Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 11 - Témoignages du 25 février 2008 - Séance de l'après-midi
OTTAWA, le lundi 25 février 2008
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 14 h 8 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, nous reprenons notre étude du projet de loi C-2.
Nous avons le plaisir d'accueillir cet après-midi les témoins suivants : du Service de police de Toronto, la sergente- détective Kim Scanlan, Unité des crimes sexuels, Exploitation des enfants/victimes spéciales; de l'Association canadienne des chefs de police, le chef Ian Mackenzie, du Service de police d'Abbotsford; et de la GRC, le sergent d'état-major Mike Frizell, Centre national de coordination contre l'exploitation des enfants.
Merci beaucoup à vous tous d'être des nôtres. Nous attendons avec impatience de vous entendre.
Chef Ian Mackenzie, Service de police d'Abbotsford, Association canadienne des chefs de police : Bonjour, honorables sénateurs. Je suis heureux d'avoir l'occasion de participer à votre audience ici aujourd'hui au nom de l'Association canadienne des chefs de police. Comme cela a été mentionné, je suis le chef du service de police d'Abbotsford, en Colombie-Britannique, et je suis également membre du Comité de modifications aux lois de l'Association canadienne des chefs de police, ou ACCP.
C'est pour moi un très grand honneur de représenter aujourd'hui Steven Chabot, président de l'ACCP, sous- directeur de la Sûreté du Québec.
Depuis sa création en 1905, l'ACCP intervient, pour le compte des nombreuses organisations policières du Canada, dans les dossiers d'importance pour le travail de la police et le public canadien. L'ACCP a, entre autres, pour mission de promouvoir la réforme législative, l'amélioration des politiques et l'adoption de solutions novatrices à la criminalité et aux problèmes intéressant l'ordre public. C'est dans le cadre de son travail de défenseur de réformes législatives et de politiques publiques que l'ACCP comparaît régulièrement, au sujet de quantité d'importants dossiers de sécurité publique, devant des comités du Sénat et de la Chambre des communes.
Les coprésidents du Comité de modifications aux lois, le chef de police adjoint Clayton Pecknold, du Service de police de Saanich Centre, et le directeur adjoint Pierre-Paul Pichette, du Service de police de la ville de Montréal, ont comparu devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, en novembre dernier, pour discuter du projet de loi C-2. Les commentaires que je vous livrerai aujourd'hui refléteront la position étayée par ces deux messieurs devant le comité de la Chambre, étant donné que les opinions de l'ACCP à l'égard du projet de loi C-2 n'ont pas changé depuis.
J'aimerais répéter ici une observation générale qui est faite par les représentants de l'ACCP lorsqu'ils s'entretiennent avec des comités du Sénat ou de la Chambre des communes. C'est simplement ceci. Le droit pénal est selon nous devenu beaucoup trop complexe et technique. Le résultat de cette évolution a été une augmentation marquée du temps qu'il faut à la police pour enquêter sur un crime, ainsi que de la durée des procès. À notre avis, une conséquence de la complexité accrue de la loi a été un recul de la confiance du public à l'égard de tous les éléments du système de justice pénale. Cet état de choses est très troublant pour la police et, je vous le soumets respectueusement, devrait l'être tout autant pour le pouvoir législatif du gouvernement. Si le public perd confiance dans notre système de justice pénale, alors la règle du droit est minée, ou en tout cas risque de l'être.
L'ACCP affirme depuis de nombreuses années que le droit pénal doit être simplifié et que la police doit se faire doter des outils nécessaires, à l'intérieur des paramètres raisonnables découlant de la Charte des droits et libertés, pour faire son travail. Même si le projet de loi C-2 règle certaines de ces préoccupations, ce n'est là qu'une partie de la solution, à notre avis.
L'ACCP exhorte le Parlement de s'attaquer à nombre des autres lacunes systémiques permanentes et graves du système de justice pénale, notamment le besoin urgent de moderniser les règles en matière d'accès autorisé, d'entreprendre une réforme exhaustive de la détermination de la peine et du cautionnement, et d'introduire des mécanismes visant la simplification des méga-procès et de la divulgation.
Cependant, le sujet de l'heure est le projet de loi C-2, et, si vous permettez, j'aimerais prendre quelques minutes pour vous soumettre la position de l'ACCP à l'égard du projet de loi. Je m'efforcerai ensuite de répondre à vos questions.
Comme vous le savez, le titre abrégé du projet de loi C-2 est « Loi sur la lutte contre les crimes violents ». Le préambule du projet de loi énonce une chose qui est sans doute une évidence pour tous les Canadiens :
[...] les Canadiens ont le droit de vivre en sécurité dans la société;
Cependant, le préambule traite plus loin d'une chose que les Canadiens, fort regrettablement, ont dû reconnaître comme étant elle aussi une évidence. Les armes à feu, les délinquants dangereux et à haut risque, les personnes avec capacités affaiblies par l'effet d'une drogue ou de l'alcool menacent la sécurité des Canadiens. Le préambule dit, en conclusion, que le projet de loi a pour objet de lutter contre les crimes violents, de protéger les Canadiens, de maintenir en détention les délinquants violents et d'assurer aux agents chargés d'appliquer la loi des outils efficaces pour la détection et l'enquête des crimes et pour mieux protéger les jeunes personnes contre les prédateurs sexuels.
L'ACCP estime que le préambule du projet de loi C-2 reflète fidèlement l'actuelle situation qui existe au Canada et que son objectif visant à assurer à la police des outils plus efficaces pour protéger les Canadiens est raisonnable et tout à fait logique.
Avec l'indulgence du comité, j'aimerais maintenant faire quelques commentaires au sujet des quatre principaux aspects du projet de loi C-2. Le projet de loi propose, comme vous le savez, de nombreux amendements au Code criminel. Mes observations seront de nature plutôt générale et ne traiteront pas du détail des amendements proposés, que je laisse aux soins des experts et des légistes.
En ce qui concerne, tout d'abord, la question des armes à feu, l'ACCP appuie les dispositions du projet de loi C-2 visant l'usage à des fins criminelles d'armes à feu et d'armes semblables. Nous croyons que la prolifération des armes à feu dans les rues du Canada est alarmante et qu'il est éminemment clair que l'actuelle loi est insuffisante. Comme le savent certainement les membres du comité, Statistique Canada a, la semaine dernière, je pense, produit un rapport mettant en relief la hausse marquée du nombre de crimes mettant en cause des armes à feu qui ont été commis au Canada au cours des dernières années. Constat qui n'est guère étonnant, l'utilisation d'armes à feu à des fins illégales est plus courante dans les grands centres urbains du pays. Cependant, le rapport de Statistique Canada et la simple observation montrent que le problème n'est pas limité à ces zones. Par exemple, la ville d'Abbotsford, où je vis et où je travaille, est une localité d'environ 130 000 habitants, située le long de la limite orientale de la région métropolitaine de Vancouver. Abbotsford est un patchwork d'utilisations urbaines, industrielles, commerciales et agricoles du terrain et, comme c'est le cas de nombreuses localités du pays, elle est bénie d'une beauté naturelle qui projette une image de sérénité et de paix. Pourtant, en 2006, il s'est commis à Abbotsford plus de 126 infractions avec arme à feu et 40 incidents au cours desquels des coups ont été tirés. En 2007, des armes à feu ont joué un rôle dans deux des trois meurtres commis à Abbotsford. Selon le récent rapport de Statistique Canada dont je viens de faire état, cela classe Abbotsford au deuxième rang sur 27 zones métropolitaines recensées pour la catégorie des homicides commis avec une arme à feu, tout juste derrière Edmonton.
On a récemment relevé, dans la région métropolitaine de Vancouver, plusieurs meurtres par balle perpétrés en lieu public. Il s'est passé la même chose à Toronto et dans d'autres collectivités canadiennes, comme tout le monde le sait. L'on a beaucoup parlé dans la presse de la tragédie des personnes innocentes qui ont perdu leur vie sous le feu croisé. Le meurtre le lendemain de Noël d'une adolescente de 15 ans dans une rue torontoise en 2005, et ceux d'Ed Schellenberg et Chris Mohan, à Surrey, en Colombie-Britannique, le 19 octobre 2007, sont des exemples de telles tragédies, mais ils sont loin d'être les seuls.
Cette activité criminelle éhontée, dont la plupart est le fait d'organisations criminelles, porte atteinte au tissu même de notre culture nationale, qui en est une de paix, d'ordre et de bon gouvernement. Le Service de police de Vancouver et les forces policières de la région de Vancouver, y compris d'Abbotsford, ainsi que les services de police de nombreuses autres régions du pays, ont créé des unités de lutte contre les armes à feu et de suppression des gangs qui ont connu un certain succès en réduisant le nombre d'armes à feu dans nos rues. Cependant, à notre avis, trop souvent, les personnes qui sont arrêtées avec des armes à feu sur leur personne ne font pas de prison.
Même si le projet de loi C-2 ne sera pas la réponse complète, l'ACCP appuie les peines d'emprisonnement minimales obligatoires et le renversement du fardeau de la preuve lors d'audiences sur la libération sous caution pour infraction avec armes à feu, dans les cas surtout où le crime est lié à une organisation criminelle, car nous estimons que les pratiques actuelles du judiciaire en matière de détermination de la peine et de cautionnement ne protègent pas suffisamment le public.
L'ACCP appuie les dispositions du projet de loi C-2 pour ce qui est de la conduite avec facultés affaiblies. L'actuelle loi est clairement insuffisante à l'égard des personnes dont les facultés sont affaiblies par une drogue autre que l'alcool. L'autorisation de l'exécution de vérifications sur place de coordination et de dépistage de drogues et l'obligation que les conducteurs aux facultés affaiblies fournissent des échantillons d'urine ou de sang assureront à la police des outils supplémentaires pour protéger le public contre le danger posé par ces conducteurs aux facultés affaiblies.
L'ACCP appuie également les dispositions du projet de loi C-2 visant à limiter les moyens de défense techniques. Cependant, nous croyons qu'il importe de faire davantage encore à l'égard de ce problème continu de conduite avec facultés affaiblies et d'utilisation dangereuse de véhicules sur nos routes.
Premièrement, la conduite avec facultés affaiblies est l'un de ces volets de la loi qui est devenu extrêmement complexe, et dont j'ai fait état plus tôt. Pour que la loi soit efficace, il lui faut être simplifiée. L'ACCP a récemment déposé auprès du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes un rapport renfermant plusieurs recommandations en vue d'améliorations possibles aux dispositions du Code criminel en matière de conduite en état d'ébriété, et nous envisageons avec plaisir de discuter en temps et lieu de ces recommandations.
L'ACCP appuie les dispositions du projet de loi C-2 modifiant les articles du Code criminel relatifs aux contrevenants dangereux et à contrôler. Bien que les amendements soient de nature plutôt procédurale, débordant ainsi de nos compétences, nous appuyons solidement le Parlement dans sa réponse à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Johnson.
Plus précisément, l'ACCP appuie fermement un changement au critère devant être appliqué parle juge lorsqu'il doit choisir entre détenir un contrevenant sous garde en vertu des dispositions visant les contrevenants dangereux et émettre une ordonnance de surveillance de longue durée, le contrevenant purgeant sa peine dans la collectivité.
L'ACCP est d'avis que la sécurité publique sera meilleure du fait du remplacement de l'actuel critère, en vertu duquel le contrevenant doit être libéré au titre d'une ordonnance de surveillance de longue durée si la cour estime qu'il pourra être raisonnablement contrôlé au sein de la collectivité, par le nouveau critère, en vertu duquel est ordonnée une détention de durée indéterminée à moins que la cour ne soit convaincue que l'ordonnance de surveillance de longue durée protégerait suffisamment le public contre la commission par le contrevenant d'une nouvelle infraction causant des lésions corporelles graves.
Le resserrement des règles relatives aux ordonnances de surveillance de longue durée, tel que proposé dans le projet de loi C-2, servira également, à notre avis, à mieux protéger le public contre ces personnes dangereuses ayant, de par leur comportement passé, prouvé qu'elles sont capables de blesser sérieusement ou encore de tuer autrui.
L'ACCP appuie la disposition du projet de loi C-2 qui accroît l'âge de consentement, le faisant passer de 14 à 16 ans. À notre avis, le régime proposé dans le projet de loi protège comme il se doit les jeunes gens d'âges proches et pouvant s'adonner à des activités sexuelles, tout en assurant une protection supérieure aux jeunes gens vulnérables et facilement influencés et qui sont souvent la cible de prédateurs sexuels.
En conclusion, le projet de loi C-2 est un projet de loi d'importance, renfermant de nombreuses modifications au Code criminel ainsi qu'à d'autres lois. Les questions de libellé, à proprement parler, sont davantage, bien sûr, le propre des experts et des rédacteurs de lois, mais je compte que mes commentaires auront étayé la position générale de l'ACCP sur ces questions importantes.
Je tiens, au nom de l'ACCP, à remercier le comité de l'occasion qui nous a été ici donnée de lui exposer notre position sur ces importantes questions pour la sécurité du public.
Sergente-détective Kim Scanlan, Unité des crimes sexuelles, Exploitation des enfants/victimes spéciales, Service de police de Toronto : Bonjour. Merci de l'invitation à venir comparaître devant le comité au sujet du projet de loi C-2, pour vous entretenir plus particulièrement de l'aspect âge de protection. Le Service de police de Toronto a identifié la protection des personnes vulnérables, et tout particulièrement des femmes et des enfants, comme l'une de nos principales priorités en matière de service. Avec une population de plus de 2,4 millions de personnes, auxquelles s'ajoutent chaque année à Toronto des millions de banlieusards et de visiteurs, nous répondons à des centaines de milliers d'appels.
J'aimerais partager avec vous certaines des expériences du Service de police de Toronto, notamment dans les domaines qui relèvent de moi : la Section de l'exploitation des enfants et la Section des victimes spéciales. Ces deux services sont responsables des enquêtes relatives aux crimes sexuels contre des enfants, y compris les crimes facilités par Internet et la prostitution de rue.
La responsabilité première de ces deux sections est d'identifier et de récupérer les enfants, pour ensuite les renvoyer en milieu sûr. Notre appui en faveur des propositions que renferme le projet de loi relativement à l'âge de protection vise principalement l'amélioration de l'identification et de la mise en accusation d'adultes qui choisissent d'exploiter sexuellement les enfants. Notre appui en faveur de ces changements ne vise pas la criminalisation de l'activité sexuelle entre jeunes gens.
En quoi les jeunes âgés de 14 et 15 ans sont-ils vulnérables? J'aimerais discuter de cela avec vous.
L'on relève un accès accru à Internet et sa plus grande utilisation. Les jeunes gens habitent le monde d'Internet et du réseautage social, alors que ce n'est pas le cas de la plupart de leurs parents. Les parents ne savent pas toujours où leurs enfants se rendent en ligne, ni avec qui ils s'entretiennent. Ils ne veulent pas que leurs enfants parlent avec des étrangers, mais sur Internet, la chose est presque impossible à empêcher.
Les prédateurs sexuels ont une connaissance approfondie des ordinateurs et de la technologie. Ils consacrent énormément de temps à poursuivre leur fantasme d'avoir une relation sexuelle avec une jeune personne. Les prédateurs sexuels font partie de réseaux regroupant des individus de même prédilection et aux talents de séduction et de leurre aiguisés. Ces aptitudes peuvent déboucher sur abus et exploitation sexuels.
D'autres preuves de la vulnérabilité de ce groupe d'âge m'ont été fournies par certains des agents banalisés les plus chevronnés du Canada. Ces agents, présents dans plusieurs provinces, ont passé des années en ligne à se faire passer pour des jeunes âgés de 12 ou 13 ans. Ils confirment que le bas âge de consentement au Canada est discuté ouvertement par les prédateurs sexuels en séance de clavardage entre pairs. Le Canada a été identifié comme destination de tourisme sexuel. Des prédateurs sexuels ont ouvertement cherché des occasions de rencontrer et d'avoir des relations sexuelles avec de jeunes adolescents canadiens des deux sexes.
Les agents banalisés continuent de rapporter que, dans près de 100 p. 100 des cas, lorsqu'ils se font passer en ligne pour des jeunes de 12 ou 13 ans, les conversations qui sont entamées avec eux sont très vite axées sur le sexe. Bien des fois, ce virage est opéré en moins d'une minute.
Certains prédateurs qui croyaient qu'ils s'entretenaient véritablement avec une fille ou un garçon de 12 ou 13 ans ont essayé de maintenir la relation avec l'agent banalisé pendant plusieurs mois, en attendant que le jeune atteigne l'âge de consentement, soit 14 ans.
L'an dernier, j'ai fourni au comité permanent de la Chambre des renseignements au sujet des taux de vulnérabilité et de victimisation des jeunes de 14 et 15 ans, en utilisant des données de 2005 et 2006 puisées dans les rapports d'agressions sexuelles et de personnes disparues. Ces statistiques proviennent du Service de police de Toronto. Aux fins de ma comparution aujourd'hui, j'ai également pu ajouter les statistiques pour 2007.
Si l'on réunit toutes les victimes, des diverses catégories, âgées de moins de 18 ans, plus de 70 p. 100 des contrevenants étaient des adultes. Les jeunes de 14 et 15 ans représentent la plus grosse proportion de toutes les agressions sexuelles rapportées, et ce pour toutes les catégories d'âge. Le groupe d'âge suivant, en importance, était celui des jeunes de 13 ans.
Avec l'adoption du projet de loi, les victimes d'agressions sexuelles âgées de 14 et 15 ans n'auraient pas à subir d'office un contre-interrogatoire au sujet de la question de leur consentement, mais seulement pour déterminer s'il y a eu acte sexuel. L'élimination de cette barrière encouragerait peut-être davantage de victimes à porter plainte.
Les jeunes âgés de 14 et 15 ans sont le plus important groupe en ce qui concerne les déclarations de personne disparue. Il y a, à tout moment, des centaines d'adolescents vulnérables âgés de 14 ou 15 ans qui s'enfuient de chez eux pour se rendre dans de grandes villes comme Toronto. Ces jeunes tombent alors victime de prédateurs sexuels qui veulent profiter d'eux. Les membres de gangs et du milieu du crime organisé recrutent les fugueurs et les utilisent pour le trafic de drogues et le commerce du sexe. Comptent parmi ces jeunes des adolescents canadiens et étrangers qu'on force par la ruse ou en usant de coercition et qui deviennent victimes du trafic de personnes. La plupart des jeunes prostituées sont bien cachées et travaillent à partir de maisons de débauche qui ne sont pas faciles à repérer.
En portant l'âge de consentement à 16 ans, l'on offrira une certaine protection aux plus jeunes adolescents pouvant se trouver dans des situations vulnérables. Il serait plus difficile d'obtenir qu'ils se plient à des exigences sexuelles, et ceux qui exploitent les jeunes auraient alors à faire face à de nouvelles conséquences légales.
L'exploitation sexuelle est un crime sous-déclaré. Les crimes hors ligne et les crimes en ligne facilités par Internet perpétrés contre des enfants au Canada sont très sous-déclarés. L'on estime que seuls entre 10 et 25 p. 100 des agressions sexuelles et des cas d'abus sexuel d'enfants et d'adultes sont déclarés à la police.
Dans les cas de leurre, la majorité des contrevenants corrompent les jeunes gens au moyen de conditionnement, soit sur Internet, soit lors de contacts personnels. Les garçons et les filles, surtout lorsqu'ils sont jeunes adolescents, sont souvent conditionnés à consentir à un acte, qu'il s'agisse de poser nu, d'exposer leurs seins ou leurs organes génitaux, ou de rencontrer quelqu'un pour des actes sexuels. Ils sont trop jeunes pour évaluer ces actes, pour s'en protéger et, donc, pour y consentir, et c'est pourquoi il importe de modifier la loi.
Le Canada doit être plus proactif pour ce qui est de protéger les personnes vulnérables, et tout particulièrement les femmes et les enfants. La police ne peut à elle seule pas protéger les jeunes contre tous les maux. L'exploitation sexuelle sous quelque forme que ce soit est inacceptable et doit être empêchée, en utilisant toutes les ressources dont nous disposons.
Le comité sénatorial a le pouvoir et les moyens d'apporter à la loi d'importants changements en vue d'améliorer la sécurité et de diminuer la vulnérabilité des jeunes gens.
En tant que parent de deux adolescents, ce projet de loi est tout particulièrement important pour moi, car cela aidera à les protéger. En tant qu'agent de police, l'adoption du projet de loi C-2, et notamment ses dispositions en matière d'âge de consentement, sera un pas dans la bonne direction et un outil de plus pour aider les forces de l'ordre à assurer la sécurité de nos enfants.
Sergent d'état-major Mike Frizell, Centre national de coordination contre l'exploitation des enfants, Gendarmerie royale du Canada : Madame la présidente, honorables sénateurs, merci beaucoup de l'occasion qui m'est ici donnée de comparaître devant vous aujourd'hui. Je suis responsable des opérations du Centre national de coordination contre l'exploitation des enfants ici, à Ottawa. Est au cœur de notre mission la Stratégie nationale pour la protection des enfants contre l'exploitation sexuelle sur Internet dont s'est doté le pays.
Une partie de notre responsabilité comme centre national est de suivre l'évolution qui s'opère dans notre société afin que nos efforts de prévention et d'application de la loi soient alignés et efficaces. Nous traitons dans ces dossiers avec toutes les forces de police du pays. Dans le cadre de ce rôle, nous consultons régulièrement membres des collectivités, agents frontaliers, travailleurs sociaux et de la santé, enquêteurs de police, et tous ceux qui sont responsables d'enquêter sur l'exploitation sexuelle facilitée par Internet.
Je peux, sur la base de cette consultation, vous dire qu'augmenter l'âge de la protection en ce qui concerne l'activité sexuelle a souvent été identifié comme étant un amendement législatif souhaitable. Vous venez tout juste d'entendre la sergente-détective Scanlan vous parler de certains chiffres et du fait que les jeunes âgés de 14 à 15 ans représentent le plus important groupe de victimes d'agression sexuelle.
Nous appuyant sur notre expérience collective, nous croyons que l'âge actuel de protection, qui est de 14 ans, est une entrave d'importance à nos efforts visant à protéger les enfants, surtout ceux âgés de 14 et 15 ans, contre l'exploitation sexuelle. Il est toujours préférable de prévenir le crime plutôt que d'enquêter une fois les dommages causés.
Nous croyons que l'amendement à l'étude aujourd'hui facilitera grandement la prévention, la dissuasion et, le cas échant, l'investigation, dans le cas d'adultes cherchant à exploiter sexuellement des enfants canadiens.
Nous appuyons le fait que le projet de loi ne criminalise pas l'activité sexuelle consensuelle entre jeunes personnes. Le projet de loi reconnaît que les jeunes exploreront le développement sexuel et leur reconnaît le droit de le faire légalement avec des pairs de même âge. Le projet de loi traite comme il se doit la question de relations sexuelles entre adolescents comme étant une question morale et non pas une question juridique.
Le projet de loi a été élaboré dans le but précis de protéger les jeunes adolescents contre ces adultes qui cherchent à leurrer les jeunes de 14 et 15 ans, ces derniers ayant souvent atteint la maturité physique mais n'ont pas encore la maturité émotive, et qui ne sont pas encore en mesure de faire des choix éclairés. Le fait que les enfants poursuivent encore leur développement émotif dans les premières années de leur adolescence est reconnu de diverses manières par les lois en matière de protection qui existent déjà. Les enfants de 14 ans n'ont pas le droit de regarder des films qui sont, du fait de leur contenu, réservés aux adultes. Ils n'ont pas non plus le droit de conduire, d'obtenir du crédit, de consommer de l'alcool, de servir chez les militaires, ni de signer de documents légaux; or, ils peuvent, à l'heure actuelle, consentir à des activités sexuelles avec des personnes pouvant avoir plusieurs fois leur âge. À l'exception de l'activité sexuelle, les adolescents de moins de 16 ans ne sont pas autorisés à s'adonner à de nombreuses autres activités qui supposent un risque évitable.
