Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 10 - Témoignages du 22 février 2008 - Séance du matin
OTTAWA, le vendredi 22 février 2008
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 2, pour étudier le projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence.
L'honorable Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles poursuit ce matin son étude du projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence.
Nous avons encore une longue journée devant nous, mais nous commençons avec deux témoins extrêmement intéressants. Nous les remercions d'ailleurs d'avoir accepté notre invitation.
[Traduction]
Nous accueillons le professeur Neil Boyd de l'Université Simon Fraser ainsi que Jonathan Rudin, directeur de programme des Services juridiques autochtones de Toronto. Je vais vous demander à chacun de faire une brève déclaration liminaire, après quoi nous passerons aux questions.
Neil Boyd, professeur, Université Simon Fraser, à titre personnel : Je suis heureux de pouvoir m'adresser à votre comité au sujet du projet de loi C-2, projet visant à réprimer la criminalité avec violence. Mon interprétation générale de ce projet de loi, qui constitue un amalgame de mesures concernant les infractions avec arme à feu, les personnes dangereuses et à risque élevé, la conduite en état d'ivresse et l'âge de consentement, est qu'il ne repose pas sur les meilleures informations disponibles concernant l'efficacité des différents types de sanctions pénales. Au contraire, c'est un assemblage de mesures relativement moralisatrices et punitives appliquées à ces problèmes assez disparates que sont les crimes à main armée, la classification des délinquants dangereux, la conduite sous l'effet des drogues et la sexualité des adolescents.
J'aimerais être aussi précis que possible au sujet de ce projet de loi, en me fondant sur des données probantes, car j'estime que cette caractéristique est sa principale faiblesse. Mes deux principales préoccupations concernent les dispositions de renversement du fardeau de la preuve qui seront employées dans les procès de délinquants dangereux et le relèvement de l'âge de consentement de 14 à 16 ans — sous réserve d'une possibilité de défense prévue aux paragraphes 150.1(2.1) et 150.1(2.2) s'il y a une différence d'âge de moins de cinq ans. J'approuve le relèvement des pénalités pour conduite en état d'ivresse, du point de vue symbolique et pour tenter d'éliminer les échappatoires existant dans la législation actuelle, bien que j'aie certaines préoccupations d'ordre pratique concernant la manière dont ces changements modifieront les pratiques actuelles et la réaction des tribunaux à la conduite sous l'effet du cannabis. J'ai des préoccupations similaires concernant l'effet limité sur les pratiques actuelles des modifications relatives à l'utilisation d'armes à feu.
Permettez-moi d'aborder tout d'abord le paragraphe 753(1.1), qui est sans doute l'élément le plus controversé de ce projet de loi. Je veux parler de la nécessité apparente de renverser le fardeau de la preuve lors des procès de délinquants dangereux.
Si le tribunal est convaincu que, d'une part, l'infraction dont le délinquant a été reconnu coupable est une infraction primaire qui mérite une peine d'emprisonnement de deux ans ou plus et que, d'autre part, celui-ci a déjà été condamné pour au moins deux infractions primaires lui ayant valu, dans chaque cas, une peine d'emprisonnement de deux ans ou plus, il est présumé, sauf preuve du contraire établie selon la prépondérance des probabilités, que les conditions prévues... sont remplies.
Je suppose qu'il s'agit là pour moi d'une question de principe autant que de pratique. De principe, dis-je, parce que, pour priver un individu de sa liberté, nous exigeons normalement que son caractère dangereux ou son acte criminel soit prouvé au-delà de tout doute raisonnable. Si le gouvernement veut modifier cette pratique de longue date — ce qu'il ne devrait faire que de manière extrêmement rare, à mon avis, voire jamais —, il devrait nous présenter des données très convaincantes.
Ces dernières années, il y a eu environ 25 procès de délinquants dangereux par an. Avons-nous des données indiquant que le système actuel ne fonctionne pas et que des personnes dangereuses sont en fait considérées comme ne l'étant pas? A-t-on commis de graves erreurs judiciaires et la législation actuelle pose-t-elle tant de difficultés qu'il faille aujourd'hui renverser ce fardeau de la preuve? Il s'agit ici de questions de liberté et il me semble crucial, quand on veut priver quelqu'un de sa liberté, de ne le faire qu'avec des preuves établies au-delà de tout doute raisonnable. S'il y a une disposition de ce projet de loi que le Sénat se doit de rejeter, c'est bien celle-ci, car elle enverrait un message erroné aux Canadiens. Elle n'est pas nécessaire et nous n'avons aucune preuve qu'elle est justifiée.
Comme je le dis dans mon mémoire, il n'est pas du tout évident que cette protection traditionnelle de la preuve au- delà de tout doute raisonnable ne devrait pas s'appliquer dans de telles circonstances. Voyez par exemple le jugement récent de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire R. c. D.B. qui est actuellement devant la Cour suprême du Canada. Ce jugement de la Cour d'appel de l'Ontario permet de penser que le projet de loi sera probablement contesté du point de vue de sa constitutionnalité, ce qui coûtera du temps et de l'argent, et qu'il sera probablement invalidé à ce titre. S'il ne l'est pas dans ce contexte, je peux vous assurer, même si cela donnera beaucoup de travail aux avocats, qu'il n'est absolument pas nécessaire pour assurer la protection du public. J'ai le sentiment que ce texte répond à des objectifs politiques plutôt qu'à un besoin réel, justifié par des données solides.
Parlons maintenant de l'âge de consentement. Les modifications proposées à ce chapitre s'expliquent, et c'est compréhensible, par les préoccupations que suscite le comportement prédateur de certains hommes à l'égard de jeunes filles âgées de 14 à 16 ans. Toutefois, il n'existe dans aucun pays la moindre preuve que fixer l'âge de consentement à 16 ans réduit l'exploitation sexuelle des jeunes, notamment, ce qui est le facteur déterminant ici, des jeunes filles.
En revanche, nous disposons d'informations concernant la pertinence de ce problème. Des enquêtes ont montré qu'environ 25 p. 100 des adolescents, garçons ou filles, sont sexuellement actifs avant l'âge de 16 ans dans le cadre de ce que les participants décrivent le plus souvent comme étant une relation consensuelle. Facteur plus pertinent dans le cadre de ce projet de loi, environ 25 p. 100 des jeunes filles ayant des relations sexuelles avant l'âge de 16 ans les ont avec un partenaire plus âgé de plus de cinq ans. Autrement dit, chaque année, des dizaines de milliers de jeunes Canadiennes, soit environ 6 p. 100 de toutes les jeunes filles de moins de 16 ans, ont des relations sexuelles avec un homme ayant au moins plus de cinq ans de différence d'âge.
Une enquête récemment menée aux États-Unis a révélé que, dans environ 25 p. 100 de ces cas, la relation sexuelle n'était pas souhaitée. Évidemment, ce chiffre est trop élevé. Quand on analyse la situation de cette population de jeunes filles, force est bien de constater qu'on y trouve des taux de grossesse plus élevés ainsi que d'autres difficultés, comme des niveaux de scolarisation plus faibles.
Toutefois, ces conclusions ne s'appliquent pas à 75 p. 100 des cas. Les difficultés d'ordre social et éducatif sont plus probables chez les jeunes filles ayant des relations sexuelles avec des hommes dont la différence d'âge est d'au moins cinq ans, mais le droit pénal est-il la réponse la plus appropriée à ce sujet, et est-ce même une réponse appropriée en soi? Il s'agit là en effet d'un problème social, et criminaliser les partenaires de ces jeunes filles reviendrait à faire fi du fait que, dans la plupart des cas, leur comportement n'est pas prédateur. Une majorité écrasante de ces jeunes filles, deux ans après l'événement, ne se considèrent pas comme ayant été victimes d'un acte criminel. Dans la moitié des cas environ, la relation sexuelle s'est produite avec un jeune homme qui était leur « petit ami ». Si tel est le cas, et comme nous parlons ici de dizaines de milliers de jeunes filles, agir par le truchement du droit pénal fera probablement plus de mal que de bien.
Je dois sauter assez rapidement d'un sujet à l'autre parce que le projet de loi porte sur beaucoup de sujets différents.
En ce qui concerne la conduite avec facultés affaiblies et en état d'ivresse, j'approuve l'alourdissement des pénalités lorsqu'elle entraîne des blessures corporelles ou la mort. Bien que les condamnations soient rares pour de telles infractions, même lorsque que la conduite en état d'ivresse entraîne la mort, il est important d'affirmer, au moins symboliquement, que ce genre d'infraction est analogue aux autres infractions contre les personnes où les blessures et la mort sont la conséquence d'une forme quelconque d'intention criminelle. Il y a chaque année au Canada deux fois plus de morts causées par la conduite en état d'ivresse que par le meurtre ou l'homicide mais on leur applique rarement les mêmes normes de culpabilité morale, juridique ou autre.
Cela dit, je ne suis pas sûr que ce projet de loi modifie sensiblement la réalité actuelle. En Colombie-Britannique, la réaction habituelle à la conduite en état d'ivresse est une suspension du permis de conduire pendant 24 heures. Cela s'explique par le fait que le temps et les ressources requis pour traiter ce type de dossier sont tellement élevés qu'on n'intente de poursuites que dans les cas les plus graves. Étant donné la taille ainsi que la diversité sociale et économique du groupe de population commettant cette infraction, nous avons un appareil législatif extraordinaire sur la conduite en état d'ivresse, et un degré extraordinaire de protection des droits des chauffards ivres par rapport à beaucoup d'autres types de criminels.
La conséquence de cette réalité est que l'application de la loi a été rendue plus difficile et je ne suis pas du tout certain que les modifications proposées y changeront quoi que ce soit. Je n'en vois aucune indication. En fait, il est probable que les exigences supplémentaires concernant le contrôle des conducteurs en état d'ivresse ne feront que remplir les poches des avocats de la défense qui, on les comprend, soulèveront le caractère scientifiquement douteux de ces nouvelles techniques d'application de la loi.
En outre, le contrôle des individus conduisant sous l'effet du cannabis est plus complexe qu'il n'y paraît. Il y a une grande différence entre repérer la présence de cannabis dans les métabolites d'une personne et repérer la consommation récente de cette drogue. Le seul test fiable de consommation récente semble être l'analyse du sérum sanguin mais, même dans ce cas, le test ne permet pas d'identifier la période de consommation dans une plage plus précise que 24 à 48 heures s'il s'agit d'un consommateur habituel. Or, ce sont précisément les consommateurs habituels de cannabis qui sont le plus susceptibles d'être arrêtés pour avoir conduit sous l'effet de cette drogue. Encore une fois, les avocats seront les bénéficiaires de cette modification législative sans qu'on puisse garantir qu'elle aura beaucoup d'incidence sur les taux de conduite sous l'influence de l'alcool ou de la drogue.
Finalement, j'aimerais parler du problème des armes à feu et des peines minimales obligatoires qui sont envisagées. Il existe déjà des peines minimales obligatoires mais on se propose, avec ce projet de loi, de faire passer le minimum d'un an à trois ans en cas de première condamnation. Certes, les crimes commis à main armée sont un problème grave et ont été à l'origine d'un plus grand pourcentage d'homicides au Canada durant les cinq dernières années que durant toute période antérieure, mais il n'est pas évident que la peine minimale obligatoire réduira les actes de violence actuellement constatés au Canada.
Je serais favorable à ce qu'on essaye de retirer de la circulation toutes les armes de poing, à titre de produits dangereux. Dans son ensemble, la population les juge plus dangereuses que la plupart des drogues illicites. Quand on parle de produits dangereux, il est permis de s'interroger sur les choix pour le moins bizarres que nous faisons comme société.
Mes réserves à l'égard du projet de loi n'émanent pas d'une éventuelle réticence de ma part à sanctionner sévèrement la violence à main armée. Elles s'expliquent plutôt par les questions que je me pose au sujet des conséquences pratiques de cette orientation. Examinons le cas des jeunes hommes qui circulent dans les rues de Vancouver ou de Toronto et dont le port d'une arme à feu fait partie du mode de vie. Ce sont des jeunes qui sont prêts à faire un usage mortel de leur arme contre leurs adversaires ou leurs amis pour des questions telles que le règlement d'une dette, le vol, la concurrence ou la vente de produits défectueux. Il y a aussi des causes plus triviales ou banales d'utilisation de leurs armes à feu, reliées à des questions personnelles telles que l'insulte, le déshonneur apparent ou la jalousie.
Il y a un élément constant dans toutes ces situations : ces jeunes hommes qui sont prêts à s'entre-tuer se moquent bien de savoir si leur peine sera trois ans plutôt qu'un, ou cinq ans plutôt que trois, voire même l'incarcération à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans. En effet, ils risquent déjà leur vie tous les jours dans leurs activités courantes.
A-t-on la moindre preuve que des peines minimales obligatoires rendront nos rues plus sûres? Absolument pas. De fait, si vous consultez les deux bases de données criminologiques principales, les Criminal Justice Abstracts et les National Criminal Justice Reference Services, vous trouverez de nombreux articles fondés sur des données probantes au sujet de l'incidence des peines minimales obligatoires aux États-Unis. Lors d'une consultation récente, je n'en ai trouvé aucun comportant des conclusions positives ou exprimant une opinion favorable sur cette approche. Et cela ne s'explique pas parce que les criminologues sont des libéraux à tout crin — loin de là. C'est simplement parce que la preuve du contraire est tellement écrasante.
Le sénateur Cowan : Permettez-moi d'exprimer mon désaccord.
M. Boyd : Les peines minimales ne dissuadent pas. Quand on supprime le pouvoir discrétionnaire des juges, ceux-ci ont tendance à incarcérer inutilement. Comme beaucoup l'ont dit au sujet de ce problème, les solutions toutes faites ne conviennent pas. En outre, les peines minimales obligatoires coûtent extrêmement cher. Aux États-Unis, elles ont débouché sur des taux d'incarcération sans précédent.
Il est peu contestable que les peines minimales obligatoires ont augmenté de manière spectaculaire les taux d'incarcération aux Etats-Unis sans avoir d'effet notable sur les taux de criminalité. Vous trouverez une citation à ce sujet dans mon mémoire.
Malheureusement, cette initiative — je parle ici des minimums obligatoires — procède plus d'un phénomène de gesticulation politique. C'est de la frime. Dire qu'on va sanctionner sévèrement la criminalité augmente les taux d'incarcération mais ne rend pas les rues plus sûres. Je vais en rester là, madame la présidente, et je serais heureux de répondre à vos questions quand M. Rudin aura terminé son exposé.
Jonathan Rudin, directeur de programme, Services juridiques autochtones de Toronto : Les Services juridiques autochtones de Toronto (ALST) tiennent à remercier le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles de lui donner l'occasion de présenter notre point de vue sur le projet de loi C-2.
Notre organisation avait déjà comparu devant le comité en octobre 2001 pour parler du projet de loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Nous avions alors évoqué la nécessité d'ajouter à cette loi une disposition semblable à l'alinéa 718.2e) du Code criminel (qu'on appelle souvent la disposition Gladue). Votre comité et le Sénat ont tenu compte de nos préoccupations et de celles d'autres organisations autochtones et ont apporté au projet de loi des modifications qui ont été adoptées par la Chambre des communes. Nous voulons profiter de cette occasion pour remercier les membres du comité ainsi que tous les sénateurs pour leur prise de position qui a eu des effets très réels.
Comme notre temps est limité, je saute la description des programmes dispensés par Aboriginal Legal Services. Vous la trouverez dans notre mémoire.
Pour placer ce projet de loi en contexte, il importe de garder à l'esprit quelques statistiques. Le problème de la surreprésentation des Autochtones dans les prisons inquiète les Canadiens depuis qu'ils ont appris son existence vers la fin des années 1980. La réalité de cette surreprésentation constitue l'un des motifs de l'adoption par le Parlement du projet de loi C-41 en 1996 et surtout de l'introduction de l'alinéa 718.2e) du Code criminel.
Pourtant, malgré toutes les préoccupations exprimées au sujet de la surreprésentation des Autochtones, la situation ne cesse de s'aggraver. À l'heure actuelle, parmi les personnes incarcérées, presque un homme sur cinq et une femme sur trois sont Autochtones. De plus, ce qui ne surprend guère, plus de 20 p. 100 des délinquants déclarés dangereux dans les prisons canadiennes sont Autochtones.
Projet de loi omnibus, le C-2 contient de nombreuses dispositions. Nous concentrerons ici notre attention sur deux de ses aspects, les peines minimales obligatoires pour les infractions avec arme à feu et le nouveau régime proposé de déclaration des délinquants dangereux.
Nous avons deux préoccupations précises au sujet des peines obligatoires prévues dans le projet de loi C-2 et souhaitons proposer une modification à cet égard. Nos préoccupations sont que trop de peines minimales sont d'office des peines d'incarcération et, comme l'a dit le professeur Boyd, rien ne permet de croire qu'elles ont un effet dissuasif.
En vertu du projet de loi, un certain nombre de peines minimales d'un an seront maintenant des peines d'emprisonnement de trois ans. Même si la sécurité publique impose de condamner certains individus à l'emprisonnement dans un pénitencier fédéral, cette mesure est exagérée.
Les membres du comité ne doivent pas se faire d'illusions en croyant qu'une peine de trois ans changera de manière positive la vie d'un délinquant. Selon des informations que nous avons reçues des représentants en Ontario du Service correctionnel du Canada, la plupart des individus condamnés à trois ans d'incarcération ne bénéficient d'aucun programme sérieux de réadaptation avant leur libération. En outre, le SCC ne dispense en Ontario quasiment aucun programme spécialement axé sur les Autochtones. Je sais que l'Enquêteur correctionnel du Canada a exprimé des préoccupations similaires devant votre comité.
Il est important de garder à l'esprit cette constatation de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Gladue : le milieu carcéral est particulièrement inadapté aux délinquants autochtones, notamment à cause du racisme qui règne dans les prisons du Canada. Comme l'a dit l'Enquêteur correctionnel lors de sa comparution devant votre comité, les Autochtones font toujours l'objet de discrimination systémique au SCC.
Le projet de loi entraînera l'incarcération directe dans un pénitencier fédéral de personnes qui n'ont eu que peu ou pas de démêlés avec la justice. Le fait pour ces personnes de côtoyer les criminels les plus dangereux du Canada leur permettra d'acquérir de nouvelles compétences, mais malheureusement pas celles que nous souhaitons. Nous devons considérer avec réalisme ce qui arrive à ceux qu'on envoie en pénitencier : dans la plupart des cas, ils en sortent pires qu'à leur arrivée.
