous ne le faisons que dans les cas visés par la partie XXIV où il nous est possible de recueillir beaucoup d'éléments d'information, de les organiser de façon intelligible et de les présenter à la cour. La cour peut alors déterminer, avec l'aide d'experts, le risque que présente le délinquant à la lumière de l'infraction ou de la suite d'infractions qu'il ou elle a commises.

La dernière modification apportée à la partie XXIV remonte au 1er août 1997. On a apporté plusieurs modifications, dans la création du processus d'ordonnance de surveillance de longue durée. La législation évolue parfois lentement et il s'agit d'une nouvelle disposition d'ordre criminel. Ce n'est que depuis cinq ou dix ans que la Couronne et la police ont acquis les connaissances nécessaires pour procéder dans un cas de ce genre. Jusque-là, on pouvait ne voir tel cas qu'une fois pendant toute sa carrière : sur 30 ans de carrière, un avocat de la Couronne aurait pu présenter une seule demande de déclaration de délinquant dangereux.

À l'heure actuelle, il y a tout au plus 90 avocats de la Couronne dans l'Est de l'Ontario et je m'occupe toujours d'au moins 30 demandes présentées en vertu de la partie XXIV. Et le nombre se rapproche de la quarantaine en ce moment en raison des délinquants accusés de ne pas s'être conformés à une ordonnance de surveillance de longue durée. Ce qui est nouveau, c'est que ces cas sont pris en charge de façon coordonnée. Il s'agit maintenant d'une intervention pluriministérielle, plurijuridictionnelle et pluridisciplinaire.

La police a acquis de l'expertise au fil des ans. Dans la région de l'Est, et même dans tout l'Ontario, la police de Kingston a ouvert la marche. L'inspecteur Brian Cookman a fait œuvre de pionnier et a enseigné à beaucoup d'autres policiers au fil des ans. Il occupe maintenant un poste administratif et le sergent Laurel Munt fait un travail absolument excellent pour ce qui est de rassembler les éléments d'information nécessaires à de telles poursuites.

Nous espérons que d'autres corps policiers de notre région consacreront tout le temps de leurs effectifs à développer les compétences nécessaires pour recueillir les renseignements qui aident les experts et, à leur tour, les tribunaux. Idéalement, la GRC devrait également prendre part au processus parce qu'il arrive très souvent que nos délinquants viennent de différentes régions du Canada.

Dans la pratique, tout commence au moment de l'enquête sur le cautionnement ou d'une première évaluation. Nous recueillons de l'information en parallèle pendant que le processus franchit les étapes procédurales normales, l'enquête préliminaire et le procès. Pendant ce temps, un policier est chargé de recueillir de l'information sur les antécédents de comportement du délinquant et pas seulement sur son passé criminel.

Mon adjoint de gestion des cas, M. Luke Cam, a mis au point un système informatique d'analyse et de gestion des données qui s'est révélé précieux pour organiser tous ces renseignements et veiller à ce que nous recueillons tous ceux dont nous avons besoin.

Au moment d'ouvrir un dossier, une des premières étapes consiste à consulter le Système national de repérage et c'est également la dernière étape du processus puisque nous devons faire enquête, porter l'affaire devant les tribunaux et conserver les renseignements pertinents afin de protéger la société. Quand nous classons une affaire, nous mettons les données sur un DVD ou un CD et elles sont versées dans le Système national de repérage; ainsi, si le délinquant récidive à l'Île-du-Prince-Édouard, la police locale aura tous les renseignements que nous avons rassemblés. Dans la mesure du possible nous faisons des copies certifiées de l'information.

Pour le procès, deux conditions sont nécessaires. Premièrement, la Couronne doit prouver hors de tout doute raisonnable l'existence de certaines constantes dans le comportement de l'accusé. Il ne s'agit pas nécessairement d'une série de condamnations, mais plutôt d'une série d'actes qui n'ont pas fait l'objet d'accusations. C'est du reste souvent le cas. La Couronne doit satisfaire à l'un des quatre critères disjonctifs prévus dans la partie XXIV pour qu'un individu soit déclaré délinquant dangereux. Cela, c'est la partie facile. L'inversion du fardeau de la preuve prévue dans le projet de loi C-2 s'applique à la partie facile de l'exercice, à mon humble avis. Le plus difficile, c'est d'aider la cour à évaluer le risque posé par l'individu en cause et à concevoir une façon de gérer ce risque dans un établissement pénitencier ou dans la société, conformément aux dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Dans cette première étape, nous avons un rôle de gardien, car nous devons viser uniquement les individus qui se sont révélés impossibles à contrôler au moyen d'un éventail normal de mesures de gestion du risque et des peines d'emprisonnement traditionnelles.

La deuxième étape, c'est l'évaluation du risque qui joue un rôle déterminant dans pratiquement tous les cas dont j'ai été appelé à m'occuper. L'expert se sert d'instruments actuariels d'évaluation du risque, dont beaucoup ont été mis au point au Canada et sont utilisés dans le monde entier. Ces instruments comportent la collecte de renseignements ayant trait au comportement des délinquants vers l'âge de la puberté, par exemple. On n'aborde pas spécifiquement le comportement criminel. C'est un outil de portée plus large.

Par le passé, nous devions généralement consacrer 300 heures au travail d'enquête et 300 heures de préparation par les avocats de la Couronne pour chaque cas. Cela était en rapport avec la détermination de la peine prévue dont la Partie XXIV. Grâce au programme de M. Cam, nous avons pu réduire le temps d'au moins 150 heures parce que nous avons établi une liaison avec nos collègues de la fonction publique fédérale qui recueillent de l'information auprès du CSS, de la Commission nationale des libérations conditionnelles, au sein de nos ministères et auprès d'autres acteurs provinciaux et territoriaux.

Les modifications à la Partie XXIV prévues par le projet de loi C-2 sont extrêmement utiles, surtout les deux qui ont trait aux ordonnances de surveillance de longue durée. Nombre des cas relevant de la Partie XXIV dont je m'occupe sont visés par ce genre d'ordonnance, qu'il s'agisse d'une demande de désignation d'une personne comme délinquant à contrôler ou du non-respect d'une ordonnance de surveillance de longue durée.

Les dispositions portant sur les évaluations obligatoires, par exemple, à l'article 43, répondent à un besoin urgent. Elles nous aideront considérablement parce que nous n'avons pas en ce moment accès à un outil de ce genre du tout dans le cas de non-respect d'une ordonnance de surveillance de longue durée et c'est notre outil le plus indispensable pour faire en sorte qu'un individu soit déclaré délinquant dangereux ou délinquant à contrôler.

Par ailleurs, l'obligation de purger une peine de deux ans qui s'appliquera à tous les délinquants à contrôler représente une grande amélioration parce que dans bien des cas, le « temps mort » si je peux m'exprimer ainsi, prévu au paragraphe 719.3 du Code criminel s'est accumulé pendant si longtemps que les délinquants se trouvent à purger une peine de ressort provincial alors que, bien entendu, c'est le SCC, qui relève du fédéral, qui doit surveiller cette personne pendant une période pouvant aller jusqu'à 10 ans. Pour cette raison et pour beaucoup d'autres que je n'ai pas le temps de détailler aujourd'hui, l'imposition d'une peine à purger dans un pénitencier est absolument essentielle au bon déroulement du processus.

La présidente : Votre exposé était très intéressant.

Le sénateur Andreychuk : Monsieur Cooper, pourriez-vous revenir sur ce que vous avez dit vers la fin de votre exposé, c'est-à-dire les raisons pour lesquelles une peine de ressort fédéral est importante? Faites-vous le lien avec le processus d'évaluation ou le processus de suivi?

M. Cooper : Sauf erreur, la durée moyenne d'une ordonnance de surveillance de longue durée dépasse huit ans. Il s'agit d'une très longue période de surveillance pendant laquelle la Commission nationale des libérations conditionnelles devra imposer des conditions très strictes pour protéger le public.

Si l'individu se voit infliger une peine de ressort fédéral en Ontario, il sera envoyé à l'établissement Millhaven où il restera entre 70 et 90 jours pour qu'on l'évalue en vue de déterminer les prochaines étapes. C'est le processus suivi pour les détenus de sexe masculin. Après cette étape, on va mettre au point un programme comportant les services d'un psychiatre, d'un psychologue et toutes sortes d'évaluations. Le délinquant pourra éventuellement bénéficier d'une libération de jour ou d'une libération conditionnelle intégrale. On pourra opter pour le maintien en incarcération ou la libération après le délai prévu par la loi. Or tous ces mécanismes de gestion du risque existent dans le système fédéral mais ne sont pas aussi rigoureux dans le système provincial.

Le sénateur Andreychuk : S'agit-il selon vous d'une question de sécurité? Autrement dit, est-ce un moyen d'assurer la sécurité publique et aussi d'offrir un traitement ou de l'aide à la personne visée par l'ordonnance? Le système fédéral permet-il de faire tout cela, tandis qu'il y aurait moins d'options au niveau provincial?

M. Cooper : Oui.

Le sénateur Andreychuk : C'est-à-dire plus de risque et moins d'aide.

M. Cooper : Comme ces mesures ne visent que les pires délinquants, la gestion du risque est évidemment notre objectif primordial.

Permettez-moi de signaler d'emblée que lors de l'examen de telles demandes, nous examinons d'abord la stratégie de sortie. À peine quelques jours après qu'un détenu ait été désigné délinquant dangereux ou délinquant à contrôler, des agents du SCC se rendent au centre de détention local ou à la prison locale pour rencontrer l'intéressé, afin de déterminer s'il entretient des relations avec des gens ou s'il a un réseau d'aide, par exemple. On recueille une quantité énorme de renseignements dont le SCC se servira pour décider de la façon dont on évaluera le risque que présente le détenu, puis les moyens qu'on peut prendre pour contenir ce risque.

En Ontario du moins, la démarche n'est pas aussi rigoureuse. La libération conditionnelle existe, mais elle est beaucoup moins fréquente. On ne consacre pas de 70 à 90 jours à l'évaluation du délinquant, comme à l'établissement Millhaven où ces évaluations sont faites par des spécialistes qui ne font que cela jour après jour. Dans le système provincial, on ne procède pas de façon aussi approfondie.

Quand le délinquant fait l'objet d'une peine de ressort fédéral plutôt que provincial, nous avons plus de moyens à notre disposition. N'oubliez pas que la personne qui sera chargée de surveiller le détenu pendant huit ans peut-être est un fonctionnaire fédéral rompu à l'utilisation de tous ses outils, et non des moyens utilisés dans les divers systèmes des provinces ou territoires.

Le sénateur Andreychuk : Si j'ai bien compris, vous dites que certains des changements vous aideront à bien évaluer le risque? Si ces délinquants n'étaient pas déclarés délinquants dangereux ou délinquants contrôlés, leur dossier serait étudié au cas par cas et, à votre avis, ils seraient incarcérés et mis en liberté selon les dispositions du Code criminel?

Le fait de déclarer qu'une personne est un délinquant à contrôler présente à votre avis l'avantage de vous permettre d'utiliser des outils visant à évaluer le risque du délinquant, ce qui est bénéfique aussi bien pour le premier intéressé que pour la société dont on assure mieux la sécurité. Toutefois, est-ce que la démarche va au-delà de l'incarcération? Décidez-vous des moyens de contrôler le délinquant après sa libération?

M. Cooper : Absolument. Si les pires délinquants peuvent être contrôlés dans la société, c'est ce que le système vise à faire. Seuls les délinquants dangereux qui ne peuvent être contrôlés dans la société demeureront derrière les barreaux indéfiniment. Ici même à Ottawa, il y a au moins deux individus qui ont été déclarés délinquants dangereux et qui n'ont pas récidivé. On voit donc que le système fonctionne. Il s'agit de faire en sorte que le système fonctionne et que nous ayons les outils dont nous avons besoin pour faire en sorte que les délinquants mis en liberté présentent un risque gérable.

Le sénateur Andreychuk : Une des lacunes de notre système judiciaire est que les gens peuvent circuler d'une province à l'autre, si bien que lorsqu'on apprend que l'auteur d'un crime dans une province avait un casier judiciaire dans une autre province; cela mine la confiance de la population vis-à-vis le fonctionnement de notre système à l'échelle nationale. Vous avez dit que le système de repérage est d'ores et déjà fonctionnel. L'est-il entièrement dans tout le pays? Depuis quand? Le système lui-même date peut-être de 10 ans, mais certainement pas sa mise en œuvre.

Deuxièmement, on évalue le potentiel et ce qui nous préoccupe, c'est que ces personnes ne soient pas vraiment des délinquants dangereux. Nous utilisons certains outils. Risquons-nous d'attribuer la qualité de délinquant dangereux à des gens qui n'en sont pas? Ça m'inquiète, mais je me demande aussi si cette information n'est divulguée qu'aux gens qui ont besoin de la connaître, c'est-à-dire la police et les procureurs, par l'entremise du système CIPC? Pouvons-nous être certains que le système ne va pas cibler des gens qui sont considérés comme présentant des risques, ce qui pourrait leur causer du tort si l'information est utilisée à mauvais escient à d'autres fins?

M. Yumansky : Je vais demander à M. Bonta de commenter la question de savoir si nous ciblons vraiment les bons individus dans le système. Je répondrai moi-même à la première partie de votre question.

Le système a effectivement été annoncé en 1995, mais il n'était pas fonctionnel dès le départ. Il y a eu période de mise en place progressive. En particulier en Colombie-Britannique, la province qui avait mis en place des mesures dont le système national s'est inspiré, avait un système de repérage très dynamique et efficace depuis des années au moment de l'annonce de 1995. Même que, comme je l'ai dit, bon nombre des éléments du système de cette province ont été repris dans le système national. La Colombie-Britannique était prête à mettre le système en place immédiatement. D'autres gouvernements ont mis plus de temps à le faire et dans l'ensemble, cinq ans après l'annonce, presque tous les gouvernements s'étaient ralliés, à l'exception peut-être des territoires où les services ne sont pas encore tout à fait au point.