Nous savons qu'il y a des adultes qui portent une attention toute particulière à l'âge de protection, les sites Web et les clavardoirs faisant la promotion de relations sexuelles adulte-enfant consacrant beaucoup de temps et d'espace Web à des tableaux sur l'âge de consentement et définissant celui-ci comme étant « l'âge auquel vous pouvez toucher votre ami spécial sans que l'un ou l'autre d'entre vous ne s'attire des ennuis ».
Pour ajouter au problème, comme l'a expliqué la sergente-détective Scanlan, Internet a créé pour les délinquants sexuels un portail de prise de contact avec nos enfants dans le lieu sûr qu'étaient nos propres maisons. D'après les renseignements dont nous disposons, quelque 50 000 prédateurs seraient à tout moment en ligne en train d'essayer d'établir un contact avec un enfant à des fins sexuelles. J'estime pour ma part que cette estimation est optimiste. À titre d'exemple, lors d'un récent cours de formation sur le leurre par Internet, nous avions réuni dans une salle 20 policiers, chacun avec une identité différente, et qui étaient tous en ligne. Parmi les agents se faisant passer pour des enfants, neuf ont reçu des images vidéo de masturbation en direct par caméra Web, et plus d'une douzaine de tentatives de leurre ont été documentées dans les minutes qui ont suivi leur branchement en ligne. Nombre de ces agents ont été abordés par des adultes à des fins sexuelles dans les secondes qui ont suivi leur entrée en ligne.
Le leurre est monnaie courante du fait de l'anonymat que procure Internet. Des contrevenants de n'importe où dans le monde peuvent chercher à séduire plusieurs enfants à la fois, sans même avoir à sortir de chez eux. L'âge, le sexe et le lieu sont toujours les premières choses qui sont demandées, ce qui permet aux contrevenants d'identifier rapidement des cibles intéressantes.
L'âge de consentement étant 14 ans, ce sont les jeunes de 13 ans qui sont ciblés. Comme l'a indiqué la sergente- détective Scanlan, les contrevenants les conditionneront en attendant qu'ils atteignent leurs 14 ans.
Internet est également un terrain fertile pour rencontrer des adolescents, étant donné que ceux-ci s'en servent de plus en plus à des fins de réseautage social, sans supervision. Comme vous l'avez entendu dire, de nombreux parents sont très en retard sur leurs enfants pour ce qui est d'utiliser ces nouveaux outils. En dépit de nos efforts d'éducation préventive, des études récentes montrent que jusqu'à 25 p. 100 des enfants rencontreront quelqu'un qu'ils n'ont jamais connu qu'en ligne. Ils le rencontreront en personne.
Non seulement le leurre à l'intérieur du territoire canadien est à la hausse, mais le pays est de plus en plus reconnu comme étant un lieu de destination pour le tourisme sexuel. Des enquêteurs ont repéré des sites web faisant la promotion du Canada pour le tourisme rose, ainsi que des conversations en salle de clavardage recommandant le Canada comme destination de choix pour les personnes désireuses d'avoir des rapports sexuels avec des enfants de 14 et 15 ans.
L'âge original de consentement ou de protection a été fixé à une époque bien différente, où nombre des choses dont j'ai parlées n'existaient pas et n'étaient même pas envisagées. L'âge de protection du Canada compte parmi les plus bas parmi les pays occidentaux industrialisés. Le Royaume-Uni, les États-Unis et l'Australie sont connus pour les efforts agressifs qu'ils mènent relativement à l'exploitation sexuelle des enfants facilitée par Internet et aucun de ces pays n'a un âge de consentement inférieur à 16 ans.
Bien que le Canada ait fourni la preuve de son engagement à combattre ces crimes avec des lois robustes, les dispositions du projet de loi en matière d'âge de protection nous aligneront davantage sur ces pays progressistes. Le projet de loi assurera en même temps une meilleure cohérence dans nos lois.
Dans une affaire survenue en Alberta, un homme adulte a emmené une fille de 16 ans dans une Chambre d'hôtel et a pris d'elle des photos qui constituaient de l'exploitation sexuelle. L'homme a, à juste titre, été accusé de production de pornographie juvénile. Cependant, s'il avait emmené dans la Chambre une jeune de 14 ans et avait tout simplement eu des rapports sexuels avec elle sans photographier l'acte, il aurait été à l'abri de poursuites.
Selon notre expérience, du fait des entretiens que nous avons eus avec des Canadiens, beaucoup pensent que les jeunes de 14 et 15 ans sont déjà protégés. Il y a cette croyance erronée que les jeunes adolescents sont protégés contre quiconque a plus de cinq années d'avance sur eux.
D'après ce que nous avons pu constater, les Canadiens pensent qu'il est illégal pour un homme de 50 ans d'avoir des relations sexuelles avec des adolescents de 14 ou 15 ans. Lors de conversations que nous avons pu avoir avec le public ou d'entretiens que nous sommes appelés à avoir avec parents et victimes, nous constatons qu'ils sont souvent horrifiés d'apprendre que tel n'est pas le cas. Le projet de loi reflète mieux l'âge de protection que les Canadiens accepteraient, et auquel ils s'attendent, en fait, déjà.
Cet amendement aura une incidence sur la charge de travail des forces de police, mais nous croyons également qu'il aura une incidence positive côté prévention, ce qui équilibrera les choses. Si cet amendement est adopté, le CNCEE et ses partenaires œuvreront pour sensibiliser le public au fait que l'âge de protection au Canada a été augmenté et que le Canada n'est pas une destination pour le tourisme sexuel.
Le sénateur Baker : Je tiens à féliciter les témoins qui sont des nôtres ici aujourd'hui pour le travail formidable qu'ils ont fait, notamment le Centre national de coordination contre l'exploitation des enfants. Vous avez fait du merveilleux travail, et je félicite également M. Mackenzie pour le profil élevé qu'il assure en ce qui concerne les forces de maintien de l'ordre en Colombie-Britannique.
Chef Mackenzie, j'aimerais obtenir un ou deux éclaircissements. Vous avez dit que votre organisation est davantage préoccupée par l'adoption d'une règle modernisée unique en matière d'accès légal. Entendez-vous par là que vous ne voulez pas devoir obtenir un mandat de perquisition ou passer par toutes les étapes afin de pouvoir pénétrer dans un établissement ou une résidence?
M. Mackenzie : Pas du tout. Les dispositions en matière d'accès légal qui sont sur la table depuis de nombreuses années exigent toujours l'obtention d'un mandat de perquisition, et nous sommes tout à fait en faveur de cela. Cependant, il importe de simplifier la procédure à suivre. Nombre des aspects technologiques méritent qu'on y travaille, et je ne suis pas un expert en la matière.
Avez l'avènement des BlackBerrys et de toutes sortes d'autres dispositifs du genre, nous sommes d'avis qu'il nous faut avoir en place un système qui ne soit pas aussi enlisé que l'est l'actuel. Nous ne disons pas que nous ne devrions pas être tenus d'obtenir une autorisation judiciaire. Nous sommes en faveur de cela.
Le sénateur Baker : De nos jours, vous pouvez obtenir des télémandats, ce qui est normal.
Votre deuxième proposition vise la rationalisation des méga-procès et de la divulgation. Je présume que vous voulez parler des grosses affaires de complot et de trafic.
M. Mackenzie : Il y a deux questions, et je vous remercie de les soulever. Les méga-procès sont un problème depuis l'affaire de l'écrasement de l'avion d'Air India, et je songe à certains des gros procès pour fraude commerciale et à d'autres encore intéressant le crime organisé. Ces procès ont tendance à s'emballer et à devenir quelque chose de tout à fait à part. C'est ainsi que les choses peuvent achopper du fait de la règle Stinchcombe, pour la divulgation de documents. Il y a des questions de divulgation. Il y a des retards. En conséquence, la police s'efforce de morceler ces enquêtes et de s'attaquer à certains éléments de l'activité criminelle plutôt qu'à sa totalité. Il s'agit sans doute d'un domaine complexe, mais nous croyons qu'il y aurait lieu d'envisager quelques règles applicables aux méga-procès.
La divulgation est un dossier énorme pour les forces de polie de tout le pays. La divulgation a des conséquences très lourdes pour la police sur le plan des ressources. Lorsque la police boucle une enquête d'envergure, il lui faut y laisser pendant encore une année ou plus un ou deux enquêteurs, juste pour les questions de divulgation soulevées par les avocats de la défense. Il s'agit là d'un aspect dont devra traiter le Parlement, par le biais de la Chambre des communes et du Sénat.
Le sénateur Baker : Comme vous le soulignez, cette question remonte à l'affaire Stinchcombe, dans laquelle la Cour suprême du Canada a rendu sa décision en 1991. Assurément, si les principales exigences sont les notes d'un agent, un rapport de maintien, le rapport de cas du procureur de la Couronne ainsi que ses documents à l'appui, la chose n'est pas trop onéreuse.
M. Mackenzie : Malheureusement, cela s'est emballé de façon démesurée. Presque chaque tuyau est considéré comme pouvant être pertinent et la cour en ordonne la divulgation à l'avocat de la défense.
Nous ne proposons rien qui porte atteinte au droit d'un accusé à réponse et défense complètes. Nous appuyons la divulgation en tant que principe. Nous estimons simplement que si les tribunaux ne sont pas en mesure d'énoncer des lignes directrices précises, peut-être qu'il y aurait moyen d'intégrer dans la loi quelques limites en matière, à tout le moins, de pertinence.
Le sénateur Baker : Vous dites que vous appuyez les autres dispositions du projet de loi C-2 visant la limitation des moyens de défense techniques. Les seules choses que nous ayons vues dans la partie du projet de loi traitant de la conduite en état d'ébriété au sujet de l'élimination de moyens de défense techniques sont les articles où les termes « immédiatement » et « dès que possible » sont remplacés par « dans les meilleurs délais ». Je pense qu'il y a là une trentaine de changements. Ailleurs, je présume que vous parlez des articles où il est question de « toute preuve contraire ». Est-ce bien cela?
M. Mackenzie : C'est exact.
Le sénateur Baker : Pourquoi êtes-vous en faveur de cela?
M. Mackenzie : Tout policier qui s'occupe d'affaires de conduite en état d'ébriété vous dira qu'il est presque aussi difficile de fournir des preuves dans ces affaires que dans les affaires de meurtre, par exemple.
La question du processus devient la préoccupation première des avocats de la défense, dans leur recherche d'un acquittement. Bien qu'il faille qu'il y ait des lignes directrices pour la prise par la police d'échantillons au bon moment et conformément aux règles, tout revient à la fiabilité de l'échantillon. Si la Couronne peut prouver que le taux d'alcoolémie pour l'échantillon donné était supérieur à 80 milligrammes par 100 millilitres de sang, alors vous avez toujours votre condamnation, à supposer que la Couronne prouve tous les autres éléments du crime.
Le sénateur Baker : Les preuves contraires couvriraient certainement la personne dont le résultat du test sanguin vient réfuter les résultats du test d'haleine. Ce serait là un exemple de l'application de « toute preuve contraire », tout comme la défense « des deux bières ». Les policiers utilisent cette terminologie, bien que je ne pense que ce soit la bonne. Cependant, ai-je raison de dire que vous seriez en faveur de la suppression de cela, étant donné que le projet de loi efface les « preuves contraires »?
M. Mackenzie : Non. Vous voudrez peut-être entendre un expert en matière de conduite avec facultés affaiblies, mais, d'après ce que je comprends, les preuves contraires réussiront si elles établissent que le taux d'alcoolémie aurait été inférieur à 80 milligrammes.
Le sénateur Baker : Il aurait été de 80 milligrammes par 100 millilitres de sang à moins de preuve contraire.
M. Mackenzie : Qui prouve que ce n'était pas le cas, oui.
Le sénateur Baker : Vous pourriez donc avoir un échantillon sanguin pour prouver cela.
M. Mackenzie : Oui.
Le sénateur Baker : Passant maintenant aux autres témoins, je constate que vous avez récemment poursuivi avec succès au pénal plusieurs grosses affaires au Canada intéressant la possession de pornographie juvénile sur ordinateur. Pour prouver hors de tout doute raisonnable que ces crimes ont été commis, ce que l'on vous demande de faire, en plus d'avoir des preuves concernant la possession, vous devez également avoir de solides preuves que la personne qui possédait de la pornographie sur son disque dur est également la personne qui a téléchargé ou obtenu ce matériel, est-ce bien cela?
M. Frizell : Absolument.
Le sénateur Baker : Est-il vrai que s'il y a de la pornographie juvénile sur le disque dur d'un ordinateur qui est en votre possession, cela est considéré comme étant de la possession de pornographie juvénile?
M. Frizell : Oui, si vous en êtes au courant.
Le sénateur Baker : Vous fournissez au tribunal la preuve de l'utilisation de cartes de crédit en ligne avec quelques agences, habituellement aux États-Unis plutôt qu'au Canada, et des documents à l'appui en provenance des banques. D'après ce que je comprends, en plus des relevés de carte de crédit, vous devez obtenir un mandat de perquisition dans la banque, afin de prouver que la personne ne s'est pas opposée à la facturation de ses cartes de crédit. Vous saisissez ensuite l'ordinateur et les experts en examinent le disque dur pour y prélever les preuves.
M. Frizell : Il existe de nombreux moyens d'obtenir des images d'enfants en train de se faire abuser sexuellement gratuitement sur Internet plutôt que par le biais d'une transaction avec carte de crédit. Ce peut être assez compliqué de mener comme il se doit votre enquête dans ces affaires.
Le sénateur Baker : Avez-vous mené de nombreuses poursuites?
M. Frizell : Le Centre national est un centre de coordination et nous traitons d'enquêtes internationales. Mme Scanlan s'occupe davantage de poursuites.
Mme Scanlan : Le Service de police de Toronto effectue chaque année en moyenne entre 40 et 60 arrestations, et nous réussissons plutôt bien dans la plupart des cas.
Le sénateur Cowan : Chef Mackenzie, j'aimerais vous demander de vous reporter à la page 4 de votre mémoire. Vous déclarez ceci, en haut de la page :
[...] trop souvent, les personnes qui sont arrêtées avec des armes à feu sur leur personne ne font pas de prison. Même si le projet de loi C-2 ne sera pas la réponse complète, l'ACCP appuie les peines d'emprisonnement minimales obligatoires et le renversement du fardeau de la preuve lors d'audiences sur la libération sous caution pour infraction avec arme à feu, dans les cas surtout où le crime est lié à une organisation criminelle [...]
— et voici la partie importante —
[...] car nous estimons que les pratiques actuelles du judiciaire en matière de détermination de la peine et de cautionnement ne protègent pas suffisamment le public.
Votre souci concerne-t-il les dispositions actuelles de la loi ou la manière dont les magistrats, et, vraisemblablement, les avocats de la poursuite et ceux de la défense, appliquent la loi?
M. Mackenzie : Comme vous le savez, il y a dans le pays des disparités en matière de peine. Je viens de la Colombie- Britannique, où je pense que l'on convient généralement que les peines sont peut-être plus légères qu'ailleurs.
M'exprimant maintenant au nom de l'ACCP dans son entier, nous nous sommes débattus avec la question des peines minimales. Le renversement du fardeau est toujours un problème, car il va à l'encontre de la présomption d'innocence. En tant que leaders dans le milieu policier, nous respectons ces éléments essentiels de la Charte, et il s'agit d'un jeu d'équilibre difficile.
Pour parler franchement, la magistrature n'a pas fait son travail, à notre humble avis, en ce qui concerne les peines pour les crimes commis avec des armes à feu et pour ce qui est de l'incarcération des personnes accusées de tels crimes en attendant leur procès. Nous vous soumettons respectueusement que si les magistrats ne sont pas en mesure de faire cela, aussi sensibles que nous sommes au fait que leur rôle est difficile, il y a selon nous de nombreuses personnes dans les rues du pays qui sont munies d'armes à feu, qui se font arrêter, mais qui ne sont pas traitées d'une manière qui fasse suffisamment avancer la dissuasion spécifique, la dissuasion générale et la dénonciation. Si les tribunaux ne parviennent pas à faire le nécessaire, alors nous devons compter sur le Parlement. Si le renversement du fardeau de la preuve et l'application de peines minimales obligatoires sont le mécanisme grâce auquel le Parlement pourra réaliser cet objectif, alors nous sommes pour.
Le sénateur Cowan : Dans le paragraphe suivant, parlant cette fois-ci de la conduite avec facultés affaiblies, vous dites :
La loi doit être simplifiée si l'on veut qu'elle soit efficace.
Je vous accorde que des peines minimales obligatoires et le renversement du fardeau de la preuve simplifient les choses. Cependant, la question est de savoir si cela améliore les choses ou amène les gens à croire que les choses sont meilleures. C'est là l'équilibre que nous nous efforçons d'établir.
Des témoins nous ont cité des exemples horribles, des affaires du genre de celles dont vous traitez quotidiennement, et nous vous applaudissons tous pour le travail que vous faites à cet égard. Cependant, quel est le bon équilibre parmi tous ces principes? Les avocats ont pris l'habitude de croire que ce sont les juges qui sont le mieux placés pour évaluer ces facteurs et assurer le bon équilibre. Ce sont eux qui entendent les témoins, observent les témoins et entendent toute la preuve. Il semble que ce soit un petit peu beaucoup de renverser carrément les choses, et je me demande si c'est là la bonne réponse. Je vous accorde que c'est la réponse simple. La simplicité n'est pas toujours la bonne solution, et il s'agit peut-être davantage d'une solution apparente que d'une solution véritable aux problèmes auxquels nous voulons tous nous attaquer.
Ce que je viens de dire là est davantage une déclaration qu'une question, mais j'aimerais bien connaître vos réactions.
M. Mackenzie : Je respecte votre opinion. Il y a toujours cet équilibre entre simplifier la loi afin que ce ne soit pas le processus qui devienne le problème et faire en sorte que la grosse question soit la preuve de la culpabilité ou de l'innocence au moyen d'un procès équitable. L'ACCP et moi-même comprenons votre dilemme.
La magistrature a un travail à faire. Sauf tout le respect que je lui dois, ce qui se fait à l'heure actuelle ne fonctionne pas. Nous constatons une prolifération des armes à feu dans la rue. Si vous discutiez avec le chef adjoint à Vancouver ou tout policier de centre urbain — et peut-être que la sergente-détective Scanlan confirmera la même chose —, il vous dira que les gens se promènent dans la rue avec des armes à feu parce que c'est un signe d'importance. Des gens se font arrêter par la police, mais eux-mêmes et leurs amis et connaissances ne sont pas dissuadés pour autant. Le résultat est qu'il y a beaucoup plus d'armes à feu.
Abbotsford est une collectivité qui s'urbanise de plus en plus, mais cela choque les gens qui y vivent depuis de nombreuses années de nous voir chaque semaine confisquer des armes à feu dans la rue. Dans certaines des zones urbaines importantes, ce problème est une véritable épidémie et il importe de faire quelque chose. Je ne veux pas être alarmiste, mais le problème est énorme. Les tribunaux, par le biais de leurs pratiques actuelles en matière d'établissement de la peine et de libération sous caution, semblent être incapables de contenir cette activité. Bien que ce soit un instrument contondant, ce que nous avons maintenant ne fonctionne pas. Voilà pourquoi nous sommes en faveur d'essayer quelque chose de nouveau.
Le sénateur Cowan : Je ne suis pas convaincu que la situation à Abbotsford changerait pour le mieux du jour au lendemain avec l'imposition de peines minimales obligatoires. Je ne connais pas la ville d'Abbotsford. Il y a peut-être d'autres raisons qui expliquent votre situation que l'absence de peines minimales obligatoires ou les pratiques en matière d'établissement de la peine des juges en place dans la région d'Abbotsford. Peut-être qu'il y a quelque chose qui différencie Abbostford des autres collectivités du pays.
M. Mackenzie : Peut-être que quelqu'un de Toronto ou d'ailleurs pourrait en parler. Quoi qu'il en soit, je n'ai utilisé le cas d'Abbotsford qu'à titre d'exemple.
L'imposition de peines minimales obligatoires aidera, car les personnes qui, autrement, seraient en train de se promener avec des armes à feu, seront derrière les barreaux. Je ne voudrais pas être trop simpliste ni trop cavalier dans ma réponse, mais la personne que nous arrêterons sera en prison. La situation est complexe. Ni moi ni l'ACCP ne prétendons que la seule raison pour laquelle nous constatons ce malheureux changement quant à notre sécurité dans nos rues est l'absence de peines minimales. Ce n'est pas ce que je dis. Je pense cependant que c'est un morceau du puzzle, en ce sens que le système a été très faible dans sa réaction. Lorsque je dis « je », je m'exprime au nom de l'ACCP. Je pense que cela changerait les choses.
Le sénateur Milne : Si je peux poursuivre dans le même ordre d'idées que le sénateur Cowan, le problème est-il que les magistrats n'appliquent en réalité pas la loi actuelle? Pensez-vous qu'ils appliqueraient une nouvelle loi?
M. Mackenzie : Par exemple, si vous parlez de la mise en libération sous caution, en intégrant des aspects tels le genre de crime commis avec une arme à feu et l'appartenance de l'accusé à une organisation criminelle, il s'opère un renversement du fardeau de la preuve; il peut toujours y avoir libération, mais le fardeau revient maintenant à l'accusé. C'est ainsi qu'il y a lieu de croire qu'il y aura de meilleures chances de garder les gens en prison en attendant l'enquête sur le cautionnement.
Pour ce qui est des peines, d'après ce que je comprends, l'adoption d'un minimum obligatoire enlève cet élément discrétionnaire. Mais j'ignore si le juge aurait un choix, à moins que l'affaire ne relève de la Charte.
Le sénateur Milne : Je pense qu'il aurait un choix jusqu'à la troisième infraction.
M. Mackenzie : Oui, je ne me souviens plus du libellé exact.
Le sénateur Milne : J'ai quelque inquiétude au sujet du renversement du fardeau de la preuve. Votre réponse m'y amène directement. Il me semble qu'avec le renversement du fardeau de la preuve, nous prenons l'ancien modèle britannique de la common law avec lequel le pays a grandi et qui considère qu'une personne est innocente jusqu'à preuve du contraire, et le mettons complètement à l'envers. Nous en faisons ce qu'est le régime français, dans le cadre duquel la personne est présumée coupable jusqu'à preuve de son innocence.
M. Mackenzie : Le renversement du fardeau de la preuve concerne simplement la question de savoir si la personne sera mise en liberté sous caution avant le procès qui déterminera sa culpabilité ou son innocence. Le renversement du fardeau la preuve existe, je suppose, depuis la Loi sur la réforme du cautionnement au début des années 1970. Cette loi a résisté à sa contestation en vertu de la Charte. Elle a été rognée du fait de cas de violations de la Charte, dont l'affaire Morales. Il est une doctrine juridique généralement acceptée que, dans certaines circonstances — par exemple dans le cas de crimes très graves —, il ne soit pas contraire à la présomption d'innocence que d'imposer à l'accusé la responsabilité d'établir pourquoi il devrait être mis en liberté sous caution au lieu qu'il y ait présomption de cautionnement.
