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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 12 - Témoignages du 5 mars 2008


OTTAWA, le mercredi 5 mars 2008

Le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 16 h 10, pour un examen complet des modifications apportées par la Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi de l'impôt sur le revenu (L.C. 2004, ch. 24).

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Le comité entreprend aujourd'hui l'étude de la Loi du Canada qui exige, selon la Loi modifiant la Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi de l'impôt sur le revenu (L.C. 2004, ch. 24) qui a été sanctionnée le 11 mai 2006, que dans les deux ans qui suivent l'entrée en vigueur de cette loi, le comité du Sénat habituellement chargé des questions électorales examine à fond la Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi de l'impôt sur le revenu (L.C. 2004, ch. 24).

Tous ces changements à la Loi électorale du Canada concernaient, entre autres, l'enregistrement des partis politiques et le nombre de candidats qu'un parti devait présenter et autres.

Nous avons le plaisir d'accueillir comme premiers témoins, d'Élections Canada, M. Marc Mayrand, directeur général des élections, Mme Diane R. Davidson, sous-directrice générale des élections et première conseillère juridique et Mme Michèle René de Cotret, avocate générale. Merci d'être venus malgré cette journée atroce. L'hiver est vraiment très présent cette année. M. Mayrand, vous avez une déclaration, alors nous vous écoutons.

[Traduction]

Marc Mayrand, directeur général des élections, Élections Canada : J'ai le plaisir de comparaître aujourd'hui pour contribuer à l'examen que votre comité fera des modifications apportées à la Loi électorale du Canada par ce qu'on appelait alors le projet de loi C-3, lequel constitue maintenant le chapitre 24 des Lois du Canada de 2004.

Comme le comité s'en souviendra, le projet de loi C-3 a été adopté par le Parlement en réponse à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Figueroa c. Canada (Procureur général). La cour avait jugé inconstitutionnel l'ancien régime qui exigeait qu'un parti présente au moins 50 candidats à une élection générale pour pouvoir s'enregistrer. Seuls les partis enregistrés peuvent délivrer des reçus aux fins de l'impôt, inscrire l'appartenance politique d'un candidat sur le bulletin de vote et recevoir l'excédent des fonds électoraux non dépensés par le candidat à l'égard d'une élection.

La cour, dans cette décision, a jugé que la restriction de ces droits aux partis qui comptent au moins 50 candidats avantageait les grands partis au détriment des plus petits partis. Cette restriction avait pour effet d'entraver le droit à une participation effective au processus électoral.

Le projet de loi C-3 qui a suivi la décision visait trois grands objectifs : le premier objectif était de combler le vide législatif laissé par la décision Figueroa c. Canada (Procureur général) en élaborant un nouveau régime d'enregistrement des partis; par ailleurs, le gouvernement était préoccupé par le risque d'abus du régime fiscal (ou la perception d'un tel abus) parce que des groupes qui ne seraient pas véritablement intéressés à la chose politique pourraient bénéficier du privilège de délivrer des reçus d'impôt à leurs donateurs; une dernière préoccupation était l'inquiétude que des tiers s'enregistrent à titre de parti politique dans le but de bénéficier de plafonds de dépenses plus généreux, sans chercher à faire élire un candidat.

Voici les principales modifications apportées à la Loi électorale du Canada et à la Loi de l'impôt sur le revenu par le chapitre 24 des Lois du Canada de 2004 : un parti admissible — soit un parti qui a rempli toutes les formalités administratives de l'enregistrement — est enregistré lorsque la nomination d'un seul candidat qu'il soutient a été confirmée pour une élection.

L'expression « parti politique » est maintenant définie : il s'agit d'une « organisation dont l'un des objectifs essentiels consiste à participer aux affaires publiques en soutenant la candidature et en appuyant l'élection d'un ou de plusieurs de ses membres ».

Les renseignements requis pour devenir un parti enregistré ont été accrus. Depuis 2004, les partis doivent fournir les documents supplémentaires suivants : les noms et adresses de 250 électeurs — auparavant, il n'en fallait que 100 — et une déclaration de chacun de ceux-ci attestant qu'ils sont membres du parti et qu'ils appuient la demande d'enregistrement; le nom et l'adresse du chef de parti, comme c'était le cas auparavant, mais également une copie de la résolution du parti le nommant à ce poste; une attestation de la part de chacun des dirigeants du parti — il doit y en avoir au moins trois en plus du chef — acceptant leur charge; la déclaration du chef du parti confirmant que l'un des objectifs essentiels du parti consiste à participer aux affaires publiques en soutenant la candidature et en appuyant l'élection d'un ou de plusieurs de ses membres.

Par ailleurs, depuis 2004, les partis peuvent être radiés en tout temps s'ils ne peuvent démontrer au directeur général des élections qu'ils comptent au moins 250 membres et trois dirigeants en plus du chef.

Tous les trois ans, les partis doivent fournir les noms et adresses de 250 électeurs et une déclaration de chacun d'eux attestant qu'ils sont membres du parti. De plus, le chef du parti doit fournir chaque année une nouvelle déclaration confirmant que les objectifs du parti correspondent toujours à ceux d'un parti politique, tels que définis dans la loi.

De nombreuses infractions ont été ajoutées pour assurer l'application de ces nouvelles dispositions. Dans certains cas, la peine imposée par le juge peut aller jusqu'à la radiation du parti et la liquidation de ses biens et de ceux de ses associations de circonscription.

La loi comprend aussi maintenant un recours de nature civile dont on a chargé le commissaire aux élections fédérales. Si celui-ci a des motifs de croire que les objectifs d'un parti enregistré ne comptent plus celui inclus dans la définition de « parti politique », il peut, après avoir donné au parti la possibilité de lui démontrer quels sont ses objectifs, demander à un tribunal de radier le parti. Le parti politique visé par une telle demande du commissaire ne peut délivrer des reçus aux fins de l'impôt pendant la durée de l'instance, à moins d'avoir reçu une autorisation judiciaire.

Il est maintenant interdit à une entité politique régie par la loi d'accepter ou de solliciter une contribution en indiquant au donateur que celle-ci sera remise en tout ou en partie à une entité autre que celles régies par la loi.

