Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 13 - Témoignages du 3 avril 2008
OTTAWA, le jeudi 3 avril 2008
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles auquel a été renvoyé le projet de loi S- 210, Loi modifiant le Code criminel (attentats suicides), se réunit aujourd'hui à 10 h 52.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, je vois qu'il y a quorum. Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous poursuivons notre étude du projet de loi S-210. Nous accueillons ce matin le sous-commissaire Mike McDonell, des enquêtes criminelles relatives à la sécurité nationale, Gendarmerie royale du Canada.
Bienvenue, monsieur McDonell.
[Français]
Sous-commissaire Mike McDonell, Enquêtes criminelles relatives à la sécurité nationale, Gendarmerie royale du Canada : Je souhaite tout d'abord remercier les honorables sénateurs d'avoir permis à la Gendarmerie royale du Canada de s'exprimer sur le projet de loi S-210.
[Traduction]
Je vais tenter de dresser rapidement et en termes généraux un portrait d'ensemble qui, je crois, sera utile pour vos délibérations. Je le ferai bien sûr du point de vue de la GRC, dont le mandat se limite aux affaires criminelles.
Les attentats suicides les plus notoires sont sans doute ceux du 11 septembre 2001 et ceux du 7 juillet 2005 dans les transports en commun de Londres.
Le 15 janvier 2006, le diplomate canadien Glyn Berry a été tué dans un attentat suicide à la voiture piégée en Afghanistan. Il s'était porté volontaire pour travailler dans ce pays, et avait été nommé directeur des Affaires politiques auprès de l'équipe de reconstruction de la province de Kandahar, pour le ministère des Affaires étrangères. Deux autres civils sont morts dans cet attentat, qui a aussi fait 10 blessés, dont trois soldats canadiens. Depuis, de nombreux soldats canadiens ont péri dans des circonstances similaires.
Ces exemples montrent que des Canadiens ont été victimes d'attentats suicides, mais uniquement à l'étranger, jusqu'ici.
Un attentat suicide est une attaque contre des personnes ou des biens qui entraîne nécessairement la mort de l'auteur. Comme tout acte de terrorisme, un attentat suicide inspire l'horreur et l'indignation, il met à rude épreuve les autorités légitimes et il montre le pouvoir du groupe qui l'a parrainé. Le plus souvent, il est motivé par des objectifs politiques plutôt que religieux, même si le message politique risque d'être exprimé en termes religieux.
Les attentats suicides sont difficiles à prévenir. Il est bien plus difficile de se prémunir contre une personne qui porte une bombe sur elle que contre une bombe à retardement abandonnée dans un lieu public pour y exploser. Une arme humaine peut procéder à des ajustements de dernière minute selon l'accessibilité de sa cible, la densité de la foule ou les mesures de sécurité en place. Les kamikazes n'ont pas besoin de stratégie de retrait, et ils utilisent souvent des engins faciles à fabriquer et assez petits pour tenir dans un sac à dos.
Partout dans le monde, l'attentat suicide est une tactique terroriste qui est employée de plus en plus. Difficile de prévoir son impact potentiel au Canada, puisqu'il n'y a jamais été utilisé. Je peux déclarer que le Canada n'est pas immunisé contre le terrorisme et je crois que la possibilité d'un attentat suicide au Canada est réelle. Nous savons que notre pays n'est pas à l'abri compte tenu de la radicalisation que nous y observons.
Le meilleur moyen de contrer la menace terroriste actuelle, vu la nature de celle-ci, demeure une collaboration étroite entre la police, le SCRS et les autres organismes de renseignements et d'application de la loi, au pays comme chez nos alliés, ainsi que de notre service de poursuite. Il faut travailler de concert pour protéger le public, pour détecter les activités terroristes, pour mener des enquêtes et poursuivre les activités terroristes afin de les prévenir. La collaboration est essentielle si l'on veut mettre en œuvre une stratégie coordonnée, intégrée et fondée sur le renseignement pour repérer et déjouer les complots terroristes avant qu'ils ne prennent forme et qu'ils n'atteignent leur but.
Selon le projet de loi S-210, un attentat suicide correspond à la définition d'« activité terroriste ». Ce projet de loi exprime la révulsion du public face aux attentats suicides, et cherche à prévenir ceux-ci en les criminalisant.
Bien que l'intention de ce projet de loi soit louable — comme le sénateur Grafstein, entre autres, l'a si bien dit — la question est de savoir si la définition d'« activité terroriste » et les dispositions en général sur les complots que renferme actuellement le Code criminel ne sont pas déjà assez larges pour englober les attentats suicides.
Il est rare qu'un kamikaze agisse seul. Donc, selon le contexte, les dispositions du code sur les complots et celles sur le fait d'être partie à une infraction ou d'aider et d'encourager la perpétration d'une infraction pourraient toutes s'appliquer, de même que celles sur le fait de faciliter un acte terroriste ou d'y participer.
Bien qu'il soit possible que les dispositions antiterroristes actuelles du Code criminel s'appliquent à la planification d'attentats suicides ou à la tentative d'en commettre, j'invite le comité à se pencher sur les sanctions prévues afin de déterminer si elles sont suffisantes. Actuellement, la peine maximale pour avoir facilité un acte terroriste est de 14 ans et celle pour avoir fait partie d'un groupe terroriste ne dépasse pas 10 ans. À mon avis, toute personne qui participe à un attentat suicide ou qui le facilite devrait purger la même peine que si elle avait commis un meurtre ou une tentative de meurtre, qui est punie par la prison à vie.
Ainsi, le comité désirera peut-être voir si le paragraphe 2 de l'article 83 de la loi, infraction au profit d'un groupe terroriste, comporte suffisamment de dispositions afin que les participants et les facilitateurs soient passibles d'emprisonnement à vie.
La justification pour codifier les infractions terroristes est que le terrorisme pose un risque au public qui dépasse grandement le risque posé par toute autre forme de criminalité. Les attaques terroristes peuvent faire un nombre catastrophique de victimes. Cette augmentation du risque au public justifie les infractions et l'accroissement des pénalités avec la Loi antiterroriste.
Pour terminer, le fait de légiférer dans ce cas pourrait présenter un certain avantage pour la société en ce que le public pourrait être davantage conscientisé sur la nature des attaques suicides. Cela permettrait aussi de faire la distinction entre les attaques suicides et les autres crimes.
Le terme « attaque suicide » conviendrait mieux que « attentat à la bombe suicide » car il définit mieux l'acte de terreur. La grande question est de savoir si la loi, telle qu'elle est conçue, suffit à prévenir les actes de terreur et à poursuivre ceux qui les commettent. Voilà la vraie raison, et il ne s'agit pas de rhétorique ici.