Je sais pertinemment qu'un coordonnateur a été nommé dans chaque province et territoire. Nous nous rencontrons généralement tous les deux ans. Le gouvernement fédéral coordonne cette activité pendant laquelle nous faisons le point sur la mise en place du système dans tout le Canada et le nombre de délinquants inscrits dans le système; j'estime cependant que le système est assez dynamique et qu'il y a beaucoup d'échanges entre les représentants des provinces et territoires. Le système fonctionne. Le CIPC est un excellent outil et on a compris dès le départ que c'est l'outil qu'il fallait utiliser pour communiquer à d'autres provinces, ou à l'intérieur de la même province, de l'information sur les individus qui sont suivis. Je suis donc persuadé que le système a réussi à atteindre ses objectifs initiaux.

Le système repose sur leCIPC, auquel ont accès un certain nombre d'intervenants du système de justice pénal. Il y a des protocoles qui régissent l'utilisation de ces renseignements. Le système n'est pas accessible à l'ensemble de la population. J'en suis persuadé et je suis donc sûr que les renseignements au sujet de ces délinquants ne sont communiqués qu'aux opérateurs du système dans chaque province, la GRC et la police.

M. Bonta : J'ai bien aimé votre question quant à savoir si nous ne sommes peut-être pas en train de piéger des gens qui ne sont pas vraiment des délinquants dangereux. C'est en fait le corollaire de ce que j'ai dit dans ma déclaration. Arrivons-nous à identifier les délinquants qui posent le plus de risques? Et j'ai conclu que oui, dans la plupart des cas.

Pendant toute ma carrière, j'ai fait des recherches sur des instruments d'évaluation du risque. Il faut cependant savoir que l'opération comportera toujours un risque d'erreur. Dans certains cas, nous réussissons à identifier correctement les individus violents, et dans d'autres, nous faisons des erreurs en identifiant des gens qui ne le sont pas. Grâce à nos recherches et à l'élaboration d'une échelle d'évaluation du risque, nous nous efforçons de limiter les erreurs de ce genre.

Aucun instrument d'évaluation du risque n'est parfait, loin s'en faut, mais un grand nombre d'ouvrages sur le sujet indique que les évaluations actuarielles du risque sont plus exactes que le jugement des professionnels. Lorsque les coordonnateurs du Système de repérage national recueillent de l'information, ils prennent connaissance des évaluations actuarielles du risque et cela les aide à décider de l'opportunité de ficher quelqu'un dans le système.

Lors de notre prochaine phase de recherche, nous essaierons d'améliorer le processus afin de mieux identifier les personnes et de faire moins d'erreurs, comme d'inclure des gens dans le système qui peut-être ne devraient pas s'y trouver. C'est un travail en évolution constante.

Le sénateur Merchant : Bonjour. Je m'inquiète qu'un groupe de personnes soit représenté de façon disproportionnée dans tous les types de services correctionnels au Canada, c'est-à-dire les peuples autochtones. En Saskatchewan, ma province natale, en 2003-2004, 80 p. 100 des personnes admises dans des établissements de détention pour adultes ayant reçu des peines provinciales étaient des Autochtones alors qu'ils ne représentent que 10 p. 100 de la population adulte en général. De même, 58 p. 100 des Autochtones en Saskatchewan libérés entre le 1er avril 1999 et le 31 mars 2000 ont été réadmis au cours des quatre années suivantes, et environ la moitié des réadmissions se sont produites pendant la première année de libération.

Il y a un très grand nombre d'Autochtones dans le système correctionnel. Qui ressentira les effets de ces changements apportés à notre régime pour criminels dangereux? Est-ce que ce sera les criminels dangereux ou les Autochtones? Est-ce que les Autochtones ressentiront les effets de ces changements plus que les gens ordinaires?

M. Cooper : Je suis désolé; est-ce que votre question s'adresse à moi?

Le sénateur Merchant : Je ne suis pas certain à qui elle s'adresse, vous pouvez tous essayer d'y répondre.

M. Cooper : Encore une fois, je suis désolé de vous présenter des cas isolés puisque je n'ai pas de statistiques mais les dossiers que j'ai traités ici dans la région de l'Est ne me permettent pas de croire qu'il y a une surreprésentation disproportionnée.

Le sénateur Merchant : Je vous ai présenté nos statistiques. De quelle façon croyez-vous que le système pour les criminels dangereux touchera les Autochtones?

M. Cooper : Quelle que soit l'identité du criminel, nous nous intéressons seulement aux pires des pires criminels. Nous aurions besoin d'informations statistiques pour savoir, premièrement, quel est le pourcentage des Autochtones et des Premières nations dont vous parlez qui commettent des crimes graves avec blessures corporelles, et deuxièmement, s'il y a des tendances comportementales qui, selon la partie XXIV, nous permettraient de faire une demande pour obtenir la désignation de criminel dangereux ou délinquant à contrôler.

Comme je l'ai dit plus tôt, et du moins dans ma région, cela dépend en grande partie des victimes. Je ne suis pas très intéressé aux voleurs de banque et aux gens qui entrent par infraction dans les commerces. Je m'intéresse aux gens qui par leurs actions victimisent des générations de victimes. C'est un groupe très ciblé. Je ne peux pas vous aider à déterminer qui serait plus ou moins touché, mais je peux vous dire que ce serait les pires des pires criminels et ceux qui ont fait la preuve qu'ils ne peuvent pas être maîtrisés avec des mesures normales de sentence. Le fait qu'un certain pourcentage ait été réadmis au cours des quatre années suivantes n'indiquerait normalement pas le type de crimes très graves que j'étudie, parce que ces gens sont souvent en prison pour très longtemps lorsqu'ils reçoivent une peine selon les dispositions classiques du Code criminel. Je ne sais pas si cela vous aide.

Le sénateur Merchant : Cela ne m'aide pas vraiment, mais je vous remercie de votre opinion. C'est tout ce que je vous demande, votre opinion.

Les chercheurs sont d'accord pour dire que les Autochtones vivent dans des conditions historiques, sociales et économiques généralement différentes des non-Autochtones. En 1996, les législateurs ont ajouté un article au Code criminel qui exige que les tribunaux prennent en compte ce principe. Toutes les sanctions disponibles autres que l'emprisonnement qui sont raisonnables dans les circonstances doivent être prises en compte pour tous les criminels, et une attention particulière doit être portée aux circonstances des criminels autochtones.

Est-ce que vous tenez compte de ces circonstances? Pensez-vous que vous devriez en tenir compte?

M. Cooper : Il s'agit là d'un des nombreux facteurs qui entreraient en ligne de compte. En fait, tout cela intéresse beaucoup plus la cour qu'une des parties au litige.

On vient de me remettre une note. Je ne sais pas si cela répond dans une certaine mesure à la question qu'on a posée, mais nous avons un contrevenant autochtone sur 30 contrevenants dont nous nous occupons dans la région de l'Est. Je ne sais pas ce que cela représente comme pourcentage.

Le sénateur Merchant : Cela n'est pas vraiment utile parce que je parle de la Saskatchewan.

M. Cooper : Je sais, mais les consignes sur la détermination de la peine que vous avez mentionnées et qui sont prévues dans le Code criminel visent à éclairer tout le processus, et il en va de même pour les paragraphes de l'article 718, les objectifs et principes. Toutes ces dispositions représentent des instructions qui sont offertes à la Couronne. En fait il s'agit d'une façon d'instruire le juge quant aux facteurs dont il doit tenir compte lors de la détermination de la peine.

J'aurais dû signaler au départ qu'il y a une vaste expérience en matière de poursuite qui est mise en jeu chaque fois que nous nous occupons des dossiers. Le dossier est étudié par le procureur de la Couronne plaidant, qui n'a peut-être que cinq ans d'expérience, mais il est par la suite examiné par son superviseur, qui a peut-être 20 à 30 ans d'expérience, puis par moi qui dispose d'environ 20 ans d'expérience et puis par mon supérieur qui lui a environ 35 ans d'expérience. Le dossier est ensuite renvoyé au bureau central où trois autres avocats l'étudient, puis renvoyé à nouveau au sous- ministre adjoint, puis au sous-ministre puis peut-être même au procureur général de la province. Donc, il y a plus de 100 ans d'expérience en matière de poursuite qui est mis à contribution dans chaque dossier, peut-être même 200 ans, selon les avocats qui sont consultés.

Je suis appelé, à plusieurs étapes du processus décisionnaire, à jouer le rôle de contrôleur. Compte tenu de notre charge de travail, dont je vous ai déjà parlé, j'ai dû au cours du dernier mois écarter deux dossiers dont l'étude était déjà amorcée. Pour diverses raisons, j'ai écarté ces deux contrevenants et dans ces circonstances nous faisons appel aux méthodes traditionnelles de détermination de la peine. En fait il se produit une réévaluation permanente du dossier à toutes les étapes. Ce processus prend plusieurs mois pour recueillir tous les renseignements pertinents. Lorsque nous en sommes rendus au point où nous devons passer en revue tous les renseignements que nous avons obtenus, nous décidons à l'occasion que cette affaire ne mérite pas que l'on présente une demande conformément à la partie XXIV du Code criminel.

Le sénateur Cowan : J'ai plusieurs questions à vous poser et vous pourrez y répondre dans l'ordre qui vous convient.

Je comprends que ce système de repérage est utilisé partout au pays. Vous dites que dans les territoires le système n'est peut-être pas tout à fait perfectionné mais je suppose qu'il est appliqué de façon relativement uniforme à l'échelle du pays? Estimez-vous que dans le reste du pays le système est appliqué de façon uniforme?

M. Yumansky : Oui. Toutes les provinces et tous les territoires ont adopté les protocoles et critères établis lorsque le programme a été lancé. Plusieurs provinces ont décidé qu'il serait utile d'adopter un deuxième palier, un système interne de repérage qu'elles seules utiliseraient, il ne s'agit donc pas d'un système qui s'applique à toutes les régions. Cela ne vient pas créer d'embouteillage dans le système du CIPC si on y ajoute les contrevenants qui ont été fichés à l'interne. Ils se trouvent en fait à un niveau inférieur au niveau national.

Le sénateur Cowan : Pour ce qui est de la catégorie du délinquant dangereux, si je peux m'exprimer ainsi — et cela revient dans une certaine mesure aux questions qu'a posées le sénateur Merchant — pouvez-vous nous donner, monsieur Bonta, des statistiques quant au pourcentage d'hommes et de femmes autochtones, qui ont été accusés de délits sexuels, et qui ont utilisé une arme à feu lorsqu'ils ont commis leur crime, ce qui représente une caractéristique définissant le délit?

M. Bonta : En 2007, il y avait au Canada 370 délinquants dangereux actifs.

La présidente : Pouvez-vous nous fournir un peu plus de précision? S'agit-il de gens qui avaient été fichés comme délinquants dangereux et qui l'étaient toujours?

M. Bonta : C'est exact.

Le sénateur Cowan : Et c'était en quelle année?

M. Bonta : En 2007.

Le sénateur Cowan : Il s'agit d'un total cumulatif; cela ne représente pas les chiffres enregistrés pendant une année, n'est-ce pas?

M. Bonta : Oui, cela représente le total cumulatif. Ils sont toujours vivants et sont toujours désignés comme délinquants dangereux. Si l'on remonte à 1978, il y en a eu 427.

Je n'ai pas à portée de la main les statistiques particulières, mais nos autres travaux de recherche sur les délinquants dangereux démontrent que la majorité d'entre eux sont des délinquants sexuels, probablement environ 90 p. 100 d'entre eux. Dans le livre que j'ai apporté avec moi, je n'ai pas la ventilation de ces délinquants à savoir combien sont Autochtones et combien sont non-Autochtones. Je peux simplement vous dire que sur les 370 contrevenants, 29 venaient de la Saskatchewan. Je crois que le Service correctionnel du Canada pourrait vous fournir les renseignements quant au nombre d'Autochtones. Le service disposerait de ces renseignements.

Le sénateur Cowan : Monsieur Cooper, quel est votre taux de succès quand vous demandez qu'un contrevenant soit désigné délinquant à contrôler?

M. Cooper : Nous avons présenté des demandes conformément à la partie XXIV pour la désignation de délinquant à contrôler et de délinquant dangereux. Le tribunal doit envisager trois types de peines possibles lorsque nous demandons que l'on désigne un contrevenant comme délinquant dangereux, et lorsque le tribunal doit évaluer les risques, il doit d'abord et avant tout déterminer si la Couronne a respecté les critères établis, ce qui est pratiquement toujours le cas; puis, si la Couronne a respecté les critères établis, le travail plus difficile commence, car il faut évaluer le risque. Le tribunal doit alors se prononcer, peu importe si le contrevenant répond à la définition de délinquant dangereux, si le risque que ce dernier présente peut être contrôlé dans la communauté par une peine de durée déterminée, un nombre d'années ou de mois; ou une peine de durée déterminée à laquelle vient s'ajouter une période de surveillance de longue durée, ce qui veut dire qu'un délinquant à contrôler reçoit une peine de tant de mois ou de tant d'années auxquels viennent s'ajouter tant de mois ou d'années de surveillance par la suite, après la date d'expiration du mandat; doit-on imposer au contrevenant une peine de durée indéterminée pour qu'il soit libéré une fois que la Commission des libérations conditionnelles aura déterminé que le risque qu'il présente peut en fait être contrôlé au sein de la collectivité. Chaque juge doit prendre cette décision. C'est une des trois catégories que l'on peut choisir.

Lorsqu'on parle du taux de succès, j'aimerais signaler que la charge de travail actuelle, quelque 30 dossiers, ne tient pas compte des cas que nous avons dû étudier depuis l'an 2000. Il y a eu deux cas qui n'ont pas franchi toutes les étapes du système et que je n'ai pas choisis, et d'autres que j'ai éliminés tout simplement.

