Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 9 - Témoignages du 21 février 2008
OTTAWA, le jeudi 21 février 2008
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 14 h 2, pour étudier le projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence.
L'honorable Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles poursuit son étude du projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence.
Nous accueillons cet après-midi des témoins de Service correctionnel Canada et de la Gendarmerie royale du Canada.
[Traduction]
Nous souhaitons la bienvenue aux représentants du Service correctionnel du Canada, M. Ross Toller, commissaire adjoint aux Opérations et programmes correctionnels et à M. Ian McCowan, commissaire adjoint, Politiques et recherche. Nous allons entendre le surintendant principal D.C. Doug Reti, directeur général, Services nationaux de police autochtone de la Gendarmerie royale du Canada.
Ian McCowan, commissaire adjoint, Politiques et Recherche, Service correctionnel Canada : Nous allons vous présenter une brève déclaration préliminaire qui a été, je crois, distribuée aux membres du comité. Elle traite essentiellement de la situation actuelle du SCC et de l'effet du projet de loi C-2.
Le SCC a la responsabilité des délinquants condamnés à des peines de deux ans ou plus et il assure également la surveillance des délinquants frappés d'une ordonnance de surveillance de longue durée. Nous contribuons à la sécurité publique par la garde sûre et sécuritaire des délinquants, exercée au moyen de programmes et d'autres interventions destinés à les aider à se réinsérer sans danger dans la collectivité, et par la surveillance des délinquants mis en liberté sous condition.
Le SCC est une grande organisation, responsable de 58 établissements, 16 centres correctionnels communautaires et 71 bureaux de libération conditionnelle, ouverts 24 heures par jour, 7 jours par semaine. En moyenne, le SCC s'occupe chaque jour de 21 000 délinquants, dont environ 12 700 sont incarcérés et 8 400 sont surveil1és dans la collectivité. Nous avons un effectif d'environ 14 500 employés et un budget annuel de 1,9 milliard de dollars.
Notre personnel de première ligne s'acquitte d'un travail important mais difficile, en raison notamment de l'évolution de la population carcérale. Ainsi, depuis dix ans, nous avons constaté, au moment de l'admission, un changement dans la population des détenus. Il y a aujourd'hui un nombre croissant de détenus qui présentent un certain nombre de caractéristiques particulières. Je vais vous en fournir une brève liste.
Un nombre croissant de délinquant ont déjà fait l'objet de condamnations par des tribunaux de la jeunesse ou des tribunaux pour adultes. À l'heure actuelle, neuf délinquants sur dix font partie de cette catégorie. Pour ce qui est des antécédents plus lourds de violence et d'infractions violentes, un délinquant sur quatre purge une peine pour homicide. Il y a davantage de délinquants qui ont des affiliations avec des gangs et avec le crime organisé; une augmentation de 33 p. 100 au cours des dix dernières années. Il y a davantage de délinquants qui ont des antécédents et des problèmes graves de toxicomanie; ils représentent quatre délinquants sur cinq. La surreprésentation des délinquants autochtones s'aggrave, puisqu'ils constituent 19 p. 100 de la population carcérale, alors qu'ils comptent pour moins de 3 p. 100 de la population canadienne.
Enfin, il est important de signaler qu'un nombre croissant de délinquants souffrent de troubles graves de santé mentale, à savoir 12 p. 100 chez les hommes et 26 p. 100 chez les femmes. Sur ce point, j'aimerais souligner que le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a reconnu que le SCC était confronté à des difficultés à cet égard dans son rapport intitulé De l'ombre à la lumière et nous sommes impatients de collaborer avec la nouvelle Commission canadienne de la santé mentale dans ce domaine.
Je vais maintenant passer aux effets du projet de loi C-2. Lorsque le gouvernement propose des changements législatifs, le SCC travaille étroitement avec d'autres ministères, comme le ministère de la Justice, pour évaluer les répercussions probables de ces changements, y compris les coûts. Pour ce qui est du projet de loi C-2, deux éléments seulement ont des répercussions financières pour Service correctionnel du Canada : la proposition relative aux peines minimales obligatoires pour les infractions commises avec des armes à feu et les changements proposés aux dispositions relatives aux délinquants dangereux.
En novembre 2006, le ministre Toews a fait connaitre les répercussions financières des dispositions sur les peines minimales obligatoires du projet de loi C-10 comme il était appelé à l'époque. Je pense que vous avez tous les chiffres devant vous mais, en résumé, après cinq ans, le SCC connaitrait probablement une augmentation de 270 délinquants. Il lui faudrait donc 245 millions de dollars de plus pour ces cinq années, et environ 37,5 millions de dollars en financement permanent par la suite.
Quant aux propositions concernant les délinquants dangereux, le ministre Toews a déclaré qu'il y aurait environ 35 demandes de déclaration de délinquants dangereux de plus par année. Bien évidemment, les demandes ne sont pas toutes acceptées, de sorte que le nombre de délinquants déclarés dangereux serait inferieur à 35, et les coûts globaux seraient considérablement moindres que ceux engagés pour les peines minimales obligatoires, comme je viens de l'indiquer.
Les chiffres précis concernant les coûts relatifs aux délinquants dangereux n'ont pas été publiés. Ils sont encore considérés comme des données confidentielles du Cabinet. Je ne suis donc pas en mesure de vous donner plus de détails sur ces coûts, au-delà des aspects qui ont déjà été rendus public.
Comme vous le savez, les articles du projet de loi C-2 relatifs aux peines minimales obligatoires et aux délinquants dangereux ont été modifies quelque peu depuis novembre 2006 quand le ministre Toews s'est prononcé sur le sujet. Par exemple, dans le cas des peines minimales obligatoires, les répercussions financières seront légèrement réduites.
Le SCC collaborera avec le Conseil du Trésor afin d'obtenir des fonds additionnels seulement une fois que le projet de loi sera adopté; s'il y a lieu de procéder à des ajustements financiers afin de refléter ces changements, il y sera procédé une fois le projet de loi approuvé définitivement.
L'idée essentielle qui ressort de ce que je viens de vous dire est que je peux confirmer au comité que des fonds suffisants ont été alloués au moyen du processus gouvernemental pour tenir compte de l'augmentation de la population carcérale sous responsabilité fédérale si ces deux propositions étaient adoptées. Voici donc les éléments essentiels de nos observations préliminaires. M. Toller et moi serons heureux de répondre aux questions que vous voudrez poser sur ces aspects ou sur d'autres.
Surintendant principal D.C. (Doug) Reti, directeur général, Services nationaux de police autochtone, Gendarmerie royale du Canada : Je vous demande de m'excuser; je n'ai pas de commentaires préliminaires à vous présenter. C'est la première fois que je comparais devant un comité comme le vôtre.
J'étais un peu nerveux lorsqu'on m'a dit mardi que je comparaîtrais devant votre comité, mais depuis que je me trouve dans cette salle, j'ai constaté que c'était une salle autochtone, et je me suis senti mieux. C'est un aspect qui m'a fait plaisir lorsque je suis entré dans cette salle.
Comme je l'ai dit, j'ai appris mardi que j'allais comparaître devant votre comité. Il ne m'a pas été expliqué clairement ce que vous vouliez savoir, mais je respecte beaucoup l'excellent travail que vous accomplissez. Chaque fois que j'ai la possibilité de parler des services de police autochtone et de mon expérience, je le fais.
Je tiens à mentionner que je n'ai pas la réponse ou la bonne réponse aux problèmes que connaissent les services de police autochtone. J'aime toutefois croire que j'ai appris quelque chose pendant les 24 années au cours desquelles j'ai travaillé avec des collectivités autochtones. J'ai déménagé 11 fois pendant ces 24 ans dans 11 collectivités différentes. J'ai travaillé dans deux territoires et dans trois provinces. J'aime à croire que j'ai appris un certain nombre de choses pendant ce temps. J'espère que je pourrais vous communiquer une partie de ces connaissances et vous préciser, si vous le souhaitez, la situation qui existe dans nos collectivités autochtones.
Le sénateur Stratton : Monsieur Reti, vous pourriez peut-être décrire au comité la nature de votre travail. Il est intéressant de savoir que vous avez travaillé pendant aussi longtemps dans les collectivités autochtones. Je me suis rendu dans de nombreuses réserves du Nord, et j'aimerais que vous me donniez une description générale de votre travail et nous dire ce que réserve l'avenir à ces collectivités en particulier
M. Reti : Mon travail actuel consiste davantage à m'occuper de politiques et de stratégie en vue de réaliser une des principales priorités stratégiques de notre organisation, à savoir les services fournis aux collectivités autochtones; plus précisément, assurer la sécurité et la bonne santé des collectivités autochtones.
J'ai consacré toute ma carrière à faire du travail de première ligne auprès des collectivités des Premières nations et des Inuits. Plus récemment, j'ai été officier responsable du détachement Wetaskiwin-Hobbema. Cette collectivité a connu un certain nombre de problèmes et même si elle est située dans une des provinces les plus prospères du Canada, il ne semble pas que les membres de cette collectivité participent à cette prospérité.
Un de nos plus gros défis — et je pense que cela reflète ce que nous constatons partout — vient de certains jeunes. Comme vous le savez, les Autochtones sont surreprésentés dans le système judiciaire. Nos jeunes représentent le secteur de la population carcérale qui augmente le plus rapidement. C'est un groupe qui essaie de trouver sa place parce qu'il a perdu sa culture, sa langue et son identité.
Vous avez parlé de certains défis. J'estime, en tant qu'Autochtone, qu'un des plus gros défis auxquels nous faisons face à l'heure actuelle, vient du fait que cette population croît rapidement, se sent marginalisée jusqu'à un certain point et essaie de trouver sa place dans la société. Sous bien des rapports, nous nous trouvons à une croisée des chemins. Soit nous allons aider ce groupe à trouver sa place, soit il va trouver lui-même sa place. Il va trouver sa place et faire le genre de choses que nous voyons dans l'Ouest du Canada pour ce qui est des activités de gangs et d'autres aspects que mes collègues ont mentionnés.
J'ai démarré une unité de réponse communautaire quand je me trouvais à Hobbema. C'était une unité qui comprenait dix personnes et qui était conçue pour lutter contre la violence, quelle qu'en soit la forme. Dans cette collectivité, les membres de l'unité s'occupaient chacun de 291 dossiers du Code criminel. La moyenne nationale était d'environ 60 dossiers à cette époque. Cela vous donne une idée du travail que nous avions.
J'ai demandé aux policiers qui appartenaient à cette unité de réponse communautaire de réfléchir à des mesures de rechange au système carcéral. La plupart des jeunes dont nous nous occupions ne faisaient peut-être pas partie de gangs lorsqu'ils allaient en prison, mais ils en faisaient partie lorsqu'ils en revenaient. Nous avons connu de graves problèmes à Hobbema. Toutes les semaines, il y avait des jeunes en voiture qui tiraient des coups de feu, ce genre de chose.
De mon point de vue, le groupe des jeunes représente notre plus gros défi. Ils se sentent marginalisés sur plusieurs plans. Ils ne savent pas quelle est leur place dans la société et n'ont pas le sentiment d'en faire vraiment partie. Je pense qu'il faut essayer de les rejoindre et trouver d'autres solutions.
Nous avons mis sur pied un corps de cadet communautaire, et plus de 900 jeunes de cette collectivité se sont inscrits. Les gens nous ont demandé : comment avez-vous fait? Nous n'avions rien fait. Ces jeunes cherchaient une structure et une identité, et ils ont simplement constaté qu'ils pouvaient trouver là ce qu'ils cherchaient. C'était quelque chose dont ils pouvaient être fiers.
Je raconte souvent l'histoire des policiers de notre unité qui ont répondu un jour à un appel. Ils sont entrés dans une maison où il y avait un certain nombre d'enfants. La situation était chaotique et la maison était très en désordre. Les policiers ont demandé : « Pourquoi n'êtes-vous pas à l'école? » Ils ont répondu : « Notre mère voulait qu'on range la maison. » Les policiers ont dit aux enfants qu'ils devaient aller à l'école et ils les ont aidés à ranger la maison. Pendant qu'ils se trouvaient dans la maison, ils ont regardé dans une des garde-robes. Dans tout ce chaos, il y avait un endroit qui était bien rangé et c'était le placard où un des jeunes garçons de la maison avait placé son uniforme de cadet bien plié, avec ses bottes par-dessus. C'était le seul endroit qui était rangé.
Ces jeunes cherchent autres choses que ce qu'on leur offre dans ces collectivités. Vous m'avez demandé quels étaient les défis. C'est peut-être là le défi le plus important.
Le sénateur Stratton : Au cours des voyages que j'ai faits dans ces endroits, j'ai toujours été frappé par l'isolement des ces collectivités. Les collectivités isolées du Nord, en particulier, ne favorisent pas le développement des jeunes. J'ai connu cela pour la première fois à la fin des années 1970 et je ne pense pas que cela ait beaucoup changé aujourd'hui.
J'ai réfléchi et réfléchi, et je suis sûr qu'il y a des gens qui ont beaucoup plus d'expérience que moi qui ont fait la même chose, pour essayer de trouver une solution et assurer l'éducation de ces jeunes et les aider à exploiter leurs possibilités alors qu'ils se trouvent très isolés. Cela me dérange beaucoup qu'on n'ait rien à leur offrir. La première réaction, lorsqu'on voit ces jeunes dans ces régions, c'est de s'inquiéter pour eux, parce que c'est leur avenir, l'avenir de notre pays.
Pensez-vous qu'il existe des possibilités, et comment résoudre ce qui me paraît être le problème de ces collectivités du Nord, à savoir être isolé sans aucune possibilité économique réelle?
M. Reti : Je ne connais pas la réponse. Je viens de la collectivité d'Old Crow, une collectivité isolée du Nord du Yukon. J'ai souvent eu cette discussion avec des collègues, tant Autochtones que non-Autochtones.
J'avais travaillé au Nunavut pendant trois ans, une région où le nombre de suicides chez les jeunes est particulièrement élevé, au point où nous avons été obligés de retirer des policiers de ces collectivités pour leur donner le temps de se remettre d'avoir assisté à toutes ces choses.
J'ai trouvé une différence importante, c'est que dans certaines de ces collectivités, il n'y a pas beaucoup d'espoir. Les jeunes s'investissent beaucoup pour établir une relation avec la collectivité, parce qu'il n'y a pas grand-chose d'autre à espérer.
C'était intéressant. Lorsqu'on parle de suicide, les gens pensent souvent que ces suicides sont associés à la toxicomanie ou à l'alcoolisme. En réalité, nous constations qu'il y avait un échec sur le plan des relations; il n'y avait pas un élément unique qui était la cause de ces suicides mais, la seule chose qui les en dissuadait, c'était qu'il y avait de l'espoir pour eux dans leur collectivité.
J'ai écouté les conversations de ma fille. Elle était avec nous lorsque nous avons habité dans ces différentes collectivités du Nord. Les conversations qu'elle avait avec ses amies dans ces collectivités isolées du Nord étaient très différentes de celles qu'elle avait lorsque nous avons finalement déménagé à Ottawa. C'est la deuxième fois que je me retrouve à Ottawa. Je suis déjà venu ici pour m'occuper des services de police autochtone et du recrutement national.
Ses conversations étaient très différentes. Dans le Nord, elle parlait de ce qu'elle allait faire la fin de semaine et le soir, ce genre de choses. Lorsque nous sommes arrivés ici et qu'elle parlait avec ses amies, elles parlaient de ce qu'elles allaient faire lorsqu'elles iraient à l'université et de ce qu'elles feraient après.
Le seul élément qui me paraît déterminant est que bien souvent, ces collectivités n'ont pas grand-chose à offrir pour ce qui est des perspectives d'avenir. Que vais-je faire après l'école secondaire? À quoi puis-je aspirer?
Lorsque vous avez des collectivités où il y a des gangs, à quoi pouvez-vous aspirer? Vous aspirez à devenir membre d'un gang. Cela devient un cercle vicieux. Pourquoi est-ce qu'un jeune ne deviendrait pas membre d'un gang, en fait? Cela lui donne un sentiment d'identité et de sécurité, et ce sont là les choses que recherchent les jeunes.
Si vous me demandez quelle est la réponse, je ne peux pas vous dire quelle pourrait être cette réponse unique. J'ai suivi ce processus dans nos collectivités. Lorsque j'arrive dans les collectivités, je ne pense pas à trouver une solution. Je pense plutôt à trouver le processus qui permettra d'en dégager une. Il faut trouver le moyen de faire bouger ces collectivités. Elles doivent s'approprier les différents problèmes qu'elles connaissent. Il arrive si souvent que les gens de l'extérieur viennent nous dire ce que la collectivité doit faire. Bien souvent, il faut plutôt chercher ces réponses dans la collectivité. Nous ne prenons pas le temps de les chercher là. Je suis sincèrement convaincu que les réponses sont là.
De mon point de vue, je dirais qu'il y a de l'espoir pour les collectivités autochtones. Lorsque je regarde les jeunes, oui, je vois qu'il y a des problèmes de fonctionnement; mais je vois aussi le côté positif. Il y a davantage de jeunes autochtones qui vont à l'université, qui se préoccupent de leurs études et qui participent à toutes sortes d'activités. Il y a aussi ce côté positif. Tout n'est pas négatif.
Le sénateur Stratton : J'en suis heureux. C'est ce que j'espérais entendre, parce que l'avenir, je crois, passe nécessairement par l'éducation.
Le sénateur Merchant : Bienvenue aux invités qui se trouvent à notre table et j'aimerais souhaiter la bienvenue à l'agent Moran qui vient de Meadow Lake. Nous sommes très heureux de vous avoir avec nous. L'agent Moran est un analyste des politiques et des programmes ici, à Ottawa, en ce moment.
J'aimerais poser une question très précise. J'aimerais la poser à M. Reti parce qu'il est Autochtone et a travaillé avec son peuple. Quel est l'effet de la désignation de délinquant dangereux sur la population autochtone? Je pense que les chiffres concernant la Saskatchewan sont terribles. Le pourcentage national des Autochtones dans les prisons est de 21 p. 100. En Saskatchewan — je parle de l'année 2003-2004, mais je crois que ce chiffre n'a pas changé — 80 p. 100 des personnes admises dans des établissements provinciaux pour adultes étaient des Autochtones; 58 p. 100 des Autochtones récidivent dans les quatre ans, et près de la moitié d'entre eux sont réadmis en prison après moins d'un an.
Les changements qu'apporte le projet de loi C-2 vont-ils avoir un effet équitable sur les Autochtones? Pouvez-vous nous parler de libération conditionnelle et de la possibilité d'obtenir la réhabilitation pour les délinquants dangereux?