Le sénateur Oliver : Ce que vous dites concernant les peines dans ce contexte m'intéresse. Vous avez parlé de complicité, de participants et de facilitateurs. Cependant, en ce qui concerne le complot, qu'adviendrait-il si la GRC, se basant sur certains renseignements reçus du SCRS et d'autres organismes, s'introduisait dans un appartement et y trouvait un sac à dos et d'autres articles permettant de fabriquer une bombe artisanale, et que c'est tout ce que vous auriez? Imaginons aussi que vous ayez porté une accusation de complot en vue de commettre un acte terroriste et que la personne ait été reconnue coupable.
Quelle peine maximale devrait-on imposer au facilitateur ou au participant, celui qui avait le sac au dos, qui avait la bombe et allait la faire exploser? Le fait de comploter n'est-il pas aussi répréhensible?
M. McDonell : C'est bien ce que je dis, sénateur. Quiconque participe ou s'emploie à réaliser un attentat à la bombe suicide devrait recevoir la peine que prévoit l'article 83.2 du Code criminel, à savoir, la réclusion à perpétuité. L'intention était de commettre un meurtre.
Le sénateur Oliver : Autrement dit, si la GRC trouvait une personne dans un appartement en présence de tout le matériel qu'il faut pour fabriquer une bombe, et peut-être aussi une note ou un plan ou un schéma disant quand et où l'attentat aurait lieu, il y aurait alors complot. Vous dites que si cette personne est reconnue coupable, il faudrait lui imposer une peine semblable à celle qu'on prévoit pour meurtre, n'est-ce pas?
M. McDonell : Si l'on peut prouver que l'on avait l'intention de commettre un meurtre, oui, je le pense.
Le sénateur Oliver : À l'heure actuelle, quelle est la peine pour complot prévue dans le code?
M. McDonell : Le complot relève de l'infraction substantielle que l'on compte commettre. Le meurtre fait l'objet d'un article du code à part. Cependant, s'il y a complot en vue du trafic d'une certaine drogue où l'on prévoit une peine de 10 ans, le complot sera alors passible d'une peine de 10 ans. C'est lié à l'infraction substantielle.
Le sénateur Milne : Vous proposez d'augmenter les peines. Je ne crois pas que l'on puisse rouvrir l'article 83.2. Même s'il s'agit du même article du Code criminel, ce projet de loi propose de modifier l'article 83.01. Votre suggestion est probablement valable, mais je ne suis pas sûr qu'on puisse y donner suite.
Dans les dernières phrases de votre exposé, vous avez dit : « La grande question est de savoir si la loi, telle qu'elle est conçue, suffit à prévenir les actes de terreur et à poursuivre ceux qui les commettent. » C'est votre avis, n'est-ce pas?
C'est ce que nous devons savoir pour déterminer si nous avons besoin de ce projet de loi.
M. McDonell : Du point de vue de la loi elle-même, je crois que non. Cependant, la loi sert aussi à envoyer un message à la société ainsi qu'à nos alliés internationaux, et à faire savoir que le Canada reconnaît la menace terroriste, sa gravité, et qu'il va adopter une loi précise à cet égard.
Même si je viens de dire que ce n'est pas nécessaire, je dis aussi que cela montre que la terreur était l'intention précise du crime, et non pas un acte criminel ordinaire comme les autres. On peut aussi accuser la personne d'avoir comploté en vue de commettre un meurtre. On pourrait aussi recourir à d'autres accusations comme commettre un meurtre à l'aide d'engins explosifs. Cependant, si l'on peut prouver que l'objet était le terrorisme, je crois que cela doit être dit exactement en ces termes au public.
Le sénateur Milne : Devrait-on appeler cela « Attentat suicide à la bombe »?
M. McDonell : Nous croyons qu'il faut parler d'« attaque suicide ».
Le sénateur Joyal : Votre exposé m'a plu. Votre texte est équilibré et traite de divers éléments dont n'a pas fait état hier le représentant du ministère de la Justice du Canada.
Votre texte répond à certains arguments qu'a fait valoir le ministère de la Justice. Dans votre exemple des attaques suicides à caractère biologique, vous proposez de remplacer le mot « bombe » par le mot « attaque ». Le concept en jeu ici est d'ordre sociétal. La bombe n'est qu'une technique parmi d'autres. On pourrait servir d'une bombe ou d'un élément biologique. Quelqu'un pourrait se servir d'un moyen biologique pour causer des torts à la personne ou à des biens. Merci pour cette suggestion; elle est utile.
Votre exposé porte essentiellement sur ce que j'appelle la dissuasion qu'on exerce en nommant le crime lui-même. L'argument juridique ne répond pas à la réalité. Les arguments juridiques que nous avons entendus hier, et ceux dont vous faites état dans votre exposé, se résument à dire que le code traite déjà du crime. La définition d'activité terroriste est tellement large que s'il devait y avoir un attentat suicide à la bombe au Canada, on pourrait recourir aux dispositions générales de l'article 83.01 et à d'autres articles du Code criminel.
Personne ne le conteste. Personne ici présent n'irait dire qu'on ne peut pas intenter de poursuites au Canada contre l'auteur d'un attentat à la bombe suicide parce qu'il n'existe pas de disposition explicite sur ce point dans le code. C'est ce que je pense moi aussi.
L'objet essentiel de ce projet de loi ne consiste pas à inclure un crime qui ne figure pas dans le code criminel. Si j'ai bien compris, le sénateur Grafstein se propose de mettre ce crime-là en évidence en insistant sur le fait qu'il s'agit d'une activité prohibée par le code et en s'assurant que les gens le sachent.
Pourquoi? Comme vous l'avez dit dans votre exposé, il y a l'enseignement de ces valeurs à des gens qui finissent par se dire qu'ils vont se tuer et en tuer d'autres ainsi qu'endommager des biens. Vous avez raison de dire que la plupart de ces kamikazes font partie de ce que j'appelle la piste du terrorisme. Cette piste, comme vous l'avez dit vous-même, émane de diverses sources.
En incluant l'attaque suicide dans la définition de l'activité terroriste, nous n'allons pas empêcher la lutte conte le terrorisme. Les gens participent à cet enseignement ou essaient d'enseigner les techniques de l'attentat suicide à la bombe en disant aux autres qu'ils iront au paradis s'ils se suicident. Nous allons faire savoir à ces gens qu'un tel enseignement serait visé par cette définition.
Voilà pourquoi je crois que la proposition du sénateur Grafstein est valable. Si on me demande si l'on traite de cela dans le code, je dirais que oui, le code en traite. On n'empêchera pas la GRC ou le procureur de la Couronne d'intenter des poursuites contre une personne mêlée à la perpétration de ce crime.
Il est utile d'identifier cet élément du terrorisme. Il faut faire savoir cela à quiconque au Canada aurait l'intention de convaincre des gens qu'ils iront au paradis s'ils se suicident et tuent autrui et endommagent des biens au nom de telle ou telle cause politique, religieuse ou autre. La valeur de ce projet de loi tient à cela.