Cette partie du projet de loi repose sur la conviction que des peines minimales dissuadent les gens de commettre des crimes. Comme une bonne partie de cette mesure législative vise à accroître les peines minimales pour les infractions comportant déjà une peine minimale, il faut croire que les autorités pensent que des peines minimales plus sévères seront encore plus dissuasives.
Le problème fondamental de cette hypothèse, comme l'a dit le professeur Boyd, est qu'elle ne repose sur aucune preuve concrète. Bien qu'ils ne représentent que 3 p. 100 de la population canadienne, les Autochtones constituent 22 p. 100 de la population carcérale. Ils savent mieux que quiconque que commettre un crime les expose à la prison mais cela n'empêche pas leur taux de surreprésentation dans la population carcérale de continuer à monter. Cela s'explique en grande mesure par le fait que la criminalité autochtone est bien souvent une criminalité non préméditée mais plutôt une réaction irréfléchie à des pressions soudaines. Les toxicomanies, la violence interpersonnelle, le sentiment de désespoir et l'héritage de pratiques gouvernementales telles que les pensionnats et les adoptions massives sont tous des facteurs à prendre en considération quand on veut expliquer pourquoi des Autochtones commettent des crimes.
Nous ne cherchons pas du tout à justifier leur comportement mais il faut bien comprendre que les menacer de peines minimales plus lourdes ne fait rien pour lutter contre les causes profondes de la criminalité chez les Autochtones. Ces peines entraîneront tout simplement l'incarcération d'un nombre croissant d'Autochtones pour des périodes de plus en plus longues.
Pourquoi les Canadiens devraient-ils se soucier du nombre croissant d'Autochtones en prison? Après tout, si ces Autochtones se sont rendus coupables d'infractions criminelles, pourquoi faudrait-il les exempter de la prison, qui constitue la sanction la plus sévère du système de justice pénale? Pour répondre à ces questions, il est utile de revenir à l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans R. c. Gladue.
Au sujet de la surreprésentation des Autochtones, la Cour suprême a dit que :
Ces constatations exigent qu'on reconnaisse l'ampleur et la gravité du problème, et qu'on s'y attaque. Les chiffres sont criants et reflètent ce qu'on peut à bon droit qualifier de crise dans le système canadien de justice pénale. La surreprésentation critique des Autochtones au sein de la population carcérale comme dans le système de justice pénale témoigne d'un problème social attristant et urgent.
La surreprésentation des Autochtones prouve que le système de justice pénale n'a pas réussi à s'attaquer aux causes profondes de la criminalité autochtone.
Ces préoccupations nous amènent à l'amendement que nous souhaitons proposer. Nous appuyons l'amendement suivant proposé au comité par la Criminal Lawyer's Association :
Nonobstant toute peine minimale prescrite, sauf pour l'infraction de trahison ou de meurtre, le tribunal considère, avant le prononcé de la sentence, si la peine minimale est nécessaire, compte tenu, en toute circonstance, de l'intérêt public, des besoins particuliers de la collectivité et de l'intérêt de l'accusé.
Cet amendement aurait pour effet pratique d'inciter le juge chargé de prononcer la sentence contre un accusé autochtone d'appliquer les principes de la décision Gladue pour déterminer s'il convient ou non d'imposer une peine minimale. Dans la plupart des cas, cette peine ne serait pas imposée. Toutefois, si cela était injuste dans les circonstances, le juge pourrait imposer une peine d'emprisonnement plus courte ou une peine d'emprisonnement avec sursis.
Pour ce qui est des dispositions concernant les délinquants dangereux, je sais que beaucoup de témoins ayant comparu devant le comité étaient d'avis que ces dispositions étaient inconstitutionnelles. Nous partageons leur point de vue, mais nous souhaitons aussi aborder un problème différent que ces dispositions soulèvent.
Le fait que des personnes soient condamnées à plusieurs reprises pour de graves infractions avec violence et restent en prison pendant des périodes assez longues à l'occasion de chaque condamnation témoigne autant de l'incapacité du Service correctionnel du Canada de répondre aux besoins de ces délinquants que du danger inhérent qu'ils représentent apparemment pour la société.
Mme la juge Kitely, de la Cour supérieure de l'Ontario, a récemment rendu une décision dans l'affaire R. c. Mumford, dans laquelle la Couronne demandait qu'un Autochtone, M. Mumford, soit déclaré délinquant dangereux. M. Mumford souffrait de nombreux troubles, dont le trouble du spectre de l'alcoolisation fœtale (TSAF). Le Service correctionnel savait qu'il était atteint du TSAF.
Une personne dans cette situation a des déficits cognitifs très réels. Pourtant, aucun des programmes offerts dans le système pénitentiaire n'en tenait compte. M. Mumford était tenu de participer à des programmes qu'il ne pouvait pas comprendre et qui ne pouvaient rien lui apprendre. Il n'a donc rien appris. Il a purgé la totalité de sa peine, a été remis en liberté, puis a commis une épouvantable agression sexuelle.
Mme la juge Kitely a statué que M. Mumford ne pouvait pas être déclaré délinquant dangereux, même si c'était un délinquant de longue date, parce qu'on ne peut pas supposer qu'il ne pourrait pas vivre en sécurité dans la collectivité puisqu'il n'a jamais eu accès aux programmes dont il avait besoin quand il était en prison.
Le projet de loi C-2 impose aux délinquants la charge de prouver qu'ils ne devraient pas être jugés dangereux. Dans bien des cas, le fardeau de la preuve devrait incomber au système carcéral lui-même qui devrait avoir à expliquer pourquoi il n'a pas offert à ces délinquants des traitements adéquats. Si le projet de loi est adopté, des personnes passeront leur vie en prison parce qu'elles n'ont pas eu accès aux programmes dont elles avaient besoin au cours des périodes d'incarcération précédentes.
Si nous demandons aux délinquants d'assumer la responsabilité de leurs actes, nous devons aussi demander à ceux qui s'occupent de leur détention d'assumer la responsabilité des leurs ou de leur omission. Le projet de loi C-2 ne fait rien à cet égard. Au contraire, il augmentera de plus en plus le nombre de détenus qui pourraient au demeurant vivre dans la collectivité s'ils recevaient l'aide nécessaire. Nous savons en même temps que beaucoup de ces gens, au moins un sur cinq et probablement plus, sont Autochtones.
En 1991, j'ai assisté à une conférence sur la justice et les Autochtones à Whitehorse. J'avais alors eu l'occasion d'entendre un discours du chef David Keenan, de la Première nation T'lingkit. Parlant du besoin de programmes permettant de réintégrer les gens dans leur collectivité, il a dit : « Il n'existe pas de T'lingkit sans importance. » Ces mots sont restés gravés dans ma mémoire parce qu'ils reflètent l'essence de l'approche autochtone de la justice. Nous sommes tous apparentés, nous faisons tous partie du grand tout. Nous avons tous des responsabilités les uns envers les autres.
Le projet de loi C-2 constitue un rejet de cette approche. Sous prétexte de s'attaquer aux crimes violents et de rendre les collectivités plus sûres, il adopte l'hypothèse que les gens n'ont aucune importance. De plus, un nombre disproportionné de ces gens dont on nie ainsi la valeur sont Autochtones. Ce projet de loi ne rendra pas les collectivités plus sûres. Il ne fera qu'envoyer plus d'Autochtones en prison pendant de plus longues périodes. Il est difficile de voir de quelle façon une telle mesure peut être considérée comme positive.
Le sénateur Di Nino : Je voudrais demander une précision. Monsieur Boyd, au sujet du pourcentage plus élevé d'homicides commis à main armée, vous avez parlé de cinq ans alors que, dans votre mémoire, vous parlez de 15 ans. Quel est le chiffre exact?
M. Boyd : C'est 15. J'en ai oublié 10.
La présidente : Toujours dans le domaine des précisions, professeur Boyd, vous dites ceci dans votre mémoire : « Dans la moitié des cas environ, la relation sexuelle s'est produite avec un jeune homme qui était leur ``petit ami'' ». Dans les phrases précédentes, vous aviez mentionné un très large éventail de cas.
M. Boyd : Là, je faisais référence à 6 p. 100 du total — ou 25 p. 100 du total des moins de 16 ans — des jeunes filles ayant eu des relations sexuelles avec des partenaires ayant au moins plus de cinq ans de différence d'âge.
Le sénateur Stratton : Merci et bienvenue, messieurs.
Lynn Barr-Telford, directrice du Centre canadien de la statistique juridique, publie un document sur les tendances de la criminalité au Canada. C'est une question qui préoccupe beaucoup la population. Le 14 février, nous avons reçu les statistiques qui suivent.
Le pourcentage de jeunes accusés d'un acte criminel violent à main armée a augmenté de 32 p. 100 depuis 2002. Le pourcentage de tentatives de meurtre a augmenté de 24 p. 100 depuis 2004. Le pourcentage de voies de fait graves, de 57 p. 100 depuis 1983. Le pourcentage d'infractions reliées à la cocaïne, de 67 p. 100 depuis 2002. L'augmentation du nombre de voies de fait graves couvre une période de 20 ans alors que, pour les trois autres infractions, c'est une période de cinq ans. C'est effrayant. Mes questions découlent de ces chiffres.
Monsieur Rudin, j'ai visité pas mal de réserves durant ma vie et je trouve toujours tragique que la vie y soit si désolante, notamment pour les jeunes. Je connais une réserve isolée du Nord canadien, au Nord du Manitoba, où la vie est encore plus que désolante.
S'il est vrai que les Autochtones ont un taux d'incarcération plus élevé, il faut dire que leurs victimes sont également des Autochtones. Vous avez recommandé l'amendement suivant, formulé par la Criminal Lawyers' Association :
Nonobstant toute peine minimale prescrite, sauf pour l'infraction de trahison ou de meurtre, le tribunal considère, avant le prononcé de la sentence, si la peine minimale est nécessaire, compte tenu, en toute circonstance, de l'intérêt public, des besoins particuliers de la collectivité et de l'intérêt de l'accusé.
Où est la victime dans cet amendement?
M. Rudin : Tout d'abord, la victime fait partie de la communauté, ce qui est probablement l'élément le plus important. Les gens ne sont pas des monolithes mais le mouvement de transformation de l'administration de la justice pour les Autochtones provient en grande partie des organisations de défense des victimes. En Ontario, nous tentons de modifier la manière dont les tribunaux jugent les affaires de violence intrafamiliale et c'est un effort qui est impulsé par des organisations de femmes autochtones parce qu'elles ont le sentiment que le système actuel ne fonctionne pas.
Le problème que pose l'incarcération comme première réponse pour les délinquants autochtones est que, lorsqu'ils retournent dans leur communauté, ils ne se sont pas améliorés et les communautés ne sont donc pas plus sûres. Il ne s'agit donc pas ici de ne pas vouloir protéger les victimes ou de ne pas s'y intéresser. La plupart de nos clients accusés d'un acte criminel ont eux-mêmes été victimes d'infractions pour lesquelles personne n'avait été accusé.
Il ne s'agit pas de faire fi des victimes mais plutôt de trouver une manière efficace de traiter les personnes qui commettent des crimes afin qu'elles cessent d'en commettre. Incarcérer quelqu'un à l'établissement de Stony Mountain au Manitoba pendant trois ans, par exemple, pour le renvoyer ensuite dans sa collectivité n'offrira aucune assurance aux membres de cette dernière, notamment à la victime.
Le sénateur Stratton : Pourquoi ne pas permettre à la victime de se faire entendre, en particulier?
M. Rudin : Mais les victimes sont entendues.
Le sénateur Stratton : Les accusés aussi. Si vous voulez proposer un amendement pour garantir que les intérêts de l'accusé soient pris en compte en toutes circonstances, pourquoi ne pas faire la même chose pour les victimes?
M. Rudin : Le système actuel prévoit déjà une déclaration de la victime sur les conséquences du crime. Pour ce qui est des peines minimales, la relation entre l'alinéa 718.2e) du Code criminel et les peines minimales signifie que le juge devra imposer la peine minimale à tous les accusés, sans tenir compte des autres caractéristiques du cas. L'amendement que je propose lui permettrait de tenir compte de ces autres caractéristiques pour déterminer si une peine minimale serait justifiée. La victime a déjà, et c'est légitime, la possibilité de se faire entendre grâce au processus de déclaration à l'étape sentencielle.
Le sénateur Stratton : Je ne suis pas d'accord avec vous à ce sujet. Si vous voulez parler de l'accusé, vous devez aussi parler de la victime.
Professeur Boyd, vous avez exprimé pas mal de réserves au sujet du projet de loi. Nous nous sommes laissé dire que la raison pour laquelle il n'y a pas beaucoup de condamnations pour conduite en état d'ivresse est qu'on invoque souvent la défense des deux bières. Si tel est le cas, pourquoi ne pas faire quelque chose à ce sujet dans ce projet de loi?
M. Boyd : Ma position au sujet de la conduite en état d'ivresse est qu'il faut se demander en quoi le projet de loi changerait la situation actuelle. Les agents de police nous disent qu'ils n'ont ni le temps ni les ressources voulues pour intenter des poursuites, sauf dans les cas les plus graves. Ils se contentent de suspendre le permis pendant 24 heures. L'obligation de contrôle et la prise en compte du cannabis, dans le projet de loi, ne me semblent pas faire avancer beaucoup les choses. En fait, elles ouvrent la porte à une série d'objections et de préoccupations qui pourront être soulevées par la défense. Beaucoup de questions se posent encore au sujet de la validité de la nouvelle méthodologie de contrôle et il y a encore des difficultés dans la détermination de la conduite sous l'effet du cannabis. Loin de moi l'idée que la conduite sous l'effet du cannabis n'est pas dangereuse, comme peuvent le penser certains jeunes consommateurs de chanvre de Vancouver, mais ça reste un problème beaucoup moins grave que la conduite en état d'ivresse.
Ce projet de loi a un passé politique remontant au gouvernement libéral. J'en comprends les raisons. Mon argument est simplement qu'il n'aura à mon avis pas beaucoup d'effet concret.
Le sénateur Stratton : Vous savez certainement que des témoins nous ont dit que la défense des deux bières est jugée totalement absurde aux États-Unis. Ils n'ont jamais entendu parler de ça là-bas.
M. Boyd : Il y a un problème beaucoup plus grave que la défense des deux bières, et c'est la question des ressources, de notre culture, de la manière dont nous traitons l'alcool très différemment des autres drogues, et du fait que l'on considère l'ivresse comme un phénomène amusant et distrayant alors que l'intoxication par les drogues illégales, qui est beaucoup moins néfaste, est actuellement considérée de manière très différente. Nous sommes en grande mesure aveuglés par notre culture, et ce projet de loi reflète clairement cette confusion.
Le sénateur Stratton : Je ne crois pas qu'il s'agisse de confusion, cher monsieur. Si l'on s'étonne aux États-Unis que notre défense des deux bières soit acceptée, je m'étonne pour ma part que vous n'en ayez pas entendu parler et que vous n'ayez pas d'opinion à exprimer à ce sujet.
M. Boyd : Mon argument est que cela ne va pas au cœur du problème. Je ne vais pas me lancer dans un débat avec vous sur cette défense particulière.
Le sénateur Stratton : J'aimerais revenir au deuxième tour, car je souhaite vous poser quelques questions sur l'âge de consentement.
M. Boyd : Vous avez fait quelques remarques d'introduction au sujet des infractions. Un grand facteur de frustration, pour moi-même et pour beaucoup de criminologues, est que plusieurs de ces catégories sont regroupées en une seule. Par exemple, on nous dit souvent qu'il y a une montée des crimes avec violence mais une baisse des crimes contre les biens. La réalité est qu'il y a beaucoup d'actes différents dans la catégorie des crimes avec violence. Vous avez mis dans le même sac la cocaïne, les armes à feu et plusieurs autres catégories.
Comme vous le savez, les statistiques sur les infractions relatives à la drogue ne reflètent pas le degré de consommation mais plutôt le degré d'application des lois, des politiques, et cetera.
L'indicateur le plus fiable de la criminalité violente est l'homicide. Or, nous avons constaté une baisse du nombre d'homicides au Canada entre 1990 et 2002, environ, puis une stabilisation.
Quand on analyse les statistiques, il faut tenir compte du fait qu'on parle d'une période très restreinte, bien qu'une augmentation de 24 ou de 32 p. 100 puisse paraître horrible. Dans la plupart des cas, si nous voulons vraiment comprendre le phénomène, nous devons analyser l'évolution sur une période de 10 ans, surtout quand il s'agit d'infractions à main armée commises par des jeunes, étant donné qu'il s'agit d'un très petit nombre d'infractions.
Je vais vous donner un exemple. En 1986, le nombre de meurtres commis au Canada a chuté de 20 p. 100. On s'est demandé ce qui se passait. L'année suivante, il a remonté de 18 p. 100. Le nombre absolu était 500 ou 600 — c'était donc un petit nombre. Statistiquement parlant, on peut constater des variations très prononcées qui ne signifient pas vraiment grand-chose.
Ce qui signifie quelque chose, sur le long terme, ce sont deux constatations ressortant des statistiques des 15 dernières années. Premièrement, le nombre d'homicides commis avec une arme de poing a augmenté par rapport au total des homicides à main armée. Deuxièmement, le nombre d'homicides par habitant a baissé, ce qui reflète peut-être mieux notre aptitude à maintenir la paix dans la société. Il n'y a pas de crise en ce moment.
Le sénateur Stratton : Je ne partage pas votre opinion. Pensez-vous vraiment que nous devrions rester cinq ou huit années supplémentaires sans rien faire, en attendant d'avoir des chiffres prouvant l'existence d'un problème?
M. Boyd : Je pense qu'il faut faire quelque chose. Bien sûr, il faut absolument faire quelque chose.
Le sénateur Merchant : Je suis moi aussi préoccupé par l'impression que nous donnons que ce nouveau projet de loi, qui est plus punitif, rendra nos collectivités plus sûres et fera baisser les chiffres. C'est peut-être vrai et vous pourrez me corriger si je me trompe.
Vous parliez des chiffres concernant les meurtres. J'ai sous les yeux des statistiques sur une longue période. Dans les années 1970, il y avait trois meurtres pour 100 000 habitants; en 2006, après l'abolition de la peine capitale, le taux était tombé à 1,8 pour 100 000 habitants. Vous avez dit qu'on ne peut pas tirer de conclusion sur une période trop brève mais celle-ci me semble bien assez longue.