[Français]

Les modifications à la Loi électorale du Canada apportées par le chapitre 24 des lois du Canada de 2004 sont maintenant en vigueur depuis près de quatre ans. Leur administration ne cause pas de problèmes particuliers pour Élections Canada. Quand le projet de loi a été adopté, on comptait neuf partis enregistrés et trois partis admissibles. Tous les partis, qu'ils soient enregistrés ou admissibles, avaient l'obligation, dans les six mois suivant l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions, de fournir à Élections Canada les renseignements supplémentaires exigés par la nouvelle loi. Tous s'en sont acquittés.

Par ailleurs, en juin 2007, tous les partis enregistrés et tous les partis admissibles, sauf un, ont pu dans le délai prescrit se conformer à l'obligation triennale de fournir une déclaration de 250 électeurs attestant qu'ils sont membres du parti.

Le dernier parti a pu fournir ces renseignements dans le délai supplémentaire accordé par mon bureau.

Présentement, au Canada, il y a 16 partis enregistrés et trois partis admissibles. Toutes les demandes d'enregistrement reçues depuis l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions n'ont cependant pas été approuvées. En effet, 12 demandes d'enregistrement ont été refusées. Dans quatre de ces cas, il s'agit d'entités qui avaient déjà déposé une demande de renseignements sous les anciennes règles lorsque les nouvelles dispositions sont entrées en vigueur et qui n'ont pas su satisfaire aux nouvelles exigences de la loi. Dans un certain nombre d'autres cas, il s'agit de demandes très incomplètes qui, en fin de compte, ont été rejetées parce qu'elles ne respectaient pas les exigences.

Dans un seul cas, la demande laissait croire que certaines déclarations des membres étaient fausses. Après vérification auprès des personnes identifiées sur ces déclarations, la demande d'enregistrement a été refusée. Nous avons jugé bon de remettre cette demande aux instances policières. Aucune poursuite ne fut cependant intentée.

Dans un dernier cas, la demande initiale avait été rejetée parce qu'elle était incomplète. Par contre, le parti a présenté une deuxième demande jugée cette fois complète et le parti est maintenant un parti admissible.

D'un point de vue opérationnel, les nouvelles dispositions fonctionnent. D'une part, la déclaration du chef de parti quant à l'objectif essentiel requis par la loi est acceptée à sa face même à moins que l'on ait des raisons de croire qu'elle n'est pas véridique. Par ailleurs, l'obligation de fournir des déclarations de 250 membres s'est avérée une méthode qui semble efficace pour s'assurer de l'authenticité du parti. L'ensemble des exigences administratives oblige l'organisme, qui veut obtenir le statut de parti enregistré, à démontrer une certaine structure organisationnelle.

Finalement, il faut noter que l'obligation de fournir ces 250 déclarations tous les trois ans, même si elle exige un certain effort des partis, permet au directeur général des élections de ne pas porter seul le fardeau de déterminer quand on devrait demander à un parti de fournir de telles déclarations. Somme toute, il s'agit d'un outil utile.

Je vous remercie, madame la présidente. Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Mayrand. C'était très intéressant.

Le sénateur Di Nino : C'est un des changements intéressants au sujet duquel certains d'entre nous avaient émis des inquiétudes au moment de l'examen du projet de loi. J'allais vous demander combien de partis n'ont pas été approuvés. Vous avez dit que 12 d'entre eux ont été refusés. Pour quelles raisons ont-ils été refusés?

M. Mayrand : Nous avons inclus dans la documentation un tableau qui donne les détails sur chacun des 12 cas.

Le sénateur Di Nino : Je ne l'ai pas vu.

M. Mayrand : C'était généralement parce que ces partis n'avaient pas fourni les renseignements de base et que leur demande était incomplète. Certains partis n'avaient pas les 250 membres requis et certains ne respectaient pas les autres critères de la loi.

Le sénateur Di Nino : Dans tous les cas, il ne s'agissait donc pas de problèmes de fond, mais de problèmes techniques qui n'étaient pas jugés graves. Est-ce que ces gens sont soumis à une enquête de police, par exemple pour vérifier s'ils sont de bons citoyens?

M. Mayrand : Non, nous ne faisons pas ce genre de choses. Nous nous contentons de la déclaration présentée par le chef et les dirigeants du parti, ainsi que de l'attestation présentée par 250 membres du parti.

Le sénateur Di Nino : D'après ce que vous avez dit, au moins un des partis a fourni les renseignements nécessaires et a été approuvé par la suite. Parmi les 12 partis, est-ce que certains autres ont été approuvés par la suite?

M. Mayrand : Non.

Le sénateur Di Nino : Sur les 12 partis qui avaient été refusés au départ, un seul s'est plié aux règles.

M. Mayrand : C'est exact.

Le sénateur Di Nino : Est-ce que certaines demandes sont en cours? Avez-vous reçu d'autres demandes?

M. Mayrand : Nous avons actuellement 16 partis enregistrés et trois partis admissibles, ce qui veut dire qu'ils ont satisfait aux exigences administratives et qu'ils attendent de présenter un candidat.

Le sénateur Di Nino : Est-il juste de dire que le nombre de demandes de création de partis a augmenté?

M. Mayrand : C'est exact.

Le sénateur Di Nino : Combien de partis ont-ils été radiés, le cas échéant, depuis l'entrée en vigueur de cette nouvelle loi?

M. Mayrand : Aucune des dispositions n'a été enclenchée jusqu'à présent dans les cas que nous avons examinés qui, encore une fois, concernent un nombre relativement restreint de partis; cependant, aucun parti n'a été radié.

Le sénateur Di Nino : Comment faites-vous pour vérifier l'authenticité de la liste des 250 noms?

M. Mayrand : Dans le formulaire, les membres doivent fournir certains renseignements personnels que nous pouvons vérifier dans le registre des électeurs. S'ils refusent, nous pouvons les contacter directement pour avoir confirmation que le formulaire a bien été rempli par eux et qu'ils sont membres du parti.