Vous le dites indirectement à la page 4 de votre texte, à la troisième ligne, « la collaboration est essentielle si l'on veut mettre en œuvre une stratégie coordonnée, intégrée et fondée sur le renseignement ». Quand vous dites « fondée sur le renseignement », c'est parce qu'il existe un processus qui est en marche avant que quelqu'un commette le crime. On peut déjouer ce processus si l'on a un outil dans le Code criminel visant l'acte qui consiste à causer la mort ou les dommages.
Si j'ai bien compris, la GRC trouverait utile d'avoir une disposition comme celle-là.
M. McDonell : Sénateur, je suis d'accord. Notre tâche serait facilitée si l'on soulignait la gravité d'un tel acte et si l'on éduquait le public aussi. Nous avons besoin de l'aide du public. Les citoyens sont nos yeux et nos oreilles. Nous devons obtenir leur collaboration et leur faire savoir que la menace terroriste est réelle. Nous ne voulons pas verser dans l'alarmisme ou susciter la paranoïa. Cependant, nous voulons identifier ces crimes pour ce qu'ils sont, et l'un des moyens en ce sens consiste à faire savoir au public que notre pays est une cible aussi.
Le sénateur Joyal : Nous sommes une cible aussi. Nous voulons faire savoir clairement aux gens qui seraient tentés de vanter les mérites de l'attaque suicide et qui disent que c'est un moyen de sauver sa vie, que cette activité est interdite. Cela serait utile. Je suis peut-être mal informé ou peut-être que je ne comprends pas comment des gens peuvent conclure qu'en se tuant et en provoquant des morts et des dommages importants qu'ils servent une grande cause.
Si vous voulez convaincre les gens de se tuer, y a-t-il motif plus noble que celui d'espérer une vie meilleure dans un autre monde? C'est ce qui me semble être le germe du crime. Le germe du crime, c'est enseigner de telles valeurs. Si nous voulons une disposition dans le code qui dit clairement que l'enseignement des attaques suicides est un crime, ceux qui sont en première ligne dans la lutte contre le terrorisme se trouveront avantagés. Si on prend les jeunes de Toronto, quelqu'un est responsable de leur enseignement et de leur formation. C'est là la source, ou alors c'est l'Internet, ou dans tout autre groupe qui veut former une cellule terroriste.
Voilà pourquoi je ne crois pas que cette disposition dérange ou crée davantage de problèmes pour la GRC. En fait, on aiderait ainsi les services policiers et tous ceux qui œuvrent dans la lutte contre le terrorisme car ils disposeraient ainsi d'un autre moyen d'action.
Le sénateur Stratton : Avez-vous une question?
Le sénateur Grafstein : Il appartient au témoin de répondre à la question.
Le sénateur Stratton : Je veux savoir : Avez-vous une question?
Le sénateur Joyal : Je veux savoir si ce serait utile ou non.
Le sénateur Stratton : Je comprends, mais je veux savoir si vous avez posé votre question.
La présidente : Sénateur Stratton, nous avons assez de temps ce matin.
Le sénateur Stratton : Je le sais.
La présidente : J'ai donné au sénateur un peu plus de latitude.
Le sénateur Stratton : Je comprends. C'est la répétition.
La présidente : Si vous voulez vous répéter lorsque vous posez vos questions, ça va.
Le sénateur Stratton : Merci.
M. McDonell : Je crois qu'il serait utile de définir ou d'inscrire dans le code les attaques suicides.
Le sénateur Milne : Cet ajout au Code criminel vous permettra-t-il de repérer ou d'inculper ceux qui enseignent le genre de choses dont parlait le sénateur Joyal dans la préparation d'une attaque suicide? Est-ce que cela vous donnerait un avantage?
M. McDonell : On se servirait de cet outil si nous sommes prévenus. Si l'on peut prouver que l'intention consistait à enseigner ces choses et à préparer ces gens — à leur donner le savoir voulu ou peut-être les équiper des outils qu'il faut pour mener une attaque suicide — c'est l'accusation que je préférerais; on dirait expressément aux tribunaux et au public canadien quelle était l'intention de ce crime.
Le sénateur Milne : En fait, sénateur Grafstein, votre modification au code aurait pour effet de créer une nouvelle infraction.
La présidente : Le sénateur Graftstein n'est pas un témoin.
Le sénateur Graftstein : Pas encore. Vous aurez la chance de m'interroger la semaine prochaine.
Le sénateur Di Nino : Je tiens moi aussi à vous féliciter pour ces quelques idées que vous soumettez à notre réflexion. « Attaque suicide » est beaucoup plus explicite que « attentat à la bombe suicide ». Je suis surpris de voir que notre créativité n'a pas été mobilisée en ce sens étant donné que c'est un terme beaucoup plus explicite. J'espère que notre rapport dira que cette suggestion a reçu l'aval d'un bon nombre de membres du comité.
J'aime aussi votre suggestion — si je l'ai bien comprise —, à savoir que nous devrions réexaminer les peines. Nous avez-vous bien dit qu'il conviendrait de repenser cet article du Code criminel pour ce genre d'infraction?
M. McDonell : Je vous invite à réfléchir sur la solidité du lien à faire entre la définition de l'attaque suicide et la disposition du code qui prévoit une peine de réclusion à perpétuité pour une activité terroriste. Il n'y a pas de zone grise quant à savoir s'il faut inculper la personne de facilitation ou de participation. L'article 83.2 s'applique automatiquement par défaut; c'est la disposition du code qui définit la réclusion à perpétuité.
Le sénateur Di Nino : Vous proposez qu'on établisse un lien en ce sens — si l'on peut obtenir une condamnation — pour que l'on applique les peines qui conviennent?
M. McDonell : Oui, c'est exact.
Le sénateur Di Nino : Je pense que ce n'est pas une très bonne suggestion. Merci.
Je veux revenir au cœur de cette affaire. On patine un peu ici, et je tâcherai d'aller droit au but. À votre avis, les dispositions actuelles du Code criminel sont-elles suffisantes, sont-elles assez lourdes et vous permettent-elles d'arrêter ceux qui commettent des attentats à la bombe suicide ou des attaques suicides?
M. McDonell : Sans verser dans l'ambigüité, mes réponses à ces trois questions sont les suivantes : sont-elles suffisantes? Oui. Sont-elles assez lourdes? Non. C'est la raison pour laquelle nous voulons dire explicitement qu'il s'agissait d'une attaque suicide. On fait savoir clairement à tous que telle était la nature et l'intention de ce crime. Ce qui m'amène à la question de savoir si les peines sont appropriées, ma réponse est non. Cependant, pour ce qui est de savoir si les dispositions sont suffisantes, j'ai assez d'outils, si on veut, pour traduire une telle personne devant le tribunal et essayer ensuite de démontrer, dans la plaidoirie de la Couronne, la gravité de l'acte. La modification que l'on propose nous permettrait de faire cela au départ.
Le sénateur Di Nino : Pensez-vous, comme le suggère le sénateur Joyal, qu'on dissuadera ceux qui commettent des crimes haineux si ce mot existe dans le code? J'ignore si je suis en droit de vous poser la question, mais pouvez-vous y répondre?