En ce qui concerne les dispositions touchant les délinquants dangereux, certains constitutionnalistes affirment que les amendements proposés portent atteinte aux articles 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés. Nous avons actuellement une loi qui semble bien fonctionner et qui est constitutionnelle. Lorsque le projet de loi aura été adopté, on peut penser que beaucoup d'accusés en contesteront la constitutionnalité. Si les tribunaux estiment qu'il n'est pas constitutionnel, cela veut-il dire qu'il n'y aura plus aucune loi pour sanctionner ces délinquants? Je suis sûr que le gouvernement proposera alors quelque chose pour remédier à la situation mais supposons pour le moment que le texte soit jugé anticonstitutionnel. Que fait-on entre-temps?
M. Boyd : Vous me demandez d'interpréter un projet de loi du point de vue du droit mais je ne suis pas avocat. J'ai toutefois le sentiment que, si la Cour suprême déclare que ce texte est contraire à la Charte et que le gouvernement doit recommencer son travail, plus rien ne s'appliquera pendant un certain temps.
C'est inutile. Vous avez tout à fait raison. Je peux mentionner plusieurs sources. Law and Risk est une publication récente dans laquelle la situation est clairement documentée. Il y a eu environ 25 cas de cette nature par an au cours des cinq ou six dernières années. Ça ne semble donc pas être un problème grave. Ce n'est pas comme si le gouvernement fédéral était venu dire : « Voici les cas dans lesquels nous avions besoin du renversement de la preuve mais nous ne l'avions pas ». C'est une situation tout à fait extraordinaire à cause des questions de liberté.
Au sujet du taux d'homicides, permettez-moi d'ajouter que la principale explication de la baisse, à mon avis, est le pourcentage de jeunes dans la population. Ce n'est pas une raison très spectaculaire mais, en 1977, un dixième de la population canadienne était composé de jeunes hommes de 18 à 29 ans — qui commettent environ les deux tiers ou 75 p. 100 de tous les homicides au Canada. Aujourd'hui, le chiffre est de 5 p. 100 t il n'y a pas eu beaucoup de changement. On aime croire que les choses changent mais elles changent beaucoup moins qu'on le pense.
Le sénateur Merchant : Certes, mais si l'on veut citer des chiffres, ce sont des chiffres auxquels on pourrait se référer.
M. Boyd : On dit souvent que c'est le contrôle des armes à feu qui explique la baisse. Je suis évidemment favorable au contrôle des armes à feu mais je ne suis pas prêt à dire que c'est la bonne explication.
Le sénateur Merchant : Monsieur Rudin, comme je l'ai souvent dit ici, je m'intéresse beaucoup aux questions de justice pour la population autochtone. J'habite en Saskatchewan où nous avons des proportions beaucoup plus élevées d'Autochtones dans nos établissements correctionnels.
On nous a donné des chiffres sur le coût d'incarcération d'un délinquant pendant un an. C'est presque 100 000 $. Pourquoi n'essayons-nous pas d'utiliser cet argent pour traiter les délinquants d'une manière qui rehausserait la sécurité de nos collectivités?
Nous avons entendu hier le commissaire adjoint, Opérations et programmes correctionnels, du Service correctionnel du Canada, mais il intervient seulement après qu'une personne ait été désignée dangereuse. Il nous a dit que chaque cas est analysé individuellement et que la personne reçoit un traitement. Cela concorde-t-il avec ce que vous avez constaté?
M. Rudin : Je vais essayer de répondre à vos deux questions.
Pour ce qui est de la première, il ne fait aucun doute, à notre avis, que l'argent est bizarrement utilisé. Nous exploitons un certain nombre de programmes de justice alternative et le seul coût d'incarcération de deux délinquants pendant un an permettrait de financer notre programme. On nous interroge souvent sur le succès de notre programme. Nous passons beaucoup de temps à faire rapport sur les succès et les échecs. Si l'on devait conclure que notre programme n'est pas efficace, on y mettrait fin. Nous n'imposons pas les mêmes règles aux établissements fédéraux et provinciaux. Nous n'examinons pas les taux de récidive en disant : « Il est évident que ce que vous faites ne marche pas et nous allons donc cesser de vous financer ». On suppose parfois que la prison est toujours efficace, que le système marche bien et qu'on doit y consacrer de plus en plus d'argent. Je conviens avec vous que c'est un vrai problème.
En ce qui concerne la deuxième question, je ne peux parler de la population des délinquants dangereux mais je peux parler de la population générale. Comme je l'ai dit, pour une peine de trois ou quatre ans en Ontario, il n'y a généralement pas de programme. La réalité est que, quand on entre dans le système correctionnel fédéral, on est dans la plupart des cas classifié au niveau maximum. Pour avoir accès aux programmes, il faut bénéficier au minimum d'une classification moyenne. Or, pour obtenir une classification moyenne, il faut participer à des programmes obligatoires, mais ils ne sont pas disponibles. Quand vous arrivez à l'étape de la mise en liberté obligatoire, aux deux tiers de votre peine, vous n'avez bénéficié d'aucun programme.
Il est bien possible que les gens envoyés en prison pendant 10 ans puissent bénéficier de certains programmes mais je ne suis pas sûr que ceux-ci répondent vraiment à tous leurs besoins. Quoi qu'il en soit, la grande majorité des gens incarcérés le sont pour moins longtemps et n'obtiennent aucun service.
Pour les détenus autochtones, il y a aussi un autre problème. Nous savons que certains délinquants qui se font arrêter disent : « Je veux être envoyé en pénitencier parce que je sais qu'il y aura des programmes. Je sais qu'il y a un pavillon de ressourcement et d'autres choses ». Avant qu'ils demandent à être incarcérés pour trois ans, nous devons leur dire qu'ils n'auront probablement jamais accès à aucun de ces services. Beaucoup de nos clients veulent bénéficier de ces programmes mais ils n'y ont pas accès.
Le sénateur Oliver : Professeur Boyd, vous critiquez vivement le renversement du fardeau de la preuve. Toutefois, avant de formuler ces critiques, je pense que vous devriez les placer dans le contexte du projet de loi C-2. Comme vous l'a rappelé le sénateur Stratton, le projet de loi C-2 porte sur la criminalité violente. Il y a là une question d'intérêt public, une obligation de protéger la population et les collectivités, une obligation de protéger les victimes. Notre devoir est d'envisager la sécurité du public dans son ensemble. Si l'on replace vos critiques dans ce contexte, en tenant compte de l'objectif global du projet de loi C-2, il me semble que vous devriez pouvoir atténuer vos critiques sur le renversement du fardeau de la preuve.
D'ailleurs, le renversement du fardeau de la preuve n'a rien de nouveau. Nous n'avons aucune raison de craindre l'insertion d'une telle clause dans le Code criminel. Comme vous le savez, dans l'arrêt Pearson de 1992, la Cour suprême du Canada a validé le renversement du fardeau de la preuve.
En outre, comme vous avez pu le constater à la lecture de nos procès-verbaux, le ministre de la Justice, quand il a comparu devant notre comité, a bien précisé qu'il a le devoir de s'assurer que tous les projets de loi qu'il propose sont conformes aux dispositions de la Charte, et il a ajouté que le ministère avait bien mis tous les points sur les i à ce sujet. Le ministre est conscient de cette obligation et il nous a dit qu'il a pris grand soin de bien s'en acquitter.
Cela étant, la Cour suprême a validé le renversement du fardeau de la preuve en 1992 en ce qui concerne les infractions relatives aux drogues, dans l'arrêt R. c. Pearson, et c'est ce que nous avons ici.
Qu'est-ce qui vous inquiète tant au paragraphe 753(1.1) du projet de loi indiquant que les critères de désignation de délinquant dangereux sont présumés avoir été satisfaits à moins de preuve du contraire selon la prépondérance des probabilités? Pour justifier votre opinion, vous avez évoqué une affaire qui n'a pas encore été jugée par la Cour suprême, R. c. D.B. Je ne la connais pas, mais même si elle n'a pas encore été jugée, en quoi est-elle pertinente?
M. Boyd : Il s'agit d'une affaire de jeune concernant un transfert devant un tribunal pour adultes, avec une peine obligatoire.
Le sénateur Oliver : Quel en est l'argument au sujet du renversement du fardeau de la preuve?
M. Boyd : Le renversement y est critiqué à cause de la question de liberté.
Je comprends ce que vous dites au sujet du soin pris pour assurer la conformité avec la Charte, et cetera, mais il s'agit essentiellement d'une question de principe. Au Canada, on ne prive traditionnellement pas quelqu'un de sa liberté si on ne réussit pas à s'acquitter du fardeau traditionnel de la preuve sur le plan pénal. On ne devrait s'écarter de cette norme que dans des cas exceptionnels.
Je crois que c'est au gouvernement qu'il appartient de justifier sa position. Que nous disent les données concernant le statut de délinquant dangereux ou, plus précisément, comment les audiences servant à déterminer ce statut se tiennent- elles aujourd'hui? Quel est le nombre de causes en jeu? Dix ou 15? Peut-on montrer qu'il y a un grand nombre de cas indiquant que les tribunaux laissent des personnes très dangereuses en liberté? Quelle est la preuve que cette disposition est nécessaire? Je présume que personne ne souhaite adopter une disposition de cette nature si l'on n'a pas la preuve qu'elle est absolument nécessaire.
Le sénateur Oliver : Elle existe déjà et la Cour suprême l'a validée.
M. Boyd : Vous parlez simplement du droit actuel alors que je parle du principe fondamental. Vous me répondez en me disant que cette disposition existe déjà.
Le sénateur Oliver : La constitutionnalité de ce principe et sa conformité avec la Charte ont déjà été confirmées.
M. Boyd : La Cour d'appel avait jugé dans le sens contraire.
Le sénateur Oliver : Mais la Cour suprême du Canada a rendu un jugement favorable.
M. Boyd : Je veux revenir au principe fondamental qui est que, si nous souhaitons priver une personne de sa liberté, il nous incombe de prouver qu'elle mérite d'être incarcérée et de perdre sa liberté sur la base des preuves déposées devant une cour pénale, n'est-ce pas? Ce n'est pas à cette personne qu'il incombe de prouver qu'elle n'est pas dangereuse. Comment pourrait-elle le faire? C'est à la Couronne qu'il incombe de prouver que la personne est dangereuse.
Si j'étais le gouvernement, je vous indiquerais les sept cas, par exemple, d'audiences sur la détermination du statut de délinquant dangereux où l'accusé n'a pas été déclaré dangereux. Si le système ne fonctionnait pas, je vous le montrerais et je vous dirais que cette mesure extraordinaire est nécessaire.
Dans Pearson, la problématique est complètement différente. Ici, nous parlons d'audiences de détermination du statut de délinquant dangereux et de la nécessité d'adopter ce projet de loi. Où est la preuve qu'il est nécessaire?
Le sénateur Oliver : Si vous lisez le préambule du projet de loi C-2 et que vous comprenez les principes qui y sont énoncés, et si vous tenez compte de l'intérêt public, de l'intérêt des collectivités et de la notion de sécurité publique, ce sont là les arguments avancés par le gouvernement. C'est dans ce contexte qu'il faut se pencher sur les raisons pour lesquelles le gouvernement propose de renverser le fardeau de la preuve.
M. Boyd : Il est vrai qu'il y a beaucoup de rhétorique à ce sujet dans le préambule mais où se trouve la preuve concrète que...
Le sénateur Oliver : C'est un préambule.
M. Boyd : Ce n'est pas parce qu'on l'affirme que c'est vrai.
La présidente : Cette discussion est certainement fascinante et utile mais j'ai une longue liste d'autres sénateurs qui souhaitent intervenir. Je vous inscris pour le deuxième tour, s'il y en a un, sénateur Oliver.
Le sénateur Di Nino : Monsieur Rudin, permettez-moi de dire d'emblée que je partage votre opinion sur l'échec de nos efforts de réadaptation des détenus. C'est d'ailleurs ce que j'ai dit hier aux représentants des services correctionnels quand ils nous ont dit que neuf détenus sur 10 — ou résidents de nos prisons, si vous préférez — sont des récidivistes. Ça prouve que notre système ne fonctionne pas bien. Je crois que c'est absolument exact. Je suis en particulier d'accord avec vous au sujet de notre échec à l'égard des Autochtones. Il semble y avoir un vrai problème à ce sujet.
Toutefois, après avoir exprimé mon accord à ce sujet, je tiens à exprimer mon désaccord sur ce que je crois vous avoir entendu dire, c'est-à-dire qu'il ne faut pas imposer de peines plus longues et qu'il ne faudrait pas incarcérer ces délinquants.
Quand ces délinquants violents, habituels et récidivistes — et c'est bien de cette catégorie que nous parlons aujourd'hui, c'est bien d'eux qu'il s'agit dans ce projet de loi, qui ne porte pas sur l'administration des prisons — se trouvent dans leurs collectivités, ils y mettent la pagaille. Ils causent toutes sortes de troubles et font beaucoup de mal. Ils rendent nos rues et nos collectivités dangereuses.
Ne pensez-vous pas que les condamner à des peines plus longues et les incarcérer pendant un peu plus longtemps rendra nos collectivités un peu plus sûres? Premièrement, parce qu'ils seront hors de circulation pendant plus longtemps et, deuxièmement, parce que le système pénal aura peut-être alors la possibilité d'entamer leur réadaptation.
M. Rudin : Tout d'abord, n'oubliez pas que l'une de nos préoccupations concerne les peines minimales obligatoires. Des gens tomberont sous le coup de l'article proposé, que ce soient des primodélinquants ou des récidivistes. Il ne faudrait pas croire que le minimum obligatoire s'appliquera uniquement aux récidivistes. Nous avons un certain nombre de cas de clients qui n'ont aucun casier judiciaire mais qui ont commis une erreur terrible et qui sont maintenant en prison pendant un an ou quatre ans. C'est de là que part ma réflexion. C'est différent du statut de délinquant dangereux.
Nous avons aussi constaté que des peines avec sursis bien conçues offrent de réelles possibilités de changement aux délinquants. Les Aboriginal Legal Services of Toronto appuient un programme appelé Gladue Courts à Toronto. Des membres de notre personnel produisent des rapports sur les délinquants autochtones qui passent devant les tribunaux. Dans ces rapports, ils essayent de se conformer à l'arrêt Gladue. Ils donnent des informations sur les antécédents de l'accusé, informations que, bien souvent, le tribunal n'a jamais entendues et qui peuvent expliquer pourquoi l'infraction a été commise, et ils proposent au tribunal des solutions sur la manière de traiter l'accusé de façon à régler ses problèmes.
Nous avons constaté que le juge peut prendre une décision raisonnée lorsqu'il comprend pourquoi l'accusé se trouve devant le tribunal et que nous pouvons suggérer certains programmes certains en prison, d'autres à l'extérieur pouvant être utiles à l'accusé. Une peine avec sursis n'est pas une peine légère; ça peut être une peine de deux ans moins un jour. Elle peut être assortie de toutes sortes de conditions. On peut exiger que l'accusé suive un traitement. Les peines avec sursis permettent de faire beaucoup de choses qu'on ne peut pas faire avec les peines minimales obligatoires. Voilà pourquoi ces dernières nous préoccupent.
Je ne suis pas contre, en théorie. Les services correctionnels pourraient-ils trouver des solutions pour les personnes condamnées à un minimum de trois ans? En théorie, oui, mais ce n'est pas le cas actuellement. Or, avec ce projet de loi, il y aura encore plus de monde dans les prisons. Si l'on donne plus d'argent, je suppose qu'on s'en servira pour construire encore plus de prisons et pas pour offrir plus de services aux détenus, et ça ne marchera pas.
Mon dernier argument à ce sujet est que nous avons réussi à plusieurs reprises à présenter pour la défense l'argument qu'il est plus facile d'obtenir des programmes valables en Ontario dans le système provincial que dans le système fédéral. Nous avons vu des juges dire à des accusés : « Normalement, je devrais vous envoyer dans un pénitencier, mais je sais que vous n'y obtiendrez aucun programme. Par contre, avec une peine de 12 ou de 14 mois, je sais que vous trouverez quelque chose dans le système provincial ». Avec ce projet de loi, cette option n'existera plus pour de nombreux délinquants.
Le sénateur Di Nino : Je pense que nous convenons tous qu'aucun projet de loi ne saurait à lui seul résoudre les problèmes de ces gens-là ou régler la situation dans son ensemble. Il faudra beaucoup de choses différentes. Rendons crédit à ce gouvernement qui, au cours des deux dernières années, a pris un certain nombre de mesures, notamment en ce qui concerne la justice pour les jeunes ou les jeunes à risque, et qui a prévu des crédits substantiels pour leur traitement. Tout cela fait partie de la solution. Toutefois, ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est qu'il y a certains délinquants qu'il convient de mettre à l'ombre pendant plus longtemps si nous voulons protéger la société. Le gouvernement ne prétend pas résoudre tous les problèmes avec le projet de loi C-2 et je conviens avec vous qu'il y a beaucoup d'autres choses à faire.
Au sujet de l'âge de consentement, monsieur Boyd, les chiffres que vous avez cités d'une enquête récente aux États- Unis montrent que, pour 25 p. 100 des jeunes filles de l'enquête âgées de 16 à 24 ans, la relation sexuelle n'était pas désirée. Le sénateur Stratton a mentionné des chiffres du même rapport qui m'ont sérieusement ébranlé : tout d'abord, ce sont les jeunes filles de 12 à 14 ans qui sont le plus vulnérables à ces infractions; ensuite, ces infractions sexuelles sont très rarement signalées puisque la proportion n'est que de 8 p. 100. Ces chiffres sont effrayants. Si ces 25 p. 100 de jeunes filles — et de garçons aussi, car il ne s'agit pas seulement de jeunes filles — ne représentent que 8 ou 10 p. 100 des cas qui sont signalés, soit un très petit pourcentage, ça veut dire que le chiffre absolu est extrêmement élevé.
Si des douzaines ou des centaines de jeunes filles et de jeunes garçons, voire plus, subissent des relations sexuelles de la part de personnes ayant plus de cinq ans de différence d'âge, ne pensez-vous pas que ce projet de loi mérite d'être adopté rien que pour cette raison?
