Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 10 - Témoignages du 22 février 2008 - Séance de l'après-midi
OTTAWA, le vendredi 22 février 2008
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 14 h 5 pour en faire l'étude.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, je vous souhaite de nouveau la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui étudie le projet de loi C-2.
Nous avons le plaisir d'accueillir cet après-midi comme témoins Mme Lorraine Berzins, chaire de réflexion communautaire sur la justice, Church Council on Justice and Corrections; M. Don Hutchinson, directeur intérimaire de l'Alliance évangélique du Canada; Mme Angela Costigan, de REAL Women of Canada; et le major Grant Effer, agent de liaison, Relations avec le gouvernement fédéral, Armée du Salut.
Bienvenue à tous.
Lorraine Berzins, chaire de réflexion communautaire sur la justice, Church Council on Justice and Corrections : Je vous apporte les salutations du Church Council on Justice and Corrections, le CCJC, un organisme dans lequel je m'investis depuis 24 ans, après avoir travaillé 14 ans pour les services correctionnels fédéraux.
Le CCJC est une coalition oecuménique réunissant 11 confessions de l'église chrétienne à l'échelle nationale, mais nous comptons aussi parmi nos membres des groupes interconfessionnels et d'autres partenaires communautaires, des particuliers et des organisations aux vues similaires qui veulent se joindre à nos efforts pour promouvoir un changement fondamental dans la façon dont le Canada fait échec au crime.
Notre organisation non gouvernementale, ONG, a été fondée il y a 35 ans par des gens qui, outre qu'ils étaient croyants, connaissaient aussi très bien le fonctionnement du système de justice pénale et ses lacunes, qui causent énormément de tort à la vie communautaire et sociétale canadienne. Notre rôle premier est d'aider nos concitoyens à mieux comprendre cela et à promouvoir des initiatives et des changements qui peuvent faire une différence. Lorsque des gens ont été ébranlés et traumatisés par la criminalité, que ce soit des victimes, des contrevenants, des familles ou leur entourage, nous avons appris que pour se remettre et guérir, ils ont besoin d'une aide qui dépasse ce que peut leur offrir le système de justice. Nous savons cela, et nous nous employons à amener nos communautés et nos églises à assumer la responsabilité qui leur incombe d'apporter une contribution à cet égard. Toutefois, nous savons également que la façon dont l'État s'acquitte de la responsabilité qui est la sienne peut faire une grande différence, pour le meilleur ou pour le pire.
La législation que le gouvernement adopte, les ressources financières dont il est comptable, les messages publics qu'il transmet par ses déclarations et ses actions sont autant de mesures qui peuvent soutenir les efforts de la communauté ou leur nuire en aggravant les problèmes que nous cause déjà la criminalité.
Mon principal argument est le suivant : sous sa forme actuelle, notre système de justice pénale comporte déjà plusieurs aspects très destructeurs, et nous croyons que plusieurs caractéristiques du projet de loi C-2, que vous êtes sur le point d'adopter, auront des répercussions qui aggraveront précisément ces aspects.
Comme vous accueillez des témoins dont l'expertise est beaucoup plus pointue que la nôtre au sujet des subtilités entourant bon nombre de ces questions, nous ne voulons pas revenir inutilement sur ce que vous savez déjà. Je voudrais plutôt éviter de parler de points de détail et vous décrire certaines répercussions que cette mesure aura concrètement dans la vie des gens et susciter une brève réflexion à ce sujet.
On a dit, par exemple, que cette mesure prend la défense des victimes. Toutefois, j'invite chacun d'entre vous à penser pendant un instant à une situation que vous connaissez plus personnellement, qui a débouché sur une accusation au criminel et une affaire judiciaire. Que voulons-nous, et de quoi avons-nous besoin lorsque nous sommes victimisés, si jamais nous avons la possibilité d'y réfléchir sérieusement?
J'ai été moi-même victime d'un crime grave. J'ai été prise en otage dans une prison où je travaillais. J'ai discuté avec de nombreuses autres victimes. D'après tout ce que j'ai appris, je peux vous dire qu'en tant que victimes, nous voulons nous sentir en sécurité; nous voulons un soutien émotionnel; nous voulons l'aide et les soins nécessaires pour guérir et nous rétablir. Nous voulons être renseignés sur de nombreux aspects des événements qui sont survenus. Nous voulons que le contrevenant soit tenu responsable, mais mieux encore, nous souhaitons que cette personne assume sa responsabilité, comprenne le tort qui a été causé, admette le caractère répréhensible de son geste, tente de faire quelque chose pour réparer, manifeste du remord et une certaine volonté de compenser son acte. Nous voulons aussi savoir quel genre de personne peut faire une chose pareille et comment on peut empêcher que cela se reproduise.
De nombreuses victimes s'intéressent à la prévention. Elles veulent que nous tirions de leur expérience des leçons qui nous aideront tous à vivre davantage avec l'esprit en paix. Elles ont besoin de croire de nouveau que la vie peut être bonne, sécuritaire et qu'elle vaut la peine d'être vécue, en dépit de tout. Cela peut vous paraître étonnant, mais c'est ce que de nombreuses victimes nous disent, même dans les circonstances les plus inattendues. La vie continue après le tribunal, et ce sont là les facteurs qui deviennent primordiaux pour la survie.
Le fonctionnement de notre système de justice est tel qu'il est de plus en plus difficile de répondre à ses besoins. C'est un système adversatif. Tout tourne autour de l'aspect juridique, et l'on encourage de nombreux contrevenants à ne pas assumer la responsabilité de leur geste, à ne pas manifester de remords ou à ne pas révéler d'information qui pourrait nuire à leur cause juridique, même lorsque leur propre instinct moral les inciterait à le faire. La victime est un pion au coeur des stratégies juridiques et elle subit souvent un contre-interrogatoire traumatisant. Le système est tellement surchargé que l'on opte souvent pour la négociation de plaidoyers pour économiser du temps et l'on évacue tous les autres besoins. Il arrive souvent que les motifs de détermination de la peine soient abrégés ou ne soient pas fournis du tout. Encore un autre de nos besoins qui est évacué.
Et je passe sous silence toutes les répercussions de cette situation pour les contrevenants et leurs familles, ce qui revêt énormément d'importance pour leur avenir dans nos collectivités. La stigmatisation est très forte, mais il faut trouver un moyen de favoriser leur réinsertion parmi nous. N'est-ce pas là le type de société que nous voulons? Au lieu de parler de cela, tous les éléments concrets, humains, sont enfermés dans les petites cases de jargon juridique du Code criminel, et ce sont ces petites cases qui avancent le long de la ligne de montage. L'élément humain ne compte pas.
Dans le contexte d'un processus adversatif, ces cases sont aussi polarisées en deux extrêmes, et si nous ne sommes pas un extrême, nous ne pouvons qu'être l'extrême opposé. Je voudrais prendre quelques minutes pour vous en faire la démonstration.
La présidente : Madame Berzins, nous avons votre mémoire, et il constitue un exemple très poignant. Cependant, nous avons trois autres témoins qui doivent faire des déclarations et ensuite, nous voulons pouvoir poser des questions à chacun.
Mme Berzins : Je vais certainement aborder cela tout à l'heure, au cours de la période des questions, car nous avons des exemples qui transmettent une image puissante.
Notre système de justice est tel qu'il est déjà difficile d'aborder les questions que nous voulons vraiment aborder, celles qui comptent le plus pour la sécurité et le bien-être de notre communauté. Le Church Council on Justice and Corrections aide les personnes qui se retrouvent dans cette situation d'autres façons, à l'aide de programmes et de services; nous avons de nombreux exemples à citer. Comme je l'ai dit, le projet de loi C-2 nous rendra la tâche plus difficile, et ce, sans raison valable. En l'occurrence, pas question de contrepartie entre la souffrance et le gain, car tous les travaux de recherche montrent qu'il n'y a absolument aucun gain.
Vous savez déjà cela, et je ne le répèterai pas. Dans mon mémoire, à la page 7 — et je peux y revenir au cours des questions — j'ai dressé la liste des répercussions négatives liées aux mesures suivantes : érosion du pouvoir discrétionnaire des juges en matière de détermination de la peine, augmentation de la sévérité des peines, renforcement de la nature adversative du processus judiciaire, multiplication des négociations de plaidoyers, diminution de la transparence, moins de moyens de répondre aux véritables besoins des victimes, sans oublier les coûts des tribunaux, des procureurs, de l'aide juridique, des pénitenciers et des services psychiatriques. Je n'ai entendu personne parler de cela. Je ne sais pas si le sujet a déjà été abordé au comité. La population n'est certainement pas sensibilisée à la question. Avec tout l'argent que l'on consacre à ces autres investissements, il ne reste plus rien pour financer les programmes communautaires.
Il n'y a pratiquement pas de répercussions positives, ce que nous confirme la recherche. J'en ai dressé la liste dans mon mémoire. Dans l'ensemble, il n'y a vraiment aucune preuve que cette mesure réduira le récidivisme. Pour ce qui est des peines minimales obligatoires, l'expérience des États-Unis nous a appris que c'est un fiasco. Il est maintenant établi que cette initiative a été catastrophique au plan des politiques en Californie, par exemple.
Avant de conclure, je voudrais vous communiquer nos recommandations. La première, celle que nous préférons, c'est que vous refusiez d'adopter le projet de loi C-2 tant qu'il ne sera pas assorti des éléments suivants : une vérification de responsabilité fiscale; à cet égard il faut insister pour obtenir une analyse croisée des conséquences de ces propositions avant d'adopter la mesure; et une vérification de l'efficacité indépendante et impartiale. À cet égard, il faut exiger que les répercussions de la mesure soient évaluées par un groupe d'experts. D'ailleurs, j'ai dressé la liste des types d'expertise requis.
Comme je sais qu'il est peu probable que vous fassiez cela, notre deuxième meilleure option est de vous demander d'amender comme suit le projet de loi C-2 avant de l'adopter : transformer les peines obligatoires en peines présomptives, en peines non absolues et adopter une disposition ayant pour effet d'augmenter le financement consacré aux services pour les victimes et aux programmes communautaires qui sont plus efficaces et moins coûteux.
Et comme vous déciderez sans doute de ne pas faire cela, voici notre dernière recommandation, indépendamment de toutes celles que je viens de mentionner. Il faudrait que l'un ou plusieurs d'entre vous portent une attention particulière à ces questions dans le cadre de votre travail en tant que sénateurs. Il faudrait défendre la nécessité de modifier radicalement la façon dont nous tentons d'enrayer la criminalité au Canada. Je vous invite à faire preuve de leadership et à devenir des champions de cette cause. Pourriez-vous envisager de créer un comité sénatorial qui ferait un examen approfondi de l'obligation du gouvernement de rendre compte des résultats de la législation et des orientations stratégiques du système de justice pénale? Devrions-nous aller de l'avant sans évaluer les résultats?
Si vous reteniez cette option, le CCJC serait ravi de collaborer avec vous, et nous savons que vous trouveriez de nombreux autres partenaires dans la communauté. Si vous bâtissez un processus comme celui-là, ils viendront.
Don Hutchinson, directeur intérimaire, Droit et politique publique, l'Alliance évangélique du Canada : L'Alliance évangélique du Canada, AEC, est une association nationale de chrétiens du mouvement évangélique. Les groupes affiliés à l'AEC comprennent 40 confessions religieuses, 89 organismes de pastorale — de Billy Graham à Vision Monde —, 35 établissements d'enseignement postsecondaire et plus de 1 000 congrégations individuelles. En général, on estime à plus de trois millions le nombre de Canadiens faisant partie du mouvement évangélique. L'AEC défend depuis longtemps la protection des personnes vulnérables, particulièrement les enfants. Nous avons été des intervenants devant la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Sharpe, contribuant ainsi à la décision du tribunal de maintenir les dispositions du Code criminel du Canada en matière de pornographie juvénile.
L'Alliance évangélique du Canada a remis des mémoires au ministère de la Justice du Canada et au ministre de la Justice sur la pornographie juvénile, la prostitution juvénile et l'âge de consentement à une activité sexuelle, ainsi qu'au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes au sujet de plusieurs projets de loi traitant de la protection des enfants. La dernière fois, c'était en mars de l'année dernière, au sujet du projet de loi C-22.
L'intérêt que nous portons à la protection des enfants découle du mandat de la Bible, qui nous enjoint de nous occuper des personnes vulnérables. Notre conviction que Dieu a créé l'homme à sa ressemblance et qu'il aime chacun de nous est le fondement de notre foi en la valeur de chaque être humain. Mus par ce respect pour la dignité humaine, nous souhaitons traiter tous les êtres humains comme des personnes ayant une valeur intrinsèque et non comme des objets ou moyens de divertissement.
Les enfants font partie des personnes les plus vulnérables de la société. Ils ont besoin d'adultes pour les protéger, les guider et répondre à leurs besoins. Pour cette raison, la législation canadienne et la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, dont le Canada est signataire, définissent comme enfant toute personne de moins de 18 ans. La Loi canadienne sur la pornographie juvénile confirme qu'un enfant est une personne de moins de 18 ans.
La petite taille des enfants et leur nature impressionnable les rendent vulnérables aux mauvais traitements. L'identité individuelle d'un enfant est irrémédiablement compromise lorsqu'il est traité comme rien de moins qu'un objet servant à combler les désirs sexuels d'un adulte.
Dans son rapport intitulé Les survivants et survivantes adultes de l'abus sexuel dans l'enfance, l'Agence de santé publique du Canada traite des expériences des survivants adultes d'abus sexuels au cours de l'enfance et fait la démonstration que les torts causés par de tels abus peuvent avoir des conséquences tout au long de la vie.
Au Canada, l'âge actuel de consentement à une activité sexuelle avec des adultes est bas, en comparaison des États- Unis et d'autres pays, ce qui engendre un risque accru pour nos enfants. L'âge de consentement étant maintenant établi à 14 ans, le Canada est devenu une destination pour les gens qui veulent avoir des relations sexuelles avec des enfants.
Par conséquent, l'AEC salue l'intention du projet de loi de porter de 14 à 16 ans l'âge de consentement. Nous croyons que cette hausse de l'âge de consentement permettra d'offrir une meilleure protection juridique aux enfants et aux adolescents canadiens.
À nos yeux, la présentation du projet de loi C-22 et l'inclusion subséquente de ses dispositions dans le projet de loi C-2, représentent un engagement ferme en vue de protéger les enfants canadiens de ceux qui les perçoivent comme des cibles sexuelles et qui abusent d'eux, c'est-à-dire les prédateurs canadiens et étrangers.
En tant que chrétiens et membres de diverses confessions, nous aspirons à l'établissement d'une société qui évite la sexualisation précoce de nos enfants. Des pasteurs et des conseillers partout au Canada ont eu à maintes reprises l'expérience de conseiller des jeunes gens après des relations sexuelles précoces; étant en première ligne, ils constatent directement les dommages que cela peut causer.
