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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 12 - Témoignages du 12 mars 2008


OTTAWA, le mercredi 12 mars 2008

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 16 h 6, pour poursuivre son examen complet des modifications apportées à la Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi de l'impôt sur le revenu (L.C. 2004, ch. 24).

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je constate que nous avons le quorum. Conformément à ce qui est prévu, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles poursuit son examen des modifications apportées à la Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi de l'impôt sur le revenu de 2004.

Pour commencer, nous avons le plaisir d'accueillir parmi nous M. Greg Fergus, directeur national du Parti libéral du Canada, et M. Éric Hébert-Daly, directeur national du Nouveau parti démocratique du Canada.

Nous avons convié tous les partis représentés à la Chambre des communes à cette première séance. Le Parti conservateur et le Bloc québécois ont poliment décliné notre invitation. Ils nous ont envoyé des lettres contenant certaines observations sur le projet de loi. Ces lettres vous seront distribuées, si ce n'est déjà fait, et seront prises en compte dans nos travaux. Cependant, pour notre plus grand plaisir, le Parti libéral et le Nouveau parti démocratique du Canada ont accepté notre invitation, et nous les en remercions.

Avez-vous décidé qui prendra la parole en premier?

[Français]

Éric Hébert-Daly, directeur national, Nouveau parti démocratique du Canada : Madame la présidente, je vous remercie de nous avoir invités. Le NPD a regardé comme il faut l'impact causé par l'enregistrement des partis politique, une question qui était importante pour tous les partis enregistrés.

Premièrement, les changements à la loi qui ont permis vraiment aux partis politiques, aux petits partis politiques en particulier, de s'inscrire et de s'identifier lors des élections sans avoir à présenter 50 candidats est, à notre avis, un vif succès.

[Traduction]

La démocratie n'était pas un processus facile pour les petits partis politiques à l'époque où ils devaient trouver 50 candidats pour être dans la course. C'était particulièrement vrai pour les partis qui, malgré leurs efforts, ne pouvaient présenter 50 candidats et se retrouvaient avec une douzaine de candidats indépendants. La situation des indépendants, qui ne bénéficient pas du financement d'un parti politique et qui ne peuvent lui remettre leurs surplus, était peu enviable. Les excédents enregistrés lors des campagnes de ces candidats prenaient le chemin des coffres du receveur général. En fait, les petits partis du centre étaient doublement pénalisés.

[Français]

De plus, la loi n'aurait pas permis à un candidat devenu indépendant d'ajouter au vote total pour permettre à un petit parti politique central d'atteindre 2 p. 100 des votes à l'échelle du Canada et 5 p. 100 dans les circonscriptions où ils ont présenté des candidats pour avoir accès au financement public.

C'est évidemment un nouveau problème à cause du projet de loi C-24 adopté en 2003. Les méthodes d'inscription, qui existent actuellement, nous semblent suffisantes pour empêcher les deux gros problèmes qu'on voyait venir. Premièrement, le problème d'un parti politique farfelu qui s'inscrirait tout simplement pour avoir accès à des crédits d'impôt et utiliser les fonds à d'autres fins; aussi, de notre avis, cela nous aide à prévenir la croissance inacceptable de ces partis pour atteindre un niveau où on n'est pas capable de se réunir, en termes de parti politique, sans avoir à louer de grosses salles.

[Traduction]

La création de partis politiques aux termes de cette loi nous inquiétait sérieusement il y a deux ans. Nous craignions en effet que ces partis puissent devenir un écran cachant une organisation qui pourrait utiliser les crédits d'impôt à son avantage ou déstabiliser le système politique.

Mais cela ne s'est pas produit. Le nombre de partis politiques s'est accru, mais je crois qu'il s'agit pour la plupart de partis légitimes qui veulent défendre leurs idées dans l'arène politique. Au Canada, le processus politique dominé par les piliers.

[Français]

Pendant que ces changements semblent avoir aidé notre système, il demeure toujours un problème d'accès que j'aimerais soulever et que nous trouvons inacceptable aux partis qui cherchent l'appui de l'électorat. Ce n'est pas quelque chose qui est touchée par cette loi mais qui est, à notre avis, un des plus grands murs à la participation démocratique des petits partis politiques. C'est la question du 2 p. 100 pour être éligible au financement public par rapport au 1,91 $. À ce niveau, l'accès ne devrait pas être empêché à cause du nombre de votes qu'un parti politique aurait eu lors des élections.

C'est une des plus grandes craintes qu'on a par rapport au système existant parce qu'une personne qui vote pour un petit parti, qui n'obtient pas le 2 p. 100, finit par avoir un vote qui vaut moins qu'à un parti politique plus grand et qui est capable d'aller chercher 5 p. 100. dans les circonscriptions où il se présente.

Pour nous, c'est le plus grand dilemme qui reste pour les petits partis politiques, malgré le fait que nous, nous ne serions pas touchés par ces changements, nous croyons que pour l'accès à la démocratie et pour une démocratie de santé, c'est ce qu'il nous faut.

Merci encore de l'invitation et il nous fera plaisir de répondre à vos questions.

[Traduction]

Greg Fergus, directeur national, Parti libéral du Canada : Je voudrais remercier le comité d'avoir permis au Parti libéral du Canada de prendre la parole cet après-midi lors de l'examen des dispositions de la Loi électorale du Canada concernant l'enregistrement des partis politiques. Je suis heureux que le Sénat ait jugé important de s'intéresser aux applications pratiques de cette loi depuis son adoption.

Avant de commencer, j'aimerais vous présenter deux de mes collègues du Parti libéral : Jack Siegel, spécialiste de la loi électorale et coprésident, Promptitude d'élection, région de l'Ontario, et M. Harry Mortimer, directeur, Conformité aux règlements et reddition des comptes, un poste qui, je m'empresse de l'ajouter, a pris de l'importance depuis l'adoption du projet de loi C-3.

Depuis l'adoption du projet de loi C-3, plusieurs nouveaux partis politiques ont vu le jour. De toute évidence, cette mesure législative a favorisé une participation utile dans le processus politique. Aujourd'hui, je voudrais attirer votre attention sur certains aspects de la loi dans sa forme actuelle qui, je crois, pourraient inquiéter les Canadiens.

Il y a d'abord la situation financière initiale des partis politiques, y compris leur actif et leur passif au moment de leur enregistrement. Actuellement, les dispositions prévoient que, « dans les six mois suivant son enregistrement, le parti enregistré produit un état de son actif et de son passif [...] et de son excédent ou son déficit à la date de l'enregistrement ».

Aucune disposition ne régit la source ou la nature de l'actif et du passif du parti au moment de son enregistrement. Avant de s'enregistrer en tant que parti, un groupe peut décider de financer ses activités au moyen de plusieurs sources, dont des entreprises. Il pourrait ainsi recueillir une coquette somme, disons 35 millions de dollars, auprès d'entreprises et se constituer en parti politique. La loi permettrait à ce parti d'utiliser ces fonds pour financer sa campagne et appuyer ses candidats, mais je crois que pareille pratique contrevient à l'esprit de la loi telle qu'elle a été adoptée.

Vous pourriez recommander l'ajout d'une disposition exigeant qu'un parti politique ait un actif et un passif faibles et raisonnables, peut-être même inexistants, au moment de son enregistrement. Tout changement à cet égard serait toujours assujetti aux dispositions de la Loi électorale du Canada.

[Français]

Le deuxième point que j'aimerais soulever est la charge administrative liée au respect constant des règles de l'enregistrement des partis politiques. En termes très généraux, la loi exige qu'un parti politique recueille la déclaration de 250 électeurs, le nom et la résolution de nomination du chef, la déclaration de chaque agent d'un parti et du chef indiquant qu'ils acceptent leurs responsabilités respectives et la déclaration du chef du parti selon laquelle l'un de ses objectifs essentiels consiste à participer aux affaires publiques en soutenant la candidature et en appuyant l'élection d'un ou de plusieurs de ses membres.

Cela ne semble pas constituer beaucoup de travail, mais la collecte de ces déclarations tous les trois ans demande beaucoup de temps pour un grand parti constitué de bénévoles comme c'est le cas pour le Parti libéral. Et si la date butoir tombait en même temps qu'une campagne électorale, nous serions un peu trop occupés pour recueillir des signatures afin de satisfaire une des conditions alors que personne ne songerait à remettre en question la légitimité d'un parti établi comme le Parti libéral ou le Nouveau parti démocratique. Peut-être la loi devrait-elle comporter une disposition qui repousserait automatiquement de six mois la date butoir si elle tombait dans les 120 jours suivant la convocation d'une élection générale.

Dans le même ordre d'idées, je souhaite lancer une alerte générale face aux exigences croissantes de conformité imposée ces dernières années par les modifications à la Loi électorale du Canada à un parti dirigé majoritairement par des bénévoles. Nous avons de la difficulté à l'échelle locale à convaincre les directeurs financiers à demeurer en poste. C'est un fardeau très lourd. Je ne peux qu'imaginer les problèmes que posent les obligations aux termes du projet de loi C-3 aux petits partis, même ceux qui sont enregistrés comme le Parti vert et le Parti libertarien et le Parti marxiste- léniniste.

[Traduction]

Enfin, je voudrais discuter de la déclaration des objectifs essentiels dont je viens de parler. Je crains que cette déclaration ne soit qu'un ramassis de belles paroles et qu'un seul candidat puisse se présenter à chaque élection générale. Lors de votre dernière réunion, Marc Mayrand, directeur général des élections, a indiqué que le fait de recueillir des fonds avec l'intention de les transférer à une entité autre que celle régie par la loi constituerait une infraction.

Il serait peut-être bon de comparer le transfert d'actifs et le virement de fonds entre les partis.

Je pourrais entrer dans le détail ou laisser la parole à mon collègue Jack Siegel. Mais vous devriez étudier la question.

Comme mon temps est limité, je m'arrêterai là.

Les déclarations devraient-elles confirmer les « objectifs dominants » plutôt que les objectifs fondamentaux d'un parti? Autrement dit, pourrait-on permettre à une entité d'être à la fois un parti politique et un organisme caritatif?

Si nous allions en ce sens, nous pourrions leur demander de recueillir des fonds qui offriraient le meilleur avantage fiscal aux bailleurs de fonds moyens des partis politiques.

Je terminerai sur ces réflexions. Je serais heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci.

Le sénateur Stratton : Les petits partis politiques sont, dans certains cas, une bonne chose, car ils renforcent notre idée de la démocratie. Mais, d'après vous, où cela nous mène-t-il? Certains petits partis qui sont des entités actives se révèlent incapables de faire élire qui que ce soit. À quoi cela sert-il, d'après vous? Nous travaillons à faire adopter un projet de loi. Auriez-vous autre chose à proposer?

M. Fergus : Je crois que c'est une question de principe. Si ces partis expriment ou s'efforcent de faire valoir légitimement un point de vue qui n'est pas défendu par d'autres partis politiques, alors c'est une bonne chose qu'ils puissent participer au processus démocratique.

Conformément à la mesure législative, les entités peuvent présenter un seul candidat au lieu de 50 pour être considérées comme des partis politiques. La Cour suprême conviendra que cette obligation était trop coûteuse. Y a-t-il une faille? Je l'ignore. Tant et aussi longtemps que le parti poursuit un objectif politique légitime, tout va bien.

Et où va-t-on ainsi? Je ne peux que faire des suppositions. J'essaie d'imaginer l'autre solution et il me semble que ce serait pire que d'ouvrir le processus.

Le sénateur Stratton : Par exemple, ne serait-il pas logique de passer à la représentation proportionnelle?

M. Fergus : S'agit-il de représentation proportionnelle? De vote préférentiel?

Le sénateur Stratton : C'est une question fondamentale. Nous pouvons entrer dans les détails de la représentation proportionnelle, mais la prochaine étape logique, si l'on permet à ces petits partis d'exister et s'ils obtiennent un pourcentage de vote, consisterait-elle à leur laisser occuper un certain nombre de sièges au Parlement?

M. Fergus : Je serais plus qu'heureux de laisser la parole à mon collègue, M. Siegel.

Jack Siegel, coprésident, Commission permanente de la Constitution et des questions juridiques, Parti libéral du Canada : N'oubliez pas que nous revoyons le C-3 à la suite de la décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire Figueroa c. Canada (Procureur général), de l'élimination de l'ancienne norme et de la nécessité d'en établir une nouvelle. À ce que je sache, la Cour suprême n'a rien dit qui laisse penser qu'il faille modifier le système électoral sous- jacent.