M. Boyd : Le problème concerne les autres 75 p. 100. Le problème est que 75 p. 100 des répondants affirment qu'ils étaient dans une relation stable et que la relation sexuelle était désirée. C'est ce qu'ils disent deux ans après l'événement. La solution qui est proposée s'appliquera peut-être aux 25 p. 100 dont vous parlez mais ne sera pas valable pour les 75 p. 100 restants. La différence d'âge de cinq ans n'est pas une défense suffisante, car comme je l'ai dit, ce qui est intéressant dans cette enquête, c'est qu'elle révèle qu'il y a des dizaines de milliers de jeunes filles qui ont des relations sexuelles à un âge très bas — ce qui n'est probablement pas sage — dans un contexte de consentement.
Prenez le chiffre total de 100 p. 100. Vous parlez de 25 p. 100 environ. Je rejette l'idée d'invoquer le droit pénal dans ce contexte si 75 p. 100 des relations sexuelles dont il s'agit sont consensuelles. Il s'agit en fait d'un problème social. Dans mon monde idéal, les garçons et les filles de cet âge font autre chose qu'avoir des relations sexuelles.
Le sénateur Di Nino : Le projet de loi ne porte pas sur les jeunes filles ou les jeunes garçons, il porte sur les partenaires plus âgés.
M. Boyd : Certes, vous avez raison, mais je le répète...
Le sénateur Di Nino : Je n'ai aucun problème avec le fait qu'on dise aux hommes et aux femmes plus âgés, selon le cas, ou aux partenaires plus âgés qu'il est interdit, en droit canadien, d'avoir des relations sexuelles avec un enfant. C'est ça la question de fond.
M. Boyd : C'est un peu comme, dans un autre contexte, la législation sur la marijuana. Nous disons aux gens que c'est mauvais, que c'est illégal, qu'il ne faut pas en consommer. Au cours des 40 dernières années, la moitié des étudiants du secondaire en ont consommé et nous allons donc prétendre qu'il y a une ligne de démarcation intéressante entre une activité et une autre.
Ici, nous disons : « N'ayez pas de relations sexuelles avec des moins de 16 ans ». C'est un bon conseil, mais si les gens ne le suivent pas, devons-nous les considérer comme des criminels? Devons-nous traiter comme des criminels des gens qui se considèrent comme des amants et des partenaires?
Le sénateur Di Nino : Veuillez m'excuser, monsieur, mais ce n'est pas ce que dit ce projet de loi. Il ne dit pas aux jeunes de ne pas avoir de relations sexuelles. Il dit aux partenaires ayant plus de cinq ans de différence d'âge — je soupçonne que certains de ces jeunes sont beaucoup plus mûrs mais la très grande majorité sont encore des enfants — qu'ils ne peuvent pas avoir de relations sexuelles avec un enfant. C'est à l'adulte que nous nous attaquons, pas à l'enfant.
M. Boyd : En effet, et je répète simplement que le problème que cela pose est que ce n'est pas comme cela que la jeune fille voit la chose. Beaucoup de ces enfants sont des enfants en difficulté mais nous n'allons pas régler leurs problèmes en inculpant leurs partenaires, même si la relation dont il s'agit nous semble tout à fait inappropriée.
Le sénateur Campbell : Ma première question portera sur un sujet auquel a fait allusion un témoin précédent, M. Mauser. N'est-il pas vrai qu'on peut prendre des statistiques, les torturer, les classer dans différentes catégories et leur faire dire ce qu'on veut?
M. Boyd : Oui et non. Certaines statistiques sont fiables et cohérentes. Nous pouvons affirmer que le taux d'homicides a vraiment baissé. À partir de ça, nous pouvons essayer de comprendre pourquoi.
On peut lire parfois que les crimes avec violence ont augmenté de 10 p. 100 ou que les crimes contre les biens ont baissé de 10 p. 100. Nous ne rendons pas service à la population si nous ne prenons pas la peine de ventiler ce genre de statistique en fonction de ses diverses composantes et si nous ne posons pas un certain nombre de questions fondamentales et cruciales sur les raisons pour lesquelles les chiffres ont augmenté ou baissé. Les raisons peuvent être liées au fait que des gens n'ont pas signalé certains événements à la police. Il peut donc y avoir une grande différence entre les chiffres et la réalité.
Le sénateur Campbell : Pour une raison que j'ignore, ce document sur les tendances de la criminalité au Canada semble connaître beaucoup de succès ici. C'est manifestement un best-seller.
Je vais vous donner un exemple. Entre 1998 et 2002, les crimes avec violence commis au moyen d'une arme à feu ont diminué de 10 p. 100. On est passé de 36,6 à 26,8. Pensez-vous que c'est une information valide pour une période de quatre ans?
M. Boyd : Non.
Le sénateur Campbell : De 1998 à 2006, on est passé de 36.6 à 31. Il y a eu une légère augmentation, puis une forte baisse, puis une nouvelle augmentation et à nouveau une baisse. Est-ce significatif? Il s'agit d'une période de huit ans.
M. Boyd : Non. Ça dépend. Typiquement, quand les chiffres sont petits, il faut que le changement soit assez spectaculaire pour être significatif.
Le sénateur Campbell : De 2005 à 2006, les crimes avec violence commis avec une arme à feu ont baissé de 0,9 p. 100. Est-ce sans signification?
M. Boyd : Oui.
Le sénateur Campbell : Nous nous intéressons au sort des Autochtones comme minorité dans notre société. On nous a dit hier que 6 p. 100 des détenus au Canada sont des Noirs, groupe qui ne représente que 2 p. 100 de la population totale du pays. Le taux de surreprésentation des Noirs est donc de 300 p. 100 — autre statistique, et c'est un beau chiffre rond.
Cela devrait-il nous préoccuper? Devrions-nous être préoccupés par le fait que les minorités sont surreprésentées dans la population carcérale?
M. Rudin : Oui, c'est quelque chose qui doit nous préoccuper. Il est utile de signaler que, lorsque la Cour suprême a parlé de surreprésentation, dans Gladue, elle a dit qu'il s'agissait d'un échec du système de justice pénale. C'est une remarque importante. Le problème de la surreprésentation ne signifie pas, par exemple, que les Autochtones commettent nécessairement plus de crimes que les non-Autochtones. Il se trouve qu'on envoie en prison des Autochtones qui ont commis certaines infractions pour lesquelles des non-Autochtones ne seraient peut-être pas incarcérés. C'est un gros problème. On pourrait penser que certaines personnes commettent plus de crimes, mais ce n'est pas la réalité. Voilà pourquoi il est important de mettre les freins. Je ne parle que du cas des Autochtones parce que c'est un groupe de population que je connais très bien. Dans notre système judiciaire, les réalités des Autochtones ne sont pas les réalités des juges, des procureurs de la Couronne ou des avocats de la défense. On ne sait pas comment saisir ces réalités. On ne les comprend pas. Ce qui se passe, c'est qu'on réagit en ayant recours à la prison. Les Autochtones semblent être des étrangers pour les gens dont je parle, ils ne comprennent pas le comportement des Autochtones, ne comprennent pas d'où ils viennent ni les processus par lesquels l'ordre est maintenu dans leur collectivité. De ce fait, ils ont recours à la prison.
Les Autochtones et les membres des minorités sont surreprésentés parce qu'ils ont tendance à être pauvres, parce qu'ils ont tendance à être ciblés par la police lorsque d'autres commettent des actes répréhensibles et parce que le système ne tient pas correctement compte de leur spécificité. Voilà pourquoi l'alinéa 718.2e) existe, pour dire aux juges et à tous les membres du système de prendre un peu de recul. Ne réagissez pas par automatisme. Prenez la peine d'obtenir plus d'informations avant d'agir. Si vous ne faites pas ça, vous aurez cette surreprésentation.
Le sénateur Campbell : Croyez-vous que le renversement du fardeau de la preuve aura une incidence plus lourde sur la collectivité autochtone ou, peut-être, les minorités?
M. Rudin : Ça ne fait aucun doute. En renversant le fardeau de la preuve, on jette inévitablement le filet plus loin. Il n'y a aucun doute qu'il y aura au moins un accusé qui sera incarcéré comme délinquant dangereux alors qu'il ne l'aurait pas été si la poursuite avait dû fournir une preuve au-delà de tout doute raisonnable.
Nous savons aussi que les Autochtones ont tendance à plaider coupable plus rapidement. Ils ne reçoivent pas de bons conseils juridiques au début de la procédure. Il est facile pour eux d'admettre plus rapidement qu'ils ont commis une infraction. Il faut comprendre que, si une personne trouvée coupable d'une infraction il y a huit ans avait eu un avocat différent et un procureur différent, le résultat aurait pu être différent. Cela résulte du fonctionnement systémique de l'appareil de justice pénale et du phénomène de discrimination systémique qu'on y trouve. Bien souvent, les Autochtones n'ont pas autant accès que les autres accusés à des avocats bien rémunérés. Ces individus formeront inévitablement la majeure partie des personnes piégées par ces dispositions.
Le sénateur Ringuette : Je voudrais faire quelques commentaires et connaître votre avis. Parlons d'abord du principe fondamental et du renversement du fardeau de la preuve. Je viens de participer à un échange parlementaire avec le Mexique. Le Canada soutient depuis de nombreuses années que le système judiciaire du Mexique repose sur un fardeau renversé. Autrement dit, l'accusé est coupable jusqu'à ce qu'il prouve son innocence. C'est exactement ce qu'on essaye d'instaurer ici. Si nous voulons défendre à l'échelle internationale l'idée d'un appareil judiciaire plus juste, la moindre des choses serait d'appliquer ce principe chez nous.
Ma deuxième remarque concerne la conduite en état d'ivresse. J'ai la ferme conviction que ce sont l'éducation et la publicité qui ont le plus renforcé la dissuasion, notamment une meilleure prise de conscience des blessures qu'un conducteur ivre peut infliger à ses amis ou à de simples passants. Ces méthodes ont été efficaces sur le plan de la dissuasion. Ajoutons aussi à cela la perte du permis de conduire pendant une certaine période, ainsi que l'augmentation des primes d'assurance qui en résulte.
Pourquoi n'envisage-t-on pas dans ce projet de loi de renforcer ces méthodes efficaces à l'égard de la conduite en état d'ivresse?
Ma troisième remarque concerne les armes à feu. On semble mettre beaucoup l'accent sur les infractions mais ne pas consacrer autant d'énergie, de réflexion et d'action à l'un des éléments cruciaux, les armes à feu illégales. Le Canada n'est pas un fabricant d'armes à feu, ce qui veut dire que ces armes illégales sont importées. Que fait-on à ce sujet? Nous consacrons des sommes considérables à l'incarcération — 100 000 $ par an et par prisonnier. Pour une peine minimale de trois ans, ça fait 300 000 $. Cette somme permettrait d'engager quatre agents de police ou quatre agents de douane supplémentaires pour dépister ces armes illégales.
La présidente : Le témoin pourrait peut-être répondre, maintenant?
M. Boyd : On dit souvent en Colombie-Britannique que nous envoyons de la marijuana au sud de la frontière et qu'on nous envoie en retour des armes et de la cocaïne. La réponse du gouvernement à ce problème est d'alourdir les peines infligées aux cultivateurs de marijuana. Je ne suis pas sûr que ce soit la bonne réaction étant donné le danger relatif des armes et de la cocaïne que nous recevons, tout ce commerce n'étant de toute façon pas souhaitable.
On peut envisager des solutions différentes. L'une de celles que vous évoquez est axée sur la prévention et constitue à mon avis une démarche plus réfléchie. L'autre est délirante « Traitons-les à la dure ». Il n'y a pas beaucoup de preuves que ça marche. Sinon, les États-Unis seraient un pays beaucoup plus sûr. Les peines minimales obligatoires qu'on propose pour les cultivateurs de marijuana, dont les provinces assumeront les frais, reflètent plus une attitude punitive face à un problème complexe. Cela dit sans vouloir offenser qui que ce soit.
Le sénateur Andreychuk : Si j'interprète bien vos déclarations à tous les deux, ce n'est pas le projet de loi C-2 que vous remettez en question, mais l'ensemble du système judiciaire. Nous ne consacrons pas assez de ressources au traitement des délinquants et nous ne faisons pas assez de prévention. Si vous voulez parler des causes profondes des problèmes, il faut parler des jeunes enfants, des familles et des problèmes sociaux. Si nous n'agissons pas à ce niveau, nous nous retrouvons avec ce que j'appelais autrefois de jeunes délinquants et qu'on appelle aujourd'hui de jeunes contrevenants, des jeunes qui se retrouvent devant les tribunaux parce qu'on ne s'est pas attaqué à leurs problèmes de santé mentale, à leurs difficultés d'éducation et à une foule de problèmes sociaux. Si nous ne les traitons pas correctement dans le système judiciaire, parce que nous n'avons pas de ressources, ils se retrouvent devant les cours pénales.
Vos remarques sont très pertinentes et ce sont des choses que je dis aussi depuis longtemps. Si nous ne fournissons pas de traitement avant l'acte criminel, au début de l'activité ou durant l'incarcération, nous n'aboutirons à rien. Le projet de loi C-2 n'est pas vraiment le problème. Il y a simplement une longue liste de questions auxquelles l'appareil judiciaire se doit de prêter attention. Chaque parti politique a le devoir d'agir à ce sujet quand il prend le contrôle du gouvernement. Je prends bonne note de votre préambule.
J'ai entendu des déclarations convaincantes de M. Cooper, un procureur, qui disait que, pour ce qui est des délinquants dangereux récidivistes, le projet de loi C-2 touchera les pires des pires. Il était très clair à ce sujet. Il disait aussi que le renversement du fardeau de la preuve n'amènera pas un seul accusé de plus devant ces tribunaux, mais changera la dynamique de l'évaluation du risque, ce qui pourrait déboucher sur un traitement différent des récidivistes dangereux. Qu'en pensez-vous?
M. Rudin : J'ai analysé l'arrêt Mumford. Nous ne savons pas toujours que nous faisons face aux gens les plus dangereux. Nous savons que nous faisons face à quelqu'un qui a commis un acte criminel grave mais nous ne savons pas toujours que c'est l'un des criminels les plus dangereux parce que nous ne savons pas pourquoi il a agi comme il l'a fait, qui il est, et cetera.
Aux yeux des procureurs — et je ne le leur reproche pas — un individu est défini par l'ensemble des condamnations que produit le Centre d'information de la police canadienne au moment où l'on doit prononcer la peine. Je ne suis pas convaincu que tout individu commettant un crime odieux et horrible soit nécessairement un délinquant dangereux ou qu'un individu qui en commet deux soit nécessairement un délinquant dangereux. M. Mumford n'est pas la seule personne atteinte du syndrome d'alcoolisme fœtal qui ait été incarcérée. Nous savons que les personnes atteintes de ce syndrome constituent une proportion beaucoup plus élevée de la population carcérale que de la population générale. Nous ne savons pas combien de personnes ont été considérées par erreur comme des psychopathes ou autre chose alors qu'il y avait d'autres raisons à leur comportement. Évidemment, comme nous les incarcérons pour toujours, ils ne posent plus jamais de problèmes, mais ce n'est pas nécessairement la bonne solution dans leur cas.
Le sénateur Andreychuk : Je crois que c'est ce que M. Cooper voulait dire, c'est-à-dire qu'il ne faudrait pas faire ça. Le déclencheur, c'est la violence de cette répétition. Nous avons également entendu M. Langevin nous dire qu'un délinquant dangereux a commis environ 19 agressions sexuelles alors que c'est seulement trois en moyenne pour un délinquant non dangereux. Nous essayons de cibler les pires des pires.
M. Cooper disait hier qu'on essaye de bien évaluer les cas. L'acte violent les amène à faire partie du processus, mais avant d'aller plus loin, on évalue leur situation. Ce qui est nouveau, c'est cet exercice multiministériel, multijuridictionnel et multidisciplinaire qui permettra peut-être de mieux identifier les cas Mumford que dans le passé.
M. Rudin : Je vous recommande de lire l'arrêt Mumford; c'est un arrêt récent.
Le sénateur Andreychuk : Je l'ai lu.
M. Rudin : Vous savez dans ce cas que tous les témoins experts de la Couronne ont effectué leur analyse de dangerosité et ont conclu que M. Mumford était une personne dangereuse d'après tous leurs critères. Bien qu'ils aient eu les informations à leur disposition, aucun d'entre eux n'a tenu compte du SAF.
J'aimerais croire que c'est ce qui se produira mais je crains que ça ne se produise pas pour tout le monde avec le renversement de la preuve. Si nous voulons être aussi sûrs que possible, comme l'a dit M. Boyd, avant de priver les gens de leur liberté, peut-être pour la vie, ce n'est pas quelque chose que nous devrions faire sur la base du renversement de la preuve. Les conséquences sont les plus lourdes qu'on puisse imposer à quiconque.
Le sénateur Andreychuk : Si nous acceptions votre amendement, monsieur Rudin, il n'y aurait pas de peines minimales obligatoires, à toutes fins pratiques. Si vous donnez une échappatoire par le truchement d'un pouvoir discrétionnaire consenti aux magistrats, ça veut dire que ce n'est plus obligatoire. Que ce soit bien ou mal, je veux simplement m'assurer que telle sera la conséquence. Autrement dit, on ne pourra plus dire qu'il y a un minimum obligatoire. On pourra peut-être dire que le minimum sera probablement appliqué mais il y aura toujours cette échappatoire, ce qui nous ramènera au système antérieur où l'on accordait plus de latitude aux juges.
M. Rudin : Vous avez probablement raison. Évidemment, à nos yeux, ce ne serait pas une mauvaise chose. Les cours d'appel provinciales et la Cour suprême du Canada établiront aussi des lignes directrices. Si c'est adopté, ce n'est pas comme si chaque juge pourra agir à sa guise en fonction de ceci ou cela. Cet exercice de pouvoir discrétionnaire sera rapidement codifié par la Cour.
Il y a actuellement un conflit entre l'alinéa 718.2e) et les minimums obligatoires. Il y a déjà eu plusieurs contestations constitutionnelles de l'application des minimums obligatoires aux délinquants autochtones, car on demande aux juges de faire deux choses : tenir compte de la discrimination réelle envers les Autochtones, du fait de l'alinéa 718.2e), et imposer un minimum obligatoire, ce qui est tout à fait le contraire. Cette question reviendra devant les tribunaux, d'une manière ou d'une autre.
Le sénateur Andreychuk : Mais ça ne dépend pas du projet de loi C-2, cependant.