Nous sommes convaincus que l'expression sexuelle se vit de façon adéquate et optimale dans le cadre sécuritaire d'une relation conjugale à long terme, et nous continuerons de promouvoir le rôle des parents et de leurs communautés spirituelles dans le partage des valeurs qui façonnent la jeunesse, y compris une compréhension de l'identité sexuelle dans une perspective chrétienne.
En même temps, nous comprenons les problèmes complexes auxquels sont confrontés les enfants qui grandissent à notre époque et nous reconnaissons que l'exemption relative à la proximité d'âge énoncée dans le projet de loi fournit des lignes directrices aux tribunaux au sujet des relations sexuelles entre adolescents.
Certains se sont inquiétés d'une criminalisation possible de rapports entre jeunes gens qui, autrement, de l'avis des personnes concernées, seraient parfaitement sains et légitimes. Un article de l'édition du 4 juillet 2006 du magazine Maclean's cite Peter Dudding, directeur exécutif de la Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada : « Lorsque l'on fixe des limites arbitraires, on se prive de la possibilité d'appliquer la loi d'une façon beaucoup plus spécifique et individualisée. »
Nous signalons que toutes les lois fédérales et provinciales relativement à l'âge fixent un seuil arbitraire, un âge minimum, que ce soit pour obtenir un permis de conduire, consommer de l'alcool ou acheter des cigarettes.
Ces restrictions en matière d'âge existent parce que la société canadienne reconnaît que nous avons la responsabilité de protéger nos enfants.
À quel âge une personne a-t-elle la maturité voulue pour se livrer à des activités qui peuvent avoir des conséquences pendant toute la vie? Chacune de ces activités comporte des risques en matière de santé et de sécurité et exige une certaine maturité, et c'est pourquoi nous avons établi des restrictions en matière d'âge.
Il est utile de signaler que d'après Statistique Canada, le fait d'avoir une première relation sexuelle à un âge précoce accroît le risque de contracter des infections transmissibles sexuellement, ITS. Lorsque des études du gouvernement du Canada font état d'un risque accru d'ITS et d'autres dommages potentiels d'une sexualisation précoce de nos enfants qui risquent d'avoir des conséquences permanentes, il est fort raisonnable qu'en tant que société, nous reconnaissions la nécessité d'imposer des limites à l'activité sexuelle des enfants et des adolescents. La présente mesure répond à cette préoccupation.
Pourquoi hausser l'âge de consentement à une activité sexuelle? On peut juger une société en fonction de la façon dont elle traite ses citoyens les plus vulnérables. Statistique Canada rapporte qu'en 2003 : « Même s'ils représentent 21 p. 100 seulement de la population, les enfants ou les adolescents sont impliqués dans six agressions sexuelles sur dix, signalées aux policiers. » En tant que société, nous devons faire davantage pour protéger nos enfants.
Dans un récent bulletin de nouvelles, on rapportait le cas d'un enseignant américain reconnu coupable d'agression sexuelle à l'endroit d'une jeune fille de 15 ans, à qui l'on offrait deux options pour purger sa sentence : une peine d'emprisonnement aux États-Unis ou trois ans d'exil au Canada, où une relation entre un adulte et une adolescente de 15 ans est présentement légale. À l'évidence, il faut que cette question fasse l'objet d'une approche plus équitable dans ces deux pays voisins.
La veille de notre comparution devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes au sujet du projet de loi C-22, le Ottawa Citizen a rapporté l'arrestation d'un homme de Vanier en quête de relations sexuelles avec des jeunes filles sur Internet. Il a été arrêté lorsqu'on a signalé à la police ses tentatives pour rencontrer une jeune fille en particulier, âgée de 13 ans. Si cet homme avait attendu quelques mois seulement, la police n'aurait rien pu faire pour la protéger en vertu de la loi actuelle.
En mai 2002, une enquête Pollara a révélé que 80 p. 100 des répondants souhaitaient que l'âge de consentement à une activité sexuelle soit porté à 16 ans ou même plus.
L'Alliance évangélique du Canada limite son intervention aux articles du projet de loi portant sur le relèvement, de 14 à 16 ans, de l'âge de consentement à une activité sexuelle avec un adulte. Nous saluons l'intention de la mesure, qui est de protéger nos enfants des pédophiles adultes et des prédateurs des adolescentes et adolescents pubères. Nous sommes convaincus que ces dispositions sont un bon pas vers la réalisation de notre objectif de commun, faire du Canada un endroit plus sûr pour nos enfants.
Angela Costigan, REAL Women of Canada : REAL Women of Canada convient que la raison d'être de ce projet de loi est de protéger nos jeunes des pédophiles, non seulement d'ici mais aussi d'outre-frontières, qui peuvent très facilement attirer des jeunes femmes vulnérables, particulièrement si elles viennent de milieux difficiles. Ils tentent de les attirer avec des cadeaux et des babioles. Bien sûr, une fois qu'ils ont réussi à attirer l'enfant, ils ont beau jeu de faire valoir que celui-ci a le droit de consentir à une activité sexuelle.
Lorsqu'on pense à quelqu'un de 14 ans, on pense vraisemblablement à une jeune fille de secondaire III dans notre système d'éducation. Grâce à cette mesure, nous invitons nos jeunes femmes à se libérer du risque d'une grossesse non désirée, des ITS et du sida, à tout le moins jusqu'à ce qu'elles atteignent l'âge de 16 ans.
Jusqu'à maintenant, on n'a pas souligné la liberté dont bénéficie une jeune femme qui ne participe pas à une activité sexuelle à un âge précoce. En effet, elle se soustrait non seulement au risque de contracter diverses maladies, mais aussi au stress de se demander chaque mois si elle n'est pas tombée enceinte sans le vouloir.
Il faut espérer que la maturité que l'on gagne entre l'âge de 14 et 16 ans aidera cette jeune femme à prendre des décisions saines quant à savoir si elle veut ou non, même à cet âge, avoir des relations sexuelles.
Nous voyons un autre avantage considérable pour la jeune femme. En effet, si l'activité sexuelle est illégale avant l'âge de 16 ans, elle n'aura pas à subir la pression de ses pairs pendant sa croissance, de l'âge de 14 à 16 ans. On estime que de nos jours, la pression des pairs pour participer à une activité sexuelle, même à l'âge de 14 ans, est écrasante pour nos jeunes.
Il est clair que la population souhaite le relèvement de l'âge de consentement à une activité sexuelle. D'après une enquête Pollara rendue publique en mai 2002, 80 p. 100 des Canadiens étaient favorables à l'augmentation de l'âge de consentement de 14 à 16 ans au moins, encore une fois parce qu'ils étaient motivés par le souci de protéger les enfants des adultes prédateurs.
En outre, un sondage Léger Marketing récent mené en juin 2006 a révélé que 61 p. 100 des hommes et 65 p. 100 des femmes sont d'avis qu'il n'est pas bon d'avoir des relations sexuelles avant l'âge de 16 ans.
Je suis sur le point de faire une autre proposition qui ne sera peut-être pas accueillie favorablement par tous, mais REAL Women of Canada estime qu'il serait peut-être plus sain de hausser l'âge de consentement à 18 ans.
Par exemple, quelle serait votre réaction si je disais, à la fin de la séance : « Je vais ramasser un ou deux ados de 16 ans et leur proposer d'aller prendre une bière et de fumer une cigarette »? J'imagine que vous me répondriez : « Comment osez-vous leur faire une telle proposition? Comment osez-vous inciter ces jeunes à se conduire ainsi et à mettre en péril leur santé? »
Selon REAL Women of Canada, protéger les enfants — ou, à ce stade-ci, de jeunes adultes — jusqu'à l'âge de 18 ans c'est la même chose que les protéger des dangers de l'alcool ou du tabac car les ITS, le sida et les grossesses surprises sont tout aussi indésirables que l'alcool et le tabac.
En ce qui concerne la loi actuelle, et pour en revenir encore une fois à l'âge de 18 ans, pour le moment, dans un contexte de confiance ou de dépendance, en réalité, l'âge de consentement est 18 ans. S'il n'était pas nécessaire de prouver en cour cet élément de dépendance ou cet élément de confiance et de faire subir à une adolescente ou à un adolescent l'horreur d'un contre-interrogatoire, il pourrait être bénéfique de porter à 18 ans l'âge de consentement à une activité sexuelle.
Assez curieusement, des études montrent que les jeunes eux-mêmes appuient le relèvement de l'âge de consentement. À la suite d'un sondage commandé par le Globe and Mail, La Presse et CBC/Radio-Canada, Innovative Research Group Inc. a révélé que 50 p. 100 des jeunes adultes âgés de 18 à 24 ans appuient une telle mesure. Trente-six pour cent seulement d'entre eux croient que l'âge de consentement devrait demeurer à 14 ans et 2 p. 100 estiment qu'il faudrait l'abaisser.
En ce qui concerne l'âge de consentement à une activité homosexuelle, fixé à 18 ans, M. Hnatyshyn a déclaré que la raison pour laquelle il n'y aurait pas de changement c'est que la pratique associée à l'activité homosexuelle, les relations anales, représente un risque important qui peut déboucher sur la transmission du sida. D'après l'Université de la Californie à Santa Barbara, qui ne s'oppose aucunement à l'activité homosexuelle en soi, même une minuscule déchirure au cours de relations anales est comme une autoroute pour des virus comme le VIH, qui cause le sida. Nous recommandons que cette disposition demeure inchangée.
Dans tout ce débat, je réitère que l'on oublie souvent la liberté dont bénéficie une femme qui s'abstient d'avoir des relations sexuelles à un âge où elle ne peut composer avec les conséquences naturelles d'une telle activité.
En tant qu'avocate criminaliste comptant 27 ans d'expérience, j'appuie le projet de loi au nom de REAL Women of Canada.
À propos des crimes perpétrés avec des armes à feu, je serai très brève. Comme vous le savez, il est courant à Toronto d'apprendre à son réveil qu'il y a eu un autre meurtre — bien que les armes blanches soient populaires ces temps-ci. Comme vous le savez, lors de la perpétration de ces crimes avec des armes à feu, un certain nombre de victimes innocentes ont été tuées. Nous appuyons sans réserve toutes les mesures possibles pour lutter contre l'utilisation d'armes de poing. Nous appuyons pleinement les dispositions relatives aux contrevenants dangereux, de même que les nouvelles procédures facilitant pour les policiers le prélèvement d'échantillons pour faire échec à la conduite avec facultés affaiblies à cause de la consommation de drogues.
Major Grant Effer, agent de liaison, Relations avec le gouvernement fédéral, Armée du Salut : Mesdames et messieurs les membres du comité, l'Armée du Salut est une organisation internationale qui est actuellement active dans 113 pays autour du monde. Depuis sa création en 1865, l'Armée du Salut se consacre à répondre aux besoins des pauvres, des marginalisés, des désavantagés et des membres vulnérables de la société. L'Armée du Salut croit qu'il est important de prodiguer des soins à l'ensemble de la personne — corps, cerveau et esprit — sans discrimination. Dans un monde où la discrimination fondée sur la race, la couleur, la foi, le sexe, la position sociale, la langue, la santé physique et mentale et même l'âge est répandue, l'Armée du Salut se réjouit d'avoir la possibilité de vous faire part de nos opinions sur le projet de loi C-2, qui a le potentiel d'influer sur la vie de tous les Canadiens.
L'Armée du Salut compte plus de 130 ans d'expérience sur le terrain, à aider ceux qui ont été marginalisés à cause de cette discrimination, et nous avons donc mérité le respect et le droit de prendre la parole avec compassion, mais aussi avec passion, au sujet des politiques publiques.
Le Canada est parmi les pays les plus riches et progressistes au monde, mais il n'en demeure pas moins que des exemples de traitements discriminatoires font les manchettes presque tous les jours. Ces reportages décrivent à la fois les victimes et les perpétrateurs des crimes. On fait la distinction entre ceux que la société accueille avec sympathie et ceux que cette même société écarte dédaigneusement.
Sur le plan de la doctrine, l'Armée du Salut croit que tous les gens sont foncièrement bons et que les personnes qui ont outrepassé le seuil de l'acceptabilité morale et sociétale peuvent être réadaptés et accueillis par la société à titre de membres productifs.
Sur le plan biblique, Jésus-Christ s'est dressé devant les gens de son époque qui prononçaient un jugement contre les femmes prises dans la toile de l'immoralité sexuelle en confrontant les gens et en dénonçant leurs propres faiblesses et lacunes pour démontrer qu'il y a place pour un jugement pondéré. Son intention n'était pas de dénigrer le système judiciaire de son époque, mais plutôt de faire en sorte que ceux qui sont dans le besoin soient réhabilités et traités avec respect.
L'Armée du Salut a présenté un mémoire à la Chambre des communes en avril 2005 sur le projet de loi C-2, Loi visant à modifier le Code criminel (protection des enfants et autres personnes vulnérables) et la Loi sur la preuve au Canada. Dans ce mémoire, on recommandait que les députés appuient le projet de loi C-2 parce que nous avions la conviction qu'il offrait une protection accrue aux personnes vulnérables, en particulier les enfants.
Nous ne souhaitons pas réitérer mot pour mot ce mémoire, ni les citations d'auteurs et références aux travaux de recherche qu'on y trouvait. Cependant, la position de l'Armée du Salut est inchangée et est la suivante :
Protéger les enfants contre l'agression et l'exploitation sexuelles, et poursuivre et réhabiliter ceux qui agressent et exploitent sexuellement des enfants, sont des objectifs importants en matière d'affaires publiques.
Une stratégie efficace inclut la prévention de l'agression et de l'exploitation sexuelles, des programmes de traitement individualisés pour les contrevenants, un soutien adéquat pour les victimes et l'engagement communautaire pour répondre aux besoins des contrevenants, des victimes et de leurs familles.
Relever l'âge de consentement à l'activité sexuelle, en plus des réformes proposées dans le projet de loi C-2, est un moyen d'offrir une protection accrue aux enfants et d'empêcher l'agression et l'exploitation sexuelles des enfants.
Une bonne politique publique exige à la fois la dénonciation de la conduite criminelle et des efforts de réadaptation des délinquants, pour le bien des délinquants, des victimes, des futures victimes éventuelles et de la société dans son ensemble.
Les faits démontrent que des programmes de traitement se sont révélés efficaces pour ce qui est de réduire le taux de récidive parmi les agresseurs sexuels d'enfants.
Des programmes d'intervention et de traitement précoces, à la fois à l'intérieur et à l'extérieur du système de justice pénale, des liens entre les établissements correctionnels et les programmes communautaires offrant des traitements aux délinquants pendant leur incarcération et après leur remise en liberté, et des groupes de soutien communautaire pour les délinquants après leur libération, voilà autant d'éléments importants pour réduire la récidive qui doivent être examinés et appuyés.