Le sénateur Di Nino : Vous nous avez donné une liste de tous les partis enregistrés. Serait-il possible de connaître le montant des sommes que chacun a recueillies? Je crois qu'il s'agit là de renseignements de nature publique. Je suppose que ces sommes d'argent sont accompagnées d'un reçu. Dans le cas contraire, pourrions-nous savoir quelle est la proportion de ces sommes d'argent qui ne font pas l'objet d'un reçu?

M. Mayrand : Je suppose que c'est possible. Comme vous l'avez dit, ce sont des informations publiques.

Le sénateur Di Nino : Ce serait intéressant de connaître le montant des contributions qui ont été faites aux partis.

M. Mayrand : Voulez-vous ces chiffres depuis 2000?

Le sénateur Di Nino : Si ces statistiques sont relativement faciles à obtenir, nous aimerions les obtenir pour chaque année afin de vérifier si une tendance se dessine.

M. Mayrand : Seriez-vous intéressé à avoir les statistiques concernant le nombre de votes enregistrés?

Le sénateur Di Nino : Oui, ce serait très utile. Au moment de procéder à l'examen de cette loi, il serait très utile de disposer de ces statistiques afin de mieux comprendre l'incidence que cette loi a eue sur le régime démocratique au pays — combien de partisans, le montant des contributions, les infractions dont vous avez été saisis en raison de contributions excédentaires, et cetera.

M. Mayrand : Nous vous fournirons ces données.

La présidente : Vous nous avez remis la liste des partis qui ont présenté moins de 50 candidats.

M. Mayrand : Oui, vous avez cette liste.

La présidente : Est-ce que beaucoup d'entre eux se situent entre 50 candidats et le maximum? J'ai oublié quel était le maximum?

M. Mayrand : Il y a six partis et le maximum est de 308 candidats.

La présidente : Cela nous sera très utile.

Le sénateur Watt : Combien de partis peuvent-ils être acceptés à l'échelon fédéral?

M. Mayrand : Il n'y a pas de limite. Toute entité qui peut réunir 250 membres et satisfaire aux exigences administratives peut être acceptée.

Le sénateur Watt : En d'autres termes, le pays pourrait être saisi d'un vent de folie et devenir incontrôlable.

M. Mayrand : Je crois qu'en Australie, il est possible d'avoir jusqu'à 75 noms sur le bulletin de vote.

Le sénateur Watt : Le First Peoples National Party of Canada est nouvellement enregistré pour ces élections. Quelles élections? Celles de cette année?

M. Mayrand : Il s'agit des élections de 2006. Ce parti a présenté des candidats pour la première fois aux élections de 2006.

Le sénateur Watt : Comment vous y prenez-vous pour contrôler ou effectuer le suivi? Vont-ils réussir ou non? Votre bureau a-t-il des informations à ce sujet?

M. Mayrand : Comme je l'ai indiqué, le chef du parti doit confirmer chaque année les objectifs de son parti. Par conséquent, nous recevons chaque année une déclaration du chef et tous les trois ans, le parti doit par ailleurs soumettre à nouveau une liste de 250 membres.

Le sénateur Watt : Est-ce que les partis ont obtempéré?

M. Mayrand : Oui, jusqu'à présent ils l'ont fait.

Le sénateur Watt : En ce qui a trait aux critères, aux règles et à la marche à suivre pour créer un parti et pour devenir député, est-ce que les provinces participent à la définition des règles et est-ce que l'assemblée nationale a également un rôle à jouer pour définir les critères? Comment cela fonctionne-t-il?

Je vous pose la question, parce que je n'ai jamais pu comprendre un parti qui fait partie intégrante de notre système. À ma connaissance, ce parti n'appuie pas le pays dans son ensemble, mais il fait partie du système central et semble prôner la destruction du pays. Comment peut-on accepter une telle chose dans un pays moderne comme le nôtre? Cela m'échappe. Peut-être pouvez-vous m'éclairer.

M. Mayrand : Voilà une question importante. Pour le moment, nous n'appliquons pas de critères qualitatifs à l'intention de la plate-forme politique d'un parti. Nous appliquons les règles que j'ai décrites plus tôt, qui sont assez administratives par nature. Je suis convaincu, comme mon prédécesseur l'a déclaré par le passé, que ce n'est pas un terrain sur lequel devrait s'aventurer le directeur général des élections. Cela pourrait être jugé contraire à l'indépendance et à l'objectivité de l'institution d'avoir à évaluer la validité des objectifs politiques d'une organisation. Là encore, nous nous reposons sur la déclaration du chef du parti qui affirme avoir pour objectif d'appuyer un candidat à l'occasion d'une élection.

Le sénateur Watt : Si je vous ai bien compris, il y a donc deux aspects à cette question : d'une part, c'est une question éminemment politique; d'autre part, c'est aussi une question juridique. Il y aurait matière à demander à la Cour suprême du Canada si l'aspect politique n'exerce pas cette responsabilité. Voilà une question qu'il faudra bien finir par se poser. Partagez-vous ce point de vue?

M. Mayrand : Je n'en suis pas certain, à moins que la plate-forme du parti et la déclaration de son chef soient contraires à d'autres lois. Le Code criminel s'applique et régit la liberté d'expression, et il n'est donc pas absolu dans un certain sens. Il est possible qu'un tribunal puisse être saisi d'un recours intenté par un citoyen.

La présidente : Il me semble qu'un des arguments qui sous-tendaient la cause Figueroa c. Canada (Procureur général, affaire qui est à l'origine de la situation actuelle, faisait référence à une disposition de la Charte des droits garantissant à chaque citoyen le droit de voter et de se présenter aux élections. Toutes les personnes auxquelles le sénateur Watt fait référence sont des citoyens du Canada.

Par conséquent, ces personnes doivent s'accommoder du Canada pour le moment. Et pour longtemps, je l'espère. C'est mon point de vue politique.

Le sénateur Watt : À ce sujet, il faut qu'une procédure soit enclenchée par des citoyens. J'imagine donc qu'il faudrait que des citoyens décident d'agir en ce sens.