Le sénateur Milne : Vous parlez là des dispositions en matière de libération sous caution. Cependant, qu'en est-il des dispositions visant les contrevenants dangereux?
M. Mackenzie : Comme je le dis dans mon mémoire, les contrevenants dangereux sont des contrevenants dangereux. Du fait de leur comportement passé, l'on sait qu'ils font peu de cas de la sécurité des gens. Les incarcérer en vertu des dispositions relatives aux contrevenants dangereux du nouveau projet de loi me paraît logique. Ces personnes ont toujours les dispositions du Code qu'elles peuvent invoquer pour dire qu'elles ne sont pas des contrevenants dangereux.
En ce qui concerne la magistrature, nous voyons dans l'affaire Johnson quelque chose de très irréaliste. Cela impose d'énormes responsabilités aux services policiers et correctionnels d'avoir à superviser un contrevenant hautement dangereux en surveillance de longue durée. Il y a le cas en Colombie-Britannique d'une personne qui est en surveillance 24 heures par jour, sept jours par semaine, au sein de la collectivité. Cela coûte beaucoup d'argent au public et cette personne devrait, à notre avis, être qualifiée de contrevenant dangereux en vertu des dispositions législatives en matière de délinquants dangereux. Je ne considère pas cela comme étant contraire à la présomption d'innocence, et je pense que la jurisprudence de la Cour suprême d'il y a de nombreuses années dit que cela ne constitue pas une violation de l'article 7 de la Charte.
Le sénateur Milne : Nous avons ce matin entendu M. Doob, qui nous a dit que 5 200 contrevenants violents ont été libérés en 2005 et 2006. De ce nombre, 150 ont été réincarcérés la même année pour récidive. Il s'agit là d'un assez faible pourcentage. De fait, selon lui, si l'ensemble des personnes accusées étaient maintenues à jamais derrière les barreaux, le taux de criminalité avec violence baisserait de 0,2 p. 100.
M. Mackenzie : Je n'étais pas ici pour ce témoignage, alors je pourrais difficilement répondre en connaissance de cause. L'on peut interpréter les statistiques de multiples façons. Il n'était pas question de contrevenants dangereux, mais de contrevenants ayant commis des crimes avec violence et qui avaient été libérés un petit peu partout au pays. Cela est formidable si le taux de récidivisme est aussi faible que cela.
J'aurais quelques commentaires à faire, mais vous les devinez peut-être déjà. L'on parle ici de personnes qui ont été jugées coupables d'un crime. Il y en a qui commettent un crime et qui, malheureusement, ne sont pas portées à l'attention de la police. Cependant, je me concentre, moi, sur les contrevenants dangereux. Je pense que le libellé, dans l'affaire Johnson, a dit que s'il est « raisonnablement possible » qu'une personne soit contrôlée dans la collectivité, alors le juge peut délivrer une ordonnance de surveillance de longue durée. Ce que nous disons est que ce n'était pas là l'intention de la loi lorsqu'elle a été adoptée.
Renversons les choses. Le critère est clair. Vous le connaissez et je l'ai paraphrasé. S'il y a la moindre probabilité que le contrevenant commette une autre infraction désignée, alors il sera déclaré contrevenant dangereux et demeurera en prison pour une période indéterminée. Nous estimons que cela fait avancer la sécurité du public. Il nous faut accepter que la réalisation d'un équilibre est toujours difficile.
Le sénateur Milne : Sergente-détective Scanlan, j'ai été horrifiée par certaines des choses dont vous nous avez parlé dans votre déclaration. Je trouve absolument incroyable que les jeunes de 14 et 15 ans représentent la plus importante catégorie d'âge pour toutes les agressions sexuelles rapportées, et que le groupe suivant en importance soit celui des adolescents de 13 ans. D'où proviennent ces données?
Mme Scanlan : Ce sont là les cas déclarés, en d'autres termes les cas de victimes, quel que soit leur groupe d'âge, ayant fait un rapport aux autorités.
Le sénateur Milne : Ces chiffres proviennent-ils de la police de Toronto?
Mme Scanlan : Oui.
Le sénateur Milne : Je crois comprendre que le premier ministre a cité des données de la police de Toronto lorsqu'il a déposé ce projet de loi non pas au Parlement, mais à Toronto. Il a déclaré que 40 p. 100 des crimes commis avec des armes à feu à Toronto l'ont été par des personnes qui étaient en libération sous caution, en période de probation ou assujetties à quelque autre forme de restriction. Nous nous démenons depuis pour obtenir davantage de précisions sur la provenance de ces énoncés et chiffres. Nous en avons fait la demande au ministre et il nous a dit qu'il nous fournirait les détails, mais il ne l'a pas fait. Le Service de police de Toronto pourrait-il nous fournir ces précisions?
Mme Scanlan : Je me renseignerai là-dessus pour vous.
Le sénateur Milne : S'il vous plaît.
Le sénateur Di Nino : J'allais axer mes questions sur l'âge de consentement, mais j'aimerais au préalable tirer quelque chose au clair avec le chef Mackenzie.
M. Doob nous a dit ce matin que 5 200 personnes ont été libérées d'office plutôt que sous caution. Il ne nous a pas indiqué combien de personnes, parmi ce nombre, étaient des contrevenants violents. Il a déclaré que, chaque année, environ 150 de ces contrevenants retournent en prison du fait d'avoir commis un crime violent, et j'ai demandé des explications. J'ai dit que cela fait beaucoup de personnes violentes dans ce pays qui brisent les vies de Canadiens.
Sa réponse, à la fin de notre échange, et je ne fais que la paraphraser, a été que le Sénat se trompe s'il pense que le projet de loi C-2 changera de quelque façon que ce soit la criminalité dans ce pays. Cela n'aura aucune incidence sur le crime. Êtes-vous d'accord avec lui, ou pourriez-vous nous livrer votre opinion là-dessus?
M. Mackenzie : Je ne peux pas répondre directement à ces commentaires.
La position de l'ACCP est que le projet de loi C-2, comme je l'ai indiqué dans mes remarques liminaires, est un pas dont nous croyons qu'il contribuera à faire en sorte que le pays soit plus sûr. Ce n'est certainement pas le seul pas à faire. Il n'y a aucun doute que nous vivons dans un monde complexe. En tant que membres de forces de maintien de l'ordre, nous n'appuierions pas le projet de loi si nous ne croyions pas qu'il améliorera la sécurité du public, ce qui est notre principal souci.
Je tiens à souligner au comité sénatorial que les chefs de police sont très au courant de la Charte des droits et libertés et que nous la respectons, mais il importe qu'il y ait un équilibre. Nous abordons la situation depuis une perspective légèrement différente.
Le sénateur Di Nino : J'aimerais adresser un rapide commentaire et une ou deux questions à la sergente-détective Scanlan et au sergent d'état-major Frizell. Premièrement, permettez que je me reporte aux statistiques qui nous ont été livrées par le Centre canadien de la statistique juridique. Les représentants du centre ont parlé de la hausse des autres infractions sexuelles, c'est-à-dire autres qu'exploitation et crime violent. Ces infractions sont à la hausse depuis cinq ans environ. Le centre a effectué un sondage auprès d'enfants âgés de 14 ans et qui a fait ressortir que les filles âgées de 12 à 14 ans sont le groupe le plus vulnérable pour ce qui est de ces types d'infractions.
Je pense que la sergente-détective Scanlan songeait sans doute à la même chose lorsqu'elle a parlé des jeunes de 13 ans. Je vais lui poser une question là-dessus dans un instant.
J'ai été troublé par encore une autre statistique. Le porte-parole du Centre a déclaré que seuls 8 p. 100 de ces incidents sont en vérité rapportés, ce qui veut dire que 92 p. 100 des crimes sexuels dont sont victimes nos enfants ne sont pas rapportés.
Sergente-détective Scanlan, pensez-vous que le gros de ces crimes ne sont pas rapportés? Pourriez-vous nous livrer votre opinion?
Mme Scanlan : Dans le cas des agressions sexuelles et autres crimes contre des enfants, englobant certains des crimes facilités par Internet et autres délits sexuels, nous constatons un taux élevé de non-déclaration. Le chiffre que je vous ai fourni aujourd'hui était d'entre 10 et 25 p. 100 pour tous les groupes d'âge. Cependant, cela inclurait les adultes, qui ont le choix, la possibilité et les connaissances requises aux fins de telles déclarations. Les enfants sont très vulnérables et le système judiciaire, tel qu'il a été établi, est parfois contradictoire. Cela est difficile, et c'est ainsi que ce sont les parents qui prennent la décision.
Encore une autre chose qu'il importe de souligner est que, dans nombre de ces affaires, les contrevenants sont connus des enfants. Il peut s'agir d'une personne qui vit chez eux, ou encore d'un entraîneur ou d'un enseignant. Cet élément de situation de confiance est toujours là. Je pense qu'il faut longtemps pour qu'un enfant parle. Nous avons beaucoup plus souvent affaire à des survivants adultes d'abus qu'à des enfants victimes d'abus qui sont encore enfants.
Le sénateur Di Nino : Cela n'est pas couvert par ce sondage. Vous avez cependant également dit que la catégorie la plus nombreuse est celle des filles âgées de 14 et 15 ans, n'est-ce pas? Il s'agit là d'une catégorie encore plus importante que celle des enfants victimes d'agression sexuelle.
Mme Scanlan : Le chiffre que je vous ai fourni est un cumul pour les deux sexes.
Le sénateur Di Nino : Quelle serait la ventilation garçons-filles?
Mme Scanlan : Je n'ai pas ces chiffres devant moi. Cependant, si je me souviens bien, ce doit être environ 60 p. 100 pour les filles et 40 p. 100 pour les garçons.
Le sénateur Di Nino : Sergent d'état-major Frizell, auriez-vous quelque commentaire à faire sur ces questions?
M. Frizell : Comme l'a dit la sergente-détective Scanlan, la sous-déclaration en ce qui concerne les enfants n'est guère étonnante. Même avec Internet, la majorité des contrevenants sont toujours dans des situations de confiance. Les enfants qui sont victimes se sentent souvent coupables ou directement responsables eux-mêmes. Ils ont le sentiment qu'ils ont dû faire quelque chose de mal ou alors que tous les adultes aiment la personne en question.
Vous entendez souvent dire des contrevenants qu'ils sont géniaux avec les enfants. Bien sûr qu'ils le sont, ce qui décourage dès le départ de faire un rapport. Bien évidemment, notre système judiciaire n'est pas très adapté aux enfants. C'est souvent, là aussi, un autre facteur dissuasif.
Le sénateur Di Nino : Le projet de loi C-2 propose que l'âge de consentement passe à 16 ans. J'imagine que vous convenez tous les deux que ce serait là un bon outil qui nous permettrait de rendre la vie meilleure à ces enfants.
M. Frizell : C'est un outil, mais c'est une mesure de prévention de poids. Ces sites Web devront tous maintenant être modifiés pour afficher que les jeunes de 14 et 15 ans au Canada ne sont plus à la portée des prédateurs du monde entier.
Mme Scanlan : Je suis d'accord. Cela améliorerait immédiatement la sécurité des jeunes Canadiens, ainsi que des jeunes gens étrangers qu'on fait venir ici ou qui se retrouvent pour une raison ou une autre dans notre pays et peuvent être amenés, par le leurre ou la coercition, à participer au commerce du sexe.
Le sénateur Campbell : Chef Mackenzie, j'aimerais discuter de la possession d'arme à feu et de la commission d'un délit. Le Code criminel prévoit à l'heure actuelle des peines minimales obligatoires pour possession d'arme à feu et commission d'un délit. Cependant, nous avons entendu ici certains témoignages et il m'apparaît que la première accusation qui est portée est celle de la possession d'arme à feu. Si je braque une banque, on va me donner quatre ans pour l'arme à feu et Dieu sait quoi pour le vol. Cependant, la première chose que va faire la Couronne c'est négocier un arrangement avec la défense et balancer le chef d'accusation pour l'arme à feu. Les armes à feu ne sont jamais mentionnées pendant le plaidoyer, et je m'en sors avec peut-être deux années de moins.
Il me semble qu'il ne devrait peut-être y avoir aucune option, bien que cela risque d'en fâcher plus d'un. Si vous commettez une infraction avec une arme à feu, vous êtes accusé de possession d'arme à feu. Il faudrait traiter d'abord de ce chef d'accusation-là, pour ensuite passer au suivant.
J'irais même jusqu'à dire qu'il ne devrait y avoir aucune possibilité de peines concurrentes; il faudrait qu'elles soient consécutives. On vous donne quatre ans pour l'arme à feu, puis on s'occupe de l'accusation pour vol à main armée et on ajoute ce qu'il faut pour cela. Il s'agit d'ajouter les peines à purger. On dit : « Imposons plus de temps, et plus de temps encore », mais en réalité, il n'y a pas de temps.
J'ai ici des statistiques selon lesquelles en 2005-2006 il y aurait eu 211 affaires qui auraient été bouclées devant les tribunaux et parmi lesquelles le crime le plus grave était un délit mettant en cause une arme à feu. C'est une bagatelle — c'est trois fois rien. Ces statistiques montrent également que 1 p. 100 des affaires judiciaires des tribunaux de juridiction criminelle pour adultes sont des affaires d'armes à feu.
En fait, nous avons déjà les outils nécessaires. Ce que nous n'avons pas fait c'est dire aux poursuivants dans ces affaires que le mot d'ordre n'est pas de négocier. S'il y a eu utilisation d'une arme à feu, je veux que l'on s'occupe d'abord de ce chef d'accusation-là, pour ensuite traiter du suivant. Seriez-vous d'accord avec moi là-dessus?
M. Mackenzie : Pas en guise de réponse exclusive.
Le sénateur Campbell : Nous arriverons au reste après.
M. Mackenzie : La question de la négociation de plaidoyers et du marchandage pour obtenir de faire tomber les chefs d'accusation liés aux armes à feu est certainement un sujet de préoccupation; il n'y a aucun doute là-dessus. Je pense que vous avez raison dans la façon dont vous avez exposé la chose.
Le sénateur Campbell : Dans votre secteur, combien d'affaires de crime commis avec une arme à feu avez-vous eu l'an dernier?
M. Mackenzie : En 2006, nous en avons eu 126.
Le sénateur Campbell : Il n'y a eu que 211 poursuites au pénal dans tout le Canada.
M. Mackenzie : Je trouve ce chiffre étonnant.
Le sénateur Campbell : Il est tiré du document préféré du sénateur Stratton. Je vais en faire la promotion pour lui. Il est daté du 14 février 2008 et il a pour titre « Les tendances de la criminalité au Canada ». Il a été rédigé par Lynn Barr- Telford, directrice du Centre canadien de la statistique juridique. Je me reporte ici à la transparence 9 intitulée « Moins de causes avec recours à une arme à feu donnant lieu à une condamnation ». Cela se trouve vers la fin.
Nous avons entendu certains témoignages — et je pense que ceci concerne la Colombie-Britannique et, certainement, votre région — selon lesquels une part importante des crimes commis avec une arme à feu et ayant causé la mort sont le fait d'un problème endémique propre à certaines collectivités dans lesquelles il y a des difficultés. En Colombie-Britannique, je ne pense pas que ce soit un secret que de jeunes hommes indo-canadiens sont en train de se faire tuer. Je pense que l'on constate une situation semblable à Toronto, mais il semble qu'avec les peines minimales et tout le reste nous ne parvenions pas à endiguer le flot. Auriez-vous des idées qui ne s'inscrivent pas dans le projet de loi C-2 et qui permettraient de régler ce problème?
M. Mackenzie : Il semble en effet qu'il se développe chez certains jeunes gens une culture voulant que le port d'arme à feu soit un symbole d'importance, l'arme elle-même faisant presque partie de leur propre personne. Nous savons qu'une grosse partie de cette activité est liée à des organisations criminelles et à leurs entreprises criminelles. Je n'ai pas vraiment de solution à émettre.
Je sais qu'en Colombie-Britannique, la police travaille étroitement avec la communauté sud-asiatique pour traiter de certains des aspects culturels. Ce sera, j'en suis convaincu, un processus long et lent. Il nous faut en effet renverser les choses. En dehors de cela, je n'ai pas grand réponse à offrir.
Le sénateur Milne : Le sénateur Campbell vient tout juste de suggérer que l'on élimine en gros la négociation de plaidoyer pour tout crime commis avec une arme à feu. Cependant, nous avons entendu que le nombre de personnes présentement détenues en établissement provincial en attendant leur procès est égal, et même, dans certaines provinces comme l'Ontario, largement supérieur au nombre de personnes qui sont jugées coupables et qui purgent des peines. Si nous éliminions la négociation de plaidoyer pour un très grand nombre de ces crimes, ce nombre monterait en flèche, n'est-ce pas?
M. Mackenzie : Je ne peux pas répondre à cette question précise, mais je peux vous indiquer une chose que vous ignorez peut-être. Je n'ai pas de données scientifiques ou universitaires pour appuyer ceci, mais nous avons le sentiment, en Colombie-Britannique en tout cas, que de nombreux avocats de la défense ont tendance à ne pas se battre pour obtenir la libération sous caution de leurs clients parce qu'ils préfèrent que ceux-ci fassent compter en double le temps passé derrière les barreaux avant la sentence imposée. C'est un petit peu une tactique qu'emploient certains avocats de la défense — et, encore une fois, ce n'est pas un reproche que je leur fais; ils font simplement leur travail — pour obtenir que leurs clients purgent une peine pré-sentencielle, si vous voulez appeler la chose ainsi, parce que cela comptera en double.
J'ai déjà dit, lors de témoignages antérieurs, que le Parlement doit s'attaquer à cela. Je pense qu'il y a eu un début d'examen de la question du temps double avant le procès même. C'est peut-être là un aspect de la question, pour ce qui est de l'augmentation.
Le sénateur Oliver : Mes questions concernent le leurre, et elles s'adressent à la sergente-détective Scanlan et au sergent d'état-major Frizell.
Dans votre exposé, sergent d'état-major Frizell, vous avez une partie qui a pour titre « leurre ». L'une des choses que vous avez mentionnées est un récent cours de formation sur le leurre sur Internet, à l'occasion duquel 20 policiers sont allés en ligne. Ce qui est survenu pendant la première heure m'a complètement renversé.
Premièrement, j'apprécie votre appui en faveur du projet de loi C-2, notamment en ce qui concerne l'âge de protection. Je comprends pourquoi vous avez soulevé le leurre dans ce contexte. Cependant, certaines des choses que vous avez dites au sujet du leurre débordent en vérité du projet de loi. Vu ce que cet événement d'une heure vous a révélé, des accusations ont-elles été portées?
M. Frizell : Oui. Nous avons fait enquête sur tous les cas.
Le sénateur Oliver : Y a-t-il eu des condamnations?
M. Frizell : Je ne sais pas. Je présume que oui.
Le sénateur Oliver : Il y a quelques années, j'ai déposé au Sénat un projet de loi d'initiative parlementaire contre le pourriel. Un article du projet de loi visait les sites Internet renfermant les adresses courriel de jeunes enfants — les jeunes âgées de 14, 15 ans, et ainsi de suite. J'avais prévu qu'il y ait des peines graves pour toute personne se rendant sur un tel site et fournissant de l'information ou du matériel frauduleux, du matériel pornographique, et y pratiquant le leurre. Le projet de loi a échoué; il a été bloqué à l'étape de l'examen par le comité et n'a abouti nulle part. Si nous avions un projet de loi anti-pourriel visant explicitement le problème de la corruption d'enfants, pensez-vous que cela pourrait aider?
M. Frizell : De nombreuses mesures pourraient être prises. L'avènement d'Internet a ouvert aux prédateurs quantité de moyens de joindre des enfants, et pas seulement des enfants. Il y a quantité de choses que nous pourrions faire. Ce pourrait être quelque chose d'aussi simple que de prévoir, dès qu'un enfant adhère à un site, une vérification de son âge ou alors l'autorisation des parents. Par exemple, aux États-Unis, le parent doit déclarer être au courant de ce que fait son enfant. Il pourrait y avoir des lois en matière de protection de la vie privée des enfants qui protégeraient les enfants lorsqu'ils sont en ligne.
Cependant, les enfants n'ont pas de voix, contrairement aux adultes. Ils ne font pas de lobbying et ne votent pas, et il est donc important que nous nous exprimions à leur place et que des mesures telles que celles que vous avez décrites soient envisagées comme il se doit, si nous voulons prévenir la commission de crimes contre des enfants.
Mme Scanlan : Je pense que toutes les mesures que nous pourrions mettre de l'avant pour que les enfants restent en sécurité sont très importantes. Une chose qu'il nous faut cependant souligner est que les sites de réseautage social très populaires imposent des limites d'âge — 14 ans et plus ou 16 ans et plus. Les enfants sont curieux et futés, et ils se débrouillent malgré tout pour accéder à ces sites. Ils peuvent contourner les barrières qui sont érigées. Cependant, s'il était déposé un projet de loi visant à protéger les enfants encore plus jeunes, car nous voyons l'âge des enfants baisser et non pas augmenter, je serais en faveur.
Le sénateur Oliver : Il faudrait descendre jusqu'à quel âge : 15 ans, 14 ans, 13 ans et moins?
Mme Scanlan : Nous savons que si nous voulons aider à maintenir les enfants en sécurité, il nous faut les éduquer au sujet de l'utilisation responsable d'Internet à un bien plus jeune âge, même dès la première année d'école. Les enfants vont en ligne à un bien plus jeune âge, du fait que l'ordinateur soit devenu un outil dans la vie de tous les jours. Si l'enfant a des frères ou des sœurs plus âgés ou des parents qui vont en ligne, il y sera introduit à un plus jeune âge. Il y a également des ordinateurs dans les écoles et les bibliothèques, et Internet est donc très accessible.
Le sénateur Tardif : Ma question s'adresse à la sergente-détective Scanlan et au sergent d'état-major Frizell. J'appuie certainement la poursuite des prédateurs sexuels, que ceux-ci courtisent de jeunes enfants sur Internet ou ailleurs. Cependant, ce qui me préoccupe est la situation d'un jeune de 21 ans et de sa petite amie de 15 ans qui s'adonnent à des baisers et à des attouchements sexuels. En vertu du projet de loi, ces choses seraient considérées comme des actes criminels et ce garçon serait considéré comme étant un criminel du fait de son comportement avec sa petite amie. Le projet de loi C-2 ne va-t-il pas augmenter ce genre de catégorisation et de stigmatisation d'une jeune personne dans la situation que je viens de décrire?
Mme Scanlan : La différence d'âge énoncée dans le projet de loi vise particulièrement à protéger les jeunes de 14 et 15 ans. L'écart de cinq ans d'âge est proposé comme une différence d'âge acceptable. Je sais qu'il y a eu des cas aux États- Unis qui ont été particulièrement troublants. Les jeunes gens doivent être protégés et il importe de tenir compte de cela. Si les jeunes gens sont au courant des lois telles qu'elles existent, alors il leur faut en tenir compte et surveiller de près leur comportement.
Le sénateur Tardif : Vous seriez prête à dire que, malheureusement, c'est la responsabilité de l'intéressé de déterminer s'il commet un acte criminel.
Mme Scanlan : Ce serait au cas par cas. Les rapports sont très peu nombreux et il importerait de prendre en considération l'envergure de la nature sexuelle de la relation.
Le sénateur Tardif : Qui prendrait cela en considération?
Mme Scanlan : Cela serait pris en considération au moment où la chose serait portée à l'attention de la police.