M. Rudin : Si cet amendement est adopté, nous n'aurons peut-être pas à nous en préoccuper.
Le sénateur Cowan : Monsieur Boyd, l'Université Simon Fraser semble être très bien représentée durant ces audiences. L'un de vos collègues, M. Mauser, nous a donné un témoignage intéressant l'autre jour. Comme ça semblait contraire à la plupart des autres témoignages que nous avons reçus, j'aimerais vous en lire deux ou trois extraits et vous demander ce que vous en pensez. En guise de préface, il avait tenu à préciser que son propos ne reposait pas sur ses propres recherches, car il n'avait pas fait de recherches. Il nous donnait plutôt son opinion sur la base de recherches faites par d'autres. Lui-même n'a rien publié dans ce domaine.
Sur la question de savoir si l'incarcération des délinquants dangereux ou violents est efficace pour protéger le public, M. Mauser a dit ceci :
Si j'en crois les recherches criminologiques, c'est efficace. Augmenter le nombre de délinquants incarcérés sert à réduire la criminalité violente et les taux d'homicides. L'effet est particulièrement prononcé pour les taux d'homicides.
Il a ensuite évoqué les recherches de Marvell et Moody en 1997 :
Ces deux messieurs font partie des criminologues les plus réputés au monde. Dans leurs analyses de séries chronologiques, ils ont obtenu de solides résultats au niveau national indiquant qu'accroître l'incarcération des délinquants dangereux ou violents est relié de manière convaincante à la réduction des taux de criminalité violente.
Il a ensuite ajouté que :
[...] les recherches criminologiques sont claires : l'emprisonnement des délinquants dangereux ou violents a joué un rôle important dans la baisse spectaculaire de la criminalité violente aux États-Unis. Ces résultats valident la logique du projet de loi C-2, c'est-à-dire l'incarcération des personnes condamnées pour des crimes graves ou violents.
Comment réagissez-vous à ces remarques de votre collègue?
M. Boyd : Je connais bien l'étude de Marvell et Moody. Je ne dirais pas qu'elle jouit d'une excellente réputation. Si vous cherchez Marvell et Moody dans Google, vous trouvez science de pacotille, économétrie, et cetera. Cela vient de criminologues très respectés de Rutgers et de certaines des institutions de pointe dans ce domaine. M. Marvell soutient que les citoyens devraient avoir le droit de porter des armes cachées. Il soutient également qu'avoir retiré la faute du processus de divorce a entraîné une augmentation des taux de divorce, ce qui est probablement vrai mais n'est pas pertinent.
Cet argument existe. Il est vrai que vous pouvez trouver une période où il y a eu une augmentation de 10 p. 100 de la population carcérale suivie d'une baisse de 10 p. 100 du taux d'homicides. Vous pouvez trouver ça pour une période donnée de l'histoire des États-Unis. Autrement dit, vous avez n = 1.
Par contre, si vous examinez la situation dans la totalité des pays, vous ne trouverez aucune relation de cette nature. Vous constaterez que les pays ayant les taux les plus faibles de criminalité violente ont tendance à avoir moins recours à l'emprisonnement. C'est cette corrélation qui est la plus forte. Ça reste cependant une donnée de corrélation. Le problème de l'analyse des séries chronologiques — même si certaines personnes ont réussi à faire toute leur carrière en criminologie comme experts quantitatifs sur la base de séries chronologiques — est que, même si c'est une jolie analyse de régression, ça ne donne quand même que des données de corrélation. Aux États-Unis, par exemple, en 1976, il y a eu 9,6 meurtres pour 100 000 habitants. En 1991, c'était 9,8. Il n'y a pas de relation. La raison pour laquelle le taux d'homicides a baissé dans les années 1990 est la même qu'au Canada : le pourcentage des jeunes hommes dans la population.
Un autre élément plus convaincant est que, depuis 2002, la population des personnes incarcérées aux États-Unis a augmenté de 10 p. 100. Le taux d'homicides n'a absolument pas changé. On peut toujours choisir arbitrairement telle ou telle période historique et constater des changements, mais si l'on tient compte de toute la gamme des données, on ne trouve aucune confirmation. Même si nous devions accepter que c'était une équation de régression profondément valide, ce ne serait toujours qu'une corrélation, mais ce n'est même pas ça.
Je pense qu'il est juste de dire que c'est de la science de pacotille. Je ne connais aucun criminologue réputé qui défende la théorie de Marvell. Si vous lisez attentivement l'étude de Marvell et Moody, ils sont eux-mêmes relativement critiques à l'égard des gens qui déduisent des relations de cause à effet des équations de régression.
Le sénateur Cowan : Vous n'êtes donc pas convaincu par le professeur Mauser?
M. Boyd : Je crois que cela résume bien mon opinion. Heureusement, je crois qu'il enseigne la gestion d'entreprises, ce qui nous évite de nous croiser. Je crois que c'est un enthousiaste des armes à feu et il est donc dans la même lignée que M. Marvell.
La présidente : J'ai une question à vous poser, professeur Boyd, mais je veux également connaître l'avis de M. Rudin.
Vos remarques sur le renversement de la preuve m'ont beaucoup impressionné. Vous n'êtes pas le premier à exprimer de graves réserves au sujet des dispositions du projet de loi concernant les délinquants dangereux et je soupçonne que certains sénateurs les partagent.
Ce qui me frappe, ce sont vos réserves au sujet de la preuve à fournir selon la prépondérance des probabilités. Quand j'ai lu ces dispositions pour la première fois, j'ai pensé qu'elles seraient relativement utiles à l'accusé étant donné qu'il n'aurait qu'à prouver qu'il n'est pas dangereux selon la prépondérance des probabilités, ce qu'il aurait beaucoup plus de mal à faire s'il devait le faire au-delà de tout doute raisonnable — comme vous dites, comment prouver quelque chose qui n'existe pas? Si nous devions conserver le renversement de la preuve mais remplacer son établissement selon la prépondérance des probabilités par son établissement au-delà de tout doute raisonnable, le projet de loi serait beaucoup plus sévère pour l'accusé. Je ne veux pas dire qu'il n'est pas sévère actuellement, mais il le serait encore plus. Je suppose que vous n'êtes pas d'accord avec moi et j'aimerais que vous me disiez pourquoi.
M. Boyd : Je conviens avec vous qu'il serait beaucoup plus sévère, mais je n'avais pas réalisé que cette possibilité était sérieusement envisagée.
La présidente : Je pensais que c'était l'une des options que vous proposiez.
M. Boyd : Non. Revenons à l'arrêt Milgaard de la Cour suprême disant que, pour conclure qu'on a commis une erreur judiciaire, l'accusé doit prouver au-delà de tout doute raisonnable qu'il n'était pas responsable du crime. Le deuxième niveau de ce critère est d'établir cette preuve selon la prépondérance des probabilités. Ce sont là les deux niveaux de preuve possibles et je n'appuie aucun des deux, si vous voulez, dans cette circonstance.
La présidente : Donc, vous rejetez totalement le renversement de la preuve, quel que soit le critère retenu pour l'établir.
M. Boyd : C'est bien ça, je n'aime pas le renversement du fardeau de la preuve. Je pense que c'est inutile dans ce contexte.
M. Rudin : Je reviens à mon interprétation des arrêts relatifs à la Charte. Oakes concernait une affaire de trafic de drogue, et le critère Oakes définissait le fardeau de la preuve. Si vous possédez de la drogue, on présume que vous en faites le trafic et c'est à vous qu'appartient le devoir de prouver le contraire, selon la prépondérance des probabilités. Dans l'arrêt Oakes, la Cour suprême a dit que le problème de ce renversement de la preuve est que certaines personnes ne faisant pas de trafic en seront inévitablement trouvées coupables. Même si la preuve doit être établie selon la prépondérance des probabilités, c'est une exigence manifestement plus facile à satisfaire pour la Couronne. Sinon, on ne l'aurait pas proposée. Nous avons déjà une norme.
Le professeur Boyd a soulevé un problème important. Je ne pense pas que le texte soit conforme à la Constitution mais laissons cela de côté, la Charte n'est pas le critère ultime. Le but de la société canadienne ne devrait pas être seulement de satisfaire aux exigences minimum de la Charte, car ce serait là un objectif fort peu ambitieux.
La charte n'est pas le critère ultime mais plutôt le point de départ. Ce qu'il faut se demander, c'est si l'on doit priver quelqu'un de sa liberté pendant le reste de sa vie — puisque c'est ce que permettra ce projet de loi — sans avoir prouvé au-delà de tout doute raisonnable que c'est une personne dangereuse.
La présidente : Je tiens à vous remercier beaucoup tous les deux. Beaucoup d'entre nous voudrions vous poser encore beaucoup de questions, mais hélas, nous avons d'autres témoins à entendre maintenant et nous allons donc devoir contenir notre impatience. Merci à nouveau.
Nos témoins suivants sont Richard Hudler, gestionnaire de la Coalition pour les droits des lesbiennes et personnes gaies en Ontario, Nicholas Dodds, du Comité de l'Âge requis pour consentir, Jeremy Dias, directeur et fondateur de Jer's Vision, Katy Greg, membre du conseil d'administration de cette organisation, et Cheryl Milne, avocate de Justice for Children and Youth.
Richard Hudler, gestionnaire, Coalition pour les droits des lesbiennes et personnes gaies en Ontario : Merci beaucoup de nous avoir invités à nous adresser au comité, madame la présidente.
Je voyais récemment à la télévision le ministre de la Justice exprimant son appui au projet de loi et se disant troublé que certains puissent s'opposer à la protection des jeunes. Si ce projet de loi protégeait vraiment les jeunes, nous serions les premiers à applaudir. Hélas, nous estimons que ce n'est pas le cas, tout au moins en ce qui concerne les dispositions sur l'âge de consentement.
Les informations accompagnant le projet de loi indiquent clairement qu'il porte sur l'activité sexuelle non caractérisée par l'exploitation. Les lois actuelles protègent déjà les moins de 18 ans contre l'activité sexuelle d'exploitation. Au lieu de protéger, ce projet de loi ne fait que priver les jeunes du droit de choisir qu'ils possèdent depuis plus de cent ans.
Le titre abrégé du projet de loi est « Lutte contre les crimes violents ». L'activité sexuelle consensuelle n'est pas un crime violent. Avec ce projet de loi, le gouvernement prétend respecter et promouvoir les droits et valeurs énoncés dans la Charte des droits et libertés, mais en réalité, il élimine certains droits en invoquant l'âge. Pourtant, l'âge n'est-il pas un motif d'interdiction de la discrimination dans la Charte?
Nous ne croyons pas qu'il faille invoquer le Code criminel pour réglementer la sexualité consensuelle. Nous pensons que ce projet de loi n'est pas destiné à protéger les jeunes, mais plutôt à les contrôler, à tenter de rétablir des valeurs religieuses et morales dans les lois et politiques publiques du Canada en utilisant les institutions de l'État pour réglementer rigoureusement la moralité sexuelle. C'est un phénomène que nous connaissons bien dans les collectivités lesbiennes et gaies.
Nous comprenons que les très jeunes ne sont peut-être pas aptes à prendre eux-mêmes la décision de consentir à des relations sexuelles, mais des recherches ont montré qu'il est facile d'observer des étapes de développement cognitif distinctes jusqu'à l'âge de 12 ans. Après ça, la maturité de pensée n'est que très modestement reliée à l'âge et, au moment où l'enfant atteint l'âge physique de participer à une activité sexuelle de reproduction, son développement cognitif a suivi son développement physique.
Si nous disons que l'enfant n'a pas atteint la maturité voulue pour prendre ces décisions lui-même, cela revient à admettre que nous avons été incapables de lui fournir des ressources d'éducation sexuelle adéquates. En 2003, le Conseil des ministres de l'éducation du Canada disait que l'âge moyen des premiers rapports sexuels était 14,1 ans pour les garçons et 14,5 ans pour les filles.
La disposition de proximité d'âge et l'exception pour le mariage montrent que le gouvernement admet que les jeunes ont des relations sexuelles et sont aptes à prendre des décisions à ce sujet, mais il prétend quand même réglementer les choix qu'ils seront autorisés à faire.
Ceci est particulièrement préoccupant pour les homosexuels. Mon premier amant avait 17 ans de plus que moi, ce qui est fréquent. Considérant les attitudes dans les écoles à l'égard de l'orientation sexuelle, il est dangereux pour un jeune de tenter d'établir un contact sexuel avec l'un de ses pairs. Il faut faire de l'éducation dans les écoles pour changer cette situation, mais les groupes mêmes qui appuient le projet de loi s'y opposent avec véhémence.
Nous estimons que ce projet de loi fait fi de la nécessité d'une éducation sexuelle meilleure et plus complète dans les écoles alors que, selon nous, cela serait beaucoup plus utile pour protéger les jeunes que criminaliser leur comportement sexuel. L'estime de soi, la confiance en soi et l'aptitude à décider sont beaucoup plus importantes pour leur protection. Maintes recherches ont montré que le site social de danger reste la famille et que l'agresseur est connu de la victime. Laisser à la famille la responsabilité de l'éducation sexuelle ne protège pas les jeunes.
Il y a déjà de vives préoccupations dans les collectivités lesbiennes, gaies et bisexuelles sur l'application inégale des dispositions actuelles du Code criminel concernant les relations sexuelles. Les relations gaies et lesbiennes sont ciblées de manière disproportionnée ou sont considérées comme étant une question plus grave appelant des peines plus lourdes que les relations hétérosexuelles. À notre avis, ce projet de loi rendra à cette situation discriminatoire encore pire.
Notre crainte est que les jeunes ne se sentiront pas libres de poser des questions sur le sexe puisqu'ils sauront que l'activité est illégale. Les conseillers auront peur d'aborder le sujet avec eux, pour la même raison.
Un jeune ayant une relation avec une personne ayant plus de cinq ans de différence d'âge aura peur d'en discuter à la maison, même en passant, car il saura qu'il suffirait aux parents d'appeler la police pour mettre fin à la relation. On perdra donc aussi le soutien familial et les conseils parentaux.
Nous sommes troublés de constater qu'il n'y a rien dans ce projet de loi pour redresser l'inégalité législative concernant le sexe anal, pour lequel l'âge de consentement est fixé à 18 ans, bien que la loi ait été jugée anticonstitutionnelle dans plusieurs juridictions. Ce facteur adresse à la communauté gaie le fort message que c'est l'hostilité envers les relations homosexuelles qui est la raison d'être de ce projet de loi.
En résumé, nous croyons que ce projet de loi sera pour les jeunes plus une source de danger que de protection. Il reflète un certain mépris à leur égard en prenant des décisions à leur place au lieu de les consulter et de leur fournir des ressources éducatives adéquates. Il constitue une tentative d'effritement des droits humains et de renoncement à la séparation de l'église et de l'État. Nous croyons que les dispositions relatives à l'âge de consentement devraient en être retirées.
Nicholas Dodds, Comité de l'Âge requis pour consentir : Merci beaucoup. J'ai 19 ans. J'ai terminé l'école secondaire il y a deux ans. Je m'adresse à vous aujourd'hui à titre de représentant du Comité de l'Âge requis pour consentir, de Toronto.
Le Comité de l'Âge requis pour consentir est très préoccupé par les dispositions du projet de loi C-2 concernant l'âge de consentement. Nous avons de très sérieuses réserves à l'égard de cet aspect du texte, auquel nous nous étions opposés lors de la session parlementaire précédente dans le cadre du projet de loi C-22. Je m'adresse à vous aujourd'hui pour exposer ces réserves.
Tout le monde veut protéger les jeunes et il est important de mettre en place un cadre garantissant que ceux qui ont besoin de protection ou en recherchent, puissent l'obtenir.
Cela dit, il y a certaines choses que vous pouvez faire qui auront une incidence sur la sécurité des jeunes, et il y a d'autres choses qui paraissent bien en théorie mais qui n'auront pas nécessairement d'incidence tangible sur le bien-être des jeunes du Canada. Nous croyons que les dispositions du projet de loi relatives à l'âge de consentement, c'est-à-dire le relèvement de cet âge de 14 à 16 ans, sont l'une de ces mesures qui paraissent bien en théorie mais qui n'auront aucun effet concret, voire un effet contraire à celui qui est recherché.
L'un des principaux problèmes du projet de loi, à notre avis, est que les jeunes sont actuellement libres de chercher des services de santé sexuelle s'ils décident qu'ils en ont besoin, ce qui va du dépistage des MTS aux conseils en matière de relations. Toutefois, si l'âge de consentement passe de 14 à 16 ans, les jeunes entretenant des relations disparates sur le plan de l'âge seront probablement moins susceptibles de chercher de l'aide quand ils en auront besoin. S'ils ont besoin d'un examen de dépistage des MTS mais craignent que le personnel de la clinique à laquelle ils s'adressent les interroge sur leurs activités sexuelles, leur demande qui est leur partenaire ou quel est son âge, et s'ils savent qu'il est illégal pour eux d'avoir des interactions sexuelles avec quelqu'un qui a plusieurs années de différence d'âge, ils seront probablement beaucoup moins susceptibles de s'adresser à cette clinique.
Ce projet de loi ne fera pas disparaître les relations sexuelles auxquelles on prétend mettre fin. Les jeunes ont toujours été actifs sur le plan sexuel, ils continueront de l'être, et beaucoup de jeunes de mon âge ou plus jeunes ne savent même pas qu'il y a un âge de consentement. Si ce projet de loi est adopté, nous allons mettre des gens en prison pour des crimes qu'ils ne sauront peut-être même pas avoir commis. Nous allons mettre les jeunes en danger parce qu'ils ne pourront pas chercher de services de santé sexuelle.
Il vaut la peine de rappeler que les lois actuelles protègent déjà les jeunes. Si je ne me trompe, un projet de loi a été adopté en 2005 pour apporter plusieurs modifications au Code criminel, dont l'une permet au juge et à la police de décider si une relation sexuelle avec une personne de moins de 18 ans est une relation d'exploitation ou non. L'adoption du projet de loi C-2 signifiera que, dans les cas où la relation n'est manifestement pas une relation d'exploitation, la police et les tribunaux n'auront plus la possibilité de décider par eux-mêmes si des poursuites doivent être intentées. Ils n'auront pas le choix.
Le projet de loi porte seulement sur les relations sexuelles qui ne sont pas des relations d'exploitation entre les jeunes et les adultes mais il ne fait rien pour protéger les jeunes. Vous pouvez bien envoyer en prison qui vous voulez pour avoir eu des relations sexuelles avec des jeunes, ça ne fera pas disparaître l'exploitation sexuelle.