Nous croyons que le projet de loi C-2 dans sa forme actuelle va un peu plus loin que la mesure qui l'a précédé en précisant que l'âge de consentement est porté de 14 ans à 16 ans. L'Armée du Salut préconise de porter l'âge de consentement à l'âge de 18 ans, mais la mesure législative proposée est un pas en avant que nous accueillons favorablement.
En plus des modifications au Code criminel, pour ce qui est de l'âge de consentement, le projet de loi C-2 comporte quatre composantes additionnelles : des peines minimales obligatoires pour crimes graves avec armes à feu, qui figuraient dans l'ancien projet de loi C-10; des mesures pour lutter contre la conduite en état d'ébriété, tirées de l'ancien projet de loi C-32; des audiences de cautionnement pour infractions avec armes à feu ou autres armes réglementées, reprises de l'ancien projet de loi C-35; et des mesures sur les délinquants dangereux, les délinquants à contrôler et l'engagement de ne pas troubler l'ordre public, reprises de l'ancien projet de loi C-27.
Attendu que l'Armée du Salut croit que le jugement est le privilège de Dieu, et attendu que Dieu a permis la mise en place des structures et processus gouvernementaux que nous connaissons aujourd'hui aux fins de l'établissement d'une société juste et morale, et étant donné que l'Armée du Salut croit que toutes les personnes, quel que soit le crime qu'elles aient pu commettre, sont foncièrement bonnes et peuvent être réhabilitées, notre réponse aux quatre autres composantes sera brève et plutôt exploratoire que prescriptive.
Étant donné le manque de recherche à l'appui de la notion voulant que l'incarcération soit un investissement dans la dissuasion future, et étant donné que les recherches confirment que les programmes d'intervention précoce pour le traitement et la réadaptation contribuent à réduire les taux de récidive, l'Armée du Salut doit appuyer les réserves et les critiques formulées par d'autres organisations à l'endroit des autres dispositions du projet de loi C-2. Par conséquent, l'Armée du Salut appuie la recommandation visant que l'on procède à un examen, à des recherches et à des modifications de ces dispositions du projet de loi C-2.
L'Armée du Salut proclame sa position sur l'âge de consentement depuis plus d'un siècle. Je cite un passage de l'histoire de l'Armée du Salut relativement à ses relations avec le Parlement britannique :
L'Armée a joué un grand rôle pour ce qui est d'attirer l'attention du gouvernement sur le fait qu'un bon nombre de jeunes filles étaient exposées à un grave danger moral parce qu'on les envoyait sur le continent dans le cadre d'engagements de danse et de théâtre. Un bref projet de loi d'initiative parlementaire prévoyant la surveillance et l'octroi d'un permis pour tous les engagements de ce genre, rédigé à l'instigation de l'Armée du Salut en 1908, a été appuyé par des députés de tous les partis... Le résultat fut que le gouvernement présenta son propre projet de loi en 1910. Celui-ci fut écarté du menu législatif par d'autres priorités jusqu'en 1913, date à laquelle il fut adopté grâce à un accord conclu avec l'opposition.
Les partisans d'une mesure législative sur l'âge de consentement, anciennement le projet de loi C-22, réclament une protection pour les personnes vulnérables. La disposition sur la proximité d'âge donne aux personnes de moins de 18 ans l'option d'une relation sexuelle appropriée et dénuée d'exploitation. Par conséquent, les dispositions du projet de loi C-2 ne visent pas spécifiquement à retirer le consentement, mais plutôt à renforcer la protection des personnes vulnérables. Il faudrait donc plutôt parler de « l'âge de protection » pour décrire les dispositions législatives proposées, lesquelles ne devraient pas, dans le contexte du projet de loi dans sa forme actuelle, être considérées comme des mesures de contrôle discriminatoires.
En conséquence, l'Armée du Salut recommande à tous les députés et sénateurs d'appuyer les dispositions du projet de loi C-2 sur l'âge de consentement qui constituent une amélioration progressiste et clairvoyante favorisant le mieux- être de la société canadienne; le gouvernement devrait mettre en oeuvre et appuyer des programmes d'intervention précoce pour le traitement des victimes d'exploitation sexuelle; et enfin, le gouvernement devrait mettre en oeuvre et appuyer des programmes d'intervention précoce pour le traitement des contrevenants à la fois à l'intérieur et à l'extérieur du système de justice pénale, des liens entre les établissements correctionnels et les programmes communautaires fournissant des traitements aux délinquants pendant leur incarcération et après leur remise en liberté, et les groupes de soutien communautaires comme les cercles de soutien et de responsabilité, qui fournissent un encadrement aux délinquants après leur remise en liberté, toutes ces mesures contribuant à réduire la récidive.
En conclusion, je remercie les membres de votre comité de nous avoir donné l'occasion de contribuer au précieux processus d'élaboration d'un projet de loi qui protégera nos jeunes Canadiens et fera en sorte qu'on fournisse des ressources pour le traitement et la réadaptation des Canadiens dans le besoin, peu importe quelle position ils occupent sur l'échiquier de la société et de l'appareil de justice pénale.
La présidente : Merci à tous. Nous allons maintenant passer à la période des questions, en commençant par le sénateur Oliver.
Le sénateur Oliver : Je vous remercie de vos excellents exposés. Je vous ai écouté très attentivement et je vous remercie d'avoir exprimé la position de vos organisations. Dans l'ensemble, vous appuyez le projet de loi C-2, qui s'efforce d'accorder une protection accrue aux jeunes enfants, et vous êtes d'accord pour porter à 16 ans l'âge de consentement à une activité sexuelle. Votre appui est important, et je vous remercie de votre témoignage.
Madame Berzins, votre exposé m'a décontenancé. Dans votre déclaration, vous avez parlé de jargon juridique et d'autres questions, ce qui m'a un peu inquiété. Certaines de vos observations ne s'appliquent pas pertinemment à un projet de loi qui s'efforce de combattre les crimes violents. C'est le fait d'avoir été victime d'un crime violent qui a coloré vos propos. J'ai moi aussi été victime d'un crime très violent. Dans mon cas, le perpétrateur a été condamné à une peine d'emprisonnement de 25 ans. À mon avis, bon nombre des mesures que vous préconisez au nom de victimes comme nous n'ont pas leur place dans une mesure pénale comme le projet de loi C-2. Elles devraient être intégrées dans des mesures consacrées à l'éducation, à l'aide aux victimes, et cetera. qui relèvent pour une bonne part de la compétence des provinces.
Je ne vois rien qui cloche dans le projet de loi C-2 pour ce qui est de la protection des victimes. Il offre une protection suffisante. Toutefois, il existe dans chaque province des initiatives qui répondent en grande partie à ce que réclament les victimes, selon vous. J'aimerais entendre votre réaction.
Mme Berzins : Premièrement, je ne parlais pas uniquement en mon nom. J'ai rencontré de nombreuses victimes qui m'ont parlé à coeur ouvert de leurs expériences une fois les procédures judiciaires terminées. Toutes les victimes n'ont pas vécu la même chose, mais un grand nombre partagent la même expérience. C'est étonnant car si nous n'avions pas connu cela, nous n'aurions pas cru que les choses se passaient de cette façon. Toutefois, c'est ainsi.
Je ne dis pas que le projet de loi C-2 peut offrir de telles mesures. J'affirme que les lacunes du système de justice pénale aggravées par le projet de loi C-2 rendront plus difficile la prestation de ces interventions, même pour d'autres parties prenantes.
Le sénateur Oliver : Je ne crois pas cela du tout.
Mme Berzins : Je me fonde sur de nombreuses observations de ce qui se passe au tribunal. Je ne sais pas combien d'entre vous ont eu l'occasion d'observer ce qui se passe dans une cour de justice. Dès que l'on vit cette expérience soi- même, on se rend compte que tout cela n'a rien à voir avec nos besoins en tant que personne. C'est la perspective juridique qui prend le dessus et on aborde la question d'une façon réductrice qui écarte de nombreux éléments. Cette approche empêche les gens de parler de leurs besoins de crainte de compromettre l'issue des procédures judiciaires. La salle d'audience d'un tribunal n'est pas un endroit sûr où les personnes qui ont été victimes d'un crime peuvent aborder les crimes qui les préoccupent. Nous devons leur donner accès à d'autres endroits. La nature adversative du système a créé un gâchis. On opte de plus en plus pour la criminalisation, car on croit que c'est la réponse aux problèmes sociaux. C'est pour cette raison que le système croule sous la pression.
Je n'essaierai pas de vous convaincre; je sais que c'est le cas. Si vous parlez à de nombreux autres intervenants, vous constaterez aussi que c'est le cas. Si vous parlez à des juges, vous constaterez qu'ils sont débordés et que les conditions dans lesquelles ils sont appelés à travailler ne leur permettent pas d'offrir aux communautés les services dont elles ont besoin à long terme.
Je n'ai pas dit qu'il fallait légiférer pour le faire. Mon argument est le suivant : je vous en prie, ne prenez pas des décisions qui vont empirer la situation.
Les objectifs que j'ai entendu mentionner ici — même dans la bouche de personnes qui ne partagent pas mon avis — sont certainement des idéaux auxquels j'adhère. Nous partageons bien des objectifs. Or, nous savons d'expérience que les outils envisagés pour atteindre ces objectifs ne vous permettront pas de réaliser ce que vous tentez d'accomplir. De plus, cela coûtera très cher et accaparera les ressources qui autrement auraient pu être disponibles dans d'autres champs d'intervention. Voilà ce qui nous préoccupe.
Le sénateur Oliver : Je vous remercie de cette précision. Je comprends mieux votre position.
Le sénateur Cowan : Monsieur Hutchinson, à la page 2 de votre mémoire, à la fin de l'avant-dernier paragraphe, la dernière phrase se lit comme suit : « Comme l'âge de consentement à une activité sexuelle est actuellement fixé à 14 ans, le Canada est devenu une destination pour des gens qui veulent avoir des relations sexuelles avec des enfants. » C'est peut-être le cas, mais je n'ai jamais entendu cela auparavant. Où avez-vous obtenu cette information? Y a-t-il une étude qui corrobore vos dires? Y a-t-il des statistiques pour étayer cette position?
M. Hutchinson : Lorsque nous avons comparu devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, les autres témoins étaient des représentants de la Section des crimes sexuels des Services de police de Toronto et du Centre national de coordination contre l'exploitation des enfants de la GRC. À cette occasion, ils ont confirmé — et leur témoignage figure dans le procès-verbal de la séance du 22 mars 2007 — que le Canada était maintenant une destination du tourisme sexuel. Des éphébophiles, des adultes attirés par des jeunes gens pubères, manipulaient des jeunes filles de 12 et 13 ans sur Internet et venaient ensuite au Canada après leur 14e anniversaire. Ils ciblaient principalement des jeunes filles dans le but de les rencontrer et de s'adonner avec elles à des activités sexuelles. D'après eux, ces touristes sexuels viennent principalement des États-Unis et d'Europe.
Le sénateur Cowan : Je vois que nous entendrons lundi le sergent-détective Scanlan, de la Section des crimes sexuels, Exploitation des enfants/victimes spéciales, du Service de police de Toronto. Peut-être pourra-t-elle répondre à cette question. Est-ce la base de votre témoignage?
M. Hutchinson : Oui, elle était là. Des représentants de l'Association canadienne des policiers étaient aussi présents à cette séance.
Le sénateur Andreychuk : Je veux revenir sur les commentaires de Mme Berzins. Premièrement, je suis d'accord avec vous. Si nous pouvions cerner les problèmes plus tôt, s'y attaquer et trouver des solutions de rechange, il ne serait pas nécessaire d'aller devant les tribunaux.
Deuxièmement, si l'on attachait davantage d'importance au traitement des délinquants qui entrent dans le système et à des mesures d'intégration lorsqu'ils en sortent, nous serions mieux lotis. C'est un grand principe philosophique que nous partageons sans doute vous et moi.
Cela dit, vous affirmez que le projet de loi C-2 empirera la situation. Les choses empireront car il s'agit d'une mesure législative additionnelle. Chaque fois que l'on ajoute un élément au Code criminel, le système judiciaire a besoin de plus de ressources, de plus d'institutions, et cetera.
Hier, nous avons entendu le témoignage, très prenant, d'un procureur qui s'occupe du cas des récidivistes violents, ce qui est au coeur du projet de loi. D'après lui, grâce au nouveau système qu'engendrera le projet de loi C-2, nous serons mieux équipés pour faire l'évaluation et l'analyse du risque du contrevenant en vue de lui offrir l'aide dont il a besoin.
Votre examen du projet de loi vous permet-il de dire si vous êtes d'accord avec lui, si le projet de loi permettra une évaluation plus exhaustive qui serait utile pour le contrevenant, la victime et la société, ou êtes-vous en désaccord avec lui?
Mme Berzins : Je crains d'être en désaccord. J'ai aussi discuté moi-même de la situation avec des procureurs. Si l'on considère le fonctionnement du système en pratique et le recours antérieur aux dispositions concernant les délinquants dangereux, on constate que cela prend beaucoup de temps. Y recourir davantage nécessitera l'injection de ressources supplémentaires, ce qui aura sans doute pour effet de multiplier les litiges car les risques sont plus élevés pour les contrevenants. On peut s'attendre à ce qu'il y ait davantage de négociations de plaidoyers.
De nombreux autres effets non intentionnels rendront le système encore moins ouvert et moins humain. Il y a certainement des délinquants dont la société doit vraiment se protéger. Personne ne conteste cela. Aucun d'entre nous ne veut courir de risque lorsqu'on peut faire autrement.
Toutefois, d'après l'expérience des gens à qui j'ai parlé, les dispositions actuelles sont adéquates. Je suis sûr que vous avez aussi entendu ce son de cloche de la part d'autres témoins. De façon générale, les dispositions actuelles fonctionnent bien. Il n'y a pas de raison de ne pas continuer de les appliquer pour réaliser nos objectifs en redoublant d'efforts pour s'assurer de le faire avec sérieux et compétence.
J'ai consulté des gens qui m'ont dit que l'on peut s'attendre à plus de litiges, à plus de résistance à plaider coupable ou à la multiplication des négociations de plaidoyers. Tous ces facteurs auront pour effet d'évacuer tout le reste, et il deviendra encore plus difficile de régler les problèmes réels dont vous parlez.