Le sénateur Cowan : Je comprends le principe du contrôle et de gardien que vous venez de décrire, mais lorsque ces questions sont étudiées par les tribunaux, quel est le taux de succès?

M. Cooper : Je n'ai connu que deux échecs.

Le sénateur Cowan : Donc, le taux de succès est très élevé?

M. Cooper : Très élevé, parce que nous choisissons de façon judicieuse les cas où nous présenterons une demande.

Le sénateur Cowan : Je comprends. Puis-je présumer que le système que vous avez dans l'Est de l'Ontario est un peu plus perfectionné que celui qu'on retrouve dans les autres régions du pays?

M. Cooper : Je ne peux pas parler pour les autres régions. Je ne peux que vous parler de ce qui se passe en Ontario. Mon superviseur, M. James Stewart, directeur de la région, m'a permis ainsi qu'à M. Cam — qui est assis derrière moi — de lancer un projet pilote non financé ces dernières années, et pour M. Cam, cela représente les derniers 18 mois. En août, le premier ministre provincial a annoncé que la portée du projet serait élargie pour inclure les cinq autres régions de l'Ontario. Nous avons commencé nos travaux à cet égard cette semaine.

Le sénateur Cowan : Je devrais peut-être éviter d'en parler en termes de réussite ou d'échec, mais je le ferai néanmoins. Si vous avez un taux aussi élevé de succès, en ce qui a trait aux demandes présentées partout au pays, c'est sans doute dû en partie aux vérifications minutieuses qui sont faites des dossiers avant qu'ils soient présentés aux tribunaux. L'un de vous est-il au courant du taux de succès pour l'ensemble du pays?

M. Bonta : Nous avons effectué une recherche sur les délinquants dangereux en 1996. Je suis d'accord avec M. Cooper lorsqu'il dit que le taux élevé de réussite est dû aux grands efforts qui sont déployés. Le travail est fait minutieusement.

La présidente : Puis-je poser une question supplémentaire à ce sujet? Monsieur Cooper, combien de demandes présentez-vous par mois ou par an? Vous avez dit précédemment que vous aviez 30 demandes en traitement chaque mois, mais si vous présentez 30 demandes chaque mois, ces demandes représentent à elles seules toutes celles qui sont présentées à l'égard de tous les délinquants du système. Combien de demandes présentez-vous réellement?

M. Cooper : Toutes ces demandes dont j'ai parlé seront présentées à moins que je décide, en ma qualité de contrôleur, qu'elles ne le seront pas. On peut donc supposer que nous présentons les quelque 30 dossiers qui sont déjà dans notre système. Il faut néanmoins comprendre que ces dossiers prennent parfois jusqu'à deux ans pour être traités.

La présidente : Cela représente-t-il un dossier par mois ou trois par an?

M. Cooper : Kingston 12 dossiers, compte tenu du nombre élevé de pénitenciers dans cette zone. Nous en traitons de six à 12 par an.

Le sénateur Cowan : Monsieur Cooper, notre comité a reçu le témoignage de l'Association du Barreau canadien. Bien que, comme nous tous, l'association appuie les initiatives qui protègent la société et qui, plus particulièrement, permettent d'identifier et de tenir à l'écart ces délinquants dangereux, elle a fait valoir que le système qui existe déjà de par la loi fonctionne bien et que la législation actuelle suffit dans les cas de délinquants qui constituent un danger pour la communauté, même sans la règle des trois fautes qui est prévue dans cette loi.

À l'appui de son argument, elle fait valoir que le régime législatif actuel a déjà été mis à l'épreuve au moyen de nombreux litiges; les paramètres constitutionnels sont bien établis, l'équilibre entre la nécessité de protéger la société et les exigences de la Charte sont bien compris et bien établis, et si nous apportons maintenant des changements à tout cela, nous ouvrirons la porte à de nouvelles contestations constitutionnelles en vertu de la Charte. L'Association du Barreau canadien se demande si les changements proposés valent les conséquences qui pourraient en découler.

Elle dit que les nombreuses contestations viendraient s'ajouter à un système judiciaire déjà engorgé et, qu'à son avis, il vaudrait mieux consacrer les ressources prévues pour cette initiative à des mesures permettant d'améliorer la sécurité publique. Qu'en pensez-vous?

M. Cooper : Je suis d'accord. La disposition que l'on appelle familièrement la règle des trois fautes s'inscrit dans le processus que j'ai décrit précédemment, et c'est l'un des quatre critères disjonctifs qui permet de vérifier si un certain seuil est atteint. Les dossiers que je présente vont si loin au-delà de ce critère que cela n'a aucun effet sur l'exercice que je fais du droit, ou qu'en font les procureurs de la région est de l'Ontario. Je ne prévois donc pas qu'il aura des répercussions pour les autres procureurs.

Ces dossiers exigent tant de travail qu'il n'y aura pas de demande à moins que ce soit nécessaire. Comme c'est la Couronne qui amorce le processus et comme nous pouvons contrôler notre charge de travail, nous pouvons accepter la négociation de plaidoyer que propose l'avocat de la défense ou nous pouvons demander l'imposition de la peine conventionnelle. Tout cela peut se faire en une journée. Ces audiences peuvent prendre jusqu'à trois semaines en moyenne, et nous évitons donc de déployer ces incroyables efforts à moins que le dossier ne le justifie au départ.

De toute façon, l'inversion du fardeau de la preuve, même si on l'utilisait, ne permettrait que d'atteindre le critère du seuil. C'est l'évaluation du risque qui est difficile.

La disposition dont vous avez parlé pourrait peut-être servir à fournir de l'information, et d'une façon générale, c'est une bonne chose. C'est une bonne chose que les gens, et plus particulièrement les procureurs de la Couronne, s'intéressent davantage à ces procédés et qu'ils étoffent leurs dossiers, ce qui ne se fait généralement qu'en cas de nécessité. Je ne prévois pas d'avalanches de contestations, car aucun procureur n'appliquera de conditions si serrées que les autres ne puissent appliquer également.

Pour ma part, l'inversion du fardeau de la preuve ne fera pas que je vais amener un seul dossier supplémentaire devant le tribunal, car je sais très bien ce que cela entraîne. L'effet de cette disposition, à mon avis, sera de mieux informer tous les procureurs du Canada, de sorte qu'ils seront plus enclins à réexaminer les dossiers et à voir s'ils veulent les étoffer. Je ne crois pas que cela ajoutera à l'engorgement du système.

À vrai dire, je n'étais pas au courant de ce problème. J'ai commencé ma carrière comme policier en 1975 et je suis procureur de la Couronne depuis 1989. Je ne me suis occupé de tels dossiers que lorsque j'ai accepté des fonctions administratives en 2000. Une procureure de l'Ontario, Rita Zaied, a fait de nombreuses présentations dans le cadre de nos cours de formation. Cela m'a sensibilisé à cette réalité et cela m'a été utile dans ma propre région.

Ce qu'il faut, c'est intéresser suffisamment les gens pour qu'ils acceptent la charge de travail que cela représente. C'est la première fois que les procureurs de la Couronne participent à la détention préventive et à la prévention de la criminalité. J'occupe diverses fonctions dans ce domaine depuis presque 30 ans, et je suis stimulé lorsque je viens travailler parce que c'est un travail qui a des effets positifs.

Le sénateur Di Nino : Parlons de la règle des trois fautes. On en discute régulièrement. Ce que nous essayons de dire, c'est que cette règle est semblable à celle que l'on trouve chez nos voisins du Sud. Pour ma part, j'estime qu'il y a une grande différence et qu'elle n'a rien de semblable. Je tiens à le dire officiellement, car c'est mon opinion.

Dans ses observations, le sénateur Cowan vous a demandé si la mesure législative vous aide, vous et la police communautaire, à faire votre travail. Il n'a pas posé la question expressément, mais pourriez-vous nous dire si cette mesure législative sera utile au service de police communautaire, au système de justice communautaire et à vous-même, dans vos fonctions particulières? En quoi vous aidera-t-elle à faire votre travail?

M. Cooper : Comme je l'ai dit dans mes remarques préliminaires, cette mesure m'aidera dans mon travail du fait que l'article 43, qui modifie l'article 753.01, prévoit une évaluation psychiatrique obligatoire pour les cas de violation d'une ordonnance de surveillance de longue durée. Ces ordonnances sont un nouvel élément en droit, puisqu'elles n'existent que depuis environ 10 ans. Elles sont constamment utilisées partout au pays, mais les tribunaux ont coutume de traiter des cas de violation de probation ou d'inobservation de l'engagement, pour lesquels ils infligent habituellement une peine de 30 à 60 jours.

La violation de l'ordonnance de surveillance de longue durée dont il est question à l'article 753.3 présente un cas différent. Dans de tels cas, le juge doit passer en revue tous les éléments qui ont été présentés au juge dans le cadre de l'audience initiale en vertu de la Partie XXIV, en plus de prendre connaissance de ce qui s'est produit entre cette audience et maintenant. Quels sont les catalyseurs qui ont amené ce délinquant à récidiver et à mettre la population en danger? Par exemple, si le délinquant pose un risque plus grand lorsqu'il consomme de l'alcool, la peine infligée pour avoir violé l'ordonnance de surveillance de longue durée lui interdisant de consommer de l'alcool ne sera pas une peine de 30 jours. La violation démontre que le risque a augmenté puisque c'est ce facteur qui est le catalyseur de la récidive. Il faut revenir à la case départ.

Quel risque posait-il au moment où il a été déclaré délinquant à contrôler, et dans quelle mesure le risque a-t-il évolué? Le risque est souvent évalué à la baisse étant donné que le délinquant est passé par le système de SCC, s'est soumis à des programmes ainsi qu'à une formation et a fait ses preuves avec diverses formes de libération graduelle, mais s'il a replongé dans les circonstances dont on sait qu'elles étaient à l'origine des infractions qu'il a commises par le passé, nous devons alors obtenir le droit de réévaluer le risque, et cela peut lui valoir une peine allant jusqu'à 10 ans de réclusion.

Mais ce qui est important ici, c'est que, dans certaines circonstances, nous puissions avoir une audience relative à la déclaration de délinquant dangereux avec inversion du fardeau de la preuve, ce qui semble parfaitement motivé ou raisonnable quel que soit le cas, mais avant que cela soit énoncé dans le projet de loi C-2, c'était une proposition que j'avais à défendre à titre de procureur de la Couronne. Maintenant, si ce projet de loi est adopté, cette mesure sera resserrée. Ces dispositions qui traitent des ordonnances de surveillance de longue durée sont très utiles étant donné que l'intéressé purgera une peine fédérale dans tous les cas et lorsqu'il y a manquement, ou s'il y a manquement, et il y a manquement dans plus de 30 p. 100 des cas, nous serons en mesure de faire faire une nouvelle évaluation psychiatrique qui nous permettra de voir au fond des choses et de savoir ce qui s'est passé entre-temps. Dans certaines circonstances, s'il y a manquement, il y aura tout de suite audience relative au statut de délinquant dangereux avec inversion du fardeau de la preuve. Ce sont notamment ces trois dispositions qui aideront grandement le système de justice pénale à prendre en charge les délinquants qui font le plus de victimes.

Le sénateur Di Nino : Monsieur Cooper, j'ai été frappé par ce que vous avez dit, à savoir que l'une des premières choses que vous envisagez, lorsque vous demandez le statut de délinquant dangereux, c'est la stratégie de sortie. Je n'avais jamais entendu la chose exprimée en ces termes. Vous avez parlé en plus de la gestion communautaire ou de la gestion du délinquant dans le milieu, ce qui m'amène évidemment à croire que l'on fait tout ce qui est possible afin d'avoir une évaluation juste et de faire en sorte qu'on ait une vraie justice lorsqu'on fait affaire avec des délinquants dangereux potentiels. Pouvez-vous vous en tenir à ces deux points et nous donner davantage de détails?

M. Cooper : Les procureurs de la Couronne, dans le rôle quotidien qu'ils jouent devant les tribunaux, exercent une fonction quasi judiciaire dans de nombreux cas lorsqu'ils font certaines évaluations et déterminent s'il y a probabilité raisonnable de succès, ou lorsqu'il s'agit de retirer des accusations, donc ce genre de fonction n'est pas étranger à celle de procureur de la Couronne. L'application de la Partie XXIV est le travail le moins antagonique que j'ai jamais eu à faire depuis que je suis avocat. On s'assure de réunir toutes les informations disponibles qui avantagent ou désavantagent la position de la Couronne. Ce n'est pas nous qui allons plaider les procès. C'est un autre procureur de la Couronne qui va piloter le dossier, et ce sera lui ou elle qui plaidera au bout du compte. Nous facilitons la collecte de toutes les informations pertinentes qui seront soumises au tribunal et qui seront évaluées par l'expert de la Couronne et l'expert de la défense. Dans presque chacun de ces cas, il y a deux experts. Bien sûr, ils parviennent souvent à des conclusions légèrement différentes. Mais il est sûr que nous ne laissons rien de côté et que nous nous efforçons de réunir les preuves originales.

Lorsque c'est à mon tour d'intervenir, la personne a été déclarée coupable, je me retrouve donc devant un délinquant et non plus un accusé lorsque je conduis le processus à son terme, et toute information qui permet de faciliter l'analyse du risque qui est posé est une information valable. Nous nous efforçons de réunir toutes ces preuves et de les soumettre de la manière la plus objective qui soit. Toutes ces preuves sont divulguables, et elles sont toutes préservées indéfiniment lorsqu'elles sont versées au système national de repérage. Le procureur de la défense et le délinquant ne veulent pas d'un rapport de police dérivé alors qu'il existe une transcription de ce qui s'est vraiment passé lorsque le délinquant a été déclaré coupable en 2001. Nous creusons et nous creusons. Si nous conservions des dossiers sur les pires délinquants avec la même ferveur que nous mettons à suivre les pires joueurs de hockey, nous serions bien équipés pour aller de l'avant dans l'un de ces cas, mais malheureusement, ce n'est pas le genre de situation qu'on voit.