M. Reti : Je ne connais pas très bien les dispositions relatives aux délinquants dangereux. J'en ai lu une partie et j'en connais donc les grandes lignes. À première vue, je dirais, comme policier, que cela semble être une bonne approche. L'application de la loi et l'emprisonnement ont un rôle à jouer dans la société, cela est certain. Ces mesures ont pour effet de protéger la collectivité.
En tant qu'Autochtone, je crains que les mesures prises viennent désavantager, encore une fois, un groupe de personnes qui est déjà désavantagé. C'est une préoccupation constante.
Les dispositions législatives ne constituent qu'un seul élément. L'application de la loi n'est qu'un des aspects de l'action de la police. Il est tout aussi important de viser les interventions précoces et les signalements précoces. Comme le disent toujours les agents de police, lorsqu'un jeune vient d'avoir 12 ans et qu'il faut porter des accusations contre lui, on peut dire qu'il est déjà trop tard. Je ne dis pas qu'il est trop tard, mais nous disons souvent que, lorsque les rapports en sont arrivés à ce point, lorsqu'ils font l'objet d'une intervention de la part de la police, il est évident qu'il faut faire quelque chose à l'égard de ces jeunes.
Il existe un certain nombre de stratégies, l'éducation, la sensibilisation, l'intervention précoce et la déjudiciarisation. Pour ceux qui représentent un risque élevé, alors les aspects « mesures législatives » et « application de la loi » sont importants. Il n'y a pas de réponse unique. Je ne dis pas que cela ne marchera pas. Je ne dis pas non plus que cela donnera des résultats. Il faut que cela suive son cours. C'est un système qui doit travailler de concert avec les autres acteurs parce qu'il n'y a pas une seule mesure qui permette de s'attaquer à ces différents problèmes.
Je demande à nos policiers d'étudier quels sont les mesures de rechange au système carcéral, comme l'intervention et l'action de la collectivité. Que pouvons-nous faire avec ce contrevenant? Je sais que le SCC examine souvent différents types d'approches lorsque ces jeunes se retrouvent dans un établissement. Pê Sâkâstêw à Hobbema est un exemple de cas où des mesures ont été prises pour rétablir les liens entre les délinquants et leurs racines, et leur spiritualité, notamment. Il y a là des choses importantes. Je regarde toujours ce que fait le SCC. De plusieurs façons, ce service a ramené la spiritualité dans de nombreuses collectivités. Je me suis rendu très souvent à Pê Sâkâstêw, et j'ai constaté que l'on offrait d'excellents programmes dans cet établissement. Il n'y a pas une seule approche qui donne de bons ou de mauvais résultats. C'est un ensemble et c'est une approche intégrée.
Le sénateur Merchant : J'apprécie votre réponse. Je souscris à la plupart des choses que vous avez dites, mais lorsqu'on parle de déclaration de délinquants dangereux, je crois que cela touche lourdement les peuples autochtones des Premières nations. La libération conditionnelle est une décision discrétionnaire et il est très difficile pour un délinquant dangereux d'obtenir une telle libération. Le détenu qui souhaite obtenir sa réhabilitation peut la demander lorsqu'il a fini de purger sa peine, mais un délinquant dangereux n'a jamais fini de purger sa peine.
Pour obtenir une réhabilitation, il faut avoir un peu d'argent. Il faut que des spécialistes se portent garants de vous. La disposition du projet de loi qui renverse le fardeau de la preuve constitue un obstacle. J'aimerais que quelqu'un nous dise si, avec ce projet de loi, la situation des Autochtones sera plus difficile. Il faut leur donner de l'espoir. Un délinquant dangereux n'a plus d'espoir.
Ross Toller, commissaire adjoint, Opérations et programmes correctionnels, Service correctionnel Canada : Je vais prendre quelques minutes pour décrire notre rôle au sein du système de justice pénale. Comme cela a été noté ici, nous accueillons les gens qui nous sont envoyés. En moyenne, 20 à 25 délinquants dangereux sont admis dans notre système chaque année. Un délinquant dangereux est admissible à la libération conditionnelle après sept ans.
Concentrons-nous sur le point de vue des Autochtones que vous examinez ici. Vous ne savez peut-être pas que la population carcérale autochtone a commis beaucoup plus de crimes violents que les autres.
D'une façon générale, les taux de criminalité dans les réserves sont trois fois plus élevés qu'hors réserve. La violence conjugale, comme cela a été mentionnée ici, est trois fois et demie plus fréquente dans les réserves. Le nombre des homicides, les cas d'infractions commises sous l'effet de l'alcool ou des drogues par les Autochtone sont sensiblement plus élevés, près de 10 fois plus. Quant aux jeunes contrevenants, ils ont tendance à exercer différents types d'activités criminelles; ces activités sont exercées par 50 p. 100 de ce groupe contre 39 p. 100 chez les non-Autochtones. Quatre- vingt pour cent du groupe autochtone a commis un crime violent alors que ce pourcentage est de 67 p. 100 pour les non-Autochtones. Pour les Autochtones de sexe féminin, ce pourcentage est de 76 p. 100, alors qu'il est de près de 49 p. 100 pour les non-Autochtones.
Nous recevons donc des délinquants qui sont beaucoup plus violents et chez qui l'on retrouve un bon nombre des facteurs mentionnés par M. McCowan pour ce qui est de l'appartenance aux gangs. D'une façon générale, 27 p. 100 des détenus autochtones admis dans nos établissements étaient membres d'un gang à leur arrivée contre 13 p. 100 pour les non-Autochtones.
Quel est le rôle qui est le nôtre au sein du système correctionnel? Nous procédons à une évaluation initiale individuelle. Nous prenons en compte l'infraction qui a été commise. Nous examinons les facteurs aggravants ou atténuants pour bien gérer ces personnes dans le système.
Nous sommes en fait fiers du fait que nous prenons en considération un certain nombre de facteurs particuliers aux Autochtones qui méritent d'être mentionnés ici. Dans le contexte des facteurs atténuants, nous examinons les antécédents en matière de pensionnat : y a-t-il lieu de prendre en compte les éléments reliés aux pensionnats qui constituent des facteurs atténuants ou aggravants? Parmi les facteurs qui expliquent le chômage, y en a-t-il qui sont dus à un manque d'accès à des possibilités d'emploi?
Nous tenons compte de l'absence d'éducation et même, dans certains cas, c'est un aspect qui est reconnu comme n'étant pas pertinent — comme vous le savez, dans notre société traditionnelle, nous attachons une grande importance à l'éducation. Dans certaines collectivités du Nord, l'éducation officielle n'est pas considérée comme étant aussi importante que l'éducation traditionnelle. Y a-t-il des antécédents de discrimination, des sanctions réparatrices qui ont été prises dans diverses réserves ou collectivités? Le détenu en question a-t-il suivi des enseignements autochtones de la part des Anciens et a-t-il vécu dans une réserve ou à l'extérieur d'une réserve?
Au départ, nous examinons les Autochtones qui sont admis dans le système correctionnel d'un point de vue autre que le point de vue traditionnel utilisé pour les non-Autochtones. À partir de là, nous agissons dans un certain nombre de domaines importants. Je vais parler un peu plus, si le temps me le permet, des pavillons de ressourcement. Pour tenir compte de cette situation, nous avons pris des initiatives dans certains domaines qui appellent la participation des Anciens. Nous envisageons le recours aux Anciens, dans un rôle de guide et de chef, même dans la planification correctionnelle, pour les détenus qui souhaitent suivre un chemin traditionnel. Lorsqu'un détenu autochtone est admis dans notre système, nous demandons aux Anciens leurs conseils et leurs commentaires sur la façon de bien gérer ces détenus. Nous avons maintenant des agents de liaison autochtones dans la collectivité. Ce sont des gens qui travaillent dans la collectivité, qui tiennent compte des besoins et des antécédents uniques des détenus, tant dans l'établissement que dans la collectivité, de façon à comprendre leurs difficultés et à y répondre.
Nous avons des agents de programmes correctionnels autochtones qui sont d'origine autochtone et qui s'occupent d'offrir des programmes adaptés culturellement. Bien évidemment, c'est une question importante pour nous. Les « Sentiers autochtones » est une expression qui désigne la gestion d'unités spéciales de nos établissements à sécurité moyenne. Nous avons trois unités dont les détenus ont choisi de suivre une voie traditionnelle. Si vous venez dans un de nos pénitenciers, vous constaterez que cette unité est très différente des unités habituelles, puisque les Anciens participent directement à des cérémonies spirituelles et de purification par la fumée. Comme l'a signalé M. Reti, le pavillon de ressourcement est une de ces unités. Il y en a d'autres, dont une est destinée aux femmes. Là encore, il s'agit de créer un environnement adapté aux Autochtones pour répondre à leurs besoins culturels.
Je tiens à faire remarquer qu'après le système de justice pénale, la phase d'incarcération offre de nombreuses possibilités.
Le sénateur Di Nino : Existe-t-il une différence importante entre les Autochtones qui viennent de la ville ou d'une collectivité et ceux qui viennent d'une réserve?
M. Toller : Oui, je peux faire un bref commentaire. Je dois bien sûr généraliser, mais dans certains cas, nous constatons que ceux qui viennent des réserves n'ont pas participé activement à des cérémonies culturelles ou spirituelles. Toutefois, nous constatons souvent que ces Autochtones sont sensibles à l'intervention des Anciens et nous avons parfois connu des succès avec eux. J'ai parlé des pavillons de ressourcement. Nous avons des études qui démontrent que les personnes qui acceptent de vivre dans cet environnement, ainsi que dans les unités Sentiers autochtones que j'ai mentionnées, obtiennent d'excellents résultats.
Nous agissons également dans les collectivités urbaines. Il y a une dichotomie parce qu'il y a des Autochtones qui souhaitent quitter la réserve pour aller vivre dans un environnement urbain. Nous collaborons activement avec les collectivités urbaines pour résoudre les problèmes particuliers aux Autochtones. Habituellement, nous constatons que l'origine des détenus est un aspect secondaire par rapport au choix de la voie qu'ils souhaitent suivre; autrement dit, par rapport à l'intérêt manifesté pour vivre dans une unité de cheminement autochtone.
Le sénateur Di Nino : Chaque jour, il y a 21 000 délinquants, dont 8 400 se trouvent dans la collectivité. Qu'entendez- vous par « dans la collectivité? » S'agit-il de libérés conditionnels?
M. Toller : Oui, divers types de libération conditionnelle, semi-liberté, libération conditionnelle totale ou libération d'office. Certains font l'objet d'une ordonnance de surveillance à long terme dans la collectivité. Pour simplifier, cela veut dire que les détenus qui se trouvent dans la collectivité continuent à purger leur peine et doivent respecter un certain nombre de conditions.
Le sénateur Di Nino : Je suis convaincu qu'il faut adopter le projet de loi C-2 pour améliorer la sécurité de la population, mais une des principales responsabilités de notre société est de faire de ces détenus des membres productifs de la société.
J'aimerais que vous me parliez des interventions sur le plan du comportement, de la formation générale et professionnelle, du traitement des délinquants sexuels et du traitement de la toxicomanie et de l'alcoolisme. Quels sont les programmes existants qui permettent d'enseigner un métier au détenu ou qui leur offrent la possibilité de se trouver un emploi dans la collectivité lorsque nous les libérons.
M. Toller : Madame la présidente, je vous promets d'être bref. C'est une autre réponse qui prendrait une heure.
Le sénateur Di Nino : Donnez-moi trois minutes seulement.
La présidente : Évidemment, nous nous intéressons aux détails, mais il est également évident que nous devons respecter les contrainte de temps, de sorte qu'il serait peut-être bon de vous rappeler que vous pouvez dire : « Voici les cinq points essentiels, mais je vous enverrai ensuite des données au sujet des 18 autres ».
Le sénateur Di Nino : Faisons-nous quelque chose dans ce domaine et, si c'est le cas, faisons-nous du bon travail? Avons-nous suffisamment de ressources? Nous efforçons-nous de réinsérer ces détenus dans la collectivité le plus rapidement possible, en obtenant les meilleurs résultats possibles?
M. Toller : Oui, nous ciblons les comportements criminogènes, les raisons pour lesquelles la personne a été incarcérée. Nous intégrons ensuite ces aspects dans les divers programmes. Vous avez parlé de délinquants sexuels, d'alcoolisme et de toxicomanie graves, de violence familiale et conjugale. Si vous voulez davantage de détails, nous nous engageons à vous fournir les différents éléments de ces programmes. Il s'effectue une transition naturelle vers la collectivité. Nous essayons de faire en sorte que les programmes comportent des composantes de suivi dans la collectivité à différents niveaux.
En ce qui me concerne, les ressources sont toujours insuffisantes, parce que nous essayons toujours de cibler nos interventions. Il est vrai que l'immense majorité des délinquants retournent dans la collectivité. À mon avis, c'est en travaillant en collaboration avec la collectivité que nous pouvons le mieux assurer la sécurité de la population.
Les détenus sont-ils obligés de suivre ces programmes?
M. Toller : Ils ne sont pas obligés de le faire. Ils sont en droit de refuser de participer aux programmes, mais cela veut alors dire, bien sûr, que ces détenus ne suivent pas leur plan correctionnel. Il est en effet peu probable qu'un détenu qui n'a rien fait pour modifier son comportement criminogène obtienne une libération conditionnelle. Il y a de plus en plus de délinquants qui ne sont pas motivés, et nous essayons de susciter leur intérêt et de les faire participer à différents types de programmes.
Le sénateur Di Nino : Quel est le pourcentage de ceux qui ne participent pas à ces programmes?
M. Toller : Il est faible. Je n'ai pas le chiffre exact, mais je dirais qu'il est inférieur à 10 p. 100.
M. McCowan : La population carcérale se modifie légèrement et cela pose un problème, parce qu'il y a de nombreux délinquants qui purgent des peines de courte durée et un grand nombre d'autres qui purgent des peines de longue durée. Une des difficultés consiste à amener les personnes qui ont été condamnées à une peine de courte durée et qui, par conséquent, ne demeureront pas très longtemps dans l'établissement, à participer à des programmes. Ce sont des gens qui peuvent tout simplement attendre la fin de leur peine, je ne sais pas comment le dire autrement, parce qu'ils ne vont pas rester longtemps avec nous; nous disposons par conséquent de peu de temps pour intervenir avec succès ou leur offrir des programmes efficaces. Cela constitue un défi qui vient s'ajouter aux autres défis dont a parlé M. Toller.
Le sénateur Di Nino : J'imagine que le fait de participer ou de ne pas participer à un programme est un élément qui est pris en compte pour l'attribution de la libération conditionnelle. Est-ce bien exact?
M. Toller : C'est effectivement un élément important.
Le sénateur Andreychuk : Nous parlons de questions fondamentales qui touchent nos services de police et nos services correctionnels ainsi que nos collectivités autochtones, des aspects qui dépassent largement le cadre du projet de loi C-2. Mais il faut bien que ce dialogue se poursuive et cela n'est pas mauvais. Nous allons essayer de respecter votre horaire.
Monsieur le surintendant principal, je vous remercie d'avoir redit qu'il est peut-être trop tard pour intervenir auprès des jeunes de 12 ans qui exercent déjà des activités criminelles. J'ai aimé votre commentaire selon lequel nous ne verrions peut-être pas des enfants autochtones de 12 ans dans les centres correctionnels si nous avions commencé à leur fournir plus tôt de l'espoir et une éducation. J'admets également qu'il y a lieu d'examiner les relations interpersonnelles et les problèmes de santé mentale. Il serait bien préférable de commencer à le faire lorsque les enfants sont jeunes plutôt que d'attendre qu'ils aient 15, 20 ou 25 ans. Il me paraît souhaitable de souligner constamment cet aspect, en particulier dans notre collectivité autochtone. Qu'il s'agisse de collectivités isolées ou non, vous avez cerné les problèmes auxquels nous devons nous attaquer.
J'ai déjà travaillé au sein du système judiciaire et j'ai bien souvent constaté que ces aspects dépassaient le cadre du système de justice pénale. J'ai donc été amené à parler directement de ces questions avec des chefs autochtones, au sujet d'un enfant qui commettait des infractions. Je leur demandais que pouvons-nous faire?
Cela me ramène à l'idée que, quelle que soit l'échelle retenue, la collectivité autochtone est surreprésentée dans le système de justice. Le projet de loi C-2 traite cependant des délinquants violents et récidivistes. On nous a donné des chiffres ce matin selon lesquels 90 p. 100 de ces infractions — je ne me souviens pas s'il s'agissait de récidivistes ou d'infractions violentes — étaient des infractions sexuelles.
Dans vos services de police autochtone, voyez-vous des différences dans ce que demande le reste de la collectivité autochtone à l'égard des délinquants violents récidivistes?
On m'a dit qu'en Saskatchewan, les délinquants autochtones étaient surreprésentés dans le système mais que les victimes autochtones étaient également surreprésentées, parce qu'il s'agit toujours de questions conjugales ou communautaires. Quand il s'agit de ce groupe restreint de délinquants violents, dangereux et récidivistes, bien souvent sexuels, les collectivités demandent à être protégées et elles souhaitent que l'on fasse quelque chose avec ces personnes, tout comme je le fais dans mon propre domaine. La solution consiste-elle à les isoler de la collectivité puisqu'il s'agit de délinquants dangereux et multirécidivistes et d'appliquer ainsi la solution que nous appliquons à ces mêmes délinquants dans notre collectivité?
M. Reti : Certaines collectivités subissent les répercussions des pensionnats et les conséquences que cela a eues sur ces collectivités. Malheureusement, ces répercussions continuent à se faire sentir dans ces mêmes collectivités, et il y a des Autochtones qui agressent d'autres Autochtones. Il y a malheureusement des membres de notre collectivité qui ne sont pas prêts ou disposés à guérir ces blessures et c'est la raison pour laquelle ils font encore des victimes. Malheureusement, il y a des pédophiles qui font d'autres victimes dans la collectivité. J'ai dit à des membres de ma famille qu'il y avait des collectivités où il était difficile de trouver de jeunes enfants qui ne risquaient pas d'avoir été agressés sexuellement.
C'est un phénomène très grave que connaissent nos collectivités et il n'y a pas de solution unique à ce problème. Parfois, la collectivité doit exclure les personnes qui choisissent de victimiser d'autres membres de la collectivité pace qu'il y a des jeunes qui ne peuvent pas se défendre.
L'autre aspect est que ces personnes devront néanmoins revenir dans la collectivité à un moment donné. Si on les isole de la collectivité, il faut alors se poser la question suivante : Que fait-on pour assurer leur réinsertion dans la collectivité? C'est un aspect tout aussi important; c'est le travail qu'effectue le SCC ou le système carcéral provincial à l'égard de l'agresseur pour qu'il puisse réintégrer la collectivité, parce qu'inévitablement, il devra y retourner.