M. McDonell : Non, je ne crois pas que cela aurait un effet dissuasif. Je pense que ceux qui méditent ce genre d'attaque ne peuvent pas être dissuadés. On ne peut pas dissuader un prosélyte.
Le sénateur Di Nino : Si cette modification est adoptée, les services de police du pays seront-ils mieux à même de contrer ce genre de crime?
M. McDonell : La réponse est oui. Il est vrai que les responsables, si on veut, ceux qui enseignent, ne peuvent pas être dissuadés, mais l'on pourrait dissuader ceux qui se trouvent dans la zone grise. Ainsi, si un tel acte est commis, tous les Canadiens sauraient à quoi s'en tenir, et ils nous aideraient ainsi à combattre la menace terroriste en se faisant nos yeux et nos oreilles. Sans susciter de paranoïa, bien sûr, mais en faisant comprendre que nous aurions été les victimes d'une telle attaque terroriste, purement et simplement.
Le sénateur Di Nino : Il y a une différence entre une attaque terroriste et un attentat à la bombe suicide. On ne parle pas de ça.
M. McDonell : Cependant, faire comprendre à tous le caractère aberrant d'un attentat à la bombe suicide, telle était l'intention, en termes clairs, de ce projet de loi.
Le sénateur Di Nino : Êtes-vous en train de dire qu'en utilisant l'expression « attentat à la bombe suicide » par opposition à « attaque terroriste », vous vous facilitez la tâche? Je pensais que « attaque terroriste » était assez fort.
M. McDonell : Prenez le 11 septembre : c'était une attaque terroriste; une attaque suicide. Le 7 juillet 2005 était une attaque suicide; dans un cas, on avait une bombe, dans l'autre un avion. Oui, dans les deux cas, c'était aberrant. Cependant, le fait est que cette tendance est à la hausse; cette tendance à la hausse est à la base du terrorisme. C'est ce qu'on voit maintenant en Europe. Je crois que cette tendance va migrer vers le Canada. Si nous disons explicitement que cela va à l'encontre de toutes les valeurs de notre société — et ce serait ici un petit pas en ce sens — je crois que ce serait utile.
Le sénateur Stratton : Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites qu'« attaque suicide » est préférable à « attentat à la bombe suicide ». Vous allez droit au cœur du problème, qui consiste à faire comprendre au public la gravité d'un tel acte. Je ne suis pas en désaccord avec ça.
Ce qui m'inquiète, c'est que si on ouvre la porte en ajoutant l'attaque suicide, quoi d'autre faudra-t-il ajouter? Si l'on peut définir un acte dans la loi actuelle, comment allons-nous empêcher quelqu'un de venir un jour et de dire qu'il faut ajouter quelque chose d'autre? Comme on l'a dit hier, c'est comme ouvrir la boîte de Pandore.
Il y avait un article dans la presse d'aujourd'hui qui disait qu'Air Canada devait être frappé sur deux vols : un vers Toronto et l'autre vers Montréal.
Le sénateur Grafstein : Il y a une poursuite en Angleterre où il est dit que l'un des avions visés était un avion canadien en route vers le Canada.
Le sénateur Stratton : Il y avait deux vols visés, l'un vers Montréal et l'autre vers Toronto. Il y a eu une fuite, et je crois que 15 conspirateurs ont été arrêtés à Londres. Si vous vous penchez sur le terme « attaque suicide », pourquoi ne pas vous pencher aussi sur ce genre de crime?
Il est fort possible que ce genre d'attaque se produise. Ce n'est pas une attaque suicide, mais c'est une attaque. Par conséquent, en définissant cela, pourquoi ne pas ajouter cela aussi? Pour moi, c'est tout aussi grave — et c'est même encore plus grave parce que nous avons eu cette affaire d'Air India. C'était un exemple classique. Pourquoi ne pas identifier quelque chose comme ça aussi?
M. McDonell : Dans le cas d'Air India, les bagages ont voyagé sans les terroristes.
Le sénateur Stratton : C'est bien ce que je dis. Si on fabriquait des bombes en Angleterre et qu'on les mettait sur deux avions vers le Canada, il n'y aurait pas nécessairement suicide.
Dans le cas de ces bombes-là, on allègue qu'une personne devait les détonner à bord de l'avion.
Le sénateur Stratton : Oui, je sais. Mais qu'est-ce qui arrive si on se sert de personnes pour perpétrer l'attaque? Quand l'avion décolle, les auteurs ont une télécommande entre les mains; boom, ils tapent sur la télécommande et la bombe explose. Ils l'ont mis dans le bagage de quelqu'un. Cela s'est déjà vu.
M. McDonell : Un tel cas relève clairement de l'article 83.2 du code.
Le sénateur Stratton : Donc, pourquoi un cas pareil ne relèverait-il pas du même article?
M. McDonell : Oui, ce pourrait être le cas.
Le sénateur Stratton : C'est à cela que je veux en venir. Une fois qu'on a ouvert la porte et qu'on dit « attaque suicide », pourquoi ne pas couvrir aussi les autres attaques potentielles? Ce sont des menaces tout aussi sérieuses.
M. McDonell : Cela revient à ce que je disais, sénateur, à savoir que, oui, les outils dont nous disposons maintenant sont suffisants; on ne veut que souligner le fait que ce phénomène est en pleine croissance.
Le sénateur Stratton : Je ne suis pas en désaccord avec vous, mais j'estime que nous devons examiner sérieusement l'autre aspect de cette question.
Il ne s'agit pas seulement d'attaques suicides mais d'attaques d'autre nature qui pourraient être perpétrées par télécommande ou autrement. Je pense en avoir assez dit.
La présidente : Ma question est en fait de nature sociétale, mais après avoir écouté ceux qui vous ont interrogé — et en particulier le sénateur Stratton — je retiens de la teneur générale de vos propos qu'à votre avis, il y a une différence qualitative entre une attaque suicide et les autres attentats à la bombe terroristes, non pas en droit mais bien dans la nature des personnes qui commettent ce genre de crime.
M. McDonell : Ces crimes-là sont beaucoup plus difficiles à planifier.
La présidente : Oui, du fait qu'ils émanent d'un état d'esprit légèrement différent, j'imagine.
M. McDonell : Oui, absolument.
La présidente : Ils sont peut-être d'une nature moins criminelle et un peu plus fanatique. Croyez-vous que les personnes qui pourraient être persuadées par ces prosélytes auxquels vous avez fait allusion, même un petit groupe d'entre eux, pourraient être dissuadées par un énoncé clair, distinct de celui qu'on trouve dans les arcanes de la loi : un énoncé juridique clair qui dit que cette activité est contraire au droit et aux valeurs du Canada? Est-ce bien ce que nous essayons de faire ici, si on va de l'avant?
M. McDonell : On ne peut pas dissuader les hauts responsables — les prosélytes et les vrais champions de la terreur —, et je ne crois pas non plus que la loi peut dissuader celui qui a décidé de se transformer en bombe humaine.