La présidente : Nous commençons à manquer de temps, je vous prie donc d'être moins long dans vos questions et réponses.

Le sénateur Di Nino : Ma prochaine question s'adresse à M. Bonta ou à M. Yumansky, et elle traite des programmes qui sont offerts aux délinquants fédéraux afin de faciliter leur réinsertion, et cetera. J'aimerais que l'un ou l'autre, ou les deux, si vous voulez, me disent si les délinquants sont obligés de suivre des programmes, et combien d'entre eux refusent de le faire. Avez-vous ce genre d'information?

M. Bonta : Je n'ai pas ce genre d'information. Je suis au ministère de la Sécurité publique, à la recherche correctionnelle, et Service correctionnel Canada a une autre unité de recherche. Le SCC pourrait répondre à votre question.

M. Yumansky : Je crois savoir que des responsables du Service correctionnel du Canada vont témoigner cet après- midi. Ils seront parfaitement bien placés pour vous répondre.

[Français]

Le sénateur Chaput : Je veux être bien certaine de comprendre le système national de repérage. Ce système national a été mis en place en 1995 sur la recommandation d'un groupe de travail fédéral, provincial et territorial de la Justice et il comporte dix coordonnateurs à travers le Canada. La préoccupation majeure a été suscitée par la facilité avec laquelle les délinquants pouvaient se déplacer au Canada et le besoin de rendre les informations accessibles au procureur de la Couronne. En 2006, le gouvernement fédéral a annoncé un engagement accru.

Quand rejoignez-vous les délinquants à risques élevés, avant ou après leur incarcération? Si c'est avant, quelle est la base utilisée pour qu'ils fassent partie du système? Font-ils partie du système pour le reste de leur vie ou il arrive un moment où ils n'en font plus partie?

[Traduction]

M. Yumansky : Le plus simple, c'est que je vous réponde oui, en 2006, le gouvernement fédéral a en effet annoncé qu'il financerait le Système national de repérage. Ce fonds, qui se situe essentiellement à 500 000 $ par année, a pour objet d'améliorer le programme qui existe aujourd'hui au pays. Il y avait, je dirais, et je parle seulement de manière générale, une certaine inégalité dans la manière de gérer le programme, selon la province ou le territoire. Avec ces fonds supplémentaires, toutes les administrations sont maintenant en mesure d'agir à un niveau dont on peut dire que oui, elles sont toutes engagées dans cette initiative maintenant. C'est l'espoir que nous avons avec ce système, donc ce financement fait beaucoup de bien.

Idéalement, vous avez raison : la collecte de données est vraiment essentielle et utile, comme M. Cooper l'a dit, dans la préparation du dossier, par exemple, lorsqu'on demande le statut de délinquant dangereux. Évidemment, dans l'ensemble, cela se fait avant; le montage du dossier précède l'incarcération.

Pour ce qui est de savoir si on reste dans le système à vie, vous devez comprendre que la transmission de ces informations ne dépasse pas le cercle de personnes et de professionnels qui œuvrent dans ce système : les procureurs de la Couronne, les policiers, les responsables des services correctionnels. Ces informations ne sont jamais communiquées à quelqu'un qui se trouve en marge du système.

Le sénateur Chaput : Ce ne sont donc pas des informations publiques?

M. Yumansky : Absolument pas.

[Français]

Le sénateur Chaput : Ils sont donc toujours dans la banque de données, qui n'est pas accessible au public, c'est réservé. Maintenant, le projet de loi C-2 appuie-t-il une initiative telle que la vôtre? Y a-t-il des parties du projet de loi qui servent au soutien du système national de repérage? Ou y a-t-il des parties du projet de loi qui pourraient nuire à cette initiative?

[Traduction]

M. Yumansky : Ma réponse sera brève. M. Cooper pourrait vouloir ajouter un mot ou deux parce que je sais qu'il connaît bien aussi le Système national de repérage, et c'est lui qui est à l'avant-plan des demandes de déclaration pour les délinquants dangereux.

Je crois qu'il faut voir dans le Système national de repérage un outil important qui vient en aide au système de justice pénale, particulièrement aux procureurs de la Couronne, aux services de police et aux services correctionnels, et cet outil complète la loi. En fait, c'est ce qu'on a annoncé au moment où le projet de loi C-27 — qui a précédé le C-2 — a été déposé par le gouvernement. D'un point de vue opérationnel, j'y vois absolument un autre outil qui complète parfaitement bien la loi actuelle.

La présidente : J'ai quelques questions; peut-être une demie pour vous, monsieur Cooper. Vous avez dit que vous étiez heureux de la proposition visant à diminuer à deux ans le seuil pour les sentences, mais j'imagine que cela veut dire qu'il y aurait, à tout le moins, une meilleure chance de rafler des gens qui sont peut-être moins dangereux que ceux qui avaient le seuil de 10 ans. Allez-vous rafler des gens qui sont moins dangereux que ceux qui, dans le système actuel, seraient raflés? Semi-corollaire à cette question, à votre avis, qu'est-ce qui va advenir du nombre de cas que vous aurez probablement avec le nouveau régime, comparé à ces quelque 30 p. 100 que vous avez maintenant?

M. Cooper : La peine minimale de deux ans nous donne plus de protection. En effet, les excellents outils auxquels s'est habitué le SCC seront à leur disposition pour qu'ils tentent de gérer les risques dans l'établissement et, ultimement, dans la collectivité. En fait, ces deux années ne font que clarifier la loi de 1997 qui portait sur les délinquants à contrôler. À l'époque, l'intention était clairement de justifier une peine d'une durée de deux ans. Les tribunaux ont ensuite interprété que cela incluait le temps mort ou la détention avant le procès. C'est cela qui a grugé dans les deux ans. Je pense que, en 1997, c'était cela l'intention du Parlement. Maintenant, on reformule le tout de manière plus explicite. Cela aura sans doute un effet pratique sur l'interprétation de la désignation de délinquant à contrôler à l'avenir. Cela corrige une lacune qui se trouvait dans la loi de 1997. Mais cela n'aura pas d'incidence sur le nombre de cas qui seront traités sous cette désignation.

Je ne vois rien dans le projet de loi C-2 qui me fera prêter davantage attention aux délinquants moins dangereux. Nous n'avons tout simplement pas les moyens de faire face à un nombre infini de ces cas. Le procureur général de la province lit presque chacune des demandes. Nous ne pouvons pas présenter 50 cas par année. Ainsi, nous allons faire une sélection parmi les pires. Nous allons prévoir nos maigres ressources afin de fournir le plus de protection possible à partir des ressources disponibles.

La présidente : Voyez-vous une augmentation?

M. Cooper : Pas tellement dans ma province, car comme je l'ai déjà mentionné, il s'agit plutôt d'une question de sensibilisation et nous sommes déjà pleinement au courant.

L'augmentation de la charge de travail dans notre province sera liée aux cas de violation d'une ordonnance de surveillance de longue durée. Ces cas viennent d'apparaître. Ce sera notre plus grand défi à relever. J'en ai reçu trois en deux semaines le mois dernier. Cela va augmenter notre charge de travail. Maintenant qu'une évaluation psychiatrique complète est disponible, nous allons recueillir beaucoup d'information sur les accusations de violation d'une ordonnance.

La présidente : Parlons maintenant du Système national de repérage. Je suis ravie que vous ayez parlé des évaluations psychiatriques dans ce contexte, car j'ai été particulièrement frappée par le fait que ce système recueille énormément de renseignements sur les gens et qu'il s'agit souvent de renseignements très personnels. Je songe notamment aux évaluations psychiatriques dont nous parlait M. Cooper au cours de ses enquêtes. Il fallait notamment aller vérifier le comportement qu'une personne avait lorsqu'elle était adolescente et qui était probablement âgée à l'heure actuelle de 45 ou de 50 ans.

Qu'en est-il des politiques de confidentialité du système? Il s'agit d'un système national. Une fois qu'une personne de l'Est de l'Ontario se trouve dans le système, j'imagine que les renseignements sont disponibles partout au Canada. Quelles sont les mesures de protection de la confidentialité? Est-ce que le Commissaire à la vie privée a examiné le système? L'a-t-on consulté à cet effet?

M. Yumansky : Je ne sais pas si le Commissaire à la vie privée a été consulté au sujet du système. J'imagine que dans chaque province il existe des lois sur la confidentialité qui dicteraient comment l'on échange les renseignements. À ma connaissance, même dans les forces policières, ce n'est pas n'importe qui qui peut faire une vérification dans le système et récolter de l'information. Il faut d'abord passer par le détenteur du dossier, qui est un coordonnateur provincial. La vérification doit également être effectuée pour des raisons légitimes en vertu du Système national de repérage. Le Système national de repérage n'a pas d'assise législative, mais son accès est limité en raison des objectifs exprimés dans le système en question.

La présidente : Je pense que je n'ai pas bien saisi ce que vous avez dit. Nous parlons d'une question très sérieuse : à quel moment est-ce qu'une personne doit vérifier auprès du Système national de repérage pour voir si on a déjà repéré le délinquant?

M. Yumansky : Si l'on demande au système CIPC si un délinquant a commis un délit...

La présidente : On verra un indicateur?

M. Yumansky : C'est exact.

La présidente : L'indicateur s'affichera, mais on ne verra pas les autres renseignements?

M. Yumansky : Non. Ce que vous verrez sur l'indicateur sera tout simplement le nom de la personne à contacter et le fait qu'il y a des renseignements sur le délinquant.

La présidente : Le contrôleur devient alors le coordonnateur local, provincial ou territorial?

M. Yumansky : C'est exact.

La présidente : Je vois. Ça me semble un peu plus clair. Merci beaucoup.

Le sénateur Merchant : Je pense qu'on a répondu à une partie de ma question, car elle était très précise. Lorsque vous dites que 29 de ces 370 personnes venaient de la Saskatchewan, nous pouvons tenir pour acquis — en raison de la démographie dans nos établissements — qu'un grand nombre de ces personnes doivent être des Autochtones. Je pense que cela devrait nous préoccuper. Il me semble que le système est plus dur à l'endroit des Autochtones en raison de certaines circonstances.

Je vous ai fait part de certains témoignages probants qui permettent de voir comment nos peuples autochtones ne sont pas capables de composer avec notre système. Merci beaucoup pour vos chiffres. C'est très bien pour le moment, à moins que vous ne vouliez rajouter quelque chose.

Ce chiffre était élevé, car il y a environ un million de personnes en Saskatchewan. Vous avez dit que 29 des 370 personnes sur votre liste provenaient de la Saskatchewan. Je pense que ce pourcentage est fort élevé.

Le sénateur Stratton : J'aimerais vous remercier de nous avoir remis un exposé fort intéressant. J'ai appris beaucoup de choses grâce aux renseignements que vous nous avez fournis ce matin.

J'ai été interpellé par le fait que, malgré les difficultés auxquelles doivent faire face les délinquants dangereux et les récidivistes, le taux de succès semble être véritablement élevé quand ils suivent ce programme. J'ai été ravi de voir que nous essayons quand même, malgré tout, de réintégrer ces gens dans la société. C'est notre objectif final, peu importe ce qu'ils ont fait ou qui ils sont. C'était vraiment fantastique de vous l'entendre dire.

Je vous ai plutôt fait une déclaration que posé une question. Si vous voulez faire des observations là-dessus, allez-y. Il était bon d'entendre une telle conclusion.

Le sénateur Di Nino : J'aimerais revenir aux statistiques que l'on a présentées. Pour être franc avec vous, ai-je bien compris que 90 p. 100 des délinquants dangereux ont commis un délit sexuel? Si oui, je ne le savais pas et ça m'a surpris.

M. Bonta : Je ne me rappelle plus du chiffre exact. Mais c'est probablement de l'ordre de 80 à 90 p. 100.

Le sénateur Di Nino : Très bien. Ce chiffre est néanmoins ahurissant.

M. Bonta : Oui. La plupart sont des délinquants sexuels.

Le sénateur Di Nino : Vous nous dites que, lorsque vous parlez des 370 délinquants dangereux, environ 90 p. 100 d'entre eux sont des délinquants sexuels. Ce problème est unique.

Qu'en est-il du rôle que jouent les problèmes de santé mentale? Est-ce une des raisons pour lesquelles les délinquants commettent ces crimes? Avons-nous des renseignements là-dessus?

M. Bonta : En règle générale, les questions relatives à la santé mentale sont de faibles indicateurs d'un comportement violent ou criminel. Même lorsqu'on souffre d'un trouble de santé mentale de taille, tel que la schizophrénie ou encore une psychose maniaco-dépressive, cela n'est qu'un faible indicateur de violence.

Le sénateur Di Nino : C'est intéressant. C'est une question qu'il faudrait examiner un jour. De toute évidence, les gens qui commettent de tels crimes ne sont pas des personnes normales.

La présidente : Si cela n'est pas un bon prédicteur, quels sont les bons prédicteurs? Donnez-moi, je vous prie, un ou deux exemples.

M. Bonta : Les quatre meilleurs prédicteurs de comportement criminel, si vous devez vous limiter à quatre, sont les suivants : de longs antécédents criminels; une personnalité antisociale caractérisée par l'impulsivité et un manque de maîtrise de soi; côtoyer des criminels au détriment d'amis à caractère sociable, et des attitudes favorables au comportement criminel. Les preuves démontrent clairement que ce sont les quatre meilleurs prédicteurs. Les variables liées à la santé mentale figurent presque au bas de la liste.

La présidente : Comme l'a dit le sénateur Di Nino, nous pourrions poursuivre notre entretien avec vous jusqu'à ce soir. À chaque question, la discussion devient plus intéressante. Toutefois, nous devons nous arrêter. Merci beaucoup de l'aide que vous nous avez apportée et du temps que vous nous avez consacré. Vos témoignages nous seront très utiles dans nos délibérations.

Nous sommes heureux d'accueillir maintenant M. Andrew Murie, chef de la direction de MADD Canada (Mothers against Drunk Driving) et, de la Fondation de recherches sur les blessures de la route, Robyn Robertson, présidente- directrice générale. Avez-vous décidé qui prendra la parole en premier?