Le fait que les dispositions relatives à l'âge de consentement se trouvent dans un projet de loi présenté comme étant un texte de « lutte contre les crimes violents » fait violence à ce que sont vraiment l'abus sexuel, le viol ou l'exploitation. Si deux personnes ont une relation consensuelle — que vous pensiez ou non qu'elles devraient avoir des rapports sexuels —, ce n'est ni du viol, ni de l'agression, ni de l'exploitation.
Finalement, nous pensons qu'il est tout à fait possible que la disposition de proximité d'âge de cinq ans proposée pour rendre ce projet de loi plus acceptable risque d'être invalidée au titre de la Charte. Je ne suis pas avocat mais je sais lire. Il est clairement indiqué dans la Charte canadienne des droits et libertés qu'on ne peut faire de discrimination en fonction de l'âge. Bien des gens ont souligné que la Charte permet aussi d'imposer des limites raisonnables à la liberté individuelle, mais la disposition de proximité d'âge de cinq ans ne repose sur aucune donnée empirique. Pourquoi cinq ans et non pas six ou quatre? Si les membres d'un couple ont cinq ans et un jour de différence d'âge, pourquoi leur relation serait-elle illégale alors qu'elle ne le serait pas si la différence était de cinq ans moins un jour? Si cette disposition est portée devant la Cour suprême au sujet d'une relation dans laquelle une personne de moins de 16 ans a des rapports sexuels avec une personne âgée de cinq ans et une semaine de plus, je ne serais pas surpris que la Cour l'invalide. Ce projet porte atteinte à l'esprit de la Charte canadienne des droits et libertés. Il prive clairement les jeunes de leur liberté sexuelle. Il est clairement discriminatoire sur le plan de l'âge.
Permettez-moi de préciser que cette partie du projet de loi a fait l'objet de très peu de consultations auprès des jeunes eux-mêmes. C'est facile d'adopter une loi qui ne vous concerne pas. Je sors tout juste de l'école secondaire. Beaucoup de mes amis sont encore au secondaire, je connais des jeunes de 14 ou 15 ans et je suis ici pour vous dire que ce n'est pas ce que veulent les jeunes. Ce n'est pas de la protection, c'est une ingérence du gouvernement dans leur vie privée.
Le pire, dans toute cette affaire, c'est que le processus parlementaire est hostile envers les jeunes. Il est difficile de venir à Ottawa dire quelque chose comme ça. Il est difficile de naviguer dans le processus parlementaire pour participer à une réunion comme celle-ci, même pour quelqu'un comme moi qui l'a déjà fait au moins une fois auparavant. Je me suis perdu tout à l'heure en venant à l'édifice du Centre.
Le sénateur Cowan : Ça nous arrive continuellement.
M. Dodds : Je ne pense pas que le gouvernement puisse prétendre avec fierté que cette question aura été réglée s'il ne fait pas un effort plus proactif pour consulter les jeunes. Il aurait dû tenir ces consultations avant de proposer ce texte. Je peux vous dire que si certains des jeunes que je connais, de 14 ou 15 ans, qui sont directement intéressés par ce projet de loi, pouvaient s'adresser à vous, ce qui ne leur est pas possible à cause de l'école, de la famille ou du travail, ils vous diraient qu'ils ne veulent pas que ce texte soit adopté.
Jeremy Dias, directeur et fondateur, Jer's Vision : Merci de votre invitation à comparaître. Je suis le directeur général de l'Initiative canadienne des jeunes pour la diversité. Je suis accompagné de Katy Greg, membre de notre conseil d'administration. Nous allons essayer d'être aussi brefs que possible pour laisser plus de temps aux questions et au dialogue, ce qui est probablement ce qui compte le plus.
[Français]
Si vous avez des questions en français, n'hésitez pas à nous les poser. Nous sommes complètement bilingues et nous n'avons pas de problème à répondre aux questions en français. Je m'excuse parce que j'ai appris mon français en Alberta, alors c'est « assez pire » — je plaisante.
[Traduction]
Nous sommes une organisation qui œuvre essentiellement auprès des jeunes. Nous sommes dirigés par des jeunes et Mme Greg est très représentative de notre conseil d'administration composé de jeunes faisant des études secondaires ou entrant à l'université. J'en suis moi-même à ma quatrième année d'université et je dois terminer cette année.
Nous sommes très préoccupés par ce projet de loi, notamment par l'âge de protection, qui était auparavant l'âge de consentement. Je vais résumer les éléments essentiels de mon mémoire et parler ensuite d'un groupe de réflexion.
Notre principal reproche est que les jeunes n'ont pas du tout été consultés sur ce projet de loi. M. Dodds et nous- mêmes sommes les seuls à nous être adressés à des comités parlementaires, ce qui est très préoccupant puisque ce projet de loi aura des conséquences importantes pour les jeunes. Ni le comité de la Chambre, ni le comité du Sénat ni même des membres représentatifs du Parlement n'ont fait l'effort de consulter la communauté. Le seul député qui l'ait fait est un député néo-démocrate, M. Joe Comartin, et il ne s'est adressé qu'à un seul groupe catholique de cinq personnes. Nous pouvons légitimement nous inquiéter de constater que la seule contribution des jeunes à l'élaboration de ce projet de loi a été celle de cinq jeunes d'une petite collectivité du Canada.
Il est peu probable que ce projet de loi prévienne réellement l'exploitation des jeunes, ce qui est notre premier souci. Si nous sommes ici, c'est pour contribuer à la protection des jeunes, et je suis sûr que nous pouvons nous entendre là- dessus. Toutefois, le texte dont vous êtes saisis n'aidera pas les jeunes et risque même de rendre plus difficile leur accès à l'information sexuelle.
L'une de nos principales activités est l'éducation sur la santé sexuelle mais nous nous intéressons aussi à l'éducation dite GLBTQ — personnes gaies, lesbiennes, bisexuelles, transsexuelles et homosexuelles. Nos éducateurs et collègues ont exprimé de très sérieuses réserves en disant que ce projet de loi sera contesté du point de vue du financement et du point de vue des ministères fédéraux, provinciaux et municipaux, et qu'il y aura une limitation et une réduction de l'accès à des informations adéquates sur les pratiques sexuelles sans risque.
Qu'est-ce que cela a à voir avec la protection des jeunes? La réalité est que l'âge auquel commencent les relations sexuelles ne cesse de baisser. C'est en moyenne 14 ans au Canada, mais la réalité est que nos amis ont des relations sexuelles à 10 ans, à 11 ans et à 12 ans. La moyenne n'est qu'une moyenne et elle fluctue. Ce n'est pas rassurant. Nous allons continuellement parler aux jeunes dans les écoles et, à Ottawa, 60 à 70 p. 100 d'entre eux croient réellement qu'on peut guérir du VIH-sida. À Toronto, où l'on estime qu'il y a les meilleurs programmes d'éducation sexuelle, 50 p. 100 des jeunes partagent cette opinion. La plupart des jeunes du Canada, surtout hétérosexuels, ont des relations sexuelles sans préservatif. Ces facteurs sont extrêmement inquiétants, car les jeunes continueront de faire ce qu'ils veulent, que ça nous plaise ou non. Si notre objectif est de les protéger, il nous incombe d'adopter une législation et une tactique vraiment efficaces.
Ce projet de loi risque de pousser les jeunes à avoir des relations sexuelles dans la clandestinité, et ce n'est pas ce que nous voulons. En tant qu'éducateurs, nous luttons contre cette tendance, car elle rend l'éducation beaucoup plus difficile. Les membres de notre conseil dispensent de l'éducation sur le tabagisme et la conduite en état d'ivresse. Aucun jeune ne va dire à ses parents qu'il s'en va à une fête où il va boire de l'alcool, prendre des stupéfiants puis revenir à la maison au volant d'une voiture. Ce n'est pas imaginable. Il dira plutôt : « Je vais voir un film et dormir chez mon ami ». Et la prochaine fois que vous en entendrez parler, c'est aux nouvelles. J'ai un ami qui a perdu la vie à cause de la conduite en état d'ivresse. Il était avec un groupe de jeunes dont aucun n'avait dit à ses parents qu'il buvait de l'alcool. Aucun n'avait même dit qu'il conduisait. Tous mentaient à leurs parents. Ce que vous ferez avec ce projet de loi, c'est que vous encouragerez vos enfants à vous mentir. Vous donnerez un faux sentiment de calme et de sécurité dans la communauté parce que vous ne vous serez pas vraiment attaqués au problème.
L'un des principaux problèmes de ce projet de loi est son homophobie. La réalité est qu'il y a une disparité entre le sexe anal et le sexe vaginal du point de vue de l'âge de consentement. C'est gênant de parler de cela devant vous, parce que c'est gênant d'en parler devant n'importe qui et que personne n'aime en parler. C'est un sujet difficile à aborder. Les sénateurs et députés ont déjà dit que cette question n'a jamais été soulevée, qu'on n'en parle pas et qu'il n'y a pas d'homophobie. La réalité est que ne pas faire face à la question et ne pas profiter de cette occasion pour en parler est un signe d'homophobie. Vous avez l'occasion d'aborder la question de la législation homophobe et, si vous ne le faites pas, vous tournez le dos aux jeunes GLBTQ et essentiellement aux jeunes hommes homosexuels. C'est une question importante. Cette disparité du point de vue de l'âge est une réalité. Pourquoi un jeune garçon homosexuel ne pourrait-il pas prendre ses propres décisions d'ordre sexuel avant l'âge de 18 ans alors qu'un jeune garçon hétérosexuel peut le faire à 14 ans ou à 16 ans, selon ce qu'il adviendra de ce projet de loi? C'est un vrai problème.
Évidemment, nous désirons tous protéger les jeunes contre l'exploitation mais la réalité est que l'exploitation sexuelle commence essentiellement à la maison. Que nous soyons prêts à le reconnaître ou non, la plupart des jeunes sont agressés par des membres de leur famille, des amis ou des connaissances et on ne peut pas faire comme si ce n'était pas vrai. Ce projet de loi empêchera les jeunes d'obtenir plus d'éducation à ce sujet. Je parle ici d'éducation non seulement sur l'utilisation d'un préservatif mais aussi sur le fait qu'il faut sortir quand on se trouve dans une pièce avec quelqu'un dans une situation qu'on juge dangereuse. Vous seriez surpris du nombre de jeunes, notamment des jeunes filles, qui ne savent pas quoi faire dans ce genre de situation. Personne ne leur en a jamais parlé, personne ne leur a jamais dit quoi faire. C'est d'autant plus important quand il s'agit d'un parent, d'un oncle ou d'un ami de la famille à qui l'on doit normalement faire confiance, ce qui accroît d'autant la vulnérabilité à l'exploitation.
On a la preuve empirique que l'éducation est efficace et qu'elle semble être la première solution à retenir. Beaucoup d'entre vous avez débattu de textes législatifs sur la conduite en état d'ivresse au cours des 10 ou 20 dernières années. Je le sais parce que j'étais alors le représentant des jeunes à MADD Canada, qui n'existe plus aujourd'hui. Je m'en souviens très bien. La situation a complètement changé au Canada en 10 ou 15 ans. Autrefois, 40 à 60 Canadiens perdaient la vie chaque jour à cause de la conduite en état d'ivresse. Qu'a-t-on fait pour changer ça? Le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les municipalités ont tous agi ensemble pour éduquer la population. Aujourd'hui, il n'y a plus qu'une ou deux victimes par jour. C'est une énorme victoire pour le Canada et nous pouvons en être fiers.
Comment se fait-il qu'on ait pu trouver une solution empirique au problème de la conduite en état d'ivresse alors que, quand il s'agit de la sexualité des jeunes, notre solution est de ne pas en parler, de légiférer, de contrôler, de limiter, d'empêcher les jeunes d'en discuter et de ne pas les consulter? Notre organisation a dû se battre pour prendre sa place dans les consultations et nous nous sommes battus l'an dernier quand c'était le projet de loi C-22. Nous nous sommes battus pour avoir un siège au comité parlementaire, que nous n'avons pas obtenu. Là aussi, on nous a dit que nous n'intéressions personne parce que nous étions trop jeunes. Évidemment, nous avons dû implorer et insister pour venir aujourd'hui, et nous vous remercions de votre invitation. Toutefois, nous pensons qu'il est regrettable d'avoir dû nous battre pour l'obtenir. Ce fut très difficile, parce que nous sommes une organisation de jeunes. Comme l'a dit M. Dodds, nous ne sommes pas aussi compétents ni aussi qualifiés.
La réalité est que la sexualité des jeunes a changé ces dernières années. Votre propre expérience à ce chapitre est très différente de ce que vivent les jeunes d'aujourd'hui et nous vous invitons à vous éduquer à ce sujet.
Nous avons organisé quatre groupes de réflexion avec une vingtaine d'étudiants dans chacun. Plusieurs choses en sont ressorties clairement. Quel sera l'effet de ce projet de loi sur vous, personnellement? Nul. Pensez-vous que ce projet de loi protégera les jeunes contre l'exploitation sexuelle? Non. Pensez-vous que ce projet de loi est homophobe? Tous ont dit oui. Si vous pouviez dire quelque chose aux sénateurs, que leur diriez-vous? Tous ont répondu : « Les jeunes vous implorent ».
Une jeune fille en particulier qui avait été agressée sexuellement par son oncle et n'en avait jamais parlé à personne a dévoilé ce fait devant le groupe de réflexion en disant que ce projet de loi ne lui fournirait aucune protection. Nous travaillons chaque jour avec des jeunes qui sont marginalisés, qui sont agressés sexuellement et qui sont des victimes. Vous avez maintenant l'occasion de prendre une décision historique, de changer la réalité et d'aider ceux pour qui vous êtes censés travailler.
Je le répète, si nous adoptons ce projet de loi, nous aurons l'impression d'avoir porté un coup au système mais la réalité est que nous aurons aussi laissé passer la chance de changer vraiment les choses et de faire une différence.
Nous vous implorons de repenser votre action, de ralentir ce processus, d'aller dans la communauté et d'investir des ressources pour demander aux jeunes ce qu'ils veulent vraiment. Allez chercher des données empiriques et demandez aux professionnels de la santé sexuelle, de l'identité sexuelle et de l'exploitation sexuelle ce qui serait vraiment utile. Ils vous diront que c'est l'éducation et vous devrez alors travailler avec un ministère totalement différent et agir ensemble pour régler ce problème.
Ceci est une solution simple à un problème complexe. En notre nom à tous et au nom des jeunes qui sont actuellement exploitées, je vous implore de revoir ce que vous faites et d'élargir ce processus. Saisissez cette occasion d'aider vraiment les jeunes parce que c'est ce que vous pouvez faire aujourd'hui.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Dias. Permettez-moi seulement de préciser que, même si vous pensez que beaucoup de temps s'est écoulé entre le moment où vous avez demandé à comparaître et celui où vous avez été invité, vous n'avez pas eu à implorer ni à insister. C'est la lourdeur de la procédure du Sénat qui fait que le comité n'avait pas le mandat d'inviter des témoins. Nous savions dès le départ, dès que le comité a été saisi de ce projet de loi, que vous vouliez comparaître et nous nous sommes immédiatement entendus pour vous inviter.
M. Dias : Je vous en remercie. Je sais que beaucoup de sénateurs sont intervenus pour que ce soit possible mais convenez que nous avons fait plusieurs appels téléphoniques et qu'il y a eu plusieurs appels et courriels adressés à des députés et à des sénateurs qui sont restés sans réponse. Les députés et sénateurs ne sont pas tous aussi courtois que vous. Veuillez nous excuser de n'avoir pas souligné votre courtoisie et votre gentillesse.
La présidente : Nous sommes tous courtois et gentils. C'est le système qui est parfois un peu compliqué. J'en profite pour dire aux personnes qui nous regardent à la télévision et qui voudraient venir témoigner devant un comité du Sénat que la meilleure chose à faire est de prendre contact avec le greffier du comité saisi du projet de loi qui vous intéresse. C'est le greffier qui s'occupe de tous les documents et de tous les détails pratiques. Dans notre cas, c'est M. Adam Thompson.
Cheryl Milne, avocate du personnel, Justice for Children and Youth : Merci de votre invitation. Le mémoire que nous vous avons adressé est celui que nous avons déposé devant le comité de la Chambre lorsque notre directrice générale, Martha MacKinnon, a témoigné.
La présidente : Je ne pense pas qu'il ait été distribué aux membres du comité. Nous allons faire une pause pour qu'il le soit.
Mme Milne : Veuillez m'excuser, vous verrez qu'il est adressé à l'autre comité, le Comité permanent de la justice et les droits de la personne, de la Chambre des communes. Toutefois, il reflète la position qui a été adoptée et approuvée par le conseil d'administration de Justice for Children and Youth. Vous verrez qu'on y fait référence au projet de loi C- 22 et tout ce qui est dit à ce sujet s'applique automatiquement au projet de loi C-2.
Je vais commencer par la fin pour attirer votre attention sur nos recommandations. Nous recommandons que la disposition de proximité d'âge de cinq ans soit considérée comme une présomption et non pas comme un absolu. Nous convenons qu'il convient de protéger les enfants contre l'exploitation et contre les comportements prédateurs mais nous estimons que les jeunes sont des individus et que la différence d'âge n'indique pas toujours d'office une relation d'exploitation ou un déséquilibre de pouvoir.
M. Boyd vous a communiqué des statistiques ce matin, et certaines études récentes montrent qu'il y a un pourcentage élevé d'activité sexuelle coercitive parmi les jeunes filles de 14 ans. Toutefois, cette activité coercitive n'émane pas d'office de personnes ayant plus de cinq ans de différence d'âge avec elles. Elle peut provenir de jeunes qui ne seront absolument pas touchés par ce projet de loi. Le vrai problème concerne le sens réel du consentement et les pressions que subissent les jeunes. Ce n'est pas nécessairement une question d'âge. Dans ce projet de loi, l'âge n'est qu'un succédané de l'exploitation, mais ce n'est pas un bon succédané et définir l'exploitation uniquement en fonction de l'âge est problématique.
Une démarche fondée sur les droits des enfants permettrait aux différences entre les jeunes et aux caractéristiques de chaque situation de remplacer une limite d'âge arbitraire et d'examiner de manière plus nuancée si une relation est axée sur l'exploitation ou non. S'il s'agissait d'une présomption pouvant être réfutée, cela accorderait plus de protection aux jeunes à l'égard de ce qui nous préoccupe le plus, l'exploitation réelle et la coercition.