Le sénateur Tardif : Préféreriez-vous l'attention de la police plutôt que celle du système judiciaire?
Mme Scanlan : La police est habilitée à décider au cas par cas si une poursuite doit être engagée. Nous communiquons toujours avec les procureurs de la Couronne. Nous ne voulons pas être placés dans la situation de devoir déterminer s'il y a activité sexuelle. Il s'agit là d'une décision morale, qui sera prise au cas par cas.
Le sénateur Tardif : Mon propos est que, oui, il s'agit d'une décision morale, qui devient une question judiciaire du fait du libellé du projet de loi pour cette situation particulière.
Mme Scanlan : La chose n'est pas définie, selon mon interprétation.
Le sénateur Tardif : Je suis d'accord.
La présidente : Monsieur Mackenzie, à la page 3 de votre déclaration, vous dites que Statistique Canada a, la semaine dernière, publié un rapport faisant état d'une hausse marquée du nombre des crimes commis avec une arme à feu au Canada au cours des dernières années. Si je me souviens bien, ce que dit ce rapport cadre avec ce que nous a rapporté le Centre canadien de la statistique juridique pour les années passées, soit que le nombre de crimes violents commis avec une arme à feu était à peu près stable, mais que la proportion de ces crimes commis par de jeunes gens était à la hausse. C'est un constat alarmant. Cependant, la proportion totale a été relativement stable ces dernières années. Parlons-nous ici de deux études différentes?
M. Mackenzie : Non, c'est la même étude.
La présidente : Acceptez-vous mon souvenir?
M. Mackenzie : Je vais accepter cela.
La présidente : Ma question suivante s'adresse à Mme Scanlan et à M. Frizell. Je ne sais trop comment vous faites pour résister à l'agonie de ce que vous vivez jour après jour, mais je vous en suis, comme c'est le cas de tout le monde, reconnaissante. Je ne saurais imaginer un travail plus pénible.
Je suis en train de me demander ce qui ne va plus dans notre système judiciaire. L'article 153 du Code criminel interdit déjà l'exploitation sexuelle d'une personne âgée de moins de 18 ans, et le simple consentement ne constitue pas une défense. Les tribunaux ont pour instruction de prendre en compte l'âge, l'écart d'âge, l'évolution de la relation — le conditionnement dont vous avez parlé — et le degré de contrôle ou d'influence exercé sur la jeune personne par une personne plus âgée. L'on parle ici d'exploitation, et le gros de ce dont vous avez traité constitue clairement de l'exploitation du type le plus choquant qui soit.
L'article 172 du Code criminel interdit avec force détails le leurre sur Internet pratiqué auprès de jeunes gens. Ces dispositions sont déjà dans les livres. Si vous êtes en train de nous dire qu'elles ne fonctionnent pas, pourquoi ne fonctionnent-elles pas? Qu'y a-t-il qui ne va pas?
M. Frizell : L'article 153 intervient une fois que le cheval a quitté l'écurie; ce n'est pas une mesure préventive. Nous ne voyons pas de sites Web qui disent que l'âge de consentement au Canada est 14 ans. À moins d'être dans une relation d'exploitation, c'est tout simplement l'âge de consentement ici, et les gens viennent au Canada.
Le leurre a été mentionné pour vous donner une idée des genres de chefs d'accusation et des situations dans lesquelles des jeunes peuvent être en danger. Les contrevenants viendront au Canada pour leur rencontre, alors ce n'est pas une situation de leurre. La rencontre se fait sur Internet, puis la personne vient ici. Il nous faut leur faire savoir que le Canada a fermé boutique. Il nous faut bâtir une porte d'écurie qui empêche le cheval de s'échapper, au lieu de compter sur l'article 153, qui est une mesure qui intervient une fois le crime commis.
La présidente : La plupart des articles du Code criminel prennent effet une fois que le crime a été commis. L'âge de consentement indiquerait là où vous n'êtes pas autorisé à faire telle ou telle chose. Ce n'est qu'une fois que vous avez fait ce qui est interdit que vous vous ferez traîner devant les tribunaux.
M. Frizell : Cela est vrai, mais c'est le comportement que vous voulez empêcher. J'aimerais penser que le Code criminel empêche beaucoup de gens de commettre ces crimes au départ. Le citoyen moyen ne serait pas au courant de l'article 153 et ne pourrait pas le lire et y voir quelque mesure de prévention. C'est davantage à la police et aux avocats qu'il revient de traiter d'une situation qui est déjà survenue. L'âge de protection, quant à lui, établit clairement là où nous tirons le trait au Canada : les enfants dont l'âge est inférieur au seuil jouissent de la pleine protection de la loi.
La présidente : Je pense que je comprends ce que vous êtes en train d'essayer de dire, bien que je demeure perplexe.
Mme Scanlan : Je conviens que cela est perçu comme étant une mesure préventive. Il est clair que nos jeunes âgés de moins de 16 ans sont mieux protégés. La question de consentement que j'ai soulevée tout à l'heure n'aurait pas à être tranchée régulièrement à la cour. Cela se pourrait à l'occasion, mais la plupart du temps il serait convenu que, si vous êtes âgé de moins de 16 ans, alors la question suivante est celle de savoir si le délit a bel et bien eu lieu et non pas s'il y a eu consentement.
La présidente : Les articles 153 et 172 ont-ils été utiles à la police et aux poursuivants lorsqu'une personne est accusée d'un si affreux crime? Ces articles ont-ils été utilisables en cour, ou bien y a-t-il eu des problèmes à cet égard?
Mme Scanlan : Je ne pense pas qu'il y ait eu beaucoup de cas où le tout soit intervenu. Nous avons certainement porté des accusations sur la base de l'article concernant le leurre, mais nous n'en avons pas portées autant en vertu de l'article 153.
La présidente : Tout cela est toujours trop nouveau pour que nous ayons tous les éléments.
Mme Scanlan : C'est tout un défi. Lorsqu'on parle gens de la rue, la prostitution de rue vient à l'esprit. Il s'agit toujours de savoir avec qui la personne se trouve, pourquoi elle est là et dans quel contexte. Les jeunes étant si vulnérables et nombre d'entre eux ayant quitté une situation familiale pire que la situation qu'ils vivent maintenant, vous n'obtenez pas toujours tout de suite la vérité et vous ne pouvez pas forcément intervenir comme vous le souhaiteriez.
Le sénateur Stratton : J'aimerais dire aux témoins que j'apprécie leur participation ici. Tout comme le sénateur Fraser, j'admire ce que vous faites. Cela demande beaucoup de courage et je sais que je ne pourrais pas faire votre travail.
J'aimerais revenir à la question de l'âge de protection et à la disposition relativement aux cinq années plus un jour. Un des nôtres a dit qu'il y a d'énormes différences sur les plans émotif et mental entre quelqu'un qui a, mettons, 15 ans, et quelqu'un qui en a 21 ou 22. Ces deux personnes aborderont la vie de manière différente. Une fille de 15 ans, par exemple, pourrait être dans une large mesure contrôlée par un type plus vieux. J'imagine que vous tenez compte de cela dans le cadre de ce genre d'affaires. Quant à savoir comment vous détermineriez la chose, je n'en sais rien. Tout plaide en faveur d'une décision au cas par cas — c'est en tout cas ce que je pense.
Comme l'a déclaré plus tôt le sénateur Carstairs, qu'en est-il si une adolescente de 14 ou 15 ans s'habille d'une certaine façon et séduit un gars qui a 21 ou 22 ans. Peut-être qu'il est un petit peu naïf. La même question se pose ici, mais en sens inverse : on parle ici de la séduction par une jeune fille de garçons plus âgés. J'imagine qu'il faut procéder au cas par cas.
Je ne vous demande pas d'intervenir à moins que vous ne le souhaitiez. Pas de commentaire? Bien. Je tenais à être clair là-dessus.
Chef Mackenzie, j'aimerais parler des chiffres que nous a livrés le sénateur Campbell. Il a dit qu'en 2005-2006, il y a eu 211 affaires bouclées devant les tribunaux, l'affaire la plus grave concernant un crime commis avec une arme à feu, pour lequel la peine minimale obligatoire est quatre années d'incarcération. Les statistiques renfermées dans le même document indiquent que le taux de jeunes personnes accusées de crime violent commis avec une arme à feu aurait augmenté de 32 p. 100 depuis 2002 et que le taux pour ce qui est des tentatives de meurtre aurait augmenté de 24 p. 100 depuis 2004. Pourriez-vous nous éclairer quant à cette différence? Est-ce le fait de la négociation de plaidoyers?
Premièrement, appuyez-vous les statistiques que j'ai citées relativement aux crimes avec une arme à feu commis par des adolescents et au taux pour les tentatives de meurtre? Ce sont là des statistiques troublantes.
M. Mackenzie : Je n'ai pas lu ce rapport, et je ne peux donc pas me prononcer sur ces chiffres précis.
Le sénateur Stratton : Dans ce cas, nous vous fournirons copie de ce rapport.
M. Mackenzie : Notre expérience est sans doute semblable à cela. Que vous parliez statistiques en matière de taux de criminalité ou autres, le vécu des forces de police d'un bout à l'autre du pays est très simple : les rues ont changé au cours des dernières années. Il y a dans les rues beaucoup d'armes à feu. Pour souligner encore ce que nous disions, il semble qu'il y ait une insuffisance de réaction de la part du système judiciaire face à cette réalité troublante. Nous comptons sur le Parlement pour nous aider dans cette réaction.
Le sénateur Stratton : Une déclaration intéressante d'un témoin antérieur était qu'il s'agit peut-être d'une aberration à court terme. Mesurer ce genre de choses sur cinq, six ou sept ans ne suffit pas. Il vous faut faire des mesures sur dix ans et plus encore. Ce n'est pas là mon impression. J'aimerais connaître votre opinion quant à savoir si le phénomène augmente bel et bien selon un rythme alarmant année après année et ne montre aucun signe de reculer.
M. Mackenzie : Nous n'y avons pas vu d'aberration. Je suis convaincu que les spécialistes en sciences sociales vous fourniraient de meilleurs renseignements.
Je suis policier depuis 32 ans et je vais quitter la police dans quatre mois. J'ai une certaine expérience personnelle, si cela peut être utile. J'ai pendant plusieurs années été policier au Service de police de Vancouver, et j'y ai été très peu appelé à m'occuper d'armes à feu. Je suis le chef de police d'un service comprenant 200 agents, et nous nous occupons régulièrement d'incidents d'armes à feu dans une ville relativement tranquille. Je n'y vois pas une aberration; je pense qu'il s'agit d'un changement très troublant dans notre culture. Cela me préoccupe en tant que citoyen, sans parler de ce que cela me fait en tant que chef de police.
Je tiens à dire — et j'espère, encore une fois, que je n'abuse pas de votre écoute — que, qu'il s'agisse ou non d'une aberration, nous avons ici une situation qui requiert une réponse, car il y a des gens qui se font tirer dessus, des gens qui se font tuer, et des gens qui se promènent avec des armes à feu. C'est aussi simple que cela. Je ne voudrais pas être trop simpliste, mais c'est là la réalité que vivent des policiers et des collectivités de partout au pays. Nous estimons que l'actuelle réponse est insuffisante.
Le sénateur Baker : Sergent d'état-major Frizell, vous avez dit être associé à la section internationale. Que voulez- vous dire par là et quel rôle jouez-vous?
M. Frizell : Les crimes contre les enfants sur Internet sont des crimes sans frontière. Il y a des gens en Allemagne qui repèrent des contrevenants au Canada, et il y a des contrevenants au Canada qui exploitent des filles dans d'autres pays. Il se fait beaucoup d'allers-retours.
Si une personne en Allemagne découvre qu'il y a un contrevenant ou une victime se trouvant au Canada, alors il lui faut un canal de communication. Par exemple, s'il s'agit d'une petite fille qui vit à Saskatoon, l'Allemagne ne traitera pas avec la police de Saskatoon; les gens en Allemagne ne sauraient pas comment s'y prendre pour communiquer avec ce service de police. Nous sommes le canal de communication pour traiter d'enquêtes lancées à l'extérieur du Canada et qui doivent se poursuivre ici, et inversement. Nous assurons également formation, recherche et technologie. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour appuyer les enquêteurs sur le terrain.
Le sénateur Baker : Une part importante de votre travail concerne-t-elle ces sites pour lesquels les gens paient pour y accéder? Cela fait-il partie de votre travail?
M. Frizell : Oui; cela en représente une part importante.
Le sénateur Baker : Vous dites que cela en représente une part importante. Il doit donc s'agir d'enquêtes coordonnées avec les forces de police d'autres pays.
M. Frizell : C'est exact.
Le sénateur Baker : À quelles limites êtes-vous assujettis du fait des exigences de la loi canadienne?
J'ai remarqué, madame la présidente, que vous commenciez à sourire. J'imagine que c'est là tout un sujet de conversation. Il y a ces pays étrangers, mais ils participent avec vous à des enquêtes pour essayer de mettre la main sur ces criminels. Je suppose que vous êtes liés par les normes canadiennes quant à la façon dont les mandats de perquisition et autre sont exécutés dans d'autres pays. Ai-je raison de croire cela?
M. Frizell : Non. La Charte s'applique sur une échelle plus globale. En d'autres termes, si vous êtes canadien, vous ne pouvez pas commettre une infraction en Allemagne et vous attendre à ce que la Charte canadienne vous protège. Vous avez choisi d'aller en Allemagne et de commettre une infraction.
La plupart de nos lois et les traités d'entraide juridique ont pour objet de faciliter les enquêtes dans le cas de personnes qui se sont rendues dans un autre pays et y ont commis une infraction. Dans le cas d'une personne qui navigue sur Internet au Canada et qui commet une infraction à l'endroit d'une personne se trouvant au Royaume-Uni, c'est la première fois dans notre histoire, que je sache, qu'il nous faut compter sur les lois et la police d'un autre pays pour protéger nos enfants, dans leur Chambre à coucher, ici dans notre pays. Et les services de police étrangers doivent eux aussi compter sur nous en retour. C'est pourquoi nous tenons fermement à ce que les lois canadiennes maintiennent le rythme par rapport aux lois d'autres pays développés.
Le sénateur Baker : Vous avez dit qu'une part importante de votre travail concerne ces sites pour lesquels paient les auteurs des crimes dont nous parlons. Est-ce que les sites qui fabriquent le matériel qui enfreint la loi canadienne et le paiement de ces services peuvent à l'occasion s'étendre à deux ou trois pays différents? Par exemple, le règlement d'un compte de carte de crédit est-il effectué quelque part en Europe alors que le site pour ce qui est de la compilation du matériel se trouve aux États-Unis, ou bien les transactions sont-elles plutôt alignées, en ce sens qu'elles se font entre une personne et une autre ou une agence?
M. Frizell : La chose est compliquée. Les enfants peuvent être violés dans un pays ou dans plusieurs pays. Les images peuvent être acheminées vers un point dans un autre pays où les contrevenants auront un site pour la publicité géré à partir d'un pays, un site pour le paiement géré dans un autre, et un site d'affichage des images hébergé dans un troisième pays. Ces choses peuvent changer en l'espace de quelques minutes. Un site qui est hébergé dans un pays peut du jour au lendemain être hébergé dans un fuseau horaire ou un hémisphère tout à fait différent. Il est extrêmement difficile de mettre la main sur ces gens-là.
Le sénateur Baker : Pourriez-vous nous indiquer quel pays est en tête de peloton pour ce qui est du paiement de ces services? Y a-t-il un pays dans lequel sont concentrés un nombre élevé de ces paiements par carte de crédit?
M. Frizell : Je ne dispose pas de données récentes là-dessus.
Le sénateur Milne : Sergente-détective Scanlan, j'ai lu que la ministre Oda a déclaré que le Canada dépensera 2,6 millions de dollars au cours des trois prochaines années pour former des services de police de pays en développement dans l'utilisation de ce système canadien de dépistage d'exploitation d'enfants. Si je comprends bien, il s'agit d'un système qui a été élaboré du fait que l'un de vos collègues au Service de police de Toronto, le sergent-détective Paul Gillespie, ait envoyé un courriel à Bill Gates lui demandant de l'aide dans la lutte contre l'abus d'enfants sur Internet.
Je n'en reviens pas qu'il puisse y avoir dans le monde 50 000 prédateurs en ligne à tout instant. Si vous étiez en ce moment en train de vous adresser à des parents, ce qui est le cas, car cette audience est en train d'être télévisée, que leur diriez-vous de faire pour protéger leurs enfants?
Mme Scanlan : La première chose que je dirais est qu'il importe de maintenir ouvertes leurs lignes de communication avec leurs enfants et d'avoir un plan au préalable, à la manière d'un exercice d'incendie. La crainte numéro un des enfants est que vous leur retiriez leur accès, et si donc quelque chose se passe, ils ne vous le diront peut-être pas. Ils auront peut-être peur de vous le dire ou bien ils ne vous livreront que des bribes et vous n'aurez peut-être pas toute l'histoire. Cependant, si vous avez à l'avance une discussion ouverte avec vos enfants et si vous leur parlez du risque de cyber-intimidation ou du leurre, s'il devait arriver quelque chose, votre enfant saurait quelle serait votre réaction. Il se confierait sans doute probablement à vous ou à un autre adulte en qui il a confiance et il vous sera alors possible de traiter de manière efficace de la situation.
Le sénateur Milne : J'espère que les gens sont en train d'écouter.
Le sénateur Andreychuk : Pour résumer simplement vos mémoires, et nous parlons ici du projet de loi C-2 et de l'augmentation de l'âge de protection pour le porter à 16 ans, les enfants n'ont pas changé, en ce sens qu'ils grandissent et mûrissent et que leur développement émotif demande du temps. Nous surveillons depuis longtemps les questions de maturation, et nous avons souvent discuté de la question de savoir à partir de quel âge une personne est pleinement adulte. Il semble que l'on s'entende maintenant généralement pour dire que c'est à partir de l'âge de 18 ans que l'on peut être considéré comme pleinement adulte.
Je disais autrefois que les enfants sont les mêmes, mais que les outils qu'ils ont aujourd'hui sont différents. Il y a Internet, et ils ont accès à des informations qui n'étaient jamais à leur disposition auparavant. Lorsque j'étais juge au tribunal de la famille, je regardais du côté de la communauté, des parents, de l'école, ou peut-être des journaux, voire même d'une ou deux émissions de télévision pouvant avoir une incidence sur eux. En cette ère nouvelle du cellulaire et d'Internet, les outils sont sans limite. Il nous faut reformer les enfants quant à ce qu'ils doivent faire pour se protéger et il nous faut apprendre aux parents quoi faire. Les parents disaient autrefois « Méfiez-vous des gens que vous ne connaissez pas ». Lorsqu'un enfant va sur Internet, il faut l'équiper pour autre chose que la vie à l'école ou dans la rue.
Cela m'a intéressée que le Centre canadien de protection de l'enfance se soit vu verser 2 millions de dollars pour élaborer des outils à destination des parents en vue d'identifier ces questions dont vous parlez. Une partie de ce que je vois faire le projet de loi C-2 c'est éduquer le public canadien en le sensibilisant à ces problèmes et au fait que ce comportement n'est pas acceptable. Vous ne pouvez pas faire ce genre de choses au Canada et vous ne pouvez pas les faire à l'étranger. J'aime bien l'attitude de Mme Oda en la matière, car nous ne pouvons pas faire ce travail tout seul. Il s'agit d'un problème d'envergure mondiale, et les enfants sont vulnérables où qu'ils se trouvent.
Le projet de loi C-2, s'il est bien géré, sera-t-il un outil éducatif de plus pour dire aux gens que ce genre de comportement est inacceptable? Les personnes qui s'immiscent dans la maturation des jeunes gens sont différentes par rapport à la situation qui existait dans ma jeunesse. Il nous faut comprendre ce qu'il y a derrière ce désir de faire passer l'âge de protection de 14 à 16 ans, compte tenu des outils et de l'accès que nous avons créés. Ai-je raison de croire que c'est là la philosophie fondamentale qui sous-tend ce qui est proposé ici?
M. Frizell : Je suis d'accord avec vous. Comme je l'ai dit tout à l'heure, cela revient à tirer un trait dans le sable. Voici ce qui est acceptable au Canada et voici ce qui ne l'est pas.
Le sénateur Cowan : Chef Mackenzie, j'aimerais revenir à la discussion que vous et moi avons eue tout à l'heure. Le sénateur Campbell avait certains commentaires à faire ainsi que des questions au sujet de l'incidence des crimes commis avec des armes à feu, c'est-à-dire le nombre de fois que des accusations sont véritablement portées.
Je pense que ce serait une erreur si nous faisions quelque chose dont les gens penseraient à tort que cela est efficace, alors qu'en fait nous les décevrions, en ce sens que les gens supposeraient qu'en adoptant ces peines d'emprisonnement minimales obligatoires cela voudrait dire que toute personne qui se ferait arrêter avec une arme à feu serait envoyée en prison pour la durée stipulée. Le projet de loi retire le pouvoir discrétionnaire du juge en la matière, mais non pas le pouvoir discrétionnaire de la Couronne de négocier un plaidoyer au fur et à mesure de l'évolution de l'affaire devant le tribunal.
N'y a-t-il pas un risque que le public pense que le projet de loi corrige un problème et que ces mauvais éléments qui ont des armes à feu et qui ne devraient pas en avoir iront en prison quoi qu'il arrive? En fait, ils ne vont pas être incarcérés. Je repense à ce qui s'est passé en 1995 lorsqu'un nombre important d'infractions ont été ajoutées à la catégorie de celles assorties de peines minimales obligatoires. Nous avons maintes et maintes fois dit aux fonctionnaires : vous avez eu depuis 1995 pour nous montrer que ces ajouts en matière de peines minimales obligatoires au Code criminel ont eu une incidence. On ne nous a rien montré.
L'on supposerait que s'il y avait des données positives à l'appui de peines minimales obligatoires, alors le gouvernement les aurait déjà brandies, mais ce n'est pas le cas. Ne risquons-nous pas d'aggraver le problème en induisant le public en erreur, lui faisant croire que ces dispositions du projet de loi C-2 changeront quelque chose, alors que ce ne sera pas le cas?
M. Mackenzie : Je ne peux pas répondre à cette question autrement qu'en répétant que, de notre point de vue, ce que nous avons à l'heure actuelle ne semble pas fonctionner et que l'ACCP n'appuierait pas ce régime si nous ne pensions pas qu'il avait de bonnes chances d'améliorer les choses par rapport à la situation actuelle. Vos observations sont justes, et il faudrait qu'y répondent des personnes mieux informées que moi. Peut-être qu'il vous faudrait convoquer des avocats de la Couronne pour qu'ils répondent à cette question.
Il y a une relation étroite en Colombie-Britannique entre les avocats de la Couronne et la police. Il y a un comité provincial, dont je suis coprésident aux côtés du sous-procureur général adjoint, et nous discutons de la politique publique et de l'harmonisation des stratégies et priorités de la police avec celles de la Couronne, tout en acceptant que nous sommes indépendants les uns des autres. Je suis convaincu, et je pense que l'ACCP est convaincue, que les avocats de la Couronne chercheront toujours à appliquer leur pouvoir discrétionnaire dans l'intérêt du public, sensibles qu'ils sont au fait que cette question revêt une importance telle que le Parlement a adopté des peines d'emprisonnement minimales obligatoires accrues et qu'il ne faut pas les trahir dans le marchandage de plaidoyers. Cela se ferait-il tout le temps? Non, mais je pense que l'on constatera davantage d'incarcérations.