M. Mayrand : Ils pourraient enclencher une telle procédure.

Le sénateur Oliver : J'ai deux remarques. Tout d'abord, je crois que l'essentiel du témoignage que vous présentez aujourd'hui est que les modifications qui ont été apportées à la Loi électorale du Canada et intégrées au chapitre 24 des Lois du Canada de 2004 sont désormais en vigueur depuis près de quatre ans et que, selon vous, leur administration n'a pas causé de problèmes particuliers chez vous, à Élections Canada. Autrement dit, tout fonctionne bien.

M. Mayrand : De notre côté, tout est correct.

Le sénateur Oliver : Ma deuxième remarque concerne les 250 membres. J'ai eu moi-même l'occasion de participer à la rédaction de la constitution de certains partis et à l'organisation de campagnes à la direction. Il faut toujours tenir compte, lorsque quelqu'un se présente dans le cadre d'une campagne nationale, du nombre de noms que l'on veut voir figurer sur le formulaire de présentation des candidatures. Dans le cas d'une campagne nationale, on ne souhaite pas que tous les candidats proviennent d'une seule province, par exemple la Nouvelle-Écosse. Il faut aussi des représentants de la Colombie-Britannique, de l'Ontario et du Québec. Ici, la seule condition que vous avez mentionnée, est l'obligation de réunir 250 membres.

Compte tenu de ce critère, serait-il possible que tous les membres d'un parti proviennent d'une petite ville du sud de la Saskatchewan et que leur organisation soit considérée comme un parti national?

Le sénateur Milne : Ils viennent tous d'une seule province.

Le sénateur Oliver : Est-ce que cela vous préoccupe?

M. Mayrand : Dans la décision rendue dans l'affaire Figueroa c. Canada (Procureur général), la Cour suprême du Canada a souligné l'importante contribution que certaines organisations politiques régionales et locales peuvent faire à la vie démocratique de notre pays.

Le sénateur Oliver : Nous parlons de partis nationaux.

M. Mayrand : Non.

La présidente : Que se passe-t-il s'ils présentent des candidats uniquement dans une seule province?

Le sénateur Oliver : J'aimerais savoir comment vous réagiriez si les 250 membres de ce parti habitaient tous la même petite ville.

M. Mayrand : Il leur faudrait convaincre les citoyens de voter pour eux et, d'après moi, la décision de la Cour suprême souligne l'importance des petites entités dans la vie politique de notre pays. Sans aller trop loin, chacun sait que certains partis dans l'histoire de notre pays ont commencé avec une base régionale très mince avant de devenir un parti national. La Cour suprême a fait bien attention de ne pas imposer des obstacles aux organisations politiques. C'est tout au moins l'interprétation que je donne à sa décision.

Le sénateur Oliver : Elle souligne qu'il y a une différence lorsqu'il s'agit d'une campagne nationale à la direction en vue d'élire le chef d'un parti. Selon moi, cependant, il est important que la personne qui souhaite accéder à la direction nationale d'un parti national reçoive l'appui d'électeurs qui ne proviennent pas tous du même petit territoire ou secteur. Je voulais à l'époque que cette personne soit appuyée par des représentants d'au moins trois provinces différentes. Cependant, si vous êtes satisfaits, c'est très bien.

M. Mayrand : Absolument; les congrès d'investiture sont soumis aux règles adoptées par chaque parti. Là encore, je me réfère à la décision Figueroa c. Canada (Procureur général).

Le sénateur Andreychuk : Je partage le même point de vue concernant certaines de ces questions. Lorsque nous avions examiné le projet de loi, certaines craintes avaient été soulevées relativement à la nouvelle définition. La modification a ajouté une définition de « parti politique » reposant sur les objectifs, qualifiant le parti politique d'organisation dont l'un des objectifs essentiels consiste à participer aux affaires publiques en soutenant la candidature et en appuyant l'élection d'un ou de plusieurs de ses membres. Nous étions inquiets parce que la force de notre système électoral tient au fait que votre bureau est absolument neutre et que les décisions politiques sont prises ailleurs. Vous avez pour responsabilité de faire en sorte que les élections se déroulent de manière libre et équitable, conformément aux lois, aux pratiques et aux méthodes en place.

Pour la première fois dans l'histoire canadienne, nous avons ajouté qu'un parti politique doit « participer aux affaires publiques ». Et c'est à votre bureau de décider si ce critère est respecté. Nous nous demandions si vous étiez équipés pour le faire. Nous nous demandions par ailleurs si, ce faisant, vous pourriez être accusés d'ingérence dans les activités de la commission électorale.

Nos craintes ne découlaient pas d'événements ayant eu lieu au Canada. Cependant, on s'efforce partout dans le monde d'organiser des élections libres et équitables. Nous recommandons continuellement aux pays d'outre-mer de faire en sorte que la commission électorale soit tenue à l'écart des décisions politiques. Sans une telle indépendance, il est impossible d'avoir une société qui fonctionne selon les principes démocratiques. C'est ce dont nous avions peur lorsque nous avons ajouté ces mots et c'est, je m'en souviens, ce qui, plus qu'autre chose, a déclenché la révision.

J'aimerais savoir comment vous interprétez « affaires publiques ». C'est une question qui nous a dérangés la dernière fois.

M. Mayrand : Je crois que ce serait un problème grave pour n'importe quel organe électoral.

Nous abordons la définition dans son intégralité : « organisation dont l'un des objectifs essentiels consiste à participer aux affaires publiques en soutenant la candidature et en appuyant l'élection d'un ou de plusieurs de ses membres ». Nous estimons essentiellement qu'en appuyant un candidat aux élections, on participe aux affaires publiques, parce qu'on prend publiquement position afin de tenter de convaincre les électeurs.

Nous tenons à éviter de prononcer des jugements ou d'exprimer des points de vue quant à la qualité ou à la nature de la participation aux affaires publiques. C'est pourquoi, nous nous appuyons sur deux facteurs : premièrement une déclaration signée par le chef du parti attestant que son parti répond à la définition de parti politique; et deuxièmement, que le parti présente des candidats aux élections.