Notre principale réserve à l'égard du projet de loi a déjà été formulée par d'autres témoins : il met l'accent sur les jeunes plutôt que sur les auteurs de l'exploitation sexuelle. Cet accent mis sur l'âge de la jeune personne peut être trompeur pour les jeunes eux-mêmes. Les dispositions du projet de loi sont assez compliquées en ce qui concerne le calcul de la différence d'âge. Il est très difficile d'expliquer aux jeunes de quoi il s'agit vraiment.
L'une des fonctions de Justice for Children and Youth consiste à éduquer les jeunes sur le plan du droit public. Nous avons du mal à leur expliquer la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, car c'est un texte extrêmement compliqué que j'ai d'ailleurs moi-même parfois du mal à comprendre alors que je suis une avocate qui exerce dans ce domaine depuis plus de 17 ans.
Si une loi destinée aux jeunes est trop compliquée, elle sera mal interprétée. Ils penseront que ce qu'ils font est illégal ou doit se faire en cachette, sans en parler à quiconque. Nous avons déjà entendu une explication éloquente du risque que les jeunes agissent en cachette, ce qui les exposerait à un risque plus grand.
Nous convenons aussi que l'article 159 du Code criminel devrait être abrogé. Il s'agit là d'une question fondamentale de droit à l'égalité. Que le projet de loi soit adopté ou non ou que l'article proposé y soit maintenu ou non, il faudra entreprendre une campagne ciblée d'éducation publique pour informer les jeunes sur les lois régissant leur comportement sexuel afin de leur faire mieux comprendre la notion d'exploitation sexuelle et de leurre par Internet et aussi de leur apprendre à chercher des services de santé ou autres. S'ils pensent que la personne avec qui ils ont une relation d'amour risque de se faire accuser parce qu'ils vont consulter un médecin ou un autre professionnel de la santé, ils n'iront pas. Il nous incombe de faire preuve de plus de subtilité dans la définition de l'exploitation. Il nous incombe aussi d'adresser un message très clair aux jeunes sur leurs droits et sur les questions qu'ils devraient soulever auprès de professionnels de la santé, en leur faisant bien comprendre que ces consultations resteront privées, afin de leur permettre de mieux se protéger.
Très franchement, comme on l'a déjà dit, la raison pour laquelle cette partie du projet de loi existe est une certaine réticence ou méfiance à l'idée que des jeunes de moins de 16 ans puissent avoir des relations sexuelles. Il faut cependant faire face à la réalité : premièrement, cela existe et, deuxièmement, considérant la manière dont fonctionne le Code criminel, nous ne parlons pas seulement de rapports sexuels. Nous parlons plutôt d'un large éventail de comportements sexuels qui, si l'on réfléchissait bien à ce que font les jeunes à cet âge où ils expérimentent et apprennent à se connaître et à connaître leur corps, devraient beaucoup moins nous inquiéter. Cela nous ramène à ce que disait M. Dias, c'est-à- dire que nous n'avons pas assez parlé aux jeunes. Certes, il y a un processus permettant de s'adresser à votre comité mais le problème remonte à l'origine même de ce projet de loi : on aurait dû consulter les jeunes avant de le rédiger. Voilà ce qui aurait dû être la motivation principale.
En conclusion, permettez-moi d'évoquer l'article 12 de la Convention des Nations unies relatives aux droits de l'enfant qui dispose que l'on doit consulter les jeunes et recueillir leur opinion et leurs souhaits sur toute décision les concernant. Ce projet de loi concerne particulièrement les jeunes et, même si l'on croit s'attaquer ainsi aux adultes prédateurs, le fait est qu'il porte sur l'âge et les activités des jeunes. On dit bien que c'est un projet de loi sur « l'âge de consentement » et non pas sur « l'exploitation des jeunes par les adultes ». Or, l'âge de consentement renvoie directement au jeune lui-même. Réfléchissons bien au message que nous envoyons ainsi. Il est indispensable de parler aux jeunes de l'incidence que le projet de loi aura sur eux.
Le sénateur Stratton : Ces exposés étaient très intéressants. Beaucoup d'entre vous avez parlé des jeunes et quelqu'un a parlé de ce qu'il disait à ses parents quand il sortait. Quand j'étais petit et que mes parents me demandaient où j'allais, je leur disais : « Je sors ». Quand ils me demandaient à mon retour ce que j'avais fait, je leur répondais : « Rien ». Le message était cohérent. C'était une règle que nous avions tous, et qui existe encore, j'en suis sûr. Les enfants réagissent tous comme ça, quel que soit leur âge.
Parlons du principe fondamental si vous voulez bien. Notre objectif n'est aucunement de nous ingérer dans l'activité sexuelle des enfants de moins de 16 ans. Oui, nous savons que les enfants sont sexuellement actifs en dessous de cet âge. C'est normal et c'est sain. Et ça n'a rien à voir avec l'hétérosexualité ou l'homosexualité. Ce qui nous intéresse avant tout, c'est le prédateur sexuel. Voilà la personne que nous visons. Ce projet de loi est destiné à ces individus qui leurrent les jeunes par Internet. Ils font la même chose à Winnipeg avec des prostituées de rue dont certaines ont à peine 12 ans, et cela peut aller jusqu'à 15, 16 ou 17 ans, qui sont attirées dans la prostitution par une personne plus âgée, un prédateur sexuel, qui les accroche à la drogue. Elles sont ensuite mises dans la rue pour se prostituer afin de payer leur drogue et de payer leur prédateur. Voilà ce qu'on veut réprimer avec ce projet de loi. Voilà l'objectif fondamental. Je ne veux pas faire de long discours, mais je tenais à rappeler la raison fondamentale pour laquelle ce projet de loi a été formulé.
Je suis sensible à vos préoccupations, mais si vous vous opposez à ce genre de protection pour les enfants, quelle différence y a-t-il entre 14 et 16 ans? Des études ont montré que tel est vraiment le problème. J'ai des petites-filles et des petits-enfants qui arrivent à ces âges. Leurs parents sont pétrifiés par tout ce qu'il y a sur Internet. Le contrôle d'Internet est très strict. Voilà notre motivation.
J'ai pris bonne note de vos arguments à ce sujet, mais si vous contestez cette démarche, que proposez-vous d'autre? Comment réagissez-vous à ces préoccupations?
Mme Milne : Tout d'abord, l'exemple que vous avez donné est déjà illégal.
Le sénateur Stratton : Mais la loi actuelle ne marche pas. Hier, le professeur Langevin nous disait que les lois actuelles ne marchent pas et qu'il faut faire plus.
Mme Milne : Cela nous ramène à l'éducation et l'application de la loi. Le problème n'est pas que la loi actuelle ne fonctionne pas. Nous avons des lois sur le consentement et l'exploitation mais il faut les appliquer. Il n'est pas nécessaire d'adopter des lois plus draconiennes pour abolir les nuances et cibler les jeunes si l'on veut que les lois actuelles soient plus efficaces. Vous utilisez le droit de manière incorrecte. Ce que vous avez décrit est déjà illégal.
Je pense aussi que le parent qui craint que sa fille de 14 ou 15 ans soit leurrée par Internet le craint tout autant pour sa fille de 16 ou 17 ans. Ce projet de loi ne porte absolument pas là-dessus. Il s'agit en réalité d'une crainte plus générale que les jeunes soient exploités. Cela ramène aux dispositions sur l'exploitation qui existent déjà et qui, comme nous le disons dans notre mémoire, constituaient de très bonnes modifications législatives, pour ouvrir le concept d'exploitation et être plus exact au sujet de types de relations qu'on ne peut pas nécessairement classer dans des catégories simples mais qui sont plus reliées à la dépendance dans laquelle peuvent se trouver les jeunes.
Je pense qu'il n'y a aucune différence et, si vous fixez des limites d'âge arbitraires, en tant que parent je craindrais tout autant que ma fille de 16 ans parte avec une personne plus âgée dans une relation d'exploitation que ma fille de 15 ans. La question de fond, c'est qu'on n'accepte pas le comportement sexuel des jeunes.
Le sénateur Stratton : À mon avis, cette réponse ne nous dit pas comment nous attaquer au prédateur. Or, c'est de ça qu'on parle ici. Vous n'avez rien dit à ce sujet dans votre réponse. Comment s'attaque-t-on au prédateur?
La présidente : Comme vous le savez, beaucoup de sénateurs souhaitent interroger les témoins. Voulez-vous répondre?
M. Dodds : Pour répondre à cette question, la manière de s'attaquer au prédateur consiste à rendre le sexe illégal. Si vous rendez le sexe illégal, vous pourrez poursuivre quiconque fait quoi que ce soit de mal ou d'immoral sur le plan sexuel. Hélas, ce n'est pas envisageable. Nous vivons dans une société qui baigne dans la sexualité. L'être humain est un être sexuel. C'est de cette manière que nous nous reproduisons. Pour bien des gens, c'est de cette manière que s'exprime l'amour.
Vous pouvez bien fixer une limite d'âge arbitraire en dessous de laquelle les relations sexuelles seront interdites, mais il y aura toujours des prédateurs partout, de n'importe quel âge.
M. Dias : Vous avez posé une excellente question, sénateur Stratton. La réalité est que les jeunes sont exploités, et j'en connais. Je suis allé à Vancouver, à Edmonton, à Calgary et à Winnipeg. Nous en avons rencontré et nous leur avons demandé ce qui pourrait les aider.
Aucun des comités ne leur a posé cette question. Quand on a commencé à rédiger ce projet de loi, on n'a pas posé cette question à ceux qui étaient exploités sexuellement. La première chose à faire serait pourtant de leur demander directement : « Qui pourrait vous aider et empêcher votre exploitation? » C'est ça la question fondamentale mais c'est celle qui n'a pas été posée.
D'autres solutions dont l'efficacité a été prouvée de manière empirique sont l'éducation et l'application rigoureuse des lois. À Ottawa, si une femme se fait violer, il y a seulement 1 p. 100 de chances qu'elle dépose une plainte. Ensuite, il y a seulement 1 p. 100 de chances que cette plainte soit confiée à un procureur de la Couronne et encore seulement 1 p. 100 de chances que le coupable soit condamné. Autrement dit, une femme qui se fait violer à Ottawa n'a que 0,0001 p. 100 de chances d'obtenir réparation. Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de loi contre le viol au Canada, mais plutôt parce que le système et la société ne nous poussent pas à nous attaquer au problème. Ce qui semble être efficace, c'est l'éducation, apparemment, et l'application stricte des lois. Il y a encore peu de temps, si une femme était habillée de manière inappropriée, quelqu'un pouvait la violer et se justifier en disant : « Elle était habillée de manière inappropriée et je l'ai donc violée ». On entend encore cet argument aujourd'hui et il arrive même que certains violeurs réussissent à s'en sortir avec ça. Ça fait très peur.
Je suis d'accord avec vous. On a un sérieux problème au Canada dans ce domaine. Toutefois, le problème vient du fait que nous ne travaillons pas avec ces personnes pour trouver une solution et que nous n'appuyons pas les solutions qui ont fait leurs preuves.
Le sénateur Merchant : Je tiens à remercier nos témoins qui ont exposé très clairement leurs préoccupations au nom des jeunes.
Pour votre information, j'attire votre attention sur une déclaration d'octobre 2005 du ministère de la Justice disant foncièrement la même chose que vous, c'est-à-dire qu'il est préférable d'apprendre aux jeunes à faire de bons choix au moyen de conseils parentaux et d'éducation sur la santé sexuelle qu'en utilisant le Code criminel pour criminaliser les jeunes qui ont de telles activités.
Est-ce que nous n'en avons pas tenu compte? J'ai l'impression que vous nous dites que nous ne mettons pas nos paroles en pratique, comme gouvernement. Pensez-vous que ce projet de loi est progressiste ou régressif, et pourquoi?
Vous parlez de la réalité sur le terrain. Pensez-vous que les lois devraient suivre les tendances? Si nous adoptons des lois régressives et qu'elles ne sont pas respectées, à quoi cela sert-il? Autrement dit, si cela doit pousser cette activité dans la clandestinité et mettre la santé des jeunes en danger, comment réagissez-vous à ce genre de loi?
M. Hudler : En ce qui concerne l'éducation, ce que vous avez lu était très important. C'est l'éducation qui est la plus importante. Je crois que ce projet de loi, sous sa forme actuelle, laisse l'éducation de côté. Il laisse entendre que, puisque le comportement sexuel prédateur est illégal, on n'a pas besoin d'apprendre aux jeunes à se protéger ou de leur donner les moyens de se protéger, même contre les prédateurs, comme l'a dit un sénateur.
C'est tout ce que je veux dire à ce sujet pour le moment.
M. Dias : J'approuve totalement tout ce que vous avez dit. En outre, il nous faut des solutions créatives. Il faut des solutions intergouvernementales pour s'attaquer à ce problème. Nous avons besoin du gouvernement fédéral. Si vous adoptez une loi, il vous faut travailler avec les ministères de l'Éducation pour en assurer la mise en œuvre. Il nous faut des solutions plus créatives pour résoudre le problème. Nous ne cessons de répéter que vous devez consulter les jeunes qui risquent d'être exploités tout autant que ceux qui sont des spectateurs en la matière parce qu'ils ne seront jamais exploités et qu'ils sont assez privilégiés et chanceux pour ne jamais connaître ça.
À l'Université d'Ottawa, 25 p. 100 des femmes subissent des agressions sexuelles. Réalisez ce que veut dire cette statistique. À l'Université d'Ottawa, au niveau universitaire, des jeunes filles éduquées sont exploitées par leurs pairs, par leurs assistants d'enseignement, par des professeurs, par des administrateurs. Comment cela se peut-il au Canada? Ce projet de loi ne fera rien pour les aider.
Nous voulons vous rappeler que vous avez maintenant l'occasion, avec ce débat, d'améliorer ce projet de loi et de le changer pour qu'il soit plus efficace. Pour ce faire, il vous appartient de consulter les gens qui ont vécu ce genre de situation et ceux qui sont des experts en la matière. Il vous faut trouver des solutions créatives. Il faut que toutes les entités gouvernementales collaborent. On ne réglera pas le problème seulement en adoptant un projet de loi. Examinez la législation existante. Collaborez avec les procureurs de la Couronne et les services de police et demandez-leur : « Comment se fait-il que, quand vous voyez une prostituée de 14 ans dans la rue à Ottawa, où n'importe où au Canada, vous ne pouvez pas aller la chercher pour la mettre à l'abri et lui donner de l'aide? »
Nous travaillons avec des prostituées et des sans-abri. L'une des membres de notre conseil d'administration travaille directement dans la rue. Nous lui avons demandé : « Pourquoi ne vas-tu pas au refuge? » Elle a répondu : « Parce que je serais violée par les gens qui y travaillent ». Pouvez-vous imaginer ça?
Le système et le processus avec lesquels nous travaillons sont tellement dangereux que je ne me sens pas en sécurité dans un refuge. C'est ça qu'il faut changer.
Le sénateur Di Nino : Je vous souhaite la bienvenue à tous. Je voudrais adresser une brève remarque à M. Dodds. Si vous étiez nerveux, j'aimerais vous voir quand vous ne l'êtes pas. Je pense que vous avez été excellent. Je pense que vous avez tous fait un excellent travail, chacun à votre manière.
Permettez-moi de dire tout d'abord que j'habite à Toronto. Cela me rend peut-être moins objectif que d'autres mais je me fonde essentiellement sur les statistiques présentées par le Centre canadien de la statistique judiciaire, organisme extrêmement réputé qui nous dit que, depuis 2003, les infractions sexuelles, autres que les cas d'exploitation — je parle des infractions sexuelles que ce projet de loi est censé sanctionner — ont augmenté de 6 p. 100. L'information qui me trouble le plus est que ce sont les filles de 12 à 14 ans qui sont le groupe le plus vulnérable. J'ajoute que l'enquête a été faite uniquement auprès d'enfants de moins de 14 ans. Je ne sais pas s'il n'y avait que des filles. En outre, nous ne savons pas ce qu'il en est des enfants de 15 et de 16 ans, car on n'a pas fait d'enquête à leur sujet. L'enquête portait sur des filles de 12 à 14 ans, qui constituent le groupe le plus vulnérable à ces infractions. La statistique la plus étonnante est que seulement 8 p. 100 de ces crimes sont déclarés. Multipliez les chiffres et vous voyez que le problème est loin d'être mince.
J'adresse donc ma première question à M. Dias. Votre exposé était excellent, vous avez fait de très bonnes remarques. Toutefois, quand je lis votre mémoire, j'y vois trois éléments qui, à mon avis, atténuent sensiblement la portée de ce que vous avez dit et qui, je serai franc, m'amènent à me demander si vous comprenez bien ce projet de loi.
En première page, vous parlez de criminalisation du sexe pour les jeunes de moins de 16 ans. Ce projet de loi ne criminalise en rien les activités sexuelles des moins de 16 ans. Il criminalise les adultes qui exploitent nos enfants. En deuxième page, vous dites qu'il rendra illégale la prestation de conseils sur la sécurité des rapports sexuels par les écoles et par les services de soutien. Rien dans ce projet de loi ne permet de dire cela. Finalement, à la troisième page, vous dites que les jeunes seront tenus pénalement responsables des crimes. Encore une fois, il n'y a rien dans le projet de loi qui justifie une telle affirmation.
M. Dias : Nous parlons de la compréhension du projet de loi par les jeunes, et de nombreux jeunes ont été consultés pour l'élaborer. Les jeunes estiment que ce projet de loi criminalise le sexe, rend le sexe illégal, même s'il s'agit d'une relation entre un jeune de 15 ans et un autre de 19 ans. Cela répond à votre première remarque.
Pour ce qui est de rendre illégale la prestation d'informations sur la sécurité des rapports sexuels par les écoles et les services de soutien, ce projet de loi rendra beaucoup plus difficile l'accès de ces ressources aux établissements scolaires, et il est déjà loin d'être facile. Je pense que la terminologie employée est un peu inflammatoire mais, cela dit, elle exprime clairement le message.
Le sénateur Di Nino : C'est faux.
M. Dias : J'affirme simplement que, si le projet de loi est adopté, ce sera très difficile, alors que c'est déjà très difficile.
Il y a dans une école secondaire d'Ottawa une directrice qui refuse qu'on donne dans ses locaux des cours sur la sécurité des rapports sexuels. Je parle ici d'une directrice d'école. Pas de sécurité des rapports sexuels, pas de préservatifs, pas d'éducation, pas d'explications sur l'abstinence — rien. C'est à peine si on peut prononcer le mot sexe dans son école.