D'aucuns diront que c'est ce qu'il faut faire. Ce n'est toutefois pas l'avis des électeurs d'une ou deux provinces. La discussion doit avoir lieu dans le cadre d'un débat public général sur le besoin de faire des réformes plutôt que de simplement examiner la représentation proportionnelle, ainsi que d'autres modifications du système électoral majoritaire. C'est un débat légitime, mais je ne sais pas s'il s'inscrit dans la logique de la décision de la Cour suprême dans Figueroa ou du projet de loi C-3.

Le sénateur Stratton : Je comprends, mais vous travaillez dans le domaine politique et cette question est de votre ressort. Je demanderais à M. Hébert-Daly, du Nouveau parti démocratique du Canada, s'il croit que cette affaire nous mènera quelque part.

M. Hébert-Daly : Il ne fait aucun doute que le NPD appuie depuis longtemps la représentation proportionnelle, qui permet aux minorités de se faire entendre au Parlement. Nous croyons que c'est un moyen d'accroître la participation des femmes au Parlement. Les avantages de la représentation proportionnelle sont multiples. On m'a posé cette question lors de l'examen du projet de loi C-24, qui concerne la représentation proportionnelle d'un point de vue financier. Il permet aux partis politiques qui ne sont pas représentés à la Chambre des communes d'obtenir une certaine reconnaissance et du soutien. Je le répète, les partis politiques ont de la difficulté à trouver du financement et la décision que nous attendons dans l'affaire Longley pourra nous guider. J'espère qu'elle nous aidera à progresser et à reconnaître des partis politiques, même si leurs candidats ne sont pas élus. Les partis politiques ne servent-ils qu'à élire des gens ou à lancer un débat? Certains partis, au pays, ne souhaitent pas seulement faire élire des candidats, mais également défendre un programme ou des idées qui leur tiennent à cœur et promouvoir un point de vue politique.

Le sénateur Stratton : J'ai foi en la représentation proportionnelle. Mais j'essaie de comprendre votre position.

Par exemple, les constitutions de l'Irak et de l'Afghanistan exigent une représentation de 25 p. 100 de femmes. Croyez-vous que c'est la voie à suivre?

Le sénateur Milne : Je ferai remarquer au sénateur Stratton que la représentation proportionnelle ne se résume pas toujours à la représentation adéquate de groupes ou de gens. Les femmes afghanes ne disposent pas des bureaux ou des installations dont bénéficient les hommes membres du Parlement. Elles sont là et, espérons-le, se font entendre, mais je ne compte pas trop là-dessus.

J'aurais une question pour MM. Fergus et Hébert-Daly au sujet de la décision rendue dans l'affaire Figueroa, qui a invalidé la disposition imposant un seuil de 50 candidats. Voyez-vous un point faible? Devrait-on exiger plus qu'un seul candidat? La cour a statué que le seuil de 50 candidats était trop élevé. Existe-t-il un juste milieu qui permettrait de définir ce qu'est un parti politique?

M. Hébert-Daly : Je crois qu'un seul candidat est suffisant. Je ne vois pas de faille. Il serait difficile pour les petits partis politiques de déterminer le nombre de candidats dont ils ont besoin pour se lancer dans une élection. Mon parti et moi-même croyons fermement qu'un seul candidat suffit.

Le sénateur Milne : Comme, actuellement, les partis peuvent présenter un seul candidat, comment les empêcheriez- vous de déclarer que leur objectif est d'être le Parti du moi?

M. Hébert-Daly : Le directeur général des élections est habilité à radier ce genre de parti. Si le Parti du moi recueille le soutien de 250 personnes — probablement des proches et des amis — on n'a pas à craindre que pareille chose se produise compte tenu des restrictions que prévoit la loi sur le plan de la motivation, de l'objectif et de la nature partisane de l'organisation. Rien, au cours des deux dernières années, ne nous a prouvé le contraire.

M. Fergus : Le seuil de 50 candidats est peut-être trop élevé, mais, avec tout le respect que je vous dois, je crois qu'un seul, c'est insuffisant. Je sais que nous voulons éviter la situation qui s'est présentée dans l'affaire Longley. M. Siegel pourrait probablement nous en dire davantage compte tenu de son expertise dans le domaine juridique. Il y a une possibilité d'abus, bien que cela ne se soit pas produit jusqu'à présent. Nous devrions veiller à ce que les dispositions du projet de loi préviennent ce type de situation.

M. Siegel : Le seuil minimal d'un candidat pose problème, car plus rien ne distingue un candidat indépendant d'un parti. Le seuil doit être bas pour cadrer avec l'esprit de la décision de la Cour suprême dans l'affaire Figueroa, mais un minimum de deux personnes serait peut-être plus raisonnable, puisqu'il y a un lien entre deux campagnes. Sinon, un candidat indépendant qui peut aussi recueillir 250 signatures dispose, d'une année à l'autre, d'avantages dont les autres candidats indépendants sont privés. Je ne suis pas certain que cela clarifie ou améliore la situation en quoi que ce soit.

Je m'occupe également du droit syndical, où l'on considère dans la plupart des régimes qu'un syndicat est composé d'au moins deux personnes. Ici encore, la personne seule est considérée comme un particulier. Si un parti est un collectif, il faut qu'il y ait plus d'une personne.

Le sénateur Milne : Ma deuxième et dernière question s'adresse à M. Fergus, dont je n'ai pas compris les derniers commentaires. Vous avez dit que l'énoncé des objectifs fondamentaux pourrait se résumer à de belles paroles et permettre à un parti de présenter un seul candidat dans une élection générale. Je ne vous suis pas.

M. Fergus : Je n'ai pas été plus loin dans mon raisonnement pour ne pas dépasser les cinq minutes qui m'ont été allouées. Je vais demander à M. Siegel de nous expliquer ce qu'il en est.

M. Siegel : L'obligation de remettre une déclaration confirmant que l'un des objectifs essentiels du parti consiste à participer aux affaires publiques en soutenant la candidature et en appuyant l'élection d'un ou de plusieurs de ses membres sert de mesure de sécurité. Conformément à la décision prise dans l'affaire Figueroa, l'entité qui s'enregistre doit avoir une certaine continuité politique. Cependant, un objectif essentiel n'est peut-être pas l'objectif dominant. Certains pourraient établir un parti et déclarer qu'ils souhaitent participer aux affaires publiques afin d'obtenir des avantages financiers sous la forme de crédits d'impôt, ce qui aurait des bénéfices énormes pour les donateurs puisque cela leur permettrait de recueillir des fonds à d'autres fins.

J'ai déjà donné l'exemple du Parti festif, qui présenterait un candidat afin de permettre aux gens de s'amuser davantage. Chaque année, ses 250 partisans verseraient 200 $ à la caisse du parti en échange d'un reçu d'impôt de 150 $ et pourraient ainsi faire la bringue pour 50 $.

Il suffit de dire que c'est un objectif essentiel et de présenter un candidat pour être à l'abri. Ne faudrait-il pas faire plus? Le libellé que nous vous invitons à considérer — et en aucun cas sommes-nous en train de vous l'imposer —, c'est de savoir si tel devrait être l'objectif dominant de l'entité pour participer au processus politique et, par le fait même, présenter un candidat à chaque élection générale.

Je suis d'accord avec M. Hébert-Daly pour dire que ce n'est pas le seul but d'un parti politique, au risque de m'attirer le désaccord de mon collègue juste ici. Les plus grandes contributions du NPD à notre pays ne sont pas attribuables au nombre de ses sièges à la Chambre des communes; elles sont attribuables à la solidité de ses arguments en faveur de politiques progressistes sur le plan social. Toute entité qui participe au processus devrait avoir cette capacité, et celle-ci devrait être reconnue comme une valeur qui mérite le respect et l'estime.

Le sénateur Milne : Monsieur Siegel, c'est exactement ce que mon père, un partisan du CCF/NPD, me disait.

Monsieur Hébert-Daly, que pensez-vous des propos de M. Siegel — à savoir qu'il faut deux personnes et non pas une pour former un parti dans le milieu des syndicats?

M. Hébert-Daly : Encore une fois, je ne suis pas tout à fait d'accord avec mon collègue. Je le dis avec tout le respect que je lui dois parce que je comprends le principe du mouvement syndical — particulièrement l'idée qu'il faut plus d'une personne pour créer un syndicat. Par conséquent, j'accepte ce point de vue dans ce contexte.

Toutefois, dans le domaine politique, si un parti politique avait l'intention de présenter deux candidats mais n'avait pas réussi à présenter le deuxième pour une raison ou pour une autre — parce qu'on a dépassé la date butoir ou qu'on n'a pas pu amasser suffisamment de fonds pour ce candidat en particulier — même si le parti pourrait ne pas se résumer à ce seul candidat, avis que je partage, il n'en demeure pas moins qu'un parti politique est beaucoup plus que les candidats qu'il représente. Il y a les membres, le conseil de direction, et cetera. Dans un tel scénario, on finit par se retrouver avec un parti politique qui a peut-être les meilleures intentions, mais qui est dans une situation très délicate.

Je crois que le directeur général des élections a une marge de manœuvre suffisante pour examiner un parti politique et dire : « Je ne pense pas que vous répondez aux critères «. Je crois qu'un Parti festif, par exemple, serait certainement repéré assez rapidement et ne serait pas admissible à l'enregistrement.

La présidente : Lorsque le directeur général des élections a comparu devant nous, il n'a pas semblé croire que c'était tiré par les cheveux à ce point-là, même si nous n'avons pas utilisé l'exemple du Parti festif. Il nous a dit que son bureau se fie essentiellement à la déclaration du chef du parti, sans aller plus loin. Les 250 noms qu'il obtient semblent servir de preuves à l'appui.

Je lui ai demandé s'il serait plus simple de juste laisser tomber tout le concept de l'objectif essentiel. Je suis persuadée que M. Siegel ne pense pas que nous devrions supprimer une allusion quelconque à l'objectif. Êtes-vous de cet avis?

M. Hébert-Daly : Non, pas du tout.

La présidente : Nous devons traiter de la question de l'objectif, d'une façon ou d'une autre.

M. Hébert-Daly : Absolument.

La présidente : C'était une parenthèse. Je demande pardon au sénateur Milne de m'être mêlée à la discussion.

Le sénateur Oliver : J'ai une question pour M. Fergus. Ce que j'ai trouvé intéressant dans vos observations, c'est la partie sur la source et la nature des éléments d'actif. Vous proposez le chiffre hypothétique de 35 millions de dollars.

Je suis en faveur de la présence de partis multiples au Canada parce que cela donne plus de choix aux Canadiens dans le système démocratique. Tout ce que nous pouvons faire pour amener un plus grand nombre de partis à s'enregistrer donne aux Canadiens plus d'occasions de débattre les questions d'intérêt public qu'ils doivent garder à l'esprit avant de voter. Par conséquent, je suis contre tout ce qui empêche l'émergence des partis.

Plusieurs partis canadiens ont vu le jour grâce à la vision d'un seul individu. Je pense surtout aux partis dans l'ouest du Canada. Souvent, l'individu avait financé son parti de sa poche. Si j'avais 5 millions de dollars ainsi qu'une vision et une idée, je devrais être en mesure d'investir mon argent dans mes idées et créer mon parti. Ce n'est pas le montant de 35 millions de dollars, comme dans votre exemple, mais je ne crois pas qu'on doive imposer une limite sur la source de départ. Selon moi, cette limite prive les Canadiens du droit d'avoir de nouveaux partis avec de nouvelles idées afin de donner à tout le monde un meilleur choix.

Nous devons uniformiser les règles du jeu. Vous deux représentez des partis bien établis et vous savez, d'après la loi électorale et votre expérience, que les députés en place ont une longueur d'avance considérable. Si on essaie de trouver un juste milieu entre la longueur d'avance des députés et la personne qui veut mettre 5 millions de dollars pour démarrer son parti, ils seront alors sur un pied d'égalité. Compte tenu de mon point de vue, que dites-vous à propos de votre montant hypothétique de 35 millions de dollars?

M. Fergus : Même si nous partageons la même préoccupation, nous sommes en désaccord quant à la façon d'arriver au même résultat. Il y a deux questions dont je vais essayer de traiter.

La première concerne l'uniformisation des règles du jeu. Je reconnais que le Nouveau Parti démocratique, le Parti libéral et le Parti conservateur s'appuient sur une longue et fière histoire et jouissent d'une certaine capacité, grâce au réseau disponible, de se procurer des fonds auprès de la population canadienne, alors que des partis plus récents n'ont pas le même type de réseau pour entamer le processus.

Toutefois, pour uniformiser les règles du jeu, je n'estime pas qu'il soit juste d'imposer aux partis politiques actuels le seuil de contributions de 1 100 $ par personne, tout en permettant à un nouveau parti de voir le jour grâce à une cagnotte de 5 millions de dollars ou de 35 millions de dollars pour commencer ses opérations. Cela me paraît tout à fait injuste.