Le sénateur Cowan : Encore une fois, avec tout le respect que nous devons aux procureurs de la Couronne, pourquoi devrions-nous croire que l'exercice par eux de ce pouvoir discrétionnaire servirait mieux l'intérêt public que si cela revenait aux juges? Il n'y a aucun appel d'une décision d'un procureur de la Couronne, mais il peut y avoir appel si un juge a été trop généreux; c'est là l'objet même des cours d'appel. Montrez-moi en quoi j'ai tort là-dessus.
M. Mackenzie : Je pense que vous avancez un argument rationnel. Il vous faudrait demander à un expert constitutionnel si même le Parlement est habilité à intervenir en matière de pouvoir discrétionnaire d'avocat de la Couronne. Le Parlement est habilité, en vertu de la Charte des droits, à fixer des peines minimales.
Le sénateur Cowan : À l'intérieur de certains paramètres.
M. Mackenzie : À l'intérieur des paramètres de la Charte, et ce sont les tribunaux qui auront le dernier mot là- dessus.
La présidente : Je tiens à vous remercier tous les trois. Nous avons entendu des témoins intéressants au fil de notre étude du projet de loi, mais il me faut dire que vos témoignages ont peut-être été les plus prenants de tous. Nous vous en sommes très reconnaissants.
[Français]
Honorables collègues, nous avons le plaisir d'accueillir, en cette fin d'après-midi, les témoins suivants : à titre personnel, M. Mohamed Ben Amar, professeur à l'Université de Montréal, du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, M. Doug Beirness, gestionnaire, Recherche et politiques, et de l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, M. Kirk Tousaw, président du Comité pour la politique en matière de drogues.
Avez-vous discuté entre vous pour savoir qui commencerait? Professeur Ben Amar?
Mohamed ben Amar, professeur, Université de Montréal, à titre personnel : Madame la présidente, je vous remercie de m'avoir invité à témoigner devant votre comité. La conduite d'un véhicule moteur sous l'influence des drogues est un problème qui nous préoccupe tous. Les substances qui affectent cette conduite s'appellent des psychotropes. Un psychotrope est une substance qui peut affecter les perceptions, l'humeur, la conscience, le comportement et plusieurs fonctions physiques et psychologiques. On distingue cinq grandes catégories de psychotropes, comme vous pouvez le voir dans ma présentation.
La première est ce qu'on appelle les dépresseurs du cerveau. Ces substances vont ralentir les fonctions psychiques, nous rendre plus relaxés et moins sensibles à notre environnement. Dans cette classe, nous trouvons, entre autres, l'alcool, une autre catégorie de substances qu'on appelle les anxiolytiques, qui vont diminuer ou supprimer l'état d'anxiété, les sédatifs qui calment la personne et les hypnotiques qui nous aident à dormir. Je citerai, dans cette catégorie, des substances que vous connaissez bien pour être utilisées dans la population : le Valium, le Xanax, le Fiorinal, l'Imovan, le Starnoc sont toutes des substances de cette catégorie. Dans cette même première catégorie, on retrouve aussi le GHB, les opiacés comme la morphine, la codéine, la méthadone, l'héroïne. Et, finalement, les substances volatiles.
La deuxième catégorie s'appelle « les stimulants du système nerveux central », donc essentiellement au niveau du cerveau. On va distinguer les stimulants majeurs qui comprennent les amphétamines et la cocaïne — il faut retenir que les amphétamines sont plus puissantes que la cocaïne — et les stimulants mineurs qui comprennent la caféine et la nicotine.
La troisième catégorie comporte les hallucinogènes. Ces substances vont perturber les fonctions psychiques et peuvent entraîner des perturbations assez importantes au niveau du cerveau. Dans cette classe, nous allons retrouver le cannabis et les dérivés dans cette classe, ainsi que d'autres hallucinogènes comme le LSD, la mescaline, le PCP, l'ecstasy, la kétamine, et cetera.
Dans la quatrième catégorie, nous trouvons les médicaments psychothérapeutiques, essentiellement les médicaments antidépresseurs, les médicaments antipsychotiques qui traitent les psychoses, essentiellement la schizophrénie, et les stabilisateurs de l'humeur, qui traitent la maladie bipolaire.
Finalement, dans la cinquième catégorie, nous trouvons ce qu'on appelle les androgènes et les stéroïdes anabolisants.
En révisant cette classification, on voit que chaque substance a ses propriétés spécifiques. Donc, pour évaluer un état et un niveau d'intoxication, il faut adapter des tests à chaque catégorie de substance.
Je voudrais apporter quatre commentaires sur la section « Conduite avec les facultés affaiblies » du projet de loi. Le premier concerne les tests de sobriété sur la route qui sont tout à fait acceptables. Il faut cependant noter qu'ils doivent être validés scientifiquement pour chaque catégorie de substances, et il faut s'assurer que l'interprétation du résultat des tests est convenable.
Le deuxième élément concerne les prélèvements des échantillons corporels au poste de police. Il faut, à mon avis, privilégier les tests de prise de sangs, car les tests de salive sont imprécis et les tests d'urine ont leurs faiblesses. Il faut cependant noter que même si un test sanguin est positif, cela ne veut pas dire nécessairement qu'au moment de la conduite du véhicule moteur, la personne était sous l'influence de cette drogue.
Le troisième élément concerne la notion des alcotests et la notion restrictive de preuve contraire. Il est très difficile, à mon avis, de démontrer le mauvais fonctionnement d'un appareil. De plus, il est possible, dans certain cas, que même si les tests d'alcool au poste de police révèlent un taux d'alcool supérieur à 80 milligrammes par 100 millilitres de sang, il est possible qu'au moment de la conduite du véhicule moteur, pour différentes raisons physiologiques, la personne ne dépasse pas la limite légale.
Et finalement, il est important de porter une attention particulière sur le mélange des drogues car, souvent, une personne sous l'influence d'une drogue l'a mélangée avec l'alcool ou d'autres substances, ce qui peut parfois affecter davantage les effets.
Voici un peu ce que j'avais à dire. Je vous remercie de votre attention et je serai heureux de répondre à vos questions.
La présidente : Si tous les témoins étaient aussi précis et concis que vous, le temps consacré à notre étude en serait grandement diminué! Non pas que cela n'a pas été fascinant, tous nos témoins ont été très intéressants.
[Traduction]
Doug Beirness, gestionnaire, Recherche et politiques, Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies : Dans l'intérêt de la brièveté, je vais lire mon mémoire, ce qui m'évitera de m'égarer hors du sujet.
Au nom du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, je vous remercie de votre invitation à vous faire part aujourd'hui de nos vues sur la question de la drogue au volant, dans le cadre de votre étude du projet de loi C-2.
Comme vous le savez peut-être, le CCLAT est un organisme national canadien non gouvernemental fondé en 1988 par une loi du Parlement pour assurer un leadership à l'échelle nationale et fournir des analyses et des conseils factuels en matière de consommation et d'abus de substances au Canada. C'est pourquoi la problématique de la drogue au volant présente un grand intérêt pour notre organisme, et nous croyons être en mesure de contribuer de façon importante à ce débat.
Le CCLAT est favorable aux articles du projet de loi traitant de la drogue au volant, et surtout à l'obligation, pour les conducteurs soupçonnés de conduire avec les facultés affaiblies par la drogue ou l'alcool, de se soumettre à une épreuve de coordination des mouvements, comme le test normalisé de sobriété administré sur place, d'être soumis à une évaluation par un policier formé au Programme d'évaluation et de classification des drogues et de fournir un échantillon de liquide corporel à des fins d'analyse. Ces dispositions favoriseront la mise en place d'un mécanisme parallèle et comparable à celui actuellement utilisé pour la conduite en état d'ébriété.
Je crois, tout comme mes collègues du CCLAT, que la conduite avec facultés affaiblies constitue un sérieux problème au Canada. Quand le grand public pense à la drogue, il voit des vies détruites par la toxicomanie. Mais il oublie souvent les conséquences graves et tragiques des collisions causées par les conducteurs dont les facultés sont affaiblies par ces substances. De plus en plus d'écrits scientifiques documentent l'affaiblissement des facultés par les drogues et le risque élevé d'accidents résultant de leur consommation.
Selon des études épidémiologiques sur l'usage de drogue chez les conducteurs mortellement blessés au Canada, on a détecté la présence de drogue, et souvent d'alcool, chez près de 30 p. 100 des conducteurs. Lors de sondages d'opinions, environ 17 p. 100 des conducteurs canadiens avouent avoir conduit dans les deux heures suivant la prise d'une substance affaiblissant les facultés.
Une analyse des données tirées de l'Enquête sur les toxicomanies au Canada a mis en évidence que 5 p. 100 des conducteurs reconnaissaient avoir pris le volant dans les deux heures suivant la consommation de cannabis. De plus, 21 p. 100 des 16 à 18 ans ont dit avoir conduit après avoir consommé du cannabis, soit un chiffre légèrement supérieur aux 20 p. 100 qui ont pris le volant après avoir bu. De tels constats donnent à penser que le problème de la drogue au volant n'est nullement insignifiant et pourrait même aller s'aggravant.
Les travaux que nous avons réalisés sur la question soulignent les risques que pose pour la circulation routière l'affaiblissement des facultés causé par les drogues. Ils montrent aussi que, comparativement à ce que nous savons sur l'alcool au volant, nos connaissances sur la drogue sont extrêmement limitées. Cette situation est due en grande partie au fait que la problématique de la drogue au volant est beaucoup plus complexe que celle de l'alcool au volant. Ces complexités ont ralenti les progrès dans le domaine et fragilisent toute prise de position catégorique sur l'ampleur du problème. C'est pourquoi il est nécessaire de réaliser des recherches scientifiques crédibles sur le sujet afin d'en connaître la véritable nature et l'ampleur réelle au Canada.
La recherche dans ce domaine est confrontée à la difficulté constante de dépister et d'évaluer les drogues qui peuvent affaiblir les facultés des conducteurs. Si la présence et la quantité d'alcool sont facilement établies grâce à l'alcootest, il n'existe à l'heure actuelle aucun instrument fiable comparable à l'alcootest pour contrôler les conducteurs ayant absorbé d'autres substances. Des innovations technologiques utilisant les fluides buccaux portent à croire qu'il sera possible de mettre au point un appareil de détection d'autres drogues, mais peut-être pas avant quelques années.
En outre, si un consensus existe sur le niveau d'alcoolémie associé à la conduite avec facultés affaiblies, aucun niveau du genre n'a été établi en ce qui concerne les autres substances psychotropes. La courbe de risque relatif de l'alcool présentée dans l'étude classique du professeur Borkenstein a largement déterminé l'adoption de la limite de 80 milligrammes par décilitre d'alcool en 1969, mais une telle courbe reste à établir dans le cas des autres drogues. Il importe par conséquent que les tests visant à déterminer le niveau d'affaiblissement des capacités d'un conducteur aillent de pair avec la collecte et l'analyse de fluides corporels pour y détecter la présence de drogues.
Au cours des dernières années, mes collègues et moi avons collaboré avec la GRC à l'évaluation du Programme d'évaluation et de classification des drogues, aussi appelé PECD. La semaine dernière, le sergent Rob Martin a expliqué au comité que le PECD est un protocole systématique et normalisé visant à déceler les signes et symptômes associés à l'affaiblissement des facultés causé par une drogue. Dans le cadre de notre projet, nous avons passé en revue des données scientifiques sur la précision du PECD et en avons déduit que la capacité des policiers formés à déterminer la catégorie de drogue responsable des signes et symptômes était très bonne, avec des taux de fiabilité dépassant généralement 85 p. 100. Les faux négatifs — c'est-à-dire les signes non décelés — n'étaient pas rares, mais les faux positifs — c'est-à-dire les erreurs — étaient relativement rares. Un article de synthèse a récemment été publié dans la revue Traffic Injury Prevention, après examen par les pairs.
Nous nous sommes également penchés sur les évaluations de conducteurs réalisées par des policiers canadiens formés au protocole PECD. Des copies de ce rapport sont également disponibles auprès du greffier. Les résultats montrent que dans 95 p. 100 des cas, la catégorie de drogues identifiée par le policier évaluateur comme responsable de l'affaiblissement des facultés correspondait à la catégorie mise en évidence par les analyses toxicologiques. Si l'on ne prend que les cas de conducteurs effectivement arrêtés au bord de la route, l'exactitude passe à 98 100.
Nous avons également étudié la fiabilité du protocole PECD, c'est-à-dire la mesure dans laquelle différents agents s'accordent sur la catégorie de drogues concernée. Nous avons remis à un groupe d'experts en reconnaissance de drogues sélectionnés au hasard les résultats d'évaluation de 23 cas. Les renseignements fournis ne concernaient que les observations recueillies et les résultats des tests faits lors de l'évaluation originale. Le rapport du policier procédant à l'arrestation, son exposé des faits et tout aveu de consommation fait par le suspect étaient les données communiquées. Au moyen de ces renseignements limités, les agents s'accordaient dans 75 p. 100 des cas sur la catégorie de drogues, selon notre analyse.
Nous considérons cela comme de très bons résultats, sachant que nos experts ne pouvaient observer directement le suspect et ne disposaient que d'une information limitée. Ces résultats sont en outre conformes à ceux d'une étude similaire effectuée aux États-Unis.
Aussi positifs que soient nos résultats de recherche, il est évident que le protocole PECD n'est pas parfait. Les données indiquent que son exactitude varie en fonction de la classe de drogues, c'est-à-dire que certaines drogues sont plus difficiles à détecter que d'autres. La consommation de plusieurs drogues et la combinaison d'alcool avec une autre substance peut masquer certains symptômes et en exacerber d'autres, entraînant des erreurs d'identification de la catégorie de drogues.
Nous sommes malgré tout convaincus que le PECD constitue la meilleure procédure à notre disposition pour évaluer l'affaiblissement des facultés causé par la drogue. Il faudra procéder à des recherches et évaluations supplémentaires pour mieux comprendre le rôle des drogues dans la sécurité routière et déterminer la meilleure façon d'identifier et de prendre en charge efficacement les individus qui ont ce comportement. Par exemple, en examinant l'exactitude des évaluations PECD, il serait avantageux de connaître la quantité de substances détectées dans l'échantillon de liquide, plutôt que la seule indication de sa présence ou de son absence. En effet, des niveaux très faibles de drogue pourraient expliquer certains des cas manqués. Connaître les niveaux de drogue pourrait permettre en outre, d'isoler des seuils de détection des diverses substances.
La poursuite des travaux de recherche-développement sur le protocole conduira à des améliorations. Nos propres recherches se poursuivent et nous utilisons actuellement les évaluations existantes pour isoler des groupes de variables clés permettant d'identifier des catégories spécifiques de drogues.
Nous croyons en outre qu'il est impératif de focaliser sur la question de l'affaiblissement des capacités pour remplir l'objectif fondamental de la loi proposée. La seule présence d'une drogue ne suffit pas pour prouver qu'un conducteur a les facultés affaiblies. Le mécanisme établi par la loi requiert que l'enquêteur ait des motifs raisonnables de soupçonner l'affaiblissement de la capacité de conduire un véhicule pour exiger le prélèvement d'un échantillon de fluide corporel. On écarte ainsi la crainte que des accusations criminelles soient portées suite à un test de dépistage positif sans qu'il y ait eu consommation réelle ou récente de drogue.
Cela élimine également la possibilité que des conducteurs prenant un médicament en vente libre ou prescrit par un médecin soient inculpés. En effet, la police doit d'abord établir que les facultés du conducteur étaient affaiblies.
Vous réalisez sans doute déjà que l'application du projet de loi C-2 exigera des policiers formés à faire passer les tests de mesure des facultés affaiblies et à appliquer les techniques d'évaluation et de classification des drogues. On compte actuellement au Canada 2 427 policiers qualifiés à faire passer le test normalisé de sobriété et seulement 214 experts certifiés en reconnaissance de drogues.
D'après mon expérience personnelle, la formation PECD est intense et exigeante. De l'avis général, c'est sans doute le cours de formation des policiers le plus difficile de tous. Il exige de la résolution, une étude assidue et de la pratique. Pour que la loi ait un effet bénéfique sur la conduite avec facultés affaiblies par les drogues, il faut s'engager à former des policiers à utiliser ces techniques et continuer à développer et évaluer ces dernières.
Le dépôt de ce projet de loi et l'établissement de programmes de formation connexes sont des mesures audacieuses et nécessaires pour lutter contre un problème persistant et croissant. Cependant, pendant votre examen de ce projet de loi, il importera de réaliser que l'action répressive n'est qu'un volet d'une stratégie globale de lutte contre la drogue au volant. Il faut aussi un volet prévention, jugement et réadaptation comme élément intégrant d'une stratégie d'ensemble si l'on veut lutter efficacement contre la conduite avec facultés affaiblies par la drogue.
Il faudra mettre en œuvre des programmes d'éducation et de sensibilisation visant spécifiquement des sous-groupes particuliers de consommateurs de drogues — jeunes, personnes d'âge moyen et personnes âgées. Les procureurs et l'appareil judiciaire devront être bien informés des types de preuve qui seront soumises dans les causes de drogues au volant; il faudra enfin traiter de manière appropriée les contrevenants condamnés, non seulement en leur imposant des sanctions mais aussi en leur offrant des options de réadaptation efficaces.
Enfin, nous aimerions recommander qu'une attention particulière soit accordée à la nécessité de procéder à une évaluation poussée de la loi et de l'utilisation à grande échelle du PECD. À nos yeux, l'évaluation ne consiste pas simplement à déterminer si un programme est une réussite ou un échec. L'évaluation sert à informer les décideurs des améliorations requises pour optimiser l'efficacité d'un programme et le rentabiliser. En matière de drogue au volant, il est crucial d'effectuer un suivi et une évaluation en continu.
Pour terminer, j'apprécie l'occasion qui nous a été offerte de présenter au comité nos vues sur la drogue au volant. Je vous remercie de votre attention et me ferai un plaisir de répondre aux questions qui vous pourriez avoir.
Kirk Tousaw, président, Comité pour la politique en matière de droques, Association des libertés civiles de la Colombie- Britannique : Je suis ici comme membre bénévole du conseil d'administration et président du Comité pour la politique en matière de droques, Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique. Nous sommes l'association la plus ancienne et la plus active à défendre les libertés civiles et démocratiques et les avocats les plus engagés dans ce domaine au Canada.
Je remercie le comité de son invitation à comparaître sur ce sujet important et à traiter des effets du projet de loi C-2. Je commencerai mon exposé par une prise de position générale concernant le rôle du droit criminel dans notre société. J'aborderai ensuite trois éléments particuliers du projet de loi C-2 : les peines minimales obligatoires sanctionnant les infractions relatives aux armes à feu, la majoration de l'âge du consentement sexuel et l'octroi de vastes pouvoirs d'enquête nouveaux à la police dans les cas de suspicion de conduite avec facultés affaiblies par la drogue.
De manière générale, l'État devrait être réticent à user du pouvoir pénal, et particulièrement prudent avant d'alourdir les peines, créer de nouvelles infractions ou consentir à un accroissement sensible du pouvoir policier. La raison en est que le droit pénal représente le moyen le plus coercitif dans la boîte à outils de l'État.
Les libertés civiles dont jouissent les Canadiens et qui forment la pierre angulaire de notre démocratie sont rarement plus menacées que lorsque l'État agit dans le domaine de la politique pénale. Des modifications au droit criminel ne devraient être envisagées que lorsqu'existe, au minimum, un besoin social démontrable et elles ne devraient être décidées qu'après un examen très soigneux de la nécessité et des conséquences des politiques suivies.
Malheureusement, le projet de loi C-2 ne remplit aucune de ces deux conditions. Le projet de loi ne répond à aucun besoin réel ou apparent dans le Code criminel, comme beaucoup d'autres que nous, et notamment le professeur de criminologie Neil Boyd, l'ont fait ressortir à ce comité. Plus grave encore, la contrainte sous laquelle la Chambre des communes a adopté ce projet de loi, et la pression exercée par le gouvernement actuel sur votre assemblée pour qu'elle adopte rapidement le projet de loi, témoignent d'un grand mépris pour les principes de l'examen attentif, de la réflexion et du débat sur des questions de la plus haute importance.
Les enjeux que sont les armes à feu, l'activité sexuelle des adolescents, la protection de la vie privée et le respect des voies de droit régulières sont beaucoup trop importants pour qu'on les détourne pour un gain politique immédiat. Tous les Canadiens pâtissent lorsque la précipitation l'emporte sur la réflexion. Je suis heureux que votre assemblée semble vouloir prendre le temps nécessaire pour réfléchir à ces questions et je vous exhorte de tenir ferme face à la pression politique vous incitant à la hâte.
Pour ce qui concerne les peines minimales, l'association est généralement opposée à leur usage. Le pouvoir judiciaire discrétionnaire en matière de détermination de la peine représente l'un des attributs de notre démocratie et constitue un principe fondamental de notre système de justice pénale. De fait, le battage médiatique occasionnel à propos de peines inappropriées — statistiquement rares, mais probablement un facteur ayant conduit directement à cette partie du projet de loi — reconnaît implicitement ce principe tout en semblant militer pour l'inverse.
Dans les rares cas où des juges ont imposé des peines perçues comme inappropriées — et, de ce fait, presque toujours trop courtes — la désapprobation tient presque toujours au fait que le châtiment n'est pas à la mesure du crime. Permettez-moi de souligner que ces cas sont rares et échappent à la norme de détermination des peines. Dans la vaste majorité des cas, le juge prononçant la sentence parvient très bien à tailler la peine à la mesure des faits de l'affaire jugée.
Un vieux dicton veut que les mauvaises affaires fassent les mauvaises lois. Je le modifierai pour dire qu'une mauvaise presse conduit souvent à une mauvaise loi.
Malheureusement, le recours aux peines minimales obligatoires va exacerber le problème des peines inappropriées. Il arrive, mais rarement, qu'une peine trop légère soit imposée pour un crime grave. Cependant, si ce projet de loi est adopté, nous pouvons nous attendre à voir couramment des peines beaucoup trop dures dans le contexte du cas jugé, car les juges ne pourront plus user de leur ancienne latitude à formuler des peines tenant compte du degré de culpabilité d'un contrevenant et de son rôle dans le délit. C'est l'expérience vécue dans d'autres juridictions usant régulièrement de peines minimales obligatoires.
D'autres inconvénients des minimums obligatoires comprennent leur impact différentiel sur les minorités raciales et les justiciables économiquement défavorisés, le coût sensiblement accru associé tant au système de justice pénale qu'au système correctionnel, une capacité réduite des agents correctionnels et des commissions de libération conditionnelle à influer sur le comportement des détenus, et une tolérance croissante pour l'imposition de peines minimales obligatoires dans des situations où les preuves empiriques de l'efficacité de ces politiques sont encore plus ténues que dans le domaine des infractions commises avec armes à feu — je songe, par exemple, aux délits touchant la drogue.
Ce dernier facteur est manifeste dans le projet de loi C-26 actuellement proposé par le gouvernement, qui ajouterait une série de minimums obligatoires à la politique de prohibition des drogues défaillante et néfaste suivie dans notre pays.
Sur la question des peines minimales, je citerais une étude à leur sujet effectuée par le ministère de la Justice Canada. Je cite :
La neutralisation comme outil de prévention doit être maniée avec une grande précision; sinon, ses effets défavorables pourraient bien l'emporter sur ses avantages. Par conséquent, on ne devrait pas instituer de PMO à seules fins d'apaiser l'indignation des électeurs ou sans une connaissance approfondie des infractions et des délinquants auxquels on veut les appliquer.