À mon avis, cette modification aurait surtout un effet sur ceux qui facilitent la circulation des gens, l'acquisition des matériaux voulus, le transport au site et le tournage de l'acte. Le réseau responsable fait un tournage vidéo de la plupart de ces actes afin de faire passer son message; on ne fait pas ça pour se faire prendre. Dans de nombreux cas, on essaie de faire un tournage vidéo. Cette mesure pourrait dissuader les personnes qui prennent part à ce crime — qui parrainent ce crime, si vous voulez.
La présidente : Ma deuxième question a trait à cette suggestion très intéressante que vous faites, à savoir que le projet de loi devrait peut-être plutôt mentionner l'attaque suicide que l'attentat à la bombe suicide. Cela donnerait sûrement réponse à certaines observations que nous avons entendues hier de Justice Canada, en particulier le fait que les attentats à la bombe n'incluraient pas, par exemple, le bioterrorisme.
Nous avons toutefois entendu un scénario très intéressant et, Dieu merci, jusqu'ici hypothétique. Le sénateur Graftstein, dans une de ses questions, disait que quelqu'un pourrait enfiler une veste explosive et se tenir de l'autre côté de la rue d'une synagogue et se faire exploser, pour passer un message. Ce ne serait pas une attaque, non?
M. McDonell : Je ne vois pas comment cela diffère tellement de l'auto-immolation.
Le sénateur Oliver : C'est la réponse qu'on nous a donnée hier.
La présidente : Faudrait-il garder en tête l'idée de l'auto-immolation, dans le cadre de ce projet de loi? En langage clair, faudrait-il changer le libellé et substituer à « attentat suicide » un terme comme « attentat à la bombe suicidaire et autres types d'attentats suicides »?
M. McDonell : Je pense que le terme « attentat suicide » suffirait, puisque cela comprend les extrêmes comme ce que nous avons vu le 11 septembre 2001, et l'exemple donné plus tôt, sur le trottoir.
La présidente : Vous le pensez vraiment?
M. McDonell : Oui, je le crois.
Le sénateur Baker : Dans la définition du terme « activité terroriste » à l'alinéa 83.01(1)a) du Code criminel, on fait référence à diverses conventions internationales dont le Canada est signataire. Au sous-alinéa 83.01(1)a)(ix) on fait référence à la mise en œuvre de la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif. L'instrument de mise en œuvre de cette convention en droit canadien est, d'après ce sous-alinéa, l'article 7 du Code criminel.
Or l'article 7(3.72) fait référence à l'article 431.2 du Code criminel pour son application. L'article 431.2 du Code criminel est par conséquent l'instrument de mise en œuvre en droit canadien de la convention internationale de répression des attentats terroristes.
Je veux simplement faire consigner au compte rendu, madame la présidente, que le sénateur Graftstein a déclaré que l'article 431 du Code criminel ne s'applique qu'aux éléments constituant de l'infraction de terrorisme du paragraphe 431.2(2), qui s'appliquent à toute personne qui agit dans l'intention de provoquer la mort ou de causer des dommages substantiels à une institution, un immeuble ou des transports publics ou de causer des dommages matériels et des pertes économiques considérables.
Le sénateur Grafstein : On y parle de causer des dommages matériels importants, à des biens publics ou privés, qui risquent de perturber ou d'interrompre des services. C'est important.
Le sénateur Baker : Disons donc officiellement que ce que signale le sénateur Grafstein, c'est que si quelqu'un se place devant une église, une synagogue, une mosquée ou un autre lieu semblable et se fait exploser, son acte n'est pas couvert par l'article 431 du Code criminel. Il ne le serait pas non plus par les conventions internationales, non plus que par l'article 7 du Code criminel.
Le ministère de la Justice l'a reconnu ici hier. Il ne s'agirait donc pas d'une activité terroriste. Le sénateur Grafstein signalait que cela créerait sans aucun doute de la terreur. C'est ce qu'il voulait dire.
M. McDonell : Je suis d'accord avec lui.
Le sénateur Grafstein : Merci, monsieur le commissaire, pour votre mémoire et votre témoignage. Je pense que c'est un point de vue juste et équilibré. Nous avons tous le même objectif, soit de prévenir ce genre d'acte extrême.
Nous voulons que le public et quiconque envisagent de pareils actes sachent que leurs auteurs seront coupables d'une infraction au Code criminel. C'est notre objectif à tous. Reste à savoir comment nous pouvons y arriver d'une manière qui soit compréhensible pour le public.
Je trouve intéressante votre suggestion au sujet des attentats suicides. Cela n'enlève rien à ce que j'essaie de faire avec ce projet de loi, soit cibler un acte que les gens comprennent. Les gens comprennent le terme « attentat suicide à la bombe ». Aucune explication n'est nécessaire. Cela fait partie maintenant du langage courant et le Code criminel a intégré ce terme à ses dispositions, de manière que le public comprenne. Pour l'application du Code criminel, nous savons tous que nul n'est censé ignorer la loi. Si nous intégrons les attentats suicides à la bombe dans le Code criminel, personne ne s'y trompera. Il s'agit de préciser les choses, sans nuire au processus. C'est l'objet du projet de loi.
Je crois comprendre que votre suggestion est encore meilleure. Toutefois, vous ne voyez pas d'inconvénient à ce que l'on utilise les mots « attentat suicide à la bombe ». Vous dites que ce serait utile.
Le sénateur Oliver : L'expression qu'il propose est « attaque suicide ».
Le sénateur Graftstein : Laissez-moi terminer.
Selon votre témoignage, l'ajout de l'expression « attentat suicide à la bombe » serait utile mais l'expression « attaque suicide » le serait encore davantage, n'est-ce pas?
M. McDonell : C'est ça, sénateur.
Le sénateur Grafstein : C'est raisonnable. Toutefois, le public ne comprend pas aussi bien un terme que l'autre. En convenez-vous? En effet, il se peut que le public comprenne l'expression « attaque suicide » mais il comprend mieux l'expression « attentat suicide à la bombe ».
M. McDonell : Je ne pense pas pouvoir être d'accord avec vous là-dessus, sénateur, étant donné ce qui s'est passé le 11 septembre.
Le sénateur Grafstein : C'est logique. Pour l'essentiel, nous sommes au même diapason.
M. McDonell : Oui, mais nous ne sommes pas dans le même registre.
Le sénateur Grafstein : Permettez-moi d'aborder l'autre question qui a été soulevée hier. Le sénateur Baker l'a très bien exposée.
Puisque vous vous occupez d'enquêtes, permettez-moi de vous poser des questions hypothétiques. Je présume que vous savez qu'il existe sur Internet des sites qui actuellement renseignent les gens ou leur apprennent comment confectionner des vestes servant aux attentats suicides à la bombe.
M. McDonell : C'est exact.
Le sénateur Grafstein : Êtes-vous au courant?