Le sénateur Andreychuk : Lorsque nous avons modifié le seuil de 50 candidats, nous pensions que les partis politiques pourraient sans doute facilement franchir cet obstacle en adoptant une position totalement neutre. Comment s'assurer qu'une personne qui fait la promotion d'une opinion politique, qui présente un candidat et qui fonde un parti agit en conformité de la loi? Par exemple, on ne peut pas encourager la haine en se servant de notre système politique. Il faut respecter les lois du pays.

Qui applique ce contrôle si vous ne lisez pas les articles de constitution des partis et si vous ne les surveillez pas? Comptez-vous sur la presse ou sur les autres partis politiques pour vous assurer que le processus se déroule dans l'ordre? Est-ce de cette façon que vous procédez?

M. Mayrand : La loi électorale impose à Élections Canada un cadre réactif, de sorte que ce sont les personnes qui participent au processus politique, les citoyens et la presse, qui peuvent attirer notre attention sur certaines questions. Cependant, nous sommes autorisés à examiner les méthodes de financement électoral. Une fois enregistrés, les partis doivent respecter les mêmes critères réglementaires qu'un grand parti national. Ils doivent produire des déclarations, expliquer leurs dépenses et les contributions qu'ils recueillent. Nous examinons ces documents et ces informations sont disponibles. Dans le cas de tous les partis figurant sur la liste, on peut vérifier s'ils ont produit des déclarations et quel est leur contenu. Le public peut en prendre connaissance et porter les problèmes à notre attention.

Le sénateur Andreychuk : Comme dans d'autres secteurs, nous nous appuyons sur la transparence.

M. Mayrand : Oui, c'est tout à fait juste.

Le sénateur Andreychuk : Le sénateur Oliver a parlé de régionalisme. Dans sa décision, la Cour suprême se préoccupait de la Charte et du droit de vote de tous les citoyens. Évidemment, tous les citoyens canadiens ne peuvent pas voter, car il faut avoir un certain âge pour le faire. Cela étant dit, dans certains pays, la difficulté est d'atteindre une dimension nationale tout en maintenant un équilibre régional. Beaucoup de démocraties émergentes, en Europe et ailleurs, ont du mal à représenter plus qu'un petit intérêt local.

La Cour suprême n'a pas privilégié cette option, et la loi non plus. Elle s'est appuyée sur le fait que tous les citoyens ont le droit de participer et que le système agira pour le bien de tous. Cependant, on pourrait se retrouver dans une situation qui changerait tout ça. Que feriez-vous si une telle crise politique se produisait? Pouvez-vous intervenir lorsqu'on invoque la constitutionnalité et les motifs?

M. Mayrand : Je ne pense pas que nous ayons un rôle à jouer. Peut-être qu'une partie de la question m'échappe.

Le sénateur Andreychuk : Ce sera un débat politique. La Cour suprême a rendu certaines décisions que nous nous efforçons de respecter, mais au bout du compte, c'est un jugement politique des règles du jeu. N'est-ce pas?

M. Mayrand : Tout à fait et, à mon humble avis, ce serait aux entités politiques et au Parlement d'en débattre, le cas échéant.

Le sénateur Andreychuk : On soulevé la question de la radiation. Comment fait-on pour intenter un recours? La population peut vérifier sur Internet quels sont les partis enregistrés et quels sont ceux qui ne le sont pas. Certaines personnes peuvent considérer qu'un parti enregistré n'est pas un parti politique légitime dont l'objectif essentiel consiste à participer aux affaires publiques. Comment peuvent-elles intenter un recours?

M. Mayrand : Elles peuvent déposer une plainte. Le directeur général des élections peut, à tout moment, demander à un parti de prouver qu'il continue à respecter les exigences de base fixées par la loi. Par ailleurs, le commissaire aux élections peut s'adresser aux tribunaux pour demander une radiation. Par conséquent, il y a deux mécanismes permettant de déterminer si les entités continuent à respecter les exigences de la définition et si elles continuent à respecter les règles fixées par la loi.

Le sénateur Andreychuk : Il y a actuellement 16 partis. Vous pourriez en avoir plus si vous faisiez de la publicité. Certains diraient de l'éducation; et d'autres pourraient même le considérer comme un service d'intérêt public. Est-ce que vous diffusez de l'information sur la nouvelle loi et son application?

M. Mayrand : Nous faisons des efforts de sensibilisation auprès de personnes susceptibles d'être intéressées à apporter des changements à la loi. C'est la pratique normale. Nous n'avons pas activement encouragé la formation de nouvelles entités.

Le sénateur Milne : Monsieur Mayrand, je vous prie de m'excuser d'avoir manqué la première partie de votre allocution. C'est un sujet qui m'intéresse beaucoup.

Pour faire suite aux interventions des sénateurs Andreychuk et Oliver, le Bloc Québécois est un parti national en bonne et due forme, même s'il n'est représenté qu'au Québec. En vertu de cette loi, il est théoriquement possible pour quelqu'un de mobiliser tous ses amis, ses parents et ses voisins dans sa circonscription, de réunir ainsi 250 personnes et de se faire élire comme dirigeant d'un parti national, même si ce parti ne serait présent que dans une seule circonscription. Il s'avérera peut-être nécessaire à l'avenir que le Parlement se penche sur la définition de « parti national » dans ce contexte.

Ce serait un sujet extrêmement épineux; de nombreux partis politiques ne voudraient pas s'y frotter. Cependant, il me semble que cette question est pertinente à la situation qui nous préoccupe puisque nous avons dans ce cas un parti qui exerce une influence nette sur les résultats nationaux alors qu'il n'est représenté que dans une seule province.

M. Mayrand : Il sera difficile d'atteindre cet objectif compte tenu de la décision de la Cour suprême. Il sera extrêmement difficile de libeller un texte de loi qui respecte la pertinence du droit de vote dans un processus démocratique.

La présidente : L'actuel gouvernement du Canada provient pour une bonne part d'un parti qui était à la base essentiellement régional. D'autres membres de ce parti prennent leurs racines dans l'autre section du parti qui est actuellement au pouvoir.

Le sénateur Milne : La section qui a été absorbée.