Je ne dis pas que nous devions leur interdire tout montant en ce qui concerne le type d'actif et de passif qu'ils peuvent contribuer à la création de leur parti. Ce que je propose, c'est de s'assurer que ce montant soit bas et raisonnable pour ne pas leur donner un avantage indu, afin d'éviter ces situations.

Je me demande si quelqu'un peut me corriger là-dessus. Cela concerne la création du Parti national — était-ce en 1993? C'était grâce à un don généreux d'un Manitobain qui avait offert 4 millions de dollars pour la création de ce parti. Le contexte juridique de l'époque était différent de celui que nous connaissons aujourd'hui. Je me souviens qu'il avait dit que personne ne devrait avoir le droit de donner 4 millions de dollars à un parti. Je crois qu'il a raison. Il faut bien, à un moment donné, éviter les excès qu'une telle somme peut entraîner en ce qui concerne l'établissement d'un nouveau parti.

M. Hébert-Daly : Là-dessus, mes collègues du Parti libéral et moi sommes d'accord. Je crois que l'uniformisation des règles du jeu signifie qu'on doit faire quelque chose à propos de la source de revenus destinés à la création d'un nouveau parti. De plus, un parti politique créé à partir d'un seul don, par exemple de 5 millions de dollars, peut présenter un danger si le parti décide, un an plus tard, de fusionner avec un autre parti politique. À quel moment devient-il approprié ou même légal pour le parti de bénéficier de la contribution de 5 millions de dollars accordée au petit parti avec lequel il a fusionné? Ce sont là de véritables sujets de préoccupation que je partage avec le Parti libéral du Canada.

M. Siegel : J'ajouterai une petite remarque. Même en guise de position de repli, je crois qu'on pourrait s'engager dans un vaste débat sur la question de savoir s'il y a un niveau approprié de capitaux d'amorçage, que ce soit 100 000 $ ou 4 millions de dollars. La transparence est l'élément le plus essentiel sur lequel j'espère que tout le monde serait d'accord. Si un nouveau parti devait entrer en scène, avec une tirelire bien remplie, il devrait, à tout le moins, être tenu de divulguer publiquement la source de ces fonds en vertu de la loi.

Le sénateur Oliver : Prenez mon exemple de 5 millions de dollars. Qu'arriverait-il si cet individu avait pour 5 millions de dollars d'actions de la Banque Royale et qu'il les vendait afin de concrétiser sa vision d'un nouveau parti? Qu'y a-t-il de mal là-dedans? Comment cela fait-il avancer le processus politique?

M. Siegel : Je présume qu'il n'y avait rien de mal là-dedans avant le projet de loi C-24. Toutefois, la loi électorale canadienne a changé de paradigme depuis l'introduction des limites de contributions. Avant 2004, c'était tout à fait approprié.

Le sénateur Oliver : Je parle d'un nouveau parti. Je ne parle pas d'une contribution annuelle. Je suis au courant des nouvelles limites.

M. Siegel : Je crois que le problème est illustré dans l'argument de M. Hébert-Daly : lorsqu'un nouveau parti est créé, c'est alors un parti assujetti aux dispositions prévues par la loi en ce qui concerne la fusion avec un parti établi. S'il était possible de créer un parti grâce à une caisse énorme dont le montant dépasserait ce que le parti a le droit de dépenser en campagne, on pourrait assister à une distorsion assez radicale du système.

Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il faut leur permettre assez d'argent pour entrer dans le jeu, mais il ne faut pas leur permettre d'exagérer pour combler leurs besoins initiaux de fonds, ni de ne pas divulguer publiquement la source de ces fonds.

Le sénateur Oliver : Avez-vous un chiffre en tête?

M. Siegel : Je ne parle pour personne d'autre que moi, mais je ne verrais pas d'inconvénient si on parlait d'un peu plus de 100 000 $, si on essaie d'établir quelque chose à l'échelle nationale. Lorsqu'on commence à s'approcher du million, cela devient bien risqué.

Le sénateur Milne : Je crois, monsieur Hébert-Daly, que vous avez laissé entendre qu'un nouveau parti pourrait être établi grâce à une énorme subvention avant d'être enregistré. Mais en réalité, il se pourrait que ce soit une magouille en vue de pouvoir se joindre, un ou deux ans plus tard, à un parti politique en place. Celui-ci pourrait donc bénéficier d'une somme énorme.

M. Hébert-Daly : Il n'a pas besoin d'être conçu comme une magouille pour poser problème. Oui, je suppose que ce serait possible que ce soit une magouille mais, en fait, le parti aurait peut-être commencé de façon légitime.

Le sénateur Milne : Et si c'était une magouille dès le début?

M. Hébert-Daly : Alors, je m'inquiéterais du travail du directeur général des élections pour avoir reconnu le parti politique. C'est une tout autre question.

En fait, ce parti aurait pu être légitime et être le fruit du travail légitime d'une personne. Ce pourrait être une façon de promouvoir des idées personnelles. Rendue à un certain point, la personne aurait peut-être une discussion avec un parti politique et se rendrait compte qu'elle peut faire cela à l'intérieur de ce parti. Ce serait parfaitement légitime, mais on finirait quand même par se trouver dans une situation où cet argent proviendrait de sources qui ne seraient pas légales en toute autre circonstance.

Le sénateur Milne : Là où je veux en venir, c'est que vous et moi pourrions créer un parti politique qui aurait l'air légitime aux yeux de tout le monde, même du directeur général des élections. Toutefois, nous avions en fait l'intention dès le début de nous allier ultérieurement à un autre parti.

M. Hébert-Daly : C'est possible.

Le sénateur Joyal : Depuis la décision rendue dans l'affaire Figueroa en ce qui concerne l'interprétation de l'article 3 de la Charte relativement au droit démocratique de chaque citoyen de voter, je crois que le seuil imposé par la loi précédente — c'est-à-dire celle qui est en vigueur maintenant — n'est pas constitutionnel. Je ne crois pas qu'on puisse, d'une part, affirmer qu'il n'est pas acceptable d'imposer un nombre de candidats pour être reconnu comme un parti et, d'autre part, dire que le nombre d'électeurs de ce « parti « devrait être à un niveau prescrit pour obtenir 1,75 $ par vote. Il n'y a aucune logique là-dedans.

Sur le plan administratif, c'est peut-être défendable. Toutefois, lorsqu'on tient compte de cette limite par rapport à l'article 1 de la Charte, la limite raisonnable dans une société, je ne crois pas que ce soit déraisonnable. Par exemple, si ce montant de 1,75 $ avait été accordé à tous les petits partis qui n'ont pas atteint les seuils de 2 p. 100 et de 5 p. 100 lors des dernières élections, j'ai calculé que le montant se chiffrerait à environ 500 000 $. Lorsque vous comparez cela au coût général des élections et aux millions de dollars que le Trésor public transfère aux partis reconnus qui ont atteint le seuil, je n'estime pas que ce soit disproportionné.

À mon avis, cet article de la loi n'est pas constitutionnel. J'ignore où nous en sommes maintenant avec la décision rendue dans l'affaire Figueroa, mais peut-être que M. Siegel sera davantage en mesure de nous informer là-dessus. Nous devrions recommander que cette question soit examinée, au lieu d'attendre une fois de plus que la Cour suprême nous dise quoi faire. Si nous jugeons que c'est la bonne chose à faire, alors faisons-le. Le problème avec la loi électorale maintenant, c'est que chaque modification destinée à la rendre plus ouverte et plus démocratique semble être dictée au Parlement par la cour.

Selon vous, y a-t-il quelque chose qui cloche ici?

M. Siegel : Je peux vous mettre au fait. Il s'agit de la décision dans l'affaire Longley. Une décision antérieure, mettant en cause M. Longley, pourrait être davantage pertinente. Toutefois, le litige actuel de M. Longley a été présenté à la Cour supérieure de l'Ontario qu'il a réussi à convaincre que la loi allait à l'encontre de la Charte. Cette décision a toutefois été infirmée par la Cour d'appel de l'Ontario. La cour a conclu qu'il s'agissait d'une violation de l'article 3, mais que l'article 1 de la Charte offrait une sauvegarde, dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, en invoquant l'argument que les partis qui existaient à l'époque, comme le Parti Rhinocéros et le Parti de la loi naturelle, étaient farfelus et représentaient un gaspillage des fonds publics. Telle était la justification démontrable sur laquelle la Cour d'appel s'est basée. J'ai des réserves à ce sujet, particulièrement étant donné qu'aucun de ces deux partis n'existe aujourd'hui.

Quoi qu'il en soit, du point de vue judiciaire, une demande d'autorisation d'appel est en instance devant la Cour suprême. J'ignore si l'on a déjà débattu la question, mais pour autant que je sache, aucune décision n'a été rendue quant à savoir si la Cour suprême entendra la cause.

Du point de vue politique, pour ce qui est de savoir si le Parlement devrait devancer la Cour suprême dans le dossier, mon opinion ne diffère en rien de la vôtre. À l'époque, j'avais allégué que, compte tenu des conséquences, cela n'en valait pas la peine. Au bureau du ministre de la Justice de l'époque, on avait fait la sourde oreille à mes arguments sous prétexte que, nous avait-on dit, nous pouvions le faire comme nous le voulions.

Une discussion est de mise pour déterminer s'il y a un inconvénient possible. J'ai fait le calcul que vous avez mentionné pour savoir combien ont coûté les dernières élections. À mon avis, le chiffre que vous avez donné est élevé. Je me trompe peut-être, mais je pensais que c'était plutôt de l'ordre de 300 000 $.

Dans l'ensemble, la somme en cause a probablement été dépensée dans le litige, si l'on tient compte des frais judiciaires et des honoraires d'avocats. Ce que nous avons fait, c'est donner aux électeurs une double tâche lorsqu'ils votent. Non seulement ils indiquent quel candidat ils souhaitent voir élu à la Chambre des communes, mais ils dirigent une petite partie du financement public vers le parti pour lequel ils votent. Les électeurs qui ne font pas partie d'un pourcentage collectif de 2 p. 100 ou plus n'ont pas à débourser les fonds comme les autres électeurs. C'est là un problème plus fondamental que la perspective des partis politiques concernés.

Si je vote pour un des partis soi-disant marginaux, mon vote vaut-il moins? C'est dénué de sens.

Le sénateur Joyal : Quelle est votre position là-dessus, monsieur Hébert-Daly?

M. Hébert-Daly : Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, c'est l'un des problèmes fondamentaux. Ce qui est en cause ici, c'est la valeur du vote des électeurs. C'est l'un des plus grands affronts à la démocratie : si, pour une raison quelconque, je votais pour l'Animal Alliance Environment Voters Party of Canada, mon vote ne vaudrait rien du point de vue monétaire. Toutefois, un vote pour le NPD vaut quelque chose. Comme principe de base, c'est probablement ce qui me pousse à croire, et ce qui pousse notre parti à croire que cette approche est tout à fait inacceptable. C'est d'ailleurs ce que nous avions soutenu durant les délibérations sur le projet de loi C-24 à l'époque, c'est-à-dire que nous jugions ce seuil inapproprié dans une société démocratique et saine.

Le sénateur Joyal : L'autre aspect de notre examen concerne la définition d'un parti politique et la façon dont celle-ci est appliquée par le directeur général des élections. J'ai entendu M. Fergus souligner certaines difficultés administratives liées à toute la paperasserie. Y a-t-il, dans la définition proprement dite, un élément quelconque que vous considérez inapplicable ou s'agit-il plutôt d'une difficulté associée au fardeau administratif?

M. Fergus : J'opterais pour la seconde option plutôt que la première. Je ne crois pas que l'objectif de la loi soit de mettre des bâtons dans les roues. C'est faisable, mais non sans prix. Le coût est très élevé lorsqu'on descend des hauteurs stratosphériques ici, à Ottawa, pour voir ce qui se passe dans chaque association de circonscription, où l'on compte sur des bénévoles pour servir d'agents officiels ou d'agents financiers — et je suis sûr que c'est le cas pour le Nouveau Parti démocratique. Les obligations redditionnelles sont lourdes, surtout comparativement à ce que nous étions habitués de voir dans notre pays autrefois. Il serait peut-être important pour le comité d'examiner plus en profondeur cette question afin de déterminer ce qui se passe réellement sur le plan des bénévoles locaux pour amener les gens à participer au processus politique et à essayer de faire part de leurs points de vue. Le recrutement de personnes pour remplir les fonctions d'agents financiers ou officiels devient un fardeau tout simplement parce que les obligations liées aux rapports sont beaucoup plus élevées que jamais.

Le sénateur Joyal : Monsieur Hébert-Daly, des observations?