Le sénateur Andreychuk : Pour ce qui est du système dans son ensemble, compte tenu de la façon dont vous le percevez, on pourrait affirmer cela au sujet d'un délinquant primaire ou d'un récidiviste. La mesure à l'étude vise ce créneau très étroit, soit ceux qui ont commis à répétition des crimes dangereux. On nous dit qu'environ 90 p. 100 d'entre eux sont des agresseurs sexuels récidivistes. À ce moment-là, on ne se retrouve pas avec une seule victime, mais avec deux, trois, quatre ou cinq, et le perpétrateur n'a pas changé ses habitudes.
En élargissant les dispositions concernant l'inversion du fardeau de la preuve et d'autres, nous nous attaquons à ce très petit groupe qui nous a tenus en échec auparavant ou qui n'a pas été touché par des interventions, celui des délinquants extrêmement dangereux et récidivistes. Nous ne parlons pas d'un vaste éventail d'infractions.
Certes, le système ne doit pas imposer des délais et des complications. Il renferme des garanties de protection intrinsèques pour le contrevenant, ce qui est l'un de ses principes de base. Nous ne voulons pas coincer dans le système des gens qui ne devraient pas y être. Par conséquent, il y aura nécessairement des stades et des étapes qui prendront du temps. J'estime que c'est dans notre intérêt.
De même, l'évaluation comportera des stades et des étapes d'évaluation qui aideront les contrevenants à comprendre la portée des gestes qu'ils ont posés et les encourageront à assumer leurs responsabilités et à s'investir dans le traitement, comme cela a été mentionné dans l'exposé de l'Armée du Salut. C'est l'objectif que s'est donné le système. Quant à savoir s'il peut y arriver, je suis dans le système depuis aussi longtemps que vous, sauf que j'ai acquis une certaine dose de cynisme. Êtes-vous en désaccord avec cela?
Mme Berzins : Je ne suis pas en désaccord avec l'objectif. Vous parlez d'une neutralisation sélective, de la capacité de mettre hors d'état de nuire les délinquants qui posent les plus grands risques.
Le sénateur Andreychuk : C'est exact.
Mme Berzins : Toutefois, selon notre expérience, les outils proposés ne nous permettront pas d'atteindre cet objectif. Je crois savoir que vous rencontrerez M. Anthony Doob lundi, et ce serait une bonne question à lui poser.
Des chercheurs comme lui, que nous avons consultés, affirment que d'après leurs travaux de recherche, nous ne sommes tout simplement pas capables d'identifier avec certitude les personnes qui posent les plus grands risques; il y a trop d'autres faux positifs. Le problème est que nous avons un instrument très grossier, soit une catégorie d'infractions plutôt qu'une évaluation individuelle qui débouche sur une demande de désignation. En vertu de l'inversion du fardeau de la preuve, il incombe au délinquant de réfuter ce qu'on lui reproche.
On ne prend pas en compte l'aspect contradictoire de ces évaluations psychiatriques. Je sais que nous voudrions tous croire que les choses ne fonctionnent pas de cette façon, mais c'est un fait. La défense et la Couronne ont leurs propres psychiatres. Ce sont des humains qui s'investissent dans le côté accusatoire de la bataille et qui veulent faire un bon travail pour leur camp. Cette bataille judiciaire ne donne pas nécessairement les résultats escomptés. Elle introduit un processus qui fausse la donne.
Le sénateur Andreychuk : J'ai étudié d'autres systèmes. Lorsqu'on arrive à ce dernier recours, soit au cas des délinquants violents et récidivistes, on ne peut pas tout simplement décider de les garder en prison; il faut respecter un certain processus. L'aspect contradictoire est un aspect intrinsèque de notre système de justice. Que préconisez-vous? Comment pourrions-nous protéger la société sans avoir recours au système judiciaire?
Il semble que le Royaume-Uni, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada — et je pourrais sans doute nommer tous les pays du monde —, aient un système judiciaire quelconque. De par sa nature, il est lent; de par sa nature, il est trop compliqué, et nous devrions continuer à le critiquer. Toutefois, quelle est l'alternative, sinon d'essayer d'améliorer le système existant?
Mme Berzins : Je ne propose pas d'abandonner le système. Vous me prenez peut-être pour une anarchiste, mais je n'en suis pas une. Il faut que nous puissions compter sur des procédures légales sérieuses et solides lorsque nous en avons vraiment besoin. On compte beaucoup trop sur le système et on y a beaucoup trop recours pour des questions mineures. Cela signifie que lorsque des problèmes sérieux se présentent, nous n'avons ni le temps ni les ressources nécessaires pour faire du bon travail.
Le système adversatif doit s'accompagner de modes d'intervention permettant aux délinquants et à leurs victimes de discuter ouvertement en lieu sûr des événements et des problèmes connexes. C'est possible d'accomplir cela.
Le témoin de l'Armée du Salut a parlé des cercles de responsabilisation et de soutien. On utilise ce modèle pour venir en aide aux pédophiles à haut risque aux besoins multiples qui sortent de prison. Toutefois, comme ce mode d'intervention offre un soutien, ainsi qu'une supervision dans un cadre sécuritaire qui permet au délinquant de communiquer les problèmes qu'il rencontre pour que nous puissions l'aider, il a contribué à réduire la récidive de 76 p. 100 pour les participants, comparativement aux non-participants à ce processus. C'est ce qu'a établi la recherche.
Ce modèle s'inscrit à un certain endroit dans le système mais l'approche qu'il représente pourrait être intégrée dans de nombreuses autres phases du système. C'est la seule façon de créer un environnement sûr, au lieu d'inciter des gens dangereux à opter pour la clandestinité et à nous cacher ce que nous devrions savoir à leur sujet.
Le sénateur Andreychuk : Je vais m'en tenir là.
Le sénateur Merchant : Nous croyons que le Sénat se rend très utile en donnant la parole aux femmes et aux minorités qui sont sous-représentées dans les assemblées élues, non seulement au Parlement fédéral mais également dans les assemblées provinciales et municipales — les femmes en particulier.
Au cours de notre étude du projet de loi, nous avons entendu bien des gens dire que la lutte à la criminalité n'est qu'un slogan politique, et que cela n'a pas grand-chose à voir avec la gouvernance et la façon dont les choses fonctionnent concrètement.
À ceux qui appuient sans réserve le projet de loi C-2, je signale qu'il nous faut écouter les voix des peuples des Premières nations et des groupes minoritaires qui estiment que cette mesure est discriminatoire à leur endroit. Ils ont évoqué le racisme dont ils font l'objet et l'incapacité des minorités et des peuples des Premières nations de comprendre le système judiciaire et leurs droits.
Il arrive que certains plaident coupables sans comprendre ce que cela implique. Le projet de loi aborde la question des délinquants dangereux. Il faut savoir que l'incarcération ne rend pas nos communautés plus sûres car nous ne faisons rien pour aider les détenus à mieux vivre dans la société. J'aimerais que ceux d'entre vous qui appuient sans réserve le projet de loi me disent ce qu'ils pensent des arguments que j'ai soulevés.
Mme Costigan : Je regrette sincèrement que les peuples autochtones du Canada aient des conditions de vie déplorables. Je ne pense pas que cette mesure empirera leur situation. S'il est vrai que les Autochtones sont mal conseillés au plan juridique lorsqu'ils sont inculpés d'infractions criminelles ou traduits devant les tribunaux, ce n'est pas un problème que le projet de loi C-2 peut résoudre. Sa solution passe par d'autres interventions législatives. La solution consiste peut-être à augmenter le nombre d'avocats commis d'office ou le nombre de certificats d'aide juridique disponibles pour la région. Et, en toute déférence, je crois que la solution doit découler de la volonté des peuples autochtones de s'élever eux-mêmes à une condition où ces faits ne seront plus vrais.
Le sénateur Merchant : Je ne suis pas ici pour engager le débat avec vous. Je vous demande simplement de nous communiquer votre opinion car nous avons entendu celle d'autres personnes. Le compte rendu parlera de lui-même. Si quelqu'un d'autre a quelque chose à ajouter, je voudrais l'entendre.
M. Hutchinson : L'Alliance évangélique du Canada s'est uniquement prononcée sur la composante de la mesure qui était auparavant le projet de loi C-22. Au sein de la nation canadienne, nous estimons que les principes sont neutres au plan culturel. Autrement dit, dénoncer le comportement répréhensible d'un adulte qui se livre à une activité sexuelle avec un enfant est neutre au plan culturel. En conséquence, nous persistons à endosser et à appuyer pleinement le relèvement de l'âge de consentement, qui demeure dans les limites de l'enfance.
Le sénateur Stratton : Il est intéressant d'entendre vos points de vue à ce sujet. Je n'ai pas grand-chose à ajouter, sinon que la raison d'être du projet de loi est de condamner le comportement sexuel des adultes et non des jeunes. Il n'est pas question de condamner le comportement sexuel des jeunes qui ont entre 14 et 16 ans. Si nous voulons hausser l'âge de consentement, c'est purement et simplement pour les protéger des prédateurs sexuels.
Pour ce qui est de la détermination de la peine, on a surtout parlé d'éducation, de préoccupations d'ordre social. Ces perspectives sont valables, mais elles n'ont rien à voir avec le projet de loi à l'étude dont l'objectif premier est la justice.
Mme Costigan : Vous aurez du mal à convaincre les jeunes que ce projet de loi ne les concerne pas. Ils savent pertinemment qu'il vise à faire passer de 14 à 16 ans l'âge de consentement à une activité sexuelle. Il faudra un certain pouvoir de persuasion à cet égard. J'espère qu'on pourra faire accepter aux jeunes et les convaincre qu'il est dans leur meilleur intérêt que ce projet de loi soit adopté; non seulement pour les protéger des prédateurs mais aussi pour leur permettre de grandir en toute liberté, à tout le moins jusqu'à l'âge de 16 ans. À ce moment-là, ils pourront décider s'il est sage d'avoir des relations sexuelles, compte tenu des risques associés à la promiscuité, que l'on soit jeune ou vieux. Je pense que c'est une lourde tâche de les persuader que cela n'a rien à voir avec eux.
Le sénateur Stratton : Je n'en disconviens pas. Mon argument était plutôt que les jeunes de 14 et 15 ans ne seront pas visés par le projet de loi, au sens où ils ne seront pas jetés en prison s'ils ont des relations sexuelles entre eux à cet âge.
Mme Costigan : Je comprends.
Le sénateur Stratton : Le projet de loi cible les prédateurs sexuels qui pourchassent les enfants de cet âge. C'est une différence fondamentale.
Mme Costigan : Absolument, et je pense que c'est clair dans le projet de loi.
M. Effer : C'est ainsi que nous comprenons le volet sur l'âge de consentement à une activité sexuelle dans cette mesure. C'est d'ailleurs pourquoi nous employons l'expression âge de protection plutôt qu'âge de consentement. Nous reconnaissons aussi que les jeunes peuvent y voir une entrave à leur liberté, mais nous croyons fermement qu'âge de consentement équivaut à âge de protection. Voilà pourquoi nous appuyons cet article du projet de loi. Nous espérons que les jeunes prendront acte de la liberté que leur confère cette disposition et qu'ils en verront le côté positif. En ciblant, comme vous le dites, les adultes prédateurs, l'exploitation des jeunes par les adultes, j'espère que la jeunesse comprendra que cette mesure vise à les protéger et non à restreindre leur liberté. Je suis d'accord, oui.
M. Hutchinson : Mme Costigan a abordé un aspect qui, je le constate, reviens dans les témoignages depuis quelques jours : la question de l'éducation et de la perception des jeunes, tout simplement. Comme vous pouvez le constater, mes années d'école secondaire sont loin derrière moi. Toutefois, je me rappelle qu'on nous apprenait à cette époque qu'il était illégal pour une jeune fille aux moeurs chastes, comme le voulait l'expression, à moins de 18 ans et certainement à moins de 16 ans, de se livrer à une activité sexuelle avec un adulte. En tant qu'adolescents, nous étions très conscients de cela.
Par contre, ma fille n'a pas terminé ses études secondaires depuis très longtemps. Elle a 20 ans. D'après elle, et c'est certainement ce qu'elle m'a rapporté lorsqu'elle était un peu plus jeune, c'est en secondaire II, à l'âge de 12 ans, qu'elle a appris quel était l'âge pour consentir à une activité sexuelle. On apprenait cela aux enfants en cours d'hygiène. Dans un cours d'introduction au droit canadien, en secondaire V, elle a appris précisément ce que renfermait le Code criminel au sujet de l'âge légal pour s'adonner à des activités sexuelles. À l'âge de 15 ans, ce qui l'inquiétait le plus, c'était de savoir comment je réagirais si elle ramenait à la maison un petit ami de 25 ans. En tant que parent, l'idée ne me plaisait guère. Mais en tant que parent également, je lui ai fourni une réponse peut-être conforme à la rectitude politique. Je lui ai dit : « Ma chérie, cela ne changerait rien à l'amour que je te porte, mais la différence de pouvoir entre vous deux me rendrait très mal à l'aise, parce qu'un jeune homme de 25 ans, même s'il gagne un peu plus que le salaire minimum, semble posséder une petite fortune comparativement à une jeune fille de 15 ans qui ne travaille pas du tout. »
Côté éducation, nos jeunes apprendront assez rapidement à l'école la teneur de la loi. Il y aura peut-être un petit nombre d'entre eux qui accepteront mal de laisser tomber un copain ou une copine plus âgé, ou le rêve d'avoir un copain ou une copine plus âgé, mais il ne faudra pas beaucoup de temps avant que la culture de la jeunesse s'adapte à la notion que l'âge de protection est établi à 16 ans.
Mme Berzins : Je comprends tout à fait que plusieurs d'entre vous soyez d'accord avec une partie en particulier du projet de loi. Ce qui me préoccupe, c'est que vous semblez coincés dans une situation où, si j'ai bien compris, c'est tout ou rien.
Je vois des signes de dénégation. Très bien. Je suis ravie de m'être trompée. Je croyais qu'il n'était pas possible d'apporter des amendements. Il est difficile d'accepter tous les aspects négatifs qui accompagneront les aspects positifs que vous essayez d'instaurer. Je me demande sérieusement si les aspects positifs surpasseront les aspects négatifs que vos déclencherez en même temps.
Peut-être ai-je mal compris la réalité politique d'aujourd'hui. Je l'espère.
Le sénateur Stratton : Merci.
La présidente : Je ne vais même pas me lancer là-dedans.
Le sénateur Ringuette : Je remercie Mme Berzins, M. Hutchinson et M. Effer de leurs commentaires quant à la nécessité d'insister davantage sur la réhabilitation dans l'intérêt des victimes et des délinquants. C'est la façon idéale de procéder.
Nous entendons souvent des politiciens et des gens d'affaires dire que le meilleur programme social est une économie vigoureuse. Je crois aussi qu'une bonne économie et un bon programme social servent les meilleurs intérêts de la justice. Dans mon optique, cela reflète résolument les propos que vous avez tenus tous les trois.