Andrew Murie, chef de la direction, MADD Canada (Mothers against Drunk Driving) : Ce sera moi.

Comme vous venez de le dire, je suis chef de la direction de MADD Canada (Mothers against Drunk Driving). J'occupe ce poste depuis 11 ans. Malgré les progrès réalisés en matière de conduite avec facultés affaiblies entre 1980 et 1999, on n'avance plus au Canada. D'ailleurs, comme l'indiquent toutes les statistiques que nous avons, notamment pour 2005, il y a eu une hausse du pourcentage de décès liés à l'alcool.

La conduite avec facultés affaiblies demeure de loin la première cause criminelle de décès et elle tue un nombre disproportionné de jeunes Canadiens. Ainsi, en 2003, les jeunes âgés de 16 à 25 ans ne représentaient que 13,7 p. 100 de la population, mais 32,1 p. 100 des personnes mortes dans un accident de la route lié à l'alcool.

MADD Canada estime que le projet de loi C-2 représente un élément important de réponse à plusieurs des lacunes des lois fédérales sur la conduite avec facultés affaiblies. Compte tenu du peu de temps dont je dispose, j'aborderai uniquement les dispositions concernant la conduite avec les facultés affaiblies par les drogues et les mesures visant à limiter la portée des moyens de défense Carter et du dernier verre.

En ce qui concerne la drogue au volant au Canada, le Centre de toxicomanie et de santé mentale a révélé que les taux de conduite sous l'effet du cannabis avaient augmenté. Ce comportement est maintenant courant chez les élèves du niveau secondaire en Ontario. Ainsi, selon un sondage mené en 2005, 14 p. 100 des élèves de la 10e à la 12e année détenant un permis de conduire ont indiqué avoir pris le volant moins d'une heure après avoir consommé un ou deux verres, et 20 p. 100 d'entre eux ont reconnu avoir pris le volant moins d'une heure après avoir consommé du cannabis. Cela nous montre que la conduite sous l'emprise du cannabis est maintenant plus fréquente que la conduite en état d'ébriété chez les jeunes. Il semble que nous ayons réussi à faire passer le message sur les dangers de l'alcool au volant auprès des jeunes, mais que ceux-ci se sont tournés vers les drogues. Cette disposition du projet de loi C-2 est donc nécessaire.

En outre, 22 p. 100 des élèves de la 10e à la 12e année ont indiqué avoir été dans un véhicule conduit par une personne qui avait consommé des drogues peu de temps auparavant. Non seulement les jeunes prennent le risque de prendre le volant sous l'effet de la drogue, mais ils prennent aussi le risque de circuler dans un véhicule conduit par une personne qui a consommé de la drogue.

Une étude semblable réalisée dans la région de l'Atlantique en 2005 a révélé que 15,1 p. 100 des répondants avaient indiqué avoir conduit sous l'emprise du cannabis et 11,7 p. 100, sous l'emprise de l'alcool. Ce sont des données qui proviennent de l'Ontario et du Canada atlantique, mais les études menées au Manitoba présentent les mêmes résultats. Du point de vue statistique, les données sont très semblables à l'échelle du pays.

Les élèves qui avaient conduit sous l'emprise du cannabis étaient deux fois plus susceptibles de déclarer un accident que les non-consommateurs de cannabis. Les données confirment la consommation de drogue et celles de l'étude menée en Atlantique démontrent que cela a une incidence sur le taux de collision.

Les effets néfastes du cannabis et des autres drogues sur la capacité de conduire sont très bien documentés. Bien que des recherches plus approfondies s'imposent pour identifier le rôle causal précis des différentes drogues dans les collisions, il n'y a aucun doute que la consommation de drogues constitue un important problème de sécurité routière. Par exemple, une étude pancanadienne réalisée en 2004 indique que la consommation de drogues, seules ou avec de l'alcool, serait liée à environ 368 décès dans des accidents de la route, à 21 702 blessures et à 71 276 collisions ayant causé des dommages matériels seulement. L'auteur de cette étude a estimé que les coûts totaux de ces collisions liées à la consommation de drogues pouvaient avoir atteint 3,55 milliards de dollars.

Ces statistiques sont particulièrement pertinentes pour les jeunes conducteurs, car ils affichent le taux le plus élevé de consommation de drogues illicites et de collisions mortelles par kilomètre parcouru. De plus, la fréquence accrue de conduite à la suite de consommation de drogues observée dernièrement chez les jeunes rend d'autant plus nécessaire l'adoption du projet de loi C-2.

J'aborderai maintenant les moyens de défense Carter et du dernier verre. En raison de l'interprétation que donnent les tribunaux du Canada au Code criminel, les résultats d'analyse de sang ou d'haleine peuvent être rejetés sur la foi des déclarations non corroborées d'un accusé qui nie que ses facultés étaient affaiblies. L'exclusion des résultats d'analyse entraîne nécessairement le retrait des accusations avec une alcoolémie supérieure à 0,08 p. 100 ou l'acquittement de l'intimé. Dans bon nombre de provinces et territoires, quand la défense menace d'invoquer le moyen de défense des deux bières (Carter), les chefs d'accusation au titre de l'alinéa 253b) font l'objet de négociations et l'accusé n'a plus qu'à plaider coupable à une infraction moindre au Code de la route ou à la loi sur les véhicules à moteur.

La loi fédérale actuelle et l'interprétation qu'en font les tribunaux constituent essentiellement des obstacles insurmontables pour l'application des lois et les poursuites. Les sondages nationaux et provinciaux font clairement état de la frustration croissante des agents de police à l'égard de ces échappatoires et de leur réticence grandissante à déposer des accusations pour conduite avec facultés affaiblies. Cette frustration pourrait nous aider à comprendre pourquoi le taux d'accusation pour conduite avec facultés affaiblies par 100 000 titulaires de permis de conduire au Canada n'était, en 2003, que 39 p. 100 de celui des États-Unis. Ces moyens de défense n'existent pas ailleurs et ils jettent, à juste titre, le discrédit sur le système de justice pénale au Canada. D'ailleurs, certains avocats de la défense se vantent ouvertement de pouvoir obtenir un acquittement dans presque tous les cas de conduite avec facultés affaiblies. Par exemple, dans un article de journal intitulé « How Big Bucks Can Beat .08 » ou comment éviter une condamnation pour conduite avec facultés affaiblies à grands frais, un avocat de Saskatoon se vante de ne jamais perdre plus d'un cas de conduite avec facultés affaiblies sur 50 par année, tandis qu'un autre se targue d'avoir obtenu 28 acquittements consécutifs. Un autre avocat a affiché sur son site Web d'éloquents témoignages de clients accusés de conduite avec facultés affaiblies qui ont réussi à se soustraire à toute responsabilité criminelle grâce à une formalité judiciaire. Un client reconnaissant aurait affirmé : « Mon alcoolémie était si élevée que j'étais convaincu que c'était perdu d'avance. Mon avocat m'a dit qu'il m'aiderait à éviter la prison et qu'il pourrait probablement exploiter une formalité judiciaire pour me faire acquitter. C'est exactement ce qu'il a fait ».

Les tribunaux ne rejettent pas les certificats d'analyse de drogue, les preuves dactyloscopiques ou les preuves génétiques sur la foi des déclarations non corroborées ou des plaidoyers de non-culpabilité des intimés. Les victimes de la conduite avec facultés affaiblies ont certainement droit à la même protection et au même respect que les victimes d'autres crimes violents. Le projet de loi C-2 limitera considérablement la portée des moyens de défense des deux bières Carter et du dernier verre et fera en sorte que l'application de la loi et les poursuites dans les cas de conduite avec une alcoolémie de 0,08 p. 100 coïncideront davantage avec les intentions originales du Parlement.

Avec les modifications proposées en matière de conduite avec une alcoolémie de 0,08 p. 100, les lois du Canada se rapprocheront de celles en vigueur dans des démocraties semblables. MADD Canada appuie pleinement les modifications aux moyens de défense des deux bières Carter et du dernier verre.

Robyn Robertson, présidente-directrice générale, Fondation de recherches sur les blessures de la route : La Fondation de recherches sur les blessures de la route est un organisme à but non lucratif œuvrant pour la sécurité routière depuis le milieu des années 1960. Nous faisons essentiellement de la recherche, avant tout dans le domaine de la conduite avec les facultés affaiblies. Moi-même, je suis criminologue. Et je consacre le plus gros de mon temps à la recherche sur la conduite avec les facultés affaiblies en collaboration avec des policiers, des procureurs de la Couronne et des juges autant du Canada que des États-Unis.

Je remercie le comité de m'avoir invitée à parler du projet de loi C-2. Je vous donnerai des informations découlant de nos recherches sur la drogue au volant puis je serais heureuse de répondre à vos questions.

Je suis certaine que bon nombre d'entre vous savent que les drogues au volant sont un problème beaucoup plus complexe que l'alcool au volant. Les preuves disponibles sont lacunaires et les preuves scientifiques sont interprétées de bien des façons. Par conséquent, c'est un domaine où il y a controverse et confusion. De bonnes raisons expliquent pourquoi nous ne disposons pas de données solides sur la drogue au volant. En grande partie, c'est attribuable aux limites de la science. Généralement, il faut un échantillon important pour pouvoir faire une étude valable sur les facultés affaiblies par les drogues, mais la consommation de drogues n'est pas très élevée dans la population en général. De plus, les taux de refus sont plutôt élevés. La National Highway Traffic Safety Administration, aux États-Unis, a réalisé une étude à partir d'échantillons prélevés auprès de conducteurs en bordure de la route. Le taux de refus a été assez important. Généralement, quand on mène une étude de ce genre sur l'alcool au volant, le taux de participation est de 90 à 95 p. 100, mais aux États-Unis, le taux de participation a été de 80 p. 100 pour les deux types d'échantillons, de 67 p. 100 pour la salive et de 42 p. 100 pour le sang. Parce que le taux de refus est élevé, il est difficile d'obtenir de bonnes informations.

Les procédures intrusives employées, les méthodes de prélèvement, d'entreposage et d'analyse des échantillons ont aussi une incidence sur les analyses et sur les résultats. Il ne fait aucun doute qu'il faudrait effectuer des analyses plus approfondies et coûteuses. La vaste gamme de drogues qu'il faut détecter doit être prise en compte. La consommation de drogues multiples et de drogues de synthèse est en hausse. Dans l'étude dont j'ai parlé, il a fallu élargir constamment le nombre de drogues à dépister en raison de ce qu'on détectait dans les échantillons.

Le moment où des tests sont administrés est aussi important en raison de la vitesse variable à laquelle les différentes drogues sont éliminées de l'organisme. La corrélation entre la concentration de drogues dans le sang et l'affaiblissement des facultés est faible et peu fiable pour certains types de drogues. Comme je viens de le dire, il existe une vaste gamme de drogues différentes, mais aussi toutes sortes de consommateurs; certaines drogues sont plus souvent présentes chez certains types de conducteurs. La pharmacodynamie, l'effet des drogues, varie selon le consommateur. Par conséquent, il est très complexe de concevoir des tests de dépistage de drogues.

Il y a de nombreux rapports d'études exhaustives sur les effets des drogues sur la conduite d'un véhicule, et nous savons que bien des substances ont une incidence sur les différentes tâches inhérentes à la conduite d'un véhicule, mais nous avons peu d'informations fiables sur la fréquence de la consommation de drogues des conducteurs parce qu'ils refusent de participer à nos études ou parce qu'il est encore relativement rare qu'on procède à un test de dépistage de drogues chez les conducteurs tués dans un accident de la route.

Selon nos estimations générales les plus fiables, environ 10 p. 100 des conducteurs consomment des substances qui affaiblissent les facultés, soit des médicaments sur ordonnance, des médicaments en vente libre ou des drogues illicites. Il va sans dire que la marijuana est la drogue la plus souvent signalée et détectée. On la voit généralement chez les jeunes conducteurs de sexe masculin, comme l'a indiqué M. Murie.

Le plus important, c'est qu'on ignore encore dans quelle mesure les drogues sont un facteur causal dans les collisions parce qu'il est difficile de mesurer la consommation de drogues chez les conducteurs, parce que les drogues consommées sont si nombreuses et parce qu'il est difficile de concevoir des méthodologies de recherche nous permettant d'évaluer ces facteurs.

Vous savez sans doute que notre organisation mène des sondages d'opinion publique sur diverses questions touchant la conduite automobile. Nous nous sommes penchés sur la drogue au volant deux fois, en 2002 et en 2005. Ces sondages ont été réalisés grâce au financement de Transports Canada, de l'Association des brasseurs du Canada et de Toyota Canada. Nous avons interrogé les répondants sur la fréquence de la conduite sous l'emprise de la drogue, le niveau d'inquiétude quant à la drogue au volant et le soutien qu'on accorderait à diverses mesures répressives.

De façon générale, en examinant les résultats de 2002 et de 2005, on constate qu'il y a eu une augmentation de la drogue au volant au Canada. En 2002, nous avions étudié plus précisément les médicaments sur ordonnance, les drogues illicites et les médicaments en vente libre. En 2005, nous avons concentré notre étude sur la marijuana.

En 2002, en ce qui concerne la consommation de drogues, environ 3,7 millions de Canadiens ont déclaré avoir pris le volant après avoir pris un médicament ou une drogue qui pouvait affaiblir leurs facultés. Cela représente approximativement 17 ou 18 p. 100 des détenteurs de permis de conduire. Les substances les plus souvent consommées étaient les médicaments en vente libre. Environ 16 p. 100 des répondants ont déclaré avoir pris de ces médicaments avant de conduire. La conduite après avoir pris des médicaments sur ordonnance était moins fréquente, elle n'a été déclarée que par environ 2,3 p. 100 des répondants; pour la marijuana, ce taux est de 1,5 p. 100 et pour les drogues illicites, moins de 1 p. 100. De toute évidence, la prise de médicaments sur ordonnance est plus fréquente chez les personnes plus âgées, alors que les drogues illicites et la marijuana sont plus souvent consommées par les jeunes conducteurs.