M. McDonell : Oui, je le suis.
Le sénateur Grafstein : Il y en a une grande quantité et ils se multiplient.
M. McDonell : En effet.
Le sénateur Grafstein : Si je ne m'abuse, cela a commencé par quelques milliers et désormais, il y en a plusieurs milliers dans le monde. Cela fait partie de la dissémination de renseignements par l'intermédiaire d'Internet. La toile est devenue fabricant de ce genre de matériel pour ainsi dire. Pourriez-vous intenter des poursuites si vous voyez cela sur Internet?
M. McDonell : Je le pourrais si je pouvais établir un lien au-delà de tout doute raisonnable avec un Canadien ou quelqu'un qui a des intérêts au Canada.
Le sénateur Grafstein : Si c'était un serveur canadien qui facilitait la distribution d'un site enseignant aux jeunes comment confectionner une veste servant à des attentats suicides à la bombe, pourriez-vous intenter des poursuites?
M. McDonell : J'essaierais par tous les moyens que me confèrent mes pouvoirs et mes compétences de traduire les responsables devant les tribunaux.
Le sénateur Grafstein : Toutefois, vous auriez du mal à le faire si le Code criminel était muet sur les attentats suicides à la bombe, n'est-ce pas?
M. McDonell : Je n'aurais pas de mal à présenter l'affaire au tribunal. Je reviens à mon argument : la loi est assez musclée pour me permettre de le faire.
Le sénateur Grafstein : Ce projet de loi ne vous serait-il pas plus utile?
M. McDonell : Oui, pour expliciter le cas au tribunal et à l'intention du public.
Le sénateur Grafstein : Le sénateur Baker a évoqué l'exemple que je vais vous donner maintenant. Les fonctionnaires du ministère de la Justice nous ont proposé un scénario — peut-être avez-vous une opinion différente. Disons qu'une personne a été formée pour commettre des attentats suicides à la bombe et qu'elle décide de ne pas vouloir les commettre. Toutefois, la personne en question souhaite s'acquitter de sa mission et décide de se suicider, au moyen d'une bombe, devant une mosquée, une synagogue ou un autre lieu public où il y aurait des témoins. Toutefois, elle n'aura pas fait de mal à qui que ce soit ni causer de dégâts matériels.
Cette disposition vous aiderait-elle à dissuader l'auteur d'un acte délibéré tel que celui-là visant simplement à semer la peur dans le public? L'auteur de l'attentat ne causerait aucune blessure physique ou dégât matériel mais il sèmerait la peur. L'essence même du terrorisme est de semer la peur chez les innocents. Cela remonte à la notion d'anarchie et ce n'est pas nouveau dans l'histoire de l'humanité. Les représentants du ministère de la Justice nous ont dit que semer la peur n'était pas un délit criminel.
Cette disposition serait-elle utile?
M. McDonell : Si l'unique objectif de cette personne est de se suicider, sans causer de mal à autrui, c'est difficile à dire.
Le sénateur Grafstein : Toutefois, l'arme qu'il utilise pour se suicider est une bombe.
M. McDonell : Si cette personne est arrêtée avant de passer à l'acte, les dispositions du Code criminel concernant la possession de ce matériel s'appliqueraient.
Le sénateur Grafstein : Ce n'est pas ce dont je parle.
M. McDonell : Je pense que si quelqu'un est déterminé à se suicider, il n'y a pas grand-chose que l'on puisse faire pour l'en décourager.
La présidente : Si l'acte est l'aboutissement final d'un processus de planification mettant en cause d'autres gens, on souhaitera pouvoir les arrêter, n'est-ce pas?
M. McDonell : Oui, absolument.
La présidente : C'en est fini du kamikaze.
M. McDonell : Il s'agit alors d'inculper les coconspirateurs.
Le sénateur Grafstein : Ma dernière remarque porte sur l'argument que la présidente vient d'évoquer beaucoup mieux que je n'aurais su le faire. Je conviens avec vous que si quelqu'un est résolu en raison d'une idéologie à répandre le fanatisme usant comme méthode l'attentat-suicide à la bombe au moyen de victimes innocentes, quel que soit le nombre de Codes criminels, on ne pourra le dissuader de le faire car sa motivation est différente et l'appel vient de plus haut. Je reconnais qu'une fois l'auteur de l'acte, celui qui est le vecteur de livraison, est acquis au même fanatisme idéologique, il est très difficile de l'en dissuader.
Cependant, est-il possible que quelqu'un qui serait tenté par le fanatisme soit dissuadé dans sa démarche car il comprendrait qu'il s'agit d'un crime dans toute l'acception du terme? Autrement dit, je ne nie pas qu'il soit difficile de faire changer d'idée aux mentors, aux cerveaux qui fomentent ces activités. À vrai dire toute la méthodologie qui les inspire repose sur le renversement de l'ordre établi pour le remplacer avec un nouvel ordre idéologique mondial. Toutefois, n'est-il pas juste de dire qu'il y a un long parcours entre le moment où un innocent s'intéresse à ce genre de site sur Internet et le moment où il devient l'ultime instrument de ce genre d'attentat-suicide à la bombe?
Cette disposition ne pourrait-elle pas servir à dissuader ceux qui s'acheminent vers le fanatisme ou encore à dissuader leurs familles ou les gens qui les influencent?
M. McDonell : Oui, monsieur, je suis d'accord avec vous.
Le sénateur Oliver : Plus particulièrement, qu'est-ce que le projet de loi S-210 apporte et qui ne figure pas actuellement dans le Code criminel? Vous avez dit — et le sénateur Joyal l'a fait également à quelques reprises — que nous savons que les actes d'un kamikaze seraient visés par les dispositions figurant à l'article 83.01 du Code criminel et par celles qui visent ceux qui aident et se font complices de tels actes et ceux qui complotent pour les commettre. En réponse au sénateur Joyal, vous avez dit que pour vous l'aspect intéressant du projet de loi S-210 était qu'il contribuait à faire œuvre éducative auprès du public, à demander l'aide du public pour empêcher la commission de tels actes, bref, qu'il permettait de mieux sensibiliser le public.
Renseigner le public, rechercher son aide et le sensibiliser, sont-ce là des notions qui devraient figurer au Code criminel? Cela revient à ma première question, à savoir ce que le projet de loi S-210 apporte et qui ne figure pas déjà dans le Code.
M. McDonell : Sénateur, je ne suis pas juriste. Il incombe au ministère de la Justice de se prononcer sur l'opportunité d'une disposition. C'est là que se trouvent les experts techniques, si vous voulez. Je pense que ce projet de loi offre l'occasion d'affirmer une des valeurs de la société et qu'il dénonce clairement la nature répugnante de ce type de crime. Le chef Vince Bevin l'a déjà dit devant un comité sénatorial : appelons les choses par leurs noms. Il s'agit de terrorisme et cela se situe un cran plus haut dans la criminalité. Nous devrions souligner particulièrement la nature répulsive de l'intention et de l'acte et affirmer qu'un tel acte va à l'encontre de toutes les valeurs qu'embrasse la société canadienne.