La déclaration de Mme Costigan au sujet des antipodes me tracasse quelque peu : d'une part, la protection contre les prédateurs et de l'autre, je vous cite, « la volonté des peuples autochtones de s'élever au-dessus de leurs conditions ». Voilà qui confirme résolument le bien-fondé d'une bonne politique économique et sociale. Cela reflète aussi le fait que si nous, les Blancs, n'avions pas été des prédateurs, on ne verrait peut-être pas les taux d'incarcération élevés qui affligent les communautés autochtones à l'heure actuelle. Si nous n'avions pas relégué les Autochtones dans des réserves, ils auraient peut-être une meilleure chance de faire de bonnes études, de tirer parti de leurs propres ressources naturelles et de leurs ressources humaines. Si nous ne les avions pas envoyés dans des internats, il n'y aurait peut-être pas autant d'Autochtones délinquants ou détenus en prison.
Madame Costigan, vous avez tenu des propos que j'ai trouvés quelque peu offensants, et j'espère que certains Blancs vont s'élever suffisamment pour relever le défi auquel sont confrontées les communautés autochtones.
Merci.
Mme Costigan : Sénateur, au début de ma pratique de droit, j'ai travaillé en étroite collaboration avec la Native Canadian Association, à Toronto, et j'ai consacré beaucoup de temps à l'avancement de cet organisme. Je souhaite ardemment que les conditions de vie des peuples autochtones s'améliorent.
La présidente : Ma première question s'adresse à M. Hutchinson, à Mme Costigan et à M. Effer et porte sur l'article existant du Code criminel qui traite de l'exploitation sexuelle des jeunes.
Cette disposition a été adoptée il y a deux ans et demi seulement. C'est peu de temps pour permettre aux autorités d'y recourir, à la police, aux procureurs et aux tribunaux de l'assimiler et pour nous, collectivement, en tant que société, d'évaluer quelle différence cela a pu faire.
Sur quoi repose votre conviction — car je suppose que vous en êtes tous convaincus — que cet article du Code criminel n'est pas à la hauteur et que nous devons adopter cette partie du projet de loi C-2?
M. Hutchinson : Le problème de l'article relatif à l'exploitation sexuelle, c'est qu'il est difficile de recueillir la preuve qu'il y a bel et bien eu une exploitation sexuelle. Une partie du problème disparaîtra avec l'adoption de cette disposition, en tout cas jusqu'à l'âge de 16 ans.
Le sergent-détective Scanlan doit venir comparaître lundi. Toutefois, d'après le témoignage que j'ai entendu lors de notre comparution devant le comité de la Chambre des communes, il est très clair que les prédateurs sexuels sont disposés à prendre le temps nécessaire pour séduire leurs victimes. L'aspect exploitation disparaît de l'équation lorsque la victime consent à s'engager dans une activité sexuelle.
Quant à savoir si l'on aura recours davantage à la partie sur l'exploitation sexuelle, c'est une question qu'il vaudrait sans doute mieux poser aux policiers, compte tenu de leur expérience du système de justice. Il est très difficile de réunir la preuve qu'il y a eu exploitation lorsqu'un jeune dit : « J'étais consentant; j'ai reçu tous ces merveilleux cadeaux, pour lesquels je suis reconnaissant. Je ne suis pas exploité. »
La présidente : D'après mon interprétation de cet article, il ne faudrait pas se laisser décourager par cela.
Mme Costigan : Je conviens avec mon ami qu'il existe un problème de preuve. Pour utiliser avec succès cet article, il faudrait prouver au-delà de tout doute raisonnable l'existence d'une situation de confiance ou de dépendance. Je suis d'accord avec M. Hutchinson : ce n'est pas une exigence facile à respecter.
M. Effer : Je ne possède pas l'expertise qui me permettrait de commenter le système judiciaire. Cependant, en tant que parent et intervenant auprès des jeunes, si nous préconisons l'augmentation de l'âge de consentement à une activité sexuelle, c'est en raison du niveau de maturité variable des jeunes dans ce groupe d'âge. C'est bien connu.
Si l'on prend la société canadienne en général, on y trouve des jeunes de 14 ans qui sont peut-être plus matures que certains d'entre nous. Il y a des jeunes de 16 ans qui sont moins matures que d'autres de 12 ans. Compte tenu du niveau de maturité des jeunes de cette fourchette d'âge, tous les gestes que nous pouvons poser pour leur offrir une protection additionnelle sont positifs car c'est au cours de ces années de formation qu'ils apprennent que toute décision a des conséquences. Ils apprennent aussi qu'ils ont le droit de dire oui ou non. Tout ce que nous pouvons faire pour les aider est bon. S'il faut adopter dans le Code criminel une disposition qui leur garantit quelques années supplémentaires pour gagner en maturité grâce au système d'éducation ou à l'influence familiale, il ne faut pas hésiter. Tout ce que nous pouvons faire pour leur accorder cette protection supplémentaire pendant ces années-là est le bienvenu.
La présidente : Cette question s'adresse à Mme Berzins et M. Effer. Les deux autres témoins peuvent intervenir, s'ils le veulent.
Ma question ne porte pas sur l'âge de consentement. Pratiquement tous les intervenants nous ont dit que l'adoption du projet de loi C-2 provoquerait une augmentation de la population carcérale au Canada. On peut discuter de l'ampleur de cette augmentation, mais il semble qu'elle sera importante.
On nous a dit à maintes reprises — et cela rejoint vos propos, madame Berzins — qu'il ne sert à rien d'entasser les gens en prison si nous n'avons pas de solides programmes pour appuyer, conseiller et réoutiller les détenus en vue de leur réinsertion dans la société.
Compte tenu de ce qu'on nous a dit au sujet de ces programmes, il est difficile pour moi, en tout cas, de me faire une idée cohérente. D'une part, on nous rapporte qu'à l'échelle internationale, on voue un grand respect aux programmes d'aide aux détenus du Canada; ils ont la réputation d'être les meilleurs au monde. D'autres experts viennent ici pour se renseigner sur notre approche. Lorsque nous avons entendu des témoins du Service correctionnel du Canada, il était évident qu'ils tiraient une grande fierté de leur détermination à bien faire les choses et à s'occuper le mieux possible de leur clientèle.
On nous a dit également que le budget des programmes a diminué, que les programmes sont insatisfaisants à de nombreux égards, qu'ils ne sont pas disponibles dans les établissements à sécurité maximale — on croirait pourtant que c'est là qu'on en aurait le plus grand besoin — et que les programmes sont insatisfaisants ou non existants pour les Autochtones en particulier et peut-être aussi pour les membres d'autres minorités.
Nous avons entendu hier des témoignages très intéressants — et encore ce matin, je crois — selon lesquels les programmes existants ne tiennent pas compte d'un vaste éventail de problèmes physiologiques : depuis le trouble déficitaire de l'attention à des problèmes neurologiques, aux lésions au cerveau et une foule d'autres états pathologiques.
Je ne sais pas exactement où se situe la vérité, mais si nous nous apprêtons à adopter une loi qui enverra plus de gens en prison, je voudrais avoir une idée plus précise de ce qui se passe actuellement et de ce qui va probablement se passer, d'après les gens qui ont de l'expérience sur le terrain.
C'est pourquoi je vous pose la question parce qu'il est clair que vous avez de l'expérience dans ce domaine, madame Berzins, et l'Armée du Salut fait également beaucoup de travail auprès des gens qui seront les plus directement touchés par ce projet de loi. Pouvons-nous obtenir des précisions sur tout cela?
Mme Berzins : De bons programmes ont été mis au point par des chercheurs très compétents qui ont fait leur travail avec grande compétence. Comme vous l'avez déjà dit, il est très difficile d'y avoir accès. Pour un certain nombre de raisons liées au milieu carcéral, à la bureaucratie et à l'administration, il y a beaucoup de délinquants qui n'ont pas accès à ces programmes alors que le simple bon sens nous dit que c'est ce qui devrait arriver et que cela devrait renforcer la sécurité de la collectivité.
Les chercheurs que nous avons consultés, dont certains ont justement travaillé à la création de ces programmes, ont toujours dit qu'ils sont en mesure de les réaliser efficacement en prison, malgré l'environnement carcéral. Ils sont par contre beaucoup plus efficaces quand ils sont mis en oeuvre en milieu communautaire. Le fait qu'il y ait de bons programmes en prison n'est pas une raison pour incarcérer quelqu'un dans cet environnement, quand les mêmes programmes peuvent être faits plus efficacement et à meilleur marché dans une situation encadrée en milieu communautaire.
Ce point est très important. Il serait important d'obtenir de bonnes estimations des incidences de cette mesure parce que toutes vos prédictions intuitives sont probablement tout à fait justes.
La présidente : Nous avons tenté d'obtenir ces estimations, mais elles sont au mieux fragmentaires.
Mme Berzins : J'en conclus qu'il y a manque de responsabilité et de transparence de la part du gouvernement.
M. Effer : Quand vous parlez de la diversité des gens en milieu carcéral et de la difficulté de leur donner des programmes de réadaptation couronnés de succès, cela témoigne purement et simplement de l'individualité des gens de manière générale.
La réadaptation, ce n'est pas du prêt-à-porter. Cela reviendrait à nier l'individualité et la personnalité de chacun d'entre nous. Il n'y a aucun doute que les divers programmes de traitement élaborés et validés par des professionnels obtiennent des succès appréciables dans diverses situations.
Dans notre exposé d'aujourd'hui, j'ai dit qu'à notre avis, il faudrait modifier le projet de loi C-2 en attendant le résultat de recherches plus approfondies sur l'efficacité et les coûts de peines de prison supplémentaires et plus longues et en attendant d'obtenir le soutien du gouvernement pour la mise en oeuvre et le financement d'interventions précoces pour le traitement.
Il n'est pas dans l'intérêt supérieur de notre pays ni des gens qui ont des démêlés avec la loi que nous foncions à l'aveuglette en supposant qu'il y a lieu d'augmenter le taux d'incarcération, quand on a démontré que la prison ne constitue pas une dissuasion efficace aux futurs comportements criminels des gens. L'aspect financier à lui seul est un argument qui milite contre l'augmentation du taux d'incarcération; je veux parler de la durabilité du financement du système.
De notre point de vue, quand on a affaire à des gens qui ont besoin de réadaptation, que ce soit en milieu carcéral ou après la remise en liberté, l'intervention précoce est une nécessité absolue. Votre comité devrait envisager très sérieusement d'apporter un amendement au projet de loi stipulant qu'il faut effectuer des recherches plus approfondies sur l'efficacité des programmes de traitement et la durabilité des propositions relativement à l'augmentation du taux d'incarcération.
Mme Berzins : Au sujet de la disposition sur l'âge de protection, il nous faudrait une confrontation avec la réalité. Je comprends tout à fait les sentiments de ceux qui veulent protéger les enfants à un âge différent, à un stade de maturité différent. Cependant, la réalité est que le processus judiciaire n'offre aucune protection; la réalité est que la victime que nous tentons de protéger subira en cour un contre-interrogatoire qui sera tellement traumatisant que, si elle n'a pas déjà été traumatisée par l'acte criminel, elle le sera assurément à sa comparution. Nous ne devons pas perdre de vue la manière dont tout cela fonctionne. Si c'est une véritable protection, alors oui, nous sommes tous en faveur. Cependant, cet outil ne fonctionne pas toujours de cette façon.
La présidente : Ce n'est pas facile de protéger ses enfants contre les coeurs brisés et les vies brisées, n'est-ce pas?
Mme Berzins : Non, mais je suis convaincue que lorsque les parents découvriront ce que leurs enfants vivront en cour, beaucoup de parents ne voudront pas leur faire subir cette expérience. Bien des gens ne dévoileront pas ce qui s'est passé.
La présidente : Je vous remercie tous au nom du comité. Nous vous sommes vraiment reconnaissants pour les divers points de vue que vous nous avez présentés et nous vous remercions de nous avoir consacré de votre temps.
Nous avons maintenant le plaisir d'accueillir M. Miller, qui est avocat et chargé de recherche sur les politiques à l'African Canadian Legal Clinic. Il est venu nous parler du projet de loi C-2.
Richard Miller, avocat de la recherche en matière de politiques, African Canadian Legal Clinic : Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité et surtout d'avoir invité l'African Canadian Legal Clinic que je représente et, de façon encore plus large, la communauté africaine-canadienne dans l'ensemble du Canada.
Je vais d'abord vous dire quelques mots sur l'African Canadian Legal Clinic. C'est une clinique juridique spécialisée qui fonctionne dans le cadre du système d'aide juridique de l'Ontario. Nous nous spécialisons dans les affaires mettant en cause le racisme systémique et la discrimination dans la province d'Ontario. Une grande partie de notre travail consiste à plaider dans des causes faisant jurisprudence et nous avons plaidé devant les tribunaux de tous les niveaux, jusqu'à la Cour suprême du Canada.
L'ACLC joue un rôle important en faisant un suivi de la législation et en déployant des efforts de promotion des droits et de sensibilisation, en mettant principalement l'accent sur la lutte pour éliminer le racisme et en particulier le racisme anti-Noirs. Il est clair que, dans le cas qui nous occupe, les questions mettant en cause le droit pénal et le racisme et la discrimination dans le système de justice sont des éléments qui vont au coeur du mandat de l'ACLC. C'est l'une des principales raisons pour lesquelles je comparais devant vous aujourd'hui.
L'African Canadian Legal Clinic est heureuse d'avoir l'occasion de présenter un mémoire sur le projet de loi C-2. En particulier, je vais vous parler de la question de la violence et des armes à feu dans la communauté afro-canadienne, après quoi je vais m'attarder à l'importance d'établir des stratégies claires et efficaces pour contrer ce problème. Consciente des problèmes causés par les actes de violence avec armes à feu au sein de la collectivité, celle-ci a réclamé expressément des stratégies visant à s'attaquer aux causes profondes de ces crimes commis avec armes à feu, en mettant l'accent sur la prévention de ces crimes plutôt que sur le châtiment.
L'ACLC soutient que les modifications proposées au Code criminel ne seront pas efficaces parce qu'elles ne tiennent pas compte de la complexité du problème des armes à feu illégales. L'ACLC soutient que les amendements proposés ne seront pas efficaces en l'occurrence.
Dans la catégorie des peines minimales obligatoires, premièrement, je vais traiter de la perte du pouvoir discrétionnaire de la magistrature et du transfert de ce pouvoir à la police et aux procureurs; deuxièmement, des personnes qui seraient coupées pendant des périodes prolongées de leur famille et de leur communauté; et troisièmement, de la perte de la sécurité dans nos collectivités.
J'aborderai ensuite l'autre question, celle de l'inversion du fardeau de la preuve. À cet égard, je vais m'attarder à la création d'un obstacle supplémentaire pour les Afro-Canadiens et je vais vous parler de l'importance de l'application régulière de la loi.