La dernière fois que M. Figueroa a comparu devant nous au nom du Parti communiste du Canada, il avait exprimé certaines craintes au sujet des dispositions de pénalités qu'il était question d'inclure dans le projet de loi autorisant la radiation et la liquidation des actifs du parti — il était clairement très inquiet à ce sujet — en cas d'infraction en matière financière.

Est-ce qu'un parti a déjà été radié en vertu de cette loi?

M. Mayrand : Je n'ai connaissance d'aucune décision d'un tribunal à ce sujet. En effet, seul un tribunal peut imposer la radiation, après avoir constaté une infraction pénale. Ce n'est jamais arrivé.

Le sénateur Milne : Il n'y a eu aucun cas?

M. Mayrand : Non.

Le sénateur Milne : Il s'inquiétait également du pouvoir accordé à un tribunal de se pencher sur certains facteurs tels que le programme politique d'un parti — ses documents publicitaires et ses énoncés politiques — afin de définir si l'objectif essentiel d'un parti consistait à participer aux affaires publiques.

Est-ce que cet aspect a posé problème depuis?

M. Mayrand : Non.

Le sénateur Milne : Il semble donc que la loi fonctionne bien.

Lorsque M. Kingsley s'est présenté devant le comité de la Chambre des communes, il a proposé de choisir entre deux possibilités : l'élimination de la définition de parti politique et des critères administratifs et d'application qui en découlent; ou la révision de la loi de manière à accorder aux partis admissibles qui présentent entre un et 49 candidats les trois avantages stipulés par la Cour suprême dans l'arrêt Figueroa c. Canada (Procureur général) — le droit de délivrer des reçus aux fins de l'impôt pour les dons reçus, le droit d'inscrire l'appartenance politique du candidat sur les bulletins de vote et le droit de remettre au parti les fonds non dépensés durant une campagne. Ce serait les seuls avantages auxquels ils auraient droit.

Que pensez-vous de cette proposition de M. Kingsley? Avez-vous envisagé d'autres possibilités?

M. Mayrand : En ce moment, je dois limiter ma réponse à dire que je dois administrer la loi que je suis chargé d'appliquer et qui semble donner d'assez bons résultats. Je parle dans la perspective d'Élections Canada. Les partis ont peut-être un point de vue différent.

Le sénateur Milne : En regardant les demandes qui ont été refusées depuis 2004, je remarque avec un certain intérêt qu'on y trouve celle de la Fédération du Commonwealth coopératif, la vieille FCC qui tentait de renaître — cela me ramène à mes propres racines. Est-ce que c'est vrai?

M. Mayrand : C'est exact.

La présidente : Cette liste est fascinante. On y trouve certains partis enregistrés dont je n'avais jamais entendu parler. J'aimerais bien entendre les représentants du Parti work less; ce serait intéressant.

J'aimerais revenir à la définition de parti politique. Le texte de la loi n'utilise pas le mot « national », mais seulement l'expression « parti politique ». Nous supposons que ces partis auront une portée nationale, puisque nous appartenons à des partis politiques nationaux. Cependant, ce n'est pas le cas pour tout le monde.

Pour paraphraser la définition, il est question d'organisations dont l'un des objectifs essentiels consiste à participer aux affaires publiques en présentant des candidats. Comme vous l'avez dit clairement, un groupe qui présente un candidat répond de ce fait à cet aspect de la définition.

C'est la partie concernant l'objectif essentiel qui m'intéresse. Vous vous appuyez sur la déclaration du chef de parti affirmant qu'il s'agit pour lui d'un objectif essentiel. Cependant « essentiel » est un mot bizarre. D'ailleurs, le fait que vous n'ayez pas rencontré de problème est une bonne nouvelle. Puisque notre étude est censée recommander les changements que nous jugerions utiles, j'essaie d'imaginer quels seraient les changements que nous pourrions proposer.

Je vais prendre comme exemple des organisations impeccables afin que l'on ne puisse pas m'accuser de calomnie. Supposons que la Croix-Rouge canadienne ou les Scouts du Canada, ou encore le Congrès du travail du Canada vous faisaient parvenir une déclaration signée affirmant que leur objectif essentiel était de faire élire des candidats à une charge publique et de présenter un ou deux candidats aux élections. Il serait désormais impossible de rejeter une telle demande en disant que l'objectif essentiel de la Croix-Rouge canadienne n'est pas de présenter les candidats mais d'offrir un secours humanitaire. Que pensez-vous de cela?

M. Mayrand : Seulement un des objectifs essentiels se rapporte à la participation aux affaires publiques en soutenant un candidat.

Nous pourrions examiner divers documents — les documents de constitution de l'organisation, les lettres patentes. Nous ne l'avons pas fait jusqu'à présent parce que, une fois encore, il faut qu'une telle organisation appuie un candidat. Si un de leurs objectifs est de participer aux affaires publiques en présentant un candidat, le critère de la loi serait, selon nous, respecté.

La présidente : Je me demande si nous avons besoin de l'expression « un des objectifs essentiels » si l'entité faisant une demande d'admissibilité répond à tous les autres critères, les 250 membres et les quatre dirigeants.

M. Mayrand : Et un candidat.

La présidente : Oui, et le candidat. Est-ce que ce ne serait pas suffisant?

M. Mayrand : À mon sens, ce serait suffisant.

La présidente : Vous ne voyez aucune raison immédiate de dire : « Non, nous devons conserver la notion d'objectifs essentiels ». Vous pouvez, si vous le voulez, y réfléchir et nous faire parvenir votre réponse plus tard.

M. Mayrand : J'aurais énormément de difficulté à remettre en question les objectifs essentiels d'une organisation sans donner l'impression d'obéir à des motifs politiques ou d'exercer un jugement subjectif.

La présidente : C'est très intéressant. Merci.

Le sénateur Milne : Je vois qu'une des raisons invoquées pour le refus du King's Party est qu'il manquait une version abrégée du nom du parti. Cela me paraît étrange, comment voulez-vous raccourcir ce nom?

M. Mayrand : Je crois qu'il y avait plusieurs autres raisons. Je ne pense pas que ce parti n'était pas admissible pour cette seule raison.