Le sénateur Oliver : Voulez-vous dire que cette notion n'est pas exprimée dans le code aussi fermement que vous le souhaiteriez?
M. McDonell : C'est ça.
Le sénateur Oliver : Merci.
Le sénateur Joyal : Dans votre exposé, vous avez abordé la question des sanctions :
Bien qu'il soit possible que les dispositions anti-terroristes actuelles du Code criminel s'appliquent à la planification d'attentats-suicides ou à la tentative d'en commettre, j'invite le comité à se pencher sur les sanctions prévues afin de déterminer si elles sont suffisantes. Actuellement, la peine maximale pour avoir facilité un acte terroriste est de 14 ans et celle pour avoir fait partie d'un groupe terroriste ne dépasse pas dix ans. À mon avis, toute personne qui participe à un attentat-suicide ou qui le facilite devrait purger la même peine que si elle avait commis un meurtre ou une tentative de meurtre, c'est-à-dire la prison à vie.
Ainsi, le comité désirera peut-être voir si le paragraphe 2 de l'article 83 de la loi, infraction au profit d'un groupe terroriste, comporte suffisamment de dispositions afin que les participants et les facilitateurs soient passibles d'emprisonnement à vie.
J'ai le Code criminel sous les yeux et vous de même. Le paragraphe 19 de l'article 83 du Code porte sur la facilitation d'une activité terroriste et se lit comme suit :
Est coupable d'un acte criminel passible d'un emprisonnement maximal de 14 ans, quiconque sciemment facilite une activité terroriste.
Avez-vous trouvé cela?
M. McDonell : Oui.
Le sénateur Joyal : Le sénateur Grafstein a évoqué l'alinéa 431.2(2), intitulé « Engin explosif ou autre engin meurtrier », qui se trouve à la page 683 de l'édition que j'ai entre les mains. Y êtes-vous, monsieur?
M. McDonell : Oui.
Le sénateur Joyal : Je le cite :
Est coupable d'un acte criminel possible d'un emprisonnement à perpétuité quiconque livre, pose ou fait exploser ou détonner un engin explosif [...] soit dans l'intention de provoquer la mort ou des dommages corporels graves, soit dans l'intention de causer la destruction massive [...]
Ainsi, dites-vous, si une personne me livre un engin explosif, cette personne est passible d'emprisonnement à vie. Toutefois, dites-vous, si cette personne facilite la commission d'un acte terroriste, actuellement, elle n'est passible que d'une peine d'emprisonnement de 14 ans. Une personne qui donne des renseignements sur le meilleur moment et le meilleur endroit pour détonner un engin explosif au milieu d'une foule serait passible d'une peine de 14 ans et la personne qui livre l'engin explosif serait passible d'une peine d'emprisonnement. Ce sont deux niveaux d'implication et vous proposez qu'une personne qui donne des renseignements, qui facilite la commission d'un crime, devrait être passible de la même peine que la personne qui fournit l'engin explosif.
Est-ce bien ce que vous proposez?
M. McDonell : Oui. En termes simples, cela supprime toute latitude. S'il s'agit d'une attaque suicide, c'est immédiatement l'emprisonnement à perpétuité.
Le sénateur Joyal : Autrement dit, proposez-vous que nous modifions le paragraphe 19 de l'article 83 pour qu'il vise toute la gamme des techniques?
M. McDonell : Je le répète, je ne suis pas expert technique. Je pense que j'ai demandé qu'on réfléchisse à l'écart. Vous voudrez sans doute vous demander si le projet de loi offre un lien suffisant avec l'emprisonnement à vie pour qu'il n'y ait aucune latitude possible entre cette peine et les peines de 10, 14 ans ou plus lourdes.
Le sénateur Joyal : Est-ce là l'écart qui existe et que vous proposez que nous comblions?
M. McDonell : C'est cela.
Le sénateur Joyal : Vous ne l'avez pas demandé mais vous dites que nous devrions y réfléchir, n'est-ce pas?
M. McDonell : Oui, c'est ce que je demande humblement.
Le sénateur Joyal : Cela est prévu au paragraphe 22 de l'article 83, intitulé « Charger une personne de se livrer à une activité terroriste ».
Le sénateur Milne : Oui, on y parle de charger directement ou indirectement.
Le sénateur Joyal : Je vais lire l'article, pour les besoins du compte rendu. Le paragraphe 83.22(1) du Code criminel, à la page 150 de mon exemplaire, se lit comme suit :
Est coupable d'un acte criminel passible de l'emprisonnement à perpétuité quiconque, sciemment, charge, directement ou non, une personne de se livrer à une activité terroriste.
« Charger » ce n'est pas la même chose que renseigner. La participation ne se fait pas au même degré. Pourtant, vous nous dites essentiellement que quiconque est mêlé à un attentat-suicide ferait l'objet de cette disposition et serait passible d'un emprisonnement à perpétuité.
M. McDonell : C'est exact.
Le sénateur Joyal : Vous estimez que livrer l'explosif, c'est comme charger quelqu'un de commettre un acte terroriste.
M. McDonell : Sans que quelqu'un charge quelqu'un d'autre d'agir, il n'y aurait peut-être pas d'attentat.
La présidente : Sénateur Joyal, avez-vous sous la main la version française, ou vous souvenez-vous de ce qu'on y dit pour le terme anglais « instruct »? Parfois c'est plus clair. Souvent, le français est plus clair et je n'ai pas le Code criminel en français avec moi.
Voici la disposition. On peut toujours compter sur l'aide de la Bibliothèque du Parlement. Voici la version française :
[Français]
Quiconque sciemment charge, directement ou non, une personne de se livrer à une activité terroriste.
[Traduction]
Est-ce que le terme « charge » a un sens plus large? Est-ce que cela renforce votre argument?
Le sénateur Joyal : Je l'ai dit, le Code établit actuellement des distinctions en fonction du degré de participation. C'est ainsi que j'interprète la logique de ces dispositions. Le fait de livrer l'explosif est assimilé au plus haut degré de responsabilité. C'est la même chose lorsqu'il s'agit de charger quelqu'un de l'attentat. La facilitation peut-être tout aussi importante, pour ce qui est des dommages intentionnels qui sont causés, et vous nous dites que la facilitation doit être assimilée au même degré de responsabilité, d'après le Code.
Pour répondre directement à votre proposition, pour vous dire tout simplement « oui », il me faudrait réfléchir davantage aux incidences dans le cas d'autres actes terroristes, qui ne seraient pas des attentats suicides, afin d'assurer une certaine cohérence quant au degré de facilitation.
Je ne peux pas vous répondre directement maintenant, parce qu'il me faut revoir l'autre disposition, un article assez complexe du Code. C'est toutefois une suggestion utile pour nous d'y réfléchir avant de terminer cette étude.