Il n'y a aucun doute qu'il y a du racisme systémique au Canada. Une simple citation d'une décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire La Reine c. Spence illustre ce fait. La Cour suprême du Canada a déclaré :
Le racisme, en particulier le racisme anti-Noirs, est partie intégrante de la mentalité de notre société. Une couche importante de la société professe ouvertement des vues racistes. Une couche plus large encore est inconsciemment influencée par des stéréotypes raciaux négatifs. De surcroît, nos institutions, y compris la justice pénale, reflètent ces stéréotypes négatifs qu'elle perpétue.
Quand on examine l'incidence pour les Afro-Canadiens des peines minimales obligatoires pour infractions commises avec armes à feu, on tombe sur de nombreux rapports qui ont déjà abordé le racisme systémique dans le système judiciaire. Il y a eu des rapports émanant de l'Ontario, de Nouvelle-Écosse, du Manitoba et de l'Alberta. Les peines minimales obligatoires pour infractions commises avec armes à feu vont augmenter la représentation disproportionnée des Afro-Canadiens dans les établissements carcéraux. En conséquence, les Afro-Canadiens seront marginalisés encore davantage dans la société canadienne et subiront une inégalité encore plus grande.
Au sujet de cette problématique, je tiens à insister sur l'importance des stéréotypes. Les stéréotypes influent sur les décisions prises en divers points du système de justice pénale, avec le résultat que les personnes de certaines races particulières, notamment les Afro-Canadiens, ont plus de chance d'être interpellées, arrêtées, accusées, gardées en détention, condamnées, de se voir refuser la libération conditionnelle et même de subir des sanctions communautaires. Les peines minimales vont exacerber ce problème en transférant le pouvoir discrétionnaire des juges à la police et aux procureurs.
Quand on s'attarde au pouvoir discrétionnaire de la police, nous devons tenir compte du phénomène du profilage racial. Beaucoup d'études ont été faites sur cette question. L'une d'elles, faite à Kingston (Ontario) par Scott Wortley, a permis de constater que les Noirs sont interpellés au moins trois fois plus souvent que les Blancs. Beaucoup d'études ont documenté ce phénomène et la jurisprudence montre qu'il s'agit d'un problème important.
Le taux d'incarcération fédérale des Afro-Canadiens est trois fois plus élevé que celui des Blancs et plus de neuf fois plus élevé que celui des Asiatiques. Les Afro-Canadiens représentent plus de 6 p. 100 de la population carcérale fédérale, alors qu'ils ne représentent qu'environ 2 p. 100 de la population canadienne.
En outre, dans le Rapport de la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario, on a constaté que les Afro-Canadiens sont les plus surreprésentés parmi les détenus accusés de possession d'armes, entre autres infractions. Étant donné ces faits, il est extrêmement probable que les peines de prison minimales obligatoires ne feront qu'accroître cette surreprésentation, empirant d'autant le problème du taux d'incarcération disproportionné.
Les procureurs posent un important problème relativement aux peines minimales et au transfert du pouvoir discrétionnaire. Beaucoup d'Afro-Canadiens vont probablement éviter la possibilité de se voir infliger une peine minimale plus sévère en négociant des plaidoyers avec les procureurs. Cet élément du système manque clairement de transparence. Des personnes qui sont innocentes ou moins coupables pourraient plaider coupables à un chef d'accusation négocié afin d'éviter de se voir infliger des peines minimales plus sévères. Il est bien possible qu'elles aient été victimes de profilage racial ou d'une autre forme de discrimination raciale dans le système. Le seul recours contre un tel problème est de s'adresser aux tribunaux. Quand quelqu'un plaide coupable à une accusation moindre, le juge ne prend pas connaissance de la preuve ni des circonstances qui ont conduit à l'arrestation et à la détention de la personne.
Les juges ne seront donc pas en mesure de se pencher sur les circonstances particulières d'un accusé afro-canadien. Le juge pourrait vouloir tenir compte d'une situation de pauvreté extrême, ou peut-être l'accusé était-il un pupille de l'État. Le plus important est que le juge ne sera pas en mesure de tenir compte des faits particuliers ou du rôle joué par l'accusé dans l'infraction s'il est lié par la peine minimale obligatoire.
Une grave inquiétude découle du fait que beaucoup d'Afro-Canadiens occupent les échelons les plus bas dans beaucoup d'organisations criminelles. Cependant, avec les peines minimales obligatoires, ils sont tout aussi vulnérables sinon même davantage que ceux qui occupent les échelons plus élevés, parce qu'ils n'ont peut-être pas suffisamment d'information pour obtenir d'un procureur un résultat satisfaisant dans le cadre d'un plaidoyer négocié. Nous devons tenir compte de cette réalité.
Enfin, à cause de leur situation socio-économique inférieure et de leur pauvreté généralisée, beaucoup d'Afro- Canadiens ne peuvent se permettre les services d'un avocat réputé ou même compétent pour les aider à défendre leurs intérêts ou à négocier un bon plaidoyer de culpabilité.
Les peines minimales sont problématiques pour un certain nombre d'autres raisons également. Leur incidence sur les familles afro-canadiennes et sur la communauté afro-canadienne est un grave problème. Avec l'incarcération d'un homme afro-canadien en application d'une peine minimale obligatoire, qui sera plus longue, des femmes vont perdre un partenaire et des enfants vont perdre un père et un modèle de comportement masculin. La pauvreté parmi les Afro- Canadiens est plus du triple de la moyenne observée chez les Canadiens blancs. Dans une étude faite en 2006 par Michael Ornstein, on a constaté qu'à Toronto, 10,6 p. 100 des familles blanches vivent en deçà du seuil de faible revenu, en comparaison de 36 p. 100 des Afro-Canadiens. Cela montre bien l'incidence financière qu'aura l'incarcération ne serait-ce que d'un seul membre de cette famille. Avec des peines minimales obligatoires, en l'absence de tout pouvoir discrétionnaire, il s'écoulera beaucoup plus de temps avant que ces personnes puissent revenir dans leur famille et réintégrer leur communauté.
Il y a également une importante surreprésentation des femmes afro-canadiennes dans le système de justice. Les Afro- Canadiennes représentent 2,3 p. 100 de la population canadienne, mais 7,6 p. 100 de la population carcérale féminine. Quatre-vingt-dix pour cent des familles monoparentales sont dirigées par des femmes noires et un peu plus de 55 p. 100 des enfants noirs vivent sous le seuil de la pauvreté. Par conséquent, quand une femme noire est incarcérée en application d'une peine minimale, l'impact s'en fait sentir encore une fois. Il peut arriver que l'on doive placer un enfant en famille d'accueil. La femme perd son revenu et la dignité de ces personnes en prend un rude coup.
Nous devons nous demander si les peines minimales auront une incidence disproportionnée sur la communauté afro-canadienne, qu'il s'agisse des hommes ou des femmes. Ces deux groupes sont déjà fortement surreprésentés dans nos prisons.
La cohésion et la stabilité de la communauté est perdue quand il y a surreprésentation des Afro-Canadiens en milieu carcéral. Un certain nombre d'études américaines ont constaté que, dans les communautés affichant des taux plus élevés d'incarcération, le niveau de criminalité a augmenté et est demeuré élevé pendant de longues périodes. Cela n'appuie pas l'hypothèse voulant que l'incarcération cause le crime, mais c'est peut-être un argument à l'appui du point de vue selon lequel un fort taux d'incarcération contribue au déclin d'une communauté. C'est un autre facteur auquel sera confrontée la communauté afro-canadienne en conséquence de peines minimales obligatoires. Il y a déjà une forte surreprésentation et, avec cette mesure, beaucoup de gens seront emprisonnés sans qu'un juge ait la possibilité d'imposer des peines plus faibles en raison de circonstances atténuantes.
Une autre conséquence des peines minimales se fait sentir au chapitre de la sécurité générale. De telles peines entraîneront l'incarcération de beaucoup d'Afro-Canadiens pendant de longues périodes, pendant lesquelles ils seront en contact avec des criminels endurcis. Quand ils reviendront dans la communauté, ils n'auront pas les compétences ni l'instruction voulues pour trouver un emploi. Un casier judiciaire limite considérablement les possibilités d'emploi et, ayant été en contact avec des éléments criminels endurcis, leur probabilité de récidive sera élevée. C'est très préoccupant et l'on peut se demander si le fait d'incarcérer en aussi grand nombre des Afro-Canadiens pendant de longues périodes aurait une incidence favorable sur la sécurité de ces communautés.
Pour ce qui est de l'inversion du fardeau de la preuve pour la libération sous caution en cas d'infractions avec utilisation d'armes à feu, il ressort clairement que cette mesure, conjuguée aux peines minimales obligatoires, augmentera la représentation disproportionnée des Afro-Canadiens dans les établissements carcéraux. Ils subissent déjà une importante inégalité raciale dans les décisions relatives au cautionnement. Les Afro-Canadiens accusés ont plus de chances de se voir refuser la libération sous caution en attendant le procès, le taux étant de 30 p. 100 en comparaison de 23 p. 100 pour les accusés de race blanche. Ces chiffres sont tirés du Rapport de la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario.
L'inversion du fardeau de la preuve impose un obstacle supplémentaire aux accusés afro-canadiens. Nous avons déjà des statistiques selon lesquelles ils ont plus de chances d'être détenus. On sait qu'un fardeau inversé constitue un seuil beaucoup plus difficile à surmonter. Cet obstacle additionnel pour les Afro-Canadiens pourrait, là encore, entraîner une probabilité plus élevée de surreprésentation carcérale.
Le deuxième point, au sujet du fardeau inversé, est que l'accusé est présumé innocent tant que sa culpabilité n'est pas prouvée. Il est clair qu'il y a ici un problème en fait d'application régulière de la loi. Quand on a affaire à un accusé afro-canadien, on doit tenir compte des dispositions en matière d'égalité de la Charte canadienne des droits et libertés. Les Afro-Canadiens, qui se voient refuser la mise en liberté sous caution de façon disproportionnée par rapport à d'autres accusés, doivent bénéficier de la protection adéquate. Dans de telles situations, l'inversion du fardeau de la preuve doit être appliquée à la lumière de la situation réelle des Afro-Canadiens et du fait qu'ils se voient refuser la libération sous caution en nombre disproportionné. Ne pas en tenir compte reviendrait essentiellement à appliquer cette disposition de façon purement abstraite. Très franchement, cela viole les dispositions sur l'égalité.
Quand on examine l'ensemble de cette situation, à la lumière de ce qui précède, l'ACLC recommande ce qui suit : premièrement, que les modifications au Code criminel proposées dans le projet de loi C-2 relativement aux peines minimales obligatoires et à l'inversion du fardeau de la preuve pour la mise en liberté sous caution ne soient pas mises en oeuvre; deuxièmement, si les modifications au Code criminel proposées dans le projet de loi C-2 dans ces deux domaines sont mises en oeuvre, pour ce qui est des peines minimales, il faut ajouter une disposition d'exception donnant au juge le pouvoir discrétionnaire de refuser d'imposer une peine minimale lorsque, à son avis, c'est contraire à l'intérêt de la justice; troisièmement, que le gouvernement fédéral fournisse un soutien financier satisfaisant aux programmes communautaires destinés aux jeunes adultes et en particulier aux jeunes hommes afro-canadiens âgés de 18 à 24 ans qui sont particulièrement vulnérables à la participation aux activités des gangs ou d'autres activités criminelles; quatrièmement, que le gouvernement fédéral conserve intégralement le registre canadien des armes à feu; cinquièmement, que le gouvernement fédéral mette immédiatement en oeuvre des stratégies efficaces pour enrayer la circulation des armes à feu illégales de part et d'autre de la frontière canado-américaine; sixièmement, que le gouvernement fédéral oblige les fabricants d'armes à feu à rendre des comptes et qu'il poursuive les fabricants, au besoin, en cas de négligence dans le marketing et la vente d'armes à feu; septièmement, que le gouvernement fédéral étudie l'incidence des peines minimales et de l'inversion du fardeau de la preuve pour la libération sous caution dans les trois années suivant la mise en oeuvre de la mesure proposée, à supposer qu'elle soit effectivement mise en oeuvre, et qu'il fasse rapport à ce sujet.
Pour les Afro-Canadiens, le racisme systémique dans le système de justice pénale est une réalité. L'adoption de nouvelles peines minimales plus sévères ne fera qu'exacerber l'inégalité et marginaliser davantage les Afro-Canadiens en augmentant la représentation disproportionnée de ceux-ci dans les prisons et en affaiblissant les liens sociaux au sein de ces communautés.
Le gouvernement doit élaborer des stratégies et politiques qui aident à éliminer le racisme systémique dans le système de justice pénale, au lieu d'en faire la promotion.
Il est clair qu'une approche à multiples facettes est nécessaire en l'occurrence, et nous devons nous attaquer aux causes profondes de la violence avec armes à feu. Des mesures comme d'enrayer la circulation illégale des armes à feu de part et d'autre de la frontière peuvent être utiles. Les peines minimales obligatoires ne sont pas la solution.
J'ai délibérément mis l'accent sur l'incidence de cette mesure législative sur les communautés afro-canadiennes. Vous devez avoir entendu des intervenants représentant beaucoup d'autres secteurs et il existe d'abondants travaux de recherche montrant que les peines minimales obligatoires n'ont aucune force dissuasive et ne permettent pas d'opérer une neutralisation sélective.
En bout de ligne, quand vous examinez toute cette problématique, vous devez aussi prendre en compte les dispositions relatives à l'égalité et le fait que nous exercerons en fin de compte une discrimination contre un groupe qui a déjà été fortement marginalisé dans la société canadienne.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Miller.
Le sénateur Cowan : J'espère que le sénateur Oliver aura la chance de poser des questions, parce qu'il a pris la parole sur cette question avec beaucoup d'éloquence à de nombreuses reprises au Sénat et ailleurs. Je suis sûr que M. Miller et lui auront un échange intéressant.
Je voudrais une précision. Je prenais des notes pendant que vous parliez et quelque chose m'a échappé. J'ai entendu les statistiques selon lesquelles les Noirs sont 6 p. 100 de la population carcérale et 2 p. 100 de l'ensemble de la population. Ensuite, vous avez parlé des femmes noires. Je pense qu'elles sont 7,1 p. 100 de la population ou quelque chose du genre.
M. Miller : Elles représentent 2,3 p. 100 de la population canadienne.
Le sénateur Cowan : Représentent-elles 7,6 p. 100 de la population carcérale?
M. Miller : Oui, c'est bien cela.
Le sénateur Cowan : Et les chiffres de 6 p. 100 et 2 p. 100 s'appliquent-ils aux hommes et aux femmes?