L'association s'oppose respectueusement à la majoration de l'âge du consentement sexuel. Là encore, il semble n'exister que peu ou pas d'indications empiriques établissant la nécessité de relever l'âge du consentement sexuel au Canada, établi de longue date. Une prise de décision sexuelle responsable est un processus évolutif qui exige un encadrement social et non un contrôle législatif. Les jeunes gens sont déjà protégés contre l'exploitation sexuelle, la corruption d'enfants sur l'Internet et la prostitution par les articles 150 à 172.1 et les paragraphes 212(2) et 212(4) du Code criminel couvrant les infractions sexuelles et l'inconduite. Majorer l'âge du consentement va créer des barrières à l'information relative à la santé sexuelle, particulièrement chez les jeunes marginalisés qui en ont le plus besoin. Les barrières à l'information sur la santé sexuelle provoqueront davantage de cas de maladies transmissibles sexuellement, de VIH/sida et de grossesse chez les adolescentes. La majoration de l'âge du consentement peut criminaliser des relations sexuelles saines entre jeunes gens et restreindre indûment leur autonomie et liberté sexuelle. Enfin, cette loi aura probablement des effets discriminatoires car ils seront davantage ressentis par les minorités sexuelles, qui souffrent déjà d'une stigmatisation considérable associée à leur sexualité. La meilleure façon de protéger les enfants et les adolescents est par l'éducation et l'habilitation, et non le droit criminel.
En vertu du Code criminel, l'âge du consentement aux relations sexuelles anales est actuellement de 18 ans — quatre ans de plus que les autres formes de rapports sexuels. Cette disparité a été critiquée comme ciblant et criminalisant les rapports consensuels entre adolescents de sexe masculin. Lorsque la Cour d'appel de l'Ontario a déclaré cet article du Code criminel anticonstitutionnel, un jugement auquel s'est jointe la Cour d'appel du Québec, la juge Abella, écrivant pour la majorité, a mis en évidence un aspect méritant d'être examiné dans ce contexte :
Les risques sanitaires relèvent du système de soins de santé. Paradoxalement, l'un des effets bizarres d'une disposition criminalisant les relations anales consensuelles chez les adolescents est que l'éducation sanitaire qu'ils devraient recevoir pour les protéger des préjudices évitables risque d'être entravée, puisqu'elle pourrait être interprétée comme conseiller à des jeunes gens une forme de conduite sexuelle que la loi leur interdit de pratiquer. Ainsi, la disposition du Code criminel ostensiblement conçue pour mettre à l'abri les adolescents risque, en entravant l'éducation sur les risques sanitaires associés à ce comportement, de contribuer aux méfaits qu'elle cherche à réduire.
Le résumé législatif accompagnant le projet de loi C-2 fait remarquer que l'âge moyen du premier rapport sexuel est de 14,1 ans pour les garçons et de 14,5 ans pour les filles. Nombre de ces jeunes gens seront criminalisés du fait de ce projet de loi.
En fin de compte, la majoration de l'âge du consentement déshabilite les jeunes Canadiens en leur enlevant non seulement la faculté de consentir mais aussi celle de refuser le consentement à l'activité sexuelle. L'association craint que le relèvement de l'âge du consentement restreigne l'autonomie décisionnelle des jeunes gens et leur accès à l'information sexuelle et aux services.
À tout le moins, si l'âge du consentement pour les rapports non anaux est porté à 16 ans comme le projet de loi le propose, il faudrait remédier à la discrimination juridique actuelle et ramener l'âge du consentement pour les rapports anaux de 18 à 16 ans. Au moins cela réduirait l'impact différentiel du régime actuel sur les minorités sexuelles et introduirait plus de cohérence et une dose d'égalité dans le droit à cet égard.
Enfin, en ce qui concerne la conduite avec facultés affaiblies, l'association est opposée aux modifications du Code criminel dans ce domaine. Je traiterai de deux points : premièrement, la restriction des éléments de preuve pouvant être présentés pour contester les résultats du test d'alcoolémie; et deuxièmement, le régime des tests de sobriété.
La limitation des éléments de preuve invocables pour contester les alcootests, les tests mesurant le taux d'alcoolémie, est fondée sur la prémisse erronée que le test est infaillible. En restreignant indûment le droit garanti par la Charte à une réponse et défense complètes et à la présomption d'innocence, les limitations proposées vont certainement être contestées et elles sont susceptibles d'être jugées anticonstitutionnelles. Plutôt que de réduire le temps passé en tribunal à plaider les causes fondées sur le taux d'alcoolémie — l'une des prétendues justifications de ces changements — cette loi va considérablement alourdir le fardeau pesant sur le système de justice criminelle. Cette mesure est bonne pour les avocats pénalistes comme moi, mais mauvaise pour le système de justice criminelle. La présomption d'innocence et le droit correspondant à introduire des éléments de preuve pour se défendre sont le fondement même de notre système de justice criminelle et ne doivent pas être écartés sans raison impérative.
Les procédures de dépistage de la drogue proposées sont problématiques pour plusieurs raisons. J'en passerai en revue cinq le plus rapidement possible.
Premièrement, la fiabilité des méthodes de dépistage des drogues est sérieusement mise en doute.
Deuxièmement, les tests de salive, d'urine et de sang représentent une atteinte invasive à l'intimité et sont souvent vécus comme dégradants et humiliants par les sujets.
Troisièmement, la procédure prévue dans la loi est lourde et extrêmement longue. N'oublions pas que le suspect est détenu par la police pendant tout ce temps.
Quatrièmement, et c'est l'aspect le plus problématique, les résultats tant de l'évaluation que des tests sur les fluides corporels ne présentent que peu ou pas de valeur probante. Le procédé, tout en semblant scientifique, présente des taux d'erreurs considérables. Une étude mentionnée dans le résumé législatif accompagnant le projet de loi C-32, soit la version antérieure de ce projet de loi gouvernemental, faisait état de taux d'erreurs moyens de l'ordre de 21 p. 100. En d'autres termes, sur 100 personnes obligées de produire un échantillon de sang ou d'urine sous la menace d'une inculpation pour refus, 20 seront accusées à tort et soumises abusivement et involontairement à un procédé très invasif. Or, ce procédé invasif — le prélèvement forcé de sang, d'urine ou de salive — produit des résultats n'ayant quasiment aucune valeur. Le même résumé législatif le dit clairement, à la page 13 :
Tout compte fait, il n'y a pas de lien mesurable entre l'affaiblissement des facultés de conduite et la quantité de drogue.
Pour exprimer cela en termes juridiques, l'information tirée des tests est un élément de preuve non pertinent lorsqu'il s'agit de trancher la question ultime de l'affaiblissement des facultés. Les plus pénalisés seront les consommateurs de marijuana, en particulier les utilisateurs pour raison médicale reconnue qui peuvent et vont produire des résultats positifs des heures, des jours ou des semaines après avoir consommé du cannabis, alors qu'ils pourront très bien ne pas avoir usé de la substance avant de conduire et peuvent n'avoir aucun affaiblissement de leurs facultés.
L'objection finale est d'ordre philosophique plutôt que pratique ou utilitaire. Il n'y a pas lieu de promulguer des lois pour que le gouvernement puisse avoir l'air de faire quelque chose au lieu de réellement s'attaquer à un problème, réel ou apparent. Il vaudrait beaucoup mieux consacrer les fonds requis par l'application de cette nouvelle loi à des programmes éducatifs destinés à sensibiliser le public, et particulièrement les jeunes, au danger de la conduite avec facultés affaiblies. Nous avons réalisé de grands progrès dans ce pays en utilisant l'éducation plutôt que la répression comme principal moyen de remplir nos objectifs communs et, considération cruciale, l'éducation n'empiète pas indûment sur les libertés civiles qui sont le fondement même de notre démocratie.
La présidente : Monsieur Beirness, vous avez fourni une étude de l'exactitude des évaluations effectuées par des experts en reconnaissance de drogues au Canada, laquelle semble extrêmement intéressante, mais je ne suis pas un scientifique. À la dernière page, le tableau 2 indique les taux d'exactitude par catégories de drogues. Que représentent ces chiffres? Par exemple, pour ce qui est de la sensibilité, dans la colonne cannabis, nous voyons le chiffre 0,791. Est-ce que cela signifie une exactitude de 79 p. 100 ou de 0,79 p. 100?
M. Beirness : Cela signifie une exactitude de 79 p. 100. Je devrais expliquer de quoi il s'agit. La « sensibilité » signifie la proportion des cas où la drogue était présente et a été détectée par l'expert ERD. Si du cannabis était présent, l'agent l'a détecté dans 79 p. 100 des cas.
Le sénateur Andreychuk : Monsieur Tousaw, je respecte votre travail car un bon système judiciaire veille à préserver la justice en général et prend en considération les contrevenants et ceux risquant de subir les conséquences du Code criminel. Je respecte tout autant les procureurs et la police, qui eux aussi ont à cœur la justice mais ont un rôle à jouer sur le plan de l'application de la loi. Je réalise donc que nombre de vos propos s'inscrivent dans cette optique.
Cependant, ce comité fait aussi son travail. Certains d'entre nous siègent à ce comité sans interruption et, dans mon cas, j'en fais partie depuis 15 ans. Ce problème n'est pas nouveau. Le Code criminel a souvent été remanié et donc, personnellement, je rejette la notion que nous n'aurions pas eu le temps d'examiner ce projet de loi. Nous avons entendu plus de 55 témoins et ne leur avons pas ménagé le temps. Notre présidente s'est montrée scrupuleusement équitable envers nous tous et a veillé à ce que nous bénéficions tous d'un temps égal, ce que j'apprécie. Je ne prends pas en compte les réalités politiques de la même façon que vous. Notre travail nous impose d'être efficients. Nous discutons de certains éléments de ce projet de loi depuis plus de deux ans. Je ne doute nullement que ce comité fera son travail avec le soin requis. Hormis ces remarques que vous avez faites, je respecte le restant de vos observations.
Êtes-vous opposé aux peines minimales obligatoires, ou bien objectez-vous à quelque chose de particulier dans le projet de loi C-2, en soi? Avez-vous formulé le même type d'objections au projet de loi antérieur modifiant le Code criminel?
En ce qui concerne l'âge de la protection, comme l'Armée du Salut l'appelle, plutôt que l'âge du consentement — je trouve que c'est une désignation appropriée — l'éducation et l'habilitation représentent des enjeux aujourd'hui; pourtant, les jeunes gens sont extrêmement vulnérables à ces âges de 14 et 15 ans. L'éducation ne semble pas donner les résultats voulus à cause de la réticence à parler de ces situations. À l'évidence, une catégorie plus large de personnes va maintenant être couverte. L'âge du consentement, qui était auparavant de 14 ans, va maintenant être porté à 16 ans. Je comprends votre argument, mais il ne tient pas compte du fait que le changement visait les adultes, et non les adolescents. Avons-nous si bien réussi sur le plan de l'éducation et de l'habilitation que maintenant, tout d'un coup, si nous passons à 16 ans, la dynamique va changer? Autrement dit, je pense que les adolescents ont de la difficulté à demander de l'aide, à s'ouvrir à leurs parents et à accéder à l'information. Peut-être n'avons-nous pas suffisamment de programmes dans les écoles. Je trouve que c'est un problème fondamental chez les jeunes.
Le changement proposé par le projet de loi C-2 cible les attitudes et comportements des adultes. Nous venons d'entendre un panel qui a souligné de manière graphique et horrifiante les choses qui se passent, particulièrement avec les nouveaux outils technologiques dont peut disposer un adulte. Cela rend la situation beaucoup plus difficile pour un adolescent de 14 ou 15 ans aujourd'hui qu'à mon époque, par exemple. Pouvez-vous traiter de ces aspects?
M. Tousaw : Oui, je peux. J'apprécie le travail que votre comité a effectué et je reconnais la qualité de l'analyse que votre comité fait de ce projet de loi. Lorsque je parle de précipitation, cela s'adresse au processus suivi dans l'autre assemblée législative, et non celle-ci. Cependant, je prends vos propos à cœur.
En ce qui concerne les peines minimales obligatoires, notre association y est généralement opposée — de manière générale, pas spécifiquement à celles du projet de loi C-2. Les peines minimales obligatoires posent un problème à la fois empirique et philosophique. Le problème empirique est qu'il existe peu d'indications que ces minimums obligatoires produisent des résultats sociaux positifs. Autrement dit, rien n'indique qu'ils aient un effet dissuasif ou réduisent le taux de criminalité. Le problème philosophique est que, comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires, la latitude du juge prononçant la peine et la faculté de tailler la punition à la mesure du crime constituent la pierre angulaire du système de justice pénale, sur le plan de la détermination de la peine. Seul le juge, présidant au procès et connaissant les faits de l'espèce, est réellement en mesure d'appliquer la loi à ces faits. C'est précisément le rôle du juge. Les peines minimales obligatoires lui enlèvent cette latitude et peuvent dans bien des cas produire des conséquences tragiques.
J'ai pratiqué le droit criminel aux États-Unis, où les peines minimales obligatoires sont beaucoup plus communes. Je peux vous dire d'expérience que là où elles existent, elles engendrent des problèmes considérables en infligeant à des personnes de longues peines de prison qu'elles ne méritent pas, et créent aussi des problèmes lors de la phase préalable à l'instruction. Souvent, l'existence d'une peine minimale obligatoire devient une monnaie d'échange lors des négociations de plaidoyer. Franchement, il est inapproprié que ce type de décision soit pris à ce niveau. Le pouvoir discrétionnaire, comme je l'ai dit tout à l'heure, devrait être aux mains du juge et non aux mains du ministère public.
Le sénateur Andreychuk : J'ai été juge. Je voulais autant de latitude que possible afin de pouvoir prendre en compte toutes les situations. C'est tout naturel. Cependant, ce matin, le professeur Doob a fait remarquer à juste titre que les parlementaires ont pour rôle de guider les tribunaux. Ces derniers n'ont jamais joui d'une latitude illimitée. Alors que les peines obligatoires réduisent cette latitude, elle ne la supprime pas, pas plus que les juges n'auraient une latitude illimitée en l'absence de peines obligatoires.
N'est-ce pas le rôle du Parlement, de temps à autre et avec grande prudence, de guider les juges dans des situations appropriées? Est-ce que l'un des outils pour cela ne pourrait pas être des peines obligatoires?
M. Tousaw : Je conviens que c'est le rôle du Parlement de guider les juges. Par exemple, le Parlement a la faculté de criminaliser ou non une conduite, ce qui soit met en jeu soit ne met pas en jeu le système de justice pénale dans cette activité particulière. Cependant, lorsqu'on fixe une peine minimale, la possibilité de choisir une peine inférieure à ce minimum disparaît entièrement. Si le juge peut soit rester au minimum obligatoire soit aller plus haut, il lui devient impossible d'aller plus bas. Je pense que c'est là restreindre indûment le rôle des juges dans le système.
On peut envisager des cas dans lesquels une peine de trois ans ou de cinq ans, pour un crime particulier, est soit trop douce, soit trop dure. Ces cas sont peut-être rares, mais ils existent, et les peines minimales empêchent de tailler la sentence à la mesure du crime.
En ce qui concerne l'âge du consentement sexuel, alors que le projet de loi vise ostensiblement l'adulte, il va criminaliser aussi la conduite des adolescents. Pour être juste — et cela a été évoqué par le panel précédent dont j'ai entendu la fin du témoignage — il n'est pas évident à mes yeux que la police manque d'outils pour cibler adéquatement les adultes se livrant à des comportements inappropriés. Le Code criminel fournit un mécanisme permettant de poursuivre les adultes qui s'en prennent aux enfants — le leurre, la prédation et l'exploitation sexuelle sont déjà des actes criminels.
Ainsi, nous ajoutons une série de lois ou d'outils qui ne sont pas nécessaires et qui peuvent causer des problèmes considérables à ceux qui sont pris dans les mailles de ce filet.
Le sénateur Andreychuk : À ce sujet, ayant entendu tous les témoins sur ce projet de loi, il me semble que dans le passé — avant 2005 — nous criminalisions l'exploitation sexuelle d'enfants par des adultes. Ce projet de loi veut dissuader les adultes de ce genre de comportement, empêcher qu'il se disent : « Eh bien, je peux faire certaines choses et si je m'arrête avant le rapport sexuel proprement dit ou tel autre comportement déjà codifié, c'est licite ». Est-ce que cela n'expose pas la jeune personne à une forte influence inappropriée de la part d'un adulte qui n'a probablement pas l'intérêt de l'enfant à cœur? Nous disons qu'un adulte qui a atteint l'âge de la maturité ne peut même pas songer à s'engager dans cette voie et invoquer ensuite la loi en disant : « Je n'ai pas dépassé la ligne ». Jadis, il fallait prouver le rapport sexuel. Aujourd'hui, nous disons que nombre de comportements sexuels sont une agression. Ne convenez-vous pas que c'est là ce que nous faisons avec cet article?
M. Tousaw : Je ne suis pas d'accord. Je pense que s'engager dans cette voie est déjà, en pratique, un acte criminel. Que l'âge du consentement soit de 14 ou 16 ans, ne change pas cette équation, à mon humble avis. Cela change simplement le nombre des années. La personne sera toujours en mesure de s'engager dans cette voie, simplement elle ne pourra pas dépasser une certaine ligne. Cela n'empêche malheureusement pas ce comportement indigne de la part d'adultes. Ce comportement continuera d'exister.
Le sénateur Andreychuk : Pas en dessous de l'âge de 16 ans.
Le sénateur Baker : Monsieur Beirness, vous et le Centre canadien de lutte contre la toxicomanie avez une vaste expérience de la coordination des efforts avec les services de police en vue de l'exécution de cette loi. Vous dites que 2 427 agents ont déjà été formés aux tests de sobriété normalisés qui vont maintenant être administrés aux conducteurs du Canada.
Six provinces canadiennes ont une disposition dans leur code de la route permettant à un agent de police d'arrêter un véhicule sans motif précis, simplement pour dépister des violations des articles 253 à 258 du Code criminel — six provinces, détention arbitraire consacrée par la loi, code de la route, rien que pour déceler les conducteurs aux facultés affaiblies. Nous avons cela également au niveau fédéral puisque la GRC et tous les autres services arrêtent périodiquement les voitures au moment de Noël, du nouvel An, et en d'autres occasions.
Quelle sera la question clé qui va déclencher tout cela? Savez-vous quelle question l'agent posera pour dépister la conduite avec facultés affaiblies par la drogue? En ce moment, lorsque l'agent vient à la fenêtre de votre voiture, il a instruction de demander à voir votre permis de conduire. S'il décèle une odeur d'alcool, la première question qu'il a instruction de poser est : « Qu'avez-vous bu ce soir? » Quelle question va poser l'agent de police s'il veut détecter la conduite avec facultés affaiblies par la drogue?
M. Beirness : C'est une question intéressante et elle va varier d'un bout à l'autre du pays, selon les services de police.
Si vous parlez des interpellations au hasard effectuées par la police précisément à la période de Noël, ils ne cherchent pas simplement à détecter l'odeur d'alcool. Les agents sont à l'affût de signes et de symptômes qui semblent inhabituels, symptômes associés à vos yeux, maladresse des gestes lorsque vous sortez votre permis, n'importe quoi. Ce que dit l'agent dépend de ce qu'il voit au cours des premières secondes de cette interaction. La personne semble-t-elle cohérente? Les gestes ordinaires semblent-ils maladroits? Ensuite, il peut demander au conducteur s'il a bu. Il ne soupçonne peut-être pas du tout la personne d'avoir bu parce qu'il n'y a pas d'odeur d'alcool, ou bien la personne répond non à la question. Il peut ensuite demander : « Avez-vous pris de la drogue ce soir? » Certaines drogues sont associées à une odeur particulière, principalement le cannabis. L'odeur du cannabis est facilement détectable par de nombreux agents. À partir de là, ils peuvent pousser l'enquête.
Le sénateur Baker : Vous pourriez être une personne âgée utilisant de la pommade au chanvre, qui est parfaitement légale.
Je vois bien que vous vous y connaissez, de par les symptômes que vous décrivez : yeux vitreux, visage congestionné, maladresse avec le permis de conduire. La première question est : « Avez-vous bu quelque chose ce soir? » En droit, selon notre Code criminel, si un agent vous soupçonne d'avoir de l'alcool dans le corps, il vous soumet à l'alcootest.
Vous connaissez la question que je vais vous poser. L'agent dit : « Avez-vous de la drogue dans le corps? » La personne répond en disant : « Oui, je prends des médicaments sur ordonnance, du Celebrex. Je souffre d'arthrite ». L'agent est alors tenu, de par la loi, de faire passer un test à cette personne sur le bord de la route, pour voir si elle tient sur une jambe ou non.
Le sénateur Stratton : Non, non.
Le sénateur Baker : Attendez la réponse. Il sera d'accord avec moi.
M. Beirness : Je ne crois pas qu'il y soit tenu par la loi. Il cherche un signe suspect. S'il soupçonne que vous avez consommé une substance...
Le sénateur Baker : Je viens de lui dire que j'en prends. C'est la question clé.
M. Beirness : Il recherche un signe suspect. Une fois qu'il a une suspicion, il peut passer à l'étape suivante, soit la recherche d'un motif raisonnable.
Le sénateur Baker : Non, le soupçon est fondé sur la question : « Avez-vous de l'alcool dans le corps? » et vous dites oui. En droit, comme vous le savez, cela oblige ensuite l'agent à passer à l'étape suivante. Il y est tenu. Il n'a pas le choix, car, de par la loi, il soupçonne. Vous venez de lui dire que vous avez bu de l'alcool. Lorsqu'il pose la question : « Avez-vous de la drogue dans le corps? » et que la personne âgée répond : « Oui », et c'est l'un des médicaments pour l'arthrite mentionné par M. Ben Amar, l'agent est alors tenu de par la loi d'effectuer ce test. Ne voyez-vous pas la logique de ce que je dis?
M. Beirness : Non, je ne suis pas d'accord. Je pense que l'agent a beaucoup de latitude quant à ce qu'il estime être un soupçon à ce stade.
Le sénateur Baker : De latitude. Comment pourrait-il en avoir, monsieur? J'ai peut-être assez de médicaments dans le corps pour que mes facultés soient affaiblies. Il n'y a pas de latitude une fois qu'il soupçonne que vous avez une drogue dans votre corps.
M. Beirness : Une fois qu'il soupçonne que vous avez des drogues dans le corps, il va rechercher d'autres indications corollaires. S'il soupçonne que vos facultés sont affaiblies par cette drogue, il va passer à l'étape suivante.
Le sénateur Baker : L'étape suivante c'est le test au bord de la route. J'ai une copie décrivant ce que l'on va demander à la personne de faire. On va demander à la personne de lever un de ses pieds du sol et de compter à haute voix en regardant le pied levé pendant le temps que l'agent dira.
M. Beirness : C'est effectivement l'un des tests.
Le sénateur Baker : Il est maintenant confirmé que c'est l'un des tests. Je vous le demande, monsieur, pouvez-vous faire cela?
M. Beirness : Certainement.
Le sénateur Baker : Moi, je ne peux pas. Beaucoup de gens, notamment les personnes âgées, ne le peuvent pas. Donc, en droit, l'agent doit maintenant passer à l'étape suivante; n'est-ce pas exact?
M. Beirness : Il existe plusieurs tests.
Le sénateur Baker : Monsieur Beirness, il existe d'autres tests, mais la personne vient d'en échouer un. Je ne vais pas lire le suivant car la présidente va m'interrompre.