Le sénateur Milne : Quand même, l'absence d'une version abrégée du nom du parti me semble être une raison tout à fait superficielle de rejeter la demande d'admissibilité d'un parti.

M. Mayrand : C'est une raison très technique qui se rapporte à l'inscription sur les bulletins de vote.

Le sénateur Milne : Il n'est pas possible de raccourcir le nom du King's Party. On peut raccourcir le nom du Parti conservateur du Canada à conservateur, mais ce mot est encore plus long que le titre de King's Party.

Le sénateur Di Nino : Nous avons déjà examiné cette loi. J'avais, à l'époque, exprimé une inquiétude que je vais réitérer maintenant : Je crains la mauvaise utilisation — ou même pire, l'abus — par certains groupes qui saisiraient la possibilité de promouvoir leur cause d'une part et de profiter de l'argent des contribuables d'autre part. Aussi, lorsque la présidente a évoqué des organisations jouissant d'une bonne réputation, j'ai pensé qu'elle tentait de démontrer un point de vue que je partage.

Cependant, j'aimerais parler du revers de la médaille : les organisations qui n'ont pas bonne réputation.

La présidente : Par exemple, les Hell's Angels.

Le sénateur Di Nino : Ce pourrait être également une association de dangereux contrevenants du Canada dont certains membres seraient même en prison. En réunissant 250 personnes, ils pourraient présenter une demande d'admissibilité. Est-ce que la loi contient certaines dispositions qui pourraient refuser à un groupe de Canadiens la possibilité de se constituer en parti politique? Est-ce qu'il existe certaines dispositions que nous pourrions renforcer ou modifier d'une manière que nous jugerions appropriée au cours de nos délibérations?

M. Mayrand : Dans l'état actuel des choses, à supposer qu'un groupe respecte les divers critères, notamment réunir 250 membres, la déclaration du chef et les trois dirigeants, la loi ne prévoit aucun autre critère qui nous permettrait de remettre en question l'objectif ou l'engagement de ce groupe, à moins qu'il ne présente pas de candidats. Dans ce cas, il ne pourra être enregistré.

Le sénateur Di Nino : Supposons que ce groupe de personnes respecte toutes les exigences que vous avez soulignées. Les prisonniers ont le droit de voter.

M. Mayrand : Oui, tout à fait.

Le sénateur Di Nino : Qu'ils soient criminels ou non, nous ne pouvons empêcher des individus de se regrouper pour former un parti politique.

M. Mayrand : Nous ne pouvons le faire en vertu des dispositions de la Loi électorale du Canada. Dans la mesure où ils sont des électeurs, la Loi électorale du Canada ne pourrait les en empêcher. Par contre, d'autres lois pourraient intervenir.

Le sénateur Di Nino : Je n'en connais aucune. C'est une des craintes qui me préoccupaient. J'ai également pensé aux organisations qui se serviraient des élections pour promouvoir une cause.

Je me souviens d'avoir rencontré un jour un homme qui se présentait aux élections municipales. Je lui avais fait remarquer qu'il était complètement fou et qu'il n'avait aucune chance. Il m'avait répondu : « Je le sais, mais la campagne électorale me permet d'installer partout des affiches à mon nom et de faire ainsi la promotion de ma compagnie immobilière. »

Il n'y a pas d'incidence sur les deniers publics en raison des dons et autres opérations. C'est une préoccupation que j'avais à l'époque et que j'ai encore.

Madame la présidente, nous devrions nous pencher sur cette question afin de suggérer certaines modifications à la loi. J'attends que vous nous donniez certaines directives.

M. Mayrand : Encore une fois, compte tenu de l'arrêt Figueroa c. Canada (Procureur général) et de la position de la Cour suprême, il sera très difficile, sans porter préjudice au droit démocratique, à la liberté d'expression ou aux autres droits fondamentaux, d'apporter des restrictions à la définition de l'objectif d'une organisation qui souhaite participer au processus démocratique.

Le sénateur Di Nino : Si des membres des Hell's Angels décidaient de former un parti politique, est-ce que vous seriez tenu d'approuver leur demande dans la mesure où ils respectent tous les critères techniques?

M. Mayrand : S'ils sont tous des citoyens canadiens de plus de 18 ans, j'ai bien peur que rien dans la loi ne les empêche de former une entité politique susceptible de demander et d'obtenir son enregistrement.

Le sénateur Di Nino : Je suppose, madame la présidente, que vous voyez où je veux en venir.

Le sénateur Campbell : Il est très rare que je ne sois pas d'accord avec le sénateur Di Nino. Mais à la vérité, tous les partis politiques font la promotion de leurs idées. Sans vouloir faire de politique, je peux vous dire que certaines idées affichées sur la plate-forme d'autres partis politiques me paraissent incroyablement répressives et offensantes.

La décision de la Cour suprême du Canada protège la liberté d'expression qui est le principe de base de la démocratie. Il est clair qu'on ne peut pas prodiguer nos conseils à une jeune démocratie en lui disant qu'au Canada il est interdit de former un parti qui ne plaît pas au courant majoritaire de la population. Par exemple, il y a au Canada le Parti marijuana qui prône la consommation d'un produit illégal. Certaines personnes trouveraient à redire de cette situation. En Colombie-Britannique, c'est la fleur nationale, alors, on n'en aurait pas fini d'en parler.

N'importe qui peut constituer un parti politique dès lors que ces critères sont respectés. C'est une chose de former un parti politique; ç'en est une autre de pouvoir introduire des changements au sein d'un gouvernement et dans les lois.

Je crois que l'ensemble de votre exposé consistait à dire que nous n'avons rencontré aucune difficulté. J'ai tendance à penser que cela signifie que ce n'est pas une mauvaise loi. Si c'était une mauvaise loi, les membres des Hell's Angels, les groupes de défense des droits des prisonniers, les détenus purgeant des peines de longue durée vous feraient tous parvenir des demandes en vue de former un parti politique. C'est une question importante.