M. Miller : Oui, les 6 p. 100 et 2 p. 100 représentent l'ensemble. Je suis descendu d'un cran dans l'échelle statistique pour cibler plus précisément l'impact sur les Afro-Canadiennes.
Le sénateur Cowan : Avez-vous dit que 90 p. 100 des familles monoparentales dans notre pays sont dirigées par des femmes noires?
M. Miller : Oui, c'est le bon chiffre.
Le sénateur Cowan : C'est un chiffre renversant. Vous avez dit 90 p. 100 dans notre pays. C'est bien cela?
M. Miller : Les Noirs assument le fardeau avec 90 p. 100 de ménages monoparentaux, mais c'est dans la communauté noire.
Le sénateur Cowan : Oh, c'est 90 p.100 des ménages noirs.
La présidente : Savez-vous quelle est la tendance pour la disproportion de détenus afro-canadiens, en comparaison des autres détenus? Je pose la question parce qu'on nous a dit que pour les Autochtones, qui sont également surreprésentés, la situation empire, bien que je n'ai pas les graphiques sous la main. Savez-vous si la situation empire pour les Afro-Canadiens?
M. Miller : Je n'ai pas de statistiques probantes, mais tout laisse supposer que cela empire, étant donné l'importance accrue des armes à feu et des gangs. On fait cette déduction à partir de la situation au sud de la frontière, aux États- Unis, compte tenu des problèmes qu'on y trouve, ainsi que dans d'autres pays. Cependant, je n'ai pas de statistiques précises sur ce point.
La présidente : Savez-vous par hasard quelle est la proportion des gens qui ont été désignés « délinquants dangereux » qui sont Noirs?
M. Miller : Je n'ai pas ces statistiques.
La présidente : Peut-être qu'il n'y en a pas.
Le sénateur Merchant : J'ai travaillé pendant six ans avec la Fondation canadienne des relations raciales, et je suis donc au courant du racisme systémique qui existe dans notre société.
Une fois qu'on se retrouve en milieu carcéral, la violence est omniprésente. Savez-vous si le racisme systémique est un facteur dans ce milieu? Avez-vous des statistiques décrivant la situation des détenus noirs?
M. Miller : Je n'ai pas ces statistiques sous la main, bien que l'African Canadian Legal Clinic ait accès à ces chiffres. Je ne veux pas m'avancer trop en donnant des renseignements anecdotiques, mais il est clair que le racisme est un problème dans les prisons. Souvent, c'est beaucoup plus direct dans ce milieu, les détenus afro-canadiens étant victimes d'injures et de harcèlement, et cetera.
Le sénateur Merchant : La violence existe aussi en prison, n'est-ce pas?
M. Miller : Oui, c'est exact.
Le sénateur Merchant : Je me demandais seulement si vous aviez des statistiques quelconques.
M. Miller : Je ne les ai pas avec moi.
Le sénateur Oliver : Merci beaucoup pour votre exposé. Je l'ai trouvé bien présenté, clair et très révélateur.
C'était important que vous veniez témoigner, parce que nous avons entendu un bon nombre de témoins de divers groupes et organisations qui nous ont parlé de la surreprésentation des Autochtones canadiens dans le système de justice; je parle de ceux qui sont incarcérés. Quand j'ai demandé à beaucoup de ces témoins quelle était la situation des Noirs ou des minorités visibles, ils n'avaient aucune statistique et ne savaient même pas que les Noirs étaient surreprésentés dans le système carcéral au Canada. Je suis ravi que quelqu'un qui s'exprime clairement et objectivement comme vous ait pu venir et nous présenter les chiffres et les faits de manière très convaincante. Je vous en remercie beaucoup.
Bon nombre des facteurs que vous avez évoqués, qui résultent de l'incarcération des hommes noirs, ont à voir avec les conséquences sur les familles, les enfants, les communautés, et cetera. Cependant, un certain nombre de ces éléments, en matière d'éducation, de soins de santé et de services sociaux, relèvent tout à fait des compétences provinciales et non pas fédérales.
Vous dites qu'il y a dans le projet de loi C-2 des dispositions législatives fédérales qui pourraient exercer une influence négative sur certains de ces facteurs. En dépit de cela, je voudrais savoir si vous-même et votre organisation avez travaillé avec la province d'Ontario pour donner davantage de soutien dans les domaines de la santé, des services sociaux et de l'éducation?
M. Miller : L'African Canadian Legal Clinic a un programme, le Programme de justice pour adolescents afro- canadiens, qui aide les jeunes contrevenants afro-canadiens à se retrouver dans le système de justice. Des travailleurs sociaux spécialisés en réinsertion sociale leur viennent en aide à cet égard, et il y a aussi des travailleurs auprès des tribunaux.
Souvent, nous constatons que beaucoup d'Afro-Canadiens ne savent pas où s'adresser pour remplir des formulaires, ne connaissent pas le fonctionnement du système de cautionnement, et cetera. Une fois dans le système de justice, ils ignorent comment composer avec tout cela. Souvent, un travailleur social auprès des tribunaux du Programme de justice pour adolescents afro-canadiens peut répondre à certaines questions et veille à ce que les jeunes disposent d'un avocat qui comprend les circonstances particulières et les difficultés d'un accusé Afro-Canadien.
J'espère que cela répond en partie à votre question plus générale au sujet des services sociaux et de l'éducation. Les travailleurs auprès des tribunaux dans le cadre de ce programme et, dans une moindre mesure, les travailleurs spécialisés en réinsertion sociale, déploient des efforts pour être utiles à cet égard. L'objectif est évidemment la réinsertion sociale et aussi des mesures préventives pour s'assurer que de simples petits démêlés avec la loi ne débouchent pas à un moment donné sur des problèmes plus importants.
Le sénateur Oliver : Le sénateur Fraser vous a demandé des statistiques sur les délinquants violents qui sont noirs et emprisonnés à l'heure actuelle et vous n'aviez pas ce chiffre. Pourriez-vous vérifier quelque part et voir si vous pouvez nous trouver ces chiffres?
M. Miller : Je vais certainement le faire.
Le sénateur Oliver : Cela m'intéresserait particulièrement de connaître également le pourcentage de détenus noirs dans les prisons de Toronto, et le nombre de ces détenus.
La présidente : Merci, sénateur Oliver. En fait, j'avais demandé des statistiques sur les délinquants dangereux, ceux qui ont fait l'objet d'une désignation. Cependant, il serait également intéressant de connaître les chiffres pour les délinquants violents. Si vous pouviez aller aux renseignements pour nous deux, ce serait apprécié.
Le sénateur Campbell : Vous avez dit qu'il y a une corrélation claire entre la dégradation des familles et des communautés noires et l'incarcération de l'un des adultes de la famille ou des deux. Est-ce exact?
M. Miller : Oui, c'est exact.
Le sénateur Campbell : Est-ce que cela est conforme à ce que nous savons déjà pour avoir étudié l'expérience aux États-Unis?
M. Miller : Oui, c'est exact.
Le sénateur Campbell : Ce qui m'inquiète, c'est qu'actuellement, nous en sommes à un taux d'incarcération plus élevé de 300 p. 100 pour les hommes noirs et à peu près autant pour les femmes noires, en comparaison des Caucasiens dans notre pays. Ma plus grande inquiétude est que nous atteignions le niveau des États-Unis, soit un taux 6,2 fois plus élevé, ou 600 p. 100 plus élevé que celui des Caucasiens.
Au lieu de l'incarcération, quelles mesures pouvons-nous prendre immédiatement pour contrer la violence que nous constatons dans la communauté noire? En guise de préambule à ma question, je précise que je suis de Vancouver et que je constate la même violence dans la communauté indo-canadienne, impliquant des jeunes hommes du même groupe d'âge et des armes à feu. Je ne connais pas la réponse à cette question. Peut-être avez-vous une solution à proposer à ce problème, autre que l'incarcération.
M. Miller : Souvent, beaucoup de programmes sociaux qui sont créés pour aider à réduire la violence dans les communautés sont efficaces. Quoique, quand j'utilise l'expression « programmes sociaux », je tiens à préciser que, de nos jours, de tels programmes sont souvent culturellement spécifiques, en ce sens que beaucoup de gens qui travaillent avec les jeunes Afro-Canadiens sont eux-mêmes Afro-Canadiens, ou bien ont fait un effort pour mieux les informer de leurs antécédents et pour les rejoindre à ce niveau. Vous devez avoir entendu dire que l'approche du programme uniforme et applicable à tous ne fonctionne jamais.
Du point de vue de l'ACLC, pour réduire la violence dans l'immédiat, la solution consiste en partie à mettre en oeuvre dans ces communautés un éventail de programmes différents qui sont culturellement spécifiques et pertinents. Je crois que cela permettrait de progresser énormément.
La difficulté réside en partie dans le fait que, quand on se penche sur l'histoire de notre pays, il n'y a pas eu beaucoup de recherches et d'efforts à ce niveau jusqu'à récemment. Heureusement, les recherches auprès des communautés autochtones et des Premières nations ont été très utiles pour les aider à faire de la prévention et pour répondre aux besoins culturellement spécifiques de cette communauté.
D'après l'expérience de l'ACLC, c'est un élément qui commence seulement à émerger dans la communauté afro- canadienne. Nous soutenons assurément qu'il faut intensifier les efforts à ce niveau, non seulement les programmes, mais aussi les recherches pour voir ce qui fonctionne concrètement.
Je connais le dossier de l'African Canadian Legal Clinic et je ne veux pas trop m'en éloigner. Nous avons un comité consultatif des jeunes et aucun membre de ce comité n'a plus de 25 ans. Ce sont des jeunes de ces communautés qui savent ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans leur milieu.
Je ne pourrais même pas prétendre pouvoir vous dire exactement ce qui fonctionne pour un jeune de 16 ans dans une telle situation. Cependant, je sais que ce sont là certains moyens concrets, pratiques et efficaces pour faire diminuer la violence que nous constatons dans ces communautés.
Le sénateur Campbell : A-t-on envisagé des programmes de mentorat et de modèles de comportement? J'offre le sénateur Oliver comme exemple de modèle de comportement. Cela existe-t-il ou a-t-on réfléchi à cette possibilité?
M. Miller : D'après l'expérience de l'ACLC, on y a réfléchi et c'est encore envisagé. Nous sommes confrontés à un manque de fonds pour beaucoup de ces programmes. Dans le cadre du programme de mentorat et de modèles de comportement, des gens rencontrent fréquemment de jeunes Afro-Canadiens pour les aider à faire leurs devoirs ou simplement pour se livrer à des activités de loisirs, et cetera, mais le budget de ces programmes n'est pas suffisant pour leur permettre d'être en activité pendant dix ans. Les programmes existent pendant deux ans puis disparaissent faute d'argent.
Le financement est très sporadique. Souvent, pour de tels programmes, nous faisons une demande de subvention. Par conséquent, quand nous obtenons une subvention pour le programme, elle est valable pour deux ans, après quoi nous devons présenter une nouvelle demande. Cependant, les priorités des organismes subventionnaires ont maintenant changé, malheureusement, de sorte que nous ne recevons plus cet argent et le programme doit être abandonné.
D'après l'ACLC, cela semble être une grande part du problème. Par conséquent, pour répondre à votre première question, oui, cela a été essayé et se fait encore actuellement, mais à vrai dire, le financement continu manque cruellement.
Le sénateur Campbell : Après que le sénateur Stratton ait mentionné hier l'article de Dan Hill dans le magazine Maclean's, je me le suis procuré et je l'ai lu. C'est épouvantable. C'est tragique que des gens se retrouvent dans cette situation.
Le sénateur Andreychuk : Pour faire suite à la question du sénateur Campbell — je crois que c'est une question importante sur laquelle nous devons nous pencher — ai-je raison de dire que vous êtes venu aujourd'hui et que vous nous avez décrit la situation de votre clientèle au Canada? Vous dites qu'il n'y a pas assez de recherche et que nous n'en tenons pas compte, qu'il y a du racisme, un manque d'attention et de traitement. Vos observations portent-elles sur le système de justice dans son ensemble, et non pas certaines dispositions en particulier du Code criminel? Vous êtes d'avis que c'est ainsi que la justice est appliquée aux Afro-Canadiens.
M. Miller : J'espère que, dans mon exposé, j'ai ciblé un peu plus étroitement l'incidence des peines minimales. Il est généralement admis qu'il existe un racisme systémique contre les Afro-Canadiens dans le système de justice criminelle au Canada. La Cour suprême l'a dit et cela figure aussi dans de nombreux rapports.
L'intervention d'aujourd'hui visait à dire que ces peines minimales entraîneront seulement une aggravation de l'inégalité, de la discrimination et de la marginalisation des Afro-Canadiens en augmentant le nombre d'Afro- Canadiens qui entrent dans le système de justice criminelle, rendant ainsi encore plus disproportionné le nombre d'Afro-Canadiens dans le système carcéral canadien.
Le sénateur Andreychuk : Les peines minimales proposées dans le projet de loi que nous étudions sont rendues parfois plus sévères, mais des peines minimales ont été imposées auparavant, en particulier dans les années 1990. Avez- vous des statistiques sur ces peines et sur les répercussions qu'elles peuvent avoir eues sur la communauté?
M. Miller : Je n'ai pas de statistiques précises montrant quelles en ont été les répercussions sur la communauté. On constate déjà la présence d'un nombre disproportionné d'Afro-Canadiens dans le système de justice, et nous avons les statistiques de la commission de l'Ontario sur le taux d'incarcération pour infractions impliquant des armes, et cetera.
J'espère qu'à certains égards, même en l'absence de statistiques, parfois attribuable au fait que des recherches n'ont pas été faites, nous pouvons quand même, sinon tirer une conclusion, du moins poser une hypothèse bien fondée selon laquelle il y a quelque chose qui cloche.
Le sénateur Andreychuk : Le sénateur Campbell a évoqué l'article de Maclean's et a dénoncé la violence. Vous parlez des peines minimales obligatoires, mais vous n'avez pas fait de commentaires là-dessus. Si nous avons des délinquants violents récidivistes, peu importe qui ils sont et d'où ils viennent, et si le reste du système a échoué à les remettre dans le droit chemin, ou peut-être ne leur avons-nous pas accordé l'attention voulue, et nous nous retrouvons avec des délinquants violents récidivistes, et l'on nous dit que 90 p. 100 d'entre eux sont des agresseurs sexuels dont les victimes ne cessent de se multiplier.
Puisque vous dites que votre communauté est frappée de façon disproportionnée, quelle solution proposez-vous pour les membres de votre communauté qui sont actuellement des délinquants violents récidivistes? Je ne parle pas de ceux que nous pourrions empêcher, mais de ceux qui sont déjà au point où les tribunaux et les collectivités doivent les considérer comme violents et récidivistes.