Je veux en venir à ceci : il existe un principe de droit voulant qu'il vaut mieux laisser échapper 10 coupables que de condamner un innocent.
M. Beirness : Nous n'avons pas condamné cette personne.
Le sénateur Baker : Nous ne l'avons pas condamnée. Supposez maintenant que la personne ne puisse uriner dans une bouteille devant quelqu'un. Vous l'avez alors condamnée. Il existe de nombreuses façons dont une personne peut être condamnée si elle ne réussit pas les tests. Si vous le faites deux fois, vous allez automatiquement en prison. Les deux autres témoins pourraient-ils réagir à ce que je viens de dire?
M. Ben Amar : Vous avez soulevé des questions très sérieuses. Je fais passer des tests de sobriété depuis presque 20 ans et témoigne en cour depuis aussi longtemps.
Premièrement, certaines personnes, non pas des personnes âgées mais de 25 ou 30 ans, ne sont pas capables d'exécuter deux de ces trois tests d'équilibre.
Deuxièmement, certaines personnes ne sont naturellement pas capables d'effectuer ces mouvements. Cela ne signifie pas nécessairement qu'elles sont sous l'influence d'alcool ou de drogue.
Troisièmement, ces trois tests sont standards pour tous les types de drogues, alors qu'en réalité, comme je l'ai dit dans mon exposé, chaque drogue a des effets différents sur l'organisme.
Finalement, la procédure requiert que vous montriez à la personne comment effectuer l'exercice. Dans certains cas, la personne ne comprend pas ce qu'elle doit faire, et l'évaluateur considère alors que cette personne a échoué à l'un des tests alors qu'en fait elle n'a pas compris ce qu'elle devait faire.
Je pense que si nous introduisons les tests de sobriété, il faut filmer par caméra vidéo toutes les procédures afin de donner à la personne le droit de se défendre et de contester le protocole auquel elle a été assujettie. J'y tiens absolument.
Cet aspect a également été contesté dans les tribunaux du Québec parce que la personne n'a pas droit à un avocat. À quel moment donnez-vous à la personne le droit d'appeler un avocat — avant ou après? Les tests de sobriété sont rarement utilisés au Québec car ils mettent en jeu des questions constitutionnelles. Bien entendu, il est très facile d'administrer l'alcootest au bord de la route. Il est très fiable. Si vous échouez au test, c'est parce que vous avez plus de 100 milligrammes. On vous emmène ensuite au poste de police où une machine plus précise peut donner un résultat exact dans beaucoup de cas. Cependant, dans le cas des drogues, cela n'existe pas aujourd'hui.
Un autre aspect est que certains antidépresseurs causent de la somnolence. Peut-être 12 ou 15 p. 100 des Canadiens souffrent de dépression. Un médicament appelé Remeron cause beaucoup de somnolence. Que fera-t-on si la présence de ce médicament est décelée dans le sang? Va-t-on appliquer la tolérance zéro? Quelle limite va-t-on appliquer? Dans le cas des drogues, nous n'avons aucun outil pour nous dire qu'au-delà de telle limite les facultés sont affaiblies et qu'en dessous elles ne le sont pas.
Enfin, nous n'avons pas de test d'urine de bord de route fiable. Il n'existe de test fiable de bord de route que pour l'alcool. Par exemple, les tests d'urine peuvent être positifs pour le cannabis même si la personne en a consommé 30 jours auparavant. Dans le cas de médicaments tels que les benzodiazépines ou le Valium, ces tests peuvent être positifs lorsque la personne n'en a pas consommés depuis cinq, six ou sept jours. Je trouve qu'il y a de nombreuses lacunes dans l'application des tests de sobriété et dans l'interprétation des résultats pouvant amener une condamnation.
Le sénateur Stratton : Cela est plutôt important, car je ne veux pas que les personnes âgées pensent qu'elles vont tout d'un coup être inculpées parce qu'elles ne peuvent pas lever la jambe.
Supposons qu'une personne âgée ait pris des médicaments pour raison de santé et se fasse ensuite arrêter pour conduite désordonnée. L'agent l'arrête pour cela et lui pose des questions. Que se passe-t-il si la personne âgée reconnaît avoir pris des médicaments pour raison thérapeutique et si le policier est inquiet? Vérifiez le témoignage de la semaine dernière. Cette personne est ensuite emmenée à l'hôpital pour examen par un médecin qui s'assure qu'elle va bien.
La présidente : Ce n'est pas une question complémentaire, sénateur Stratton.
Le sénateur Stratton : Cela n'a rien à voir avec sautiller à cloche-pied.
La présidente : C'est une déclaration présentée comme point de clarification.
M. Tousaw : Je partage certaines de ces préoccupations. Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, ces tests de reconnaissance de drogue peuvent présenter un taux d'erreur considérable.
Le problème est le suivant : si la police parvient très bien à détecter les facultés affaiblies par la drogue au bord de la route, comme M. Beirness l'a dit, alors il n'est pas nécessaire de prélever du sang, de l'urine ou de la salive. Nous laissons à la police le soin de faire cette détermination et soit d'inculper, soit d'imposer une interdiction de 24 heures, comme elle le fait couramment.
Si elle ne sait pas bien déterminer l'affaiblissement des facultés par la drogue ou si les taux d'erreurs sont considérables, et je crois qu'ils le sont, alors nous avons un problème du fait que les résultats des tests peuvent servir à étayer une évaluation fautive.
Par exemple, de nombreuses personnes dans ce pays consomment de la marijuana, environ 2 300 légalement pour raison médicale, d'autres moins légalement mais toujours pour raison médicale — et les estimations de leur nombre varie de 400 000 à 1 million — et certaines pour des raisons non médicales. Étant donné la persistance de la substance dans l'organisme, vous pouvez vous faire arrêter au bord de la route, subir certains de ces tests et être incapable de lever votre jambe, par exemple. De ce fait, on pourra vous soutirer du sang, lequel donnera un résultat positif pour la marijuana dans votre système. Ce test positif servira à étayer le jugement formé par la police au bord de la route, même si ce test positif n'indique nullement si la personne conduisait avec facultés affaiblies. Il a pu se passer une semaine depuis sa consommation de cannabis. C'est un problème majeur.
En outre, dans le cas de la personne âgée emmenée à l'hôpital après avoir reconnu prendre un médicament, cela peut effectivement être le cas pour certains médicaments, mais je ne suis pas sûr que ce soit imposé par la loi. Cependant, dans le cas d'une drogue comme le cannabis, que des gens consomment légalement pour raison médicale dans ce pays, notamment des personnes âgées pour soigner l'arthrite, mon impression est que la police réagira différemment que s'il s'agissait d'une substance pharmaceutique, ce qui aura un effet discriminatoire sur ces consommateurs pour raison médicale. Cette loi présente plusieurs problèmes.
Le sénateur Milne : J'ai décidé que je suis réellement mal partie. Non seulement suis-je arthritique et traitée au Celebrex et ai une démarche chancelante, mais je suis aussi la personne responsable de la légalisation de la culture du chanvre au Canada et j'utilise sans cesse des produits au chanvre. Je suis réellement mal partie.
Monsieur Beirness, vous dites qu'il existe aujourd'hui 214 agents formés comme experts en reconnaissance de drogue au bord de la route. Sur ce nombre, 57 sont actuellement en cours de formation. Combien de temps dure cette formation difficile?
M. Beirness : C'est un cours théorique de deux semaines suivi d'un examen, qui se déroule habituellement plusieurs semaines ou mois plus tard. Ils doivent effectuer 12 évaluations sous supervision.
Le sénateur Milne : Sachant que nous avons maintenant 2 500 agents à travers le Canada formés aux tests de sobriété normalisés, combien de temps faudra-t-il pour avoir jusqu'à 2 500 experts en reconnaissance de drogue et comment seront-ils répartis entre nos services de police?
M. Beirness : Il faudra longtemps, plusieurs années, avant que nous ayons assez d'experts en reconnaissance de drogue pour couvrir tout le pays.
Le sénateur Milne : Quelle que soit la précipitation mise à adopter cette loi, rien ne se passera dans ce domaine avant quelque temps?
M. Beirness : Nous avons déjà ces 214 qui travaillent en ce moment.
Le sénateur Milne : Qui sont basés où?
M. Beirness : La plupart d'entre eux sont en Colombie-Britannique. Il n'y en a pas au Québec. Il y en a un certain nombre en Nouvelle-Écosse et quelques-uns très actifs ici, en Ontario. Il y en a un peu partout dans le pays, à l'exception du Québec.
Le sénateur Milne : Surtout en Colombie-Britannique?
M. Beirness : Une grande partie d'entre eux est située en Colombie-Britannique.
Le sénateur Milne : Monsieur Tousaw, lorsqu'on en vient à forcer quelqu'un ou à l'inviter fermement à donner un échantillon de fluide corporel, qu'en pensez-vous? Faire pipi dans une bouteille est une chose et prélever un frottis de la joue en est une autre. Ce sont des choses faciles à faire, mais si vous devez donner du sang, c'est là une procédure invasive. Quelles sont les chances que cette obligation survive à une contestation constitutionnelle?
M. Tousaw : Alors qu'un prélèvement d'urine est moins intrusif qu'un prélèvement sanguin, il représente néanmoins une intrusion assez considérable dans l'intimité personnelle parce que, bien entendu, la personne doit être observée pendant qu'elle fournit l'échantillon pour vérifier qu'elle ne le falsifie ou ne le dilue pas. C'est une expérience humiliante. Ce n'est pas plaisant à subir.
Je pense que la probabilité d'une contestation constitutionnelle est de l'ordre de 100 p. 100. Il est difficile d'estimer la probabilité de succès d'une telle contestation. À mon avis, le meilleur terrain d'attaque, en dehors de l'intrusion dans l'intimité, est la qualité du résultat. Celui-ci ne représente tout simplement pas une information ou une preuve pouvant fonder l'accusation de conduite avec facultés affaiblies. Juridiquement, c'est une donnée quasiment non pertinente. Je pourrais tester positif pour des métabolites de cannabis dans mon système en ce moment même, ce qui ne signifie pas que mes facultés sont affaiblies par le cannabis en ce moment même. Cela signifie simplement qu'à un moment donné, lors des 30 jours précédents, j'ai pu soit en consommer directement soit avoir été exposé à de la fumée secondaire indirecte. C'est un problème.
Qu'avons-nous au bout du compte? Nous avons simplement l'indication que quelqu'un avait un métabolite d'une drogue dans son système. Ce n'est pas une preuve d'affaiblissement des facultés.
Le sénateur Milne : M. Beirness nous a dit que l'agent enquêteur doit établir un motif raisonnable de soupçonner un affaiblissement des facultés de conduire en sécurité un véhicule avant de pouvoir exiger un échantillon de fluide corporel. Il a dit que la police doit établir au préalable que les facultés du conducteur étaient affaiblies. Cela vous rassure-t-il?
M. Tousaw : Un peu seulement. Peut-être est-ce le cynisme qui imprègne un avocat pénaliste, mais j'ai vu beaucoup de cas où les motifs raisonnables, du moins la croyance de l'agent en des motifs raisonnables, tendent à s'évaporer lors d'un contre-interrogatoire ou lorsque tous les faits sont mis à jour. Le problème est que pour le million de Canadiens et plus qui ont consommé du cannabis au cours des 30 derniers jours, si leur test donne un résultat positif, on s'en servira pour justifier rétroactivement les motifs raisonnables que l'agent de police disait avoir en premier lieu.
Si le test de sobriété initial est aussi fiable qu'ils le prétendent, alors je dis qu'ils n'ont pas besoin d'un test ultérieur. Ils peuvent aller en cour, comme ils le font maintenant, et témoigner qu'ils ont arrêté cette personne. Ils ont remarqué que la personne conduisait de façon désordonnée, sentait la marijuana ou avait des tremblements de la main ou était maladroite avec son portefeuille. Ils ont observé en outre que la personne était dans l'incapacité d'effectuer les divers exercices physiques du test de sobriété de bord de route. Par conséquent, soit le retrait de permis de 24 heures a été prononcé soit la personne a été inculpée de conduite avec facultés affaiblies et il appartiendra au tribunal de déterminer s'il y a des preuves suffisantes pour justifier une condamnation. Il n'est pas nécessaire de recourir à une procédure invasive et de contraindre — car il s'agit d'une contrainte vu que vous êtes sous la menace d'une sanction pénale si vous refusez — de donner du sang, ou de l'urine ou de la salive.
M. Ben Amar : Je suis d'accord car la police dispose finalement de nombreux outils pour prouver au juge que la personne conduisait sous l'influence d'alcool ou de drogue. Par conséquent, je pense équitable de présenter ces preuves. Le juge, selon la prépondérance des probabilités et des éléments de preuve, décidera si la personne était sous l'influence d'une drogue ou d'alcool.
Si vous me le permettez, j'aimerais dire un mot sur le troisième point de mon exposé, les alcootests. J'ai du mal avec la notion de restriction à la « preuve contraire » pour la raison suivante : Il est extrêmement difficile en tribunal d'établir ce qui a pu dérailler lorsque l'alcootest a été administré. Même lorsqu'un technicien a un test contrôlé qui est parfait et un test à blanc qui est parfait et constate une divergence entre le premier et le deuxième résultat, il est parfois incapable d'expliquer la divergence. Si ce projet de loi est adopté tel quel, la possibilité pour un accusé de se défendre sera extrêmement réduite.
Je vais vous donner un deuxième et dernier exemple. Il est possible que la personne testée au poste de police produise un résultat supérieur à la limite légale de 80 milligrammes. Supposons que le résultat soit de 90 milligrammes au premier test et de 85 milligrammes au deuxième. Si la personne vient de terminer son verre, nous disons qu'elle est dans la phase d'absorption et qu'une partie de l'alcool n'a pas eu le temps de passer dans le sang. Par conséquent, il est possible que le niveau d'alcool était inférieur à la limite légale lorsque la personne était au volant. Cela a été argué maintes fois en justice. Si le juge trouve cette défense crédible, il en tiendra compte.
Je trouve très restrictif et ne voit aucune raison de changer la procédure actuelle concernant ce que l'on appelle la « preuve contraire ».
Le sénateur Milne : C'est votre occasion de répliquer, monsieur Beirness.
M. Beirness : Je tiens à faire ressortir que cette loi et la procédure suivie par la police pour déterminer si une personne a commis l'infraction de conduite avec facultés affaiblies ne visent pas à dépister les consommateurs de drogue. Il s'agit d'assurer la sécurité routière. On cherche à retirer de la circulation les conducteurs en état d'incapacité. La police n'est pas là pour effectuer des tests de dépistage de drogue au hasard, elle cherche des conducteurs aux facultés affaiblies.
Quelqu'un qui conduit de manière erratique, ou même trop lentement ou qui se fait remarquer dans la circulation pour une raison ou une autre peut très bien se faire arrêter. Le rôle de l'agent est de déterminer pourquoi et ce qui ne va pas. Ce pourrait être l'alcool, ce pourrait être de la drogue. C'est un processus où l'on recherche systématiquement des éléments de preuve. La preuve ne commence pas avec un test de dépistage de drogue, elle se termine par-là.
Premièrement, l'agent acquiert un soupçon; ensuite il cherche une cause raisonnable et probable, puis il administre le test d'évaluation et de reconnaissance de drogue, qui est un examen très approfondi de toutes sortes de signes et symptômes associés à l'usage de drogue. Ce n'est qu'ensuite que l'agent forme une opinion quant à la possibilité que la personne présente des facultés affaiblies et, deuxièmement, possiblement sous l'influence d'une catégorie donnée de drogue. À ce stade, il demande à la personne de donner un échantillon de fluide corporel. Idéalement, ce serait du sang. Nous n'utilisons pas le sang dans ce pays à l'heure actuelle. Nous utilisons principalement l'urine. Un jour nous pourrons peut-être utiliser du fluide buccal, ce qui est moins invasif. Nous n'en sommes pas encore là, mais j'espère que nous le pourrons bientôt. Ensuite, et seulement alors, avons-nous une preuve que la personne avait des facultés affaiblies et, deuxièmement, que cet affaiblissement était causé par une drogue. Seulement alors la personne est-elle inculpée. Il faut la vérification par un examen toxicologique de l'échantillon de fluide corporel.
Nous ne sommes pas sur la route à rechercher des consommateurs de drogue. Quelqu'un qui a fumé de la marijuana ou était en présence de quelqu'un fumant de la marijuana ne va pas être soumis au hasard à des tests et inculpé de conduite avec facultés affaiblies. La personne doit d'abord et avant tout donner des signes d'affaiblissement des facultés. C'est cela qui intéresse l'agent de police.
Le sénateur Milne : Comment cela fonctionnera-t-il dans le cas des contrôles routier ponctuels au moment de Noël ou à d'autres moments?
M. Beirness : Cela n'a pas été un problème jusqu'à présent car cela ne se fait pas encore. On recherche principalement l'alcool. Nous ne sommes pas arrivés au stade où, systématiquement, des agents experts en reconnaissance de drogues effectuent ces vérifications ponctuelles. Nous n'en avons pas un nombre suffisant.
Le sénateur Di Nino : Permettez-moi de revenir là-dessus un instant. Le sergent Martin a témoigné devant ce comité. Il est un formateur à la GRC. Il a passé 31 ans comme policier dans la région de York, et cetera. Il est responsable de ce programme. Il a décrit une formation très rigoureuse, qu'il a qualifié d'internationale en ce sens qu'il collabore avec les Américains et, je crois, les Mexicains. Ma mémoire est défectueuse et je peux me tromper.
Il a décrit un processus de formation et d'éducation très rigoureux par lequel on forme les homme et les femmes qui vont être à l'affût de ces problèmes. Il a été très éloquent. Il a dit, comme vous, que la police ne cherche pas à dépister les drogués. Si le policier a un motif raisonnable de croire que quelqu'un a des facultés affaiblies, quelle que soit la raison, son rôle est de retirer cette personne de la circulation. En outre, pour décider si la personne a ou non des facultés affaiblies, plusieurs choses doivent se passer. Il a dit que la drogue sera la dernière possibilité envisagée, après avoir vu le comportement, et cetera.
J'ajoute entre parenthèses qu'à quatre reprises différentes, au cours des sept ou huit dernières années, j'ai passé la veille du jour de l'An sur la route avec deux services de police, la police de Toronto et la police régionale de York. Nous effectuions des contrôles dans le cadre du programme RIDE deux fois par soirée, ce qui m'a donné une merveille occasion de voir comment ces agents s'y prennent. Selon mon expérience personnelle, ils sont extrêmement bien formés.
Je fais donc valoir que les agents de police suivent une formation très poussée et rigoureuse pour être en mesure de remplir ces tâches. J'aimerais que vous le confirmiez, si possible.
Encore une fois, je souligne, comme vous l'avez dit, qu'il ne s'agit pas là de dépister des consommateurs de drogues ou des drogués. Il s'agit de détecter des personnes qui donnent des signes, par leur comportement, que ce soit au volant ou en dehors de la voiture, d'affaiblissement de leurs facultés; est-ce exact?
M. Beirness : C'est effectivement exact. C'est un cours de formation rigoureux. Certains agents suivent le cours et au bout de deux semaines décident qu'il est trop difficile pour eux. Ils ne veulent pas continuer parce que c'est trop exigeant, cela leur demande trop d'efforts, ce n'est pas ce qu'ils veulent faire.
Je répète donc, ils recherchent des conducteurs aux facultés affaiblies, ils ne recherchent pas des consommateurs de drogues.
Le sénateur Di Nino : Quelqu'un vient de me remettre le témoignage du sergent Martin, mais je ne vais pas le lire.
La présidente : Il figure déjà au procès-verbal.
Le sénateur Di Nino : J'invite ceux d'entre nous qui n'étaient peut-être pas là à lire ce témoignage. Vous comprendrez mieux ainsi à quel point la formation est rigoureuse.
Le sénateur Milne : Est-ce une répétition du témoignage?
La présidente : Non, le sénateur Di Nino a dit qu'il ne le répèterait pas.
Le sénateur Di Nino : J'ai dit qu'il figure au procès-verbal si vous voulez le lire.
Monsieur Tousaw, vous n'avez pas mâché vos mots pour exprimer votre opposition à la majoration de l'âge du consentement proposé dans le projet de loi C-2. Nous avons entendu plus tôt le sergent d'état-major Frizell, de la GRC, et la sergente-détective Scanlan du Service de police de Toronto. Au cas où vous n'auriez pas été là, j'aimerais vous lire plusieurs choses qu'ils ont dites. La sergente-détective Scanlan a parlé des sites de bavardages en ligne et indiqué :
[...] Le faible âge de consentement du Canada est ouvertement mentionné par les prédateurs sexuels sur les sites de bavardage de pair à pair. Le Canada est devenu une destination de tourisme sexuel.
Des données présentées au comité des Communes indiquent que :
Les 14 et 15 ans représentent la plus forte proportion de toutes les agressions sexuelles déclarées, tous âges confondus. Le groupe des 13 ans vient au second rang.
En outre, elle a dit :
Les 14 et 15 ans représentent le groupe le plus important des personnes portées disparues.
Il y a là un problème qui appelle impérativement une solution, à mon avis.
Le sergent d'état-major Frizell, parlant du Centre national de coordination de la lutte contre l'exploitation des enfants, a indiqué qu'il consulte régulièrement les membres de la collectivité, des agents frontaliers, des travailleurs sociaux et médicaux, des enquêteurs de la police, et cetera. En se fondant sur cette consultation, il a estimé que :
[...] augmenter l'âge de protection relativement à l'activité sexuelle a fréquemment été présenté comme une modification législative souhaitable.
Enfin, il dit...
La présidente : Vous lisez maintenant le témoignage.
Le sénateur Di Nino : Sauf que M. Tousaw n'était pas là. Il importe qu'il connaisse ce témoignage. Le sergent d'état- major Frizell considère que :
[...] l'âge actuel de protection de 14 ans est une entrave considérable à nos efforts de protection des enfants, surtout dans le cas des 14 et 15 ans[...]
Il parlait ici au nom de son organisation. Tant lui que la sergente-détective Scanlan ont dit qu'il s'agirait là surtout d'une mesure de prévention.
Je suis convaincu que ces personnes qui travaillent régulièrement avec les enfants — et comme la présidente et d'autres l'ont dit, c'est une tâche très difficile — pensent que ce projet de loi est nécessaire afin que nous puissions aider ces enfants. Comment réagissez-vous à cela?
M. Tousaw : Je respecte certainement le travail qu'ils font et je le trouve important. Cependant, en faisant ce travail, ces agents sont exposés à une certaine catégorie de personnes. Je pense que cette exposition au fil du temps à des personnes se livrant à une exploitation sexuelle criminelle tende à colorer leur impression de l'ampleur du problème ainsi que des autres effets que la loi pourrait avoir ou non.
Autrement dit, cela ne me surprend pas que des personnes qui passent la plus grande partie de leur journée face aux pires délinquants sexuels et sont confrontés à de tels comportements cherchent toujours plus d'outils pour les combattre. Cela est parfaitement normal. Cependant, il ne faut pas pour autant accorder un poids excessif aux expériences de ces personnes, précisément parce qu'elles sont tellement absorbées par le problème.
Des groupes comme Egale et d'autres se disent gravement préoccupés par les effets de la majoration de l'âge du consentement sexuel sur les minorités sexuelles. Les jeunes expriment les mêmes réserves. C'est une restriction considérable de la liberté sexuelle des adolescents. Nous ne devons pas l'ignorer.