M. Hébert-Daly : Je conviens que, pour ce qui est du bénévolat, les obligations et responsabilités imposées à nos bénévoles sont énormes. Je ne suis pas sûr que cette question touche forcément ce projet de loi. L'exigence de présenter 250 signatures tous les trois ans, même si elle augmente légèrement notre charge de travail, ne constitue pas un obstacle insurmontable au processus politique. Voilà pourquoi nous estimons qu'il s'agit d'une bonne condition préalable pour être reconnu comme un parti politique valide et légitime. Je suis certainement d'accord pour dire que nous imposons une trop grande quantité de responsabilités et d'obligations redditionnelles à nos bénévoles. Il est de plus en plus difficile de recruter des gens pour faire ce travail à cause de l'énorme cadre réglementaire dans lequel ils doivent travailler.

M. Fergus : Si je puis ajouter une observation, lorsque la loi est entrée en vigueur en 2004 et que nous avons dû faire le processus d'enregistrement initial, nous avons constaté que notre parti comptait beaucoup de dirigeants, selon l'appellation prévue par notre constitution; nous leur avons donc demandé de remplir les déclarations et les formulaires pertinents. Par conséquent, nous avons effectué un changement constitutionnel pour justement réduire le nombre de dirigeants afin d'éviter de faire ce que nous avions constaté chez les partis politiques établis, aux prises avec des tâches administratives presque agaçantes.

Le sénateur Joyal : Ne devons-nous pas assumer les conséquences de nos gestes? Nous avons voulu passer d'un système financé par des sources privées à un système financé par des fonds publics; la majeure partie du budget de la plupart des partis est maintenant constituée de fonds gouvernementaux. Dès qu'il y a allocation de financement par le gouvernement, on augmente, par le fait même, la bureaucratie à cause des vérifications et des contre-vérifications. On ne peut pas gagner sur les deux tableaux. Si vous voulez des fonds publics, vous devrez être transparents dans la manière dont vous les utilisez.

Nous aurions dû mieux réfléchir avant de changer les règles au point de modifier la nature de notre système politique au Canada. Nous devons vivre avec ces conséquences. Je ne suis pas sûr d'en accepter toutes les répercussions. Comme l'a dit le sénateur Oliver, nous avons maintenant une capacité limitée de rédiger un testament. Je pourrais rédiger un testament et léguer 5 millions de dollars à la société animale du Canada, mais je ne pourrais léguer que 1 000 $ à l'Animal Alliance Environment Voters Party. Voilà, me semble-t-il, ce que nous avons fait.

Nous devons comprendre que, lorsque le Parlement adopte une loi, nous l'adoptons avec tous les aspects négatifs auxquels nous nous attendons. Les objectifs demeurent défendables, mais dans la pratique, nous devons vivre avec les conséquences plus profondes.

M. Fergus : Vous avez dit qu'il fallait assumer les conséquences de ses gestes, mais je ne préconise pas le retour à un système non financé par des fonds publics. Je dirais, toutefois, qu'il y a lieu de faire quelques retouches et que les bénévoles font face à un fardeau et à des effets non voulus pour s'assurer qu'ils respectent les exigences de la loi. Selon moi, nous devrions peut-être examiner cet aspect, sans défaire le système ni l'abandonner, tout en essayant d'atteindre son but global et de rendre compte en bonne et due forme de l'utilisation des fonds publics.

Toutefois, juste pour corriger ce que vous avez dit à propos de votre exemple d'une personne qui fait un legs, c'est permis par la loi. Ce dont nous avons traité aujourd'hui et ce qui nous préoccupe, c'est lorsqu'une personne utilise des fonds privés, ou des fonds dont on n'a pas à rendre compte, afin d'enregistrer un nouveau parti. C'est un aspect bizarre de la loi, et je suis certain que M. Hébert-Daly serait d'accord pour dire qu'on peut faire un legs à un parti.

M. Hébert-Daly : Désolé si je vais m'écarter du sujet, mais un don par testament est utile dans ce contexte et a du sens selon les principes mêmes de la loi. L'idée, c'est de ne pas acheter d'influence. Lorsque quelqu'un meurt, il n'y a pas grande influence à exercer.

Le sénateur Joyal : Peut-être dans l'au-delà.

M. Hébert-Daly : Cette exclusion particulière n'est pas dénuée de sens. Je tiens à corriger le compte rendu parce que le sénateur Joyal a également indiqué que les partis politiques reçoivent la majeure partie de leur financement des deniers publics. J'aimerais corriger cette affirmation. Notre parti reçoit un peu moins de la moitié de son financement des deniers publics. Cela varie d'un parti politique à l'autre, mais ce n'est pas tout à fait vrai, même de nos jours.

Le sénateur Joyal : Disons que ce n'est pas toujours vrai.

Le sénateur Andreychuk : J'aimerais faire quelques autres observations sur le même point, mais sous un angle différent. Ce que la loi a changé, c'est que l'agent électoral dirige maintenant le processus d'enregistrement; de plus, on a ajouté l'expression « participer aux affaires publiques » pour définir un parti politique. La loi contrôle ceux qui veulent entrer dans un processus politique et non pas ceux qui veulent l'influencer.

Votre exemple du monsieur qui donne 4 millions de dollars pour démarrer un parti pour ensuite procéder à une fusion, tout en ayant la capacité de reprendre tous ses actifs, est certes possible, mais ce n'est sûrement pas ce qui adviendra la plupart du temps. Des gens qui ont de l'argent et qui veulent influer sur un processus le feront dans le cadre de la publicité faite par des tiers et de toutes les autres méthodes dont nous avons parlé.

Cependant, pour créer un parti politique et vouloir vraiment participer aux affaires publiques par le biais d'un parti politique, on doit passer par ces processus dès le début. C'est toute une étape à franchir. Ce seuil est établi, je suppose, pour empêcher la création de partis politiques uniquement dans le but de pouvoir avoir accès aux fonds. Si le seuil est supprimé — en d'autres termes, si tout parti politique fraîchement créé a accès à l'argent des contribuables —, va-t-on assister à la prolifération des partis et des problèmes?

Cette loi n'a pas posé trop de problèmes durant les trois années de son existence. Elle a permis la création de 16 partis qui sont maintenant enregistrés, mais qui ne sont pas représentés à la Chambre, et il y en a trois autres à venir. C'est, me semble-t-il, un résultat passable. Ce ne sont pas des conséquences non voulues. Il n'y a rien à craindre dans ce que nous avons constaté ces trois dernières années.

Si l'on élimine le seuil à atteindre pour avoir accès aux fonds publics, dans la forme actuelle de la loi, va-t-on assister à la création d'un plus grand nombre de partis politiques de toutes les allégeances? Peu importe le type qui a 4 millions de dollars pour créer un parti politique. Pour essayer d'avoir un effet au Canada, 4 millions de dollars n'iront pas loin. Pour créer un parti, il y a beaucoup à faire et un prix à payer.

Toutefois, si vous savez que vous allez l'établir et que vous avez une attente raisonnable quant au résultat, va-t-on assister à la création d'un plus grand nombre de partis?

M. Hébert-Daly : Selon moi, cela ne se résume pas tout simplement au processus d'enregistrement. Nous avons parlé des 250 signatures et de tout ce qui s'ensuit mais, chaque année, ou plutôt chaque trimestre, un parti politique doit quand même déposer des rapports et faire le travail. Être un parti politique est une tâche exigeante qui ne se résume pas à dire : « Bon, je suis enregistré, passez-moi l'argent. »

Un autre aspect, c'est que si vous créez un parti politique uniquement pour votre propre intérêt pécuniaire, peu d'électeurs accepteront ce genre de stratagème. Il est peu probable que nous en arrivions là.

Nous n'avons pas observé cette situation ces deux dernières années. Pour cette seule raison, j'ai assez confiance que nous pouvons aller de l'avant. Si nous commençons à constater que cela fait boule de neige, car je sais que la Loi électorale est l'une des mesures que la Chambre des communes aime le plus changer, nous pouvons trouver des moyens de régler ces problèmes à mesure qu'ils se présentent.

Pour ce qui est des crédits d'impôt, il est arrivé dans le passé que des partis politiques au pays ont dû cesser d'utiliser leur propre capacité de financement pour donner des avantages à d'autres organisations non politiques. Si vous consultez le site web d'Élections Canada, vous constaterez que des partis politiques ont dû signer des ententes avec le commissaire d'Élections Canada sur ce genre de questions.

C'est arrivé avec des partis politiques qui existent à l'heure actuelle et on y a mis un terme. Par conséquent, je présume que dans ce contexte, les outils nécessaires seront en place à l'avenir pour éviter que cela ne se répète.

Le sénateur Stratton : Je crois qu'on a répondu à la plupart de mes questions. Pour ce qui est des contributions faites par un individu, je sais qu'une personne au Manitoba a donné 4 millions de dollars. Je crois que je la connais.

Pour le reste, a-t-on des preuves qu'un parti politique a été fondé après l'entrée en vigueur de la loi?

M. Fergus : Pas à ma connaissance, non.

M. Hébert-Daly : En fait, certains des rapports que j'ai vus démontrent le contraire — soit que ces partis politiques sont créés avec très peu d'argent.

Le sénateur Stratton : C'est ce que je crois aussi.

La présidente : J'ai une question rapide pour M. Siegel. L'autre affaire Longley, celle qui a été entendue par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, a-t-elle été portée en appel devant une instance supérieure ou a-t-on abandonné les procédures à cette étape?

M. Siegel : Je viens d'apprendre l'existence de cette affaire par accident. Puisqu'il n'y a pas de compte rendu d'une audience quelconque devant la Cour suprême du Canada, ce qui ressort de cette affaire Longley semble être — à moins que des modifications d'ordre technique n'aient été apportées à la Loi de l'impôt sur le revenu — qu'un parti ou un candidat peut solliciter une contribution de 200 $, accorder un crédit d'impôt de 150 $ au donateur, lui acheter par la suite un cadeau d'une valeur de 200 $ ou faire appel à ses services pour l'équivalent de ce montant, et finir par recevoir 350 $ en bénéfices.

Pour être juste, puisque la Cour d'appel était saisie d'un appel incident, la Cour suprême de la Colombie- Britannique a déclaré non seulement que c'était tout à fait acceptable, mais a aussi imposé à l'Agence du revenu du Canada de verser 55 000 $ à M. Longley en dommages-intérêts pour s'être ingérée dans son plan de mise en œuvre.

La présidente : Nous chercherons probablement à savoir si la Loi de l'impôt a été changée ou non. Toutefois, pour revenir à l'argument qu'a présenté tout à l'heure M. Fergus au sujet d'un objectif dominant par rapport à un objectif essentiel, je suppose que vous pensez que ça réglerait ce problème particulier.

M. Siegel : Il a trait à l'argument du sénateur Stratton voulant que personne ne l'ait encore fait, et visant à savoir si une partie de l'exercice ici doit être de nature tant préventive que curative. Je crois que vous réduirez le risque d'abus si vous augmentez le fardeau.

Par ailleurs, la semaine dernière, le directeur général des élections — à juste titre à mon avis, vu son rôle de premier plan comme arbitre impartial — ne s'est pas prononcé sur la façon dont il pourrait réagir face à toute zone grise éventuelle dans laquelle pourrait s'aventurer un parti. Pour terminer, je pourrais vous demander s'il est bien la personne désignée pour traiter de ces questions.

Un autre haut fonctionnaire qui ne craint pas du tout de se salir les mains dans des cas d'inconduite politique, c'est le commissaire d'Élections Canada. Il serait peut-être préférable qu'il lui incombe de s'assurer de la bonne foi des partis plutôt que de placer le directeur général des élections dans une situation difficile où il doit en tout temps, non seulement être complètement neutre à l'égard des partis politiques, mais aussi être perçu comme tel et ce, même si l'un d'eux a un comportement répréhensible.

La présidente : Merci à tous pour vos interventions intéressantes. Comme toujours, plus vous examinez un sujet, plus il devient fascinant. Nous vous sommes reconnaissants à tous d'avoir comparu aujourd'hui.

Nous aurons maintenant le plaisir d'entendre des témoins affiliés à des partis qui ne sont pas encore représentés à la Chambre des communes : Mme Liz White, chef de l'Animal Alliance Environment Voters Party of Canada, l'honorable Sinclair Stevens, C.P., chef du Parti Progressiste Canadien, et Mme Laurel McCallum, représentante du chef du Pouvoir Politique du Peuple du Canada, qui n'est pas encore enregistré, mais qui a été jugé admissible à l'être.

Madame White, on vous écoute.