J'ai participé à un atelier avec un certain nombre de jeunes qui ont survécu aux pensionnats et nous avons parlé de cette question. Avec la Commission de la réconciliation et de la vérité, il ne s'agit pas uniquement de parler de ceux qui ont été agressés dans les pensionnats, mais il faut également parler des agresseurs qui vivent dans leur collectivité et qui constituent aujourd'hui un danger pour leur collectivité, ainsi que des bouleversements et du chaos qu'entraînera le fait de parler de ces choses. Il y a des collectivités dont les membres entretiennent des liens très étroits et il faut tenir compte du fait que nous parlons de nos oncles et de nos tantes et que ce pourraient être des Anciens respectés dans notre collectivité.
Je ne pense pas que les gens comprennent vraiment l'étendue des répercussions qu'a eues le système des pensionnats dans nos collectivités et du chaos que cela a entraîné. Il y a des endroits en Saskatchewan et dans l'Ouest du pays où on le constate encore tous les jours. Nous voyons les effets de la revictimisation dans les rues de Regina, de Winnipeg et d'Edmonton, et cela constamment.
J'espère que j'ai répondu à votre question.
Le sénateur Andreychuk : Effectivement et c'est une réponse utile. Les Autochtones sont surreprésentés dans la population carcérale mais nous devrions envisager d'autres peines qui visent la réinsertion et cela figure dans le Code criminel, à savoir, tenir compte de l'origine autochtone de l'accusé avant l'envoyer en prison.
Le fait que la majorité des personnes qui se retrouvent devant les tribunaux ne sont pas violents me préoccupe. Ces personnes se retrouvent là à cause d'autres articles du Code criminel, et je ne dis pas qu'elles n'ont pas été déclarées coupables en respectant les formes. Ce sont en fait les délinquants violents récidivistes chroniques qui constituent le problème. Il y a non seulement les pensionnats, mais il y a aussi l'idée des gangs. Les relations entre les gangs constituent un phénomène. J'ai grandi en Saskatchewan et il y avait de nombreuses réserves à proximité; ce n'était pas un phénomène à cette époque. Il y a beaucoup d'Anciens qui me disent que cela semble être un phénomène « moderne ». Comment peut-on s'attaquer à ce problème?
M. Reti : Nous le voyons de plus en plus, en particulier au Manitoba et je crois, un peu en Saskatchewan. Les gangs ne sont pas un phénomène qui touche uniquement les grands centres. Il y en a maintenant dans les petites collectivités. Je me trouvais, il y a plus de 15 ans, dans une collectivité d'Island Lake, au Manitoba, dont la population venait de doubler. C'est une collectivité de 9 000 personnes, une communauté isolée qu'on ne peut atteindre que par avion. Je me souviens qu'un spécialiste des gangs est arrivé la collectivité et il a dit, « Il y a des graffitis dans la collectivité ». Je me suis mis à rire et j'ai dit « Il n'y a pas de gang dans la collectivité ». Je ne savais pas qu'il y avait des jeunes qui allaient à l'école dans le sud et qui subissaient ce genre d'influence. L'école locale ne donnait des cours que jusqu'en dixième année et ensuite, les élèves allaient étudier dans le Sud. Ils revenaient ensuite dans leur collectivité mais certains d'entre eux avaient été envoyés en prison et étaient devenus des membres d'un gang et conservaient ce statut dans la collectivité. On peut presque dire aujourd'hui que cela menace la gouvernance dans certaines collectivités. La grande différence entre les activités d'un gang dans une petite communauté et dans une grande est que dans les petites, ces activités touchent de beaucoup plus près le tissu social et la gouvernance. Lorsque je parle aux gens de bonne gouvernance dans les collectivités, il faut que je parle des gangs parce que ces questions sont inextricablement liées. Il faut assurer la sécurité de la population parce que les jeunes ne peuvent pas apprendre, les parents ne peuvent pas élever leurs enfants et les chefs ne peuvent pas diriger leur collectivité lorsqu'il y a le chaos.
Le sénateur Cowan : Nous disposons de certains éléments qui indiquent, comme l'ont affirmé un certain nombre de témoins, que les peines minimales obligatoires auraient un effet disproportionné sur les Canadiens autochtones. Ces témoins ont affirmé que la menace de recevoir une peine minimale n'avait aucun effet sur les causes profondes de la criminalité des Autochtones et allaient simplement avoir pour effet d'augmenter le nombre d'Autochtones qui sont envoyés en prison pour des périodes de plus en plus longues. Cette citation est tirée de l'exposé de Jonathan Rudin des Aboriginal Legal Services of Toronto. Je suis sûr que vous le connaissez. Hier matin, M. Roberts, professeur de criminologie de l'Université d'Oxford et l'Association du Barreau canadien nous ont présenté des points de vue semblables.
Ma question comporte deux parties. Premièrement, pensez-vous que les peines minimales obligatoires ont un effet dissuasif? Deuxièmement, le Code criminel prévoit déjà des peines minimales obligatoires et nous cherchons à en élargir la portée. Pensez-vous que cela aura un effet disproportionné sur les Canadiens autochtones, si c'est le cas, pourquoi et si ce n'est pas le cas, pourquoi?
M. Reti : Nous savons déjà que les Autochtones sont plus fréquemment inculpés ou plus fréquemment emprisonnés. On dit dans certaines collectivités qu'un jeune Autochtone a plus de chance de se retrouver en prison que de terminer ses études secondaires. J'imagine que logiquement, l'étape suivante consiste à dire que les Autochtones risquent plus que les autres d'être déclarés délinquants dangereux. Est-ce que les peines obligatoires, les peines plus longues ont un effet sur les Autochtones à titre de mesures dissuasives? Je suppose que cela peut avoir un effet dissuasif sur certaines personnes. Pour la plupart des autres, je ne pense pas que cela ait un effet. Quand on se fiche de ce qui peut arriver, on n'a aucune estime de soi ni identité; rien n'est important. Je ne pense pas que cela aurait un effet important. Peut-être avec certains, mais avec beaucoup d'autres, cela n'aurait aucun effet. Il y a beaucoup de gens dans nos collectivités qui ne se soucient absolument pas de ce qui peut leur arriver.
Pour vous donner un exemple, lorsque nous essayons d'amener les délinquants autochtones à reprendre contact avec leurs racines, nous utilisons parfois les accusations portées contre eux et ce genre de choses. Mais pour de nombreux délinquants autochtones, cela n'a aucun effet. Peu leur importe d'avoir un casier judiciaire parce qu'ils peuvent quand même obtenir un travail dans les collectivités en ayant un casier judiciaire. Si je n'ai aucun but dans ma vie et que je peux, de toute façon, avoir du travail, qu'est-ce que cela veut dire, en fin de compte? Pour certains, cela a un effet, mais pour l'immense majorité, je ne pense pas que cela ait un effet.
Le sénateur Cowan : Monsieur McCowan, le projet de loi C-2 prévoit un certain nombre de peines minimales d'un an de prison et cela aurait un effet sur la population carcérale provinciale. Quelles discussions avez-vous eues avec vos homologues provinciaux et territoriaux au sujet de l'augmentation prévue?
M. McCowan : Je vous répondrai en vous disant que, s'il y a eu des discussions, elles ont eu lieu avec le ministère de la Justice du Canada. Nous n'y aurions pas participé directement. Nous avons examiné la question des peines minimales obligatoires du point de vue du fonctionnement de notre organisation.
Le sénateur Cowan : Savez-vous s'il y a eu des discussions?
M. McCowan : Je ne suis pas au courant des discussions que mes collègues du ministère de la Justice ont pu avoir. Il est possible qu'il y en ait eu, mais je ne suis pas au courant.
Le sénateur Cowan : Savez-vous s'il y a eu des transferts de fonds entre les gouvernements au sujet de cette situation?
M. McCowan : C'est possible, mais je ne le sais pas.
Le sénateur Cowan : Monsieur Toller, lorsque vous avez témoigné en novembre 2006 devant le comité de la Chambre des communes qui examinait le prédécesseur de ce projet de loi, vous avez exprimé certaines inquiétudes au sujet du manque de locaux carcéraux, compte tenu du nombre des Autochtones qui se trouvent dans le système et du nombre des Autochtones qui vivent dans le Nord ou dans des collectivités isolées. Vous avez exprimé des préoccupations au sujet du manque d'installations carcérales dans ces collectivités. Vous avez dit qu'il n'y avait aucun centre de détention fédérale au Nunavut et qu'un établissement situé à proximité de Toronto avait été conçu spécialement pour accueillir les délinquants du Nunavut. Y a-t-il eu des changements depuis que vous nous avez dit cela en 2006? A-t-on construit des établissements?
M. Toller : Non, il n'y en a pas eu au Nunavut. Nous avons mis sur pied un cadre correctionnel pour le Nord avec des fonctionnaires du gouvernement du Nunavut pour examiner la possibilité d'augmenter cette capacité dans les collectivités. Nous avons constaté la nécessité d'augmenter les ressources des collectivités. Certains foyers de transition ont été récupérés par la collectivité mais pour ce qui est d'un véritable établissement, non.
Il y a, au Nunavut, le Centre correctionnel de Baffin à Iqaluit. Nous avons mis en commun un certain nombre de programmes et les avons aidés à moderniser leurs processus et à effectuer un certain nombre d'examens pour les aider dans ce domaine. Cependant, pour ce qui est de la construction d'un établissement, la réponse est qu'il n'y en a pas eu.
Le sénateur Cowan : Est-il prévu d'en construire un?
M. Toller : Pas pour le moment, non.
Le sénateur Oliver : Nous étudions le projet de loi C-2 et nous aimerions savoir comment le projet de loi C-2 va toucher le Service correctionnel du Canada. Le projet de loi contient deux dispositions qui pourraient avoir cet effet. Les peines minimales obligatoires pour les crimes commis à l'aide d'une arme à feu et le projet de disposition relative aux délinquants dangereux. Dans votre exposé général, vous avez décrit votre organisation, votre mission, votre budget, et le nombre des employés qui travaillent dans ce service. Vous avez examiné ces deux dispositions et avez conclu que c'était principalement une question d'argent. L'information que vous possédez au sujet du financement de cette nouvelle augmentation fait encore partie des renseignements confidentiels du Cabinet de sorte que vous ne pouvez nous fournir ces chiffres. Vous avez toutefois déclaré que vous aviez obtenu des fonds.
D'après ce que j'ai compris, dans le budget 2007, on vous a fourni 102 millions de dollars sur deux ans pour que vous puissiez commencer à vous préparer aux conséquences que risque d'entraîner ce projet de loi. Vous nous avez dit que vous alliez utiliser ces fonds pour répondre aux besoins immédiats en matière d'infrastructure, pour commencer à mettre en œuvre une stratégie de santé mentale pour les détenus, pour leur fournir formation et protection, et cetera. Vous avez mentionné que vous étiez satisfait de la création de la nouvelle commission de la santé mentale du Canada et que vous vouliez travailler avec elle.
Étant donné que vous possédez certains renseignements confidentiels du Cabinet au sujet de la possibilité de recevoir davantage de fonds dans le cas où le projet de loi C-2 serait adopté — nous espérons qu'il le sera — quelles sont les principales préoccupations que soulève pour vous le projet de loi C-2?
M. McCowan : Je prends note de votre remarque selon laquelle l'aspect financier n'est qu'un aspect parmi d'autres.
Le sénateur Oliver : Je crois comprendre que cela a été pris en compte dans le budget 2007 et que vous recevrez davantage de fonds mais que cela est confidentiel.
M. McCowan : C'est exact. Cette question comporte deux aspects.
Le sénateur Cowan : Ne dépensez pas tout de suite ces fonds.
M. McCowan : Dans le budget 2007, le gouvernement nous a fourni 102 millions de dollars pour résoudre nos problèmes d'intégrité les plus urgents et les plus critiques. C'est une injection de ressources destinées à stabiliser l'organisation et cela se fait sur deux ans pour permettre un examen indépendant du SCC. Cet examen est achevé et le rapport a été publié en décembre.
Le sénateur Oliver : Il contient 109 recommandations.
M. McCowan : Oui, vous avez raison, et nous attendons la réponse du gouvernement à ce rapport. Pour ce qui est de l'intégrité financière de l'organisation, nous avions reçu grâce au budget 2007 une injection de fonds qui était bien nécessaire et nous attendons la réponse que le gouvernement va apporter aux recommandations du comité indépendant.
Le second aspect concerne les augmentations de coûts susceptibles d'être attribuées à une augmentation de la population découlant de l'application du projet de loi C-2. Ce sont les chiffres que je vous ai fournis au début de mon exposé. Je vous demande de m'excuser si je n'ai pas bien distingué ces deux aspects mais c'est le cadre que je vous ai présenté.
M. Toller souhaite peut-être aborder les aspects non financiers du projet de loi C-2. Il faut replacer cela dans le contexte d'une population carcérale en évolution — davantage de membres de gang, davantage de problèmes de santé mentale.
M. Toller : Certains chiffres concernent la nécessité d'augmenter le nombre de lits tant dans les établissements à sécurité maximale que moyenne, comme nous y avons fait allusion précédemment lorsque nous avons parlé des peines minimales obligatoires. C'est de là que vient ce chiffre; nous avons fait des projections en nous basant sur ce dont le SCC aurait besoin pour tenir compte des changements découlant du projet de loi C-2.
Le sénateur Oliver : Vous êtes une agence correctionnelle et vous reconnaissez l'importance qu'il y ait au Canada des lois qui protègent la population et en assurent la sécurité. Dans ce contexte, êtes-vous tous les trois, d'une façon générale, favorables à l'effet du projet de loi C-2?
M. McCowan : C'est une modification au Code criminel. Je crois savoir que les fonctionnaires du ministère de la Justice vous ont fourni des conseils au sujet des changements proposés au Code criminel.
Le SCC fonctionne à l'intérieur du cadre législatif qui est le sien. C'est le Parlement qui définit notre cadre législatif et nous fonctionnons à l'intérieur de ce cadre, quel qu'il soit.
Le sénateur Oliver : Vous avez un budget de deux milliards de dollars et cet argent vient du gouvernement.
M. McCowan : Oui.
Le sénateur Oliver : Vous dites que tous les jours, vous vous occupez de 21 000 délinquants dont 12 700 environ sont incarcérés. Parmi ces 12 700 détenus, quels sont les pourcentages correspondants à ce que le gouvernement appelle les minorités visibles et les Noirs? Les Noirs sont-ils représentés de façon disproportionnée dans votre système?
M. McCowan : Je crois savoir que cette question a été soulevée à une réunion antérieure du comité et nous pouvons effectivement vous fournir certains chiffres. D'après notre information, qui est fondée sur des données remontant à une semaine environ, il y a environ 7,2 p. 100 de la population carcérale qui est de race noire et 6,0 p. 100 des délinquants surveillés sont des Noirs.
Le sénateur Oliver : Cela donne en tout 13,2 p. 100.
M. McCowan : Ils représentent 7,2 p. 100 de la population carcérale et 6 p. 100 de la population sous surveillance. Ce sont deux populations distinctes.
Le sénateur Oliver : Cela veut-il dire que les Noirs sont représentés de façon disproportionnée?
M. McCowan : Je n'ai pas les chiffres pour l'ensemble de la population canadienne et je ne peux donc pas vous aider à faire des comparaisons entre les Noirs et l'ensemble de la population.
Le sénateur Campbell : Merci d'être venus aujourd'hui. La population carcérale va-t-elle augmenter si le projet de loi projet de loi C-2 est adopté?
M. McCowan : Oui.
Le sénateur Campbell : Vous disposez à l'heure actuelle d'un budget d'environ 1,8 milliards de dollars. Environ 1,5 p. 100 de ce budget, soit 27 millions de dollars, est consacré aux programmes de base. Si je vous ai bien compris, les programmes de base, qui comprennent la santé mentale, les gangs et d'autres aspects du système correctionnel, sont importants, voire essentiels, si l'on veut remettre en liberté dans la société des détenus réadaptés.
J'ai uniquement entendu parler d'une augmentation du nombre de lits et de la taille des établissements. Cela me fait penser à la privatisation du système pénal américain. Je m'inquiète davantage des détenus qui sont libérés. Si 1,5 p. 100 de votre budget est consacré à vos programmes de base, que faisons-nous pour former ces personnes pour les aider à régler les problèmes qui les ont amenés initialement en prison? Que faisons-nous pour les aider à ne pas devenir des délinquants dangereux?
M. Toller : Pour ce qui est des programmes de base, pour ce qui est des chiffres qui sont parfois cités dans différents milieux et par différents groupes, je peux vous dire que nous affectons 37 millions de dollars aux programmes de base. Ce chiffre comprend la rémunération des agents qui offrent directement ces programmes. Il y a en plus les budgets de santé mentale qui comprennent des fonds pour les soins infirmiers psychiatriques et les travailleurs sociaux. De plus, il y a la gestion des cas, la réadaptation, la psychologie et la psychiatrie. J'estime qu'il y a lieu d'élargir cette notion de programme, si vous le permettez. Je pense que le BEC a parlé de 27 millions de dollars, mais ce chiffre est en fait de 37 millions de dollars.
La remarque que vous avez faite au sujet des programmes est extrêmement importante. Bien évidemment, le Service correctionnel a pour but de corriger le comportement des détenus. Lorsque nous avons présenté, il y a quelques temps, un exposé devant un comité au sujet des peines minimales obligatoires, nos hypothèses de coût concernaient également les programmes. Il ne s'agissait pas seulement du nombre de lits mais également du genre de délinquants qui seraient admis et de la façon de répondre à leurs besoins, comme vous l'avez dit, aussi bien au début qu'à la fin.
Pour le SCC, l'essentiel est évidemment la sécurité de la population. Tous les jours, dans tous les établissements, il y a des détenus qui reçoivent une formation; certains suivent des programmes pour toxicomanie, pour la gestion de l'agression, de la colère et d'autres pour la violence conjugale et familiale. Le volet programme est un élément essentiel de la sécurité de la population et il est inclus dans toutes nos hypothèses de coût.
Le sénateur Campbell : Les outils utilisés pour évaluer le risque et les besoins sont-ils validés? Je vais vous donner un exemple. Un témoin nous a dit qu'il existait des éléments indiquant qu'avec certains outils, on continuait à établir des classifications sécuritaires plus élevés que nécessaires et que, par conséquent, certains délinquants, en particulier les femmes et les délinquants autochtones, étaient placés dans des établissements ayant un niveau de sécurité supérieur à ce qu'exigeait la situation.