Le sénateur Milne : Puisque d'après le Code criminel, déjà, on ne peut pas faire ce genre de choses, ni charger quelqu'un de les faire, pourriez-vous accuser quelqu'un qui est au Canada mais qui agit par l'intermédiaire d'Internet? Pourriez-vous aussi les accuser s'ils étaient à l'extérieur du Canada? Pourriez-vous accuser le fournisseur de services Internet?
M. McDonell : Il faut qu'ils soient au courant de l'infraction. Si c'est simplement fourni au public, il faudrait prouver hors de tout doute raisonnable que les auteurs savaient ce qui se passait et qu'ils en étaient complices.
Le sénateur Milne : Je suis estomaquée à l'idée qu'il y a des milliers de sites de ce genre, c'est terrifiant.
À part le fait que le projet de loi du sénateur Grafstein ne prévoit pas de peines plus lourdes, contrairement à vous, ce projet de loi me semble très similaire, quant à son esprit, à un projet de loi que notre comité a étudié l'automne dernier sur les courses de rue. En effet, le projet de loi sur les courses de rue, outre l'alourdissement des peines, était destiné à mettre un nom sur cet acte, même s'il était déjà couvert par le Code criminel, il s'agissait de dire que comme société, nous nous opposons aux courses de rue. Ce projet de loi-ci a presque le même objectif.
Le sénateur Oliver : C'est très juste.
Le sénateur Grafstein : Tout à fait.
Le sénateur Stratton : Plus on approfondit la question, plus elle devient fascinante.
J'aimerais revenir à la question de savoir si l'expression « attentat suicide » accomplit vraiment tout ce que nous voudrions. Ce qui m'inquiète, par exemple, comme l'un de nos attachés de recherche me l'a fait remarquer, c'est qu'il y avait deux femmes atteintes du syndrome de Down, qu'on avait chargées de dynamite et envoyées dans une foule, où on avait déclenché l'explosion par commande à distance pour faire sauter l'endroit. Ce n'est pas un attentat suicide; c'est un attentat terroriste pur et simple.
Le recours aux engins explosifs souterrains en Afghanistan et en Irak augmente de façon exponentielle; selon les médias de ce matin, leur nombre augmente.
Le sénateur Grafstein : Cela devient une arme de choix.
Le sénateur Stratton : Tout à fait. Ces engins deviennent de plus en plus perfectionnés, et pour nous défendre, nous utilisons des blindés de plus en plus lourds. Nous assistons au même genre de tendance dans le cadre des attentats suicides. Utiliser des personnes atteintes du syndrome de Down, les charger d'explosifs et les envoyer dans une foule, c'est incompréhensible. C'est tout simplement incroyable.
Je répète : est-ce qu'on devrait qualifier cela de « attentat suicide ». Y a-t-il autre chose? Comment qualifier un tel attentat impliquant ces femmes? À mon avis, c'est pire qu'un attentat suicide — nettement pire. Je ne sais pas si je m'exprime bien. Je ne pense pas.
La présidente : Oui, on vous suit.
Le sénateur Stratton : Comment faire comprendre aux gens qu'ils ne peuvent pas faire ce genre de chose, et comment définir l'acte comme il faut? C'est là où je veux vraiment en venir. Avez-vous une réponse?
M. McDonell : À mon sens, ce projet de loi est un petit pas dans cette voie. Si cette disposition existait, je porterais une accusation d'attentat suicide contre eux, même si la personne dont il s'était servi pour transporter le dispositif ne savait pas du tout qu'elle allait se suicider.
Le sénateur Stratton : Elles ont plutôt été assassinées; elles ne se suicidaient pas.
M. McDonell : Selon moi, c'est quand même un attentat suicide. L'important, c'est que la personne a transporté et déclenché le dispositif — ce serait différent si c'était par commande à distance.
Le sénateur Stratton : Cela pourrait être par commande à distance. On pourrait charger ces personnes-là d'explosifs et les envoyer dans une foule; on appuie sur le mécanisme de déclenchement, et elles n'existent plus.
M. McDonell : On en a des exemples dans le monde. Chaque cas est un cas d'espèce, mais l'important, c'est de se doter des outils nécessaires. Aussi, comme on l'a déjà dit, on pourrait clairement exprimer dans notre législation notre révulsion absolue pour de tels actes.
Le sénateur Stratton : J'y réfléchirai.
Le sénateur Di Nino : Le sénateur Grafstein a dit qu'il s'agissait de l'arme de choix. Malheureusement, après les attentats du 11 septembre, je crois avoir entendu dire à propos de cette arme-là qu'il s'agissait d'une arme diabolique géniale qui est presqu'inexcusable, à moins de dissuader. Voilà pourquoi j'ai posé la question sur l'élément dissuasif.
Sauf votre respect, je ne pense pas que cette mesure dissuadera — pour revenir à ce que disait mon collègue, le sénateur Stratton — à moins de faire le lien avec les autres, et pas simplement ceux qui acceptent de se faire sauter à cette fin.
A-t-on des exemples d'ailleurs? Est-ce que d'autres pays ont intégré ce genre de définition à leur code ou aux lois internationales pour qu'on puisse voir si les forces et agences policières dans d'autres pays l'ont trouvé utile? Y en a-t-il à votre connaissance?
M. McDonell : Non, pas à ma connaissance. Cependant, je peux prendre en note cette question et donner une réponse au comité plus tard.
Le sénateur Di Nino : Ce serait un renseignement intéressant.
Le sénateur Milne : Il me semble que le Code criminel sert à faire savoir aux Canadiens ce qui est permis et ce qui ne l'est pas. Par conséquent, dans cette perspective, si le but fondamental est de renseigner, y intégrer un tel libellé à l'intention des Canadiens serait une mesure positive.
M. McDonell : Encore une fois, je ne suis pas un spécialiste technique, mais je suis d'accord avec votre affirmation.
Le sénateur Grafstein : Je veux revenir à la question des attentats suicides par opposition aux attentats suicides à la bombe ou quoique ce soit. Moi, j'étudie la common law depuis longtemps; j'ai grandi dans la tradition de la common law. D'autres collègues qui sont avocats ont également grandi dans une tradition de common law.
Lorsqu'on étudie le code criminel, on sait qu'il a ses origines dans la common law. Il s'agit d'une codification d'une série de cas d'espèces. C'était axé sur l'expérience et c'était une étape à la fois.
La common law, devenue le code criminel, n'était pas parfaite. C'était bon; chaque étape était un autre petit pas dans la bonne voie. Seriez-vous d'accord pour dire que cette notion d'attentats suicides en soi est un bon pas dans la bonne voie?
M. McDonell : Oui, je suis d'accord.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur McDonell. La séance a été extrêmement intéressante. Nous vous en sommes très reconnaissants. Comme vous pouvez le constater, je crois que tous les sénateurs ont trouvé très stimulantes vos observations et vos opinions ainsi que toute votre comparution ici. Nous vous en sommes très reconnaissants.
La séance est levée.