Liz White, chef , Animal Alliance Environment Voters Party of Canada : Je suis le chef de l'Animal Alliance Environment Voters Party of Canada, qui est le fruit d'une fusion de deux organisations qui faisaient de la politique à titre de tiers parti avant que ne soit rendue la décision voulant que les tiers partis soient limités dans leurs dépenses. Puisque le nom est si long, nous allons probablement le changer. Je suis candidate lors d'une élection partielle, ce qui constitue l'une de mes principales activités en politique.

À l'exception possible de la Charte canadienne des droits et libertés, aucune loi n'a contribué davantage à améliorer les droits démocratiques des Canadiens que la loi que le Sénat examine actuellement, une loi modifiant la Loi électorale du Canada.

Cette loi a été la réponse législative du Parlement à la décision dans l'affaire Figueroa c. Canada (Procureur général) et elle visait à réduire les obstacles réglementaires à l'enregistrement d'un parti politique. Avant l'affaire Figueroa, le Parlement avait adopté des lois qui interdisaient à quiconque n'appartenant pas à un parti politique enregistré de participer effectivement à une élection. La Cour suprême du Canada a reconnu que les restrictions imposées aux dépenses publicitaires électorales des soi-disant tiers partis constituaient une entorse à la Charte des droits. Et pourtant, la Cour suprême a quand même établi que ces restrictions constituaient une limite raisonnable et justifiée dans le cadre d'une société libre et démocratique et les a maintenues dans Harper c. Canada (Procureur général).

L'un des organismes à l'origine de l'Animal Alliance Environment Voters Party of Canada, l'Animal Alliance of Canada, est intervenu dans cette affaire mettant en cause M. Harper à l'époque. Il est décevant de constater que, à son arrivée au poste de premier ministre, M. Harper n'a pas cru bon de rétablir les droits démocratiques des tiers partis dont il s'était fait le champion quand il était dans l'opposition. En plus d'interdire aux tiers partis de faire effectivement campagne, le Parlement a également imposé, pour l'enregistrement des partis politiques, des conditions si exigeantes qu'elles interdisent, à toutes fins pratiques, à de nombreux citoyens et organismes qui représentent des intérêts publics légitimes de former un parti politique.

Le Parlement souhaitait que les élections soient le fief des grands partis politiques et de personne d'autre. La faiblesse de ce point de vue, qui atteste par ailleurs la nécessité démocratique de la loi, est illustrée dans l'élection partielle qui se tiendra le 17 mars prochain dans la circonscription de Toronto-Centre et à laquelle je serai candidate. C'est seulement en période d'élections que les citoyens canadiens peuvent tenir leur gouvernement et leurs députés responsables de leurs politiques et de leur travail. Les lois électorales qui soustraient les députés et les gouvernements à l'obligation de rendre des comptes peuvent comporter des politiques qui avantagent les riches et les puissants tout en nuisant grandement aux pauvres et aux personnes dépourvues de pouvoir. De telles lois empêchent les électeurs d'entendre des points de vue qui pourraient les aider à éclairer leur choix en vue de peser efficacement sur la politique publique.

Ces lois écartent en outre du débat électoral des enjeux qui, s'ils causent un certain inconfort politique aux candidats des grands partis, n'en ont pas moins une grande incidence sur la vie des électeurs. J'en veux pour preuve l'exploitation des sables bitumineux en Alberta, une activité qui nuit aux efforts déployés par le Canada pour s'attaquer au problème des changements climatiques. Pour la plupart des Canadiens, les changements climatiques et la manière dont le Canada tente de résoudre ce problème sont des enjeux de première importance. Selon certains scientifiques, c'est une question de survie. Et pourtant, l'aspect le plus important de la question des changements climatiques au Canada aurait été pratiquement passé sous silence, dans la campagne en vue de l'élection partielle de Toronto-Centre, sans la participation de l'Animal Alliance Environment Party of Canada et ma candidature. Le Canada ne peut résoudre le problème des changements climatiques si les sables bitumineux de l'Alberta continuent d'être exploités au rythme actuel. Dans le contexte de l'examen du comité, les mérites de ces deux énoncés ne sont pas importants. Ce qui compte, c'est la possibilité de soulever ces questions dans le cadre d'une campagne électorale, afin que les électeurs en prennent connaissance et y réfléchissent, car les grands partis ne le font pas par opportunisme politique.

La présidente : Nous avons un exemplaire de votre déclaration, et nous voulons poser des questions après tous les témoignages. Si vous souhaitez sauter certaines parties de votre exposé, nous n'y voyons aucun inconvénient.

Mme White : Ça ne me dérange pas de m'arrêter ici.

La présidente : Monsieur Stevens, la parole est à vous.

L'honorable Sinclair M. Stevens, C.P., chef, Parti Progressiste Canadien : Depuis que j'ai préparé la déclaration que je vous ai distribuée, j'ai pensé que je saisirais l'occasion, comme les politiciens apprennent à le faire, de tirer parti d'une situation à Ottawa. En recevant l'Ottawa Citizen ce matin, j'ai lu les gros titres, « Gomery : Canada on the road to `one-man government' » (Gomery : Le Canada, vers un gouvernement d'un seul homme). M. Gomery est préoccupé par un autre problème, mais la gravité de la question du déclin de la démocratie au Canada est étonnamment claire pour nous.

D'après M. Gomery, le Cabinet du premier ministre submerge la bureaucratie. J'aimerais — et je vais vous prendre au mot, madame la présidente, en ne me reportant pas nécessairement à ma déclaration préparée — que vous examiniez l'ampleur du changement qui s'est produit dans notre système politique. Si M. Gomery est préoccupé par le contrôle excessif de la bureaucratie, j'estime que le Sénat surtout, et ce comité en particulier, devraient se demander si nous avons perdu dans une certaine mesure la vraie démocratie.

Dans ma déclaration, je souligne qu'on ne parle jamais des partis dans notre Constitution. Un tel concept n'existait pas au moment où notre Constitution a été adoptée. J'ai trouvé fascinant d'assister à la première heure de la séance aujourd'hui et d'entendre les préoccupations à l'égard de ce que ces nouveaux partis en voie d'être créés pourraient faire et des catastrophes pouvant survenir. Lors d'une séance antérieure, j'ai remarqué qu'un sénateur a demandé ce qu'il pourrait se passer si les Hell's Angels décidaient de former un parti. Le problème, ce ne sont pas les petits partis, mais les grands.

Il ne faut pas oublier qu'on l'appelle la Chambre des communes. Ce n'est pas la Chambre des grands partis, mais c'est ce qui est en train de se passer. Quand on y pense, un grand parti soulève cette question — qu'adviendrait-il si quelqu'un investit 35 millions de dollars dans une nouvelle entreprise, expressément pour la fusionner d'une façon ou d'une autre avec un parti enregistré et, ô surprise, se retrouve avec 35 millions de dollars dans sa caisse électorale. D'après vous, qu'est-ce que les grands partis ont? Ils ont des millions de dollars de fonds commerciaux. Sur un bilan, les 35 millions pourraient compter pour des actifs et pourtant, on semble en faire abstraction.

Dans ma déclaration, je souligne qu'il existe là un sérieux conflit d'intérêts. Je me rends compte que nous ne voulons pas, sur le plan financier, nous retrouver dans la même situation que les Américains où l'on parle de dizaines, voire de centaines de millions de dollars, pour mener une campagne électorale. Une fois que vous commencez à dire que vous allez piger dans les deniers publics, pensez à quel point vous devrez être vigilants. Qui décide de ce qui doit être payé? Ce sont ceux qui en sont les bénéficiaires. Dans la première année seulement, en 2004, les principaux partis politiques ont utilisé 28 millions de dollars des deniers publics pour se financer.

Il ne faut pas s'étonner qu'ils interjettent appel quand un petit parti déclare, « nous pensons que nous pourrions obtenir, au prorata des voix, un certain montant puisque vous recevez 28 millions par année ». N'est-il pas incroyable que le gouvernement décide de porter cette affaire en appel devant le tribunal de première instance? Le juge a statué que c'était inconstitutionnel. Le gouvernement a rejeté catégoriquement cette décision et a porté la cause devant la Cour d'appel et, comme dans l'affaire Figueroa, la Cour d'appel a donné raison au gouvernement. La Cour suprême sera maintenant saisie de cette affaire, mais ce que je dis, c'est : la situation ne prend-elle pas des proportions démesurées?

Au Sénat, vous êtes moins en conflit. Au moins, vous n'avez pas à vous faire réélire et ne dépendez pas de ces deniers publics, mais je crois que ce comité pourrait peut-être formuler quelques recommandations intéressantes, ou on devrait peut-être commencer à modifier tout le processus au Sénat pour le soumettre ensuite à l'approbation de ceux qui sont visés par le conflit.

Tout ce que je souhaite aujourd'hui, c'est vous faire voir sous un angle différent la nature du vrai problème au Canada à l'heure actuelle. À une certaine époque, assurément quand j'ai été élu en 1972, la Loi électorale du Canada ne conférait pas aux chefs le rôle aussi important qu'ils ont de nos jours. Comme vous le savez, ils peuvent se rendre dans les circonscriptions et dire qu'ils n'aiment pas le candidat que l'association aimerait envoyer à Ottawa. On ne voyait jamais cela auparavant. Quand j'ai eu l'audace de me présenter en 1972 dans la circonscription de ce qui était York- Simcoe à l'époque, les huiles du parti ont refusé catégoriquement. Le chef n'avait pas le pouvoir de m'en empêcher. J'ai déclaré avoir le droit démocratique de me présenter dans la circonscription et je l'ai fait. J'ai défait le député libéral sortant qui, à son tour, avait battu le sénateur McCutcheon. J'espère que cela se ne reproduira jamais.

Merci de m'avoir donné l'occasion de vous faire part de mes réflexions. Je répondrai avec plaisir à vos questions.

Laurel McCallum, représentante du chef, Pouvoir Politique du Peuple du Canada : Il est difficile de prendre la parole après cette intervention. Je vais résumer la déclaration que je vous ai envoyée. En réponse à un commentaire fait par l'un des sénateurs voulant qu'on empêche des petits partis de se former pour qu'ils reçoivent de l'argent, je dis : mais de quel argent parle-t-on? À ce stade-ci, comme parti admissible, nous sommes dans une zone grise où nous n'obtenons pas d'argent. Nous n'émettons pas de reçus aux fins d'impôt au titre des dons puisque nous ne sommes pas un parti pleinement enregistré. Nous devons donc vraiment compter sur la bonne volonté des gens qui nous soutiennent, ce qui revient en fait à ce qu'ont dit d'autres collègues aujourd'hui.

Cela dépend de la circonscription et des convictions des gens, pas de l'argent, et on peut lire dans la déclaration que nous avons deux choix aujourd'hui — avoir de l'argent ou ne pas en avoir. Il est vraiment incroyable de penser que le pays devrait aller de l'avant en fonction de considérations financières.

Au début de ma déclaration, je parle des remarques formulées récemment par le chef libéral, Stéphane Dion, qui a déclaré que son parti et lui pourraient être forts s'ils avaient de l'argent, mais puisque ce n'est pas le cas en ce moment, ils ont peu de moyens et ne pourraient pas aller de l'avant. Voilà vraiment ce dont il est question dans cette déclaration et on en a souvent parlé aujourd'hui.

Nous soutenons qu'il n'existe aucun équilibre et nous sommes d'accord avec M. Dion et d'autres pour dire qu'il n'y a pas de commune mesure. Ce que nous essayons de faire en tant que petit parti, qui sera grand un jour, c'est de chercher et d'assurer cet équilibre.

Nous savons que nous pouvons y arriver. Nous savons que nous pouvons y arriver sans argent. C'est ce que nous faisons, mais les règles nous compliquent l'existence. On peut comprendre pourquoi tant de petits partis disparaissent en raison d'un manque de fonds. C'est comme l'histoire de David contre Goliath, comme je l'ai indiqué dans ma déclaration.

Bref, quand tous les partis se sont réunis en 2006 pour discuter du temps d'antenne, c'était censé être un processus démocratique, mais si aucun consensus n'était dégagé, l'arbitre prenait la décision finale, même si 10 contre 15 ont voté en faveur de l'égalité du temps d'antenne. Comme je l'ai dit dans la déclaration, comme il n'y avait pas de consensus, on est revenu au statu quo. Maintenant, les conservateurs peuvent acheter aux élections 99,5 minutes du temps d'antenne, les libéraux, 86, le NPD, 47, le Bloc, 39,5, et le Parti vert, 23,5, et ainsi de suite.

Notre parti peut acheter six minutes. Lorsqu'on a posé des questions à l'arbitre sur le plafond des dépenses publicitaires, il a reconnu que la réalité, c'était que si vous aviez assez d'argent, vous pouviez acheter autant de publicité que vous le vouliez.