Les études indiquent que le nombre de conducteurs qui déclarent avoir pris le volant dans les deux heures suivant la consommation de marijuana pendant l'année précédente est en hausse. Ça été confirmé par nos propres études, mais aussi par celles d'autres organisations canadiennes, ainsi que l'a indiqué M. Murie.

Plus précisément, notre sondage a démontré qu'en 2002, 1,5 p. 100 des conducteurs ont déclaré avoir consommé de la marijuana. Ce taux est passé à 2,1 p. 100 en 2004 et à 2,4 p. 100 en 2005. Nous assistons donc à une hausse constante de la conduite sous l'emprise de la marijuana au sein de la population canadienne. Ces chiffres représentent environ un demi-million de conducteurs, alors qu'environ 1,5 million de Canadiens ont reconnu avoir pris le volant après avoir consommé de l'alcool et avec une alcoolémie supérieure à la limite permise.

La recherche a aussi démontré de façon générale que, fréquemment, la marijuana est combinée à l'alcool, ce qui rend l'étude du problème d'autant plus difficile. Environ 70 p. 100 des conducteurs interrogés dans le cadre de notre sondage ont déclaré avoir consommé de l'alcool et de la marijuana. Ce chiffre est comparable aux résultats d'autres études menées sur ce sujet. La combinaison drogue et alcool est fréquente. Cela a des conséquences importantes pour la sécurité routière. Nous savons que les drogues peuvent altérer la capacité de conduire, comme l'alcool, et nous croyons que les effets combinés des deux s'amplifient ou se multiplient. C'est donc une question d'importance.

Nous avons aussi demandé aux répondants qui avaient déclaré avoir pris le volant après avoir consommé des drogues de nous parler un peu d'eux-mêmes. Ceux qui consomment diffèrent de ceux qui ne consomment pas à bien des égards. Les consommateurs de marijuana sont généralement plus jeunes et plus souvent de sexe masculin. Ils sont célibataires et vivent dans des régions urbaines.

Nous avons aussi constaté que les consommateurs de marijuana ont davantage tendance à prendre des risques au volant. Ils prennent des risques au volant pour le plaisir, sont plus susceptibles de faire de la vitesse ou d'écoper d'une contravention et d'être impliqués dans une collision que les non-consommateurs.

Il importe de noter que l'on se préoccupe de plus en plus de la question de la drogue au volant au Canada. En 2002, en réponse à cette question, environ 77 p. 100 des répondants ont jugé que c'était un enjeu très important. Dans notre sondage de 2005, cette proportion était passée à 87 p. 100. La vaste majorité des Canadiens est donc très préoccupée par le problème de la drogue au volant.

Toutefois, on semble s'inquiéter davantage des jeunes conducteurs qui consomment des drogues que des personnes âgées qui prennent des médicaments d'ordonnance. Seulement 60 p. 100 des répondants ont dit s'inquiéter des aînés qui prennent des médicaments d'ordonnance.

On appuie fortement l'application des dispositions législatives sur la conduite avec les facultés affaiblies par les drogues. Cet appui est toutefois moindre chez les consommateurs de marijuana. Ils sont moins nombreux à être pour les mesures d'application de la loi, y compris les tests de dépistage de drogues chez les conducteurs qui causent des blessures, les épreuves de coordination physique quand on soupçonne la présence de drogues et les analyses d'échantillons de fluides corporels, ainsi que les contrôles aléatoires. Il n'est pas étonnant que les consommateurs de drogues ne soient pas particulièrement en faveur de ce genre de mesures, mais la vaste majorité des conducteurs qui ne consomment pas de drogues le sont.

Nous sommes satisfaits du projet de loi C-2. Nous considérons qu'il est important que l'on s'occupe de la question de la conduite avec facultés affaiblies par les drogues. Il ne fait aucun doute que c'est une question qui préoccupe vivement les Canadiens, et d'après ce que nous savons à propos de la conduite sous l'emprise de la drogue, il y a matière à préoccupation.

Notre organisation encourage l'intensification du dépistage chez les conducteurs mortellement blessés, ce qui est l'une des principales limites auxquelles nous faisons face dans la recherche sur la conduite avec facultés affaiblies par les drogues. Notre taux de dépistage de la consommation d'alcool est élevé. On administre à pratiquement tous les conducteurs mortellement blessés des tests de dépistage d'alcool mais les tests de dépistage de drogues sont très rares. Ce pourcentage peut varier d'environ 20 p. 100 des conducteurs qui font l'objet de tests de dépistage de drogues en Alberta jusqu'à 80 p. 100 qui font l'objet de tests de dépistage en Saskatchewan. De façon générale, les taux de dépistage varient et il est important que les provinces soient encouragées à faire ce dépistage auprès d'un plus grand nombre de conducteurs pour qu'elles puissent nous fournir une meilleure information.

Le programme ERD est prometteur pour assurer l'application des lois qui régissent la conduite avec facultés affaiblies par la drogue. Nous encouragerions également qu'une attention similaire soit accordée à la poursuite et au jugement de causes de conduite avec facultés affaiblies par la drogue.

Nous venons de terminer un sondage national auprès de procureurs de la Couronne et procureurs de la défense sur la question de la conduite avec facultés affaiblies par l'alcool, et on a effectivement constaté une préoccupation à propos de la question de la conduite avec facultés affaiblies par la drogue et de la capacité des procureurs de la Couronne d'intenter des poursuites ainsi que de la capacité des juges de rendre une décision. La sensibilisation s'impose si nous voulons intenter avec succès des poursuites et obtenir des résultats positifs au bout du compte.

Il ne fait aucun doute qu'en ce qui concerne la conduite avec facultés affaiblies par la drogue, il sera plus difficile d'intenter des poursuites. Compte tenu de la complexité de la preuve scientifique, une absence de connaissances risque à mon avis de donner lieu à des contestations de la part des avocats de la défense. C'est pourquoi il est important de nous assurer que la poursuite dans ce genre de causes soit solide.

J'aimerais, comme dernière observation, encourager les provinces à envisager les sanctions provinciales qui existent déjà pour la conduite avec facultés affaiblies et la façon de faire concorder les condamnations en cas de conduite avec facultés affaiblies par la drogue et les condamnations avec facultés affaiblies par l'alcool.

Le sénateur Stratton : Je tiens à vous remercier d'avoir comparu devant nous aujourd'hui.

J'aimerais aborder la question de la consommation de marijuana. Compte tenu du nombre de conducteurs, est-ce une question d'attitude, de la part de ceux qui fument de la marijuana, qui estiment être en état de conduire? Si l'on fume des cigarettes, on est en état de conduire. Est-ce que c'est la même attitude que l'on adopte en ce qui concerne la consommation de marijuana?

Mme Robertson : Je dirais que c'est probablement un facteur. Nous savons que même dans les cas d'ivresse au volant, ceux qui avouent avoir conduit après avoir bu à plusieurs occasions ne considèrent pas qu'ils représentent un risque plus élevé sur la route. Je pense que les conducteurs qui ont consommé de la marijuana auraient probablement la même attitude; ils ne considèrent pas que leurs facultés sont affaiblies ou ils ne le comprennent pas.

De façon générale, les résultats de la recherche sont plutôt mitigés. Certaines études indiquent une diminution des capacités de conduite tandis que d'autres n'indiquent absolument aucune incidence. Je pense que les données scientifiques ne sont pas encore concluantes, mais il ne fait aucun doute que l'attitude selon laquelle leurs facultés ne sont pas affaiblies est un facteur qui entre en ligne de compte.

M. Murie : Je commenterai sur l'aspect comportemental et ferai le lien avec l'alcool. Il y a 25 ans seulement, conduire après avoir bu était une activité acceptable. À l'époque, la plupart des gens buvaient et prenaient le volant, et je pense que c'est la même chose dans le cas du cannabis. Non seulement devons-nous faire de la recherche, mais nous devons également mettre sur pied un certain nombre de campagnes de sensibilisation publiques pour sensibiliser le public, particulièrement les jeunes, aux risques que pose la conduite avec facultés affaiblies par le cannabis, au même titre que l'alcool au volant.

Le sénateur Stratton : Dans son exposé, Mme Barr-Telford, directrice du Centre canadien de la statistique juridique, indique que le taux d'infractions mettant en cause la cocaïne a augmenté depuis 2002 et a atteint un sommet en 2006. Êtes-vous au courant des effets des différentes drogues? Par exemple, si vous conduisez après avoir consommé de la cocaïne, existe-t-il une différence importante ou un risque accru comparativement à, par exemple, la consommation d'alcool ou de marijuana?

Mme Robertson : On n'a pas fait autant de recherches sur les stimulants. La majorité de la recherche met l'accent sur le cannabis et les benzodiazépines. En ce qui concerne les stimulants, on n'a constaté aucune incidence sur la capacité de conduire. C'est difficile à tester et à mesurer.

Le sénateur Stratton : Il est trop tôt. Les connaissances scientifiques ont du retard.

Mme Robertson : Il y a encore des lacunes au niveau des connaissances scientifiques. De façon générale, dans le cas de stimulants, les personnes sont plus alertes et un peu plus vigilantes, mais j'ignore pendant combien de temps.

Le sénateur Stratton : On pourrait croire que ceux qui mêlent drogues et alcool seraient portés à prendre plus de risques, simplement parce qu'ils mêlent les deux substances.

Le sénateur Campbell : Avant de poser mes questions j'aimerais préciser que j'ai travaillé pendant 32 ans comme policier et coroner. J'ai donc eu l'occasion de constater la dévastation causée par la conduite en état d'ébriété.

Ce que j'aimerais savoir, c'est comment répondre à ceux qui posent ce genre de questions. Savons-nous que l'incidence de l'utilisation de la défense Carter et de la défense des deux bières? Est-ce que vous savez si cette défense est souvent invoquée et quelle est son efficacité?

M. Murie : La police provinciale de l'Ontario et la police de Toronto ont fait une enquête dans leur région, et pendant un certain nombre de mois, elles ont surveillé le nombre de causes qu'elles ont porté devant les tribunaux. La défense Carter est invoqué beaucoup plus souvent que la défense du dernier verre. La défense du dernier verre est plutôt invoquée dans les cas de décès ou de blessures graves. Même si elle est moins souvent invoquée, elle l'est dans ces circonstances. La police a constaté que dans environ 50p. 100 des cas, elle n'a pas obtenu gain de cause lorsque la défense Carter a été invoquée.

Mme Robertson : Ce pourcentage est probablement plus élevé dans certaines provinces. Nous avons fait un sondage national auprès des procureurs de la Couronne et de la défense sur la question de la conduite avec facultés affaiblies, et nous leur avons posé des questions précises à propos de la preuve contraire. Lorsque cette défense est invoquée, elle est acceptée environ 50 p. 100 du temps. C'est probablement le problème le plus important qui se pose dans le cas de la poursuite de causes de conduite avec facultés affaiblies, après les problèmes constitutionnels.

Nous constatons que la défense du dernier verre est plus courante dans les régions de l'Ouest tandis que la défense Carter est très populaire en Ontario et Québec. Nous constatons que la preuve contraire n'est pas vraiment un problème dans la région de l'Atlantique, donc il existe de toute évidence une disparité, mais tout le monde convient que cela nuit à la poursuite de causes de conduite avec facultés affaiblies. L'un des procureurs de la Couronne à qui nous avons parlé a indiqué que cette défense équivaut à dire « Je n'ai pas commis le meurtre, donc les résultats de l'analyse de l'ADN doivent être erronés » C'est donc la sorte de situation à laquelle ils doivent faire face.

Le sénateur Campbell : Vous pourriez peut-être nous résumer la défense Carter.

M. Murie : Il s'agit du cas où une personne comparaît devant le tribunal, et il y a un cas en Ontario, l'affaire Clarke, qui remonte à 2005. Il a été intercepté lors d'un contrôle routier dans le cadre du programme R.I.D.E parce qu'il manifestait des signes évidents de facultés affaiblies — en fait il a pratiquement frappé les policiers à ce poste de contrôle — et il s'est vu administrer un alcotest qu'il n'a pas passé et un deuxième test a été administré et dans les deux cas les résultats de l'ivressomètre étaient de 146 et 144. J'ignore quel était le poids de M. Clarke, mais disons qu'il s'agit d'un homme de 200 livres. Pour obtenir un résultat de 146, il faut qu'il ait pris 12 consommations ordinaires, simplement pour vous donner une idée. Ces résultats ont probablement été obtenus deux heures après sa dernière consommation.

Il ya donc la preuve physique, c'est-à-dire la preuve fournie par l'ivressomètre, et lorsque l'accusé a comparu devant le tribunal, il aurait dit, « Je n'ai bu que deux consommations ce soir-là ». Il serait accompagné d'amis qui diraient : « J'ai été avec eux toute la soirée, et c'est tout ce que j'ai bu ». La défense convoque alors un toxicologue qui dit, « Si ce que l'accusé dit est vrai », pour nuancer son témoignage d'expert, et il ajoute, « compte tenu de la taille de ce monsieur, alors son alcoolémie serait nettement inférieure à 0,08 ». Il vient donc de présenter la preuve contraire.

Il existe une preuve contraire légitime : l'ivressomètre était-il correctement entretenu et calibré? La personne qui a administré les tests à l'accusé possédait-elle l'accréditation et la formation appropriée? Toutes ces questions, si la police ne s'est pas occupée de cet aspect-là, sont légitimes et les accusations devraient être rejetées sur la foi de la preuve contraire; mais l'utilisation que l'on a faite de la défense Carter est ridicule. C'est donc ce qui se produit, et dans un grand nombre de ces causes, le juge dira « je ne crois pas vraiment l'accusé » mais le fait que l'accusé ait présenté une preuve contraire signifie que les accusations seront simplement rejetées.