On entreprendrait une démarche dangereuse en tentant de préciser qui serait autorisé à former un parti politique. Je peux vous dire que si les Hell's Angels décidaient de former un parti politique, les autorités interviendraient d'une manière ou d'une autre pour faire appliquer la loi.

Vous avez fait un excellent travail. Lorsque la nouvelle loi a été adoptée, il y avait certaines inquiétudes quant aux orientations qu'on lui donnerait. Vous avez très bien géré la situation. C'est une bonne loi. Pourquoi vouloir réparer ce qui n'est pas cassé? Voilà mon point de vue.

M. Mayrand : Je dois vous signaler que certains autres aspects des dispositions sont actuellement contestés devant les tribunaux. Certains de ces recours s'appuient sur la décision qui a été prise dans l'affaire Figueroa c. Canada (Procureur général). Certaines dispositions actuelles de la Loi électorale du Canada qui font des distinctions en vertu de certains seuils accordent des droits à certains candidats indépendants par rapport aux partis enregistrés et cetera. Je ne sais pas si le comité souhaiterait examiner ces aspects.

Il y a quelques semaines, j'ai rencontré des partis politiques. Au cours de la réunion, il a été question des règles concernant le temps d'antenne accordé aux partis. Sans aller jusqu'à dire que certaines dispositions seraient contraires à la décision, je pense que certaines règles relatives à l'attribution du temps d'antenne et aux critères qui s'appliquent en la matière mériteraient sans aucun doute d'être revues ou examinées de près à la lumière du jugement rendu dans l'affaire Figueroa c. Canada (Procureur général).

Un autre aspect qui sera porté à votre attention, si ce n'est déjà fait, est la participation au débat des chefs pendant une campagne électorale. Voilà une question qui préoccupe les partis mais qui n'est pas encore régie par la Loi électorale du Canada.

La présidente : Je me demande, monsieur Mayrand, s'il serait possible de nous faire parvenir des renseignements sur les diverses affaires judiciaires que vous avez mentionnées. Je ne vous demande pas de nous donner votre avis — à moins que vous l'ayez déjà fait en cour — mais plutôt de nous indiquer par quels tribunaux ces causes sont entendues, si des jugements ont été prononcés et si elles ont été portées en appel. Nous serons ensuite en mesure de suivre leur évolution si nous le jugeons nécessaire.

M. Mayrand : Si le comité s'intéresse à cet aspect, je pourrais vous présenter un compte rendu actuel de la jurisprudence et vous indiquer quels sont les aspects pris en compte par cette jurisprudence.

Afin de vous aider dans vos travaux, nous pourrions vous fournir un tableau indiquant les divers traitements que le régime réserve aux différentes entités politiques. Là encore, ce serait à la lumière de l'arrêt Figueroa c. Canada (Procureur général). D'autres affaires actuellement en instance réclament que la Loi électorale du Canada prenne en compte l'intégralité du jugement Figueroa c. Canada (Procureur général). Voilà un aspect que le comité souhaiterait peut-être examiner.

La présidente : Ce serait très utile et je pense que la vice-présidente partage cet avis.

Le sénateur Andreychuk : Ce serait très utile. Les notions auxquelles nous nous étions intéressés concernaient la liberté de participer au processus politique, notion qui sous-tend le jugement, ainsi que le droit d'association. Voilà ce qu'il faut examiner.

Les individus qui ont été condamnés et qui sont incarcérés sont privés de leur liberté de mouvement, mais pas de leurs autres libertés, et c'est la raison pour laquelle ils peuvent désormais voter. Les Hell's Angels ont peut-être mauvaise presse, mais s'ils n'ont pas été condamnés par les tribunaux, ce sont des citoyens comme les autres et ils ont le droit de vote.

Les autres affaires en instance portent-elles sur le droit d'association et la liberté de participation ou sur d'autres questions qui font appel à d'autres notions de droit?

M. Mayrand : Les partis concernés par l'arrêt Longley attendent actuellement l'autorisation de comparaître devant la Cour suprême. Leur cause a été entendue en Ontario, d'abord en première instance, puis jusqu'à la Cour d'appel de l'Ontario. Je crois essentiellement que six représentants de divers petits partis contestent le seuil imposé pour l'accès à l'indemnité trimestrielle dont bénéficient les partis plus grands. Je ne sais pas si l'affaire sera entendue par la Cour suprême, ni à quel moment, mais elle est en cours.

La présidente : Prenons comme exemple le scénario d'horreur évoqué par le sénateur Di Nino dans lequel le Parlement serait envahi par toutes sortes d'individus indésirables. Supposons encore que les Hell's Angels soient en mesure de réunir 250 personnes signataires d'une déclaration attestant qu'elles appartiennent au « Parti HA Inc. ». Pensez-vous que je me trompe en disant que le mécanisme apporterait lui-même les correctifs nécessaires? Il serait extrêmement improbable que ces personnes puissent se faire élire ou même obtenir 5 p. 100 des voix, soit le seuil nécessaire dans une circonscription donnée pour obtenir un financement. Leur formation pourrait peut-être se manifester à l'occasion d'une élection mais si les Hell's Angels parvenaient à faire élire certains de leurs représentants, il est bien certain que nous ferions face à des problèmes sociaux qui déborderaient largement du cadre de la Loi électorale du Canada.

M. Mayrand : Oui, vous avez tout à fait raison. Aucun de ces scénarios n'a de chance de se réaliser dans le régime actuel. En fin de compte, un candidat a besoin de l'appui des électeurs. Je suppose qu'il serait très difficile pour un groupe tel que celui que vous venez de décrire d'attirer un soutien significatif de la part des électeurs. Je ne crois pas que cela puisse arriver. Je suis peut-être naïf.

La présidente : Naïf ou alors extrêmement réaliste. J'hésite entre les deux.

M. Mayrand : Nous devons faire confiance aux citoyens.

La présidente : Nous venons à peine d'entamer notre étude et nous avons encore beaucoup de travail à faire. Ce serait très utile pour nous de disposer de la longue liste d'informations supplémentaires dont vous nous avez parlé. En attendant, je vous remercie de toutes ces précisions utiles que vous nous avez fournies au moment où nous amorçons nos travaux.

La séance est levée.


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