Comment validez-vous ces outils pour éviter que ce genre de chose arrive à ces deux groupes?
M. McCowan : Je peux vous répondre brièvement en disant que nous validons constamment nos outils, qui sont de nature empirique. Notre service de recherche les examine régulièrement pour veiller à ce qu'ils donnent les résultats qu'ils doivent donner. Par exemple, pour ce qui est des délinquants autochtones, nous avons déjà travaillé sur cet aspect; nous allons poursuivre ce travail cette année car cela fait partie de notre programme de recherche de cette année. Jusqu'ici, les résultats montrent que nos outils permettent effectivement d'évaluer le risque que pose l'ensemble des détenus, y compris les délinquants autochtones; nous nous posons constamment la question suivante : étant donné que la population carcérale est en évolution constante, avons-nous les bons outils? Ces outils sont-ils toujours valides? Ces outils sont-ils toujours un guide efficace pour ce qui est d'évaluer la sécurité de la population?
M. Toller : J'ai parlé, il y a un instant, de cet aspect particulier qui concerne les Autochtones et que nous avons examiné. Nous utilisons effectivement certains outils mais il faut également tenir compte des facteurs généraux que nous prenons en considération. Nous tenons compte de tout, depuis les séjours antérieurs dans les établissements, l'âge au moment de la détermination de la peine, la consommation d'alcool et de drogue, la stabilité du détenu lorsqu'il est en liberté, son appartenance à un gang jusqu'aux périodes antérieures de libération conditionnelle et de mise en liberté. Tous ces éléments sont examinés d'un point de vue clinique et aussi d'un point de vue général pour rechercher les facteurs aggravants et atténuants. Les outils ne sont qu'un des éléments qui nous amènent à effectuer une évaluation.
Comme l'a fait remarquer M. McCowan, nous avons effectivement révisé, il y a quelques années, les outils utilisés pour la réévaluation de niveau de sécurité des femmes. Nous sommes encore en train d'examiner, comme cela a été mentionné, les outils d'évaluation utilisés pour les délinquantes. Ces aspects continuent d'être révisés. Il se fait à l'heure actuelle de la recherche à l'échelle internationale sur ce point précis en rapport avec le système correctionnel. Nous avons hâte d'obtenir les résultats de ces études et procéderons à des ajustements si cela est nécessaire.
[Français]
Le sénateur Chaput : D'après les informations qui nous ont été remises, nous savons qu'il y a une surreprésentation de délinquants d'origine autochtone dans nos prisons. Le projet de loi, qui est devant nous, aborde la question d'augmenter les peines pour les délinquants dangereux ainsi que la durée de ces peines, ce qui résulterait en une augmentation de la population carcérale, d'après moi.
Sachant cela et considérant le fait que cette population n'est pas encore prête à guérir, comme vous nous l'avez dit tout à l'heure, comment pouvons-nous penser à mettre sur pied des programmes de réhabilitation pour donner espoir aux Autochtones alors que la guérison n'a même pas encore eu lieu?
Parallèlement à ce type de projet de loi, la recommandation d'un programme spécifique aux besoins de la population autochtone ne serait-il pas souhaitable?
Je lance l'idée comme ça et j'apprécierais votre opinion à ce sujet.
[Traduction]
M. Reti : Sénateur Chaput, je suis d'accord avec vous lorsque vous dites qu'il y a une partie de la population carcérale qui n'est peut-être pas prête à guérir. Cependant, lorsque ces détenus sont en contact avec le système judiciaire, ils vont peut-être se dire que le moment est venu de commencer à guérir. Il est important que nous ayons à la fois des locaux et des programmes appropriés pour les personnes qui prennent cette décision.
Comme je l'ai dit plus tôt, les dispositions législatives et leur mise en application ne constituent qu'un aspect de ces différents problèmes. Les interventions précoces, la déjudiciarisation et tous ces différents éléments doivent être également privilégiés. En particulier, comme mes collègues l'ont mentionné, étant donné que l'on prévoit une augmentation de cette population, il faudra probablement offrir des programmes supplémentaires.
Le sénateur Chaput : Pourriez-vous nous donner des exemples de programmes concrets? C'est-à-dire de ceux qui, d'après votre expérience, donnent de bons résultats avec la population autochtone.
M. Reti : Le genre de choses qui semblent donner de bons résultats et qui paraissent susceptibles de durer dans une collectivité — et là, je parle avant que les délinquants soient pris en charge par le système — sont des programmes auxquels la collectivité participe pleinement et qui va jusqu'à se les approprier. Je parle souvent aux autres policiers de lancer de programmes dans une collectivité, qu'il s'agisse de programmes de prévention de la criminalité ou d'autres activités comme le hockey, par exemple. Je pose toujours la question suivante : qu'allez-vous laisser à la collectivité? Il faut que la collectivité puisse continuer à offrir le programme par la suite.
Lorsqu'on intervient dans une collectivité, il est important que celle-ci prenne en charge ce genre d'activités de façon à ce que, lorsque l'agent de police, ou le fournisseur de services s'en va, le programme ne s'arrête pas. Les programmes qui semblent donner de bons résultats sont étroitement intégrés à la collectivité. Il n'y a pas de solution unique.
Pour vous donner un exemple, nous avons lancé un programme de prévention du suicide. C'était un programme grandiose dans lequel les policiers se rendaient dans diverses collectivités pour parler à la population de prévention du suicide. On peut affirmer qu'il a eu un certain effet dans la collectivité parce qu'il a permis à la population de mieux identifier les tendances suicidaires et de mieux interagir avec les personnes qui en ont.
J'ai assisté récemment à une conférence au cours de laquelle une secrétaire d'école a sorti une petite carte jaune. Cette carte disait uniquement ceci : « Je pense au suicide. J'ai beaucoup de problèmes à l'heure actuelle. Pourriez-vous composer ce numéro? » C'était un numéro unique. Il y a des gens qui sont prêts à demander de l'aide, mais qui, bien souvent, ne veulent pas parler de leurs problèmes. Dans ce cas-ci, tout ce qu'ils avaient à faire était de déposer cette carte et la personne devant eux s'occuperait de composer le numéro pour qu'ils aient accès à de l'aide. La secrétaire a expliqué que cela avait réduit sensiblement le nombre des suicides dans la collectivité. Ce n'était pas un programme grandiose; c'était une solution toute simple, mais elle était efficace et elle a donné de bons résultats.
Comme je l'ai déjà mentionné, il n'y a pas de solution unique. L'important est que la collectivité adopte la solution proposée, qu'elle se charge de la mettre en œuvre et s'intéresse au processus plus qu'à la solution. Lorsque vous travaillez avec une collectivité, il faut prendre en charge ces aspects. Il ne faut pas se contenter de les confier à la collectivité et de la laisser avec ces problèmes. Il faut aider les collectivités à progresser.
Par exemple, cela fait tellement de temps que nos collectivités ont été exclues du système judiciaire. Il serait presque irresponsable de les intégrer immédiatement dans ce système. Il faut agir en partenariat. Je ne peux pas vous dire qu'il existe une solution unique.
Pour vous donner un exemple, le corps de cadet communautaire Hobbema a donné de bons résultats pour certains jeunes mais pas pour tous. Il y a des jeunes qui se sont intéressés à ce programme. Il est intéressant de noter que de jeunes autochtones de sexe féminin ont semblé être attirées par ce programme, chose à laquelle je ne m'attendais pas. Dans notre collectivité, le groupe le plus vulnérable et qui coure le plus de risque est celui des jeunes mères et il était encourageant de voir qu'elles étaient attirées par quelque chose comme ce corps de jeunes.
Il n'y a pas de solution unique, mais il faut que la collectivité s'approprie ces programmes et qu'elle se charge de les offrir.
La présidente : Monsieur McCowan, vous avez déclaré dans votre exposé que vos prévisions sur cinq ans indiquent que la population des détenus va augmenter de 270 détenus à cause des peines minimales obligatoires et d'environ 35 délinquants dangereux. Disons que cela va se traduire par 300 détenus de plus au cours des cinq prochaines années.
Comme vous le savez, d'après d'autres prévisions, l'augmentation de la population carcérale serait sensiblement plus élevée que vous le pensez. Pouvez-vous nous dire sur quels chiffres reposent ces hypothèses?
M. McCowan : En général, le processus d'évaluation que nous utilisons est en fait très formel. Nous travaillons avec nos partenaires au sein du gouvernement, à savoir le ministère de la Justice ou Sécurité publique Canada, parfois le Centre canadien de la statistique juridique de Statistique Canada, pour essayer d'obtenir les meilleures hypothèses possibles sur lesquelles baser nos prévisions. Nous élaborons ensuite des prévisions et elles font partie d'un mémoire qui est transmis au Cabinet. Habituellement, notre chef des finances — dans notre cas, un comptable agréé — approuve ces prévisions et déclarent qu'elles sont réalistes et qu'elles reflètent les résultats probables.
Pour ce qui est de ces deux aspects précis du projet de loi C-2, vous avez raison. Après cinq ans, il y aurait 270 délinquants de plus. Nous avons en fait communiqué d'autres renseignements au comité de la Chambre des communes pour ce qui est de la répartition des prévisions relatives aux peines minimales obligatoires. Si cela peut vous être utile, je vais voir si nous ne pourrions pas vous envoyer également ces renseignements.
La présidente : Faites-le par télécopieur, s'il vous plaît.
M. McCowan : J'ai communiqué toute l'information que j'ai trouvée pour ce qui est du volet délinquants dangereux et surveillance à long terme. Le ministre Toews a parlé de 35 demandes par an. Ce n'était pas un total. C'est le chiffre auquel je suis arrivé après avoir consulté les documents publics.
Je peux m'engager à demander à mes collègues du ministère de la Justice du Canada de voir s'ils ne pourraient pas apporter d'autres éléments sur cette question.
La présidente : Avez-vous fait des prévisions au sujet des nouvelles dispositions relatives à la conduite avec facultés affaiblies? Nous avons entendu les Mothers against Drunk Driving et lorsqu'elles ont témoigné, j'ai eu le sentiment que la suppression de choses comme la défense Carter aurait pour effet d'envoyer pas mal plus de gens en prison. Avez- vous examiné ces dispositions?
M. McCowan : Cela soulève plusieurs problèmes et l'un d'entre eux est de savoir s'il s'agit d'un effet qui se fait sentir au palier provincial ou au palier fédéral. Il est possible d'examiner les coûts et d'obtenir un certain montant pour chaque détenu supplémentaire. Lorsque l'on parle d'une augmentation importante du nombre de délinquants, il faut utiliser cette méthode.
Nous n'avons effectué des prévisions de coût que pour ces deux composantes. Nous n'avons pas de prévisions de coût pour les trois autres qui, comme vous l'avez signalé, n'ont pas fait l'objet d'une discussion de notre part.
La présidente : Les fonds qui ont été annoncé publiquement concernent uniquement les peines minimales obligatoires. Ils ne touchent pas les autres aspects, est-ce bien exact?
M. McCowan : Exact. Les seuls autres fonds qui ont fait l'objet de discussion concernaient la question distincte de l'intégrité des bâtiments, aspect que le sénateur Oliver a soulevé il y a quelques instants.
La présidente : Vous voulez parler des bâtiments de plus de 100 ans qu'il faut réparer.
M. McCowan : Exactement, nous devons nous occuper d'un ensemble impressionnant d'infrastructures en ruine; nous allons connaître des changements dans la population carcérale qui seront difficiles à assumer, comme nous l'avons mentionné. Il y a toute une série de facteurs qui jouent dans ce domaine.
La présidente : M. Sapers du Bureau de l'enquêteur correctionnel fédéral nous a déclaré que le budget affecté aux programmes de base avait diminué de 26 p. 100 au cours des six dernières années. Il a également déclaré que les programmes de base offerts dans les établissements à sécurité maximale, à savoir ceux où, je crois, les délinquants dangereux sont envoyés au début, étaient insuffisants.
Pouvez-vous nous expliquer ces deux affirmations : La diminution du budget et la situation dans les établissements à sécurité maximale?
M. Toller : J'ai lu le témoignage de M. Saper et je ne sais pas très bien où il a obtenu cette information.
Nous avons connu une diminution de 16 p. 100 des inscriptions aux programmes correctionnels, mais nous avons procédé de façon stratégique. Nous l'avons fait parce que, comme nous l'avons expliqué plus tôt, nous examinons constamment nos programmes sur le plan de l'efficacité, sur le plan de l'évolution de la population carcérale et pour savoir quels sont les aspects qu'il conviendrait de modifier. Nos ressources sont toujours limitées.
Pour vous donner un exemple, à un moment donné, on nous a demandé d'offrir aux détenus des programmes relatifs aux aptitudes ou aux habiletés psychosociales. Cependant, le nombre des détenus ayant des tendances violentes ou ayant commis des crimes violents ayant augmenté dans nos établissements, nous avons dû modifier ces programmes pour mieux cibler les délinquants violents.
Nous avons dû revoir notre système. Contrairement à ces diminutions, nous avons amélioré nos taux de réussite à l'égard de ces programmes. Notre taux de réussite est passé de 72 p. 100 à 77 p. 100. C'est vraiment une réussite pour nous parce que la réussite de ces programmes a un effet sur la sécurité de la population. Pour ce qui est des fonds consacrés aux programmes, nous avons affecté 37 millions de dollars qui vont directement au personnel chargé d'offrir les programmes.
Il convient de préciser que l'établissement à sécurité maximale doit créer un environnement qui a pour effet de responsabiliser les détenus pour les préparer à l'étape suivante, à mesure qu'ils passent d'un établissement à sécurité maximale à un établissement à sécurité moyenne et ensuite, minimale.
Dans l'établissement à sécurité maximale, l'infrastructure des programmes est moins importante que celle que l'on retrouve dans les établissements à sécurité moyenne ou minimale parce que ces derniers sont plus proches de la collectivité. Il convient d'examiner les chiffres bruts en tenant compte du rôle que jouent les différents types d'établissements.
Le sénateur Stratton : Monsieur McCowan, les statistiques que vous avez mentionnées dans vos remarques préliminaires me semble particulièrement troublantes. Vous avez déclaré qu'il y avait davantage de jeunes et d'adultes ayant des condamnations antérieures et qu'environ neuf délinquants sur dix récidivaient. Les antécédents de violence et d'infractions violentes sont plus fournis. Un délinquant sur quatre est condamné pour homicide. Il y a davantage de détenus appartenant à des gangs et au crime organisé, une augmentation de 33 p. 100 par rapport à 1977. Vous nous dites que quatre délinquants sur cinq ont des antécédents et de graves problèmes de toxicomanie.
Cela va dans le sens de l'exposé qu'a présenté Lynn Barr-Telford du Centre canadien de la statistique juridique. Ces statistiques expliquent pourquoi nous étudions le projet de loi C-2. La situation est très inquiétante. Le taux des tentatives de meurtre a augmenté de 24 p. 100 depuis 2004. Cette donnée vient du Centre canadien de la statistique juridique. Le nombre de jeunes accusés d'infractions violentes reliées aux armes à feu a augmenté de 32 p. 100 depuis 2002.
Nous constatons une tendance très forte qui est même alarmante, en particulier à Winnipeg où je vis. Je sais qu'il y a de nombreux facteurs qui jouent, mais j'aimerais savoir si le trafic des drogues est la principale cause de l'augmentation de la violence reliée aux gangs? Les gangs cherchent-ils à élargir leur territoire? Que se passe-t-il dans ce domaine? Avez-vous une idée des raisons à l'origine de la situation?
M. McCowan : Nous sommes très ouverts à avoir des discussions au sujet du SCC. Notre organisation fait face à certains défis, comme j'ai essayé de l'expliquer plus tôt. Les facteurs que vous avez énumérés sont même parfois plus alarmants parce qu'il arrive que des personnes subissent les effets de plusieurs facteurs — un problème de santé mentale combiné à un problème de toxicomanie. Lorsque nous essayons d'intervenir dans ce genre de situations, en particulier avec une bonne partie de notre population qui purge des peines de courte durée, nous ne disposons pas de beaucoup de temps pour aider les détenus qui font face à de graves problèmes. Si vous n'arrivez pas à régler le problème de toxicomanie, vous ne pourrez pas vous attaquer au problème de gestion de la colère qui est sous-jacent. C'est une situation difficile, mais c'est le genre de situation à laquelle s'attaque tous les jours notre personnel enthousiaste.
M. Reti : J'aimerais poursuivre sur ce commentaire et dire que les drogues alimentent certainement le problème mais je ne pense pas qu'elles en soient la cause. Je ne pense pas qu'il existe une raison unique qui explique cette augmentation d'activité. S'il y avait une raison unique, ce serait sans doute les enfants à haut risque. Les jeunes à haut risque semblent être un thème que l'on retrouve constamment dans ce genre d'activité. Les drogues ne sont pas la cause du problème, mais elles alimentent certainement cette activité.
Lorsque j'étais à Hobbema, les fusillades en voiture et une bonne partie de la rivalité qui opposait les gangs s'expliquaient par une guerre de territoire. Cependant, lorsqu'on examine les personnes qui exercent ce genre d'activité et qui ont tendance à être attiré par elles, on constate qu'elles viennent le plus souvent d'environnements à haut risque.
Le sénateur Merchant : Je m'inquiète du fait que les taux de criminalité diminuent constamment dans ce pays et que nous cherchons en fait d'autres façons d'incarcérer davantage de délinquants. Je suis très préoccupé par les dispositions relatives aux délinquants dangereux, parce que je pense qu'elles auront un effet inéquitable et déséquilibré sur les minorités et les collectivités autochtones. Il arrive très souvent que les gens ne comprennent pas notre système pénal, notre système judiciaire, nos tribunaux et plaident coupables sans vraiment comprendre les conséquences d'un tel plaidoyer.
Le 7 février, nous avons une réponse de M. Goldstein de la Criminal Lawyers' Association. M. Goldstein affirme que cette disposition ne prévoit pas que seules les condamnations pénales enregistrées après l'adoption du projet de loi seront prises en compte, et que c'est en fait tout à fait le contraire qui se fera. L'idée est de viser les personnes qui ont des antécédents judiciaires et c'est donc un problème grave.
Nous allons donc prendre en considération les infractions commises il y a peut-être 10, 20 ou 30 ans et essayer de faire déclarer ces personnes des délinquants dangereux. Pensez-vous que cela pose un problème pour certaines collectivités? Pensez-vous que cela va toucher inéquitablement les minorités, les Autochtones et ceux qui ne comprennent pas le système judiciaire et les conséquences d'un plaidoyer de culpabilité?