Il y a un autre aspect qui est important dans le cas de la défense Carter et des groupes comme le nôtre et la FRBR, qui ont travaillé fort au fil des ans pour établir des programmes de mesures de réadaptation et de prévention dans le cadre d'une condamnation pour conduite avec facultés affaiblies. Même si nous parlons d'environ 50 p. 100, le pourcentage pourrait être plus élevé. Un grand nombre de ces causes font l'objet de négociations de plaidoyer. En Ontario, il est courant d'obtenir une condamnation pour conduite imprudente. L'accusé perd six points et reçoit une amende de 1 000 $, mais continue de conduire, et aucun des programmes de prévention, comme les traitements et les interrupteurs d'allumage n'est utilisé, et ensuite, lorsque ces personnes reviennent dans le système, elles sont traitées comme des délinquants primaires. C'est inacceptable.

Le sénateur Campbell : J'aimerais connaître votre opinion en ce qui concerne la marijuana. Croyez-vous qu'il soit possible que les jeunes aujourd'hui se rendent compte du risque de l'alcool au volant mais pensaient, jusqu'à ce que les programmes ERD soient mis sur pied, qu'il n'y avait pas de risque réel de facultés affaiblies par la marijuana, par exemple? Croyez-vous que c'est l'une des raisons pour lesquelles nous constatons un nombre plus élevé de cas de facultés affaiblies par l'alcool plutôt que par la drogue, parce qu'il n'existait aucun moyen de le reconnaître concrètement sur le plan scientifique?

Mme Robertson : Vous voulez qu'ils remplacent l'un par l'autre?

Le sénateur Campbell : Exact.

Mme Robertson : Il existe des preuves empiriques qui semblent indiquer qu'ils savent maintenant que nous pouvons les attraper pour conduite avec facultés affaiblies par l'alcool mais que la présence de drogues est plus difficile à détecter.

Le sénateur Campbell : On peut donc partir du principe que grâce au programme ERD, nous constaterons une augmentation importante? Si les chiffres sont exacts, nous devrions constater une augmentation importante du nombre de personnes arrêtées pour conduite avec facultés affaiblies par la marijuana?

M. Murie : Pas nécessairement. Si cela est fait correctement et si les jeunes se rendent compte que la police possède ce pouvoir, alors la fréquence de cette activité diminuera et on aura ensuite la fausse impression que soudainement les tribunaux seront submergés d'accusations de conduite avec facultés affaiblies par la drogue. Ce n'est pas ce qui se produira.

Le sénateur Campbell : Ce n'est pas ce que je voulais dire. Je voulais dire qu'il y aura une augmentation une fois que la reconnaissance existera.

M. Murie : Dans ce genre de situations, on constate une légère hausse temporaire en ce qui concerne le volet de l'application de la loi pour transmettre le message et, vous avez raison, il y a alors une baisse importante.

Mme Robertson : Comme un grand nombre d'entre eux consomment de l'alcool et des drogues, la Couronne portera une accusation de conduite avec facultés affaiblies par l'alcool parce que cela est beaucoup plus facile que de faire des analyses de dépistage de drogues.

Le sénateur Campbell : D'après mon expérience, si vous constatez la présence de cocaïne ou d'héroïne, ou de pratiquement n'importe quelle autre drogue, invariablement vous constaterez également la présence d'alcool.

Le sénateur Cowan : Le sénateur Stratton et le sénateur Campbell ont abordé les points que je voulais soulever.

Je trouve qu'en raison du travail accompli entre autres par les organisations que vous représentez, pour sensibiliser le public aux dangers de l'alcool au volant, les gens sont de plus en plus conscients et plus prudents que par le passé. Cependant, un élément important concernant la drogue au volant, c'est précisément la sensibilisation. Je ne suis pas en train de minimiser l'importance de l'application de la loi, mais nous ne devrions pas perdre de vue l'importance de la sensibilisation du public.

J'aimerais connaître vos commentaires concernant l'appui des gouvernements. Il ne s'agit pas uniquement d'une question qui intéresse le gouvernement fédéral; tous les paliers de gouvernement ont une responsabilité, de même peut- être que les entreprises privées qui fabriquent du moins les médicaments d'ordonnance et les médicaments en vente libre qui contribuent à certaines de ces infractions. Obtenez-vous la réaction que vous aimeriez de ces secteurs de notre société pour appuyer le rôle de sensibilisation et de conscientisation du public, en laissant de côté l'aspect qui se rattache à l'application de la loi?

Mme Robertson : De toute évidence, nous nous intéressons à ce qui se fait au niveau fédéral compte tenu des importantes mesures législatives qui sont proposées. Par ailleurs, le Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé considère que la drogue au volant est également une question importante. Nous constatons que les gouvernements provinciaux s'intéressent à la question. Certaines provinces mettent en place des campagnes de sécurité routière plus générales. Il ne fait aucun doute que des organisations comme la nôtre et d'autres groupes ont répandu le message selon lequel la drogue au volant est un important problème aux yeux des Canadiens.

Les compagnies pharmaceutiques ont manifesté peu d'appui et d'intérêt. Il a été difficile de les rallier à notre cause. C'est une initiative que nous avons prise il y a quelques années et de toute évidence elles hésitent à reconnaître l'existence de problèmes. Il faut en faire plus dans ce domaine. Cependant, nous avons besoin des efforts soutenus et continus en matière de sensibilisation pour faire comprendre à la population que la drogue au volant est dangereuse et est un comportement qu'il faut éviter, et nous travaillons à répandre ce message.

M. Murie : J'aimerais faire un commentaire qui se rapporte au projet de loi C-2 c'est-à-dire, comme vous le savez, c'est la quatrième fois qu'un projet de loi de ce genre est présenté au Parlement fédéral. Nous avons dû mettre en veilleuse une bonne partie de l'information à communiquer dans le cadre de nos campagnes de sensibilisation du public, étant donné que l'un des éléments clés, c'est que si vous faites telle ou telle chose, en voici les ramifications possibles. Comme nous n'avons pas cet élément d'information, des groupes comme le nôtre et les gouvernements provinciaux attendent l'option de la loi fédérale pour pouvoir incorporer cet élément dans nos programmes de sensibilisation. La police joue un rôle très important dans le cadre de cette sensibilisation du public.

Lorsque nous prenons la parole devant des jeunes, la plupart du temps, la police participe aux présentations. On présente le point de vue de la victime et le point de vue de ceux qui sont chargés d'appliquer la loi, et c'est très efficace. Comme vous pouvez le constater, il est difficile de faire ce genre de présentation sans présenter l'aspect qui se rattache à l'application de la loi, en ce qui concerne les drogues.

Le sénateur Cowan : À la fin de votre mémoire, madame Robertson, vous dites qu'il faut envisager la façon dont les sanctions provinciales en vigueur à l'heure actuelle pour la conduite avec facultés affaiblies par l'alcool s'appliqueront aux contrevenants qui conduisent sous l'emprise de la drogue. Où vouliez-vous en venir?

Mme Robertson : La plupart des provinces ont mis sur pied des programmes d'interrupteurs d'allumage qui sont obligatoires pour toute personne reconnue coupable de conduite avec facultés affaiblies. Un interrupteur d'allumage n'est d'aucune efficacité dans les cas de conduite avec facultés affaiblies par la drogue. Faudrait-il alors obliger les personnes reconnues coupables de conduite avec facultés affaiblies par la drogue de se procurer un interrupteur d'allumage, même si ce dispositif ne les empêche pas de conduire avec des facultés affaiblies? C'est le genre de question que l'on se pose.

Le sénateur Di Nino : Mes questions portent sur la question des médicaments d'ordonnance. Nous avons entendu le témoignage du sergent Martin, du service de formation de la GRC, et de M. Prokopanko, de la Société canadienne des sciences judiciaires. Certains ont exprimé la préoccupation selon laquelle les médicaments d'ordonnance devraient faire l'objet d'un traitement différent.

Avant de poser ma question, je tiens à nous rappeler que le sergent Martin nous a expliqué la procédure en douze étapes qui permet d'identifier les conducteurs qui pourraient conduire avec des facultés affaiblies. En effet, l'administration de l'alcooltest ou l'évaluation ERD n'auront lieu qu'une fois qu'un agent qui a été correctement formé — et il a parlé de la formation en question — a déterminé qu'il y a facultés affaiblies, donc il s'est assuré de la chose. Le processus ERD ne commence vraiment qu'au moment où un agent est convaincu que le suspect présente des signes de facultés affaiblies.

D'aucuns s'inquiètent qu'on puisse traiter les médicaments sur ordonnance de la même façon que les drogues illicites. Qu'en pensez-vous?

Mme Robertson : Je ne sais pas si j'ai une réponse pour l'instant.

Le sénateur Di Nino : Pensez-vous que c'est possible?

Mme Robertson : Il faut bien dire que les médicaments délivrés sur ordonnance le sont légalement par un médecin. En fait, le problème est que les gens ne respectent pas nécessairement les prescriptions du médecin. C'est sans doute inquiétant mais je ne sais pas s'il faudrait que les deux catégories soient traitées de la même façon à cause de cela. Je ne peux pas vous répondre.

Le sénateur Di Nino : Un complément d'information. Ne pensez-vous pas que lorsque les facultés sont affaiblies, elles le sont de toute façon quelle que soit la cause? C'est de cela qu'il s'agit ici, n'est-ce pas?

Mme Robertson : Je ne dis pas que les gens qui prennent des médicaments délivrés sur ordonnance ne devraient pas être sanctionnés s'ils prennent le volant avec des facultés affaiblies. Il faudrait que les médecins soient plus vigilants quant aux renseignements qu'ils donnent à leurs patients qui prennent des médicaments sur ordonnance. Nous avons constaté que des médicaments en vente libre portent un étiquetage plus adéquat qui recommande à ceux qui les prennent de ne pas conduire.

Je n'ai pas de réponse à votre question.

M. Murie : À propos de l'œuvre éducative auprès des patients : très souvent, le médecin ou le médecin de famille qui prescrit ces médicaments connaît les antécédents de son patient. Il peut savoir que le patient a un problème d'alcoolisme ou consomme des médicaments sur ordonnance en permanence et à ce moment-là, comme l'a dit Mme Robertson, il importe de mettre l'accent sur l'avertissement suivant : « Vous savez que vous pourriez être inculpé de conduite avec facultés affaiblies en vertu du Code criminel si vous vous mettez dans une telle situation. » Il faut le redire, une information accrue pourrait aider grandement en l'occurrence.

Il faut se rappeler que quand quelqu'un est arrêté en raison de facultés affaiblies après consommation d'alcool ou de drogues, la plupart des caractéristiques observées ne le sont pas à des barrages de contrôle de la sobriété. Soixante-dix pour cent de ceux qui sont déclarés coupables de conduite avec facultés affaiblies sont repérés lorsque la police arrête des voitures au hasard, les chauffeurs présentant des signes manifestes d'ébriété dans leur façon de conduire. À ce moment-là, chaque cas est traité individuellement, que le comportement résulte de l'absorption de médicaments sur ordonnance, de drogues illicites, d'alcool ou peut-être une combinaison des trois.

Le sénateur Di Nino : Le projet de loi C-2, en effet, donne à la police et aux agents de la paix le pouvoir d'exiger désormais des tests de dépistage des drogues. En ce moment, ces tests ne sont faits que si la personne arrêtée accepte volontairement de s'y soumettre. Le projet de loi C-2 donnera effectivement le pouvoir à la police d'exiger un tel test, même si l'intéressé ne s'y soumet pas de plein gré.

Pensez-vous que c'est judicieux d'inclure une telle disposition dans la loi?

M. Murie : Absolument, je vais vous expliquer pourquoi. Comme je l'ai dit tout à l'heure, avant que l'agent de police n'ait arrêté la personne en question, il a constaté qu'elle présentait des signes manifestes de conduite avec facultés affaiblies. La personne subit donc un alcootest routier et si l'alcool n'est pas la cause des facultés affaiblies, la police peut alors procéder à un ERD. Il s'agit d'une évaluation en 12 étapes de reconnaissance de la présence de drogues, et c'est seulement si le résultat de ce test en 12 étapes est positif que la police demande un échantillon.

Les circonstances sont donc très différentes de la situation que vous décrivez, où l'agent de police dit : « Soumettez- vous à un test de dépistage des drogues. » Ainsi, avant que l'agent de police n'exige un tel test, certaines étapes devront être franchies. Cela n'est pas fait au hasard par l'agent de police. Je pense que les précautions qui s'imposent sont prévues dans le cas des drogues, tout comme nous avons prévu les précautions qui s'imposent dans le cas de l'alcool : il faut que l'agent de police ait un soupçon raisonnable avant d'utiliser le dispositif de dépistage approuvé. Même quand l'agent de police a en main ces deux éléments, il lui faut avoir recours à un instrument approuvé.

À mon avis, ce que nous avons fait pour l'ERD et la conduite avec facultés affaiblies par les drogues est très semblable à ce qui est considéré comme une pratique acceptable pour l'alcool.

Mme Robertson : Je suis d'accord avec M. Murie. Nous constatons que la norme est plus exigeante, et cela nous incite à aller de l'avant pour en arriver au point où la police prend des échantillons de fluides de l'organisme. Il y a certaines étapes à franchir avant d'en arriver au point où nous exigeons ces tests, si bien que je pense que c'est raisonnable.

La présidente : Je voudrais revenir à la question du sénateur Di Nino sur les facultés affaiblies. Ce matin on a donné l'exemple de la cocaïne qui a rappelé certains témoignages intéressants entendus hier. Cela a également évoqué le problème reconnu par bien des gens, à savoir que nous avons beaucoup moins de renseignements concernant les seuils où l'on peut de façon réaliste présumer que les facultés sont affaiblies dans le cas de l'absorption de substances autres que l'alcool, substances dont le nombre ne cesse de croître.