M. Miller : En pareils cas, premièrement, on a d'abord insisté, comme point de départ, sur le racisme anti-Noirs qui est présent dans le système de justice criminelle et l'on s'est penché sur les décisions de la police d'arrêter et d'accuser ces personnes. C'est ce qui les introduit dans le système, où ils sont ensuite incarcérés et exposés à une situation encore plus sévère avant qu'ils soient de nouveau relâchés. L'espoir est qu'il puisse y avoir d'autres options pour les récidivistes, dans une tentative pour enrayer ce comportement.
Pour les communautés afro-canadiennes, ou à vrai dire pour n'importe quelle autre communauté, il est clair que la solution ne consiste pas simplement à incarcérer de nouveau, parce que cela ne va pas dissuader ni neutraliser la personne, ni dissuader quiconque est témoin de la situation de cette personne. Nous, dans notre pays, devons mettre à l'essai une solution différente pour enrayer ce fléau parce que nous savons que si nous les remettons derrière les barreaux, cela ne fera rien.
Le sénateur Andreychuk : Cet argument s'appliquerait à tous les délinquants violents et récidivistes, si nous avions fait quelque chose auparavant.
Dans chaque communauté, nous devons contrer les délinquants récidivistes et violents pour assurer la sûreté publique, car c'est un fait que nous ne devons pas rendre les personnes innocentes encore plus vulnérables qu'elles ne devraient l'être. Quand nous traitons avec les délinquants, nous prenons un risque et nous mettons dans la balance leurs droits et leurs responsabilités. Cependant, nous devons également tenir compte du reste du système de justice.
Est-ce que vous dites que si nous arrêtons aujourd'hui, il y aura des délinquants récidivistes et violents dont nous ne savons tout simplement pas que faire? Qu'en ferons-nous, si ce n'est pas la solution que recherchent désespérément les gouvernements successifs pour contrer les délinquants violents et récidivistes?
M. Miller : Encore une fois, pour la communauté afro-canadienne, nous essayons toujours de revenir à ce qui se passe concrètement dans certains cas, qu'il s'agisse de profilage racial ou de stéréotypes qui ont provoqué l'entrée de certaines personnes dans le système de justice; et maintenant, elles sont connues de la police et cela devient un cercle vicieux.
L'objet de ces dispositions du projet de loi n'est pas d'introduire la misère affreuse et la racialisation de la pauvreté et je ne m'aventurerai pas sur ce terrain. Je veux m'assurer que c'était clair pour ce qui se passe dans la communauté quand on amorce ce cercle vicieux.
Quant à savoir ce qu'il faut faire des délinquants récidivistes et violents, c'est une décision difficile que doivent prendre les législateurs et le pays. La solution qui consiste à les enfermer ne nous aide aucunement. Peut-être nous faut- il un ensemble de programmes. Enfermons-les, mais pendant leur détention, ayons des programmes culturellement spécifiques pour les aider, et ensuite donnons-leur le soutien communautaire voulu après leur élargissement. Ce n'est pas mon domaine de spécialité, je ne connais pas toutes les options possibles.
Nous savons que, pour les Afro-Canadiens, le problème tient en grande partie à l'entrée dans le système de justice, qui découle du racisme systémique au départ; et cette dissuasion et cette neutralisation par l'enfermement, autant dans notre pays qu'au sud de la frontière, n'ont pas fonctionné.
De revenir en arrière pour essayer cela de nouveau ne fera que nous ramener ici dans quelques années pour nous demander encore une fois : Qu'allons-nous faire?
Le sénateur Andreychuk : Vous nous avez donné des statistiques stupéfiantes. Vous dites qu'environ 90 p. 100 des ménages sont monoparentaux.
M. Miller : Non, 90 p. 100 des ménages monoparentaux dans la communauté noire sont dirigés par des femmes noires.
Le sénateur Andreychuk : Je trouve difficile d'envisager la charge que ces femmes doivent assumer — s'occuper de leurs enfants, d'elles-mêmes et de tout le reste. Je savais que c'était lourd, mais je ne savais pas que ce l'était à ce point.
Si vous avez un chiffre précis là-dessus, ce serait utile — pas seulement pour ce dossier-ci, mais pour d'autres aussi.
Je connais Toronto et la communauté qu'on y trouve. Il y a des éléments positifs au sein de la communauté quant aux efforts déployés pour s'attaquer à ces problèmes. Pouvez-vous nous en énumérer quelques-uns pour que nous ayons une idée de ce que fait la communauté pour s'aider elle-même, à part la sensibilisation que représente votre présence ici aujourd'hui? Quels sont les programmes? Toronto est en proie à la violence depuis deux ans. Nous avons entendu des chefs de file qui son venus nous dire qu'ils ont un rôle à jouer dans la solution de ce problème.
Ce serait une bonne chose que vous nous donniez publiquement votre point de vue là-dessus.
M. Miller : Je veux une précision : des statistiques sur quels programmes?
Le sénateur Andreychuk : Vous travaillez avec des jeunes gens en situation de délinquance ou qui ont des difficultés à l'école ou qui ont des liens avec des gangs et sont armés, et cetera.
Nommez-nous quelques initiatives nouvelles émanant de la communauté pour s'attaquer à ces problèmes. Je sais qu'il y en a.
M. Miller : Je peux vous parler plus précisément des programmes de l'African Canadian Legal Clinic. Comme je l'ai dit tout à l`heure, le Programme de justice pour adolescents afro-canadiens comporte des travailleurs auprès des tribunaux et des travailleurs spécialistes de la réinsertion sociale qui travaillent avec les jeunes accusés — certains n'ont pas été trouvé coupables — pour comprendre la situation et veiller à ce qu'ils aient de bons avocats. Il y a aussi ceux qui, après avoir été trouvés coupables ou bénéficié de sanctions extra-judiciaires, bénéficient d'un travailleur social spécialiste de la réinsertion qui travaille avec eux pour démêler les problèmes et les aider à redevenir membres productifs de la société.
La clé, pour ces travailleurs sociaux, c'est d'écouter les jeunes et de leur dire : « Bon, toi et moi, nous sommes semblables et voici ce qui se passe. »
L'African Canadian Legal Clinic a un autre programme appelé le Programme de justice afro-canadien, qui travaille avec des adultes accusés d'infractions mineures. Il y a divers programmes qui aident à la réinsertion, informant les gens des droits des victimes, les renseignant sur ce qui s'est passé en pareil cas, sur les mesures qu'ils peuvent prendre pour améliorer leur situation et sur les raisons pour lesquelles ils en sont là.
Ce programme est un peu plus petit que le Programme de justice pour adolescents afro-canadiens, qui compte des travailleurs auprès des tribunaux et des travailleurs chargés de la réinsertion. Les programmes sont tout à fait spécifiques culturellement. Le message est qu'ils ne doivent pas avoir honte de leur histoire : il y a eu de l'esclavage ici, vous devez comprendre tout cela et voici votre histoire.
Il s'agit de donner aux gens ce qu'ils n'ont parfois pas eu à l'école, de leur inculquer bien souvent un peu d'estime de soi. Il arrive qu'ils ne puissent comprendre certains programmes parce qu'ils ne sont pas pertinents pour eux. J'espère avoir répondu à vos questions.
Il y a d'autres programmes. Cependant, je ne voudrais pas parler à tort et à travers et c'est pourquoi je parle seulement de ceux que je connais et que la clinique dirige.
La présidente : Monsieur Miller, estimez-vous que le projet de loi C-2 est constitutionnellement valide, ou bien est-il vulnérable aux contestations fondées sur la Charte?
M. Miller : D'après ce que j'ai lu dans les médias de la part de divers avocats criminalistes, je sais qu'il sera contesté. En particulier, les criminalistes vont probablement se bousculer pour contester les dispositions sur l'inversion du fardeau de la preuve.
On a beaucoup parlé de la Cour suprême et de l'inversion du fardeau de la preuve pour les infractions en matière de drogues, il y a un certain nombre d'années, et du fait que cette loi avait résisté à cette contestation constitutionnelle. Je ne suis pas nécessairement convaincu qu'elle résistera cette fois-ci à un deuxième assaut, dans des circonstances appropriées et devant des faits solidement établis.
Quand l'ACLC plaide dans un litige faisant jurisprudence, notre travail est en grande partie fondé sur la Charte, et nous utilisons l'article 15 de toutes les façons possibles.
Comme je l'ai dit au sujet du fardeau inversé, bien souvent, dans le cas d'un accusé afro-canadien, nous examinons les dispositions sur l'égalité, l'application régulière de la loi et tenons compte du fait qu'un nombre disproportionné d'Afro-Canadiens se voient refuser la libération sous caution, et nous nous demandons s'il y a lieu de tenir compte de l'article 15 dans cette analyse.
En un mot, c'est difficile à dire. Je sais que les avocats vont s'essayer.
La présidente : Que font-ils d'autre?
M. Miller : Tout dépend des faits dans chaque cas particulier et aussi de l'identité du juge qui préside l'affaire. Comme nous le savons tous, dans une affaire comme celle-là, on interjettera appel jusqu'au bout.
La loi sera contestée et, si les faits s'alignent correctement, il pourrait y avoir des changements.
La présidente : Nous avons discuté longuement — pas seulement avec vous, mais avec beaucoup d'autres témoins — des programmes de base dans les prisons, des programmes post-libération et d'autres programmes. Il y a un programme destiné aux Afro-Canadiens dans les prisons; cependant, je ne sais pas dans quelle mesure il est bon, efficace ou généralisé. Pouvez-vous me donner une meilleure idée de la situation?
De plus, une chose me frappe : comme vous l'avez dit, il n'y a pas de solution applicable uniformément, et la population noire du Canada est quasiment aussi diversifiée que l'ensemble de la population canadienne. Si l'on compare quelqu'un qui est arrivé ici l'année dernière en provenance d'Haïti, un musulman du nord du Nigeria et un membre des communautés noires canadiennes traditionnelles qui existent chez nous depuis deux siècles ou plus, comment peut-on mettre au point un programme qui répondra aux besoins culturels spécifiques? Vous avez parlé d'un programme culturel spécifique qui répond à tout cela. Que fait-on? C'est une population qui a effectivement des besoins spéciaux. J'essaie de comprendre comment, si nous sommes réalistes, nous pouvons nous attendre à ce que les services correctionnels répondent efficacement à tous ces besoins.
M. Miller : Pour ce qui est de l'étendue des programmes disponibles, en fait, l'un de mes collègues a fait il y a quelques mois un exposé devant un groupe des services correctionnels. Je ne peux pas me prononcer là-dessus parce que je ne suis pas au fait de tous les détails de ce dossier, mais je sais que l'African Canadian Legal Clinic possède des renseignements sur ce qui se fait dans ce domaine. C'est à mon bureau.
Sur la deuxième question, je suis entièrement d'accord avec vous. La communauté afro-canadienne n'est pas monolithique. Il y a beaucoup de gens de la diaspora. Quand on examine le racisme systémique et ce qui se passe avec le profilage racial et le pouvoir discrétionnaire des procureurs, il faut comprendre qu'en fin de compte, tout le monde ne voit que des Noirs. Personne ne demande : « Venez-vous du Nigeria ou bien êtes-vous né au Canada? » C'est comme si l'on disait : « Vous avez la peau noire, vous avez peut-être causé un problème. »
Cela dit, il faut que de nombreux membres de la communauté qui s'intéressent aux services correctionnels se rassemblent et créent un groupe de travail pour élaborer des stratégies à cet égard. Dans certains dossiers dont s'occupe l'ACLC, nous mettons l'accent sur le fait que la diaspora est rassemblée ici et a une histoire commune; il y a l'esclavage, mais il y a aussi autre chose que les Afro-Canadiens savent. Bien qu'ils viennent de différentes régions du monde, ils ont en commun une certaine expérience quant à leur interaction avec le système de justice pénale. Je suis tout à fait certain — je vais me risquer à le dire — que si l'on s'entretient avec des gens, ils pourront dire : « Je ne parle pas votre langue, mais la dernière fois que je me suis promené dans la rue, voici ce qui m'est arrivé. »
Le noeud du problème, pour ces programmes, c'est d'examiner l'expérience vécue par les gens de la diaspora et de trouver une base commune à partir de laquelle on peut essayer de travailler. Comme vous l'avez dit bien souvent, il nous faut des gens qui parlent des langues différentes, pour pouvoir communiquer efficacement. Quand on commence à faire cela de manière concertée, cohérente et déterminée, il nous faut vraiment un groupe de travail pour circonscrire certains de ces problèmes parce que la communauté afro-canadienne n'est assurément pas monolithique.
La présidente : Je vous remercie en particulier pour votre patience infinie face à notre horaire variable. Les sénateurs ne savent peut-être pas tous que l'heure de comparution de M. Miller a été modifiée plusieurs fois. Il a fait tout son possible pour se plier à nos exigences. Nous vous en remercions, et aussi pour votre exposé extrêmement intéressant, utile et instructif.
Le sénateur Oliver : Avant que vous leviez la séance, pourrais-je vous interroger sur les témoins que nous entendrons lundi? Obtiendrons-nous cette liste?
La présidente : Je pensais que la liste vous avait été remise hier. Nous comptons entendre le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes, le Canadian Centre for Abuse Awareness, le Service de police de Toronto, l'Association canadienne des chefs de police, le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies et l'Association des droits civils de Colombie-Britannique. Ce sera une journée chargée.
Le sénateur Oliver : À la fin de la séance, passerons-nous à l'étude article par article?
La présidente : Le comité directeur ne s'est pas réuni, mais cela m'étonnerait que nous fassions cela à la fin d'une aussi longue journée lundi. Normalement, je ne passe pas immédiatement de l'audition des témoins à l'étude article par article.
Le sénateur Oliver : Mardi à 10 heures, c'est ce qui est prévu?
La présidente : Le comité directeur ne s'est pas réuni, mais c'est évidemment une option qui s'offre à nous et que nous allons examiner.
Le sénateur Oliver : Bon, c'est bien.
La présidente : Nous pourrions peut-être permettre à M. Miller de partir maintenant, si nous devons aborder les travaux futurs du comité; cette discussion a généralement lieu à huis clos.
Le sénateur Stratton : Nous avons maintenant entendu 47 témoins. Lundi, cela nous fera 55 témoins. Cela complète la liste que nous avions. Je compte passer à l'étude article par article mardi à 10 heures.
La présidente : Vous y comptez, n'est-ce pas?
Le sénateur Stratton : Oui, j'y compte. Merci.
La présidente : Merci, sénateur Stratton.
Chers collègues, y a-t-il d'autres points à aborder?
Sinon, je vous remercie tous. Nous venons de vivre trois journées très intenses et très utiles pour nous tous, j'en suis certaine.
La séance est levée.