M. Reti : Comme je l'ai dit plutôt, il y a déjà un nombre disproportionné d'Autochtones et de détenus appartenant à des minorités dans le système correctionnel. Nous constatons déjà que le nombre des Autochtones qui sont inculpés est disproportionné ou qu'ils sont plus fréquemment accusés, de sorte qu'il paraît logique que le nombre des Autochtones qui seront déclarés être des délinquants dangereux augmentera également. C'est une déduction tout à fait logique.
Le sénateur Di Nino : Je vous remercie d'avoir accepté de me fournir l'information que j'ai demandé sur ces cinq points et si vous ne les avez pas tous noté, je vous les redonnerai plus tard.
J'aimerais avoir quelques données au sujet des programmes en matière d'emploi et de formation comme le suggère fortement l'examen du SCC qu'a effectué le comité indépendant. Une des recommandations de ce rapport était de renforcer l'employabilité et les aptitudes professionnelles et c'est un des domaines que j'aimerais approfondir mais j'attendrai que vous me fournissiez ces renseignements.
Ma question porte sur la discussion que nous avons eue au sujet de l'augmentation des coûts pour le système pénitentiaire. Ma position est fondée sur l'information que vous nous avez fournie, en particulier la première puce, dans laquelle vous dites que neuf délinquants sur dix ont un casier judiciaire. À votre avis, avons-nous fait tout ce que nous pouvions pour préparer les détenus à réintégrer la collectivité ou avons-nous échoué si l'on se fie aux statistiques que vous avez fournies? Neuf sur dix d'entre eux ont déjà bénéficié de nos services et nous les retrouvons encore une fois en prison.
M. Toller : Chaque fois que l'on aborde la question des causes de la criminalité, il se dit toutes sortes de choses. C'est une question complexe. Bien souvent, il est impossible d'isoler un facteur unique, comme vous l'avez mentionné. Cela est relié à la question qu'a posée le sénateur Stratton. Lorsque j'examine notre groupe, 77 p. 100 de nos détenus n'ont pas fait d'études secondaires; 70 p. 100 d'entre eux n'ont occupé que des emplois précaires; 80 p. 100 sont qualifiés d'impulsifs. Nous avons entendu les chiffres relatifs à la santé mentale. Nous avons entendu dire que 80 p. 100 d'entre eux avaient des problèmes de drogue et que 80 p. 100 avaient du mal à résoudre des problèmes. Il s'agit d'individus qui connaissent plusieurs difficultés et qui, lorsqu'ils arrivent chez nous, n'ont pas tiré profit des nombreuses interventions différents dont ils ont fait l'objet pour les aider à prendre des décisions.
Voilà notre point de départ. Qu'est-ce qui s'offre à nous? Comment élaborer un plan individuel qui convienne à cette personne? Parfois, il faut commencer par adopter une stratégie qui cible précisément les facteurs cognitifs. Il n'est peut- être pas souhaitable de donner à une personne qui est très impulsive une formation de charpentier. Si cette personne n'est pas en mesure de se contrôler, vous aurez alors formé un charpentier impulsif.
Nous examinons la situation du point de vue cognitif et ensuite, à partir des éléments fondamentaux. Si nous réussissons à les faire progresser par étape, si nous réussissons à améliorer leur capacité de gérer la colère, et qu'ensuite nous réussissons à leur faire acquérir des connaissances générales et professionnelles, alors ils ont une chance de réussir. Notre but est d'amener les détenus à trouver un emploi stable lorsqu'ils sont mis en liberté. Nous essayons d'enseigner aux détenus comment se comporter dans les situations dans lesquelles ils ont été impulsifs et agressifs. Nous essayons de les aider à contrôler leur comportement; voilà ce que nous faisons.
La réussite de ces détenus dépend beaucoup de la participation de la collectivité parce que plus de 90 p. 100 des détenus purgent des peines à durée déterminée et retournent dans la collectivité. L'appui que la collectivité leur accorde, peut les aider à ne pas récidiver.
M. McCowan : Pour ce qui est de la question emploi-employabilité, il faut signaler que tous les éléments dont nous avons parlé évoluent constamment. Pour ce qui est de la question de l'emploi, nous avons associé des activités agricoles à nos établissements. Un des défis sur lesquels le comité indépendant a insisté consiste à trouver la meilleure façon de donner aux détenus des possibilités d'emploi lorsqu'ils sont libérés. L'agriculture aurait peut-être été une meilleure solution, il y a 20 ou 30 ans qu'à l'heure actuelle. En ce moment, la C.-B. et l'Alberta connaissent une pénurie de main- d'œuvre dans un certain nombre de secteurs clés de l'économie. C'est une situation qui évolue constamment. Nous essayons d'adapter notre approche dans le but d'obtenir le plus possible de réussite.
Le sénateur Di Nino : Je comprends tout cela et je n'ai pas dit que c'était simple. C'est la raison pour laquelle j'ai énuméré cinq secteurs importants.
Il y a près de 14 ans, je m'occupais d'un projet de loi sur la criminalité des jeunes pour le compte d'un gouvernement antérieur. Pendant trois jours consécutifs, je me suis rendu au Syl Apps Youth Centre à Oakville. C'est un centre pour jeunes mais les gens de là-bas m'ont donné le même message. Lorsque nous avons terminé, plusieurs psychologues, sociologues et travailleurs sociaux m'ont demandé de transmettre un message, ce que j'ai fait, et j'ai essayé de bien le faire. Je ne sais pas si ce message a été entendu, mais ces gens me demandaient de dire qu'il fallait veiller à ce que ces jeunes reçoivent une formation avant qu'ils quittent le centre. Il fallait qu'ils aient acquis une formation avant de retourner dans la collectivité.
Je pense que nous faisons face au même problème. Nous avons peut-être pris un peu de retard et cela n'est peut-être pas votre faute. D'une façon générale, il faut réviser complètement le système pour qu'au moment de leur mise en liberté — parce que la plupart des détenus seront remis en liberté — ils soient mieux préparés à résoudre les problèmes quotidiens, car sinon, ils risquent de revenir. ,
M. Toller : Comme nous le disions, nous essayons d'évaluer les possibilités qu'offre le marché de travail, pour que nous puissions donner à nos détenus une formation dans ces professions avant qu'ils ne retournent dans la société. Il est impossible de tout changer d'un seul coup. Nous avons récemment restructuré le CORCAN, un service qui s'occupe d'emploi pour les détenus. Cet organisme est doté d'un conseil consultatif et il a des liens avec la collectivité. Cette initiative a permis d'intégrer des citoyens canadiens du monde des affaires. Le ministre lui-même a parlé à ce groupe, notre commissaire a lui aussi pris la parole devant ce groupe et je participe régulièrement aux réunions de ce groupe, pour essayer d'établir des partenariats avec l'industrie privée pour savoir quelle est la formation dont les détenus ont besoin pour pouvoir réintégrer la société. Nous travaillons avec les corps de métiers. Par exemple, les détenus commencent à construire des charpentes de maison pendant qu'ils sont en établissement. À Calgary, un employeur a offert des emplois à des détenus récemment libérés au moment où ils réintégraient la collectivité. Nous travaillons dans cette direction. Nous ne faisons que commencer mais nous pensons pouvoir nous occuper de trois, quatre ou cinq choses qui seront utiles pour l'ensemble du pays.
La présidente : Combien cela coûte-t-il d'avoir un détenu en prison selon le niveau de sécurité?
M. McCowan : Il y a un indice du coût d'entretien d'un délinquant, qui est mis à jour chaque année. Les derniers chiffres sont ceux de 2006-2007. Je serai heureux de les fournir au comité.
Pour vous donner l'essentiel des résultats pour l'année 2006-2007, le coût moyen de l'entretien d'un délinquant est de 74 261 $. Je serai heureux de vous fournir d'autres chiffres en fonction du niveau de sécurité, pour les hommes, pour les femmes, pour les détenus dans la collectivité et en établissement.
Le sénateur Cowan : Je me souviens avoir vu un chiffre de 100 000 $ ou plus.
M. McCowan : Pour la sécurité maximale, le coût est de 121 294 $ par année.
La présidente : D'après votre expérience, est-ce que les délinquants dangereux sont généralement incarcérés dans des établissements à sécurité maximale?
M. Toller : Oui, le détenu subit une évaluation individuelle et un examen de sa situation en fonction d'un certain nombre de facteurs, notamment des facteurs particuliers adaptés aux Autochtones. Si le crime commis est extrêmement violent, cela peut souvent vouloir dire que le détenu, en fonction de ses motivations, va purger une partie de sa peine dans un établissement à sécurité maximale. D'une façon générale, 15 p. 100 des détenus vont dans des établissements à sécurité maximale. L'immense majorité d'entre eux sont placés dans des établissements à sécurité moyenne. Même s'ils sont placés au début dans un établissement à sécurité maximale, les détenus font l'objet d'examens permanents, au minimum dans l'année qui suit le placement initial, pour examiner les progrès réalisés. Si un délinquant violent se retrouvait dans un établissement à sécurité maximale après le classement initial, il ferait l'objet d'au moins un examen dans l'année qui suit, parfois avant que l'année soit écoulée, selon qu'il existe ou non des circonstances atténuantes.
La présidente : Quel est le nombre de détenus qui sont habituellement transférés vers des établissements à sécurité moyenne ou minimale?
M. Toller : Je ne sais pas où ils sont placés, mais progressivement, la plupart d'entre eux changent de niveau de sécurité. Je peux vous obtenir cette information.
La présidente : Ils commencent probablement dans un établissement à sécurité maximale et le niveau de sécurité diminue ensuite.
M. Toller : Oui. Il est possible qu'un délinquant, qui a été transféré dans un établissement à sécurité moyenne, soit renvoyé dans un établissement à sécurité maximale en fonction de son comportement, du risque qu'il s'échappe ou de renseignements concernant ces aspects.
La présidente : Si nous ajoutons 30 délinquants dangereux par année, cela va nous coûter trois millions de dollars par année.
M. McCowan : Tout ce que je peux faire, c'est m'engager, comme je l'ai déjà fait, à poser cette question au ministère de la Justice du Canada, pour connaître le coût des délinquants dangereux. Je ne suis pas en mesure de vous parler d'autre chose. Je m'engage à soulever cette question avec le ministère et voir s'il ne pourrait pas vous fournir des renseignements supplémentaires.
Le sénateur Di Nino : Cela représente en moyenne 37 millions de dollars après cinq ans.
La présidente : Non, cette somme représente uniquement les coûts associés aux peines minimales obligatoires.
M. McCowan : Il y a deux éléments de coûts distincts. L'un concerne les peines minimales obligatoires et l'autre les délinquants dangereux et les ordonnances de surveillance à long terme.
La présidente : Merci beaucoup, nous avons eu une séance intéressante. Nous vous en sommes reconnaissants. Nous serons heureux de recevoir cette information. Ne tardez pas à nous la transmettre, il est préférable que vous l'envoyiez le plus rapidement possible, même si vous ne pouvez pas nous fournir tous les chiffres en même temps.
Nous avons maintenant le privilège d'accueillir, à titre personnel, M. Ronald Langevin, de l'Université de Toronto et M. Ryan Dyck, d'Egale Canada,
Ronald Langevin, professeur, Université de Toronto, à titre personnel : Merci de m'avoir donné la possibilité de parler à votre groupe. Si vous voulez me poser des questions après notre rencontre, vous trouverez mon adresse courriel en haut du document distribué. J'accueillerai avec plaisir toutes vos questions et commentaires. Je ne vais pas lire le document distribué. Je vais vous donner un aperçu général de mes préoccupations.
Je pense que le projet de loi C-2 aura un effet positif sur la sécurité de la collectivité. Il va également inciter de nombreux délinquants sexuels à faire plus rapidement quelque chose pour changer leurs vies.
On m'a demandé de vous fournir des renseignements sur la récidive parce que cela fait plus de 25 ans que je rassemble des données en ayant recours à diverses sources, notamment, les dossiers provinciaux, fédéraux et ceux de la GRC. J'ai également réuni des dossiers d'hôpitaux concernant des infractions pénales informelles qui n'ont pas toujours été rapportées.
Pour ce qui est du récidivisme à l'égard des infractions sexuelles, il se situe à 60 p. 100 pour tous les délinquants sexuels. Si l'on ajoute la récidive à l'égard de toutes les infractions, parce que bien souvent l'accusation peut porter sur une infraction autre que sexuelle à la suite d'un marchandage de plaidoyer, le taux général de récidive s'élève alors à 80 p. 100. Si vous comptez les infractions non détectées — les gens nous parlaient des infractions qu'ils avaient commises et qui n'avaient pas été détectées — neuf délinquants sur dix commettent une autre infraction. C'est un taux très élevé.
La présidente : Vous parlez de neuf délinquants sur dix ou de neuf délinquants dangereux sur dix?
M. Langevin : Je parle de tous les délinquants et cela atténue mes préoccupations au sujet des délinquants dangereux. Je pense que nous allons avoir beaucoup plus de dossiers que les 30 à 50 par an qui ont été mentionnés. Soixante-douze pour cent des dossiers — et j'ai plus de 3 000 dossiers — font état d'une carrière criminelle qui s'étend sur plus de dix ans et 44 p. 100 de ces délinquants ont une carrière qui s'étend sur plus de 20 ans, cela représente donc un comportement qui dure toute la vie.
Si l'on examine le nombre réel des délinquants incarcérés, on constate qu'ils sont très peu nombreux à avoir véritablement purgé une peine de prison. Quarante-deux pour cent d'entre eux n'ont pas été emprisonnés; ils ont bénéficié d'une ordonnance de probation ou d'une libération conditionnelle ou ont participé à des programmes de traitement, ce genre de choses. Un autre 13 p. 100 ont purgé une peine de moins d'un an et neuf pour cent une peine de un à deux ans. Plus de la moitié des délinquants ont passé très peu de temps en prison, même s'ils ont eu un comportement criminel pendant des années.
La question que je me pose au sujet du projet de loi C-2 est de savoir ce qui constitue trois déclarations de culpabilité. S'agit-il de trois déclarations de culpabilité qui peuvent être prononcées au cours d'une seule comparution devant un tribunal ou faut-il qu'elles aient été prononcées au cours de trois comparutions consécutives devant un tribunal à des moments différents?
J'ai présenté des chiffres dans mon mémoire. Si vous regardez les chiffres correspondant à une déclaration de culpabilité quelle qu'elle soit — et cela figure dans le tableau 1 du mémoire — vous pourrez constater que j'ai comparé les délinquants dangereux et qu'il y en a 51. Ils représentent environ un huitième de tous les délinquants dangereux au Canada à ce moment-ci. Cent pour cent de ces délinquants ont fait l'objet de trois déclarations de culpabilité ou plus en se fondant sur ce critère. Notez que 47,6 p. 100 des délinquants non dangereux ont également fait l'objet du même nombre de condamnations. Si vous passez à la ligne en-dessous, celle des condamnations prononcées au cours d'au moins trois comparutions devant les tribunaux, vous constaterez que les chiffres baissent de façon brutale. D'après ces chiffres, je prévois qu'entre un et cinq délinquants et un délinquant sexuel sur deux feront l'objet d'une demande de déclaration de délinquants dangereux.
Compte tenu de ces chiffres, j'aurais pu vous fournir la liste de tous les délinquants dangereux qui existent au Canada, une liste plus complète que celle que j'ai élaborée depuis 30 ans; j'aurais pu vous fournir 624 noms, en me fondant sur le critère de trois comparutions devant le tribunal ou 1 428 noms en me fondant sur le critère de trois déclarations de culpabilité quelles qu'elles soient. C'est un grave problème.
Si l'on combine les bases de données fédérales et provinciales, je crois que cela aura pour effet de faire augmenter ces chiffres. La GRC ne possède de données qu'à l'égard de 54 p. 100 de mes dossiers. Cela était vrai pour les années 1960 et c'est toujours vrai. La GRC ne possède pas de donnée sur la moitié des délinquants qui ont fait l'objet d'accusations provinciales. Si l'on ajoute ces accusations aux accusations fédérales — et un bon nombre d'entre elles sont des déclarations de culpabilité pour agression sexuelle — vous constaterez que les chiffres augmentent sensiblement. Il est bon d'utiliser une base de données intégrée.
Mon autre préoccupation porte sur ce que l'on considère comme étant une infraction grave ou une infraction dommageable et le risque de préjudice. Bien souvent, ces notions sont fondées sur des critères nébuleux. Le fait de prendre en compte le préjudice physique réellement causé à un individu est un critère différent qui pourrait être incorporé dans le projet de loi ou du moins dont les procureurs de la Couronne pourraient tenir compte, par opposition au critère fondé uniquement sur la nature de l'infraction.
Certains délinquants dangereux ne sont pas nécessairement violents; ce sont parfois des délinquants sexuels qui ne sont pas vraiment violents, même si la plupart le sont. La définition de « préjudice physique » et de « préjudice psychologique » n'est pas claire dans la définition qu'offre ce projet de loi.
Vous constaterez dans le tableau 2 que la plupart des délinquants dangereux, soit 73 p. 100, ont utilisé une arme et que 84 p. 100 d'entre eux ont gravement blessé leurs victimes mais notez que 35 p. 100 des délinquants non dangereux ont également fait ce genre de chose.
En bref, je m'attends à ce que notre système carcéral soit débordé. Si les procureurs de la Couronne décident de présenter des demandes, je crois savoir qu'ils seront tenus, selon la formulation actuelle du projet de loi, d'annoncer qu'ils vont présenter des demandes de déclaration de délinquants dangereux, mais ils ne seront pas tenus de les présenter. S'ils le font, je pense qu'il y aura beaucoup plus de délinquants emprisonnés, bien plus qu'une trentaine par an. Je peux moi-même vous fournir ces chiffres, grâce à ma propre petite pratique privée et son seul bureau.
Enfin, les questions que je me pose au sujet des outils d'évaluation du risque utilisés rejoignent peut-être les préoccupations que vous avez exprimées au sujet des Autochtones. Il existe, à l'heure actuelle, des instruments actuariels, notamment le SIR qu'utilise le Service correctionnel du Canada ainsi que le Static-99; le Guide d'évaluation du risque de violence ou VRAG; le Guide d'évaluation du risque chez les délinquants sexuels ou SORAG. Le SCC utilise tous ces instruments de mesure qui donnent tous l'illusion d'obtenir des certitudes. Ce sont des outils qui prévoient très mal le risque, tout comme le jugement clinique. Il serait bon d'utiliser d'autres critères pour évaluer le risque que représente un individu, des critères plus objectifs que ceux que nous utilisons à l'heure actuelle.