Le sénateur Di Nino : Tout ce que je dis, c'est que vous faites erreur dans ces trois cas, ce qui atténue la valeur de votre exposé qui, dans l'ensemble, me semblait avoir un certain mérite.
Je voudrais poser une brève question à M. Hudler. Croyez-vous qu'il devrait y avoir un âge de consentement? Pensez-vous qu'il faudrait éliminer complètement l'âge de consentement et laisser des enfants de huit, neuf, 12 ans décider tout seuls s'ils veulent avoir des relations sexuelles?
M. Hudler : Non. J'ai tenté d'aborder cette question en disant qu'il était démontré que, jusqu'à 12 ans, les enfants ne sont pas complètement épanouis sur le plan cognitif.
Le sénateur Di Nino : Pensez-vous que nous ne devrions pas relever l'âge de consentement mais plutôt l'abaisser à 12 ans?
M. Hudler : Je ne saurais vous répondre. Je crois que 14 ans est probablement le bon âge, car c'est à peu près l'âge de la puberté, l'âge auquel la pensée de l'enfant arrive au point où elle est égale à son développement physique.
Vous posez une bonne question. Nous savons qu'il y a de la sexualité chez les enfants encore plus jeunes. Il faudrait étudier cela de plus près. Le simple fait d'en parler suscite des préoccupations chez certaines personnes. L'âge de 14 ans nous convient parfaitement, mais on a encore beaucoup à apprendre sur cette question.
Il devrait peut-être y avoir un test. Dans beaucoup de sociétés, l'enfant doit subir une sorte de rituel pour devenir adulte. Il y aurait peut-être un autre moyen de décider s'ils sont prêts. Je ne sais pas. Il semble que ce soit un problème seulement chez nous, le fait que nous ayons un âge particulier.
Le sénateur Cowan : Madame Milne, l'article 153 du Code criminel assure déjà une protection en cas de mariage entre une personne de 25 ans et une autre de 15 ans, par exemple. Toutefois, si je ne me trompe, l'exception relative au mariage prévue dans le projet de loi C-2 éliminerait cette protection. Est-ce que je me trompe?
Mme Milne : Je crois comprendre que la protection du mariage est une sorte de clauses de protection des droits acquis, c'est-à-dire que, si le projet de loi apporte un changement, les mariages actuels ne deviendront pas d'un seul coup illégaux.
Le sénateur Cowan : Vous ne pensez pas qu'il y aura moins de protection si le projet de loi est adopté?
Mme Milne : Non, je ne crois pas.
La présidente : Vous me corrigerez si je me trompe mais je pense qu'il y avait dans le texte d'origine que vous avez examiné une disposition de transition pour le mariage. Ce n'est plus le cas. Il n'y a pas de problème pour le mariage.
Le sénateur Cowan : Il y a donc une exception générale pour le mariage, maintenant?
La présidente : Oui.
Le sénateur Cowan : Dans ce cas, il y aura moins de protection, car l'article 153, si je comprends bien, ne prévoit pas d'exception au cas où le prédateur épouserait sa proie. Avec ce projet de loi, s'il y a plus de disposition de transition, le mariage sera une défense.
La présidente : Oui.
Mme Milne : Ça ne représente pas beaucoup de gens et ce n'est pas un problème particulièrement préoccupant à l'heure actuelle. Ça pourrait être plus grave dans certaines cultures, et il y a certainement des collectivités au Canada où cela pourrait causer des préoccupations. Je songe en particulier à Bountiful en Colombie-Britannique. Il vaudrait la peine d'en tenir compte et de réfléchir à l'incidence du projet de loi dans ce contexte.
Si vous examinez la situation du point de vue des droits des enfants plutôt que des droits du mariage — ce qui a été le point de vue retenu jusqu'à maintenant — c'est troublant.
M. Dodds : Si je ne me trompe, l'exception relative au mariage a été ajoutée sur recommandation du comité de la justice, la dernière fois.
Au Nunavut, il est légal pour un jeune de 14 ans, avec le consentement de ses parents, d'épouser une personne plus âgée, même s'il y a de nombreuses années de différence d'âge. J'ajoute en passant que ce n'est pas parce que quelqu'un est marié et que les parents ont donné leur consentement qu'il ne peut pas y avoir d'exploitation.
La présidente : En effet, et nous n'avons pas encore abordé la question des unions de fait, qui a suscité certaines préoccupations.
Le sénateur Andreychuk : Je serai brève. Je pense que quiconque souhaite faire participer les enfants à l'élaboration des textes de loi les concernant n'a qu'à lire le rapport du Sénat intitulé Les enfants : des citoyens sans voix. Tout y est.
Le Sénat implore le gouvernement actuel comme il a imploré les prédécesseurs de prendre au sérieux les droits des enfants. Le projet de loi C-2 ne fait pas exception. Il semble que ce soit la règle quand le gouvernement s'occupe de questions concernant les enfants.
Je suis heureuse de vous voir ici. J'ai aussi entendu des jeunes et pris contact avec des jeunes. Chose intéressante, ils m'ont envoyé des courriels. Ils ont utilisé une méthode moderne plutôt que la méthode traditionnelle consistant à venir devant un comité. Je crois vous avoir entendu dire, monsieur Dodds, que c'était difficile de venir ici mais c'est parce que vous avez employé la méthode traditionnelle. Les jeunes semblent préférer les nouvelles méthodes pour s'adresser à nous et je peux vous assurer qu'ils le font.
J'ai une question à poser à Mme Milne. Nous avons essayé de cerner ce qui est vraiment criminel — le leurre, la coercition, et cetera. — et nous avions tenté de nous y attaquer dans le texte précédent. Comme nous l'avons dit pour le viol, l'exploitation des femmes, et cetera, l'éducation est indispensable. Il faut travailler avec les communautés, les écoles, les parents et les services sociaux, et il faut s'occuper des questions de santé.
Il y a beaucoup de problèmes à traiter en même temps. Le droit pénal n'est qu'un des outils de la panoplie d'intervention globale pour protéger les jeunes. Par le droit pénal, nous voulons dire aux adultes qu'ils n'ont pas le droit d'exploiter les enfants pour leur propre avantage. Si l'on doit amener des jeunes devant les tribunaux pour prouver qu'ils ont consenti à la relation, ça soulèvera toutes sortes de questions. Qu'est-ce que le consentement éclairé? Que la relation concerne une prostituée et un souteneur, une épouse devant témoigner contre son mari, ou une jeune fille devant témoigner contre un homme plus âgé avec qui elle a une relation, il sera toujours très difficile d'identifier clairement le consentement éclairé.
Nous verrons bien si nous y arrivons, mais le but du projet de loi est d'envoyer le signal, par le truchement du droit pénal, que notre société n'accepte pas qu'un adulte exerce une influence indue sur un jeune et que tout adulte qui aborde une jeune personne d'une manière le moindrement sexuelle a intérêt à s'assurer que ce n'est pas dans une relation inégale. Il sera très difficile de déterminer si la relation est bénéfique pour la jeune personne. Ce que je croyais être bénéfique pour moi à l'âge de 14 ans était certainement très différent de ce que j'en pensais à 16 ans, sans parler d'aujourd'hui.
Les limites d'âge sont arbitraires. Nous fixons la limite à 14 ans. Dans d'autres pays, c'est 12 ou 13 ans. En Nouvelle-Zélande, en Australie et au Royaume-Uni, c'est 16 ans. Nous déplaçons la limite de 16 à 14 ans pour éviter d'avoir à prouver le consentement éclairé. Quand on avait fixé la limite à 19 ans, c'était parce que le ministre avait tiré ses conclusions après des consultations et un débat en Chambre. Nous aussi allons devoir tirer nos conclusions sur ce que nous pensons être juste.
Ne croyez-vous pas que nous essayons d'envoyer aux adultes le signal que faire preuve de persuasion à l'égard d'un jeune revient à profiter d'un avantage injuste? Si la persuasion se limite au charme, ça va, mais une influence indue serait inacceptable, car les adultes se trouvent dans une situation différente que les jeunes. Si ce n'était pas vrai et que nous étions tous égaux sur tous les plans à la naissance, pourquoi devrions-nous avoir un âge de la majorité?
Mme Milne : Je crois que c'est en partie pour cette raison que Justice for Children and Youth a adopté une position intermédiaire en parlant de présomption plutôt qu'en repoussant totalement la notion d'exemption fondée sur l'âge. Nous convenons qu'utiliser l'âge est un succédané de l'exploitation, pour répondre exactement à ce que vous dites.
Mon problème est que nous disons que nous avons échoué à l'égard des jeunes parce que nous ne leur avons pas donné le pouvoir de se défendre en les informant. Nous avons en particulier échoué à l'égard des jeunes filles à une époque où le féminisme semble dépassé. On ferait bien de le raviver. Les statistiques montrent que ce sont essentiellement des jeunes filles qui sont exploitées et qu'elles ne sont pas exploitées par des personnes ayant plus de cinq ans de différence d'âge. Elles sont exploitées ou sont forcées d'avoir un certain comportement par de jeunes garçons avec qui elles vont à l'école, car il y a une culture dans laquelle elles n'ont pas le pouvoir de dire non et de s'y tenir. Personne ne leur a dit qu'elles ont le pouvoir de dire non à ce genre de comportement et c'est pour cette raison que le taux de plaintes pour activités sexuelles non désirées est assez élevé dans les études les plus récentes.
Par ce projet de loi, nous disons en fait que nous avons échoué. Nous n'avons pas réussi à les éduquer parce que nous n'aimons pas parler de ces choses-là. Nous avons fait marche arrière en ce qui concerne le financement des organisations de femmes, ce qui a donné le message que nous ne nous intéressons pas au sort des jeunes femmes. Au lieu de ça, nous faisons appel au droit pénal qui, comme nous le savons tous, est un instrument particulièrement grossier. On criminalisera des situations qui ne correspondent pas du tout à ce qui nous préoccupe et c'est pourquoi nous recommandons une présomption plutôt qu'une limite arbitraire, ce qui permettrait de reconnaître qu'il y a des relations qui ne sont pas fondées sur l'exploitation, même si elles ne nous conviennent pas particulièrement.
Le sénateur Andreychuk : Je ne pense pas que l'éducation soit suffisante, ni les autres suggestions que vous avez faites. Je pense que le droit pénal est un outil acceptable, surtout quand l'activité sexuelle des jeunes n'est pas ce à quoi nous voulons nous attaquer. Nous voulons nous attaquer au fait que des personnes âgées prennent avantage d'enfants.
Je suis d'accord avec vous, 19 ans est un âge arbitraire. On aurait pu choisir 21 ans. Il y a cependant un moment où un adulte ne devrait pas prendre avantage d'un jeune.
L'une des méthodes consiste à faire usage du droit pénal fédéral. Certes, les provinces ont beaucoup de responsabilités en matière d'éducation, de services sociaux, et cetera, et je n'irais pas jusqu'à dire que nous avons échoué dans nos efforts d'éducation. Nous avons un combat à mener, et c'est un combat pour changer les attitudes et opinions et pour obtenir plus de ressources.
Mme Milne : Quand il y a eu des changements en 2005 pour élargir la notion d'exploitation et de position de confiance, nous n'avons pas très bien fait pour éduquer les gens sur ce que ça signifiait. Voilà pourquoi nous nous retrouvons ici aujourd'hui, en 2008, pour corriger ce que cela était censé corriger, mais nous n'avons rien fait pour nous assurer que les gens étaient informés sur les modifications apportées à la loi à ce moment-là et nous n'avons pas vu le type de poursuites que nous aurions probablement dû voir.
En fait, nous repartons à la case de départ. Nous avons changé la loi, mais nous n'avons rien fait d'autre en fonction de ces changements. Aujourd'hui, nous sommes donc obligés d'adopter une autre loi.
L'éducation est un élément très important. Certains semblent tirer une certaine satisfaction du fait que nous entrons dans une autre ère. Nous avons entendu dire que ça ne changera pas grand-chose si les gens ne connaissent pas la loi ou ne la comprennent pas. Les jeunes se comporteront comme toujours. Ils ne comprennent peut-être même pas la loi actuelle. Ils ont à l'évidence des comportements qui seraient illégaux puisque nous savons que des jeunes filles sont forcées à accepter des situations qu'elles ne souhaitent pas, et qu'il y a des crimes qui ne sont pas dénoncés. Nous faisons un très mauvais travail avec la loi actuelle. Si nous faisions mieux, la situation s'améliorait peut-être.
M. Dias : Sénateur Andreychuk, je ne pense pas qu'il y ait un débat sur le fait qu'apporter des changements au Code criminel changera la situation. Notre argument est qu'il faut profiter de cette occasion pour la changer plus profondément. La réalité est que ce projet de loi est homophobe, que ce soit de manière explicite ou par inadvertance. On pourrait en discuter jusqu'à la fin des temps. Le fait est que ça ne fonctionne pas avec les ministères de l'Éducation du pays comme ça le devrait. Ça ne fonctionne pas avec la police ou les procureurs de la Couronne comme ça le devrait, et ça ne répond pas à leurs préoccupations qui sont de savoir pourquoi les gens ne dénoncent pas les crimes à la police et pourquoi les procureurs ne sont pas capables d'intenter des poursuites. Ça ne règle pas le problème de l'exploitation dans la famille et entre amis, ce qui est le principal problème au Canada. Les statistiques montrent que la majorité des jeunes qui sont exploitées sexuellement le sont par un membre de la famille ou par un ami, et ce projet de loi ne changera rien à cela.
Nous avons donc l'occasion de trouver des solutions créatives. Mon organisation ne nie pas qu'on puisse utiliser l'outil qu'est le Code criminel mais elle soutient qu'il faut élargir cet outil et chercher d'autres options.
Si le projet de loi est adopté sous sa forme actuelle, nous savons tous que les gouvernements et les politiciens proclameront qu'ils ont réglé la question alors qu'ils n'auront en réalité pas changé grand-chose. Vous avez aujourd'hui la possibilité de changer beaucoup de choses. Profitez-en, allez plus loin, changez la manière dont se produit d'exploitation sexuelle dans notre pays et essayez de sauver des vies et de sauver des jeunes.
M. Dodds : Je ne sais pas vraiment comment poursuivre. Quand vous parliez tout à l'heure de consentement éclairé en disant qu'il ne faut pas mettre les jeunes dans l'entonnoir judiciaire pour obtenir la condamnation d'un agresseur sexuel, vous n'aviez pas tort. En ce sens, la loi sur l'âge de consentement permettra peut-être de régler en partie la question, je vous le concède. Toutefois, le problème est que nous allons attraper avec ce filet des relations qui existent et qui ne concordent pas avec la définition de l'exploitation sexuelle.
Un autre problème est que les adultes détiennent un pouvoir excessif par rapport aux jeunes et qu'ils peuvent s'en servir pour les exploiter. Je suis complètement d'accord. Toutefois, il est facile pour une société d'adopter une loi à l'égard d'une chose comme celle-là. Si vous interdisez l'activité sexuelle entre certains groupes d'âge, je suppose que c'est une manière de régler la question, mais c'est assez brutal. Bien que cela exigerait beaucoup plus d'efforts, il serait plus utile de se demander pourquoi il se fait que des jeunes peuvent être tellement contrôlés par des adultes. Ça, c'est considéré comme une déclaration radicale mais, dans notre société, on dit aux jeunes de respecter les anciens. Les personnes plus âgées doivent avoir plus de pouvoir parce qu'elles savent plus de choses, qu'elles ont plus d'expérience, et cetera. Dans notre société, il est important que les jeunes accordent une confiance quasi aveugle aux adultes. Dans certains cas, c'est nécessaire, par exemple quand vous avez de très jeunes enfants qui sont en milieu scolaire, ou quand des parents disent à des enfants récalcitrants ce qu'ils doivent faire, parce que les parents n'ont pas le temps de donner de longues explications.
Ce que j'ai vu, surtout à l'école secondaire, c'est que les jeunes n'ont pas de pouvoir. Ils ne pensent pas que leur avis compte pour quelque chose. Ils ne pensent pas que les adultes les écoutent. Beaucoup de jeunes se résignent simplement à faire ce que les adultes leur disent parce que c'est la culture dans laquelle nous vivons. Il est important de reconnaître que les jeunes sont capables de prendre tout seuls de bonnes décisions éclairées.
Je viens de lire un livre intitulé The Case Against Adolescence : Rediscovering the Adult in Every Teen, du Dr Robert Epstein. Il a un doctorat de Harvard et a été rédacteur en chef de Psychology Today pendant 10 ans. Ce n'est donc pas un illuminé. Son principal argument est que notre société, surtout la société occidentale, traite les jeunes d'une certaine manière qui les amène à agir de manière irresponsable. Nous pourrions apporter des changements mineurs à notre société non seulement pour rendre les jeunes plus responsables mais aussi pour les amener à prendre de meilleures décisions et à prendre le contrôle de leur vie.
Ce qu'on propose aujourd'hui, c'est un simple cataplasme pour résoudre un problème qui résulte de certaines conventions sociales que nous avons adoptées. Si nous voulons nous attaquer au cœur du problème, il nous faut remettre en question la convention sociale qui dit aux jeunes de se contenter de faire exactement ce que leur disent les adultes, de suivre le statu quo et le paradigme social qui donne le pouvoir aux adultes et l'enlève aux jeunes. C'est difficile parce que beaucoup d'adultes y verront une perte de leur propre pouvoir. Ils croiront qu'ils n'auront plus de pouvoir et qu'ils ne pourront plus contrôler ces jeunes sauvages. C'est basé sur l'hypothèse que les jeunes ont besoin d'être contrôlés.
Avant d'appliquer un cataplasme comme celui-là, on doit s'attaquer aux problèmes sociaux qui sont à l'origine des problèmes que nous connaissons actuellement. Il nous faut une démarche plus approfondie alors que celle-ci est trop superficielle. S'il vous plaît, écoutez les jeunes.
La présidente : Je vous remercie tous d'être venus témoigner. Vous avez présenté des arguments importants. Nous remercions en particulier les groupes de jeunes qui ont accepté de venir devant le comité. Nous tenons à savoir ce que vous pensez et nous vous écoutons attentivement. Vous avez été des témoins excellents et convaincants.
Monsieur Hudler et madame Milne, je ne sais pas si vous voulez être désignés comme représentants des groupes de jeunes mais je peux vous dire que vous avez également contribué de manière importante à notre étude de ce projet de loi. Nous vous en sommes tous très reconnaissants.
La séance est levée.