Comme nouvelle venue sur la scène politique, je ne comprends pas bien ces échappatoires et elles me consternent, pour tout vous dire.

Même si nous devenons pleinement enregistrés et que notre nom figure sur le bulletin de vote, les minutes d'antenne qui nous sont allouées ne changeront pas avant les prochaines élections, puisque la répartition du temps est fondée sur le pourcentage du vote populaire obtenu à la dernière élection, tout comme le nombre de sièges à la Chambre des communes.

Il n'y a vraiment pas d'équilibre en ce qui concerne un droit fondamental en temps d'élections — le droit pour le public de recevoir de l'information et de faire des choix éclairés. Voici ce que j'entends souvent en période d'élections : Qui sont les candidats? Que se passe-t-il? Pour quel candidat dois-je voter?

Là encore, ce que nous constatons en période électorale, ou à un moment très important, c'est qu'on nous donne un choix à faire en fonction de la publicité la plus efficace.

Je dirais que le fondement de cette loi est totalement faussé parce qu'elle manque essentiellement d'équilibre. Nous recherchons l'équilibre et l'honnêteté pour le pays. Nous vous demandons ceci : quelle est l'importance de nous donner la main? Qu'est-ce que cela signifie? Que faut-il faire maintenant? Une poignée de main signifie équilibre, égalité et honnêteté. Si nous ne sommes pas honnêtes envers nous-mêmes, nous ne devrions pas diriger. Ce n'est pas David contre Goliath. C'est une question de bonté, d'honnêteté et de transparence du parti.

Je crois sincèrement que le Sénat assure l'équilibre de ce qui se passe, et je suis d'accord avec mon collègue. Sans ce type d'équilibre, nous avons un gouvernement biaisé qui peut vraiment friser la dictature, ce que nous ne voulons jamais voir se produire.

Merci de m'avoir invitée à m'adresser à vous cet après-midi. Je suis heureuse d'être ici et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente : Merci à vous tous. Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par le sénateur Oliver.

Le sénateur Oliver : La raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui, c'est que des modifications ont été apportées à la Loi électorale du Canada en 2004 — c'est-à-dire la Loi électorale du Canada et la Loi de l'impôt sur le revenu en vertu du chapitre 24 des Lois du Canada à l'époque. Un certain nombre de modifications visaient les partis politiques. L'une d'elles, c'était que vous devez déposer une déclaration du chef du parti attestant que les objectifs de votre parti sont conformes à la loi, et que tous les trois ans, vous devez fournir les nom et adresse de 250 électeurs et leur déclaration signée confirmant qu'ils sont membres en règle de votre parti.

Que pensez-vous tous les trois de cette nouvelle série d'exigences? Croyez-vous qu'elles sont nécessaires?

Mme White : Nous n'avons aucun mal à signer la déclaration ou à obtenir 250 noms. Toutefois, je pense que pour les partis qui commencent dans un contexte différent du nôtre, les 250 noms représentent parfois un obstacle pour former un parti.

Si l'idée consiste à renforcer la démocratie et la capacité des gens à voter pour des partis aux opinions différentes, nous voudrons peut-être y jeter un coup d'œil. Cette exigence n'a pas du tout été astreignante pour notre parti.

Le sénateur Oliver : Croyez-vous que c'est nécessaire?

Mme White : Je ne vois aucun inconvénient à signer une déclaration attestant que notre principale activité sera liée aux affaires publiques et à la politique électorale. Ce qui m'inquiète surtout, c'est de trouver un moyen de recueillir 250 noms et qu'en examinant la liste, quelqu'un s'aperçoive que les personnes viennent toutes d'une petite ville en Saskatchewan ou d'une banlieue de Vancouver et, par conséquent, pas de partout au pays. Je ne crois pas que cela change quoi que ce soit. Je ne pense pas que nous avons besoin des 250 noms.

Le sénateur Oliver : S'il y avait des élections au Canada dans les six prochains mois, combien de candidats environ votre parti aurait-il l'intention de présenter à ces élections générales?

Mme White : C'est une bonne question. Comme nous étions enregistrés aux élections de 2006, notre parti existe donc depuis quelques années. Ce que nous avons fait essentiellement au cours de cette période, c'est nous assurer que les membres de notre parti savent ce que nous faisons et amasser des fonds pour pouvoir démontrer que nous pouvons y parvenir.

Ce qui est intéressant, c'est que bien des gens qui font partie de notre organisation, de notre parti politique, ne baignent pas dans la politique depuis toujours, si bien qu'ils ont beaucoup à apprendre. Nous devons passer par ce processus.

Ensuite, présenter deux ou trois candidats semble peu, mais les exigences de déclaration, les sommes d'argent qu'il faut verser et le contrôle des dépenses ne sont pas une mince affaire pour un petit parti politique. Quand je me suis portée candidate, nous avons fait l'objet de trois vérifications en six mois pour répondre aux critères de la Loi électorale du Canada. Je n'ai pas trouvé que cela posait de problème particulier. La courbe d'apprentissage était abrupte. Toutefois, si vous ajoutez quatre ou cinq candidats qui ne connaissent pas aussi bien la loi, la collecte de fonds et tout, c'est un immense obstacle à franchir pour les petits partis politiques.

Le sénateur Oliver : Pour les autres, que pensez-vous de la déclaration et des 250 noms?

M. Stevens : Je pense que la déclaration mérite probablement d'être conservée. J'ignore pourquoi un parti ne voudrait pas signer une déclaration.

Pour ce qui est des 250 noms, j'ignore si ce chiffre est approprié. Cette exigence ne nous a pas posé de problème particulier.

L'un des avantages indirects, c'est que cela donne une raison de téléphoner aux gens pour leur dire : « Merci de nous appuyer, mais nous voulons que vous deveniez membre. Nous avons besoin d'au moins 250 noms; acceptez-vous de signer? ». Pour l'avenir, notre objectif serait — en partie selon le moment où les élections sont déclenchées — de présenter au moins une centaine de candidats. Nous sommes conscients du que, même si nous croyons être le porte- étendard du conservatisme progressiste, cette expression a été utilisée pour la première fois par sir John A. Macdonald en 1854.

Le sénateur Oliver : Je ne suis pas trop certain qu'elle se soit perdue.

M. Stevens : Eh bien, je l'ignore. Dans notre cas, nous avons l'intention de déterminer ce qui devrait faire partie, à notre avis, d'un programme de prospérité au Canada, comme nous l'appelons. Il en existe différents aspects où nous pouvons établir qui devraient être nos électeurs, et c'est ce que nous chercherons à faire.

Le sénateur Oliver : Monsieur Stevens, au début de votre déclaration, vous avez parlé du juge Gomery et vous avez fourni l'exemple du pouvoir des chefs de partis pour ne pas signer le certificat de désignation. Je me rappelle quand un chef, Robert Stanfield, à Moncton au Nouveau-Brunswick, ne voulait pas signer pour M. Jones, qui était le maire de la ville de Moncton, mais il n'a pas fait signer son certificat pour être membre du parti. Il y avait des sanctions même à l'époque.

M. Stevens : Oui. C'était davantage au sein du parti même. On tient presque pour acquis maintenant que la signature du chef doit être apposée sur la carte de membre d'un candidat.

Le sénateur Oliver : Comme à l'époque.

M. Stevens : C'est exact. Toutefois, je crois que la situation a dégénéré un peu car, par exemple, les conservateurs ont contesté quatre candidats à la fois. Les libéraux ont contesté la candidature de notre ami en Saskatchewan, vous vous rappellerez.

C'est si étranger à notre approche constitutionnelle de gouvernement représentatif, comme je l'ai souligné dans ma déclaration, car 308 députés sont censés représenter 308 circonscriptions. Je vous l'accorde, il faut mettre un frein à tout cela pour rétablir l'ordre. C'est là où les partis entrent en scène. Cependant, de là à verser dans l'autre extrême où un chef peut dire exactement qui il veut inclure dans ces 308 députés, c'est lui conférer énormément de pouvoir.

Je crois que la confusion est attribuable au fait que nous sommes assaillis par le système des Américains qui élisent un président, mais c'est un système fondamentalement différent du nôtre. L'essence de notre système, c'est que 308 représentants de partout au pays choisissent, dans leur sagesse, de soutenir un premier ministre. L'inverse serait dangereux.

La présidente : Sénateur Oliver, comme vous le savez, à un moment donné — d'après ce que je comprends, ça ne devrait pas tarder maintenant — le timbre commencera à retentir pour la reprise des travaux au Sénat. Nous avons l'autorisation de siéger quand les travaux du Sénat sont suspendus, mais pas quand ils reprennent. Me permettez-vous de vous redonner la parole au deuxième tour pour qu'on puisse entendre le plus de personnes possible?

Le sénateur Oliver : Bien sûr.

Le sénateur Merchant : J'ai trouvé tous vos commentaires intéressants, mais plus particulièrement ceux de M. Stevens car il a fait partie du système.

Vous m'avez rappelé qu'il n'y avait pas de partis politiques au début. Je crois qu'une fois que nous avons commencé à inscrire l'affiliation politique sur le bulletin de vote, nous avons lentement commencé à transférer le pouvoir de l'individu à un supérieur. Le chef devait accepter que vous vous présentiez sous cette bannière. Comme vous l'avez dit, il peut refuser d'approuver des candidats. À l'heure actuelle, les chefs peuvent même nommer des candidats et contourner tout le processus d'investiture parce qu'ils ont tous ces pouvoirs.

Par ailleurs, pour ce qui est des crédits d'impôt, les candidats doivent remettre leurs fonds au parti. Quand ils amassent des fonds, ils ne peuvent pas les garder pour leur propre circonscription. Cet argent est versé au parti politique auquel ils appartiennent.

Tout le processus — et vous en avez fait partie parce que vous avez été ici pendant longtemps — a chamboulé la démocratie. Vous vous préoccupez maintenant de l'immense pouvoir qu'a le premier ministre. Quelle est la solution? Vous dites que nous pouvons mettre en œuvre un changement quelconque au Sénat. À quel changement fondamental songez-vous pour le rendre plus démocratique?

M. Stevens : Il n'est pas inhabituel que le balancier aille trop loin dans l'autre direction quand un changement se produit. Je crois qu'il y avait un risque, si le financement était fortement laissé entre les mains du secteur privé, car vous aviez de grands donateurs — par exemple, des banques donnaient 50 000 $ d'un coup à un parti. Parfois, quand je participais au financement du Parti progressiste-conservateur, ils disaient très ouvertement qu'ils voulaient avoir un accès en contrepartie de leurs contributions.

Le sénateur Stratton : Oui, je m'en rappelle.

M. Stevens : Ce n'était pas correct. Toutefois, de là à dire qu'il ne devrait y avoir aucun don de la part des sociétés — avec les restrictions sévères selon lesquelles les contributions ne peuvent désormais pas dépasser 1 100 $ par personne — alors que les partis reçoivent des fonds provenant des deniers publics comme jamais ils n'auraient cru en obtenir, je crois que le balancier est allé trop loin dans cette direction. Je trouve qu'il est exagéré de recevoir tous les ans 1,75 $ pour chaque personne qui a voté pour vous.

Je pense que 1,75 $, c'est peut-être trop. Je ne suis pas certain si on peut corriger le tir, mais je dirais que plus de financement privé devrait être de nouveau permis et qu'il devrait y avoir moins de financement public pour établir un meilleur équilibre.

Le sénateur Merchant : Quel type de Parlement envisagez-vous avec, disons, 15 partis, ou peu importe le nombre?

M. Stevens : J'ai remarqué que ce point a été soulevé, et c'est peut-être le sénateur Stratton qui l'a évoqué. Il ne faut pas oublier que trois des partis à la Chambre des communes à l'heure actuelle étaient petits au début. Fait intéressant, le Parti réformiste était essentiellement un type de parti représentant l'aliénation de l'Ouest qui a grandi et qui s'est aperçu qu'il ne pouvait pas évoluer sur la scène nationale. Par conséquent, à la suite d'une fusion déplorable avec les progressistes-conservateurs, ils ont fini par écraser ce parti et prétendent maintenant être un parti national.

Pensez au Bloc québécois, qui reflète essentiellement le séparatisme au Québec. Le NPD a commencé avant tout en tant que parti socialiste et syndicaliste, mais il était petit.

Les petits partis deviennent grands. Voilà pourquoi je ne crois pas que nous devrions trop les craindre. Si un ou plusieurs d'entre eux deviennent grands, eh bien soit. Dans le cas contraire, c'est là que nous avons de sérieux ennuis.

La présidente : Avant de continuer, j'aimerais laisser la parole à Mme McCallum, parce que je me suis rendu compte que je l'avais interrompue avant qu'elle ait pu répondre à la question du sénateur Oliver, qui veut savoir si l'exigence d'obtenir la déclaration du chef du parti et l'appui de 250 membres est excessivement contraignante pour un nouveau parti.