Il faudrait normaliser et perfectionner l'évaluation des personnes que l'on considère comme dangereuses, pas uniquement les Autochtones ou les Noirs. Il faut bien sûr comprendre la culture de ces personnes mais bien souvent les évaluations se font trop rapidement. J'ai donné l'exemple d'une entrevue de quatre heures et d'un examen du dossier à la suite desquels un psychiatre a déclaré que le délinquant n'était pas seulement dangereux mais incapable d'être géré au moyen d'une ordonnance de surveillance de longue durée. Voilà qui est consternant. Il serait utile que des dispositions législatives fixent le minimum de temps requis pour effectuer une évaluation, précisent la personne qui devrait le faire, la durée de l'examen et les points sur lesquels il devrait porter.
J'ai ajouté un autre tableau intitulé « Caractéristiques des contrevenants » qui touche un certain nombre de questions que j'ai entendus dans l'exposé présenté par le Service correctionnel du Canada. Vous pouvez constater qu'il existe de nombreuses autres caractéristiques qui n'ont pas été abordées. Un aspect particulièrement préoccupant est le nombre des personnes qui se trouvent dans des classes d'éducation spécialisée. Deux à trois pour cent des Ontariens sont placés dans les classes d'éducation spécialisée des écoles secondaires publiques. Notez que 56 p. 100 des délinquants dangereux et 36 p. 100 des délinquants non dangereux sont classés dans cette catégorie; ils ont des problèmes d'apprentissage.
Il arrive souvent, et je crois que c'est habituellement le cas pour les délinquants dangereux, qu'on se contente de faire du gardiennage. On ne leur offre aucune option en matière de traitement; ils sont tout simplement enfermés; ils ne voient jamais la lumière du jour. C'est ce qui leur arrive le plus souvent. Vous parlez de réadaptation; on n'en fait pas. Elle est réservée aux personnes qui seront relâchées dans la collectivité.
Les traumatismes crâniens, les maladies et les troubles d'attention sont surreprésentés dans cette population, ainsi que dans l'ensemble de la collectivité, mais on ne s'attaque pas à ces problèmes. Il en va de même pour les maladies, par exemple, les troubles endocriniens. Vous pouvez voir dans le tableau trois que c'est une maladie très courante puisque près de 38 p. 100 des délinquants dangereux souffrent de troubles endocriniens et qu'il est difficile de dépister cette maladie dans quelque contexte que ce soit. Il faut habituellement que les avocats obtiennent des ordonnances judiciaires pour que l'on procède à des analyses de sang pour dépister les troubles endocriniens. Vous comprenez que cela peut être un facteur important, tant pour le traitement que pour la réadaptation.
Voilà l'aperçu général que je voulais vous présenter. Après avoir dit toutes ces choses négatives, je mentionnerai que le projet de loi peut tout de même avoir un effet positif sur la sécurité de la collectivité et modifier l'attitude des délinquants à l'égard des traitements. Je pense qu'ils y penseront à deux fois avant de refuser les programmes de traitement s'ils voient se profiler à l'horizon une demande de déclaration de délinquant dangereux, sans qu'il faille attendre que chacun ait fait l'objet de 19 accusations comme nous le voyons ici.
La présidente : Merci. Pour ce qui est des six lignes en haut du tableau 1, que représentent ces chiffres? Sont-ce des pourcentages?
M. Langevin : Les pourcentages sont indiqués par le signe de pourcentage placé après le chiffre. C'est le nombre d'infractions. Les délinquants dangereux ont fait l'objet, au total, de 19 déclarations de culpabilité avant d'être déclarés délinquants dangereux.
La présidente : C'est donc une moyenne qui a été calculée à partir de votre base de données.
M. Langevin : Oui.
Ryan Dyck, coordonnateur de la jeunesse, Egale Canada : Merci beaucoup. Egale Canada est un organisme canadien national de défense des intérêts des lesbiennes, des gais, des bisexuels et des transsexuels. Je suis également un étudiant de 22 ans de l'Université d'Ottawa.
Au nom d'Egale Canada, je tiens à vous remercier de nous avoir invités à vous parler de la question sensible de l'âge du consentement à une activité sexuelle pour les jeunes Canadiens. Nous sommes extrêmement heureux de constater que les parlementaires ont décidé de consulter la société à ce sujet.
Je suis sûr que nous nous entendons sur le fait que la question des jeunes et la sexualité est une question délicate qu'il convient d'examiner soigneusement avant d'adopter des lois qui auront des répercussions sur la santé et le bien-être des jeunes Canadiens.
Malheureusement, le projet de loi C-2 qui fait passer de 14 à 16 ans l'âge du consentement à une activité sexuelle n'a pas fait, de l'avis d'Egale Canada, l'objet d'un examen détaillé. J'espère que nous pourrons faire une contribution qui permettra à ce projet de loi de réaliser son objectif, à savoir protéger la santé et la sécurité des jeunes Canadiens, un objectif qu'Egale Canada et ses membres appuient totalement. Cependant, du point de vue d'Egale Canada, le projet de loi C-2 entraînera une intrusion inutile et susceptible d'être préjudiciable dans la vie sexuelle des jeunes Canadiens. Lorsque les jeunes ne consentent pas à des activités sexuelles, il existe déjà toute une série de dispositions législatives efficaces qui les protègent. Il y a des lois contre l'agression sexuelle, quelle que soit l'âge de la victime, des lois contre les personnes en situation d'autorité qui abusent des mineurs qui leur sont confiées ainsi que des lois contre la prostitution et la pornographie juvéniles et le leurre par Internet.
La recherche d'une solution à ce problème, axée sur le souci de préserver le bien-être des adolescents canadiens et de les protéger ne devrait pas déboucher sur l'adoption hâtive d'un projet de loi, qui a pour effet de qualifier en fait de criminels les adolescents actifs sexuellement et de les empêcher d'avoir accès à l'information et à la formation dont ils ont besoin pour prendre des décisions réfléchies au sujet de leurs propres relations.
Egale Canada s'oppose au relèvement de 14 à 16 ans de l'âge du consentement à une activité sexuelle. Peu importe que nous estimions que les adolescents devraient ou ne devraient pas avoir de relations sexuelles à l'âge de 14 ou 15 ans, le fait demeure que les adolescents canadiens de cet âge sont actifs sexuellement. Certains ont des relations sexuelles consensuelles avec des jeunes de leur âge et d'autres des relations sexuelles consensuelles avec des adultes. Notre société devrait apprendre aux jeunes à prendre les décisions qui les concernent. Nous voulons que nos adolescents puissent obtenir des renseignements fiables au sujet du sexe en s'adressant à leurs écoles, à leurs orienteurs, aux cliniques de santé locale, à des groupes de soutien constitués de pairs, à des amis et des adultes en qui ils ont confiance. Si les jeunes estiment que leur comportement est criminel, nous avons de bonnes raisons de croire qu'ils n'iront pas chercher de l'aide. Ils n'iront pas rapporter une maladie transmise sexuelle ni obtenir des soins médicaux, parce qu'ils craindront de criminaliser leurs partenaires s'ils sont âgés. Si les conseils scolaires ont l'impression que la sexualité des jeunes est criminalisée, ils hésiteront à offrir des cours d'éducation sexuelle avant que les étudiants n'aient atteint l'âge de 16 ans. Ce projet de loi a en réalité pour effet d'aggraver les dangers auxquels sont exposés les jeunes Canadiens, au lieu de leur offrir la protection et l'éducation dont ils ont besoin.
Egale Canada appuie vigoureusement toute mesure qui a véritablement pour effet d'améliorer la protection et le bien-être des jeunes. Cependant, adopter à la hâte un projet de loi trop rapidement préparé après un débat insuffisant n'est pas la bonne façon de procéder. Si nous voulons vraiment protéger nos jeunes, nous ne devrions pas leur imposer des dates limites parlementaires arbitraires. Egale Canada n'est qu'une des organisations canadiennes concernées qui a une grande expérience des problèmes que soulèvent ces mesures. La plupart de ces organismes n'ont pas eu la possibilité de vous communiquer leurs connaissances.
Les jeunes Canadiens eux-mêmes, en particulier, n'ont pas participé à ce débat. Les parlementaires devraient prendre le temps de chercher à parler aux adolescents, puisque ce sont eux qui seront le plus directement touchés par cette loi. De véritables consultations sur ces questions feraient apparaître les nombreuses lacunes de ce projet de loi, y compris la nécessité d'assurer la confidentialité pour les jeunes qui ont accès à des services de santé sexuelle ou à l'éducation sexuelle, ou la discrimination qu'entraîne la différence entre l'âge du consentement pour les relations sexuelles anales et l'âge applicable aux autres formes de relations sexuelles. C'est un aspect qui a été déclaré inconditionnel par de nombreux tribunaux provinciaux, et pourtant, le projet de loi C-2 ne fait rien pour mettre un terme à cette discrimination, ni pour améliorer les facteurs de risque qui touchent, à l'heure actuelle, les jeunes qui sont actifs sexuellement.
La communauté que constituent les gais, les lesbiennes et les transsexuels du Canada sait ce que veut dire être étiqueté comme criminel et avoir peur de chercher l'information et les services dont ils ont besoin pour mener une vie saine et affectivement satisfaisante. C'est précisément vers l'âge de 14 et 15 ans que la plupart des jeunes Canadiens tentent d'établir leur identité sexuelle.
Egale Canada estime qu'avec le relèvement de l'âge du consentement et le manque d'accès à l'information et l'éducation, les jeunes éprouveront encore davantage de difficultés à comprendre leur identité et à entretenir des relations saines et responsables.
S'il veut atteindre son objectif louable qui consiste à protéger les adolescents canadiens de tout dommage physique et affectif, le projet de loi C-2 doit veiller à ce que les jeunes aient accès à une éducation sexuelle adaptée à leur âge, à des services médicaux lorsque cela est nécessaire et à des services de counselling confidentiels de qualité au sujet du comportement sexuel et des relations intimes. Egale Canada craint qu'ajouter cette disposition à un projet de loi intitulé « La lutte contre les crimes violents » ait un effet contraire.
Au nom d'Egale Canada, nous aimerions vous remercier des efforts que vous déployez pour examiner tous les effets potentiels de ce projet de loi.
Le sénateur Stratton : M. Dyck, ma question concerne le relèvement de 14 à 16 ans l'âge du consentement à une activité sexuelle. Ma première préoccupation est le leurre par Internet. La deuxième concerne les hommes qui incitent les femmes à se livrer à la prostitution. Cela se produit fréquemment à Winnipeg, ma ville d'origine. Ils les rendent dépendantes des drogues et ils leur disent ensuite qu'elles doivent payer pour les drogues, leur seul recours étant la prostitution. Ce sont là des préoccupations véritables et ce sont là aussi les situations auxquelles le projet de loi cherche à remédier. Lorsque des jeunes de 12 ans se prostituent, cela veut dire qu'il y a un problème.
Je me trouvais dans une clinique de soins d'urgence cette fin de semaine. Pendant que j'attendais qu'on m'examine, la police a amené une jeune fille qui avait trop bu. Ils devaient lui faire passer un examen médical avant de la garder pour la nuit dans un centre de détention. Un des policiers lui a demandé pourquoi elle fréquentait ce gars-là, qui, a-t-il ajouté, ne valait pas grand-chose. Ce gars-là était un gars âgé et la fille très jeune.
Les policiers ont besoin d'outils qui leur permettent d'obliger un homme âgé à cesser d'avoir des contacts avec une jeune fille, sous peine d'être inculpé. C'est le genre d'individu que le gouvernement cherche à empêcher de nuire. Il n'est pas utile de faire croire que ces dispositions vont en fait s'appliquer à d'autres personnes. Ce projet de loi vise précisément les graves problèmes que nous avons avec Internet et ainsi que le problème qui vient du fait qu'on incite les jeunes garçons et les jeunes filles à se livrer à la prostitution et à consommer des drogues.
M. Dyck : Je reconnais que c'est là un problème grave contre lequel il faut lutter. Il existe toutefois déjà des dispositions législatives qui répriment ce genre de choses. Le relèvement de l'âge du consentement permet de punir ces personnes par la suite; cette mesure ne s'attaque à l'origine du problème, à la situation sociale qui a donné naissance à ce genre de circonstances, ni au fait que les jeunes qui se trouvent dans ce genre de situation n'ont pas été sensibilisés à certains dangers, en particulier ceux qui sont reliés à Internet.
Le relèvement de l'âge du consentement entraîne avec lui un stigmate de criminalité et risque d'empêcher de fournir une éducation sexuelle aux jeunes de moins de 16 ans, en particulier dans les écoles. Il est essentiel que ces jeunes puissent obtenir ces renseignements sans avoir à craindre quoi que ce soit avant que cela se produise.
Le sénateur Stratton : M. Langevin, vous avez évidemment examiné les prédateurs. Quel âge doivent avoir les enfants pour que le prédateur soit classé comme un pédophile? Il y a l'exemple classique du jeune joueur de hockey qui a été agressé il y a des années. Quel est l'âge limite? Ne pensez-vous pas qu'il faille protéger les jeunes contre les pédophiles?
M. Langevin : Les paramètres pour les hommes sont légèrement différents et les pédophiles sont principalement des hommes; ils sont davantage attirés par les filles que par les garçons. Le pédophile hétérosexuel typique préfère les filles de neuf à 11 ans, une tranche d'âge associé à un manque évident de maturité physique.
Les hommes qui sont attirés par les garçons préfèrent les garçons légèrement plus âgés, ceux qui ont atteint l'âge de la puberté, 13, 14 et 15 ans, un âge où l'esprit du garçon, quel que soit son orientation sexuelle, est beaucoup plus confus sur le plan des activités sexuelles.
Les gens qui commettent des infractions sexuelles sur des mineurs sont un groupe très divers. Certaines personnes sont attirées par pratiquement tous les êtres humains et peuvent avoir des relations sexuelles avec des hommes, des femmes, des garçons et des filles. Il arrive également qu'ils préfèrent d'autres activités dangereuses. Le sadique, par exemple, cherche à faire mal, à contrôler, à blesser et même à tuer son partenaire, en recherchant une gratification sexuelle. Il peut obtenir la même satisfaction sexuelle en ayant des relations avec une fille de 14 ans, un garçon de 14 ans ou une femme de 20 ans.
Pour ce qui et de l'âge du consentement, des groupes comme Beyond Borders Inc. s'inquiètent probablement du fait que de nombreux enfants sont victimisés. Ces enfants n'ont pas de relation sexuelle consensuelle, ils n'apprennent pas ce qu'est le sexe, ce sont des hommes beaucoup plus âgés qui les victimisent. Ils n'apprennent pas ce qu'est l'amour et ils souffrent ensuite de graves troubles affectifs à cause de ces expériences. Beyond Borders est un organisme qui souhaite protéger les enfants en faisant passer l'âge du consentement à 16 ans. Je dirais que c'est un but positif si l'on veut protéger les mineurs.
Le sénateur Cowan : Vous pensez donc que le relèvement de l'âge du consentement est, d'une façon générale, une mesure positive?
M. Langevin : Oui, je pense que cela va faire cesser de nombreuses situations ambiguës dans lesquelles ce genre de personnes commettent des agressions et s'en sortent indemnes.
Le sénateur Cowan : Que pensez-vous de la peine minimale obligatoire? Je suis sûr que comme psychologue, vous avez connu ce genre de choses au cours de votre carrière. Pensez-vous que cette mesure ait un effet dissuasif? Certains témoins ont déclaré qu'elle n'en avait pas, ou du moins pas pour tout le monde, et que le véritable élément dissuasif était la crainte d'être pris. Lorsque le délinquant ne pense pas se faire prendre, la peine à laquelle il serait condamné s'il était pris et déclaré coupable n'est pas un élément pertinent.
M. Langevin : Les hommes qui agressent sexuellement les femmes reçoivent des peines plus longues; les violeurs passent souvent davantage de temps en prison, de sorte que cela constitue en effet un élément dissuasif. Ils ne sont pas en liberté et ne peuvent donc commettre de crimes, de sorte que, dans un sens, il est efficace d'aggraver les peines. Cependant, la grande majorité des délinquants sexuels, qui constituent la plus grosse partie des délinquants dangereux, purgent de très courtes peines en prison; un ou deux ans d'emprisonnement est habituellement la peine maximale.
Le fait de prolonger la durée de la peine minimale entraînera une réduction de la criminalité, parce que ces personnes ne seront pas en liberté pendant de longues périodes. Le taux de récidive demeurera toutefois très élevé parce que ces délinquants ne sont généralement pas incarcérés pendant de longues périodes.
Le sénateur Cowan : Évidemment, le délinquant qui est en prison ne peut commettre des infractions contre la société, même s'il peut commettre des infractions au sein de la population carcérale. S'il reste longtemps en prison, il aura moins de temps pour commettre ces infractions. Est-ce que cela a un effet dissuasif sur sa tendance à récidiver une fois remis en liberté ou est-ce que cela a un effet dissuasif sur les autres personnes qui penseraient commettre ce genre d'infractions?
M. Langevin : Je ne pense pas que cette mesure ait un effet dissuasif parce qu'il s'agit d'un comportement sexuel. Certains de ces hommes font de gros efforts; ils sont bien intégrés dans la société et luttent contre leurs pulsions. D'autres ne s'en soucient pas; ils viennent de familles alcooliques, gravement dysfonctionnelles. Sachant que le cycle normal d'excitation et de libération sexuelle chez l'être humain moyen entre l'âge de 14 ans et 65 ans au moins est de une à deux fois par semaine au minimum, pendant toute cette période, vous constaterez que ces gens doivent lutter régulièrement contre ces pulsions et qu'il leur arrive à un moment donné d'y céder. Ils se laissent aller et font ce qu'ils ne doivent pas faire. C'est une situation extrêmement difficile, s'ils ne participent pas à un programme de traitement et ne prennent pas de drogues pour supprimer leur libido, pour réprimer ces pulsions. C'est une des raisons pour lesquelles le taux de récidive est si élevé dans cette population. C'est un phénomène qu'ils connaitront toute leur vie.
Le sénateur Merchant : Monsieur Langevin, si je vous ai bien compris, vous avez déclaré qu'en aggravant la répression et la durée des peines, on protège mieux la population et la criminalité.
M. Langevin : Cela vient du fait que de cette façon, ces gens ne se trouvent pas en liberté et n'ont donc pas la possibilité de commettre des infractions. Sur le plan de la réadaptation et de l'amendement de l'individu, je ne pense pas que cela touche la cause à l'origine de leur délinquance, à savoir qu'ils sont sexuellement attirés par les enfants ou par le viol.
Le sénateur Merchant : Étudiez-vous uniquement les délinquants sexuels?