Hier, nous avons entendu le témoignage d'un criminologue qui a dit que l'attention devrait se porter moins sur la consommation de substances illicites ou licites, mais sur l'affaiblissement des facultés. Ce sont là deux choses différentes. À vous écouter, je constate que je reviens à ma propre réflexion : de façon réaliste, ne devrions-nous pas nous concentrer sur la détermination de plus en plus fiable de l'affaiblissement des facultés plutôt que sur le constat d'un niveau sanguin minuscule de cocaïne, alors que nous ne savons même pas si la cocaïne, en fait, affaiblit les facultés? Qu'en pensez-vous?

Mme Robertson : Assurément, il nous faut beaucoup plus de preuves vérifiées en ce qui concerne les facultés affaiblies. Comme je l'ai dit, diverses raisons expliquent que nous n'ayons pas ces renseignements. Nous avons des dizaines d'années de recherche sur l'alcool. L'alcool est une drogue stable, car il est absorbé et éliminé et on peut lui appliquer certains paramètres mesurables, tandis que pour les drogues, nous n'avons pas vraiment le même type de renseignements. Par conséquent, toute affirmation concernant les facultés affaiblies comporte des défis. Je suis de tout cœur avec vous pour dire qu'il nous faut plus de preuves à l'appui quant à l'affaiblissement des facultés en raison de la consommation de drogues et quant au niveau de cet affaiblissement. Toutefois, la technologie et les procédures de dépistage actuelles à cet égard ne sont pas encore au point.

La présidente : On a argué que quelqu'un pouvait voir ses facultés s'affaiblir pour toute une gamme de raisons, non seulement la consommation de drogues : la fatigue, le stress, que sais-je encore. C'est peut-être un peu exagéré d'inclure le stress dans ces causes. Si quelqu'un est un danger public sur les routes, ne serait-il pas plus logique et plus facile à déterminer de passer du temps à mesurer si, à un moment précis, quelqu'un en fait conduisait avec des facultés affaiblies, plutôt que d'édifier d'énormes banques de données avec des données que nous ne possédons pas encore et plutôt que de multiplier sans fin le nombre des drogues licites et illicites? Comprenez-vous mon point de vue?

Mme Robertson : Oui.

M. Murie : Pendant que l'agent de police fait ses observations sur la route, il doit procéder à un certain nombre d'étapes pour déterminer d'éventuelles facultés affaiblies à divers niveaux. On peut très bien consommer de l'alcool mais quand cela est en quantité telle que cela met la vie d'autrui en péril, c'est considéré comme conduire avec facultés affaiblies et c'est une infraction en vertu du Code criminel. Voici où il faut concentrer l'attention : quand vous consommez une drogue ou de l'alcool, ou une combinaison des deux, mettez-vous la vie d'autrui en péril? Nous savons que l'alcool est la cause de 40 p. 100 des accidents mortels et nous n'avons pas de chiffres à cet égard pour les drogues.

Vous avez raison : il y a d'autres facteurs qui contribuent à créer un danger, outre l'alcool et les drogues. Le conducteur peut être fatigué ou en train de parler au cellulaire. Cependant, si on ne retient que l'alcool et les drogues, il n'est pas exagéré de dire que ces deux facteurs sont responsables de près de 3 000 accidents mortels sur nos routes, et je pense que cela justifie qu'une infraction figure dans le Code criminel et qu'on s'y attarde.

La présidente : Je comprends. En fait, je ne contestais pas le régime actuel qui porte sur l'alcool, car il a largement fait ses preuves. Sur le plan chimique, ce que vous tentez de déterminer est une substance unique. Depuis des dizaines d'années, nous avons réuni des preuves. Nous sommes ici en présence d'une quantité connue. C'est tout le reste qui est inconnu.

Monsieur Murie, vous souvenez-vous que vous m'avez interloquée avant de finir votre exposé et que j'étais très désemparée?

M. Murie : Oui.

La présidente : J'étais désemparée, car à la page 6 vous recommandez deux changements supplémentaires aux présomptions et au cadre législatif qui régissent le droit d'exiger des échantillons. Je ne vais pas en parler dans tous les détails, car tout le monde a le mémoire entre les mains.

À la lecture de votre mémoire, je n'ai pas compris si vous recommandiez que nous amendions ce projet de loi ou si vous dites que ces changements doivent être envisagés plus tard, plutôt tôt que tard.

M. Murie : Je pense qu'il est important que le projet de loi C-2 soit adopté sans amendement pour l'instant. Le comité fédéral de la justice se penche également sur un autre examen de la conduite avec facultés affaiblies.

La présidente : Vous parlez du comité de la Chambre des communes?

M. Murie : Oui. Je suis allé témoigner devant le comité la semaine dernière. Ce sera l'occasion pour certains intéressés de se réunir. Il est vrai que ces deux amendements que nous avions présentés au comité de la justice de la Chambre des communes au départ sont importants; nous pourrons y revenir à l'avenir et examiner les conséquences d'une prise d'échantillons par d'autres techniciens que des médecins au fur et à mesure que le projet de loi C-2 sera appliqué et que nous pourrons constater ce qui s'impose comme améliorations.

La présidente : Enfin, je constate que la défense Carter vous irrite en particulier et c'est très clair comme c'est tout à fait compréhensible. Toutefois, en vertu des dispositions du projet de loi, peut-on imaginer que les choses sont allées trop loin, car la seule défense à la disposition d'un accusé est sa réussite à prouver que l'équipement utilisé était défectueux? Sans revenir sur tous les détails de l'affaire Carter, qui permet de dire, sans preuve à l'appui : « Non, non, je n'ai rien fait de tel », cela annihilant toutes les autres preuves, ne pensez-vous pas qu'il serait bon de trouver un juste milieu permettant à l'accusé de présenter d'autres preuves pertinentes et vérifiables à sa décharge?

M. Murie : Je dirais que non.

La présidente : Et pourquoi?

M. Murie : L'affaire Carter au départ portait sur un échantillon de sang qui n'avait pas été étiqueté correctement. C'est une preuve contraire. C'est légitime. C'est comme si l'analyseur d'haleine n'avait pas été calibré correctement ou si l'agent de police n'avait pas été formé comme il se doit. À l'avenir, la possibilité de présenter des preuves contraires existera toujours.

Il faut savoir que la personne qui invoquerait l'affaire Carter est une personne qui a présenté des signes manifestes d'ébriété, sur la route, de sorte que l'agent de police avait un soupçon raisonnable d'administrer l'alcootest routier. Ce dernier se révélant positif, les deux autres tests se révèlent probants. Tout cela est administré avec un matériel sophistiqué. Si donc tout cela est vrai et administré comme il se doit, la personne, comme dans n'importe quel autre pays démocratique, sera sans doute déclarée coupable de conduite avec facultés affaiblies. Voilà pourquoi l'infraction est inscrite au Code criminel. C'était l'intention du Parlement au départ. Il n'y a pas de demi-mesure en l'occurrence.

La présidente : Vous n'avez pas vraiment répondu à ma question mais vous avez certainement exprimé clairement votre point de vue.

Le sénateur Campbell : Si nous avons tant de renseignements sur les effets de l'alcool, c'est parce que c'est une substance licite, n'en convenez-vous pas? Nous pouvons l'acheter. Nous avons pu l'étudier pendant des années. Ce n'est pas le cas des autres drogues. Je ne préconise pas ici qu'on légalise les drogues mais il n'en demeure pas moins que nous n'avons pas les mêmes possibilités quant à elles. L'infraction est la possession de la drogue et non pas les facultés affaiblies en raison de sa consommation. Reconnaissez-vous que nous en sommes là aujourd'hui? En outre, il y a le fait que toutes les drogues ne se métabolisent pas de la même façon dans notre organisme et que nous savons que l'alcool peut être évacué chez n'importe quel sujet à un rythme de 0,015 à l'heure. Voici ma question : devrions-nous financer plus d'études scientifiques sur, par exemple, les niveaux de THC, de marijuana ou de cocaïne ou sur les dérivés licites utilisés en médecine? Devrions-nous consacrer de l'argent à ces études afin de pouvoir déterminer précisément le niveau d'affaiblissement des facultés ou est-il suffisant de pouvoir reconnaître l'affaiblissement des facultés grâce à l'ERD?

Mme Robertson : Je reconnais qu'il faut absolument que nous fassions plus de recherches dans le domaine des facultés affaiblies par la drogue. Cette faiblesse est en partie attribuable au fait que les technologies n'existent pas, et il y a beaucoup de polytoxicomanie. Il ne fait aucun doute que nous avons besoin de faire plus de recherches pour quantifier les drogues en question et le niveau d'affaiblissement des facultés, mais je pense que le programme d'ERD nous permet déjà de bien connaître l'affaiblissement.

M. Murie : J'appuierais quelque chose que Mme Robertson a dit tantôt. Il faut affecter des fonds aux tests à l'étape du coroner. Lorsqu'un conducteur décède d'un accident de la route, il faut savoir s'il s'agit d'alcool, de drogue ou de polytoxicomanie.

Le sénateur Campbell : Nous le faisons.

Mme Robertson : Nous ne le faisons pas tout le temps. Les taux d'échantillonnage parmi les conducteurs blessés mortellement sont très bas; à peine 20 p. 100 dans certaines administrations.

Le sénateur Campbell : En Colombie-Britannique, nous effectuons des tests de dépistage de drogue systématiquement.

Mme Robertson : Ce n'est pas le cas de toutes les administrations.

Le sénateur Campbell : Je trouve cela surprenant.

Mme Robertson : Tout dépend du genre de collision. Cela nous surprend également mais nous travaillons de concert avec la plupart des bureaux du coroner et, en général, s'ils n'ont aucune raison de faire ce genre de tests, ils ne le font pas.

M. Murie : Dans certaines administrations, s'il n'y a pas un sac de cocaïne sur les genoux de la personne, aucune analyse n'est faite. Nous avons pu faire du chemin avec l'alcool parce que nous avons des données et la preuve. Nous connaissons quel pourcentage cela représente de collisions où il y a des morts et des blessures, donc nous pouvons recommander de bonnes politiques, des mesures préventives et de bonnes mesures législatives.

Le volet ERD vous fournit une excellente preuve dans la recherche d'un plaidoyer de culpabilité dans le système judiciaire, mais cela ne nous aide pas beaucoup dans le domaine de la recherche, ni dans nos tentatives de réduire ces chiffres dans l'avenir. Je crois qu'il faut avoir les deux.

Le sénateur Oliver : La présidente vous a posé une question sur le projet de loi C-2 et la défense Carter, monsieur Murie, et vous avez répondu. À la fin de votre réponse, la présidente a dit que vous n'aviez pas répondu à sa question. J'ai regardé votre mémoire, et le mémoire dit ceci à la page 6 :

Le projet de loi C-2 limitera considérablement la portée des défenses « Carter » et « dernier verre ». Par conséquent, l'application de la loi et les poursuites des cas de conduite avec une alcoolémie de 0,08 p. 100 coïncideront davantage avec les intentions initiales du Parlement.

À la ligne suivante vous dites :

Les modifications proposées permettraient également d'aligner la loi du Canada concernant la conduite avec une alcoolémie de 0,08 p. 100 avec les lois en vigueur dans des démocraties semblables.

N'est-ce pas votre position, et n'est-ce pas la réponse que vous avez tenté de fournir à la présidente?

M. Murie : Oui.

La présidente : En toute franchise, je dis que sa position était très claire, et je lui en étais reconnaissante parce que ce sont des renseignements utiles.

Le sénateur Oliver : Je vous ai entendu dire qu'il n'avait pas répondu à votre question.

La présidente : Et ensuite j'ai dit qu'il avait bien énoncé sa position.

Le sénateur Oliver : De toute façon, la réponse à la question c'est que le projet de loi C-2 constitue un progrès considérable, est-ce que vous aimeriez le voir adopter?

M. Murie : Absolument.

Le sénateur Oliver : Et vous êtes d'accord avec les propos de votre président à cet effet dans la lettre?

M. Murie : Oui.

Le sénateur Oliver : Cette lettre a été consignée au compte rendu.

La présidente : J'aimerais remercier le sénateur Oliver de nous avoir souligné cette partie de votre mémoire parce que cela avait retenu mon intérêt à ce moment.

Monsieur Murie, avez-vous des renseignements, sous forme récapitulative, que vous pouvez nous envoyer sur les lois dans des démocraties semblables? Serait-ce facile à trouver?

M. Murie : Oui, nous en avons et nous pourrons remettre au greffier demain ou après-demain les renseignements portant sur l'Australie, la Nouvelle-Zélande, l'Irlande, la Grande-Bretagne, les États-Unis ainsi que divers autres pays.

La présidente : Si vous le pouviez, ce serait formidable.

M. Murie : Il faut comprendre que lorsque nous assistons à des conférences internationales, et que nous parlons de la défense Carter et de la défense du dernier verre, on se moque de nous parce que c'est inouï et cela leur paraît tellement ridicule.

Mme Robertson : Je travaille avec des procureurs locaux aux États-Unis, et ils sont renversés, bouleversés et étonnés. Étant donné qu'on a tendance à être moins rigoureux parfois aux États-Unis en ce qui concerne les genres de contestations disponibles, ils sont complètement éberlués qu'une défense comme Carter soit permise.

La présidente : Je crois qu'ils ne sont pas les seuls.

L'autre étude à laquelle vous avez fait référence, madame Robertson, portait sur les procureurs de la Couronne. Pouvons-nous l'avoir?

Mme Robertson : Oui. C'est à l'état de projet et passe actuellement par le processus d'approbation. Nous avons sondé plus de 1 000 procureurs de la Couronne et avocats de la défense de toutes les administrations. Comme je l'ai dit, nous avons examiné la preuve contraire. Nous avons présenté une ébauche de rapport à Transports Canada et au Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé, mais je suis certaine que nous pourrions vous fournir une copie de cette ébauche de rapport.

La présidente : Ce serait très intéressant pour nous de l'avoir.

Je vous remercie beaucoup tous les deux. Vous maîtrisez bien les enjeux et vous nous avez été très utiles.

La séance est levée.


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