Mme McCallum : Absolument pas. Nous reconnaissons l'importance des nombreux freins et contrepoids prévus par la loi. Cela nous permet d'être sur le terrain, près des citoyens.

Nous n'exigeons pas de droits d'adhésion, parce que beaucoup des gens à qui nous parlons n'ont pas les moyens de les acquitter. En discutant avec eux, nous savons que nous les représentons, que nous sommes leur voix. Nous nous réjouissons de pouvoir être en contact avec eux.

Le sénateur Joyal : D'après vos mémoires et vos déclarations, si la loi doit prévoir une formule de 1,75 $, il faudrait que tous les partis puissent en bénéficier, peu importe le seuil prévu.

Mme McCallum : Je n'en ai pas vraiment parlé, mais ça ne me pose pas vraiment de problème.

Le sénateur Joyal : Est-ce que le seuil actuel vous satisfait?

Mme McCallum : Oui. C'est une formule. Ce n'est peut-être pas la meilleure solution, mais ça me convient.

Le sénateur Joyal : Monsieur Stevens, si je comprends bien, vous êtes d'avis que cette situation est injuste et non démocratique.

M. Stevens : C'est exact. Nous en avons déjà discuté. Il ne s'agit pas d'un montant exorbitant. En 2004, si ce financement avait été disponible, il aurait représenté 189 000 $. Étant donné que les autres partis ont touché collectivement 28 millions de dollars, vous voyez bien que c'est risible. Pourtant, c'est un montant non négligeable pour ces partis.

Mme White : Plus important encore, le vote d'un électeur qui se prononce en faveur d'un grand parti ou d'un parti qui atteint le seuil de 2 p. 100 vaut 1,75 $. Toutefois, la voix qu'un électeur donne à notre parti ne vaut rien. Ce que les grands et petits partis reçoivent compte peu; l'important, c'est que tous les votes soient égaux, peu importe le parti favorisé.

Le sénateur Joyal : Monsieur Stevens, n'est-il pas étrange que le gouvernement intervienne autant dans les affaires des partis? Dès l'instant où l'on donne des deniers publics à un parti, on doit se conformer à des règles comptables et bureaucratiques et tout vérifier, parce que celui qui paie prend les décisions. Le public s'attend à ce que les partis, s'ils reçoivent de l'argent des contribuables, rendent des comptes sur son utilisation.

Comme vous l'avez dit, cela ne va-t-il pas à l'encontre de la démocratie — qui, par définition, doit échapper à l'emprise de la bureaucratie gouvernementale?

M. Stevens : Oui. Dans ma déclaration, j'ai nommé ces trois partis qui ont commencé humblement et ont pris de l'expansion. L'un forme maintenant le gouvernement. Ça ne pourrait pas se reproduire avec les nouvelles règles. Ces partis trouveraient probablement la Loi électorale du Canada et les règles connexes si contraignantes et, au tout début, le manque de financement si flagrant qu'ils ne réussiraient pas.

Ça n'a tout simplement pas sa place dans un pays démocratique. L'intention était bonne, puisqu'il s'agissait d'éliminer les dons importants de particuliers et d'entreprises. Toutefois, on a perdu l'essentiel de vue si le Parlement peut accroître le montant de 1,75 $ à 3,50 $. Rien ne l'en empêche, et ce n'est pas normal. Ceux qui ont le pouvoir de distribuer les fonds peuvent décider de leur part du gâteau. C'est incroyable de voir ce que les députés reçoivent aujourd'hui, comparativement à ce que je touchais en 1972. On parle de dizaines de millions de dollars, ce qui ne se voyait pas à l'époque.

Le sénateur Joyal : Pensez-vous que les principes du système de gouvernement responsable ont été altérés par la multiplication des partis politiques et par les intérêts que ces derniers doivent servir pour être réélus en fonction des paramètres de ce système?

M. Stevens : Je dirais même plus. Je crois que le modèle de Westminster que nous avons adopté, s'il est bien respecté, est supérieur au modèle américain. Toutefois, il ne faut pas se retrouver quelque part entre les deux. L'avantage du modèle de Westminster, c'est qu'il permet un gouvernement vraiment responsable. Le premier ministre doit conserver la confiance de la Chambre, faute de quoi il perd son poste.

Dans le système américain, on choisit le président, qui est également le commandant en chef. C'est d'une grande importance. En outre, il est le plus haut responsable du pouvoir exécutif. Il ne dépend pas du Congrès, puisqu'il a notamment un droit de véto. Toutefois, la durée de son mandat est de quatre à huit ans maximum. Celle de notre premier ministre dépend de la volonté de la Chambre des communes et, au bout du compte, du public.

Là où ça devient dangereux, c'est lorsque le système ne fonctionne plus, qu'il n'y a pas vraiment 308 députés — et ce sont les circonscriptions qui décident de leurs représentants. La concentration du pouvoir entre les mains d'un premier ministre est pire encore qu'entre celles d'un président des États-Unis. Il faut des freins et des contrepoids; sinon, il devient roi.

Le sénateur Joyal : Avez-vous l'impression que la Loi électorale du Canada a évolué au fil des années au point que cette possibilité fait maintenant partie intégrante du système et que la démocratie s'en trouve compromise?

M. Stevens : Oui. Il est question de la Chambre des communes. Pourtant, les médias mettent l'accent sur le leadership. Un député pourrait avoir une excellente idée, mais ça ne fera pas les manchettes. Les médias veulent des phrases chocs. C'est de plus en plus une obsession, qu'il s'agisse de M. Layton, de M. Dion ou de M. Harper. Une élection ne dure que 30 jours et, parfois, son issue dépend de choses futiles plutôt que de questions de fond. Elle ne reflète pas vraiment la pensée du peuple.

Le sénateur Stratton : Êtes-vous en train de dire que Kim Campbell avait raison?

La présidente : Monsieur Stevens, veuillez conclure.

M. Stevens : Je respecte énormément notre système parlementaire et je n'aime pas voir ce qu'il devient. Le Sénat joue un rôle indépendant. Vous pouvez faire en sorte que nous ne perdions pas notre système démocratique, qui est le meilleur au monde.

La présidente : Honorables sénateurs, nous ne savons pas combien de temps il nous reste. Nous pouvons être interrompus à tout moment.

Le sénateur Milne : Monsieur Stevens, je tiens à souligner que l'affaire à laquelle vous faisiez référence, en Saskatchewan, portait sur un dénommé Jones — était-ce à Moncton?

M. Stevens : Je parlais de David Orchard.

Le sénateur Milne : Il convient de noter que les moyens de notre comité sont limités. Nous avons pour mandat d'étudier les derniers changements apportés à la Loi électorale du Canada et de formuler nos observations, et c'est ce que nous faisons. Madame McCallum et monsieur Stevens, bien que certaines de vos suggestions soient intéressantes, il faudrait élargir le mandat du comité pour qu'il puisse les examiner de plus près.

La présidente : Nous pouvons inscrire dans notre rapport les commentaires des témoins, si nous le désirons.

Le sénateur Milne : Effectivement; ce serait intéressant. Je vais vous poser la question que j'ai lancée aux deux autres grands partis qui ont témoigné avant vous. On a dit — dans l'affaire Figueroa — que la nécessité de présenter un minimum de 50 candidats pour être considéré comme un parti était une exigence inconstitutionnelle; c'est pourquoi la nouvelle loi électorale a ramené ce nombre à un.

Trouvez-vous que c'est suffisant? Dans le vocabulaire syndical, « un » constitue une personne et « deux », un parti ou un syndicat. Qu'en pensez-vous?

M. Stevens : Je crois que c'est sans grande conséquence. Si un est trop peu, pourquoi deux suffirait? J'imagine que l'argument syndical est pertinent, mais il y a des choses beaucoup plus importantes en jeu sur lesquelles vous devez vous pencher, alors je n'accorderais pas beaucoup d'importance à la question de savoir s'il faut faire passer ce nombre à deux, dix ou plus.

Je me suis réjoui du témoignage du directeur général des élections devant votre comité. Il s'est écarté un peu du sujet et a abordé d'autres questions. C'est de cette façon que vous pouvez jouer un rôle important. Je ne crois pas que les gens pensent qu'il faille corriger ce qui s'est passé en 2004, ou qu'il y ait un problème grave. Si c'est le cas, il faut se demander alors comment améliorer les choses.

Si vous empruntiez cette voie, je crois que beaucoup vous écouteraient.

Le sénateur Milne : Madame McCallum?

Mme McCallum : Je crois qu'un est suffisant. C'est une voix, celle de 250 personnes et d'au moins trois membres d'un comité exécutif. Un parti doit représenter le public, mais doit aussi le servir, et bien. Pour ce faire, il travaille avec beaucoup de gens.

Mme White : Je crois également qu'un est suffisant. D'après mon expérience, puisque j'ai déjà pris part aux réunions du directeur général des élections, les petits partis s'engagent sur le plan politique et font tout leur possible pour participer à la vie électorale. Je ne crois pas que le fait qu'ils n'aient qu'un seul candidat signifie qu'ils essaient de profiter du système.

Ensuite, je crois que le minimum d'un candidat permet aux nouveaux partis politiques de renforcer leurs compétences, comme le fait mon organisation. Nous avons entamé un vaste programme de sensibilisation de nos membres pour qu'ils comprennent bien le processus politique, la Loi électorale du Canada et les responsabilités que doivent assumer les candidats.

Personne d'autre que moi dans mon parti n'était vraiment au courant, alors la courbe d'apprentissage a été abrupte. Je ne voudrais pas qu'au cours de cette période d'adaptation, mon parti soit lésé dans sa capacité de recruter des candidats et de les faire élire.

Le sénateur Andreychuk : J'ai une brève question pour Mme White. Dans votre mémoire, vous dites que le 17 mars, Bob Rae deviendra député de votre circonscription. Vous avez déjà concédé la victoire au candidat du Parti libéral.

Mme White : Je regarde la réalité en face. À chacune des réunions de tous les candidats, j'ai affirmé être directe et honnête au sujet de l'avenir. Je crois que M. Rae recueillera plus de voix que l'ensemble des autres partis. Nous verrons bien lundi. J'aimerais bien être élue, mais je ne crois pas que ça se produira.

Le sénateur Andreychuk : J'espère que vous redoublerez d'efforts d'ici le 17 mars. Qui sait ce qui peut arriver? C'est ainsi en politique. Vous semblez vous être avouée vaincue, et je trouve ça triste. J'espérais que vous essaieriez de transmettre votre message. L'espoir fait vivre en politique. Souvent, les résultats ne peuvent être mesurés par les sondages et dépendent de l'air du temps.

Dans votre deuxième déclaration, vous dites que le plafond de dépenses de publicité électorale des tiers prévu par la Loi électorale est tellement bas que, si l'Animal Alliance Environment Voters Party of Canada n'était pas un parti enregistré, il n'aurait pas pu distribuer de dépliants, donc il n'aurait pas pu sensibiliser les gens à la cause qu'il défend.

Êtes-vous en train de dire que vous avez formé un parti politique parce que vous n'étiez pas satisfaits du plafond de dépenses électorales des tiers?

En d'autres mots, vous n'avez pas choisi de devenir un parti. L'avez-vous fait parce que vous ne pouviez pas transmettre votre message en tant que tiers parti?

Mme White : Depuis 1998, nous étions un tiers parti actif aux niveaux fédéral, provincial et local. Nous sommes intervenus auprès de Stephen Harper dans notre lutte contre la restriction des dépenses des tiers partis et avons perdu en Cour suprême. En fait, vous avez raison. On ne peut pas changer l'issue d'un vote avec 3 000 $ dans une circonscription. C'est impossible. Ce n'est pas assez pour acheter de la publicité et imprimer suffisamment de dépliants. Alors, comme nous n'étions pas en mesure de véritablement participer à la politique électorale, nous en avons profité pour devenir un parti et nous engager activement dans le processus, ce que nous faisions déjà, sauf que nous n'étions pas un parti enregistré.

Est-ce que ça répond à votre question?

Le sénateur Andreychuk : C'est donc une des conséquences imprévues du plafond de dépenses électorales des tiers.

Vous tirez avantage ce projet de loi, il convient de le noter.

Mme White : Permettez-moi de préciser que, d'une certaine façon, je ne crois pas que ce soit le cas. Nous sommes un parti politique avec un point de vue particulier que de nombreuses personnes au pays partagent. Que nous en fassions la promotion en tant que tiers parti ou parti politique à part entière ne change rien, puisque nous respectons les règles. Pour être honnête avec vous, maintenant que nous sommes un parti politique, je crois que c'est probablement ce que nous aurions dû faire dès le début, sauf que nous n'avions pas 50 candidats. Nous n'avions pas le choix, mais maintenant que nous avons une autre option, je crois que nous pouvons obtenir de bien meilleurs résultats. C'est mieux. D'une certaine façon, on nous a forcés à emprunter cette voix qui, au bout du compte, est beaucoup plus efficace.