M. Langevin : Oui; ils constituent la majorité des délinquants dangereux — en fait, 90 p. 100 d'entre eux.
Le sénateur Merchant : Devrions-nous examiner ce qu'ont fait des pays qui ont adopté des systèmes qui pourraient servir de modèles pour nous; des pays qui ont obtenu de bons résultats dans ce domaine? Si c'est le cas, quelles sont les mesures qu'ils ont adoptées et que nous devrions envisager de prendre nous aussi?
M. Langevin : Pour ce qui est du traitement des délinquants sexuels, le Canada est un chef de file dans ce domaine depuis au moins 40 ans. Le Service correctionnel du Canada est un pionnier.
Je ne les ai pas entendus mentionner aujourd'hui, mais le SCC reçoit des fonds pour les Cercles de soutien et de responsabilité. Bien souvent, le délinquant sexuel qui est libéré dans le cadre de ce programme, en qualité de délinquant à contrôler, a une famille artificielle, un groupe de personnes qui l'entourent. On ne lui demande pas s'il a récidivé, mais on lui demande « Comment ça va? Est-ce que tu fais des choses qui te plaisent? » Cela lui donne un sentiment d'appartenance et le sentiment de faire partie d'une collectivité qu'il n'a peut-être jamais eu auparavant. C'est un programme très efficace qui réduit considérablement le risque de récidive. C'est peut-être le meilleur programme de lutte contre la récidive que j'ai vu en 30 ans, parce qu'il y a des gens qui suivent le délinquant pour qu'il ne récidive pas.
Le sénateur Merchant : Je n'ai pas posé de question à ce sujet, mais le témoin précédent a déclaré que le Canada était un chef de file, en particulier dans le traitement de nos Autochtones. Je pense qu'ils ont parlé de la Nouvelle-Zélande et d'autres pays qui sont venus étudier nos programmes. C'est une question que nous avons omis de poser à nos témoins précédents.
La présidente : En fait, M. Roberts a dit la même chose hier : le Canada est respecté à l'étranger à cause de ces programmes.
Le sénateur Oliver : Monsieur Langevin, j'ai aimé votre exposé, je l'ai trouvé très utile. Si j'ai bien compris, vous dites essentiellement que, selon vous, le projet de loi C-2 aura certains effets bénéfiques. Vous avez déclaré que vous pensiez que les mesures proposées auraient un certain nombre d'effets positifs pour la sécurité de la collectivité et pour changer l'attitude des délinquants et les amener à accepter des traitements.
Un des aspects de votre exposé que j'ai aimé est que vous avez été très franc. Vous avez été très direct. Vous dites que le projet de loi C-2, sous sa forme actuelle, part du principe que les psychiatres et les psychologues sont en mesure de prédire avec exactitude le risque de récidive des délinquants violents et des délinquants sexuels. Vous avez critiqué toute une série d'outils utilisés par eux. Je ne vais pas les énumérer à nouveau mais vous mentionnez dans votre mémoire le SORAG et de nombreux autres. Vous semblez penser qu'il faudrait disposer de tests plus objectifs.
Pourquoi le fait que ce projet de loi s'appuie sur le travail des psychologues et des psychiatres est-il mauvais? Cela vient-il du fait que leurs jugements ne sont pas précis? Existe-t-il des tests scientifiques et plus objectifs, des tests qualitatifs et quantitatifs que l'on pourrait utiliser? Si c'est le cas, quels sont-ils et quels sont ceux que vous recommanderiez?
M. Langevin : Ces mesures actuarielles sont en théorie scientifiques et objectives. Pour certaines d'entre elles, comme le Static-99, il n'est même pas nécessaire que ce test soit administré par un être humain; il suffit de prendre le rapport de police, d'en saisir les données dans un ordinateur et vous obtenez un score qui vous dit si le délinquant en question constitue un danger pour la collectivité. Il n'est même pas nécessaire de voir la personne.
Le sénateur Oliver : Mais il n'est pas précis.
M. Langevin : On présente à l'heure actuelle ce test comme un indice utile du risque que représente une personne donnée pour la collectivité. De la même façon, avec le VRAG et le SORAG, les gens peuvent établir une liste des crimes commis par la personne, en examinant principalement leurs antécédents correctionnels, procéder ensuite à une brève entrevue, remplir tous les instruments et obtenir un score qui à l'air objectif et qui mentionne que le délinquant en question a 80 p. 100 des chances de récidiver. Le problème est que l'exactitude d'un tel test est d'environ 6 p. 100. Il serait tout aussi efficace de lancer une fléchette vers une cible les yeux fermés; en fait on détiendrait ainsi un indice plus fiable.
Le sénateur Oliver : Quels sont les tests fiables, objectifs que vous recommandez?
M. Langevin : Je recommande d'examiner l'utilisation d'une arme dans la perpétration d'une infraction. Lorsque l'infraction est commise à l'aide d'une arme, elle entraîne davantage de dommage. Habituellement — et j'ai les chiffres dans le tableau 2, 73 p. 100 des délinquants dangereux et 28 p. 100 des autres délinquants ont utilisé une arme dans la perpétration de leur infraction sexuelle. Lorsqu'on utilise une arme, on cause des lésions corporelles à la victime qui doit être hospitalisée. La victime a des ecchymoses, elle est lacérée, inconsciente et parfois morte. Je parle de cet aspect comme d'un critère objectif des lésions corporelles causées à une personne qui peut être utilisé pour évaluer le danger que représente le délinquant pour la victime. C'est un élément.
Le sénateur Oliver : Il faudrait donc tenir compte des divers types d'armes utilisées pour savoir si cela aggrave le risque, n'est-ce pas? Si c'est le cas, avez-vous effectué cette analyse?
M. Langevin : J'ai examiné ces aspects et il est intéressant de noter que la plupart des délinquants utilisent des couteaux. La moitié environ des personnes qui buvaient ou étaient ivres au moment de l'infraction ont utilisés une arme. Lorsque le facteur alcool est présent, la probabilité que la victime subisse des violences est augmentée et c'est une arme de choix. C'est une arme qui est plus satisfaisante sur le plan des émotions pour un sadique parce que si la victime a peur de l'arme, il peut la lui mettre sur la gorge et la torturer. Avec une arme de poing, le délinquant tire et la victime est morte; c'est terminé. Cela supprime les préliminaires. Les délinquants préfèrent utiliser un couteau comme arme. Il y a aussi l'étranglement. La différence est de 47 p. 100 pour les délinquants dangereux contre 9 p. 100 pour les délinquants non dangereux. L'étranglement est également un moyen excitant parce que le délinquant exerce un contrôle sur sa victime et il en retire du plaisir. Ce sont là des critères objectifs. Pour ce qui est des blessures subies par la victime, on peut examiner les rapports d'hôpital pour voir s'il y a lieu de présenter une demande de déclaration de délinquant dangereux.
Le sénateur Oliver : Y a-t-il au Canada, un chercheur, un scientifique ou une agence qui ait utilisé ces divers critères pour le processus d'évaluation du risque?
M. Langevin : Oui, j'ai mentionné un des éléments du VRAG et du SORAG. C'et le contraire de ce à quoi vous pourriez vous attendre. Lorsqu'une personne est assassinée, on considère que l'auteur de l'infraction est celui qui risque le moins de récidiver. On ne voudrait pas qu'un meurtrier se retrouve en liberté. S'il y a eu des blessures, alors l'auteur de l'infraction obtient une note intermédiaire. Cela n'est pas logique. C'est le contraire de ce que l'on pourrait prévoir pour ce qui est du danger, à savoir du danger que le délinquant attaque quelqu'un d'autre. Ce sont là quelques-uns des critères qui peuvent jouer un rôle.
L'alcool est également un problème qui perdure. On vous a dit quel était le pourcentage des personnes détenues par le Service correctionnel Canada qui étaient alcooliques. En moyenne, près de la moitié de tous les délinquants sexuels et de tous les délinquants violents non sexuels sont alcooliques. Vous pouvez également voir dans le tableau 3 que 60 p. 100 des délinquants dangereux avaient consommé des drogues au moment de la perpétration de l'infraction.
Le sénateur Oliver : L'alcool et les drogues?
M. Langevin : L'un ou l'autre, souvent les deux. Les personnes qui consomment des drogues ont tendance à être beaucoup plus violentes. Un très grand nombre des personnes qui commettent des meurtres liés au sexe consomment des drogues comme les amphétamines ou le crystal meth, des drogues qui ont tendance à déclencher d'elles-mêmes la violence.
Le sénateur Oliver : Lorsque vous parlez de vos 3 000 dossiers, vous dites que vous avez une façon unique de recueillir ces renseignements; vous vous êtes adressé à la GRC, aux hôpitaux et à de nombreuses autres sources. Vous avez ensuite déclaré qu'il existait de nombreuses infractions non formelles qui n'étaient jamais signalées.
Cela veut-il dire qu'il est pratiquement impossible d'obtenir des statistiques exactes au sujet de la criminalité au Canada à cause de ces infractions?
M. Langevin : Oui, je pense que si vous cherchiez à établir le nombre d'infractions en utilisant à la fois les dossiers provinciaux et les dossiers fédéraux vous arriveriez à recenser 80 p. 100 des dossiers.
Le sénateur Oliver : Il vous manquerait donc 20 p. 100.
M. Langevin : Ce n'est tout de même pas si mal. Si l'on parle de récidive, ce pourcentage passe à 90 p. 100. Les gens ne nous disent plus tout. Cela remonte à la période où les délinquants pensaient que nous pouvions les guérir et où tout le monde avait une attitude positive.
Aujourd'hui, il y a 20 p. 100 des délinquants ou un peu moins qui nous déclarent avoir un problème sexuel ou avoir commis une infraction. Ils sont moins francs aujourd'hui.
Le sénateur Oliver : Comment appelez-vous ces infractions non formelles non signalées? Est-ce que la plupart de ces infractions sont commises dans un logement?
M. Langevin : Pas nécessairement. Ce sont des infractions sexuelles.
Le sénateur Oliver : Sont-elles commises dans un bureau?
M. Langevin : Le plus souvent non. Ce sont des infractions non formelles. Elles peuvent être commises dans des logements, des bars, des voitures ou dans les parcs. Ce sont là les scénarios les plus courants. Avec les enfants, on utilise souvent la voiture ou ces infractions sont commises par la personne qui les garde. Il y a toute une série de lieux possibles, ce ne sont pas toujours des logements.
Le sénateur Di Nino : Monsieur Langevin, plusieurs témoins nous ont parlé des efforts qu'avait déployés le SCC en matière de formation et de traitement, en particulier pour ceux qui ont été déclarés coupables d'un crime grave, comme les crime violents et les récidivistes, et le reste. Connaissez-vous ces programmes et si c'est le cas, qu'en pensez-vous?
M. Langevin : Il y a différents programmes, comme la toxicomanie, la gestion de la colère et les thérapies visant la prévention de la rechute en matière d'infraction sexuelle. On utilise également des médicaments, notamment ceux qui ont pour effet de réduire la libido. Bien entendu, le service traite également les principales maladies mentales avec des médicaments appropriés.
L'idée est bonne et donne de bons résultats pour certains délinquants. Pour d'autres, les bons résultats ne durent pas, parce que les détenus sont ensuite relâchés dans un environnement non structuré où ils retrouvent les problèmes qui étaient les leurs avant d'être incarcérés.
La plupart des problèmes que j'ai observés — et j'ai moi-même utilisé la plupart de ces méthodes de traitement. Si vous examinez le tableau 3 pour ce qui est de la scolarité de ces personnes, vous constaterez que la plupart d'entre elles n'ont pas terminé leurs études secondaires et ont des problèmes d'apprentissage. Elles ont aussi des déficiences intellectuelles. Il y a au moins un tiers des détenus qui souffrent de troubles de fonctionnement du cerveau et qui ont de la difficulté à traiter l'information. D'une certaine façon, c'est un peu comme si vous parliez à un mur. J'estime qu'il faudrait utiliser des méthodes spéciales pour rejoindre ces personnes. Il faut également modifier leur attitude. Ces gens n'aiment pas du tout...
Le sénateur Di Nino : Quelle attitude, celle des détenus?
M. Langevin : L'attitude qu'adoptent généralement les gens à l'égard des personnes qui ont des problèmes d'apprentissage à l'école et celle des détenus. Je parle des détenus. La plupart d'entre eux ont appris à fuir les situations d'apprentissage. À l'école, on se moque généralement d'eux : tu es stupide; tu vas aller dans la classe spéciale; tu es idiot. On les rabaisse tellement qu'ils sont très heureux de quitter l'école. C'est pourquoi il y a un si grand nombre de décrocheurs. Vous les remettez ensuite dans une situation de thérapie où ils se retrouvent, bien souvent, en groupe, avec du travail à faire après la séance, et ils ont le sentiment d'être dans une salle de classe et ils n'aiment pas ça du tout. La plupart du temps, le coût financier l'emporte sur l'efficacité de la méthode à utiliser pour ces personnes. C'est là un problème essentiel.
On ne tient également aucun compte ou on ignore totalement les problèmes neuraux dont souffrent une bonne partie de ces personnes. Vous pouvez voir avec le tableau 3 qu'un très grand nombre de ces délinquants souffrent de traumatismes crâniens. Dans certains cas, le comportement sexuel déviant n'a été est adopté qu'après le traumatisme. Il est déclenché par un changement dans leur cerveau et dans leur personnalité.
On ne tient pas compte non plus de l'hyperactivité avec déficit de l'attention. Selon certaines études, près de 40 p. 100 des délinquants sexuels souffrent de ce genre d'hyperactivité. C'est une maladie qui peut être traitée mais dont on ne s'occupe pas. On ne s'occupe pas non plus de troubles endocriniens; même s'ils peuvent être à l'origine de tendances agressives, en particulier le diabète.
L'effet de ces programmes est positif et donne de bons résultats pour certains. Il y a des détenus qui les suivent et à qui cela réussit très bien. Cependant, dans l'ensemble, il faut essayer de résoudre ces problèmes lorsqu'on essaie de leur enseigner quelque chose. On ne peut pas se contenter de les placer dans une salle de classe comme on le fait si souvent pour les programmes de gestion de la colère et de lutte contre l'alcoolisme.
Le sénateur Di Nino : Pensez-vous que la solution serait d'intervenir plus tôt et différemment de ce que l'on fait aujourd'hui.
M. Langevin : Oui, il est toujours préférable d'intervenir très tôt. Ce serait mieux si nous pouvions intervenir au niveau scolaire. La plupart de ces gens obtiennent des notes de 38 à 40 p. 100 dans des classes d'éducation spécialisée. On peut déceler certaines choses dès ce moment là et cela se passe bien souvent dans les écoles publiques.
Le sénateur Di Nino : M. Dyck, savez-vous que le projet de loi qui a précédé le projet de loi C-2, au moins sur la question dont vous avez parlé, était le projet de loi C-22 appelé l'âge de protection, qui a été présenté au Parlement, il y a bientôt deux ans? Êtes-vous au courant de ce contexte?
M. Dyck : Oui.
Le sénateur Di Nino : Sachant cela, pensez-vous toujours que nous avons examiné hâtivement cette mesure législative sans tenir un véritable débat? Pensez-vous qu'un débat qui dure 22 mois est un débat hâtif et insuffisant?
M. Dyck : Dans le contexte actuel, je crois savoir que le projet de loi devait être présenté au Sénat à l'automne, au moment où le Parlement était prorogé et que le débat vient tout juste de commencer.
Je dirais que la participation des jeunes à cette discussion a été très faible. Il n'y a pas eu beaucoup de jeunes qui ont été contacté au sujet de ce projet de loi. Egale Canada n'était invité qu'hier à parler de cette question.
À l'heure actuelle, cet examen est très rapide. Cela est combiné avec les crimes violents, ce qui envoie un message inadapté et entraîne un stigmate inapproprié.
Le sénateur Di Nino : Certains diraient que le projet de loi traite également de certains aspects violents et que c'est la raison pour laquelle cela est mentionné.
Dans le passage de votre exposé où vous parlez des personnes auprès de qui les adolescents devraient pouvoir obtenir des renseignements fiables, vous parlez de leurs écoles, de leur orienteurs, des cliniques de santé locale, des groupes de soutien formés par des pairs, des amis et des adultes auxquels ils peuvent faire confiance. Vous ne parlez pas de la famille. Y a-t-il une raison particulière pour laquelle vous n'avez pas mentionné la famille?
M. Dyck : Non, excusez-moi. Ce n'était pas mon intention d'omettre la famille.
Le sénateur Di Nino : Admettez-vous que les jeunes devraient parler avec des membres de leurs familles. À mon avis, ils devraient le faire et la famille devrait être une de leur principale source d'information et de conseils.
M. Dyck : La famille devrait certainement être une source de conseils.
Le sénateur Di Nino : Enfin, je ne suis pas sûr d'avoir bien compris ce que vous dites et je vous pose cette question sincèrement. Pensez-vous qu'il est normal que quelqu'un de 14 ans ait des relations sexuelles avec quelqu'un de 44 ans?
M. Dyck : Je n'ai pas l'intention de porter un jugement sur des relations particulières. Je pense que c'est un cas très particulier.
Le sénateur Di Nino : Je pense que votre mémoire laisse entendre que cela serait normal qu'une telle chose arrive.
M. Dyck : Cela dépend des cas individuels et il n'y a pas de déclaration générale qui puisse s'appliquer à tous les jeunes de 14 ans de notre pays. C'est un aspect qui devrait être laissé aux tribunaux, d'abord, et les individus devraient être éduqués pour qu'ils puissent prendre eux-mêmes des décisions éclairées dans ce domaine.
Le sénateur Di Nino : Si les relations sont ce qu'on appelle consensuelles, les tribunaux n'interviendront pas, ce serait donc un acte acceptable, du moins d'après ce que j'ai compris de votre exposé.
M. Dyck : Egale estime qu'il est tout à fait possible qu'il existe une relation consensuelle.
Le sénateur Andreychuk : Affirmez-vous qu'en matière d'activité sexuelle, il ne faut pas faire de différence entre les enfants et les adultes? S'ils veulent exercer une activité sexuelle, vous ne pensez pas que l'adulte peut exercer une influence indue et qu'il soit en mesure de créer un environnement qui risque d'avoir un effet négatif sur l'adolescent qui vit cette relation. Affirmez-vous que c'est une question d'information, que c'est à eux de décider et que si un jeune de 14 ans veut avoir des rapports avec une personne de 44 ans, vous ne faites pas de jugement de valeur et vous ne dites pas que la personne de 44 ans exerce peut-être une influence injustifiée sur un jeune esprit. Dites-vous que les jeunes sont tout à fait en mesure de prendre ce genre de décision?