Nul ne s'oppose à l'accroissement de l'âge du consentement dans le but de faciliter la vie aux criminels et gêner le travail de la police qui veut les poursuivre. Ce n'est pas la source de l'opposition. Dans le domaine du droit pénal, les changements apportés à la loi ont souvent des répercussions lointaines auxquelles on ne songe pas initialement. J'exhorte le comité à prendre en considération ces répercussions maintenant, plutôt qu'une fois la loi adoptée, lorsque ces effets commenceront à être ressentis, particulièrement par les minorités sexuelles du pays.
Le sénateur Di Nino : Vous ne donnez tout de même pas à entendre que l'expérience ne compte pas. Ils parlent là des auteurs de ces crimes. Ce n'est pas toute la collectivité qui commet ce genre de crime. Ils parlent de ce petit groupe, encore que, comme l'a dit le sénateur Milne, 50 000 prédateurs sur l'Internet ne représentent pas un si petit groupe. Je vous fais valoir, monsieur, que du fait qu'ils comprennent le problème et le voient chaque jour, leur opinion n'est pas biaisée dans une mauvaise direction, mais ils sont en mesure de cerner le problème et de proposer des solutions d'une manière objective.
M. Tousaw : Je ne prétends certainement pas qu'il faut négliger la vie des gens qui ont l'expérience de ce domaine, bien le contraire. Il faut accueillir leurs opinions avec grand respect. Cependant, lorsqu'on est absorbé par un problème et que l'on est confronté sans cesse, chaque jour, aux pires situations, il est difficile de ne pas laisser ses perceptions être altérées par ce qui se passe dans le monde. C'est humain. Malheureusement, les policiers sont dans une situation difficile lorsqu'on leur demande de se prononcer sur un texte de loi, car ils sont immergés dans la lutte contre ces criminels, les pires criminels qui soient. Cela colore leur perception. Je ne dis pas qu'il faut négliger cette perception, mais il nous faut comprendre qu'une modification de la loi dans ce domaine entraîne d'autres conséquences.
J'ajouterais que je n'ai pas discerné dans les parties des présentations que j'ai écoutées de preuves empiriques — je ne parle pas de sentiment — que les outils dont la police dispose déjà soient insuffisants et qu'ils auraient besoin de ces outils et mesures supplémentaires pour pouvoir faire leur travail plus efficacement. Je crois que le sergent d'état-major Frizell a fait état d'un manque d'études à ce sujet.
Le sénateur Di Nino : Il a fourni beaucoup de statistiques.
Ce que vous dites au sujet de ceux immergés chaque jour dans un comportement particulier pourrait s'appliquer aux avocats de la défense, ou à nous tous, d'ailleurs.
M. Tousaw : C'est juste.
Le sénateur Cowan : Pour revenir sur le dernier point, je ne sais pas si vous étiez ici lorsque le chef Mackenzie a témoigné. Lui et moi avons eu une discussion. Il a dit que son organisation de chefs de police est favorable aux minimums obligatoires et à l'inversion du fardeau de la preuve. Je vais citer l'un de ses propos :
[...] parce que nous pensons que les pratiques actuelles du système judiciaire en matière de peines et de libération sous caution ne protègent pas adéquatement le public.
Je lui ai demandé si le problème se situait au niveau du contenu de la loi ou bien de la façon dont le système interprète cette dernière. Sa réponse est suffisamment parlante.
J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet car vous êtes de l'autre côté de la barrière. Selon votre perspective et votre expérience, pensez-vous qu'il s'agit là, peut-être, d'une réaction excessive à des exemples horrifiants, comme ceux relatés à ce comité et à d'autres et dont on parle dans la presse? Est-ce un problème au niveau de la loi, ou bien un problème concernant des cas individuels qui peuvent amener certains d'entre nous à tire que tel délinquant ne devrait pas être autorisé à s'en tirer si facilement ou se retrouver en liberté après seulement un an? Est-ce une réaction viscérale? Certains disent que c'est une réaction viscérale que d'enlever au juge la latitude et d'imposer une peine spécifique, que ce soit deux ans, quatre ans ou un autre chiffre. Le problème tient-ils aux dispositions actuelles du Code criminel? Faut-il quelque chose de plus pour régler effectivement les situations que l'on rencontre malheureusement chaque jour dans notre société?
M. Tousaw : Non, je ne pense pas que les outils manquent dans la loi. En fait, j'irais un pas plus loin et dirais que, en ce qui concerne l'imposition de peines que le public ou d'autres perçoit comme inapproprié, il n'y a pas à ce niveau de problème dans notre société. La presse fait grand battage sur quelques cas chaque année, précisément parce que les cas où nous sommes portés individuellement à dire que tel délinquant violent devrait être enfermé plus longtemps sont si rares. Sans aucun doute, il existe des situations où la peine prononcée aurait dû être plus longue, mais ces cas sont excessivement rares.
Dans la vaste majorité des cas, le juge pèse de manière appropriée les faits à la lumière de la loi et prononce une peine juste et adaptée, comme nous lui en donnons le pouvoir, et nous lui faisons confiance pour cela car c'est précisément le rôle du juge. Le problème est le battage fait en première page des journaux autour d'un cas où la peine imposée est jugée insuffisante. Vous ne voyez pas souvent dans la presse un grand titre disant : « Un criminel violent condamné à une peine de longueur appropriée », car cela ne fait pas vendre de journaux.
Le sénateur Cowan : On peut dire la même chose des mots « peine de longueur excessive ».
M. Tousaw : Oui, l'emploi de tels mots dans un grand titre ne fait pas non plus vendre de journaux. Cela n'intéresse personne et donc il se crée la perception d'un problème qui n'est pas justifié par les faits empiriques et les réalités quotidiennes du système judiciaire. Il ne faut pas légiférer pour résoudre des problèmes qui n'existent qu'en apparence. C'est particulièrement vrai dans le domaine du droit pénal, où nous appliquons aux citoyens les outils les plus coercitifs de l'État — poursuite, incarcération et sanction criminelle. Ce domaine est trop important pour que la loi soit façonnée par des problèmes seulement apparents.
La présidente : Monsieur Beirness, j'aimerais revenir à la question de la conduite avec facultés affaiblies. Vous avez fait ressortir avec une clarté déprimante que nous sommes loin d'avoir la même capacité de détecter la conduite avec facultés affaiblies par la drogue que celle avec facultés affaiblies par l'alcool. Vous dites qu'il faudra encore plusieurs années avant de disposer d'un instrument précis et fiable pour détecter ces conducteurs au bord de la route. Je suppose qu'il faudra aussi attendre plusieurs années avant d'avoir de bonnes indications quant à la quantité d'une drogue donnée qu'il faut absorber pour obtenir un niveau donné d'affaiblissement des facultés, alors que nous avons cela dans le cas de l'alcool. Combien de temps pensez-vous qu'il faudra attendre avant que nous ayons ces deux outils?
M. Beirness : Pour avoir le nombre voulu d'agents ERD dans ce pays?
La présidente : Non. Vous avez parlé éloquemment de la nécessité d'accroître notre capacité d'évaluer l'affaiblissement des capacités et le nombre des agents ERD. Cependant, je parle moi du matériel, par opposition au jugement et à l'expérience, et des données scientifiques concernant les niveaux de différentes drogues dans le sang ou l'urine d'une personne constituant une indication valide et fiable d'affaiblissement des capacités.
M. Beirness : Premièrement, pour ce qui est d'un détecteur de drogue de bord de route, je pense qu'il faudra quatre ou cinq ans avant d'avoir un instrument fiable donnant des résultats cohérents. Cela ne signifie pas que l'on n'utilise pas déjà de tels tests, car il en existe. Les Australiens font des tests de dépistage de drogue au hasard en bord de route. Ils utilisent pour cela deux échantillons distincts de fluide buccal. Le premier donne la première indication et le deuxième la confirmation. Je ne pense pas que nous soyons prêts à utiliser ces tests déjà, et je préférerais que nous ne le faisions pas encore. À l'heure actuelle, les Australiens recherchent uniquement le cannabis et les amphétamines, qui ne sont que deux parmi plusieurs drogues susceptibles d'affaiblir la faculté de conduire un véhicule. Des centaines de drogues peuvent causer un affaiblissement.
Quant à la deuxième question, celle de savoir quand nous aurons des niveaux fiables de drogue associés à l'affaiblissement des facultés, comme nous en avons actuellement avec l'alcool, très franchement, je ne pense pas que nous y parvenions jamais pour toutes les drogues disponibles. C'est impossible. Il circule tout simplement trop de drogues différentes, dont certaines que nous ne voyons pas souvent sur la route et encore moins chez des gens attirant notre attention pour une raison quelconque. Certes, en ce qui concerne les principales drogues tel que le cannabis, nous pourrons sans doute convenir d'un niveau d'ici quelques années. Des études sont en cours, particulièrement en Europe, afin d'établir un niveau. Mais ce qui nous intéresse réellement, c'est l'affaiblissement des facultés. Aussi longtemps que nous testons l'affaiblissement des facultés et obtenons de bonnes indications de son existence, cela nous suffit pour le moment.
La présidente : Certaines choses peuvent causer un affaiblissement des facultés, notamment la fatigue, qui ne sont pas couvertes par le Code criminel et ne doivent pas l'être non plus. Si l'on m'arrête parce que je conduis en étant plus fatiguée que je ne le pensais et suis incapable de me tenir sur une jambe pendant le temps requis, quel qu'il soit, alors on va m'emmener au poste. L'âge diminue la capacité de faire cet exercice, il faut s'entraîner pour tenir sur un seul pied. S'il se trouve que j'ai consommé un peu de marijuana la semaine dernière et que l'on en trouve une trace dans mon sang, me voilà condamnée pour une infraction criminelle. L'un de nos témoins nous a dit, très sérieusement, que puisque toute possession de cette drogue est illégale, même la plus petite quantité lui suffirait.
M. Beirness : C'est pourquoi je souligne que ce qui est visé ici, c'est l'affaiblissement des facultés et la conduite avec conduite avec facultés affaiblies.
La présidente : Nous avons déjà établi que mes facultés sont affaiblies parce que je suis fatiguée et non parce que je suis « stoned ».
M. Beirness : Vous avez dit que vous ne vous sentiez pas bien. Si vous suivez toute la procédure de reconnaissance de drogue en 12 étapes, il y a toutes les chances que l'agent ne vous trouvera pas positive pour la marijuana étant donné toutes les autres choses qu'ils évaluent pendant cet examen. La position sur une jambe n'est qu'un élément du test.
La présidente : C'est juste qu'elle frappe l'imagination.
M. Beirness : Vous avez raison, c'est quelque chose que nous pouvons tous comprendre, mais tous les symptômes qui seraient normalement présents chez une personne sous influence de marijuana seront simplement absents. Il ne verra pas le battement de cils ou les pupilles agrandies ou le retour de la taille de la pupille lorsqu'il braque une lumière sur vos yeux. Ces symptômes ne seront pas là parce que vous n'êtes pas sous l'influence de la marijuana dont vous pouvez avoir une trace dans votre système.
La présidente : Je peux vous dire que lorsque je suis fatiguée, mes paupières battent. Je ne sais pas si mes pupilles se dilatent, mais mes paupières battent.
Le sénateur Andreychuk : La morale, c'est que vous ne devez pas conduire si vous êtes si fatiguée.
Nous nous laissons détourner par les tests. Nous avons vécu le même problème avec l'ébriété. Il fallait marcher sur une ligne blanche, et puis les avocats de la défense ont prouvé que certaines personnes ne peuvent pas se déplacer pied après pied, gauche et droit, sur une ligne droite, et tout d'un coup quantité de non-lieux ont été prononcés par les tribunaux. Les bons avocats de la défense faisaient bien leur travail. Néanmoins, pendant tout ce temps, ce que l'on visait, c'était retirer les ivrognes de la circulation. Nous voulions avoir des conducteurs responsables et l'on a utilisé pour cela le Code criminel. Nous avons usé de la législation provinciale, comme le sénateur Baker l'a fait remarquer, parce que les conséquences — l'hécatombe sur les routes — étaient si horrifiantes pour les conducteurs sobres ou les piétons.
Monsieur Ben Amar, vous ai-je bien entendu dire que vous considérez l'alcootest comme un problème aujourd'hui? Nous avons mis des protocoles en place. Les machines sont calibrées. Chaque fois qu'un avocat de la défense a invoqué quelque insuffisance légitime, un non-lieu était prononcé et le ministère public et la police ont dû réagir. Nous sommes finalement arrivés au point où nous calibrons les machines et suivons une liste de contrôle. En tant qu'êtres humains, nous sommes raisonnablement sûrs que si toutes les conditions sont suivies, il y a toutes les chances pour que l'alcootest soit fiable. Vous dites que ce n'est pas le cas. Personne d'autre n'a affirmé cela, pas plus qu'il n'existe d'étude l'indiquant. Il n'est pas parfait à 100 p. 100, mais de gros progrès ont été accomplis. Nous ne sommes pas rendus là avec les drogues. Vous avez parlé de l'alcool, alors je suis curieuse.
M. Ben Amar : Tous les alcootests utilisés aujourd'hui au Canada sont fiables. Dans 86 p. 100 des cas, ils favorisent l'accusé car si on fait un test sanguin simultané, ce dernier produira un résultat supérieur. Ce qui me gêne, ce sont les restrictions imposées à ce que nous appelons la « preuve contraire ». Jusqu'à maintenant, un accusé pouvait faire témoigner un expert pour expliquer que, puisqu'il a bu quelques verres juste avant de prendre le volant, il se trouvait dans la phase d'absorption et que donc son niveau d'alcool était inférieur à la limite légale au moment où il conduisait.
Lorsqu'un technicien témoigne en tribunal, nous voyons que l'alcootest standard a été correctement administré et toutes les procédures dûment suivies, mais dans certains cas il y a un écart entre la première et la deuxième lecture. Aujourd'hui, lorsque la différence est supérieure à 20 milligrammes entre la première et la deuxième lecture, il faut réaliser un troisième test. Lorsque le troisième test est fait, et même si nous voyons que le test de contrôle s'est bien passé, le technicien est incapable d'expliquer la variation.
Mon souci n'est pas que les machines ne sont pas précises. Ce sont d'excellentes machines, cependant, dans certains cas, nous devons permettre à l'accusé de présenter des preuves scientifiques contestant les résultats, sur la base de raisons physiologiques ou autres.
N'oublions pas que les machines employées aujourd'hui au Canada et dans le monde sont toutes calibrées au même niveau. Elles multiplient par un ratio de 2 100 le niveau d'alcool dans l'haleine pour établir le niveau d'alcool dans le sang. De grands experts — et le professeur Kurt Dubowski des États-Unis est probablement le premier au monde — ont démontré que ce ratio peut varier de 1 100 à 3 200. Par conséquent, dans certains cas, la machine n'applique pas correctement le ratio entre l'alcool dans l'haleine et l'alcool dans le sang. Dans 14 p. 100 des cas, la personne n'est pas favorisée par le test respiratoire.
Voici donc certaines limitations. Je ne dis pas qu'elles s'appliquent à la majorité des cas, mais parfois il est possible d'introduire des preuves contraire qui ne seront plus admisses si nous changeons cette définition de « preuve contraire ».
Le sénateur Andreychuk : Je suppose que le projet de loi C-2 vise à retirer les ivrognes de la circulation, ceux qui ont des facultés affaiblies, et mettre un terme à certains moyens de défense, le test des deux bières. Vous dites que cette défense pourrait présenter quelque validité.
M. Ben Amar : C'est juste.
Le sénateur Baker : Ou, bien sûr, la température de la pièce n'est pas la bonne lorsque le test est réalisé, ce qui en anéantit la précision; ou la solution n'a pas été changée au bon moment, ou la personne n'a pas pu souffler pendant 10 ou 12 secondes dans la machine à un rythme régulier, et a ensuite été condamnée.
Ayant écouté tout votre témoignage, il me semble que vous dites que si les dispositions actuelles du Code criminel sont retirées, comme on le propose, alors la personne qui se sait innocente ne peut pas recourir à la mesure extraordinaire, par exemple, consistant à effectuer un test sanguin pour prouver que ses facultés ne sont pas affaiblies. En ne permettant plus la preuve contraire à la présomption que le taux d'alcoolémie était à un certain niveau, vous enlevez tous les moyens de défense.
M. Ben Amar : Oui. Je suis d'accord avec vous, sénateur.
Le sénateur Baker : En posant mes questions tout à l'heure à M. Beirness, je ne voulais pas donner une fausse impression. Je porte un grand respect à ce monsieur et pour le travail que lui et son centre accomplissent. Ils font un bon travail.
Monsieur Beirness, vous avez raison de dire que c'est l'affaiblissement des facultés qui compte, et divers indices d'affaiblissement contribuent à la conclusion d'un agent de police qu'il existe des motifs raisonnables de croire que la personne a des facultés affaiblies. Ces mêmes indices d'affaiblissement dont vous parlez, qui font partie de tout le processus, sont présents dans tous les cas chez certaines personnes, surtout les personnes âgées. Quels sont les principaux indices? Yeux larmoyants, gestes maladroits au moment de produire le permis de conduire, élocution un peu difficile, position debout instable. Vous avez là les six indices d'affaiblissement. J'ai lu des milliers de jugements portant sur les facultés affaiblies ces 30 dernières années, et ce sont là les indices standards.
Le problème survient lorsque vous êtes face à une personne âgée présentant tous ces indices — surtout si vous ne connaissez pas personnellement la personne — notamment difficulté d'élocution, incapacité à se tenir sur une jambe et à marcher en ligne droite. Comme le sénateur Andreychuk l'a dit, ce test a été jugé inadmissible il y a 30 ans. Devinez quoi? Voilà qu'ils nous le ramènent avec cette modification contenue dans le projet de loi. C'est un nouveau test administré au bord de la route. La possibilité existe qu'une personne âgée prenant des médicaments, dont les facultés ne sont pas du tout affaiblies mais qui présente tous les indices et ne peut remplir la condition ultime d'uriner dans une bouteille devant quelqu'un et ne tient pas sur une jambe pendant plus de 20 secondes, se voie condamner.
Voyez-vous où je veux en venir? Tous les indices traduisant l'affaiblissement des facultés par l'alcool sont logiques — cela ne fait aucun doute. Cependant, lorsqu'on entre dans un domaine où il n'y a pas d'odeur sur l'haleine, pas d'alcool dans le système et où tout le reste est si flou, ces indices pourraient amener à poursuivre une personne innocente dont les facultés ne sont pas du tout affaiblies.
Le sénateur Andreychuk : Ou bien une personne aux facultés affaiblies et qui risque de tuer une quelqu'un sur la route.
Le sénateur Baker : Mais ce n'était pas ma question. M. Beirness va répondre à ma question, j'en suis sûr.
M. Beirness : Le facteur clé est que tous les indices que l'agent observe et note sur le formulaire où il doit inscrire toutes ces choses doivent correspondre à la drogue mise en évidence par le test toxicologique.
Si la personne présente tous ces signes que vous avez décrits — qui d'ailleurs sont des signes et des symptômes d'alcool mais pas nécessairement de drogue et pas nécessairement d'une drogue en particulier...
Le sénateur Baker : Ce sont des signes de facultés affaiblies.
La présidente : Sénateur Baker, laissez-le répondre.
M. Beirness : Les yeux larmoyants et le visage congestionné sont des signes de la consommation d'alcool, mais pas nécessairement de toutes les autres drogues.
Le sénateur Baker : Pas nécessairement, mais possiblement.
M. Beirness : Certains le sont possiblement, oui.
Cependant, l'expert en reconnaissance de drogue, au cours de son examen, recherche d'autres symptômes. Il administre une série de 12 tests. Tous les signes et symptômes qu'il voit au cours de cet examen l'amènent à penser que la personne a ses facultés affaiblies par la drogue X, telle catégorie de drogue. La drogue doit ensuite se retrouver dans le test toxicologique effectué sur un échantillon de fluide recueilli par l'ERD. Si ce n'est pas le cas, le dossier ne tient pas debout.
Le sénateur Baker : Mais il ne recueille pas d'échantillon de fluide.
M. Beirness : Il finira par en avoir un.
Le sénateur Baker : Mais la personne n'arrive pas à le produire.
M. Beirness : Il y a beaucoup de jurisprudence.
Le sénateur Baker : En outre, l'agent n'a pas vu la personne conduire. Il n'a pas vu la personne conduire parce que c'est un barrage routier réglementé, légal. Cela se pratique sans arrêt au Canada.
M. Beirness : Vous avez raison. Cela se fait régulièrement dans tout le Canada. La police recherche principalement l'alcool. Elle va continuer à le faire dans les années qui viennent. Il peut arriver dans le courant de cette enquête rapide au bord de la route qu'elle trouve des signes indiquant qu'une substance autre que l'alcool est en jeu. À ce stade, je ne crois pas que la police fasse ce dépistage. Très peu d'agents sont capables de le faire. Je ne pense pas que ce soit un problème.
Tous les cas actuellement recensés reposent sur des observations de la conduite.
Le sénateur Baker : Vous savez que le test ERD a été récemment invalidé par une cour supérieure. En avez-vous connaissance?
M. Beirness : Un non-lieu a été prononcé en Alberta l'an dernier dans un cas ERD. Appel a été interjeté et un nouveau procès aura lieu.
La présidente : Au cas où quelqu'un nous regardant à la télévision se pose des questions, je tiens à bien préciser que nul autour de cette table ne pense qu'il faille laisser les gens conduire sous l'influence de la drogue. Tout ce que nous cherchons à faire, c'est comprendre, le mieux possible, les répercussions du projet de loi dont nous sommes saisis. Nul ici ne défend les conducteurs aux facultés affaiblies, sauf dans la mesure où ils possèdent des droits juridiques et constitutionnels. La conduite avec facultés affaiblies par la drogue est aussi condamnable que la conduite en état d'ébriété, sinon plus encore.
Le sénateur Stratton : Je vous renvoie de nouveau aux chiffres du Centre canadien de la statistique juridique, le tableau 11, juste en dessous du premier des quatre points vignettes. C'est réellement très intéressant :
Le taux de conduite avec facultés affaiblies a chuté de 68 p. 100 entre 1981 et 2006.
L'éducation et les tests routiers sont manifestement efficaces. Mon attention a été éveillée lorsque j'ai vu qu'ils allaient faire des contrôles routiers pour la drogue. Cela entraîne un changement d'attitude radical lorsqu'on voit cela. L'action a manifestement été efficace vis-à-vis de l'alcool.
J'ai déjà posé cette question, mais si cette action est efficace et si nous allons suivre la même voie vis-à-vis de la drogue et des dépistages de la drogue, alors nous allons suivre la même évolution que dans le cas de l'alcool, n'est-ce pas? Je considère cela comme un processus évolutif.
Dans le cas de l'alcool, nous voulons nous débarrasser du plaidoyer des deux bières. Les procureurs américains ne parviennent pas à croire que le Canada autorise toujours un tel plaidoyer. Je considère que nous sommes en train de suivre la même voie avec les drogues, n'est-ce pas? Ce sera un processus évolutif au fil du temps, mais il est indispensable de le mettre en marche. Êtes-vous d'accord?
M. Beirness : Oui.
Le sénateur Stratton : Merci. C'est tout ce que je voulais savoir.
La présidente : Messieurs, merci infiniment à vous tous. Cela a été une autre session fascinante. Il est étonnant de voir combien il y a à apprendre. La quantité de choses qu'il nous faut apprendre est infinie.
Notre prochaine séance aura lieu demain matin à 10 heures et nous y entreprendrons l'étude article par article du projet de loi C-2.
La séance est levée.