Le sénateur Stratton : J'aimerais qu'on reparle de deux points qui ont été soulevés ce soir. Premièrement, l'évolution des partis politiques; nous avons deux exemples de l'Ouest, dont le CCF, qui est devenu le NPD. Ce parti, qui a germé dans les esprits de quelques personnes seulement, siège maintenant au Parlement.

J'étais à la première réunion du Parti réformiste, à Saskatoon, autour de 1987. Tout a commencé avec une idée. On a élu Deborah Grey, et le parti a évolué, jusqu'à devenir l'Alliance canadienne, qui a fusionné avec le Parti progressiste- conservateur avant de devenir le Parti conservateur que nous connaissons actuellement. Ça se produit dans la démocratie d'aujourd'hui, donc je crois que le système fonctionne, et ces deux exemples en sont la preuve — celui du CCF/NPD, et celui plus récent des années 1980.

Donc, à la lumière de ces deux exemples, je considère que, même s'il le système n'est pas parfait, notre démocratie fonctionne plutôt bien. Qu'en pensez-vous?

J'ai une autre question au sujet des dons privés, j'aimerais que vous y répondiez plus tard.

Mme White : Vous avez raison. Des partis politiques peuvent maintenant mettre de l'avant des idées et voir si elles sont viables; peut-être qu'elles ne le seront pas, mais au moins cette possibilité existe.

J'aimerais en outre faire remarquer une chose en ce qui concerne les partis comme le nôtre, que beaucoup considèrent comme un parti marginal parce que nous faisons la promotion de la protection de l'environnement et des animaux. Aux Pays-Bas, où l'on a adopté un système de représentation proportionnelle, deux représentants de la protection des animaux ont été élus et siègent au Parlement. Comme vous l'avez dit, cela permet à certaines idées de faire leur chemin et d'être prises en considération au Parlement. C'est important.

Le sénateur Stratton : J'appuie la représentation proportionnelle, comme vous, de toute évidence, parce que je crois que nous avons besoin de ces petits partis, qu'ils ont leur place au Parlement, parce qu'ils représentent un certain pourcentage des électeurs.

Mme White : Moi aussi.

Mme McCallum : Je crois que le système fonctionne, mais c'est l'attitude qu'il faut changer. Ce serait merveilleux si les gens se rendaient compte que nous avons de nombreuses ressources à notre disposition et qu'il faut cesser de ne penser qu'à l'argent et au pouvoir.

Quant au financement disponible pour la publicité, je ne considère pas que ce soit si important. Le bouche à oreille et la radio fonctionnaient bien dans le bon vieux temps — bien sûr, je n'y étais pas. On ralliait plus de gens qu'aujourd'hui. Ils faisaient corps avec le chef qui, selon eux, allait vraiment défendre leurs intérêts.

Nous faisons fausse route en mettant autant l'accent sur l'argent. Il faut modifier notre comportement et essayer de trouver un équilibre, le reste suivra. Je sais que cela semble abstrait et philosophique, mais si on se concentre sur l'essentiel, on ne peut que se demander si ce que l'on fait a un sens et si ça désavantage quelqu'un. Par exemple, on peut léguer autant d'argent qu'on veut à un parti dans son testament, ce qui est un avantage parce que cet héritage permet au parti de continuer à se consolider pendant des générations. Toutefois, c'est le genre de chose que nous verrions sous un jour nouveau et que nous trouverions illogique parce que ça ne servirait personne.

Je crois que le système fonctionne, mais il faut changer d'attitude.

M. Stevens : Prenons l'exemple du Parti réformiste; je ne crois pas que ça pourrait se reproduire aujourd'hui. On dit que le système fonctionne, mais on parle de l'ancien. Aujourd'hui, pensez à tous les problèmes que doivent surmonter les nouveaux partis. On adopte des projets de loi qui les empêchent d'emprunter de l'argent — du moins, c'est l'intention —, à moins que ce soit à une banque ou autre institution financière. Cela n'a évidemment aucune répercussion sur les grands partis, puisqu'ils ont les reins solides. Ils peuvent facilement obtenir quelques millions. Au Parti progressiste-conservateur, nous avions un compte permanent de 5 millions de dollars à la Banque Canadienne Impériale de Commerce. On ne nous a posé aucune question, et nous n'avons jamais payé d'intérêt là-dessus.

Le sénateur Stratton : Nous avions vendu notre âme à la banque.

M. Stevens : On a mis la hache là-dedans. On ne peut plus obtenir d'argent des entreprises. Pour créer un parti, il faut des fonds considérables. Mais cette option n'existe plus. Tout ce qu'on peut faire, c'est trouver une dizaine de personnes qui pourront donner 1 100 $ tout au plus. Il serait difficile de répéter l'exploit du Parti réformiste. J'ai peur que nous soyons allés trop loin, comme je l'ai déjà dit. Nous en sommes au point où les grands partis pleins aux as se réjouissent, car s'ils considèrent que 1,75 $ ce n'est pas suffisant, il leur suffit de faire adopter un projet de loi pour obtenir davantage, alors que les nouveaux partis n'ont aucun pouvoir de ce genre. Les règles du jeu étaient autrefois beaucoup plus équitables. Comme vous le savez sans doute, Paul Hellyer a créé le Parti action canadienne. Je ne sais pas s'il comparaîtra devant vous.

Le président : Non.

M. Stevens : Il a dépensé 2 millions de dollars pour fonder son parti. Voilà le problème dans toute sa mesure. Ce monsieur était extrêmement dévoué. Il voyait un problème dans notre société et voulait s'engager politiquement pour trouver une solution. Je crois que c'est malheureux. Ce n'est plus possible dans la structure actuelle.

Le sénateur Stratton : Monsieur Stevens, vous dites qu'on devrait permettre une certaine forme de dons privés. Je me souviens de la triste époque où les partenaires au sein d'un cabinet décidaient de la contribution à verser aux différents partis politiques. Ils choisissaient d'en donner tant à un parti et tant à un autre. Voilà comment ça se passait; cela pouvait être un cabinet d'architectes, d'avocats, d'ingénieurs ou autres. Si on permet les dons privés d'un maximum de 5 000 $, les cabinets recommenceront ce petit manège, et c'est tout à fait contraire à l'esprit du système.

Je suis à peu près certain que la plupart des fonds recueillis par le Parti réformiste venaient de particuliers et non d'entreprises. Il s'agissait de petits dons personnels. Le parti n'avait pas d'argent, seulement une idée, qui a fait boule de neige. Encore aujourd'hui, 90 p. 100 du financement du Parti conservateur provient de particuliers. C'est un exemple qui prouve que le système fonctionne dans le cadre des lois actuelles.

M. Stevens : J'aimerais me permettre un commentaire. Peut-être que 90 p. 100 des fonds qu'il recueille dans le secteur privé proviennent de petits donateurs, mais le parti est financé à 70 p. 100 par des deniers publics. Voilà une contradiction flagrante. Je conviens que les dons d'entreprises amenaient leur lot de problèmes. Toutefois, ce n'est pas normal si ceux qui forment le gouvernement et siègent au Parlement ont le pouvoir de décider qu'ils en veulent plus. Ça ne va pas.

Nous avons entendu des commentaires intéressants aujourd'hui. Ceux qui siègent à la Chambre vous ont fait part de leur point de vue. Ceux qui n'y siègent pas ont une opinion différente, ce qui devrait être une preuve suffisante.

Nous allons regretter l'accès des élus au financement dans 10 ou 20 ans, lorsque nous nous demanderons comment nous avons perdu notre véritable démocratie basée sur la représentation. Je crois que les députés auront de plus en plus de facilité à se faire réélire puisque, sur le plan financier, il leur suffira de proposer des amendements à la loi pour obtenir encore plus d'argent.

Mme White : Je ne sais pas si vous avez déjà effectué des collectes de fonds auprès de petits donateurs, mais je le fais souvent. Déjà à ce stade, il faut de l'argent. Dès sa création, un petit parti peu connu se trouve dans une situation précaire. Il lui est donc difficile d'amasser les sommes nécessaires pour participer véritablement aux élections à l'échelle nationale. C'est très dur.

Le sénateur Stratton : Le Parti réformiste n'était-il pas au début qu'un tout petit parti?

Mme White : Si; c'est pourquoi je garde espoir. Nous sommes un très petit parti, et je crois que nous pouvons croître. Les libéraux, les conservateurs et les néo-démocrates ont une base bien établie. Toutefois, ce qui est difficile pour les petits partis méconnus, c'est recueillir suffisamment de fonds pour attirer des adhérents, et ainsi pouvoir participer concrètement aux élections.

M. Stevens : Nous avons parlé du Parti réformiste, qui est devenu l'Alliance canadienne. Il ne faut pas oublier que la principale raison pour laquelle celle-ci voulait fusionner avec le Parti progressiste-conservateur était économique. Ce parti n'avait plus d'argent pour rembourser ses dettes.

Le sénateur Stratton : Je croyais que c'était plutôt le cas du Parti progressiste-conservateur. Je siégeais à son conseil administratif à l'époque, et je peux vous dire que nous avions vendu notre âme à la banque.

M. Stevens : J'aimerais vous expliquer à quel point ce dont nous discutons est important. L'Alliance n'avait pas d'entente comme celle du Parti progressiste-conservateur. En effet, Doug Bassett s'était arrangé avec la Banque de Commerce pour que son prêt n'ait jamais à être remboursé. Après la fusion, ce prêt existait toujours, alors que la dette de l'autre parti avait été éliminée.

Le sénateur Stratton : Je ne suis pas d'accord avec vous. Les deux prêts ont été remboursés. Le Parti réformiste avait les moyens d'éponger la dette de l'ancien Parti progressiste-conservateur, et c'est exactement ce qu'il a fait.

Mme White : Est-ce que ce serait permis en vertu des règles actuelles?

Le sénateur Stratton : Dans le cas de la fusion de deux partis, oui, parce qu'on combine aussi les deux comptes.

Mme White : Et donc toutes les ressources financières?

Le sénateur Stratton : Oui.

La présidente : J'aimerais remercier les témoins pour cette discussion fort captivante. Je tiens à signaler que nous voulions également recevoir Jean-Serge Brisson, chef du Parti Libertarien du Canada, mais il ne pouvait se joindre à nous.

Chers collègues, vous ne pouvez pas partir tout de suite. Il y a un autre point à l'ordre du jour dont nous devons brièvement discuter.

Il s'agit des avant-projets de budget. Je crois que vous disposez tous des deux documents étudiés et approuvés par le comité de direction. Nous pourrions d'abord examiner celui qui concerne notre étude actuelle — sur les amendements à la Loi électorale du Canada et à la Loi de l'impôt sur le revenu.

On a présenté une motion. Avez-vous des questions?

Tous ceux qui sont pour? Contre? Ceux qui s'abstiennent? Adopté.

Passons à l'approbation du budget pour l'étude de mesures législatives.

Le sénateur Stratton : Ça m'étonne toujours, parce que cette pratique semble répandue dans tous les comités.

Avons-nous déjà envoyé qui que ce soit à une conférence?

La présidente : Pas ces dernières années.

Le sénateur Milne : Nous avons déjà envoyé le greffier.

Le sénateur Stratton : C'est une question qui me préoccupe constamment parce que, lorsque nous siégeons à d'autres comités et que nous examinons les budgets, nous voulons nous assurer que ceux-ci ne sont pas gonflés. Je ne crois pas que ce soit le cas ici, mais ça se fait ailleurs. C'est important, et je vais réclamer l'examen général de l'élaboration des budgets, à cause de cette tendance qu'ont certains comités à les arrondir au chiffre supérieur. Cela étant dit, j'appuie ce budget.

La présidente : Pour votre information, sénateur Stratton, sachez qu'il est d'usage depuis de nombreuses années de prévoir les fonds pour deux conférences. Nous n'avons pas utilisé ces fonds récemment. Cependant, certaines conférences très intéressantes pourraient être directement liées à nos travaux, qui portent sur la loi.

Le sénateur Stratton : Cela ne me semble pas abusif. Je comprends.

La présidente : Quelqu'un a-t-il présenté une motion? Le sénateur Andreychuk.

Êtes-vous d'accord?

Des voix : Oui.

La présidente : Y en a-t-il qui sont contre? Qui s'abstiennent? Adopté.

Chers collègues, je vous remercie tous beaucoup.

La séance est levée.


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