M. Dyck : Ce n'est pas exactement ce que je dis. Premièrement, s'il y a un cas d'influence injustifiée, il y a des lois qui répriment ce genre d'abus ou d'exploitation sexuelle d'un mineur. Pour ce qui est des jeunes de 14 ou 15 ans, il y a le fait que les jeunes de moins de 14 ans sont déjà protégés avec l'âge du consentement actuel.
Notre position est que l'âge du consentement actuel devrait être conservé, et qu'il faut veiller à ce que les jeunes qui font partie de cette catégorie d'âge obtiennent l'information dont ils ont besoin pour être sûrs, dans le cas où ils auraient des relation sexuelles, qu'ils se trouvent dans une relation consensuelle et qu'ils sont en mesure de prendre des décisions raisonnées. Il s'agit ici de jeunes qui ont entre 14 et 16 ans, ce ne sont donc pas de jeunes enfants.
Le sénateur Andreychuk : Admettez-vous qu'après leur naissance, les enfants grandissent, se développent et qu'à un moment donné, la société leur dit qu'ils sont des adultes, qu'ils peuvent exercer toutes les responsabilités mais qu'avant d'avoir atteint cet âge, ils ne le peuvent pas. Vous dites que cette limite devrait être placée à 14 ans et non pas à 16 ans. Si j'ai bien compris, vous ne pensez pas qu'il soit acceptable qu'un adulte ait des relations sexuelles avec une personne de moins de 14 ans, mais vous pensez que c'est acceptable si celle-ci a plus de 14 ans parce qu'elle a suffisamment de maturité pour avoir un jugement éclairé au sujet de ses activités. Pourquoi pensez-vous qu'il est préférable de placer cette limite à 14 ans plutôt qu'à 16 ans.
M. Dyck : Les statistiques que j'ai examinées indiquent que les jeunes de cet âge sont actifs sexuellement. Il y a un grand nombre d'entre eux qui sont actifs sexuellement. Plutôt que de les forcer à se cacher — les jeunes de 14 ou 16 ans n'ont pas l'âge légal pour voir des relations avec un adulte d'après ce que dit la société. Il s'agit de choisir un âge à partir duquel ils ont besoin d'avoir accès à ces renseignements pour prendre ce genre de décisions parce que c'est à ce moment-là qu'ils sont actifs. Il faut veiller à ce que ces relations soient consensuelles, à ce que les jeunes sachent ce qu'ils font, qu'ils disposent de renseignements fiables, et que, s'ils leur arrivent quoi que ce soit, ils sauront comment obtenir de l'aide ou de l'information. Il faut qu'il puisse avoir accès à cette information sans craindre de stigmatiser ou de criminaliser leurs partenaires âgés.
Le sénateur Andreychuk : C'est là où je voulais en venir. Je ne comprends toujours pas pourquoi vous pensez qu'une personne qui n'a pas l'âge de la majorité peut faire tous ces choix. La société ne stigmatise pas l'enfant qui veut faire des expériences, l'adolescent qui est sexuellement actif. Il y a la clause qui accorde une exemption en matière d'âge; ce n'est pas la curiosité de l'enfant. Nous disons simplement qu'un adulte qui prend contact avec quelqu'un de cet âge a la responsabilité de limiter ses activités, non pas celle de l'enfant.
M. Dyck : Absolument, mais je ne vois pas pourquoi cela fait autant de différence de passer de 14 à 16 ans. L'aspect essentiel d'après nous est que les jeunes enfants n'ont pas accès à de l'éducation dans ce domaine.
Le sénateur Andreychuk : Ce problème d'accès à l'éducation existe-t-il à l'heure actuelle?
M. Dyck : Oui.
Le sénateur Andreychuk : Les jeunes hésitent-ils à demander des renseignements?
M. Dyck : Oui, il y a un sentiment de peur qui est très répandu. Il y a beaucoup de gens qui ne savent pas qu'ils peuvent avoir accès à cette information. Si l'on relève encore l'âge...
Le sénateur Andreychuk : Vous craignez que cela n'aggrave la situation.
M. Dyck : Absolument.
Le sénateur Andreychuk : Ne comprenez-vous pas que ce projet de loi impose un fardeau à l'adulte et non pas à l'enfant? Il y aura toujours le problème de l'éducation sexuelle pour les jeunes et celui de leur réticence à demander de l'information, mais la loi signalera aux adultes qu'ils ne doivent pas s'approcher des personnes de moins de 16 ans. C'est là l'intention du projet de loi, d'après ce que j'ai compris, et j'aimerais savoir si vous êtes en faveur de ce projet de loi?
M. Dyck : Je le suis; je pense que cela existe déjà.
Le sénateur Andreychuk : À l'heure actuelle, monsieur Langevin, tous vos tableaux montrent que les délinquants dangereux sont plus violents que les autres, consomment davantage de drogues, commettent davantage d'infractions violentes et sexuelles, comparaissent plus fréquemment devant les tribunaux, ont commis d'avantage d'infractions dans différentes villes et connaissent davantage de problèmes.
Autrement dit, la façon dont nous attaquons la question des délinquants dangereux et récidivistes semble donner des résultats. Elle n'est pas parfaite, mais elle donne de bons résultats; ai-je raison de le penser ou estimez-vous que nous nous trompons?
M. Langevin : Il y a beaucoup de gens qui remplissent les conditions pour être déclarées délinquants dangereux qui ne le sont pas ou qui ne font même pas l'objet d'une demande de déclaration mais le but recherché avec ce tableau est de montrer que ces chiffres risquent d'augmenter de façon très importante avec cette nouvelle mesure législative.
Oui, je pense qu'il y a des gens qui utilisent des armes et qui devraient être enfermés, loin du public. Mais je pense que bien souvent le processus décisionnel est arbitraire. Nous ne savons pas vraiment comment prévoir si ces délinquants vont récidiver ou non. Il pourrait être tout aussi efficace d'imposer des peines plus longues à ces personnes, de longues peines à durée déterminée pour qu'elles ne se retrouvent pas dans la collectivité.
Il se fait des choses, vous avez raison. Il y a des membres de ce groupe qui n'ont pas utilisé d'armes, qui n'ont pas blessé leurs victimes. Des gens qui ont peut-être victimisé 15 à 30 enfants, qui les ont attirés avec des cadeaux ou autres choses, qui ne leur ont pas fait de mal et qui ont peut-être même obtenu des lettres d'appui de la part de leurs victimes, et qui ont été déclarés des délinquants dangereux parce qu'ils vont récidiver et qu'il est impossible de les en empêcher. Si vous tenez compte de la violence, cela couvre un secteur plus large que celui des délinquants sexuels. Nous obtenons des résultats; nous détenons un certain nombre de ces personnes. À l'égard de certaines d'entre elles, nous n'intervenons pas suffisamment tôt; elles n'arriveraient peut-être jamais là où elles se sont rendues, si nous l'avions fait.
Il y a plusieurs aspects, mais ma principale remarque sur ce point est qu'il y aura beaucoup plus que 50 nouveaux délinquants dangereux par année, si nous mettons en place ces différentes mesures, selon ce que fera la Couronne. Les procureurs de la Couronne diront peut-être qu'ils ne veulent pas s'occuper de cela; ils ne voudront peut-être pas faire le travail ou déployer autant d'efforts. Il est très long de préparer une demande de déclaration de délinquant dangereux. Il est toutefois possible qu'ils décident d'aller de l'avant en pensant que le moment est venu de le faire et vous serez surchargés. C'est la raison pour laquelle ces données sont placées ici.
Le sénateur Andreychuk : Vous ne recommandez pas que nous ne fassions rien, n'est-ce pas?
M. Langevin : Oh, non.
Le sénateur Andreychuk : Vous dites que vous avez constaté qu'il existe des outils qui sont, d'après vous, supérieurs à ceux qu'on utilise à l'heure actuelle. Vous vous basez sur votre compétence pour dire que les critères utilisés jusqu'ici ont des lacunes et vous présentez des suggestions sur la façon d'améliorer l'administration, si je peux m'exprimer ainsi, du système.
M. Langevin : Oui.
Le sénateur Di Nino : J'aimerais demander à M. Dyck s'il a présenté son exposé aujourd'hui à titre personnel ou pour le compte d'Egale Canada.
M. Dyck : Je suis ici pour le compte d'Egale Canada.
[Français]
Le sénateur Chaput : Ma question concerne l'exploitation sexuelle, et M. Dyck et le M. Langevin pourront y répondre tous les deux.
Présentement, les activités sexuelles qu'on appelle « de nature exploitante » sont permises lorsque la personne a 18 ans et ces activités réfèrent surtout à la prostitution. Nous savons très bien que beaucoup de prostitués commencent à travailler avant l'âge de 18 ans. L'âge de consentement élevé ne semble donc pas les avoirs protégés puisqu'il y a toujours de la prostitution qui se pratique par des jeunes de moins de 18 ans.
Le présent projet de loi va hausser l'âge de consentement de 14 ans à 16 ans. Croyez-vous que de hausser l'âge de consentement de 14 ans à 16 ans permettra de réduire l'exploitation sexuelle des plus jeunes? Lorsqu'on regarde la situation actuelle, la limite d'âge élevée de 18 ans ne semble pas avoir entravé la prostitution.
[Traduction]
M. Dyck : Je suis tout à fait d'accord avec vous lorsque vous dites que ces problèmes existent à l'heure actuelle. Notre système n'est pas efficace à 100 p. 100. Il faut trouver une solution. À notre avis, cette solution passe par un renforcement de l'éducation et de l'accès aux services de soutien. Nous estimons que le relèvement de l'âge du consentement de 14 à16 ans aura l'effet contraire.
M. Langevin : Je ne pense pas que l'objectif de ce projet de loi soit principalement de supprimer la prostitution des jeunes des deux sexes qui n'ont pas atteint l'âge du consentement. Je pense qu'il permettra de protéger la catégorie d'adolescents qui se trouvent à une étape de leur vie ou à un stade où ils ne sont pas en mesure de prendre des décisions raisonnées, où ils manquent d'expérience et pourraient être flattés de l'intérêt que leur porte un homme âgé qui peut abuser de la situation. Cela pourrait empêcher ce jeune de s'impliquer dans une relation sexuelle pour laquelle il ne possède pas une maturité suffisante.
L'objectif est de s'attaquer à ce problème. Ce projet de loi pourrait avoir pour effet d'éliminer une partie de la prostitution mais, habituellement, les prostituées viennent d'un environnement familial dysfonctionnel. Je ne pense pas que la plupart des jeunes qui naviguent sur Internet et voient quelqu'un, viennent nécessairement d'une famille dysfonctionnelle. Ils ne sont pas suffisamment surveillés et se mettent dans de situations qui les dépassent. Cela les aidera. Cela aidera l'enfant moyen. Je ne pense pas que ce projet de loi ait un effet important sur la prostitution.
La présidente : Il a été affirmé à plusieurs reprises que la partie du projet de loi qui traite de l'âge du consentement avait pour but de réduire, à tout le moins, l'exploitation sexuelle des jeunes. Cependant, l'article 153 du Code criminel réprime également l'exploitation sexuelle, c'est-à-dire une relation sexuelle entraînant l'exploitation d'un jeune, à savoir une personne de moins de 18 ans, et il énonce que le juge peut déduire
[...] de la nature de la relation entre la personne et l'adolescent et des circonstances qui l'entourent, notamment des événements ci-après, que celle-ci est dans une relation où elle exploite l'adolescent :
a) l'âge de l'adolescent;
b) la différence d'âge entre la personne et l'adolescent;
c) l'évolution de la relation;
d) l'emprise ou l'influence de la personne sur l'adolescent.
Les deux premiers éléments, à savoir l'âge et la différence d'âge, semblent donner aux poursuivants qui veulent les utiliser des outils, à mon avis, particulièrement efficaces. Pourquoi faudrait-il relever l'âge du consentement dans le but de réduire l'exploitation sexuelle des jeunes alors que tout cela est déjà clairement précisé?
M. Langevin : C'est peut-être clairement précisé, mais cela arrive. Il n'est pas rare que des jeunes de 14 et 15 ans soient exploités par un adulte âgé, quelqu'un qui a dans la quarantaine ou dans la cinquantaine, et cela ne donne pas lieu à des poursuites devant les tribunaux pénaux. Ce qui préoccupe les organismes comme Beyond Borders est que cela se produit bien trop souvent, que cela ne débouche pas sur des poursuites bien souvent à cause du fait que l'âge du consentement est fixé à 14 ans. Si l'on se base sur les données statistiques, il serait alors plus difficile de se servir de cette excuse pour exploiter un jeune.
La présidente : J'essaie de rassembler sous une forme cohérente le plus d'éléments possibles? Je me souviens avoir entendu des témoignages, notamment le vôtre, M. Langevin, selon lesquels les délinquants dangereux qui sont des délinquants sexuels, ce qui comprend le genre de personnes dont nous parlons en ce moment, à mon avis, du moins, ont tendance à ne pas être aussi rationnels que les citoyens ordinaires. Ils ont plus fréquemment des traumatismes crâniens, des troubles d'apprentissage, ce qui indique peut-être qu'ils ne se soucient pas beaucoup de l'âge du consentement.
Il me semble que l'homme de 45 ans qui s'intéresse à un jeune de 14 ans, en particulier une fille, n'est peut-être pas très rationnel, du moins par rapport à la façon dont nous considérons ces choses et je me demande comment le fait de changer la loi modifiera cette situation.
M. Langevin : Cette situation n'est même pas examinée parce que l'âge du consentement est de 14 ans. C'est là l'origine de la plainte. Il y a beaucoup de jeunes qui font partie de ce groupe d'âge qui sont exploités.
La présidente : Et cela, malgré l'existence de l'article 153 du Code criminel du Canada.
M. Langevin : Je ne sais pas pourquoi, mais cet article du Code criminel n'est pas appliqué. Les représentants de Beyond Borders en savent davantage que moi mais c'est ce que je comprends. Quelles que soient les lois en vigueur, elles ne protègent pas efficacement les jeunes qui font partie de ce groupe d'âge.
La présidente : Pourrais-je alors revenir, en changeant de sujet, aux renseignements vraiment fascinants qui se trouvent dans vos tableaux? Le tableau 3 énumère les caractéristiques des délinquants. Les chiffres relatifs aux antécédents scolaires sont intéressants mais j'ai trouvé encore plus intéressant les conclusions concernant les troubles neurologiques et endocriniens, même si l'échantillon est tellement faible qu'il faut faire preuve de prudence à cet égard. Vous parlez de 84 p. 100 de délinquants ayant subi des traumatismes crâniens, 41 p. 100 souffrant de troubles neuropsychologiques, par exemple, D'après votre expérience, comment les services correctionnels s'occupent-ils de ces cas-là? Existe-t-il des programmes médicaux? Je ne sais pas quel est le traitement approprié pour les traumatismes crâniens. Vous dites que l'hyperactivité avec déficit de l'attention peut être traitée. Existe-t-il quelque chose qui ressemblerait même de loin à un système approprié et adéquat qui permette de traiter ces personnes?
M. Langevin : Je ne connais aucun programme en Amérique du Nord qui s'attaque à ce problème. Lorsqu'une personne est vraiment dysfonctionnelle à cause des blessures qu'elle a subies, dans un accident de voiture, par exemple, il est souvent bien difficile de faire quoi que ce soit.
Je devrais signaler qu'il n'y a que huit ou neuf études au monde qui examine cet aspect chez les délinquants dangereux et les délinquants sexuels. Ces études mentionnent toutes que c'est là un facteur important. À ma connaissance, il n'y a aucun programme de traitement qui soit adapté à ces cas-là. On ne leur offre pas de traitement parce que ces délinquants ne sont pas en mesure d'en profiter; on les place dans un groupe et on les traite comme s'ils étaient normaux, comme s'ils n'avaient pas de problème. Il existe des méthodes éducatives qui permettent à ces personnes d'apprendre à s'adapter à ces maladies mais on ne s'en occupe tout simplement pas en ce moment.
Le sénateur Cowan : À la première page de votre mémoire, vous dites que vous et vos collègues possédez des dossiers d'évaluation concernant 51 demandes de déclaration de délinquants dangereux présentées au cours des 30 dernières années et une base de données comprenant 3 000 dossiers environ pour la période de 1966 à 1999. Est-ce que ces dossiers ont été examinés par vous et vos associés?
M. Langevin : Oui.
Le sénateur Cowan : Si nous passons au tableau relatif aux délinquants dangereux, est-ce que les chiffres qui y figurent concernent ces 51 délinquants?
M. Langevin : Ce groupe-là, oui.
Le sénateur Cowan : Et le groupe de délinquants non dangereux, quelle est la taille de ce groupe?
M. Langevin : Ce groupe comprend des milliers de délinquants.
Le sénateur Cowan : C'est donc le reste des 3 000 délinquants.
M. Langevin : Oui.
Le sénateur Cowan : La première colonne de chacun de ces tableaux est un chiffre tiré des 51 dossiers ou un pourcentage de ces dossiers?
M. Langevin : C'est exact. Il ne faut pas oublier que cela représente un huitième de tous les délinquants dangereux connus.
Le sénateur Cowan : Je comprends.
M. Langevin : C'est un échantillon important.
Le sénateur Cowan : Merci.
Le sénateur Andreychuk : Monsieur Langevin, vous faites remarquer que les véritables prédateurs qui sont visés par les dispositions législatives actuelles ne représentent qu'un petit nombre des prédateurs que nous avons identifiés. Ne sommes-nous pas en train d'adopter une mesure davantage axée sur la prévention, puisqu'elle place le fardeau de la preuve sur l'adulte, parce que nous ne pouvons pas intenter des poursuites dans certains de ces dossiers parce que le consentement peut être utilisé comme un moyen de défense?
M. Langevin : Oui, c'est ce qui se passe.
La présidente : Nous avons eu une séance extrêmement intéressante. Vous nous avez, tous les deux, donné beaucoup de matière à réflexion et nous vous en remercions.
Honorables sénateurs, nous avons eu une journée extrêmement intéressante et avons obtenu beaucoup d'information.
Le sénateur Andreychuk : M. Dyck a déclaré qu'il avait été invité hier et cela me préoccupe.
La présidente : Je voulais aborder ce point. Nous avons en fait essayé de rejoindre Egale Canada il y a quelque temps. D'après mon expérience, y compris celle de ceux dont je me suis occupée comme parent, il n'est pas toujours très facile de rejoindre les étudiants, mais nous avons essayé de le faire. Si vous n'avez reçu le message qu'hier, je vous prie de nous en excuser. Nous voulions vraiment vous prévenir avant et c'est ce que nous avons essayé de faire. Nous vous offrons nos excuses à vous et à Egale Canada.
La séance est levée.